des travaux d’artistes au sein de publications...
Post on 10-Jul-2020
4 Views
Preview:
TRANSCRIPT
Université Rennes 2 Haute Bretagne
UFR Arts, Lettres, Communication
2009-2010
DES TRAVAUX D’ARTISTES AU SEIN DE PUBLICATIONS PERIODIQUES DANS
LES ANNEES 1980 : DE L’INSERT A LA COLLABORATION EDITORIALE.
Mémoire de Master 2 Recherche Histoire et Critique des arts
par
Sou-Maëlla BOLMEY
Directeur de recherche : Pr. Jean-Marc Poinsot.
2
Je tiens à adresser mes sincères remerciements à Jean-Marc Poinsot,
à l’équipe des Archives de la critique d’art, Vicenç Altaió i Morral, Marie Boivent,
Leszek Brogowski, Agnès Leroux de Bretagne, Clive Phillpot, au Comité de rédaction
de la revue Trou, ainsi qu’à Camille, Marie-Anne et Madeleine.
3
SOMMAIRE
Introduction p.4.
Chapitre 1 : Le périodique comme un médium artistique p. 12.
• Ártics, trimestral multilingüe de les arts i de les ics : une anthologie
poétique de la création artistique de la seconde moitié des années 1980 p. 13.
• Ártics, lieu de rencontre d’expressions artistiques multiples p. 18.
• Une esthétique cosmopolite et chaotique p. 21.
• La revue comme mise en forme d’une conception globalisante
de la création p. 25.
• Une nouvelle réception de l’œuvre d’art p. 34.
Chapitre 2 : Le périodique comme outil médiatique :
espace de diffusion et de critique p. 38.
• Fred Forest, Ernest T : l’insertion critique et « sauvage » de l’espace publicitaire p. 40.
• Libération au début des années 1980, espace de diffusion et de promotion de
pratiques artistiques p. 51.
• La série des « Art Magazine Ads » de Jeff Koons : l’insertion publicitaire et
documentaire en marge d’un événement p. 59.
Chapitre 3 : Un nouveau format d’exposition :
le musée au cœur du périodique p. 66.
• Trou : un projet éditorial et curatorial p. 66.
• Museum in progress : l’espace médiatique transformé en musée et la définition
du commissariat d’exposition comme catalyseur d’énergies p. 72.
• La formulation en creux d’une critique de l’institution muséale p. 74.
• La définition de l’exposition comme dispositif médiatique p. 82.
Conclusion p. 87.
Corpus, sources et bibliographies p. 93.
Annexes p.103.
4
INTRODUCTION
Depuis ses débuts, la presse est un lieu de diffusion et d’expression privilégié
pour les artistes. Aujourd’hui encore, les magazines et les revues restent les médias
principaux de la visibilité de l’art, de la diffusion de débats théoriques et critiques
ou d’informations sur les artistes et leur travail - les autres médias, exception faite
d’Internet, ne s’étant que trop peu emparés des questions artistiques. Yves
Chevrefils-Desbiolles, historien d’art et Directeur des collections de l’Institut
Mémoires de l’Edition Contemporaine, a clairement démontré l’importance des liens
et les multiples va-et-vient entre la presse et l’art, au fil de ses écrits, notamment
sur les revues d’art en Europe. De nombreux périodiques furent le lieu de publication
de textes artistiques fondateurs comme le journal Le Figaro qui a publié en 1909 le
manifeste Futuriste de Marinetti. Plus encore, en choisissant de travailler
étroitement avec les artistes, certains ont pu directement stimuler la production
artistique: La Revue Blanche (Paris, 1889-1903) commandait des gravures pour les
intégrer à ses pages ou bien pour les offrir sous forme de dossiers à ses abonnés.
Minotaure (Paris, 1933-1939) invita de nombreux artistes tels que Man Ray, Dali,
Magritte, de Chirico, Picasso et bien d’autres à créer des œuvres originales pour la
revue. Les exemples foisonnent et il existe d’ailleurs de nombreuses études
monographiques sur des revues dont l’influence sur la création artistique, en tant
que lieu de diffusion de connaissances, est désormais reconnue. Parmi tous les
auteurs s’étant intéressés à la presse artistique, nous pouvons encore citer
l’Américain Clive Phillpot qui a notamment publié avec Trevor Fawcett le catalogue
The Art press en 1976 ou encore « Art Magazine and Magazine Art » dans Artforum en
1980.
5
Dans ce dernier article, Clive Phillpot remarque une franche évolution dans
l’utilisation de la presse par les artistes à la fin des années 1960 et dans les années
1970, et il aborde le sujet qui va justement nous intéresser dans cette étude: la
création d’œuvres d’art directement dans les pages des revues, magazines et autres
périodiques. Après avoir utilisé le journal comme un matériau (depuis le début du
XXe siècle, notamment avec les collages de Picasso, jusqu’à aujourd’hui encore avec
la revue de l’artiste Maurizio Cattelan Permanent Food [Italie, 1995]), après avoir
réalisé des tirés à part luxueux pour des revues d’art, les artistes commencent à
insérer leur travail dans le corps même de revues ou de journaux, en travaillant sur
la page de ces publications et en respectant les moyens de production habituels de
celles-ci. Pour qualifier ces créations, Clive Phillpot parle dans son article d’un « art
de magazine » (« art magazine »).
Cette pratique est à mettre en relation avec l’éclosion, au même moment, d’une
autre production artistique liée à l’imprimé, les livres d’artistes et les revues
d’artistes. Ils partagent en effet de nombreuses caractéristiques avec la pratique qui
nous intéresse. Une large bibliographie existe sur les livres et les revues d’artistes.
Ulises Carrión, Guy Schraenen, Maurizio Nannuci, Leszek Brogowski, parmi de
nombreux autres, ont publié plusieurs ouvrages sur ce sujet. En France, c’est Anne
Mœglin-Delcroix qui a fixé les caractéristiques de cette pratique artistique, dans sa
thèse de 1997 Esthétique du livre d’artiste (1960-1980), ouvrage de synthèse qui fait
aujourd’hui autorité. Elle y présente le livre d’artiste comme une oeuvre
entièrement réalisée sous la responsabilité de l’artiste, de la conception jusqu’à la
production voire la diffusion. L’artiste utilise le livre comme médium pour créer une
œuvre d’art à part entière, le « contenu » ne fait alors sens que dans la forme qu’il
prend, celle du livre. Le livre d’artiste n’est pas un livre illustré. Il n’est pas non plus
un livre-objet ou de « bibliophilie ». Au contraire, ne cherchant pas à créer un objet
rare et luxueux, l’artiste abandonne les techniques artisanales d’impression pour
6
avoir recours aux techniques habituelles de production éditoriale qui lui permettent
de créer un objet potentiellement reproductible à l’infini. Plus récemment, la jeune
chercheur Marie Boivent s’est centrée plus précisément sur l’étude des revues
d’artistes qui se différencient des livres d’artistes principalement par leur
périodicité. Elle publie en 2008 Revues d’artistes, une sélection, ouvrage dont le
corpus et les problématiques abordées se rapprochent encore un peu plus de notre
sujet. Si nous nous attardons ainsi sur les livres et les revues d’artistes, c’est qu’il
est intéressant de s’appuyer sur les différentes études réalisées sur ces sujet car
elles contiennent plusieurs clefs utiles à notre compréhension des travaux d’artistes
dans la presse.
En effet, ces derniers comme les livres d’artistes, mais aussi un large panel de
production d’art imprimé (tracts, cartons d’invitation, et autres ephemeras1) se
développent dès les années 1960-1970, aux Etats-Unis et en Europe, en lien avec les
mouvements artistiques de l’époque (Art conceptuel, Pop art, Fluxus, Poésie
concrète, Poésie visuelle…). À ce sujet, le très complet catalogue Extra art, a survey
of artist's ephemeras, publié en 2001 sous la direction de Steven Leiber, est riche
d’informations, tout comme plusieurs articles de Clive Phillpot et d'Anne Moeglin-
Delcroix, de nouveau.
La multiplication de ces productions témoignent de la prise de conscience que
l’objet imprimé sous toutes ses formes, désormais aisément produit grâce aux
nouvelles technologies, peut être utilisé comme un médium artistique à part entière.
En ce qui concerne notre objet plus précisément, le tirage de tête n’est plus une
condition de la contribution d’artiste à la publication, même s’il subsiste encore
aujourd’hui. Cette période de remise en cause et de bouleversements dans le champ
de l’art, étroitement liés aux conditions socio-politiques du moment, voit l’érosion
1 Le terme « ephemera » est utilisé pour désigner des productions d’artistes au caractère transitoire, passager, ou bien précaire. On regroupe généralement sous ce terme les posters, flyers, stickers, cassettes, dépliants, cartes postales, fanzines ou même des revues, réalisés par des artistes.
7
progressive du dogme moderniste comme voix unique. On s’éloigne de l’idée de l’art
pour l’art, détaché de tout phénomène social et des réalités socio-économiques et
politiques. C’est dans ce contexte général fait de revendications multiples et
d’utopies qu’il faut comprendre le livre d’artiste ainsi que les travaux d’artistes dans
la presse. C’est la même dynamique, le même esprit, qui donnent naissance aux
publications d’artistes, aujourd’hui acceptées par tous en leur qualité d’œuvre d’art,
et qui fait évoluer les contributions d’artistes à la presse vers la production d’œuvres
pensées spécifiquement et exclusivement pour la publication. Nous verrons que ces
derniers travaux élargissent encore un peu plus la définition de l’œuvre d’art,
redéfinissent le rôle de l’artiste dans la société, et proposent un nouveau rapport à
l’art.
Tous ces changements vont préparer le terrain pour l’art des années 1980,
décennie sur laquelle nous allons plus particulièrement nous pencher, sans pour
autant exclure les apports des travaux de la précédente « génération », ni les
productions plus récentes. En effet, c’est à partir de ce moment que le phénomène
des travaux d’artistes dans les périodiques s’amplifie, se généralise, au risque de se
voir banaliser. Après l’époque pionnière des années 1960-1970, ce ne sont plus
seulement les artistes qui vont prendre l’initiative de travailler directement dans la
presse. La tendance s’inverse et de plus en plus de périodiques – de la revue d’art, à
la presse généraliste en passant par les magazines féminins - sont à l’origine de
collaborations avec des artistes auxquels ils proposent de créer au cœur même de
leurs pages, en respectant les modes de production habituels de la publication.
Parfois, les directeurs de publication, les journalistes, critiques, etc. les sollicitent
de façon évènementielle, parfois ils intègrent ces travaux de prime abord dans leur
projet éditorial, en leur y consacrant plus ou moins d’importance, parfois même
jusqu’à l’exclusivité. Aussi, les années 1980 apparaissent aujourd’hui comme
l’incarnation même de la société de l’image, de l’apparence, où les médias de
8
communication de masse sont prédominants, y compris dans le monde de l’art. Dans
ce contexte, il nous semble donc pertinent de penser les contributions d’artistes à la
presse, média de masse parmi d’autres.
C’est en prenant en compte tous les paramètres contextuels cités plus haut
que nous allons aborder les travaux d’artistes dans la presse périodique. Nous nous
intéresserons exclusivement aux productions réalisées dans le respect des modes de
productions propres aux publications périodiques, c’est-à-dire restant compatibles
avec une production sérielle et non dérogatoire à la diffusion habituelle de celles-ci,
permettant à tous les lecteurs d’avoir accès à ces productions. Ce sont en effet ces
réalisations-ci qui nous semblent les plus pertinentes, voire subversives, vis-à-vis des
catégories traditionnelles établies au sein du monde de l’art. Aussi, nous nous
attacherons à considérer cette production sans présupposé stylistique, étant données
la diversité des artistes qui réalisent de telles œuvres et la multiplicité de forme
qu’elles prennent.
Nous exclurons de notre étude les livres et revues d’artistes, qui font déjà l’objet de
nombreuses publications, contrairement aux travaux d’artistes dans la presse qui
restent à ce jour peu étudiés, ou de façon parcellaire et annexe notamment au livre
d’artiste. Si ces productions ont suscité si peu d’intérêt c’est sans doute à cause de
notre difficulté, encore aujourd’hui, à reconnaître une œuvre d’art au sein d’une
« simple» publication et à notre propension à penser ces travaux comme relevant
d’un genre mineur. À cela s’ajoute la complexité à saisir ces œuvres qui s’éparpillent
aux quatre coins du monde et qui sont amenées à disparaître dans le flot quotidien
de la presse, un numéro en remplaçant un autre et ainsi de suite. De plus, nous
verrons qu’elles ne sont pas toujours aisément identifiables au sein même des
périodiques. Notons tout de même que le catalogue susmentionné Extra art : a
survey of artist’s ephemeras recense un grand nombre de travaux d’artistes dans la
presse. De même les ouvrages Redefining the object of art : 1965-1975 publié en
9
1995 et New Art in the 60s and the 70s : Redefining Reality en 20012 mentionnent
quelques unes de ces productions. Enfin Marie Boivent consacre deux articles
exclusivement à la pratique de l’insert3. Remarquons que ces études traitent
uniquement des inserts à l’initiative des artistes, et pour la plupart concernent la
période des années 1960-1970. Pour une étude axée sur les publications initiatrices
de ces productions, il faudra plutôt se référer à la Thèse de Doctorat réalisée en
1999 par Sylvie Mokhtary sur les revues arTitudes, Avalanche et Interfunktionen, ou
au travail de Maîtrise d'Histoire de l'art contemporain de Karine Poirier sur les revues
Documents, Blocnotes et Purple Prose, datant de 1996.
Il est indéniable que le livre d’artiste et les travaux dans la presse ont de nombreux
points communs, nous l’avons déjà remarqué. Néanmoins, les travaux d’artistes dans
la presse sont loin de se réduire à une simple application du livre d’artiste au sein
d’une revue ou d’un journal. Ils possèdent des caractéristiques propres. C’est pour
cette raison que nous ne nous contenterons pas d’étudier ces travaux quant à
l’utilisation qu’ils font du médium imprimé. Nous porterons aussi notre intérêt sur les
conditions de réalisation des œuvres et sur les acteurs qui acceptent, qui encadrent
et parfois initient ces projets. En effet, nous verrons que le type de publication, mais
aussi les motivations des directeurs de rédaction, des membres du comité de
rédaction, des journalistes, des critiques… jouent un rôle déterminant dans la
réalisation de ces travaux. C’est pourquoi nous chercherons à mettre en avant les
2Ann Goldstein, Anne Rorimer, Lucy Lippard, et alli. Redefining the object of art : 1965-1975, Los Angeles, The MIT Press, 1995, et Anne Rorimer. New Art in the 60s and the 70s : Redefining Reality, London, Thames & Hudson, 2001. 3 Marie Boivent. « Infiltrer la presse : de la parution à la disparition », Pratique, n°21, printemps 2010, et « La pratique de l’insert : Quand l’espace publicitaire devient lieu de publication » in Marion Hohlfeldt et Pascale Borrel. Parasite(s), une stratégie de création, Paris, L’Harmattan, 2010. p 29-45. Marie Boivent donne la définition suivante de l’insert dans ce second texte, p. 31: «Cet anglicisme désigne l’introduction d’un élément publicitaire dans un périodique, qu’elle se fasse sur le mode de l’insertion (encadré ou pleine page s’intercalant dans le contenu éditorial) ou sur celui de l’encart (feuille volante ou petit cahier que l’on insère dans la publication ». C’est seulement le premier cas de figure de l’insert introduit au sein même des pages de la publication qui retiendra ici notre attention.
10
particularités de cette production en interaction avec des acteurs et un contexte
précis.
Les travaux d’artistes dans les publications périodiques soulèvent des enjeux
spécifiques et c'est justement ce que nous essayerons d’étudier et de définir dans ce
mémoire. Cette pratique pose des questions esthétiques, internes au monde de l'art
et à celui de la presse, mais aussi sociétales. L'artiste ne travaille plus seul (nous
avons dit que les directeurs de rédaction, critiques et journalistes jouent un rôle de
premier ordre) et surtout face à un public démultiplié, du fait même de l'utilisation
d'un média de masse. Nous nous centrerons dans un premier temps sur l’utilisation du
périodique comme médium, à travers l’exemple de la revue barcelonaise Ártics
(1985-1989), ce qui nous permettra d’affirmer le caractère artistique de cette
production. Nous aborderons alors les répercussions de cette utilisation artistique
particulière de la presse sur le rapport que le public, devenu lecteur, entretient
désormais avec ces œuvres d’art. Dans un second temps, nous porterons notre
attention sur l’insertion du périodique en tant qu’outil médiatique, lieu de
promotion mais aussi de critique, au moment où les moyens de communication de
masse se font de plus en plus présents. Les inserts publicitaires de Fred Forest dans
divers périodiques à la fin des années 1970, ceux d’Ernest T. dans quelques revues
d’art dans les années 1980, l'intervention d’artistes pour Libération également au
début des années 1980, et enfin les travaux de Jeff Koons dans le cadre de Banality
en 1988 seront ici plus précisément étudiés. Dans un troisième et dernier temps, la
revue suisse Trou (1979) et l’expérience de Museum in progress (créé en 1990)
notamment dans le quotidien Der Standard, nous amèneront à poser la question de
l’exposition, soulevée par de telles œuvres catapultées dans le quotidien et
échappant à tout contrôle de l’institution muséale ou des galeries. Nous nous
intéresserons à la façon dont, justement, elles ont pu se construire face à ces
dernières.
11
Étant données la multiplicité des modalités de production, des formes
d'interventions, la diversité des acteurs et le grand nombre d'exemples de travaux,
nous ne chercherons pas, dans le cadre de cette recherche, à dresser un panorama
complet de tout ce qui a pu se faire en la matière, ni à construire des catégories
immuables, chaque cas étant unique. Aussi, bien que cette pratique ait une
dimension internationale, la recherche se limitera à l'espace européen, déjà très
riche, sans pour autant nous empêcher de mentionner quelques travaux d’outre-
Atlantique. Les exemples sélectionnés pour développer notre propos auront été
choisis pour leur intérêt particulier dans le cadre de notre étude et non pas comme
des modèles exemplaires de cette production. Certaines publications et certains
travaux de premier ordre n’apparaîtront pas ici. Cette étude se veut ouverte et nous
chercherons plutôt à esquisser quelques lignes de forces et les enjeux principaux de
cette pratique artistique.
L’objet de notre étude est par essence très dispersé et il n'existe que très peu de
lieu de récollection avec un traitement spécifique, probablement car aucune étude
scientifique n'a encore isolé ces productions comme telles. En France, Le Centre
National de l’Edition et de l’Art Imprimé (Cneai) à Paris et le Centre des livres
d’Artistes (Cdla) près de Limoges font partie des structures qui intègrent ces
productions, en tant qu’œuvres d’art, à leurs collections. Nous nous sommes donc
servi de ces lieux d’information, ainsi que des ressources de documentation à notre
disposition, c’est-à-dire les Archives de la Critique d'Art à Rennes et la Bibliothèque
Kandinsky enrichie de la collection Paul Destribats depuis 2006, à Paris, pour mener
cette étude.
12
CHAPITRE 1: LE PERIODIQUE COMME MEDIUM ARTISTIQUE
À partir des années 1980, la pratique de la contribution artistique à des
publications périodiques devient récurrente et aura d'ailleurs tendance à
s'institutionnaliser. Beaucoup de périodiques, et notamment des revues et magazines
spécialisés en art contemporain, vont s'intéresser à cette pratique et solliciter les
artistes pour qu'ils créent des inserts au sein de leurs pages. Parkett, revue
zurichoise, est un cas exemplaire puisque, depuis ses débuts en 1984 jusqu'à
aujourd'hui encore, elle a fait le choix de collaborer avec des artistes, sous diverses
formes et notamment celle de l'insert. La revue a fondé toute sa communication sur
le partenariat avec les artistes. Elle jouit aujourd'hui d'une grande renommée et fait
figure de référence. Comme Parkett, certaines revues vont faire de la contribution
artistique un élément-phare de leur projet éditorial : BlocNotes créée par Armelle
Leturcq en 1992, Documents sur l'art par Nicolas Bourriaud de la même année, A
Prior magazine, fondée à Gand, Belgique en 1999 ou encore Gagarin née un an plus
tard. La liste est longue. Certaines se contenteront d’intégrer ces productions dans
chacun de leur numéro, faisant des fameux « projets d’artistes » une rubrique parmi
d’autres. C'est par exemple le cas d'Atlántica publiée par le Centro Atlántico de Arte
Moderno depuis 1990 en Espagne, de Mouvement fondée en 1993 par Jean-Marc
Adolphe comme de nombreuses autres encore. Il semble que cette pratique soit
devenue, à présent, un incontournable pour toute publication se voulant "à la page".
Les acquis de la fin des années 1960 et 1970 concernant l'utilisation de l'imprimé
dans l'art, et les créations d'artistes pour et dans diverses publications, ont porté
13
leurs fruits, mais ceux-ci sont parfois tombés loin de l'arbre et de l'esprit des
premières productions.
Certaines publications périodiques, comme la revue Ártics que nous allons étudier
plus en détail, loin de verser dans la facilité, ont néanmoins travaillé avec des
artistes et sollicité leur participation active, en leur consacrant plus que quelques
pages bien délimitées. Cette demande de contribution s’inscrit dans le cadre plus
vaste d’une mise en question du périodique. Comme le remarque Ingrid Sischy en
1980, alors Directrice de la rédaction d’Artforum, il est désormais nécessaire pour
les éditeurs de revues et de magazines d’art d’engager, eux aussi, une réflexion sur
un élément fondamental des publications: la page4.
Ártics, trimestral multilingüe de les arts i de les ics : une anthologie
poétique de la création artistique de la seconde moitié des années 1980
La revue espagnole Ártics, née au milieu des années 1980, fait partie de ces
revues qui ont élaboré un concept éditorial où les artistes ne sont pas de simples
faire valoir. Elle a engagé une réelle réflexion sur la forme que peut prendre une
revue, après les chamboulements opérés par les artistes dans le champ de
l’imprimé.
Ártics a vu le jour en 1985, à Barcelone, à l’initiative de Vicenç Altaió i Morral,
homme de littérature aux multiples casquettes. Né en 1954 à Barcelone, Vicenç
Altaió, qui se décrit lui-même comme un « agitateur culturel », est à la fois écrivain,
poète, traducteur d’œuvres théâtrales, critique d’art et commissaire d’exposition
indépendant. Il est aujourd’hui Directeur du KRTU (Cultura, Investigación, 4 Cf. « Letter from the editor », Artforum, vol. 18, n°6, février 1980. Dans ce texte Ingrid Sischy fait référence à ce nouvel impératif. Ce numéro d’Artforum est le tout premier à sortir sous la direction d’Ingrid Sischy et il apparaît comme un manifeste et une mise en application de sa conception du périodique moderne: des textes théoriques tels que « Art Magazine et Magazine Art » de Clive Phillpot y sont publiés ainsi que de nombreux projets d’artistes.
14
Tecnología, Universal) crée en 1990 à Barcelone et dirige également depuis 2009 le
centre d’art Santa Mónica (CASM), toujours à Barcelone. Un intérêt constant porté
aux avant-gardes littéraires et artistiques marque sa carrière et fait le lien entre ses
diverses activités. Il crée ainsi plusieurs projets éditoriaux multidisciplinaires, dont
Ártics fait partie. Il n’en est alors pas à son premier essai puisque la revue de poésie
Tarotdequinze (1972-75) et Eczema (1978-1984) précèdent Ártics. Cave Canis (1995-
1999) prend leur suite. Comme chacun de ces projets hybrides, Ártics s’offre comme
un espace dédié à l’expression artistique et se situe à la croisée de la littérature et
des arts visuels.
Les membres du comité de rédaction reflètent la pluridisciplinarité de la
revue, certains viennent de la littérature, de la critique et d’autres des arts
plastiques. L’équipe permanente de la revue est réduite : Vicenç Altaió est à l'origine
de la revue qu'il dirige avec l'aide de Joaquim Pibernat (directeur de la rédaction).
Les deux jeunes artistes Jordi Colomer et Francesa Llopis ainsi que le critique Manel
Guerrero se rallient ensuite au projet. Les deux premiers s’occupent plus
particulièrement des images et du graphisme de la revue dans les premiers numéros
(à partir du numéro -8 de 1987, leurs noms sont remplacés par la mention « Ártics »
pour le design et les images, dans l’ours). C’est ce petit groupe, noyau dur d'Ártics
(qui, cependant, n’est pas toujours réuni au complet), qui autoédite la revue,
comme c'est le cas pour beaucoup d'expériences éditoriales engagées. L'équipe prend
en charge Ártics de la conception jusqu’à coller les timbres sur les enveloppes pour
les envois postaux des numéros. La revue se crée dans une ambiance familiale. Les
membres d'Ártics et les collaborateurs à la revue - critiques, écrivains et artistes -
entretiennent des liens amicaux. Tous travaillent d’ailleurs bénévolement. La revue
vit des abonnements et des ventes au numéro ainsi que de financements publicitaires
(une dizaine de pages sont dédiées à la publicité, majoritairement réunies à la fin
des numéros). Elle reçoit aussi le support de la Conselleria de Cultura de la
15
Generalitat de Catalunya , Ministère de la culture de la Catalogne. Ártics est vendue
en Espagne comme à l’étranger (Italie, France, Royaume-Uni, Belgique, Etats-Unis),
distribuée en kiosques et par abonnement.
En créant Àrtics, trimestral multilingüe de les arts i de les ics, (trimestriel
multilingue des arts et des x) Vicenç Altaió veut réaliser, à travers la collection
complète des numéros de la revue, une anthologie poétique de la création artistique
de la seconde moitié des années 1980. C'est pourquoi avant même la parution du
premier numéro d’Ártics, ses fondateurs conviennent d’une date de fin et d’un
nombre arrêté de publications. Un texte court publié dans le premier numéro, sorte
d'éditorial, se conclut d’ailleurs sur cette information : « Ártics est un premier pas
vers une fin annoncée »5. Seuls dix-sept numéros, à raison de quatre par an,
paraîtront. La numérotation de la revue commence de façon traditionnelle par le
numéro un, progresse jusqu’au numéro 8, avant que le décompte soit lancé, du
numéro -8 jusqu’au 0, dernier numéro à paraître en septembre 1989. Vicenç Altaió a
recours à ce concept à plusieurs reprises: c’est aussi le sort qu’il réserve à Eczema et
Cave Canis. Il évite ainsi tout risque d'essoufflement voire d'épuisement de ces
aventures éditoriales. En ce qui concerne Ártics, elle devient alors un reflet d’une
époque particulière, d’un âge d’or fantasmé, et le réceptacle clos d’une culture
constituée des arts minoritaires et innovants qui jaillissent dans les années 1980 à
Barcelone.
