1990 - 2015 : 25 ans, 25 textes de l'afrique francophone au sud du sahara et de l'océan...
Post on 19-Jul-2016
41 Views
Preview:
DESCRIPTION
TRANSCRIPT
1990 - 2015 : 25 ans, 25 textes de l'Afrique francophone au sud
du Sahara et de l'océan Indien
Source (Franc-‐parler): http://www.francparler-‐oif.org/actualites-‐/2685-‐1990-‐2015-‐25-‐ans-‐25-‐textes-‐de-‐lafrique-‐francophone-‐au-‐sud-‐du-‐sahara-‐et-‐de-‐locean-‐indien-‐.html
1990 - 2015 : 25 ans, 25 textes de l'Afrique francophone au sud du Sahara et de l'océan Indien
Anthologie proposée et présentée par Bernard Magnier
1990-2015 : 25 ans. Un quart de siècle. 25 années durant lesquelles le continent africain a connu bien des tourmentes, des folies et des furies, celles de la nature et celles des hommes. 25 années aussi durant lesquelles le continent a su faire entendre la voix de ses artistes, à moins que ce ne soient les artistes qui aient fait entendre la voix de leur continent ! 25 années durant lesquelles les écrivains ont fait preuve d’une belle indépendance créatrice. Ils ont su se dédouaner des sujets attendus, des chemins obligés, se libérer des tutelles et conquérir des publics tant africains qu’européens 25 années durant lesquelles quelques grands aînés ont quitté la scène, non sans avoir laissé une trace féconde et, pour certains, avoir connu la reconnaissance et le succès. 25 années qui ont vu apparaître de nouveaux talents qui ont abordé de nouvelles thématiques, conquis de nouveaux territoires et qui se sont saisi de nouveaux genres littéraires et de nouvelles terres d’imaginaire. Cette anthologie se propose de tenter de rendre compte de ce quart de siècle de création littéraire. Elle est tributaire du genre qui implique des contraintes et nécessite des choix. La contrainte était géographique et matérielle : le souhait de s’intéresser aux œuvres francophones de l’Afrique sub-saharienne étendue à la zone indo-océanienne et d’en limiter la sélection à une vingtaine de textes. Les choix ont été d’ordre historique, littéraire et, bien sûr, esthétique. Ils ont été déterminés par quelques lignes de réflexion : privilégier des œuvres récentes publiées durant ces 25 années et relevant de la fiction –essentiellement romanesque tout en ne négligeant pas les autres genres littéraires (nouvelle, poésie et théâtre) ni des modes d’expression parfois qualifiés à tord de mineurs. A
cela s’est ajouté une volonté de choisir des œuvres accessibles, sur la plan éditorial mais aussi sur le plan de la lisibilité, sans toutefois refuser des thématiques exigeantes et susceptibles d’interroger, d’interpeler, de suggérer le doute et la discussion. Enfin, nous avons choisi pour héros et héroïnes de lecture, des personnages jeunes, témoins et acteurs privilégiés du plus jeune des continents par sa démographie et, sans doute, dans bien des cas, compagnons proches des lecteurs qui vont découvrir ces lignes. Ce travail est organisé en trois temps : une première partie consacrée aux apprentissages et essentiellement à ceux de l’école, aux difficultés et aux bonheurs rencontrés ; une deuxième réunit des portraits de destins d’enfants ; enfin une troisième évoque le thème du départ, de l’exil, de ses attentes et de ses conséquences. Trois thèmes omniprésents dans la création littéraire africaine, trois thématiques qui devraient permettre d’aborder bien des questions essentielles, susciter des débats et établir le dialogue. Certes, tous les pays ne sont pas représentés, bien des auteurs sont absents et comme toujours dans cet « exercice de style » le doute, sans cesse présent, persiste au-delà du travail achevé. Il y a toujours un 26ème texte qui frappe à la marge, une hésitation sur le choix de tel auteur, sur l’absence de tel autre, sur la pertinence d’un extrait, sur la ligne où le texte doit être coupé. C’est ainsi et c’est la loi de ce type de travail et nous l’assumons comme tel. Au-delà de ces réserves, il demeure un souhait, majeur et déterminant : celui de susciter des envies, de faire découvrir des écrivains et leurs œuvres, de donner à (mieux ou autrement) penser la vie et le monde. Tâche bien ambitieuse sans doute mais n’est-ce pas celle de la littérature et de l’art ? Enfin, et peut-être avant tout et surtout, proposer des moments de lecture… des moments de plaisir.
Bernard Magnier
1900-2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien. Bernard Magnier pour franc-parler-oif.org
Apprendre, lire, écrire
Amadou Hampâté BÂ (Mali) Sur les traces d’Amkoullel l’enfant peul, Actes Sud 1998 Alfred DOGBÉ (Niger) La classe de science Bon voyage don Quichotte, Lansman 1997 In Koli Jean BOFANE (République Démocratique du Congo) Mathématiques congolaises, Actes Sud 2008 Fatou DIOME (Sénégal) Le Ventre de l’Atlantique, Anne Carrière 2003 Gaston-Paul EFFA (Cameroun) Tout ce bleu, Grasset 1996 Alain MABANCKOU (Congo) Lumières de Pointe-Noire, Seuil 2013 SONY LABOU TANSI (Congo) « Les mots me charment… » L’autre monde, Editions Revue Noire 1997 Kossi EFOUI (Togo) Récupérations, Lansman 1992
1900-2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien. Bernard Magnier pour franc-parler-oif.org
Destins d'enfants, d'adolescents, d'adultes
BEYROUK (Mauritanie) Et le ciel a oublié de pleuvoir, Dapper 2006 RAHARIMANANA (Madagascar) L’enfant riche Lucarne, Serpent à plumes 1996 Ananda DEVI (Ile Maurice) Ève de ses décombres, Gallimard 2005 Marguerite ABOUET (Côte d'ivoire) Aya de Yopougon, volume 1, Gallimard 2005 Emmanuel DONGAL A (Congo) Photo de groupe au bord du fleuve, Actes Sud 2010 Ahmadou KOUROUMA (Côte d'ivoire) Allah n’est pas obligé, Seuil 2000 Florent COUAO-ZOTTI (Bénin) Charly en guerre, Editions Dapper 2001 Tierno MONENEMBO (Guinée) L’aîné des orphelins, Seuil 2000
1900-2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien. Bernard Magnier pour franc-parler-oif.org
Partir… revenir, aller-retour, aller sans retour
Abdourahman WABERI (Djibouti) Cahier nomade, Serpent à plumes 1996 Fatou DIOME (Sénégal) Le Ventre de l’Atlantique, Anne Carrière 2003 Véronique TADJO (Côte d'ivoire) Loin de mon père, Actes Sud 2010 Gilbert GATORE (Rwanda) Le Passé devant soi, Phébus 2008 Léonora MIANO (Cameroun) Contours du jour qui vient, Plon 2006 NIMROD (Tchad) Le Départ, Actes Sud 2005 Scholastique MUKASONGA (Rwanda) Inyenzi ou les Cafards, Gallimard 2006 Koffi KWAHULÉ (Côte d'ivoire) Bintou, Lansman 1997 Sami TCHAK (Togo) Place des Fêtes, Gallimard, 2000
Apprendre, lire, écrire
Amadou Hampâté BÂ, Sur les traces d’Amkoullel l’enfant peul, Actes Sud (1998)
Alfred DOGBÉ, Bon voyage don Quichotte, Lansman (1997)
In Koli Jean BOFANE, Mathématiques congolaises, Actes Sud (2008)
Fatou DIOME, Le Ventre de l’Atlantique, Anne Carrière (2003)
Gaston-Paul EFFA, Tout ce bleu, Grasset (1996)
Alain MABANCKOU, Lumières de Pointe-Noire, Seuil (2013)
SONY LABOU TANSI, L’autre monde, Editions Revue Noire (1997)
Kossi EFOUI, Récupérations, Lansman (1992)
1900-‐2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-‐parler-‐oif.org
AMADOU HAMPÂTÉ BÂ 1900-1990 (MALI)
Né à Bandiagara dans une famille peule, Amadou Hampâté Bâ a occupé diverses fonctions dans l’administration puis à l’Institut français d’Afrique noire à Dakar et à l’UNESCO avant de se consacrer à la transcription et traduction en français du patrimoine oral peul et à la rédaction de ses mémoires (Amkoullel l’enfant peul ; Oui, mon commandant).
Sur les traces d’Amkoullel l’enfant peul, Actes Sud (1998) Puisant dans l’oralité des leçons de sagesse Amadou Hampâté Bâ livre ici un bel exemple de tolérance en contant ses réflexions et observations sur un animal familier, le caméléon. « À l’école du caméléon » Si j'ai un conseil à vous donner, je vous dirai : Ouvrez votre cœur ! Et surtout : Allez à l'école du caméléon ! C'est un très grand professeur. Si vous l'observez, vous verrez... Qu'est-‐ce que le caméléon ? D’abord, quand il prend une direction, il ne détourne jamais sa tête. Donc, ayez un objectif précis dans votre vie, et que rien ne vous détourne de cet objectif. Et que fait le caméléon ? Il ne tourne pas la tête, mais c'est son œil qu'il tourne. Le jour où vous verrez le caméléon regarder, vous verrez : c'est son œil qu'il tourne. Il regarde en haut, il regarde en bas. Cela veut dire : Informez-‐vous ! Ne croyez pas que vous êtes le seul existant de la terre, il y a toute l'ambiance autour de vous !
1900-‐2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-‐parler-‐oif.org
Quand il arrive dans un endroit, le caméléon prend la couleur du lieu. Ce n'est pas de l'hypocrisie ; c'est d'abord la tolérance, et puis le savoir-‐vivre. Se heurter les uns les autres n'arrange rien. Jamais on n'a rien construit dans la bagarre. La bagarre détruit. Donc, la mutuelle compréhension est un grand devoir. Il faudrait toujours chercher à comprendre notre prochain. Si nous existons, il faut admettre que, lui aussi, il existe. Et que fait-‐il le caméléon ? Quand il lève le pied, il se balance, pour savoir si les deux pieds déjà posés ne s'enfoncent pas. C'est après seulement qu'il va déposer les deux autres. Il balance encore… il lève... Cela s'appelle : la prudence dans la marche. Et sa queue est préhensible. Il l'accroche. Il ne se déplace pas comme ça… Il l'accroche afin que si le devant s'enfonce, il reste suspendu. Cela s'appelle assurer ses arrières… Ne soyez pas imprudents ! Et que fait le caméléon quand il voit une proie ? Il ne se précipite pas dessus, mais il envoie sa langue. C'est sa langue qui va la chercher. Car ce n’est pas la petitesse de la proie qui dit qu'elle ne peut pas vous faire mourir. Alors, il envoie sa langue. Si sa langue peut lui ramener sa proie, il la ramène tranquillement ! Sinon, il a toujours la ressource de reprendre sa langue et d'éviter le mal… Donc, allez doucement dans tout ce que vous faites ! Si vous voulez faire une œuvre durable, soyez patients, soyez bons, soyez vivables, soyez humains !
