amérique trump-l’œil - cetim · avoir misé sur la victoire de donald trump. se sentant...

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Algérie 200 DA - Canada 6,99 $ - Djibouti 4 - Égypte 4 - États-Unis 7 $ - Allemagne/Autriche/Belgique/Espagne/Italie/Luxembourg 4,80 - Dom surface 5,50 - Ghana 7,00 C - Guinée 3 - Haïti 6 $ - Kenya 4 - Liban 12 000 LBP - Madagascar 4 - Maroc 25 DH - Suisse 7,00 FS - Tunisie 3 DT - Zone CFA Surface 2 800 XAF - Zone CFA Avion : 3 500 XAF www.afrique-asie.fr Décembre 2016 L’Amérique en Trump-l’œil L’Amérique en Trump-l’œil CÔTE D’IVOIRE Législatives à problèmes TUNISIE Promesses sans lendemain ALGÉRIE Vers l’après-pétrole FRANC CFA Sortir de la servitude monétaire MÉDIAS Djihadistes sans frontières L 15681 - 133 - F: 4,00 - RD

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Page 1: Amérique Trump-l’œil - CETIM · avoir misé sur la victoire de Donald Trump. Se sentant humilié par Obama, qui a refusé de lui serrer la main lors de son passage à l’Onu,

Algérie 200 DA - Canada 6,99 $ - Djibouti 4 € - Égypte 4 € - États-Unis 7 $ - Allemagne/Autriche/Belgique/Espagne/Italie/Luxembourg 4,80 € - Dom surface 5,50 € - Ghana 7,00C - Guinée 3 € - Haïti 6 $ - Kenya 4 € - Liban 12000LBP - Madagascar 4 € - Maroc 25 DH - Suisse 7,00 FS -Tunisie 3 DT - Zone CFA Surface 2 800 XAF - Zone CFA Avion : 3 500 XAF

www.afrique-asie.frDécembre 2016

L’Amériqueen

Trump-l’œilL’Amérique

enTrump-l’œil

� CÔTE D’IVOIRELégislativesà problèmes

� TUNISIEPromesses sanslendemain

� ALGÉRIEVers l’après-pétrole

� FRANC CFA Sortirde la servitudemonétaire� MÉDIAS Djihadistessans frontières

L 15681 - 133 - F: 4,00 € - RD

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DES CHIFFRES…

30159C’est le nombre denouveaux militaires turcs àsensibilité islamiste que lerégime d’Erdogan compterecruter pour remplacer lesmilitaires limogés dans lecadre des purges menéesaprès le coup d’État avortéde la mi-juillet. L’arméekémaliste a étéparticulièrement touchéepar l’épuration : pas moinsde 9000 de ses effectifs,dont 118 généraux etamiraux, ont été arrêtés, etdes milliers d’autreslimogés. �

360 millions d’eurosC’est le coût de l’opérationmilitaire française en Syrie eten Irak en 2016, « toutcompris » précise Jean-YvesLe Drian, ministre de laDéfense. Les chasseursfrançais ont réalisé 961frappes en Irak depuis 2014. �

12 millions de dollarsC’est le montant d’un donaccordé par le Maroc à lacampagne de Hillary Clinton,via sa fondation« caritative ». Cetteinformation a été révélée pardes emails publiés parWikiLeaks le 20 octobre. Larevue marocaine TelQuel adévoilé, de son côté, que denombreux donateursmarocains avaient offert entre500000 et un million dedollars à l’ONG américaine. �

…ET DES MOTS

� « Ce n’est pas unerébellion armée, ce sontdes insurgés qui tentent demettre la main nonseulement sur la Syrie etl’Irak, mais sur toute larégion. Et ils appellent çale “califat”. En Syrie, nousavons très tôt vu descombattants djihadistesétrangers affluer departout. Quand j’ai observéce phénomène, je me suisdit que quelque chosen’allait pas. […]» �

Le général Michael Flynn,nouveau conseiller à la Sécurité

nommé par Donald Trump.

� « Toute perspective deréconciliation [enCentrafrique] a été gelée auprofit de la mise en placed’un gouvernement qui n’apas de contrôle sur tout leterritoire. On est dans unesituation de partitionpotentielle. » �

Roland Marchal,chercheur au Centre d’étudesdes relations internationales.

� « L’implosion du systèmen’est pas synonymed’avancées sur la route dela construction d’unealternative réellementmeilleure pour les peuples :l’automne du capitalismene coïncide pasautomatiquement avec leprintemps des peuples. » �

Samir Amin, économiste,à propos de l’élection de Trump.

Tchad : le pouvoir réprime et verrouille

Le 17 novembre, une manifestation de l’opposition réunie ausein du Front de l’opposition nouvelle pour l’alternance et le

changement (Fonac, photo) a été dispersée violemment par lapolice, qui a procédé à plusieurs arrestations, dont celles de deuxleaders de partis. La manifestation n’avait pas été autorisée,comme tous les rassemblements et manifestations depuis l’affairede la jeune lycéenne violée en janvier 2016. L’opposition s’étaitinsurgée contre l’annulation, faute de quorum, de la séance parle-mentaire ce même jour. Les députés devaient examiner unemotion de censure contre le gouvernement, accusé de mauvaisegestion en ces temps de crise sévère. Bien que majoritaires (144

3Continents

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sur 188) les députés du parti au pouvoir, le Mouvement patrio-tique pour le salut (MPS), avaient reçu l’ordre de déserter l’hémi-cycle. Le pouvoir se serait en effet méfié de la loyauté de son sou-tien parlementaire, car le vote s’exerce à bulletin secret.

Pour faire face à l’impasse financière (entre 3 et 6 mois deretard de salaires, non-paiement des factures des fournisseurs,etc.), le président a fait adopter le 31 août dernier par le gou-vernement un programme d’austérité en 16 points. La rentréescolaire du secteur public n’a toujours pas eu lieu du fait de lagrève des enseignants. La justice est paralysée par la grève desmagistrats et greffiers. Un membre de l’opposition constate :« Le pouvoir est menacé par diverses formes de contestationau sein de l’appareil dirigeant. Ainsi, le dépôt de la motion decensure qui avait été bloqué par le président du Parlement aété rétabli par le Conseil constitutionnel saisi par l’opposition.Ce dernier avait donné tort au président de l’Assemblée et l’asommé de consacrer une séance à la discussion de la motionde censure. » On connaît la suite. �

AP

Union africaine : une nouvelle architecture pour la paix

Le commissaire à la paix et la sécurité de l’Union africaine (UA), Smaïl Chergui, a présenté début novembre à ses parte-naires français de la commission des Affaires étrangères du Sénat les avancées de « l’architecture africaine de paix et de

sécurité », qui devrait permettre à l’institution de contribuer efficacement à la stabilité du continent. L’UA veut être « la solu-tion africaine aux problèmes africains » avec un outil principal, la Force africaine en attente (FAA). Outre le rôle de médiateurqu’elle joue déjà en Somalie, en République démocratique du Congo, au Burundi, au Soudan et au Gabon, l’UA espère sedoter bientôt de textes légaux lui permettant d’exercer d’un « droit d’ingérence » en cas de crime de guerre et de génocide. �

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PROFIL HAUT…

Abdel Fattah al-SissiLe président égyptien est l’undes rares chefs d’État arabes àavoir misé sur la victoire deDonald Trump. Se sentanthumilié par Obama, qui arefusé de lui serrer la mainlors de son passage à l’Onu, ils’est vengé en recevant lecandidat républicain à NewYork et en lui exprimant son« admiration ». Trump auraitpromis à Al-Sissi de placer lesFrères musulmans sur la listedes organisations terroristes,alors que l’administrationObama les considérait comme« modérés » et « alliés ». �

Aminata TouréL’ancienne première ministresénégalaise est parmi lesfavoris pour occuper le postede numéro 2 des Nationsunies sous le règne dunouveau secrétaire généralAntonio Guterres, qui vacommencer le 1er janvier2017. Guterres a annoncévouloir s’entourer de plus defemmes issues des pays endéveloppement. �

Achille MbembeIl a été le coorganisateuravec Felwine Sarr, des« Ateliers de la pensée »,journées intellectuelles etartistiques qui ont eu lieu àSaint-Louis et Dakar. Cerendez-vous de la pensée etdu talent africains a réunisécrivains et artistes en directavec le public. �

Scandaleau pays du Matincalme

L es scandales quiaffectent la réputation

de chefs d’État et de leurentourage ne sont pas unenouveauté en Corée du Sud.Mais, cette fois, la colère etla dérision dominent lesréactions populaires depuisque, le 24 octobre, unechaîne de télévision a révélél’étroite relation de laprésidente Park Geun-hye(photo) avec son amie ChoiSoon-sil. La dame n’est pasanodine : possédant despouvoirs chamaniques, ellea une extraordinaireinfluence sur la cheffe del’État. Elle avait défrayé lachronique pour avoirextorqué 61 millionsd’euros aux grands groupesindustriels sous forme dedonation aux deuxfondations qu’elle gérait, seprévalant de son amitiéavec Mme Park. Lesrévélations successives surla nature de la relation entreles deux amies montrentune Choi Soon-sil au cœurdu pouvoir : les discoursprésidentiels, lesnominations, bref, toutes lesgrandes décisions émanantde la présidence luireviennent.Devant le scandale, desmanifestations monstres ontrassemblé des millions deSud-Coréens qui demandentla démission de laprésidente de laRépublique. Le parquet a

Chagos : le non de Londres aux déportés

L a Grande-Bretagne a annoncé qu’elle refusaient aux habi-tants de l’archipel des Chagos le droit de revenir sur leurs

terres. Ils avaient été expulsés dans les années 1960 et 1970 pourpermettre l’installation d’une base américaine à Diego Garcia, en1971. « Le gouvernement s’est prononcé contre le retour desChagossiens dans le territoire britannique de l’océan Indien pourdes raisons de faisabilité, de défense et de sécurité, ainsi que decoût pour les contribuables britanniques », a déclaré la baronneJoyce Anelay, ministre d’État, ancienne ministre des Affairesétrangères sous David Cameron. Elle reconnaît que la manière

AP

Bientôt la levée du secret défense sur Thomas Sankara ?

Le réseau international Justice pour Sankara, justice pour l’Afrique demande à la France de lever le secret défense sur l’assassi-nat de Thomas Sankara, en appui à la démarche du juge burkinabè François Yaméogo. Chargé de l’enquête, celui-ci vient de

lancer une commission rogatoire à cet effet. Dans son communiqué, le réseau souligne « le sérieux et l’intégrité du juge », dont lademande doit faire l’objet de toute la considération des autorités compétentes françaises. Depuis le début de l’instruction il y a deuxans, le juge Yaméogo a auditionné une centaine de personnes et en a inculpé près d’une dizaine. Le réseau exhorte enfin les orga-nisations françaises et étrangères des droits de l’homme, les partis et la société civile à faire pression sur le gouvernement français. �

dont la communauté chagossienne a été déplacée et traitée n’a pasété correcte et exprime un « profond regret ».

Cette annonce, que les Chagossiens et leurs descendants atten-daient depuis deux ans, met fin à quarante ans de campagne, deprocédures judiciaires de la communauté déportée en Grande-Bre-tagne, aux Seychelles et à Maurice, alors britanniques. L’archipelest également revendiqué par Maurice depuis son indépendance.Un contentieux qui envenime les relations avec les États-Unis et laGrande-Bretagne. En juillet dernier, Maurice a menacé les Britan-niques de saisir la Cour internationale de justice. L’accord sur labase de Diego Garcia – l’une des plus grandes bases américainesdans le monde (5 000 personnes) –, qui arrivait à son terme en2016, a été renouvelé pour vingt ans. Cette décision a provoqué lacolère de la communauté et des associations et organisations quisoutiennent, depuis des années, les revendications des Chagos-siens (photo). « [Elle] doit être considérée comme un déni fonda-mental du droit humain. Il n’y a aucune base légale au refus duretour des Chagossiens », a déclaré Jeremy Corbyn, chef du Partitravailliste et de l’opposition. �

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RDC : un gouvernement pour diviser

Même certains de ses adversaires reconnaissent à JosephKabila (photo) des talents de ruse. À Kinshasa, tout le

monde s’attendait à la nomination au poste de premier ministrede l’ex-président de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe,chef de l’Union pour la nation congolaise. Une récompenselogique pour sa contribution à la conclusion de l’accord issu dudialogue entre le pouvoir et certains partis d’opposition, repous-sant à avril 2018 la présidentielle et les législatives initialementprévues pour novembre 2016. Mais, non content de laisserKamerhe se griller aux yeux de sa base, Kabila a sorti de sa

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…PROFIL BAS

Mohammad Bin Salman (MBS)Le fils du roi Salman est endifficulté. Nommé par sonpère deuxième dans l’échellede succession, après soncousin Mohammad BinNayef (MBN), le prince de31 ans essuie échec aprèséchec. La guerre du Yémen,la croisade pour renverser leprésident syrien, le fiasco dela guerre du pétrole qu’ilavait déclenchée pour mettreà genoux la Russie et l’Iran,sa vision surréaliste delibéralisation de l’économiesaoudienne ont freiné sesambitions. Les choses sontrentrées dans l’ordresuccessoral : c’est son cousinMBN, soutenu parWashington, qui a pris ledessus. �

Emir KirLe député socialiste belge etmaire de la communebruxelloise de Saint-Josse asuscité la polémique enamalgamant des Kurdesmanifestant contre larépression en Turquie à dessympathisants de Daech.« Les Turcs ne comprennentpas pourquoi les autorités[belges] donnent desautorisations à certainesassociations qui, en réalité,permettent la propagandeterroriste. » Emir Kir estaccusé par ses détracteursd’être une courroie detransmission du régimeErdogan. �

demandé à interroger lacheffe de l’État enpersonne, l’affaire dévoilantun vaste réseau decorruption. Le risqued’impeachment pointe àl’horizon.La fragilité de Park Geun-hye, considérée comme une« dure », a surpris beaucoupd’observateurs. Mais pasl’ancien ambassadeuraméricain à Séoul qui avaitdéjà décelé la dépendancede la jeune Park à Choi-Tae-min, père de Soon-silet éminence grise dudictateur Park Chung-hee(1961-1979), géniteur del’actuelle présidente. QuandPark est assassiné en 1979,quatre ans après le décès desa mère tuée dans une

Trump et Fillon sèment la panique chez les « contras » syriens

L’opposition cathodique syrienne dite modérée, basée en Occident, en Turquie et dans les monarchies du Golfe, est débousso-lée depuis la victoire de Donald Trump qui n’avait pas caché, tout au long de sa campagne, son intention de renouer avec la

Russie et la Syrie pour « combattre Daech et les terroristes ». Il n’est pas exclu que les millions de dollars accordés par Obama àcette opposition de pacotille soient vite coupés. L’arrivée en tête de François Fillon à la primaire de la droite et du centre a ajoutéau désarroi de cette opposition, décrétée par Hollande comme « seule représentante légitime du peuple syrien ». Fillon a critiquél’aveuglement de la politique syrienne de Hollande et s’est dit prêt à rouvrir l’ambassade de France à Damas, s’il est élu. �

Xinhua

AP

manche une nouvelle carte pour diviser l’opposition : ila dési-gné le 17 novembre comme chef du gouvernement de transitionvers les élections un outsider de taille, Samy Badibanga, prési-dent du groupe d’opposition de l’Union pour la démocratie et leprogrès social (UDPS) et ses alliés à l’Assemblée nationale, gra-tifié d’un beau score à Kinshasa lors des législatives de 2011.

L’objectif est d’embarrasser le président du Rassemblementde l’opposition, le patriarche fondateur de l’UDPS ÉtienneTshisekedi, et ses alliés, qui traversent une passe difficile. Carles manifestations organisées dans le pays le 19 novembre pourrappeler à Kabila que son mandat constitutionnel prend fin unmois plus tard ont tourné court. À Kinshasa, la police a étouffél’initiative en occupant l’esplanade où devait se tenir leur mee-ting, interdit par la municipalité. Et à Lubumbashi, deuxièmeville du pays, les militaires ont interpellé les personnes qui ten-taient de manifester pour le même motif, empêchant GabrielKyungu, l’un des ténors katangais du Rassemblement, d’accé-der à l’endroit du meeting. Le pouvoir a donc anticipé la contes-tation annoncée. Pour cette fois. � F. M.

précédente tentative del’éliminer, la jeune ParkGeun-hye, très fragilisée,est prise en main par lafamille Choi, père et fille,qui exerce sur elle unetotale influence, humaine etspirituelle. L’accession dePark au pouvoir aurait ainsiété habilement orchestréepar son amie d’enfance. �

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Première : les États-Unisciblés par la CPI !

Le rapport annuel sur lesexamens préliminaires

de la Cour pénaleinternationale (CPI) a étéprésenté par la procureureFatou Bensouda le15 novembre. Il concerne leGabon, le Burundi, laPalestine, l’Ukraine, l’Irak,la Guinée, le Nigeria et laColombie, mais, surtout, etc’est une première,l’Afghanistan. FatouBensouda devraitrapidement annoncerl’ouverture d’une enquêtesur les crimes de guerre etcontre l’humanité perpétréspar les talibans, la police etles services derenseignement dans lesprisons afghanes depuis1978. Autre première : ellevise aussi les crimes commispar les forces américaines.Bensouda a précisé que ceuxperpétrés dans les prisonssecrètes de la CIA enPologne, en Roumanie et enLituanie, où « des membresprésumés d’Al-Qaïdaauraient été transférés »,relèvent aussi de sacompétence. « Des membresde l’armée américaine et dela CIA ont eu recours à desméthodes constitutives decrimes de guerre de torture,traitements cruels, atteintesà la dignité de la personneet viols », peut-on lire dansle rapport. L’examenpréliminaire identifie 88victimes depuis le 1er mai2003. Plus grave, selon la

procureure, « la gravité descrimes allégués estrenforcée par le fait qu’ilsauraient été perpétrés enexécution d’un plan oud’une politique approuvéedans les plus hautes sphèresdu gouvernement américain,au terme de longuesdélibérations » pour« obtenir desrenseignements au traversde techniquesd’interrogatoire s’appuyantsur des méthodes cruelles ouviolentes destinées à servirles objectifs américains dansle conflit en Afghanistan ».Washington a, bien sûr,rejeté le rapport, lequalifiant de « non justifié etinapproprié ». « Nousdisposons d’un systèmenational solide d’enquête etde responsabilité qui estaussi bon que dansn’importe quel pays dans lemonde », a déclaré ElizabethTrudeau, porte-parole dudépartement d’État. LesÉtats-Unis ne sont passignataires du statut deRome qui a créé la CPI, cequi ne les empêche pasd’exercer des pressions surcette institution. �

Paul Vergès n’est plus

Paul Vergès a quittédéfinitivement son

« peuple », le peuple de LaRéunion, le 12 novembredernier. Né en Thaïlanded’un père réunionnais etd’une mère vietnamienne,c’est dans le combat contrele nazisme qu’il s’engage

Angola : les absences du président dos Santos

Le dernier voyage privé du président José Eduardo dosSantos en Europe, à la mi-novembre, suscite les

rumeurs habituelles sur son état de santé. En effet, le chefd’État angolais se rend régulièrement deux fois par an enEspagne où il effectue des contrôles médicaux. Mais cedéplacement intervient alors que le président a réduit auminimum ses visites à l’intérieur du pays et que l’Angolaest appelé à jouer un rôle de premier plan dans la crise enRDC. Celle-ci a été au cœur du sommet de la Conférenceinternationale de la région des Grands Lacs, fin octobre,suivie par l’entretien de la délégation franco-angolaise duConseil de sécurité avec le président Joseph Kabila.

La crise économique angolaise qui perdure est aussi trèspréoccupante. Une mission du FMI vient de constater unecroissance en berne (1,6 %), une inflation élevée de plusde 40 %, et une baisse significative du budget. La visite àLuanda, fin novembre, du ministre français des Affairesétrangères, Jean-Marc Ayrault, a eu comme objectifd’examiner les conclusions de la mission de l’Onu, maiségalement de rechercher des solutions aux difficultés ren-contrées par les entreprises françaises en Angola à causede la diminution sensible des liquidités en devises du sec-teur bancaire et du ralentissement de l’économie. Pourcombler le tout, la nomination de la fille aînée du prési-dent à la tête de la première entreprise nationale, la Sonan-gol, continue d’être contestée pour sa présumée inconsti-tutionnalité. �

Irak : le pari perdu d’Ezzat al-Douri

L’alliance contre nature entre certains militaires baasistes et le groupe terroriste wahhabite Daech avait surpris denombreux observateurs. Ils avaient prédit l’éclatement de cette alliance de circonstance imposée par l’Arabie saou-

dite qui avait offert l’asile politique à certains baasistes, conduits par Izzat Ibrahim al-Douri, le chef du parti Baas clan-destin. Ce dernier n’a cessé, à travers ses rares apparitions, de faire l’éloge de l’Arabie saoudite et de stigmatiser la« mainmise perse » sur l’Irak. Bien avant le déclenchement de l’actuelle opération de reconquête de Mossoul, les accro-chages entre baasistes et daechistes ont éclaté au grand jour, se soldant par des dizaines de morts. �

D. R.

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relations avec le régimeraciste.Paul Vergès fut égalementun visionnaire écologique,l’un des premiers dirigeantspolitiques dans le monde àalerter sur le réchauffementclimatique. Il est l’auteur,en 2001, de la loi françaisefaisant de cette question unepriorité et a crééel’Observatoire national surles effets du réchauffementclimatique, dont il est untemps le président. À LaRéunion, il est à l’originede plusieurs projetsconcernant les énergiesrenouvelables et ladiminution des gaz à effetde serre. « À la fin, quandon fait le bilan, si vouspouvez dire “J’ai été fidèle

Cop22 : l’Afrique déçue

L a 22e Conférence des parties de la convention des Nationsunies sur les changements climatiques (Cop22), qui s’est

tenue à Marrakech, au Maroc, s’est achevée le 29 novembrepar une déclaration commune, sans surprise : il faut mettre aupoint d’ici à décembre 2018 les règles d’application des déci-sions prises lors de la Cop21 à Paris. En marge de cette inten-tion, dont rien ne prouve qu’elle sera suivie d’effets rapides, ily a plusieurs déceptions, notamment pour l’Afrique. Ainsi, leprogramme « AAA », ou « adaptation de l’agriculture afri-caine », qui contient de nombreuses mesures destinées à favo-riser l’agro-écologie, a été reporté sine die. Le continent estpourtant l’un des premiers à souffrir de l’augmentation des

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à un certain nombre deprincipes et je n’ai cédédevant rien”, alors on peutdire qu’on a bien rempli savie. » Paul Vergès a bienrempli sa vie, comme entémoigne l’hommage quilui a été rendu par le peupleréunionnais et parl’ensemble despersonnalités françaises, dedroite comme de gauche,après sa disparition. �

Map

Oman dans les récits des voyageurs et des orientalistes

Plusieurs historiens se sont donné rendez-vous à Paris pour débattre d’un sujet à la fois attractif et sérieux: comment les voya-geurs et les orientalistes, d’Ibn Batuta, le célèbre voyageur arabe de Tanger, aux navigateurs, explorateurs et orientalistes euro-

péens ont-ils perçu le sultanat d’Oman, qui constituait une étape incontournable dans l’exploration de l’Ancien Monde? Organiséepar l’université de Nizwa, cette journée s’est déroulée dans les locaux de la chancellerie omanaise. Elle a permis à différents histo-riens et chercheurs de faire le point sur l’état des études orientalistes sur ce pays clé sur la route des Indes, qui joue actuellement unrôle stratégique, mais discret, dans le règlement des conflits de cette région inflammable et toujours convoitée. �

températures. L’agriculture est à la fois le problème et la solu-tion : si elle représente un quart des émissions mondiales degaz à effet de serre, les sols stockent en revanche le carbone,limitant ainsi le réchauffement. Il faudrait des décisions quipermettent, par exemple, de limiter l’usage des intrants chi-miques, cause d’appauvrissement des sols et donc de moindrestockage de carbone. Mais la transformation des modèles agri-coles dans les grands pays producteurs, y compris chez lesAfricains qui pratiquent l’agriculture intensive, nécessite uneforte volonté politique de la part des gouvernements. Volontéqui existe peut-être dans les discours, mais ne s’est pas traduitepar des décisions à Marrakech. Il y a donc encore des négocia-tions à mener au sein même du programme AAA, notammententre les producteurs – comme le Maroc – et consommateursde fertilisants et les tenants d’une « agriculture propre », plussoucieuse du bien commun. Quant à la gestion durable des solset de l’eau, les pays du Sud attendent toujours les milliards dedollars promis par les pays du Nord. �

dès 17 ans, au sein desForces françaises libres dugénéral de Gaulle, toutcomme son frère JacquesVergès (qui deviendra lel’avocat que l’on sait). Ilsuit ensuite les traces de sonpère, Raymond Vergès,fondateur du quotidiencommuniste Témoignages,maire, député, et égalementfondateur, en 1945, duComité républicain d’actiondémocratique et sociale.Entré au Parti communistefrançais, Paul Vergès ydevient le secrétairepermanent de la sectioncoloniale. Il part vivre à LaRéunion où il mèneramaire, député, députéeuropéen, sénateur,président du Conseilgénéral. Il mènera tout savie une lutte acharnée pourla dignité des Réunionnais,la reconnaissance de leurculture et l’égalité desdroits avec ceux de lamétropole.Fondateur du Particommuniste réunionnais en1959 et directeur deTémoignages, Paul Vergèsétait aussi uninternationaliste engagé.Auprès des combattantscontre les colonialistes dansles guerres du Vietnam,d’Algérie et autres guerresde libération, en faveur deCuba de Castro, et contre lerégime d’apartheid. Sonrapport après un voyage enAfrique du Sud avec desparlementaires européensobligea le Parlementeuropéen à modifier ses

D. R.

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Censure française :« Je suis mémorialde Caen ! »

Coupure d’électricité aupays des Lumières…

Le colloque scientifique surla Syrie qui devait avoirlieu le 26 novembre auMémorial de Caen a étéannulé sans autre forme deprocès. « On ne pouvait paslaisser les clés du Mémorialà un colloque suspecté dedéfendre les positions deBachar al-Assad, lequeldepuis 2011 conduit uneguerre infâme », a déclaré àl’AFP Stéphane Grimaldi,le directeur du Mémorial.Et notre courageuxredresseur de torts – qui aété directeur de lacommunication de la mairiede Bordeaux de 1995 à2000 et de l’Association desmaires de France de 2000 à2002 – de préciser que sadécision a été prise à lasuite d’une campagnemenée sur les « réseauxsociaux », qualifiant lesintervenants pressentis ducolloque scientifique duMémorial de Caen(universitaires, journalistes,députés PS, Républicains etUDI) comme proches, sinoncarrément d’extrême droite !Bigre, ça ne s’invente pas !Si d’aventure descomploteurs du Netvenaient à lancer unecampagne pour affirmerque le débarquement du6 juin 1944 n’a jamais eulieu, ce bon StéphaneGrimaldi risquerait bien de

La mairie de Paris à la botte d’Israël

Anne Hidalgo, la maire socialiste de Paris, et certains élussocialistes ont joint leurs voix à celles de la droite

(groupe UDI et le groupe Les Républicains) au sein duConseil de Paris pour « désapprouver » l’adoption parl’Unesco d’une résolution appelant Israël, « puissance occu-pante », à respecter les quatre conventions de Genève préco-nisant la protection du patrimoine culturel de Jérusalem-Estoccupée (photo). Leur vote a mis en colère les élus commu-nistes, Verts et Front de gauche ainsi que certains socialistesfrondeurs du Conseil.De son côté, l’Association France Palestine Solidarité

(AFPS) n’a pas caché sa colère et son indignation face àce scandaleux soutien des élus parisiens à l’occupantisraélien pour des raisons bassement électoralistes.« Après le lamentable épisode de Tel-Aviv-sur-Seine oùla mairie de Paris avait tenté de blanchir l’image d’Israëlet d’en promouvoir le tourisme un an tout juste après lesmassacres de Gaza, après les amalgames scandaleuxentre la campagne internationale BDS et l’antisémitisme,voilà que la mairie de Paris s’en prend aux décisions del’Unesco, s’octroyant un rôle de censeur de cet organedes Nations unies, s’écrie l’AFPS. Contestant les votes dela France, elle travestit délibérément le contenu de cesdécisions et se fait avec complaisance la propagandisted’une campagne directement orchestrée depuis le bureaudu premier ministre israélien pour transformer l’occu-pant en victime. » �

Haïti : victoire de la démocratie ?

La journée du 20 novembre, au cours de laquelle les Haïtiens ont voté pour leur futur président, une partie des députéset des sénateurs, s’est déroulée sans violence. « C’est une victoire de la démocratie », a déclaré Léopold Berlanger,

président du Conseil électoral provisoire. Haïti, première « République noire » de l’histoire de l’humanité, est-elle donctombée si bas qu’elle doive se réjouir de ce qui devrait être, depuis très longtemps, banal ? Sa classe politique, la pire aumonde peut-être, n’a pas retenu la moindre leçon de l’Histoire : elle a été incapable une fois encore d’attendre sereine-ment les résultats et les deux principaux partis en lice ont proclamé leur candidat vainqueur. Un désastre. �

fermer sa boutique sansautre forme de procès niautre espèce de vérificationet de contrôle du contenudes multiples fadaises quicirculent sur la Toile ! Entout cas, la décision deStéphane Grimaldi estédifiante et fait symptômesur l’état des libertés civileset politiques de notre vieuxpays : il suffit qu’une bandede crétins s’agitent sur desréseaux « numériques », quin’ont du reste rien de« sociaux », pour qu’unfonctionnaire territorial oudéterritorialisé décide decensurer telle ou telleexpression qui n’aurait pasl’avantage de correspondreà sa perception trèspersonnelle de l’actualitéinternationale. � R. L.

� Lire sur notre site :https ://lc.cx/oC77

Adieu à Malek Chebel,défenseuret chantre d’un islamdes Lumières

A nthropologue desreligions, philosophe

et psychanalyste MalekChebel est décédé à Paris le12 novembre, à l’âge de63 ans, victime d’un cancer.Selon ses volontés, il a étéinhumé sur sa terre natale,dans le petit cimetière deSkikda, dans l’Est algérien,où il est né en 1953.Titulaire d’une licence depsychologie de l’universitéd’Aïn El-Bey deConstantine (1973), il fut

Xinhua

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major de sa promotion dansla première fournée depsychologues de sa régionaprès l’indépendance, avecson mémoire depsychologie clinique(1977). Puis il fait unbrillant parcoursuniversitaire à Paris, où ils’installe grâce à une boursede l’État français.Chercheur atypique,insatiable, il collectionneles doctorats :psychopathologie cliniqueet psychanalyse (1980),ethnologie (1982), sciencespolitiques (1984), avant deprendre la tête d’unmouvement intellectuel –qu’il crée – de défensed’une vision moderniste etéclairée de l’islam.Face à la barbarieobscurantiste qui a d’abordfrappé l’Algérie, il se faitalors le chantre d’un« islam des Lumières », uneexpression qu’il forge etdont il ne cessera de serevendiquer dans sesmultiples écrits etentretiens. Traducteur duCoran, Malek Chebel,érudit, vulgarisateur etspécialiste reconnu de lareligion de Mohammed,attaché à un islamrespectueux de la laïcité,avait notamment publiéL’Islam et la raison,L’Érotisme arabe,Dictionnaire amoureux desMille et Une Nuits,Dictionnaire amoureux del’islam, ou encore L’Islamen 100 questions. À la basede sa réflexion, on trouve

cette interrogationlancinante : commentdébarrasser l’islamdes monstres qu’il aengendrés? « La liberté deconscience, la raison etl’égalité stricte de droitsentre les hommes et lesfemmes en sont lesprérequis », professait-il.En 2008, il avait reçules insignes dechevalier de la Légiond’honneur des mains duprésident de la Républiquefrançaise, qui lui avaitlancé : « Grâce à vous,la France découvre, ouredécouvre, un islam quiconnaît et aime la vie,le désir, l’amour,la sexualité. »

Centrafrique: les bailleurs de fonds promettent…

La conférence de Bruxelles pour la Centrafrique, qui s’estachevée le 17 novembre, a permis de réunir les princi-

paux bailleurs de fonds du pays, Banque mondiale et Unioneuropéenne en premier lieu. Le président Faustin-ArchangeTouadéra a présenté son plan de redressement économiquepost-conflit. Son objectif final est à la fois le développement,la sécurité, la stabilité politique et évidemment la bonne gou-vernance, ainsi que les besoins de base (électricité, adductiond’eau, assainissement, éducation, santé, etc.). Le plan prési-dentiel vise toute la population sans exception, c’est-à-direégalement les provinces, ces « laissées-pour-compte » des

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Décembre 2016 � afrique asie

précédents gouvernements qui sont devenues autant defoyers d’insurrection ou de bases arrière pour les bandits entout genre. C’est la nouveauté du programme.

Pour mener à bien ce « contrat social » nouvelle manière,le chef de l’État avait requis une enveloppe de 3 milliards dedollars sur cinq ans. Il a dû revoir ses ambitions à la baisse,mais il se satisfait des 2,2 milliards qui lui ont été promis, etqui dépassent le budget prévu pour les « priorités des priori-tés » à accomplir dans les trois années qui viennent.

Depuis le début de la crise en 2013, l’Union européennen’a jamais vraiment cessé ses financements, les affectant enpremier lieu à l’aide humanitaire et à l’envoi des missionsmilitaires, puis à l’observation électorale. Elle a égalementmis en place depuis 2014, à l’initiative de la France, de l’Al-lemagne et des Pays-Bas, le premier fonds fiduciaire euro-péen multibailleurs, dénommé « Bêkou » (« espoir » ensango). Il permet aux bailleurs de fonds non directement pré-sents en Centrafrique de contribuer à la reprise. �

Gabon : l’Union africaine doute de la victoire de Bongo

Le pré-rapport rédigé par les experts de l’Union africaine qui ont réalisé une mission auprès de la Cour constitutionnelle duGabon a été révélé le 17 novembre. Il exprime des doutes sur les résultats de l’élection présidentielle du 31 août dernier. Les

experts ont jugé « invraisemblables » les procès-verbaux des bureaux de vote dans la province du Haut-Ogooué, grâce à laquellele président sortant a assuré sa victoire en y récoltant 95 % des voix, pour 99 % de participation. Ali Bongo a remporté l’électionavec 50,66 % des voix, contre 47,24 % à Jean Ping, soit près de 10000 voix d’avance sur quelque 325000 électeurs. « La présen-tation parfaite des procès-verbaux du Haut-Ogooué », contrastant avec ceux des autres provinces, s’est ajoutée à la suspicion. �

Minusca

D. R.

Très proche de notrerevue Afrique Asie,Malek Chebel n’avait pashésité, alors que la maladiel’avait beaucoup diminué,à nous accorder un deses derniers entretiens,à l’occasion de la sortiede son dernier livre,Désir et beauté en islam(mai 2016). �

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10 Courrier

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Cologne :relaxe pour les réfugiés« violeurs » etislamophobie

« Le tribunal deHambourg relaxe lesaccusés de la nuit du

Nouvel An à Cologne. »Une petite dépêchelaconique qui n’a pas faitréagir ceux ayant accuséles réfugiés syriens quifuyaient la guerre sur lecontinent européen (maispas seulement puisquel’écrasante majorité desréfugiés syriens ont fuivers la Turquie, le Liban etla Jordanie) d’actes de violà l’occasion du NouvelAn 2015 dans la villeallemande de Cologne. Onse rappelle de la dépêchede l’AFP reprise à la unepar le quotidienLibération, propriété dumilliardaire franco-israélien Patrick Drahi :« Allemagne : vagued’agressions sexuelles àCologne, un millier depersonnes impliquées. »Faut-il rappeler l’odieuxvacarme à propos de ces« réfugiés », « migrants »et « Nord-Africains »,« musulmans violeurs defemmes en Allemagne » lesoir de ce funeste NouvelAn, en particulier àCologne. À l’époqueKamel Daoud, unnostalgique de lacolonisation, avait bondisur l’occasion, comme tantd’autres plumitifs, pourexpliquer doctement dansun texte mémorable que lesauteurs musulmansprésumés étaientgénétiquementprogrammés pour ce genred’agression. Un texte quisera descendu en flammepar votre collaborateurAhmed Bensaada dans sasalutaire Cologne, contre-enquête.Maintenant que la justiceallemande a blanchi lesvioleurs imaginaires,

Shell ne prenait que desmesurettes, le régimemilitaire d’Abacha maniaitune répressionindiscriminée contre lesassociations en ciblant lesmilitants écologistes lesplus en vue. L’écrivainnigérian Ken Saro Wiwa,originaire du Delta etfondateur du mouvementpour la défense du peupleOgoni (Mosop) – qui a leplus souffert des pollutionsmortifères –, a ainsi étéarrêté plusieurs fois puiscondamné à mort. Malgréles protestationsinternationales etl’intervention de NelsonMandela qui avaitdemandé au généralAbacha de le gracier enéchange du maintien duNigeria dans leCommonwealth, SaroWiwa a été exécuté le10 novembre 1995.C’est aussi en regard de cepassé douloureux que laHaute Cour de Londresdevra émettre sa sentence :condamner le pollueur àindemniser la populationaffectée et procéder aunettoyage des eauxcontaminées – à l’instar deBP, condamné pour avoirpollué le golfe du Mexique.On ne peut parler de luttecontre le réchauffementclimatique sans assainir lesdégâts des grands pollueursdu monde. �

Christine Martin-Adedeji, Lagos.

Média, mensongeet démocratie

Trop c’est trop ! Pourla troisième foisconsécutive cette

année, les grands médiasoccidentaux se sontlamentablement plantés.Avec le Brexit d’abord,l’élection américaineensuite et maintenant lesprimaires de la droite et ducentre en France. Ils nousavaient affirmé, sondageset analyses à l’appui, que

Dessin de Chappatte paru dans Le Temps

l’affaire fait pschitt,malgré les manipulationspolicières et leurssupplétifs médiatiques…Mais le mal est fait. Jamaisdepuis cette affairefabriquée l’islamophobiene s’est mieux portée enOccident. �

Karl Senan, Hambourg.

Shell paiera-t-ilenfin pour la pollutionpétrolière au Nigeria ?

J’attends avec le plusgrand intérêt le procèsqui devait s’ouvrir en

novembre auprès de la

Haute Cour de Londrescontre le géant pétrolierShell, responsable de lacatastrophe écologiquedans le delta du Niger, ausud du Nigeria. Les fuitesdes oléoducs qui ontdétruit les terres et polluéles étangs ont duré desdizaines d’années. Leshabitants de ces régionsprotestent depuis lesannées 1980 et denombreuses associations sesont constituées pourporter leurs plaintesjusqu’aux tribunaux desÉtats nigérians et auniveau fédéral. Alors que

La stérilisation du monde n’a pas eu lieu

Ce qui se passe en Occident est tellement rafraî-chissant ! Cela montre que le projet de stérilisa-tion du monde n’a pas fonctionné. Quand cer-

tains disent que les instituts de sondage sont de mècheavec l’establishment dans sa manipulation de l’opinionpublique, d’autres les traitent de « conspirationnistes ».Le mensonge pouvait durer tant que les gros moyensd’information étaient placés sous leur coupe. Avec l’ex-plosion des réseaux sociaux, nous sommes revenus auxorigines, à l’époque où l’opinion publique avec toute saspontanéité, était insaisissable parce que vivante et enperpétuelle mutation. Les masques tombent facilementet les mensonges ne tiennent plus. Les causes justes, sielles sont portées par des hommes sincères, tiennent làune l’occasion de se faire entendre et de triompher. Queles Sahraouis [et les Palestiniens] se le disent. �

Salah Abdelaziz, Alger.

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Le pire et le pire

Les Américains ont voté en croyant avoir échappé au pire, sansêtre sûrs d’avoir placé le meilleur à la Maison-Blanche. Le 45e

président des États-Unis est un président par défaut. Il peut en sortirtout et n’importe quoi. Il n’est pas le premier qui hérite du « job »dans des conditions aussi opaques, sans que l’on connaisse untraître mot de son programme. Pas celui décliné sur les tréteauxpour attirer le chaland, mais celui qui va fairel’objet de mesures concrètes, pratiques, quidéferleront dès le mois de janvier prochainsur la tête des Américains et sur celle deleurs alliés et ennemis, anciens et nouveaux.Les analystes prétendent que l’on ira de pireen pire. Mais peut-on encore faire confianceaux analystes qui ont prédit l’élection de Hil-lary Clinton à 90 % et ont vu surgir des urnescomme un diable de sa boîte un DonaldTrump voué aux gémonies des mois durantpar les médias, à longueur de colonnes et deprogrammes électoraux à la télévision? �

Feuille de route

Sans perdre un instant le Nord, Israël a déjà tracé sa feuille deroute à Donald Trump. À peine élu, un ministre de Benjamin

Netanyahu l’a appelé à enterrer définitivement tout projet d’Étatpalestinien sur le peu qui reste de la terre palestinienne. Il est àcraindre que, désormais, les négociations entre Tel-Aviv etWashington porteront moins sur l’arrêt de la colonisation – le dos-sier va être clos – que sur la reconnaissance internationale detoutes les conquêtes de l’armée israélienne, y compris Jérusalemdans sa totalité. Depuis plus d’un siècle que le sionisme grignotela terre de Palestine, il finira bien par en venir à bout dans l’im-puissance générale – voire la complicité passive ou active – d’unvoisinage arabe plus occupé à s’entre-tuer au nom de Dieu ou dupouvoir que de se battre pour récupérer ses droits historiques surune terre usurpée. �

Hillarymania

Si les Américains ont voté en se bouchant le nez, les Européensont allégrement plébiscité Hillary Clinton, en fonçant dans le

mur les yeux ouverts sur des critères farfelus relevant le plus sou-vent du politiquement correct. Or Hillary Clinton, la plus mauvaisecandidate de l’establishment, n’était reconnue aux États-Unis nipour son féminisme, ni comme démocrate, et encore moins commedéfenseur des minorités. En revanche, tout en rassemblant unemajorité du vote blanc sur son nom, son adversaire a été aussi l’éludes femmes, des Noirs et des Latino-Américains dans des propor-tions qui ont sidéré les « hillaryens ». En fait, il a surtout réussi àconvaincre, avec des accents populistes redoutables, que la mondia-lisation sauvage engloutissait le pays et avec lui les déclassés et lesplus pauvres, au profit d’une minorité de bénéficiaires acquis à laglobalisation. �

Contrepointsles électeurs britanniquesne voulaient pas duBrexit. C’est le contrairequi s’est produit. Idempour les États-Unis, paysqui a inventé la techniquedu sondage et l’a exportéedans le monde entier, où,à les en croire, Trumpn’avait aucune chance degagner. Le voilà devenu le45e locataire de la Maison-Blanche. Dernièrement,ces mêmes médias,experts et instituts desondages nous avaientassuré que François Fillonn’avait aucune chanced’être choisi commecandidat de la droite et ducentreau second tour. Levoilà qui terrasse ses deuxprincipaux adversaires,Alain Juppé et NicolasSarkozy, qui ont du sanglibyen et syrien sur lesmains. François Hollandeavait même affirmé avecaplomb, dans le livre deconversations avec deuxjournalistes (Un présidentne devrait pas dire ça),que François Fillonn’avait aucune chanced’être candidat ! Un grand visionnaire !Goebbels disait qu’unmensonge finissaittoujours par devenir unevérité à force d’êtrerépété. Mais il y a unelimite à cette pratique etles électeurs en Occidentont fini par douter de toutet à faire le contraire de ceque les médias annonçent.D’autant que la tendanceactuelle se caractérise,hélas ! par l’appropriationde groupes médiatiquespar des industriels et desfinanciers, dont le soucipremier est decommuniquer et nond’informer. Il s’agitd’une dérive gravissime etd’une sérieuse menacepour nos libertésfondamentales, et enpremier lieu la liberté des’informer. �

Jean Garaud, Paris.

Décembre 2016 � afrique asie

Par Hassen Zenati

D.

R.

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Décembre 2016 � afrique asie

13Éditorial

L es derniers sou-bresauts surve-nus ces der-nières annéessur la scène

internationale, ou à l’inté-rieur de ce que notre amiSamir Amin appelle le « sys-tème en place dans les paysde la triade impérialiste his-torique » (États-Unis ,Europe occidentale, Japon),annoncent-ils l’implosion dece système?

Il y a de quoi s’interroger : pour la seule année 2016, ona assisté à la sortie du Royaume-Uni de l’Union euro-péenne, à l’élection du nouveau président américainDonald Trump – qui a prospéré au sein du système, maisqui s’est présenté tout au long de sa campagne trashcomme un anti-système –, et à la montée en puissance enEurope de forces de la droite extrême et de la droite laplus conservatrice et la plus autoritaire, parallèlement àl’émergence des courants de la nouvelle gauche, commeon l’a vu en Espagne avec Podemos et en Grèce avecSyriza.

Le fil conducteur de tous ces événements : le ras-le-bolde très larges pans des classes populaires et moyennes.Celles-ci se sentent ruinées par une mondialisation effré-née destructrice d’emplois, génératrice d’insécurité éco-nomique et de désindustrialisation. Tous ces soubresauts,nous dit encore Samir Amin, sont des « manifestations dela profondeur de la crise du système du néolibéralismemondialisé. Ce système, que j’ai toujours considérécomme non viable, implose sous nos yeux dans son cœurmême. Toutes les tentatives de sauver le système – pouréviter le pire dit-on – par des ajustements mineurs sontvouées à l’échec. »

Que faire alors ? Et quelles sont les alternatives, surtoutque l’inévitable implosion, dit encore Samir Amin,« n’est pas synonyme d’avancées sur la route de laconstruction d’une alternative réellement meilleure pourles peuples : l’automne du capitalisme ne coïncide pasautomatiquement avec le printemps des peuples ».

On constate déjà les désillusions conséquentes auxpromesses non tenues du Brexit, de Syriza, de Podemoset, last, but not least, du mouvement Occupy Wall Street.Celui-ci a démarré en 2011, en même temps que les malnommés printemps arabes et s’est soldé, cinq ans aprèspar Occupy White House, non par la victoire du progres-siste Bernie Sanders, mais par celle du milliardaireDonald Trump!

Avant même son inves-titure le 20 janvier 2017, lenouveau président auratout le temps de s’asseoirsur ses promesses (il en a

déjà renié quelques-unes, e t non desmoindres). Comme quoiles promesses n’enga-gent , comme disai tCharles Pasqua, queceux qui les croient.

Mais , au-delà desengagements et des pro-messes en matière depolitique intérieure, c’estsurtout en tant que leaderde la première puissancemondiale que Donald

Trump est attendu. Il aura à sortir son pays de l’impassedans laquelle l’administration Obama sortante – particu-lièrement quand Hillary Clinton était en charge de ladiplomatie – a conduit les États-Unis. Il y a eu le retraitanticipé chaotique de l’Irak, la liquidation de la libye etl’assassinat de son leader, la tentative de renverser lerégime syrien en soutenant et en armant une opposition« modérée », de connivence avec Al-Qaïda et Daech, lestatut quo en Palestine occupée, le soutien aux « prin-temps arabes » qui se sont avérés être des « hivers isla-mistes », l’instrumentalisation du terrorisme nourri parles alliés wahhabites des États-Unis, la détérioration de lasituation en Afghanistan, la complicité agissante dans laguerre saoudienne contre le Yémen, la nouvelle guerrefroide avec la Russie…

Tout cela a pesé lourdement sur les finances du pre-mier pays endetté. L’addition de l’interventionnismeaméricain aura coûté, depuis l’invasion de l’Irak en 2003,près de 5 000 milliards dollars, à en croire le prix Nobelde l’économie Joseph Stiglitz. Cette facture, ajoutée auxravages sociaux d’une mondialisation mal maîtrisée,pousse Trump à une certaine forme d’isolationnisme.

Comme pour Obama, il doit se préparer à affronterl’inexorable montée en puissance de la Chine. Maiscontrairement à son prédécesseur – s’il ne se renie pas surce sujet –, il s’emploiera à se rapprocher de la Russie, àcasser le projet eurasiatique poutinien et à joindre sesefforts avec Moscou et ses alliés pour combattre le terro-risme mondialisé en Irak et en Syrie notamment.

