aménagement de tamazight (s. chaker)

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1 Un standard berbère est-il possible ? Entre réalités linguistiques et fictions sociolinguistiques Salem CHAKER Université de Provence La question du standard de langue se pose désormais avec acuité dans le domaine berbère. Tant que les études berbères étaient cantonnées dans un travail purement descriptif de l’infinie variété des formes régionales, le problème était quasiment inexistant. D’autant qu’en matière d’action pédagogique, les berbérisants n’avaient guère d’autres obligations ou perspectives que de former quelques rares étudiants, eux- mêmes futurs spécialistes, ou quelques praticiens de terrain, toujours des adultes, ethnologues ou autres scientifiques, missionnaires ou agents des ONG… La nouvelle donne, avec l’institutionnalisation de l’enseignement du berbère en Algérie (1995) et au Maroc (2003) change considérablement la situation ; l’échelle n’est plus du tout la même, les besoins sont innombrables, urgents et diversifiés : codification de la langue à tous les niveaux, élaboration d’outils de référence dans tous les domaines (orthographe, grammaire, lexique) et pour des publics diversifiés, élaboration « tous azimuts » de terminologies spécialisées, élaboration de manuels d’enseignement pour toutes les classes d’âges… Ce qui n’était encore, au début des années 1980, qu’une démarche « artisanale » de quelques groupes militants et de quelques rares universitaires, visant à répondre aux besoins et demandes de quelques associations culturelles, prend une dimension sociale de masse. Le contexte, depuis le début des années 1990 en Algérie et 2000 au Maroc est donc totalement nouveau. Et les études berbères n’y étaient pas du tout préparées, malgré les quelques évolutions « préparatoires » que l’on peut déceler à partir des années 1980 (comme les rencontres sur la codification graphique que nous avons organisées à l’Inalco) ou les (encore très) rares travaux universitaires consacrés à l’aménagement ou à la didactique du berbère.

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1

Un standard berbère est-il possible ? Entre réalités linguistiques et

fictions sociolinguistiques

Salem CHAKER

Université de Provence

La question du standard de langue se pose désormais avec acuité

dans le domaine berbère. Tant que les études berbères étaient cantonnées

dans un travail purement descriptif de l’infinie variété des formes

régionales, le problème était quasiment inexistant. D’autant qu’en matière

d’action pédagogique, les berbérisants n’avaient guère d’autres

obligations ou perspectives que de former quelques rares étudiants, eux-

mêmes futurs spécialistes, ou quelques praticiens de terrain, toujours des

adultes, ethnologues ou autres scientifiques, missionnaires ou agents des

ONG…

La nouvelle donne, avec l’institutionnalisation de l’enseignement

du berbère en Algérie (1995) et au Maroc (2003) change

considérablement la situation ; l’échelle n’est plus du tout la même, les

besoins sont innombrables, urgents et diversifiés : codification de la

langue à tous les niveaux, élaboration d’outils de référence dans tous les

domaines (orthographe, grammaire, lexique) et pour des publics

diversifiés, élaboration « tous azimuts » de terminologies spécialisées,

élaboration de manuels d’enseignement pour toutes les classes d’âges…

Ce qui n’était encore, au début des années 1980, qu’une démarche

« artisanale » de quelques groupes militants et de quelques rares

universitaires, visant à répondre aux besoins et demandes de quelques

associations culturelles, prend une dimension sociale de masse. Le

contexte, depuis le début des années 1990 en Algérie et 2000 au Maroc

est donc totalement nouveau. Et les études berbères n’y étaient pas du

tout préparées, malgré les quelques évolutions « préparatoires » que l’on

peut déceler à partir des années 1980 (comme les rencontres sur la

codification graphique que nous avons organisées à l’Inalco) ou les

(encore très) rares travaux universitaires consacrés à l’aménagement ou à

la didactique du berbère.

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En matière de standard de langue, le problème central demeure

évidemment celui que l’on peut résumer sous la question : « une ou des

langues berbères ? ».

