allégations de santé des aliments : une perspective communautaire

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© 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Ann Pharm Fr 2006, 64 : 335-343 335 Question d’actualité Allégations de santé des aliments : une perspective communautaire M.-P. Serre*, Résumé. Le développement des allégations de santé pour des denrées alimentaires est mu par un fort dynamisme industriel et par la demande des consommateurs. Face à ce mouvement, la réglementation européenne est fragmentaire et parfois contra- dictoire entre le droit de l’alimentation et celui de la santé. Le contrôle des revendications de santé par les autorités publiques est appliqué de façon variable selon les pays. Une approche plus globale et harmonisée au sein de l’espace communautaire devrait être apportée par un projet de règlement en cours de discussion entre la Commission européenne et le Parlement. Toutefois, son adoption définitive, puis sa mise en œuvre pren- dront un temps certain. De surcroît, il ne permettra pas de régler les difficultés inhérentes à la démonstration des fonde- ments scientifiques de ces allégations. Il laisse entière la ques- tion de la place des autorités sanitaires dans l’application de dispositions concernant la santé des consommateurs. Mots-clés : Allégations de santé, Denrées alimentaires, Réglementation communautaire, Autorités sanitaires, Protection des consommateurs. Summary. The development of health claims for food is dri- ven by a strong industrial impetus and by consumer demand. From the regulatory point of view, the European legislation is fragmented; food and health legislations are contradictory on some aspects. National authorities carry out the regula- tion of health claims for food according to their own rules. A more comprehensive and harmonized approach within the European Community will be provided by the European regu- lation currently under discussion between the European Commission and the Parliament. Nevertheless, its final adop- tion and its implementation will take time. In addition, it won’t solve the difficulties related to the assessment of the scientific substantiation of these claims. The role of health authorities in the implementation of rules regarding the safety of consumers remains unadressed. Key-words: Health claims, Food, European legislation, Health authorities, Consumers protection. Health claims for food: a European outlook. M.-P. Serre. Ann Pharm Fr 2006, 64: 335-343. la fin de l’année 2005, deux sociétés d’assurance intervenant dans le domaine de la santé en tant qu’assu- reurs complémentaires ont annoncé leur inten- tion de nouer des partenariats avec des industriels de l’agroalimentaire et de prendre en charge les dépenses de leurs adhérents lorsque ceux-ci achèteraient des yaourts ou margarines réputés avoir un effet sur l’abaissement du taux de cholestérol sanguin 1 . Ces opérations de marketing croisées novatri- ces sur le fond et la forme ont ému le monde de la santé, peu habitué à l’intrusion d’acteurs non médicaux dans son domaine. Ses protestations n’ont cependant pas eu pour effet d’empêcher le développement de ces campagnes. Présentation devant l’Académie nationale de pharmacie, séance du 1 er février 2006 * Professeur à l’Université Pierre et Marie Curie (Paris VI), master santé publique et management de la santé, spécialité marketing de la santé . 1 Depuis le 1 er février 2006, ces annonces se sont concrétisées. Les deux groupes agroalimentaires concernés et les assureurs partenaires ont lancé des campagnes promotionnelles auprès du public, notamment à la télévision, mettant en avant les avantages de ces produits dans la prévention cardiovasculaire et la prise en charge du surcoût induit par leur achat. Correspondance : M.-P. Serre, 78, rue Dutot, F 75015 Paris. E-mail : [email protected] À

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Page 1: Allégations de santé des aliments : une perspective communautaire

© 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Ann Pharm Fr 2006, 64 : 335-343

335

Question d’actualitéAllégations de santé des aliments : une perspective communautaire

M.-P. Serre*,

Résumé.

Le développement des allégations de santé pour des

denrées alimentaires est mu par un fort dynamisme industriel

et par la demande des consommateurs. Face à ce mouvement,

la réglementation européenne est fragmentaire et parfois contra-

dictoire

entre le droit de l’alimentation et celui de la santé. Le

contrôle des revendications de santé par les autorités publiques

est appliqué de façon variable selon les pays. Une approche

plus globale et harmonisée au sein de l’espace communautaire

devrait être apportée par un projet de règlement en cours de

discussion entre la Commission européenne et le Parlement.

Toutefois, son adoption définitive, puis sa mise en œuvre pren-

dront un temps certain. De surcroît, il ne permettra pas de

régler les difficultés inhérentes à la démonstration des fonde-

ments scientifiques de ces allégations. Il laisse entière la ques-

tion de la place des autorités sanitaires dans l’application de

dispositions concernant la santé des consommateurs.