Amadou Hampâté Bâ, Sur les traces d’Amkoullel l’enfant peul, Actes Sud (1998)
1900-‐2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-‐parler-‐oif.org
ALFRED DOGBÉ 1962-2013 (NIGER)
Né à Niamey, Alfred Dogbé a été professeur de lettres puis journaliste et il s’est ensuite consacré à l’écriture. Nouvelliste et dramaturge, il a été un des artisans les plus actifs de la scène théâtrale du Niger, du Burkina Faso et du Togo où il a aussi beaucoup travaillé. Bon Voyage Don Quichotte, Lansman (1997) Dans le cadre de l’école la confrontation brutale entre problème abstrait et réalité quotidienne dans cette nouvelle extraite d’un recueil intitulé Bon voyage Don Quichotte. « La classe de science »
Onze heures cinquante. Monsieur le Professeur contemple le beau tableau récapitulatif punaisé au mur. Toutes les cases reprenant les composantes d’une alimentation équilibrée ont été remplies par les élèves eux-‐mêmes. Et sans faute. En vérité, la classe est très active, les élèves très éveillés, et Monsieur le professeur très fier. Onze heures cinquante-‐cinq. Monsieur le Professeur vérifie les acquis. D’abord, des questions toutes simples : "Exemples d’aliments composés ? Différence entre aliments et nutriments ? Rôle de l’amidon ?" ... Les doigts se lèvent. Les bonnes réponses fusent. Soixante élèves rassasiés de lipides, protides, glucides, dégorgent la science fraîchement assimilée. Monsieur le professeur est très fier. Midi.
1900-‐2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-‐parler-‐oif.org
La cloche a sonné sans succès : les questions continuent à susciter l’intérêt général. "Différence entre malnutrition et sous-‐alimentation ? Symptômes et séquelles des avitaminoses A, B, C, D, E, F ?" … La classe se mue en une forêt de doigts. Tous les élèves réclament la parole. Glucose, fructose, lactose, galactose… Même les moins brillants se surpassent. Même Alikou le taciturne qui, le visage éclairé, pointe le doigt en l’air. D’habitude, il ne demande jamais la parole, mais cette fois, ses yeux brillent, il insiste sans pourtant participer au chahut de ses camarades. Monsieur le Professeur est vraiment fier. La veille, il a expulsé Alikou, parce que trois boutons manquaient à sa chemise ; après ce genre d’incident, les élèves ont généralement tendance à bouder… Alikou, non. Décidément, ce cours est une réussite ! Midi cinq. Quelques questions plus complexes avant de se séparer : "Un repas composé de trois cents grammes de riz, cent cinquante grammes de viande et cent grammes de dattes, est-‐il équilibré ?"… Allons, il suffit de réfléchir. Alors… qui ? … Oui, toi, Alikou !
-‐ Monsieur, je demande la permission de partir. Nous sommes dix chez mon tuteur. Si je ne rentre pas à temps pour le dîner, les autres mangeront tout.
Monsieur le professeur soupire… tandis que le beau tableau punaisé se détache du mur et tombe comme une feuille morte.
Alfred Dogbé, Bon Voyage Don Quichotte, Lansman (1997)
1900-‐2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-‐parler-‐oif.org
IN KOLI JEAN BOFANE Né en 1954
(REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO)
Né à Mbandaka en République démocratique du Congo, In Koli Jean Bofane vit en Belgique depuis 1993. Tout d’abord auteur pour les jeunes lecteurs avec Pourquoi le lion n’est plus le roi des animaux, il a publié Mathématiques congolaises, son premier roman, en 2008 et Congo Inc en 2014. Mathématiques congolaises, Actes Sud (2008) Célio est un obsédé des chiffres et des calculs. Une passion et un don qui lui valent le surnom de Célio Mathématik et qui le mèneront vers d’étranges aventures dans les coulisses du pouvoir…
II APOLOGIE DE LA SOUSTRACTION
Comme le cosmos, l’engouement de Célio pour les mathématiques avait une origine. Il devait avoir dans les dix ans quand il avait rencontré un livre. Un bouquin pas mal abîmé, orné d’une couverture vert olive, intitulé Abrégé de mathématique à l’usage du second cycle, concocté par un certain Kabeya Mutombo, édition 1967. L’ouvrage était le seul bien qu’il lui restait de feu son père, Cyprien Matemona, et Célio l’avait conservé précieusement comme une relique. Le livre était plus que fatigué. Pour parvenir jusqu’à cette époque, il avait dû subir plusieurs restaurations mais, pour rien au monde, le jeune homme n’aurait pu s’en séparer.
Tout petit, il l’avait trouvé plutôt rébarbatif. Tous ces triangles parcourus de traits et de pointillés qui allaient dans tous les sens ne réussissaient qu’à l’égarer dans ses tentatives pour comprendre quoi que ce soit. Des angles qui avaient la faculté de chauffer jusqu’à 180° sans qu’on sache trop pourquoi le laissaient plutôt sceptique. Que dire de ces caractères qui se montaient les uns sur les autres, qui s’additionnaient ou se multipliaient avec des signes qui n’existaient dans aucun alphabet normal ? En dehors de sa valeur sentimentale, le volume n’avait aucun intérêt. Célio le conserva dans cet état d’esprit pendant deux, trois ans jusqu’au jour où, en l’ouvrant par hasard, il avait lu : Tout corps plongé dans un liquide subit une pression de bas en haut, égale au poids du volume du liquide déplacé. La phrase l’avait frappé comme une révélation. Elle était d’une telle évidence ! Les mots avaient résonné en lui comme des paroles divines. Il avait survolé les pages pour en savoir davantage et ce fut l’illumination.
1900-‐2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-‐parler-‐oif.org
FATOU DIOME Née en 1968 (SENEGAL)
Née au Sénégal dans l’île de Niodor, Fatou Diome vit en France depuis 1994 où elle a occupé de nombreux emplois tout en poursuivant ses études de lettres. C’est cette situation qui lui a inspiré son premier livre, un recueil de nouvelles, La Préférence nationale en 2001. Son premier roman, Le Ventre de l’Atlantique, lui a très vite assuré une renommée internationale. Désormais, elle enseigne à l’Université de Strasbourg et consacre son temps à l’écriture (Inassouvies nos vies, Celles qui attendent, Impossible de grandir). Le Ventre de l’Atlantique, Anne Carrière (2003) Madické, un jeune Sénégalais, rêve de rejoindre sa sœur partie en France. Pourtant la vie de la jeune femme est loin de ressembler au paradis espéré… Bien sûr que je me souviens de lui. Monsieur Ndétare, instituteur déjà vieillissant. Avec une lame pour visage, des fourches en guise de mains et des échasses pour l’emmener faire le fonctionnaire dévoué jusqu’aux confins du pays, là où l’Etat se contente d’un rôle de figurant. Ndétare se distingue des autres habitants de l’île par sa silhouette, ses manières, son air citadin, sa mise européenne, son français académique et sa foi absolue en Karl Marx, dont il cite l’œuvre par chapitre. Syndicaliste, il assure les fonctions de directeur de l’école primaire du village depuis bientôt, un quart de siècle, depuis que le gouvernement, l’ayant considéré comme un agitateur dangereux, l’avait expédié sur l’île en lui donnant pour mission d’instruire des enfants de prolétaires. Bien sûr que je me le rappelle. Je lui dois Descartes, je lui dois Montesquieu, je lui dois Victor Hugo, je lui dois Molière, je lui dois Balzac, je lui dois Marx, je lui dois Dostoïevski, je lui dois Hemingway, je lui dois Léopold Sédar Senghor, je lui dois Aimé Césaire, je lui dois Simone de Beauvoir, Marguerite Yourcenar, Mariama Bâ et les autres. Je lui dois mon premier poème d’amour écrit en cachette, je lui dois la première chanson française que j’ai murmurée, parce que je lui dois mon premier phonème, mon premier monème, ma première phrase française lue, entendue et comprise. Je lui dois ma première lettre française écrite de travers sur mon morceau d’ardoise cassée. Je lui dois l’école. Je lui dois l’instruction. Bref, je lui dois mon Aventure ambiguë. Parce que je ne cessais de le harceler, il m’a tout donné : la lettre, le chiffre, la clé du monde. Et parce qu’il a comblé mon premier désir conscient, aller à l’école, je lui dois tous mes petits pas de french cancan vers la lumière.
1900-‐2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-‐parler-‐oif.org
GASTON-PAUL EFFA Né en 1965 (CAMEROUN)
Né à Yaoundé en 1965, Gaston-‐Paul Effa a été élevé par des religieuses auxquelles son père l’avait confié. Destiné à la prêtrise, il vient en France afin de suivre des études de théologie mais il choisit la philosophie qu’il enseigne aujourd’hui dans l’est de la France. Son premier roman (Tout ce bleu) a été publié en 1996, suivi de recueils de poésie et de d’autres romans (Mâ, Cheval-‐Roi, Je la voulais lointaine) Tout ce bleu, Grasset (1996) Entre sa naissance à Yaoundé et sa venue à Paris, Douo-‐Papus construit sa personnalité et se libère des influences ; la lecture, et plus tard, l’écriture seront déterminantes dans sa formation. Douo-‐Papus lisait des livres savants, trop savants pour son âge. À douze ans, il devait distinguer la critique des mœurs de la farce italienne chez Molière. À treize ans, il entendait l'honneur et la passion s'affronter dans le fracas des armes. On lui apprenait que la Tempête de Césaire renouait avec les motifs shakespeariens. Mais il n’avait jamais lu Shakespeare. Non plus qu’il n’avait lu ce que lit un enfant de son âge : Stevenson, Jules Verne, Alexandre Dumas lui étaient inconnus. Enfant, il s’était réfugié au cœur secret de la littérature. Lisant des livres qu’il n’avait pas toujours compris, il avait arpenté de très incertains territoires, découvert des cités interdites, des paysages en ruine, avant de pénétrer la respiration du monde. Scribe nostalgique, il avait pieusement restitué le mélange singulier du français et des langues vernaculaires, s’étonnant que l’on dise « misérer » (pour vivre misérablement), « fréquenter » (pour aller à l’école), « cadeauter » (pour offrir un cadeau), « préparer » (pour faire la cuisine). Quand il analysait ces expressions originales, il n’était pas rare que les religieuses le trouvassent dans l’hébétude d’une longue rêverie. Douo-‐Papus saluait l’austère félicité du langage, la nuit lisse et étincelante des mots, qui offrait le monde, à portée de murmure.