Pour mener à bien ce projet, chaque numéro de la revue est pensé comme
un lieu de rencontre et d’expérimentation artistique, ouvert aux acteurs de la
culture alternative et minoritaire de l’époque et aux diverses formes que prend
celle-ci. Ártics naît en effet au moment du plein épanouissement de la sphère
5 Ártics, n°1, septembre-octobre-novembre 1985, p.6. : « Ártics es presenta com un obertura i és alhora l’inici d’una fi anunciada ». Cf. Annexes, p. 108-109.
16
underground espagnole. L’histoire de l’Espagne du XXe siècle est marquée par la
dictature franquiste qui débute dès la fin de la guerre civile en 1939. Cette période
douloureuse prend fin avec l’avènement de la démocratie, deux ans après le décès
de Francisco Franco le 20 novembre 1975. Après cette longue période de répression
et de gel, l’Espagne s’ouvre au monde et connaît un moment d’élévation créative
avec pour emblème la Movida madrileña. Ce mouvement culturel, qui naît dans la
période de transition vers la démocratie, ne se restreint en fait pas à la seule
capitale espagnole, mais touche le pays entier et particulièrement les villes de
Bilbao, Vigo et Barcelone. La jeunesse espagnole est en quête de renouveau, le pays
s’ouvre à l’Europe et à ses mouvements culturels contemporains. La période est
propice aux nouvelles rencontres, les jeunes créateurs venus de disciplines diverses
trouvent enfin à s’exprimer. Ils se retrouvent, échangent et s’ouvrent aux formes
nouvelles de création. À Barcelone, un monde de la nuit alternatif se développe. La
ville connaît un moment d’exaltation, de bouillonnement artistique, une sorte
d’ « accélération du temps »6 pour reprendre les mots de Vicenç Altaió. C’est cette
puissance créative anonyme qu’Ártics souhaite refléter, et c’est du choc de toutes
ces parties que la revue tire son esthétique, en apparence seulement, chaotique.
Cette nouvelle sphère reste minoritaire dans l’environnement culturel espagnol et
elle entre en résistance contre l’ordre politique et la culture de masse. C'est
probablement en référence à cette culture souterraine que la revue est baptisée
Ártics (Art-X) et sous-titrée "revue des arts et des X ", ou encore, qu’elle se dit être
l’écho de « la partie immergée de l’iceberg des expérimentations artistiques et des
nouveaux langages » et qu’elle « s’offre comme un regard radical attentif aux
registres d’écritures et d’arts actuels les plus innovants. »7 On trouve de nouveau la
6 Entretien du 23 mars 2010. 7 ibidem, p. 6. :« Ártics – trimestrial multilingüe de les arts i de les ics- recala a l’iceberg de l’experimentació i dels nous llenguatges. Ártics […] s’ofereix com una radical mirada ateta als registres més innovadors de les escriptures i de les arts actuals, de la mà dels mateixos instigador ».
17
mention d’un art clandestin sur le bon d’abonnement qui accompagne le premier
numéro : « Ártics, un nom de revue pour la littérature et l’art sans nom : l’Inconnue,
l’Art des X. »8 Dès la lecture du numéro 1, il apparaît clairement que la revue sera un
lieu de représentation de cette création de la marge.
À l’époque d’un monde globalisé et au moment d'une plus grande ouverture de
l'Espagne sur l'extérieur, la revue souhaite être le « lieu de rencontre de langues, de
cultures, de tendances et d’individualités ».9 C'est naturellement qu'elle travaille
alors avec des artistes d’horizons variés : Espagnols mais aussi d’autres pays, ils
viennent de disciplines différentes -aussi bien de la littérature, des arts visuels, de la
performance, que de la danse, du théâtre, etc. – et enfin, de diverses générations.
Des artistes chevronnés et reconnus, à la carrière internationale, comme John Cage,
Meret Oppenheim, considérés par Vicenç Altaio comme des piliers de l’histoire de
l’art contemporain, côtoient de jeunes artistes moins connus au sein de chaque
numéro.
Ártics souhaite cristalliser tous les éléments, aussi divers soient-ils, qui fondent la
culture et l’art innovants de cette seconde moitié des années 1980. Afin de restituer
le plus fidèlement possible la pensée et les créations des artistes, Ártics ne se donne
pas pour première vocation de véhiculer une critique de l’art mais plutôt des
expressions de celui-ci.
C'est ce qui explique pourquoi Vicenç Altaió a voulu faire de cette revue un espace
de dialogue entre des artistes, des critiques, des auteurs, et de leur laisser la
possibilité d’y intervenir directement.
8 Bon de commande en supplément du numéro 1 de la revue : « Ártics, un nom de revista per la literatura i l’art sense nom : La Desconeguda, l’Art de les Ics. » 9 Op. cit., p.6.: « Ártics, lloc d’encontre de llengües, de cultures, de tendències i d’individualitats »
18
Ártics, lieu de rencontre d’expressions artistiques multiples
Un travail de collaboration entre les membres d'Ártics et des intervenants
extérieurs se met alors en place pour créer chaque numéro. La revue sollicite la
contribution de critiques, d’écrivains et d’artistes, pour façonner ensemble les
numéros.
Ártics ne se contente donc pas de publier des textes sur les artistes mais elle
travaille main dans la main avec eux. Ce sont parfois les artistes ou des collectifs qui
prennent en charge les pages de la publication qui leur sont laissées par le comité de
rédaction : « Page après page, en faveur des seuls artistes et écrivains. Chaque
artiste ou collectif est le concepteur de sa partie dans la revue ».10
Concrètement, ce partenariat prend diverses formes, les collaborateurs participant
de plusieurs façons à la conception des numéros. Ces derniers sont, à chaque fois, le
résultat de la confrontation d’expressions diverses. Leur structure et leur esthétique
sont la conséquence directe d’un travail de coopération entre des acteurs divers qui
participent à leur manière à la revue.
En ce qui concerne les artistes, ils peuvent entièrement prendre en charge un certain
nombre de pages. C’est le cas Ben qui intervient sur le sommaire du numéro –8
(septembre-octobre-novembre 1987), ou encore de l’artiste Daniel Buren pour le
numéro -7 (décembre 1987–janvier-février 1988)11. Nous reviendrons plus en détail
sur l’intervention de ce dernier dans Ártics. Plusieurs artistes peuvent aussi
confronter leur pratique dans l'espace de la publication. C'est souvent le cas
d'écrivains et d'artistes plasticiens. De nombreux textes de référence d'écrivains sont
(re)publiés et traduits. Ils peuvent alors être mis en parallèle avec l’œuvre d’un
jeune plasticien, comme l’a été le texte « A la ocho en las floras » de l’écrivain
10 Op. cit. : « Pàgina a pàgina en favor de l’artista i l’escritor a soles. Cada artista o col.lectiu és el dissenyador del seu espai.» 11 Cf. Volume iconographique, p. 4 et p. 8 -10.
19
cubain Severo Sarduy avec les oeuvres de Jordi Colomer dans le numéro 2 d’Ártics12.
Ou bien, ils peuvent aussi être présentés avec une mise en page créative et
artistique. C’est le cas pour le numéro 4, avec un texte de l’écrivain italien Armando
Adolgiso et le travail de la plasticienne Francesca Llopis13. Un critique peut aussi
s’intégrer au groupe comme dans le numéro 5 de la revue (septembre-octobre-
novembre 1986). Kathy Acker, performeuse et écrivaine nord-américaine, l’artiste
Zush (connu sous le nom de Evru depuis 2001), et le critique Luis Francisco Pérez
sont ici réunis autour d’une même thématique. Un texte de la première, extrait de
Blood and Guts in High School (plus two) de 1984, est mis en regard avec des
reproductions d’œuvres de la série de 1986 « Usdre Nesot (Vida Mort) » de Zush et
enfin avec un court texte de L.F. Pérez au sujet de l’artiste catalan. Ces trois formes
de discours sont réunies par la mise en page homogénéisante qui reprend des motifs
d’une oeuvre de Zush.14
Nous avons vu que le travail de réappropriation d'une oeuvre pour en créer une
nouvelle, est fréquent dans la revue. Ce procédé est également utilisé pour la
réalisation de la couverture, élément important s'il en est d'une publication. Elle est
le premier lieu du partenariat entre l’équipe de la revue et les artistes invités, ou
bien entre deux artistes qui travaillent pour la revue. Toutes obéissent à un même
schéma de création: un artiste, ou bien un des membres d’Ártics, réalise la
couverture en se réappropriant l’œuvre d’un autre artiste, souvent créée
spécialement pour la revue. John Cage (numéro 1), Meret Oppenheim (numéro2),
Antoni Tapiès (numéro 4), Robert Motherwell (numéro 5), Vedova (numéro 6), Joan
Brossa (numéro 7), Claude Viallat (numéro -8), Cy Twombly (numéro -7), Arnulf
Rainer (numéro -6), Antonio Saura (numéro -5) et Eduardo Chillida (numéro -3) font
partie des artistes qui se sont prêtés au jeu de réaliser une oeuvre pour la revue. La
12 Ártics, n° 2, décembre 1985, janvier et février 1986, p. 6-11. Cf. Volume iconographique p.5 13 Ártics, n° 4, juin-juillet-août 1986, p. 20-24. Cf. Volume iconographique p. 6. 14 Ártics, n°5, septembre-octobre-novembre 1986, p.6-13. Cf. Volume iconographique p. 7.
20
reproduction de l’œuvre est donc insérée dans le graphisme de la couverture réalisée
à partir de celle-ci, souvent par un artiste ou un graphiste présenté comme l’auteur
de la couverture. Carlos Pazos réalise la couverture du numéro 5 (septembre-
octobre-novembre 1986) en utilisant l'oeuvre du peintre américain Robert Motherwell
produite pour Ártics. Jordi Colomer réinterprète l'oeuvre de Claude Viallat pour le
numéro -8 (septembre-octobre-novembre 1987). Joseph Bagà utilise le dessin de Cy
Twombly pour le numéro -7 (décembre 1987-janvier-février 1988). Encore, Frederic
Amat intègre la création d'Antonio Saura dans la couverture du numéro -6 (mars-
avril-mai 1988).15
Malgré la diversité des créateurs qui participent à la production de la première de
couverture, l’identité visuelle de la revue est toujours respectée. Les huit premières
couvertures sont scandées par trois bandes verticales plus ou moins larges de
couleurs et de motifs qui varient d’un numéro à l’autre (à l’exception du numéro 2),
alors que les neuf derniers numéros présentent une couverture homogène, avec un
motif unique. Ce changement, à partir du numéro -8, permet de différencier les
deux grandes phases de la vie de la revue. Le titre est à chaque fois bien
identifiable, en haut de la revue, aligné sur la gauche, avec la même typographie.
Enfin, les noms des collaborateurs participant au numéro apparaissent sur la
couverture.
Cette dernière est la vitrine de la publication, elle doit donner envie d'acheter Ártics
et doit se distinguer des milliers d’autres revues et magazines spécialisés en art
contemporain. Elle doit être à la fois le reflet de l’esprit de la publication et une
introduction au contenu du numéro. La couverture d’Ártics met clairement en avant
tout ses collaborateurs, sans distinction, qu’ils soient critiques, écrivains ou artistes,
et non pas un thème ou un sujet particulier abordé dans le numéro : elle liste les
collaborateurs et donne à voir à l'acheteur potentiel un exemple concret de
15 Cf. Volume iconographique p. 2-3.
21
contribution artistique et de travail d'équipe. Ce qui importe ici c’est le fait de
laisser certains acteurs du monde de l’art s’exprimer avec les moyens de la
publication, c’est-à-dire en textes et en images, et non pas de véhiculer un discours
sur une question artistique ou bien un événement du moment.
Quant à la deuxième de couverture, elle présente une photographie et une dédicace
de l’artiste dont l’œuvre a été reproduite et insérée dans la composition de la
première de couverture.16 Ces artistes sont souvent de grands noms de l’art
contemporain et leur dédicace pour Ártics témoigne ici de leur complicité avec les
créateurs de la revue, de leur intérêt voir de leur estime pour ce projet. La signature
de l’artiste, reproduite et non pas apposée directement sur chaque numéro de la
main de l’artiste, confère une valeur symbolique au périodique et non pas
marchande. Il ne paraît qu’une édition courante de la revue et les créations
artistiques pour Ártics n’existent que sous cette forme. Quand l’artiste a créé une
œuvre spécialement pour un numéro, elle est présentée en pleine page, parfois face
à la deuxième de couverture, parfois au coeur de la revue. Elle trouve là sa seule
place, puisque, encore une fois, l’œuvre n’existe que pour et par ledit numéro.
Une esthétique cosmopolite et chaotique
Les contributions des collaborateurs se juxtaposent et des univers artistiques
parfois opposés s’enchaînent les uns après les autres, souvent sans transition claire.
Les textes et les univers visuels de plusieurs artistes se côtoient et se mêlent. Des
variantes de mises en page nombreuses et franches forment un même numéro, ce qui
a pour effet de dérouter quelque peu le lecteur. S'ajoute à cela le fait que plusieurs
langues coexistent au sein d’un même numéro, puisqu’il a été choisi de publier tous
16 Cf. Volume iconographique p. 4.
22
les textes en version originale. On peut lire dans un même numéro du catalan, du
castillan, du français, de l’italien, de l’anglais ou encore de l’allemand. Les langues
latines ne sont la plupart du temps pas traduites, contrairement aux langues
germaniques dont une version catalane est aussi présentée (la revue sort en
Catalogne). Ce choix est loin d’être une simple solution de facilité. Il est au contraire
la conséquence de plusieurs convictions. Tout d’abord, Vicenç Altaió a voulu s’ériger
contre le monolinguisme ambiant, refusant de se soumettre à la suprématie de la
langue anglaise. Au contraire, il désire mettre en valeur et exploiter les possibilités
qu’offre la nouvelle génération cosmopolite et multilingue dont il fait partie. Dans un
second temps, le fait de publier les textes dans leur version originale permet de
rester fidèle à la pensée de l‘auteur. N’oublions pas que Vicenç Altaió est aussi
traducteur, et comme l’indique l’expression italienne connue, « traduttore,
traditore ! », il sait bien que traduire c’est aussi trahir. Ártics, qui se veut une arène
pour l’expression directe de l’artiste, réduit ainsi le risque de dénaturer le propos de
celui-ci. En supprimant la prise de distance avec le texte original, consécutive à
toute traduction, même la meilleure, un rapport plus intime se crée avec l’artiste
dont la pensée est respectée dans son intégrité. Le choix de donner la parole à
l’artiste est assumé jusqu’au bout. Enfin, la revue apporte une importance
particulière à l’alchimie créée par l’association du fond avec la forme, ici le sens du
texte et la forme visuelle des mots ainsi que leur sonorité. Cet attachement à
l'association signifiante du fond et de la forme dans l'écriture trouve probablement
son origine dans la poésie expérimentale. Expression espagnole de la poésie visuelle
et concrète, elle s'épanouit dans les livres, revues et journaux d'artistes espagnols
tels que Doc(k)s17 ou encore par l'intermédiaire du groupe Zaj et ses publications18.
17 Doc(k)s est une revue de poésie qui naît en France en 1976, à l‘initiative de Julien Blaine. Après quelques années d’interruption, la revue renaît, cette fois entre les mains du duo « Akenaton » qui dirige encore aujourd’hui la revue. Pour reprendre les mots de Philippe Castellin, cette revue est marquée par « la volonté de considérer comme matériau poétique l'ensemble des éléments sémiologiques, qu' il s'agisse, dans l' ordre visuel, de l'écriture envisagée plastiquement et conjointe à l'image et au graphisme, ou, plus généralement, des
23
En plus de la coexistence d'esthétiques variées et de plusieurs langues, il faut aussi
prendre en compte que ce périodique est un produit de l’autoédition. À cette
époque, les moyens techniques de reproduction se développent et permettent à
chacun de créer des publications facilement et à moindre coût, pour preuve en est la
prolifération des publications d’artistes en tout genre depuis les années 1960. Grâce
aux avancées technologiques, la petite équipe d’Ártics, notamment Vicenç Altaió,
peut prendre en main la réalisation de la revue. Les artistes Jordi Colomer et
Francesca Llopis ont réalisé la maquette des deux premiers numéros, le reste de
l’équipe a pu ensuite prendre en charge le graphisme de la revue, la mise en page
générale et ainsi créer eux-mêmes une revue à leur image, où plutôt à l’image de
l’univers artistique barcelonais bouillonnant de l’époque. Malgré cela, il est tout de
même possible de trouver quelques points de repère qui nous rappellent les revues
d’art traditionnelles et viennent nous aiguiller dans l’appréhension de cet objet. On
retrouve certaines rubriques communes à plusieurs numéros comme l’ « ésser artics »
(« l’être artics ») ou « Ics & Ics » (revues d’expositions ou d’ouvrages).
Les partis pris éditoriaux de Vicenç Altaió sont l’expression d’une quête
d’authenticité et d'une exigence de fidélité au travail de chaque artiste, de chaque
individualité, allant parfois jusqu’à la retranscription sans médiation. Les
composantes multiples de la culture espagnole se retrouvent parachutées dans
Ártics. Mais tous ces facteurs associés donnent aussi une impression de désordre à la
revue qui désarçonne quelque peu le lecteur. Ajoutons enfin que, dans beaucoup de
cas, il est très difficile voire impossible de savoir précisément quel a été
signes et des effets liés à la voix, au corps, à la performance ». [extrait du texte de présentation en ligne sur le site : http://www.sitec.fr/users/akenatondocks/ Consulté le 16 mai 2010] 18 Les compositeurs Juan Hidalgo, Walter Marchetti et Ramon Barce fondent Zaj en 1964, influencés par John Cage. Trois ans plus tard Esther Ferrer les rejoint. Zaj est alors le seul groupe qui produit des représentations et événements de ce type à l'époque et leurs concerts apparaissent, dans l'Espagne des années 1960-70, comme des actes de protestation contre le régime. Ils publièrent quatre livres Zaj qui firent d'eux les pionniers du livre d'artiste en Espagne.
24
l'engagement de l'artiste, du critique, de l'écrivain. Si ceux-ci n'ont fait que donner
leur accord pour l'utilisation d'images, de textes ou bien s'ils ont participé au choix
de ce qui serait présenté, ou plus, si leur contribution fut entière, de la conception
jusqu'à la mise en forme finale. Il semble d'ailleurs que ces précisions importent peu.
Les informations sont lacunaires, notamment le sommaire qui ne fait mention que du
nom des artistes ou des collaborateurs et des pages qui leurs correspondent, sans
plus de détails. Il faut bien comprendre que chaque numéro est le produit d'un acte
de création collectif, le résultat de l'union de diverses forces créatives « anonymes »,
si l’on se remémore la note d’intention du premier numéro de la revue. Nous verrons
plus tard que ce manque d’informations est représentatif à la conception de l’art de
Vicenç Altaió.
Malgré cette apparence déroutante, chaque numéro d'Ártics respecte une structure
bien déterminée et l’équipe de la revue a une idée très précise de l’objet qu’elle
souhaite produire. Une grande attention est portée à la présence d’un certain
équilibre dans chaque numéro, bien plus qu’à l’existence de rubriques types qui
scandent la plupart des périodiques. Dans chaque numéro, on veille à ce que diverses
disciplines soient présentées : la littérature, les arts plastiques, les arts vivants
(danse, théâtre, musique) et enfin à ce que les pratiques d'artistes internationaux,
locaux et de diverses générations soient mis en regard. C'est cette cohabitation de
pratiques artistiques diverses qui permet la circulation d’idées, qui plus est de
première main puisque les artistes participent activement à la revue. Il se crée bien
sûr des chocs, pour le lecteur nous l’avons vu, mais aussi pour les collaborateurs.
Parfois, cela suscite même incompréhension et mécontentement. Vicenç Altaió
rappelle par exemple la contrariété de Claude Viallat concernant l’utilisation de son
travail par Jordi Colomer pour la couverture du numéro -8 (septembre-octobre-
novembre 1987). En acceptant d'insérer son travail dans un périodique, le
collaborateur accepte aussi que son oeuvre soit mise en contact avec les productions
25
d'artistes aux pratiques peut-être opposées à la sienne. C’est pourquoi, dans le cas
d'Ártics, le travail de groupe, parfois synonyme de réappropriation, peut aussi
réserver quelques surprises aux collaborateurs.
La revue comme mise en forme d’une conception globalisante de la
création
Mais les contrariétés et autres désenchantements ne sont rien de plus que le
lot commun de tout travail collectif. Nous mentionnions tout à l’heure l’importance
de ce dernier terme, dans l'expérience Ártics. Le travail des artistes plasticiens,
critiques, graphistes est ici considéré de la même façon, sans rapport hiérarchique.
Les jeunes artistes Jordi Colmer et Francesca Llopis, responsables du graphisme et
des images au sein de l’équipe « permanente » d’Ártics effectuent un travail de
création considéré au même titre que celui des artistes invités. Ils sont intervenus
aussi bien en tant que graphistes qu’en tant qu’artistes au sein de la revue,
témoignant de la transdisciplinarité qui caractérise les artistes à cette époque. Toute
hiérarchie entre les pratiques artistiques est évacuée, conséquence même de la
conception globalisante et égalitaire des arts du directeur de la revue mais aussi de
la pluridisciplinarité qui caractérise depuis quelques années déjà la pratique de
nombreux artistes. Vicenç Altaió insiste d'ailleurs sur l'utilisation du mot "art" au
pluriel : il n’y a pour lui pas de différence entre écrire un poème, un texte, peindre,
sculpter, danser, etc. Toutes ces activités relèvent du champ de l’art, et sont mises
sur un pied d’égalité.
Au sujet des publications artistiques, il aborde plus précisément la question de la
relation entre le contenu (les mots, le texte), la forme (la typographie, la mise page,
le graphisme) et aussi le support (le papier, la publication). Tous ces éléments sont
26
pour lui indissociables et c’est tous ensemble qu’ils font sens, l’un n’étant pas plus
ou moins important que les autres. Nous retrouvons ici l’influence des
expérimentations menée dans le domaine de la poésie. Dans un de ses textes, Vicenç
Altaió commence par reprendre les mots d’Antoni Tapiès qu’il explique ensuite:
« “Je ne fais pas de distinction entre lire et regarder, toucher sentir…, tout est
communication. Le papier et la typographie, bien qu’ils n’expliquent pas le texte,
son inséparables de celui-ci. Ce dualisme contradictoire n’est pas fonctionnel, mais il
nous est nécessaire.” Voici ce que nous dit Antoni Tapiès lorsqu’on le questionne sur
son amour et sa relation aux livres, lui qui a collaboré avec tant de poètes. Dans ce
cas particulier, en effet, le peintre n’illustre pas (livres illustrés), il ne travaille pas
seul non plus (livres d’artistes ?) avec une œuvre unique (livre-objet), mais il crée
une culture qui ne fait pas de distinction entre les raisonnements et sentiments
verbalisés et ceux qui ne le sont pas, entre l’expression et la communication. Ce
dualisme contradictoire nous est nécessaire pour agir, pour être”.»19
Ce cours paragraphe montre à quel point la publication peut être pour Vicenç Altaió
un lieu privilégié pour appliquer sa conception égalitaire des arts. Ici il ne se réfère
pas directement à Ártics, mais il nous laisse imaginer l’état d’esprit dans lequel
cette revue a été créée. Cette définition s’applique en effet très bien à la
publication qui nous occupe. Ce « cas particulier » dont parle Vicenç Altaió est aussi 19 Texte en ligne sur le site cofondé par Vincenç Altaió : visualkultura.cat. [En ligne : http://inte.es/visualkultur/rcs_gene/text1.altaio-cast.pdf. Consulté le 10 mai 2010] : « “No hago distinción entre leer y mirar. Mirar, tocar, oler..., todo comunica. El papel y la tipografía, aunque no expliquen el texto, son inseparables del mismo. El dualismo contradictorio no funciona, al contrario, nos hace falta.” Eso es lo que nos dice Antoni Tàpies al preguntarle, a él que ha colaborado con tantos poetas, por el amor y la relación que tiene con los libros. En este caso, en efecto, el pintor no ilustra (libros ilustrados) ni va solo (¿libro de artista?) con obra única (libro objeto), sino que crea una cultura que no hace distinción entre juicios y sentidos verbales y no verbales, entre expresión y comunicación. El dualismo contradictorio nos resulta necesario para hacer, para ser. » Le site visualkultura s’offre comme « un parcours inédit au sein de la culture catalane qui émerge au milieu des années 1970 – en pleine dictature de Franco-, depuis les minorités artistiques les plus innovantes, presque clandestines, jusqu’à l’actualité la plus récente –à l‘époque de la globalisation et de la culture de masse - , à travers les livres les plus singuliers et inconnus, fruits de la collaboration entre artistes d’avant-garde et écrivains d’abord, et ensuite graphistes créatifs ».
27
celui d’Ártics. Nous l’avons dit, le critique ne travaille pas seul sur les œuvres et le
parcours des artistes. L’artiste non plus. Poètes, écrivains, critiques et artistes
plasticiens travaillent ensemble. Leur collaboration ne donne pas naissance à une
publication illustrée comme il en existe beaucoup, où l’artiste n’intervient que dans
un second rôle. Puisqu’il n’est pas fait de distinction entre l’écrivain et le plasticien,
l’un n’a pas la primauté sur l’autre. Dans Ártics, les disciplines fusionnent au nom de
la seule création pour former chaque numéro. De la même manière, Vicenç Altaió
considère que réaliser cette revue est un acte créatif et artistique à part entière.
C’est parfois lui et l’équipe de la revue qui réalisent les agencements des textes et
images, ils se réapproprient le travail d’artistes et écrivains.
Dans Ártics, c’est l’union du fond et de la forme qui fait sens, union elle-
même indissociable du support revue. La production de Daniel Buren pour le numéro
-7 (décembre 1987-janvier-février 1988) illustre bien la fusion de l’œuvre avec la
revue et surtout l’attention portée au lieu, à l’espace qu’est la revue. Nous allons
voir qu’il prend en compte l’espace de la page, son format, il est attentif à la
structure de la revue, à la dynamique de lecture, au rythme des pages tournées.
Cette prise en compte des composantes de la publication fait glisser celle-ci du
simple support au médium. Daniel Buren intervient sur une vingtaine de pages (de la
page 30 à 51), ce qui représente près d’un quart de la totalité du numéro (chacun
compte environ quatre-vingts pages). Comme à son habitude, il publie tout d’abord
une lettre publique virulente adressée à la commissaire Carmen Gimenez, au sujet
d’une exposition à laquelle l’artiste devait participer, mais qui fût annulée sans le
concerter auparavant. Le texte est publié en français et traduit en catalan. La lettre
est suivie de l’œuvre intitulée D’un coin à l’autre. Encres sur papiers découpés.20
Comme l’indique le titre, Daniel Buren ne se contente pas de la simple utilisation
d’encre sur la surface du papier pour réaliser son œuvre. Il intervient dans la matière
20 Cf. Volume iconographique p.8-10.
28
même de la revue en découpant ses pages. Nous retrouvons son « outil visuel »
distinctif, les rayures de 8,7cm, ici blanches, rouges, et noires. Il joue avec les
rythmes de couleurs créés par les bandes et les coupes géométriques dans le papier.
