analyse pandémie

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"LA DRÔLE DE GRIPPE" Pandémie grippale 2009 : essai de cadrage et de suivi Patrick LAGADEC Janvier 2010 Cahier n° 2010-03 ECOLE POLYTECHNIQUE CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE DEPARTEMENT D'ECONOMIE Route de Saclay 91128 PALAISEAU CEDEX (33) 1 69333033 http://www.enseignement.polytechnique.fr/economie/ mailto:[email protected]

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Analyse de la gestion de la pandémie grippale en france en 2009

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  • 1. ECOLE POLYTECHNIQUE CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE "LA DRLE DE GRIPPE"Pandmie grippale 2009 : essai de cadrage et de suivi Patrick LAGADEC Janvier 2010 Cahier n 2010-03 DEPARTEMENT DECONOMIE Route de Saclay 91128 PALAISEAU CEDEX (33) 1 69333033 http://www.enseignement.polytechnique.fr/economie/ mailto:[email protected]
  • 2. "LA DRLE DE GRIPPE" Pandmie grippale 2009 : essai de cadrage et de suivi Patrick LAGADEC1 Janvier 2010 Cahier n 2010-03Rsum : Ce cahier est une contribution au retour dexprience quil faudrait mener sur la pandmie grippale 2009. Il tente de cerner le terrain sur lequel sest droul la crise, et qui a nourri la crise en profondeur. Il fournit aussi, en seconde partie, le tableau de bord de rflexion et de proposition de lauteur, tout au long de lpisode.Abstract: This document is a contribution to the debriefing process that ought to be launched, internationally, on the 2009 "phoney flu" pandemic. The initial section provides some keys to the understanding of the context of this crisis. The second section is a day-by-day follow up of questions and proposals put forward by the author during this episode.Mots cls : Pandmie, Grippe A-H1N1, pilotage, tableau de bord stratgiqueKeywords: Pandemic, A (H1N1) Flu, Strategic ApproachType de classification : AMS1 Patrick Lagadec est Directeur de Recherche, Dpartement dEconomie, Ecole Polytechnique
  • 3. SommaireFil rougep. 3Approche..p. 5 Ruptures, obstacles, dpassement Crises, un autre univers A(H1N1), cas dcole ContributionI LE FRONT DES PANDMIES, 2003-2009 : AVANCES TACTIQUES, DCROCHAGE STRATGIQUE..p. 161. Points forts ...p. 17 1) Un effort massif, continu et coordonn de veille, dexpertise et de planification 2) Un effort gnral indit en termes de Continuit dActivit 3) Un effort srieux en matire dexercices2. Points faiblesp. 21 1) Un confidentiel dfense originel 2) Une approche initiale ferme et cloisonne 3) Une culture de Plan, une culture PCA 4) Une dynamique public-priv souvent surprenante 5) Une culture Command and Control , top down 6) La dimension thique mise sous le boisseau3. Des socles et des contextes globaux en proie des dislocations majeuresp. 35 1) De nouveaux fronts de vulnrabilit, un terreau danxit gnrale 2) Un domaine de la sant publique emblmatique des crises globales mergentes 3) Lombre immdiate de crise financire de 2007 et ses suites en 20084. Le dfi du pilotage et de la conduite collective en Terra Incognita .p. 38 1) Un sursaut dcisif en intelligence dcisionnelle et aptitudes stratgiques 2) Des couches obscures revisiter et clarifier la solution militaire La question des Quarantaines massives Etats-Unis 3) Des voies nouvelles pour naviguer en Terra Incognita Le plan US de 2006, Extraits : Limportance de la mobilisation du tissu socital ; une approche systmique ; une approche sense de la quarantaine de masse ; une communication qui fasse sens ; des messages de prparation pour le citoyenII A(H1N1), AVRIL 2009- JANVIER 2010 : QUESTIONNEMENTS ET PROPOSITIONS CHAUD p. 53Avril-juin : Alerte et dclenchement des plans.p. 54Juin- aot : La grippe dsertep. 97Aot-oct. : Confusion, entre Grippette qui tue et Vaccins non merci ! . p. 122Novembre-dcembre 2009 : la vaccination se cherche, la grippe reflue...p. 159Epilogue (provisoire ?), janvier 2010 : le plan implose, les critiques explosentp. 166
  • 4. 2 Je compris ce moment-l quelle tait la faon de raisonner de mon matre []. Je restai perplexe. "Mais alors, osai-je commenter, vous tes encore loin de la solution Jen suis trs prs, dit Guillaume, mais je ne sais pas de laquelle. Donc, vous navez pas quune seule rponse vos questions ? Adso, si tel tait le cas, jenseignerais la thologie Paris. Paris, ils lont toujours, la vraie rponse ? Jamais, dit Guillaume, mais ils sont trs srs de leurs erreurs. Et vous, dis-je avec une infantile impertinence, vous ne commettez jamais derreurs? Souvent, rpondit-il. Mais, au lieu den concevoir une seule, jen imagine beaucoup, ainsi je ne deviens lesclave daucune. [] ce moment-l, je lavoue, je dsesprai de mon matre et me surpris penser : Encore heureux que linquisition soit arrive. Umberto Eco Le Nom de la rose, Grasset, 1982 Livre de Poche, 1986, p. 385-386. Lack of mathematical culture is revealed nowhere so conspicuously as in meaningless precision in numerical calculation Gauss In Silvio Funtowicz and Jerome Ravetz The Arithmectic of scientific uncertainty, Phys. Bull. 38, 1987, p. 412-414 The story of the 1918 influenza virus [] is also a story of science, of discovery, of how one thinks, and of how one changes the way one thinks [] They created a system that could produce people capable of thinking in a new way []. John M. Barry The Great Influenza The Epic Story of the Deadliest Plague in History, Penguin Books, New York, 2004, p. 5 et 7
  • 5. 3 Fil rouge Si on me dit : puisque le modle nexiste pas, la question na pas de sens je rpondrai : a cest une rponse de technicien mais pas de scientifique . Je me rclame ici de ce qui fait la science en acte, qui est prcisment de se risquer aux questions pas possibles. Maurice Bellet, 20041Au tournant de lanne 2010, les acteurs comme les lecteurs du feuilleton droutant dela grippe A(H1N1) se rveillent entre sonns et dboussols . Il avait tquestion de 1918 longueur de semaines et de mois voici que la grippette triomphe, et donne toute sa puissance une thse dont la solidit daprs-coup mritecertainement plus de circonspection que de vnration aveugle. Longtemps, chacunstait flicit de la grande premire que constituait cette gestion de criseeffectivement nouvelle en termes de dtection, de raction, de communication voicicette mme conduite de crise dsormais en bien mauvaise passe. Tout avait t mis enuvre pour, cette fois, faire bonne figure. Tout, au terme (provisoire ?) delengagement, est en place pour une libration expiatoire la mesure de linquitude(qui neut pas que de fausses raisons), et plus encore pour lutilisation de cette crise toutes les fins dj sur tagre. Cest la loi des crises.Cette contribution, dont le fil rouge est lappel de meilleures capacits de prise derecul en situation de crise quand il est si tentant de se jeter dans les bras dunprincipe de prcaution mal compris, ou linverse dans une posture danti-prcautionmilitante, plaide aussi pour une prise de recul dans les reconstructions daprs-coup. Sinous nous satisfaisons des dlices de la polmique politico-mdiatique, des charmesdes raccourcis expditifs, de la seule lecture en termes de communication , nous neferons que nous mettre en vulnrabilit toujours plus srieuse. Cest lexigence dunvritable retour dexprience, rgulirement demand, rarement mis en uvre.La perspective de fond ici retenue est fondamentalement la suivante : au-del de cettecrise, le problme est que nos logiciels de rfrence pour traiter les crises de notretemps ne sont plus les bons. Il y a dcalage manifeste entre, dune part, les cblages depilotage qui sont les aujourdhui les ntres et, dautre part, les nouveaux enjeux descrises contemporaines. Il nous faudrait dautres visions, dautres dmarches, et defortes capacits de prise de recul. Nous y opposons le plus souvent des principes et deslogiques daction dpasss : des plans prtendus flexibles mais qui sont le plus souventdes carcans, de la prcision numrique qui donne lillusion de scientificit, deslogiques de rponse quand il faudrait des logiques de questionnement, des amasorganisationnels quand il faudrait dispositifs pilotage le tout sur fond nostalgiquedune logique militaire ptrie de la gloire de Ina et de lombre de Sedan.Limpratif de fond est de comprendre nos difficults structurelles. Il y a en effetdimmenses dfis devant nous. Nous les avions dj points dans nos travaux surKatrina. Les autorits amricaines furent cloues au pilori pour ne pas avoir ordonnune vacuation gnrale. Elles furent certes bien loin de faire montre dunecomptence minimale. Mais demain je dis bien demain, pas dans 50 ans , avec les1 "Auxprises avec le chaotique", lcoute de Maurice Bellet, Philosophe, Entretien avec PatrickLagadec, vido, montage Aurlien Goulet, Avril 2004.