Mots-clés :

Allégations de santé, Denrées alimentaires,Réglementation communautaire, Autorités sanitaires,Protection des consommateurs.

Summary.

The development of health claims for food is dri-ven by a strong industrial impetus and by consumer demand.From the regulatory point of view, the European legislationis fragmented; food and health legislations are contradictoryon some aspects. National authorities carry out the regula-tion of health claims for food according to their own rules. Amore comprehensive and harmonized approach within theEuropean Community will be provided by the European regu-lation currently under discussion between the EuropeanCommission and the Parliament. Nevertheless, its final adop-tion and its implementation will take time. In addition, itwon’t solve the difficulties related to the assessment of thescientific substantiation of these claims. The role of healthauthorities in the implementation of rules regarding thesafety of consumers remains unadressed.

Key-words:

Health claims, Food, European legislation,Health authorities, Consumers protection.

Health claims for food: a European outlook.

M.-P. Serre.

Ann Pharm Fr

2006,

64

: 335-343.

la fin de l’année 2005, deux sociétésd’assurance intervenant dans ledomaine de la santé en tant qu’assu-

reurs complémentaires ont annoncé leur inten-tion de nouer des partenariats avec desindustriels de l’agroalimentaire et de prendre encharge les dépenses de leurs adhérents lorsqueceux-ci achèteraient des yaourts ou margarines

réputés avoir un effet sur l’abaissement du tauxde cholestérol sanguin

1

.Ces opérations de marketing croisées novatri-

ces

sur le fond et la forme ont ému le monde dela santé,

peu habitué à l’intrusion d’acteurs nonmédicaux dans son domaine. Ses protestationsn’ont cependant pas eu pour effet d’empêcher ledéveloppement de ces campagnes.

Présentation devant l’Académie nationale de pharmacie, séance du 1

er

février 2006

* Professeur à l’Université Pierre et Marie Curie (Paris VI), master santé publique et management de la santé, spécialité marketing de la santé .

1

Depuis le 1

er

février 2006, ces annonces se sont concrétisées. Les deux groupes agroalimentaires concernés et les assureurs partenaires ont

lancé des campagnes promotionnelles auprès du public, notamment à la télévision, mettant en avant les avantages de ces produits dans la

prévention cardiovasculaire et la prise en charge du surcoût induit par leur achat.

Correspondance :

M.-P. Serre, 78, rue Dutot, F 75015 Paris.

E-mail : [email protected]

À

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M.-P. Serre

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Ces évènements récents témoignent de la néces-sité de se pencher sur le cadre juridique dans lequelles aliments peuvent revendiquer des effets positifspour la santé, les garanties dont doit disposer le con-sommateur et les moyens dont disposent les pou-voirs publics pour empêcher ou sanctionner leséventuels débordements.

Dans un contexte d’ouverture des marchés et denécessaire coordination des autorités sanitaires ausein de l’Union européenne, cet encadrement nepeut être efficace que s’il est envisagé au niveaucommunautaire.

L’Union européenne met en place progressive-ment des éléments de réglementation dans lesdomaines frontières de l’alimentation et de la santé.Les éléments existants sont parcellaires et un largepan est encore en cours d’élaboration. L’adoptiondu projet de règlement sur les allégations nutrition-nelles et de santé des denrées alimentaires devraitamener quelques évolutions dans le droit internefrançais. Surtout, le dynamisme des acteurs dans lemonde de l’alimentation-santé pose des défis nonnégligeables aux autorités sanitaires.

Le contexte économique

du développement des allégations

de santé des aliments

La perception de l’aliment comme vecteur de santéest probablement aussi vieille que l’humanité. Lanouveauté en la matière est l’intégration de reven-dications de santé par les aliments transformésindustriellement et présentés comme spécifique-ment conçus pour apporter un bénéfice pour lasanté. Cette revendication a émergé au début desannées 1990 d’abord au Japon puis aux États-Unis,avant d’atteindre l’Europe.

Les nouveaux acteurs industriels

La place croissante des « aliments santé » est duelargement au dynamisme d’industries agro-alimentaires à la recherche de nouveaux débouchésà marges élevées, prenant le relais de leurs produc-tions traditionnelles.

