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Post on 03-Apr-2015

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Traces migratoires

Petite phénoménologie d’un exil

Sylvie MoraisDoctorante en sciences de l’éducation à l’Université Paris 13/Nord - Laboratoire

EXPERICE axe A

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L’exil est parfois, pour les caractères sensibles, un supplice beaucoup

plus cruel que la mort. Nicolas de Staël

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C'est probablement parce que je m’intéresse d’abord à la philosophie de l'éducation, avant d'enseigner et de pratiquer  l’artistique, que je réfléchis sur le rapport que l’artiste entretien avec son œuvre.

Car il s’agit bien de conscience réflexive, de réfléchir à ce que nous faisons en tant qu’artiste  dans le champ de l’art comme expérience sensible.

Se pose ici la question de la temporalité, revisitée à travers une série de peintures d’exil.

Et si l’analyse thématise les œuvres autour d’un principe de formativité, c’est parce que créer, c’est aussi se

S. Morais

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… et puis vient un jour où l’autre c’est vous

Frontières pierre noire et techniques mixtes sur papier marouflé, 1m x 65cm

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Je suis d’ailleurs

Et puis très vite vient la rupture. J’étais envahie, de bord en bord, submergée. Dehors, je ne reconnaissais rien et dedans je ne me reconnaissais pas davantage. Seule avec moi, seule avec les autres, seule avec ce que je suis dans le regard des autres, dedans dehors autour je ne reconnaissais plus rien. Je disparaissais.

Ce qui me vient le plus souvent est que je manquais d’existence.

Au commencement, il y a eu l’exil, peu importe les raisons. Et puis très vite un sentiment d’urgence : il fallait absolument faire quelque chose.

Au commencement

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vous vous sentez éloigné…

L’attente, l’oubli pierre noire et techniques mixtes sur papier marouflé, 1m x 65cm

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En atelier, je ne pense pas à exprimer, je dessine, je dessine seulement. Je ne m’attache plus à l’idée de l’exil, je tâte son sentiment. Je laisse l’exil s’exprimer. L’exil demeure comme une idée floue qui disparait au fur et à mesure que je dessine. Je laisse venir. Je laisse glisser le crayon.

Dans le dessin je suis concentrée, entière à ce qui se détache de moi. Cela voulait dire aussi attendre. Se mettre dans l’attente, dans une attente qui ne sait pas ce qu’elle attend.

faire

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vous ne vous reconnais-sez plus…

La disparition pierre noire et techniques mixtes sur papier marouflé, 1m x 65cm

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Et puis soudain, ils me montaient aux yeux. Ces grands corps isolés debout dénudés, parfois repliés, fermés. Sur chaque toile un corps et un autre et parfois le même, les mêmes, les tracés d’une figure qui se répète. Des corps, moins que des corps, des ombres. Des traces. Je laissais venir.

Des silhouettes qui vont seules, parfois en retrait parfois devant, des corps viennent, à moi. Elles se voyaient en moi, et je commençais à voir à partir d’elles.

Peindre me tenait lieu d’histoire.

Faire

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… vous avez beau en appeler à votre enfance

Comme un arbre pierre noire et techniques mixtes sur papier marouflé, 1m x 65cm

11regarder

Ces corps deviennent le support de mon discours plastique. Discours? Des traces posées sur un support, des traces en tant que matière, des traces en tant qu’exil. Des formes attachées à une matrice, et qui disparaissent au fur et à mesure. Des disparitions qui laissent des traces. Sur mon corps d’exilé. Moi, elles ? Ce n’est pas le résultat qui m’importait. Mais l’opération en elle-même.

Mettre ces œuvres en forme. Tenir compte des contraintes du support. S’intéresser à la couleur, chaude à sa diffusion, diluée avec de l’eau et à sa densité comme matière, à son intensité lumineuse. Et expérimenter des modulations. Jouer sur la transparence et l’opacité, étudier les rapports, les contrastes. Et puis essayer de répéter ces opérations.

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… et remonter une à une vos racines

Sang mêlé pierre noire et techniques mixtes sur papier marouflé, 1m x 65cm

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regarder

  Je n’arrivais plus à m’imaginer réelle, dans

un temps réel. Le temps s’était arrêté, et mon histoire avec lui et il était épouvantable ce calme. J’avoue qu’à un moment j’ai eu peur. Et ma peinture ne savait ni bercer, ni soigner, ni guérir. Elle savait encore moins me garantir une identité. Plutôt que de justifier mes raisons d’être là, ma peinture se saisissait et se dessaisissait de tout ce que je vivais.

A travers ma peinture mon exil s’acharnait, insistait persistait; autrement. La peinture m’entraînait, plus loin encore dans la mort de celle que j’étais. Je peignais en étrangère, sur le territoire immense que l’exil avait laissé sur mon corps.

Peindre ne garantit pas l’identité.

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…vous songez avec nostalgie à un autre monde

La demeurance pierre noire et techniques mixtes sur papier marouflé, 1m x 65cm

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Mes tableaux témoignent de ma difficulté d’appréhender le temps sur un territoire d’exil. Car si la question était pour moi de vivre le temps d’ici tout en étant là-bas, mon temps s’est trouvé menacé.

Mes références internes éclataient au profit de temporalités différenciées : présent, passé et futur se sont disloqués et chacune des dimensions temporelles était traitée indifféremment.

Confrontée à la difficulté de me représenter dans cette multiplicité de temps, j’avais du mal à éprouver mon existence.

« Une expérience du temps vécu comme une impossibilité du temps » (Rossi).

raconter

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parce qu’exister vous requiert …

Venu d’ailleurs pierre noire et techniques mixtes sur papier marouflé, 1m x 65cm

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Lorsque je peins je fais de nouveau l’expérience du temps. Avec mon écriture visuelle, je suis « dans » le temps, entraînée dans une existence temporelle.

Et puis, peu à peu je retrouve ce temps qui est le mien.

Peu à peu je me retrouve en mon temps avec cette peinture qui se trace avec moi, et moi qui se rassemble en elle.

Je formule une écriture en cohérence avec ce qui ne peut être dit autrement : toutes ces choses impensables d’un temps éclaté, mais qui, se faisant, m’entraîne sur le fil de mon temps.

Mon temps propre (Rilke)

raconter

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cela voulait peut-être dire, enfin, d’ailleurs, je suis…

Le secret de Jane pierre noire et techniques mixtes sur papier marouflé, 1m x 65cm

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