  • 6. 4dsordres climatiques par exemple, nous aurons des dilemmes terribles affronter : a)vacuer systmatiquement de grandes zones urbaines chaque alerte forte, sachantquil faut environ 7 jours pour vacuer une zone comme Houston, quil peut y avoir nalertes par saison, avec impossibilit davoir des donnes assures avant quil ne soittrop tard ; b) attendre den savoir suffisamment pour agir en grand, et prendre chaque fois le risque dhcatombes (et, accessoirement, de convocation en HauteCour). Qui aurait, ds prsent, la solution veuille bien la prsenter.Certes, bien des lments rendaient le pilotage de la grippe 2009 un peu moinscrpusculaire, et de moins en moins obscur au fil des semaines partir des premiresalertes Janet Napolitano, Secrtaire du DHS aux Etats-Unis, sut rajuster la postureds le 5 mai 2009. Mais cest bien sur ces dilemmes, vritables dfis pour nos thorieset pratiques de la dcision, quil nous faut rflchir pour enrichir et faire muter noslogiques de pilotage et de conduite collective. Pour cela, nous allons avoir davantagebesoin dun surplus dintelligence partage que de satisfecit dvitement ou decondamnations sarcastiques. Cela tant pos, lexigence de rigueur est centrale : on nesaurait tricher avec les enjeux qui se prsentent dsormais sur tous les fronts. Laqualit de notre questionnement aujourdhui fera la qualit de nos logiques de pilotagede demain.Ce cahier tente dapporter des lments de rflexion destination des dcideurs, desexperts, des acteurs de terrain ; des tudiants et futurs dirigeants aussi, car ce sujet descrises mergentes va devenir de plus en plus dcisif mme sil nexiste gure encore,sauf accident, comme dimension pertinente (voire tolrable) dans nos formationsdexcellence.Lardente obligation est de ne pas nous remettre dans lornire fatale de LEtrangedfaite si pathtiquement dissque par Marc Bloch. Avec pour diagnostic ternel cequil dit en substance : Ils ne pouvaient pas penser cette guerre [crise, pour ce quinous concerne], ils ne pouvaient donc que la perdre . A nous de tout mettre en uvrepour tenter de mieux comprendre, pour mieux agir. Cest dans cette perspective detravail collectif, dont personne ne peut prtendre avoir dj les cls, que sinscrit cettecontribution.
  • 7. 5 Approche Anticipation-Prparation-Dtection-Raction : assurment, le traitement de lapandmie grippale qui sest dclenche au Mexique la fin du mois avril 2009 peuttre lu comme un exemple de progrs dcisif en matire de rponse une menacedenvergure mondiale. Ce fut dailleurs la lecture longtemps mise en avant par nombredacteurs et dobservateurs. Nous sommes bien loin de la constance danslaveuglement qui, jusquau bord du gouffre, a marqu la pandmie financire de2007-2008. Et voici que, maintenant, la grippe ayant dsert le champ de bataille,nombre de voix slvent pour mettre en pices tout ce qui a t fait au cours des moisdengagement o le monde allait enfin pouvoir prendre sa revanche sur le cataclysmede 1918. Allons-nous nous contenter de ces mouvements de balanciers, les triomphateursdaujourdhui se prparant devenir les victimes de la prochaine bataille ? Il fautouvrir largement le dossier, non le fermer la hte, aprs avoir sauv les meubles ou pris quelques dividendes circonstanciels en attendant le prochain rendez-vousavec ce monde des crises dcidment si barbare. Cela exige dcarter les monceaux de plans, de directives, dorganigrammes, destatistiques, de courbes, de sondages, de communiqus, de contestations, de consterna-tions, dalarmisme vendeur comme de rassurances infondes, de thories toutesfaites, rassurantes aussi longtemps quelles restent labri du rel Il faut mmedpasser laffichage compulsif, confit dans labsurde, dun Principe de Prcaution soudain devenu cl dexplication universelle, aprs avoir t vid de tout sens. Il fautarrter de jeter des confettis dans le ventilateur mdiatique, dans lespoir de sortir dudsarroi par un surcrot de confusion. Il faut accepter le questionnement, victime premire des temps de turbulencessvres. Il faut prendre le risque de lexploration cest dire de la marche sans cartesni boussoles certifies. Car le terrain couvrir est largement inconnu, et cest bien lnotre difficult essentielle. Le premier pas franchir : comprendre que cette pandmie A(H1N1) exprime lesnouvelles formes de crises dun monde en proie des mutations majeures (bien au-del du domaine spcifique de la Sant publique), qui appellent dautres visions,dautres modes daction et de gouvernance.Ruptures Fondamentalement, nous sommes convoqus sur un autre terrain des vulnrabilits,des risques et des crises. Contrairement aux urgences bien ciseles que traitentquotidiennement les services de secours, loin des dsastres mono-cause qui ont donnlieu llaboration de plans doprations bien codifis au cours des derniresdcennies, les crises contemporaines projettent sur des espaces largement inconnus.Ces crises reclent des piges tous azimuts, quil sagisse de leur caractrisation (sous-estimation, sur-estimation, mal-estimation), de leur conduite (sous-raction, sur-raction, mal-raction), et plus encore des phnomnes chaotiques quelles dclen-chent dans toutes les directions. Nous navons pas les cls de comprhension de cesespaces, nous ne disposons pas les grammaires daction qui nous seraient ncessaires.Dployer les pratiques connues, actionner mme les meilleures pratiques concoctes au sicle dernier, se rvle insuffisant. Plus grave, de plus en plus souvent :ces lectures et ces actions sont rapidement dsintgres ou mme retournes pour
  • 8. 6devenir les meilleurs allies des crises lordre du jour. Quand il y a rupture des rgles du jeu , la combinaison des moyens ordinaires reste vaine. Prcisment, la puissance de ces crises qui simposent dsormais sur tous les frontstient trois failles majeures de notre ct. Nous sommes surclasss intellectuellement. Les cadrages qui nous permettaient depenser le monde et ses accidents ne sont plus oprants. Cet aboutissement cul-de-sacest rcurrent dans lhistoire, nous sommes seulement confronts une nouvelleexigence de rinvention. A cette heure o tous les fronts de risques et de crisessemblent lcher , pour se recombiner, on pourrait se souvenir de ce moment derupture si bien saisi par la grande Barbara Tuchmann : En ce matin de mai 1910, alors que neuf rois suivaient la dpouille mortelle dEdouard VII dAngleterre, la splendeur du spectacle fit ber dadmiration bien des spectateurs dans la foule dense et recueillie.[] Lensemble reprsentait soixante-dix nations ; jamais tant de grands de cette terre ne staient encore trou- vs ainsi runis, jamais plus ils ne devaient ltre sous cette forme. Le carillon assourdi de Big Ben sonnait neuf heures quand le cortge quitta le palais, mais lhorloge de lHistoire marquait le crpuscule ; le soleil du vieux monde se couchait dans une gloire blouissante quon ne reverrait plus. [] Lord Esher nota dans son journal :Jamais, il ne sest produit une telle rupture. Toutes les vieilles boues qui balisaient le chenal de notre vie semblent avoir t balayes. 2 Nous sommes dpasss stratgiquement. Telle la chevalerie franaise Crcy ouAzincourt, ou les armes prussiennes Ina, quelque chose ne va plus , qui nestpas simplement de lordre de lemploi des moyens, mais prend racine dans desquilibres fondamentaux du monde, dans nos conceptions de la science, de nosinstitutions, de nos responsabilits et modes de gouvernance. Cest l encore un dfiqui nest pas nouveau. Il suffit de relire Clausewitz mditant sur leffondrementdIna : Au cours de la dernire dcennie du sicle pass, lorsquon vit cet extraordinaire bouleversement de lart de la guerre qui rendit inefficace une bonne partie des mthodes de guerre des meilleures armes, et que les succs militaires prirent une ampleur laquelle nul navait song jusqualors, il parut vident quil fallait imputer tous les faux calculs lart de la guerre. Il tait clair que lEurope, limite par lhabitude un cercle troit de conceptions, avait t surprise par des possibilits qui dpassaient ce cercle [] Les effets extraordinaires de la Rvolution franaise lextrieur provenaient videmment moins des mthodes et des conceptions nouvelles introduites par les Franais dans la conduite de la guerre que des changements dans lEtat et ladministration civile, dans le caractre du gouvernement, dans la condition du peuple, et ainsi de suite. Les autres gouvernements se firent une opinion errone de tout cela, et entreprirent de se maintenir avec des moyens ordinaires contre des forces dun genre nouveau et une puissance dbordante : ctaient des fautes politiques. Pouvait-on reconnatre et corriger ces erreurs en partant dune conception purement militaire de la guerre ? Impossible. 3 Peut-on, aujourdhui, faire entendre que les nouveaux dfis en termes de crises etde ruptures appellent de mme dautres conceptions, dautres organisations, dautres2Barbara Tuchman : Aot 14, Les Presses de la Cit, Paris, 1962, p. 11 ; 24.3 Carl von Clausewitz : De la guerre, 10-18, Ed. de Minuit, Paris, 1955. (p. 460-461)