1900-‐2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-‐parler-‐oif.org
Alain MABANCKOU Né en 1966 (CONGO)
Poète et romancier né au Congo en 1966, Alain Mabanckou a vécu à Paris avant de résider aux États-‐Unis où il enseigne actuellement à l’Université de Californie. Son œuvre romanesque est teintée d’humour et volontiers émaillée de références, de citations et de clins d’œil qui sollicitent une lecture complice (Bleu Blanc Rouge, Verre cassé, Black Bazar). Prix Renaudot en 2006 avec Mémoires de porc-‐épic, il est un des auteurs-‐phares des littératures africaines. Lumières de Pointe-‐Noire, Seuil (2013) De retour dans sa ville d’enfance, Pointe-‐Noire au Congo, Alain Mabanckou se souvient avec émotion de ses parents, de ses proches, de ses copains et… de l’école. « Le pas suspendu de la cigogne » J’écris dans un cahier d’écolier dont j’arrache tantôt les feuilles pour la moindre rature. Comme si le passé était une ligne droite, une onde immobile et insensible à l’impétuosité des vents. Parfois, mécontent d’un paragraphe, je me rue dans la cuisine et fouille dans la petite poubelle afin de retrouver ce que j’ai jeté la veille. Et c’est ce que je garde, écartant sans remords ce qui me satisfaisait quelques minutes avant et que je prenais pour une transposition fidèle de ma pensée, des images que me suscite ce retour au bercail.
Quelques « écrivains en herbe » tels qu’ils se qualifient eux-‐mêmes ici sont passés me rendre visite à la demande du directeur de l’Institut français qui s’était borné à me dire :
− Ils veulent être des écrivains comme tout bon Congolais qui se respecte, et ils ont des manuscrits à foison. Je n’ai jamais vu ça dans aucun pays dans lequel j’ai travaillé ! Ici tout le monde est poète ! Et ça fait des jours qu’ils font le guet ! Il faut les recevoir et leur dire deux ou trois mots, c’est important pour eux. Ils sont plus d’une douzaine en bas où j’ai organisé un petit endroit. Vous serez tranquilles…
Nous avons discuté pendant plus de deux heures dans un coin du hall, juste en dessous de mon appartement. Il y en a qui ne juraient que par les poètes Tchicaya U’Tamsi et Maxime Ndebeka. D’autres par les romanciers Henri Lopes, Sony Labou Tansi et Emmanuel Dongala. Ils m’ont lu leurs poèmes et attendaient que je salue leur génie ou que je leur conseille de revoir leur copie. Ils ont été quelque peu déçus lorsque j’ai avancé que je n’avais pas ce pouvoir souterrain.
1900-‐2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-‐parler-‐oif.org
Vers la fin de ces échanges où chacun d’eux essayait de montrer aux autres son travail et de dire combien il mériterait d’être publié – sans compter ceux qui avaient publié à leurs propres frais et qui s’estimaient au-‐dessus de la mêlée parce que au moins ils avaient une preuve imprimée de leur statut d’écrivain-‐, un jeune prosateur m’a demandé :
− Pourquoi vous écrivez ? Comme la fatigue me gagnait, j’ai dit ce qui me passait par la tête à cet instant-‐là :
− Je ne sais pas pourquoi j’écris, et c’est peut-‐être pour cela que j’arrache les pages que j’ai déjà noircies et les jette à la poubelle en me disant que de toute façon je n’ai pas le choix, je les rechercherai le lendemain matin dans la corbeille pour les réécrire. Peu importe le temps que cela prendra pour qu’un jour ce livre soit fini.
Ça les a fait rire, moi non. D’autant que ma poubelle est maintenant remplie de pages froissées…
Alain Mabanckou, Lumières de Pointe-‐Noire, Seuil 2013
1900-‐2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-‐parler-‐oif.org
SONY LABOU TANSI 1947-1995 (CONGO)
Né à Kimwanza dans l’actuelle R.D.C., Sony Labou Tansi vient très tôt au Congo où il demeurera toute sa vie. Enseignant d’anglais, il découvre le théâtre et anime plusieurs troupes avant de constituer à Brazzaville le Rocado Zulu Théâtre qui créera ensuite toutes ses pièces et les présentera en Afrique mais aussi en Europe et en Amérique du nord. Dramaturge, l’un des plus joués du continent de son vivant, il est aussi l’auteur de six romans (La Vie et demie, L’Anté-‐peuple, L’Etat honteux, Le Commencement des douleurs). Par son œuvre et sa personnalité, il a fortement marqué l’écriture francophone africaine et plusieurs écrivains revendiquent leur filiation. L’autre monde, Revue Noire (1997) Romancier et dramaturge, Sony Labou Tansi était aussi poète. Il aimait jouer des mots et il ne cessait d’écrire des textes dispersés dans diverses publications car il n’a jamais publié de recueil de son vivant.
es mots me charment
Me font signe Et demandent que je leur trouve
Du travail A n'importe quel salaire -‐
Les mots viennent en foule Sous ma plume
comme des prolétaires Les mots revendiquent
leurs droits à la parole et veulent établir la dictature des mots sur la vie -‐
Il leur faut quelqu'un qui les comprenne qui les prenne à son service -‐
Hélas ! je ne suis pas celui-‐là
L
1900-‐2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-‐parler-‐oif.org
Les mots croisent les mains S'asseoient et s'endorment aux pieds du poète Qui seul connaît leur valeur Les mots vont mourir si quelqu’un ne les remue à temps -‐
Les mots sont du silence qui parle -‐ Des bulles de silence qui parlent.
Sony Labou Tansi, L’autre monde, Revue Noire (1997)
1900-‐2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-‐parler-‐oif.org
KOSSI EFOUI Né en 1962 (TOGO)
Né au Togo, Kossi Efoui y a suivi des études de philosophie avant d’être contraint à quitter son pays. Résidant en France, il se consacre à l’écriture, alternant les créations théâtrales (Récupérations, La Malaventure, Io, L’entre-‐deux rêves de Pitagaba) et les romans (La Polka, La Fabrique de cérémonies, Solo d’un revenant, L’Ombre des choses à venir). Son œuvre offre une écriture exigeante, parfois dérangeante, toujours indépendante, soucieuse de ne pas se laisser enfermer dans des catégories. Récupérations, Lansman (1992) Une pièce de théâtre qui met en scène une émission de « téléréalité » réunissant divers invités parmi lesquels des sans-‐abris, un petit voleur, sa mère prostituée, un séminariste devenu souteneur, une trafiquant d’enfants et l’auteur d’un roman-‐reportage intitulé « Du côté de chez Dieu »… La journaliste : Monsieur Leduc, vous êtes l’inventeur du roman-‐reportage. Et vous venez de publier "Du côté de chez Dieu", un très beau livre que je recommande vivement aux amateurs de belle littérature. Bonjour… et merci d’être venu. Germain Leduc : On m’appelle familièrement G.L. La journaliste : Inutile de vous présenter Dieu, puisqu’il a été l’inspirateur de votre roman. Alors, "Du côté de chez Dieu"… un clin d’œil à Proust ? Germain Leduc : Non, pourquoi ? La journaliste : Parce que… enfin… on pourrait imaginer que… Bon, passons ! Germain Leduc : Disons-‐le tout de suite : "Du côté de chez Dieu" est un lieu, un lieu chargé. Je pars toujours du lieu. Ce n’est qu’après avoir intégré tous ces contours symboliques à ma propre mémoire, assimilé sa sensibilité et son aura que je me mets à le peupler d’aventures. Dans ce cas précis, je me suis inspiré d’une rencontre que j’ai faite il y a cinq ans avec un personnage extraordinaire surnommé "Dieu" pour je ne sais quelle obscure raison et qui vivait sur un dépotoir entouré d’une faune assez pittoresque. J’aime ces lieux qui sont dépositaires d’une poésie brute, je dirais même organique.
1900-‐2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-‐parler-‐oif.org
La journaliste : Dans votre roman, vos personnages semblent heureux… Germain Leduc : Ils le sont, incontestablement. Le bonheur, dans ma conception des choses, est le fruit d’un cheminement réflexif. Il est dans le regard intelligent posé sur son vécu. Le conditionnement, ici, n’a aucune importance, à proprement parler. J’ai d’ailleurs remarqué que c’est dans les conditions de vie les plus dures qu’on atteint le bonheur, dans toute sa magnifique simplicité. La journaliste : Dieu gagne au loto à la fin du roman. Germain Leduc : Je suis optimiste. La journaliste : Pouvez-‐vous nous lire un passage de votre roman ? Germain Leduc : (lisant) : … Et lorsqu’elle parla enfin, elle me dit : "Je n’aurais jamais dû sortir de mon lit ". Elle parla de bien d’autres choses encore. D’un fleuve de mémoire ancienne qui la parcourt comme une Déesse-‐Serpent et qui hante ses nuits de maudite lune. Elle n’avait que son corps ouvert à tous vents. "Qui me laisse aller ? Qui me laisse venir ? " répétait-‐elle. "Dieu peut-‐être…" La journaliste : Quelques commentaires, Dieu ? Dieu : "C’est pourquoi, lorsque vous verrez l’abomination de la désolation – dont a parlé le prophète Daniel – établie en lieu Saint, que celui qui lit fasse attention. " Mattheus 24 verset 15. La journaliste : En tout cas, votre roman se vend très bien. On parle même d’une adaptation pour le théâtre. Monsieur Germain Leduc, êtes-‐vous un homme heureux ? Germain Leduc : Oui, pourquoi ? La journaliste : Les lieux de votre inspiration, ces lieux qui alimentent, traversent, habitent votre création disparaissent les uns après les autres. "Du côté de chez Dieu" va être rasé, vous le savez ? Germain Leduc : Je ne peux que m’insurger contre cette ignominie vis-‐à-‐vis de la littérature et de la beauté. La journaliste : Merci beaucoup, G.L. Et maintenant, le moment tant attendu : les habitants du côté de chez Dieu, à cœur ouvert.
Kossi Efoui, Récupérations, Lansman (1992)
Destins d'enfants, d'adolescents, d'adultes
Mbarek Ould BEYROUK, Et le ciel a oublié de pleuvoir, Dapper (2006)
Jean-Luc RAHARIMANANA, Lucarne, Serpent à plumes (1996)
Ananda DEVI, Ève de ses décombres, Gallimard (2005)
Marguerite ABOUET, Aya de Yopougon, volume 1, Gallimard (2005)
Emmanuel Dongala, Photo de groupe au bord du fleuve, Actes Sud (2010)
Ahmadou Kourouma, Allah n’est pas obligé, Seuil (2000)
Florent COUAO-ZOTTI, Charly en guerre, Editions Dapper (2001)
Tierno MONENEMBO, L'aîné des orphelins, Seuil (2000)
1900-‐2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-‐parler-‐oif.org
MBAREK OULD BEYROUK Né en 1957 (MAURITANIE)
Né à Atar en Mauritanie, après des études de droit, Mbarek Ould Beyrouk devient journaliste, crée et dirige le premier journal indépendant de son pays de 1988 à 1994, puis collabore à diverses revues (Jeune Afrique, Mawkib). Il a publié son premier roman, Et le ciel a oublié de pleuvoir, en 2006. Et le ciel a oublié de pleuvoir, Dapper (2006) Un récit à plusieurs voix dans lequel est conté le destin de la belle Lolla, jeune femme du désert, indépendante et volontiers rebelle mais prisonnière d’un monde conservateur. Bechir est l’un de ses prétendants… BECHIR
Je suis Bechir, fils de Bakar, fils de Lehbib, le sabre et le fusil et la tente et la couronne des Oulad Ayatt. Aujourd’hui on aime dire que tout cela est fini, que nos anciennes valeurs sont mortes, mais cela n’est pas vrai. Les siècles ont imprimé, et pour toujours, leurs empreintes sur les fronts des gens. Je resterai toujours Bechir, fils de Bakar, chef de la tribu des Oulad Ayatt.