Alors que les pionniers des « alicaments » ouautres « neutraceutiques » étaient souvent de peti-tes entreprises recherchant un marché de niches,

les dernières années ont vu l’émergence de nou-veaux acteurs de taille significativement supérieure.Dans le domaine des industries alimentaires, desgroupes comme Unilever, Nestlé, Danone font uneentrée remarquée sur ce marché.

L’arrivée de ces acteurs puissants a au moinsdeux conséquences :

— la puissance marketing de ces groupes est sanscommune mesure avec celle des entreprises inter-venant précédemment sur ce marché. Elle devraitrenforcer l’impact sur les consommateurs de ces ali-ments santé ;

— ces groupes ont également une capacité àfaire de la recherche que n’ont pas les petites struc-tures et ils ont commencé à investir dans ladémonstration des effets revendiqués. On peutattendre de ces travaux qu’ils contribuent à asseoirla crédibilité des revendications. Ces investisse-ments vont également élever le ticket d’entrée surle marché en éliminant les entités qui ne peuventsoutenir ces standards scientifiques.

Face au dynamisme des industriels de l’alimen-tation, on ne peut que constater la relative frilositédes industriels du médicament, du moins enEurope. En dehors de quelques groupes de taillemoyenne (Merck AG, Oméga-Pharma…), ils sontpeu présents sur ce segment de marché, voire s’endésengagent. Le flou existant aujourd’hui dans laréglementation applicable aux aliments, à l’opposéde l’encadrement strict du médicament, conduit àconsidérer ces domaines comme des métiers dis-tincts.

Les attentes de consommateurs

Le développement des aliments santé n’est possibleque parce qu’il rencontre une demande chez lesconsommateurs contemporains. La recherche de laforme et du bien-être, omniprésente dans nossociétés, se conjugue avec une relation ambiguë ausystème médical, faite d’attentes extrêmement for-tes et de défiance. La recherche d’alternatives« naturelles » conduit une partie des consomma-teurs à se tourner périodiquement ou de façon pluspermanente vers l’aliment comme vecteur de santé.

Quelques données de marché

Deux types de produits alimentaires peuvent êtresupports des allégations de santé : les compléments

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alimentaires et les aliments qualifiés d’alimentsfonctionnels.

Les compléments alimentaires

Ils sont des concentrés de nutriments ou d’autressubstances à effet nutritionnel présentés sousforme de doses (comprimés, gélules, ampoules,sachets de poudre.), donc sous une forme dis-tincte d’un aliment habituel et proche d’uneforme pharmaceutique.

En 2004, le marché mondial des complémentsalimentaires est estimé à 45 milliards d’euros,dont 18 milliards en Europe. La France ne repré-sente que 800 millions d’euros sur ce total [1].

60 % des unités vendues (soit 32 millionsd’unités) transitent par le circuit officinal [2].

Les aliments fonctionnels

L’approche du marché de ces aliments est plusincertaine en raison du flou entourant la défini-tion de ces produits. Un aliment fonctionnel seprésente comme un produit alimentaire « classi-que » qu’il s’agisse d’un produit naturel dont uneffet spécifique a été démontré ou le plus souventd’un aliment auquel un composant a été ajouté,supprimé ou modifié pour améliorer son effetbénéfique pour la santé [3].

Ce périmètre est difficile à cerner, ce qui expli-que les estimations variables de la taille du mar-ché. Le marché mondial est estimé à 50 milliardsde dollars, en forte croissance annuelle (+ 18 %prévus en 2006) [4]. Il se répartit entre les États-Unis (35 %), l’Europe (32 %) et le Japon (24 %)[5]. En France, on estime que 66 % des nou-veaux aliments commercialisés en 2004 compor-taient des revendications de santé.

À titre de comparaison, on rappellera que lemarché mondial du médicament s’élevait à550 milliards de dollars en 2004, le marché fran-çais s’établissant à 22,7 milliards d’euros [6].

Une réglementation communautaire

parcellaire pour un marché européen

morcelé

Les compétences propres des États-membresde l’Union européenne en matière de santéconduisent à des situations très variables selon

les pays au regard de ce qui est autorisé ouinterdit en matière d’allégations nutritionnellesou de santé.

À titre d’exemple, le terme

light

revêt dessignifications très diverses. En Italie, un produitpeut être étiqueté comme tel si la matière sèchecontient moins de 20 % de matière grasse ; enAutriche,

la limite est fixée à 25 %, et en Allema-gne à 32,5 %

. Au Royaume-Uni, le terme

light

n’est pas défini, mais les directives précisentque « pauvre en graisse » devrait signifier que100 g d’un produit contient moins de 3 g dematière grasse, etc. [7].