Son œuvre fonctionne par double page. La page de droite est divisée par trois
rayures (l’une est plus petite, mais le lecteur peut l’imaginer se prolonger
virtuellement sous la page de gauche), deux noires et une blanche ou bien deux
rouges et une blanche. Ces couleurs alternent d’une double page à l’autre. Chaque
coin supérieur droit des pages de droite est découpé, retirant de la feuille un
triangle de papier plus ou moins grand. La première coupe est la plus intrusive, les
suivantes vont en se réduisant jusqu’à laisser la dernière page intacte. Daniel Buren
fait ainsi apparaître, par un jeu de superposition des pages découpées, l’alternance
des bandes rouges et noires. Chaque bande extérieure droite - à l’exception de celle
de la dernière page de l’intervention - est incomplète puisqu’il manque du papier. Le
papier coloré retiré réapparaît cependant sous la forme d’une « trace » d’encre
équivalente sur chaque page de gauche.
La même année, l’artiste réalise un travail similaire dans une autre revue, constituée
uniquement d’interventions d’artistes, Passe. Pour le premier numéro de cette revue
lyonnaise, sorti en janvier 1988, Daniel Buren joue ici aussi à découper le papier où
sont imprimées des rayures blanches et rouges.21 Visuellement, l’œuvre est bien sûre
différente, mais son intervention fonctionne de la même façon et révèle les
caractéristiques de l’espace de la publication, dont les pages ne sont pas reliées,
mais s’organisent en fait par feuillets de très grand format, superposés les uns sur les
autres et pliés pour constituer la revue.
Ce n’est pas la première fois que Daniel Buren travaille sur des publications. Il a
notamment réalisé plusieurs livres d’artiste tels que D’une impression l’autre. et
Chapitre I. De la couverture, tous deux en 1983. Il a aussi souvent fait le choix
21 Cf. Volume iconographique p.11.
29
d’intervenir dans des publications collectives par des pages de rayures, de façon
anonyme (dans différentes publications du catalogue Prospect, en 1968, 1969 et
1972, publié par la Städtische Kunsthalle de Düsseldorf) ou encore sous son nom
comme dans le catalogue D’une œuvre l’autre de Guy Schraenen en 1996 où l’on
peut voir l’oeuvre Petit à petit. Encres pour une diagonale. Plus proche encore de
l’exemple d’Ártics, Daniel Buren a aussi créé dans de nombreuses revues et
quotidiens22. Cette pratique est donc récurrente dans le parcours de Daniel Buren.
On retrouve là la volonté de l’artiste d’intervenir in situ, c’est-à-dire en fonction du
lieu de monstration et de façon interdépendante avec celui-ci. Que ce soit dans
Ártics, Passe, ou bien dans le catalogue de Guy Schraenen, le lecteur voit apparaître
page après page l’œuvre de Daniel Buren. Dans ce dernier catalogue, un court texte
écrit par Daniel Buren en 1970 dans le périodique VH101 est cité. Il y explique la
façon dont il intervient, par une proposition non « distractive », en rupture avec
l’espace de la publication, pour faire apparaître celui-ci tel qu’il est : « La mise en
accusation de toute forme en tant que telle nous conduit à questionner l’espace fini
dans lequel cette forme est vue. En effet, l’œuvre elle-même, parce
qu’impersonnelle/neutre, se présentant sans composition, le regard n’étant diverti
par aucun accident, c’est l’œuvre en entier qui devient l’accident par rapport au
lieu où elle est présentée. On constate que la proposition, dans quelque lieu qu’elle
soit présentée, ne “trouble” ledit lieu. Le lieu en question apparaît tel quel. Est vu
réellement. »23 C’est bien le cas de son intervention dans Ártics. Daniel Buren à
recours à un procédé simple et systématique, particulièrement adapté à son lieu
d’intervention. Il révèle en effet l’une des caractéristiques essentielles de la revue
et du livre constitués de feuillets assemblés les uns avec les autres et qui demandent
22 Les Lettres Française, mars 1968 ; Studio International, juillet/août 1970 et septembre/octobre 1975 ; Extra, juillet 1974 ; Interfunktionen, n°11 de 1974 et n°12 de 1975; TriQuartely, n°32, hiver 1975 ; quotidien Le Progrès du 14 novembre 1986 ; De Witte Raaf, n°49, mai 1994 ; quotidien Libération n° 705 du 5 juillet 2002… 23 « Mise en garde n°3 », in VH101, n°1, 1970. Cité dans le catalogue de Guy Schraenen, d’une œuvre l’autre, Mariemont, Musée Royal de Mariemont, 1996, p.30.
30
une participation spécifique du lecteur qui tourne les pages. Ce geste machinal,
anodin, révèle en fait une façon particulière d’appréhender l’objet et de recevoir le
contenu (textuel et/ou graphique) qui ne nous est pas donné d’un seul coup. Le
lecteur ne peut embrasser l'oeuvre de l'artiste d'un seul regard. Nous reviendrons plus
en détail sur cette implication particulière du lecteur dans l’appréhension de
l’œuvre. Ici, Buren livre clairement une oeuvre à part entière, dans le corps de la
publication. Celle-ci devient un espace hybride, dont les diverses parties ne peuvent
pas être dissociées puisque elles ne font sens que dans la relation qu’elles
entretiennent les unes avec les autres.
Ici, l’œuvre et la revue ne font qu’un, elles sont à présent indissociables.
Nous sommes bien loin des reproductions d’œuvres ou bien des tirages de gravures,
estampes ou autres, glissées entre les pages d’une publication. Pour reprendre les
mots d’Anne Moeglin-Delcroix, les « artistes se proposent de dire quelque chose. Mais
ce qu’ils disent, ils ne le disent pas hors du livre et sans lui. »24 Plus loin encore :
« C’est […] cette solidarité entre sens et sensible qui transforme ce support en
médium au sens fort du terme, affecté par ce qu’il véhicule autant qu’il l’affecte en
le structurant . […] Le livre est non plus (ou plus seulement) un objet de bibliothèque
ou de librairie identifiable comme tel, mais aussi une forme artistique, quand il
réalise un lien singulier d’expression réciproque entre support et signification »25. La
publication "dépasse sa fonction de simple support pour devenir forme signifiante.26 »
L’auteur se réfère ici à son sujet d’étude privilégié : le livre d’artiste. Dans la
préface du catalogue Revues d’artistes, une sélection, Marie Boivent tient un
discours similaire à propos de la revue d’artiste cette fois. Elle explique bien que la
revue devient un « “véhicule” qui ne se contente plus d’un rôle de coursier […], il
interfère, participe pleinement au projet [et que] la revue en tant que support fait
24 Anne Moeglin Delcroix. Esthétique du livre d’artiste, 1960-1980, Paris, Jean-Michel Place et Bibliothèque nationale, 1997, p. 9. 25 Ibidem, p. 10. 26 Ibid, p. 14.
31
corps avec l’œuvre, elle s’incarne en elle et par elle ».27 Ces remarques ne
définissent pas directement les interventions d’artistes dans des revues mais elles
sont néanmoins utiles pour penser ces productions et notamment celle de Daniel
Buren pour Ártics. Les interventions artistiques de ce type n’existent que par et pour
la revue. Le parallèle avec le livre et la revue d’artiste aujourd’hui considérés
comme des œuvres d’art à part entière nous permet aussi de saisir la valeur de ces
interventions souvent dévalorisées ou peu regardées. Celles-ci ne se contentent pas
de « refléter un certain état de l’art et de la culture »28, mais elles les constituent au
même titre que n’importe quelle autre œuvre. Cette concordance dans l'utilisation
de la publication témoigne aussi de l'influence que les livres et revues d'artistes ont
très probablement eue sur la pratique de l'insert. Il semble clair que les artistes, à
partir de la fin des années 1960 particulièrement, prennent conscience que l'art peut
avoir une place nouvelle et première dans les publications. Que celles-ci peuvent
proposer une alternative aux habituelles reproductions d'oeuvres ou tirés à part, et
générer à la fois un renouvellement du monde de l'imprimé (du périodique pour ce
qui nous intéresse ici) et du champ artistique. D’ailleurs, Vicenç Altaió parle lui-
même de l'influence des publications d'artistes - à la fois livres d'artistes et livres-
objet - sur la création d'Ártics.
Il existe de nombreuses ressemblances avec la revue d’artiste, ces deux
pratique participent d’une même mouvance, elles sont les produits de
préoccupations similaires dans le monde de l’art. Cela ne fait pas d'Ártics une revue
d’artiste pour autant. Les artistes n’interviennent pas seuls, ils ne sont pas à
l’origine du projet éditorial, et ne prennent pas en charge le parcours de la revue du
début jusqu’à la fin. Ils n’interviennent que ponctuellement dans celui-ci. Ártics a de
plus un caractère informatif, avec des sections de la revue dédiées par exemple à
certains centres d’art ou musées (tels que « 5 centres d’art contemporani », soit 27 Marie Boivent. Revues d’artistes. Une sélection, Rennes-Fougères, co-éditions Arcade, Editions provisoires, Lendroit galerie, 2008. p.9. 28 Op. cit., p. 11.
32
Cinq centres d’art contemporain, dans le numéro 2 de décembre 1985-janvier-février
1986) ou encore à des acteurs de la scène artistique. Dans le numéro 5 (septembre-
octobre-novembre 1986) l’architecte italien Massimiliano Fuksas d’origine lituanienne
est interviewé (pages 48 à 53). C’est aussi le cas de Pontus-Hulten qui est interrogé
par Joan Abelló, à Venise, en septembre 1986, pour le numéro 6 de la revue
(décembre 1986–janvier-février 1987, pages 34 à 38). Enfin, Ártics a recours à la
publicité, ce qui serait difficilement envisageable dans une revue d’artiste. Le
projet éditorial d’Ártics fait de chaque numéro un espace d’entre-deux, hybride, « à
cheval entre la revue manifeste et la revue de kiosque »29, ni revue d’artiste ni revue
traditionnelle. C’est probablement cette ambiguïté de contenu et de forme, cette
dualité au sein d’un même objet qui pose parfois problème et nous empêche de
considérer cette pratique comme proprement artistique.
Enfin, revenons sur un autre point important, mentionné par Vicenç Altaió
dans le texte cité plus haut. Ártics ne s’apparente pas aux publications illustrées, il
n’est pas une revue d’artiste, elle n’a rien à voir non plus avec une publication-
objet. La revue, tirée en de nombreux exemplaires (7000), n’a pas vocation à être un
objet rare et précieux, ni à entrer sur le marché de l’art. Toutes les réalisations des
artistes sont faites dans le respect des moyens de production d’une revue habituelle
et s’adresse au public traditionnel de la revue. La seule exception concerne l’œuvre
de Carles Santos et Marielena Roque, dans le numéro 3 ( mars-avril-mai 1986), qui
sort des moyens de production habituels de la revue, puisqu’un disque est fourni
avec le numéro, intégré à leur contribution.30 Néanmoins, tous les acheteurs de la
revue ont accès à ce disque, et ce sans payer de surplus (45 francs à l’époque).
L’adjonction de ce disque est ici un prolongement de l’œuvre et non pas un
accessoire publicitaire, ni un multiple vendu en plus de la revue, comme moyen
d’apport financier supplémentaire à la revue. Ártics n’a pas non plus recours aux 29 Ártics, n°1, septembre, octobre, novembre 1985, p.6 : « a cavall de les revistes-manifest i de les revistes de quiosc ». 30 Cf. Volume iconographique p. 12.
33
tirages de têtes de certaines réalisations d’artistes, contrairement à bon nombre de
revues qui travaillent avec les artistes et qui continuent à mettre en place ce
système, s’inscrivant dans une longue tradition. Ces revues en retirent là aussi un
financement de plus pour leur publication. Les tirages de têtes réintroduisent la
vieille définition de l’œuvre d’art, qui, faute d’être unique et réalisée par la main de
l’artiste, existent en tirage limité, chaque exemplaire étant numéroté et signé.
Susan Tallman se montre intransigeante à ce sujet lorsqu’elle écrit à peu près ces
mots en 2001, pour le catalogue d’exposition sur la revue Parkett au Museum of
Modern Art de New York : « L’adéquation sincère avec la production de masse ne
relève [plus] ni de l’idéologie, ni d’un effort particulier, alors que la fétichisation de
la main de l’artiste n’est non pas joliment naïve, mais une échappatoire,
malhonnête, et stupide. 31» Une époque est bien révolue, mais certains n’ont pas pris
ou ne souhaitent pas prendre toute la mesure des changements internes au monde de
la création artistique. Nous évoquions précédemment l’exemple de Passe où Daniel
Buren est intervenu. Le caractère périodique de la publication et la participation
d’artistes à la publication sont les seuls traits qui unissent cette revue à Ártics. En
effet, ces deux publications relèvent d’une dynamique très différente. Passe reste
ancrée dans la tradition des éditions de tête, luxueuses, numérotées et signées, donc
réservée à un public restreint, alors qu'Ártics n'a "pas peur de la socialisation de la
connaissance" et de l'art, pour citer Vicenç Altaió32. Il explique d'ailleurs que c'est
pour cette raison même que la revue revêt un aspect industriel et qu'elle joue à
imiter les magazines d'art grand public et commerciaux.
31 Parkett, Collaborations & Editions since 1984, (cat. expo.), Zurich - New York, Parkett Publisher, 2001, p. 36-37 :« the wholeherated embrace of mass-production requires neither ideology nor effort, while fetishizing the artist’s hand is not cutely naive, but escapist, dishonest and stupid. » 32 Entretien avec Vicenç Altaió, en date du 23 mars 2010.
34
Une nouvelle réception de l’œuvre d’art
La création d’œuvres n’existant que pour et par la revue, dont la
reproductibilité est l’une des caractéristiques principales, participe à l’évolution et à
l’élargissement déjà bien entamés des frontières de l’œuvre d’art. Ce
« nouveau » régime de l’art implique aussi un nouveau rapport avec l’œuvre d’art.
En tant qu'objet reproductible par essence, les contributions d'artistes dans les
périodiques permettent une réception différente en instaurant un rapport particulier
du public avec l'oeuvre.
Les années 1960 ont notamment été marquées par l'utopie d'un art entièrement
changé par les possibilités de la reproduction mécanisée: un art dont la valeur ne
serait plus indexée sur sa rareté, échoué de son piédestal et accessible à tous à
moindre coût. Nous sommes aujourd'hui revenus de cette utopie de "démocratisation"
de l'art. Cependant, en partant du principe que les contributions artistiques dans les
publications sont des oeuvres d'art à part entière, celles-ci semblent au moins
pouvoir proposer une alternative au parcours traditionnel de l'objet d'art, allant de
l'atelier de l'artiste au musée ou bien à la collection privée.
Tout d'abord sa reproductibilité intrinsèque permet à l'oeuvre d'exister à plusieurs
endroits, au même moment, et qui plus est, dans nos intérieurs privés.
Contrairement aux multiples, limités, et aux publications d'artistes qui circulent
souvent en réseaux restreints de connaisseurs, le tirage important des périodiques
multiplie leur mobilité. Achetés par des milliers de personnes, ils peuvent alors se
répandre aux quatre coins du monde, dans nos maisons, appartements, bibliothèques
- voire dans nos poubelles - et les oeuvres artistiques qu'ils contiennent avec. Ces
dernières ne sont plus destinées aux lieux institutionnels de l'art ou bien à une
collection privée en particulier. En fait, chaque lecteur peut constituer sa propre
collection qu'il enrichit à chaque fois qu'il "acquiert" une publication avec une
35
contribution d'artiste. Qui le veut peut créer sa propre collection. On passe alors de
la salle de musée à l'appartement. L'équipe fondatrice de Parkett, parle d'ailleurs
d'un "Musée en appartement". La limite entre le monde de l'art représenté par les
galeries, musées et autres centres d'art, et le quotidien de chacun s'efface peu à
peu, même si le modèle de l’institution muséale reste un modèle à suivre et que l’on
transpose chez soi.
On passe aussi de la foule des salles d'exposition, réunie autour d'une seule oeuvre, à
la solitude d'un seul ou de quelques-uns, dans l'intimité d'un salon, d'un bureau, d'une
bibliothèque. L'"ici et maintenant" qui caractérise la réception d'une oeuvre par un
spectateur est démultiplié, ce qui permet à plusieurs personnes de « profiter » de
l'œuvre, seules et au même moment que d'autres. Plutôt que d’une démocratisation
de l’art, on peut parler ici d'une diffusion plus démocratique de l'art. L’effectivité de
cette dernière est plus grande encore lorsque le périodique fait partie de la
collection d'une bibliothèque publique : il peut alors être emprunté par un nombre
potentiellement infini de personnes.
Ces nouveaux lieux de réception de l'art laissent la place à l'installation d'une
certaine sensation de proximité avec l'oeuvre, d'autant plus que le format de la
publication permet la plupart du temps de transporter l'oeuvre avec soi à tout
moment. Ce lien étroit est accentué par le contact physique que le lecteur a
forcément avec un ouvrage. Nous avons évoqué précédemment l'action nécessaire du
lecteur sur la publication dont il doit tourner les pages pour en prendre
connaissance. La mise en rapport avec l'oeuvre est directe, sans intermédiaire et
volontaire. Non seulement nous pouvons, mais nous devons toucher le périodique et
par la même, l'oeuvre, pour y avoir accès.
Cette proximité dans le rapport tactile fait écho à l'intimité sous-entendue entre
artistes et membres de la rédaction. En effet, la plupart des fondateurs de
périodiques qui accueillent les artistes, revendique une relation étroite avec ceux-ci.
36
Reprenons les exemples d'Ártics ou de Parkett: toutes deux évoquent une ambiance
amicale, voire familiale dans la création des numéros. Les contributions qui résultent
ne peuvent alors qu'être "authentiques". La valeur marchande est remplacée par une
valeur symbolique.
Le lecteur a le privilège d'avoir un accès direct à ces productions de premier ordre et
même de les posséder. La désacralisation que nous mentionnions plus haut pourrait
donc être, paradoxalement, synonyme de fétichisme. Néanmoins, la possession est
ici vidée de toute notion d’exclusivité (je ne suis pas le seul à posséder ces
publications) et parfois aussi de sa permanence, ou tout du moins de sa durée
indéterminée, dans le cas d'un périodique emprunté dans une collection publique.
Les contributions d’artistes instaurent un rapport à l’œuvre à la fois intime,
personnel et généreux. Tous les lecteurs ont accès à la sphère de l'art contemporain
souvent élitiste, grâce à la symbiose du monde de l'art et du monde quotidien opérée
au sein de la publication périodique. À condition cependant que le lecteur ait bien
conscience d'avoir entre les mains une oeuvre d'art. Concernant la valeur, le statut
d’une œuvre, sa réception est en effet tout aussi déterminante que les redéfinitions
esthétiques menées par les artistes.
Nous avons jusqu’ici porté notre attention sur la revue utilisée comme
médium artistique et sur les enjeux esthétiques de cette pratique. Il ne faut
cependant pas perdre de vue que toute publication périodique à pour vocation
d’intégrer notre quotidien. Les revues, magazines, journaux sont avant tout des
moyens de communication. Ils sont donc en prise directe avec les réalités
économiques, sociales, politiques de nos sociétés. Toute publication, et tout
particulièrement périodique, dont la subsistance est remise en question à la sortie de
chaque nouveau numéro, doit à la fois pouvoir réaliser ses fonctions premières
37
d’information, de diffusion d’une connaissance, et culturelles, et intégrer des
critères économiques indispensables pour sa survie. Elles doivent assumer cette
duplicité et se situer avec équilibre entre les deux extrêmes du tout culturel et du
tout commercial.
En tant que marchandise, la publication périodique est donc partie prenante du
système capitaliste. En tant que média, elle participe pleinement à l’évolution de la
société où les moyens de communication de masse sont toujours plus importants.
Lorsque les artistes choisissent de travailler au sein d’un magazine, d’un journal ou
de n’importe quel autre périodique, ils sont bien conscients que les enjeux de leur
production dépassent largement le domaine de l’art. Et c’est précisément pour cette
raison qu’ils y insèrent leurs productions.
Nous allons à présent nous intéresser à ces caractéristiques essentielles du
périodique, moyen de communication de masse, et allons étudier plus précisément
son utilisation comme outil médiatique par les artistes.
38
CHAPITRE 2 : LE PERIODIQUE COMME OUTIL MEDIATIQUE :
ESPACE DE DIFFUSION ET DE CRITIQUE
L’histoire des sociétés occidentales contemporaines est marquée par l’essor
prodigieux des moyens de communication. L’émergence d’un nouveau réseau de
communication technique – du télégraphe à la fin du XVIIIe siècle jusqu’à Internet
aujourd’hui - repousse à chaque fois un peu plus à la fois les frontières physiques et
mentales qui fragmentent et cloisonnent le monde. Particulièrement depuis les
années 1950, on assiste à un formidable accroissement des moyens de communiquer,
grâce aux technologies électroniques et informatiques, à tel point que la société se
transforme rapidement en « société de l’information ».
La communication et ses moyens techniques deviennent dès lors des éléments
essentiels de notre vie et scandent notre quotidien. Armand Mattelart remarque
même qu’ « elle [la communication] est devenue dans les années quatre-vingt, “le”
progrès »33. Il explique que celle-ci n’est plus une activité comme une autre mais
qu’elle devient la base sur laquelle la nouvelle société repose et toutes ses
espérances. Depuis le milieu du XXe siècle (et notamment l’ouvrage de 1948
Cybernetics or Control and Communication in the Man and Machine de Norbert
Wiener), les penseurs de la communication s’accordent à dire que les médias ont un
rôle structurant. Le politologue Zbigniew Brzezinski (1928) qui s’est intéressé à ce
sujet parle même, en 1969, d’une société technétronique qui succède à la société
industrielle qui elle-même faisait suite à la société agricole. La société
33 Armand Mattelart. La communication-monde, histoire des idées et des stratégies (Paris : Editions la Découverte) 1992, p.7.
39
technétronique désignant pour lui une société influencée sur les plans culturel,
psychologique et socio-économique par la technologie et l’électronique, tout
particulièrement dans le domaine des ordinateurs et de la communication.
Au pouvoir structurant des moyens de communication de masse s’ajoute leur
capacité à repousser l’espace et le temps et à réduire le monde à un espace
globalisé dont toutes les parties sont potentiellement interconnectées, sans plus
aucun « dehors ». L’accroissement du pouvoir des médias de masse à partir des
années 1950 s’accompagne logiquement de l’explosion de la culture de masse qui
touche désormais toutes les classes sociales et participe ainsi à la formation d’un
imaginaire collectif.
Face à la radio, à la télévision, à Internet, la presse n’est pas en reste et profite
aussi des évolutions techniques qui permettent par exemple des tirages à plusieurs
milliers d’exemplaires pour un coût qui a nettement baissé. C’est d’ailleurs la
presse qui dès la première moitié du XIXe siècle véhicule les premiers genres de la
culture de masse comme divertissement, et ce phénomène ne fera que s’amplifier.
Dans une société où les médias de masse sont désormais au centre de nos
vies, il n’est pas étonnant que certains artistes se les soient accaparés en ayant
recours aux supports de communication dominants que sont tout particulièrement les
espaces publicitaires : panneaux lumineux, affichages extérieurs, spots télévisuels,
encarts dans la presse. Les intentions des artistes sont diverses. Les façons d’utiliser
les médias vont d’un extrême à l’autre, de la même façon que le débat à leur sujet
s’est longtemps polarisé entre « les intellectuels apocalyptiques » et les
« intellectuels intégrés »34. Ainsi certains artistes peuvent simplement vouloir
profiter des capacités de diffusion démultipliées des médias de masse -ce qui ne veut
pas dire qu’ils n’ont aucune conscience des travers du « tout médiatique »- alors
que d’autres s’attacheront à critiquer leur omniprésence et leur pouvoir. Ces
34 Ibidem., p.299-300.
40
derniers sont souvent des artistes ouvertement engagés et dont les convictions
sociopolitiques constituent le cœur même de leur pratique artistique.
Pour autant, il ne faut pas négliger les postures plus nuancées ou ambivalentes. Il
existe beaucoup de cas intermédiaires et les intentions des artistes sont souvent
plurielles. C’est par exemple le cas de ceux qui allaient se regrouper un moment
sous le label d’art sociologique au début des années 1970, ou encore plus tard des
artistes qualifiés de simulationnistes, comme nous allons à présent le voir.
Nous porterons ici notre intérêt sur les inserts de Fred Forest à la fin des
années 1970 et d’Ernest T au début des années 1980 dans la grande presse, sur les
contributions d’artistes dans Libération, également au début des années 1980, et
enfin sur les publicités que Jeff Koons réalise en 1988 dans divers magazines d’art.
Ces exemples nous permettrons d’aborder les diverses façons dont les acteurs et les
artistes ont pu envisager la contribution artistique dans la presse.
Fred Forest, Ernest T : l’insertion critique et « sauvage » de l’espace
publicitaire
Dans le contexte de la fin des années 1960, marquées par des mouvements
sociaux d’envergure et une politisation croissante, notamment des jeunes
générations, beaucoup d’artistes expriment leur conscience politique au sein même
de leur art. L’importance grandissante des médias et de leur impact sur la vie des
individus est aussi une préoccupation à l’époque. De nombreux auteurs publient à ce
sujet et leurs textes influencent nécessairement les artistes de l’époque. Cet intérêt
pour les médias de masse ne cessera de s’intensifier, et d’inspirer nombres
d’artistes, particulièrement à partir des années 1980. Cette décennie sera en effet
41
l’époque de l’individualisme assumé et du culte de l’apparence, marquée par
l’ « omniprésence des médias, nouveaux monstres tutélaires et carnivores, qui
favorisent à bon compte l’émotion et le spectaculaire en un jeu cathodique où
l’ivresse de l’image supplante le contenu de l’information » pour reprendre les mots
d’Anne Bony35.
Dès les années 1970, intellectuels et artistes sont marqués par les thèses de
l’universitaire Canadien Marshall MacLuhan, qui fut l’un des premiers à étudier les
médias de masse. Il attribue à ces derniers un rôle structurant, voire déterminant,
allant jusqu’à dire que le médium détermine et prend le pas sur le contenu :
« medium is message » (le médium est le message). Cette citation aujourd’hui
galvaudée fait partie des nombreux concepts comme « le village planétaire » ou
encore « la galaxie Gutenberg » que MacLuhan développe dans son œuvre
(notamment dans Understanding Media: The Extensions of Man, publié en 1964 pour
la première fois ou encore The Medium is the Massage de 1967). La pensée de Guy
Debord, écrivain, essayiste, cinéaste français, a aussi profondément marqué les
esprits et connaît un fort retentissement après les événements de mai 68. Il publie
en 1967 La société du spectacle où il formule une critique radicale de la fétichisation
de la marchandise et de l’aliénation de l’individu dans ce qu’il nomme « la société
du spectacle », stade achevé du capitalisme. Ici encore, les médias de masse jouent
un rôle primordial puisque c’est précisément sur eux que repose cette société du
spectacle. Le spectacle prend la forme de la publicité, de l’information ou de la
propagande, qui sont véhiculés par les médias de masse. Il n’est devenu rien de
moins qu’un rapport entre les personnes, déréalisant notre relation au monde et aux
choses. « La société toute entière s’exprime dans le spectacle » explique Guy
Debord. Il est « sa principale production »36. L’individu devenu spectateur passif n’a
plus de prise sur sa vie, il n’existe que dans l’aliénation aux objets qu’il contemple.