Un standard commun berbère : a priori une fiction

Dès mon article de 1985, j’avais pris position « pour une

normalisation convergente des variétés régionales du berbère ». Cette

formulation contenait déjà en filigrane tous les éléments d’une réponse à

la question. A ce point de vue, le contexte global de la langue berbère

peut être synthétisé comme suit :

a) Il existe des variétés régionales de la langue berbère

nettement différenciées.

b) Le berbère n’a jamais disposé de forme commune codifiée ;

tout au plus des embryons de koinès littéraires, ne dépassant

jamais la grande région dialectale, et sans doute, dans le haut

Moyen âge, des koinès écrites correspondants aux grands

ensembles politico-religieux (Kharijites-Ibadites,

Almohades…).

c) Les conditions socio-historiques d’une « normalisation pan-

berbère », qui n’ont quasiment jamais existé dans le passé,

n’existent toujours pas ; i.e. : il n’y a pas de centre

normalisateur commun au monde berbère, Etat, institution

religieuse ou culturelle…

Comme il ne peut y avoir d’aménagement « pan-berbère » sans

un espace institutionnel « pan-berbère », on ne voit pas par quelle

opération miraculeuse une « normalisation pan-berbère » serait-possible,

du moins si l’on donne à cette formule son sens strict de norme unifiée,

commune à l’ensemble du monde berbère. En d’autres termes, pour être

simple et explicite, il ne peut y avoir de standard berbère commun unique

parce qu’il n’y a pas d’espace politique berbère unique. Tout le reste

n’est que « littérature »…, c’est-à-dire, illusion militante ou démagogie

étatique.

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Unité de la langue, diversité des réalisations : de la Langue aux

Langues.

Pourtant, au plan du matériau linguistique, les linguistes insistent,

depuis le début des études berbères, sur l’unité profonde des différentes

variétés du berbère. Rares sont les phénomènes ou les données qui soient

spécifiques à un seul dialecte et dont on ne retrouve pas trace dans les

autres régions. Du point de vue de la linguistique, l’objectif d’un standard

unique demeure donc a priori théoriquement concevable : les différentes

variétés du berbère ont une base structurale et un stock lexical largement

communs et il serait donc tout à fait possible pour un « conclave de

linguistes » de définir un « berbère commun », du moins, on y reviendra

plus loin, si l’on se limite aux variétés algéro-marocaines, à l’exclusion

du touareg et des parlers « périphériques » (zenaga, Tunisie, Libye…).

On examinera, à grands traits, la faisabilité d’un tel standard

commun du point de vue du système linguistique.

Phonologie

Au point de vue de la phonologie, à la condition de ne traiter que

des parlers Nord algéro-marocains à l’exclusion du touareg et autres

parlers « périphériques », il y a bien longtemps qu’il a été montré que, à

quelques détails ou phénomènes locaux près, il était possible de définir

un système phonologique commun à l’ensemble des dialectes berbères

Nord. Bien entendu, cela implique que le principe de la distinctivité

phonématique soit mis en œuvre à l’échelle globale des parlers considérés

et non au niveau de chaque variété régionale, a fortiori de chaque parler.

Cela implique aussi quelques « coups de force » : ignorer les phénomènes

de spirantisation des occlusives, de vocalisation (locales) de /r/, de

palatalisation, etc. Mais on a de bons arguments, linguistiques et

sociolinguistiques, pour poser un système phonologique commun sous-

jacent à toutes les réalisations locales. C’est d’ailleurs cette démarche qui

a été à la base de la notation usuelle du berbère (à base latine) diffusée

depuis les années 1960 par la mouvance militante kabyle, puis relayée par

les universitaires. Certains points continuent certes à faire problème (la

représentation du schwa, notamment), mais on voit bien qu’ils sont

nettement identifiés et qu’un consensus théorique et pratique est aisément

accessible.

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Si l’on intègre les parlers « périphériques », la situation devient

beaucoup plus complexe et il est, en synchronie, impossible de réduire les

systèmes particuliers à la réalisation régionale d’un système

phonologique commun ; si l’on se focalise sur le cas du touareg, on se

retrouve avec un nombre considérable de phénomènes phonologiques non

intégrables dans le modèle « commun » : non intégration des pharyngales

(/ɛ/ et /ḥ/) empruntées à l’arabe, opposition de durée vocalique pertinente

(/a/-/ā/, /i/-/ī/, /u/-/ū/, etc.), timbres d’ouverture moyenne distinctifs (/e/,

/o/), structuration syllabique très différente (avec sans doute statut

phonologique du schwa (/ə/ et d’une autre voyelle centrale brève (/ă/)…

La majorité de ces traits spécifiques au touareg sont certainement

secondaires et acquis au cours de l’évolution de la langue

(phonologisation de variantes contextuelles, systématisation

d’allongements expressifs, contacts prolongés avec certaines langues

négro-africaines, contacts que les berbérisants ont eu tendance à sous-

estimer…). Mais il est non moins certain que leur réduction éventuelle à

un « modèle berbère commun » ne relève pas de l’analyse synchronique

mais bel et bien de la reconstruction diachronique.