L’isolationnisme, qui a été depuis James Monroe, vers lafin du xixe siècle, une variante conjoncturelle de la poli-tique étrangère américaine, est cette fois-ci plus une néces-sité qu’un choix. L’Empire américain s’essouffle, l’unila-téralisme né des ruines de l’Union soviétique a vécu.L’ancien monde s’effondre. On ne sait pas à quoi ressem-blera le nouveau. Quoi qu’il arrive, une Amérique qui

s’isole fait moins de mal aumonde qu’une Amériquequi intervient. Le com-plexe militaro-industriellaissera-t-il faire? Wait and see.� Afrique Asie

La tentation isolationniste

Occupy Wall Street en 2011. Cinq ans après,

voici venu… Occupy White House, mais par Trump !

AP

UNE AMÉRIQUE QUI S’ISOLE FAIT MOINS DE MAL

AU MONDE QU’UNE AMÉRIQUE QUI INTERVIENT.

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Tribunes

Continents

14 Sommaire

Décembre 2016 � afrique asie

Rédaction et administration3, rue de l’Atlas – 75019 Paris

Tél. : 0142381450Fax : 0140039700

Courriel : [email protected] web : www.afrique-asie.fr

Fondateur : Simon Malley

3 Des exclusives,des chiffres et des profils

Vue

de

l’ex

posi

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scén

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Directeur de la rédactionMajed Nehmé

Rédacteur en chef déléguéValentin Mbougueng

Rédacteur en chef techniqueBachar Rahmani

Secrétaire généralBrahim Madaci

Comité de rédactionAugusta Conchiglia, Maureen Smith,

Corinne Moncel, Samy Abtroun,Valérie Thorin, Hassen Zenati,

Giulia Gié,João Quartim de Moraes,

Richard LabévièreChristine Abdelkrim-Delanne,

Mamo Zeleke

Géopolitique : Habib TawaCulture et société : Luigi Elongui

CollaborateursNayla Abdul Khalek,

Samir Amin, Nestor Bidadanure,Jacques-Marie Bourget,

Victoria Brittain, Barbara Caron,Subhi Hadidi, Remy Herrera,Mary Glensor, Bruno Guigue,Amidou Kabré, Bouzid Kouza,Jean Levert, Catherine Millet,

François Misser, Philippe Tourel,Hugues Wagner, Kaye Whiteman,Tigrane Yégavian, Jean Ziegler.

Reporters et correspondantsNicolas Abena, Tembiré Daouda,Laurence D’Hondt, Benoît Hili,

François Janne d’Othée,Benjamin Kadio, Ahmadou Keguelé,

Yéo Koré Koffi, Jack Thompson,Nabil Choubachi, Fabrice Yassoua.

Afrique AsieMensuel édité par la SARL de presse

AFRIAMRCS Paris B 482704368 — Code APE 5813 Z

Directeur de la publication

Majed Nehmé

ImpressionRoto Presse Numéris

36-40, boulevard Robert Schuman93190 Livry Gargan

PhotogravureMIP. Tél. : 0140039660

Dépôt légal à parution

N° de Commission paritaire : 0118 I 87473

ISSN: 1779-0042 / Diffusion MLP

Photos de couverture :Neil Hall / Reuters

Abonnement : voir page 65

Événement

24 La tornade TrumpPar Bruno Guigue

49 Samora Machel :un crime d’État occulté

Par Sérgio Vieira

50 Hommage :merci Ahmed Ben Bella

Par Jean Ziegler

56 Les printempsd’Ahmed Belhimer

Par Richard Labévière

10 Réactions des lecteurs,contrepoints

Par Hassen Zenati

D. R.

7474

16 L’Amériqueen Trump-l’œilConservateur, réactionnaire,incompétent, violent,vulgaire, sexiste, raciste…les noms d’oiseau qui ontplu sur Donald Trump

n’ont pas empêché sonélection à la présidence desÉtats-Unis, qu’il prendraofficiellement en janvierprochain.D’ici là, une partie du paysest sous le choc, tandis quele reste du monde sembleencore se demander àquelle sauce il sera mangé.Sa rivale, Hillary Clinton,candidate de l’establishmentet adepte des guerresd’ingérence droits-de-l’hommiste, aura perdu sonpari malgré l’appui plus oumoins implicite des institutsde sondage et des médias.Et, pis encore, elle auraécorné l’image d’un BarackObama, soldat sans

uniforme, et dont le prixNobel est déjà largementcontestable. Ce scrutinmajeur, qui semblepromulguer l’isolationnismeau détriment del’interventionnisme, prometde redéfinir les enjeuxgéostratégiques de laplanète. L’Europe, en proieà de nombreuses crisespolitiques, devrait sansdoute s’en inspirer.Quant à la Russie…wait and see.• Présidentielle :Trumpapocalypse now !• Analyse : la tornadeTrump• Obama: prix Nobel del’hypocrisie...

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SociétéCulture

La dernière page

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98 Djihadistes sansfrontières

Par Jacques-Marie Bourget

Luc Gnago / Reuters

Afrique

3636

76 Infos culture

97 Il y a 30 ansWashington-Tel-Aviv-Téhéran : des armeset des calculs, un scandaleà tiroirs

Par Jihad Rami

Économie

62 ThaïlandeBhumibol Adulyadej,l’autocrate divinisé

Par Jack Thompson

Monde arabe

5050

66 Infos, brèves

84 Livres• Une histoiredes peuplesde Guadeloupe

Par Sylvie Clerfeuille• Quand le PC greca scissionné• Magyd Chefi :plaidoyer pour uneFrance fraternelle

Par Tigrane Yégavian

Asie

36 Côte d’IvoireDes législatives à problèmes

Par Philippe Tourel

• Afrique/États-Unis :rendez-vous manqué• États-Unis/Cuba: la guerrepsychologique, en attendant...

Dossier réalisé par Maureen Smith,Bruno Guigue, Christine Abdelkrim-

Delanne et Rémy Herrera

88 Musique• Afrique de l’Ouest :le chasseur et le griot

Par Luigi Elongui• Manifestedu peuple kurde

Par Moundiba Malanda

68 Franc CFAEn finir avec la servitudemonétaire

Par Corinne Moncel

72 AlgérieUne étape crucialevers l’après-pétrole

Par Philippe Lebeaud

74 InternetL’Afriqueà la traîne

Par François Misser

52 Algérie/Arabie saouditeUn nouveau souffle

Par Hamid Zedache

54 TunisiePromessessans lendemain

Par Hamid Zyad

96 SénégalDes cases pourles tout-petits

Par Moundiba Malanda78 Arts plastiquesPalette de l’art mexicainmoderne

Par Bachar Rahmani

80 AlgérieEn marge du 21e Silad’Alger, interview avecDjemal Kaouan,PDG de l’Anep :« L’Anep, instrumentprivilégié de la circulationdes idées »

Propos recueillis parMajed Nehmé

38 RwandaDes muséespour cultiver la mémoire

Par François Janne d’Othée

40 Géostratégie africaineGuerre et politique :le grandchambardement

Par Valérie Thorin

43 Kwame NkrumahDu nationalismeau panafricanisme

Par Rémy Herrera

44 SeychellesSi loind’un dirigismeà l’albanaise !

Par Christine Abdelkrim-Delanne

46 Communauté des paysde langue portugaiseUne coquille vidéede sa substance ?

Tigrane Yégavian

D.

R.

Géopolitique

58 Sunnites vs chiitesUne rivalité amplifiée à dessein

Par Habib Tawa

92 Cinéma• « Le Ruisseau,le pré vert et le douxvisage » : la farandoledes amours

Par Corinne Moncel• Documentaire :l’oiseau-livre d’unehistoire malmenée

Par Luigi Elongui

90 ScènesAmir Reza Koohestani :« Téhéran estdevenu un paradis pourle théâtre »

Propos recueillispar Laurence d’Hondt

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16 Événement

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L’Amérique en Trump-l’œil

A vec l’élection à la prési-dence de Donald Trump,les États-Unis sont entrés

dans une nouvelle ère sous l’œilmédusé de leurs alliés, leurs vassauxet leurs ennemis à travers la planète.On a vu triompher, à travers ce mil-liardaire sans foi ni loi, écrit Mau-reen Smith, « la voix des sans voix »,celle de « cette Amérique des Blancsmoyens et pauvres, des électeursséduits par sa “promesse” de res-taurer la voix, jamais entendue, desgens oubliés, victimes du big busi-ness et de Wall Street. Un comblepour celui qui s’entoure précisémentde ces gens-là ! » L’élection deTrump est en réalité surtout ladéfaite de la mal-aimée Hillary Clin-ton, rejetée par la majorité des parti-sans du progressiste Bernie Sanders.

« Cette femme dite de gauche,écrit encore Maureen Smith, aentretenu des connexions dou-teuses avec Wall Street et le mondede la finance (...) elle a acceptéd’énormes donations de grandessociétés pétrolières pour la fonda-tion Clinton ; enfin – et ce n’est pasla plus légère des casseroles –, sonpassé de faucon en faveur de laguerre contre l’Irak et son V victo-rieux à la mort de Kadhafi ontdéfinitivement marqué son visagedes traits de l’ex-président Bush. »

Sur la même l igne, BrunoGuigue écrit : « Donald Trump estde droite, mais Hillary Clinton est-elle de gauche ? Il faudrait ledemander à Goldman Sachs qui afinancé sa campagne et aux 30000Libyens victimes de sa politique. »

Trump, c’est aussi les erreursd’Obama, dit de son côté AhmedBensaada, qui dresse un bilan sansconcession de celui qu’il qualifiede « prix Nobel de l’hypocrisie ».Christine Abdelkrim fait le pointdu rendez-vous manqué entre lesÉtats-Unis d’Obama et l’Afrique,tandis que Rémy Herrera sedemande si la nouvelle administra-tion remettra en cause le dégelentre Washington et La Havane.Bienvenue dans la « Trumpapoca-lypse now! » � Afrique Asie

États-Unis Dans la nuit du 8 au 9 novembre, le septuagénaireDonald Trump, magnat de l’immobilier et milliardaire new-yorkais, atteignait la barre des 270 grands électeurs requispour s’asseoir dans le très convoité siège du Bureau ovale,laissant loin derrière lui une Hillary Clinton médusée et l’œilhumide. L’Amérique – et le monde – ont toutes les raisonsde trembler.

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sible – et ils se le refusent encoreaujourd’hui. En vain. Car Trump serabel et bien le 45e des États-Unis.

En fait, l’extrême tension qui a suivicette élection rocambolesque est à lamesure de la dureté des campagnes desdeux candidats. Jamais des préten-

colère ont protesté dans toutes lesgrandes villes du territoire. Le slogan« #Not my President ! » a feutré desbanderoles de fortune et inondé lesréseaux sociaux. Pour un grand nombred’Américains, le simple fait de pronon-cer « Trump President » était impos-

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R.

Un mur et une tour, deux symboles forts de Trump qui veulent isoler la « grande » Amérique du reste du monde.

Trumpapocalypse now !

Par Maureen Smith

C ette claque monumentale, qui apris à contre-pied tous les son-deurs et autres spécialistes du

politiquement correct, a laissé une par-tie du pays sous le choc. Des gens en

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18 Événement L’Amérique en Trump-l’œil

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cains, hésitants, mal à l’aise, frileux ousimplement remontés contre lui ont eneffet fini par laisser leur honte et leurdégoût au placard. Avec ou sansconviction, avec ou sans embarras, ilsont renoncé à se distancier de ce « bonvieux Donald », personnage sulfureuxet détestable, mais dont chaque éclatfaisait grimper la cote. Sa vulgarité, samisogynie et son manque de civilitéauraient dû en décourager plus d’un.Mais ses attaques contre les femmes (lamoitié de la population !) ont fini parfaire sourire, ses outrances contre lesparents d’un soldat américain musul-man tué au combat en Irak, ont mêmefait oublier que lui avait toujours suéchapper au service mil i ta i re…Aujourd’hui, l’effet girouette est telque les Républicains du Congrès, sou-cieux de se maintenir au pouvoir,appuient sans scrupule le futur loca-

dants à la Maison-Blanche ne furentaussi mal aimés par leur peuple. Sur lering, leur duel fut souvent explosif : àgauche, pas tout à fait à gauche, ladémocrate Hillary Clinton, épouse deson ancien président Bill, anciennesénatrice de New York, secrétaired’État sous le premier mandat d’Obamaet, disons-le, première femme à êtresérieusement considérée comme prési-dentiable ; à droite, très à droite, le plusou moins républicain Donald Trump,homme d’affaires n’ayant aucune expé-rience gouvernementale, jamaisconcerné par la politique et, signe parti-culier, étant le seul candidat à n’avoirpas montré ses relevés d’impôts,comme le veut la tradition.

� Renard contre fauconCette présidentielle a d’abord révélé

un nouveau pan de l’électorat. Ceuxqui craignent ou doutent désormais des

que son adversaire, au passé lourd(notamment en Libye), pur produit del’establishment, trop haut perchée pourvoir ce qui se passait à ses pieds.

Le futur président ne s’est jamaisdémonté devant l’expérience de sarivale, le plus souvent avec excès.Avec une assurance qui lui est propre,il a affirmé que les élections allaientêtre truquées et qu’il n’accepterait passa défaite. Selon le Times, il a mêmeassuré qu’en cas de victoire, il allaitcréer un super Pac, comité d’actionpolitique, dédié à la vengeance poli-tique ! Il a dénoncé des traités de libre-échange déjà signés, promis de sebattre contre la protection de l’environ-nement, annoncé la déportation de mil-lions de personnes… Homme de spec-tacle, fourbe comme un renard, il a étéélu parce qu’à chaque fois qu’il dépas-sait les lignes rouges, il trouvait unnouveau public. N’a-t-il pas été jusqu’à

Promesses, promesses

R éaliser ses promesses de campagne ne sera pas une mince affaire pourDonald Trump. La suppression des grandes mesures déjà entérinéespar son prédécesseur nécessiterait des actes forts et impopulaires du

Congrès : l’Obamacare, les taxes sur les délocalisations, les mesures de régu-lation limitant la pollution et la production de charbon, les zones sans armesdans les écoles, le traité avec l’Iran… Sa volonté de rétablir avec force la tor-ture devrait aussi trouver ses limites et de fortes oppositions chez les profes-sionnels, CIA, NSA et autres agences de renseignement. Même la nominationd’un procureur spécial chargé d’enquêter sur les e-mails de Hillary Clinton estun acte politiquement risqué : chercher à punir son ancienne opposante nuiraiten effet à sa volonté d’être le président de tous les Américains.

Ses déclarations ont d’ailleurs plus ou moins « évolué » : Trump a « réduit »le nombre d’immigrants en Amérique à déporter de 11 millions à 2 ou 3 mil-lions, ceux n’ayant pas d’antécédents dangereux ou criminels restant sous sonattention particulière. Le mur avec le Mexique sera « moins mur et plus clô-tures ». Pour l’avortement, il se cramponne à ses déclarations, déclarant qu’ilfera tout pour nommer un juge à la Cour suprême capable d’abroger la loi Roevs Wade, mais laissant les décisions à chacun des États. Pour le mariage gayou lesbien, il ne touche pas à la loi, ce qui a grandement étonné la commu-nauté homosexuelle. Surprise également concernant l’Obamacare, dont il aassuré que certaines parties de la loi ne seraient pas modifiées. �

institutions américaines sont à trouveren majorité parmi les ouvriers, les colsbleus (en opposition aux cols blancs deHillary), les gens de la Rust Belt, laceinture de la rouille, ces États indus-trialisés en déclin du Middle West.Autrement dit les pauvres qui parentleurs maisonnettes du drapeau étoilépar nostalgie de la grande Amérique.Trump l’a sans doute mieux compris

suggérer à ses supporters de prendreleurs armes contre Hillary ? Aux États-Unis, rappeler aux électeurs qu’ils sontles héritiers du cow-boy au chapeau etau revolver remplit vraisemblablementles urnes.

Trump a pu également compter surl’effet d’amollissement à son égardqu’il a su provoquer dans son proprecamp. Nombre de dirigeants républi-

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DONALD TRUMP A ÉTÉ ÉLU PARCE QU’À CHAQUE FOIS QU’IL DÉPASSAIT

LES LIGNES ROUGES, IL TROUVAIT UN NOUVEAU PUBLIC.

taire de la Maison-Blanche, ajoutantavec une hypocrisie sourde qu’il sou-tiendra leur législation et respecteraleur autorité !

Hillary Clinton n’est pas en reste.Ses années dans le service public ontfait d’elle une personne très connue…mais loin d’être très aimée. La célébritéa ses revers, surtout lorsqu’elle estentachée de mensonges et de sang. Sonutilisation d’un serveur privé pourenvoyer des communications offi-cielles a amené le FBI à la traiter de

femme « très négligente », sans lacondamner pour autant. Les Républi-cains y ont vu un trouble supplémen-taire. Huit jours avant l’élection, ledirecteur du FBI, James Comey,annonçait avoir trouvé de nouveaux e-mails de la candidate puis se ravisait enaffirmant qu’il n’y avait plus rien.Cette affaire a fini par être appeléel’« October surprise » de Hillary enréférence aux arrangements secrets del’ancien président Reagan avec les aya-tollahs d’Iran en pleine campagne pré-

sidentielle. Reagan avait reporté lalibération des otages américains aujour de l’élection pour assurer sa vic-toire contre Jimmy Carter.

Hillary traîne d’autres casseroles.Cette femme dite de gauche a entretenudes connexions douteuses avec WallStreet et le monde de la finance. Payéenotamment par la banque GoldmanSachs, elle a produit des discours pourdes millions de dollars ; elle a acceptéd’énormes donations de grandes socié-tés pétrolières pour la fondation Clin-ton ; enfin – et ce n’est pas la plus légèredes casseroles –, son passé de faucon enfaveur de la guerre contre l’Irak et sonV victorieux à la mort de Kadhafi ontdéfinitivement marqué son visage destraits de l’ex-président Bush. �

Rencontre entre le futur président et le futur ex-président : mains tendues et visages crispés

pour deux hommes que rien ne pouvait réunir sinon le fauteuil de la Maison-Blanche.

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La candidate aurait pu adoucir sonimage pendant la primaire démocrateen prêtant une oreille plus attentive àson rival d’alors, Bernie Sanders. L’en-trée en compétition du sénateur du Ver-mont, 75 ans et vieux routard de lapolitique, avait attiré un grand nombrede nouveaux électeurs – surtout desjeunes – séduits par son discours pro-gressiste. L’ouragan « Feel the Bern »(clin d’œil à l’émission d’aérobic deJane Fonda, Feel the burn, « Ressentezla brûlure », autrement dit, « Vous allezle sentir passer ») avait véritablementapporté l’espoir d’un changement dansla politique du parti. Bon perdant, Ber-nie avait négocié la modernisation de laplateforme démocrate avant d’appelerses nombreux supporters à voter pourHillary afin de bloquer la route àTrump. Il n’a, semble-t-il, pas été assezécouté. Non parce qu’il avait perdu soncapital confiance auprès de ses suppor-ters, mais parce que ceux-ci ne vou-laient absolument pas de la dame Clin-ton. Sanders , pensent d’ai l leursnombre d’Américains déçus, auraitbien pu gagner la présidentielle face àTrump. Ces prochaines années, il serasans doute l’une des figures de prouedes Démocrates, son mouvementcontinuant de faire pression au sein duParti.

� Le menu présidentielLes élections – pas les électeurs ! voir

encadré – ont donné les pleins pouvoirsaux Républicains. Dès le 20 janvier,ceux-ci dét iendront les t roisbranches de l’Amérique : l’exécutif, lelégislatif et rapidement, après la nomi-nation du siège laissé vacant à la Coursuprême avec le décès d’Antonin Sca-lia, le judiciaire. Ce nouveau juge seraen effet nommé par Trump et validé parle Sénat… que son parti contrôle. LaCour suprême comptera alors cinqarbitres de droite contre quatre degauche. Et cette inégalité a toutes leschances de s’accentuer puisque deuxautres juges, très âgés, devraient partiravant la fin de son mandat. Le présidentpourra alors « droitiser » un peu pluscette puissante institution, et pour untemps long dans la mesure où les pro-chaines nominations concerneront dejeunes juges, « en bonne santé » commele veut la Constitution. L’Amérique severra ainsi offrir une Cour de droitependant au moins une génération : c’estsans doute l’un des effets collatérauxles plus tristes de cette présidentielle.

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Ce contrôle total des trois branchesdu pouvoir par le Grand Old Party(GOP) est rarissime. Les membresrépublicains valideront-ils toutes lesdécisions du président ? Commentl’imprévisible Donald agira-t-il ? Quesavons-nous vraiment de ses idées ? Lecandidat tout-business, qui aime écriresur le plaisir des affaires (The Art of thedeal) et d’autres best-sellers pour cher-cheurs de dollars (Why we want you tobe rich, Think like a billionnaire, pourne citer que ceux-là), n’a guère deconnaissances du monde politique, etcertainement encore moins d’intérêt.Cela nous donne déjà une petite idée del’homme. Ses seules règles ont la cou-leur du billet vert qu’il a d’ailleursrécolté en masse… en se dispensantparfois des règles les plus élémentaires.Ainsi, il fut, au cours de sa campagne,le seul candidat à refuser de rendrepublique sa déclaration de revenus – ilsemble qu’il n’ait pas payé ses impôtspendant des décennies grâce au talentd’un avocat pour milliardaires qui a suutiliser un vide juridique. D’autresincidents de fraude ont refait surface

cours. Parmi les choix les plus détes-tables du président, ses accointancesavec les mouvements les plus extré-mistes du pays. Trump a reçu le soutienouvert du Ku Klux Klan : ce groupeconnu pour sa haine farouche et meur-trière des Noirs, dirigé par David Duke,militant du nationalisme blanc, s’est ditravi de voir un personnage de si hautrang à ses côtés. Le Républicain est éga-lement lié à l’alt-right, ou droite alterna-tive, un mouvement fasciste créé en2010 qui prône ouvertement la supré-matie blanche. La toute récente nomina-tion de Steve Bannon, son ex-directeurde campagne au poste de conseiller enchef de sa stratégie – il dirige BreitbartNews, un site d’extrême droite très actif–, vient attester de son lien très étroitavec cette mouvance raciste.

Promesse tristement célèbre, leblond-orange septuagénaire entendfaire construire un « énorme et joli »mur au sud des États-Unis pour bloquerla frontière avec le Mexique auquel ilentend faire payer la facture. Contre leterror isme, i l promet un f i l t rageextrême de l’immigration : après son

très polémique engagement d’interdirele territoire américain aux musulmansde la planète, il a corrigé sa copie puis-qu’il parle désormais de « tests idéolo-giques » et d’une attention très spécialeà porter à tous les musulmans, améri-cains compris. Autre déclaration dumême acabit, le retour de la torture :pour Donald Trump, le waterboarding,ou simulacre de noyade, n’est pas assezdur. C’est dire toute l’étendue de sonprogramme. Violence obl ige, cemeilleur ami de la National Rifle Asso-ciation (NRA), qui promeut la déten-tion d’armes à feu comme liberté fon-

qui montrent que Trump a un certainsavoir-faire pour « acheter » desfemmes et hommes d’influence. Lorsde la course à la présidentielle, le can-didat républicain affirmait que sa réus-site garantissait ses capacités à gouver-ner le pays, arguant du fait qu’il pesait10 milliards de dollars. Un chiffre fina-lement contesté par de nombreuxexperts. Sa fierté a même été écornéelorsque les journaux ont dévoilé sonendet tement cumulé d’au moins650 millions de dollars !

Pour se familiariser avec le nouvel éluétasunien, il suffit de réentendre ses dis-

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UN EFFRAYANT MÉLANGE D’IDÉOLOGIE D’EXTRÊME DROITE,

D’ULTRACONSERVATISME ET DE RACISME.

damentale et acte citoyen dans le pays,n’entend pas réduire le nombre de ces« petites pétoires inoffensives ». Aumieux consent-il à ce qu’on vérifie àqui on les vend.

S’agissant de l’avortement, le prési-dent est favorable à son interdictionsauf en cas de viol, inceste ou dangerpour la vie de la mère. Et sa positionpromet de se durcir dans les prochainessemaines : il veut, a-t-il déjà indiqué,que la Cour suprême – qui lui serabientôt totalement acquise – annule laloi Roe vs Wade permettant auxfemmes d’avoir le droit de disposer deleurs corps.

Concernant l’industrie énergétique,le futur premier homme du pays va à

qu’il semble d’ailleurs ignorer. PourTrump, il n’y a pas de changement cli-matique dû à l’homme. Tout est affairede nature…

À l’entendre, son programme éco-nomique va révolutionner le pays.« Nous allons doubler notre crois-sance et avoir l’économie la plus fortedu monde », prétend-il avec la déme-sure qu’on lui connaît. Mais ces pro-messes manquent autant de crédibilitéque de moyens, quand on sait que labaisse des impôts qu’il entend mettreen œuvre amputerait les recettes dubudget fédéral de 6 200 milliards dedol la rs au cours de la prochainedécennie (selon le Tax Policy Cen-ter) ! Donald Trump veut réduire de

À g., tracé du mur anti-Mexicains, tel que voulu par Donald Trump. L’Amérique du futur président

et actuel milliardaire entend faire la guerre aux plus vulnérables, immigrés mais aussi pauvres, musulmans...

l’encontre de la politique de son prédé-cesseur, puisqu’il entend relancer lafracturation hydraulique pour obtenirdes gaz et pétrole de schis te . Onconnaît pourtant les dangers pour l’en-vironnement. Environnement, un terme

sept à quatre le nombre de tranches dubarème de l’impôt sur le revenu, pro-posant trois tranches de 12 %, 25 % et33 %, contre un taux maximal de39,6 % aujourd’hui. Il est égalementfavorable à une réduction de l’impôt

d’organisation de son équipe énumèreses fidèles et joyeux lurons tels queVisa, Coca Cola, General Electric,Verizon, HSBC, Pfizer, Dow Chemicalet Duke Energy… Les locataires de laK Street, une des principales avenuesde Washington connue pour abriter unepelletée de think tanks, lobbyisteset groupes de défense, n’ont d’ailleurspas caché leur satisfaction en pensantaux nouvelles opportunités que l’èreTrump augure. �

sur les sociétés de 35 % à 15 %. Pen-dant sa campagne, il a promis de pro-téger les plus fragiles, alors que la plu-part de ces baisses d’impôts seront descadeaux aux plus riches. Un désastrese prépare…

� Premières rivalitésDonald Trump a réussi son coup pré-

sidentiel grâce, pour une large part, auxBlancs moyens et pauvres, des électeursséduits par sa « promesse » de restaurerla voix, jamais entendue, des gensoubliés, victimes du big business et deWall Street. Un comble pour celui quis’entoure précisément de ces gens-là!

Ses soutiens viennent en effet desgroupes qu’il dénonce. Une charte

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L’entourage du vieux Donald : despoliticiens néoconservateurs, desploutocrates de grandes sociétés et…sa proche famille. Le futur vice-prési-dent, Mike Pense, mènera l’effort detransition de Trump. Une douzaine demembres a rejoint cette équipe : Rebe-kah Mercer, riche donatrice, dite « laplus puissante politique du GOP » ;Stephen Bannon, directeur de cam-pagne de Trump, Reince Priebus, pré-sident duComité national du Partirépublicain, Peter Thiel, cofondateur

22 Événement L’Amérique en Trump-l’œil

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bien travaillé ensemble pendant lacampagne et nous ont menés à une vic-toire historique. Maintenant je lesaurai tous les deux avec moi à la Mai-son-Blanche, où nous allons travaillerà rendre l’Amérique meilleure », acommenté Trump. Autrement dit,selon Reince Priebus lui-même : « Tra-vai l ler à créer une économie quimarche pour tout le monde, à sécurisernos frontières, à abroger et remplacerl’Obamacare et à détruire le terro-risme radical islamique. »

de PayPal, Marsha Blackburn, lareprésentan te du Tennessee à laChambre des représentants, ainsi quetrois des enfants de Donald Trump etson gendre.

Reince Priebus a été nommé au postede secrétaire général de la Maison-Blanche. Ce nouvel homme fort de lafuture administration Trump devra« partager » le président avec SteveBannon, nommé haut conseiller et chefde la stratégie. « Steve et Reince sontdes dirigeants très qualifiés qui ont

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Un système électoral unique et inique

C linton a remporté aisément le vote populaire : près dedeux millions de voix de plus que Trump, à l’heure oùnous écrivons, et peut-être plus après le décompte final,

selon les experts. Mais en récoltant un nombre plus élevé degrands électeurs, c’est bel et bien Trump qui est élu. Ce cas n’estpas nouveau : il est le 4e président élu qui perd le vote populairedans l’histoire des élections américaines. Avant lui, GeorgeBush battait Al Gore avec 543 816 voix de moins (2000),Rutherford B. Hayes battait Samuel Tilden avec 264 292 voixde moins (1876) et Andrew Jackson battait John Quincy Adamsavec 44804 de moins (1824). Retour sur ce système unique et…inique.

Aux États-Unis, faut-il le rappeler, les contradictions nedatent pas d’aujourd’hui. Écrite en 1776 par les glorieux Pèresfondateurs, la Déclaration unanime des treize États unis d’Amé-rique, plus connue sous le nom de Déclaration d’indépendancedes États-Unis d’Amérique, est introduite avec cette célèbrephrase : « Tous les hommes sont créés égaux » – et qu’importesi, à l’époque, la plupart desdits Pères étaient propriétaires d’es-claves ! Seul l’abolitionniste Thomas Day proposa en vain cetteformule pourtant plus conforme alors : « Tous les hommes libressont créés égaux », ajoutant : « S’il y a quelque chose de vrai-ment ridicule, c’est le patriote américain signant des résolu-tions d’indépendance avec une main et, avec l’autre, tenant unfouet sur son esclave effrayé. »

L’historien américain Howard Zinn, homme de gauche,auteur du chef-d’œuvre A People’s History of the United States,remet très justement les pendules à l’heure de cette Amériquedes scrutins : « La Constitution était un compromis entre lesintérêts des propriétaires d’esclaves du Sud et les intérêts finan-ciers du Nord. Dans le but d’unir les 13 États en un grand mar-ché commercial, les délégués nordistes voulaient des lois régu-larisant le commerce inter-États et que seule une majorité duCongrès soit nécessaire pour les valider. Le Sud était d’accordpourvu qu’il puisse continuer son marché des esclaves pendantquelque vingt années. »

Sur la question proprement dite des élections, la suggestionque le président soit élu par un vote populaire fut immédiate-ment refusée par les Pères fondateurs. Laisser le peuple déciderde qui allait diriger le gouvernement leur semblait trop risqué !Il fallait, selon leurs dires, des gens éduqués, cultivés…, bref

des hommes de pouvoir et d’argent, importants dans la commu-nauté, Blancs propriétaires (rappelons que les Noirs n’ontobtenu que très tardivement le droit de vote, et les femmes plustard encore).

On jugea donc que l’élection du président se ferait par ungroupe de gens répartis parmi les États. Aux législateurs de cesÉtats de choisir leurs représentants. Le collège électoral – uneexpression qui ne figure pas dans la Constitution adoptée en1787, mais qui s’imposera au début du XIXe siècle – désigneainsi l’ensemble des grands électeurs qui représentent le peupleaméricain chargés de choisir leur président. Le compromis futde créer un Congrès composé de deux Chambres : la Chambredes représentants, où chaque État dispose d’un nombre desièges proportionnel à sa population (un siège par tranche de800000 habitants environ, d’après un recensement effectué tousles dix ans), et le Sénat, où chaque État a deux sièges (nombreinvariable, quelle que soit sa population). Le collège électoralcomprend ainsi aujourd’hui 538 grands électeurs : 1 pour cha-cun des 435 membres de la Chambre des représentants, 1 pourchacun des 100 sénateurs et 3 pour la capitale, Washington.L’État le plus peuplé, la Californie, dispose de 55 votes (53représentants et 2 sénateurs) et les 8 États les moins peuplésn’en ont que 3 chacun (2 sénateurs et 1 représentant).

Les États décident eux-mêmes des modalités de leur collègeélectoral. La plupart d’entre eux optent pour des primaires – cer-tains autorisant seulement les membres de leur parti à voter,d’autres choisissant des primaires ouvertes. Moins nombreuxsont ceux qui organisent des caucus : tous les membres du partise rassemblent puis débattent des heures durant pour désignerleurs représentants. Les délégués choisis doivent, en principe –cela n’est pas toujours vrai –, voter pour celui qui a gagné dansleur État. Il faut savoir enfin que dans chaque État, le parti quiobtient la majorité des votes récolte tous les grands électeurs decet État : c’est le « winner take all » ou « le gagnant prendtout »… exception faite de deux États, ceux du Maine et duNebraska, qui ont adopté la proportionnelle.

Ainsi, dans cette élection tout à fait indirecte telle que vouluepar les Pères fondateurs, le président Trump non seulement a étéélu sur des calculs d’apothicaires, mais en outre n’a pas bénéfi-cié pas du choix populaire ni ne peut se targuer d’avoir comptésur un quelconque processus démocratique. �

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CES QUATRE PROCHAINES ANNÉES, LE NOUVEAU PRÉSIDENT TENTERA

DE METTRE À MAL TOUTES LES RÉALISATIONS DE BARACK OBAMA.

Donald Trump a remporté la présidentielle en jouant habilement

sur la peur de l’autre, de l’étranger, des différences identitaires et religieuses.

deux centres de pouvoir pour lesencourager à se battre entre eux. Unclassique.

Pour tout dire, le seul vrai entouragedu président porte son nom : sa filleaînée Ivanka (de sa première femme),ses deux fils aînés, surtout son gendreJared Kuchner (mari d’Ivanka). Ilsn’ont guère d’expérience politique,mais sont particulièrement écoutés parle patriarche. Celui-ci a donc annoncéque ses enfants vont d i r iger ses

en espérant devenir intouchable. Ceuxqui connaissent et « prat iquent »Donald Trump confient qu’il met dusien sans compter… tant qu’il estenthousiaste ! Car lorsqu’il en a assez,il perd sa motivation et rien ne va plus.Comportement d’un enfant gâté ?Sans doute . Le fu tur prés ident ad’ailleurs annoncé qu’il n’habitera pasà plein temps à la Maison-Blanche,car il désire passer son temps entre sesTrump Tower à New York et son Mar-

a-Lago en Floride. L’homme refused’assumer des responsabilités qu’iln’a ime pas . C’es t pour le moinsinquiétant pour la suite.

Au cours des huit dernières années,le président Obama, ne lésinant passur l e s dépenses fédéra les , a suréduire de manière spectaculaire lesinégalités. Ces quatre prochainesannées, le nouveau président, aidé parses majorités républicaines au Sénatet à la Chambre des représentants,tentera sans doute de mettre à maltoutes ces réalisations. À commencerpar l’Obamacare, qui a ramené lepourcentage des non-assurés de 16 %en 2010 à 9 % aujourd’hui, une amé-lioration des conditions de vie desplus vulnérables sans précédent dansl’histoire du pays. Si cette mesure debon sens venait à disparaître, il serab ien tô t ex t rêmement dur d ’ê t repauvre en Amérique, préviennent lescommentateurs politiques.

Même le GOP s’inquiète. Il a parexemple conscience que le pays serapénalisé et paralysé s’il devait se pri-ver de la main-d’œuvre immigrée bonmarché – Trump lui-même n’a-t-il pasfait construire toutes ses tours par lesLatinos et autres immigrés ? Tout lemonde prévoit qu’avec le plan écono-mique de ce richissime acteur de l’im-mobilier et du théâtre, la vie va bientôtdeveni r un enfer pour un grandnombre de gens.

Peti t rayon de solei l dans cet teAmérique plongée dans la pénombre :le fameux écrivain et réal isateurengagé Michael Moore est l’une destrès rares personnalités à avoir préditla victoire de Trump – en mars der-nier ! Ce fervent supporter de BernieSanders habite Flint dans le Michi-gan, au cœur du Middle West améri-cain, l’un de ces fameux territoiresdésindustrialisés, vivier du nouvelélectorat trumpiste. Michael Moore,qui a compris que ces Américainsdésœuvrés allaient croire toutes lespromesses que le Républicain leurservait dans une assiette vide, a faitun autre pronostic : le premier mandatdu président finira par sa démission,par ennui ou impeachment. « Nousn’allons pas avoir besoin de souffrirpendant quatre années parce queTrump n’a aucune idéologie, saufcelle qui est bonne pour lui », a pro-mis le cinéaste. Espérons que l’avenirlu i donnera , une fo i s de p lus ,raison... �

Mais derrière ce savant et effrayantmélange d’idéologie d’extrême droite,d’ultra-conservatisme et de racisme –qui a même fait sursauter l’establish-ment républicain –, ces deux nominésne sont pas aussi liés qu’ils veulentfaire croire. Des rivalités se font déjàsentir à la Maison-Blanche. Bannon apar exemple exigé de rendre descomptes au prés ident sans avoi rbesoin de passer par son acolyte Prie-bus. En fait, la mise en compétition dedeux lignes d’autorité correspond toutà fai t au s tyle de management del’homme d’affaires – dans son busi-ness comme dans sa campagne : il crée

affaires tout en étant membres de sonéquipe de transition, une décision quisoulève des inquiétudes sur la possibi-lité très certaine de conflit d’intérêts.Rappelons que Trump a déjà 75 pro-cès en attente, qu’il essaie de retarderjusqu’à son entrée officielle dans leBureau ovale. En cela, il détient déjàun record, dépassant de loin celui dufameux Nixon. Allant contre ses« principes », il a déjà versé 25 mil-lions de dollars à d’anciens étudiantsde sa défunte « Trump University »,pour mettre fin aux poursuites dont ilfaisait l’objet. Pour le reste, il joue lamontre jusqu’au fauteuil présidentiel

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Une chose est sûre. L’élection deDonald Trump restera dans lesannales. Voilà un candidat réputéconservateur, voire réactionnaire,qui a fulminé avec une rare vio-

lence contre les vautours de la finance, qui aincriminé le poids excessif des lobbies, qui adénoncé les méfaits du libre-échange, et qui afustigé une politique étrangère erratique, large-ment responsable du chaos dont souffre leMoyen-Orient.

Par un retournement de situation sur lequel la« gauche » européenne devrait sérieusementméditer, ce milliardaire qui a fait fortune dansla jungle de l’immobilier new-yorkais s’esttransformé en porte-parole des sans-voix, desdéclassés, des ruraux, de la middle class frap-pée par la crise, du monde ouvrier laminé par lamondialisation, mais aussi de tous ceux qu’hor-ripilait la manie néoconservatrice de régenterles affaires du monde au lieu de redresser l’éco-nomie du pays.

Le magnat des gratte-ciel, le businessmansans complexe qui jette aux orties la political correctnessa envoyé dans les cordes, contre toute attente, une adver-saire pleine de morgue qui se croyait déjà installée sur lefauteuil présidentiel. Donnée gagnante par les préposésmédiatiques au bourrage de crâne, Hillary Clinton a bel etbien subi la défaite parce qu’elle était la candidate de cetestablishment politique, médiatique et financier que lesclasses moyennes et populaires rendaient responsable deleur appauvrissement depuis la crise.

� Et pourtant, elle a perdu…Autre handicap de la candidate démocrate : elle susci-

tait la méfiance de ces électeurs proches d’une gauchefrustrée par l’élimination frauduleuse de Bernie Sanders àl’occasion de primaires truquées. Les États de la RustBelt, le Michigan, l’Indiana, l’Iowa, mais aussi la Penn-sylvanie ont voté pour Trump ou se sont abstenus fauted’avoir pu voter pour Sanders. Enfin, et ce n’est pas ano-din, le crédit personnel de Mme Clinton fut miné par uneavalanche de révélations qui dessinèrent le portrait d’unepoliticienne assoiffée de pouvoir, hypocrite, cupide, etcompromise jusqu’à l’os avec ses bailleurs de fonds wah-habites.

La candidate démocrate bénéficiait du soutien quasiunanime des lobbies, des médias et des stars du show-biz.Elle a dépensé des sommesastronomiques, quatre àcinq fois supérieures aubudget de son adversaire.Les conditions objectiveséta ient réunies pour lu i

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assurer la victoire. Et pourtant elle a perdu.Elle a cru, en effet, qu’il suffisait de caresser

dans le sens du poil les minorités et d’agiter lespectre du racisme et du sexisme pour battreson adversaire. Mais l’accusation de racismesonnait étrangement dans la bouche d’une ex-secrétaire d’État qui a littéralement gloussé deplaisir devant le cadavre mutilé d’un chef d’É-tat arabe. De même, son équipe n’a pas com-pris que le problème de l’immigration illégaleexistait aussi dans la réalité, et pas seulementdans l’imagination des partisans du candidatrépublicain. L’administration Obama ayantexpulsé des centaines de milliers de clandes-tins, Hillary Clinton et ses amis étaient bienplacés pour le savoir.

On pourrait faire la même remarque à pro-pos de l’accusation de sexisme. Parce qu’ellereçut dix millions de dollars d’une monarchieobscurantiste où l’on décapite au sabre lesfemmes adultères, Hillary Clinton n’était pasvraiment qualifiée pour traiter son adversaired’affreux macho. Elle donnait des leçons de

respectabilité internationale à Donald Trump, mais sonexpérience du pouvoir, au Département d’État, a surtoutlaissé une traînée de sang libyen et syrien.

Les adversaires du candidat républicain n’ont pas vouluvoir ce qui se passait. Ils ont fait des gorges chaudes desdéclarations démagogiques de Donald Trump sur lesimmigrés mexicains ou les musulmans étrangers. Maisc’est la charge contre le libre-échange qui fut le leitmotivde sa campagne. Il a critiqué sans relâche l’OMC etdénoncé une globalisation responsable de la destructiondes emplois. Opposé à la libéralisation effrénée du com-merce mondial, il s’est prononcé sans équivoque pourl’instauration de barrières tarifaires. Dans une classeouvrière ruinée par la concurrence chinoise, cet éloge duprotectionnisme passait beaucoup mieux que les odes deMme Clinton aux droits des LGBT (lesbiennes, gays,bisexuels et trans).

� Il est de droite, mais est-elle vraiment de gauche ?Vainqueur des élections, ce porte-parole d’une couche

entrepreneuriale arrimée au sol américain promet, une foisintronisé, de rénover des infrastructures publiques déla-brées (routes, ports, aéroports). Il veut conforter l’indé-pendance énergétique des États-Unis au détriment de l’en-vironnement, ce qui est un choix évidemment contestable.

Il s’allie à des ultras conser-vateurs adeptes du créa-tionnisme dont le principalreprésentant est Ben Car-son, un républicain afro-américain. Il a le soutien

Ex-haut fonctionnaire,

analyste politique

et chargé de cours

à l’université

de la Réunion.

Il est l’auteur de cinq

ouvrages, dont

Aux origines du conflitisraélo-arabe.

L’invisible remordsde l’Occident,

L’Harmattan, 2002.

D.

R.

La tornade TrumpPar Bruno Guigue

UN ÉLOGE DU PROTECTIONNISME

QUI A SÉDUIT L’ÉLECTORAT AMÉRICAIN.

Décembre 2016 � afrique asie

Page 25: Amérique Trump-l’œil - CETIM · avoir misé sur la victoire de Donald Trump. Se sentant humilié par Obama, qui a refusé de lui serrer la main lors de son passage à l’Onu,

d’une fraction de l’oligarchie capitaliste qui entend bientirer profit de ce New Deal républicain.

Donald Trump est de droite, mais Hillary Clinton est-ellede gauche ? Il faudrait le demander à Goldman Sachs qui afinancé sa campagne et aux 30 000 Libyens victimes de sa

politique. Leur projet économiquerespectif les opposait. Pour gagnerla compétition économique mon-diale, Clinton voulait pousser lesfeux de la mondialisation libérale àl ’abri d’un apparei l mil i ta i redémentiel. Trump veut assignerdes limites à la mondialisation etprotéger l’économie nationale des

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� Défenseur des thèses israéliennesDans les jours qui ont suivi son élection, Donald

Trump a appelé Vladimir Poutine. I l a déclaré à lapresse qu’en Syrie la politique de son administrationserait de combattre Daech, et non la Russie et la Syrie.Pour le futur président, la politique étrangère d’Obamaest un fiasco dont il faut tirer les leçons. Durant la cam-pagne, il a martelé son opposition à l’intervention mili-taire des États-Unis à l’étranger lorsque leurs intérêtsvitaux ne sont pas en jeu. Il l’a dit clairement : la guerrepar procuration en Syrie comme l’intervention en Libyeont semé un chaos dont Barack Obama et Hillary Clin-ton sont responsables.

De même qu’il a récusé le libre-échangisme, Trump a

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turbulences planétaires. Il entend promouvoir un capita-lisme national qui s’appuie sur la réindustrialisation dupays, tandis que son adversaire misait sur la prolifération àl’échelle planétaire d’activités de services. En politiqueétrangère, Hillary Clinton voulait prolonger à tout prix le« chaos constructif ». Le nouveau président pense que cettepolitique est contraire aux intérêts des États-Unis.

répudié le néoconservatisme en casque lourd. Simultané-ment, son adhésion aux thèses israéliennes sur Jérusalem enfait un défenseur intransigeant de la politique sioniste. Quelrôle joueront les États-Unis sur la scène internationale sousla présidence de ce conservateur déjà soumis à desinfluences contradictoires ? Il est difficile de prévoir ce quesera sa politique étrangère, même si ses déclarations lais-sent présager une révision de l’unilatéralisme mâtiné desmart power légué par les présidences précédentes. Waitand see ! �

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Donald Trump, ici avec sa famille : une victoire

sur l’establishment politique, médiatique et financier.

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Barack Obama Le président américain a obtenu le Nobel dela paix en 2009, neuf mois seulement après sa premièreélection. En guise d’encouragement ? Libye, Palestine, Syrie,Yémen… Les augures se sont largement trompés : en huit ansà la Maison-Blanche, celui sur qui la planète comptait pourapaiser les tensions dans le monde a un bilan guerrier« exceptionnel ».

Prix Nobelde l’hypocrisie

26 Événement L’Amérique en Trump-l’œil

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Par Ahmed Bensaada

Lorsque le prix Nobel de la paixfut décerné en 1906 à TheodoreRoosevelt (président des États-

Unis de 1901 à 1909), le New YorkTimes commenta ainsi la nouvelle :« Un large sourire illumina le visagedu globe quand le prix a été attribué…au ci toyen le plus bel l iqueux desÉtats-Unis. » Environ un siècle plustard, un journaliste du même NewYork Times se questionnait : « Alors,que pensez-vous du président Obamaremportant le prix Nobel de lapaix […] il me semble que cela auraitété logique d’attendre et de donner àObama le prix Nobel de la paix danssa huitième année en poste, aprèsqu’il eut effectivement fait la paixquelque part. »

Il s’agissait bien sûr du prix Nobelde la paix attribué au président BarackObama en 2009 « pour ses effortsextraordinaires pour renforcer ladiplomatie et la coopération interna-tionale entre les peuples ». Tout çaneuf mois à peine après son élection ?Comment était-ce possible?

� Un monde arabe saigné, éventré, étripé… Du haut des huit années écoulées –

et à des années-lumière du ronflant« Yes, we can ! » –, on peut effective-ment contempler l’étendue de la paixqu’il a contribué à créer et à dissémi-ner dans le monde arabe.

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Un monde arabe ruiné par une sai-son funeste qu’il a contribué à créer etqu’on a fallacieusement baptisée« printemps ».

Un monde arabe saigné, éventré,étripé et dont le sang de ses citoyensgraffite les décombres et arrose leschamps.

Un monde arabe hanté par des créa-tures barbues coupeuses de têtes,friandes de chair humaine et annihila-trices d’espoir.

Un monde arabe devenu le théâtrede la plus grande t ranshumancehumaine depuis la Seconde Guerremondiale.

Un monde arabe où les tensions reli-gieuses ont été nourries, attisées etexacerbées : musulmans contre chré-tiens, sunnites contre chiites et sun-nites contre sunnites.

Un monde arabe dont les citoyensvivant en Occident endurent les affresd’une islamophobie nauséabonde, lapire de l’histoire contemporaine.

Au fait, n’est-ce pas Obama quiavait pompeusement déclaré dansson « fameux » discours du Caire ?« Je suis venu chercher un nouveaucommencement entre les États-Uniset les musulmans du monde entier. »

UN MONDE ARABE RUINÉ PAR UN « PRINTEMPS » FUNESTE

QUE BARACK OBAMA A CONTRIBUÉ À CRÉER.

Et aussi : « Les peuples du mondepeuvent vivre ensemble en paix […]cela doit être notre travail, ici surTerre. »

Mais qui est donc censé être récom-

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impérativement relire le testamentd’Alfred Nobel ou, du moins, changerde boule.