35 Anne Bony. Les années 1980, Paris, Editions du regard, 1995, p.9. 36 Guy Debord. La société du spectacle, Paris, Gallimard, 1992.
42
La planète est devenue un marché mondial.
Le monde de l’art n’échappe pas à la règle et beaucoup considèrent
désormais les œuvres comme de simples marchandises parmi d’autres. Dans ce
contexte, plusieurs artistes se sont attachés à dénoncer ce culte de l’objet et
l’absurdité de la spéculation marchande dans la société capitaliste. Fred Forest
(1933, Algérie) fait partie de ceux-là. L’artiste au parcours atypique est le co-
fondateur de deux mouvements artistiques, L'Art sociologique puis l'Esthétique de la
communication (1983). Il crée le premier mouvement en octobre 1974, avec Jean-
Paul Thénot et Hervé Fischer. Le groupe se sépare quelques années après, en 1980.
Le collectif s’attache alors à détourner les modes de communication et de diffusion
de l’information, dont la presse, en employant certaines méthodes de la sociologie
comme l’enquête ou le documentaire. Leur but est de questionner les rapports entre
art et société mais aussi de révéler le rôle des médias et d’inciter le spectateur à se
les approprier.37 C’est logiquement que les membres du groupe interviennent à
plusieurs reprises dans des journaux quotidiens, dans le cadre du collectif ou non. Ils
créent aussi bien sur le mode de la perturbation - Fred Forest publie par exemple
l’encadré « 150cm2 de papier journal » dans Le Monde du 12 janvier 1972, page 13 -
qu’après avoir été invité par la publication, comme ce fut le cas de Hervé Fischer qui
réalisa un projet participatif sous la forme d’un questionnaire dans le quotidien
québécois La Presse, du 20 février au 15 mai 1982.
Nous allons plus particulièrement nous intéresser à la série d’inserts que Fred
Forest publie de mars à octobre 1977, dans le cadre de son projet « Le mètre carré
artistique », à la place d’encarts publicitaires dans plusieurs grands quotidiens
nationaux : Le Monde (Paris), Newsweek (New York) ou encore Frankfurter
Allgemeine Zeitung (Francfort). Le 10 mars 1977, l’artiste réalise dans le journal Le
37 Le collectif publie une série de manifestes de l’art sociologique, dans le quotidien Le Monde. Le premier date du 10 octobre 1974, p. 21, et est publié dans la rubrique « Monde des arts » du quotidien. Cf. Volume iconographique p.13.
43
Monde une publicité (encadré prenant un tiers de la page 13 du journal) avec pour
titre « Placez vos capitaux à deux pas de la frontière suisse »38. Rien ne distingue a
priori cette annonce d’une publicité traditionnelle proposant un investissement
financier, si ce n’est le caractère inhabituel de ce qui est mis en vente : des mètres
carrés artistiques. Fred Forest explique dans le texte de cette publicité que la
« Société civile immobilière du mètre carré artistique Fred Forest » s’est spécialisée
dans la vente de mètres carrés artistiques. Il précise alors que « le mètre carré
artistique est un mètre carré de terrain dont le statut artistique a été déterminé par
Fred Forest » et qu’il « présente pour le spéculateur avisé l’avantage d’un placement
double à haut rendement » puisqu’il est à la fois un investissement dans les domaines
de l’immobilier et de l’art. L’artiste a suivi scrupuleusement toutes les phases
nécessaires afin de pouvoir mener à terme ce projet. Tout d’abord, il a
effectivement monté une société civile immobilière selon les formes légales et
devant un notaire. Ensuite, il a acheté à la frontière suisse un terrain de 5 mètres sur
4 mètres, qu’un géomètre expert a divisé en vingt parcelles chacune baptisée
« mètre carré artistique » et inscrites au cadastre. Enfin, il programme une première
vente des « mètres carrés artistiques » aux enchères publiques du 21 mars 1977 à
l’Espace Cardin, où des tableaux de maîtres contemporains seront également
présentés sous le marteau de Maître Jean-Claude Binoche. La publicité sortie dans Le
Monde en date du 10 mars 1977, sert donc, comme n’importe quelle autre, à faire
connaître l’existence sur le marché d’un produit et à promouvoir sa vente. Mais la
lecture du texte permet rapidement de déceler le caractère ironique et critique de
ce projet. Il reprend à son compte le langage du commerce immobilier et c’est ce
mimétisme cynique, non seulement dans la forme mais aussi dans le contenu textuel
de l’insert qui rend cette opération plus explicitement artistique. Adoptant un ton
décomplexé pour vanter les mérites de cet achat, Fred Forest révèle l’absurdité et
38 Fred Forest, « Placez vos capitaux à deux pas de la frontière suisse », Le Monde, 10 mars 1977, p. 13. Cf. Volume iconographique p. 14.
44
les extrémités auxquelles en arrivent certains financiers avides de gain. Il fait
ouvertement référence au tourbillon spéculatif dans lequel certains s’engouffrent :
« Nos conseils vous seront utiles pour donner libre cours en toute sécurité à vos
instincts spéculatifs les plus délirants ». Un peu plus loin, il pointe du doigt
l’asservissement du domaine de l’art aux lois du marché : « nos bureaux de vente
[…] peuvent sur votre demande se mettre à la recherche du mètre carré artistique
qui correspond le mieux à vos besoins » et « nous établissons un plan de financement
en parfaite concordance avec vos options esthétiques ». Il conclut de façon
éminemment sarcastique sur l’utilisation de l’œuvre d’art comme faire-valoir dans
une société de classe : « Le mètre carré artistique : un investissement de standing
qui consacre à la fois votre classe et le triomphe de la culture ». Dans un autre
insert publicitaire qui paraît dans Le Monde du 20 septembre 1977, Fred Forest écrit
noir sur blanc que le mètre carré artistique n’est rien d’autre qu’une « marchandise
ARTISTICO-IMMOBILIERE »39
Avec le « mètre carré artistique », Fred Forest met en parallèle de façon parodique
et directe la spéculation immobilière et la spéculation du marché de l’art, tout aussi
démesurées, irrationnelles et frénétiques l’une que l’autre. Il ne fait que dire
ouvertement, sur la place publique, ce qui a cours habituellement dans des sphères
plus privées.
Par cet insert Fred Forest dévoile en même temps l’implication des médias en tant
que vitrine de produits à vendre dans le système capitaliste. La tentation publicitaire
n’épargne pas les médias, souvent, elle est d’ailleurs une condition de leur
existence. C’est la publicité, dans un journal national, qui permet la promotion des
marchandises sur lesquelles on pourra ensuite spéculer. Il démontre de façon
concrète que les médias, grâce à leur pouvoir de diffusion, sont le premier support
du capitalisme. À la manière d’un Dan Graham, Fred Forest révèle également que la
39 Fred Forest. « Spéculation m2 artistique », Le Monde, 20 septembre 1977, p. 46. Cf. Volume iconographique p. 15.
45
presse véhicule des contenus en tout genres, sans distinction : information partiale
ou non, publicité, art et autres y trouvent tour à tour leur place indifféremment, de
la même façon que l’investissement décomplexé dans l’art, mis au même niveau
qu’un investissement dans l’immobilier, ne semble plus choquer personne. Le
capitalisme uniformise la valeur des choses qui n’ont d’intérêt que si elles peuvent
être exposées, distribuées, mises en vente, achetées. Les médias jouent donc un rôle
essentiel dans ce système puisqu’ils en sont la vitrine. D’ailleurs, lorsque Fred Forest
est convoqué au service de la répression des fraudes du Ministère de l’Intérieur suite
à la publication de l’encart, ce n’est pas pour avoir incité à la spéculation (puisque
c’est monnaie courante) mais pour le caractère apparemment non artistique des
fameux « mètres carrés artistiques » et donc le trait mensonger de sa publicité.
Notons que Fred Forest profite de cette convocation pour jouer un peu plus encore le
jeu des médias en envoyant un communiqué relatant l’événement aux agences de
presse. Celles-ci s’empressent de relayer l’information par le biais de nombreux
articles, particulièrement dans des journaux économiques, assurant cette fois-ci
d’elles-mêmes la publicité des « mètres carrés artistiques ».
Un nouveau rebondissement relance l’affaire lorsque la vente des « mètres carrées
artistiques » prévue le 22 mars est interdite par la Chambre de Discipline des
Commissaires-priseurs. L’artiste choisi donc de leur substituer le « mètre carré non
artistique », un simple morceau de tissu blanc, d’un mètre sur un mètre. Acheté 59
francs à l‘époque, il est acquis par un collectionneur au prix de 6500 francs,
défrayant la chronique dans tous les médias, écrits et audiovisuels. Ici, l’artiste
réussit à exposer aux yeux de tous, grâce à un cas concret, les mécanismes de la
spéculation à l’œuvre dans le marché de l’art. L’interdiction de la vente du 22 mars
n’empêcha pas l’artiste de continuer son projet et de programmer une nouvelle
vente le 26 octobre 1977. Il multiplie les inserts, toujours emprunts de sarcasme, sur
le même modèle que le premier réalisé dans Le Monde. Il publie ainsi «Spéculation M
46
artistique » dans Frankfurt Allgeime Zeitung le 19 septembre 1977, le lendemain
dans Le Monde et dans Newsweek.
L’utilisation de la presse est ici fondamentale puisque c’est la médiatisation
qui fait exister et donne leur valeur aux « mètres carrés artistiques ». Son pouvoir
est démontré clairement, à la fois en tant que pilier du système capitaliste et de la
« société du spectacle », mais aussi en tant que moyen de diffusion extrêmement
efficace. Le retentissement de cette affaire en est la preuve. L’acte artistique essaie
de se placer hors du strict domaine de l‘art pour envahir les sphères de l’économie,
de la politique et le quotidien de chacun. En faisant le choix de travailler dans un
périodique, qui plus est dans un journal quotidien, les artistes sortent d’une posture
retranchée, pratiquant leur art dans le cadre rassurant de l’atelier, pour œuvrer au
cœur de la société et renouer avec des questions sociétales, surtout depuis la fin des
1960 où, nous l’avons mentionné plus haut, l’engagement politique se fait plus fort.
Enfin c’est aussi la médiatisation du « mètre carré artistique » qui a inscrit celui-ci
dans l’histoire de l’art, plus que l’action de tel ou tel critique, théoricien, ou
historien de l’art.
Fred Forest formule ici un appel à une distanciation critique vis-à-vis des
médias et du monde de l’art. Un autre artiste, le Belge Ernest T (1943) dénonce
également les disfonctionnements du monde de l’art contemporain, avec ses
peintures nulles, ses dessins humoristiques, des slogans caustiques... et des
interventions dans des publications périodiques. Contrairement à Fred Forest, il
travaille dans le cadre de revues d’art contemporain - dans l’édition française de
Flash Art en 1983, dans Public de Philippe Cazal en 1984, dans le périodique
américain Journal en 1987 ou encore en 1990 dans la revue du Ministère de la
Culture et de l’Union des artistes de Russie (URSS à l’époque)40. Il s’attache donc
plus précisément à critiquer le fonctionnement du monde de l’art, choisissant les
40 Cf. Volume iconographique p.16-17.
47
lieux qu’il occupe en fonction du propos qu’il souhaite développer. Il insère lui aussi
son travail dans les espaces publicitaires et sous la forme de textes. Cependant,
contrairement à l’intervention de Fred Forest que nous avons abordée, il n’utilise pas
cet espace au premier degré, c’est-à-dire pour promouvoir un événement
quelconque mais il y expose un point de vue, sous la forme de courts textes au ton
affirmatif. Dans les quatre travaux au sein des périodiques susmentionnés, qui
s’échelonnent sur plusieurs années, l’artiste développe une critique du
fonctionnement du monde de l’art et de la place de l’artiste au sein de ce système
dans les années 1980. Il réalise ces inserts au moment où l’économie du marché de
l’art amplifie le phénomène de starification des acteurs du monde de l’art (artistes,
critiques, collectionneurs posent régulièrement dans divers magazines, véhiculant un
nouveau modèle de vie) et lorsque l’objet d’art se fait marchandise sans aucun
complexe. Ainsi, Ernest T. fait référence au carriérisme de certains artistes en quête
de gloire, même éphémère, et qui pour cela se soumettent aux lois des institutions
culturelles dont font parties les revues d’art en tant que lieu de promotion des
artistes. Les revues d’art restent à l’époque (et encore aujourd’hui avec Internet) le
média principal dans le champ de l’art délaissé par la télévision et la radio. « Le
véritable artiste est un stratège capable, en toute occasion, d’occuper le terrain (la
page) sans ostentation mais efficacement » afin de « se maintenir dans le milieu de
l’Art en attendant d’y prospérer et, pourquoi pas d’y être reconnu. » dit-il dans
Public. C’est donc précisément ce que fait Ernest T. ici, sans omettre d’apposer sa
signature en grosses lettres. Mais en exprimant ouvertement cette intention, il prend
ses distances avec ce qu’il énonce, tout comme l’a fait Fred Forest avec la vente des
« mètres carrés artistiques ». En plus de pointer du doigt les artistes qui se
contentent de produire des œuvres en vue de voir leurs noms inscrits dans tel ou tel
magazine, il s’attaque plus particulièrement aux peintres dans Journal et Iskusstvo.
Nous l’avons mentionné, la peinture connaît un « boom » au cours des années 1980 :
48
celle-ci se vend aisément et peut donc faire l’objet d’un investissement facile (de la
part de collectionneurs privés comme d’institutions publiques), après la vague
conceptuelle. Dans les pages de magazines et de revues inscrites dans ce système de
promotion Ernest T. inscrit noir sur blanc les motivations inavouées de ce retour de
la peinture : l’appât financier, la postérité pour l’artiste. Ainsi, il écrit dans Iskusstvo
que « dans une époque où on ne parle que d’argent, la peinture peut n’avoir d’autre
fonction que d’être à vendre, admettant volontiers qu’une telle motivation est très
courante en art quoique rarement formulée ». Au même moment, l’artiste
s’intéresse à la presse, cette fois-ci comme un matériau dans lequel il puise, avec
d’autres artistes complices, pour créer sa propre revue d’artiste : Cloaca Maxima
(1985-1988)41. La revue est réalisée à partir de coupures de presse de toute époque
confondues, collectées et réorganisées, à la manière d’un collage qui révèle souvent
l’absurdité ou la redondance des propos tenus dans les diverses sources. Comme le
remarque Marie Boivent, le titre de la revue fait référence, sans équivoque possible
aux égouts de la Rome antique. Ce titre laisse donc sous-entendre que la revue
condense les détritus de la presse qui ne méritent pas mieux que de se retrouver
dans les égouts, permettant par la même « d’assainir le terrain »42. À travers diverses
utilisations de la presse, l’artiste s’est attaché à plusieurs reprises à exposer les
travers de cette dernière en tant que moyen de diffusion et de promotion aveugle.
Ces exemples montrent que dans cette « société du spectacle », l’artiste
réussit tout de même à ménager « des espaces de conscientisation »43 nécessaires.
Mais c’est seulement en utilisant les us et coutumes de cette société que l’artiste
semble pouvoir intervenir sur celle-ci. Pour reprendre les mots du Hou Hanru, il
semble que ce soit « l’absence d’un “dehors” pour cette société de spectacle à
l’époque de la globalisation » qui justifie cette tactique de l’insertion, et l’utilisation 41 Cf. Volume iconographique p.18. 42 Marie Boivent, « Cloaca Maxima », in Revues d’artistes. Une sélection, Rennes - Fougères, co-éditions Arcade, Editions Provisoires, Lendroit galerie, 2008, p.153. 43 David Perreau, « avant propos », in In media res. Information, contre information, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2003, p.11.
49
de ce que l’artiste critique justement : les médias de masse. Malgré cet état de fait,
« il existe toujours des espaces nécessaires pour développer des idées critiques et
traiter de façon subversive cette condition d’absence de dehors. C’est ici, à ces
points de jonction de l’engagement, que le domaine de l’art contemporain et de la
culture peut affirmer son rôle social de force critique et permettre à l’imagination
de faire des propositions pour un monde meilleur »44. Dans la « société de
spectacle » déréalisée, qui ne s’exprime que dans et par les médias de masse et sur
laquelle l’artiste à plus difficilement prise, le seul moyen pour lui d’exprimer une
opinion divergente et d’interpeller les individus, est de passer par ces mêmes médias
en s’y infiltrant et en formulant une critique de l’intérieur, souvent par le biais du
mimétisme.
Se pose alors la question des moyens et des conditions de l’infiltration. En
achetant un espace publicitaire, l’artiste s’offre en même temps un peu de liberté
au sein de la publication, réussissant à se créer son propre espace alternatif au sein
d’une publication qui ne l’est en rien. Dans un de ses textes sur la pratique de
l’insert45, Marie Boivent, cite Michel Saint-Onge : « le trait caractéristique du « signe
sauvage » […], c’est de faire intrusion, sans affiche ni enseigne, sans “mode
d’emploi” : sa seule apparition perturbe localement et temporairement l’économie
fonctionnelle des signes et des objets de l’espace urbain »46. Cette référence à l’art
urbain pourrait en partie s’appliquer à l’insert, avec lequel il partage des points
communs. L’artiste intervient sans mentionner de façon explicite qu’il s’agit là d’un
geste artistique (seuls les lecteurs avertis comprendrons tout de suite à quoi ils ont
affaire) et vient perturber le fonctionnement de la publication en investissant un
44 Hou Hanru, « Le spectacle du quotidien », in Xème biennale d’art contemporain de Lyon - Le spectacle du quotidien, (cat. expo.), Dijon, Les Presses du réel, 2009, p 17. 45 Marie Boivent. « La pratique de l’insert : Quand l’espace publicitaire devient lieu de publication » in Marion Hohlfeldt et Pascale Borrel. Parasite(s), une stratégie de création, Paris, L’Harmattan, 2010, p.30. 46 Michel Saint-onge, « Du signe Sauvage, notes sur l’intervention urbaine », in Inter art actuel, n°59, 1994, p. 32.
50
espace qui ne lui est a priori pas destiné (puisqu’ il n’intervient pas dans la rubrique
culturelle ou artistique de la publication mais dans un espace publicitaire).
Certes l’artiste vient troubler l’organisation habituelle de la publication, mais il ne le
fait pas sans autorisation, contrairement à ce que son intervention parfois
sévèrement critique envers les médias pourrait laisser croire. La publication n’est
pas dupe des motivations qui précèdent l’œuvre de l’artiste. Toute rédaction
contrôle ce qui est publié au sein de ses pages, y compris dans les espaces
publicitaires ou de petites annonces que les artistes « infiltrent ». Simplement, dans
le cas de l’utilisation d’un espace publicitaire par un artiste, elle sera sans doute
plus indulgente et permissive, étant donné qu’elle héberge ces « publicités »
moyennant rémunération, et que leur contenu ne fait pas directement partie de la
ligne éditoriale – bien que les publicités révèlent aussi le réseau dans lequel les
publications sont insérées et les éventuels partis pris éditoriaux qui en résultent47.
Même si l’artiste revendique parfois une tactique d’insertion « sauvage » dans les
médias, nous nous devons de nuancer cette idée. Les médias parfois complices
acceptent leur présence, ou tout du moins la tolèrent. Au lieu de leur causer du tort,
cette dernière peut parfois même leur être bénéfique, en leur donnant l’image de
publications ouvertes, moderne et en les différenciant de leurs pairs. Si l’insert à
titre onéreux peut être « efficace » ce n’est donc pas en se donnant pour but de
faire vaciller la publication qui les accueille mais plutôt de sensibiliser ses lecteurs
au fonctionnement des médias, de les mettre face à leur conditionnement et donc de
les inciter à porter eux aussi un regard contestataire sur ces médias et à se les
réapproprier, puisque l’artiste a pu le faire. Ainsi, Fred Forest proposa à chaque
lecteur d’arTitudes, revue d’art, de « faire [sa] propre info » en leur laissant carte
blanche pour écrire dans la rubrique « spAce média ». De façon extrême, il invite le 47 À ce sujet nous pouvons penser à Ártics, dont nous avons parlé dans notre premier chapitre, forcés de constater que ce sont des publicités pour Parkett, Public, 4 Taxis, A.E.I.U.O ou encore Metrónom (périodique qui collaborent tous étroitement avec des artistes) qui ont eu le privilège d’être insérées au cœur de la revue et souvent en double page.
51
lecteur du Monde à délaisser le journal en lui proposant d’y découper un trou,
fenêtre par laquelle il pourra alors scruter la vie réelle, au lieu de la regarder par le
filtre biaisant des médias.
Nous allons à présent voir que certains acteurs des publications ont
rapidement vu l’intérêt de travailler de concert avec les artistes. Des périodiques
comme Libération, Le Monde (ceux-là mêmes qui sont les cibles d’insertions
sauvages des artistes) ne se contenteront pas simplement d’être les récepteurs
passifs des travaux artistiques. Ils vont eux-mêmes solliciter les artistes pour qu’ils
créent dans le corps de la publication. Les artistes répondant à ces commandes
peuvent alors être qualifiés d’artistes « intégrés », pour reprendre le terme
d’Armand Mattelart utilisé plus haut au sujet des théoriciens des médias.
Libération au début des années 1980, espace de diffusion et de
promotion de pratiques artistiques
Depuis la reprise de sa parution en 1981 sous une nouvelle forme, Libération -
alors dirigé par Serge July et avec Jean-Marcel Bouguereau à la tête de sa rédaction -
à l’habitude d’ouvrir ses colonnes à quelques artistes, le temps d’une journée ou
plus. Le journal, qui rivalise désormais avec Le Monde et Le Figaro, se veut sérieux
mais aussi branché et parfois décalé. C’est dans cette nouvelle dynamique que la
rédaction invite certains artistes à créer au sein du quotidien. Déjà dans la première
version de Libération, le journal accueillait en 1977 le collectif Bazooka, invité par
Serge July. Composé des quatre graphistes Kiki Picasso, Loulou Picasso le daltonien,
Olivia Clavel alias Electrique Clito et Lulu Larsen, ensuite rejoints par Philippe Bailly
dit T5 Dur, le groupe intervient directement sur la maquette du journal une fois que
52
celle-ci est terminée par l’équipe habituelle, juste avant que l’impression ne soit
lancée. De façon beaucoup moins subversive, loin de l’esprit des débuts d’un
Libération encore empreint de la contre-culture, mais toujours dans l’idée d’avoir un
rôle de passeur, Serge July a continué d’ouvrir les pages du journal aux artistes.
Certains comme, Daniel Buren le 5 juillet 2005, sont intervenus sur un numéro entier
du quotidien. D’autres ont réalisé des illustrations comme Enki Bilal, dessinateur de
bande dessinée. Certains artistes ont participé à la réalisation du journal de façon
plus légère, sur quelques pages, en écho à un évènement particulier. C’est par
exemple ce que Pierre Soulages fit dans le numéro du 22-23 novembre 1986, sur une
double page48, en regard avec un texte le concernant de Daniel Dobbels, à l’occasion
d’une de ses expositions et de la sortie d’un timbre dessiné par ses soins. Le cas de
figure qui va à présent nous intéresser est celui d’artistes qui interviennent sous la
forme de feuilleton, sur une période prolongée, au moment de l’été.
Le responsable de la photographie du quotidien, Christian Caujolle49, propose
ainsi à Raymond Depardon en août 1981, puis à François Hers en août 1982
d’intervenir quotidiennement dans le journal par la publication de leurs
photographies, réalisées pour le journal. Le premier, alors reporter à l’agence
Magnum, livre « Correspondance new-yorkaise » : chaque jour, jusqu’au 12 août, le
photographe envoie au journal une image de ses balades dans la ville. Chaque image
(neuf en tout) accompagnée d’une légende de l’artiste est publiée au fur et à mesure
des envois de Depardon, dans la rubrique « étranger », sur une demi page, parfois
une page entière, « pour [former] un journal photographique de l’été »50. Le procédé
est le même pour l’intervention de François Hers l’année suivante, comme l’indique
le titre donné à celle-ci : « Paris/ Une photo par jour/ François Hers ».
48 Libération, 22-23 novembre 1986, p. 28-29. Cf. Volume iconographique p. 19. 49 Cf. Annexes p. 106-107. 50 Libération, 1-2 août 1981, p. 16.
53
L’intervention, plus longue, s’étend du premier numéro d’août jusqu’au dernier et
prend à chaque fois un peu plus d’une demi page du numéro.
Ces deux contributions se plaçaient dans le champ du photoreportage. Loin d’être
une coïncidence, c’est au contraire un choix délibéré de la part de François Caujolle,
fervent défenseur de la photographie de reportage comme pratique artistique
propre. Il propose donc « un espace autonome réservé à l’image »51 pour ces artistes
photographes qui peinent à être reconnus comme tels parce qu’ils sont reporters. Le
texte qui accompagne la dernière photographie publiée par François Hers le 31 août
1982 est de ce point de vue très intéressant et montre la nécessité pour l’artiste
d’affirmer le caractère artistique de sa production à l’époque: « Le reportage me
semble toujours l’attitude la plus réaliste et je tiens à la conserver malgré les
quiproquos dont elle peut faire l’objet et le danger de me faire manger »52. Afin de
donner la possibilité à certains artistes du photoreportage d’être reconnus en tant
que tels, Christian Caujolle ménage au sein du journal un espace où ces
photographies peuvent être appréciées pour elles-mêmes et non pas seulement
comme simple appui pour un article. Le journal, plus que tout autre espace, est le
lieu rêvé pour défendre cette pratique. En opérant un simple déplacement, de
quelques pages, Christian Caujolle met en pratique son idée sur le photoreportage et
expose ainsi son point de vue aux yeux de milliers de lecteurs (le tirage du journal ne
cesse d’augmenter pendant les années 1980, ce dernier se vend à l’époque à environ
60 000 exemplaires). Ces contributions d’artistes sont le moyen de « faire apparaître
dans un quotidien des types d’images et des statuts que l’information ignore »53.
C’est pour éviter la répétition et « avancer dans la multiplication des formes
d’images que doit véhiculer un quotidien » que Christian Caujolle fait ensuite appel à
Sophie Calle, qui se fera largement connaître dans la seconde moitié des années
51 Christian Caujolle, « Le carnet de Sophie Calle », Libération, 1er août 1983, p. 7. Cf. Annexes p. 107. 52 Libération, 31 août 1982, p. 21. Cf. Volume iconographique p.21. 53 Christian Caujolle, Op. cit., p. 7. Cf. Annexes p.111.