Grammaire

En matière de grammaire, la situation est aussi contrastée.

- Paradigmes liés : les paradigmes de morphèmes conjoints

(marques verbales et nominales) sont quasiment communs à l’ensemble

du domaine berbère, ou reposent sur les mêmes morphèmes de base ;

même lorsqu’une région présente des allomorphes spécifiques, il est rare

qu’ils ne se retrouvent pas, avec une distribution ou une forme

légèrement différente, partout ailleurs. Manifestement, tous les dialectes

puisent dans le même stock morphématique même s’ils privilégient tel ou

tel variante. Il est donc relativement aisé de définir une grammaire

commune des morphèmes liés.

- Paradigmes libres : la situation est fort différente pour les

paradigmes d’unités indépendantes, pronoms, déictiques, relationnels

divers… Même si l’analyse diachronique permet souvent de retrouver des

formes basiques communes, leurs réalisations phonologiques, leurs

distributions, et souvent leur sémantique, sont tellement spécifiques à

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chaque dialecte que l’on est plus dans l’ordre de la reconstruction

historique et de l’étymologie que dans l’étude de variantes. Le cas le plus

problématique est certainement celui – ô combien emblématique et

essentiel à la communication ! – des pronoms personnels indépendants

dont les formes concrètes dans les dialectes sont profondément

différenciées, même s’il est facile de reconstruire à chaque fois un

étymon commun. Entre le [kăyy] touareg, le [kiyy] chleuh] ("toi") et les

formes |kəčč], [šəgg, šəkk…] des dialectes les plus septentrionaux

(kabyle, rifain, chaoui, etc.), l’intercompréhension est quasiment

impossible et aucune règle de correspondance synchronique ne permet de

passer de l’une à l’autre. On est, là encore, en pleine diachronie.

Système verbal

Le cas du système verbal est particulièrement intéressant parce

qu’il montre bien à la fois les éléments centraux, communs à l’ensemble

du berbère, et les développements secondaires, qui pour certains peuvent

avoir une très large extension (Cf. Galand 1977 ou Chaker 1997).

Le système est partout construit à partir d’un nombre réduit de

thèmes verbaux, de nature aspectuelle, communs à tous les dialectes, à

l’exception du touareg qui présente plusieurs thèmes spécifiques (dont le

fameux « prétérit intensif » ou « accompli résultatif »). Sur ce noyau

thématique se développent des formes à préverbes, qui spécifient

certaines nuances aspectuelles, modales et/ou temporelles. Et c’est

évidemment là que s’installent les divergences : si certains préverbes sont

quasiment commun à toute l’aire berbère (ad), la plupart sont propres à

un dialecte berbère donné, voire à un parler déterminé au sein d‘un

dialecte. Concrètement, l’inventaire des formes qui s’opposent n’étant

plus le même selon le dialecte, il n’existe plus « un système verbal

berbère » mais « des systèmes verbaux berbères », chacun d’entre eux

étant spécifique à une région donnée. Même s’il est aisé d’établir la

genèse, morphologique et sémantique, des formes secondaires à partir du

noyau des thèmes de base, il n’empêche qu’en synchronie, chaque

dialecte a bel et bien son système particulier et, malgré les éventuelles

identités formelles, les oppositions ne sont pas superposables : ainsi la

forme "ad + Aoriste" n’a pas du tout la même valeur et le même statut en

kabyle ou en touareg d’un côté (où elle a une valeur d’abord temporelle,

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éventuellement modale) et en chleuh de l’autre (où elle exclusivement

modale).

Syntaxe de l’énoncé

En matière de syntaxe de l’énoncé, la situation est également

assez diversifiée.