  • 9. 7mthodes ? Extrmement difficile, est-on contraint de rpondre, si lon sen tient lexprience quotidienne de ceux qui, sur tous les continents, sefforcent de travaillersur ce chemin. Car le dfi le plus formidable tient aux terreurs psychiques dclenches la moindre vocation de perte de comprhension, de perte de matrise, et dexigenceimprative de rinventions par construction vertigineuses. Cest le troisime et plusgrand obstacle passer. Nous sommes bloqus psychologiquement. Car entrer dans ces univers instables,spongiformes, aux repres dlogs, nous est proprement intolrable. Nous sommestrop marqus par lide devenue naturelle de Progrs, de comprhension portede modle, de contrle acquis sur les choses et les systmes. La moindre bance, idede faille ou sensation dignorance rsistante, prend vite la figure de linsoutenable. Leslignes de Nicole Fabre, psychanalyste, sinterrogeant sur le refus radical de Descartesde se porter sur la question du vide ouverte par Pascal, nous mettent sur la voie de lacomprhension de nos difficults ouvrir les nouvelles pistes, et cela est vrai sur tousles continents. Les refus et capitulations daujourdhui, dont on pourrait citerdinnombrables illustrations, sont largement motivs par des dynamiques qui prennentracines dans ces couches profondes : Sa pense forme un tout. Son uvre aussi. Aucun interstice nexiste par o elle serait attaquable. Aucun vide. Comme aucun vide nest ses yeux pensable dans la nature. Sa controverse sur le vide, notamment avec Pascal loccasion des expriences du vif-argent, son refus du vide, sont si surprenants chez un homme qui se rfra tant lexprience chaque fois que cela lui tait possible, que lon ne peut pas ne pas y voir lexpression de sa personnalit ou de sa problmatique. Si bien que cest en termes de rsistance que jen parlerai. Si Descartes rsiste lide du vide, si le vide lui apparat inconcevable et choquant ce point, cest parce que le vide est le symbole du nant, ou du chaos. Il est un risque de dsordre. En rejetant si vigoureusement ce concept, Descartes manifeste sous des apparences rationnelles langoisse du nant (de la mort?) et la crainte de perdre la solidit dun systme qui ne tient que parce quil ny demeure aucune faille. 4 Dans ce contexte, le mot dordre universel nest pas le passage par la lucidit maislexigence dtre anesthsi et rassur nimporte quel prix mme au prixdune dbcle condition quelle soit diffre, non imputable, et toujours aise habiller de communication chatoyante. Dans cet espace dfensif, le questionnementest demble hors la loi, la mobilisation des rponses connues lhorizon rapidementimpos. Certes, il faut le reconnatre, les voies de passage sont dlicates. Mais nous navonsgure le choix. On ne peut se contenter, pour couvrir labstention, de plaider loptimisme et le danger quil y aurait de crier Au loup ! pour rien ; etdinvoquer linverse, pour couvrir les dclenchements hyperboliques, limpratif du principe de prcaution (principe dont linstrumentalisation na plus grand chose voir avec son essence originelle). Il nous faut lever ces obstacles, par le travail, lchange, lexploration, linvention,avec le plus grand nombre dacteurs commencer par ceux qui ont dminentesresponsabilits, mais sans oublier ni ceux qui sont directement au front, ni ceux qui se4Nicole Fabre : LInconscient de Descartes, Bayard, Paris 2004. (soulign par moi)
  • 10. 8trouvent en bout de chaine l o explosent toutes les insuffisances en lieu et placedes assurances et rassurances de convenance. Lexprience de la Grippe A(H1N1) doit tre mise contribution pour nous aider tous avancer dans les franchissements dobstacles qui sont aujourdhuincessaires. Mieux traite que la pandmie financire, mais cependant encore bienproblmatique, elle devrait constituer aussi une occasion autrement mieux mise profit pour ces avances majeures quil nous faut accomplir dsormais sur le front desgrandes turbulences plantaires.Crises, un autre univers Nous sommes entrs dans le monde des grandes pandmies, de toutes natures. Il vanous falloir repenser de fond en comble nos sciences et nos pratiques en matire derisques et de crises au moment mme o les avances majestueuses du sicle dernieren ces disciplines commenaient tre graves dans le marbre acadmique et les meilleures pratiques gestionnaires. Insistons. Lombre de la crise dclenche de tels mcanismes de fuite,daveuglement, de repli le pilote dans ses plans, ladministrateur dans ses directives,lexpert dans ses chiffres, le gestionnaire dans ses botes outils, lintervenant dansses fiches rflexes, le communicant dans ses lments de langage, le politique dans sesassurances, luniversitaire dans ses bibliographies, etc. quil faut en effet un coup deforce pour suggrer que chacun veuille bien sortir de sa niche de protection. De quoi sagit-il ? Tentons dexpliciter un peu davantage.5 Le tableau de nos crises a mut. Etant donn le potentiel de dstabilisation de toutvnement grave, et bien plus encore ltat gnral des contextes dactivits et de viemarqus par leur extrme instabilit intrinsque et leur sensibilit aux perturbations(relles ou perues), toute entre en crise ouvre sur des univers en abme quil estimpossible de cerner dentre de jeu, et mme de tenir pour matriss quand on aenfin pu commencer les comprendre et les traiter. Limpossibilit mme de clore etde stabiliser le champ prendre en considration en reconfiguration-mutationconstante, tant dans son primtre, dans son essence, que dans ses dynamiques apparat la fois comme la caractristique essentielle et le moteur principal de cescrises qui mergent dsormais. On se retrouve dans des turbulences de plus en pluscomplexes, de plus en plus ouvertes des ruptures brutales et de possibles excursionsaux extrmes. Le problme est bien moins lvnement accidentel que le contexteen surfusion , prt aux dislocations les plus surprenantes aux moindresperturbations.5 Voirnotamment : Patrick Lagadec: "The Megacrisis Unknown Territory - In Search of Conceptualand Strategic Breakthroughs, summary of the book chapter to be published in Rosenthal et al., inSpecial issue : "Mega-crises in the 21st Century", October 2009, Magazine for National Safety &Security and Crisis Management, Special issue Ministry of the Interior, The Hague, The Netherlands(pages 40-41) http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/Megacrises%20Lagadec.pdfPatrick Lagadec: "A New Cosmology of Risks and Crises: Time for a Radical Shift in Paradigm andPractice", to be published in a special issue: "A new world of crisis: challenges for policymaking",Special editor: Arjen Boin (Louisiana State University), Review of Policy Research, Volume 26,Number 4, pp. 475-488, Fall issue 2009. http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/New_Cosmology.pdf
  • 11. 9 Confrontes ce tableau essentiellement marqu par linstabilit globale etstructurelle, nos logiques danalyse comme de dcision apparaissent fondamentale-ment dcales. Elles sont ancres sur des visions de mondes stables, compartiments,connus, ne connaissant que des dysfonctionnements eux-mmes connus,statistiquement mesurs, matrisables partir de dispositifs et doutils valids, et quoiquil en soit marginaux en termes dimportance relative par rapport aux systmesconcerns. Le schma de rfrence implicite est quune bonne organisationhirarchique, bien renseigne par les experts, est en mesure de faire rentrer toute effer-vescence spcifique dans les canaux et silos prdtermins, avec processus derduction continu de la complexit, de lincertitude, et de la perturbation. Ds lors, le schma oprationnel consacr est simple : nonciation ex ante desproblmes, codification des rponses y apporter, rapidit et automatisme dexcutionds lentre dans les scnarios tablis. Ce sont l nos cadrages de rfrence pourmatriser efficacement les risques de perturbation. Toujours dans cet univers mental, la formation, lentranement, les exercices, visentprcisment bien faire connatre les scripts, les lignes daction, les dispositifs, lesoutils, prvus pour identifier, rduire et cicatriser au plus vite les carts accidentelsavec le normal . Le droulement sans fioritures des procdures arrtes est garantde russite. Sous rserve, bien entendu, quon sache accompagner le tout par unecommunication mdiatique intense, respectant la rgle de clart et de transparence comme cela est dsormais bien compris. En dpit des relles avances que traduisent ces dispositions, le diagnostic estproccupant sur le fond. Dans la mesure o lessence des crises contemporaines ne correspond plus cettevision y compris aux meilleures techniques de gestion de crise , mmecompltes par une communication de crise formellement irrprochable , noussommes et serons constamment en situation de haute vulnrabilit chaque irruptionde crise non strictement conventionnelle au sens durgence connue, claire,spcifique, et circonscrite. Le principe de scnarisation a priori, de primat des rponsessur le questionnement (avec mme trs souvent la suspicion jete sur tout relquestionnement), dautomatisme dans les droulements prtablis, de centralisation etde hirarchisation dautant plus strictes que les enjeux sont graves (avec associationtrs peu prise des acteurs de terrain) sont autant de rfrences identitaires de nossystmes de gouvernance. Ils prparent trs mal au traitement des univers volatils,chaotiques qui forment le thtre doprations des crises contemporaines. Autre ligne de proccupation, qui souligne lurgence des transformations requises :il ne sagit pas de nous prparer quelque phnomne de lordre de la crue millnaire,mais bien des enjeux dsormais rcurrents, et mme normaux (au sens de CharlesPerrow, Normal accidents). Dans un monde en mutation-reconfiguration profonde, lefait de la crise majeure devient constitutif de nos dynamiques et processus collectifs.Nous passons du registre de laccidentel au registre du structurel. Et du marginal auvital. Voil qui change la donne, mme sil est toujours trs difficile de nous sortir dela reprsentation : crise = accident = services de secours = fiche rflexe. Bien sr, nousavons dj un peu ouvert la bote outils en introduisant la dimension communication la fin du sicle dernier ; mais ctait l en quelque sorte unsimple ajout, pour donner aux administrs quelques explications destines les rassurer . Cet ajout sympathique devient problmatique ds lors que lon na plusgrand chose expliquer si ce nest le caractre trs difficilement comprhensible et