Aujourd’hui, c’est vrai, le monde n’est plus tout à fait ce qu’il a toujours été. Il y a les gendarmes, il y a l’administration, il y a les impôts, il y a l’école, il y a la politique. Mais tout cela n’est qu’appât pour les pauvres cœurs broyés par la machine des temps. Tout cela n’est que luxuriante végétation des mirages de cette fin des temps. La vérité est ailleurs ; une montagne que les vents de ce siècle ne sauront ébranler et qui s’émeut seulement quand sont prononcés les noms de ceux qui par le sabre, l’étrier, les livres, les fusils l’ont gravie pierre par pierre jusqu’à atteindre les sommets. Ce sont les miens et ceux qui leur ressemblent. Pas les partis, pas l’instituteur, pas le préfet ! Ceux-‐là sont les gestionnaires du factice et du verbe. Ils parlent, ils écrivent, mais leur salive et leur encre s’évanouissent à chaque instant sous le soleil du Sahara. Et quand ils doivent agir, quand ils veulent dessiner leur volonté sur le sable, ils s’adressent à moi pour que le vent n’emporte pas leurs discours, pour que l’empreinte de leur plume ne soit pas effacée par les alizés. Car ils savent bien que ces arpents de sable sont miens puisque le sang et l’esprit de mes pères ont donné cœur qui bat à ces campements, ont été sèves de ces palmiers et nappes nourrissantes pour ces puits profonds !
1900-‐2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-‐parler-‐oif.org
Ce n’est pas à des citadins perdus, et qui ne vivent que d’eau minérale pendant que nos gosiers sont secs, que les nomades de Leguelb vont répondre ! Ces dunes blanches, je ne m’arrêterai pas de le dire, nous appartiennent à nous seuls, nous y avons planté nos plus anciennes vérités, nous y avons dressé les épieux qui soutiennent nos tentes, nous y avons guerroyé, nous y avons enfanté, nous y avons cultivé nos coutumes, nos traditions ! Et ces coutumes, ces traditions, cet ordre-‐là nous appartiennent aussi. Personne n’a le droit de nous les arracher !
Mbarek Ould Beyrouk, Et le ciel a oublié de pleuvoir, Dapper (2006)
1900-‐2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-‐parler-‐oif.org
JEAN-LUC RAHARIMANANA Né en 1967 (MADAGASCAR)
Né à Antananarivo à Madagascar, Jean-‐Luc Raharimanana est venu en France en 1989 où il fut tout d’abord enseignant avant de se consacrer à son œuvre dans laquelle la mémoire et les traces douloureuses du passé (en particulier la violente répression coloniale de 1947) sont très présentes. (Rêves sous le linceul, Nour 1947, Le cauchemar du gecko). Depuis quelques années, il a choisi de s’exprimer également sur la scène en interprétant ses textes, accompagné de musiciens. (Rano, rano). Lucarne, Serpent à plumes (1996) Une plongée au cœur d’Antananarivo, la capitale de Madagascar, dans ses zones d’ombre et dans le quotidien misérable d’un jeune garçon prêt à tout pour sa survie.
Des chants, des voix… Accélérer le pas. Une foule s’entasse autour d’un groupe de mpihira gasy*. Ils chantent de
leurs voix gutturales, de leurs voix mal adaptées au chant, des voix qui hurlent plutôt. Mais l’Enfant est enthousiasmé. Il tient son argent dans son poing. Le petit chien vient renifler les danseurs. La foule rit. Tout le monde est content. On jette des pièces. L’Enfant aussi. Son unique pièce.
Il applaudit ! Les bonnes gens semblaient un peu perdues lais ils souriaient. Les yeux brillaient : des
feux que l’on ne pouvait éteindre mais qui partaient d’eux-‐mêmes, laissant leurs maîtres froids, indifférents, sans vie. Les yeux se détachèrent peu à peu des mpihira gasy, se reportèrent sur les façades des grands établissements. Un homme sortit des rangs de la foule, bouscula. L’Enfant tomba sous le heurt. L’homme partit, n’ayant rien aperçu.
Mal aux fesses ! Du coup, l’Enfant sentit la faim cogner à son ventre. Entre ses doigts, il n’y avait plus la
présence chaude de son argent, il n’y avait que les lignes de sa main, des lignes s’achevant sur des fourches de fatalité. Il se précipita sur sa pièce. Là, au milieu des autres, au pied des danseurs. Son visage rencontra un talon bien ajusté. On le tira en arrière. Un coup entre les cuisses, au bas-‐ventre, un autre dans le dos. Sa tête heurta le sol goudronné. L’Enfant porta la pièce dans sa bouche. Serrer les dents. Quelqu’un essaya de lui desserrer les mâchoires. Il avala la pièce et suffoqua. Les coups s’arrêtèrent.
- Le salaud ! - Fils de putain !
1900-‐2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-‐parler-‐oif.org
Un dernier coup de talon derrière la nuque et l’Enfant sombra dans l’inconscience. La foule se dispersa, les danseurs ramassèrent leurs pièces. Seul le petit chien resta. L’Enfant gisait au milieu de l’allée. Des jambes passaient, quelques regards s’attardaient, quelques pitiés voltigeaient pour disparaître comme des feuilles au vent violent. Rester n’est pas bien. L’on pourrirait. Passer, passer comme le fait si bien la vie. Passer… Salope de vie.
* Troupe de danseurs et chanteurs itinérante. (N.d.A.)
Jean-‐Luc Raharimanana, Lucarne, Serpent à plumes (1996)
1900-‐2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-‐parler-‐oif.org
ANANDA DEVI Née en 1957 (ÎLE MAURICE)
Née à l’Ile Maurice d’une famille d’origine indienne, Ananda Devi réside en France. Ses romans disent la difficulté de la condition féminine dans cette île de l’Océan Indien et dénoncent l’exclusion, le poids des traditions et la folie des hommes qui pèsent sur le destin des héroïnes de Rue de la poudrière, Moi, l’interdite, Pagli, Eve de ses décombres ou plus généralement des personnages de ses romans (Indian Tango, Le Sari vert, Les Jours vivants). Ève de ses décombres, Gallimard (2005) Un quatuor d’adolescents perdus à Troumaron, un lieu de bout du monde dans l’Île Maurice. Quatre destins qui s’entrecroisent, s’aiment et se déchirent, loin des plages, du sable, des hôtels étoilés et des images de cartes postales de l’île paradisiaque. ÈVE
Un crayon. Une gomme. Une règle. Du papier. Des chewing-‐gums. Je jouais à colin-‐maillard avec mes envies. J’étais une enfant, mais pas tout à fait. J’avais douze ans. Je me bouchais les yeux et je tendais la main. Je froissais l’air. Je frissonnais au vent dans mes tenues minces. Je croyais que tout était à ma portée. Je faisais naître des lunes dans les yeux des garçons. Je croyais que c’était un pouvoir.
Un crayon. Une gomme. Une règle. Je tendais la main parce que, dans mon cartable, il n’y avait rien. J’allais à l’école, vide de tout. J’éprouvais une sorte de fierté à ne pas posséder. On pouvait être riche de ses riens.
Parce que j’étais minuscule, parce que j’étais maigre, parce que mes bras et mes jambes étaient raides comme des dessins d’enfant, les garçons un peu plus grands me protégeaient. Ils me donnaient ce que je voulais. Ils pensaient qu’un coup de vent me ferait chavirer comme un bateau en papier quand l’eau lui mord le ventre.
J’étais un bateau en papier. L’eau imbibait mon ventre, mes flancs, mes jambes, mes bras. Je ne le voyais pas. Je me croyais forte. Je calculais mes chances. J’évaluais chaque instant. Je savais demander sans en avoir l’air.
Un crayon, une gomme, une règle, n’importe quoi. Ils me les donnaient. Sur leur visage, il y avait ce bref adoucissement qui changeait tout, qui leur donnait une apparence humaine. Et puis, un jour, quand j’ai demandé comme d’habitude sans en avoir l’air, on m’a demandé quelque chose en retour.
1900-‐2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-‐parler-‐oif.org
Je croyais que c’était simple, que c’était facile. Que voulait-‐il en retour ? J’étais le roquet de la classe, la plus insignifiante des choses. Tout le monde savait que je n’avais rien. Pour une fois, on me disait que je possédais. Dans mon cartable, il y avait le vide : de l’appartement, plus petit et plus nu que tous les autres, de nos armoires, et même de notre poubelle. Il y avait l’œil de mon père, que l’alcool rendait graisseux. Il y avait la bouche et les paupières scellées de ma mère. Je n’avais rien, rien du tout à donner.
Mais je me trompais. Ce qu’il voulait, c’était un bout de moi.
Ananda Devi, Ève de ses décombres, Gallimard (2005)
1900-2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-parler-oif.org
Née à Abidjan, Marguerite Abouet est venue à l’âge de douze ans en France où elle réside aujourd’hui dans la banlieue parisienne. Elle est la scénariste des six volumes, Aya de Yopougon, illustrés par Clément Oubrerie, dont le volume 1 a obtenu, en 2006, le prix du premier album du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême. Une adaptation au cinéma a été réalisée en 2013. Elle est aussi l’auteur des aventures d’Akissi, une « petite sœur » d’Aya.
Aya de Yopougon , Gallimard (2005) Une bande dessinée qui relate, avec humour, le quotidien d’une jeune fille d’Abidjan, ses démêlés avec ses parents, ses préoccupations d’avenir, les convoitises des uns, les stratégies des autres, tous vivant, dans les années 70, à Yopougon, un quartier populaire de la métropole ivoirienne.
1900-2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-parler-oif.org
1900-2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-parler-oif.org
1900-2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-parler-oif.org
1900-‐2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-‐parler-‐oif.org
EMMANUEL DONGALA Né en 1941 (CENTRAFRIQUE)
Né à Alindao en Centrafrique d’une mère centrafricaine et d’un père congolais, Emmanuel Dongala se retrouve très jeune au Congo où il fait ses premières études puis part aux Etats-‐Unis pendant sept ans et en France afin de poursuivre des études scientifiques. De retour à Brazzaville, il enseigne la chimie à l’université. Son premier roman, Un Fusil dans la main, un poème dans la poche, paraît en 1973, puis en 1982, un recueil de nouvelles, aujourd’hui l’un des livres plus étudiés sur le continent, Jazz et vin de palme. Suite à la guerre civile, en 1997, il quitte son pays et trouve refuge aux Etats-‐Unis où il enseigne la littérature et la chimie. En 2011, il a obtenu le prix RTL/Lire du meilleur roman français pour Photo de groupe au bord du fleuve. Photo de groupe au bord du fleuve, Actes Sud (2010) Des femmes concassent des pierres pour un revenu dérisoire. Elles souhaitent une augmentation et vont peu à peu se révolter afin d’obtenir satisfaction.