En effet, la cristallomancie ne leura-t-elle pas révélé que, chaque mardi,Obama décide personnellement quellespersonnes doivent être liquidées àl’aide de drones ? Et que la majo- �

� Les « mardis de la mort » d’ObamaComment le comité Nobel peut-il

prétendre qu’Obama a œuvré dans lapromotion de la paix alors qu’il venaitd’être élu ? Était-ce un prix pour desactions futures que ce comité auraitvues dans une boule de cristal norvé-gienne ? Si c’est le cas, ce comité doit

Au vu de l’œuvre de paix de Barack, le comité Nobel doit impérativement

relire le testament d’Alfred ou, du moins, changer de boule !

pensé par le prix Nobel de la paix ? Letestament d’Alfred Nobel est pourtantclair : « Une personne qui aura accom-pli le plus grand et le meilleur travailpour la fraternité entre nations, pourl’abolition ou la réduction des forcesarmées et pour la tenue et la promo-tion de congrès pour la paix. »

Page 28: Amérique Trump-l’œil - CETIM · avoir misé sur la victoire de Donald Trump. Se sentant humilié par Obama, qui a refusé de lui serrer la main lors de son passage à l’Onu,

CHAQUE MARDI, OBAMA DÉCIDE PERSONNELLEMENT QUELLES

PERSONNES DOIVENT ÊTRE LIQUIDÉES À L’AIDE DE DRONES.

rité des victimes de ces « mardis de lamort » sont des cibles civiles ?

Certes, Obama a détendu l’atmo-sphère avec l’Iran et a réchauffé lesrelations diplomatiques avec Cuba.

Par contre, il a fortement contribué àrecréer un climat de nouvelle guerrefroide avec la Russie, avec tout ce quecela peut comporter comme dangers àl’échelle planétaire. En effet, le rôleactif de son administration dans l’aideaux néonazis ukrainiens lors des évé-nements dramatiques de l’Euromaïdana permis la réussite d’un coup d’Étaten règle en Ukraine.

Cet épisode de flagrante ingérenceétasunienne n’est, au demeurant, quele remake sanglant d’une certaine« révolution orange » d’un célèbre« pacifiste » américain nommé G.W. Bush. Un président malchanceuxqui n’a « malheureusement » pas étéhonoré par le comité Nobel, bien qu’ilait assidûment œuvré à la destructionde quelques pays musulmans, sansoublier ses remarquables efforts dansla popularisation du lancer de chaus-sures.

Il va sans dire que la déstabilisationde l’Ukraine, pays limitrophe de laRussie – avec laquelle elle partage desliens historiques, culturels et écono-miques – a eu pour effet de perturbersérieusement toute la géopolitique dela région et de créer des tensions entrel’Europe et Moscou.

À ce sujet, le journaliste australienJohn Pilger mentionne que : « L’admi-nistration Obama a fabriqué plusd’armes nucléaires, plus de têtesnucléaires, plus de systèmes de vec-teurs nucléaires, plus de centralesnucléaires. Les dépenses en têtesnucléaires à elles seules ont plus aug-menté sous Obama que sous n’importequel autre président américain ».

Avant d’ajouter : « Au cours des dix-huit derniers mois, la plus grandeconcentration de forces militairesdepuis la seconde Guerre Mondiale —opérée par les USA — a lieu le longde la frontière occidentale de la Rus-sie. Il faut remonter à l’invasion del’Union Soviétique par Hitler pourtrouver une telle menace envers laRussie par des troupes étrangères ».

Dans le conflit palestinien, les pro-messes e t les a t tentes é ta ientimmenses. Le premier président noirdes États-Unis, affublé de l’auréoledes saints et drapé d’un incommensu-rable charisme médiatique, ne pouvait

28 Événement L’Amérique en Trump-l’œil

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rester indifférent au sort des Palesti-niens qui ont été spoliés de leur terreet dont on a bafoué les droits les plusélémentaires. Il se devait d’agir, sur-tout après son « célèbre » discoursdu Caire : « Pendant des dizainesannées, il y a eu une impasse [...]. [...]la seule solution pour répondre auxaspirations des deux côtés passe pardeux États [...]. C’est pourquoi j’ail’intention de rechercher personnelle-ment cette solution, avec toute lapatience que la tâche requiert. Lesobligations que les parties ont contrac-tées dans le cadre de la feuille deroute sont claires. Pour que la paixadvienne, il est temps pour elles – etpour nous tous – de prendre nos res-ponsabilités. »

� L’« honnête intermédiaire »a abandonné les Palestiniens

Obama a tellement pris ses respon-sabilités au sérieux qu’il est probable-ment le président américain qui a faitle moins d’efforts pour résoudre leproblème palestinien. Pendant sesdeux mandats successifs, la colonisa-tion des terres palestiniennes a conti-nué de plus belle et pas moins de deuxmassacres ont été perpétrés par Israëldans la bande de Gaza. Des milliersde morts et un désastre humanitaire endirect dans tous les médias mains-tream, sans que cela ne fasse sour-c i l ler le locata i re de la Maison-Blanche.

Écoutons ce que dit Alain Franchonsur ce chapitre : « Dans ce conflit, lesÉtats-Unis disaient assurer, depuis 26ans, le rôle d’“honnête intermé-diaire”. C’en est fini de cette ambi-tion. La présidence de Barack Obamaaura entériné un mouvement amorcédepuis les années 1990 : Washingtonabandonne, de facto. » [...] La positionde départ de l’Amérique a changé.Elle se refuse a priori à la moindrecontrainte sur Israël. »

Pis encore. Juste avant la fin de sondeuxième et dernier mandat, il vientde faire un splendide cadeau à Israëlen guise de félicitations pour leurexcellent travail de nettoyage ethniqueet de colonisation efficace et continuede la Palestine : une aide militaire sans

précédent de 38 milliards de dollarssur 10 ans ! Plus de morts, plus decolonisation, plus de haine…

Mais pouvait-on s’attendre à mieuxde la part de ce président ? Que nenni.Dans un article publié le 20 janvier2009, jour de sa première investiture,j’écrivais, à propos de son programme:

« Dans le chapitre de la politiqueétrangère du président Obama consa-cré à l’État hébreu, le titre est élo-quent , voire racoleur : “BarackObama et Joe Biden : un solide dos-sier de support à la sécurité, la paix etla prospérité d’Israël”. Parmi lesactions de la nouvelle présidence, onpeut lire : “Assurer un solide partena-riat USA-Israël, soutenir le droit àl’autodéfense d’Israël et soutenir uneassistance étrangère à Israël”. Dansles détails du dernier point, on peutlire que le président Obama et sonadjoint s’engagent à toujours fournirl’aide annuelle dans le domaine mili-taire et l’assistance économique àIsraël. Ils recommandent fortementl’augmentation des budgets et appel-lent à poursuivre la coopération avecIsraël dans le développement des mis-siles de défense. »

Promesses tenues, n’est-ce pas?

� Kadhafi ? « We came, we saw, he died ! » Dans le dossier libyen, alors qu’une

solution pacifique était à portée demain, Obama a opté, de concert avecsa secrétaire d’État Hillary Clinton,pour l’élimination de Kadhafi et ladévastation totale de la Libye. « Wecame, we saw, he died ! » C’est ainsique la candidate malheureuse à la pré-sidentielle du 8 novembre s’étaitesclaffée à l’annonce du sordide lyn-chage du chef libyen, avec un glousse-ment de bonheur et des yeux pétillantsde joie.

En sous-traitant la destruction de laLibye à ses alliés européens et arabesdu Golfe, l’administration américainea non seulement provoqué la mort demilliers de Libyens, mais a réussi àtransformer ce pays naguère prospèreen une contrée où règne le chaos et oùsévissent des hordes de djihadistesislamistes. Et comme dans le cas del’Ukraine, l’instabilité générée en

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dollars par an pour armer et entraînerles rebelles syriens. De nombreuxtémoignages et enquêtes montrentque l’administration américaine aideles « coupeurs de gorges » et « dévo-reurs de cœurs » djihadistes dans lebut de renverser le gouvernementsyrien.

� Casques blancs, courteaux rouge sanget bannière étoilée en Syrie

Pour les rendre plus « sympa-thiques » aux yeux de l ’opinionpublique, des spécialistes de relationspubliques ont été chargés de leur don-ner un look « respectable » . Parexemple, les médias du monde entiernous ont inondés d’images de sauve-teurs héroïques, risquant leurs viespour protéger celles de leurs conci-

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IL VIENT D’OFFRIR UN SPLENDIDE CADEAU À ISRAËL : UNE AIDE MILITAIRE

SANS PRÉCÉDENT DE 38 MILLIARDS DE DOLLARS SUR 10 ANS.

de ce début de siècle.Et les chiffres de ce pays ruiné sont

éloquents : près d’un demi-million demorts, plus de 50 % de la populationdéplacée, dont presque 5 millions ontfui à l’étranger. Selon de récentes don-nées de la Commission européenne :« Les réfugiés syriens constituentdésormais la plus importante popula-tion de réfugiés au monde issue d’unmême pays sur une même généra-tion. »

D’après le Washington Post, la CIAdépense pas moins d’un milliard de

Libye a métastasé dans toute la région,affectant durablement de nombreuxpays africains voisins.

La « printanisation » de la Syriereprésente sans aucun doute le sum-mum de la politique « pacifiste » duprésident Obama. Initiée par des mani-festations non violentes d’apparencespontanée, la révolte populaire de larue syrienne a été méticuleusementconcoctée par des organismes améri-cains d’« exportation » de la démocra-tie. Elle s’est rapidement métamorpho-sée en guerre civile, la plus effroyable

La présidence d’Obama n’a été qu’un vulgaire déplacement d’air qui cache

des drones tueurs, des guerres froides, des printemps véreux et des barbus sanguinaires.

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ALORS QU’UNE SOLUTION PACIFIQUE ÉTAIT À PORTÉE DE MAIN, OBAMA

A OPTÉ POUR L’ÉLIMINATION DE KADHAFI ET LA DÉVASTATION DE LA LIBYE.

toyens bombardés par l ’aviat ionsyrienne. Ces « héros » reconnais-sables à leurs casques blancs – les« White Helmets » – sont devenus lesvedettes d’un film documentaire pro-duit en leur honneur par Netflix. Ilsont même été proposés au prix Nobelde la paix par des stars américainescomme George Clooney, Ben Affleck,Daniel Craig ou Justin Timberlake.Rien que ça.

Dans deux remarquables articles, lejournaliste Max Blumenthal démontetoute la machine de propagande qui secache derrière les White Helmets. Ces« téméraires » sauveteurs ne sont enréalité que des djihadistes casqués,financés par l’United States Agencyfor Internat ional Development(USAID), le plus important des orga-nismes américains d’« exportation »de la démocratie. Un document dudépartement d’État datant du27 avril 2016 révèle que cet organismea financé les White Helmets à hauteurde 23 millions de dollars. Une petitepartie du magot d’environ 340 mil-lions de dollars prévu par USAID pour« soutenir les activités qui poursuiventune transition pacifique vers une Syriedémocratique et stable ».

Un des plus grands succès des spé-cialistes de relations publiques tra-vaillant avec les rebelles syriens estl’affaire du « petit garçon sur le siègeorange ». Il s’agit de la photographieesthétiquement émouvante d’un petitgarçon syr ien de 5 ans nommé« Omran Daqneesh ». La photo, qui afait le buzz sur Internet, a été aussi lar-gement diffusée dans les médiasmainstream. Elle montre un enfantassis sur le siège orange d’une ambu-lance, couvert de poussière, le visageensanglanté et le regard hagard. L’en-fant aurait été extrait des décombresd’un quartier de la ville d’Alep par lesWhite Helmets.

La photographie est si poignantequ’elle a fait réagir un enfant améri-cain de 6 ans, Alex, qui a écrit au pré-s ident Obama en personne. I l luidemanda de faire le nécessaire pourramener le petit Omran aux États-Unisafin de l’accueillir dans sa maison etpartager avec lui ses jouets et ceux desa sœur.

Ah! Les beaux sentiments des jeunesenfants ! Aussi beaux que la photo dupetit Omran ! Si beaux que la lettre aété publiée in extenso sur le site de laMaison-Blanche accompagnée d’une

30 Événement L’Amérique en Trump-l’œil

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vidéo du petit Alex. L’écriture hési-tante du jeune américain, puérile etappliquée, a fait craquer la blogo-sphère, autant que la photo du « petitgarçon sur le siège orange ».

� Le petit clic gagnant d’un admirateurde djihadistes sanguinaires

Mais c’est en s’intéressant à la per-sonne qui a photographié le jeuneSyrien blessé que l’histoire devientcroustillante. Le photographe est uncertain Mahmoud Raslan qui travailleavec l’Aleppo Media Center (AMC).Selon certains observateurs de la scènesyrienne, l’AMC est financé par legouvernement des États-Unis, maisaussi par celui de la France et de laGrande-Bretagne.

Le plus dramatique, c’est que Mah-moud Raslan ne cache pas sa sympa-thie pour des djihadistes barbares, enparticulier ceux d’Al-Zinki, ce groupede rebelles qui a été accusé parAmnesty International d’enlèvements,de tortures et d’exécutions sommaires.Ces mêmes rebelles qui ont égorgé,quelques semaines plus tôt, un enfantde 12 ans et qui ont poussé l’horreurjusqu’à se filmer en train de commettreleur abominable forfait, crime horriblequi n’a pas connu le même battagemédiatique que celui du petit Omransauvé par les White Helmets . Cesmêmes rebelles que les États-Unisfinancent, arment et dont ils payent lessalaires par l’intermédiaire du Centred’opérations commun Mom.

Y a-t-il eu des lettres écrites au pré-sident Obama pour dénoncer le com-portement bestial de ces rebelles ? Desmissives pour pleurer le jeune garçondécapité ? La réponse est, bien sûr,négative.

La Maison-Blanche a largementmédiat isé la le t t re du pet i t Alex.Obama l’a lue dans son discoursdevant les dirigeants du monde entierlors du sommet sur les réfugiés quis’est tenu à l’Onu, le 20 septembredernier. Il a ensuite posté le messagesuivant sur sa page Facebook : « Cesont les paroles d’un garçon de 6 ans :un jeune enfant qui n’a pas appris àêtre cynique, suspicieux, ou à avoirpeur des autres en raison de là d’où

ils viennent, de quoi ils ont l’air ou decomment ils prient. […] Imaginez àquoi le monde ressemblerait si nousétions tous comme Alex. »

Ce fut « un très joli coup de com »,selon certains. C’est le moins qu’onpuisse dire, car s’il est vrai que lavérité sort de la bouche des enfants,elle sort rarement de celle des adultes.

Surtout de celle d’un adulte qui est àla tête du pays le plus puissant dumonde et qui a le pouvoir de mettrefin au malheur des « Omran » ou audrame des « Aylan ».

� Derrière la com, l’industriede la mort américaine prospère

Mais, au lieu de cela, il continue àfinancer, soutenir et provoquer lesmalheurs et les drames.

Le petit Alex devrait savoir quependant les deux mandats du présidentObama, des centaines d’« Aylan » etdes milliers d’« Omran » palestiniensont été victimes des bombes israé-liennes sans que cela puisse souleverla moindre indignation de l’adminis-tration américaine.

Que des centaines d’« Aylan » etd’« Omran » yéménites souffrent tousles jours le martyre sous des bombesfournies par les États-Unis à l’Arabiesaoudite, son fidèle allié, pays bellicisteet moyenâgeux. Avec ses milliers demorts, dont le tiers est des enfants« l’horreur au Yémen révèle l’hypocri-sie meurtrière des exportateurs d’armestels que la Grande-Bretagne et lesÉtats-Unis ». Malgré cela, l’administra-tion Obama n’a jamais cessé d’aiderl’industrie de la mort saoudienne:

« L’administration Obama a réaliséplus de 110 milliards de dollars detransactions d’armes avec la monar-chie saoudienne. L’armée américainecontinue de ravitailler les avions de lacoalition et de fournir des renseigne-ments et les responsables américainset britanniques ont physiquement ren-contré les Saoudiens qui bombardent[le Yémen]. »

Dans un édi tor ia l du New YorkTimes intitulé « Les États-Unis sontcomplices dans le carnage au Yémen »,on peut lire : « Les experts [améri-cains] disent que la coalition [dirigée

D. R

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L’ami d’Israël a été un fidèle parmi les fidèles : pendant ses deux mandats,

deux massacres ont été perpétrés à Gaza, faisant des milliers de morts palestiniens.

L’ADMINISTRATION AMÉRICAINE AIDE LES « COUPEURS DE GORGES »

ET « DÉVOREURS DE CŒURS » DJIHADISTES.

par l’Arabie saoudite] serait clouée ausol sans le soutien de Washington. »

On devrait aussi présenter à Alexl’illustre Madeleine Albright, l’an-cienne secrétaire d’État américaine quiavait déclaré que la mort des 500 000enfants irakiens à cause de l’embargoaméricain était un prix « qui en valaitla peine ». Et pourquoi ne pas lui men-tionner aussi, en passant, que le prési-dent à qui il a écrit sa belle lettre arécompensé Mme Albright en lui décer-nant, en 2012, la Médaille présiden-tielle de la liberté, la plus haute dis-tinction civile des États-Unis?

� Belles paroles et actes mauvais On ne peut qu’être d’accord avec le

Washington Post sur ce point : « Entant que président, les plus grandsmoments d’Obama ont souvent été desallocutions. » Du discours du Caire(juin 2009) à celui de l’Onu (sep-tembre 2016), la présidence d’Obaman’a été qu’un vulgaire déplacementd’air qui cache des drones tueurs, desguerres froides, des printemps véreuxet des barbus sanguinaires. C’est pro-bablement pour cette raison que l’an-cien directeur de l’Institut Nobel nor-végien a déclaré : « Barack Obama

s’est montré indigne de son prix depuisqu’il l’a reçu. »

Il est évident que l’échec cuisant desa protégée, Hillary Clinton, auxrécentes élections présidentielles amé-ricaines est un flagrant désaveu de sapolitique belliqueuse et destructivequ’il a soigneusement cultivée huitannées durant.

Mais en mêlant l’innocence despetits Omran et Alex à sa gestion cala-miteuse des affaires du monde, le seulprix Nobel qui devrait être officielle-ment décerné à Obama après ses deuxmandats est celui, bien mérité, de l’hy-pocrisie professionnelle. �

� Le texte intégral d’Ahmed Bensaada,

avec ses 50 annotations explicatives,

est à retrouver sur le site

www.afrique-asie.fr.

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Par Christine Abdelkrim-Delanne

Au cours de ses deux mandats,Barack Obama s’est rendu envisite officielle dans sept pays

d’Afrique subsaharienne (1). Deuxpériples – au Ghana, en juillet 2009,au début de son premier mandat, et satournée au Sénégal, en Afrique du Sudet en Tanzanie, au début de son secondmandat, en juin 2013 – ont été plusparticulièrement l’occasion, pour leprésident américain, de développer lesgrands axes de sa politique étrangèreafricaine, « enracinée dans les intérêtssécuritaires, politiques, économiqueset humanitaires ».

À Accra, il définit les « nouveaux rap-ports » qu’il entend instaurer avecl’Afrique. Insistant sur la « force de ladémocratie ghanéenne », Barack Obamafait de la stabilité politique et des perfor-mances économiques du pays unexemple pour toute l’Afrique, et veut un« partenariat fondé sur la responsabilitéet le respect mutuels ». « C’est aux Afri-cains de décider l’avenir de l’Afrique »,répète-t-il sous diverses formes, tout enponctuant son discours de conseils, demises en garde, voire d’exigences.« L’Afrique n’a pas besoin d’hommesforts, mais d’institutions fortes! »

� Grossière pirouette La démocratie, le potentiel écono-

mique, la santé et le règlement paci-f ique des confl i ts sont les quatrethèmes « afr icains » pr ivi légiés .L’Amérique « va tendre la main defaçon plus responsable ». Le présidentaméricain annonce une aide de 3,5 mil-liards de dollars pour la sécurité ali-mentaire en Afrique, mais centrée surde nouvelles méthodes et technologiesagricoles. Il en annonce une autre de63 milliards pour « la stratégie exhaus-tive et mondiale » de santé, dans l’in-térêt du continent africain et, donc,aussi, des États-Unis, explique-t-il. Lethème de la résolution pacifique desconflits est plus difficile à défendre

Afrique/États-Unis Malgré son charisme, Barack Obama a déçu les Africains. Ses discoursredondants, moralisateurs et parfois paternalistes n’ont pas vraiment répondu à leurs attentes.

Le rendez-vous manqué

32 Événement L’Amérique en Trump-l’œil

Décembre 2016 � afrique asie

pour le président d’un État caractérisépar une politique militariste de super-puissance qui a semé la mort sur tousles continents. Il contourne la diffi-culté par une grossière et choquantepirouette : « Si l’on est honnête, pour

IL OUVRE LES MARCHÉS AMÉRICAINS AUX PAYS AFRICAINS,

À CONDITION D’OBSERVER LES RÈGLES FIXÉES PAR WASHINGTON.

beaucoup trop d’Africains, le conflitfai t part ie de la v ie . I l es t aussiconstant que le soleil… », dit-il, ajou-tant, très paternaliste, « Nous sommestous des enfants de Dieu. »

En Afrique, Barack Obama jouit

Développement et mégawatts

Au cours des deux mandats de la présidence Obama, les États-Unis ontaugmenté l’aide au développement de 70 %, passant de 5 milliards dedollars en 2007 à 8,5 milliards de dollars par an en moyenne. Depuis

2011, l’Afrique subsaharienne est ainsi devenue la première région à dispo-ser de l’aide américaine devant l’Asie. Parmi les dix premiers pays bénéfi-ciaires, la moitié sont africains ; le Kenya est en troisième place, l’Éthiopie àla septième, suivie de la Tanzanie, du Soudan du Sud et du Nigeria. Permet-tant à une quarantaine de pays de bénéficier d’un accès préférentiel au mar-ché américain, l’African Growth Opportunities Act (Agoa) a favorisé l’aug-mentation des exportations vers les États-Unis de produits exemptés dedroits de douane, dont la valeur est passée de 7,1 milliards en 2001 à28,4 milliards en 2015.

Si, en initiant l’Agoa en 2000, George W. Bush peut revendiquer un bilanpositif dans les relations de son administration avec l’Afrique, Obama aaussi voulu lancer son projet phare, le « Power Africa ». Celui-ci prévoyaitle doublement de l’énergie disponible en Afrique subsaharienne, par la pro-duction 10 000 mégawatts (MW) d’électricité supplémentaire afin d’alimen-ter 20 millions de foyers dans l’espace de cinq ans. Lancé en 2013, PowerAfrica devait compter sur un investissement de 9,7 milliards de dollars,mais, trois ans plus tard, faute de financements, il n’a atteint qu’une modesteaugmentation de 400 MW d’électricité.

Le vice-président de la General Electric, un des sponsors du projet, recon-naissait en mai dernier au Forum économique mondial de Kigali que lesrésultats étaient encore insignifiants. Pourtant, avait-il ajouté, « cette trèsbonne initiative avait réuni beaucoup de gens compétents, des participantsparmi les groupes privés et des institutions financières qui n’ont finalementpas réussi à travailler ensemble ».

Afin de réaliser un maximum de projets avant le départ d’Obama de laMaison-Blanche, un nouveau prêt d’un milliard de dollars a été octroyérécemment à Power Africa pour augmenter la production d’électricité auGhana, au Kenya et en Afrique du Sud – avec la promesse de redoubler d’ef-forts afin d’accélérer les procédures et la mise en œuvre. �

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Décembre 2016 � afrique asie

en marche ne bouge pas assez vite ».Et d’en appeler, à nouveau, à la jeu-nesse africaine, sans oublier encoreune fois les intérêts américains.

Mais Barack Obama est contradic-toire, et c’est flagrant. À Cape Town,il se félicite du vote par le Congrèsaméricain, en mai 2000 (sous GeorgeW. Bush), de la Loi sur la croissanceet les opportunités de développementen Afrique (African Growth Opportu-nities Act – Agoa) qui ouvre les mar-chés américains aux pays africains, àcondition d’observer strictement lesrègles du jeu capitaliste fixées parWashington. Mais, deux ans plus tard,il donnait lui-même un ultimatum àl’Afrique du Sud pour lever ses res-trictions sur l’importation de viandeaméricaine, sans quoi elle sortirait del’Agoa… En mars 2016, 16 000 tonnesde poulets américains débarquaient surle marché sud-africain, un avant-goûtdes 60 000 tonnes annuelles de viande,créant le mécontentement des produc-teurs locaux qui accusèrent Washing-ton de dumping.

� Rendez-vous manqué Barack Obama réunit un sommet

États-Unis-Afrique en août 2014 pourréaffirmer, encore une fois, les grandsprincipes de la « nouvelle politiqueafricaine », qui jusque-là ne semblepas avoir porté ses fruits. Un sommetsymbolique sans surprise auquel cer-tains « mauvais dirigeants » ne sontpas conviés. À Addis-Abeba (Éthio-pie) un an plus tard, il est le premierprésident américain à s’adresser àl’Afrique depuis la tribune de l’Unionafricaine. Son discours paraît de plusen plus répétitif et essoufflé, décalépar rapport à une réalité de guerre etde crise économique.

Alors qu’i l qui t te la Maison-Blanche, Barack Obama, malgré soncharisme en Afr ique, la isse uneimpression d’inachevé, de rendez-vous manqué, et, plus trivialement, dedonneur de leçons qui doit balayerdevant sa porte. �

� (1) Ghana (2009) ; Sénégal, Afrique du Sud,

Tanzanie (2013) ; Éthiopie, Kenya (2015) ;

Guinée (2016).

SON DISCOURS PARAÎT DE PLUS EN PLUS RÉPÉTITIF ET ESSOUFFLÉ,

DÉCALÉ PAR RAPPORT À LA RÉALITÉ AFRICAINE.

tration que « tout est possible lors-qu’on agit poussé par ses idéaux ».C’est Barack Obama l’étudiant engagédans la lutte contre l’apartheid et lacampagne de désinvestissement desuniversités en Afrique du Sud. C’est lalutte des Afro-Américains, ses compa-triotes. Il est légitime, il est l’« ami del’Afrique ». Et i l est chaudementapplaudi. Bien sûr, Nelson Mandela,déjà gravement malade, qu’il ne ren-contre pas, auquel il rend un vibranthommage, est au centre de son dis-cours. « Sa vie est un défi à votregénération », lance-t-il aux étudiantsqui, ajoute-t-il, vivent « un moment degrande promesse ».

En Afrique du Sud, Barack Obama,

D.

R.

d’un charisme immense et en joue. Àla t r ibune ghanéenne, comme enAfrique du Sud en 2013, il s’adresse« aux jeunes, à travers toutel’Afrique ». Il se met en scène, créantune proximité, une complicité, voireune intimité avec son auditoire, pourmieux faire passer son message. ÀAccra, il prend l’exemple de son pèreet de son grand-père, deux générationsqui ont connu la souffrance et lamisère, mais porteuses de promesseset d’un espoir qui « a cédé la place aucynisme, voire au désespoir ».L’« Afrique en marche », un conceptrécurrent chez lui, « ne bouge pasassez vite… » D’où son appel à la jeu-nesse africaine dont 60 %, rappelle-t-

Réception de Barack Obama en Tanzanie en janvier dernier.

Les projets pour la production d’énergie ont été décevants.

il, ont moins de 35 ans. « Je mise survous, le centre nerveux de l’Afrique.En tant que président des États-Unis,je suis convaincu que mon proprepays en tirera des avantages considé-rables si vous atteignez votre pleinpotentiel. »

� L’« ami de l’Afrique » En juin 2013, le président se met à

nouveau en scène devant les étudiantsde l’université de Cape Town, enAfrique du Sud, pour faire la démons-

qui considère ce pays comme « l’un decentres économiques du monde »,insiste sur le volet économique de sapolitique et sur le partenariat avec uncontinent qui compte « un bon nombrede pays à la croissance la plus rapideau monde ». Mais, redit-il, « l’Afrique

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Q uelle ligne suivra la nouvelle adminis-tration étasunienne en matière de poli-tique extérieure ? Qu’en ira-t-il en parti-

culier des relations entre Cuba et les États-Unis àla suite de l’élection de Trump ? Rares sont lesparieurs qui se risquent au moindre pronostic.On dispose pourtant de quelques indices permet-tant d’esquisser ce qui pourrait advenir. Le« hasard du calendrier » fa i t que le9 novembre 2016, quelques heures après avoiradressé ses félicitations au candidat républicainpour sa victoire, le président Raul Castro annon-çait le lancement de manœuvres militaires éten-dues à toute l’île. Un communiqué du quotidien Granmaindiquait cinq jours d’exercices stratégiques visant à prépa-rer les Forces armées révolutionnaires à faire face à l’éven-tualité d’actions de « toute une gamme d’ennemis ». Le der-nier déploiement militaire de ce type, appelé « Bastion » àCuba, eut lieu il y a trois ans, au moment des fortes tensionsentre les deux pays qui précédèrent leur rapprochement du17 décembre 2014.

Rappelons que le premier exercice Bastion, mobilisantsoldats et réservistes ainsi qu’un maximum de civils afin de« consolider l’invulnérabilité de la défense nationale », ycompris « face à un ennemi numériquement et technologi-quement supérieur », répondit à l’élection de Ronald Rea-gan en novembre 1980. Et que sa troisième édition com-mença le 13 décembre 2004, jour de la réélection de GeorgeW. Bush. Si, cette fois, les autorités cubaines n’ont pasvoulu établir de lien entre ces exercices et l’arrivée pro-chaine du nouvel élu à la Maison-Blanche, La Havane serappelle au bon souvenir de Washington. Et nous rappelleaussi, paradoxalement – car les fantasmes les plus fous cir-culent un peu partout en ce moment –, que l’heure est auretour à la réalité.

� La logique des contradictionsPendant la campagne, Mike Pence l’a dit et répété : le

processus de rapprochement avec Cuba entamé par BarackObama, ayant abouti au rétablissement des relations diplo-matiques le 20 juil let 2015, sera « interrompu », et« inversé ». Lors d’un meeting républicain en Floride, bonendroit pour la pêche aux voix des « latinos » ultraréaction-naires, le colistier de Trumpa déclaré : « Je vous en faisla promesse : quand Donaldsera président, nous abro-gerons tous les décretsd’Obama sur Cuba. Nous

34 Tribune

Par Rémy Herrera

continuerons à imposer l’embargo jusqu’à ceque de réelles libertés politiques et religieusesexistent pour tout le peuple de Cuba. Donald estau côté des Cubains amoureux de la liberté dansle combat contre l’oppression communiste. »C’est vrai : on peut en effet le voir sur le Netposant devant le drapeau de la Brigada 2560 deces « amoureux », vétérans de l’invasion (ratée)de la baie des Cochons.

Trump est imprévisible. Il avait d’abord laisséentendre qu’Obama n’allait pas assez loin dansl’amélioration de l’environnement des affairesavec Cuba. Puis, de passage à Miami, un mois à

peine avant l’élection, il a affirmé : « Toutes les concessionsqu’Obama a accordées au régime de Castro ont été prisespar décret présidentiel. Cela veut donc dire que le prési-dent qui suivra pourra les reprendre. Et c’est ce que jeferai. À moins que le régime de Castro se plie à nos exi-gences. » Et d’ajouter : « Nous n’avons rien gagné avec cetaccord. » Ce qu’il faudrait, c’est un « accord fort pour lesÉtats-Unis ». Ce que cela signifie, personne ne le sait. Peut-être pas même Trump. Ce dont on a pris conscience enrevanche, c’est que l’incertitude a augmenté depuis le résul-tat du scrutin du 8 novembre, que tant de commentateursont jugé « absurde ».

Mais si le contexte actuel est celui de l’absurde – et ensupposant que toutes les composantes des classes diri-geantes de la finance globale s’entendent pour prêter vie au45e président, ou ne pas le destituer –, que le lecteur nousautorise alors à formuler une hypothèse… absurde, justepour stimuler la réflexion : et s’il faisait ce que n’a pas oséfaire Obama en huit ans ? Et si Trump levait le blocus ?Cette mesure choc pourrait intervenir, par exemple, immé-diatement après le départ du pouvoir de Raul, annoncé pourfévrier 2018. Et simultanément (pourquoi pas ?) à uneagressivité redoublée à l’encontre des autres pays à gouver-nement progressiste qui demeurent en Amérique latine,auxquels on voudrait porter l’estocade…

La probabilité est proche de zéro certes, mais non nulle.Davantage sans doute que Trump lui-même, ce sont leschefs de bande républicains du Congrès et leurs mauvaisesfréquentations miaméennes qui minorent cette éventualité.Trump n’est pas qu’imprévisible ; c’est surtout un homme

d’affaires qui veut gagnerde l’argent. Toujours plus,et avant toutes choses. N’a-t - i l pas déjà é té a t taquédurant la campagne électo-rale précisément pour avoir

La guerre psychologique, en attendant…

Chercheur

au CNRS.

D.

R.

Cuba L’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche rebat les cartes du jeu diplomatiquebilatéral et remet en cause deux années de difficile rapprochement.

ET SI TRUMP FAISAIT CE QUE N’A PAS OSÉ FAIRE

OBAMA EN HUIT ANS? ET S’IL LEVAIT LE BLOCUS?

Décembre 2016 � afrique asie

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« violé l’embargo » et tenté en 1998 de faire des affairesavec Cuba ? Depuis bientôt 24 mois, des entrepreneurs, parrégiments, venus même de l’Indiana dont est originaire levice-président Pence, n’y sont-ils pas allés en reconnais-sance ? Trump ne parle-t-il pas en termes plus polis qu’àl’accoutumée de la Russie et de la Chine, qui sont desamies de Cuba?

� L’objectif ultimeL’important n’est pas de savoir si cette hypothèse,

« absurde », se réalisera ou pas. Il réside dans le problèmeposé à une Révolution cubaine qui, jusqu’au soir du7 novembre, n’avait jamais été aussi proche de la levée dublocus. Soit ce pour quoi nous sommes très nombreux dansle monde à lutter, depuis très longtemps. Si, par une nou-velle « surprise » dont il a le secret, Trump décidait – pourmieux vaincre la résistance cubaine – de lever ce vieux blo-cus, provoquant ainsi sur l’île, en même temps qu’un soula-gement immense et tant attendu, un tsunami de dollarsdéferlant du Nord, cette Révolution serait-elle à même de sedéfendre ? Et si oui, par quels moyens parviendrait-elle àlutter contre l’extraordinaire puissance du dollar, contre lesasservissements, les corruptions, les inégalités qui partoutailleurs l’accompagnent ? Si l’hypothèse est absurde, le pro-blème de fond, lui, reste.

L’objectif de Trump ne sera pas différent de celui ques’était fixé Obama : abattre, enfin, cette Cuba Socialistavoisine dont la lumière a déjà troublé le sommeil de 11 pré-sidents yankees successifs. Les plus naïfs d’entre nous,même à Cuba, avaient fini par ne plus voir en Obama– hélas ! probablement parce qu’il n’est pas tout à faitblanc – l’empereur qu’il n’a pas cessé d’être. Malgré (àcause de) l’indéniable avancée que fut le rétablissement derelations diplomatiques. Obama a tant promis. Mais

35

Guantánamo reste occupée (et carcérale), quand sa restitu-tion est un préalable à toute « normalisation ». Au nom desÉtats-Unis, la jeune ambassadrice démocrate SamanthaPower a appuyé pour la première fois sur le bouton « abs-tention » le 26 octobre 2016, lors du vote de l’Assembléegénérale des Nations unies sur le blocus. Et il reste envigueur.

Depuis la visite à La Havane de l’ex-secrétaire d’ÉtatJohn Kerry en août 2015, les réunions de la Commissionbilatérale se sont succédé. Pourtant, les échanges commer-ciaux se sont peu développés. Pierre d’achoppement : lemaintien – par l’administration Obama – de restrictionsempêchant l’essor des importations de produits cubainsaux États-Unis et des investissements étasuniens à Cuba. Iln’y a pas de relations bancaires entre les deux pays, et lapeur prévaut dans ce secteur dès qu’il s’agit de businessavec l’île. Les 8,9 milliards de dollars de sanction contre laBNP Paribas ne s’oublient pas comme ça. Aucune desmesures évoquées par Obama pour rendre possible l’utili-sation du dollar par les institutions cubaines dans leurstransactions financières internationales n’est à ce jourappliquée : Cuba ne peut toujours pas déposer de liquidités,ni effectuer de paiements à des tiers, ni recevoir de cré-dits… libellés en dollars. Difficile d’accroître les relationséconomiques.

Le président sortant n’a pas non plus souhaité recouriraux prérogatives dont il disposait pour « flexibiliser » laposition de Washington. Et, en 2016, le budget public des-tiné à financer les programmes de « changement de régimeet de promotion de la démocratie à Cuba » a été rehaussé à30 millions de dollars par an. La guerre psychologiquecontinue donc contre Cuba. Tout comme continue la résis-tance anti-impérialiste de sa Révolution, qu’il nous fautsoutenir de toutes nos forces, aujourd’hui plus que jamais. �

D.

R.

La prison américaine de Guantanamo, en territoire cubain illégalement occupé par

les États-Unis, devait être démantelée par l’administration Obama. Promesse non tenue.

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Par Philippe Tourel

Les Ivoir iens se rendent auxurnes, le 18 décembre, pourrenouveler l’Assemblée natio-

nale. Le Parlement qui sera issu de cescrutin sera-t-il une vraie Assembléede fin de crise, et de réconciliationnationale ? Tel est le principal enjeudu scrutin qui s’ouvre bientôt dans unpays sort i encore moins uni de laconsultation référendaire d’octobredernier. Celle-ci avait été boycottéepar l’opposition significative, notam-ment les radicaux du Front populairede Laurent Gbagbo, baptisés « lesGbagbo ou rien ». Le référendum apermis d’adopter une nouvelle Consti-tution, mais il a davantage divisé lapopulation entre les partisans de l’an-cien président Laurent Gbgabo et lamajori té président ie l le actuel le ,construite autour de l’alliance du Ras-semblement des houphouëtistes pourla démocrat ie e t la paix (RHDP)d’Henri Konan Bédié et AlassaneOuattara, au pouvoir. Au sein mêmede cette majorité, l’unité ne tient qu’àun fil et pourrait même voler en éclatsà l’occasion des législatives.

Décembre 2016 fera-t-il oublierdécembre 2011 ? En décembre 2011,huit mois viennent à peine de s’écou-ler depuis la fin de la crise post électo-rale née de la présidentielle controver-sée d’octobre-novembre, e t lesIvoiriens doivent élire leurs députés.Lassés par un conflit qui aura officiel-lement coûté la vie à plus de 3 000personnes, ils ne se pressent pas auxurnes. Le taux de participation ne seraque de 36,5 %, contre 80 % pour laprésidentielle d’octobre-novembre2010.

� Les frondeurs du FPIEncore groggy, le Front populaire

ivoirien (FPI) de Laurent Gbagboavait boycotté le scrutin. Du pain

Côte d’Ivoire La nouvelle Loi fondamentale divise encore les Ivoiriens, dont une partie achoisi de boycotter les prochaines élections parlementaires, renvoyant à plus tard la réconci-liation promise.

Des législatives à problèmes

36 Afrique

Décembre 2016 � afrique asie

prochain, l’incertitude demeure quantà la participation de l’opposition. À ladifférence de la présidentielle de 2015qui a enregistré l’absence du « FPItendance Sangaré », les prochainsscrutins étaient censés voir la partici-pation de cette frange, afin de donnerun coup d’accélérateur à la démocratieet à la réconciliation nationale. Maisles déchirures du référendum sontencore présentes, et l’unité qui avaitété observée a de nouveau disparu, lesdeux tendances rivales du parti de

bénit pour les alliés de la présiden-tielle qui se sont alors partagé l’As-semblée : le Rassemblement des répu-blicains (RDR) d’Alassane Ouattararemporte 127 sièges sur les 254 àpourvoir, le Parti démocratique deCôte d’Ivoire (PDCI) d’Henri KonanBédié en obtient 77. Le Parlement aé té a ins i quas iment monocoloredepuis son entrée en activité, ren-voyant à plus tard l’Assemblée de laréconciliation tant attendue.

Pour les législatives du 18 décembre

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UN ENGOUEMENT POUR LES PROCHAINES LÉGISLATIVES? DANS LES

ÉTATS-MAJORS DES PARTIS POLITIQUES, OUI. PAS CHEZ LES ÉLECTEURS.

Quel qu’ait été le taux réel de participation, le référendum sur l’adoption

de la Constitution, en octobre, s’est déroulé dans la plus grande transparence.

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Décembre 2016 � afrique asie

Laurent Gbagbo ayant adopté despositions différentes aux législatives.

Après sa participation à la présiden-tielle du 25 octobre 2015, le présidentstatutaire du FPI, Pascal Affi N’Gues-san, avait obtenu 9,29 % des voix.Depuis, il se présente comme le chefde file de l’opposition. Une positionvue d’un mauvais œil par Abdourah-mane Sangaré et ses camarades, l’ailedure du FPI, qui ont un moment envi-sagé l’idée de prendre part au scrutin

législatif pour démontrerleur représentativité dansl’opinion, avec en toilede fond la volonté derafler davantage de voixque les candidats de latendance Affi N’Gues-san. Mais, mi-novembre,le FPI tendance Sangaréa annoncé : « Le FPI neprendra pas part auxlégis la t ives à venir[…] Cette position majo-ritaire, selon le commu-niqué, est dictée par lefait que les conditionstechniques, politiques etsécuritaires ne sont pasencore réunies par legouvernement Ouattarapour des élections inclu-sives, transparentes etéquitables. »

De son côté, la branchedu FPI conduite par Pas-cal Aff i N’Guessan aannoncé qu’el le al lai tprendre part à ces élec-

tions. « La bataille à venir, c’est demobiliser pour conquérir l’Assembléenationale », avait-il déjà déclaré aulendemain du référendum sur la nou-velle Constitution. Cette tendance quise veut l’unique dépositaire de l’héri-tage du FPI a investi 211 candidats quiiront à l’assaut des 255 sièges à pour-voir au sein de la nouvelle Assembléenationale.

� Et l’ouverture démocratique?Pour la coalition RHDP au pouvoir,

qui avait profité du boycott de l’oppo-sition aux législatives de 2011, la nou-velle d’un nouveau boycott de cettefrange importante de l’oppositionn’est pas forcément un événementheureux. Même si elle a réjoui certainsdes candidats, ainsi assurés de roulersur du velours.

En effet, l’absence des « frontistes »

LE SÉNAT : UN MOYEN DE RÉCOMPENSER D’ANCIENS POLITICIENS

QUI REFUSENT DE PRENDRE LEUR RETRAITE ?

ouvrirait grand la voie à une nouvelleAssemblée aux couleurs de l’alliancehouphouëtiste au pouvoir, réduisant lesopposants au silence et aseptisant ledébat démocratique. Or, la coalitions’est fait fort d’ouvrir ce débat… Auregard du développement actuel, « uneparticipation de l’opposition, notam-ment des “Gbagbo ou rien” aurait étéune bouffée d’oxygène pour le pouvoirqui a plus que jamais besoin de donnerdes signaux forts quant à sa volonté defaire une plus grande ouverture démo-cratique, note une observatrice de lavie politique. Car ils sont nombreuxles observateurs et les Ivoiriens quiattendent de tous leurs vœux cessignaux », afin de tourner définitive-ment la page des scrutins controversésqui ont plus divisé qu’uni la nation aucours de la dernière décennie.

� Que feront les électeurs ?Toutefois, des voix s’interrogent

déjà dans le camp des « Gbagbo ourien » sur l’efficacité de cette politiquede la chaise vide qui empêche la ten-dance Sangaré de disposer d’une tri-bune comme celle du Parlement pourse faire entendre davantage que pardes manifestations de rue vite circons-crites par le pouvoir. Et l’ambiancedevrait être un peu différente de cellede décembre 2011, avec l’entrée enlice de quelques poids lourds du partide Gbagbo, tendance Affi N’Guessan,dont l’objectif premier sera de dispo-ser d’un groupe fort à l’Assembléenationale.

La Commission électorale a indiquéque les législatives auraient lieu le18 décembre, et il y a cette fois-ci plusd’engouement. Pas chez les électeurs :la mise à jour des listes électorales,commencée fin juin, montre que l’ap-proche du scrutin ne suscite qu’unefaible mobilisation. Mais dans lesétats-majors des partis politiques, lesinvestitures donnent lieu en effet àtoutes sortes de négociations et demarchandages entre les cadres des par-tis. Très souvent, ces arbitrages engen-drent des conflits et des déchirures,certains militants recalés par les états-majors se portant tout de même candi-dats, sous l’étiquette d’indépendants.

Après la publication des listes offi-cielles établies par les deux formationsphares de l’alliance au pouvoir, desrecalés n’ont pas manqué de crier leurcolère.

� D’autres inconnues…L’autre grand enjeu du scrut in

concerne le taux de participation. Lorsdu référendum constitutionnel d’oc-tobre, la participation n’avait atteintque 42 %, légèrement mieux qu’endécembre 2011. Un taux du restecontesté par l’opposition qui a avancédes chiffres deux à trois fois infé-rieurs, sans les étayer cependant pardes preuves irréfutables. Avec la par-ticipation du FPI tendance Affi et leboycott de la tendance Sangaré, lamobilisation effective des électeursreste une grande inconnue.

Last but not least, les législativesconstituent le premier scrutin sur labase de la nouvelle Constitution qui aprévu un Parlement à deux Chambres.À côté de l’Assemblée nationale, sié-gera dorénavant un Sénat, dont untiers des membres sera désigné par leprésident de la République. La mesurefait grincer des dents dans le pays, lesobservateurs redoutant qu’il s’agissejuste de récompenser d’anciens politi-ciens qui refusent de prendre leurretraite.

L’Assemblée nationale perd sonrang protocolaire de deuxième insti-tution de la République, avec l’avène-ment d’un poste de vice-président dela République. C’est Alassane Ouat-tara qui le désignera seul, commeprévu par les dispositions transitoiresde cette nouvelle Loi fondamentale.Néanmoins, l’élection du président del’Assemblée nat ionale, après leslégislatives de décembre (et probable-ment lors d’une réunion extraordi-naire au cours du premier trimestre2017) devrait être plus disputée, sil’alliance houphouëtiste se divisaitsur le nom du candidat consensuel.L’actuel titulaire du poste, GuillaumeSoro aimerait bien se succéder à lui-même, bien que son nom reviennesouvent dans la liste des favoris aunouveau poste de vice-président de laRépublique. �

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DANS LE JARDIN, L’AVION PRÉSIDENTIEL QUI S’Y EST ÉCRASÉ ;

UN MOTEUR ICI, UNE AILE UN PEU PLUS LOIN, PRESQUE DE L’ART BRUT.

Par François Janne d’Othée Envoyé spécial

D ans une modeste salle sur leshauteurs de Mulindi, à deuxpas de la frontière ougandaise,

ils sont une vingtaine en cette fin 2016à regarder du foot à la télé. Étrange rap-pel de l’Histoire. Le 6 avril 1994, desspectateurs se trouvaient dans la mêmesalle, également rivés devant un matchde foot. Mais ceux-là avaient l’arme aupied… De 1992 à 1994, Mulindi a étéle fief des rebelles tutsi du Front patrio-tique rwandais (FPR), dirigé par PaulKagame, le futur président. À la suited’une offensive, il avait installé sonQG sur cette colline surplombant deschamps de thé. En plein match, les sol-dats apprendront la nouvelle qui allaitbouleverser le Rwanda et l’Afriquecentrale : l’avion du président Habyari-mana venait d’être abattu.

Aujourd’hui, la colline a retrouvé saquiétude. L’usine à thé, privatisée etgérée par des Indiens, a repris du ser-vice. Son actionnaire principal en1994, Félicien Kabuga, accusé degénocide, a fui et n’a jamais été rat-trapé. Les bungalows de la société sontrestés en l’état. C’est là que logeaientles caciques du FPR. Notre guideVivaldi montre celui où Kagame rece-vait ses hôtes, dormait, prenait sadouche, donnait ses instructions à sestroupes parties pour conquérir le pou-voir. Aujourd’hui, la maison est censéeabriter un « Musée national de la libé-ration ». Mais depuis la première pierreposée en 2012, rien n’a bougé. Aucunephoto, aucune archive…

� Le refuge de KagameSeul le bunker où le chef se réfugiait

en cas d’alerte a été aménagé : unespace de trois mètres carrés avec justeune table et une photo du président. Àse demander la raison du supplémentde 4 000 francs rwandais (4 euros) surun billet qui en coûte 6 000. « C’est

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pour préserver le bunker, beaucouptrop petit pour accueillir tous les visi-teurs », justifie Isidore Ndikumana,directeur général a.i. des musées rwan-dais. Avec le supplément, « seuls lesplus motivés y pénètrent encore, soitune personne sur cinq ». Mais y a-t-ileu cinq visiteurs en 2016? « Les Rwan-dais ne s’intéressent pas aux musées,cela ne fait pas partie de leur culture »,reconnaît Vivaldi.