  • 12. 10fondamentalement instable et non linaire des phnomnes en cause. Bien sr, certainsexperts continuent brandir leur tendard triomphant ; mais leur assurance apparatrapidement surfaite, surtout lorsque la prcision arithmtique croit comme le cube dela perte de pertinence. Et lon prend vite conscience du fait que nos logiqueshabituelles de rponse sont en quelque sorte vides de leur substance. Ou mme pire,et il faut le redire : elles en viennent se faire tte de pont de la crise.Lapplication consciencieuse des meilleures pratiques disponibles en arrive devenir le meilleur levier de la dstabilisation en marche. Il faut accepter le caractre abyssal de ces difficults ; et tout mettre en uvre pourles comprendre et les traverser. Ce nest pas parce quil faut changer de paradigmecognitif quil faut capituler sur le front intellectuel, ou se contenter de brandir desthories toutes faites et mdiatiquement porteuses. Ce nest pas parce quil fautchanger de paradigme de pilotage, quil faut abdiquer de ses responsabilits, ou serfugier dans la prestidigitation politico-mdiatique. Le grand danger serait en effetque, face trop de difficults, trop dchecs aprs avoir tout essay , chacun sereplie finalement sur la conviction quil ny a rien faire dans ce monde dcidmenttrop complexe pour nos socits et leurs institutions, trop barbare pour nos codesscientifiques et dcisionnels, trop loign des attentes des administrs, trop dangereuxpour la scurit des carrires, pour que lon puisse encore esprer conduire la chosepublique, et la conduire en lien avec le citoyen. Nous sommes donc appels engager dimposants travaux tant de recherche que demise en uvre oprationnelle, afin de relever le dfi qui nous est impos sur ce frontdes crises en mergence. Il ne sagit pas dajouter telle ou telle case supplmentaire delecture et daction, mais bien de mettre laccent sur notre capacit ds la phase deformation, de prparation, et instantanment toute mergence de phnomnetroublant de prise de recul, de questionnement ouvert, de conduite plus dynamiqueque mcaniste, dintelligence du chaotique plus que du mcanique embot. Ce ne serapas simple, ce ne sera rapide. Ce qui doit nous inciter commencer au plus vite pourreconstruire nos capacits dintelligence et daction sur ces thtres doprationsdroutants, o il faut se mfier de tout, y compris des rfrences et outils jusquicitenus pour les plus indiscutables. Au nombre des rponses dvelopper, lexprience montre quil nous fautorganiser des capacits de questionnement et dinvention oprationnelle configurspour le temps rel, les possibilits de ruptures brutales, les piges constants. Cestnotamment la dmarche de Force de Rflexion Rapide , formule depuis plus detrois annes maintenant et mise en uvre dans certaines grandes organisations. Lideest de dployer le plus en amont possible, et tout au long de lpreuve, une capacit dequestionnement sur quatre dimensions : Au-del des apparences, de quoi sagit-il rellement ?, Quels sont les piges ? , Quelles nouvelles cartes dacteurs ? , Quelles initiatives ? . 66 Broux, Pierre, Xavier Guilhou, Patrick Lagadec (2007), "Implementing Rapid Reflection Forces",Crisis Response, vol. 3, issue 2, March 2007, pp. 36-37.http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/Implementing_Rapid_Reflection_Forces.pdfBroux, Pierre, Xavier Guilhou, Patrick Lagadec (2008), "Rapid Reflection Forces put to the realitytest", Crisis Response, Vol 4, Issue 2, March 2008, pp. 38-40.http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/038-040.crj4.2.Lagadec.pdf
  • 13. 11 Il ny a plus de pilotage possible sans la mise en place de pareilles capacits dequestionnement organises. Non pas entre deux portes , au gr dagitations decouloirs, de livraisons de statistiques, de prescriptions de communicants-prestidigita-teurs, de bombardements dinstructions par quelque conseiller OVNI Bref, les crisescontemporaines imposent dautres rgles du jeu. Il serait avis dengager ds prsentde courageuses dmarches dexploration et de prparation, de simulation et deformation7, pour ne pas laisser le dossier en dshrence, abandonn finalement toutesles instrumentalisations.A(H1N1), cas dcole Le dernier pisode de crise complexe en date est donc celui de la pandmie grippaleA(H1N1), qui a commenc inquiter et mobiliser les grands acteurs de la plante lafin du mois davril 2009. Comme indiqu prcdemment, le dossier a t mieux trait que bien dautrespisodes rcents et cela est mettre au crdit de toutes les instances en charge de lasant publique, depuis lOMS jusqu tous les ministres et autres organes en chargede la sant de par le monde. Contrairement ce qui a t fait lors de la crise financireen 2007-2008, nous avons vu ici : dintenses efforts de prparation aux pandmies(avec limplication dun grand nombre dacteurs notamment les entreprises en chargedes grands rseaux vitaux), la dtection trs rapide du phnomne pandmique, lesuivi mondial de la progression des cas depuis le centre stratgique doprationsanitaire (SHOC) de lOMS Genve, le dclenchement des mesures prvues, unedclinaison rapide lchelle mondiale de ces rponses durgence, une communicationfactuelle respectant la lettre les recommandations des manuels de communication decrise disponibles depuis vingt ans, etc. Et pourtant : les dfis voqus prcdemment nont cess de mettre en difficult lesdynamiques de rponse, et laboutissement aujourdhui est svre. Les pilotes ont tconfronts des questions sans cesse plus nombreuses, ouvrant sur dautres questionstoujours plus crpusculaires Comment suivre la vitesse de dissmination dun mal, quand lunit de mesure nest plus le mois mais la journe ou lheure en raison des nouveaux modes de transport ? Comment songer des lignes barrires, quand toute la vie conomique et sociale est fonde sur une connectivit de plus en plus dense et que lide mme de barrire se fracasse sur le fait de la contagiosit dun mal avant quil ne se soit manifest par des symptmes permettant des discriminations bien assures ? Comment anticiper, lorsque le risque de mutation des agents (le virus en lespce), double dune mutation des contextes, sont les traits essentiels de la menace ?7 Les formations organises le sont le plus souvent partir de principes qui dj reclent les checs venir : il faut avant tout, exige-t-on, rassurer les responsables en leur apportant des botes outils ; ces responsables sont ce points fragiles , argumente-t-on, quil ne faut pas les soumettre trop dinconfort ; il faut les prparer drouler des procdures qui les protgeront des questions,surtout pas affronter des situations sans rponses prtablies ; il faut les entrainer communiquer pourrassurer, donc sur les situations dj bien balises par les experts, etc.
  • 14. 12 Comment planifier une action, si le temps de la mise en uvre (scientifique, industrielle, oprationnelle), comme dans le dossier des vaccins, contraint des dcisions qui ne peuvent sinscrire dans la totale flexibilit exige ? Comment tenir la fois les dimensions mondiale, nationale, hyper-locale ? Comment rester en phase avec lopinion, qui peut brutalement passer de la d- nonciation virulente de la sous-raction (comme pour la canicule) laccusation tout aussi vindicative de sur-raction (comme pour la vache folle), tout en se gardant la possibilit de reprendre la voie de la traduction en Haut Cour si les conditions changent soudainement ? Comment rpondre de faon matrise aux craintes collectives, par exemple au sujet de privilges accords quelques-uns en matire de protection (via des vaccins, notamment) qui se transforme en quelques semaines en un refus viscral de se voir concern par ces mmes mesures de protection (Vaccins, non merci !) ? Comment, prcisment, oprer en matire de communication, lorsque le front nest plus le journal tlvis mais la jungle dInternet, terrain de rve pour la floraison de ces thories du complot qui seules peuvent prtendre expliquer si simplement linextricable8 (et se voient trangement consolides par des pilotages ou carambolages bien mal venus9) ? Comment le dirigeant peut-il piloter lorsquil se voit contraint de surfer sur des logiciels imposs (sauf sil a fait un gros effort de distanciation, avant la crise, au dmarrage de la crise, et tout au long de la crise10), et qui se rvlent des piges ? Comment peut-il tracer ses lignes daction, si lexpertise dont il peut bnficier est dabord construite pour les situations relativement stables, non pour des univers chaotiques ? Et si toute discussion sinscrit dabord dans des champs de conflits et de concurrences ayant bien dautres motivations et oprateurs que le sujet mme de la crise en cause ? Comment conduire des pilotages stratgiques, qui supposent des questionnements partags, quand la norme est de monter des runions bien formelles o lon conforte des certitudes planifies, et lon consolide les bornages de territoires et les champs de pouvoir ? Un travail simpose sur ces questions difficiles. Cela suppose de toujours affirmerune distance critique davec le faire immdiat, qui pourtant exige sans conteste uninvestissement dj considrable. La difficult est grande, mais ne pas prendre letemps et lnergie de ce questionnement est rapidement synonyme de mise en logiquedchec.8 Y compris par labsurde le plus vident comme cette assertion si sre delle-mme selon laquelle seuls ceux qui taient vaccins contre la grippe ont t tus par la grippe de 1918 9 Par exemple lorsque, au beau milieu dune polmique mondiale sur un complot des firmes pharma-ceutiques mondiales , le patron de lune dentre elle, tout entier plong dans ses paramtres financiers,se flicite en point de presse des substantiels bnfices que la vaccination va engendrer pour sonGroupe 10 Voir le cas de John Kennedy et de ses conseillers qui, sur la crise de missiles de Cuba (1961),doivent lutter avec une nergie stupfiante et une intelligence thorique et oprationnelle exceptionnellepour ne pas laisser enfermer dans des rgles dengagement pralablement arrtes rglesoprationnelles qui, in fine, sous couvert de ncessit technique non discutables, dictent la politique etpeuvent conduire au dsastre stratgique.