Tu enlèves le panier que tu portes sur la tête et le tiens par les anses. Cela te permet de balancer plus amplement tes bras et de marcher ainsi plus vite. Tu as hâte d’arriver au chantier avant que les premiers véhicules d’acheteurs ne se présentent pour leur annoncer la décision que vous avez toutes prise hier à l’unanimité. Tu as été choisie comme porte-‐parole et, même si tu n’as accepté cette fonction que contrainte et forcée, il ne faut pas décevoir celles qui ont placé leur confiance en toi. Cependant, tu n’arrives pas à écarter de ton esprit les inquiétudes de tantine Turia ; tu te rassures toi-‐même en te disant qu’elle se trompe, que votre décision n’a rien à voir avec la politique, et que vous vous battez tout simplement pour votre pain quotidien. D’ailleurs, n’étaient-‐ce ces grands panneaux aux ronds-‐points qui affichaient le portrait du président de la République en veston-‐cravate, en tenue de sport en train de courir le marathon, en blouse d’infirmier en train d’administrer aux enfants des vaccins contre la polio, son épouse à ses côtés, avec une truelle à la main en train de poser la première pierre d’une école ou d’un hôpital, sur un tracteur en train de lancer la construction d’une route, sur un voilier en tenue de skipper, sans tous ces panneaux, tu n’aurais jamais su à quoi ressemblait sa bouille. Ta seule préoccupation était de savoir comment tu allais faire pour casser au plus vite la quantité de pierre nécessaire pour entrer en possession de cet argent dont tu avais un besoin si urgent. L’idée d’en revendiquer un nouveau prix n’avait pas été préméditée, elle s’était imposée toute seule, peu à peu, par effraction presque.
1900-‐2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-‐parler-‐oif.org
Dans un premier temps, quand tu avais appris par la radio que le gouvernement construisait un aéroport de classe internationale dans le Nord du pays, cela t’avait laissée indifférente comme beaucoup de nouvelles annoncées sur la radio nationale. En tout cas, si dix pour cent seulement de ce qu’elle annonçait régulièrement étaient réalisés, ce pays serait aujourd’hui un paradis sur terre, laissant loin derrière la Suisse, les Etats-‐Unis d’Amérique et le Japon. Depuis la mort de ta sœur, les seules nouvelles qui t’auraient à la rigueur intéressée étaient celles qui auraient annoncé la découverte d’un vaccin efficace contre le sida, ou qui t’auraient permis de faire bouillir ta marmite tous les jours.
La nouvelle concernant l’aéroport n’avait commencé à t’intéresser vraiment que le jour où tu avais appris que la construction de sa piste d’atterrissage et de ses bâtiments pharaoniques nécessitait une quantité colossale de pierre que l’usine de concassage ne pouvait couvrir, et qu’au au vu de cette énorme demande, les entrepreneurs qui fournissaient aux chantiers de l’aéroport la pierre qu’ils vous achetaient en avaient doublé le prix de livraison auprès de leurs clients. Cette nouvelle t’avait d’abord réjouie pour une raison simple. L’endroit où l’on construisait l’aéroport se situait dans une zone semi-‐marécageuse où n’existait aucun affleurement rocheux ; cela voulait dire que toute la pierre viendrait de ta région, que les clients se bousculeraient devant ta marchandise, et qu’à peine un sac rempli, il serait acheté et chaque sac ainsi acheté te permettrait de quitter plus vite encore ce cauchemar de pierres.
Emmanuel Dongala, Photo de groupe au bord du fleuve, Actes Sud (2010)
1900-‐2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-‐parler-‐oif.org
AHMADOU KOUROUMA 1927-2003 (CÔTE D’IVOIRE)
Né à Boundiali, Ahmadou Kourouma poursuit ses études en Côte d’ivoire puis à Bamako. Après son service militaire effectué en Indochine, il reprend des études d’actuaire et, dès 1959, travaille dans les assurances, tout d’abord à Lyon, puis à Abidjan lors de l’indépendance. Il publie en 1968, , Les Soleils des indépendances, un roman-‐clé des littératures africaines qui mêle habilement la langue française à sa langue malinké natale, tout en continuant d’occuper ses fonctions en résidant successivement au Cameroun, au Togo puis en France. Il ne publie un deuxième roman, Monnè, outrages et défis qu’en 1990. Il obtient une reconnaissance internationale ponctuée de nombreux prix avec ses deux romans suivants : En attendant le vote des bêtes sauvages, prix du Livre Inter en 1999, et Allah n’est pas obligé, prix Renaudot et Goncourt des lycéens en 2000. Allah n’est pas obligé, Seuil (2000) Une plongée au cœur de la guerre vécue par un enfant-‐soldat qui raconte avec ses mots et l’aide d’un dictionnaire sa terrible descente aux enfers…
Et d'abord... et un... M'appelle Birahima. Suis p'tit nègre. Pas parce que suis black et gosse. Non! Mais suis p'tit nègre parce que je parle mal le français. C'é comme ça. Même si on est grand, même vieux, même arabe, chinois, blanc, russe, même américain; si on parle mal le français, on dit on parle p'tit nègre, on est p'tit nègre quand même. Ça, c'est la loi du français de tous les jours qui veut ça.
… Et deux… Mon école n’est pas arrivée très loin ; j’ai coupé cours élémentaire deux. J’ai quitté le banc parce que tout le monde a dit que l’école ne vaut plus rien, même pas le pet d’une vieille grand-‐mère. (C’est comme ça on dit en nègre noir africain indigène quand une chose ne vaut rien. On dit que ça vaut pas le pet d’une vieille grand-‐mère parce que le pet de la grand-‐mère foutue et malingre ne fait pas de bruit et ne sent pas très, très mauvais.)
(…)
Avant de débarquer au Liberia, j’étais un enfant sans peur ni reproche. Je dormais partout, chapardais tout et partout pour manger. Grand-‐mère me cherchait des jours et des jours : c’est ce qu’on appelle un enfant de la rue. J’étais un enfant de la rue. Avant d’être un enfant de la rue, j’étais à l’école. Avant ça, j’étais un bilakoro au village de Togobala. (Bilakoro signifie, d’après l’Inventaire des particularités lexicales, garçon non circoncis.) Je courais dans les rigoles, j’allais aux champs, je chassais les souris et les oiseaux dans la brousse. Un vrai enfant nègre noir africain broussard. Avant tout ça, j’étais un gosse dans la case avec maman. Le gosse,
1900-‐2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-‐parler-‐oif.org
il courait entre la case de maman et la case de grand-‐mère. Avant tout ça, j’ai marché à quatre pattes dans la case de maman. Avant de marcher à quatre pattes, j’étais dans le ventre de ma mère. Avant ça, j’étais peut-‐être dans le vent, peut-‐être un serpent, peut-‐être dans l’eau. On est toujours quelque chose comme serpent, arbre, bétail ou homme ou femme avant d’entrer dans le ventre de sa maman. On appelle ça la vie avant la vie. J’ai vécu la vie avant la vie. Gnamokodé (bâtardise) !
Ahmadou Kourouma, Allah n’est pas obligé, Seuil (2000)
1900-2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-parler-oif.org
Né à Pobé au Bénin, tout d’abord journaliste et enseignant, Florent Couao-Zotti se consacre désormais à l’écriture à travers pièces de théâtre, bandes dessinées et surtout romans et recueils de nouvelles. (Notre pain de chaque jour, L’homme dit fou, La Traque de la musaraigne).
Charly en guerre, Editions Dapper (2001) La descente dans les enfers de la guerre pour un jeune garçon devenu enfant-soldat et emporté dans une folie meurtrière.
(…) - Aujourd’hui, c’est mon anniversaire. Je ne veux pas tuer de gosses. Qu’est-ce que tu
voudrais que je fasse de toi ? - … - Tu ne sais pas ? Bon, je t’engage dans nos rangs. Tu vas devenir un Combattant de la
Liberté. Comment t’appelles-tu ? - Charles… Charles Doumoko. - Un Bandungun ? Ou bien tu dis ça pour me faire plaisir ? tu as plutôt une tête de Batéké. - Je ne sais pas… je ne sais plus. Et il éclata de rire. Un rire d’ivrogne abattu par dix litres de vin. Il s’en tint les côtes en tapant
le sol avec ses chaussures à double semelle. À la fin, il se tut brusquement, montra le jeune homme qui se tenait à ses côtés.
- John est l’un de mes caporaux, grasseya-t-il. Il va prendre en main ta formation. Tu n’es pas content ?
- Je… si, Monsieur. - On dit : « Compris, commandant. » - Compris commandant ! Dans la chapelle et l’arrière-cour, il n’y avait personne. Les six rebelles revinrent sur leurs
pas et tous rembarquèrent dans le même véhicule, à l’exception du jeune homme. Avant de démarrer, le commandant Rambo lui ordonna :
- Tu emmènes le gosse au quartier général. Nous, nous allons faire un détour du côté de la zone C. Tu as suffisamment de balles ?
- Ça peut aller, commandant, assura le jeune homme. Le véhicule vrombit et bientôt se perdit à l’angle de la rue. Un silence lourd écrasa les lieux. Petit Charly se tourna vers son nouveau compagnon et en profita pour le dévisager.
1900-2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-parler-oif.org
Le jeune homme devait avoir six ou sept ans de plus que lui. L’uniforme qu’il portait, ample de deux mesures, lui donnait l’air d’un adolescent desséché par la malnutrition. Les épaules hautes et pointues, le kalachnikov en bandoulière, il paraissait moins rugueux que les autres, le sourire facile, le geste affectueux. Il lui posa beaucoup de questions, parfois indiscrètes. Petit Charly ne crut pas utile de lui cacher son drame.
Le camp, c’est-à-dire le quartier général, se trouvait à une centaine de kilomètres, à un pas de Port-Hary. Deux heures en voiture auraient suffi pour l’atteindre. Mais il n’y avait pas de véhicules et la route, crevassée, était dangereusement minée. Il fallait alors emprunter un détour à travers la forêt, marcher, marcher longtemps. Chemin difficile à retrouver dans le lacet des sentiers qui sillonnaient toute la brousse. Au bout de leurs errements, Petit Charly et John prirent enfin un chemin. Au hasard. Et ce fut alors le début du voyage interminable. Voyage où, à chaque arrêt, John en profitait pour apprendre à son nouveau compagnon comment tenir et utiliser un fusil-mitrailleur, comment fumer de la drogue. Mais à chaque fois, l’enfant se montrait mauvais élève. Il ne savait pas pourquoi il devait fumer, ni pourquoi il devait se servir d’une arme. Non. Cette guerre n’était pas la sienne.