- Phrase verbale : la syntaxe de l’énoncé verbal est très largement

commune à l’ensemble du domaine berbère, que ce soit au niveau des

fonctions nominales, en termes de positions respectives des constituants

ou des marques de relations. On ne voit guère de phénomène syntaxique

important qui ne soit commun à toutes les variétés de berbère et tous les

concepts descriptifs utilisés par les linguistes berbérisants sont opératoire

dans l’ensemble du domaine.

- Phrase nominale : en revanche, la phrase nominale distingue

très fortement les différentes aires dialectales. Le trait est d’autant plus

marqué que la phrase nominale est fréquente et fonctionnellement

importante en berbère. Les dialectes « méditerranéens (chaoui, kabyle,

mozabite, rifain, Moyen Atlas…) privilégient la structure spécifique : "d

+ Nominal" ; le chleuh (et les parlers méridionaux du tamazight), la

structure à verbe « être » : "g + Nominal" ; le touareg, la phrase nominale

« pure » : "Nom, Nom". Bien sûr, en diachronie, il est, là aussi, aisé de

montrer que les différents types ont été connus et pratiqués partout et ont

laissé des traces dans tous les dialectes ; mais en synchronie, un énoncé

aussi élémentaire que « Moussa est un Berbère » se dira :

Mûsa, amajeɣ, en touareg,

Musa, iga amaziɣ, en chleuh

Musa, d amaziɣ, en kabyle, en rifain, etc.

Lexique

A ce niveau aussi, on peut parler de situation contrastée. Il est

certain que les recoupements lexicaux entre les parlers Nord algéro-

marocains sont très majoritaires, ce qui n’est plus du tout le cas si l’on

intègre le touareg et autres variétés périphériques. Mais là encore, il

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convient d’être clair sur l’approche et le niveau d’analyse des données : si,

dans le lexique global, les recoupements sont massifs, les divergences,

voire les discordances, sont innombrables dans le vocabulaire

fondamental des différents dialectes. La définition d’un vocabulaire

fondamental, même en se limitant aux variétés Nord du berbère, relève de

la quadrature du cercle, du moins si on le fonde sur les usages réels. La

seule approche aisée serait en fait de nature diachronique et

reconstructive, et amènerait ipso facto à éliminer de ce vocabulaire de

base de nombreux termes de haute fréquence et d’usage quotidien, dans

tel ou tel dialecte, mais « non communs », soit parce qu’ils sont d’origine

expressive, empruntés à l’arabe, ou qu’ils ont été localement

« resémantisés » ; ainsi : tamɣart, « femme » en chleuh, mais « vieille

(femme) partout ailleurs ; quel terme retenir pour « maison », entre

axxam, taddart, tigemmi…, pour « garçon », entre les innombrables

dénominations locales (afrux, arba, aqšiš, agrud, etc.). Et l’on voit bien

que, même si des critères linguistiques sérieux peuvent être mis en œuvre

cas par cas, on, aboutirait au final à un vocabulaire fondamental

nécessairement très déconnecté de tous les usages réels régionaux.

Pour conclure ce rapide examen de la faisabilité linguistique d’un

standard commun unique, il en ressort que si la chose n’est pas

absolument hors de portée du linguiste, il est certain que le système

résultant ne pourrait être, largement, qu’une reconstruction,

diachroniquement fondée, mais fort éloignée de tous les usages réels, et

donc sans le moindre ancrage socioculturel.

Une approche de type « polynomique » permet-elle de surmonter la

difficulté ?

Le concept de « polynomie », né dans les milieux de la

linguistique et de la sociolinguistique corse et occitane, eux-aussi

confrontés à ce problème de la gestion de la variation dialectale (Cf.

Chiorboli 1990), consiste à intégrer la variation dans la norme.

Concrètement à ne pas définir une norme rigide et unique (selon le

modèle en vigueur pour le français et l’arabe classique, par exemple),

mais, à tous les niveaux du système linguistique, à admettre une marge de

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variation, représentative des principales réalisations régionales. Il s’agit

donc d’une « norme ouverte », intégrée y compris dans l’enseignement et

qui fera partie de la compétence (au moins passive) de l’apprenant et du

locuteur.