Un livre d’or traîne sur une étagère :on y découvre le mot signé par Kagameen 2012 : « Sur le chemin de lamémoire, un site pour se souvenir de lalutte pour la libération. » Prudent,Vivaldi demande qu’on ne photogra-phie pas la page… Il nous mène ensuitevers le terrain de foot où est néel’équipe de l’Armée patriotique rwan-daise (APR), qui caracole en tête duchampionnat de foot, et le terrain debasket, théâtre de « tournoi pour lapaix ». Alors que le soir tombe, desmilitaires en treillis font le guet dans unsous-bois, comme si la guerre n’avaitjamais cessé.

Dans Rwanda, mijn verhaal(Rwanda, mon histoire, uniquement ennéerlandais, Éd. Polis, 600 p.), quivient de sortir, l’ambassadeur belge del’époque, Johan Swinnen, évoque savisite à Mulindi en février 1994, encompagnie de Wilfried Martens, àl’époque président du Parti populaireeuropéen. Outre Kagame, Swinnenénumère les autres membres de la délé-gation du FPR présents à l’entrevue :Denis Polisi, Théogène Rudasingwa,Jacques Bihozagara et Pasteur Bizi-mungu. Autant de trajectoires stoppéesnet : le premier a é té écar té , ledeuxième est parti en exil, le troisième

Rwanda À Mulindi, un « Musée national de la libération » rappelle la marche du FPR vers le pou-voir. Un établissement parmi beaucoup d’autres, qui visent à asseoir la légitimité du régimeactuel tout en renforçant l’attractivité touristique du pays.

Des musées pour cultiver la mémoire

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vient de mourir dans une geôle burun-daise, et le quatrième a fini en prisonaprès avoir été le premier président del’après-génocide. On se demande déjàquelle place ils tiendront – ou non –dans les vitrines du futur musée…

� « Robben Island »Outre le bouleversant mémorial de

Gisozi, le Rwanda compte déjà sixmusées, et deux autres projets sont engestation à Kigali. Le premier rejoint lathématique de Mulindi. « Ce sera unmusée de la campagne contre le géno-cide, décrit Isidore Ndikumana. SiMulindi concerne les années 1990 à1994, ce futur musée vise à décrire lesactions entreprises par le FPR entreavril et juin 1994 pour arrêter les mas-sacres. » La main sur le cœur, il préciseaussitôt que ce musée « n’est pas des-

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tiné à faire l’éloge du FPR ». Aucunedate d’ouverture n’a encore été men-tionnée. Cela vaut mieux : des projets àla mise en place, il s’écoule parfois delongues années.

mariés qui viennent s’y faire photogra-phier. Surprenant cadre…

Si le musée de Mulindi permet d’as-seoir la légitimité du pouvoir, on peutse demander quelle est la finalité duMusée du palais présidentiel. Le débata d’ailleurs agité le Sénat rwandais enjuillet dernier. Vieux compagnon deroute de Kagame, Tito Rutaremaras’est ainsi demandé si ce musée répon-dait bien à l’objet de sa création. « Onne peut pas se contenter d’y racontersimplement la vie d’Habyarimana, a-t-il déclaré en substance, il faudrait sur-tout y exposer ses mauvaises activitésdurant son règne, mais aussi ceux desautres présidents. » Sinon, autant toutraser, comme on l’a fait récemmentavec le stade historique de Gitarama,symbole de la « révolution socialehutu » qui culminera avec l’indépen-dance en 1962.

� Retour à NyanzaAussi la mémoire glor i f iée au

Rwanda s’attarde-t-elle surtout sur lapériode antérieure à l’indépendance.Près de Butare, à Huye, le Musée eth-nographique (auparavant Musée natio-nal) s’est refait une beauté, du moinsextér ieure. Inauguré en 1989, i ltémoigne de l’histoire du peuplementen Afrique de l’Est. Un peu plus aunord, Nyanza, l’ancienne capitale de lamonarchie tutsi, a été réhabilitée. Ave-nues asphaltées, nouveaux hôtels, etsurtout attractivité des sites à visiter.Ainsi, le palais traditionnel du mwami(roi), tout de papyrus et de chaume, aété reconstitué. Dans un enclos, desvaches royales Inyambo, jolimentdécorées, se laissent admirer. Non loinse trouve le nouveau palais, construiten 1932 pour le mwami Mutara III. Ilest resté intact, mais le mobilier a étévolé, et c’est avec peine que l’État tentede récupérer quelques pièces. Surl’autre colline en face, un nouveaubâtiment royal a été construit, mais lemwami est mort avant d’avoir pu s’yinstaller. Il est devenu la National ArtGallery (ex-Musée des arts de Rwe-sero), qui accueille des expositionstemporaires d’artistes contemporainsrwandais.

Enfin, mentionnons un musée toutrécent : celui de l’environnement, éta-bli à Karongi (Kibuye). Il vise à mon-trer que le Rwanda est pionnier enmatière d’écologie en Afrique, mêmesi, pour l’heure, son architecture resteplus intéressante que son contenu. �

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été incarcéré. Le Mandela rwandaiss’appelle Rukara rwa Bishingwe, unchef de village détenu à la prison 1930et qui fut exécuté pour s’être rebellécontre l’autorité belge.

« LES RWANDAIS NE S’INTÉRESSENT PAS AUX MUSÉES,

CELA NE FAIT PAS PARTIE DE LEUR CULTURE. » VIVALDI, GUIDE

Feu Wilfried Martens (à gauche),

ancien premier ministre belge,

avec Paul Kagame (à droite), à Mulindi,

dans les bâtiments autrefois dévolus

au FPR qui deviendront un musée.

Le deuxième projet aura pour cadrela « prison 1930 », après que les prison-niers auront été transférés dans un nou-vel établissement. Ce musée seraconsacré à l’histoire du pays sous lemandat belge, alors que le muséeKandt tout proche – siège du Muséed’histoire naturelle, actuellement enréfection – est davantage focalisé sur lacolonisation allemande. L’idée du nou-veau musée est de s’inspirer de RobbenIsland (Afrique du Sud) où Mandela a

Un autre marqueur de la mémoirerwandaise reste le Musée du palais pré-sidentiel, dans l’ancienne propriété deJuvénal Habyarimana, qui a dirigé lepays de 1973 à 1994. Il contient d’éton-nants vestiges : fauteuils usés, tableavec pieds d’éléphant, salle de prière,chambre où les ministres se faisaientsermonner… Mais aussi le mobilier duprésident Bizimungu, qui y a élu domi-cile de 1994 à 2000. Le clou de la visitereste l’épave de l’avion présidentiel,qui s’est écrasé dans le jardin. Unmoteur ici, une aile un peu plus loin,presque de l’art brut. Certaines piècesont toutefois été déplacées si on com-pare avec des photos d’époque. Dansles allées du jardin, les visiteurs sontnombreux, tout comme les jeunes

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Afrique Plus intra-étatiques qu’interétatiques, les conflits concernent aujourd’hui près de lamoitié des pays du continent. Le terrorisme, souvent religieux, est devenu l’ennemi transfron-talier numéro un et exige une réponse non conventionnelle qui fait encore défaut, ont constatéles participants à un colloque tenu à Paris en novembre dernier.

Guerre et politique :le grand chambardement

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Par Valérie Thorin

Sécurité. Le mot est désormais aucentre des préoccupations desgouvernants, africains comme

occidentaux, et il s’invite au cœur desrelations internationales. Pour garantirla sécurité, les États s’engagent sanshésitation dans un principe multimillé-

Xin

hua

naire : le Si vis pacem para bellum(« Si tu veux la paix, prépare laguerre ») des anciens Romains. Ils nes’en tiennent même plus à la prépara-tion : ils font la guerre. Contre les ter-roristes, les djihadistes, les rebelles, laguérilla urbaine, guerre asymétrique…le conflit moderne est protéiforme et ilse transforme à tel point que, de plus

en plus souvent, ce n’est plus la poli-tique qui le conditionne, mais lui quiinfluence la politique.

En Afrique, nombre d’affrontementssont aujourd’hui les avatars de ce quiautrefois était appelé « guerre colo-niale » : des conflits de faible intensité,où les forces en présence sont dispro-portionnées en termes d’armement ou

L’armée tchadienne fête sa victoire sur Boko Haram dans la localité de Gamboru, au Nigeria. Exemple de coopération interafricaine

dans la guerre contre le terrorisme. À droite, en médaillon, le professeur sud-africain Hussein Solomon.

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concernés et il se produit, en moyenne,trois attaques par jour. C’est ce phéno-mène qui constitue le principal soucides gouvernements et qui fait l’objetde plus en plus de rencontres interna-tionales, comme le forum de Dakardébut décembre prochain (voir enca-dré page suivante).

Pour le Pr Hussein Solomon, dudépartement des études politiques etde la gouvernance de l’University ofthe Free State (Bloemfontein, Afriquedu Sud) : « Le point de départ de cetteescalade de violence est un mauvaisdiagnostic : le terrorisme ne se résumepas à l’ouverture d’un nouveau front,mais c’est une situation inédite etdurable de guerre . » Les hommespolitiques sont en train de prendreconscience qu’il y a un changement deparadigme et deviennent de plus enplus préoccupés par leur situation inté-

moment donné des opérations coup depoing contre les casernes et autresgendarmeries : c’est lui qui a bénéficiédu renforcement des capacités mili-taires dans le nord du Nigeria. D’uncoup, les pouvoirs publics découvrentà quel point il leur faut adapter leursefforts aux contextes sociaux.

� La « solution africaine »La voix des stratèges devient plus

écoutée, qui affirme qu’on ne pourraefficacement annihiler la menace quereprésentent les shebabs qu’en prenanten compte la composition sociocultu-relle de la Somalie, et notamment lefait que le pays n’a aucune homogé-néité : il n’est fait que de clans et desous-clans. C’est là que la culture afri-caine a son mot à dire, que la « solu-tion africaine » prend tout son sens.En effet, l’idée n’est pas nouvelle : undirigeant comme Ahmed Ibn Ibrahimal-Ghazi, qui a tenté au XVIe siècled’unifier la nation somalienne, s’estpour cela fondé sur le plus petit déno-minateur commun de toutes les com-posantes sociales, à savoir l’islam. Ilest ensuite entré en guerre contre leschrétiens d’Éthiopie, en utilisant l’is-lam comme objectif politique de colo-nisation dans cette tentative de forgerune identité pansomalienne. À bien yregarder, les shebabs marchent dansses traces : ils croient en une « GrandeSomalie », qui comprend les territoiresappartenant aujourd’hui à Djibouti etau Kenya.

Autre exemple : le Nigeria. Le conflitse transporte aujourd’hui dans ledomaine de la religion, mais il estavant tout économique et social .Quand Boko Haram affirme que l’Étatlaïque est le diable, le Pr Solomonrépond qu’il ne faut pas se focalisersur le terme « laïque » et interpréterles événements comme étant uneguerre de religion. C’est en réalité unelutte de pauvres contre des riches,comme il en a existé dans le passé enOccident et qui s’appelait alors « luttedes classes », sauf qu’elle se fait àMaïduguri, kalachnikov en main. Ladimension politique y demeure dansson aspect le plus basique, à savoir laconquête du pouvoir, lequel représentetoujours un moyen de se procurer larichesse.

� Au-delà du facteur religieux…Que déduire de cette proximité ?

Tout d’abord que le discours de la

AUJOURD’HUI, 22 PAYS SONT CONCERNÉS PAR LE TERRORISME

ET IL SE PRODUIT, EN MOYENNE, TROIS ATTAQUES PAR JOUR.�

de territoire. L’expression « faibleintensité » a de quoi faire sursauter : ladeuxième guerre du Congo (Kinshasa)aurait fait, selon les sources, entre183 000 et 5,4 millions de morts en dixans. Mais aux yeux des chercheurs,scientifiques et universitaires, commeceux qui se sont réunis à Paris pour uncolloque intitulé « Guerre et poli-tique » début novembre, c’est uneexception. Le niveau de la violencesur le continent a décru, et les conflits

du XXe siècle ont fait en général moinsde 100000 morts.

� Une situation inédite et durableÀ une exception près – le conflit

larvé qui se maintient entre le Soudanet le Soudan du Sud –, il n’y a plusnon plus de conflagrations interéta-tiques en Afrique. Même l’Érythréeparvient à vivre sinon en bonne intelli-gence, du moins sans heurt avec savoisine et « sœur ennemie », l’Éthio-pie. En revanche, se développe defaçon exponentielle la guerre contre leterrorisme. Aujourd’hui, 22 pays sont

rieure que par leurs relations diploma-tiques. D’autant plus que les théâtresd’opérations sont transfrontaliers etréclament une réaction communed’États frontaliers.

Par ailleurs, il s’agit aussi pour euxde faire un indispensable effort d’adap-tation, car les vieilles méthodes sontcontre-productives. Par exemple,quand des armes ont été fournies augouvernement de transition à Moga-discio (Somalie), ce sont les shebabs,momentanément victorieux dans lacapitale, qui en ont hérité. De mêmepour Boko Haram, spécial is te un

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d’Al-Qaïda au Maghreb islamique sesont battus pour l’autonomie du terri-toire de l’Azawad, une région d’ex-

LA MARGINALISATION ENGENDRE DE VRAIES SOUFFRANCES

QUI SONT LES FERMENTS DES GUERRES ACTUELLES.

lutte contre le terrorisme ne doit pasêtre trop simpliste. Pour les cher-cheurs, il devient prépondérant de nepas simplement étiqueter un conflit« djihadisme » par exemple, mais deregarder bien au-delà du facteur reli-gieux, du côté de la construction desidentités. Exemple emblématique : lenord du Mali. Ansar Dine et ses alliés

trême pauvreté, marginalisée par lepouvoir de Bamako. Certes, il étaitimportant que les forces ouest-afri-caines se liguent contre les islamistesmais, parallèlement, il l’était toutautant d’améliorer la situation écono-mique. Or, r ien n’a été fa i t en cedomaine et, du coup, les accords d’Al-ger tant vantés n’ont eu qu’une faibleet transitoire efficacité.

S’il faut trouver un consensus pourramener la paix, que ce soit au Nigeria,en Somalie ou au Mali, il est obliga-toire, pour les spécialistes, de tenircompte des divisions sociales et eth-niques, tout comme des mouvementsséparatistes qui estiment que le fédéra-lisme leur donnerait la nécessaire auto-nomie susceptible de redresser leursituation économique. La marginalisa-tion engendre de vraies souffrances quisont les ferments des guerres actuelles.Le temps des États-prédateurs est defacto révolu. Il leur faut désormaisoffrir des avantages à leurs citoyenssous peine de voir la violence exploser.C’est ce constat qui conduit à dire, àl’instar du président américain BarackObama, que la réponse ne peut plusêtre automatiquement militaire ; l’éco-nomie et la bonne gouvernance s’invi-tent désormais dans le débat. L’identitépas encore, et c’est cela, justement,que la « solution africaine » aux conflitsest appelée à traiter.

� L’inefficacité du modèle occidentalEn Afrique, lorsque les structures

étatiques ne fonctionnent pas ou plus,les Nations unies sont appelées à larescousse, mais elles proposent unmodèle occidental dont l’institutionna-lisation forcée est, à court ou moyenterme, génératrice de faillite. C’est lecas de la République centrafricaine.Le contrôle de la violence se pose entermes radicalement nouveaux ; il fautse faire à l’idée que la simple transpo-sition à l’intérieur d’un pays d’outilsutilisés pour la guerre extérieure estinefficace et vaine. Tout comme lerecours à des officines de sécurité pri-vée, mercenaires qui ne disent pas leurnom. On comprend tout l’intérêt quesuscitent les espaces de recherche stra-tégique. �

Forum paix et sécurité : une transformation

La 3e édition du Forum international sur la paix et la sécurité en Afrique,qui aura l ieu à Dakar les 5 et 6 décembre, n’est pas un de ces« machins » inutiles. Certes, il n’en ressort pas de déclaration fracas-

sante ou de résultat immédiat, mais, comme le dit l’un des conseillers de laCompagnie européenne d’intelligence stratégique (CEIS) basés à Paris : « Ilcorrespond au besoin actuel qu’ont les chefs d’État et de gouvernement afri-cains d’avoir une grande liberté de parole et d’échange, afin de confronterleurs analyses et leurs informations et d’être plus efficaces sur le terrain. »

Le point de départ de ces rencontres d’un nouveau genre a été le sommetAfrique-France de Paris, en 2013. Là, tous les participants sont tombés d’ac-cord pour dire que la donne sécuritaire était en train de changer, et qu’il fal-lait trouver d’urgence de nouvelles méthodes pour garantir les États. Le bilann’était pas très bon : d’une part, les capacités militaires africaines, insuffi-santes, mal entraînées et longues à mobiliser, se révélaient donc de plus enplus inadaptées aux menaces ; d’autre part, cette menace elle-même se trans-formait et, surtout, s’internationalisait. Boko Haram, les shebabs ou encoreles Touaregs lorsqu’ils sont les épigones d’Al-Qaïda au Maghreb islamiqueopèrent désormais sur une aire transfrontalière. Il faut donc des réponsesinterafricaines, rapides et coordonnées, ce qui nécessite une intense coopéra-tion entre les États concernés. Quant à l’aide militaire fournie par les parte-naires, Nations unies, Union européenne, pays occidentaux ou asiatiques,elle doit également être organisée et adaptée à l’objectif.

Au forum de Dakar, il y a donc un programme officiel, avec un sujet cen-tral : quelles stratégies possibles adopter face à l’extrémisme violent ? Quelleréponse doctrinale peut-on mettre en œuvre ? Seront impliqués dans lesréponses à trouver les forces de défense et de sécurité nationales, mais aussiles organismes privés et les missions internationales de maintien de la paix.La maîtrise des espaces numériques est également à l’ordre du jour : on voitcomment Boko Haram a su utiliser la chaîne YouTube pour sa propagande…Au-delà des présentations et autres exposés, le Forum sert aussi et surtout delieu de rencontres et de discussions informelles. Dans les couloirs du Centrede conférence Abdou-Diouf se croiseront les militaires, les diplomates, lesacteurs du privé et même les hauts responsables des pays africains qui peu-vent ainsi, en toute discrétion, discuter, comparer leurs points de vue et pré-parer des coopérations interétatiques qu’il faudrait normalement dessemaines à mettre en place par les moyens ordinaires.

Pour le CEIS, c’est une occasion unique de remplir sa mission deconseiller : « Hors du cadre officiel, tout le monde est accessible. Les princi-paux acteurs de la sécurité sont rassemblés, il est aisé d’aller de l’un àl’autre et nous pouvons avoir des entretiens très pertinents. Cette ouverturenous permet aussi de proposer des analyses beaucoup plus fines et c’est ceque tout le monde attend. Le temps de la Françafrique est révolu, les Étatsafricains sont vraiment indépendants et ils collaborent les uns avec lesautres, même s’ils ont besoin, comme tous les pays du monde, de partena-riats et d’aide technologique ou logistique. » L’intégration africaine par lasécurité… � V. Th.

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Revolutionary Army) pour coordonnerles politiques, diriger l’action et uni-fier les forces de libération.

En 1964, Nkrumah écr i t dansConsciencisme, philosophie et idéolo-gie pour la décolonisation et le déve-loppement : « Le visage traditionnel del’Afrique implique une atti tude àl’égard de l’homme qui, dans sesmanifestations sociales, ne peut êtrequalifiée que de socialiste. Ceci parcequ’en Afrique, l’homme est considéréavant tout comme un être spirituel,doué au départ d’une certaine dignité,intégrité et valeur intérieure. Cetteidée de valeur originelle de l’hommenous impose des devoirs de type socia-liste. C’est là le fondement théoriquedu communalisme africain. » �

� (1) Kwame Nkrumah,

recueil de textes introduit

par Amzat Boukari-Yabara,

Cetim Suisse,

94 p., 8,50 euros.

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à l’unité africaine. L’objectif limité etla perspective plus large étaient liés.Au lieu d’être nébuleux, le mouvementpanafricain est devenu l’expressiondu nationalisme africain. […] Quandje revins en Afrique en 1947, c’étaitavec l’intention d’utiliser la Côte-de-l’Or comme tremplin de l’indépen-dance et de l’unité africaines. La1re conférence des États indépendantsd’Afrique se réunit à Accra […].Quand le 15 avril 1958, j’accueillisles délégués à cette conférence, jesentis que le panafricanisme s’étaitinstallé sur son véritable terrain, lecontinent africain. Ce fut un événe-ment historique. […] La personnalitéafricaine se manifestait. »

Dans le discours qu’il tint en 1963 àAddis-Abeba lors de la Conférenceinternationale des États indépendantsd’Afrique, il affirmait : « L’Afrique estUne, îles comprises. Nous rejetonsl’idée de toute espèce de séparation.Du Cap à Tanger ou au Caire, deCape Guardafui aux îles du Cap-Vert,l’Afrique est une et indivisible. […]Nous autres Africains, nous avonsbesoin de la force de nos populationset de nos ressources mises en communpour nous garder du danger très réeldu colonialisme qui revient sous desformes déguisées. […] Nous en avonsbesoin pour assurer la libérationtotale de l’Afrique. »

Puis, il précisait les objectifs quepoursuivrait l’unification de l’Afrique :d’abord une planification économiquegénérale, ensuite une stratégie mili-taire et de défense unifiée, enfin unepolitique étrangère et une diplomatiecommunes. Dans son Manuel deguerre révolutionnaire, c’est sur l’im-portance de l’organisation de l’actionrévolutionnaire qu’il insista, notam-

Kwame Nkrumah L’on relira avec grand intérêt pour l’action d’aujourd’hui les textes du leaderghanéen, réédités et introduits par Amzat Boukari-Yabara.

Du nationalisme au panafricanisme

L’HOMME : UN ÊTRE SPIRITUEL, DIGNE,

QUI NOUS IMPOSE DES DEVOIRS.

Par Rémy Herrera

Le livret consacré à Kwame Nkru-mah (1909-1972) par l’équipedu Centre Europe Tiers-Monde

(Cetim) de Genève, dans sa collection« Pensées d’hier pour demain », est ànotre disposition (2). Amzat Boukari-Yabara, docteur en histoire et civilisa-tions de l’Afrique (EHESS), introduitune série d’extraits de textes du grandleader ghanéen qui libéra son pays ducolonialisme et donna une impulsiondécisive au panafricanisme.

� « Nous nous sommes réveillés ! »« Notre indépendance n’a pas de

sens si elle n’est pas étroitement liée àla libération totale de l’Afrique. » Leton était donné dès le discours qu’ilprononça le jour de l’indépendance duGhana, le 6 mars 1957. « Nous noussommes réveillés. Nous n’allons plusjamais dormir. Désormais, il y a surterre un nouvel Africain ! » Il ajoutait,trois ans plus tard, à la conférenced’Accra sur la paix et la sécurité enAfrique : « Cette unité africaine esttellement chère à nos cœurs que, dansla Constitution que nous avons propo-sée, une disposition précise a été ins-crite à ce sujet : la souveraineté duGhana se veut subordonnée à la réali-sation de ce grand objectif. La seuleréponse aux nombreuses difficultésauxquelles notre continent fait face estl’union réelle de nos États et terri-toires. Si nous ne parvenons pas àfaire un effort en ce sens, nous pour-rons n’avoir plus qu’à oubl ierl’Afrique. »

Et dans L’Afrique doit s’unir (1963),on lit ceci : « Je suis persuadé que lesforces qui nous unissent font plus quecontrebalancer celles qui nous divi-sent . […] Le panafricanisme et lenationalisme africain reçurent uneexpress ion concrète quand le5e congrès panafricain se réunit àManchester en 1945. Le but essentielétait l’indépendance nationale menant

Pour le premier chef de l’État ghanéen,

l’unité de l’Afrique était la condition

de son indépendance réelle.

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ment la nécessité de former un parti etune armée révolutionnaires du peupleafricain (All African People’s Revolu-tionary Party et All African People’s

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Par Christine Abdelkrim-Delanne

En décembre 2015, pour la pre-mière fois depuis l’indépen-dance des Seychelles en 1976,

la réélection du président avait néces-sité un second tour. James Michel nel’avait emporté qu’avec 50,15 % desvotes. Marqué par une très forte parti-cipation (90 % de l’électorat), ce scru-tin témoignait de la forte montée del’opposition dirigée par Wavel Ramka-lawan et d’un affaiblissement évidentdu parti Lepep, au pouvoir depuis 1977sous diverses appellations. Les élec-tions législatives de septembre dernieront confirmé cette évolution. Pour lapremière fois depuis l’instauration dumultipartisme en 1993, une coalitiondes partis d’opposition, Linyon Demo-kratik Seselwa (LDS), a obtenu lamajorité au Parlement, avec 15 sièges.Néanmoins, les deux parties se sontengagées à travailler ensemble.

� Nouveau souffle Le 16 octobre, Dany Faure, 54 ans,

vice-président, a pris officiellement sesfonctions de président, comme l’exigela Constitution, après la démission deJames Michel le 27 septembre. Une« nomination non démocratique »,selon l’opposition. Dès son premierdiscours devant le Parlement, il adéclaré sa volonté de réformer les« structures de l’administration, cer-taines politiques et procédures et lafaçon de travailler ». Autrement dit, ungrand nettoyage de la vie politique,économique et sociale, paralysée aprèsquarante ans de gouvernance par unparti aujourd’hui sclérosé.

Le nouveau président, qui représentela nouvelle génération, a rencontré dèsle lendemain de son investiture lesreprésentants de la LDS. Il a annoncéun certain nombre de réformes fonda-mentales d’ici à mars 2017. La Consti-tution sera amendée pour mettre fin à la

Seychelles La démission, le 27 septembre, du président James Michel marque un moment impor-tant de l’histoire de la jeune République. Elle a aussi été le prétexte, pour une certaine presse,d’une campagne d’accusations injustifiées.

Si loin d’un dirigisme à l’albanaise !

44 Afrique

Décembre 2016 � afrique asie

procédure de transfert de pouvoir auvice-président, mise en place par l’an-cien président France-Albert René.Dès mars 2017, pratiquement toutesinstitutions, monopoles du parti aupouvoir, seront réformées dans unsouci de bonne gouvernance et dedémocratie. Un code de conduite desentreprises publiques ainsi que desrègles strictes sur les conflits d’intérêtsentre fonctions publiques et fonctionsprivées seront mis en place. Les liensentre partis et institutions seront définispour assurer plus de transparence. LesSeychelles devraient trouver un nou-veau souffle.

La démission de James Michel adéchaîné une certaine presse. Un jour-naliste chevronné de RFI parle de « findes années de dirigisme à l’alba-naise ». Interviewant rapidementJames Michel sur sa démission, le jour-naliste insiste sur « l’assassinat d’op-posants en exil de 1977 à 1992 », et les« années de dictature ». Le président a-t-il l’intention de demander pardon aupeuple seychellois ? lui demande-t-ilavec arrogance. « J’ai accompli mamission et je n’ai pas demandé pardonpour des actes que je n’ai pas com-mis », a répondu très calmement JamesMichel.

IL EST INCONTESTABLE QUE LE RÉGIME « SOCIALISTE »

A TRÈS RAPIDEMENT SORTI LE PAYS DU SOUS-DÉVELOPPEMENT.

Le président Dany Faure (en médaillon) s’est engagé

à réformer l’administration pour garantir sa neutralité :

une revendication populaire.

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Décembre 2016 � afrique asie

DONNER DES SEYCHELLES L’IMAGE D’UN PAYS TERRORISÉ PAR

DES « TONTONS MACOUTES » À LA HAÏTIENNE EST TOTALEMENT ABUSIF.

commises au nom d’un socialisme,« seychellois » sans doute, mais dog-matique et antidémocratique par cer-tains aspects. Cependant, si les Sey-chelles ont progressivement évoluévers une économie libérale et unedémocratie pluraliste, il est incontes-table que le régime « socialiste » a trèsrapidement sorti le pays du sous-déve-loppement, comme en témoigne lebond impressionnant, à l’époque, duniveau et de la qualité de vie des Sey-chellois comparé à l’époque coloniale,d’une part, et aux autres pays en déve-loppement, d’autre part. L’économiedes Seychelles fondée sur le tourisme,l’industrie de la pêche et l’offshore(contrôlé) place l’archipel « parmi lespays les plus prospères », selon leschiffres des Affaires étrangères fran-çaises, « avec plus de 15 000 dollarspar an » et, selon la Banque mondiale,parmi les 83 « pays à revenu élevé ».Les Seychelles sont classées dans lacatégorie « développement humain trèsélevé » du Pnud. Et ce, après avoirconnu, en 2008, une grave crise écono-mique qui a conduit le pays au bord dela faillite.

Donner aujourd’hui des Seychellesl’image d’un pays terrorisé par des« tontons macoutes » à la haïtienne oud’une Albanie dictatoriale isolée dureste du monde est totalement abusif.Parler de façon lapidaire, comme le faitune certaine presse, d’« assassinatsd’opposants en exil de 1977 à 1992 »l’est tout autant . L’assassinat le29 novembre 1985 de Gérard Hoareau,ancien conseiller spécial de JamesMancham et dirigeant du Mouvementpour la résistance, en exil à Londres,n’a jamais été identifié par l’unité anti-terroriste de Scotland Yard commeétant un assassinat politique. Quant auxécoutes téléphoniques de l’opposition àLondres, elles ont permis de déjouerune tentative de coup d’État.

� Quand les « oies sauvages » menacent…Certains journalistes ont vite fait

d’oublier – ou peut-être ignorent-ils –que dans les premières années d’indé-pendance, les Seychelles et le peupleseychellois ont eu à se défendre sur plu-sieurs fronts, en plus d’avoir à contrer

l’opposition soutenue par certainespuissances. Pays stratégique par sasituation dans l’océan Indien et l’éten-due de sa zone économique exclusive(ZEE), l’archipel a fait l’objet de laconvoitise des grandes puissances quiont tenté – en vain, grâce à la volontéd’indépendance et de souveraineté durégime « socialiste » – d’y installer desbases militaires. Et ce, jusqu’à ce jour.Les narcotrafiquants ont, également,essayé de les utiliser comme plaquetournante. L’Afrique du Sud de l’apar-theid, où vivaient des opposants actifs,avait aussi des vues sur l’archipel.

En 1978, les opposants liés à JamesMancham exilés en Afrique du Sud ontfomenté un coup d’État après discus-sion avec le gouvernement d’apartheid.L’option militaire avait été décidée àWashington. Les États-Unis dispo-saient depuis de longues années, d’unestation radar au sommet du morne àMahé et étaient en train d’installer leurnouvelle base à Diego Garcia. L’anti-impérialisme du régime seychellois luiinterdisait d’étendre ses activités auxSeychelles. En novembre 1981, le mer-cenaire sud-africain Michael Hoare,ancien commando de l’armée britan-nique, impliqué au Congo-Kinshasa, àCuba et travaillant pour la CIA, débar-quait avec 53 autres « oies sauvages » àl’aéroport de Mahé, où, avec la compli-cité de contacts dans l’île principale, ilavait pour mission de renverser lerégime. En 1982, le nouveau régime« socialiste » dut faire face à une muti-nerie au sein de sa jeune armée. Sonchef, Georges Nichole, avait sollicitél’aide de l’Afrique du Sud.

Dès 1977, la jeune république aémergé sur la scène internationale,intervenant avec force à l’Onu, puis parsa présence au sein d’institutions régio-nales et internationales. Plus récem-ment, elle a œuvré de façon décisive àune coalition internationale efficacecontre la piraterie dans ses eaux territo-riales. Membres de la Commission del’océan Indien, les Seychelles sontaussi membres de la Cour pénale inter-nationale, dont elles ont signé le statutde Rome en 2000.

Nous sommes donc très loin d’un« dirigisme à l’albanaise ». Malgré leserreurs et les excès du passé, les nou-veaux dirigeants, Dany Faure et l’op-position héritent d’une situation quileur permet d’aller plus loin encoredans la modernité et le développementde la démocratie. �

Ancienne colonie britannique, lesSeychelles sont devenues indépen-dantes en 1976. De 1964, année de leurcréation, à l’indépendance, deux partisseychellois se sont opposés. Le Sey-chelles People’s United Party (Spup,aujourd’hui parti Lepep), dirigé parFrance-Albert René, d’orientationsocialiste, revendiquait l’indépendance.Le Seychelles Democratic Party (SDP),dirigé par James Mancham, représentaitles milieux d’affaires et les planteurs, etprônait une intégration au Royaume-Uni. Le 29 juin 1976, les Seychellesdevenaient une République indépen-dante intégrée au Commonwealth, lesBritanniques nommaient James Man-cham, anobli à cette occasion, à la têtede l’État et France-Albert René premierministre. James Mancham était, àl’époque, considéré comme un « play-boy » international, plus souvent àl’étranger pour « convenance person-nelle », qu’à son bureau présidentiel deState House, et voulant faire des Sey-chelles un Cuba d’« avant Castro » sousla coupe des puissances occidentales.

� Un pays prospère Un an plus tard, France-Albert René,

James Michel et une centaine de parti-sans du Spup devenu SPPF, non ou malarmés, renversaient James Mancham,alors à Londres, instauraient un régimeà orientation « socialiste à la seychel-loise » et un système de parti unique. Cene fut pas, comme on peut l’entendre oule lire aujourd’hui, un « putsch san-glant » ou « un bain de sang » ; il y eutquatre morts. La presse française, duMatin de Paris au Monde, en passantpar Libération, le Nouveau Journal ouLa Croix, traite alors l’événement avecune certaine bienveillance. Plantu cari-cature le coup sous la forme d’une tor-tue géante seychelloise secouant sacarapace pour en faire tomber des pionsreprésentants les puissances étrangères.France-Albert René est présentécomme un admirateur de Fidel Castroet James Michel et ses compagnonscomme des intellectuels gauchistes.

Certes, on ne peut nier les dérives del’ère France-Albert René qui a par lasuite développé un pouvoir fort et per-sonnellement corrompu, ni les erreurs

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LA COMMUNAUTÉ LUSOPHONE, TROP AXÉE SUR LE COUPLE LUSO-BRÉSILIEN,

PRÊTE LE FLANC AUX ACCUSATIONS DE NÉOCOLONIALISME.

Par Tigrane Yégavian

C réée le 17 juil let 1996, sousl’impulsion des présidents portu-gais Mario Soares et brésilien

Fernando Henrique Cardoso, la Com-munauté des pays de langue portugaise(CPLP) avait été qualifiée non sansambition de « projet pour le XXIe siècle ».Après tout, n’était-ce pas là un moyenpour le Portugal de se réconcilier avecson empire sans s’éloigner de l’Europe,rejointe avec enthousiasme dix annéesplus tôt ? L’organisation était centrée audépart sur la défense et la promotion dela langue de Camoes, avec la mise enplace d’un Observatoire et d’un Institutinternational de la langue portugaise.Elle s’étendit par la suite, plus timide-ment, aux volets « politique et culturel »ainsi que « commercial et économique ».

Si l’idée d’un Portugal pluricontinen-tal, multiracial et lusotropical défendu etidéalisé dans les années 1950 et 1960pour mieux justifier la présence colo-niale dans les « provinces d’outremer » afait son temps, le Portugal n’a jamaispleinement tourné le dos à son illustrepassé. Preuve qu’il n’est pas aisé de fairetable rase du salazarisme ; la reformula-tion de la vieille antienne « O mundo éportuguês » (« le monde est portugais »)en « mundo português » (« monde portu-gais »), comme tentative de réécrire unnouveau récit inclusif. Tel un lointainécho au vieux songe du CinquièmeEmpire, cette royauté spirituelle conçuepar le père Antonio Vieira (1608-1697).

Aujourd’hui, le secrétariat exécutif de laCPLP est assuré de façon tournante pourdes mandats de deux ans, renouvelablesune fois, par des diplomates originaires del’un des neuf États membres (Angola, Bré-sil, Cap-Vert, Guinée-Bissau, Guinéeéquatoriale, Mozambique, Portugal, SãoTomé-et-Principe et Timor-Oriental). À cejour aucun Portugais n’a occupé ce poste.

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Langue officielle de l’Angola, duCap-Vert, de la Guinée-Bissau, duMozambique et de São Tomé-et-Prin-cipe, le portugais est parlé et comprispar une partie significative de la popu-lation, même si tous ne l’écrivent pas.Pour l’historien Yves Léonard, spécia-liste du Portugal contemporain, lalangue portugaise joue un rôle fédéra-teur, sorte de ciment national face auxclivages ethniques. En Afrique luso-phone, le portugais n’est pas « languenationale », mais bien « langue del’unité nationale », rappelle à juste titrel’auteur d’une magistrale histoirecontemporaine du Portugal qui vient deparaître (voir encadré).

� Un bilan en demi-teinteBrasilia a accueilli, les 31 octobre et

1er novembre dernier, le XIe sommetdes chefs d’État et de gouvernementde l’organisation lusophone. Interrogépar des journalistes angolais en margede l’événement, son secrétaire généralsortant, le diplomate mozambicainMurade Murargy, a parlé d’un bilanpositif, conscient que la CPLP en étaitencore à l’état de chantier. Il n’em-pêche qu’aux yeux d’Yves Léonard,celle-ci n’a pas encore franchi le capdes bonnes intentions. « Le bilan estmodeste, dominé au fil des ans par denombreux projets et rapports sans len-demain, plombés le plus souvent parles di f f icul tés f inancières de sesmembres, tel le Brésil qui contribue àhauteur de près d’un tiers du budgetde la CPLP. Au terme de ces 20 pre-mières années d’existence, la CPLPne s’est dotée ni d’une politique étran-

gère, ni d’une politique économique,ni d’une politique de défense com-mune », affirme-t-il à Afrique Asie. Defait, les neuf États membres ne dispo-sent pas de frontière commune. Répar-tis sur quatre continents, n’ont-ils pasdavantage intérêt à privilégier leursespaces économiques régionaux conti-nentaux : l’Union européenne pour lePortugal, le Mercosul pour le Brésil, laCommunauté de développementd’Afrique australe pour l’Angola et leMozambique, l’Asean dont le Timor-Oriental aspire à devenir membre?

Pour le sommet de Brasilia, le Portu-gal a dépêché une délégation du plushaut niveau, conduite par son présidentde la République et grand communi-quant Marcelo Rebelo de Sousa, flan-qué de son premier ministre AntonioCosta, et du ministre des Affairesétrangères Augusto Santos Silva. Il asoutenu la libre circulation des citoyensdes États membres comme préalableau renforcement de la communauté.Une option qui, si elle laisse songeur,fait sourire la plupart des éditorialistesde Lisbonne, lesquels ont rappelé lessacro-saintes normes dictées par lesaccords de Schengen (1)…

� Et vu de Lisbonne ?Plus significative est « l’absence de

volet économique en perspective, ni decapacité à gérer des crises internes àses pays membres, comme enavril 2012 lors du coup d’État mili-taire en Guinée-Bissau », souligneYves Léonard.

Lors d’un entret ien accordé auMonde le 11 juin 1985, en pleine

CPLP Les 31 octobre et 1er novembre, Brasilia a accueilli le XIe sommet des chefs d’État et degouvernement de la Communauté des pays de langue portugaise qui a fêté cette année son20e anniversaire. Propulsé en 1996 par le Portugal et le Brésil, le pendant lusophone de laFrancophonie peine toujours à décoller.

Une coquille vidée de sa substance ?

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UN 20E ANNIVERSAIRE ÉCLIPSÉ

PAR LA PRÉSENCE DU DICTATEUR ÉQUATO-GUINÉEN.

née équatoriale dans l’hôtel où logeaitla délégation portugaise. Initialementmembre observateur, admis de pleindroit en 2014 – contre l’avis du Portu-gal – lors du sommet de Dili, la Gui-née équatoriale a fait du portugais satroisième langue officielle, derrièrel’espagnol et le français. Gouvernéed’une main de fer depuis 37 ans par ledictateur Teodoro Obiang, l’adhésionde cet État pose une difficulté supplé-mentaire. « Cette opposition ferme desautorités portugaises à l’admission dela Guinée équatoriale […] a fortementcrispé les pays africains de langueportugaise. La question de l’abolitionde la peine de mort en Guinée équato-riale a d’ailleurs suscité de nouveauxdébats lors du dernier sommet de Bra-silia, les autorités portugaises consi-dérant que le maintien de la peine demort en Guinée équatoriale constituaitun obstacle dirimant à sa présence ausein de la CPLP. Le Portugal ad’ailleurs été précurseur, étant l’undes premiers pays au monde à abolirla peine de mort dès le mil ieu duXIXe siècle », précise Yves Léonard.

Autre motif de gêne pour Lisbonne :la non-généralisation de l’enseigne-ment de la langue de Pessoa dans cepays de faible pénétration lusophonecontinue de poser problème au bien-fondé de l’adhésion de Malabo à laCPLP. Les détracteurs de Lisbonnerappellent pour leur part que le créolelocal (fá d’ambô) à base lexicale por-tugaise y est pratiqué, surtout dansl’île d’Annobón, historiquement peu-plée par des esclaves angolais.

� Des moyens insuffisantsIls sont nombreux à critiquer l’insuf-

fisant niveau de l’intégration de laCPLP. Excepté le Portugal, aucun desÉtats membres ne figure parmi les20 premiers classés selon l’indicateurde développement humain. De l’avisde Boaventura de Sousa Santos, émi-nent sociologue portugais, la commu-nauté lusophone est trop axée sur lecouple luso-brésilien. De quoi prêter leflanc aux accusations de néocolonia-lisme… Notons également l’absencede réponse de l’organisation à dessituations d’urgence, comme ce fut lecas lors des graves inondations qui ontfrappé le Mozambique en 2009 (2).

Si cette année le Brésil endosse laprésidence bisannuelle, la diplomatiebrésilienne n’a jamais fait montre d’unréel engouement pour ce forum mul-

Photo de famille de la CPLP :

grandes ambitions, petits résultats.

D.

R.

tion à Lisbonne du siège de la CPLP.Beaucoup espèrent voir cette situationévoluer dans un proche avenir ».

� L’épineuse question équato-guinéenneLe secrétariat général exécutif –

tournant – de l’organisation aurait dûrevenir au Portugal cette année, maisc’est finalement l’ancienne premièreministre et gouverneure de la Banquecentrale de Sao Tomé-et-Principe,Maria do Carmo Silveira, qui occu-pera la fonction de secrétaire généralepour les années 2017 et 2018. Un(e)Portugais(e) devrait lui succéder en2019. « La présidence étant exercéepar le Brésil pour les deux prochainesannées, les membres de la CPLPvoyaient d’un mauvais œil un tandemBrésil-Portugal à la tête de l’exécu-tif », ajoute l’historien, qui note aupassage que le manque de moyensfinanciers du Portugal le pénalise dansses ambitions de promouvoir la CPLPsur la scène internationale.

À l’évidence ce 20e anniversairesera sans doute éclipsé par l’embarras-sante présence du président de la Gui-

euphorie européenne, Mario Soaresdisait que le poids de l’empire portu-gais avait distrait ses concitoyens duVieux Continent et « fait entrer [sonpays] en décadence ». Il semble que lacrise structurelle dans laquelle le Por-tugal est empêtré depuis la secondemoitié des années 2000 a provoqué unrétropédalage vers le grand large.« Pour le Portugal, la CPLP reste unélément central de sa politique exté-rieure, comme en témoignent la visiterendue par le ministre des Affairesétrangères, Santos Silva, au siège dela CPLP dès le lendemain de sa nomi-nation en novembre 2015, ou biencelle du président Rebelo de Sousaquelques jours seulement après sonentrée en fonction en mars dernier. Lesiège de la CPLP est d’ailleurs à Lis-bonne depuis sa fondat ion enjuillet 1996 », indique Yves Léonard.Et d’ajouter : « Les autres membressuspectent toujours une forme de néo-colonialisme derrière cette localisa-

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LA DIPLOMATIE BRÉSILIENNE N’A JAMAIS

FAIT MONTRE D’ENGOUEMENT POUR LA CPLP.

tilatéral, et rares sont les Brésiliens àconnaître la CPLP (3). Avec 768 453,68d’euros pour le budget 2017, le plusgrand pays lusophone est le premierpays contributeur, suivi du Portugal(590 735,89 euros) et de l’Angola(589 291,90 euros) (4), sur un budgettotal de 2,7 millions d’euros. Celui-cin’a pas été revu à la hausse depuis lesommet de 2014, et est bien en deçà desfrais de fonctionnement de l’Organisa-tion internationale de la Francophonie.

� Le portugais une langue mondeCréé en 2002, l’Institut international

de la langue portugaise, dont le siège estau Cap-Vert, est censé défendre, pro-mouvoir, enrichir et diffuser la languede Pessoa, Il s’efforce surtout d’apaiserles tensions dues à diverses réformesorthographiques. Le budget de cetorgane, jusque-là paralysé faute definancements (6), a été augmenté de55 millions, pour passer à 310 millionsd’euros à l’issue du sommet de Brasilia.

C’est du reste davantage sur l’impor-tance centrale de la langue que sur lesempiternel débat suscité par la réformeorthographique (dont le nouvel accordluso-brésilien n’a toujours pas étévalidé en Afrique lusophone) que l’ex-secrétaire général Murargy a voulufixer un cap. Sous-entendu, la langueau service de l’éducation du dévelop-pement et d’échange des connais-sances. Une démarche qui, selon lediplomate mozambicain, ne peut sefaire qu’en synergie entre les acteursconcernés des pays membres, dont lesatouts constituent un fort potentielpour la communauté lusophone.

C’est ainsi qu’au cours du derniersommet de Brasilia, les participants ontprivilégié l’option de construire pro-gressivement une citoyenneté com-mune et de faire du portugais unelangue officielle des Nations unies aumême titre que l’anglais, l’espagnol, lefrançais, le russe et l’arabe. Une idéefermement défendue par AntonioGuterres, ex-premier ministre portugaiset secrétaire général de l’Onu fraîche-ment élu, présent au sommet de Brasi-lia. Il devra compter pour cela sur unengagement plus significatif du Brésilqui, depuis le coup d’État constitution-

48 Afrique

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nel orchestré contre Dilma Rousseff, adélaissé son activisme diplomatique.C’est donc suspendu à l’évolution de lacrise brésilienne que se déterminera lesort de la lusophonie dans les deux pro-chaines années. �

� (1) http://www.dn.pt/opiniao/opiniao-da-

direcao/interior/bla-bla-bla-5473760.html(2) http://noticias.sapo.pt/lusa/artigo/

656a3d5b0f2545061534dd.html(3) http://observador.pt/2016/10/31/brasil-

presidente-da-cplp-mas-poucos-brasileiros-

conhecem-a-comunidade/(4) https://www.noticiasaominuto.com/

mundo/680191/orcamento-do-secretariado-

executivo-da-cplp-para-2017-e-igual-

ao-de-2014(5) http://portocanal.sapo.pt/noticia/105659/

Coup de projecteur sur le Portugal contemporain

É crite par le meilleur spécialiste francophone, Histoire du Portugalcontemporain, de 1890 à nos jours (1) constitue une remarquable synthèsequi rend enfin justice à un pays et une civilisation trop longtemps délais-

sés dans le paysage éditorial de l’Hexagone. Le choix de la date du titre n’est pasanodin, puisque l’année 1890 correspond à l’humiliant ultimatum britanniquesonnant le glas du rêve de l’expansion coloniale portugaise en Afrique méridio-nale, celui d’un nouveau Brésil en Afrique (la fameuse « carte rose »). Lors de cemoment charnière, la monarchie prend conscience de son impossibilité de s’af-franchir de l’étouffante tutelle anglaise et du profond déséquilibre dans la rela-tion entre les deux alliés historiques.