54
1980. Son utilisation de la photographie pour enregistrer des actions ou situations,
sorte de reportage d’un nouveau genre, intéresse particulièrement Christian
Caujolle. À côté de ses travaux précédents comme Les Dormeurs de 1979, ou encore
La filature de 1981, il mentionne aussi la publication de l’ouvrage Suite vénitienne
en 1983, oeuvre qui a attiré son attention et a fini de faire connaître l’artiste. Cette
dernière publication est la mise sur papier du travail de Sophie Calle qui « a inventé
un type particulier de récit, utilisant souvent la photographie comme une forme de
preuve »54. « L’homme au carnet » existera lui aussi sous la forme d’un reportage
d’un nouveau genre, non plus sur les pages d’un livre mais sur celle du journal cette
fois-ci55.
Au sujet de ce travail, l’artiste dit avoir trouvé un carnet d’adresses qu’elle a
pris soin de photocopier avant de l’expédier anonymement à son propriétaire, à la
fin du mois de juin 1983. La même année Libération lui demande de réaliser un
feuilleton pour l’été. Elle décide alors d’utiliser le carnet photocopié pour son
intervention dans le quotidien et d’essayer de dresser le portait du propriétaire du
carnet en menant une enquête auprès des contacts répertoriés dans celui-ci. Sophie
Calle contacte alors les personnes du carnet en les informant de son projet mais sans
leur révéler le nom du propriétaire dudit carnet. Elle ne dévoile l’identité de celui-ci
qu’au début des rendez-vous avec les personnes qui auront bien voulu lui parler. Son
enquête dura 28 jours et entraîna 28 parutions consécutives, chacune introduite par
ces quelques phrases de l’artiste : « Paris. Fin juin, rue des Martyrs. Je trouve un
carnet d’adresses. Je le ramasse, le photocopie et le renvoie, anonymement à son
propriétaire. Il s’appelle Pierre B. Je demanderai à ceux qui figurent dans le carnet
de me parler de lui. Je l’approcherai, chaque jour, par leur intermédiaire ». Jour
après jour, ces rencontres sont consignées dans le journal, introduites par le prénom
54 Christian Caujolle, Op. cit., p. 7. 55 Sophie Calle, « L’homme au carnet », Libération, 2 août – 3 septembre 1983. Cf. Volume iconographique p. 22.
55
et l’initiale du nom de son « indicateur » du jour, l’heure de début et l’heure de fin
de leur rendez-vous. Ceux-ci sont retranscrits par des textes racontant leur
déroulement et ce que l’artiste a pu apprendre sur le mystérieux propriétaire, dans
un langage posé et distancié. Les textes mêlent narrations de l’artiste (sur le
déroulement de la rencontre ainsi que ses impressions et doutes parfois) et longues
citations des connaissances du propriétaire du carnet. Sophie Calle y adjoint à
chaque fois une photographie. Elles viennent appuyer les textes qu’elles
accompagnent. Elles en sont parfois des illustrations : Sophie Calle prend par
exemple ses interlocuteurs en photo, comme Thierry L. dans le numéro 5 août 1983.
Elles peuvent aussi fonctionner comme des indices dans son enquête, telle que la
photographie de l’arbre du village où Pierre B. vient parfois passer ses vacances,
dans le numéro du premier septembre 1983. Elles témoignent alors de la véritable
enquête que Sophie Calle a menée, jusqu’à se rendre sur les divers lieux de vie de
Pierre B., même si l’artiste a très certainement mis en scène beaucoup de ces
clichés. Souvent énigmatiques, les photographies participent surtout à créer une
ambiance, un univers autour du propriétaire et à stimuler l’imagination du lecteur.
Elle photographie par exemple un muret en forme de pyramide pour illustrer le texte
de l’insert du 26 août 1983, où il est fait mention du désir de Pierre B., enfant, de
devenir archéologue. Sophie Calle habituée à travailler avec la forme de
l’espionnage le redéfinit ici puisqu’elle n’a plus besoin de la présence physique de la
personne pour l’épier avec son appareil photographique. L’homme est peu à peu
révélé à travers les informations glanées auprès de ses connaissances. Ces dernières
deviennent des informateurs pour le détective qu’est Sophie Calle. La première
publication de ce feuilleton date du 2 août 1983, si l’on omet la parution de la
présentation de l’intervention de Sophie Calle par Christian Caujolle dans le numéro
du 1er août 1983. L’artiste clôt ce feuilleton dans le numéro des 3 et 4 septembre
1983. Une demi page est à chaque fois laissée à l’artiste, dans diverses rubriques -
56
Faits-divers, Médias, Modes de vie, Sciences, Economie, Justice, Sports – ce qui ne
manque pas de créer des échos fortuits et inattendus entre, par exemple, le titre
d’un article et une photographie de Sophie Calle. C’est aussi cette dynamique de
lecture, ces enchaînements de contenus variés, les chocs et résonances créés, qui
font la force des publications périodiques et parfois augmentent l’intérêt de
l’insertion des productions d’artistes.
« L’homme au carnet », avec son format feuilleton, est une œuvre qui
s’adapte très bien à la publication périodique. Au fil des parutions, le lecteur fidèle
en apprend à chaque fois un peu plus sur le propriétaire du carnet, comme ce fut le
cas pour Sophie Calle rendez-vous après rendez-vous. Un certain suspens se crée
autour de la découverte de l’identité, ou tout du moins de la personnalité de Pierre
B. L’insertion de cette œuvre dans un journal quotidien renforce l’oeuvre de Sophie
Calle. Inversement, la contribution de l’artiste représente aussi un certain avantage
pour le journal qui trouve ici un moyen supplémentaire pour fidéliser son lectorat, au
moment creux des vacances. Non seulement Libération propose à ce dernier un
contenu plus léger, plus en « adéquation » avec la période estivale, mais en plus, il
le tient en haleine en résolvant pas à pas l’enquête de L’homme au carnet. Cette
tactique de fidélisation du lectorat n’est pas nouvelle. Le genre du feuilleton,
introduit dès 1836 dans des journaux français populaires comme Le Petit Journal ou
Le Petit Parisien qui se font concurrence à l’époque, atteindra son apogée au milieu
des années 1880. De l’autre côté de l’Atlantique, ce sont les premiers comics qui
naissent dix ans plus tard dans des suppléments dominicaux de journaux tel que le
New York World. En France, notamment dans L’Humanité (créé en 1904), on
préférera publier des traductions de romans russes ou bien des romans naturalistes
ou réalistes du XIXe siècle, sous la forme de feuilletons encore une fois. À ce sujet,
Armand Mattelart évoque à la fois un recours aux « recettes éprouvées du roman
commercial pour le peuple » et une « tentative de faire accéder les masses à une
57
culture classique »56. Ce sont ces deux mêmes motivations, commerciales et
culturelles, qui semblent également animer les collaborations entre Libération et des
artistes. Une caractéristique essentielle des journaux et autres revues qui se veulent
un tant soit peu culturelles apparaît ici clairement, à savoir que les périodiques, plus
que tout autre publication, sont pris entre des obligations commerciales et leur
fonction culturelle (au sens large), leur devoir de diffusion d’un savoir et de
connaissances. En faisant place à l’art au sein de son journal, Christian Caujolle a
non seulement l’occasion de largement diffuser un autre type de contenu, inhabituel
pour un quotidien généraliste et de mettre en application ses convictions artistiques
et culturelles, mais il multiplie aussi les atouts de vente de la publication. Plus
encore que les suppléments culturels qui commencent à accompagner le journal à
l’époque, les contributions d’artistes contribuent à véhiculer une image avant-
gardiste de Libération, journal ouvert à la création artistique et aux diverses formes
que celle-ci prend, et leur laisse une place importante en les intégrant dans les
numéros courants. Les contributions d’artistes dans Libération sont réalisées à
l’initiative de la rédaction, preuve de plus, s’il en faut, de l’intérêt de ces
interventions pour un journal. C’est un membre de la rédaction qui propose à
l’artiste un partenariat. Nous avons parlé ici de Christian Caujolle, mais d’autres
journalistes ont aussi pris en charge certaines interventions d’artistes, comme
Elisabeth Lebovici (un temps directrice de la rédaction de Beaux-arts magazine) qui
a travaillé avec Philippe Thomas ou encore Annette Messager.
Le pouvoir de diffusion du journal est ici primordial. Sa capacité à atteindre
les foules est telle qu’elle a eu une conséquence directe pour Sophie Calle et le
journal. Le mystérieux Pierre B, de retour d’un voyage en Norvège durant l’été,
découvre son portrait dans les pages de Libération. Furieux, il menace de poursuivre
l’artiste en justice pour violation de sa vie privée. Il finit par demander un droit de
56 Op. cit., p. 54.
58
réponse que la rédaction lui accorde le 28 septembre 1983, sur une demi page57.
Tout comme l’artiste, il joint au texte une photographie. Cette dernière, qu’il dit
avoir trouvé lui aussi dans la rue des Martyrs, présente l’artiste nue, assise dans un
fauteuil. Ce geste semble pour lui être une façon de dénoncer la pratique
« douteuse » et intrusive de Sophie Calle. Le lecteur est familier avec la cruauté de
certains médias et leur non-respect de la frontière qui sépare sphères privée et
publique. Il s’identifie donc aisément à la « victime » de Sophie Calle et peut
comprendre la colère de Pierre Baudry. Néanmoins, en achetant jour après jour le
journal et en lisant l’intervention de Sophie Calle, le lecteur s’est aussi rendu
complice de l’artiste et a participé à cette enquête, d’une façon similaire au
spectateur qui se transforme en voyeuriste devant une émission de télé réalité. Cet
épisode montre clairement l’implication de l’artiste lorsque celui-ci choisit de
réaliser et d’exposer son travail dans un périodique à grand tirage, et encore plus un
quotidien qui touche un public bien plus grand et diversifié que celui de l’art.
Certes, ce travail de collaboration peut comporter certains risques pour le
journal, responsable de ce qui est publié dans ses pages. Nous l’avons vu ici, avec la
réaction de Pierre Baudry face au travail de Sophie Calle. Mais, avec ce type
d’interventions commandées, c’est aussi logiquement que les artistes n’adressent
pas de critiques directes vis-à-vis du média de masse qui les accueille et du système
capitaliste qu’il représente, contrairement aux artistes que nous avons vus
précédemment. Ici, les acteurs des insertions profitent de cet outil de diffusion
massive pour divulguer un positionnement intellectuel, une pratique artistique, de la
même façon qu’un journaliste ou qu’un auteur expose son point de vue ou des faits
dans un article. La différence bien sûr est que l’artiste est le seul auteur de sa
production et propose une œuvre en soi. Comme dans tout travail collectif, il doit
57 Pierre Baudry, « Calle, calepin calembredaines », Libération, 28 septembre 1983, p. 10. Cf. Annexes p. 112.
59
simplement prendre en compte quelques contraintes, qu’il aura préalablement
acceptées.
Nous avons vu ici que l’intérêt principal de ces travaux réside dans leur
grande diffusion, leur mobilité et visibilité. Beaucoup d’artistes vont eux aussi être
intéressés par cette caractéristique essentielle du périodique, sans pour autant avoir
été invité par la rédaction d’une publication. Nous retrouvons donc là le premier cas
de figure abordé dans ce chapitre, c’est-à-dire l’insert « sauvage ».
Ce cas de figure est justement celui de la série d’inserts réalisée par Jeff Koons dans
plusieurs grandes publications périodiques spécialisées en art contemporain, au cours
de l’année 1988, et qui va à présent nous intéresser. Nous verrons qu’ici, l’artiste
n’a pas nécessairement pour but premier de formuler une critique mais plutôt de
documenter ou de promouvoir un événement ou un travail artistique particulier, qui
existent en dehors de la publication, en gardant le contrôle du contenu véhiculé sur
ces dits évènements.
La série des « Art Magazine Ads » de Jeff Koons : l’insertion publicitaire
et documentaire en marge d’un événement
À la fin de l’année 1988, l’artiste américain Jeff Koons réalise une série
d’inserts sur les pages publicitaires de quatre revues d’art internationales : Flash Art
International, Art in America, Arts Magazine et Artforum58. Chaque publicité occupe
une page entière du magazine. L’artiste nous est présenté dans diverses situations.
Dans Arts magazine (novembre 1988, p. 23) l’artiste en peignoir trône au centre de
l’image, assis sur un siège doré devant une structure en tissu qui n’est pas sans
58 Cf. Volume iconographique p.23.
60
rappeler un dais, dans un environnement luxuriant. La publicité publiée dans
Artforum (novembre 1988, p. 23) montre l’artiste dans une classe d’école, entouré
d’enfants joyeux. Ici aussi au centre de l’image, il prend la posture de l’enseignant
décontracté, détenteur du savoir qu’il partage généreusement. Dans l’insert d’Art in
America (novembre 1988, p. 51) Jeff Koons apparaît en pied, avec deux jeunes
femmes dénudées, à la plastique parfaite autour de lui. Enfin, dans Flash Art
(novembre/décembre 1988, p. 86) l’artiste pose à côté d’un porc, avec un porcelet
dans les bras. Jeff Koons apparaît tour à tour séducteur, amis des bêtes, apprécié
des enfants, toujours élégant, le sourire au coin des lèvres, brushing parfait. L’image
est lisse et colorée, le décor luxueux mais toujours clairement artificiel.
Les artistes ont désormais bien en tête les mécanismes de promotion et de réussite
dans le monde de l’art. Jeff Koons en est une bonne illustration. Ici l’artiste joue le
jeu de la publicité et il reprend les codes de l’esthétique publicitaire : les couleurs
sont vives, une certaine idée du luxe est véhiculée, la femme-objet est présente…
Entièrement conscient des déviances des médias et des images véhiculées par la
publicité, il pousse ses codes à l’extrême et le caractère illusionniste de cette
dernière éclate à l’image (la pelouse artificielle, le faux ciel bleu en fond par
exemple). Le spectacle sur lequel repose la publicité est évident (les otaries
semblent tout droit sorties d’un parc d’attractions) et devient presque grotesque
(présence des cochons dans un des inserts notamment), voire violent (le cheval la
gueule ouverte). Aussi, l’inscription « Exploit the masses » (exploitons les masses) sur
le tableau noir en arrière-plan de son travail dans Artforum semble témoigner de
l’incrédulité de l’artiste face à la publicité.
Jeff Koons utilise ici la publicité pour promouvoir son travail, et plus
particulièrement Banality qu’il présente cette même année à la Sonnabend Gallery à
New York, à la Galerie Max Hetzler, à Cologne et enfin à la Donald Young Gallery,à
Chicago. La mention de ces trois lieux de monstration apparaît sur chacun des inserts
61
de l’artiste, comme dans n’importe quelle autre publicité pour un événement
artistique. Lorsque Jeff Koons crée ces quatre inserts, il n’adopte pas une posture
directement critique face à l’environnement médiatique, il n’a pas pour premier but
de dénoncer ou de troubler le média, contrairement aux artistes que nous avons
évoqués dans le premier temps de ce chapitre. Ici Jeff Koons profite de l’espace
publicitaire de la revue avant tout pour diffuser largement sa production : il
bénéficie à la fois des capacités de diffusion des quatre magazines d’art qui
accueillent ses publicités (Jeff Koons a choisi des revues d’envergure internationale à
grand tirage) et de l’attrait de la publicité pour le publique. « Je veux avoir un
impact sur la vie des gens. Je veux communiquer avec le plus de gens possible. Et en
ce moment, la manière de communiquer avec le public est de le faire à travers la
télévision et la publicité. Le monde de l’art n’est pas efficace en ce moment.59 »
explique-t-il. L’insert publicitaire permet à l’artiste de faire connaître son travail.
C’est parfois même le garant de la réussite du projet. Comme Jeff Koons, quand Skip
Arnold publie Iwantagirlfriend dans le magazine High Performance (numéro de
l’hiver 1985, p. 3)60, c’est aussi pour lui le moyen d’attirer l’attention sur son travail.
Plus particulièrement cela lui permet d’atteindre un grand nombre de petites amies
potentielles auxquelles il pourra ensuite proposer des rendez-vous, actions qui
constitueront sa performance. La réalisation de son projet dépend ici de la publicité
qu’il fera. Plus, certaines œuvres n’existent parfois pour le grand public que grâce à
l’intervention de l’artiste dans la revue qui documentera une œuvre de land art, de
performance, ou une activité artistique ponctuelle.
Pour en revenir aux inserts de Jeff Koons, il souhaite ici cultiver son image publique
grâce à l’image qu’il véhicule via ces publicités. Son but est de créer une aura autour
de son personnage en rivalisant avec le système de l’art : « J’essayais d’entrer en
59 Angelika Muthesius. Jeff Koons, Köln [Paris], Taschen, 1992, p77. 60 Cf. Volume iconographique p. 24.
62
compétition, en tant qu’identité culturelle, avec le système hollywoodien »61. Jeff
Koons joue le jeu de la forte médiatisation des artistes, voire de leur starification. Il
prend les devants en mettant en scène lui-même son personnage, et en attirant
l’attention par l’ostentation voire la provocation. Cette aura lui permet
logiquement, par la suite, de stimuler l’intérêt du marché pour ses oeuvres. Anne
Goldstein mentionne cette complicité de Jeff Koons avec le système capitaliste et
particulièrement le marché de l’art, complicité qui est clairement d’un ordre
pratique62. Il a l’habitude d’exploiter ce système afin de d’élever son statut au sein
de la communauté artistique et de devenir une célébrité aux yeux du public. Il
pousse à l’extrême l’utilisation des médias de masse et joue avec le fonctionnement
de la société de consommation dans une période de boom économique. Les publicités
qu’il réalise font partie de cette démarche artistique générale, de sa recherche de
popularité et de célébration de sa personne. Ici, il tire partie, ouvertement, des
possibilités de la publicité dans les périodiques d’art pour servir ses intérêts. Il met
en application ce qu’Ernest T. révélait quelques années auparavant. Il maintient tout
de même une distance en posant certaines questions sociales, en ce qui concerne,
notamment, notre rapport au désir matériel ou de reconnaissance dans la société
actuelle. Aussi, le sexisme manifeste dans l’insert d’Art in America, où les femmes
apparaissent comme une marchandise, comme un attribut du succès de l’homme
parmi d’autres, ne fait que reproduire (et par la même pointe du doigt) le
fonctionnement de la société contemporaine et du monde de l’art comme le
remarque très justement Kevin Concanon cité dans le catalogue d’exposition Ex
Guide. We interrupt this Program : « Enfin, les images sexistes sont simplement
une stratégie parmi les nombreuses autres grâce auxquelles il aborde la
61 Ex Guide, We Interrupt this program. Print Ads and TV Spots by Artists (cat. expo.), Toronto, Mercer Union, 2009, p.A-08 : «I was trying to compete as a cultural identity with the Hollywood system». 62 Anne Goldstein, A forest of signs. Art in the crisis of representation, (cat. expo.), Cambridge (Masachussets), Londres, The MIT Press & Los Angeles, The Museum of Modern Art, 1989, p. 39.
63
marchandisation et la séduction – et leur relation avec l’institution artistique »63.
Près de quatorze ans auparavant, Linda Benglis abordait elle aussi ce sujet, se
moquant de la figure de la pin-up et du macho, de façon extrêmement frontale, dans
un insert publicitaire aujourd’hui renommé du numéro d’Artforum de novembre
1974, avec le soutien de la Paula Cooper Gallery de New York. Jeff Koons ne formule
donc pas une simple critique du capitalisme, il interroge plutôt l’origine de celui-ci
en se rapportant à l’humain. Comme le remarque Kay Larson, il échappe ainsi à la
contradiction de vouloir critiquer le système capitaliste tout en y cherchant le
succès64.
Finalement, le travail de Jeff Koons épouse la fonction de la publicité et des
revues d’art qui toutes deux servent à promouvoir l’objet d’art tout en témoignant
de la complexité des rapports entre art et société de consommation. Non seulement
l’art devient un objet de consommation, mais il sert même, en devenant publicité, à
s’auto promouvoir et à se vendre. L’artiste joue en même temps avec les stratégies
du monde de l’art et avec celles du commerce. Ce qui a pour conséquence de faire
de son travail à la fois une œuvre critique et complaisante avec le système marchand
de l’époque comme l’explique Mary Jane Jacob dans son texte « Art in the age of
Reagan : 1980-1988 » 65. Cependant, faire de la publicité un projet artistique permet
à l’artiste de se la réapproprier. « Surfer » sur la vague du système marchand du
monde de l’art est sans doute une manière pour lui d’avoir prise sur celui-ci et d’y
exister sans s’y faire broyer, tout comme s’insérer au cœur des médias semble être
la seule façon de les critiquer. La différence est que Jeff Koons joue pleinement le
jeu de la publicité et va très loin dans le mimétisme. Cette dernière stratégie est
peut-être plus intéressante que les inserts qui s’affichent clairement comme critique
63 Op. cit. :« Ultimately the sexist images are simply one of several strategies by wich he adresses commodification and seduction – and their relationship to the institution of art. » 64 Ibidem., p.20. Anne Goldstein y reprend la citation de l’artiste : « How valid is any critique of capitalism that aims at total success within the succes ?» (« Master of Hype », New York, 10 novembre 1986, p.102.) 65 Mary Jane Jacob. « Art in the age of Reagan : 1980-1988 », Ibid., p.20.
64
de la société ou du monde de l’art. Gonzales –Torres, dans une interview publiée
dans Art press66, abonde dans ce sens, en expliquant d’abord qu’il n’y a pas d’art non
politique. : « Si vous dites, je suis politique, je suis idéologique, cela ne marchera
pas, parce que les gens savent d’où vous venez. Mais si vous dites, « Salut, je
m’appelle Bob et voilà tout, » ils se disent que ce n’est pas politique. C’est invisible
et c’est vraiment efficace. »
Le travail de Jeff Koons a ceci d’intéressant qu’il peut se lire à différents niveaux.
Son art s’adresse à tous et il peut effectivement toucher tout type de personne,
instruite en art ou pas, par son utilisation distanciée des codes de la société de
masse et de l’industrie culturelle.
Ce type de production est donc double : l’insert publicitaire informe sur l’art
(telle exposition de tel artiste dans telles galeries) et il est lui-même œuvre d’art
(créée par l’artiste spécifiquement pour la page du magazine). En effet, ces quatre
interventions font partie, au même titre que les œuvres exposées en galerie, de la
série « Banality ». Notons qu’il existe aussi des lithographies de ces quatre
photographies, tirées à cinquante exemplaires. Ici, au lieu qu’une œuvre de l’artiste
soit reproduite pour la publicité, c’est la publicité qui est reproduite en lithographie,
comme l’attestent les noms des galeries qui demeurent sur les exemplaires. Non
seulement cette utilisation de la publicité élargie encore un peu plus les frontières
de l’art, mais elle inverse aussi le rapport habituel entre revue et galerie ou autre
institution d’art. Ce type d’insert fonctionne donc de la même façon que les cartons
d’invitations et autres travaux éphémères, ainsi que les catalogues réalisés par
certains artistes en marge de leur exposition. L’artiste - au fait de l’importance de
chaque maillon de la chaîne qui permet à son œuvre d’exister publiquement, de la
conception jusqu’à la promotion et la documentation - s’intéresse à chacune des
étapes, allant jusqu’à les prendre en main lui-même. Ces éléments secondaires le
66« Felix Gonzales Torres. Etre un espion », Interview par Robert Storr, Art press, numéro 198, janvier 1995, p.28.
65
sont donc de moins en moins puisque l’artiste les intègre dans sa production
artistique. Selon Anne Moeglin-Delcroix, cette mainmise de l’artiste sur toutes les
étapes du projet artistique relève d’un désir d’autonomie et de contrôle de la
réception de son travail. C’est le cas ici de Jeff Koons, mais aussi de nombreux
autres artistes. Bien plus tôt, c’est par exemple un élément qui poussa Daniel Buren
à réaliser ses « posters publicitaires » pour ses cinq expositions à la galerie Wide
White Space à Anvers, en Belgique, de 1969 à 1974. Au début des années 1990, Jeff
Koons réitérera l’expérience des inserts publicitaires pour Made in Heaven dans
diverses revues telles que Galeries Magazine, Art in America, Flash Art.
Le travail de Jeff Koons condense nombres des caractéristiques qui motivent
l’intervention d’artistes dans les publications périodiques : forte capacité de
diffusion et de promotion, lieu efficace d’une critique des médias. Les inserts de Jeff
Koons ont aussi pour caractéristique d’exister en marge d’expositions qui ont lieu
dans les espaces traditionnels de monstration de l’art et de participer pleinement au
dispositif de promotion et de vente au sein du marché de l’art. Néanmoins beaucoup
d’artistes ont vu dans le périodique une échappatoire au passage obligé par
l’institution artistique et une façon de contourner les usages en règle dans le monde
artistique. La revue, le magazine, le journal permettent aux artistes d’exposer leur
art en sortant des sentiers battus des institutions artistiques. C’est cet autre enjeu
de l’intervention artistique dans la presse que nous allons étudier à présent.
66
CHAPITRE 3: UN NOUVEAU FORMAT D’EXPOSITION : LE MUSÉE AU CŒUR DU
PÉRIODIQUE
Nous avons vu précédemment que les travaux d’artistes dans les publications
périodiques ont contribué à redessiner les contours de l’oeuvre d’art et qu’ils sont le
fruit d’une réflexion souvent intransigeante sur les médias de masse et leur fonction
au sein du marché de l’art. Nous allons maintenant nous intéresser au rapport que
cette pratique entretient avec l’institution muséale, symbole du monde de l’art. En
effet, en tant que lieux de diffusion importants, les médias de masses, et notamment
les revues et journaux, se sont transformés à plusieurs reprises en lieux d’exposition
pour les artistes, participant à la multiplicité grandissante des expositions
aujourd’hui. À travers les exemples de la revue suisse Trou et celui de Museum in
progress principalement, nous nous interrogerons sur les raisons qui ont pu motiver
des artistes comme des commissaires d’exposition à se tourner vers le périodique
comme espace d’exposition – et donc à délaisser l’institution muséale, au moins
momentanément. Nous nous intéresserons aussi aux nouvelles définitions du musée
et de la figure du commissaire d’exposition proposées par les acteurs de telles
expériences.