Florent Couao-Zotti , Charly en guerre, Editions Dapper (2001)
1900-2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-parler-oif.org
Né en Guinée, Tierno Monénembo quitte son pays dès 1969 pour fuir la dictature. Il rejoint la Côte-d’Ivoire puis la France où il fait des études de biochimie. Il enseigne en Algérie, au Maroc, puis en France où il demeure aujourd’hui, et publie son premier roman, Les Crapauds- Brousse, en 1979. Essentiellement romancier (Les Écailles du ciel, Un rêve utile, Pelourinho, Cinéma, Peuls), il a obtenu le prix Renaudot pour Le Roi de Kahel.
L’aîné des orphelins, Seuil (2000) Faustin a 15 ans et est emprisonné pour ses méfaits durant le génocide du Rwanda, il revoit et conte sa courte et dramatique vie… Un roman écrit dans le cadre de la manifestation littéraire « Écrire par devoir de mémoire » durant laquelle une dizaine d’écrivains se sont rendus au Rwanda, en 2004, et ont écrit afin de témoigner sur ce qu’il avait vu et entendu.
Je m’appelle Faustin, Faustin Nsenghimana. J’ai quinze ans. Je suis dans une cellule de la prison centrale de Kigali. J’attends d’être exécuté. Je vivais avec mes parents au village de Nyamata quand les avènements ont commencé. Quand je pense à cette époque là, c’est toujours malgré moi. Mais, chaque fois que cela m’arrive, je me dis que je venais d’avoir dix ans pour rien. (…)
Ma cellule porte un numéro : le 14. Nous sommes une trentaine dans cet abominable réduit coincé entre le numéro 12 et le numéro 15. Ils sont incorrigibles, les hommes : ils tiennent à leurs vices et à leurs superstitions même au tréfonds de l’enfer. Ici aussi, on se méfie du numéro 13. Allez leur dire merci de penser à notre bonne fortune ! Bien que, là où nous sommes, il soit difficile d’être dupe. Au Club des Minimes, on n’a pas une chance sur deux d’attraper une mycose, une tuberculose ou un coup de couteau au ventre. On l’attrape, un point c’est tout, en général avant deux mois, et il n’est pas rare que tout cela vous arrive dans la même foutue semaine. Mais le monde est ainsi fait : on a besoin de mettre les formes même pour vous anéantir. D’ailleurs, pour éviter de s’emmêler dans les chiffres, on a donné un nom des plus jolis à notre belle garçonnière : le Club des Minimes, sous le prétexte que c’est là qu’on a entassé les dealers, les proxénètes, les auteurs de parricide et les génocideurs dont l’âge court de sept à dix-sept ans. Cela vaut mieux que le Quartier des Jeunes Bannis ou le Bagne des Irrécupérables. C’est un nom qui chante bien. Cela fait jardin d’enfants, école de boy-scouts ou équipe de football. Au village, c’est moi qui occupais le poste d’avant-centre. C’est moi qui avais trouvé le nom de notre équipe. L’entraîneur voulait l’appeler le Tonnerre. Cela ne me plaisait pas (des Tonnerre, y en a partout dans les stades d’Afrique, même chez ces mangeurs de macabo de Yaoundé). Surmontant pour une fois mon horrible timidité, je bondis des rangs et dis de ma voix frêle mais ce jour-là étonnamment persuasive : « Appelons-la le Minime Système de Nyamata, oh, s’il vous
1900-2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-parler-oif.org
plaît, monsieur ! » Mes copains autour de moi se payaient une franche rigolade. L’entraîneur hésita un peu en faisant rebondir distraitement le ballon puis il finit par céder : « Minime Système ? Pourquoi pas, Faustin ? Nous l’appellerons Minime Système, mais alors il faudra faire pleuvoir les buts ! » Le dimanche soir, au bar de la Fraternité, j’étais fier quand j’entendais le speaker dire : « Pour finir, dans la catégorie "minimes", notons l’écrasante victoire (quatre buts à zéro !) du Minime Système de Nyamata contre le Volcan de Rusumo. Deux buts du petit Faustin Nsenghimana à lui tout seul. » C’est en prison qu’on se rend compte que les souvenirs servent à quelque chose. C’est à mes matchs de football que je dois d’avoir survécu jusqu’ici. C’est en y fixant mes pensées que je parviens à surmonter la peur et à trouver le sommeil.
Tierno Monenembo, L’aîné des orphelins, Seuil (2000)
Partir... revenir, aller-‐retour, aller sans retour
Abdourahman WABERI, Cahier nomade, Serpent à plumes (1996)
Fatou DIOME, Le Ventre de l’Atlantique, Anne Carrière (2003)
Véronique TADJO, Loin de mon père, Actes Sud (2010)
Gilbert GATORE, Le Passé devant soi, Phébus (2008)
Léonora MIANO, Contours du jour qui vient, Plon (2006)
NIMROD, Le Départ, Actes Sud (2005)
Scholastique MUKASONGA, Inyenzi ou les Cafards, Gallimard (2006)
Koffi KWAHULÉ, Bintou, Lansman (1997)
Sami TCHAK, Place des Fêtes, Gallimard (2000)
1900-2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-parler-oif.org
Né à Djibouti (alors Côte française des Somalis, ex Territoire des Afars et des Issas, aujourd’hui
République de Djibouti), Abdourahman Ali Waberi quitte son pays en 1985 afin de poursuivre ses
études en France. Il y enseignera l’anglais avant de se consacrer à l’écriture et de résider à Berlin
puis aux Etats-Unis et de nouveau en France. Son œuvre constituée de recueils de poèmes et de
nouvelles (Cahier nomade, Le pays d’où je viens) et de romans (Balbala, Transit, Passage des
larmes) ne refuse pas les chemins de la fable et de l’humour dénonciateur (Aux Etats-Unis
d’Afrique).
Cahier nomade, Serpent à plumes (1996) Un recueil de textes courts consacrés à son pays, à ses beautés, à ses désordres. Des textes qui disent
les proches et les lieux, se souviennent des lectures et qui, ici, évoquent les tourments de l’exil.
Où que tu ailles, quoi que tu fasses, tu emporteras ton pays sur ton dos et n'en déplaise à ceux
qui veulent se persuader du contraire, on ne peut s’exiler de soi-même. C’était ton crédo, je
t’écoutais. Quel que soit le nombre d’années passées à l’étranger et les charmes de l’exil, la
nostalgie te tisonnera et l’appel du pays est plus fort que les tentations du tout-monde. Séduit et
confit, je buvais tes mots. Non, toi tu ne savais pas vibrer pour les grandes formules magiques
comme « essence tribale », ou même « patrie. » «Ton peuple », qui était-il ? Où était-il ? Tu
rajoutais toujours du doute au doute. Ta vie abrasive valait bien son grand prix, la mienne est
déjà en miettes. On m’a raconté que, dans ta jeunesse, tu étais avaleur de vierges. Tu avais grand
faim de ces bouquets de filles – bouches ourlées, joues en pétales empourprées, seins gonflés de
désir, longs cils et paupières ouvertes sur des amandes. Des filles en poèmes, oui, des fruits
poussent sous leurs aisselles. Au commencement était cette goutte de lait qui m’a donné vie. Je
veux, à présent, témoigner, ne rien cacher, faire sonner, dans le souvenir et dans la page, tes
mots doux et ton visage oblong. Tu restes ma mémoire d’outre-mère, le parfum entêtant de ton
corps- sec et singulier. Reviens, mon père, reviens pour recoller les morceaux de mon cahier
nomade. Je suis en train d’écrire ton épitaphe. Reviens, ta logique ne m’effraie plus, je n’irai plus
me camoufler sous les rideaux de mon enfance, au mépris de ta patience. Dénicheur de songes,
reviens. Je parle aujourd’hui les mots simples des adultes : se nourrir, courir, mourir.
1900-2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-parler-oif.org
Née au Sénégal dans l’île de Niodor, Fatou Diome vit en France depuis 1994 où elle a occupé de nombreux emplois tout en poursuivant ses études de lettres. C’est cette situation qui lui a inspiré son premier livre, un recueil de nouvelles, La Préférence nationale en 2001. Son premier roman, Le Ventre de l’Atlantique, lui a très vite assuré une renommée internationale. Désormais, elle enseigne à l’Université de Strasbourg et consacre son temps à l’écriture (Inassouvies nos vies, Celles qui attendent, Impossible de grandir).
Le Ventre de l’Atlantique, Anne Carrière (2003) Madické, un jeune Sénégalais, rêve de rejoindre sa sœur partie en France. Pourtant la vie de la jeune femme est loin de ressembler au paradis espéré… Au paradis, on ne peine pas, on ne tombe pas malade, on ne pose pas de questions : on se contente de vivre, on a les moyens de s’offrir tout ce que l’on désire, y compris le luxe du temps, et cela rend forcément disponible. Voilà comment Madické imaginait ma vie en France. Il m’avait vue partir au bras d’un Français après de pompeuses noces qui ne laissaient rien présager des bourrasques à venir. Même informé de la tempête, il n’en mesurait pas les conséquences. Embarquée avec les masques, les statues, les cotonnades teintes et un chat roux tigré, j’avais débarqué en France dans les bagages de mon mari, tout comme j’aurais pu atterrir avec lui dans la toundra sibérienne. Mais une fois chez lui, ma peau ombragea l’idylle– les siens ne voulant que Blanche-Neige –, les noces furent éphémères et la galère tenace. Seule – entourée de mes masques et non des sept nains –, décidée à ne pas rentrer la tête basse après un échec que beaucoup m’avaient joyeusement prédit, je m’entêtais à poursuivre mes études. J’avais beau dire à Madické que, femme de ménage, ma subsistance dépendait du nombre de serpillières que j’usais, il s’obstinait à m’imaginer repue, prenant mes aises à la cour de Louis XIV. Habitué à gérer les carences dans son pays sous-développé, il n’allait quand même pas plaindre une sœur installée dans l’une des plus grandes puissances mondiales ! Sa berlue, il n’y pouvait rien. Le tiers-monde ne peut voir les plaies de l’Europe, les siennes l’aveuglent ; il ne peut entendre son cri, le sien l’assourdit. Avoir un coupable atténue la souffrance, et si le tiers-monde se mettait à voir la misère de l’occident, il perdrait la cible de ses invectives. Pour Madické, vivre dans un pays développé représentait en soi un avantage démesuré que j’avais par rapport à lui, lui qui profitait de sa famille et du soleil sous les tropiques. Comment aurais-je pu lui faire comprendre la solitude de l’exil, mon combat pour la survie et l’état d’alerte permanent où me gardaient mes
1900-2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-parler-oif.org
études ? N’étais-je pas la feignante qui avait choisi l’éden européen et qui jouait à l’éternelle écolière à un âge où la plupart de mes camarades d’enfance cultivaient leur lopin de terre et nourrissaient leur progéniture ?