Si d’aucuns caractérisent la période qui succède aux invasions napoléonienneset la perte du Brésil comme un long et inexorable déclin de l’éclat portugais,Yves Léonard, lui, décrit le souffle de l’extraordinaire richesse des courants etdes idées politiques qui jalonnent les premières années du régimerépublicain, avant de se pencher sur les conditions menant à l’ascen-sion et à l’établissement du régime corporatiste mis en place par letout-puissant président du conseil Salazar (1932-1968). L’occasionpour l’auteur de se pencher sur la nature de ce pouvoir, à la lumièredes riches débats qui traversent actuellement l’historiographie por-tugaise. Si le salazarisme emprunte des traits au fascisme italiendans sa construction institutionnelle, il s’en écarte notamment parla nature du chef : Salazar n’a rien d’un Duce ni ne cherche à incar-ner un rôle de leader charismatique pour mobiliser les masses.

Une attention particulière est accordée à la dimension sociétale de l’histoire duPortugal, que ce soit dans l’étude du déroulement du processus politique qui asuccédé à la révolution des Œillets de 1974 ou dans les évolutions récentes, dansle contexte de la crise de la dette qui frappe sévèrement le pays.

Dans cet ouvrage de référence, l’auteur a le mérite de dépasser les clichés du« bon émigré portugais » et de la trilogie des 3 F (fado, Fatima, football) qui ontla vie dure, pour mieux revenir sur le caractère précurseur du Portugal dans l’his-toire européenne. Que ce soit sa transition démocratique réussie, sa trajectoire ausein de l’Union européenne et sa place dans le monde. Pour mieux partager sapassion, Yves Léonard a notamment eu l’heureuse idée de citer cette phrase deMiguel Torga, un grand nom des lettres portugaises : « Nous qui avons été lesnomades du monde devrons être dorénavant les sédentaires comparses d’uneEurope où nous nous sommes toujours sentis à l’étroit et dans laquelle nousn’avons pas su nous accomplir. Partir, c’est notre façon de nous émanciper.Dorénavant, notre chemin ne sera plus celui de la recherche de vastes espacespour affirmer ce qui nous était refusé dès le berceau, mais celui d’une décou-verte intérieure ajournée depuis des siècles et des siècles. » � T. Y.

� (1) Histoire du Portugal contemporain, de 1890 à nos jours,

Yves Léonard Éd. Chandeigne, 296 p. 20 euros.D

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49Lettre d’Afrique australe

Le 19 octobre 1986, l’avion qui trans-portait le président mozambicainSamora Machel et sa délégation s’écra-sait à Mbuzini, territoire sud-africainprès de la frontière avec le Mozam-

bique. Trente-cinq passagers ont été soit tués surle coup, soit grièvement blessés et mourrontquelques heures plus tard. Neuf ont survécu, dontun membre de l’équipage soviétique, un ingénieurde bord. Il mourra toutefois une semaine plus tard.

Certains spécialistes portugais et français ten-dent à occulter les responsabilités du régime del’apartheid dans ce crash pour les rejeter surl’équipage. Rappelons de nombreux faits quicontredisent sévèrement cette lecture.

• 1. Maintes fois des agents de l’apartheid ontessayé d’assassiner Samora. Notre sécurité a faitavorter ces tentatives, la dernière quelques joursavant le crash de l’avion. • 2. Comme par hasard,le gouvernement sud-africain avait au préalabledéclaré Mbuzini zone militaire. D’après la popula-tion locale, il n’y avait là que des éléments des forcesarmées. • 3. Une semaine avant le 19 octobre un sommetdevait se tenir à Maputo pour résoudre le conflit entre l’An-gola et le Zaïre. Tous les chefs d’État sont venus, saufMobutu, qui a envoyé son premier ministre. Le sommet futajourné et se tint à Mbala en Zambie, le 19 octobre. • 4. Àson retour, l’avion fit escale à Lusaka pour se ravitailler encombustible. Des documents qui le prouvent et affirmer,comme l’ont fait certains membres de la commission d’en-quête, qu’il n’avait pas de carburant est un mensonge gros-sier. • 5. Le général Earp, qui commandait la force aériennesud-africaine, a déclaré publiquement que ses servicesavaient suivi l’avion depuis Lusaka. • 6. Peu avant la chutede l’appareil, Paulo Oliveira, porte-parole de la Renamo(l’opposition armée soutenue par Pretoria, ndlr) à Lisbonne areçu des instructions de la direction de l’Intelligence mili-taire sud-africaine pour préparer un communiqué déclarantque la Renamo avait abattu l’avion. Un contre-ordre a suivi,lorsqu’on a constaté que l’avion était tombé en Afrique duSud. Oliveira a publiquement fait état de tout cela. • 7. PikBotha, le ministre sud-africain des Affaires étrangères, m’atéléphoné le 20 octobre vers6 h 30 pour me dire queSamora était décédé et quel’avion s’était écrasé dans leTransvaal.

J’ai informé le Bureau

politique du Frelimo et le gouvernement quiétaient réunis tout près de mon domicile. Duranttoute la nuit, des hélicoptères et des bateauxavaient déjà entrepris des recherches sous la direc-tion du général Panguene. • 8. J’ai demandé àBotha où exactement nous devrions nous rendre. ÀNkomatiport, m’a-t-il répondu. • 9. Avec des héli-coptères et un avion, nous nous y sommes rendus.Une bonne heure et demie après, le général IanCotzee, alors commandant général de la policesud-africaine, a atterri et, devant des témoins – lesministres mozambicains de la Santé et des Trans-ports, le chef d’état-major de la Force aériennemozambicaine et plusieurs journalistes il adéclaré : « Mes condoléances ministre, je viens dulieu de l’accident, j’ai pris la liberté de mettre lecorps du président dans un cercueil, à l’endroit oùil se trouvait. Vous devez enquêter au sujet de cer-tains appareils [balises VOR qui donnent leurspositions aux avions, ndlr] qui se trouvaient àproximité. » • 10. Pik Botha est arrivé presque à

midi. À ce moment, il n’y avait aucun militaire, seulementdes policiers. Les survivants et la population nous ont dit quepersonne n’avait porté assistance aux blessés et qued’étranges appareils avaient été évacués par les soldats. • 11. L’enquête s’est déroulée en URSS, pays de construc-tion de l’avion, en Suisse pour les boîtes noires, sauf celle dela cabine que les Sud-Africains ont gardée, mais dont ilsdisaient qu’elle s’était détériorée. • 12. Les données fourniespar les boîtes noires ont témoigné du bon état de l’avion, dela présence de combustible suffisant pour se rendre à desaéroports alternatifs, et de moteurs impeccables. Les pilotesétaient tous expérimentés. • 13. Les autopsies conduites pardes médecins sud-africains, soviétiques, cubains et mozam-bicains n’ont trouvé aucune trace d’alcool ni chez les pilotesni chez les passagers.

Le régime de l’apartheid a clos l’enquête. Une cour dite dejustice, présidée par l’ancien colonel devenu juge, CécilMargo (le même qui a annoncé que Steve Biko s’était sui-cidé en se frappant la tête contre les murs de sa prison…), adéclaré que la cause de l’accident était l’ivresse et que lespilotes étaient incompétents. Les gens des services de Preto-

ria qui étaient au courant ontdétruit tous les documents.Plusieurs d’entre eux sontdécédés. Saura-t-on jamaisla vérité? L’Histoire, en toutcas, nous le dira. �

Par Sergio Vieira

Membre fondateur

du Frelimo et

plusieurs fois

ministre du

Mozambique,

aujourd'hui écrivain

et professeur retraité

à l’université

Eduardo-Mondlane

de Maputo.

D.

R.

Samora Machel : un crime d’État occulté

Mozambique. Il y a 30 ans, l’avion du président s’écrasait. Les documents français déclassifiés il y apeu reprennent la thèse de l’incompétence de l’équipage russe. Sérgio Vieira, qui était alors leministre de la Sécurité du Mozambique, nous dit, faits à l’appui, pourquoi cette thèse est fantaisiste.

LES SERVICES DE PRETORIA ONT DÉTRUIT TOUS LES

DOCUMENTS. SAURA-T-ON JAMAIS LA VÉRITÉ ?

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Avec le t r iomphe de la guéri l lacubaine et la victoire vietnamiennesur l’agression américaine, laRévolution algérienne est certaine-ment l’évènement historique le

plus marquant de la deuxième moit ié duXXe siècle. Dans sa personne et dans sa vie,Ahmed Ben Bella incarne presque idéalementles caractéristiques et les qualités de la Révolu-tion algérienne : intraitable volonté d’indépen-dance, courage physique et moral, finesse d’es-prit maghrébine, attachement au bonheur,irrésistible désir de solidarité avec ses compa-triotes et avec les peuples du monde. Il était dehaute stature et s’est tenu droit jusque dans sontrès grand âge.

Il aurait eu 100 ans le 25 décembre 2016. Les insurgés algériens, dans une guerre atroce

de sept ans, ont vaincu la plus puissante arméecoloniale de leur époque. Ils ont conquis la liberté desleurs, construit une nation puissante et ouvert la voie à ladécolonisation de l’Afrique tout entière.

� Un homme libre, qui pensait justeLe pouvoir est un poison insidieux pour quiconque

l’exerce. Ahmed Ben Bella l’a exercé au palais présidentield’Alger pendant plusieurs années. Le poison ne l’a pasabîmé : jusqu’au dernier jour de sa vie, il est resté l’hommemodeste, curieux, fraternel, généreux qu’il avait été depuisson adolescence à Maghnia, dans l’est de l’Algérie.

Ce n’était pas un grand intellectuel, mais un homme quipensait juste. Je partage avec nombre de ses visiteurs àBegnins – un beau village vaudois enfoui dans les vignescomme, à quelques kilomètres de là, mon village genevoisde Russin – la gratitude et l’émotion que nous faisaientéprouver nos discussions. Dans ses récits, Ben Bella étaittotalement libre, exempt de toute forme de vanité ou deressentiment. Plein d’un humour discret. Il était capabled’autocritique, qualité rare chez les anciens chefs d’État. Ilavouait notamment s’être complètement trompé dans sapolitique agricole, en impo-sant aux paysans d’impro-duct ives fermes d’Étatselon l’absurde modèlesoviétique.

Ben Bella – au-delà de

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l’histoire maghrébine – appartient à l’histoiredu monde. C’est lui qui a accueilli Che Gue-vara et les autres dirigeants de la Conférencetricontinentale à Alger, transformant ainsi laville en capitale internationale de la solidarité.Avec Gamal Abdel Nasser, Ahmed SékouTouré et Modibo Keïta il a été un des fonda-teurs de l’Organisation de l’unitéafricaine (OUA).

Une chose me chagrine : j’aiéchoué dans ma tentative de leconvaincre d’écrire (ou du moinsde dicter) ses mémoires. De saparole, hélas ! il ne reste aujour-d’hui que quelques discours etcette série d’entretiens qu’il aconcédés à deux journalistes par-ticulièrement tenaces de la télévi-sion Al-Jazira. Ses récits, pas-

sionnants, sont conservés dans les archivesde la chaîne à Doha.

Jean-Jacques Rousseau écr i t : « Leshommes n’eussent été que des monstres si lanature ne leur eût donné la pitié à l’appui dela raison. » (Discours sur l’origine et lesfondements de l’inégalité parmi les hommes,1755.) La compassion avec les êtres en souf-france était un trait dominant du caractère deBen Bella. Nous sommes nombreux à noussentir honorés, reconnaissants, d’avoir puprofiter de la présence sur terre, en notretemps, de ce personnage hors norme.

� Le pardon et la réconciliation Son indépendance conquise, l’Algérie est

devenue la grande puissance de la Méditer-ranée méridionale. Une nation indomptable.Mais des forces obscures, sinistres, muespar l’envie et la volonté de briser l’insou-mise, ont tenté, durant une décennie san-

glante , dedét rui re del ’ i n t é r i e u rl ’ A l g é r i esouveraine.L’Algér ie a

INTRAITABLE VOLONTÉ D’INDÉPENDANCE,

COURAGE ET FINESSE D’ESPRIT.

Hommage Le premier président de la République aurait eu 100 ans le 25 décembre 2016.Jean Ziegler a été durablement marqué par la personnalité de celui qui « incarne presqueidéalement les caractéristiques et les qualités de la Révolution algérienne ». Un exemple, unmodèle à ne jamais oublier.

Merci Ahmed Ben Bella

Décembre 2016 � afrique asie

Par Jean Ziegler

Auteur du livre

Chemins d’espérance.

Combats gagnés,

parfois perdus et que

nous remporterons

ensemble,

Éd. du Seuil, 2016.

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Page 51: Amérique Trump-l’œil - CETIM · avoir misé sur la victoire de Donald Trump. Se sentant humilié par Obama, qui a refusé de lui serrer la main lors de son passage à l’Onu,

Ahmed Ben Bella « appartient à l’histoire du monde »,

note Jean Ziegler. Ci-dessous, avec Houari Boumediène

lors d’un meeting populaire en 1962.

Ci-contre, avec les présidents Gamal Abdel Nasser

et Abdelaziz Bouteflika.

vaincu. Pour guérir ses plaies, réunifier la nation, le prési-dent Bouteflika a promulgué une loi de réconciliationvisionnaire.

Ben Bella a été durant toute sa vie un homme habité parune foi profonde. Il a vécu au quotidien les préceptes detolérance et de pardon énoncés par le Coran. Beaucoup de

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familles de victimes des monstres djihadistes ont eu de lapeine à accepter cette loi de réconciliation. Elle a rencon-tré des oppositions vigoureuses. Nommé président de laCommission nationale de réconciliation, Ben Bella aimposé la vision du président Bouteflika.

Ahmed Ben Bella aimait la langue espagnole qu’il com-prenait et parlait couramment. Il aimait El Canto Generaldu poète chilien Pablo Neruda, l’ami de Salvador Allende,assassiné comme lui, en septembre 1973. Comme Neruda,comme Allende, Ben Bella était un homme d’espérance,convaincu que l’Histoire a un sens, que l’humanisation del’homme est son horizon. Neruda exprime magnifique-ment cette conviction :

« Podrán cortar todas las flores, Pero jamás detendran la primavera. »« Eux, nos ennemis, pourront couper toutes les fleurs,Mais jamais ils ne seront les maîtres du printemps. » �

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Photo

s:

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DES PRÉOCCUPATIONS SIMILAIRES CONCERNANT LE MARCHÉ

INTERNATIONAL DES HYDROCARBURES, EN SOUFFRANCE DEPUIS 2014.

Par Hamid Zedache

N i axe Alger-Riyad ni inimitiéentre les deux capitales, maisune solidarité active, chacune

en fonction de ses intérêts nationaux etselon son agenda politique et diploma-tique propre. C’est en résumé le dia-gnostic couramment établi sur les rap-ports entre l ’Algérie e t l ’Arabiesaoudite dans les chancelleries, qui lesscrutent au jour le jour étant donné lepoids des deux pays dans la commu-nauté arabe et sur la scène internatio-nale. S’ils ont des divergences sur lasituation géopolitique d’une « régionpoudrière », le Proche-Orient, où lesconflits sont provoqués et attisés del’extérieur à des fins de domination, ilspartagent une religion commune, l’is-lam sunnite, et des préoccupationssimilaires concernant le marché inter-national des hydrocarbures, en souf-france depuis 2014.

Au cours d’une visite officielle detrois jours, le premier ministre algérienAbdelmalek Sellal a été reçu à Riyadavec un protocole et des égards que lesSaoudiens ont de tout temps su rendreaux Algériens – qui restent à leurs yeuxle peuple du million et demi de mar-tyrs. Abdelmalek Sellal a rappelé sansambages les fondamentaux de cetterelation. Sur cette base, il a appelé lesSaoudiens à nouer avec Alger, dans unclimat des affaires assaini et confortépar les dernières mesures de stimula-tion des investissements, « un partena-riat fort » dans l’industrie, l’agricul-ture, le tourisme, les technologiesavancées, etc.

� Des relations stratégiques privilégiéesLes Saoudiens disposent déjà d’in-

vestissements en Algérie dans la phar-macie , les industr ies chimiques,l’agroalimentaire, les matériaux deconstruction, l’énergie, même s’ils sontencore modestes par rapport au poten-

Algérie/Arabie saoudite Entre les deux pays, le dialogue ne s’est jamais interrompu,même si Alger et Riyad ne sont pas toujours sur la même ligne politique et n’obéissentpas à la même feuille de route.

Un nouveau souffle

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tiel considérable existant. Le ministrealgérien de l’Industrie et des MinesAbdesslam Bouchouareb les appelés às’engager davantage encore dans laréindustrialisation de son pays. Malgréla crise pétrolière internationale, l’Al-gérie connaît en effet un regain dedynamisme industriel qui vise à moyenterme une intégration effective de sonéconomie dans l’économie mondiale, àtravers une chaîne de valeurs maîtrisée.Dans cette mutation, les investisseurssaoudiens sont assurés de « tout le sou-tien et l’aide publique nécessaires » àla réalisation de leurs projets, dans lecadre de « relations stratégiques privi-légiées », s’est-il engagé.

Abdesslam Bouchouareb a é téappuyé par les grands patrons, entre-preneurs des secteurs public et privé,comme Ali Haddad, président duForum des chefs d’entreprise (FCE), etLaïd Benamor, président de laChambre algérienne d’industrie et decommerce (CAIC), qui ont abondédans le même sens. Ils faisaient partiede la délégation d’opérateurs emmenésà Riyad par le premier ministre, afind’explorer le marché saoudien, denouer des relations d’affaires avecleurs homologues locaux et de pro-mouvoir les relations économiques etindustrielles entre les deux pays.

� Intensifier les échangesEn même temps que se déroulaient

les discussions politiques au plus hautniveau, avec notamment le roi Salmane,le prince Mohammed ben Salmane,vice-prince héritier et ministre saoudiende la Défense, un forum des chefs d’en-treprise des deux pays s’est en effettenu dans la capitale saoudienne. Il a

permis d’identif ier desconvergences dans les situa-tions vécues dans les deuxpays et de dégager, selonl’expression du ministrealgérien de l’Industrie et desMines, des « perspectivesnouvelles et prometteuses »,permettant d’asseoir desrelat ions économiquessolides. M. Bouchouareb aainsi énuméré à l’intentiondes opérateurs saoudiens lesmesures incitatives décidéesrécemment en faveur desinvest issements directsétrangers (IDE) en Algérie,ainsi que les nouvellesgaranties édictées notam-ment en matière de propriétéindustrielle, avant de lesappeler à « intensifier leurcontribution à l’économiealgérienne » dans ce cadre rénové.

« La place stratégique de l’Algérieet de l’Arabie saoudite leur permet deréaliser un partenariat véritable, pro-ducti f et bénéfique pour les deuxpays », a pour sa part estimé Ali Had-dad, en rappelant que le volume deséchanges commerciaux entre les deuxpays était encore « très faible » parrapport aux capacités disponibles,ainsi qu’aux opportunités d’investis-sement e t de pa r tenar ia t qu’ i l soffrent. Pour Laid Benamor, il fautdésormais f ranchi r une é tape enintensifiant les échanges commer-ciaux entre les deux pays et en lançantdes projets communs là où il existedes opportunités.

En réponse, le président du conseildes chambres de commerce et de l’in-

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Alger, c’est une nouvelle ère pétrolièrequi s’amorce après trois ans de vachesmaigres.

Sur le plan diplomatique, si elle s’estmise prudemment à l’écart du conflityéménite – refusant notamment des’engager dans une guerre absurde quine la concerne pas du tout –, l’Algérien’a jamais manqué d’apporter son sou-tien à la Syrie dans sa guerre contre leterrorisme. Les deux approches relè-vent des constantes de la diplomatiealgérienne : non-ingérence dans lesaffaires intérieures, pas de participationà des conflits armés hors du territoirenational ni de guerres fratricides entrepays arabes. �

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dine Bouterfa, a repris langue avec sonhomologue saoudien, Khalid al-Falih,afin de mettre en musique l’accordd’Alger visant la stabilité de la produc-tion et des prix sur un marché perturbépar la spéculation. Appuyés par la Rus-sie, premier exportateur mondial, quine fait pas partie de l’Opep, les deuxministres s’emploient à convaincrel’Iran, autre grand producteur mondial,de maîtriser sa production, malgré sesbesoins financiers à court terme, pourpeser sur les pr ix à la hausse. Leconsensus ne semble plus difficile àatteindre. Les marchés en ont pris vrai-semblablement acte en s’inscrivantdepuis plusieurs jours en hausse. Pour

INTENSIFIER LES ÉCHANGES COMMERCIAUX ET LANCER

DES PROJETS COMMUNS LÀ OÙ IL EXISTE DES OPPORTUNITÉS.

dustrie saoudiennes, Hamdane Assam-rain, a souligné la volonté de son paysd’opérer un « saut qualitatif » dans sesrelations économiques avec l’Algérieet la ferme détermination des hommesd’affaires saoudiens à élargir de façonpermanente leurs échanges commer-ciaux et développer leurs investisse-ments en Algérie. Malgré la baisseinfligée par la crise à ses réserves dechange, Riyad dispose encore d’unecagnot te confortable de quelque600 milliards de dollars. Elle a prouvéla crédibilité de sa signature en lançantfin octobre un emprunt record de17,5 milliards de dollars sur le marchéinternational.

� Les principes diplomatiques d’AlgerÀ quelques jours d’une réunion cru-

ciale de l’Organisation des pays expor-tateurs de pétrole (Opep) à Vienne, leministre algérien de l’Énergie, Noured-

La délégation algérienne emmenée par le premier ministre Abdelmalek Sellal à Riyad : une volonté partagée

d’opérer un « saut qualitatif » dans leurs relations économiques.

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Par Hamid Zyad

R ituel immuable. Visages fer-més ou sourires forcés et languede bois. La visite du premier

ministre Youssef Chahed à Paris s’estdéroulée dans une atmosphère prochede la sinistrose entre partenaires enéchec dans leur propre pays sur letriple plan politique, économique etsocial. Youssef Chahed, qui peine àconvaincre de son leadership en Tuni-sie, a rencontré François Hollande etManuel Valls, que presque tout lemonde donne partants en mai 2017 auprofit de la droite. Ils ne pouvaient quereconduire du bout des lèvres devieilles promesses-alibis, repeintes duvernis d’une chaude actualité.

Le premier ministre tunisien a dû secontenter d’un maigre résultat : la réité-ration par François Hollande de « l’en-gagement total » de la France en faveurde la Tunisie empêtrée dans une doublecrise économique et sécuritaire, et lapromesse de son homologue françaisde participer personnellement à laconférence internationale sur l’inves-tissement qui se devait se tenir les 29et 30 novembre. Une conférence pro-mue par la communication officiellecomme la clé magique du succès duquinquennat. Or, celui-ci a déjà som-bré dans l’agitation politicienne et l’in-action, sous la férule d’un syndicatprêchant l’immobilisme, au prétexte dedéfendre les acquis des travailleurs.

� Austérité à tous les étagesQuant au programme d’un milliard

d’euros de soutien à la relance écono-mique promis par François Hollandeau président Béji Caïd Essebsi, il estallé rejoindre aux oubliettes d’autrespromesses du même tonneau du G8.

Tunisie Le premier ministre Youssef Chahed, novice dans seshabits neufs, a été si transparent qu’on l’a à peine vu sur leperron du palais de la République à Paris.

Promessessans lendemain

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EN PLEIN DÉSARROI, LE GOUVERNEMENT TUNISIEN ESSAIE DE GAGNER

DU TEMPS EN JOUANT LA CARTE DE LA COMMUNICATION.

tous les partenaires approuvent niaise-ment ces déclarations de façade, aucunjusque-là ne s’est empressé de mettre lamain à la poche, sinon pour des mon-tants modestes, symboliques, qui per-mettent aux autorités de garder la têtehors de l’eau, au milieu de rumeursrécurrentes sur une « faillite d’État »caractérisée. D’où l’appel pathétique de

La Tunisie qui y avait participé enescomptant 10 à 12 milliards de dol-lars d’aide, a dû en rabattre en accep-tant 1,7 milliard de dollars du FMI,conditionné à des coupes claires dansses dépenses sociales, la réductiondrastique des effectifs de sa Fonctionpublique et la mise en place d’un pro-gramme de privatisations étendu, enmettant à l’encan les derniers bijouxde famille. Austérité à tous les étages.

Ultime espoir d’une « coopérationexemplaire » bruyamment vantée depart et d’autre : la conversion desdettes françaises en investissements,tarde elle aussi à venir. Reste le der-nier fantasme courant les rues deTunis, à la suite d’une déclaration dunouveau ministre du Développement,de l’Investissement et de la Coopéra-tion internationale, Fadhel Abdelkafi :la Tunisie pourrait être candidate pourentrer à l’Union européenne (UE).Outre que celle-ci, en profonde crise, adécidé de geler les adhésions, leMaroc, qui a fait la même démarche ily a plus de dix ans, du temps de feuHassan II, attend toujours une réponsequi ne viendra sans doute jamais.

En réalité, le gouvernement tunisienest en plein désarroi face une accumu-lation sans précédent de problèmes detoute nature. Il essaie de gagner dutemps, en jouant de la seule carte mar-keting dont il dispose : la communica-tion. Seule rescapée des prétendus prin-temps arabes, la Tunisie resterait« l’unique démocratie de la région » etmériterait d’être soutenue à ce titre. Si

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Enfin, il n’a pas échappé à Paris queles Tunisiens ont admis avoir accueillisur leur sol des drones américainsaprès l’avoir démenti contre toute évi-dence. On ne peut pas dire que laconfiance règne. �

DANS UN CLIMAT DÉLÉTÈRE L’APPEL PATHÉTIQUE DES

« AMIS DE LA TUNISIE » RISQUE DE RESTER SANS RÉPONSE.

trois éminents professeurs d’économiefrançais (Christian de Boissieu profes-seur à l’université de Paris-I, Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle deséconomistes, et Olivier Pastré profes-seur à Paris-VIII) : « Ne laissons pastomber la Tunisie. » Avec la craintequ’il reste sans réponse, comme l’appelsigné par d’autres « amis de la Tuni-sie », et qui n’a pas été plus entendu.

Le climat des affaires délétère quis’est installé dans le pays depuis cinq

ans et le « gribouillage politique » quimarque la conduite des affaires de l’É-tat à tous les niveaux ont rendu plusfrileux les investisseurs tunisiens etétrangers, qui ne manquent pourtant desympathie pour le « pays du jasmin ».

Le premier ministre tunisien Youssef Chahed, qui a peine à convaincre de son leadership dans son propre pays,

a dû se contenter d’un maigre résultat en France, auprès du président François Hollande, lui-même politiquement affaibli.

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C’est, sans aucun doute, l’un deslivres de géopoli t ique les plusimportants des dix dernières années(1). Docteur en droit, professeur del’enseignement supérieur à l’univer-

sité d’Alger-1 et chroniqueur du quotidien LeSoir d’Algérie, Ammar Belhimer dissèque –avec la précision d’un chirurgien – les troublessociaux et politiques qui ont embrasé certainsÉtats arabes à partir de janvier 2011, événe-ments hâtivement affublés des appellations élo-gieuses de « printemps » ou de « révolutions »…

L’ultime aboutissement de cette onde de choca remis au goût du jour le califat, officiellement aboli en1924. Déjà revendiqué par les égorgeurs des groupes isla-miques armés (GIA) algériens dans les années 1990, lecalifat new-look s’est ainsi imposé, en prolongement desmal nommées « révolutions arabes », comme le successeurde la Qaïda d’Oussama ben Laden, c’est-à-dire comme lanébuleuse terroriste la plus radicalement engagée contrel’hégémonie géopolitique occidentale. En fait, nous com-prendrons, en lisant attentivement Ammar Belhimer, qu’iln’en est rien, et c’est le principal apport de son livre : « Nossociétés contemporaines sont-elles condamnées – auregard de la persistance de la menace – à intégrer le terro-risme comme une nouvelle donne chronique, au même titreque les catastrophes naturelles, les épidémies, les accidentsde la route ou les guerres qui émaillent leurs parcours? »

� Marchandisation de la violenceCette intégration de la menace terroriste – amplifiée par

les impasses des révoltes arabes – change la donne jusqu’àdevenir une nouvelle normalité : « La nouvelle équationvise à contenir, plus exactement à faire avec le risque chro-nique que présente le terrorisme pour nos sociétés aumoindre coût. Au même titre que pour le sida, l’alcoolisme,l’addiction aux drogues et d’autres mots, l’intelligence dela chose consiste aussi à faire du résultat, à défaut de fairedu profit. » Le profit n’est-il pas, du reste, l’ultime stade decette installation du terrorisme mondialisé au cœur mêmedes logiques économiques, financières et politiques dessociétés occidentales?

En effet, le terrorisme mondialisé finit par produire desmécanismes de « marchandisation de la violence ». Dansun premier temps, la réponse des pays ciblés consiste àaugmenter drastiquement leurs moyens budgétaires enmatière de défense et de sécurité. Dans une deuxièmeétape, les armées régaliennes « externalisent » et sous-trai-tent de plus en plus de fonctions, y compris dans lesdomaines les plus régaliens, comme la protection des infra-

56 Tribune

structures sensibles et stratégiques. La troisièmeétape voit fatalement une certaine « ubérisa-tion » de la sécurité, chaque citoyen-consomma-teur finissant par devenir le comptable de sapropre sécurité. Et c’est ainsi que vont fleurirles sociétés privées de gardiennage, de protec-t ion rapprochée et personnal isée, de sur-veillances électroniques et vidéo, d’étude etd’évaluation de la menace, de cabinets deconseil et d’intelligence économique, etc. Lamarchandisation de la violence finit par faireémerger un secteur économique à part entière.Depuis la série d’attentats meurtriers qui a ciblé

la France, le secteur de la sécurité est en passe de produirepresque autant d’emplois que le secteur de l’automobile…

Lénine décrivait l’impérialisme comme le stade suprêmedu capitalisme, on pourrait tout autant qualifier aujour-d’hui le terrorisme comme « la face cachée de la mondia-lisation » (2). Ne cédant en rien aux thèses complotistes,cette lecture dé-constructrice et salutaire relève plutôtd’un procès sans sujet, pour reprendre les propres termesde Louis Althusser, c’est-à-dire d’une forme dominante devitalisme dont la course à l’argent est devenue le rouageessentiel. Et si l’argent s’est imposé comme le référentdominant des relations internationales depuis la fin de laguerre froide, ce n’est pas tant par le simple hasard defusions-acquisitions de sociétés financières transnationalesque par la nécessité de globaliser et d’imposer les méca-nismes d’un marché homogène auquel plus rien ne peutéchapper et surtout pas la guerre, ni la paix du reste…

Nous rappelant que la mondialisation est principalementallergique à trois choses – les États-nations, les servicespublics et les politiques de redistribution sociale –,Ammar Belhimer explique comment l’Union européenneet la Banque mondiale ont dès le début affiché leur soutienaux « révolutions arabes » avant d’en financer certains desprincipaux protagonistes. Il remet aussi en perspectivel’un des premiers actes fondateurs qui entrecroise indisso-ciablement l’islam radical avec le libéralisme économique,à savoir le pacte du Quincy, le premier accord pétrolecontre sécurité, scellé par le président américain Rooseveltet le roi Ibn Seoud le 14 février 1945, renouvelé pour 60ans par George W. Bush en 2005.

Ainsi, l’Arabie saoudite – qui finance l’expansion del’islam radical et ses produits terroristes dérivés depuis plus D

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Consultant

international.

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Les printempsd’Ammar Belhimer

Si les daechistes ont pu prendre Palmyre, en Syrie, en mai 2015

(reprise depuis) c’est parce que « le wahhabisme est au

terrorisme ce que le sein maternel est au nouveau-né :

une source irremplaçable de vie ».

Par Richard Labévière

Page 57: Amérique Trump-l’œil - CETIM · avoir misé sur la victoire de Donald Trump. Se sentant humilié par Obama, qui a refusé de lui serrer la main lors de son passage à l’Onu,

de trente ans – demeure aujourd’hui au cœur d’une machinede guerre financière et idéologique. Sa doctrine officielle –le wahhabisme (« à bien des égards, une insulte faite auxmusulmans », écrit Belhimer) – assure le cadrage et le suiviidéologique d’une interprétation de l’islam des plus réac-tionnaires, mais qui se veut dominante et sans partage.Ammar Belhimer encore : « Le wahhabisme est au terro-risme ce que le sein maternel est au nouveau-né : unesource irremplaçable de vie. »

� Les Frères musulmans, meilleurs propagateursde l’économie mondialisée

Le deuxième allié de cette face cachée de la mondialisa-tion est, sans conteste, la Confrérie des Frères musul-mans : créature frankensteinienne du wahhabisme, desti-née à promouvoir la dawa’a, la propagation de l’islamversion monarchies du Golfe ! Depuis Nasser, pourquoiles administrations américaines successives (républicaineset démocrates) adorent-elles les Frères musulmans ? Trèssimplement parce qu’avec les Frères musulmans, la jeu-nesse des pays arabes en est réduite à faire l’aller et retourentre la mosquée et le McDonald’s. En effet, partout oùdominent les Frères, point de syndicats, de partis degauche ou de partis nationalistes arabes. Foncièrementréactionnaires en matière économique, sociale et cultu-relle, les Frères sont, aujourd’hui encore, les meilleursalliés des États-Unis et de la propagation de l’économiemondialisée.

Ammar Belhimer : « En Égypte, Obama tisse au grandjour une grande alliance avec les Frères, identifiés commesunnites. Son projet est de la réhabiliter, en contrepartie de

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l’acceptation tacite d’Israël et d’une hostilité affichéecontre l’Iran chiite et ses “têtes de pont” régionales, résu-mées dans l’axe de mumana’a – une stratégie initiée parHafez al-Assad au lendemain de la guerre d’Octobre, aprèsque le nationalisme arabe eut sombré à l’issue de cettemême guerre – par la reddition de l’Égypte sadatienne quin’arrête pas encore de produire ses pleins effets. Les Amé-ricains misent sur le courant islamiste pour juguler l’in-fluence iranienne au Moyen-Orient. »

Transposée à la Méditerranée, cette feuille de routedemeure d’actualité : « En termes géopolitiques, les Améri-cains cherchent à y constituer un arc géostratégique sun-nite, qui partirait du Maroc jusqu’en Turquie, en passantpar l’Algérie, la Tunisie, la Libye, l’Égypte, le Liban, laSyrie et le futur État jordano-palestinien ! Avec le Pakis-tan, l’Afghanistan, l’Arabie saoudite et les autres pétromo-narchies, l’Iran chiite sera ainsi définitivement isolé, lepétrole sera bien gardé et la foi des musulmans bienconservée. »

Déconstruction magistrale de l’une des plus grandesimpostures post-guerre froide – les « révolutions rabes » –,Les Printemps du désert, d’Ammar Belhimer, remettent lesdunes en lisière de l’oasis. À lire de toute urgence et à dis-tribuer à la sortie des mosquées, des temples, des syna-gogues, des églises et, bien sûr, des écoles. �

� (1) Les Printemps du désert, Ammar Belhimer,

Anep/Éditions, premier semestre 2016.(2) Terrorisme, face cachée de la mondialisation,

Richard Labévière, Éd. Pierre-Guillaume

de Roux, novembre 2016.

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Par Habib Tawa

Àla suite des bouleversementssuscités en Irak par l’invasionpuis l’occupation anglo-améri-

caine dès 2003, et surtout avec laguerre qui ravage la Syrie depuis2011, un leitmotiv persistant résonnedans les grands médias. À les encroire, une haine inexpiable déchire-rait le monde musulman entre com-munautés sunnite et chiite, irrémédia-blement ennemies. Selon certainsanalystes, un redoutable et conqué-rant croissant, du Pakistan à la Médi-

Sunnites vs chiites La fracturation du Proche-Orient sous l’effet de tensions internes et surtoutd’interventions extérieures fait l’objet d’hypothèses diverses. Essai de démythification d’unparamètre méconnu.

Une rivalité amplifiée à dessein

58 Géopolitique

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terranée, regroupant États et entitésdiverses, tous d’obédience chiite,menacerait ce qui n’y adhérerait pas,en particulier les sunnites. En retour,ces derniers appelés à se défendreporteraient le combat contre ceuxqu’ils qualifient de râfidat, « ceux quirefusent » (sous-entendu l’enseigne-ment véridique). Cette force inquié-tante, en dépit du nombre, pénétreraitle sunnisme de toute part, en particu-lier en le subvertissant discrètement.

Quelle est la réalité de ces alléga-tions ? Sur quel passif historique(voir encadré « Aux origines d’un

différend ») s’appuient ceux qui lesaffirment insurmontables ? Quels ontété les déclencheurs contemporainsqui ont ravivé d’anciennes plaies ?Quelle est l’ampleur réelle d’unetelle reviviscence ? Dans quellemesure certains tentent-ils d’appro-fondir une différence de conceptionet parfois de pratiques, pour la trans-former en fossé infranchissable ?Vers quelle reconfiguration le mondemusulman pourrait-il s’orienter ?

� Ambitions de puissanceDepuis la f in des Séfévides

La dispersion des diverses communautés chiites à travers le monde musulman est instrumentalisée pour créer des dissensions artificielles.

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soigneusement, est devenue le moteurde l’actuelle stratégie de la violencequi permet à ces forces étrangères des’y maintenir.

� Dynamique des tensions En observant de plus près le dérou-

lement actuel des événements, on estfrappé par l’incohérence du schémadiffusé dans les grands médias. Enpremier l ieu , le pré tendu « f rontchiite » n’a pas l’unité que l’on aime-rait lui attribuer (voir encadré « Diver-sités chiites et para-chiites »). S’il estpatent que le clergé de Qom, en Iran,souhaiterait amener dans son giron lesdiverses communautés abusivementrassemblées sous un même label, iln’en est rien dans les faits. Quelquesalliances de circonstance se nouent iciet là sur le terrain, mais elles ne cor-respondent pas à des alignements etencore moins à des inféodations auchiisme duodécimain iranien et à sonprincipe de pouvoir d’essence théo-cratique (le fameux Wilayat faqih). Ilsuffit pour cela d’observer la distancequi sépare les conceptions et encoreplus les pratiques des communautésconcernées. C’est en particulier le casdes nosayris de Syrie et des zayditesdu Yémen, pourtant tous deux forte-ment dépendants de l’appui iraniendans les présentes guerres. �

Aux origines d’un différend

Le parti de ’Ali, ou Shi‘at ‘Ali, est le courant de l’islam qui perpétuel’héritage politique et religieux de celui qui fut le neveu et quatrièmesuccesseur du prophète Muhammad (Mahomet). Initialement, ‘Ali

avait été écarté de la responsabilité de chef de la communauté des croyants.Au terme de luttes internes, il en devint le calife. Mais il eut du mal à s’im-poser, son pouvoir étant rapidement contesté par le gouverneur de Syrie Mu‘awiya. Finalement, ‘Ali mourut assassiné et Mu ‘awiya se proclama calife,écartant les autres prétendants au pouvoir suprême. Après lui une successionde califes omeyyades, puis abbassides, modela en grande partie l’islam. Sousle règne des seconds, à travers quatre écoles juridiques, se fixèrent laconception et les règles qui régissent jusqu’à nos jours la majeure partie dumonde musulman. Qualifiés de sunnites (par référence à la sunna, la voie àsuivre), ses adeptes regroupent aujourd’hui 85 % à 92 % des musulmans.

Après la mort de ‘Ali, Hassan et Hussein, les deux fils qu’il avait eus avecFatima, la fille de Muhammad, tentèrent de réclamer leur héritage politico-religieux. À leur suite certains de leurs descendants en ligne directe, lesimams, en firent autant. Leur souvenir est honoré par les chiites qui leur por-tent un culte dévot. Ils révèrent en particulier ‘Ali et Hussein, victimes tousles deux de destins tragiques. Le souvenir de cette famille et de sa descen-dance est régulièrement honoré par les chiites lors de cérémonies à fortecharge émotionnelle, en particulier la ‘Achoura. �

(XVIIIe siècle), les tensions sunnito-chiites s’étaient largement assoupies.L’intrusion d’une Europe conqué-rante préoccupait bien plus la sociétémusulmane. Pour réagir contre cesmenaces, le chiite duodécimain Dja-mal el-Dine el-Afghani (1838-1897)n’hésita pas à se faire passer poursunnite afin d’être plus aisémententendu dans ces contrées menacéespar l’Occident. Il avait à cœur deréveiller l’ensemble des musulmanssans distinction. D’où sa coopérationavec le sunnite et futur grand muftid’Égypte, Mohammad Abdoh (1849-1905). Ils donneront naissance au« lien indissoluble » (al-Urwa al-Wuthka) destinée à répondre au défiposé à l’islam. L’attitude de leurscontinuateurs fera alterner concor-dance et oppositions entre leurs com-munautés respectives.

Avec les indépendances et le refluxde l’Occident, les premiers grince-ments viendront de rivalités essentiel-lement politiques. Le laïque shahd’Iran, se voulant l’héritier des Aché-ménides et le nouveau gendarme dela région, engagea une pol i t iqueexpansionniste. Profitant de la fragi-lité des Émirats arabes unis, consti-tués en 1971, il s’empara en 1974 del’archipel (Abou Moussa, Petit etGrand Tomb) qui les séparait , aucœur du Golfe. Dans le même temps,il poussait à la déstabilisation del’Irak en y alimentant la rébellionkurde e t cherchai t à s ’a t t i rer leschii tes l ibanais en leur envoyantl’imam iranien Moussa al-Sadr.

� Instrumentalisation religieuse L’avènement d’un pouvoir clérical

à Téhéran donna une coloration nou-velle aux ambitions des États de larégion. La guerre Iran-Irak (1980-1988) confronta un Iran théocratiqueà un Irak laïque. Le premier combat-tait les « mécréants baasistes » aunom de la « révolution islamique »,le second affrontait les « mages »(majous) persans au nom du nationa-lisme arabe. Tapis en second plan,les Saoudiens, angoissés par l’émer-gence d’un concurrent prêt à leurenlever la prééminence au sein de

l’umma musulmane, soutenaientavec d’autres pays arabes le front ira-kien. Les fonds colossaux engloutisdans les armements aussi bien queles enjeux de ce conflit y impliquè-ren t a lo rs l es deux grands e t l e sanciennes puissances coloniales.Henry Kissinger, l’un des politiciensnord-américains les plus influents,souhaitait alors que cette confronta-tion dure le plus longtemps possible,avec un maximum de destructionsdes deux côtés !

Saignés humainement, économique-ment ou financièrement par cet inter-minable conflit ou inquiets de sesconséquences, les États du Moyen-Orient ne sauront pas s’opposer effica-cement au retour en force des grandespuissances sur leurs terres. Par la ruse,la manipulation des contradictionsinternes ou interétatiques, autant quepar les interventions militaires directes,elles parviendront, parfois de concertavec Israël, à reprendre pied dans larégion. Et à s’y mouvoir sans entrave.La manipulation du facteur religieux,poussée à son paroxysme et entretenue

L’EXACERBATION DU FACTEUR RELIGIEUX GÉNÈRE LA VIOLENCE

QUI JUSTIFIE LE MAINTIEN DES FORCES ÉTRANGÈRES.

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60 Géopolitique

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À cette désinformation s’ajoutentdes efforts concertés pour creuser desfailles majeures entre sunnites etchiites de diverses obédiences. Onobserve en particulier dans l’Irakpostérieur à l’invasion américaineune suite impressionnante d’attentatssanglants et de violences cibléespoussant à rompre toute relat ionentre chiites et sunnites. Or, le tissusocial irakien est fait de profondesinterpénétrations entre ces deux com-munautés . Par exemple , l a p lusgrande confédération tribale du pays,ce l l e des Chammars , r assembleautant de sunnites que de chiites.D’ai l leurs le passage d’une obé-dience à l’autre est commun dans lepays . En revanche , les re la t ionsarabo-kurdes y sont plus distantes etles violences entre ces deux popula-tions demeurent circonscrites auxaf f ron tements au tour d ’ in té rê t sconcurrents. Aussi les attentats anti-chiites gratuits et ciblés, effectuéspar des é léments marg inaux e ttroubles, tels ceux du sanglant Zar-qaoui, pointent-ils vers des objectifscachés. Ces actions sont à rapprocherde la présence à Bagdad, en 2004-2005, de l’ambassadeur John Negro-ponte, spécialiste des « escadrons dela mort » depuis ses miss ions auVietnam et au Honduras. Son actionse poursuit avec ses successeurs.

� Diffusion des violences Plus largement, une diversité d’af-

frontements se dessine en diverslieux, auxquels on donne l’apparenced’un conflit global entre chiites etsunnites, même si la réalité sur le ter-ra in es t ne t t ement d i f fé ren te ,puisqu’y in te rv iennent d’aut resforces dans des al l iances parfoiscontradictoires d’un théâtre à l’autre.On peut citer à cet égard la guerrecivile et étrangère en Syrie, celle duYémen, les t roubles violents quisecouent Bahre ïn e t l a p rov inceor ien ta le d’Arabie saoudi te , l esdivergences aiguës entre les forcespolitiques des deux bords au Liban,l’agressivité sporadique entretenuecont re les ch i i tes du Pakis tan e td’Afghanistan, les tentatives de sou-lèvement des Baloutches sunnitesd’Iran, etc. Cela sans oublier , enSyrie, les interventions de volon-taires chiites iraniens, libanais, ira-kiens et afghans venus soutenir unrégime laïque. En sens inverse, le

Diversités chiites et para-chiites

Lorsqu’ils évoquent la « menace chiite », ceux qui la brandissent met-tent dans un pot commun des communautés différentes et parfoismême opposées par les croyances, les pratiques et l’histoire. Entre eux,

les « partisans de ‘Ali » se distinguent les uns des autres par le nombred’imams (voir encadré « Aux origines d’un différend ») dont ils reconnais-sent la légitimité.

Au Yémen et dans le ‘Assir saoudien, les zaydites ne reconnaissent quecinq imams légitimes. Le cinquième étant Zayd ibn ‘Ali, petit-fils de Hus-sein. Près de la moitié des Yéménites adhère à cette foi assez proche du sun-nisme. Leur pays a été longtemps gouverné par des souverains qui s’y ratta-chaient. Actuellement, les houthis et l’ancien président Ali Abdallah Salehqui résistent aux Saoudiens sont des zaydites.

Quant aux septimains qui admettent comme septième et dernier imamIsma‘il ibn Ja‘far, ils se divisent en plusieurs branches. La plus célèbre estcelle des ismaéliens nizarites, connue au Moyen Âge par les redoutablesAssassins (ou Hachachin) et de nos jours par le médiatique Agha Khan. Ilssont dispersés depuis l’Inde jusqu’à l’Occident, en passant par le Pakistan etle Proche-Orient arabe. Tandis que les druzes ont constitué, à partir d’unschisme issu des Fatimides d’Égypte, un culte syncrétique et fermé, auxmarges de l’islam. Ils se concentrent dans des communautés rurales et soli-daires implantées dans les quatre pays de la grande Syrie.

Les duodécimains considèrent que leur douzième et dernier imam,Muhammad al-Mahdi, est disparu et reviendra à la fin des temps. D’où unmessianisme et une attente de son retour. Largement majoritaires en Iran etfortement présents en Irak, au Liban, au Bahreïn et dans la province orientaled’Arabie, ils constituent le bloc le plus massif dans le chiisme, soit de 85 % à95 % des fidèles. Mais ils sont traversés par deux courants rivaux : les Uçulisdominants en Iran avec la théorie du Wilayat Faqih, auxquels s’opposel’école Akhbari, puissante en Arabie et active ailleurs.

À côté de ces trois formes de chiisme existent différents cultes syncré-tiques autoproclamés chiites ou considérés comme tels. C’est le cas des ale-vis, qui rassemblent le cinquième des Turcs et regroupent en réalité les héri-tiers d’anciens cultes d’Anatolie. Superficiellement islamisés, ils perpétuentdes traditions et des pratiques préislamiques. Les alaouites de Syrie, duLiban et de Turquie, à ne pas confondre avec les alévis, étaient qualifiés hierencore de nosayris, et leur présence antérieure au christianisme est attestéepar Pline l’Ancien. �

déferlement de milices payées parl’Arabie saoudite et le Qatar rameutedes sunnites depuis l’Europe occi-dentale et le Maghreb jusqu’au Xin-jiang et à la Tchétchénie, en passantpar l e Proche-Or ien t a rabe e t l apéninsule arabique au service d’unwahhabisme intransigeant, exclusif etpourtant divisé.