  • 15. 13 La principale force des crises hors normes, qui deviennent nos crises quasiquotidiennes, est prcisment de tuer toute capacit et vellit de prise de recul. Laprincipale mesure de salubrit dcisionnelle devrait consister affirmer, prparer,sauvegarder, dvelopper cette aptitude la rflexion en recul partage. Pour lheure, le passage nest pas encore fait : la crise tient encore nos systmesdcisionnels. L est sa puissance essentielle, et cest bien l quil nous faut intervenir.On ne peut laisser le monopole de la distanciation critique aux commissionsdenqute, quand elles sont effectivement cres, et quelles dcident de menereffectivement le travail de questionnement.Contribution Ce cahier, propose deux espaces dexamen : Une rflexion sur lavant-crise (Partie I) : comment je lis les documents et les mises en uvre qui ont structur nos prparations lpreuve ; Un suivi de la priode avril 2009 janvier 2010 (Partie II), sorte de main courante au long de lpisode. Le premier chapitre Le front des pandmies, 2003-2009, avances tactiques,dcrochage stratgique , tente de peindre un tableau distanci de lpisode. Il est bientrop tt pour arrter un texte de fond. On trouvera ici tout au plus une contribution larflexion, qui gagnera tre lue en lien avec quantits dautres productions quiviendront ou sont dj venues sur le cas. Lobjectif est de contribuer cette rflexion,certes difficile et haut risque, sur les voies de progrs inventer. Le second chapitre A(H1N1, avril 2009-dcembre 2010 : questionnement etpropositions chaud , est en quelque sorte mon tableau de bord personnel au longde lpisode. Jai tent, comme dautres, un travail de points rguliers. Il part duprincipe que lobservateur analyste na pas seulement rdiger des fiches pour publierex post avec le confort de la distance, la connaissance du fin mot de lhistoire maisbien prendre le risque de la production en temps rel. De faon continue, jai tent de clarifier par crit mes pistes et ttonnements danslanalyse. Certaines de ces notes ont pu tre mises en ligne ds leur rdaction, enpremier lieu via le site de lEspace Ethique de lAP-HP (Assistance Publique-Hpitaux de Paris).11 Dautres ont seulement fait lobjet denvoi certaines personnesde mon rseau, national et international. Dautres encore sont juste restes sur monordinateur. Je les reprends ici, en les situant plus prcisment dans leur trajectoire. Cestextes cits (et retranscrits en bleu) sont retranscrits tels quils ont t proposs, etnont bien videmment pas t r-crits avec le bnfice de la connaissancedaujourdhui. Leur intrt est de fournir de faon brute un travail de confrontation aujour le jour aux inconnues, aux questions, aux piges sans camouflage des risquesderreurs, ou des erreurs effectives. Apprendre accepter lide de pouvoir se tromperconstitue la premire qualit des dcideurs de demain. Cela peut aussi faire sens de11 LEspace Ethique de lAP-HP, sous la direction du Pr. Emmanuel Hirsch et du Dr Marc Guerrier estun lieu dchange particulirement riche et quasi unique avec qui jai eu la chance de pouvoir travailleravant et depuis le dbut de lpisode. Notamment dans le projet ambitieux, conduit par EmmanuelHirsch, de livre de rflexion sur la pandmie : Pandmie grippale lordre de mobilisation, Editions duCerf, septembre 2009.
  • 16. 14faire comprendre que la rflexion en recul, tout au long dune crise complexe etopaque, peut avoir quelque intrt. Jai pens pertinent de regrouper ici ces crits (dans un Cahier spcifique), afin degarder une trace plus aisment consultable de ce travail de rflexion men partir des sorties du systme tel quil tait possible de les saisir travers la lecture desjournaux, des dpches dagence, de discussions avec des collgues franais outrangers.12 Les traces ici proposes sont donc tout fait partielles et limites ; ilserait mme tonnant quelles ne soient pas marques derreurs manifestes. En cesdomaines tourments, la justesse du propos nest garantie qu celui qui sabstient, ouqui sexprime uniquement dans laprs-coup. On notera que ce sont surtout les premiers temps de lpisode qui ont attir marflexion. Cest bien au moment des lectures et dmarches initiales que tout sejoue . Si, demble, lexigence du questionnement en recul est absente ou trsinsuffisante, le reste nest rapidement que priptie. Bien entendu, en ces domaines, tout crit sexpose deux cueils : Le premier : celui de la condamnation indcente, si confortable labri du clavier et si aise lorsque lon dispose, du moins le croit-on ( tort dailleurs), du fin mot de lhistoire. Mon collgue et ami Mike Granatt, fondateur et premier chef du Civil Contingencies Secretariat du Cabinet Office Londres, aime ainsi rappeler les mots de Shakespeare : Mens evil manners live in brass. Their virtues, we write in water (Henry VIII). Dun point de vue mthodologique, il faut naturellement prendre garde ne pas rcrire lhistoire une fois les verrous dincertitude levs. Il faut se mfier des concerts de critiques et autres rve- parties coagules la hte, qui viennent triompher par le verbe sur les dbris de lincertitude et de la peur avec un aplomb, des raccourcis et des confusions qui annoncent bien des fiascos venir. Il faut assurer, l encore, une capacit de jugement en recul : en ces matires, la certitude donneuse de leons nest assure qu linconscient et lirresponsable. La prudence simpose, tant les situations sont et restent volatiles : Judgments about the failure or success of public policies or programs are highly malleable.13 Les crises peuvent rapidement devenir la poursuite, sur dautres terrains, de conflits trangers aux pisodes examins : on ne saurait devenir lotage ou linstrument de ces dynamiques parasites. Le second : labstention prcautionneuse, la fuite dans labscons, qui traduisent une recherche de mise en protection systmatique, de rassurance et de valorisation dans des constructions qui tiennent le temps dune opportunit mdiatique aux dpens de la justesse et du courage de lanalyse. Les enjeux sont vitaux sur ces sujets, toute facilit se paiera cher la prochaine crise. Conscient de ces risques, jai tent dviter les deux lignes dcueil. Mais, icicomme ailleurs, le risque nul nexiste pas.12 Mais quasiment jamais avec des acteurs directement impliqus dans le pilotage du dossier ( une oudeux exceptions prs et je remercie ici les responsables en question pour leur confiance) tant il esthabituel de voir les systmes se fermer ds lors quils sont en difficult. 13 Mark Bovens & Paul T Hart, Understanding Policy Fiascoes, Transaction Publishers, London,1996.
  • 17. 15 Laxe de la rflexion reste dans mon champ de spcialit : le pilotage stratgique deces pisodes opaques, instables, qui peuvent tout moment ouvrir sur des turbulencessvres, des mutations improbables, des montes aux extrmes, ou linverse desrsorptions impossibles expliquer aisment. Certes, cette question de lintelligence et du pilotage des grandes crises nest pasencore reconnue comme susceptible de pertinence scientifique ou dintrt stratgique,mais je plaide que les seules connaissances des caractristiques dun virus ou dunmdicament, des courbes de contamination, des lments de communication ,npuisent pas le sujet. Bien au contraire : aussi longtemps que lon se focalisera defaon presque exclusive sur les contenus techniques, les machineriesorganisationnelles, et les contreforts de communication, sans engager de travail aussisrieux sur les conduites stratgiques et les dmarches qui peuvent les consolider, nousaurons les plus grandes peines surnager dans les mers en furies que lvent les risqueset les crises de notre temps. Lhypothse est que ce type de rflexion continue et en recul serait hautementsouhaitable a) au sein des instances les plus impliques dans le pilotage de ce type dedossier, tant lchelle internationale que nationale 14 ; b) entre grands acteurs publicset privs ; c) entre experts ; d) et, assurment, de faon ouverte avec un large public puisque la dynamique en cause est demble marque par limportance cruciale de laconfiance. Une confiance qui passe par du partage : des visions, des perceptions, desincertitudes, des ignorances plus encore, et des propositions. Cest l le message essentiel, et sans doute pesant, des pages qui vont suivre. Leproblme crucial qui marque le pilotage des grandes crises actuelles ne tient pas telleou telle erreur de dcision, ni mme de communication cette dernire tant miseen avant de faon compulsive, comme si tous les problmes taient dsormaisuniquement lis des dfauts de communication. Il tient un dcalage de plus enplus net entre nos modes dapproche et de pilotage, dune part, et la nature des crises traiter, dautre part. Aussi longtemps que des ruptures positives dcisives nauront past opres sur ces terrains qui intressent aussi bien la prparation des dirigeants,les formations fondamentales, les exercices, les formes de discussions sociales autourde ces risques et de ces crises hors cadres nous resterons particulirementexposs des enchanements de fiascos, ou tout au moins de difficults extrmes dansla conduite de nos vulnrabilits et de nos crises. Un lourd travail de retour dexprience, national et international, est devant nous. Jene livre ici quune petite contribution cet effort essentiel si nous voulons gagner enintelligence et capacit de pilotage pour mieux traverser ces crises vraies, fausses,construites, subies qui vont devenir la marque dun monde travers de mutationsacclres. Puissions-nous faire montre de la responsabilit qui simpose, et ne pasnous contenter dattendre une autre crise capable de faire oublier celle-ci.14Cest ce type de fonction que javais song lorsque, dans les annes 1990, javais t nomm expertauprs de lOMS pour les questions de risques majeurs, pour une priode de quatre annes, renouvelequatre autres annes. Mais, au cours de ces huit annes, aucune runion ne fut organise, sans doutepour la raison habituelle que les spcialistes des vraies sciences sont seuls pertinents pour rgler lessituations difficiles.
  • 18. 16 I LE FRONT DES PANDMIES, 2003-2009 AVANCES TACTIQUES, DCROCHAGE STRATGIQUE
  • 19. 17 Les crises se nourrissent tout la fois de foisonnements de circonstancesparticulires (au moment spcifique de lmergence du phnomne, et durant tout ledveloppement de lpisode), du pass immdiat (ce qui a t fait juste avant notamment dans le cas qui nous occupe dans le domaine de la prparation particulire la pandmie grippale), de sdimentations sur longue priode et de maints facteurscontextuels autres que ceux immdiatement en cause mais qui influent pourtant, parcontamination des perceptions notamment, sur la crise qui survient. Plus la crise estsvre, plus les lments sdiments et les tendances lourdes , viennent modeler lescombinaisons qui se manifestent et construisent la forme de la crise, ses ressorts, seslogiques, ses surprises, ses mutations. Avant dengager lexamen au jour le jour de cette grippe qui ne fut pas celleattendue, je voudrais donc rflchir aux lments foisonnants de ce tableau derfrence sur lequel sest inscrite la grippe A(H1N1), tout au moins en France. Lesdynamiques mergentes conjuguent, selon des processus particulirement difficiles lucider, bifurcations de circonstances et terreaux contextuels, avec des issues lafois prvisibles et imprvisibles, normales et aberrantes. Je ne ferai ici quouvrir la rflexion sur ce tableau pralable, tant il y aurait fairepour le peindre avec quelque exactitude et justesse danalyse. A tout le moins, tentonsde desserrer lcheveau et de tracer quelques pistes de rflexion.1. Points forts1) Un effort massif, continu et coordonn de veille, dexpertise et de planification LOMS a jou un rle majeur de chef dorchestre en matire de surveillance,dexpertise et de planification15 sur la pandmie grippale, depuis les annes 2003-2005, marques par lpisode du SRAS et le dveloppement de la grippe aviaireH5N1. Un imposant centre de crise permettant de dtecter et de suivre des pisodespandmiques a t mis en fonctionnement Genve, vritable Quartier Gnral de ladfense mondiale contre les pidmies. Des niveaux de rfrence ont t tablispour moduler les mobilisations et les niveaux dengagement oprationnel ; ces niveaux ont t dcalqus dans les grands plans nationaux.16 En France, notamment, les autorits ont mis au point un plan national deprvention et de lutte Pandmie grippale qui reprend larchitecture du plan OMS.Ce plan, dont la premire mouture date de 2004, a permis de clarifier des niveaux derfrence, une stratgie gnrale de rponse, des principes de conduite oprationnelle.On notera linscription, trs nouvelle dans les grands plans durgence du pays, duprincipe d un large effort de communication et dinformation : Durant la phase pandmique, les pouvoirs publics veillent informer le plus compltement possible la population sur la situation, les mesures prises et les prconisations. La politique de communication est anime en mode centralis par la cellule15 WHO : WHO global influenza preparedness plan The role of WHO and recommendations fornational measures before and during pandemics, 2005.16 Voir par exemple :UK: Explaining Pandemic Flu A guide from the Chief Medical Officer, NHS, 2005.US : National Strategy for Pandemic Influenza Implementation Plan, Homeland Security Council,May 2006.