Mais il est certain que la configuration du berbère n’est pas celle

du corse ni même de l’occitan : l’échelle géographique, donc la variation

et la « distance psycho-sociolinguistique », y est toute autre. Le berbère

se déploie sur un territoire immense, quasi « continental », avec des

contacts et des échanges à peu près inexistants entre de nombreuses zones

berbérophones, depuis près d’un millénaire, c’est-à-dire depuis la

fragmentation du continuum linguistique berbère. Et même lorsque cette

continuité existait, il est certain que les distances étaient telles, et les

obstacles aux échanges linguistiques tellement importants (régions

désertiques, montagneuses, insécurité…), que le degré de variation

linguistique entre les régions était nécessairement très marqué. Il paraît

donc assez délicat d’intégrer une telle diversité, même au sein d’une

« norme très tolérante et ouverte ».

En fait, la notion de polynomie, dans le cas berbère, ne peut guère

être mise en œuvre qu’entre des variétés régionales relativement proches,

par exemple, pour le Maroc, entre le tachelhit et l’essentiel du tamazight ;

mais il parait difficile d’y intégrer le rifain (et certains parlers tamazight

du nord-est). En Algérie du nord, on peut envisager assez aisément un

ensemble « polynomique » regroupant, le kabyle, le chaouïa et, sans

doute, tous les petits parlers résiduels du centre et de l’ouest algérien.

Alors que le mozabite formerait un autre ensemble avec les parlers de

Ouargla et l’Oued Righ.

Une norme régionale dominante ?

Une autre alternative, sans doute plus réaliste, parce qu’elle

correspond à des dynamiques sociolinguistiques et culturelles à l’œuvre

sur le terrain, serait de s’appuyer sur le poids démographique et le

dynamisme socioculturel des différentes variétés pour choisir l’une

d’entre elles comme « norme » du berbère. Mais, immédiatement, il

apparaît qu’il y aurait alors plusieurs « normes » ; au moins trois : le

kabyle pour l’Algérie, le tachelhit pour la Maroc et le touareg pour la

berbérophonie saharo-sahélienne. Et l’on sait bien que tous les autres

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groupes berbérophones développeraient des réactions de rejet très vives

contre ces « normes » extérieures imposées.

C’est peut-être une évolution qui se produira, mais elle ne pourra

pas être imposée et devra se faire de manière « naturelle ». C’est une

configuration qui est assez probable pour l’Algérie avec le kabyle, tant le

poids démographique, culturel et politique des Kabyles est écrasant dans

l’ensemble de la berbérophonie algérienne ; c’est une évolution moins

vraisemblable pour le Maroc où l’hégémonie chleuhe est quand même

contrebalancée par une forte présence rifaine, et, dans une moindre

mesure, tamazight.

Eléments de conclusions et de prospectives

En conclusion, qu’elle que soit la démarche ou la configuration

envisagée, la viabilité d’une « norme pan-berbère » ne semble pas

évidente et elle n’est certainement pas souhaitable parce que son premier

effet serait de liquider, de refouler, les identités particulières, la saveur

des terroirs et l’ancrage socioculturel de la langue.

Si l’unité linguistique du berbère demeure largement une

réalité scientifique, elle ne correspond pas à une réalité

sociolinguistique. Chaque région berbérophone constitue un espace

de communication et un espace culturel spécifique.

C’est pour cela que la seule démarche réaliste et positive me

paraît toujours être celle d’une « normalisation convergente des

différentes variétés régionales ».

Concrètement, il s’agit de définir, pour chaque région, un

standard, en privilégiant systématiquement les éléments de convergence.

Bien entendu, dans une telle option, tout ce qui relève de la codification

graphique et de l’élaboration de terminologies spécialisées peut être

commun. C’est d’ailleurs la pratique qui s’est imposée dans les faits.

Il faut donc poursuivre le travail d’aménagement concerté et

convergent des variétés régionales, de façon à ne pas accentuer les

divergences et à mutualiser les efforts.

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Malgré les changements institutionnels, on n’est pas sorti du

contexte global qui est à la base de mes positions de 1983 et 1985 : le

monde berbère était et reste un monde multipolaire et tout travail

d’aménagement linguistique ne peut que tenir compte de cette diversité

non réductible.

Orientation bibliographique.

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néologique dans le domaine berbère : une décantation difficile mais

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Bounfour, K. Naït-Zerrad & A. Boumalk, Dir.), Paris,

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