Derr ière ce paysage tourmentéémergent deux constantes régionales.L’Iran poursuit la tradition des Aché-ménides et des Sassanides, aspirant às’ouvrir sur la Méditerranée en ynouant et soutenant des alliances. Enface , pan iquée par l a c ra in te deperdre son hégémonie religieuse, ladynastie saoudienne, prisonnière de

sa rhétorique wahhabite, pratique lafuite en avant avec la seule armedont elle dispose, l’argent. La forcemilitaire qui avait permis son émer-gence au début du XXe siècle n’étantplus qu’une épée sur ses armoiries,elle tente de s’entourer d’États etd’obligés sunnites pour se protéger etéventuellement s’affirmer.

� Diviser pour régner Cette conjoncture est une aubaine

pour les puissances étrangères. Enpratiquant un jeu de bascule, ellespoussent leur propre avantage. On levoit dans les manœuvres de Washing-ton. Bien qu’alliés à Riyad depuisl ’accord du Quincy en 1945, les

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Américains flirtent parfois dangereu-sement avec Téhéran. À chaque fois,l’Arabie saoudite prend peur. Cher-chant un appui de substitution, sus-ceptible de surcroît de peser auprèsde son mentor américain, e l le envient à se rapprocher d’Israël. D’oùdes échanges quasi officiels interve-nus entre hauts responsables des deuxÉtats. Il en va autant pour plusieursdes protégés des États-Unis, inquietsde la manière dont l’Oncle Sam aban-donne ses alliés devenus inutiles,te l l ’anc ien prés ident égypt ienMoubarak.

La polarisation d’un bloc sunnite

de point d’appui pour créer autourd’Israël une constellation de forces àsa dévotion.

Conscients du danger, les dir i -geants chiites iraniens et libanais ten-tent de le désamorcer en évitant lesfaux pas et en cherchant à nouer desalliances avec certains sunnites, maisles aléas de la situation sur le terraine t l e s p rovoca t ions an t i -ch i i t e spermanentes rendent cette politiquedifficile à concrétiser. La décision dela Ligue arabe de classer le Hezbol-lah comme mouvement terroristeserait-elle le prélude d’une futureadmission d’Israël au sein de cetteorganisation ? C’est en tous cas cequ’avait prédit l’éditorialiste AbdelBari ‘Atwân. Le facteur religieux,poussée au paroxysme génère la vio-lence qui justif ie le maintien desforces étrangères. �

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contre une prétendue menace chiites’accompagne chez ses dirigeants dela crainte d’une force estimée redou-table. En quête d’un allié puissant,capable de la maîtriser, Israël leurapparaî t a lors comme le rempartidéal, car partageant le même ennemi,l’Iran et le Hezbollah, et donc impli-qué dans le même combat . Cet tealliance israélo-wahabite, présentéepar cer ta ins d i r igeants sunni tescomme étant de pure circonstance, esten train d’être cimentée dans l’actionet pourrait permettre à Israël de péné-trer en profondeur les États sunnites.En ce sens la menace chiite servirait

PRISONNIÈRE DU WAHHABISME, LA DYNASTIE SAOUDIENNE

FUIT EN AVANT AVEC SA SEULE ARME, L’ARGENT.

D.

R.

De l’Atlantique à la mer de Chine, l’islam sunnite occupe de vastes territoires où il affirme sa présence.

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Thaïlande Retour sur le parcours de l’homme qui transfigura la monarchie moribonde en uneinstitution au-delà de toute critique. Cette renaissance a eu un coût : les aspirations démocra-tiques de la nation se sont peu à peu figées au cours d’un somptueux règne de 70 ans qui apris fin à la mort du roi, le 13 octobre 2016.

Bhumibol Adulyadej,l’autocrate divinisé

62 Asie

Décembre 2016 � afrique asie

Par Jack Thompson

«Demain, c’est une journée spé-ciale », expl ique d’une voixenjouée une jeune Thaïlandaise.

Pour un Occidental pas du tout au fait

D.

R.

du rôle central de Bhumibol Adulya-dej dans l’édification de la psyché col-lective de la nation, l’enthousiasmenon feint pour l’anniversaire d’un roi(5 décembre), fût-il de légende, estquelque chose d’abscons. Comment

un homme peut-il dégager une auratelle que la population en soit venue àle vénérer comme un demi-dieu?

� Un culte quasi nord-coréenNous ét ions en 1994. Deux ans

Les Thaïlandais n’ont pas seulement perdu un roi, mais un dieu vivant.

Avec lui, s’en est allée une forme paroxysmique du culte monarchique.

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officiels de l’immigration, eux, demeu-rent assis. Les yeux roulant au fond deleurs orbites, ils scrutent la foule enquête d’éventuels réfractaires au culteroyal. Ambiance.

Entre ces deux anecdotes, deuxdécennies se sont écoulées. L’enthou-siasme spontané des années 1990 n’estplus . Si le décès du souverain le13 octobre 2016 fut l’occasion descènes déchirantes dignes de la Coréedu Nord, le monarque n’est plus. Aveclui s’en est allée une forme paroxys-mique d’un culte monarchique qu’ilréinventa de toutes pièces.

� Un dieu-roi issu destraditions hindouistes et bouddhistes

L’avènement inattendu en 1946 deBhumibol Adulyadej (Rama IX) estmarqué par une tragédie. Son frère,le roi Ananda Mahidol (Rama VIII)vient d’être retrouvé mort d’uneballe dans la tête. Assassinat ? Acci-dent ? Suicide ? Les circonstances desa disparition n’ont jamais été éluci-dées. Couronné en 1950, Bhumibol,héritier de la dynastie Chakri, ne dis-pose d ’aucun pouvo i r , d ’au tan tmoins que le premier ministre del’époque, le maréchal Phibunsong-kram, ne porte pas la royauté dansson cœur . An t i -monarch i s t econvaincu, il réécrit la Constitution,ne laissant au souverain qu’un atout :l’inviolabilité de sa personne. Erreurfondamentale. Sous une apparencefragile et un regard timide, Bhumi-bol, passionné de jazz et de bellesautomobiles, est tout sauf un faible.Bribe par bribe il réinvente l’auraqu i en tou re l e t rône . Sontrône. Notamment en exigeant l’ap-plication minutieuse des rites et pro-tocoles royaux, y compris ceux tom-bés en désuétude, telle la cérémoniedu sillon sacré où le roi et ses brah-manes augurent des récoltes à venir.

Ce pouvoir protocolaire s’entre-mêle é t ro i tement à la d imensiondivine des Devaraja, ces « dieux-rois » héritiers des royaumes hin-douistes et bouddhistes. Leurs per-sonnes constituent le lien sacré quiunit le monde des dieux à celui deshommes. Peu à peu, les Thaïlandais

découvrent un roi digne des préceptesbouddhistes et se mettent à l’appré-cier. Leur dévotion grandit.

En 1957, Bhumibol donne sa béné-diction au général Sarit Thanarat pourqu’il écarte du pouvoir le maréchalPhibunsongkram. Ce coup d’Étatscelle non seulement la réconciliationdu trône et du sabre, mais il instaureune nouvelle forme de pouvoir. Désor-mais, tout premier ministre trop ambi-tieux au regard du trône sera systéma-tiquement renversé par un coup d’Étatavalisé par le palais. Ce système poli-tique propre à la Thaïlande s’est unefois de plus illustré en 2014, avec lerenversement du premier ministreYingluck Shinawatra.

Officiellement, le roi règne mais negouverne pas. Or, l’alliance du trône etdu sabre a bel et bien réinventé unmodèle contemporain de monarchismeabsolu. Après un demi-siècle d’oubli,les sujets sont redevenus « la poussièresous vos pieds » : ministres et générauxinclus ont réappris à ramper aux piedsdu souverain pour s’adresser à sonauguste personne. Le contexte régionalde la guerre froide rigidifiera encoreplus cette renaissance monarchique.

Plus la guerre du Vietnam s’intensi-fie, plus la Thaïlande, base arrière destroupes de l’oncle Sam, bénéficie desaides américaines. Les généraux thaï-landais en sont les grands bénéfi-ciaires. Ils s’enrichissent commejamais et gagnent en influence, tandisque la corruption atteint des sommets.Dans son palais, cependant, le souve-rain est inquiet : le communisme serépand dans la péninsule indochinoise.S’il soutient apparemment le soulève-ment d’octobre 1973 en faveur d’unedémocratisation du royaume, Bhumi-bol se ravise trois ans plus tard. Le6 octobre 1976, des milices d’extrêmedroite associées aux forces de sécuritéde l’État envahissent l’université deThamassat : ce sera le massacre. Lerôle exact du palais dans cette tragédiereste obscur. Toujours est-il qu’unultra royaliste, le général Tanin Krai-vixien, est nommé premier ministre.

� Les joyaux de la CouronneDésormais la démocratie, ce « prin-

cipe d’importation étrangère », selonles propres mots du souverain, n’estplus une idée en vogue dans les milieuxroyalistes. En contrepoint le roi déve-loppe au cours des années 1990 sapropre idéologie : « l’autosuffi-

L’ALLIANCE DU TRÔNE ET DU SABRE A RÉINVENTÉ

UN MODÈLE CONTEMPORAIN DE MONARCHISME ABSOLU.�

auparavant, le roi était personnelle-ment intervenu pour mettre un terme àla féroce répression militaire de mani-festants réclamant la « démocratie ».La scène ne manquait d’ailleurs pasde panache : deux généraux, l ’unputschiste à la tête des armées, l’autretout juste sorti de prison mais à la têtedes manifestants, se dirigeaient àgenoux aux pieds de Sa Majesté quiles admonestaient comme de vils gar-nements. L’intervention du palais mitfin à ce « mai noir » de 1992 qui sesolda, officiellement, par une quaran-taine de victimes – des centaines offi-cieusement. Le roi était alors au som-met de sa gloire.

2014. À un poste-frontière retentitcomme à l’accoutumée l’hymne royalde 8 heures du matin. Chacun se lèveet se fige. Derrière leurs guichets, les

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64 Asie

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pouvoir inégalé », s’est lézardée. Encause, Thaksin Shinawatra, un busi-nessman ayant fait fortune dans lestélécommunications. Passé avec suc-cès des affaires à la politique, le mil-liardaire est élu premier ministre en2001. Populiste non par inclinationmais par calcul politique, Thaksinentreprend de consolider son pouvoiren se penchant sur le sort des plusdémunis. Avec l’instauration de laconsultation médicale à 30 bahts (0,75 euros), les oubliés de la croissancedécouvrent en 2002 l’accès gratuit auxsoins. Une première dans un royaumeoù les élites ont toujours traité avec leplus grand dédain les classes popu-laires.

Dans les rizières de l’Isaan (nord-estde la Thaïlande), la ferveur envers lepremier ministre s’accroît si tant qu’ily devient aussi populaire que SaMajesté. Voire plus. Il n’en fallait pasdavantage pour que le trône en prenneombrage. Saisie d’une horreur subite,la haute société conservatr ice« découvre » que le premier ministreest corrompu, que son populismemène le pays à la ruine, qu’il a desvisées républicaines. Thaksin devientl’homme à abattre. À l’automne 2005se forment les chemises jaunes (le

THAKSIN LE PREMIER MINISTRE EST AUSSI POPULAIRE

QUE SA MAJESTÉ : IL DEVIENT L’HOMME À ABATTRE.

sance ». Celle-ci s’articule autour d’unconcept de développement durable parétapes, dans le but d’assurer un mini-mum vital. Cette idée fourre-tout estassez vague pour être compatible avecla plupart des idéologies existantes, del’extrême droite à l’extrême gauche.Question développement durable, unconstat sous le règne de Rama IX :l’accroissement de la fortune de mai-son Chakri est phénoménal.

Le pouvoir du souverain repose surune fortune gérée par le bureau despropriétés de la Couronne (CrownProperty Bureau, ou CPB). Sous lerègne avisé de Bhumibol, le CPB s’esttransformé en un trust comprenant,entre autres, Siam Cement Group,Siam Commercial Bank ou encore legroupe hôtelier Kempinski. Son poidséconomique est aujourd’hui considé-rable : le CPB, entité non imposable,représente environ 15 % du PNB duroyaume. Il a fait de Bhumibol le roile plus riche du monde avec une for-tune estimée, selon Forbes, à 35 mil-liards d’euros.

Officiellement, « Sa Majesté estgénéreuse ». Il est vrai que l’institu-tion monarchique patronne quantité deprojets socio-économiques. Il estencore plus vrai que le culte royalorganisé autour de la personne deRama IX surmultiplie la portée de sesact ions, créant ce personnage delégende incarnant l’identité nationale :le « père de la nation », dont les por-traits sont placardés partout, qui saitrester un homme pieux et mène unevie simple. Sa Majesté exige-t-elle quele palais soit approvisionné en riz dequalité la plus ordinaire. La dévotiondont il est l’objet se renforce aussitôt.Protocole suranné, dimension mys-tique, richesse et largesse mêlées à unesérieuse dose de communication ontcréé le mythe d’un roi-père veillantsur ses enfants. On comprend mieuxainsi la vidéo historique de 1992 d’unroi bienveillant sermonnant des géné-raux ineptes.

� L’ombrage de ThaksinEt pourtant après un demi-siècle de

splendeurs, l’aura de Bhumibol, dontle nom signifie « force de la terre et

jaune est la couleur du roi), une mou-vance ultra royaliste farouchementanti-Shinawatra. L’armée renverse lepremier ministre, l’année suivante.

� La fin d’un monde?Le coup d’État de 2006 s’avérera

une victoire à la Pyrrhus. Au granddam du palais, les pro-Shinawatra, ras-semblés sous la bannière des chemisesrouges, remportent tous les scrutins.Le trône réagit. En mai 2014 un fer-vent royaliste, le général PrayuthChan-ocha, renverse le premierministre Yingluck Shinawatra (la sœurde Thaksin) . À la différence desputschs précédents, le général secramponne au pouvoir au nom des« réformes » nécessaires qu’il a ledevoir d’apporter au royaume.

Depuis le coup d’État du généralSarit en 1957, la « défense de la plushaute institution » a toujours été unparavent commode dont se prévauttout putschiste. La disparition deBhumibol a sérieusement entaillé leparavent. Sans compter que l’acces-sion au trône de son fils, le princehéritier Vajiralogkorn au profil sipeu monarchique (voir encadré),soulève de nombreuses interroga-tions. La principale : l’alliance dutrône et du sabre va-t-elle survivre àla transition en cours ? Vu la person-nalité fantasque et imprévisible deVajiralongkorn, on peut s’attendre àde sérieuses péripéties dans les moiset années à venir. �

Un prince si peu royal

Si le père a joui de l’aura d’un véritable demi-dieu, le fils, lui, est cordia-lement détesté. Entre autres reproches, ses multiples frasques. Dans unevidéo réalisée en 2001, Vajiralongkorn apparaît au côté de sa troisième

épouse, la princesse Sririrasm. Exception faite d’un string, celle-ci déambulesans complexe en tenue d’Ève au milieu de convives et serviteurs empressés.Il faut reconnaître qu’il s’agissait d’une soirée d’exception donnée en l’hon-neur de l’anniversaire de Foo Foo, le caniche préféré du prince. Par la suite,Foo Foo a été élevé au rang de maréchal de l’armée de l’air.

Fin 2014, le prince a mis un frein à ses excentricités, et Sririrasm a été bru-talement répudiée. Pour faire bonne mesure, ses ex-beaux-parents ont étéjetés en prison pour crime de lèse-majesté. Cela suffira-t-il pour assurer unetransition monarchique en douceur ? Rien n’est moins sûr : en juillet dernier,sur le tarmac de l’aéroport de Munich, Vajiralongkorn a été photographiédans une tenue qui n’avait rien de royal. Le palais a beau dénoncer un mon-tage grossier, avec Vajiralongkorn, l’image d’Épinal d’un souverain com-passé, travaillant jour et nuit pour le bien-être de ses sujets, a pris un sérieuxcoup. � J. Th.

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66 Économie Infos

Décembre 2016 � afrique asie

Le Koweït irrigue le Zimbabwe

Le gouvernementzimbabwéen négocie

avec le Fonds koweïtienpour le développementéconomique arabe afin definancer le projet d’irrigationde Zhove, d’un coût de35,7 millions de dollars.L’infrastructure, qui devraitprofiter à 5000 foyers,permettra la productionintensive d’agrumes sur2520 hectares, selon leministre des FinancesPatrick Chinamasa. LeFonds koweïtien apportera20 millions de dollars, leZimbabwe 7 millions, les8,7 millions restants étantnégociés par les Koweïtiensauprès du Fonds dedéveloppement d’AbuDhabi. Pour favoriser lesecteur agricole, les permisd’exportation ont égalementété annulés. �

Centrafrique : Bangui compte sur le soleil

Dans le cadre duprogramme d’aide et

d’investissement post-conflit,la Chine entreprend laconstruction d’une centralesolaire d’une puissance de50 KW dans les environs deBoali, à une centaine dekilomètres au nord-ouest deBangui. Elle devrait coûter90 milliards de francs CFA,entièrement financés par lespartenaires chinois, et serait

opérationnelle d’ici unevingtaine de mois. Elleviendra en appui à l’uniquecentrale hydroélectriqueconstruite dans les années1950 sur la rivière Mbali, quienvoie l’énergie en directionde la capitale par seulementdeux lignes de transportrelativement vétustes. Depuisavril de cette année, le maîtred’ouvrage, PowerChina, adéjà équipé Bangui delampadaires solaires danstous les commissariats et àl’université, ainsi que danscertaines des rues les plusfréquentées. �

Macao, plateformepour lusophones

La 5e Conférence duForum de Macao, qui

réunit les pays de langueportugaise (CPLP) et laChine, s’est déroulée enoctobre dans cette ancienneenclave portugaise au seinde la Chine continentale.Macao est devenu uneplateforme de services pourla coopération commercialeentre ces deux entités.Une confédérationd’entrepreneurs des paysCPLP et de la Chine y a étécréée, ainsi que d’autresorganismes économiques etculturels. Macao hébergerale fonds d’investissementannoncé par la Chine en2013 pour des projets dansles pays CPLP. �

Tendances... Tendances... Tendances... Tendances...��� Après la Côte d’Ivoire, la Namibie a soumis au votedu Parlement le projet de loi foncière 2016 qui interdiraaux étrangers d’acquérir des terres. Actuellement, 281fermes (1,3 million d’hectares) sur 12 000 réparties sur40 millions d’hectares appartiennent à des étrangers. Lamajorité de ces fermes (141) appartiennent à des Alle-mands. ��� Les PDG des six majors européennes, Shell,Total, BP, Eni, Repsol et Statoil, rejoints par celui dugroupe saoudien Saudi Aramco , ont annoncé le4 novembre la création d’un fonds d’un milliard de dol-

lars, sur les dix prochaines années. Un soutien aux tech-nologies pour lutter contre le réchauffement climatiquefavorisant notamment l’énergie « bas carbone », peuémettrice en dioxyde de carbone (CO2). Le mexicainPemex, le chinois CNPC et l’indien Reliance y partici-pent aussi. Réunis au sein de la Oil and Gas Climate Ini-tiative (OGCI) depuis 2014, ces groupes, qui représentent20 % de la production mondiale d’hydrocarbures, se sontengagés à financer des projets présentant un fort potentielde réduction des émissions de gaz à effet de serre. �

Nicaragua : canal ou pas ?

La concession pour la construction du canal reliant l’Atlan-tique au Pacifique a été attribuée en 2013 à l’entreprise

hongkongaise HK Nicaragua Canal Development Investment(HKND), appartenant au milliardaire chinois Wang Jing. Avecses 278 kilomètres, le projet est titanesque : trois fois plus longque le canal de Panama – qui vient d’être rénové et élargi –,deux fois plus profond, d’une largeur allant de 320 à 520mètres, avec des écluses de 83 mètres pour des bateaux pouvanttransporter jusqu’à 25 000 conteneurs. Son coût est égalementpharaonique : 50 milliards de dollars, plus de quatre fois le PIBdu Nicaragua ! Certes, le but est d’augmenter le revenu de ce

D. R.

pays, parmi les plus pauvres d’Amérique latine. Mais la viabi-lité financière du projet, voire la capacité de l’opérateur à leréaliser, est mise en doute par certains. À raison ? Depuis lespremiers travaux réalisés en fin 2014, à Santa Maria, sur la côteouest, tout s’est brusquement arrêté, à l’exception de quelquessurvols d’hélicoptères censés prendre des mesures. Interviewépar le quotidien Le Monde, Manuel Coronel, président de l’Au-torité du grand canal, a balayé les critiques : « Les travauxdébuteront comme prévu fin 2016. L’étude d’impact environne-mental et son approbation ont juste pris un peu de retard. »

Le projet est contesté par les habitants de plusieurs localitéssises le long du tracé du canal et par les écologistes. Ils crai-gnent pour l’immense lac du Nicaragua se trouvant à 34 mètresau-dessus du niveau de la mer et inclus dans le tracé, toutcomme les terrains agricoles et la forêt tropicale de la côte est. �

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Décembre 2016 � afrique asie

Le Mozambiquepasse au solaire

Le Mozambique, quiconnaît la sécheresse la

plus dévastatrice depuis35 ans, a signé un contrat de80 millions de dollars avec lacompagnie norvégienneScatec Solar, pour construiredès mars 2017, en associationavec le Fonds norvégien dedéveloppement (Norfund), lapremière centrale électrique àénergie solaire. D’unecapacité de 40 mégawatts,elle devrait fournir del’électricité à plus de 175000foyers. Financé par labranche privée de la Banquemondiale, l’InternationalFinance Corporation et lefonds mixte (public-privé)

COTE… DÉCOTE…

20 à 30 milliards de dollarspar an jusqu’à 2030. C’estle coût du financement del’adaptation climatique enAfrique évalué par lesparticipants à Cop22, réunisau Maroc en novembredernier. Sur les dix pays lesplus affectés par lechangement climatique, sixsont situés en Afrique, alorsque le continent n’émet que4 % des gaz à effet deserre. �

155 millions de dollarsvont être injectés dans desprojets de développementen Afrique de l’Est par laCorée du Sud, sous formede prêts concessionnels. LaTanzanie bénéficiera ainside 50 millions de dollarspour la construction deréseaux de transmissiond’électricité, l’Éthiopie de50 millions pour son parcagro-industriel etl’Ouganda de 30 millionspour l’agriculture et lesressources forestières. �

150 milliards de dollars.C’est la dette des dix plusgrandes sociétés minières,dont BHP Billiton,Glencore, Anglo-Americanet Rio Tinto, qui avaientlourdement investi pourdévelopper les gisements etsatisfaire la demande despays émergents. �

L’avenir en noir de l’Arabie saoudite

L’Arabie saoudite a engagé des réformes économiquessous la pression de deux facteurs : l’évolution de la démo-

graphie et la chute des prix du pétrole. La population saou-dienne adulte doublera d’ici à 15 ans, nécessitant le dévelop-pement d’emplois dans le secteur privé, dans un pays où 70 %de la population est salariée de l’État. Selon le plan de trans-formation nationale, il faudra créer six millions de nouveauxemplois d’ici à 2030, et davantage si les femmes intègrent laforce de travail. En comparaison, le boom pétrolier de lapériode 2003-2013 n’en a produit qu’un tiers. L’État envisagede créer 450 000 emplois non liés au secteur pétrolier avant2020, alors que les besoins sont évalués à 226000 par an.

Le coût des réformes est évalué à 4 000 milliards de dol-lars, dans un contexte marqué par la diminution des revenuspétroliers. L’économie de l’Arabie saoudite repose essentiel-

D. R.

D. R.

lement sur le gaz naturel et les hydrocarbures. Au rythmeactuel, les exportations perdront 2 millions de barils par jourd’ici à 2020. Riyad a lancé une offre partielle publiqued’achat (IPO) de sa sacro-sainte compagnie Saoudi Aramcoqui est, jusqu’ici, dans les mains – corrompues – d’un puis-sant réseau de membres de la famille royale. La réduction oula suppression des aides publiques pourrait bien provoquerun mouvement social menaçant pour la monarchie, à l’instarde la révolte des ouvriers du bâtiment au début 2016 àLa Mecque. Le palais est déjà fragilisé par les dissensions ausein de la famille royale. L’Arabie saoudite aura-t-elle lacapacité d’opérer une transition en douceur ? Même les plusoptimistes n’y croient pas. Mais, quoi qu’il en soit de leursrelations actuelles avec Washington, les monarques pourrontcompter sur l’expérience américaine pour contenir touttrouble pouvant nuire à leurs intérêts. �

d’Emerging AfricaInfrastructure, le projet serasitué près de la ville deMocuba, dans la province duZambèze. Scatec Solar estdéjà présente en Afrique duSud et au Rwanda. Elledéveloppe aussi des projetsau Mali, au Nigeria et auKenya. �

Inde : 24 milliards de billets invalidés du jour au lendemain !

Le 8 novembre à 20 heures, le premier ministre NarendraModi a annoncé le retrait de la circulation, à minuit, des

billets de 500 (7 euros environ) et 1 000 roupies, les plusgrosses coupures de la monnaie locale. Soit quelque 24 mil-liards de billets. Ces coupures représentent 86 % de la mon-naie en circulation. Les Indiens ont jusqu’au 20 décembrepour déposer les billets dans les banques et les bureaux deposte. De nouveaux billets de 500 et 2000 roupies ont été mis

en circulation dès le 10 novembre. Cette décision qui vise à« briser l’emprise de la corruption et de l’argent noir », a crééun énorme mouvement de panique, puis de colère, au sein dela population, qui utilise très largement l’argent liquide dansles échanges. Dans un pays où 1 % seulement des gens paiedes impôts et où l’économie parallèle est estimée à 20 % duPIB (400 milliards de dollars), la mesure pourrait rapporterenviron 45 milliards de dollars aux caisses de l’État. �

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Par Corinne Moncel

Y aurait-il quelque chose de pourridans l’empire du franc CFA ?Cette monnaie créée le

26 décembre 1945 par le général deGaulle pour ses colonies africaines etqui, 71 ans après, est toujours en usagedans 14 pays d’Afrique subsaharienne(voir encadré « Où utilise-t-on le francCFA? ») ? La question existe depuis lesindépendances des États africains, et saréponse divise depuis autant de tempsles politiques, économistes, intellectuelsafricains – mais aussi le petit peuple quia aussi un avis sur la question. Pourtant,en dépit des multiples études produites,

Franc CFA Ce « machin » inventé il y a plus de sept décennies par et pour la France colonialecontinue de sévir dans 14 pays africains, dont la croissance n’est pas meilleure que sur le restedu continent. Retour sur cette monnaie des pauvres qui ne deviendront jamais riches avec elle.

En finir avec la servitude volontaire

68 Économie

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médiatisé sur la possible sortie de laGrèce de la zone euro, le fameux« Grexit » : les « anti-franc CFA » ontmultiplié les sorties et publications.Telle la parution, en octobre dernier, dutrès commenté Sortir l’Afrique de laservitude monétaire. À qui profite lefranc CFA ? (1), dirigé par ceux qui ani-ment la f lamme depuis plusieursannées : les économistes KakoNubukpo, ex-ministre togolais la Pros-pective et de l’Évaluation des poli-tiques publiques (2013-2015), DembaMoussa Dembelé, président de l’Afri-caine de recherche et de coopérationpour l’appui au développement endo-gène (Arcade), Marcel Ze Belinga, éga-

le débat public n’a jamais vraiment eulieu : les autorités monétaires et poli-tiques qui administrent le franc CFAfont comme si l’interrogation shakes-pearienne n’était que fiction, se conten-tant de jargonner dans les nombreuxdocuments techniques pour affirmer lebien-fondé de la monnaie. Et ceux qui yrépondent par l’affirmative (« oui, il y aquelque chose de pourri dans l’empiredu franc CFA ») n’ont longtemps trouvéà s’exprimer que dans les cercles res-treints, prêchant souvent les convain-cus, avec parfois un éclat de voix plusretentissant ici et là.

Depuis un an et demi, cependant, ladonne a changé avec le feuilleton très

Ci-dessus, siège de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) à Dakar.

À dr., Kako Nubukpo, ex-ministre togolais, l’un des fers de lance de la contestation « anti-franc CFA ».

BC

EA

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France et de l’Europe, arrimée depuis lesorigines au franc français puis à l’euro.

Les mécanismes de ce qu’il faut bienconsidérer comme une dépendance sontinscrits dans les accords de coopérationmonétaire de 1972 et de 1973, toujoursen vigueur. Ils sont régis par quatre prin-cipes qui, dans le fond, n’ont guèrechangé par rapport à l’époque coloniale(voir encadré « Aux origines du

« AUCUN PAYS AU MONDE NE PEUT AVOIR UNE POLITIQUE

MONÉTAIRE IMMUABLE DEPUIS TRENTE ANS. » LE BISSAU-GUINÉEN CARLOS LOPES�

t ique monétaire immuable depuistrente ans. Cela existe dans la zonefranc. Il y a donc quelque chose quicloche […] Il faut vraiment une dis-cussion sur la zone franc ».

� Double tutelleDe quoi conforter les contempteurs du

franc CFA, qui veulent avant toutdébattre d’une monnaie pour eux inadap-tée au développement des économiesafricaines. Pour la première fois, ils onttrouvé de nombreuses tribunes récep-tives dans les médias généralistes, enpart iculier français . Beaucoup ontdécouvert – et avec eux leur public – la

lement sociologue, chercheur indépen-dant, et Bruno Tinel, maître de confé-rences à l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne.

Des responsables pol i t iques oud’institution élèvent aussi la voix. Àl’image du Bissau-Guinéen CarlosLopes, bien connu pour ses prises deparole qui bousculent. Encore secré-taire général adjoint de l’Onu et secré-taire exécutif de la Commission écono-mique pour l’Afrique, il a déclaré finseptembre à l’AFP, juste avant d’an-noncer sa démission de ces deux postespour cause de désaccord : le franc CFAest « un mécanisme désuet […] Aucunpays au monde ne peut avoir une poli-

particularité, unique au monde, du francCFA : monnaie d’États souverainsdepuis plus d’un demi-siècle, elle esttoujours sous la double tutelle de la

D.

R.

Où utilise-t-on le franc CFA?

L e franc CFA est aujourd’hui en usage dans 14 pays subsahariens. En réa-lité, il y a deux francs CFA qui partagent la même zone franc, fonctionnentde la même façon et ont la même valeur (1 euro = 655,957 francs CFA).

Mais ils n’ont pas les mêmes billets et ne sont pas interchangeables. Le francCFA de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) concerne7 ex-colonies françaises : Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Mali, Niger, Sénégal,Togo, Bénin, et une ex-colonie portugaise, la Guinée-Bissau, qui a rejoint la zonefranc en 1997. Le franc CFA de la Communauté économique et monétaire del’Afrique centrale (Cemac) circule dans 5 ex-colonies françaises : Cameroun,Congo, Gabon, République centrafricaine, Tchad, et une ancienne colonie espa-gnole, la Guinée équatoriale qui a intégré la zone franc en 1985.

La Banque centrale de l’UEMOA se nomme Banque centrale des Étatsd’Afrique de l’Ouest (BCEAO), et son siège est à Dakar. Celle de la Cemac, laBanque des États de l’Afrique centrale (BEAC), est basée à Yaoundé. Ces deuxensembles de la zone franc représentent environ 155 millions d’habitants. �

Une monnaie coloniale

L e franc CFA de la première heure, celui des « colonies françaisesd’Afrique », comme son sigle le signifiait, fut fondé dans le contexte parti-culier de l’après-Deuxième Guerre mondiale et de l’instauration des accords

de Bretton Woods (1944). Il devait évoluer dans une zone franc créée par Parisdans ses colonies dès 1939 pour protéger l’économie métropolitaine des aléas del’économie de guerre, puis de l’après-guerre. La France impériale avait alorsbesoin de mettre à l’abri de la spéculation sa production de matières premières –spécialisation des colonies – indispensable pour sa reconstruction. Pour cela, il fal-lait lui adjoindre une monnaie différente du franc « métro », devise plus sensibleaux variations du taux de change du fait de la compétitivité industrielle danslaquelle elle était engagée. Le Fonds monétaire international accepta l’idée decréer un « sous-franc », le franc CFA (avec le franc des « colonies françaises duPacifique, CFP), à condition que la monnaie ne circule qu’à l’intérieur de la zonefranc et que sa convertibilité soit entièrement garantie par le Trésor français, rap-pelle Nadim Michel Kalife dans Sortir l’Afrique de la servitude monétaire. Lafixité du taux de change intervint trois ans plus tard, quand on constata une spécu-lation à l’intérieur même de cette zone entre un franc français dévalué pour gagneren compétitivité et un franc CFA non concerné, surévalué par compensation.

En 1958, avec la constitution de la Ve République, le franc CFA devient lefranc de « communauté française d’Afrique ». Aux indépendances en 1960, sousla pression la France, tous les États nouvellement « indépendants » de la zonefranc, hormis la Guinée de Sékou Touré, préfèrent rester sous la tutelle du Trésorfrançais plutôt que d’avoir à affronter la difficile étape de la création de mon-naies souveraines – ou même communautaires. La monnaie s’appelle désormaisfranc de la « communauté financière africaine » dans les pays de l’ex-Afrique-Occidentale française, et franc de la « coopération financière en Afriquecentrale » dans les ex-colonies d’Afrique-Équatoriale française. �

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franc CFA »), même s’ils se sont com-plexifiés. Ainsi, la fixité de change entrele franc CFA et l’euro (depuis 2001) estmaintenue. La convertibilité « illimitée »reste garantie par le Trésor français. Enréalité, elle a ses limites (voir encadré« Des limites à l’illimité »). À conditionque les États africains centralisent aumoins la moitié de leurs réserves dechange (la totalité aux indépendances,puis 65 % jusqu’au milieu des années2000) dans les deux Banques centralesde leur aire communautaire respective :la Banque centrale des États d’Afriquede l’Ouest (BCEAO) et la Banque desÉtats de l’Afrique centrale (BEAC), quiles déposent sur un compte ouvert à laBanque de France, mais géré par le Tré-sor français : le « compte d’opérations ».Les transferts sont libres à l’intérieur dela zone franc. En d’autres termes, rap-pelle Bruno Tinel dans une tribune aujournal Libération (26/10/16), « seulesles autorités françaises sont habilitées àéchanger l’une de ces deux monnaiescontre l’autre ».

� Stabilité sans effetLes gouvernants africains et français,

les responsables du Trésor français, lesdirecteurs et cadres des Banques cen-trales insistent : avec cette coopérationmonétaire, les États fragiles, intégrésdans des sous-ensembles économiquesplus larges, ont une monnaie stable, nonsoumise aux variations chaotiques destaux de change et à une inflation éche-velée, de surcroît garantie par la puis-sance française. De quoi offrir un cadrepropice aux investisseurs. Les anti-franc CFA ne nient pas la stabilité de lamonnaie : la BCEAO et la BEAC,contraintes de suivre la politique de laBanque centrale européenne qui privilé-gie la lutte contre l’inflation, alignentinvariablement des taux moyens d’infla-tion inférieurs à 2,5 %. Bien en dessousde celui du cedi, la monnaie du Ghanavoisin, à 17 % en 2016.

Mais à quoi bon la stabilité si elle n’apas les conséquences attendues ? Lesinvestissements directs étrangers (IDE)se sont davantage dirigés vers les payshors zone CFA, confirme DembaMoussa Dembelé dans Sortir l’Afriquede la servitude monétaire, chiffres de laCnuced ou du FMI à l’appui. Exemples :en 2014, le Sénégal a reçu 343 millionsde dollars d’IDE, le Ghana 3 347 mil-lions ; le Cameroun 501 millions, l’An-gola 3 881 millions. Au contraire, grâceà la facilité de change, les flux sont

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en Chine, qui coûte bien moins cherqu’une autre possiblement produitedans une usine locale. Ce pays a sufaire de sa politique monétaire un ins-trument flexible pour conquérir lesmarchés extérieurs (quitte à pratiquer ledumping des monnaies…). Du coup,l’industrie textile, comme d’autres, adisparu du paysage de la zone CFA.Les États n’y sont pas incités à déve-lopper des filières manufacturièresd’exportation et restent cantonner dansla spécialisation primaire – comme autemps des colonies.

Les défenseurs du franc CFA, tel legouverneur de la Banque de France,François Villeroy de Galhau, a beauaffirmer, en se fondant sur les études delong terme de son institution : « Le

intérêt à commercer la fibre de cotonentre eux… Résultat : l’intégration elleaussi est en berne, les échanges intra-communautaires restent très faibles,entre 10 % et 15 %, alors que pourraientêtre développé au sein des unions unvaste marché et des chaînes de valeurajoutée créatrice de valeurs et d’emploi.

Mais, tout à leur mission de défendrela parité fixe et l’inflation, les Banquescentrales, dépendantes de la politiquede la zone euro ayant ses propres exi-gences, restreignent les crédits qui ris-queraient de faire déraper le taux d’in-flation. Elles jouent leur crédibilitéd’institutions là-dessus. Or, les besoinsde crédits des entreprises africainespour développer une industrie endo-gène sont énormes en s i tua t ion

D.

R.

« LES ÉCHANGES INTRACOMMUNAUTAIRES

RESTENT TRÈS FAIBLES, ENTRE 10 % ET 15 %. »

Au centre, Michel Sapin, ministre français de l’Économie et des Finances,

lors du rendez-vous semestriel avec ses 14 homologues africains, en septembre 2016.

allés vers la zone euro. Quant à la crois-sance, les pays CFA ne font pas spécia-lement mieux que la moyenne del’Afrique, établie à 5 %…

Surtout, enragent les critiques, enétant adossé à une devise forte, le francCFA, monnaie d’économies faibles,« agit comme une taxe sur les exporta-tions et une subvention aux importa-tions », explique Kaku Nubukpo. Dansdes pays producteurs de coton (six surles huit de l’UEMOA), les gens ont toutintérêt à acheter une chemise fabriquée

franc CFA n’est ni sous-évalué ni sur-évalué », Nubukpo et les autres luiopposent des analyses tout aussisérieuses sur l’évolution du taux dechange effectif réel prouvant que la« compétitivité-prix de la zone est enberne ».

L’exemple de la production de cotonplaide aussi en leur faveur : à quoi bonavoir aboli les barrières douanières ausein des deux unions monétaires (en1994) si c’est pour y produire la mêmechose ? Les pays membres n’ont aucun

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géostratégique : grâce à son emprise enAfrique, la France peut maintenir unrang de puissance moyenne qui comptedans les décisions du monde.

Quant aux responsables des pays afri-cains qui se sont soumis à cette domi-nation par la monnaie – mais pas que –,ils y ont « tout le loisir de placer leurargent sur un compte étranger oud’acheter un appartement parisien.C’est le point central. Nous avons desélites rentières qui n’ont pas intérêt àfaire évoluer ce système. C’est pourcela que je parle de servitude volon-taire », confiait Kako Nubukpo dansl’interview du Monde.

Plusieurs contempteurs du francCFA réfléchissent à des alternativespour le remplacer. En réformant le sys-tème et en uti l isant ses marges demanœuvre ? En faisant pression pourque la monnaie unique de la Commu-nauté économique des États d’Afriquede l’Ouest voie enfin le jour ? Arriméeà un panier de devises avec les princi-paux pays d’échanges ? En boostant lesprojets phares de l’Union africaine, lacréation d’une Banque centrale afri-caine, et un fonds monétaire africain ?Les propositions fusent. Mais la volontéde dir igeants , comme toujours ,manque. �

� (1) À qui profite le franc CFA?,

Éd. La Dispute, 242 p.,

15 euros.

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d’« émergence », que ne peut assouvircette politique de restriction. Les cré-dits ne représentent que 23 % dans lazone franc, alors qu’ils atteignent150 % du PIB en Afrique du Sud etplus de 100 % dans la zone euro !Pourtant, Nubukpo, qui a fait son cal-cul, est formel : « Il est possible d’ob-tenir un supplément de croissanceéconomique par le biais d’une poli-tique monétaire expansionniste, avecun taux optimal d’inflation de 8 % »,confiai t- i l à notre confrère JeuneAfrique. « Est-ce si grave ?, s’inter-roge en écho Tinel dans l’ouvrage. Sil’inflation s’anime un peu, cela signi-fie que la croissance est vigoureuse »,avec des bénéfices pour les financespubliques.

Reste l’épineuse question du compted’opérations, qui soulève les plus vivescritiques sur la servitude. Y sont thésau-risées des sommes importantes : plus de19 milliards d’euros fin 2015, qui pour-raient financer les investissements despays pauvres plutôt que de dormir surun compte du Trésor français, certes fai-blement rémunéré. Au lieu de ça, lesÉtats africains qui cherchent à emprun-ter de l’argent sont orientés vers lesmarchés financiers « où les taux sontbien plus élevés (6,5 % en moyenne),qu’auprès des Banques centrales(2,5 %) », s’étrangle Nubukpo. Sanscompter que les responsables de pays,encore traumatisés par la très brutaledévaluation forcée de 1994 (la valeur duCFA a été divisée par deux), « font duzèle » en y déposant plus de 80 % deleurs réserves de change, alors qu’iln’en faut que 20 % pour éviter la déva-luation…

� Une question de souveraineté nationaleL’économiste Paul Derreumaux affirme

dans le journal Le Monde que cettesomme n’est pas significative : « 50 %des réserves actuelles de la BCEAO nereprésentent environ que l’endettementsupplémentaire des États pour une seuleannée. » Peut-être. Mais pourquoi enfaire cadeau au Trésor français?

Les meilleurs arguments – à supposerqu’il y en ait – des défenseurs de lamonnaie communautaire ne parvien-dront jamais à cacher que le véritable

problème est celui-ci : pourquoi l’undes attributs de la souveraineté natio-nale, reconnu comme tel par toutes lesnations, échappe-t-il à ses détenteurslégitimes ? Il ne faut pas l’oublier : der-rière l’apparente égalité entre tous lespays de la coopération monétaire, c’estbien la France qui tire les ficelles. Lespays n’ont pas signé entre eux, maischacun avec elle, relève Fanny Pigeaudsur le site Médiapart. Pour le symbole :les réunions semestrielles des ministresde la zone ne se passent pas dans chaqueÉtat selon une rotation à 15, mais unefois sur deux Paris. Par ai l leurs laFrance a deux représentants dans lesconseils d’administration des deuxBanques centrales et, à ce titre, un droitde veto sur les décisions.

Même si, économiquement, Paris amoins besoin de ses anciennes coloniesqu’auparavant – mais un approvisionne-ment sécurisé en matières premièresn’est jamais à négliger –, ce n’est pas lecas de grands groupes français, tels Bol-loré, Total, Bouygues… Grâce au méca-nisme de la zone, ils peuvent rapatriersans frais de change ni taxes douanièresdes bénéfices importants. L’intérêt pourParis de maintenir le système est surtout

C’EST BIEN LA FRANCE QUI TIRE LES FICELLES.

LES PAYS N’ONT PAS SIGNÉ ENTRE EUX, MAIS CHACUN AVEC ELLE.

Des limites à l’illimité

L a convertibilité « illimitée » promise par les autorités françaises a seslimites : les avances que pourraient leur demander les deux Banques cen-trales africaines doivent être « exceptionnelles », à l’occasion d’une baisse

énorme du prix des matières premières par exemple, quand les recettes d’exporta-tion manquent au budget ou au remboursement de la dette. Cette avance, qui res-semble à un coup de pouce, est en fait gagée sur les réserves de change du compted’opérations. Mais si celles-ci tombent en dessous du seuil plancher de 20 %, l’as-surance « France » ne joue plus théoriquement : elle en serait de sa poche.

Les États africains n’ont alors d’autres solutions que de dévaluer pour faireface à leurs charges. C’est ce qui s’est passé en janvier 1994, quand la Francede Balladur, qui se préparait à la future monnaie européenne en respectant ladiscipline budgétaire imposée, a refusé de continuer à débourser pour les bud-gets africains. Ceux-ci étaient en déficit chronique depuis des années, au vude la mauvaise conjoncture du marché des matières premières, de l’apprécia-tion du dollar, mais aussi de l’incapacité des gouvernements à faire face,habitués qu’ils étaient à ce que le système supplée à leur mauvaise gestion –et plus sûrement à leur mauvaise gouvernance. Ils en subissaient pourtantdéjà les conséquences, avec les programmes d’ajustement structurel du FMIet de la Banque mondiale… �

D.

R.

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Par Philippe Lebeaud

Engagée assez tôt sur le créneaude l’énergie renouvelable, l’Al-gérie est en train d’accélérer le

rythme de sa transition énergétiquepour construire l’après-pétrole. Lachute brutale des prix des hydrocar-bures sur les marchés internationauxdepuis 2014 n’est pas étrangère à cechangement de braquet, mais il fautcompter aussi avec les atouts considé-rables dont dispose le pays pour sedoter d’une puissante base d’énergieverte. Dans leur approche, les autoritésn’opposent pas les énergies renouve-lables aux énergies conventionnelles.Au contraire, elles estiment que l’uneet l’autre doivent participer de concertau développement d’un mix appelé àdevenir le socle de la politique énergé-tique du pays.

Lors d’une récente journée d’étudesur ce thème, le président du Front deschefs d’entreprise (FCE), Ali Haddad,a souligné le caractère stratégique dela transition en cours et mis ses pasdans ceux du gouvernement. « Latransition énergétique est une étapecruciale de la transformation de l’éco-nomie algérienne. […] Le secteur del’énergie a toujours constitué le soclede l’économie nationale et l’Algérierestera, certainement pendant encoreplusieurs décennies, un acteur majeursur le marché des hydrocarbures.Néanmoins, les différents chocs pétro-liers, que nous avons subis, ont démon-tré que ce modèle économique n’estpas viable à long terme. De nombreuxchangements ont bouleversé le marchédes hydrocarbures et nous devons entenir compte. La fin de l’ère du pétrolecher est une réalité. Nous devons nousengager dans une politique nouvelle,nous affranchissant définitivement dutout-hydrocarbures », a-t-il soutenu.La filière des énergies renouvelablesdoit se construire autour d’acteurs

Algérie La transition énergétique en cours poursuit un double objectif : faire face à la croissancerapide de la consommation domestique d’énergie, et doter le pays d’une puissante industrie durenouvelable.

Une étape cruciale vers l’après-pétrole

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LES AUTORITÉS N’OPPOSENT PAS LES ÉNERGIES RENOUVELABLES

AUX ÉNERGIES CONVENTIONNELLES, BIEN AU CONTRAIRE.

en électricité à partir de la lumière dusoleil par des panneaux photovol-taïques. Le faible coût de maintenancede ce système en fait une énergierépondant aux besoins des sites isolés,dont le raccordement au réseau élec-trique serait trop onéreux. Plusieursprojets solaires photovoltaïques doi-vent voir le jour d’ici à 2020. D’autresdoivent ê t re réa l isés dans lapériode 2021-2030.

L’énergie solaire thermique est sur-tout utilisée pour chauffer des bâti-ments (bureaux et habitations), pro-duire de l’eau chaude ou de la vapeurd’eau qui serait utilisée pour entraînerdes turboalternateurs générant del’électricité. L’installation de plu-sieurs centrales thermiques de ce type

Grâce aux vastes étendues du Sahara, l’ensoleillement algérien est l’un des plus

important au monde : une réserve inépuisable pour s’affranchir du tout-hydrocarbures.

locaux et étrangers avec des finance-ments privés et publics, en ciblant desmarchés domestiques et étrangers.

� De nombreux projets d’ici à 2020L’Algérie dispose d’un immense

potentiel d’énergie solaire, sourced’énergie non polluante. Grâce auxvastes étendues du Sahara, l’enso-leillement moyen y est l’un des plusimportants au monde. Une part essen-tielle du programme des énergiesrenouvelables est orientée vers lesolaire thermique et photovoltaïque.Le solaire devrait ainsi atteindre d’icià 2030 plus de 37 % de la productionnationale d’électricité.

L’énergie solaire photovoltaïque estrécupérée et transformée directement

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LE SOLAIRE DEVRAIT ATTEINDRE D’ICI À 2030

PLUS DE 37 % DE LA PRODUCTION NATIONALE D’ÉLECTRICITÉ.

est prévue pour la période 2016-2030.À côté de ces deux axes majeurs du

programme, un projet d’éoliennes esten train de voir le jour. Le premierparc est entré en fonction à Adrar.

La secrétaire générale du ministèrede l’Énergie, Fatma-Zohra Talantikit,a exposé le nouveau cadre de la poli-tique énergétique et les projets d’in-vestissements dans le domaine del’environnement. Elle a indiqué quele plan national des énergies renouve-lables prévoit la réalisation d’installa-tions d’une capacité de 20 000 méga-watts, dont 4 000 seront mis en routed’ici à 2025. Le programme reposesur deux composantes essentielles :une composante énergétique et une

renouvelable » – impliquant notam-ment pour les investisseurs la produc-tion sur place de panneaux solaires etd’équipements. En plus de l’aidepublique, les investisseurs peuventcompter sur la garantie de l’achat del’énergie produite.