Fatou Diome, Le Ventre de l’Atlantique, Anne Carrière (2003)
1900-2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-parler-oif.org
Née à Paris d’un père ivoirien et d’une mère française, Véronique Tadjo a vécu son enfance et son adolescence à Abidjan. Elle y a poursuivi ses études et enseigné à l’université avant de vivre dans divers pays (Etats-Unis, Mexique, Angleterre, Kenya). Elle vit désormais à Johannesburg où elle enseigne la littérature à l’université. Tout en constituant une œuvre amorcée avec Latérites en 1984 et destinée au public adulte (L’ombre d’Imana, Reine Pokou), elle est l’une des premières femmes africaines à consacrer une part de son travail aux jeunes lecteurs avec des albums dont elle assure souvent elle-même l’illustration (La Chanson de la vie, Mamy Wata et le monstre, Grand-mère Nanan, Le Seigneur de la danse, Ayanda la petite fille qui ne voulait pas grandir).
Loin de mon père, Actes Sud (2010) A la mort de son père, Nina revient en Côte d’ivoire afin d’organiser les funérailles, mais son pays est alors dans un état de guerre civile… Dans l’avion qui la ramène elle se met à rêver….
Impossible de dormir. Nina avait pensé que le coucher du soleil lui apporterait un peu de sérénité. Pourtant,
après avoir irradié le ciel de pourpre et d'or, l'astre s'était mis à fondre de l'autre côté de l'horizon. A présent, c'était fini. Il ne restait plus que l'obscurité, dense et inquiétante. Elle détourna le regard du trou noir, ferma le hublot, inclina son siège et tenta de s'assoupir. Les ailes de l'avion tranchaient la nuit.
L'angoisse monta en elle, brutale. Dans quelques heures, elle serait à la maison. Mais sans lui, sans sa présence, que restait-il ? Des murs, des objets et quoi d'autre? Elle allait devoir réévaluer ses certitudes. "Qu'est-ce qui fait un pays ? avait-elle demandé à Frédéric, la veille de son départ. - Je ne sais pas, avoua celui-ci, l'air perplexe. Les souvenirs, je suppose." Oui, les souvenirs... la qualité du ciel, le goût de l'eau, la couleur de la terre. Les visages, les temps d'amour et les déceptions. C'était tout cela, un pays. Sensations irisées, accumulées au fil des jours.
Mais comment compter sur les souvenirs ? Le pays n'était plus le même. La guerre l'avait balafré, défiguré, blessé. Pour y vivre aujourd'hui, il fallait renier sa mémoire désuète et ses idées périmées.
1900-2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-parler-oif.org
Elle était partie depuis trop longtemps. Comment ne pas lui en vouloir ? Elle avait pensé qu'elle pourrait voyager librement par monts et par vaux jusqu'à l'heure du retour. Revenir ? Tout aurait été comme d'habitude, chaque chose à sa place. Elle n'aurait eu qu'à poser ses valises et à reprendre sa vie là où elle l'avait laissée. Accueillie à bras ouverts, elle serait riche de ses voyages.
C'était avant la guerre, avant la rébellion.
Véronique Tadjo, Loin de mon père, Actes Sud (2010)
1900-2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-parler-oif.org
Né au Rwanda, Gilbert Gatore a quitté son pays en 1994 afin de fuir le génocide. Tout d’abord
réfugié en République démocratique du Congo, il est venu en France en 1997 et a poursuivi ses
études à l’Institut d’Etudes Politiques de Lille puis à l’Ecole des Hautes Etudes Commerciales (HEC)
à Paris où il réside désormais. En 2008, il a publié Le Passé devant soi, un premier roman dans
lequel, pour l’une des toutes premières fois, un Rwandais choisit la fiction pour dire l’effroyable
tragédie de son pays, sans toutefois jamais nommer celui-ci.
Le Passé devant soi, Phébus (2008)
Elle a été adoptée par un couple d’Européens mais elle décide de quitter le pays d’exil pour
rejoindre la terre de sa naissance. Elle y rencontrera un jeune homme qui a vécu la folie meurtrière
du génocide.
Le pays, la langue et les manières lui sont revenus naturellement. Elle les a retrouvés
plus qu’elle ne les a découverts. Hormis Kizito qui s’obstine à l’appeler sa « petite française »,
rien ou presque ne lui rappelle qu’elle est partie d’ici un jour.
Lors du voyage qu’elle a fait avec Kizito, c’est sans surprise qu’elle a rencontré les vaches
auxquelles de longues cornes sur des corps minces donnent une allure typique. C’est
spontanément qu’elle a appris les nuances infinies de la politesse dans le langage et les postures.
C’est sans frémir qu’elle a tenu entre ses mains une machette, outil aux usages multiples :
couper du bois pour la cuisinière, tailler les bâtons qui disciplinent le bétail pour le berger,
suppléer la bêche pour le semeur, et couper tout et n’importe quoi pour le boucher. Elle a même
vu des enfants s’en servir comme règle en dessinant des figures géométriques dans leurs cahiers
et des gens la poser entre deux appuis pour en faire un banc. Dans le même effort que tout le
monde, elle a su occulter l’autre usage qu’elle peut avoir.
Elle ne voulut pas retourner à l’endroit où elle avait échappé à la mort. Elle prétexta le
manque de temps et la distance mais devant l’insistance de Kizito à vouloir l’y amener, elle avait
dû avouer qu’elle avait peur. Qu’aurait-elle fait si, en arrivant à cette maison dont son souvenir
avait gardé une image radieuse, elle avait trouvé des ruines gagnées par la végétation ? Aurait-
1900-2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-parler-oif.org
elle soutenu le néant dont la nature aurait couvert les siens et la trace de leur sacrifice ? Quelle
aurait été sa réaction si, dans la cour où elle se souvient avoir appris à marcher, elle avait trouvé
d’autres enfants souriant, une famille heureuse ? Aurait-elle accepté, sans être déchirée par la
tristesse et la révolte, que de nouvelles fleurs poussent sur cette terre où elle a vu couler le sang
des siens, où elle a pataugé pour fuir ? Aurait-elle résisté à la haine et au désespoir qui se
seraient emparés d’elle ? Qu’en aurait-elle fait ? Kizito comprit que faute de réponse prévisible à
ces trop nombreuses questions, il valait mieux éviter d’y retourner. Compréhensif, il n’en parla
plus.
Gilbert Gatore, Le Passé devant soi, Phébus (2008)
1900-2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-parler-oif.org
Née à Douala au Cameroun, Léonora Miano est venue en France en 1991, afin de poursuivre des
études de lettres et travailler sur les littératures anglophones. Elle a publié son premier roman,
L’intérieur de la nuit, en 2005, puis, l’année suivante Contours du jour qui vient, prix Goncourt
des lycéens. Elle a obtenu le prix Femina 2013 pour La saison de l’ombre. Elle est également
musicienne et chanteuse.
Contours du jour qui vient, Plon (2006)
Une enfant de 12 ans, abandonnée car on la croyait porteuse de malédiction, s’adresse à sa mère et
à ses aînés pour dire son désarroi et sa quête d’un avenir différent de celui qui lui est proposé.
Je me suis levée. Je ne sais comment j’ai pu arriver dans la rue. Ils me regardaient tous, nos
voisins. Ils m’insultaient, répétant les paroles de la vieille : loin, immédiatement. J’ai couru
comme j’ai pu. Le jour s’était enfui. Des réverbères envoyaient un éclat jaunâtre sur la terre. Mes
jambes ne me soutenaient qu’à peine. Lorsque je suis sortie de notre quartier, on ne m’a guère
accordé d’attention. Les gens avaient l’habitude de voir des démentes déambuler nues dans les
rues. Elles étaient rarement aussi jeunes que moi, mais en ces temps déraisonnables, tout
pouvait arriver. Rien ne les étonnait plus. Quelques jours auparavant, ils avaient vu Epupa, la
folle la plus célèbre de Sombé, étrangler son fils en plein jour. C’était un nourrisson. Elle ne
supportait pas l’idée d’avoir mis au monde un enfant mâle. Ils m’ont laissée tranquille, et j’ai
marché ma route. Au bout d’un temps indéfini, je suis arrivée à Sanga, devant la maison de ma
grand-mère paternelle. Le veilleur de nuit n’a pas voulu me laisser entrer. Il me connaissait
pourtant. Il est allé chercher quelqu’un à l’intérieur. Un de mes oncles est sorti. Il m’a regardée
comme on ne peut regarder sa nièce, surtout lorsqu’elle n’a que neuf ans, et qu’elle en paraît
sept. Il est retourné à l’intérieur. Ma grand-mère est venue. Elle s’est adressée à moi : Que se
passe-t-il, pour que tu te présentes chez moi à cette heure, seule et entièrement nue? Je lui ai dit :
Grand-mère, il faut m’aider. Maman est devenue folle. Elle a tenté de me tuer, puis elle m’a chassée.
Cela fait trois jours que je n’ai rien mangé… Je crains de ne pas l’avoir émue. Elle te détestait tant
1900-2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-parler-oif.org
qu’il lui était impossible de venir en aide à ta fille. Elle a seulement dit : Si ta mère te hait à ce
point, elle seule sait pourquoi. Je ne peux rien pour toi. Après avoir dit ces mots, elle s’est tournée
vers mon oncle et lui a dit : Epéyè, va lui chercher une robe. Demande à Sépu si elle n’a pas une
vieille chose qu’elle ne peut plus porter. Il a obéi. Lorsqu’il est revenu, il tenait un grand tee-shirt
sans forme, avec lequel ladite Sépu avait dû faire de l’aérobic au siècle dernier. J’ai pris le
vêtement et je m’en suis allée, non sans avoir remercié ces personnes dont je portais le nom.
Léonora Miano, Contours du jour qui vient, Plon (2006)
1900-2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-parler-oif.org
Né au Tchad, Nimrod a enseigné à N’Djamena et Abidjan, avant de venir en France où il se consacre
à l’écriture. Il a consacré deux essais au poète sénégalais Léopold Sédar Senghor (Tombeau pour
Léopold Sédar Senghor). Poète, romancier à la langue subtile et précise, Nimrod arpente les
traces de la mémoire en particulier celle de l’enfance et de l’adolescence dans ses romans, Les
Jambes d’Alice et Le Bal des Princes, et dans son récit, Le Départ.
Le Départ, Actes Sud (2005)
Habitué à suivre son père, pasteur, dans ses différentes missions dans le pays, le jeune héros est
confronté à un plus lointain départ, celui qui le conduira à l’exil…
L’exil est ainsi fait qu’il faut toujours délaisser amantes, parents, amis. On en vient à perdre la
manière de se raconter aux autres. Depuis que nous avons souffert ensemble, rien n’est plus
comme avant. Nous continuons de contempler le crépuscule, de nous baigner dans le Chari. Il
n’empêche. Quelque chose s’est perdu avec nos diverses fortunes. J’en pleure dans mon coin.
L’horizon s’éloigne, son empreinte en moi qui jadis, me grandissait.
Le temps des calculs serait-il venu ? Celui du sauve-qui-peut vers l’exil hors de soi, hors de toute
amitié ? Pourtant, je ne demande qu’à revenir aux années glorieuses de jadis. A la volonté de se
parfaire qui est un besoin d’amis. Oui, un corps qui est traversé par l’espace où joue un enfant…
La récré n’est donc pas finie !