Trou : un projet éditorial et curatorial
Trou est une revue d’art fondée au début de 1979, à Moutier, par un groupe
d’amis venus d’horizons professionnels variés : le peintre Georges Barth, le
journaliste Jean-Pierre Girod, le sculpteur Umberto Maggioni, le graphiste Roger
67
Voser et leur ami imprimeur vont former la première équipe de la revue. Ce comité
de rédaction sera rejoint pour un temps, à partir du deuxième numéro, par le
musicien et compositeur Roger Meier, puis plus récemment, par Josette von Arx,
architecte d'intérieur, et Konrad von Arx, commerçant, ainsi que par le graphiste Eric
Voser. Comme la plupart des nouvelles publications, Trou est née du constat d’un
manque dans l’environnement éditorial suisse, et plus particulièrement à Moutier,
commune francophone du canton de Berne. Les créateurs de Trou trouvent à
l’époque qu’il manque une publication permettant aux artistes de s’exprimer
librement. Ils décident alors de créer une revue multidisciplinaire qui viendrait
combler ce vide en se faisant « tribune d’artiste »67. Comme beaucoup des revues qui
décident de ménager des espaces de création vierges pour les artistes, Trou souhaite
s’écarter des « revues d’art traditionnelles qui cernent l’œuvre et l’artiste à travers
la critique et l’information traitées sous leurs formes les plus diverses »68. La quasi-
totalité de la revue est donc laissée entre les mains des artistes qui y présentent des
œuvres créées spécifiquement pour la revue ou tout du moins inédites. Ainsi, le
quatrième numéro sorti en 1984 présente des documents inédits qui ont servi à la
réalisation de la fontaine dessinée par Meret Oppenheim pour la Waisenhausplatz de
Berne, une suite de miniatures spécialement créées par Rolf Iseli pour le numéro de
Trou ou encore une œuvre du cinéaste Daniel Schmid qui n’existe que dans la revue
puisqu’il s’agit d’une suite de scènes de ses films préférés qu’il a rephotographié
puis reproduit par Photomaton, trouvant un moyen original de faire entrer le cinéma
dans la publication69. Pour chaque nouvelle sortie, les membres du comité de
rédaction soumettent des noms d’artistes parmi lesquels seront ensuite choisis, à
l’unanimité, les quatre ou cinq qui participeront au numéro en préparation. Les
artistes sont ensuite contactés et informés du fonctionnement et des conditions
d’une éventuelle collaboration avec Trou. La revue invite des artistes venant de 67 Editorial de Trou, numéro 1, 1979, p.3. 68 Ibidem. 69 Cf Volume iconographique p.25-29.
68
disciplines diverses (arts plastiques, littérature, musique, architecture…) souvent liés
d’une façon ou d’une autre à la région de naissance de Trou. Elle se fait lieu de
rencontres, de contrastes parfois, mais surtout, son exigence d’œuvres inédites ou
pensées pour la revue la transforme en espace de création.
Le rôle du comité de rédaction est analogue à celui d’un commanditaire. Mais
cette « commande » ne va pas sans un espace de création aménagé par l’équipe de
la publication pour les artistes. La revue met en place les conditions nécessaires pour
que les artistes puissent réaliser leurs œuvres, seuls ou bien dans la rencontre avec
d’autres artistes (plusieurs ont réalisé des œuvres pour la revue en binôme). D’une
certaine façon, Trou fonctionne à la manière d’une résidence d’artistes, mais qui
serait dématérialisée, sans lieu fixe. En effet, le comité de rédaction se fait équipe
curatoriale et elle laisse un espace ainsi qu’un certain laps de temps (en fonction du
rythme des publications successives) à l’artiste pour qu’il puisse créer, non pas sur
un thème précis (mis à part le premier numéro qui traitait justement du « trou »,
avec par exemple l’oeuvre d’André Ramseyer sur le vide en sculpture) mais selon les
contraintes de production de la publication tels que les délais, le format de la revue
qui est resté inchangé depuis les débuts, sa maquette… Trou se fait à la fois espace
de création, œuvre d’art et lieu de monstration.
Le fonctionnement général de la publication est similaire à celui d’un centre
d’art, mais la différence majeure avec un lieu d’exposition traditionnel tient à la
souplesse de la revue et à ses faibles contraintes, face à la lourdeur
organisationnelle et la rigidité du premier, sans oublier bien sûr le moindre coût de
réalisation. Une autre revue suisse, Parkett, est fondée cinq ans plus tard sur une
ambition similaire, avec cependant une formulation différente. L’équipe de la revue
crée chaque numéro de la revue en étroite collaboration avec les artistes. Elle leur y
laisse un espace d’expression et va jusqu’à demander aux artistes de réaliser une
oeuvre pour la revue, insérée ou non dans la publication. Bice Curiger et Jacqueline
69
Burckhardt, à la direction de la revue, expliquent que si elles ont fait le choix de la
revue pour défendre leurs idées et promouvoir le travail d’artistes, c’est justement
pour sa flexibilité, sa réactivité, sa mobilité aussi, atouts qui font défaut à une
galerie par exemple.
Avec Trou, le lecteur est donc face à un projet curatorial qui prend la forme d’une
publication périodique. Chaque numéro est en quelque sorte une nouvelle
exposition. Cette revue n’est pas le premier exemple de publication de ce type, mais
elle a la particularité de s’inscrire dans la durée, venant de sortir son dix-neuvième
numéro et de fêter ses trente ans d’existence. À plusieurs reprises, la publication,
qu’elle soit périodique ou non, a été vue comme une solution de substitution à
l’exposition telle que nous la connaissons habituellement, c’est-à-dire dans un
espace en trois dimensions où les œuvres d’art sont disposées et proposées à la vue
du spectateur. Dans son essai Du catalogue comme œuvre d’art et inversement70,
Anne Moeglin-Delcroix mentionne de nombreuses publications qui prolongèrent
l’exposition au sein de leurs pages dès la fin des années 1960 ou qui se substituèrent
entièrement à l’exposition. En 1989, le catalogue de l’exposition A Forest of signs.
Art in the crisis of representation (au Museum of Contemporary Art, Los-Angeles)
présente des travaux des artistes exposés, tout comme celui de l’exposition D’une
œuvre l’autre (Musée Royal de Mariemont, Belgique) publié par Guy Schraenen en
1996. Nous pouvons aussi penser à l’exemple plus précoce de la publication January
5-31, 1969, particulièrement probant. Le marchand d’art et ancien galeriste Seth
Siegelaub organise en janvier 1969 une exposition collective avec les artistes de la
mouvance conceptuelle et de l’art minimaliste Joseph Kosuth, Robert Barry, Douglas
Huebler et Lawrence Weiner sous la forme d’une publication intitulée January 5-31,
1969, où chaque artiste dispose de quatre pages, à sa guise. Ils présentent aussi deux
travaux chacun dans les murs d’un local prêté pour l’occasion. Cependant ces
70 Anne Moeglin Delcroix, « Du catalogue comme œuvre d’art et inversement », Les Cahiers du Musée national d’art moderne, n° 56-57, été-automne, 1996, p.95-117.
70
derniers ne sont là qu’en plus de l‘exposition qui existe entièrement dans le
catalogue. Seth Siegelaub explique bien que « dans [son] esprit, l’exposition existait
tout à fait complètement dans le catalogue »71. Le rapport de causalité entre
l’exposition et la publication-catalogue, qui ne vient habituellement que de façon
secondaire pour éclairer et documenter la première, est donc inversé. Le local où
sont présentées quelques œuvres des artistes sert plutôt à délivrer certaines clefs
pour que l’on puisse plus aisément déchiffrer l’exposition dans le livre, et à en faire
la promotion. Cet exemple est un cas bien particulier car il s’inscrit directement
dans le sillage des questionnements développés par les artistes conceptuels. Il n’en
reste pas moins particulièrement intéressant quant à l’utilisation de la publication
comme espace d’exposition à part entière, et en ce qui concerne le rôle du
commissaire d’exposition qui se fait ici éditeur. Seth Siegelaub réitère ce mode
d’exposition à plusieurs reprises, notamment dans une revue d’art. Il propose à six
critiques (David Antin, Charles Harrison, Lucy Lippard, Michel Claura, Germano
Celant, Hans Strelow) de chacun éditer une section de huit pages dans la revue
Studio International (Londres) de juillet - août 1970. Comme Seth Siegelaub, chacun
d’entre eux se fait commissaire d’exposition, demandant à des artistes d’intervenir
dans la revue, dans un cadre précis, pour former une exposition dans la publication
qui se suffit alors à elle-même. Des critiques ou curators affirment aujourd’hui
encore la volonté de réaliser un projet de commissariat sous la forme d’une revue.
C’est par exemple le cas de Béatrice Méline et de la revue Hypertexte, exposé vs
exposition (Toulouse) qu’elle dirige. Ce projet est exprimé clairement dans le titre
de la publication et il est encore explicité dans le texte de présentation du premier
numéro publié en 2008. Hypertexte y est définie comme une revue qui « observe,
produit, diffuse des formes entre exposé et exposition – par là soutient ou participe à
des expériences critiques et curatoriales. Le projet éditorial de la revue Hypertexte
71 Ibidem, p. 108. Citation tirée d’un article de Jack Burnham, « Alice’s Head. Reflections on Conceptuel Art », Artforum, février 1970, p.39.
71
est d’abord construit comme un commissariat : activer différents modes de pensée,
dans un jeu de création, de recherche sur le langage et le regard sur l’art. »72
Remarquons que Trou, contrairement à cette jeune revue, met totalement de côté
la dimension critique et réflexive sur l’œuvre dans la revue. Plus précisément, elle
laisse la possibilité à l’artiste de s’en charger si celui-ci le souhaite. Chaque artiste,
qu’il soit peintre, sculpteur, écrivain, poète, ou même architecte, intervient dans la
revue comme il le souhaite, tant qu’il répond aux quelques exigences de la
publication. « Nous disons que la revue appartient aux artistes ; le comité de
rédaction ne fait que susciter et exécuter» explique Konrad von Arx73, membre du
comité de rédaction de Trou. Il se dessine là une conception particulière du
commissariat d’exposition sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir.
C’est en fait l’envie de donner la parole aux artistes et de diffuser celle-ci qui amène
l’équipe de Trou à proposer une alternative aux expositions traditionnelles. Le
support qu’est la revue leur permet non seulement de créer plus aisément un espace
d’expression libre pour l’artiste mais aussi de réaliser une vitrine d’une certaine
production artistique contemporaine accessible au plus grand nombre une fois
exposée sur papier. Ils transposent en quelque sorte le fonctionnement d’un lieu
artistique dans le cadre de la revue, prenant en charge le commissariat, la
production, la diffusion des œuvres. Clairement, la motivation première de Trou
n’est pas de proposer une nouvelle solution à l’exposition en institution muséale,
mais plutôt d’utiliser les moyens à leur disposition pour défendre la création
artistique suisse, même si l’utilisation qu’ils font de la pubication comme lieu de
création directe pour les artistes, comme lieu de monstration et de diffusion, est en
elle-même une alternative à l’exposition traditionnelle.
Au contraire, le projet qui va à présent nous intéresser, Museum in progress,
cherche précisément à formuler une nouvelle définition du musée et de l‘exposition -
72 Béatrice Méline, « Hypertexte », Hypertexte, exposé vs exposition,n°1, 2007, p. 5. 73 Entretien avec Konrad von Arx, pour le comité de rédaction, en date du 8 avril 2010.
72
notamment au sein de publications périodiques - plus en adéquation avec la société
actuelle.
Museum in progress : l’espace médiatique transformé en musée et la
définition du commissariat d’exposition comme catalyseur d’énergies
Museum in progress a été crée plus de dix ans après la revue Trou, en 1990 à
Vienne. Ce projet autrichien est initié par Kathrin Messner - qui a aussi créé une
librairie d’art à Bäckerstraße à Vienne - et par l’artiste Josef Ortner. Tous deux en
assurent aujourd’hui encore la direction. Museum in progress est un projet en cours,
« in progress », né d’une réflexion sur la manière dont l’art, au début des années
1990, peut être amené au public. Alors que les musées se multiplient dans les années
1980, les fondateurs de Museum in progress et leurs collaborateurs sont persuadés
que l’institution muséale n’est pas la seule réponse possible. Ils se sont alors
attachés à développer des façons innovantes de présenter l’art et ont mis en place
des expositions (terme qu’ils emploient eux-mêmes) dans divers médias. Ce choix
leur permet de diffuser l’art contemporain directement dans le tissu urbain et dans
la vie quotidienne des Autrichiens, via les médias de communication de masse.
Depuis la création de Museum in progress, de nombreux projets artistiques ont été
réalisés aussi bien dans des journaux quotidiens, dans des magazines, que sur des
panneaux d’affichages, des écrans électroniques de grand format, des façades de
bâtiments, ou encore à la télévision ou sur Internet (Museum in progress compte plus
d’une quarantaine d’expositions à son actif). Fonctionnant sur le mode d’une
association artistique privée, Museum in progress a mis en place des partenariats
avec divers médias pour produire avec eux des travaux d’artistes qui prendront place
au cœur même de ces médias. Les projets d’exposition de Museum in progress ne se
73
réduisent donc pas un support unique, contrairement à Trou et à de nombreuses
autres publications de ce genre. Chaque projet d’exposition est pensé en fonction du
média utilisé. Nous nous intéresserons ici plus particulièrement à la longue
collaboration de l’association avec le quotidien viennois Der Standard74.
Museum in progress s’occupe de l’aspect financier et de l’organisation des
expositions alors que le travail curatorial à proprement parler (la sélection des
artistes, la définition du contenu des interventions etc…) est pris en charge par
plusieurs commissaires d’exposition invités. Parmi eux, Hans-Ulrich Obrist75 qui a
largement réfléchi et écrit sur l’exposition et le rôle du curator, Robert Fleck
(commissaire attaché à l’«Austrian Ministery of Art and Education), ou encore Stella
Rolling (commissaire attachée à l’Austrian Ministery of Commerce, Research and
Art). Museum in progress a en effet reçu le soutien financier de l’Etat autrichien pour
les premiers projets et petit à petit, a pu développer de nouveaux partenariats avec
des compagnies privées.
Nous mentionnions précédemment le comité de rédaction de la revue Trou
qui endosse le rôle de commissaire d’exposition. Ici, ce sont des commissaires
d’exposition de profession qui investissent la presse et d’autres médias. Mais tous, le
comité de Trou et l’équipe de commissaires de Museum in progress, semblent avoir
une conception de cette fonction similaire. En effet, dans ces deux cas, le curator
est présent pour susciter la création, il intervient comme activateur et comme
soutien à la création artistique, loin de la figure du « commissaire-créateur » qui se
développe dans les années 1980. Hans-Ulrich Obrist, à l’origine de nombreux projets
pour le Museum in progress dès le début des années 1990 - Museum in progress on
board (1993-94), Vital Use (1994-95), Do-it. Tv Version (1995-96), Secession Co-
operation. Cities on the move (1997-98), Large Scale Picture (2002-03) parmi
d’autres - parle d’ailleurs du commissaire d’exposition comme d’un catalyseur. Pour
74 Cf. Annexes p. 104. 75 Cf. Annexes, p. 107.
74
lui la fonction principale du commissaire est d’aider les artistes et d’être un
« intermédiaire public ». Il ajoute que « par ailleurs, le commissaire devrait
également être un producteur ne se contentant pas d’exposer des œuvres mais de
trouver les moyens de produire et de conduire des recherches sur l’artiste»76. Sa
conception du commissariat d’expositions correspond tout à fait au travail mené par
Museum in progress mais aussi par des revues comme Trou qui vont chercher les
artistes et leur proposent à la fois un lieu de production, de diffusion et d’exposition.
Dans le cadre de Museum in progress, Hans-Ulrich Obrist a pris en charge plusieurs
expositions au sein de publications, notamment le quotidien Der Standard. Il ne se
restreint pas au cadre de Museum in progress pour réaliser ce type d’activités
puisqu’il participe aussi activement à un autre projet éditorial en tant que
commissaire d’exposition pour la revue parisienne Point d’ironie éditée par Agnès b.
depuis 1997. Chaque numéro de la revue (six par an environ, tirés à 100 000
exemplaires) est entièrement réalisé par un artiste et diffusé gratuitement par
envois postaux et dans les boutiques, galeries et librairies de la marque.
Nous allons à présent nous intéresser aux divers facteurs – notamment
l’expression d’une certaine insatisfaction face à l’institution muséale et aux
expositions qu’elle propose - qui semblent expliquer cet engouement pour la
publication périodique, désormais comprise comme un espace adéquat pour mener
des expériences de commissariat.
La formulation en creux d’une critique de l’institution muséale
Les nouveaux modes d’exposition à l’œuvre dans des revues comme Trou, ou
bien proposés par Museum in progress, construisent en creux une critique du musée
76 Hans-Ulrich Obristp. Dontstopdontstopdontstop, Dijon, Les presses du réel, 2007, p.49.
75
traditionnel. Cette critique est également formulée par de nombreux acteurs du
monde de l’art (parmi lesquels des artistes qui ont voulu « infiltrer » les périodiques,
ou qui ont collaboré avec l’équipe de ces derniers) dès les années 1960. Les
créateurs et les collaborateurs de Museum in progress, en particulier, ont exprimé à
plusieurs reprises la forme que devrait prendre selon eux le musée du XXIe siècle.
L’historien d’art Alexander Dorner (1893-1957) est pour eux une référence
importante. Directeur de plusieurs musées en Europe puis aux Etats-Unis durant la
première moitié du XXe siècle, Alexander Dorner a développé une conception
progressiste du musée, en pensant celui-ci non pas comme une institution figée mais
bien plus comme une « centrale électrique, un producteur d’une nouvelle
énergie »77. Dans un texte au sujet de Museum in progress78, Ralph Ubl, remarque
très justement que le Museum in progress est une sorte d’interprétation actualisée
du type de musée défendu par Alexander Dorner. Museum in progress n’a du musée
traditionnel que le nom : ce n’est pas une institution fixe sorte de palais pour
œuvres d’art, mais c’est plutôt un musée métaphorique, un initiateur permettant de
stimuler la création artistique. Museum in progress propose un modèle du musée du
XXIe siècle qui « existe en tant que structure flexible et établit une forme qui
apparaît directement dans l’espace médiatique »79. Cette formulation directe du
musée et de l’exposition dans les médias est une revendication fondamentale des
créateurs du Museum in progress. Bien que cette dernière ne soit pas nécessairement
formulée expressément, elle semble toute aussi pertinente pour penser les travaux
d’artistes utilisant les médias de communication de masse, dont la presse.
Nous avons vu dans le chapitre précédent que l’insertion d’œuvres dans un
média de communication de masse, qu’elle soit à l’initiative de l’artiste seul, d’un
77 Cette citation est reprise dans le site www.mip.at. [En ligne : http/www.mip.at/en/index.html. Consulté le 22 mai 2010] : « the new type of art institute cannot merely be an art museum as it has been until now, but no museum at al. The new type will be more like a power station, a producer of a nex energy » 78 Ralph Ubl. Ibidem., 1992. 79 Ibid. : « The museum of the 21st century exists as a flexible structure and establishes the form in which it appears directly in media space. »
76
comité de rédaction ou bien d’une association artistique comme Museum in progress,
permet une visibilité accrue, une large diffusion et d’exprimer un point de vue
artistique directement dans la société. C’est donc la possibilité de renouer avec les
« réalités » quotidiennes, de tisser un lien direct entre l’œuvre d’art et un grand
nombre de personnes, ce sans passer par le filtre de l’institution muséale. Hans-
Ulrich Obrist remarque en effet que beaucoup d’artistes, au moment où se
développent les contributions à la presse, formulent une « critique permanente du
fonctionnement traditionnel des galeries d’art et des institutions, par leur refus de
tout prédéterminisme qui imposerait au spectateur une certaine façon de
regarder »80. Seth Siegelaub exprime lui aussi une défiance vis-à-vis de l’institution
muséale. Lorsque Hans-Ulrich Obrist le questionne sur sa relation avec les musées,
Seth Siegelaub explique avoir essayé de les éviter le plus possible, les considérant
comme des structures trop peu flexibles et qui ne laissent pas assez de liberté ni au
conservateur, ni à l’artiste, ni au public81. Il continue en évoquant la routine et
l’inertie dans laquelle il a pu se sentir prisonnier en allant visiter une exposition dans
les lieux habituels de l’art: « aller voir de l’art à New York - et j’imagine que cela
aurait été la même chose dans d’autres lieux – voulait dire se rendre dans des lieux
d’« art » consacrés ou sacrés, galeries comme musées, où l’on effectuerait alors des
visites de façon plus ou moins automatique »82. Seth Siegelaub décrit ici des
expositions sans surprise pour le visiteur passif. L’art dans les publications est selon
lui une solution pour casser cette routine, surprendre le spectateur quand il ne s’y
attend pas. Museum in progress cherche également à éviter cet écueil et à susciter
l’attention du public en le surprenant. C’est pourquoi il propose des œuvres
80 Hans-Ulrich Obrist, Dontstopdontstopdontstop, Dijon, Les presses du réel, 2007, p.38. 81 Hans-Ulrich Obrist, Op.cit., p.119 :« The way I have been involved with structures is by tring to avoid them, cutting across them, or at least by tring to avoid static structures, or trying to create flexible structures that correspind to real needs. In a certain way, in my specific case, this is related, on the one hand, to the type of art I was interested in , and on the other, to my personal economic situation, and my take, my analysis of the art world » 82 Ibidem, p.119 : « as I have mentionned on a number of occasions, going to look at art in NewYork -and I would imagine this was the case in other places- meant going to consecrated or sacred gallery or museum ‘art’ spaces, where you would visit more or less automatically.»
77
éphémères, qui lorsqu’elles apparaissent dans notre quotidien attire notre regard,
contrairement à ce que nous avons tous les jours sous les yeux, œuvre d’art ou pas.
Les artistes aussi vont parfois se détourner du musée. Par exemple, certains mettent
en place et dirigent des lieux alternatifs et expérimentaux, d’autres utilisent les
médias comme lieu d’exposition. Ces nouveaux espaces leur permettent de contrôler
leur production, du début à la fin avec la présentation au public. C’est donc pour eux
une façon de reprendre en main le parcours de leur œuvre. Cette recherche
d’indépendance va également dans le sens du rôle du commissaire d’exposition
comme catalyseur, défendu par Museum in progress ou mis en place par Trou, et non
plus du commissaire comme créateur montant « son » exposition à partir d’œuvres
d’art.
Une certaine défiance vis-à-vis de l’institution muséale qui empêcherait toute
« vie sociale » de l’œuvre a aussi été exprimée par divers acteurs du monde de l’art.
Le recours aux médias de masse apparaît comme une solution alternative de
diffusion et d’exposition. À ce sujet, le discours de Robert Smithson, figure de proue
du Land art dans les années 1970, artiste qui s’est donc lui aussi éloigné du musée,
est intéressant. En effet, dans un de ses textes83, l’artiste qualifie le musée de
« prison culturelle » pour les œuvres d’art déconnectées du monde. Il développe une
longue comparaison du musée avec l’univers carcéral, en s’attachant à dénoncer
l’interventionnisme des professionnels du musée (conservateur, commissaire
d’exposition), mais surtout la neutralisation de l’œuvre d’art une fois que celle-ci est
placée dans les salles blanches et compartimentées des musées. L’artiste explique
qu’ « il y a un emprisonnement culturel quand un conservateur, au lieu de laisser
l’artiste établir lui-même les limites de son œuvre, impose les siennes. On attend
des artistes qu’ils s’adaptent à des catégories frauduleuses. Certains d’entre eux ont
83 « L’emprisonnement culturel » publié dans le catalogue de la Documenta 5 de Cassel en 1972 et republié dans l’anthologie de textes réalisée par Hal Foster, Rosalind Krauss, Yves-Alain Bois et Benjamin H.D. Buchloh. Art since 1900, Modernism, Antimodernism, Postmodernism, Londres, Thames & Hudson, 2004 p. 1032-1034.
78
l’impression de dominer le système mais ce sont eux qui sont dominés. Ils finissent
donc par soutenir une prison culturelle qui les assujettit. Eux-mêmes ne sont pas
enfermés évidemment, mais leur production l’est. Il y a dans les musées, comme
dans les asiles et les prisons, des cellules et des quartiers, en d’autres termes, des
salles neutres nommées “galeries”. Une fois placées dans un tel lieu, l’oeuvre perd
sa fonction pour n’être plus qu’un simple objet transportable ou une surface
déconnecté du monde extérieur. Une pièce éclairée vide et blanche est en elle-
même un espace soumis à la neutralité. 84» Robert Smithson ajoute plus loin que « la
fonction du gardien-conservateur est de séparer l’art du reste de la société ». Dans
le musée, l’œuvre d’art est « complètement neutralisée, rendue inefficace,
abstraite, inoffensive, elle est prête à être consommée par la société ». Les propos
de l’artiste ne nient pas ici le rôle de médiateur de l’institution muséale entre
l’oeuvre le public. Il pointe simplement du doigt le fait que celui-ci, en tant
qu’espace neutre, sacralisé et séparé de la vie quotidienne, désactive en quelque
sorte l’oeuvre en la déconnectant des réalités sociales, économiques et politiques. À
ce propos, Leszek Brogowski nous remémore le premier rôle du musée dans un texte
écrit à l’occasion d’un colloque sur « L’imprimé et ses pouvoirs dans les langues
romanes »85. Il rappelle qu’une des fonctions premières du musée est de conserver et
de protéger les œuvres d’art faisant désormais partie du patrimoine (notion qui
émerge à l’époque des premiers musées) en les déplaçant « dans le domaine de la
mémoire collective par une décontextualisation forcée», ceci afin de pouvoir les
transmettre aux générations futures. Il fait alors la distinction entre les œuvres d’art
qui existent tout d’abord en tant que « symboles “vivants”, […] fonctionn[ant] dans
les circuits sociaux » et les « “objets culturels”, décontextualisés et sacrés en tant
84 Ibidem.p.1032-33. 85 Leszek Brogowski, « Le livre d’artiste et son pouvoir théorique », In Ricardo Saez, (sous la dir. de). L’imprimé et ses pouvoirs dans les langues romanes, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006. Texte publié à l’occasion du colloque international « L’imprimé et ses pouvoirs dans les langues romanes», Rennes, 5-7 octobre 2006.
79
que trésors du patrimoine, donc intouchables, dont la place est désormais dans les
collections publiques » que les œuvres deviennent ensuite. Leszek Brogowski insiste
bien sur cette temporalité, sur l’idée d’une première vie de l’oeuvre dans le tissu
social, et ensuite seulement sur sa sacralisation, une fois que celle-ci a rempli sa
première « fonction ». Or, cette chronologie n’est pas toujours respectée et l’est de
moins en moins à l’époque où l’œuvre est perçue comme un objet de consommation,
allant directement de l’atelier de l’artiste au musée ou dans une collection privée.
C’est bien cette idée d’une œuvre-marchandise déconnectée de la réalité que
semble critiquer et chercher à éviter Robert Smithson, comme les artistes qui créent
des livres et revues comme œuvres d’art à part entière, ou encore qui réalisent des
travaux dans les médias. Le livre d’artiste et la revue d’artiste, par leur diffusion
dans la société, cherchent à échapper à cette neutralisation et à retrouver leur
effectivité sociale. L’auteur qualifie les livres d’artistes en particulier, de « lieu[x]
hors pouvoir », qui viseraient « à échapper au “monde de l’art” afin de retrouver la
vie et flirter avec elle ».86 L’insertion artistique dans la presse partage de nombreux
points communs avec le livre d’artiste et relève elle aussi de cette dynamique.