La consommation intérieure d’éner-gie a emprunté une courbe exponen-t ie l le depuis quelques années enAlgérie. Elle était de 55 millions detonnes d’équivalent pétrole (tep) en2015, sur les 155 millions tep com-mercialisées : 42 % pour les ménages,36,5 % pour les transports, et 20,8 %pour les industries et le BTP, selonl’expert pétrolier Abdelmadjid Attar.Les perspec t ives annoncent uneexplosion de la consommation dansles prochaines années. Celle-ci évo-lue en outre plus vite que les décou-vertes, alors que les réserves s’ame-nuisent.

L’Algérie dispose de réserves res-tantes de l’ordre de 1,387 milliard tepd’hydrocarbures l iqu ides e t de2 745 mill iards de m3 de réservesprouvées de gaz, selon Abdelmad-jid Attar. Sans compter les ressourcesnon conventionnelles comme le gazet le pétrole de schiste, qui devrontconforter la sécurité énergétique dupays à partir de leur mise en exploita-tion prévue en 2025.

� « L’alternative la plus sérieuse,la plus propre et la plus rentable »

La chute des prix du pétrole et dugaz depuis juin 2014, si elle est venuemettre en évidence la fragilité d’uneéconomie par trop dépendante dupétrole, a par ailleurs permis d’ébau-cher une nouvelle feuille de route.Celle qui assurera la réussite de latransition énergétique et la naissancede capacités nationales d’innovation,de production, de maintenance et deservices, créatrices d’emplois nou-veaux et durables et de richesses.« Les énergies renouvelables s’impo-sent comme l ’al ternat ive la plussérieuse, la plus propre et la plus ren-table commercialement », a soulignéAli Haddad. Il a annoncé, au-delà dela nécessité de rationaliser la consom-mation en révisant la grille des sub-ventions, l’organisation par le FCE,en 2017, d’une rencontre entre parte-naires du secteur privé et du secteurpublic. Objectif : encourager la pro-duction nationale de biens et de ser-vices dans le secteur de l’énergie. �

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autre industrielle. « Cette stratégie apour objectif, d’une part, de contri-buer à la préservation des ressourcesfossiles, et, d’autre part, de partici-per à l ’émergence d’une énergienationale du renouvelable, qui favo-risera la transition énergétique et ledéveloppement durable », a soulignéFatma-Zohra Talantikit.

� Un projet ambitieux et prometteurL’Algérie compte ainsi s’insérer

dans toute la chaîne de valeurs : engi-neering, fabrication des équipementset construction des installations. Unappel d’offres aux investisseurs natio-naux et étrangers est en passe d’êtrelancé pour la réalisation d’installa-t ions de production d’électr ici tésolaire, d’une capacité de 4 000 MW,sur des sites préalablement choisis.

Nouveau ministre de l’Énergie etdes Mines, Noureddine Bouterfa,ancien PDG de Sonelgaz, estime quel’enjeu est de taille et qu’investirdans les énerg ies renouvelablesreflète les mutations rapides du sec-teur de l’énergie. Le projet « ambi-tieux et prometteur » arrêté par legouvernement repose sur « l’émer-gence d’une industrie nationale du

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Internet Bien que la connectivité se soit améliorée, le continent a encore de gros efforts à fairepour rejoindre le reste du monde. Panorama des obstacles à lever.

L’Afrique à la traîne

74 Économie

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ont même favorisé l ’emploi deWhatsApp, né du besoin d’échangerdes messages cryptés et d’échapper aucontrôle du redouté Service nationalde renseignements (SNR).

Dans toutes ses formes, le dévelop-pement d’Internet est crucial pourl’Afrique. Durant le Forum écono-mique mondial de Davos en 2015, lesdiscussions ont beaucoup tournéautour de l’estimation selon laquelleun accroissement de 10 % de la péné-tration du haut débit dans les pays àfaible et moyen revenu pourrait géné-rer jusqu’à 1,38 % de croissance duPIB. Mais ce déterminisme reste sujetà caution. Si, en 2013, le Nigeria etl’Afrique du Sud se partageaient 81 %des abonnés au haut débit, la Commis-sion économique pour l ’Afr iqueconstate que la proportion de gensvivant au-dessous du seuil de pauvretés’est accrue entre 1980 et 2010.

Attention, donc, au fétichisme de lamodernité. D’autant que l’Afrique estbel et bien à la traîne des autres conti-nents, avec un taux moyen d’accès àInternet de 19 % en 2014, contre 40 %dans les pays arabes, 31 % en Asie etdans le Pacifique, 50 % dans la Com-munauté des États indépendants, 58 %dans les Amériques et 82 % en Europe.

� À quand une large exploitationdes avantages comparatifs ?

Les statistiques de l’Internet Societyfont apparaître pour 2016, un tauxd’utilisateurs d’Internet de 28,3 % enAfrique subsaharienne, contre unemoyenne de 45 % dans le reste dumonde. Mais ces moyennes dissimu-lent de très grandes disparités (34 %en Afrique du Sud, 55 % au Maroc,44 % en Égypte contre moins de 1 %en RDC ou en Guinée-Bissau en 2012).

En même temps, tandis que la Chineet l’Inde ont bénéficié de l’expansionde leurs services de technologies del’information, les pays africains n’ontpas encore été capables d’exploiterlargement leurs propres avantages

comparatifs, dont la proximité du mar-ché de l’Union européenne (UE) et ladisponibilité de nombreux locuteursfrancophones, anglophones et luso-phones susceptibles de faire valoirleurs compétences grâce au télétravail,remarque le rapport du Parlementeuropéen. Des services de télécommu-nication trop peu fiables, trop lents,trop chers et insuffisants ont empêchél’Afrique de pouvoir tirer profit d’ap-plications innovantes. Il y a encore despays non reliés au câble, comme l’Éry-thrée, la Sierra Leone ou le Tchad, quine peuvent compter que sur les com-munications par satellite pour accéderau haut débit.

Un des obstacles au développementd’Internet, écrit l’Internet Society dansson rapport, réside dans les limitationsimposées au contenu des produits etmessages échangés par des restrictionslégales. Celles-ci ont un impact négatifsur la volonté des pourvoyeurs de ser-vices et de plateformes de rendre dis-ponibles des contenus, dans un pays oùles développeurs locaux pourraient êtretentés par l’autocensure de leur pro-duction pour ne pas enfreindre deslégislations restrictives. Le manqued’infrastructures et d’alimentationélectrique fiables est un autre problèmesérieux, de même que le nombre insuf-fisant d’ingénieurs formés sur place.

� Avec le mobile, on parle sa langue…Mais la hiérarchie des problèmes

évolue. Il y a dix ans, le manque d’in-frastructures était le principal obstacleau développement d’Internet enAfrique subsaharienne. À l’époque, iln’y avait qu’un câble sous-marin des-servant le continent, laissant le restede l’Afrique aux lentes connexions parsatellite. Depuis lors, les choses ontchangé considérablement. L’Internetmobile a révolutionné l’accès tandisque beaucoup d’États africains côtierssont reliés au câble sous-marin. L’In-ternet Society souligne l’écart auRwanda. D’un côté, une couverture

Par François Misser

L’Afrique subsaharienne a connude grandes améliorations entermes d’infrastructures de

connexion et d’accès. C’est le constatque fait l’association américaine InternetSociety, créée en 1992 pour promouvoircette technologie dans le monde, dansun récent rapport intitulé « Promotingcontent in Africa ». Entre 2005 et 2014,le pourcentage d’Africains utilisantInternet a été multiplié par huit, signaleun second rapport émanant du Parle-ment européen, titré « Internet ICT indeveloping countries ».

� Des usages dans tous les domainesDes performances impressionnantes

qui ont changé la vie de millions depersonnes sur un continent. Depuis2007 en effet, on y assiste à un déve-loppement spectaculaire de l’industriede la mobilophonie. Il permet notam-ment aux usagers d’effectuer des opé-rations bancaires, et offre aux paysansdes services aussi divers que de l’in-formation sur les marchés, les mala-dies, les traitements et les prévisionsmétéo. Dans le domaine de la santé, lamobilophonie a été utilisée de façoncroissante pour collecter des donnéeset les analyser afin de faciliter la sur-veillance médicale. Ainsi, relève lerapport européen, Medisoft EastAfrica Ltd utilise la « téléradiologie »qui permet la lecture à dis tanced’images médicales, tandis que l’ap-plication MedAfrica, mise au point parla start-up kényane Shimba Technolo-gies, gère une librairie virtuelle d’in-formation médicale.

L’Afrique du Sud est même le pre-mier pays au monde pour la propor-tion d’utilisation de l’applicationWhatsApp auprès des adultes. Cetteplateforme, tout comme YouTube,Facebook et d’autres, sont largementdisponibles et populaires à travers lecontinent. Dans un pays comme leBurundi, la répression et la censure

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DES SERVICES DE TÉLÉCOMMUNICATION TROP PEU FIABLES,

TROP LENTS, TROP CHERS ET INSUFFISANTS.

Selon l’Internet Society, le taux d’utilisateurs d’Internet en Afrique subsaharienne

est de 28,5 % cette année contre une moyene de 45 % dans le reste du monde.

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par le réseau mobile 3G de 90 % duterritoire et le fait que la moitié desusagers ont accès à la 4G, démontrantd’ indéniables avancées dans ledomaine des infrastructures. De l’autrecôté, les abonnements à Internet sesituent à 10 % de la population. Laconclusion que tire l’Internet Societyest que davantage qu’auparavant, lesnouveaux usagers potentiels ne sontpas suffisamment intéressés à l’obten-tion d’une connexion Internet. Uneétude menée dans plusieurs pays afri-cains, révèle que les non-utilisateursne recourent pas aux services en ligneparce qu’ils sont trop chers. Ils netrouvent pas d’intérêt à se connecter etn’ont pas d’amis qui utilisent cettetechnologie.

Une par t ie du problème est lemanque de contenu en langue localeafricaine. De façon générale, la majo-rité du contenu produit l’est à l’étran-ger. Opportunément, l’Internet Societyrappelle que 54 % des sites Internetdans le monde sont en anglais, alorsque cette langue est la langue mater-

nelle de 4 % seulement des habitantsde la planète.

Autre dimension du problème : leprofil des usagers africains d’Internetest différent de celui qu’on peut trou-ver en Europe où aux États-Unis, où

l’accès se fait encore majoritairementvia un PC, portable ou non. Les smart-phones sont tout à fait adaptés à laconsommation de contenu ou à desinteractions simples, type partage dephotos, textes et liens. Mais ils génè-rent peu de contenus propres par rap-port aux ordinateurs personnels, dontles claviers offrent un plus vasteéchantillon de ressources. Ils permet-tent par exemple d’écrire de longstextes, constate l’Internet Society. �

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76 Culture Infos

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Cigdem Aslan et la danse la « tourna »

Avec Mortissa, son album précédent, la chanteuse kurdeCigdem Aslan avait déjà créé un pont entre les deux

rives de la Méditerranée orientale. Issues du répertoire durebetiko des années 1920 à Smyrne et Istanbul, les chan-sons enregistrées témoignent de la migration des Grecs enAsie Mineure. Ils y inventèrent le genre dans les cafés amanet les téké (fumeries de haschisch), avant de le rapporterdans leur patrie lors de l’exode forcé qui suivit l’incendiede Smyrne. Avec A Thousand Cranes (« Un millier degrues »), son nouvel opus, Cigdem Aslan persiste et signeen introduisant des échos et influences plus éloignés, sonvoyage musical atteignant les Balkans à ouest et l’Anatolieméridionale à est. Le titre est emblématique de ce vasteespace géographique où les cultures et les civilisations sontnées en transcendant les frontières et les spécificités identi-taires. Car la grue, la tourna, oiseau migrateur présent dansles mythologies du pourtour égéen, est l’un des symbolesd’un univers de tolérance et d’échanges, le messager de lasagesse ancestrale porteur de confort et d’espérance pourtous les exilés et les dispersés en quête de la patrie perdue.Comme dans la danse de la tourna, les chansons de CigdemAslan expriment cette tension permanente entre l’amour etla félicité et la liberté, viatiques indispensables pour la rési-lience face aux tragédies du passé. � Luigi Elongui

� Cigdem Aslan, A Thousand Cranes (Asphalt tango/

L’Autre Distribution). Concert : le 1er février 2017 à l’Alhambra (Paris).

Douceurs maliennes

• Fatoumata DiawaraLa chanteuse etcompositrice malienneaccompagne à la guitare sesmélodies à peine étouffées.Elle sera en concert le10 décembre à la Maisonde la musique de Nanterre,en banlieue parisienne. �

Electro-pop

• SenhitDe passage à Paris le24 novembre dernier pour unconcert au club MéridienÉtoile, la chanteuse italienned’origine érythréenne vientde sortir un single intituléDon’t call me. Elle a déjà3e album à son actif. �

Nainy Diabate,la griotte d’Africolor

La chanteuse malienneNainy Diabate possède

une voix haut perchée etplaintive, comme dans latradition de la djeliya, l’artdes griots, troubadoursdépositaires de l’histoire etdes généalogies. Cettecantatrice charismatique, ausommet de sa notoriété enAfrique de l’Ouest, a étéchoisie pour être l’une deslocomotives du festivalAfricolor. Le 17 décembre,la soirée « Un jour de bluesà Bamako/Girl Power/Bluesmalien » lui est consacréeau théâtre Gérad-Philipe deSaint-Denis, en régionparisienne. Magnétique surscène, elle seraaccompagnée parl’ensemble de laKaladjula Band. �

Oum,le phénomène vocal !

Oum n’arrête pas detourner ! Véritable

phénomène vocal, lachanteuse d’originemarocaine conjugue undébit aux accents étonnantsavec un répertoire qui puisedans les tréfonds de sesorigines sahraouies. On yressent les ardeurs de laterre natale de ses parents,les volutes incantatoires dugnawa, les nostalgies degrandeur de l’arabo-andalou et les envoléesaiguës des chantefables

berbères. Oum sera enconcert en France le3 décembre à Granville(50), dans les locaux del’Archipel, et le 10 àNantes (44), dans le cadredu festival Tissé métissé. �

Carmen Souza,le jazz insulaire

E lle est capverdienne etson répertoire est à la

croisée du jazz et des

musiques de son pays.Pour Carmen Souza,ce choix artistiqueest tout à fait naturel,inscrit dans l’histoire.Titulaire de six albums,la chanteuse crée ungenre où les airsmélancoliques de lamorna épousent lesimprovisations et lesharmonies du style néà La Nouvelle-Orléans.Carmen Souza seraen concert le 9 décembreà Vandenheim (67),dans la salle de l’Espaceculturel. �

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La vie en noir

Fruit d’un arbuste des régions tropicales, dont les principalesvariétés sont le Coffea arabica et le Coffea canephora

(robusta), ce petit grain vert ne paie pas de mine. En quelquessiècles, il a pourtant acquis une réputation internationale et estdevenu un enjeu économique majeur ! Son succès, le café (del’arabe kahwa) le doit à ses vertus et à son arôme. Une foistorréfié, il sert à la préparation de la boisson qui a pris sonnom, d’abord reconnue pour ses propriétés médicinales (elleest utilisée pour soigner la goutte, les empoisonnements…),puis gustatives. Aujourd’hui, pas moins de 2,6 milliards detasses de ce breuvage sont bues chaque jour dans le monde !Originaire d’Éthiopie, où l’on retrouve les premières traces desa culture et de sa consommation, le café a ensuite gagnél’« Arabie heureuse » puis l’ensemble du monde arabo-musul-man. Tous les continents produisent désormais du café, à l’ex-ception de l’Europe, et sa consommation continue d’augmen-ter. Bref, ce petit grain, devenu « objet patrimonial, dégustatif,médicinal », méritait bien qu’on lui consacre une exposition.C’est chose faite grâce au MuCEM, qui accompagne l’événe-ment par la publication d’un coffret (5 livrets) restituant toutl’univers du café : légendes, histoire, aspects scientifiques,enjeux économiques, sociabilité et convivialité autour du café.Alors, vous reprendrez bien un petit noir ? � Bachar Rahmani

� « Café In », exposition au MuCEM, Marseille,

jusqu’au 23 janvier 2017 et coffret de 5 livrets, coédition

MuCEM/Actes Sud, 208 p., 25 euros.

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Goncourt 2016

• Leila SlimaniAvec Chanson douce,son deuxième roman,la romancière marocaine de35 ans a obtenu le prixGoncourt, la plusprestigieuse desrécompenses littérairesfrançaises �

Exposition

• Youssef AbdelkéDes sujets ordinaires àpremière vue, mais qui endisent long sur la brutalité dela vie. L’artiste syrien revientavec l’exposition « Bleakand black » à la galerie Tanit(Munich, Allemagne),jusqu’au 14 janvier 2017. �

L’Akaa de l’art africain

La toute première éditionde la Foire internationale

d’art contemporain et dedesign d’Afrique s’est tenueau Carreau du Temple, dans le3e arrondissement de Paris, du11 au 13 novembre 2016.Akaa – Also Known As Africa,c’est son nom – se distingue par« son niveau d’exigence au

niveau de la sélection desgaleries et des œuvresexposées », revendique safondatrice et directriceVictoria Mann et ce n’estsurtout pas « une course auxmètres carrés ». Petit formatet éclectisme sont les signesdistinctifs de ce rendez-vousde l’art subventionné par lasociété Orange (qui confirmeson intérêt pour le continent).Remarquée, la participation dela jeune galerie Dupré &Dupré (elle a ouvert ses portesfin 2014 à Béziers), avec unsolo show de l’artiste marocainMohammed Lekleti (photo):un travail artistique mêlantpeinture, dessin etimpression numérique.À suivre de près. � B. Rahmani

L’expressionnismevif d’Omar Sosa

Le musicien cubainOmar Sosa rend au jazz

l’énergie solaire des origines et brossedes tableaux sonores d’unexpressionnisme vif et suggestif. Dans l’ensemble deses ouvrages, la quête des racines noires dela musique afro-américainese traduit en uneextraordinaire richesse demotifs, dont les agencementset les amalgames sont assuréspar les subtilités fébriles deson piano. Il sera en concertle 13 décembre à 20 h àl’auditorium Maurice-Ravelde Lyon. �

Noël mandingueà Montreuil

Le Noël mandingueclôture la cuvée 2016 du

festival Africolor avec lasoirée « Blues mandingue etchanson malienne », qui sedéroulera dans la nuit du24 décembre au NouveauThéâtre de Montreuil, enbanlieue de Paris. Àl’affiche, Abou Diarra etCheick Siriman Sissoko.Le premier est un joueur dekamalé n’goni, la harpe desjeunes chasseurs duWassoulù (sud du Mali) etvient de sortir l’album Koya.Le second est guitariste etbassiste et représente la jeunegénération de musiqueKhassonké. �

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futurisme… Desexpérimentations artistiquesdiverses qui les ont conduitsà affirmer leur propreparcours, à l’instar dupeintre et illustrateurRamón Alva de la Canal,l’un des fondateurs du« stridentisme » –mouvement avant-gardiste

Arts plastiques L’exposition du Grand Palais offre un vaste panorama des courants profonds duxxe siècle où se côtoient artistes réputés et d’autres moins.

Palette de l’art mexicain moderne

DES CONNEXIONS ÉTROITES ENTRE

CRÉATION ARTISTIQUE ET VIE POLITIQUE.

Par Bachar Rahmani

« Sous la main ferme despeintres, l’homme sansculture reprend

espoir », déclarait le peintreet militant mexicain DavidAlfaro Siqueiros, qui atoujours mené de frontpratique picturale etactivisme politique. Sonimpressionnant autoportraitpoing levé (Autoportrait« Le Grand Colonel »,1945) donne d’ailleurs lamesure de son engagement.Figure incontournable dumuralisme mexicain, auxcôtés de Diego Rivera et deJosé Clemente Orozco –« les trois grands » –,l’artiste trouve logiquementsa place dans le panoramade l’art du Mexique auXXe siècle dressé par leGrand Palais, à Paris (1).

� Avant-garde révolutionnaireL’exposition s’attache dansun premier temps à montrercomment la modernitémexicaine a « puisé soninspiration dansl’imaginaire et lestraditions du XIXe siècle »,tout en s’imprégnant desavant-gardesinternationales. Nombreuxsont en effet les artistesmexicains (Diego Rivera,Angel Zárraga, RobertoMontenegro Nervo…) qui,à l’occasion de séjours enEurope, ont découvert lesmaîtres anciens et se sontconfrontés aux nouvellestendances des cerclesparisien, madrilène ouromain :postimpressionnisme,cubisme, dadaïsme,

De haut en bas et de gauche

à droite : Francisco Diaz

de Leon (Indiennes un jour

de marché, 1922) ; Tina

Modotti (Guitare,

cartouchière et faucille, 1929) ;

David Alfaro Siqueiros

(Autoportrait « Le Grand

Colonel », 1945) ; Frida Kahlo

(Les deux Frida, 1939) ; Diego

Rivera (La Molendera, 1924).

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200 œuvres (essentiellementdes tableaux, quelquessculptures et photographies)signées de 70 artistes,l’exposition nous proposede revoir les plus grandesfigures de l’art mexicain,mais aussi de découvrird’autres acteurs moinsconnus de cette modernité.Elle a le mérite de nouséloigner des stéréotypes etl’originalité d’établird’étroites connexions entrecréation artistique et viepolitique.

© INBA, Museo de Arte Moderno © 2016 Banco de México Diego Rivera

Frida Kahlo Museums Trust, Mexico, D.F. / Adagp, Paris. Huile sur toile, 173 x 173 cm.

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mexicain militant pour unesociété où la machineremplacerait l’esclavagehumain. Diego Rivera,quant à lui, va s’inspirer untemps du cubisme – Frida

Kahlo s’y intéressera aussi– avant de revenir à lafiguration pour valoriser lesarts mexicains et soutenirses idéaux révolutionnaires.Riche de quelque

Izquierdo, pour ne citerqu’elles.Toutes les couleurs del’émancipation sont dans ceparcours. Revigorant. �

� (1) « Mexique 1900-1950.

Diego Rivera, Frida Kahlo, José

Clemente Orozco et les

avant-gardes », exposition

jusqu’au 23 janvier 2017, Grand

Palais (Paris), catalogue Mexiquedes Renaissances1900-1950, Éd.

RMN-Grand Palais,

352 p., 50 euros.

Le récit proposé metnotamment en évidence leretentissement considérablede la révolution mexicaine(1910-1920). Car cesannées de conflit et leursmilliers de victimes vontmarquer au fer rougel’identité politique,culturelle et artistique dupays et modifier enprofondeur sa structuresociale. Elles vont enparticulier permettre unecertaine émancipation desfemmes (les hommes étantpartis à la guerre) et leurémergence sur la scèneculturelle en tantqu’artistes ou mécènes.Aux côtés de l’icôneFrida Kahlo, s’affirmentles photographes TinaModotti et Lola ÁlvarezBravo ou les peintresNahui Olin et María

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Propos recueillispar Majed Nehmé

� Pour la deuxième annéeconsécutive, l’Anep auraété, par ses nouvellespublications et son cyclede débats et deconférences, l’un desprincipaux animateurs du

21e Salon international dulivre d’Alger (Sila).Pourriez-vous nousexposer la nouvelle

Algérie Grand succès du 21e Sila, le grand rendez-vous du livre algérien, qui s’est déroulé du26 octobre au 5 novembre à Alger. L’Entreprise nationale de communication, d’édition et depublicité (Anep) s’y est distinguée par la qualité de son catalogue et en animant les principalestables rondes et conférences. Rencontre avec Djemal Kaouan, son dynamique PDG.

« L’Anep,instrument privilégié de la circulation

des idées »

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stratégie culturelle del’Anep?� Avec d’autres éditeursnationaux, du public et du

privé, l’Anep veut monteren puissance pour qu’il yait dans notre pays uneindustrie du livrepourvoyeuse d’emplois etréceptacle d’œuvres dequalité dans tous lesdomaines de la culture. Ilest tout à fait clair que pouraller de l’avant il faut une

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« UN ESPACE DE DISCUSSIONS

POUR DES AUTEURS DE TRÈS HAUT NIVEAU. »

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puisque c’est notre métier,faire en sorte que leurtémoignage soit transforméen livre.� La 21e édition du Sila abattu tous les recordsd’affluence, soit près d’unmillion et demi devisiteurs. Commentexpliquez-vousl’engouement du publicalgérien pour une tellemanifestation?� Le Sila est unphénomène qui intrigueaussi bien les Algérienseux-mêmes que lesobservateurs étrangers. Il ya la loi du nombre, d’où cetengouement fantastique, etl’habitude qui s’est créée aufil des ans pour que le Siladevienne une fêtepopulaire. Cette fête autourdu livre, et par le livre,nous rend plus exigeants.Quoi de plus beau que devoir les membres d’unemême famille en discussionavec un auteur ! Il est vraiaussi que le Sila compensele déficit en vraies librairiesà travers le pays. Le Silaefface les frontières,favorise les rencontres etles débats. Il est unstimulant pour les auteurset pour les éditeurs.� En tant que principaléditeur algérien, avec uncatalogue de prés de 900titres, quels sont les défisauxquels l’industrie dulivre est appelée à relever?� D’emblée il faut préciserque l’industrie du livre enAlgérie n’est pas encoreune véritable machine bienhuilée comme on le voitdans les pays industrialisésavec des tiragesimpressionnants.Néanmoins, on constatedepuis quelques annéesdans notre pays des signauxtrès positifs quant à lafabrication du livre. Et cequi est très encourageant,c’est la maîtrise d’unetechnologie de pointe. Pourpreuve, la conception selondes normes

soient étrangers ounationaux, et leurs lecteurs.L’Anep n’est pas qu’unemachine à produire deslivres, elle est aussi uninstrument privilégié pourla circulation des idées, auservice de la connaissanceet du savoir.� L’histoire nationalealgérienne tient une placecentrale dans vospublications, comme l’adémontré l’émouvanthommage que l’Anep arendu à la militante ZahraLalmania, unemoudjahida d’origineflamande, plus connuesous le nom de guerre :« l’Allemande ». Elle estvenue pour la premièrefois de sa vie de la régionde Tkout, dans les Aurès,où elle a toujours vécu.Pourquoi ce choix?� Vous l’avez très bien dit,l’hommage rendu à ZahraLalmania, cette grandemoudjahida, a été un trèsgrand moment d’émotion.C’est une fierté pourl’Anep que d’exhumer despans entiers de notreHistoire, à travers lespersonnes ou à travers lesarchives. Évidemment, rienne remplace le témoignagequand il émane depersonnes sincères et quin’osent, par pudeur, parlerde leur propre parcours.Zahra Lalmania en est unexemple. Notre ligne deconduite participe tout à lafois du devoir dereconnaissance du sacrificeconsenti par nos héros, dela responsabilitémémorielle et de lanécessité d’entretenir notre« moi » national. C’est à cetitre que nous allons versces repères, afin de les faireconnaître des nouvellesgénérations et, bien entendu

Djemal Kaouan, PDG de l’Anep : le Sila qui, pour sa 21e édition,

a battu tous les records d’affluence, « efface les frontières,

favorise les rencontres et les débats, stimule les auteurs. »

« C’EST UNE FIERTÉ POUR L’ANEP QUE

D’EXHUMER DES PANS DE NOTRE HISTOIRE. »

véritable stratégie. Il y aune très forte demanded’ouvrages en tout genre etil est impératif de répondreaux besoins des différentslectorats, qui constituent lesélites de demain. Outre sonrôle d’éditeur qu’elleremplit pleinement, l’Anepoffre aussi, en marge ou ausein même du Sila, unespace de discussions pourdes auteurs de très haut

niveau, au profit desAlgériens qui veulentcomprendre ce qui se passeautour d’eux. À travers lesdébats et conférences,l’Anep crée des synergiesentre les auteurs, qu’ils

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étrangers demandent quel’Anep leur cède des droits,et ce ne sont pas les œuvresde qualité qui manquent etqui peuvent intéresser unlectorat intéressé par laculture algérienne.L’imprimerie de l’Anep esten mesure d’offrir sesservices à moindre coûtpour l’impressiond’ouvrages, guides,bannières, drops,dictionnaires, revues.� Quels sont les obstaclesà l’exportation du livrealgérien?� Les obstacles ne setrouvent pas côté algérien,bien au contraire. Il faut seposer la question depourquoi le produit culturel

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algérien, avec comme ferde lance le livre, n’est pasimporté massivement là où,sur le plan linguistique, il ya une demande conséquente– dans les paysfrancophones et le mondearabe. Le livre algérien(roman, essai, beau-livre…)est pour l’instant confinédans des librairiesspécialisées.Les échanges culturels sefont encore à sens unique,du Nord vers le Sud. Il esttemps d’arriver à dessynergies communes etfaire en sorte qu’il n’y aitpas de barrières. Le livrealgérien n’est pasdisponible dans leslibrairies du Caire ni dans

celles de Paris. Alors qu’àAlger, les livres sont pourla plupart importés !� L’édition numériquefait-elle partie de votreplan de développement?� L’e-book est l’un de nosobjectifs majeurs, et cela vaêtre très rapide. Nousdépendons d’autres acteurs,comme Algérie Télécom,pour l’outil qui nouspermettrait de toucher unlectorat enclavé, ou setrouvant à l’étranger.� Depuis votre arrivée àla tête de l’Anep, vousvous êtes employé àdévelopper et à rénover leréseau de librairies àtravers l’ensemble duterritoire national. L’unede ces librairies au centred’Alger, la librairie ChaibDzair, est devenue unhaut lieu de débats et unforum de rencontres entreles auteurs et leurs

internationales d’ouvragesqui n’ont rien à envier à cequi se fait ailleurs et je cite,pour le cas de l’Anep, lesbeaux-livres. Les défis,c’est d’abord la qualité del’impression, puis lesverrous à faire sauter,comme les écueilsrencontrés face à ladiffusion et le déficit enpoints de vente. Uneindustrie du livre n’a desens que si les autresmaillons fonctionnent bien :marketing, articles depresse, commande auprèsdes institutions, etc.� L’Anep envisage-t-elledes partenariats avec deséditeurs étrangers?� Tout partenariat estbénéfique. L’idéal est quel’Anep ne se contente plusd’acheter des droits, maismette aussi en valeur sespropres produits. Il fautarriver à ce que des éditeurs

« CETTE FÊTE DU LIVRE, ET PAR LE LIVRE,

NOUS REND PLUS EXIGEANTS. »

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lecteurs. Cette expériencesera-t-elle étendue àd’autres villesalgériennes?� Entre autres challenges,nous comptons étendrenotre réseau de librairies àtravers les principalesagglomérations urbaines.Pour ce qui est de lalibrairie Chaib Dzair, dunom de la première femmemartyre pendant la guerrede Libération, l’effet adémarré le jour même oùl’on a décidé qu’il y auraitdes rencontres avec des

« IL EST UN DEVOIR D’ACCORDER AU

TAMAZIGHT UNE GRANDE IMPORTANCE. »

auteurs. La librairie ChaibDzair est devenueincontournable, elle a sonpublic très fidèle, et celanous conforte dans nosprises de décision.Évidemment, une telleexpérience est à élargir àd’autres lieux.� Outre l’arabe et lefrançais, l’Anep se dote

également d’unprogramme de publicationen tamazigh, reconnuepar la nouvelleConstitution, débutfévrier, comme languenationale et officielle.Qu’en est-il dans les faits ?� Le catalogue de l’Anep,que vous pouvez consultersur notre site web (1), estvarié. En majorité les titressont en arabe et en français,et très peu en tamazight.Celui-ci est unecomposante de notreidentité et il est un devoirpour nous de lui accorderune grande importance.Cela étant, le tamazight faitl’objet d’une grandediscussion entrespécialistes : quelletranscription doit-onutiliser ? Il y a unpatrimoine en tamazight àvaloriser, et l’Anep est là.� Le livre est un outilpuissant pour combattrel’obscurantisme véhiculépar certains éditeursétrangers. Comptez-vouspromouvoir descollections grand publicdédiées à la diffusion del’islam des Lumières, dontl’un des promoteurs enFrance, l’Algérien MalekChebel, habitué du Sila,vient de nous quitter,laissant derrière lui uneœuvre féconde?� Votre question estpertinente puisqu’elle estd’actualité. La meilleurefaçon de combattrel’obscurantisme est deproposer des œuvres dequalité qui traitent de notrepatrimoine religieux etspirituel. Vous savez, laviolence de l’occupationcoloniale a également sévisur le plan de l’histoire etde l’anthropologie.L’Algérie a toujours été

une aire de civilisation etune terre hospitalière,comme en témoigne sonaccueil des populationspersécutées en terreibérique après la chute deGrenade. Cela pour direque le message originel del’islam est bien intégré parl’humus algérien à traversles âges, et il nousappartient aujourd’hui depuiser dans ce terreau despiritualité pour entretenirle « vivre ensemble » etcontrecarrer lesintégrismes, quels quesoient les oripeaux dont ilsse drapent, et qui cachentd’ailleurs souvent desvelléités de déstabilisationdes États et des sociétéspour des raisons purementmercantiles.Nous avons déjà publié desouvrages sur le soufisme,sur l’architecture islamique,sur les savants musulmans.Le fonds éditorial del’Anep est riche et il prendà contre-pied les idéologiesqui n’ont rien à voir avec lerite malékite tel qu’adoptépar nos ancêtres.Pour avoir enduré desmoments pénibles ettragiques, marqués parl’extrémisme quiinstrumentalise l’islam, lesAlgériens savent où sontaujourd’hui leurs vraisrepères. Nous avons éditédes ouvrages sur IbnKhaldoun, Cheikh Senouci,cheikh Ibn Badis et biend’autres. Pour ce qui est del’œuvre du défuntanthropologue MalekChebel, hélas ! les droitsappartiennent à des éditeursétrangers.L’Anep est ouverte à touteproposition dès lors qu’onlui propose des œuvres dequalité, qui relèvent del’islam (en tant que religionet civilisation) et quitendent à revisiter le passéavec les yeuxd’aujourd’hui. �

� (1) www.anep.com.dz/

La moudjahide Zahra Lalmania plus connue sous le nom

de guerre « l’Allemande » à qui l’Anep a rendu un émouvant

hommage, lors de cette édition.

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Par Sylvie Clerfeuille

D ans LesGuadeloupéens (1),ouvrage peuplé de

personnages porteurs delieux et d’histoires, CarolineBourgine nous fait entrerdans le vécu d’un peuplevenu de « quatre continentspour faire un archipel »,selon l’expression du poèteDaniel Maximin. Spécialistedes musiques du monde,l’auteure a construit parpetites touches le portrait decet archipel.Elle s’attaque d’abord àl’histoire du peuplement.Dans la région de Trois-Rivières, on découvreCarloman Bassette, de mère

caraïbe.L’histoire de cepeupleamérindien estgravée dans lespétroglyphes.Les Garifunasoriginaires deBelize, Colombieet Guatemala, et Kalinagosont ainsi perpétré l’esprit duserpent. Viennent ensuiteles Kongos « engagés venusd’Afrique » après l’abolitionde l’esclavage en 1848, etdont Marie-FranceMassembo, deCapesterre Belle-Eauperpétue la mémoire lors decérémonies « grappes àKongo » pour ramenerl’âme des ancêtres.

Documents Dans un ouvrage clair et concis (1), Caroline Bourgine évoque le peuplement et laculture d’un archipel façonné par la traite et l’histoire coloniale.

fuyant les luttesconfessionnelles, et sonmajoritairementcommerçants. Et puis il y ales « Blan peyi ». Arrivésen 1626, ils forment unecommunauté trèshiérarchisée : petits Blancs,Blancs-Matignon (petitsBlancs de la région desGrands Fonds ayant fui laTerreur), noblesdésargentés, moyens Blancs(planteurs de café ou decoton) et grands Blancs(planteurs de cannes ounégociants) qui cultivèrentlongtemps l’idéologie de lacouleur.Avec l’aide de l’enseignantHector Poullet, le lecteurcerne l’importance du

• L’Homme au lion, Henrietta Rose-Innes,Éd. Zoé, 320 p., 21 euros.

L ire, c’est souvent voyager, découvrir deslieux, des personnages et des époquesautrement ou qu’on n’a pas eu l’occa-

sion de visiter. L’Homme au lion d’HenriettaRose-Innes nous conduit dans le bush auxalentours de la ville du Cap, en Afrique duSud, et nous dévoile ses paysages embellis par

les magnolias en fleurs, devant unemontagne majestueuse au loin. Icisurvivent les derniers lions épargnéspar les pulsions carnassières deshumains, et dont quelques spécimenssont enfermés dans le zoo de la cité.Mark, l’un des personnages princi-paux du roman, y travaille et a étéattaqué par le fauve sont il avait encharge. À partir de cet épisode sedéroule , dans un s tyle f luide etsimple, l’histoire originale qui est aucœur du récit de l’auteure, ancienne

élève du prix Nobel J. M. Coetzee et une desplumes les plus intéressantes de la nouvellegénération des écrivains du pays de NelsonMandela. � Moundiba Malanda

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• L’Indonésie. De la préhistoireà la présidence de Jokowi, Alain RiquierÉd. L’Harmattan, 270 p., 27 euros.

A rchipel le plus peuplé de la planète etpremier pays musulman en termesdémographiques, ce grand État asia-

tique n’est pas à un paradoxe près. Si sa naturegénéreuse en a fait une destination touristiquede choix, une sombre malédiction le frappe

depuis son indépendance, arrachée dansla douleur aux Hollandais en 1949, quatreans après sa proclamation. Ancien leaderdu Tiers-Monde, pays hôte de la confé-rence de Bandung de 1955, l’Indonésiesouffre encore aujourd’hui des 30 ans derègne de Suharto, dictateur sanguinaire etcorrompu soutenu par Washington. Encela, l’héritage de la lutte de libérationnationale incarnée par la figure de Soe-karno est durablement entaché par le

régime pro-américain de l’Ordre nouveau, res-ponsable de la mort de près d’un million d’in-nocents au nom de la lutte contre le commu-nisme, et de 200 000 habitants duTimor-Oriental, ce territoire occupé par lapuissance indonésienne de 1975 à 1999. � T. Y.

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Peuples de GuadeloupeParmi ces« engagésvolontaires »,figurentégalement lesIndiens d’Inde :42000 d’entreeux, en grandemajorité des

intouchables, furentramenés des comptoirs dès1854 et 20000 moururentdans les champs de canne.Ancien maire de Saint-François et militantpolitique, ErnestMoutoussamy lutte pour lasignification des motsindiens dans le créole.Les Libano-Syriens, aunombre de 10000, vinrentsur l’île à fin du XIXe siècle,

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Quand le PC grec a scissionné

F ruit d’une thèse de doctorat en histoire soutenueen novembre 2014, cet ouvrage apporte unepierre précieuse à la maigre historiographie

consacrée au mouvement ouvrier grec en général et auKKE, le Parti communiste grec, aujourd’hui opposé àSiriza. Ayant mené un travail titanesque, fouillant dansde nombreuses archives récemment déclassées(grecques, soviétiques, roumaines, françaises), l’auteurnous fait découvrir les aléas de l’évolution de ce grandparti communiste et sa lente descente aux enfers, aulendemain de la sanglante défaite des partisans com-munistes de l’Armée démocratique de Grèce au coursde la guerre civile (1946-1949) qui fit 150 000 morts.Cela jusqu’à sa scission en février 1968 et la fondationdu Parti communiste de Grèce de l’intérieur (KKE-es).

Une même matrice anti-stalinienne et anti-brejné-vienne anime ces communistes grecs en exil qui ontcru émanciper leur parti du totalitarisme et explorerune voie proprement grecque vers le socialisme. Lechercheur pointe du doigt le rôle ambigu joué par legrand frère soviétique qui, au nom de la seule défensedes intérêts de l’URSS, ne fit rien pour soutenir lacause de ses camarades grecs pour le rattachement deChypre à la mère patrie (Enosis),allant jusqu’à entretenir des rela-t ions commerciales avec lerégime des colonels à Athènes.Dans cette plongée dans l’universdes cadres du KKE et de sonarmée, exilés à Tachkent et àPrague, l ’auteur revient surquelques figures marquantes. Àcommencer par son dirigeant,Nikos Zachariadis, perçu dansl’his tor iographie off ic ie l lecomme un stalinien impénitentmais tombé en disgrâce par Sta-line pour avoir voulu marcher surles pas du maréchal Tito, affran-chi de la tutelle de Moscou. À l’inverse, la figure pres-tigieuse du général Markos, commandant de l’arméedémocratique de Grèce, en prend un sacré coup auregard des découvertes du jeune historien.

C’est donc avec un regard résolument critique quel’auteur place l’histoire de la scission du KKE dans lecontexte de la putréfaction de l’hégémon soviétique enEurope de l’Est et l’apparition de nouvelles formes decontestation au sein du bloc communiste. Il faut lire cetouvrage passionnant, ne serait-ce que pour comprendrela prise du pouvoir du parti Syriza à Athènes et lesaléas et l’évolution d’un des plus grands partis commu-nistes d’Europe. � T. Y.

� Les Communistes grecs et l’Union soviétique.Histoire de la scission du Parti communiste de Grèce (1949-1968),Nikos Papadatos, Éd. l’Harmattan, 440 p., 39 euros.

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créole comme matriced’une identité réhabilitéepar Akiyo dans les années1980, groupe emblématiqued’un courant culturel etpolitique. La danseuse LénaBlou enseigne unetechnique corporelle àpartir du tambour gwoka, lecorps en permanencedéséquilibré, comme lamémoire de l’histoire de laculture esclavagiste etcoloniale. Les Jasor ouvrentleur première librairie en1952 et organisent le forumdu livre où les ouvrages deFranz Fanon sont saisis parla police. L’écrivaineSimone Schwartz-Bartexplore les rêves de sa terre« qui a gardé avecl’Afrique des commerces àtravers les contes, lesmaximes ».La Guadeloupe, c’estégalement des famillescomplexes que MichelRogers, généalogiste, tented’expliquer.L’auteure brosse aussi lesportraits des femmespotomitan, piliers des

temples vaudous, symbolesde la place de la femmedans l’histoire del’esclavage et de sarésistance, sur laquellereposent les structuresfamiliales et sociales.Coquette, libre etdominatrice, elle inspiremême la crainte. Doyennedes artistes de Guadeloupe,Man Toto en estl’incarnation.Caroline Bourgine conclutson ouvrage par l’approchede la mort avec le groupeKann’ida, en charge desveillées mortuaires etspécialistes des boulagyel,jeu polyphonique devocalisations percussives,forme de musique derésistance quand l’Égliseinterdisait l’usage destambours dans les veillées.Comme le dit SimoneSchwartz- Bart : « La mortest ici familière et il n’y arien de dramatique. » �

� (1) Les Guadeloupéens, de

Caroline Bourgine, Éd. Ateliers

Henri Dougier, 144 p., 12 euros.

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• Savoir & faire : la terre,Hugues Jacquet (dir.). CoéditionActes Sud/Fondation d’entreprise Hermès,464 p., 49 euros.

A près le bois, la terre. Ce deuxièmevolume de la collection « Savoir &faire » nous invite à la découverte de

ce matériau que l’homme a entrepris de trans-former il y a plus de 25 000 ans. Superbement

illustré, l’ouvrage rassemble unetrentaine de contributions. Céra-mistes, plasticiens, designers,sculpteurs… y abordent chacun cematériau en regard de leur savoir-faire . On y croise l ’archi tecteMario Botta ou encore les micro-biologistes des sols Lydia et ClaudeBourguignon. Les pr incipalesétapes de l’histoire (technique etesthétique) de la céramique – pre-mier « art du feu », bien avant lamétallurgie et le travail du verre –

y sont retracées, depuis son apparition auProche-Orient, plusieurs millénaires av. J.-C. Àmettre entre les mains de tous les amoureuxde la matière. � Bachar Rahmani

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autobiographique de MagydCherfi, parolier du célèbregroupe toulousain Zebda,est paru en pleine hystérie« gauloise », ressassée àl’envi en plein débat de laprimaire de la droite et ducentre en France. L’ouvragea suffisamment étéremarqué pour êtresélectionné dans la premièreliste du prix Goncourt.Magyd Cherfi est un artisteengagé qui prêchel’apaisement là où unFinkielkraut aurait souhaitél’entendre hurler au racismeanti-Blancs, de concert aveccette poignée d’artistes etintellectuels « beurs »cooptés par l’oligarchie dela République. S’il prétendnon sans humour être négaulois, il a passé son tempsà se chercher une nouvelleidentité à force des’entendre demander s’ilétait français alors qu’il n’ajamais cessé de l’être.Tout au long de ces 250pages, notre héros berbéro-toulousain raconte sonadolescence et saschizophrénie identitairedans un récit âpre ettruculent, un texte aux motscrus écrit dans une languecolorée dans laquelle lenarrateur auteur fait sondevoir de mémoire à lui. Iln’oublie pas ceux et cellesqui l’ont accompagné dansson parcours, qui ont cru enlui, les instits de laRépublique qui en ont fait

Livre Parolier du groupe Zebda, Magyd Cherfi publie en ces temps de crispation identitaire unrécit autobiographique poignant et poétique sur son adolescence dans les quartiers nord de Tou-louse. L’occasion de revisiter notre propre part de Gaulois.

Plaidoyerpour une France fraternelle

« LES HOMMES NAISSENT LIBRES ET ÉGAUX…

ENTRE MIDI ET DEUX. »

Par Tigrane Yégavian

«Dire que j’écris megêne, complexed’ancien pauvre, d’ex-

fils d’immigré, d’épisodiqueschizophrène, car j’suisdevenu français. J’ai du malà écrire, car je m’écris etm’écrire c’est saisir uneplaie par les deux bouts etl’écarter un peu plus. Laplume m’a séparé de mescompagnons d’infortune,tous ces “Mohamed” de mabanlieue nord hachés menuspar une société qui a rêvéd’un “vivre ensemble” sansen payer le prix. Je raconteune fêlure identitaire, unrendez-vous manqué.C’était l’année 1981, lagauche arrivait au pouvoirla besace pleine de l’amourdes hommes et les premiersBeurs accédaient au bac. Lebac, une anecdote pour lesBlancs, un exploit pourl’indigène. Tout était réunipour cette égalité des droitstant chérie. La promessed’une fraternité vraiesemblait frémir.Pourtant la rencontre de laFrance et de sa banlieuen’a pas eu lieu, elle n’atoujours pas vu la lumière,car l’exception françaisepersiste, celle d’êtrefrançais et de devoir ledevenir… »

� Aux instits de la RépubliquePar une étrange coïncidencelexicologique, le récit

leur « cobaye », ses amieséducatrices qui co-animentavec lui un atelier desoutien scolaire, surtout lafigure de sa mèreomniprésente, qui ne lâcherien, le traquant lui et sesprofs jusque dans les sallesde classe pour qu’il nedécroche pas…Dans ce récitautobiographique, le lecteurest plongé en apnée dansune autre époque, celle dela fin de la « giscardie ».Défilent sous nos yeux lesimages en mauvaisescouleurs d’un film poétiqueoù la bande originalereprend les chansons deBernard Lavilliers quirésonnent dans le walkmande Magyd. Nous sommesen 1981, année de l’électionde Mitterrand, mais aussicelle où le narrateur âgé, de19 ans, passe son bac sérielittéraire (la défunte filièreA). Une première pour larue Raphaël où réside cetadolescent qui ne passaitpas inaperçu dans cette« cidade de deus »toulousaine.

� La bonne étoile maternelleSon enfance il la vit tirailléentre attachement à l’écoleprimaire républicaine à cent

mètres de chez lui (et trèséloignée du centre-ville) etses origines algériennesauxquelles il n’a eu decesse d’être renvoyé ausortir de l’école. Le jeunehomme a toujours un livreà la main ou est en traind’écrire un poème, quitte àse faire traiter de « pédé »ou défoncer la figure.Tout bascule le jour où ildécroche le précieuxsésame. L’énorme pressionde sa mère, pour quil’unique tâche consistait àce que Magyd réussisse sonbac, aura été prépondérantedans la réussite du jeunehomme. De cet événementqui prend des proportionsimpensables, Magyd Cherfiparvient à en tirer un récittouchant de sincérité, quiprend des allures de quêteidentitaire. Car en obtenantle baccalauréat, Magyd seretrouve malgré lui investid’une mission et revêtud’un habit de messie :mettre fin, au nom de toutela cité, à l’échec scolairequi gangrène la rueRaphaël. Et en premier lieu,pour réussir, il va chercherà s’intégrer et à accepterune double culture : d’abordcelle de sa famille, de sesorigines, puis celle qui est

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Magyd Cherfi entend réécrire une histoire de France dans laquelle

les Arabes humiliés par Charles Martel ont toute leur place.