  • 20. 18 interministrielle de crise appuye par la cellule de communication. La cellule de communication est associe trs en amont et de manire trs troite aux informations reues et aux projets prpars par la cellule de crise. Elle a pour missions, pour ce qui relve de la communication gouvernementale : - la veille mdiatique et lanalyse de ltat de lopinion ; - la communication gouvernementale externe ; - la coordination des actions dinformation assures par les ministres ; - le soutien et la coordination des informations diffuses par les prfets au niveau local ; - la communication interne en direction des services et des agents de lEtat. Elle est compose de reprsentants des ministres chargs de lintrieur, de la sant, de la dfense, des affaires trangres et, en tant que de besoin, dautres ministres ; dun reprsentant du secrtariat gnral de la dfense nationale, dun reprsentant du service dinformation du gouvernement, dquipes ddies la veille, aux relations presse, lInternet, llaboration dlments de langage. Elle est segmente en direction des cibles identifies (leaders dopinion, relais, mdias, grand public, agents de lEtat et encadrement, secteur priv, Franais de ltranger ). La communication vers le grand public devra permettre dindiquer les mesures individuelles ncessaires, notamment en matire de protection et dhygine, de recours au systme de sant, de fonctionnement de lactivit conomique. 17 Ce plan na cess ce qui est l aussi un point novateur remarquable dtre ajustau fil des annes. Ainsi, la premire version, prsente le 13 octobre 2004, tait mar-que par des prescriptions rigides la rigidit tant souvent le trait identitaire desgrands plans dEtat : Fermeture ou contrle des frontires ; arrt des transports collectifs et restriction des dplacements (dplacements individuels, isolements, cordons sanitaires) ; fermeture des tablissements denseignement ; limitation des grandes manifestations sportives, fermeture des salles de spectacle ; suspension des rassemblements de population ; limitation de toutes les manifestations sous forme de spectacles, rencontres sportives, foires et salons et clbrations culturelles, etc. 18 Cinq annes plus tard, dans sa quatrime dition (2009), le plan pandmie gagnesingulirement en adaptabilit. La machinerie commence souvrir aux ralits dunesocit devenue complexe, qui ne peut plus tre rgente partir dun GQG militaire,digne de 1870 ou de 1914, do partiraient des ordres pour excution sur la ligne defront. Ce plan de 200919 dans ses rajouts liminaires tout au moins (qui semblenttraduire de douloureux accouchements, dpres discussions et la ncessit de sauto-convaincre) , frappe ainsi par :17 Prsentation du plan gouvernemental de lutte contre la pandmie grippale dorigine aviaire au 13octobre 2004 , http://www.sante.gouv.fr/htm/actu/grippe_aviaire/aviaire3.htm#num218 idem.19 Premier Ministre, Secrtariat Gnral de la Dfense Nationale : Plan national de prvention et delutte Pandmie grippale , n 150/SGDN/PSE/PPS du 20 fvrier 2009 (abroge et remplace le plannational n 40/SGDN/PSE/PPS du 9 janvier 2007), 4me dition 2009.http://www.grippeaviaire.gouv.fr/IMG/pdf/PLAN_PG_2009.pdf
  • 21. 19 a) Lnonc de ruptures salutaires Loin des mcaniques simplistes de bouclage et de blocage [] si des mesures limites de contrle aux frontires restent possibles [] le prsent plan franais ne retient pas loption disoler le pays par une mesure de fermeture des frontires. Il tient comme un lment important le maintien des changes internationaux, notamment pour tout ce qui concerne la rponse sanitaire la pandmie. Le plan vise galement prserver le fonctionnement aussi normal que possible de la socit et des activits conomiques. (p. 4) Loin de lautomatisme procdurier et fix par avance Aucune mesure nest automatique. Chacune doit tre examine par la Cellule interministrielle de crise au niveau national, au cas par cas, en fonction de lvolution de la situation. (p. 2) Evaluer en permanence le degr de prparation du dispositif par des exercices aux diffrents niveaux de ltat et par la dfinition dindicateurs de prparation. (p. 9) Loin du modle autoritaire, centralis, militaire Il sagit : de maintenir le lien de confiance entre la population et les pouvoirs publics, notamment grce une communication coordonne, transparente et continue ; dexploiter le retour dexprience dvnements rels et dexercices nationaux ou internationaux pour amliorer la prparation du pays face aux menaces sanitaires majeures. (p. 5) b) Des perspectives socitales indites Solidarit et continuit de la vie sociale Les actions de lEtat et des divers organismes publics et privs ne sauraient suffire elles seules. Une mobilisation active de la population est galement indispensable. Elle implique une participation active de la population la solidarit familiale et de voisinage, par exemple : - aide aux personnes isoles ou malades, tant pour les dmarches et courses de la vie quotidienne que pour la liaison avec le corps mdical et lapprovisionnement en mdicaments ; - garde individuelle des enfants, au niveau de la famille ou des voisins, voire en utilisant la ressource des tudiants librs par la fermeture des tablissements denseignement suprieur ; - poursuite de la participation la vie conomique et sociale, dans le respect des mesures annonces par les pouvoirs publics et des plans de continuit des employeurs. - Cette mobilisation peut relever de linitiative individuelle. Elle peut aussi sinscrire dans le cadre de la participation aux rserves ou laction associative. - Le strict respect du maintien domicile, ds lors que lon est touch par la grippe, relve galement du devoir de solidarit, pour limiter lextension de la maladie. (p. 16) Information, gage de cohsion Lefficacit du dispositif prvu dans le plan repose sur le maintien dun lien de confiance fort entre les autorits gouvernementales et la population. Cela implique une information transparente, continue et factuelle donnant lassurance que les pouvoirs publics sont mme de grer la situation dans ses composantes
  • 22. 20 sanitaires et organisationnelles. Pour les pouvoirs publics, placs en position dmetteur de linformation, la communication vise galement informer et donc attnuer les craintes et lanxit de la population et viter le risque de dsinformation, de rumeurs, voire de dstabilisation. Dans ce cadre, les objectifs de communication sont : - dinformer en permanence la population sur la situation et les mesures prises ; - dentretenir la confiance de la population et la crdibilit des pouvoirs publics ; - dinciter chaque citoyen devenir acteur et responsable face au risque, et favoriser la solidarit nationale ; - dinformer sur la faon dont on peut retarder larrive de lpidmie sur le territoire franais ; - dinformer les cibles prioritaires (enfants, ressortissants franais, ) sur les mesures spcifiques les concernant ; - de prparer le pays grer le risque en coordination avec les partenaires euro- pens et internationaux ; - daider grer la crise et maintenir lorganisation de la socit pendant la pandmie ; - de prparer la sortie de crise et la reprise de la vie normale. (p. 17) Prise en compte de limportance dun consensus social autour de principes thiques Une pandmie grave est une situation exceptionnelle qui exigera la dfinition de priorits daccs aux moyens sanitaires, un effort de solidarit tous les niveaux, un engagement de ceux dont les missions impliquent un contact direct avec les malades. Un consensus sur des valeurs thiques partages sera indispensable pour prserver la cohsion de la socit, par exemple : - devoir de solidarit tous les niveaux, depuis le niveau international jusquau niveau local ; - face au devoir de soin par les professionnels de sant, devoir de la socit de les protger, ainsi que leurs familles et ceux que leur fonction conduit sexposer (y compris les collaborateurs occasionnels du service public) et dassurer lavenir des familles de ceux qui auraient t victimes de la maladie ; - approche thique dans llaboration de priorits daccs aux ressources limites, y compris en matire de produits de sant et affichage de ces priorits ds lors quelles sont arrtes ; - rejet de la stigmatisation des malades isols ou des personnes maintenues en quarantaine. (p. 9) c) Laffichage dune initiative remarquable Un comit dinitiative et de vigilance civiques a t cr par dcret du 12 dcembre 2006 auprs du ministre de la sant, pour proposer au Gouvernement toute action pouvant amliorer lappropriation par la population des mesures de prvention et de lutte contre la pandmie grippale et autres crises sanitaires exceptionnelles et de contribuer renforcer la mobilisation de la population dans la perspective dune telle pandmie. (p. 16)2) Un effort gnral indit en termes de Continuit dActivit Demble, ct des lignes habituelles de planification tatique, les responsablesont inscrit la proccupation de la continuit des activits, et notamment de lafourniture des services offerts par les grandes entreprises de rseaux. La question desPCA (Plans de Continuit dActivit), sest impose comme prioritaire, dans le