Cette hétérogénéité des dispositions nationalesa une double conséquence :

— elle conduit à une fragmentation du marchéeuropéen, les produits autorisés dans un État-membre pouvant être interdits dans un autre ;

— elle n’assure pas une protection homogènedu consommateur et est source de confusionpour celui-ci.

Certains éléments de réglementation commu-nautaire existent déjà et s’apparentent à unesorte de puzzle inachevé.

Des dispositions très restrictives en droit de l’alimentation, appliquées de façon variable

La publicité en faveur des denrées alimentairesest régie par la directive 2001/13/CE du 20 mars2000 relative au rapprochement des législationsdes États-membres concernant l’étiquetage et laprésentation des denrées alimentaires, ainsi quela publicité faite à leur sujet [8].

L’article 2.1 de cette directive prévoit que « l’éti-quetage et les modalités selon lesquelles il a étéréalisé ne doivent pas […] attribuer à une denréealimentaire des propriétés de traitement et deguérison d’une maladie humaine, ni évoquer cespropriétés ».

Cette disposition a été transposée en droit fran-çais à l’article R.112-7 du code de la consommation.

Il existe donc une interdiction de principe dansle droit de l’alimentation de toute référence à lamaladie pour les denrées alimentaires.

Toutefois, ce texte laisse des marges d’interpré-tation et a été mis en œuvre de façon différenteselon les pays et selon les administrations char-gées de l’appliquer. Ainsi, le terme de maladiepeut être interprété de façon plus ou moins res-

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trictive : la modification des fonctions organiques(baisse du taux de glucose sanguin ou du taux decholestérol par exemple) est-elle couverte par cetteinterdiction ? Que signifie « évoquer la maladie » ?L’interdiction s’applique-t-elle également auxsymptômes de la maladie ?

Les brèches ouvertes par le règlement relatif aux nouveaux aliments

Le règlement CE n

°

258/97 du 27 janvier 1997relatif aux nouveaux aliments et aux nouveauxingrédients alimentaires [9] a pour objet essen-tiel d’harmoniser les conditions dans lesquellesles États-membres évaluent la sécurité des ali-ments ou des ingrédients alimentaires quin’ont jamais été utilisés en alimentationhumaine. Il institue une reconnaissance de lapremière évaluation réalisée par l’État-membredans lequel la demande est introduite, assortied’une procédure de décision par la Commissioneuropéenne en cas de divergence d’apprécia-tion entre les États-membres. Le règlementprévoit que la décision qui autorise la commer-cialisation d’un nouvel aliment ou ingrédientpeut fixer des exigences spécifiques en matièred’étiquetage.

A priori

, l’objet de ce règlement est étranger àla question des allégations de santé que pour-raient véhiculer ces nouveaux aliments.

Celle-ci a fait irruption dans le paysage desnouveaux aliments à l’occasion de la décision du24 juillet 2000 [10] par laquelle la Commission desCommunautés européennes a autorisé la misesur le marché, à la demande de la société Uni-lever, de matières grasses à tartiner enrichiesaux esters de phytostérols, en tant que nouvelaliment.

La décision prévoit que dans l’étiquetage « ilest signalé que le produit est destiné aux person-nes qui souhaitent abaisser leur taux de choles-térol sanguin ». La Commission entérine ainsi lesrevendications du produit en matière d’effet surla santé.

Cette décision, qui confirme les allégations desanté d’un nouvel aliment, reste un cas isoléparmi celles qui ont été prises depuis par laCommission. Toutefois, elle a ouvert la voie auxallégations d’action sur les paramètres lipidiquesportées par de nombreux produits contenant desesters de phytostérols. Elle sert de référence aux

autorités nationales pour accepter des allégationssimilaires pour d’autres produits, par exemple desyaourts enrichis aux esters de phytostérols [11].Elle a généré également de nombreuses publica-tions sur les effets des esters de phytostérols surles paramètres lipidiques. Elle a même reçu uneconsécration dans les recommandations publiéespar l’Agence française de sécurité sanitaire desproduits de santé (Afssaps) sur la prise en chargedu patient dylipidémique. Tout en soulignant queles mesures diététiques constituent un ensembleet ne peuvent se limiter à la consommation d’ali-ments enrichis, l’Afssaps n’en écrit pas moins que,parmi les mesures diététiques essentielles, figureune « limitation du cholestérol alimentaire, voirl’utilisation d’aliments enrichis en stérols végé-taux » [12].