On traverse des paysages, on s’en fait des alliés. Peine perdue. Ceux-ci ne sauraient éteindre en
nous le feu sacré des pays défunts. A Abidjan, à Paris, de quoi ai-je pleuré ? De N’Djamena, que je
sais inhospitalière ? De la lagune verte, luxuriante, premier pays au premier matin du monde ?
Des platanes quand ils frémissent sur le boulevard du Montparnasse, le soir, en automne ? Rien
1900-2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-parler-oif.org
de tout cela. Les rivages du Chari, l’énigme du monde gardée par devers soi, constituent ce
phénomène qui, au souvenir des miens, m’arrachent des sanglots. C’est en eux que je suis fondé.
J’ai reçu d’eux une mémoire qui m’a précédé. Elle détient ma formule. Comme les serpents, je
peux me faire une nouvelle peau, mais l’originelle survit en dessous. Et, comme le bonheur, elle
nous hante, nous rappelle au souvenir du riche passé. Heureux les hommes qui sont nés et qui
sont morts dans le même paysage ! Ils ne connaîtront jamais le supplice des arrachements.
Nimrod, Le Départ, Actes Sud (2005)
1900-2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-parler-oif.org
Née à Gikongoro au Rwanda qu’elle a dû quitter pour le Burundi en 1973, Scholastique Mukasonga
est venue en France en 1992 où elle vit en Normandie. En 1994, sa famille demeurée au pays, est
victime du génocide, et c’est en 2006 qu’elle publie un premier témoignage autobiographique,
Inyenzi ou les Cafards, suivi par d’autres tous inspirés par le drame rwandais : La Femme aux
pieds nus, L’Iguifou et Notre-Dame du Nil, prix Renaudot en 2012.
Inyenzi ou les Cafards, Gallimard (2006) Un premier roman autobiographique pour une jeune femme exilée qui n’a pas connu directement le génocide de son pays mais qui a ressenti le « devoir d’écrire » en hommage à ses proches disparus. Dans le doute de l’exil (1erextrait) puis dans les retrouvailles avec un pays qui a beaucoup changé (2ème extrait).
Toutes les nuits, mon sommeil est traversé du même cauchemar. On me poursuit,
j'entends comme un vrombissement qui monte vers moi, une rumeur de plus en plus menaçante.
Je ne me retourne pas. Ce n'est pas la peine. Je sais qui me poursuit... Je sais qu'ils ont des
machettes. Je ne sais comment, sans me retourner, je sais qu'ils ont des machettes... Parfois aussi,
il y a mes camarades de classe. J'entends leurs cris quand elles tombent. Quand elles... A présent,
je suis seule à courir, je sais que je vais tomber, qu'on va me piétiner, je ne veux pas sentir le
froid de la lame sur mon cou, je...
Je me réveille. Je suis en France. La maison est silencieuse. Mes enfants dorment dans
leur chambre. Paisiblement. J'allume la lampe de chevet. Je vais dans la salle m'asseoir devant
une petite table. Sur la table, il y a une boîte en bois et un cahier d'écolier à couverture bleue. Je
n'ai pas besoin d'ouvrir la boîte, je sais ce qu'elle contient : un morceau de brique tout érodé, une
feuille desséchée, une pierre plate et effilée, aux arêtes tranchantes, des lettres écrites sur des
feuilles de cahier.
(…)
1900-2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-parler-oif.org
Quand j’arrivai au lycée Notre-Dame-de-Cîteaux, avec la petite valise en carton qui avait
servi à mon frère André puis à Alexia, j’étais remplie à la fois d’espoir et d’appréhension. Mes
appréhensions furent plus que justifiées mais je ne perdis jamais espoir.
A Nyamata, j’avais connu la persécution violente et meurtrière ; pourtant la chaleur
fraternelle du ghetto donnait la force de résister. Au lycée, j’allais connaître la solitude de
l’humiliation et du rejet.
En traversant la Nyabarongo, je n’avais pas abandonné mon statut de Tutsi. Bien au
contraire. Il était d’ailleurs impossible de le dissimuler. Chaque élève était muni d’une fiche
signalétique sur laquelle était indiquée la prétendue ethnie, une marque au fer rouge. Quand il
fallait la présenter à une sœur, son regard et son attitude changeaient aussitôt : méfiance, mépris
ou haine ? Je ne voulais pas savoir. On découvrait aussi que je venais de Nyamata. Non seulement
j’étais tutsi mais j’étais une Inyenzi, un de ces cafards qu’on avait rejetés hors du Rwanda
habitable, peut-être hors du genre humain.
[…]
Depuis quelques jours, je suis dans un Rwanda que je croyais ne jamais connaître. Je suis
chez moi, comme tous les Rwandais. Je ne marche plus en baissant la tête, je ne sursaute plus à la
vue d’un uniforme. Il n’y a pas de barrage pour contrôler mon « ethnie ». Je ne serai pas humiliée
par les miliciens du parti. Je ne suis plus l’Inyenzi. Mon nez n’est pas trop long. Mes cheveux ne
sont pas éthiopiens : je suis rwandaise. J’ai hâte de découvrir le Rwanda qui m’était interdit. Je
veux tout voir, Gikongoro où je suis née, au bord de la rivière Rukarara, le lac Kivu, Kibuye,
Ruhengeri, Gisenyi, les volcans… Je voudrais que le minibus s’arrête à chaque détour de la route
pour que, jusqu’à l’horizon, les collines et les crêtes des montagnes viennent emplir mon regard.
Et je répète - et on se moque gentiment de moi : « Rwanda nziza, Rwanda nziza - Il est beau mon
pays. »
Scholastique Mukasonga, Inyenzi ou les Cafards, Gallimard (2006)
1900-2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-parler-oif.org
Né à Abengourou en Côte d’ivoire, Koffi Kwahulé vit en France depuis 1979. Il s’est imposé comme
l’une des voix singulières de la dramaturgie africaine, avec des thématiques originales, une écriture
musicale et une volonté de sortir des carcans et des scènes battues (Bintou, Fama, Cette vieille
magie noire, Jaz, Big shoot, Les recluses, Nema). Egalement comédien et metteur en scène, il a
publié deux romans, Babyface et Monsieur Ki.
Bintou, Lansman (1997)
Bintou, « type africain, treize ans», une jeune héroïne sulfureuse et endiablée, chef de bande, qui,
chez elle dans la région parisienne, doit faire face à sa mère dépassée, son père absent, son oncle
incestueux et sa tante offusquée…
La mère : Bintou ! Bintou ! Bintou !
(Bintou entre. Les bribes d’une musique orientale se sont échappées de la chambre quand Bintou a
ouvert puis refermé la porte. Bintou est essoufflée. Elle devait être en train de danser. Elle tient un
couteau à cran d’arrêt qu’elle n’arrête pas de manipuler)
Bintou : Oui, je t’écoute.
La mère : Que faisais-tu ?
Bintou : Accouche, maman, je n’ai pas que ça à faire.
La mère : Ton père et moi…
Bintou : Mon père ? Quel père ? Je n’ai pas de père.
La mère : Nous avons pensé à quelque chose de bien pour toi : des vacances. Ça ne te ferait pas
plaisir d’aller au pays pendant les vacances ?
1900-2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-parler-oif.org
Bintou : Des vacances ? Je ne bosse pas, je ne vais pas à l’école, pourquoi je prendrais des
vacances ? Et puis, je ne le connais pas, ce bled.
La mère : Justement. Tu connaîtrais les autres membres de la famille, tu saurais à quoi
ressemble ton pays…
Bintou : Mais mon pays c’est ici, maman. C’est la cité, le quartier, le béton, mes mecs... mes
"Lycaons", comme dit tante Rokia. C’est ici que je suis née et je n’ai pas envie de connaître autre
chose. Ça me suffit.
Koffi Kwahulé, Bintou, Lansman (1997)
1900-2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-parler-oif.org
Né au Togo, Sami Tchak a tout d’abord enseigné la philosophie dans son pays. Venu en France en 1986, il a poursuivi des études de sociologie qui l’ont mené vers Cuba, le Mexique et la Colombie, des lieux très présents dans son œuvre littéraire. Si son premier roman, Place des Fêtes, comme son titre le suggère, se passe à Paris, trois autres (Hermina, Le paradis des chiots, Filles de Mexico) ont pour cadre une Amérique latine « imprécise » parfois un peu « africaine » dans laquelle errent quelques exclus du monde.
Place des Fêtes, Gallimard (2000)
À Paris, l’exil dans une famille africaine n’est pas forcément perçu de la même façon par les parents
et les enfants qui ne se reconnaissent pas dans cette situation. Le retour au pays, rêvé, souhaité et
souvent inaccompli, est l’un des sujets de discussion sinon de discorde.
Maman l’a compris mieux que tout le monde. Elle, elle ne se prend plus la tête avec la question
du retour. Elle ne se complique pas la vie présente en pensant à l’avenir en retour. Elle, elle dit
que la vie, la sienne, elle se trouve dans l’instant et dans le pays où elle niche actuellement.
Maman n’est pas bête. Elle dit que même après sa mort, elle ne va pas quitter la France. Ce n’est
pas qu’elle soit très accro de la France. Mais, elle dit qu’on ne sait jamais avec tout ce qui se passe
chez eux là-bas. Elle dit qu’elle choisit, entre les merdes, la moins compliquée pour elle. Alors,
pas question de préparer le retour. Elle est en France, eh bien, elle y reste pour toujours. Tout
compte fait, elle a ses raisons, maman. Chacun a d’ailleurs ses raisons, il ne faut pas croire.
Quant à papa, ma foi, c’est une autre paire de pantoufles. Lui, il s’accroche à son idée de retour
comme une punaise à un chien errant. Rien à faire pour lui enlever de la tête cette idée de retour
au pays natal comme dans un cahier martiniquais. Papa, il est têtu, on dirait une mule, c’est moi
qui vous le dis. C’est mon paternel, mais c’est comme si c’était mon fils quoi, parce que je le
connais plus qu’il ne le pense lui-même. Cela dit, je dois vous préciser que le retour auquel papa
s’accroche maintenant, à la manière des roussettes aux branches des arbres, le derrière en l’air
et le museau pointé vers le bas, le retour de papa - roussette donc n’a rien à voir avec le retour
qu’il avait en poche en débarquant en France, armé de ses rêves, comme un allié américain
envoyé pour casser la gueule au méchant loup. Avant, c’était dans le genre « retourner là-bas
1900-2015 : 25 ans, 25 textes De l’Afrique francophone au sud du Sahara et de l’océan Indien.
Bernard Magnier pour franc-parler-oif.org
chez moi réaliser des projets ». Cette période-là, eh bien, c’est terminé ! Maintenant, en matière
de projet, papa, il aimerait seulement retourner dans son village juste pour mourir, pas pour y
vivre encore, non, pour mourir, comme les baleines qui quand elles ont mal à l’âme au fond de
l’océan, sortent s’échouer sur la plage, vidées de leur vie et de leurs angoisses.
Sami Tchak, Place des Fêtes, Gallimard (2000)
top related