  • 23. 21discours des pouvoirs publics, mais aussi dans les pratiques de gestion des risques etdanticipation des crises dans nombres de grands groupes de rseau. Dinnombrables livres, confrences, sminaires, ont t proposs pour clarifier lestypes de prparation mettre en uvre. Cest probablement l aussi une premire : lamobilisation du ministre de lEconomie comme fer de lance de ce projet deprparation du pays ce type dpreuve ; la mobilisation active des grands oprateurspour clarifier les points de vulnrabilit, rflchir aux mesures prendre, arrter desdcisions en matire dacquisition de moyens de protection (masques, antiviraux, etc.),intgrer la dimension Ressources humaines, cerner les problmes lis aux fonctionsessentielles satisfaire, rflchir aux questions thiques qui pourraient se poser, etc.Avant que la grippe A ne frappe, beaucoup avait t fait en termes de PCA pour unepandmie grippale de type aviaire.203) Un effort srieux en matire dexercices Des exercices pandmie : avec des bases vidos trs vigoureuses ralises par leSGDN, des exercices exigeants ont t conduits (30 juin 2005 ; 25-26 avril 2006), cequi a permis de prparer les quipes, douvrir des questions, daffiner les prparations.Des efforts ont t engags lchelon europen (exercice des 23-24 novembre 2005). De hauts responsables impliqus : cela fut tout fait remarquable dans le cas dunministre de la Sant (Xavier Bertrand) qui participa personnellement fait encorerarissime un exercice national qui ne sinscrivait pas dans la logique habituelle de dmonstration . Des entreprises impliques : des exercices ont aussi t conduits au sein desentreprises, en lien avec les services de lEtat, et en condition raliste (port de masquesdurant lexercice).2. Points faibles Lexamen appellerait de srieuses investigations pour peindre le tableau avecprcision et exactitude. Ce tableau a comport de nombreuses couches et retouches.Comment ces ajustements ont-ils t oprs, et se sont-ils conjugus ? Les sdimenta-tions successives ont-elles conduit un ensemble fort dune cohrence interne permet-tant daffronter des turbulences svres, ou bien y a-t-il eu ajouts de couches, avecpossibilits que certaines logiques profondes reviennent simposer sans pravis ?Prcisment, les assurances en termes de mobilisation du corps social, dinitiatives enmatire dthique, de dsignation de tel ou tel pilote, etc. ont-elles dfinitivementeffac la logique secret dfense , qui avait port le premier plan sur ses fondsbaptismaux ? Les grandes crises contemporaines posent deux dfis : des capacits de pilotage,lorsquil faut affronter linconnu, lhypercomplexe (et pas seulement afficher destableaux de missions) ; des capacits de cohsion, puisque cest la texture sociale qui20Voir par exemple : Dr. Sandrine Segovia-Kueny et Laurence Breton-Kueni : Raliser un PCAPandmie grippale dans une organisation Pourquoi et comment ?, AFNOR, 2008. Voir lesnombreuses confrences et sminaires organiss par le Haut Comit Franais pour la Dfense Civile.
  • 24. 22est dsormais concerne, et non plus telle ou telle garnison devant tenir telle ou telleplace forte sur une ligne frontire clairement tablie depuis des sicles. 21 On peut, pour le moment, enregistrer les facteurs suivants, qui seront mieux cernssi quelque retour dexprience approfondi est engag sur lpisode.1) Un confidentiel dfense originel Cette option est souvent dplore. Ainsi, le Pr. William Dab, ancien DirecteurGnral de la Sant : La prparation de la version initiale du plan de lutte contre une pandmie grippale a donc t conduite de pair avec les services du Secrtariat gnral pour la Dfense nationale et ceux de la Scurit civile. Mais, cette poque, lessentiel du plan fut class confidentiel dfense . Certes, nous nen sommes plus l, mais il convient de garder lesprit ce trait initial [] [] jinsiste : jusqu la nomination dun dlgu interministriel la grippe aviaire, nous avons d composer avec le fait que le plan de lutte contre une pandmie grippale tait en grande partie class confidentiel dfense . Cest une ralit incontournable laquelle nous avons d faire face 22 Ou le Pr. Didier Houssin, actuel Directeur Gnral de la Sant et Dlguinterministriel la lutte contre la grippe aviaire (dcret n 2005-1057 du 1erseptembre 2005) : La France a ragi rapidement ds le dbut 2004 et sest engage, sous lgide du SGDN, dans llaboration dun plan densemble, dont on peut peut-tre regretter quil ait t classifi dfense . 23 On sapplique le plus souvent souligner que ce temps du confidentiel dfense est rvolu ce quattestent les imposants efforts dinformation, de sminaires ouverts,de communications mdiatiques. Ainsi le Pr. Dab, au Quotidien du Mdecin : Avec un vaccin efficace mais en quantit insuffisante pour lensemble de la population, la question des groupes prioritaires est cruciale, souligne le Pr William Dab, titulaire de la chaire hygine et scurit au CNAM (Conservatoire national des arts et mtiers). Qui sera prioritaire? Ceux qui ont les moyens de payer? Ceux qui sont risque le plus lev de mortalit (mais le sait-on?)? Ceux dont les activits sont indispensables la continuit de la vie du pays? Et qui va dcider de cela? Et avec quel processus de lgitimation des choix? Lancien Directeur gnral de la sant considre quautour de telles questions, assez simples finalement formuler, se dessine une occasion de consolider la maturit sociale face un phnomne, lpidmie, qui a toujours suscit des peurs profondes et des ractions brutales.21Pour une analyse plus dveloppe, voir : Patrick Lagadec : Audit des capacits de gestion des crises -Cadrage, Evaluation, Initiatives, Cahier du Dpartement dEconomie, n 2009-19, Ecole Polytechnique,Juin 2009. http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/cahier_%202009-19.pdf22 Pr. William Dab : La pandmie grippale une opportunit pour faire progresser les pratiquesthiques en sant publique , in Emmanuel Hirsch (sous la direction de) : Emmanuel Hirsch : Pandmiegrippale lordre de mobilisation, Cerf, 2009, p. 149-158. (citations pages 151 et 155)23 Audition du Pr. Didier Houssin par la Mission dInformation sur la Grippe aviaire, Prsident M.Jean-Marie Le Guen, Rapporteur M. Jean-Pierre Door, Dputs, Tome 1 : Menace de pandmiegrippale : prparer les moyens mdicaux, n 2833, 26 janvier 2006, (page 132).http://www.assemblee-nationale.fr/12/pdf/rap-info/i2833-tI.pdf
  • 25. 23 Le temps de la maturit dmocratique est venu, selon lui, pour communiquer avec la population et pas seulement avec les professionnels. Lpoque du confidentiel dfense , qui a prsid llaboration du premier plan pandmie, en 2003, aprs la catastrophe de la canicule, est dfinitivement rvolue. 24 Questions : Et si cette inscription originelle, au-del des volonts des acteurs, signifiait la prgnance toujours dterminante dune rfrence profonde, universelle, spontane savoir que la perspective dune situation hors norme fait immdiatement craindre dsordre et chaos social, impliquant le primat donner au militaire et aux seules logiques hirarchiques ? Cela en dpit de centaines dtudes montrant que le rflexe de centralisation autoritaire est surtout fond sur des mythes, quil aboutit souvent rajouter une seconde catastrophe la premire, conduit tuer les capacits collectives de responsabilisation, tout en aboutissant finalement, lorsque le pouvoir central doit reconnatre quil ne peut pas tout, des dcompensations brutales extrmement dangereuses en termes de cohsion sociale. Et si ce drapeau initial, navait pas t dissout loccasion des nombreux ajuste- ments du plan au fil des annes ? Sil jouait encore dans la fixation que lon observe, par exemple sur des personnels rquisitionns , sur des gymnases , sur la mise lcart dacteurs essentiels mdecins, pharmaciens ? Bien entendu, de nombreux facteurs sont mis en avant pour expliquer les options prises (limitation des moyens, technique de vaccination, jeux conomiques, dfense de territoires, partage des rles, etc.), et chacun mrite attention. Bien entendu, on doit se fliciter quune instance en charge de la scurit de lEtat, et forte de ses attributions en ces matires, soit entirement mobilise. Mais il reste que des questions se posent sur notre rapport au Command and Control dans un monde devenu autrement plus complexe que par le pass dans lequel les horizons militaires sont de plus en plus spcifiques, le civilo-militaire de plus en plus important envisager dans sa complexit, et le civil souvent en charge, comme dans le cas des rseaux vitaux, de la dfense systmique du pays.2) Une approche initiale ferme et cloisonne Ce fut le trait dominant dans les annes 2004-2005 lors de nombreuses journesdinformation-sensibilisation organises au profit de cadres du secteur public etsecteur du priv dans la perspective de la pandmie H5N1 attendue. La toute premireconfrence organise par le Haut Comit Franais pour la Dfense Civile, en 2004 fut remarquablement dmonstrative. Seules avaient la parole les autorits publiques et dabord le Secrtariat Gnral de la Dfense Nationale.24Le Quotidien du Mdecin, 9 septembre 2009.http://www.quotimed.com/dossiers/index.cfm?fuseaction=viewcontent&DSIdx=2462