L’insertion d’œuvres d’art dans les périodiques, non spécialisés en art plus
particulièrement, permet une mise en rapport des plus directes de l’art avec les
différents domaines de la vie quotidienne. L’art côtoie au sein même du périodique
des contenus divers et variés : économiques, politiques, sociaux… Les journaux,
magazines et revues, loin des espaces vides blancs et neutres du white cube sont des
espaces composites. Ils sont le lieu même de la juxtaposition d’univers différents,
voire opposés.
« Vital Use », un de projets menés par Hans-Ulrich Obrist avec Museum in
progress est significatif de la recherche d’un espace de création « vital » pour
l’artiste, au cœur des médias de masses, et donc au cœur de la société. Entre le
86 Ibidem , p. 305.
80
mois d’octobre 1994 et le mois de septembre 1995 le co-commissaire d’exposition,
avec Stella Rollig, invitent plusieurs artistes à exposer leurs œuvres au sein du
principal journal quotidien autrichien Der Standard. Hans-Ulrich Obrist explique que
« le point de départ de Vital Use tient au fait que de plus en plus d’artistes créent
leurs propres structures de production et de distribution, suite à leur insatisfaction
face aux structures existantes »87. « Vital Use » leur donne la possibilité de présenter
leur travail sous la forme d’une exposition au sein d’un journal, c’est-à-dire dans un
autre lieu que le musée ou la galerie que ces artistes cherchent à contourner pour
diverses raisons notamment évoquées ci-dessus. Stewart Brand ajoute que l’un des
intérêts de l’exposition repose aussi sur le fait que ces artistes partagent
« l’intention d’associer différentes sphères au sein de leur travail et d’étendre leur
propre pratique à diverses sphères »88. Nous retrouvons d’ailleurs des artistes
habitués à travailler dans des publications. Par exemple, Hans Peter Feldmann a
réalisé de nombreux livres d’artiste et a créé plusieurs publications périodiques dont
Image en 1979. De façon plus anecdotique, à l’occasion d’un entretien avec Hans-
Ulrich Obrist, il fit le choix de répondre aux questions de ce dernier en images,
créant une œuvre à partir des questions du commissaire, dans AnOther Magazine
(numéro 16, été-automne 2009). Yoko Ono, qui a réalisé bien plus tôt des inserts
dans des journaux comme Art and Artist (Royaume-Unis) en 196689, participe elle
aussi à « Vital Use ». Hans Peter Feldmann intervient sur trois des pages du journal
87 Hans-Ulrich Obrist, sélection de textes sur Vital Use, sur le site www.mip.at/http [ En ligne: http://www.mip.at/en/projekte/13.html. Consulté le 3 juin 2010 ] :« The starting point of Vital use is the fact that more and more artists are creating their own production and distribution structures out of their dissatisfaction with the existing structures. » 88 Stewart Brand, Ibidem. : One focus lies in the intention of all participating artists to involve different spheres and to expand their own activity into different spheres. » 89« Interview » , AnOther Magazine, printemps-été 2009, p. 363-373. Version digitale : www.anothermagonline.com [En ligne : http://www.anothermagonline.com/anothermag/2009springsummer. Consulté le 6 mai 2010] Yoko Ono, « Foutain Piece », Art and Artists, vol. 1, n°7, octobre 1966, p. 44 et « Moutpiece », Arts ans Artists, vol. 1, n°8, novembre 1966, p. 39.
81
du 7 et 8 décembre 1994, sous la forme d’encadrés90. Il y insère des photographies en
noir et blanc, sans légende, dans la lignée de sa pratique. L’artiste collecte des
images provenant de diverses sources, qu’il réordonne à sa guise pour ensuite les
présenter, mettant le doigt sur la nature problématique de l’image dans une société
qui en est inondée. Ici, dans Der Standard, seule la légende indiquant qu’il s’agit
d’un projet Museum in progress apparaît. Quant à Yoko Ono, elle intervient sur la
page 19 du journal du 13 septembre 199591. Elle reprend le slogan manifeste « War is
over if you want it » imprimé sur des affiches ou encore sur des panneaux
publicitaires dans le cadre de la lutte contre la guerre que menait l’artiste avec son
conjoint John Lennon à l’époque (dont le nom apparaît d’ailleurs aux côtés de celui
de Yoko Ono dans l’insert de 1995). Elle y en ajoute les dates 1969 (date à laquelle
ce slogan fut créé) et 1995, l’année de ce second manifeste. Alors que le premier
travail fait référence à la guerre du Viêt-Nam, son message pacifique se trouve
tristement réactualisé, au moment où les conflits se succèdent en ex-Yougoslavie.
Les interventions de « Vital Use » mettent en exergue la porosité de la frontière qui
sépare l’art et la vie, tout en montrant que de nombreuses expériences artistiques
ont leur place dans cet espace hybride, cet entre-deux que le journal propose.
Face à l’institution muséale qui historicise, sacralise et neutralise l’oeuvre
d’art, Museum in progress propose le modèle d’un musée sans mur, partout et nulle
part à la fois, qui profite de l’espace médiatique pour se répandre dans le quotidien.
La collection constituée d’œuvres réalisées dans des journaux, revues et magazines,
se diffuse dans la société où les flux d’images et d’informations sont incessants. Les
oeuvres s’éparpillent aux quatre coins du monde. La préservation de ces œuvres
d’art – laborieuse, mais qui reste tout de même possible dans le cas des travaux dans
les publications périodiques - est alors laissée à l’appréciation du public.
90 Hans-Peter Feldmann, « Vital Use », Der Standard, 7-8 décembre 1994, p.4,8, et 33. Cf. volume iconographique, p.30. 91 John Lennon & Yoko Ono, « Vital Use », Der Standard, 13 septembre 1995, p.19. Cf. volume iconographique, p.30.
82
La définition de l’exposition comme dispositif médiatique
Jusqu’ici nous avons vu que de nombreuses publications ont été le lieu
d’application de projets de commissariat d’exposition, que ce soit dans le cadre
d’expériences conceptuelles à la fin des années 1960, ou bien dans le but de
redonner la parole aux artistes, ou encore comme partie prenante d’une réflexion
sur la place de l’art dans la société et sur le rôle des médias. Le mot « exposition »
ou bien des termes proches (Trou parle de ses numéros comme autant de « vitrines »
fragmentaires de l’art contemporain), sont chaque fois utilisés voire revendiqués par
les acteurs de ces aventures éditoriales. Son utilisation peut néanmoins nous sembler
incongrue, tout comme l’idée d’un musée dans un journal. D’ailleurs, au sujet des
travaux réalisés dans Der Standard par Museum in progress, Vitus H Weh s’étonne
faussement :« un musée dans un journal, alors. Si ce n’est pas insensé »92. Mais la
question nous vient en effet à l’esprit : peut-on vraiment parler d’une exposition au
sein d’une publication, et comment entendre alors ce terme ?
Il faut en fait comprendre l’exposition selon la définition que Jean Davallon
en donne dans son ouvrage L’exposition à l’œuvre qu’il publie en 1999. L’auteur y
analyse l’exposition en tant que média, c’est-à-dire un « lieu d’interaction entre le
récepteur et les objets, images, etc »93, ce qui permet donc d’envisager l’exposition
sous de multiples formes, y compris celle de la publication. Jean Davallon poursuit
en expliquant que l’exposition n’est autre qu’un dispositif social et un « agencement
de choses dans un espace avec l’intention de rendre celles-ci accessibles à des
sujets »94. Ici, le terme « choses » peut tout à fait inclure des visuels, des images,
comme le mot « espace » peut aussi faire référence à une publication. L’utilisation
du terme « exposition » pour parler de la monstration de travaux d’artistes dans un 92 Vitus H Weh, Op.cit Vienne, 1998 : « A museum in the newspaper then. If that is not nonsensical. » 93 Jean Davallon. L’exposition à l’œuvre : stratégies de communication et médiation symbolique, Paris, l’Harmattan, 1999, p. 233. 94 Ibidem., p.14.
83
périodique est donc légitime, d’autant plus que ce dernier est lui-même un dispositif
social, visant à rendre accessible un contenu, d’une extrême efficacité - grâce
justement à la mobilité, la large diffusion, la souplesse, etc., caractéristiques des
périodiques que nous avons déjà mentionnées. Nous devons en fait nous détacher de
notre conception traditionnelle de l’exposition (un certain agencement d’œuvres
d’art proposée à la vue du public dans un espace tridimensionnel, permettant de se
déplacer, de suivre un certain parcours dans l’espace), conception à laquelle
l’institution muséale nous a habitué, mais qui n’est qu’une application parmi
d’autres du concept d’exposition. Les « formats de l’exposition »95 sont pluriels, les
propositions des curators (professionnels, artistes, critiques…) infinies.
Les expositions dans la presse, les revues, les magazines peuvent elles-mêmes
prendre des formes variées. Nous avons mentionné plus haut l’intervention de Yoko
Ono qui réalise un insert individuel et autonome, bien qu’il ait été créé dans le cadre
plus général de « Vital Use ». Les artistes peuvent aussi intervenir sur plusieurs pages
et ainsi construire un parcours adapté à la publication pour le lecteur-public. Les
productions sont parfois présentées de façon très linéaire, les diverses entités de la
contribution mises sur un pied d’égalité. Parfois, l’accent est mis sur tel ou tel
composant, les artistes profitant des jeux d’échelles permis par la publication pour
mettre en avant ou montrer le détail d’une œuvre. Par exemple, dans le numéro 11
de la revue Trou (2000), le photographe italien Ferdinando Scianna présente sur
plusieurs pages de la revue une série de clichés qu’il a réalisée sur le thème du
miroir au fil des années. La présentation est sobre, les photographies légendées sont
présentées parfois sur une page, parfois en plus grand format sur une double page,
de manière à former une sorte d’exposition thématique et rétrospective sur plusieurs
95 Cf. le dossier « Les formats de l’exposition », Mouvement, janvier-mars 2010, numéro 54, p.86-119. Le dossier comprend d’ailleurs deux travaux d’artistes : « une exposition rêvée pour l’artiste Barbara Breitenfellner, ou pour Ulla von Bradenburg la continuité d’une exposition dans l’espace d’un journal », pour reprendre les mots de Valérie Da Costa (p. 89).
84
pages de la revue96. Le même dispositif est mis en place dans le numéro 14 qui
propose cette fois-ci des portraits photographiques d’artistes et écrivains réalisés par
Martine Franck (qui a fait partie d’agences photographiques de renom comme Vu,
Viva et aujourd’hui Magnum)97. Nous avons ici évoqué des travaux photographiques,
dont les changements d’échelles sont identiques à ceux que permettrait un tirage
photographique. Dans le numéro 18 de Trou (2008) les deux architectes Jacques
Herzog et Pierre de Meuron présentent leur projet pour l’auditorium du Jura, en
multipliant les types de « documents » comme on a coutume de le voir dans des
expositions d’architecture, et proposent des zooms sur certains visuels.98
L’agencement des œuvres présentées, c’est-à-dire le dispositif mis en place par
l’artiste (ou bien délégué au graphiste de la revue), leur confère un rôle particulier,
les uns par rapports aux autres. Dans la présentation de l’œuvre, certains vont
jusqu’à jouer avec la périodicité de la publication. Nous l’avons vu avec l’exemple
des feuilletons de Libération au début des années 1980 dans notre second chapitre.
C’est aussi le cas de Stephen Kaltenbach et de sa série Art works dans les pages
d’Artforum de novembre 1968 à décembre 1969, ou de l’artiste sud-africain Walter
Battiss qui réalise une série inserts dans des espaces publicitaires de Studio
International sur plusieurs années (de janvier 1972 à juillet - août 1974). Les
périodiques permettent une exposition en plusieurs étapes, proposant une autre
temporalité, une présence de l’art plus diffuse, à la fois dans le temps et dans
l’espace.
Remarquons enfin que lorsque l’artiste crée spécialement pour la publication,
son intervention est à la fois oeuvre et présentation de l’œuvre puisque le support et
la création sont indissociables. L’artiste produit en même temps un travail et un
discours sur celui-ci. Même si un commissaire d’exposition intervient parfois comme
initiateur du projet, l’intervention dans la publication permet à l’artiste d’être 96 Cf Volume iconographique p. 31. 97 Cf Volume iconographique p. 32. 98 Cf Volume iconographie p.33-34.
85
maître de sa production, du début jusqu’à la fin. L’exposition réalisée par Pierre
Leguillon à partir du travail de Diane Arbus dans les publications périodiques « Pierre
Leguillon présente Diane Arbus : Rétrospective imprimée (1960-71) » à la Kadist Art
Foundation, à Paris, en 2009, met le doigt sur la dualité de cette pratique. Le regard
que porte l’artiste sur le travail de Diane Arbus pour les magazines, et ses choix
d’accrochage à la Kadist Art Foundation sont éloquents. Pierre Leguillon expose les
pages des revues et magazines où l’artiste a présenté ses travaux, chacune mise sous
verre et disposée sur les murs de la fondation. En fait, l’artiste réalise une exposition
non pas seulement à partir d’œuvres d’art mais à partir d’une exposition (mais qui
est rarement vue et comprise comme telle). L’accrochage de ces pages de magazines
agit comme un révélateur, permet d’attirer l’attention sur ce travail. Une première
exposition a déjà lieu, en dehors de la Kadist Foundation, dans chaque revue que
l’artiste a investie. Le titre même de l’exposition va dans ce sens : la rétrospective
est déjà imprimée, elle est déjà contenue dans les magazines. Pierre Leguillon se
contente de les rassembler et d’inviter à porter un nouveau regard sur cette
production de Diane Arbus. Cette exposition de Pierre Leguillon est particulièrement
riche parce qu’il ne « travaille non [pas] avec l’image de l’oeuvre mais avec son
contexte d’apparition : l’exposition » explique Vincent Romagny.99 Dans le sillage des
artistes appropriationnistes, il reprend, non plus une oeuvre, mais une exposition
pour créer la sienne.
La définition de l’exposition comme média nous permet de comprendre
chaque intervention d’artiste dans les périodiques comme une exposition, qu’elle
soit à l’initiative de l’artiste ou bien le fruit d’un travail de collaboration entre un
journal, un magazine ou une revue et l’artiste. Ces expositions sont d’envergure plus
ou moins grande et varient dans leur forme, au sein même des publications selon 99 Vincent Romagny, «A partir de Pierre Leguillon présente Diane Arbus, Rétrospective imprimé 1960-1971 », May, n°1, juin 2009, p. 122.
86
l’espace investi par l’artiste et sa manière de l’envisager. Aussi, c’est l’idée
métaphorique d’un musée comme matrice, et la conception du commissaire comme
catalyseur d’énergie artistique, qui nous permet de penser les projets de
commissariat sous la forme éditoriale. Les travaux d’artistes dans la presse, qui ont
pu se construire contre l’institution muséale, ne se séparent pour autant pas de la
notion de musée ni d’exposition. Ils en retiennent l’essence, la notion de lieu de
médiation, d’interface entre l’art et le public, en même temps qu’ils en proposent
une nouvelle formulation, plus en adéquation avec la société de masse et de
communication contemporaine.
87
CONCLUSION
Les travaux d’artistes dans la presse sont ancrés dans la période de remise en
question et de bouleversement du fonctionnement du monde de l’art et des
frontières de l’oeuvre d’art. Non seulement ils participent à la redéfinition de l’objet
d’art, de ses conditions de production et de réception, mais ils sont aussi le fruit de
la prise en compte et de l’adaptation de l’artiste aux modes de vie et de
communication de la société contemporaine.
Les quelques exemples abordés témoignent de la diversité de ces travaux.
Certains, comme ceux de Fred Forest, Ernest T. ou Jeff Koons, prennent la forme
d’inserts autonomes, c’est-à-dire réalisés à la seule initiative de l’artiste et
simplement tolérés par la publication, à titre onéreux. D’autres résultent d’une
réelle collaboration entre le périodique et l’artiste, que ce soit grâce à un
intermédiaire tel que Museum in progress, ou bien, qu’ils soient intégrés au projet
éditorial même de ladite publication, comme c’est le cas d’Ártics, de Trou ou de
Libération. La diversité des oeuvres n’est que le reflet de la multiplicité des
possibilités que permet le travail au sein d’une publication périodique. Ce sont les
acteurs de ces projets (artistes, directeurs de publications, journalistes, critiques,
commissaires d’exposition), leurs préoccupations et leurs centres d’intérêts, comme
les moyens de production des publications (noir et blanc ou bien couleur, nombre de
pages…), et enfin le type de publication (presse quotidienne, magazine, revue
spécialisée…) qui déterminent la nature des travaux. C’est du croisement de ces
facteurs que découlent des œuvres diverses et variées, à chaque fois singulière.
88
Il faut ajouter à cela que des artistes de « familles » variées se sont intéressés
à ce type de pratique. Qu’ils viennent de l’Art conceptuel, de la Poésie visuelle, de
l’Art sociologique, ou bien qu’ils portent une attention particulière aux moyens de
communication ou à l’utilisation et à la nature des images dans la société
contemporaine, travailler au sein d’une publication périodique leur est apparu
approprié et pertinent à un moment de leur carrière. Ces travaux ne sont pas
l’affaire de spécialistes. Au contraire, ils existent de façon parallèle à une pratique
artistique autre ou bien dans le prolongement de celle-ci.
Si nous nous plaçons à présent du côté de la publication, nous avons pu
constater que de plus en plus de périodiques sont à l’origine de ces travaux,
prouvant leur volonté de travailler étroitement avec l’artiste - qui lui-même ne se
contente aujourd’hui plus de créer seul dans son atelier ou sur le motif - et de lui
proposer un espace, plus ou moins important, où il pourra mettre en œuvre ses
propres moyens d’expression. Grâce à cette prise de conscience de la part des
directeurs de publication et grâce à la mise en place d’association comme Museum in
progress faisant le lien entre les publications et les artistes, ceux-ci n’ont plus
nécessairement besoin d’aller à la conquête des médias seuls ou bien avec l’appui de
leur galerie.
Non seulement les travaux d’artistes dans la presse donnent naissance à un nouveau
type de pratique artistique, mais aussi à un nouveau genre éditorial, proche du
commissariat: les artistes créent pour et dans la publication qui se fait espace
d’exposition. Certains directeurs de publication - tels que Béatrice Méline et la revue
Hypertexte (Toulouse, 2008) déjà citée, Catherine Chevalier et Eva Svennung avec
May (Paris, 2009) ou encore Carla Demierre, Fabienne Radi et Izet Sheshivari avec
Tissu (Genève, 2004) - vont plus loin encore, en acceptant totalement la valeur
discursive de l’image et la capacité de l’artiste à formuler une critique. Ils intègrent
alors les travaux d’artistes à leur publication comme autant d’exposés, accouchant
89
cette fois-ci d’un nouveau genre rédactionnel. Il s’agit juste là d’un autre registre de
travail dans la presse, d’une autre façon de considérer la place de l’artiste au sein
de la publication.
La récupération de cette pratique - originellement initiée par les artistes seuls - par
les publications périodiques, n’est donc pas nécessairement synonyme d’une perte
d’intérêt et de pertinence de ces travaux. Certes certaines publications se
contentent de « surfer sur la vague » et de présenter des projets d’artistes sans
grand intérêt. L’artiste ne fait alors qu’ « occuper la page » pour reprendre les mots
d’Ernest T. dans l’insert qu’il réalise dans Public en 1984. Paradoxalement, l’insert
peut alors servir le système contre lequel il a pu s’ériger à ses débuts. Mais ces
publications peuvent aussi être comprises comme autant de signes de bonne santé
d’une pratique artistique qui suscite l’intérêt. De nombreux exemples, parmi
lesquels certaines des publications citées dans cette étude, viennent contredire la
prédiction d’Adorno qui, comme nous le rappelle Armand Mattelart, voyait dans la
sérialisation et la standardisation « la faillite de la culture, sa chute dans la
marchandise »100.
Il est clair que tous les travaux abordés dans cette étude sont multiples,
parfois opposés les uns aux autres, et relèvent d’enjeux particuliers. Mais ils ont pour
point commun de toujours faire le pont entre deux sphères souvent séparées : celle
de l’art et celle du quotidien de tout un chacun. Après l’étude de ces quelques
exemples, il semble que la notion d’intermédiaire soit essentielle dans cette
pratique. Tout d’abord, ces travaux n’existent que dans un espace d’entre-deux qui
n’est ni entièrement celui de l’art, ni celui d’un simple périodique, ce qui ne facilite
probablement pas l’acceptation de ces travaux comme des œuvres d’art à part
100 Armand Mattelart, La communication-monde, histoire des idées et des stratégies, Paris, Editions la Découverte, 1992, p.230-231.
90
entière. Ensuite, le terme « média » nous apparaît central dans cette pratique. Il
scande d’ailleurs le développement de notre étude. Cette notion émerge
premièrement dans un sens empirique, à travers l’idée de la revue faîte médium,
lieu de fusion d’un contenu et d’un matériau, d’une forme. Plus communément, elle
se manifeste ensuite via la caractéristique communicative de ces travaux, qui
prennent vie dans un moyen de communication, de transmission d’un message. Un
lien direct est tissé avec le public, sans aucun intermédiaire. C’est justement à
travers cette dernière notion de médiation que le terme « média » se manifeste. Ces
travaux contiennent en eux-mêmes une valeur de médiation, qui est mise en œuvre
selon l’espace de la publication. La publication périodique condense toutes les
nuances du mot « média » et concentre aussi les diverses étapes de la construction
et du parcours d’une œuvre d’art : la conception, la production, la diffusion,
l’exposition.
La transmission, l’échange, mais aussi l’hétérogénéité, la collision de sphères
habituellement étrangères semblent caractériser tous ces travaux, aussi différents
soient-ils. Ces attributs sont en fait le prolongement de la nouvelle posture que
prend l’artiste lorsqu’il réalise ces œuvres, non seulement de façon collective (il a
au moins besoin de l’accord du membre de la publication qui supervise les espaces
publicitaires ou bien de petites annonces) mais aussi face à un large public. Helmut
Draxler évoque la figure de l’artiste dans le texte de 1991 « The Message as
Medium » qu’il écrit au sujet de l’exposition du même nom, réalisée dans le cadre de
Museum in progress. « L’artiste est aussi confronté à un public qui ne s’attend pas à
trouver de l’art dans un tel cadre. Cette façon dont l’artiste se présente renouvelle
la définition de sa propre figure, l’artiste contemporain ne se définissant désormais
plus selon ses propres termes mais constamment dans la relation aux autres. Son
travail ne peut plus être pensé selon des catégories comme la peinture ou la
sculpture. Il agit en tant que scientifique, journaliste, philosophe, politicien,
91
prédicateur, designer. Seuls la façon et les moyens qu’il met en place pour servir les
« autres » le désignent comme artiste. Aujourd’hui plus personne n’est réellement
intéressé par l’idée d’un génie intérieur […].»101 L’historien d’art Boris Groys
développe lui aussi cette idée dans le texte « Vers un nouveau romantisme », publié
dans le catalogue de la dixième édition de la Biennale de Lyon102. Il y synthétise les
diverses postures de l’artiste dans la société depuis l’époque romantique jusqu’à
aujourd’hui, Aussi, lorsqu’il réalise une œuvre dans un média comme la presse,
l’artiste a pour dessein de mettre celle-ci directement en contact avec un public et
n’hésite pas pour cela à « envahir » son salon, ses bureaux, ses bibliothèques, sans se
contenter de lui proposer une production esthétique à contempler. Sur ce dernier
point, Anne Moeglin-Delcroix remarque, au sujet des ephemera works (qui englobent
notamment les inserts) que «ce faisant, peut-être préservent-ils, plus que d’autres
productions, ce que l’art contemporain a introduit de plus radical dans l’histoire des
arts visuels : un rapport aux œuvres qui n’est pas de contemplation mais de
lecture »103. L’artiste va chercher le public jusque dans les sphères quotidiennes,
voire intimes, et il lui propose un autre type d’implication, plus active, face à
l’œuvre d’art et lui demande une plus grande attention.
À travers cette étude, nous avons essayé de saisir certains des enjeux des
travaux d’artistes dans la presse. Il serait intéressant de poursuivre cette recherche,
dans un cadre bien plus large en réalisant une étude systématique sur ces œuvres qui
101101 Helmut Draxler, « The Message is Medium », sur le site www.mip.at. [En ligne : http://www.mip.at/en/projekte/16.html. Consulté le 25 mai 2010] : « The artist is also confronted with a public which does not expect art in this setting. This way of presenting himself also leads to a new definition of himself since the contemporary artist no longer defines himself on his own terms but constantly in relation to others. His work can no longer be thought of in categories such as painting or sculpture. He acts as scientist, journalist, philosopher, politician, preacher or designer. Only the ways and means by which he serves the "others" designates him as an artist. No one is any longer really interested in the inner state of the genius as is anyway sufficiently propagated by cheap profiteers. » 102 Xème biennale d’art contemporain de Lyon - Le spectacle du quotidien, (cat. expo.), Dijon, Les Presses du réel, 2009. 103 Anne Moeglin-Delcroix, « Art de circonstance », In Steven Leiber. Extra Art, a survey of artists’ ephemera, San Francisco, ccac/smart art press, 2001.p. 19.
92
échappent à l’histoire. Il resterait désormais à effectuer un recensement de celles-ci
afin de leur donner la place qu’elles méritent dans l’histoire de l’art contemporain.
La tâche est ardue, mais c’est aussi la difficulté à repérer et à collecter ces œuvres
qui fonde leur intérêt. C’est sur ce dernier point que nous conclurons cette étude,
avec quelques mots tenus par Johanne Lamoureux au sujet d’œuvres in-situ, mais qui
peuvent s’appliquer également à l’objet de notre étude : « Entre intrusion et
disparition, elles [les œuvres] posent ainsi non seulement la question des limites de
l’institution artistique mais, avec souvent plus d’acuité encore, celles des limites de
l’art (de ce que l’on peut en attendre), et celle des limites de l’œuvre, de son
repérage dans l’expérience affective, phénoménologiques ou cognitive que l’on peut
en faire en dehors du réseau banalisé de l’institution artistique»104. Les travaux
d’artistes dans la presse sont en effet une mise en question du musée, de l’art, de
l’œuvre. C’est justement ce qui fait le caractère subversif, aujourd’hui encore, de
ces productions qui s’éloignent des chemins balisés de l’art.
104 Johanne Lamoureux, L’art insituable. De l’insitu et autres lieux, Montréal, Centre de diffusion 3D, 2001, p.9.
93
CORPUS
Publications périodiques :
- Ártics, trimestral multilingüe de les arts i de les ics (Barcelone, 1985-89)
- Trou, revue d’art (Moutier, 1979)
Travaux d’artistes :
- Sophie Calle, «L’homme au carnet», Libération (Paris) 1er août - 3 septembre 1983.
- Raymond Depardon, «Correspondance new-yorkaise», Libération (Paris), 1-12 août
1981.
- Ernest T. :
[sans titre], Flash Art (Paris), n°2, hiver 1983-1984.
[sans titre], Public (Paris), n°1,1984.