MAGYD S’EST « BERBÉRISÉ » À FORCE D’ESSUYER

DU « SALE BOUGNOULE ».

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branches se sont écartéesloin, très loin du troncjudéo-chrétien.

� Le rêve saccagépar la violence du réel« On a été français untemps, le temps de la petiteécole qui nous voulaitégaux en droits. On a aiméce “nous” qui nous voulaitégaux en droits. On a aiméce “nous” qui nous a faitsfrères avec les “cheveuxlisses”. On ne savait riend’une quelconque histoirenous concernant, pas lamoindre référence d’un

deux potes artistes discutentpolitique et théâtre àlongueur de journée,écrivant des répliquesgrinçantes sur les failles dumodèle républicain(« les hommes naissentlibres et égaux… entre midiet deux »). Comme tantd’autres de ses camarades,Magyd a voulu croire à cerécit national, cet arbregénéalogique de 2000 ansd’histoire que l’école de laRépublique leur a proposéen échange de celle de leursparents meurtris par lagrande saignée de huit ans

multiculturelle. Idéalnaguère porté par sescopains de terminale, futursbobos de gauche qui ont vudans la victoire de FrançoisMitterrand un gigantesqueespoir, alors que, ironie dusort, les parents de Magydont sérieusement pensé àfaire leurs valises, effrayéspar l’arrivée au pouvoir del’ancien et peu magnanimeministre de l’Intérieurde la guerre d’Algérie.Véritable choc qui leramène dans les entraillesdu traumatisme tu de cettehécatombe.Magyd, dont le père seconsole du deuil de sesfrères à chaque naissance,brave les interdits, commecelui de revendiquer une« normalité » pour les fillesvictimes de l’oppressionpatriarcale. Réaliste, il n’apas l’étoffe du super hérosjusticier, mais met soncœur et son ego d’artiste auservice de la cité. Prêt àéteindre l’incendiepermanent qui enflammeles âmes et les corpsmeurtris par une violencelancinante. Il n’a quel’humour pour décrire lefossé abyssal séparant la foipieuse et discrète de sonpère, qui lui offre unmouton en sacrifice pourfêter son bac, et le mondeet la culture du paysd’accueil. Devenufrançais grâce aux instits,Magyd Cherfi nousapprend que l’on peutse revendiquer d’unedouble allégeance sansrenier d’un iota sonappartenance à lacommunauté nationale.Avec légèreté, maisprofondeur, cet éternelamoureux nous invite àapprivoiser le réel pourconstruire une passerelleentre deux univers enapparence irréconciliables. �

� (1) Ma part de Gaulois,

Magyd Cherfi, Éd. Actes Sud,

272 p., 19,80 euros.

enseignée à l’école, quideviendra sa « part deGaulois ».Entre Flaubert etMaupassant, Brassens et lesClash, se dessine un tableaurétrospectif de la cité, danslaquelle il ne fait pas bonaligner une phrasecorrectement conjuguée enfrançais, langue del’oppresseur. Magyd et ses

de guerre en Algérie.Contrairement à la rancœursourde et la démagogiemilitante d’une HouriaBouteldja, du Parti desIndigènes de la République,Magyd entend réécrire unehistoire de France danslaquelle les Arabeshumiliés par Charles Martelont toute leur place. Unehistoire inclusive dont les

grand homme de lettres,d’un poète, d’un peintre,d’un architecte de Bejaïaou d’Alger, rien d’unsportif de Sidi Bel Abbès oud’un exploit auquels’identifier. Alors on s’estagrippés au conte gaulois,aux pages pleines de hérosaux yeux d’émeraude et ontrouvait ça chouette d’êtreblond, d’avoir les yeux

bleus. On pensait que peut-être on pouvait le devenir,comme on trouve la foi àforce de prière. Qu’il étaitbeau le rêve. Être françaistout doucement, parcouches successives, sanseffort et un beau jour !Bonjour Mohamed – Non,moi c’est Jean-Philippe,comme Johnny. »Magyd est né français, maisil s’est progressivement« berbérisé » à forced’essuyer tous les jours du« sale Bougnoule » après17 heures. Si le romannational a été saccagé par laviolence du réel, Magyd neparle pas de revanche surl’humiliation. Tout au pluslance-t-il, 35 ans après, unfervent plaidoyer pour uneFrance fraternelle et

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88 Musique

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Par Luigi Elongui

S okou, n’goni, tidinit,kora, bolon, kamalén’goni, xalam…

L’Afrique de l’Ouest estriche en instruments àcordes, dont certainsremontent à la nuit destemps. D’autres, plusrécents, en sont la filiation.Certains ont voyagé via latraite transsaharienne et sesont installés au Maghreb,comme le guembri quianime les cérémoniesthérapeutiques d’uneconfrérie religieuse, desGnawas du Maroc, peupledescendant d’esclavesd’Afrique subsaharienne.La valeur esthétique de ces

instrumentsestindissociablede la placequ’ils ontoccupée etoccupentdans lessociétés duSahel.Celles-cisont trèsancrées dansles traditionsfondées surla fonction presquemystique de la parole, quiperpétue, avec la musique,la mémoire et l’histoire desanciens empires etroyaumes. Avec une extraordinaire

Afrique de l’Ouest Les albums de Vieux Kanté et de Dawda Jobarteh témoignent du dynamisme desinstruments à cordes, qui se nourrissent de styles traditionnels, mais aussi de sonorités plus récentes.

Le chasseur et le griotrépandu aujourd’hui auxÉtats-Unis ou sur le VieuxContinent, et les maisonsdiscographiquesinternationales leur font unelarge place dans leurscatalogues. Le label anglaisSterns vient ainsi de publierles albums de deux artistesprofondément enracinésdans cette aire culturelle etqui ont acquis unerenommée en dehors desfrontières de leurs paysrespectifs, le Mali et laGambie. The Young Man’sHarp, de Vieux Kanté, etTransitional Times, deDawda Jobarteh, sontdistribués par HarmoniaMundi. Aveugle denaissance et décédé en 2005

• Harold Lopez-Nussa, El Viaje(Mack Avenue/Harmonia Mundi).

À la base de ses univers, il y a le jazz, lamusique classique et les traditionspopulaires de son île natale. Le com-

positeur cubain Harold Lopez-Nussa en ahérité le goût pour l’improvisation, le raffine-ment de la composition et les évocations lanci-nantes des rituels de la santeria. Et puis il y a le

piano ! Normal pour celui qui agrandi à l’ombre d’un oncle pia-niste et d’une mère professeurede piano. Son toucher ardent oumesuré, fougueux ou mélanco-lique, est un pont qui traverseles océans, à l’image du dessinde la pochette de son dernieralbum, El Viaje (« Le Voyage »).Avec les deux complices de sontrio, le Sénégalais Alune Wade

(basse et chant) et son petit frère Adrian Ruy(batterie et percussion), plus une brochetted’invités – dont son propre père à la batterie –,Harold Lopez-Nussa décrit le destin dumigrant qui s’éloigne de sa terre tout en y res-tant profondément ancré. � Moundiba Malanda

• Waed Bouhassoun,La Voix de la passion (Buda Musique).

D otée d’une fibre artistique extraordi-naire qui lui permet de faire la jonc-tion de genres différents, et même

éloignés sous le profil stylistique, la vocalisteet joueuse de luth syrienne Waed Bouhassounacquiert la grandeur expressive et la force desuggestion de l’interprétation grâce à sa proxi-

mité avec les répertoires popu-laires, notamment les traditionsbédouines. Son troisième album,La Voix de la passion, porte bienson titre : l’un de ses volets, lapoésie nabatéenne de la Syrieméridionale – les odes guerrièresou lyriques des indomptablespaysans druzes –, confère à songeste vocal les accents de la pas-

sion et une pureté de tons transcendant toutformalisme. La poésie classique de l’Andalou-sie musulmane est l’autre thème choisi, etWaed Bouhassoun y fait encore une foispreuve d’une sensibilité rare en introduisantdans les airs de grandeur la charge sensuellede sa voix aux reflets de soie. � Luigi Elongui

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continuitéet undynamismesurprenantqui senourritd’apportsvenant dujazz,d’Europe oud’Afriquecentrale, lesstylestraditionnelset leur

instrumentation sont bienvivants au Mali, auSénégal, en Gambie, auNiger, au Burkina Faso ouen Mauritanie. Avecl’explosion de la worldmusic, leur usage s’est

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à 31 ans, Vieux Kanté estoriginaire de Sikasso,région, méridionale du paysde Modibo Keïta. Il était unjoueur de kamélé n’goni,harpe à 10 cordes portées à16 par l’artiste pour donnerune coloration jazzy à sonjeu. En quête de nouvellesexpériences, il s’est renduen Europe au seuil dumillénaire et a enregistréavec le saxophoniste HansDulger et le groupe Fra FraSound. Le kamélé n’goni,dont la fabrication date desannées 1960, est pratiquépar la jeunesse, surtout parles membres de lacommunauté des chasseursdu Wassoulù, toujours dansle sud du Mali. DawdaJoberteh, lui, est le dernierrejeton d’une célèbre lignéegambienne de griots,bardes dépositaires desgénéalogies des castesnobles et joueurs éméritesde kora. Cette harpe luth à21 cordes aux sonoritéscristallines est dotée d’unincroyable potentiel à lafois rythmique et

mélodique. Jobarteh vit auDanemark, se déplace àl’occasion de tournées enAfrique de l’Est ou enInde, et ses textes puisentdans les problèmes actuelsdu continent – par exempleles frontières – qu’ilaffronte avec un espritcritique. Son ouverture aujazz se manifestebrillamment dans le titre« Transition », qui reprendla pièce homonyme de JohnColtrane.L’impressionnante variétéde suggestions que lekamélé n’goni et la koraproposent n’échappe pas àl’auditeur, pas plus que ladiversité d’atmosphères desdeux albums. Lesambiances festives dessoirées au clair de lune duWassoulù où le kamélén’goni s’invite avec sessonorités épaisses etpercutantes, diffèrent decelles, nostalgiques,données par la kora. Le jeuplus plaintif de cetinstrument propose un styleenclin à la méditation. �

Manifeste du peuple kurde

S ynthèse qui éblouit, aux limites du ravissementdes genres et des instruments nés sur les routes dela soie entre les portes de la Chine et les rives du

pourtour méditerranéen, le deuxième album du groupeNishtiman se veut le manifeste musical du peuple kurde.

Intitulé Kobané en hommage à la ville martyre où lespeshmergas du Kurdistan syrien ont arrêté l’avancée deshordes de Daesh en 2014 et 2015, l’album réunit, autourde son directeur artistique Hussein Zahawy et du com-positeur Sohrab Pournazeri, des instrumentistes de hautvol et la voix céleste de Donia Kamali. L’ampleur dutimbre et les envolées de cette vocaliste rappellent lescélèbres cantatrices de la sous-région, comme l’Armé-nienne Mannick Grigorian et l’Ouzbèke MatlubehDadabayeva.

Les mélopées langoureuses des cordes, du violonkamanché et du luth tanbur, le souffle intemporel dududuck, un hautbois à anche double, apportent à l’en-semble un cachet émotionnel d’une ferveur rare. On yentend l’évocation d’anciennes transhumances, d’exilsforcés et les échos des complaintes d’un peuple épar-

pillé sur quatre territoires, en quête d’une seule commu-nauté de destin.

Concepteur de Nishtiman, Hussein Zahawy a voulutranscender, dans le répertoire de la formation, les cli-vages des diverses musiques kurdes en une seuleexpression artistique. Les chants empreints d’unevigueur mélancolique et les airs nostalgiques des instru-ments dévoilent, dans la respiration et les subtilitésd’une équipe d’interprètes de grande sensibilité, uneâme tout à la fois inquiète, ardente et conviviale.

Le morceau « Kobané », qui donne le titre à l’album,est une prière qui se lève, une aube qui s’annonce, uneronde joyeuse au matin de l’espoir. Le chorus des voixet le battement des percussions y apportent le messagedes insoumis dans les pics des montagnes enneigées. �

Moundiba Malanda

� Nishtiman Project, Kobané / Kurdistan(Accords croisés/Harmonia Mundi).

• Molam International Band,Planet Lam (Studio Lam).

F lûte, harmonica en bambou, basse, luthtraditionnel, batterie et percussions…Bangkok se met à l’heure de la sono

mondiale et ça groove, ça déménage, çaenvoûte ! Autour du label Studio Lam, pointde convergence des artistes de la nouvellescène thaïlandaise, le groupe The Paradise

Bangkok Molam InternationalBand poursuit son bonhomme dechemin entre volutes électro-niques, influence hip-hop et espritrock. Après un premier album,21st Century Molam, qui lui avalu une notoriété internationaleet pas mal de dates de tournée enEurope, ce Planet Lam confirmela veine iconoclaste de la forma-tion et son plaisir pour l’expéri-mentation. Un répertoire étonnant,qui accroche dès les premières

notes grâce à l’alchimie inouïe des ambiancesrésolument urbaines et des sonorités typique-ment orientales et frétillantes de la petite gui-tare thaïlandaise. � Yaya Kawani

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90 Culture

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« Hearing », la pièce de Amir Reza Koohestani (médaillon) jouée à Paris, consacrée

au dédoublement de la personnalité lorsqu’elle est trop contrainte, surtout sexuellement.

« LE PUBLIC EST ESSENTIELLEMENT JEUNE. NOUS NE

POUVONS AVOIR DE MEILLEUR GAGE POUR L’AVENIR ! »

Propos recueillispar Laurence d’Hondt

Amir Reza Koohestaniécrit et met en scèneles pièces qu’il

produit. Il est l’un des raresmetteurs en scène à avoirfranchi la barrière trèsonéreuse de la productionde ses œuvres à l’étranger.En Allemagne d’abord, puisen France et en Belgique.Venu à Paris, au théâtre dela Bastille, pour présenterHearing, une pièceconsacrée au dédoublementde la personnalitélorsqu’elle est tropcontrainte, notammentsexuellement, il témoignede l’incroyable vitalité de lascène dramaturgique enIran aujourd’hui, malgré –et avec – la censure.� Comment se porte lethéâtre en Iranaujourd’hui?� Vous n’allez peut-être pasle croire, mais Téhéran estsans doute le lieu au mondeoù il y a le plus de pièces quise montent, de théâtres quise construisent sur fondsprivés, et où le public est leplus jeune. Depuis l’èreRohani et l’accord nucléaire,il y a un vent d’ouverturedans le domaine de l’art,mais cette explosion acommencé paradoxalementsous l’ère du présidentAhmadinejad. En 2009,

Iran On a du mal à l’imaginer en Europe, mais le « pays des mollahs », bien connu pour sescomités de censure en tout genre, est l’une des scènes dramaturgiques les plus prolifiques dumonde. « Une contrainte comme une autre » pour Amir Reza Koohestani, metteur en scèneemblématique de cette génération. Rencontre.

« Téhéran est devenu un paradispour le théâtre »

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celui-ci a coupé toutes lesaides de l’État au théâtre.Les gens du théâtre ont alorsdécidé de doubler, parfois detripler le prix des places.Nous pensions que celaserait la fin du théâtre et queles salles seraient désertées.Mais c’est l’inverse qui s’estpassé: le public a continué àvenir. C’était comme un actede résistance. En six mois, ily a eu quelque 350 piècesjouées à Téhéran! Et lepublic est essentiellementjeune. Nous ne pouvonsavoir de meilleur gage pourl’avenir !� En Europe, on necomprend pas toujours

bien comment vouspouvez être créatifs sousun régime de censure…� Cela préoccupe beaucouples Européens, c’est vrai.Mais la censure est pourmoi un élément qui faitpartie des contraintes de lamise en scène, comme lalumière ou le son. Quandnous montons une pièce,nous savons toujours quenos premiers spectateursseront les quelques

individus qui font partie duConseil de surveillance etd’évaluation. Ils se mettentau premier rang, regardentsouvent leur montre, fontdes messes basses entreeux. En réalité, nous tironsprofit de leur indifférence.Ils se croient tellementsupérieurs qu’ils se tiennentà distance, jugent les piècesrébarbatives et abstraites.Mais, au-delà de leurcomportement, il y a une

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« LA LIBERTÉ ABSOLUE N’EST PAS NÉCESSAIRE

POUR FAIRE UN CHEF-D’ŒUVRE. »

religieux : les Tazieh. Ils’agit de l’histoire dumartyre de l’imam Hussein.C’est un théâtre qui peutaussi être créatif. Il a unetendance au minimalisme. Ilremplace les épées par desturbans, il invente desformes nouvelles, même sil’histoire racontée se répète.

est plus forte lorsquel’audience est plusimportante. Ainsi, je diraisque la censure la plus fortes’exprime à la télévision,qui touche le public le pluslarge, ensuite dans la presseécrite, puis au cinéma etenfin au théâtre. C’est peut-être la raison pour laquellele théâtre est si vivantaujourd’hui. Mais il n’a pasles moyens, contrairementau cinéma, de s’exporter.Car l’exportation est tropchère pour lui.� Le théâtre est un artnouveau en Iran. Y avait-il une tradition théâtraleavant l’arrivée du théâtreoccidental ?� Il y avait un théâtre

Téhéran. Il n’y avait que 50places et, lors des dernièresreprésentations, nous avonsaccueilli jusqu’à 150personnes. Je dirais sansexagérer que Téhéran estun paradis pour le théâtreaujourd’hui.� Quels sont les auteurs etles thèmes les plus jouésaujourd’hui en Iran ?� Il y a de tout : descomédies, du théâtrebourgeois, le répertoireclassique occidental, lesauteurs iraniens commemoi-même. Je noterais uneprédilection pourTchekhov. Pourquoi ? Parcec’est un texte accessible etsouvent prude. Mais, plusprofondément, parce qu’ilparle d’une époque qui abeaucoup de similitudesavec la situationcontemporaine en Iran : lesfaillites économiques,l’incertitude morale, lesentiment qu’on est à la find’un monde, l’impressionqu’ailleurs c’est mieux.L’Iran et surtout sajeunesse vivent avec lesentiment que la vie sepasse ailleurs. En mêmetemps, il y a chezTchekhov et en Iran uneforte nostalgie des tempsanciens.� Avez-vous descontacts, des occasionsde production avecles autres pays duMoyen-Orient ?� Très peu. La directricedu festival belgeKunstenfestivaldesarts, FrieLeysen, avait lancé lefestival Meeting Point pourrapprocher les producteurs,acteurs et auteurs du mondearabe, mais le printempsarabe a mis fin à cetteexpérience. Nous sommesallés au Liban, en Syrie,mais les contacts sontvraiment rares, et nousn’avons pas les moyens depayer un déplacementjusque-là bas, sans parlerdes problèmes detraduction. �

Le théâtre est arrivé en Irandans la foulée de l’influenceoccidentale. Tout lerépertoire occidental a étéjoué, de Shakespeare auxpièces de Peter Brook. Maisla Révolution islamique de1979 a mis fin à celapendant 10 ans au moins.Les théâtres ont été fermés,jusqu’à ce que MohammadKhatami devienne ministèrede la Culture sous legouvernement Rafsandjani,au début des années 1990.Cela a été la période duthéâtre unisexe : les femmesse produisaient devant lesfemmes.

� Tous les genresDepuis lors, le théâtre aconnu des périodescritiques, puis fastes,jusqu’à l’explosionactuelle. Récemment, unede mes pièces, The FourthWall, a été jouée 100 nuitsd’affilée dans une galerie à

chose qu’il faut dire : cen’est pas parce qu’on a uneliberté absolue qu’on est unbon artiste. Le cinémad’Eisenstein, de Kiarostami,de Tarkovski montre que laliberté absolue n’est pasnécessaire pour faire unchef-d’œuvre. Je pense quel’artiste a avant tout besoinde connaître la société danslaquelle il vit et le publicauquel il s’adresse. Etcomme la censure fait partiede la vie en Iran, il estnormal qu’elle entre dans lapièce. Simplement, il s’agitpour l’artiste de trouver unéquilibre précis : comptersur les connaissances queles spectateurs ont acquisesà travers les médias sociauxpour suggérer, sans êtrecensurés.� La censure n’est pastoujours égale d’undomaine à l’autre?� Effectivement, la censure

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sont identifiés et évoluentque comme un objet denarration propre. L’histoire,elle, est aiguillonnée par unobjet de plaisir, sinon dedésir, mais aussi decommunication commun àmaintes cultures : lanourriture, ou, plusprécisément, la cuisine.Pour poursuivre lacomparaison entre l’Inde etl’Égypte, c’est elle,notamment, qui sert detrame à un film indien –non bollywoodien –, TheLunchbox (Ritesh Batra,2013), petite pépitesavoureuse marquée par leplaisir et l’optimisme.Tout comme l’est LeRuisseau, le pré vert et ledoux visage, où Nasrallahmet en scène une famille decuisiniers organisant lesbanquets et cérémonies àBelqas, petite ville du nord-est de l’Égypte. Auxcommandes de la petiteentreprise artisanale, Yahia,le père, veuf d’une grandesagesse, épris de tolérance,qui a enseigné l’amour de lacuisine et du lien social àses deux fils. C’est l’aîné,Refaat, qui poursuit avec artet gourmandise la traditionfamiliale, ne cessantd’inventer des recettes etfaisant montre d’uneconciliation bienveillanteavec les gens. Galal, lui,comme beaucoup, se verraitbien partir dans un richepays du Golfe, mais

Cinéma En pleine sinistrose égyptienne, Yousry Nasrallah signe un film « épicurien » et néanmoins politique autour de la nourriture et des doux sentiments. Une réussite.

La farandole des amours

PLUSIEURS HISTOIRES S’ENTRECROISENT AUTOUR

DE METS QUI FONT SALIVER MÊME À L’ÉCRAN.

Par Corinne Moncel

O n a souventcomparé l’énergieindienne à celle de

l’Égypte d’avant la crise(2011). Deux pays endéveloppement jeunes,débordant d’inventivité,clivés entre élitesrichissimes et arrogantes,souvent lettrées, petitesgens débrouillards etmiséreux, et classemoyenne embryonnaire.Tous unis par une mêmeculture tantôt créatrice,tantôt conservatrice, par-delà la mondialisationprogressive de standardsculturels. Cette énergie sevérifie dans le cinéma,industrie populaire – à leuréchelle – dans les deux paysoù, souvent, lesimaginaires, lesthématiques et les imagesdes uns rappellent ceux desautres… Comme dans ledernier film du réalisateurégyptien Yousry Nasrallahau titre tout en poésie : LeRuisseau, le pré vert et ledoux visage.

� Objet de plaisirL’on y retrouve de ce quifait le sel du cinémaqualifié de« bollywoodien » : le chant,les danses, les couleurséclatantes, les sentimentsindividuels contrariés parles normes sociales, et uncanon récurrent : le mariage.Celui-ci est mêmeomniprésent dans le film deNasrallah. Mais davantagecomme une toile de fondposant le contexte socialdans lequel les personnages

comment? Même pours’exiler, il faut de l’argentet des « pistons »…Gentiment frondeur et

grand séducteur, le jeunehomme reste néanmoinstrès attaché à sa famille.Le retour de Dubaï de labelle Shadia, dont Refaat atoujours été amoureux,alors que se prépare ungrand mariage mobilisanttoute la communauté, seral’occasion pour le

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Loin de l’imagerie, une communauté joyeuse de femmes.

À g. : les deux frères cuisiniers et la belle Shadia.

LES TROIS ÉLÉMENTS DU PARADIS

DANS LA POÉSIE ARABE.

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nymphette, veuve, danseuseorientale à la fois adulée ethonnie… Elles constituentune communauté joyeusequi ose les paroles trèscrues – et très drôles – pourparler des hommes et deleur désir charnel.Encore une fois, on pense àcet autre film indien (LaSaison des femmes, deLeena Yadav, 2016) qui,dans un autre registre,soulignait cet aspectlangagier débridé des

politiciens, tous acteurssociaux qui ne participentaux festivités populairesque pour y afficher leurssignes extérieurs derichesse. Ils sont incarnésde façon presque bouffonnepar le couple Farid et Om,qui veut reprendrel’entreprise de Yahia.Comme à la noce, ons’amuse beaucoup dans LeRuisseau, le pré vert et ledoux visage, « les troiséléments qui forment une

musique traditionnelleconserve sa place.Le traitement joyeux etoptimiste ne doit pas faireoublier la violence socialeet physique de la sociétéégyptienne, ni que letragique irrigue aussi lesplus belles histoiresd’amour. Nasrallah se faitfort de nous le rappeler debrutale façon. En échodécuplé aux premièresscènes du film où, derrièrele burlesque de la situation,l’on pressent unecatastrophe sans enconnaître la nature. Leflashback brouille les pistesd’habile manière enchangeant de rythmes entrerires, larmes de joie etpromesse de bonheur. Et lesnœuds narratifs ne sont pasforcément là où on lesattend.

� Un sans-fauteNasrallah avoue s’êtrearraché les cheveux sur lescénario à enchevêtrer leshistoires secondaires, sansperdre de vue l’idyllecentrale. Le scénaristeAhmad Abdallah l’a aidé àne pas se perdre dans cettetrame complexe, dont l’idéeoriginale fut proposée il y aune dizaine d’années parBassem Samra (Refaad),acteur fétiche du cinéaste.Le résultat est un sans-faute. Un film « épicurien »où, en temps de crise, le« souvenir de la vie » est unacte de résistance à la« mort », confie Nasrallah.« Un geste politique »quand tout « le débat tourneautour de l’austérité et dela religion ». �

� (1) Le Ruisseau,le pré vert et le doux visage,Yousry Nasrallah, Égypte,

2016, 1 h 55. Scénario :

Yousry Nasrallah et Ahmad

Samra, avec Laila Eloui,

Bassem Samra, Menna Shabaly…

Sortie en France : 21 décembre

2016, mais nombreuses

avant-premières avant.

réalisateur d’entrecroiserplusieurs histoires d’amour,autour de mets qui fontsaliver même à l’écran.Mais pas seulement :derrière la ronde des douxsentiments, Nasrallahbrosse en creux le portraitd’une certaine Égyptetravaillée par de moinsnobles sentiments. Telles latoute-puissance des grandspropriétaires terriens,l’irrespect d’affairistes sanslimites, la suffisance de

image codifiée du paradisdans la poésie arabe »,explique le réalisateur dansune interview présentée parla production. Loin del’imagerie de la femmesoumise, voilée et vêtue decouleurs sombres, lesfemmes du film ont tous lesgenres et toutes lesconditions : en jeans, abayasmulticolores ou leggingsmoulants ; mariée en douceou en bonne et due forme,indépendante, abandonnée,

femmes entre elles. Encontraste étonnant avec ceque la société autorise derelations publiques entre lesfemmes et les hommes enInde ou en Égypte, et queNasrallah exprime avec unérotisme soft : un baiserdérobé ici, un effleurementde mains là. C’en étaitpourtant trop pour certainsÉgyptiens qui, lors de laprojection du film, ontappelé au boycott du filmpour « atteinte à l’image

des villageois »… L’on aimerait au contraireêtre de la fête tant, hormisles « méchants »volontairement caricaturés,les personnages ont unebelle âme, en dépit de leursdifficultés. À commencerpar Yahia le patriarche,musulman qui n’aime rientant que plaisanter avec soncoquin de fournisseur copte.Les femmes sont complices,les hommes solidaires, ettous dansent avec unesensualité ou une gaietécontagieuse. Signe d’uneÉgypte qui bouge : lesmusiciens invités à seproduire au mariage font duhip-hop, même si la

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94 Culture

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UN TÉMOIGNAGE INCONTESTABLE QUE LE RÉCIT

OFFICIEL A ESSAYÉ DE CAMOUFLER.

Par Luigi Elongui

L’histoire du putschavorté, organisé par laFrance en

novembre 2004 en Côted’Ivoire pour renverser leprésident Gbagbo, est aucœur du documentaire LaVictoire aux mains nues (1),tourné à Abidjan par lecélèbre acteur, metteur enscène et cinéaste ivoirienSidiki Bakaba pendant cesévénements tragiques. Sortien 2005, le long métragesera finalement projeté danscertaines salles privées àParis et dans le reste de laFrance à partir dejanvier 2017.

� Témoignage indiscutableLe documentaire révèle lestenants et les aboutissantsd’une longue crise qui a faitdes milliers de victimes aupays du cacao, avec lesprotagonistes occultes maismanifestes de l’une despages les plus troubles dansl’histoire des relations entrela France et l’Afrique. Ilmontre les images,incontestables en soi, ducarnage de jeunesmanifestants désarmés, tuésà la mitrailleuse par lessoldats de l’opérationfrançaise Licorne quiavaient occupé l’aéroport etl’hôtel Ivoire, près de larésidence personnelle duchef de l’État. Ces imagesapportent un témoignage

Documentaire Fin 2004, l’artiste ivoirien Sidiki Bakaba filmait le carnage de manifestantsopéré par les forces françaises venues renverser le président Gbagbo à Abidjan. Depuis, sa vieen exil forcé est un enfer. Mais son film sort enfin en France (1).

L’oiseau-livred’une histoire malmenée

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direct des faits, que le récitofficiel a essayé decamoufler derrière ladiabolisation de tous ceuxqui se sont opposés à lagestion élyséenne de cetteaventure postcoloniale.La Victoire aux mains nues,qui tranche avec ce que lajournaliste française FannyPigeaud a appelé « unehistoire tronquée » dans lesous-titre de son livreFrance Côte d’Ivoire (2), avalu à son auteur la traquede la nouvelleadministration ivoirienne.Celle installée avec leconcours de la« communautéinternationale » à la suitede l’élection contestéed’Alassane Ouattara endécembre 2010. Bakaba aété ensuite blacklisté enFrance, où il vit en exilforcé et dans l’oublivolontaire de tous ceux qui,dans les milieux culturels,l’avaient adulé comme uneréférence parmi les artistesafricains.Les raisons de cettemarginalisation? Un péchéde lèse-majesté à l’encontrede la Françafrique, avec deseffets aux limites dugrotesque. Sidiki Bakaba aété convoqué en juillet

dernier au tribunal de Parisà la demande de la Côted’Ivoire qui l’accusait demeurtre pendant lesjournées d’avril 2011 àAbidjan, celle où laviolence a culminé avecl’arrestation du présidentGbagbo par les troupesfrançaises, entrées en forcedans sa résidence. Il s’estfinalement vu prononcer unnon-lieu par la justicefrançaise (« Le cas nerelève pas de poursuitespénales », ont statué lesmagistrats), tellement les

accusations étaient ridiculeset dénuées de fondement.Le documentaire, lui, estbien réel. « Peut-être que,sans l’avoir voulu, ce films’est imposé à moi, nous ditl’artiste que nousrencontrons dans un bar du13e arrondissement à Paris.On y voit les gensdescendre dans la rue,désarmés, contrairementaux informations véhiculéespar les médias officiels. Jesuis un témoin de montemps, je ne suis pas lepremier et ne serai pas ledernier. C’est le rôle desartistes, qui interviennentdans les crises du mondeavec leur parole libre. Etquand on commence àvouloir faire taire les

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Considéré comme l’un des artistes majeurs de la Côte d’Ivoire,

Sidiki Bakaba est blacklisté aujourd’hui par ceux qui l’adulaient hier.

« UNE DICTATURE ADVIENT QUAND

ON COMMENCE À FAIRE TAIRE LES ARTISTES ».

entre ce dernier pays et laCôte d’Ivoire, où ildemeure après l’élection duprésident Laurent Gbagboen octobre 2000. Le chefd’État lui confie ladirection du Palais de laculture à Abidjan, dans lequartier de Treichville. En2003, Sidiki Bakabainstalle sur le terrain del’édifice le premier avion

connaîtra quelques annéesplus tard l’origine dans uneopération d’infiltration del’armée de l’airivoirienne… C’est leprétexte attendu pour sedébarrasser de Gbagbo.Les blindés de Licornepointent leurs canons sur lesfenêtres de la maison duchef de l’État et occupentl’hôtel Ivoire. Mais lamanœuvre échoue à la suitede la mobilisationpopulaire, qui a versé leprix du sang : entre le 6 et le

sons et les lumières.L’année suivante, ennovembre, alors que larébellion des Forcesnouvelles occupe la moitiénord du pays, les forcesloyalistes déclenchent uneoffensive contre lesinsurgés, pendant laquelleune position de militairesfrançais est bombardée.Une « bavure » dont on

été formé au répertoireclassique dans les années1960, a obtenu son diplômeà l’École nationale d’artdramatique à Abidjan. Il aété l’une des figures deproue du cinéma africainquand le septième artcontinental a pris son envolau milieu de 1980. Il a ainsijoué sous la direction deréalisateurs commeOusmane Sembene, DésiréEcaré et Moustapha Diop,Dans l’Hexagone, il anotamment travaillé aucinéma avec Jean-PaulBelmondo, et au théâtre

de feu le présidentHouphouët-Boigny,« l’oiseau-livre » quidevient bibliothèque etcentre de spectacles pour lecinéma, le théâtre et lescontes, avec une tour decontrôle utilisée pour les

artistes, une dictature esten train de prendre place. »Artiste internationalementconnu, bardé de multiplesrécompenses, SidikiBakaba est un monumentculturel dans son pays. Cecomédien de talent, qui a

sous la direction du metteuren scène Patrice Chéreau. Ilest particulièrementapprécié par le public et lacritique en France, où ilenseignait à l’école des artsJoséphine-Baker.Sa vie, alors, se partage

11 novembre, on comptera64 morts et 2500 blessés.Dans les commentaires dudocumentaire se lève lavoix du grand écrivainivoirien Bernard Dadié, quiécrira notamment : « Leshélicoptères tirent, pluie deballes dans la nuit ! Lestanks barrent nos routes etnos ponts… Oui lesIvoiriens ont marché etnombreux sont ceux quisont tombés, tués parballes. » �

� (1) La Victoireaux mains nues,

Képri Créations,

avril 2005, Abidjan

(Côte d’Ivoire)(2) Éditions Vents

d’ailleurs, 2015.

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Par Moundiba Malanda

Naturellementélégante etconviviale, Patricia

Mowbray sait créerl’atmosphère qu’il fautlorsqu’elle affronte lesproblèmes de l’Afriqueavec son interlocuteur.Cette militante des droitshumains et auteure denombreuses publicationsconcernant l’enfance estnée en Grande-Bretagned’une mère franco-danoiseet d’un père nigérien. Puiselle s’est installée à Parisauprès d’un couple franco-britannique qui l’a adoptée.Elle dirige depuis seize ansRacines d’enfance, uneassociation fondée avec unecentaine de membresbénévoles pour prendre encharge des enfants de 2 à7 ans en milieu rural auSénégal.

� Le préscolaire oublié« Depuis 14 ans, j’yconstruis des écolesmaternelles, dit-elle poursituer les débuts de sonaventure en terresahélienne. Je voyageaisdans la région orientale deTambacounda encompagnie de mon mariavec les responsables deKinkeliba, une organisationqui s’occupe de laréalisation de structuressanitaires, comme deshôpitaux et des dispensairesen brousse. Je me suisrendu compte que 15 % desenfants en moyennen’atteignent pas l’âgescolaire. Ce taux demortalité très élevé

Sénégal Patricia Mowbray dirige Racines d’enfance, une association qui a créé les premièresmaternelles en milieu rural, en accord avec les villageois. Rencontre.

Des cases pour les tout-petits

ville. « Le préscolaire enAfrique n’est pas pris encompte comme il faudrait,constate Patricia Mowbray.Il est pourtant trèsimportant pour le cyclesuccessif et la formation estl’une des clés dudéveloppement ducontinent. »Femme avisée, elle abeaucoup sillonné l’Afriqueet n’a pas manqué de serendre dans les pays quivenaient de sortir

s’explique par les maladieset surtout par des accidentsrécurrents : dès qu’ilsquittent le dos de leursmères, ils ne sont plusprotégés par les aînés quivont maintenant à l’école etne surveillent plus lespetits. Je me suis dit qu’ilfallait les sécuriser et, en2002, les travaux pour laconstruction de la premièrematernelle ont démarré. »Bâti à Sall, le premiercentre a commencé àfonctionner en 2004. Il enexiste huit aujourd’hui, àKoar, Sinthian, Ndoss,

UN PROJET QUI A SU ÉVITER

LE PIÈGE DE L’ASSISTANAT.

Photo

s:

D.

R.

Diagane Barka, Wassadou,Koumnal et Keur AssanNdiaye. C’est la premièreexpérience du genre auSénégal où, jusqu’àl’initiative de Racinesd’enfance, celles que l’onappelle « les cases des tout-petits » n’existaient qu’en

Le premier centre

a commencé à fonctionner

en 2004. Il y en a huit

aujourd’hui,

où les enfants

sont choyés.

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d’événements tragiques ettraumatisants. Commel’Afrique du Sudpostapartheid et le Rwandad’après le génocide, où ellea été particulièrementtouchée par la visite duMémorial des victimes del’extermination. « C’est uneœuvre qui a été conçued’une manière trèsintelligente, avec desparcours explicatifs et lamise en parallèle desdiscours génocidaires. Êtresorti de cette immensetragédie et avoir reconstruitune société nouvelle, celadonne de l’espérance ! »Patricia Mowbray s’estlancée dans le projet de sescentres maternels avec lemême optimisme. Et a suéviter le piège del’assistanat : « Depuis Sall,on a toujours réfléchi avecles villageois pour qu’ilsparticipent directement à laréalisation des jardins

Washington-Tel-Aviv-Téhéran – Un scandale à tiroirs

L e 3 novembre dernier, le journal libanais Al-Shiraa (prosyrien) révélait l’exis-tence de négociations secrètes américano-iraniennes, en faisant état de la visiteà Téhéran, en mai 1986, d’une importante délégation de Washington. Dirigée

par Robert McFarlane, ancien conseiller du président Reagan pour les questions desécurité nationale, cette délégation comprend le lieutenant-colonel Oliver North, direc-teur adjoint pour les affaires politico-militaires au Conseil national de sécurité (CNS),et l’amiral John Poindexter, conseiller pour la sécurité auprès du président américain.

Voulant sans doute empêcher ses adversaires politiques de s’emparer de l’affaire etde l’utiliser contre lui, le président du Parlement iranien, Hachemi Rafsanjani, recon-naît, le 4 novembre, l’existence de contacts secrets entre Téhéran et Washington. Illes justifie par la nécessité de débloquer les armes achetées aux États-Unis à l’époquedu chah et par l’existence, selon lui, d’un contentieux financier non encore réglé. […]En fait, la suite montre que Rafsanjani lui-même a rencontré McFarlane […] Lessoutes de son Boeing 707 étaient remplies d’armes : une « faible quantité d’armesdéfensives et des pièces détachées pour systèmes défensifs » au dire de Reagan.

[…] Ces livraisons sont loin d’être négligeables, comme le prouvent les révélationsfaites par la presse américaine. L’affaire s’amplifie et prend les dimensions d’ungrand scandale politique quand il s’avère que l’argent iranien reçu en paiement de cesarmes (vendues au prix le plus fort) a été remis aux « contras », les contre-révolution-naires du Nicaragua, ainsi qu’à leurs « collègues » de l’Unita (Angola) et d’Afghanis-tan. Cet argent, « de 10 à 30 millions de dollars », selon Reagan, était déposé sur uncompte en Suisse, un pays qui est lui-même fournisseur d’équipements militaires àl’Iran, où il représente les intérêts de l’Afrique du Sud. La Suisse représente aussi lesintérêts de l’Iran en Israël. On a bien affaire à une véritable filière. Selon le présidentReagan, interviewé par le magazine Time, les Israéliens sont les seuls responsablesdes versements de fonds à la guérilla antisandi-niste : « Ils gonflaient les prix, dit-il, et plaçaientapparemment l’argent sur des comptes en banquedes dirigeants des contras. »

Dans toutes ses révélations, le président améri-cain s’abstient, toutefois, de nommer Israël. Ilparle seulement d’un « pays tiers » ou d’un « autrepays », comme s’il s’agissait de minimiser, autantque faire se peut, l’important rôle joué par l’Étatsioniste dans cette affaire. Tout aurait commencéau cours de l’été 1985, quand des militants chiiteslibanais détournent sur Beyrouth un avion américain de la TWA et demandent, enéchange de la libération des passagers… le départ des Palestiniens du Liban. Lesnégociations engagées avec les pirates de l’air montrent alors aux Américains et auxIsraéliens que la seule partie influente sur les chiites au Liban n’est pas la Syrie, maisl’Iran.

À partir de ce constat, Washington et Tel-Aviv décident de rouvrir les « canaux »avec Téhéran. Au cours de cet été 1985, Robert McFarlane rencontre, à Londres,David Kimchi qui dirige le cabinet du ministère des Affaires étrangères d’Israël […]Il fait état devant son interlocuteur de la volonté de certains éléments en Iran d’établirun dialogue avec les Américains pour les aider à libérer leurs otages détenus auLiban. En échange, les Américains devront prouver la « sincérité de leurs intentions »en acceptant de livrer des armes à l’Iran. […] Et de fait, le 14 septembre, Israël remetaux Iraniens un chargement comprenant des missiles sol-sol Hawk. Ce qui aboutit le19 septembre à la libération du révérend Benjamin Weir. […] Il y aura eu, au total,huit chargements de ce type livrés par avion. Les livraisons indirectes par l’entremisedes Israéliens (qui utilisèrent, notamment, les services d’une compagnie maritimedanoise) sont plus nombreuses, et datent, en fait, de 1981.

Si en Israël on ne semble pas s’émouvoir outre mesure des rebondissements de cescandale, celui-ci peut connaître d’autres effets aux États-Unis. � Par Jihad Rami

Il y a trente ans dans Afrique Asie

D.

R.

d’enfants. C’était lacondition prioritaire pourinscrire les structures dansla durée. Toute forme definancement et decomptabilité est assurée parles communautés localesqui fournissent également lepersonnel. Nous nousoccupons aussi desrelations avec les parents etdes problèmes d’hygiène etde santé, avec une visitemédicale par an danschaque centre. » �

� http://racinesdenfance.org/

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Fiction. Nous sommes en 1943 et doncen guerre. Pour survivre, l’ONGReporters sans frontières (RSF) aquitté Paris et s’est repliée à Londres.Là elle peut soutenir son implacable

combat pour la liberté de presse. Délocalisées,ses obligations restent les mêmes : recevoir del’argent et distribuer des blâmes et des prix. Eneffet, RSF est comme le « maître étalon » – enplatine iridié qui dort sous une cloche au pavillonde Breteuil –, c’est l’ONG du juste, qui dit lebien et le mal en matière de journalisme. L’au-tomne arrive, avec son noir cortège, et c’est lemoment de remettre les fameux prix RSF 1943.Comme tous les verdicts, celui-ci « tombe » : leprix du Journaliste de l’année est attribué à HansSchmitt pour son travail sur le front russe. Immédiatementles experts s’interrogent sur le courage de ce reporterexemplaire. On découvre que ce Schmitt, un Autrichien,accompagne et aime le combat des soldats engagés dans laLégion des volontaires français, du côté de Hitler.

Comparaison ne vaut pas raison! Je ne dis pas que l’ins-titution, naguère si bien guidée par Robert Ménard, ait dessympathies nazies ! Bien sûr que non, et l’organisation est,au contraire, un relais de la politique israélienne. Maisc’est un peu ce scénario que vient de jouer l’ONG que lemonde nous envie, la PME de la bien-pensance, en attri-buant son Prix du journaliste de l’année à Hadi Abdullah.Pour éviter de dire du mal d’un confrère, je vous recom-mande d’ouvrir le lien placé au bas de cette chronique (1).Vous verrez, en vidéo, le cœur que ce reporter de guerremet à défendre le juste et la vérité. Pour faire court, HadiAbdullah est l’un de ces indispensables compagnons deroutes du djihad, capable de se camoufler sous les ori-peaux du journalisme pour délivrer sa juste vision des hor-reurs de la guerre, celles des autres. Imaginez qu’avec lesceau de RSF, Abdullah est maintenant Fabrice à Water-loo, Nizan à Dunkerque, Pedrazzini à Budapest.

Ce Christophe Deloire, le patron de RSF, nous étonnemoins que Ménard mais nous surprend quand même. Songrand discernement a déjà fait ses preuves : il y a un an, ils’en est allé au Gabon brosser tiges et semelles du magni-fique démocrate qu’est Ali Bongo. Alors, dans la foulée,confondre journaliste et djihadiste…

Dans ce mouvement amoureux – où le bon journalisteest un djihadiste –, les ex-Ménard boys ne sont pas seuls.Jean-Claude Guillebaud, lui aussi ancien président deRSF, saisi du même virus, a décerné, en tant que prési-dent du jury, le prix Bayeux du « correspondant deguerre » à un autre amid’Al-Qaïda. Sûrement unrebelle très doux, puisqu’ilexis te , paraî t - i l des« Rebel les légalementmodérés », des RLM, ver-

sion djihadiste des HLM. Mieux, le frère BilalAbdul Karim, l’Étasunien qui est honoré, l’estdoublement : son « prix » est patronné parAmnesty International. Voilà le confrèrehabillé du Kevlar de la pensée « botulienne ».

Vous me direz qu’avec les petites lunettesqu’il a chipées à Jean Daniel, Guillebaud n’yvoit pas grand-chose. Sauf Dieu, puisque sesbésicles portées sur le bout du nez dégagent leciel, où habite le nouveau gourou de Jean-Claude : le petit Jésus. Un bon chrétien voit lebien partout. En tout cas ne voit pas de mal àce qu’un croyant – un homme comme lui, àAllah prêt – confonde djihadiste et bourreau.

Notre confrère Bilal Abdul Karim, citoyendu pays de la CIA, a des qualités à faire valoir.

Ce prix Bayeux qui lui a été décerné, il le partage avecune blonde, une star de CNN qui, sous la discrétion d’uneburka, a pénétré dans Alep alors que Karim la filmait. Àce propos, il me vient une pensée impie : c’est étrange,alors qu’une guerre et un front ont deux faces, que notreRSF, notre Guillebaud n’aient pas songé à primer aussiun reporter travaillant du mauvais côté… L’objectif étaitsans doute bouché.

Stop au glissement, revenons à Karim, le récipiendaire.Ce lauréat est comme Hollywood l’imagine : barbu,fourbu, poussiéreux et enfiévré. Lui aussi a le journa-lisme dans la peau, le rapporter-vrai.

En arriver là a été pour lui une longue ascèse. Acteurraté à New York, puis imam réussi. Il file au Soudan paysoù l’islamiste modéré se prosterne à chaque coin de rue.Tafsïr ! Vous avez dit tafsïr ? Karim se crache dans lesmains à l’étude du Coran. Assez pour devenir un petitsavant et travailler pour une chaîne de télé salafiste saou-dienne. Après un peu de catéchisme en Tchétchénie… levoilà assez saint pour devenir journaliste accrédité parAl-Qaïda en Syrie. Le pauvre Guillebaud qui n’a pas faittout cela ne peut pas, lui, pourtant immense « correspon-dant de guerre », prétendre à couvrir la guerre en Syrieavec le talent et l’objectivité de Karim. Dommage.

Pour ne pas finir sur un requiem, celui de la pressefrançaise, alors qu’un Bolloré suffit à tordre le couà iTELE, une chaîne d’infos en continu, signalonsl’exemple de notre frère Karim. À lui seul il est blogueur,cinéaste, écrivain et photographe. En si cela ne suffit pas,ses notes de frais et son salaire sont ridicules. Voilà unnouveau journaliste idéal pour les financiers qui présidentà la survie de la presse. En attendant la saison des chry-santhèmes. �

� (1) https://off-

guardian.org/2016 /11/08/repor-

ters-without-borders-awards-

2016s-press-freedom-award-

to-jihadi-partisan-in-syria/

Décembre 2016 � afrique asie

98 La dernière page

Djihadistes sans frontièresPar Jacques-Marie Bourget

Journaliste

et écrivain,

auteur notamment

de Sabra et Chatila,au cœur

du massacre.

LES REBELLES LÉGALEMENT MODÉRÉS, RLM :

VERSION DJIHADISTES DES HLM.

D.

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