  • 26. 24 La salle, qui devait couter, ne pouvait que compter les contradictions et les lignes de conflits entre les acteurs publics qui ne dialoguaient pas entre eux (comme si le plus important tait de marquer des territoires). Lorsquun responsable dun grand rseau critique osa poser une question au sujet du Plan quil voulait bien suivre mais quil aurait quelque difficult appliquer effectivement tant donn quil nen avait pas t destinataire , il fut vertement remis sa place par un participant zl sur le thme que le plan tait encore confidentiel et quil en recevrait copie en temps utile. 25 La logique gnrale de rfrence tait du type : Laissez-nous vous expliquer/Voici les scnarios/Voici les cadrages de base dans lesquels vous devrez vous inscrire/Vous naurez qu appliquer ce que lon vous aura dit . Lors dune autre confrence, destination cette fois des responsables du secteur du Tourisme (2006), on retrouva la mme logique : exposs disjoints de trois institutions en charge, dpart des intervenants officiels aprs ces temps dexposs des problmes arrts et des prescriptions dictes les professionnels tant alors laisss seuls avec leurs ventuelles questions pratiques . Le seul domaine de responsabilit de lautorit est dans lnoncia- tion des problmes, la fixation des rponses pas dans le partage des questions ni lajustement des rponses avec les intresss au front.3) Une culture de Plan, une culture PCA Assurment, il est bon davoir des plans. Ils permettent de prparer des lignes derponse, des organisations, des moyens, des rgles demploi, qui viteront paralysie,pertes de temps, et consommation dnergie sur des sujets qui auraient pu tre clarifispralablement. Le plan permet aux acteurs de se concentrer, en situation, sur les pointsles plus dlicats.26 Encore faut-il que ces plans soient vritablement inscrits dans cette perspective dedonner aux acteurs des outils de base leur laissant plus de libert pour lequestionnement afin de traiter le non anticip. Encore faut-il que ces plans ne tombentpas dans des cultures qui feront de loutil une cage, une vaste usine gaz , dont lesrgles, les subdivisions, les embotements, en arrivent tuer toute autre proccupationque le reprage dans la machinerie. Le problme gntique des plans, sauf remarquable vigilance stratgique, est quilsprvoient tout sauf linattendu. Plus prcisment, quils en viennent tuer lidemme dinattendu, rendre suspecte la proccupation pour ce qui fait lessence mmede la crise : la surprise stratgique. Le pige fonctionne dautant plus efficacement siles plans sont reus par les destinataires comme des Lignes Maginot permettant de se25 En sance je mis un mot ce directeur de scurit pour le fliciter de cette simulation in vivo sistimulante. Par la suite, je pus lui demander si ce type de runion lui tait vraiment utile. Il me rponditque oui : elle lui permettait, non bien sr de se renseigner sur le comment faire , ni de recevoir desinstructions, mais de savoir o en taient les protagonistes publics, pour caler ensuite ses stratgies enfonction des failles que ce type de confrence permet de dceler, surtout si elles sont claires etprofondes.26 Pour une analyse approfondie, voir : Patrick Lagadec: "La Question des plans - Entre points dappuiet piges stratgiques", Cahier n2009-40, Dpartement dEconomie, Ecole polytechnique, octobre2009. http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/2009-40.pdf
  • 27. 25garantir contre linattendu, et de se protger de toute critique ils auront suivis lalettre les prescriptions imposes. Le contre-sens conduit rapidement au non sens lheure de la crise. Le plan a fait tant dhypothses implicites, a exclu tant dequestions, voire lide mme de question, quil se montre rapidement hors sujet,inutilisable mais cependant toujours rfrence impose. Ce fut le diagnostic du DrYoung, en charge du pilotage sur SRAS Toronto : La premire victime du SRASfut le plan lui-mme ; le problme se posait depuis moins de cinq minutes que le plantait dpass . 27 La logique mentale et stratgique dominante est le plus souvent de type entonnoir , avec en bout de chaine des prescriptions oprationnelles tenues pour les bonnes rponses . Ce type de droulement de procdures est ncessaire, maislargement insuffisant et dangereux pour des crises hors cadres. Le risque est que lonne soit jamais prpar se poser des questions, sinterroger avec dautres, inventerdes trajectoires nouvelles. En crise non conventionnelle, il ny a pas de solution dansle cadre, il faut immanquablement se projeter dans linconnu. Ce qui est ncessairecomme appui de base devient aussi, dans le mme temps, un pige stratgique. Ces failles taient perceptibles lors des runions de prsentation du plan : Fixation sur les organigrammes : tiqueter des territoires de responsabilit nest pas trs compliqu ; le problme est de voir avec les acteurs comment ils pourront sacquitter effectivement de la mission quon leur assigne. Si on se contente de dcrire ce qui devra se passer, en disant que cest cela qui se passera, sans coute des acteurs, lusine gaz devient rapidement une friche industrielle, avec des acteurs qui ne jouent plus leur rle, des OPA sur les responsabilits, des jeux de concurrence o chacun joue sa carte, et o la rsolution de la crise devient assez rapidement trs accessoire. Hypothses fermes : tout se droule lintrieur de cadres figs. Certes, on proclamera le haut degr dadaptabilit du plan, mais sa forme, sa dynamique interne, sa prsentation, sa diffusion, son utilisation, sont aux antipodes de ces protestations de flexibilit. On ne sait pas lavance quelles seront les conditions qui prvaudront au jour J, mais on sait au moins, sans trop dincertitude, qu la moindre hypothse nouvelle le bel ensemble versera dans le ravin ou, tout au moins, le ctoiera de faon dangereuse. Plus tard, effectivement, on dcouvrira notamment que les plans, toute la mcanique des niveaux dalerte, taient fonds sur le principe dune grippe forte ltalit quand le H1N1 avait dautres caractristiques ; le H1N1 ne vint pas de Chine ou dExtrme-Orient, hypothse de presque tous les crits antrieurs ; et le plan sarrtait avant larrive du vaccin, quand la France, par exemple, fut touche au moment o le vaccin commenait tre disponible, ce qui ouvrit sur des turbulences totalement hors plan. Lorsque tout est mis en logique de plan, les adaptations sont extrmement difficiles. Il ne sagit pas ici de faire une critique avec le bnfice dune connaissance daprs-coup. Il sagit de souligner que, demble, on pouvait pointer les limites du systme, anticiper de svres dysfonctionnements ds linstant o on sortirait de lpure fixe quel que soit le dysfonctionnement. Cette fois-ci la menace rompit lengage-27 "Leadership in the age of unconventional crises and chaotic environments", Dr. James Young,O. Ont., M.D, Special Advisor to the Deputy Minister, Public Safety Canada talking to Patrick Lagadec,October 2007. Montage, sous-titrage, Vido-Adapt, Immdiares, Dcembre 2007.
  • 28. 26 ment, demain elle pourrait submerger le terrain, ou le prendre par un biais totalement surprenant.4) Une dynamique public-priv souvent surprenante Le secteur public a beaucoup fait pour appeler le secteur priv des mobilisations ce qui tait certes souvent ncessaires. Mais il lui est rarement arriv de comprendreque le secteur priv, et notamment le secteur des grands oprateurs de rseaux, taitpeut-tre sur de nombreux points en avance, et quil aurait parfois bien mieux valulcouter que de le convoquer et lui faire des discours ce quil lui faudrait faire.5) Une culture Command and Control , top down Les crises contemporaines, demble systmiques, ne se traversent que via unemobilisation des tissus socitaux concerns. Ce fut flagrant dans le cas de canicule en2003, qui conforta la remarquable tude dEric Klinenberg sur la canicule de Chicagoen 1995.28 Certes, il serait grave doublier les responsabilits propres des instancesdirigeantes, les impulsions quelles doivent imprativement donner, les dilemmesquelles ont le devoir de trancher, les conflits quelles doivent aider rsoudre, etc.Mais, lorsque lon voit, longueur de runions, une coute trs pauvre des questionsdes acteurs qui tiennent les fronts les plus sensibles, et la dynamique de dfiance quimarque trop souvent les rapports entre strates de responsabilit, on peroit avec unevidence difficile dmentir la fragilit des machineries prpares et vnres. On me rapporta ainsi le cas dun service durgence soulignant, dans telle runion dinformation (pourtant ferme), que le plan reposait sur la capacit des malades appeler, mais que le standard habituel ne tiendrait pas. Raction la tribune : Iltiendra. Question suivante . Dans une autre runion, elle aussi strictement entreprofessionnels, la question fut pose du problme li la garde des enfants en bas ge,prvue dans le plan en raison de la fermeture des coles, et qui posait question dans unmilieu fminis. Raction dun participant zl : Ce sera la Guerre. Donc la questionne se pose pas . Lincapacit tolrer toute question est invitablement peruecomme signe clair de la fragilit de celui qui prtend avoir autorit et rponses ; etdclencheur dune dfiance maximale si daventure la situation devient non nominale. Michel Setbon, sociologue spcialiste des grandes questions de sant publique, nacess de plaider pour des dmarches reposant davantage sur lcoute et la confiance.Les populations ne sont pas des collections de pices lmentaires amorphes quilsuffit de faire rentrer dans des botes prpares la perfection comme on le ferait dansun jeu de Lego. Mais, l encore, la moindre ouverture semble impossible aux espritscartsiens au sens le plus pauvre, terroriss lide que la prise en compte desinterlocuteurs puisse venir mettre des grains de sable dans une machinerie dont lasurvie tient prcisment labsence totale de question et de difficults autres queplanifies donc rsolues par avance. A titre dillustration, on peut reprendre quelquesobservations et formules dbut 2009 : Les responsables de la politique sanitaire [souligne ainsi Michel Setbon] ne devraient pas seulement se focaliser sur la question technique : "Que faire et quelles mesures doit-on mettre en place pour contrler la pandmie ?" La question laquelle ils sont galement confronts est : "Comment faire pour que chaque28 Eric Klinenberg (2002), Heat Wave, A Social Autopsy of Disaster in Chicago, The University ofChicago Press, Chicago and London.
  • 29. 27 citoyen fasse ce qui sera ncessaire pour briser le plus rapidement possible la chane de contagion interhumaine dun nouveau virus grippal hautement pathogne ?" Cela tout en prvenant les phnomnes de panique et de surraction, et ceux dincrdulit fataliste. Devant des hauts fonctionnaires qui ne cachaient ni leur intrt