[sans titre], Journal (Los-Angeles), été-automne 1987.
[sans titre], Iskusstvo (Moscou), 1990.
-Fred Forest :
«Le mètre carré artistique», Le Monde (Paris), 10 mars 1977, p. 13.
«Le mètre carré artistique», Le Monde (Paris), 20 septembre 1977, p. 46.
- François Hers, «Paris/ Une photo par jour/ François Hers », Libération (Paris),1er-
31 août 1982 .
-Jeff Koons :
«Art magazine Ads», Art in America, n°11, novembre 1988, p. 51.
«Art magazine Ads», Arts Magazine, vol. 63, n° 3, novembre 1988, p. 23.
«Art magazine Ads», Artforum, vol. 27, n°3, novembre 1988, p. 23.
«Art magazine Ads», Flash Art International, n°143, novembre/décembre
1988, p.86.
94
- « Vital Use », Der Standard (Vienne), 1994/95 :
Hans-Peter Feldmann, « Vital Use», Der Standard, 7-8 décembre 1994, p.4, 8
et 33.
John Lennon et Yoko Ono, «Vital Use», Der Standard, 13 septembre 1995,
p.19.
95
BIBLIOGRAPHIE
Sources
-Entretien avec Vicenç Altaió, Directeur de la publication Ártics, en date du 23 mars 2010.
-Entretien avec Konrad von Arx, pour le comité de rédaction de Trou, en date du 8 avril 2010.
-Site officiel de Museum in progress :www.mip.at
-Site officiel de Jeff Koons : www.jeffkoons.com
-Site officiel de Trou : www.trou.ch
-Site visualKultura, art/disseni/libres : www.visualkultur.cat
-Fonds Jean-Marc Poinsot [FR ACA JPOIN], Archives de la Critique d’art, Châteaugiron.
-Fonds Pierre Restany [FR ACA PREST], Archives de la Critique d’art, Châteaugiron.
-« Le livre d’artiste : quels projets pour l’art ? », Colloque international, Université Rennes 2-
Haute Bretagne et Université Paris I - Panthéon-Sorbonne, Rennes, 18, 19, 20 mars 2010.
Bibliographie générale
Ouvrages généraux
- ALBERT Pierre. Histoire de la presse, Paris : PUF, 2003.
- ARDENNE, Paul. Un art contextuel, Paris, Flammarion, 2002.
- BOIVENT, Marie, « La pratique de l’insert : Quand l’espace publicitaire devient lieu de
publication », in HOHLFELDT, Marion et BORREL, Pascale. Parasite(s), une stratégie de
création, Paris, L’Harmattan, 2010. p 29-45
- BONY, Anne (sous la dir.). Les années 1980, Paris, Editions du regard, 1995.
96
- CARRION, Ulises. Quant aux livres. On books, Genève, Héros-Limites, 1997. [textes
rassemblés par Juan J. AGIUS, traduit par Thierry DUBOIS]
- CHEVREFILS DESBIOLLES, Yves. 175 revues d'art, Paris, Ent'revues, 1997.
- DEBORD, Guy. La société du spectacle, Paris, Gallimard, 1992.
- FOSTER, Hal, KRAUSS, Rosalind, BOIS, Yves-Alain et BUCHLOH, Benjamin H.D. Art since
1900, Modernism, Antimodernism, Postmodernism, Londres, Thames & Hudson, 2004.
-GRAHAM, Dan. « My works for magazines pages », In Ma position. Ecrits sur mes œuvres,
Villeurbanne, Le Nouveau Musée/Institut, Dijon, Les Presses du Réel, 1992, p.62-63.
-LAMOUREUX, Johanne. L' art insituable : de l'in situ et autres sites, Montréal, Centre de
diffusion 3D, 2001.
- MATTELART, Armand. La communication-monde, histoire des idées et des stratégies, Paris,
Editions la Découverte, 1992.
- MOEGLIN-DELCROIX, Anne. Esthétique du livre d'artiste (1960-1980), Paris, Jean-Michel
Place et Bibliothèque nationale, 1997.
-MOEGLIN-DELCROIX, Anne. Sur le livre d’artiste, Paris, Le mot et le Reste, 2006.
- POINSOT, Jean-Marc. Quand l’œuvre a lieu, Genève, Les Presses du Réel, coll. « Mamco »,
2008.
-PHILLPOT Clive, “Artists as Magazinists”, In In Numbers: Serial Publications by Artists Since
1955 , New York, PPP Editions, 2010, p.177-184.
-RORIMER, Anne. New Art in the 60s and the 70s : Redefining Reality, London, Thames &
Hudson, 2001.
Catalogues d’exposition
- NANNUCI, Maurizio. Small Press Scene. Documents of Alternatives in the Press, Florence,
Zona, 1975.
- FAWCETT, Trevor et PHILLPOT, Clive. The Art Press : Two Centuries of Art Magazine,
Londres, The Art Book Co., 1976.
- PACQUEMENT Alfred, DAVID, Catherine et BLISTÈNE, Bernard, L’époque, la mode, la morale,
la passion, aspect de l’art d’aujourd’hui, 1977-1987, Paris, Centre George Pompidou, 1987.
97
- GOLDSTEIN, Ann, JACOB, Mary Jane, RORIMER Anne et SINGERMAN Howard. A Forest of
Signs, Art in the Crisis of Representation, Los Angeles Cambridge, Museum of Contemporary
Art, The MIT Press, 1989.
-Art & Pub : art et publicité, 1890-1990, (cat. expo.) Paris, Editions du Centre Pompidou,
1990.
-PERNECZKY, Géza. A Hàlò. Alternativ müvésezeti àramlatok a folyòiratkiadvànyaik tükrében
1968-1977, Budapest, Héttorony Kiadò, 1991. [Traduction anglaise par Tibor Szendrei : The
Magazine Network. The trends of Alternative Art in the Light of Their Periodicals, Cologne,
Soft Geometry, 1993.]
- GOLDSTEIN, Ann, RORIMER, Anne, Lippard, Lucy, et alli. Redefining the object of art : 1965-
1975, Los-Angeles, The MIT Press, 1995.
-SCHRAENEN, Guy. D’une œuvre l’autre : le livre d’artiste dans l’art contemporain.
Morlanwelz-Mariemont, Musée royal de Mariemont, 1996.
- MOKHTARI, Sylvie, «Dan Graham et Vito Acconci ‘au corps’ des revues », In Diserens,
Corinne et alii, L’art au corps, le corps exposé de Man Ray à nos jours, Marseille, Réunion des
musées nationaux, 1996.
- Printed in Spain. Künstlerpublikationen der 60er bis 80er Jahre. Impreso en España.
Publicaciones de los años 60 a 80, (cat. expo.), Brême, Weserbug Museum e Instituto
Cervantes, 2001.
-Parkett. Collaborations & Editions since 1984. (cat. expo.), New-York, Museum of Modern
Art, New-York - Zurich, Parkett Publishers, 2001.
-LEIBER, Steven (sous la dir.). Extra Art, a survey of artists’ ephemera, San Francisco,
ccac/smart art press, 2001.
-In media res. Information, contre information, (cat. expo), Rennes, Presses Universitaires de
Rennes, coll. « Métiers de l’exposition », 2003.
-Parkett. 20 Years of Artists’Collaborations, (cat.expo), New-York - Zurich, Parkett
Publishers, 2004.
- MOEGLIN-DELCROIX ,Anne, DEMATTEIS, Liliana, MAFFEI, Giorgio et RIMMAUDO, Annalisa.
Gardare, raccontare, pensare, conservare, quattro percosi del libre d’artista dagli anni 60 ad
oggi, Mantoue, Edizioni Corraini, 2004.
98
- BOIVENT, Marie. Revues d’artistes : une sélection, Rennes - Fougères, co-éditions Arcade,
Editions Provisoires, Lendroit galerie, 2008.
- Espèces d'espace, Les années 80 - Premier volet, (cat. expo.), Grenoble, Le magasin et Les
Presses du Réel, 2008.
- Images & (re)présentations, Les années 80 - second volet, (cat. expo.), Grenoble, Le
magasin et Les Presses du Réel, 2009.
-200 Art Works- 25 Years. Artists’ Editions for Parkett. (cat. expo.), New-York - Zurich,
Parkett Publishers, 2009.
- EX Guide. We Interrupt this Programm : prints and Ads and TV Spots by Artists, (cat.
expo.), Toronto, Mercer Union, 2009.
- Xème biennale d’art contemporain de Lyon - Le spectacle du quotidien, (cat. expo.), Dijon,
Les Presses du réel, 2009.
Périodiques
- « Art Magazines », Studio international, vol. 193, n°983, septembre-octobre 1976.
- « De l’objet à l’œuvre, les espaces utopiques de l’art », Art Press, numéro spécial 15, 1994.
- « Oublier l’exposition », Art Press, numéro spécial 21, 2000.
- « The 1980s / Now they’re History », Artforum, vol. XLI, n°7 et n°8, mars-avri 2003.
- « Numéro Zéro », Sans Niveau ni Mètre. Journal du Cabinet du livre d’artiste, n° 0,
novembre 2007.
- « Livres d’artistes. L’esprit de réseau », Nouvelle Revue d’esthétique, n°2, 2008.
- « Inserts » Sans Niveau ni Mètre. Journal du Cabinet du livre d’artiste, n° 12, 21-janvier -
16 mars 2010.
Articles de presse :
-BROGOWSKI, Leszek. « L’art, le livre, même combat », Nouvelles de l’Estampe, n°187,
mars-avril 2003, pp. 35-37.
- BOIVENT, Marie. « Infiltrer la presse : de la parution la disparition », Pratique, n°21, 2010.
- BOURRIAUD, Nicolas. « L’art à livre ouvert », Beaux-arts magazine, mars 1999, n°178,
p.64-72.
99
- BOURRIAUD, Nicolas. « l’art sous l’emprise des sens », Beaux-art magazine, juillet 1998,
n°170, p.74-83.
- BOURRIAUD, Nicolas. « La Fluidité de l'art. Entretien avec Catherine Millet » Art Press,
janvier 1995, n°198, p.38-45.
- CHEVREFILS DESBIOLLES, Annie. « Chronique : Revues d’artistes une sélection », La revue
des revues, n°42, 2008, p.75-84.
- CHEVREFILS DESBIOLLES, Yves. « Les revues d'art I- Histoire et variantes des origines à 1970
», La Revue des revues, n° 5, printemps 1988, pp. 82-93.
- CHEVREFILS DESBIOLLES, Yves. « Les revues d'art II- Trajectoires et évolutions, de 1970 à
nos jours», La Revue des revues, n° 6, automne 1988, pp. 60-77.
- CHEVREFILS DESBIOLLES, Yves. « Les Revues s'exposent au musée. Entretien avec Didier
Schulmann et Agnès de Bretagne », La Revue des revues, n°41, 2007-2008, p.70-77.
- DA COSTA, Valérie. « Dossier : Les formats de l’exposition », Mouvement, n°54, janvier -
mars 2010, p.86-119.
- DUPEYRAT, Jérôme. « Revues d’artistes. Pratiques d’expositions alternatives / pratiques
alternatives à l’exposition», Revue 2.0.1, dossier spécial « Revues d’artistes », février 2010.
[http://www.jrmdprt.net. En ligne : http://www.revue-2-0-1.net/index.php?/revuesdartistes/jerome-
dupeyrat/ consulté le 5 juin 2010]
- GENICOT, Thierry. « Les revues d’art – Engagement existentiel ou support promotionnel ? ce
qu’en pense Pierre RESTANY », ± 0, n° 42, octobre 1986, p 39.
- JUBERT, Roxane. « Entre voir et lire, la conception visuelle des catalogues d’expositions »,
Cahiers du Musée national d’art moderne, n°56-57, été automne 1996, pp. 37-57.
-MOEGLIN-DELCROIX, Anne. « Du catalogue comme œuvre d’art et inversement », Cahiers du
Musée national d’art moderne, n°56-57, été automne 1996, pp. 95–117.
-MOKHTARI, Sylvie. « Une revue "sans rédacteurs" : Avalanche, New York, 1970-76 », La Revue
des revues, n°29, 2000, p. 3-10.
- PASSINI, Michela. « Chronique : T.I.G.R.E et travaux : L’Europe des revues (1880-1920) », La
revue des revues n°42, 2008, p.97-101.
- PHILLPOT, Clive. « Art Magazine and Magazine Art », Artforum, vol. XVIII, n°6, février 1980,
p. 52-54.
100
- SISCHY, Ingrid. « Letter from the editor », Artforum, vol. XVIII, n°6, février 1980, p.26.
- THOMMEREL, Yoann. « Chronique : Dans la presse mais dans ses marges : ‘Ni revue ni
journal’ », La revue des revues, n°40, 2007, p.98-100.
- WAT, Pierre. « Livres d’artistes », Beaux-arts magazine , n°170, juillet 1998, p.107-108.
-WOLINSKI, Natacha. « Enquête : vu à la télé » Beaux-arts magazine , n°170, juillet 1998,
p.96- 105.
- ROMAGNY, Vincent. «A partir de Pierre Leguillon présente Diane Arbus, Rétrospective
imprimé 1960-1971 », May, n°1, juin 2009 p. 118-123.
- « Dossier : L’édition comme forme de création », L’Humidité, n°23, automne 1976, p.18-23.
- « Dossier : Matériau : Magazine », Ciel Variable, n°83, automne 2009 - hiver 2010, p. 3-62.
Travaux de recherches :
-HEGRON, Nathalie. L'Edition d'art et l'édition d'art contemporain en France, Maîtrise
d'Histoire de l'art contemporain, (sous la direction de Jean-Marc Poinsot), Rennes, Université
Rennes 2 - Haute-Bretagne, 1996.
- MOKTHARI, Sylvie. Les Revues d'art contemporain en France de 1967 à 1979, Maîtrise
d'Histoire de l'art contemporain, (sous la direction de Jean-Marc Poinsot), Rennes, Université
Rennes 2 - Haute-Bretagne, 1990.
- MOKHTARI, Sylvie. Des revues d’avant-garde en Europe et en Amérique du Nord du milieu
des années 1960 à la fin des années 1970, Diplôme d’Etudes Approfondies en Art
contemporain, (sous la direction de Jean-Marc Poinsot), Rennes, Université Rennes 2 - Haute-
Bretagne, 1992.
- MOKTHARI, Sylvie. arTitudes, Avalanche, Interfunktionen, Thèse de Doctorat d’Histoire de
l’art (sous la direction de Jean-Marc Poinsot), Université Rennes 2 - Haute-Bretagne, 1999.
- POIRIER, Karine. Etude des revues Documents, Blocnotes et Purple Prose & des
interventions des artistes dans ces trois revues, Maîtrise d'histoire de l'art contemporain,
(sous la direction de Jean-Marc Poinsot), Rennes, Université Rennes 2 - Haute-Bretagne, 1996.
101
Actes de colloque :
- BROGOWSKI, Leszek, « Le livre d’artiste et son pouvoir théorique », In SAEZ, Ricardo (sous
la dir.). L’imprimé et ses pouvoirs dans les langues romanes, Rennes, Presses Universitaires
de Rennes, 2006. [Publié à l’occasion du colloque international « L’imprimé et ses
pouvoirs dans les langues romanes», Rennes, 5-7 octobre 2006]
Bibliographie spécifique aux revues et travaux étudiés
Ouvrages généraux et catalogues d’exposition:
-CALLE, Sophie. Le carnet d’adresse (livre VI), Arles, Actes Sud, 1998.
-KOONS, Jeff et ROSENBLUM, Robert. The Jeff Koons Handbook, Londres, Thames & Hudson
et Anthony d’Offay Gallery, 1992.
-MILOUX, Yannick (sous la dir.). Ernest T. Opéra, Limoges, FRAC Limousin/ Dijon, FRAC
Bourgogne/ Bourges, La Box, École Nationale des Beaux-Arts/ Delme , la Synagogue de
Delme, Centre d’Art Contemporain, 2001.
-MIRÓ, Neus. « Pars Pro proto. Entrevista a Hans Ulrich Obrist », In MIRÓ, Neus et PICAZO,
Glòria, Impasse 8 : L’exposició com a dispositiu. Teories i pràctiques entoran de l’exposició,
Lerida (Espagne), Ajuntament de Lleida i Centre d’Art La Panera, 2008.
-MUTHESIUS, Angelika. Jeff Koons, Köln [Paris], Taschen, 1992.
-OBRIST, Hans-Ulrich. Dontstopdontstopdontstop, Dijon, Les presses du réel, 2007
-OBRIST, Hans-Ulrich. A briel history of curating, Dijon, Les presses du réel, 2009.
-PICAZO, Glòria. Impasse : art, poder i societat a l'Estat espanyol, Lerida (Espagne),
Ajuntament de Lleida, 1998.
Articles de presse :
- AZOURY, Philippe. « Le cas Bazooka », Libération, 4 mars 2005. [Site de Libération.fr, En
ligne : http://www.liberation.fr/culture/0101521014-le-cas-bazooka. Consulté le 26 mai 2010]
- BOURRIAUD, Nicolas. »Jeff Koons: ingénieur du désir », Beaux-Arts Magazine, septembre
1997, n°160, p.42-49.
102
- BOURRIAUD, Nicolas. « Buren, 30 ans de réflexion et un livre », Beaux-Arts Magazine,
octobre 1998, n°173, p.44-47.
- VOGEL, Sabine. "Düsseldorf : Museum in progress", Artforum, vol. 31, n° 2, 1992, p 119-120.
- REGNIER, Philippe. « Télévisions et journaux pris d’assaut. L’art se glisse au cœur des
foyers », Le Journal des Arts, n° 53, janvier 1998, p.20
-RUDOLPH, Karen "Un musée sans murs", Beaux-Arts n° 118, 1993, p.14.
- MOREL, Gaëlle. « Esthétique de l’auteur. Signes subjectifs ou retrait documentaire»,
Etudes photographiques, n°20, juin 2007, p. 134-147.
103
ANNEXES
104
Fiches techniques des principaux périodiques étudiés collaborant avec les
artistes (par ordre alphabétique)
ÁRTICS, Trimestrial multilingue de los arts i de los ics
Pays : Espagne
Langue(s) : Catalan, Espagnol, Italien, Français, Anglais, Allemand.
Genre : revue d’art
Périodicité : trimestriel
Dates de la publication: septembre 1985 - septembre 1989 (17 numéros parus)
Lieu de publication : Barcelone
Directeur de la publication : Vicenç Altaió
Directeur de la rédaction : Joaquim Pibernat
Tirage : 7 000 exemplaires
Prix : 45 francs (soit environ 6,90!)
Editeur : Edita Ártics SA
Distribution : Enlace
•Interventions d’artistes permanentes incluses dans le projet éditorial de la revue.
Der Standard
Pays : Autriche
Langue(s) : Allemand
Genre : journal généraliste
Périodicité : quotidien
Date de création : 1988
Lieu de publication : Vienne
Directeur de publication : Oscar Bronner
Directeur de rédacteur: Oscar Bronner
Tirage : 70 000 exemplaires
Prix :1,50!
Editeur : Standard Verlagsgesellschaft
Distribution: /
•Interventions d’artistes ponctuelles.
105
Libération
Pays : France
Langue(s) : française
Genre : journal généraliste
Périodicité : quotidien
Date de création : 18 mai 1973
Lieu de publication : Paris
Directeur de publication : Serge July (de 1974 à 2006)
Directeur de rédaction: Jean-Marcel Bouguereau (de 1981 à 1987)
Tirage : ± 117 000 exemplaires
Prix : 1,30!, (0,80 centimes de francs à ses débuts)
Editeur : SARL Libération
Distribution : /
•Interventions d’artistes ponctuelles
TROU, revue d’art
Pays : Suisse
Langue(s) : Français (Allemand, Anglais, Italien)
Genre : revue d’art
Périodicité : irrégulier
Date de création : 1979 (19 numéros parus, numéro 20 à paraître en novembre 2010)
Lieu de publication : Moutier
Comité de rédaction : Georges Barth, Jean-Pierre Girod, Umberto Maggioni et Roger
Voser puis Roger Meier, Josette von Arx, Konrad von Arx et Eric Voser.
Tirage : 850 exemplaires : (Edition courante : 750 exemplaire ; Edition de tête : 100
exemplaires)
Prix : Edition courante : 30 euros ; Edition de tête : 300 euros
Editeur : Editions de la Prévôtés jusqu’en 2000, puis Association Trou revue d’art
Distribution : Association Trou revue d’art
•Interventions d’artistes incluses dans le projet éditorial, de façon permanente et
exclusive
106
Biographies sélectives des principaux acteurs mentionnés : directeurs de
publications, journalistes, commissaires d’exposition
(par ordre alphabétique)
Altaió i Morral, Vicenç
Né à Santa Perpètua, Barcelone, Espagne, en 1954.
Vicenç Altaió, qui vit et travaille à Barcelone, est à la fois poète, essayiste,
critique d’art, éditeur, traducteur d’œuvres théâtrales. Il a travaillé pour de
nombreux centres et institutions d’art comme le Fonds Régional d’Art Contemporain
(FRAC) Languedoc-Roussillon, le FRAC Midi-Pyrénees en France, le « Departament de
Cultura de la Generalitat de Catalunya » (Département de la Culture du
Gouvernement Autonome de la Catalogne), l’Àrea de Cultura del Ayuntamiento de
Barcelona (Section Culture de la Mairie de Barcelone), ou encore la Fondation “la
Caixa”. Il fut à l’origine en 1990 de la création du centre KRTU (culture, recherche,
technologie, universels) qu’il dirige toujours. Il est également à la tête du Centre
d’Art Santa Mònica à Barcelone depuis janvier 2009.
Membre des comités de rédaction de nombreuses revues, et créateur de plusieurs
d’entre elles, Vicenç Altaió est aussi commissaire d’expositions, aussi bien d’art
contemporain (et notamment sur les publications d’artistes) que scientifiques. Il a
aussi pris en charge le commissariat d’événements culturels organisés à l’occasion de
l’année Miró en 1993 puis de l’année Pla en 1997 pour ensuite prendre la charge de
coordinateur institutionnel pour l’année Gaudi (2002) puis l’année Dalí (2004).
Caujolle, Christian
Né le 26 février 1953.
Pendant ses études littéraires à l’Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud,
Christian Caujolle à l’occasion de travailler avec Michel Foucault, Roland Barthes et
Pierre Bourdieu qui l’influenceront dans sa réflexion sur l’image. Chercheur au CNRS
en 1978, il se lance la même année dans le journalisme. Il est alors critique pour la
107
rubrique photographie de Libération, jusqu’en 1981. Il devient responsable de la
photographie au sein du quotidien, à partir de 1981 jusqu’à 1986.
Christian Caujolle est aussi connu pour être l’un des fondateurs et le Directeur
artistique de l’Agence VU. Agence de Photographes fondée en 1986, elle a pour
ambition de représenter des photographes contemporains, sans exclusion de styles ou
de domaine d’activité, notamment le photoreportage dont Christian Caujolle est l’un
des fervents défenseurs. Il est également nommé Directeur artistique de la Galerie
VU, créée en 1998 par le groupe Abvent qui reprend l’agence.
Christian Caujolle participe à de nombreuses publications sur la photographie et il a
par ailleurs été le commissaire de plusieurs expositions sur ce sujet.
Obrist, Hans-Ulrich
Né à Zürich, Suisse, en 1968.
Hans-Ulrich Obrist vit et travaille à Londres. Il est historien d’art, critique
d’art et commissaire d’expositions. Il attire très tôt l’attention du monde de l’art
lorsqu’il organise en 1991 (alors âgé de 23 ans et encore étudiant en Politiques et
Economie) « The Kitchen Exhibition », qui comme son nom l’indique a lieu dans sa
cuisine. Il affirme déjà ici son désir de faire évoluer les lieux et les frontières de
l’art. Il fonde deux ans plus tard le musée Robert Walser (écrivain et poète Suisse)
puis dirige le programme « Migrateur » au Musée d’Art moderne de la ville de Paris,
où il travaille comme commissaire pour l’art contemporain jusqu’en 2005. Il organise
nombre d’expositions individuelles (Rirkrit Tiravanja, Pierre Huygue, Philippe
Parreno, Gerharg Richter…) et collectives (Do-it, Cities on the move…). Il co-dirige
également plusieurs événements artistiques internationaux comme la 1ere Biennale
de Berlin en 1998, ou plus récemment la Biennale d’art contemporain de Lyon en
2007. Il est actuellement co-directeur des expositions et Directeurs des projets
internationaux de la Serpentine Gallery à Londres. Hans-Ulrich Obrist est encore
l’auteur d’une abondante production éditoriale, simple écho de la multitude
d’expositions qu’il a organisées depuis « The Kitchen Exhibition ».
108
Texte de présentation d’Ártics, numéro 1, septembre–octobre–novembre
1985, p.6.
« Publié à Barcelone, à cheval entre les revues manifestes et les revues de
kiosks, Ártics – trimestriel multilingue des arts et des x – est aussi la partie
immergée de l’iceberg des expérimentations artistiques et des nouveaux langages.
Ártics – lieu de rencontre de langues, de cultures, de tendances et d’individualités-
s’offre comme un regard radical attentif aux registres d’écritures et d’arts actuels
les plus innovants. Ártics est une ouverture mais c’est aussi le commencement d’une
fin annoncée : 17 numéros formeront la collection complète avant la fin la seconde
moitié des années 1980. »
« Feta des de Barcelona, a cavall de les revistes-manifest i de les revistes de quiosc, Ártics –
trimestrial miltilingüe de les arts i de les ics- recala a l’iceberg de l’experimentació i dels nous
llenguatges.
Ártics –lloc d’encontre de llengües, de cultures, de tendències i d’individualitats- s’ofereix com una
radical mirada ateta als registres més innovadors de les escriptures i de les arts actuals, de la mà dels
mateixos instigadors. Ártics es presenta com un obertura i és alhora l’inici d’una fi anunciada : 17
109
números formaran la col-lecció completa que s’insereix a la segona meitat de la dècada dels
vuitanta. »
Nota bene : ce texte est repris page 29, en anglais, accompagné du dessin de
John Cage pour le premier numéro de la revue :
« Neither a cause mag nor the usual thing from the newsagents, published in Barcelona, Artics -a
multillingual quartely publication dealing with the arts and the ecs as well as with the hiden part of
the iceberg of new language innovation. Artics –touchstone for language, culture, modes and mazes– is
a radical look at recent trends and new writing in current art. Artics is a new step towards a definite
end : 17 numbers will be published as a complete collection by the end of the eighties. »
110
Éditorial du premier numéro de Trou, 1979, p.3.
111
Texte de présentation de « L’homme au carnet » de Sophie Calle dans
Libération, août - septembre 1983, par Christian Caujolle.
Christian Caujolle, « Le carnet de Sophie Calle », Libération, 1 août 1983, p. 7.
112
Droit de réponse à Sophie Calle accordé par Libération à Pierre Baudry :
Pierre Baudry, « Calle, calepin, calembredaines », Libération, 28 septembre 1983, p. 10.
top related