La directive européenne sur les compléments alimentaires [13]

Une définition uniformisée des compléments alimentaires dans l’Union européenne

L’intérêt premier de ce texte est d’adopter unedéfinition des compléments alimentaires applica-ble de façon uniforme dans l’ensemble des paysde l’Union européenne.

Les compléments alimentaires sont désormaisdéfinis par les critères suivants :

— ce sont des denrées alimentaires dont le butest de compléter un régime alimentaire normal ;

— ils représentent des sources concentrées denutriments ou d’autres substances ayant un effetnutritionnel ou physiologique ;

— ils sont commercialisés sous forme de doses

(comprimés, gélules, ampoules ou toute autre forme

destinée à être prise en unité mesurée de faiblequantité).

Une liste de vitamines et minéraux autorisés comme compléments alimentaires

La directive s’attache plus particulièrement àdéfinir une liste des vitamines et de minéraux(annexe A de la directive) ou de substances vita-miniques ou minérales (annexe B) pouvant êtreutilisées pour la fabrication de compléments ali-mentaires. Elle renvoie à plus tard, « lorsque desdonnées scientifiques suffisantes et appropriéesseront disponibles », l’harmonisation des règles

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applicables aux nutriments autres que les vitami-nes et les minéraux.

Un texte de portée limitée quant aux allégations de santé

La directive légitime, pour la première fois defaçon indiscutable, la possibilité pour des denréesalimentaires de revendiquer des effets physio-logiques, par la définition même qu’elle donne deces denrées alimentaires.

Toutefois, l’article 6.2 de la directive maintientl’interdiction traditionnelle dans le droit de l’ali-mentation : « l’étiquetage des compléments ali-mentaires, leur présentation, et la publicité quien est faite n’attribuent pas à ces produits despropriétés de prévention, de traitement ou deguérison d’une maladie humaine, ni n’évoquentces propriétés ».

L’interprétation de cette disposition restetoujours délicate. À titre d’exemple, on peut seréférer à l’avis de l’Agence française de sécuritésanitaire des aliments (Afssa) relatif à l’emploi dela canneberge/cranberry dans un complément ali-mentaire [14]. L’Afssa donne un avis favorableà l’allégation « contribue à diminuer la fixation decertaines bactéries

E.coli

sur les parois des vési-cules urinaires », au regard de la tradition et desdonnées expérimentales. L’Afssa rappelle que lacanneberge est consommée en Amérique duNord comme remède traditionnel des infectionsurinaires.

Les textes de transposition de cette directive nesont pas encore publiés en France

2

. Ceci nedevrait toutefois tarder, les délais de transposi-tion, fixés au 31 juillet 2003 par la directive étantlargement dépassés.

Le projet de règlement concernantles allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires

Le

patchwork

juridique communautaire et nationaldécrit ci-dessus laisse la place à de nombreusesinterprétations et à des états de non-droit préjudi-

ciables à la fois aux consommateurs et au dévelop-pement du marché intérieur communautaire.

C’est pourquoi la Commission des communautéseuropéennes a proposé un projet de règlementrelatif aux allégations nutritionnelles et de santédes denrées alimentaire, dont les objectifs affichéssont au nombre de trois :

— faciliter la libre circulation des marchandi-ses au sein de l’Union européenne ;

— mieux protéger le consommateur en garan-tissant que les allégations sont évaluées ;

— promouvoir et protéger l’innovation dans ledomaine des aliments.

Le projet concerne les allégations nutritionnelleset de santé utilisées dans l’étiquetage et la pré-sentation des denrées alimentaires, ainsi que dansla publicité.

Les principales dispositions du texte sont lessuivantes :

Des définitions

Le texte définit notamment les notions :— d’allégation : tout message ou représentationqui affirme, suggère ou implique qu’une denréealimentaire possède des caractéristiques particu-lières ;— d’allégation nutritionnelle : allégation cen-trée sur les propriétés nutritionnelles bénéfiquesde la denrée, liées à sa valeur énergétique ou àsa composition ;— d’allégation de santé : allégation impliquant larelation entre une denrée ou une catégorie dedenrée et la santé.

Des règles communes à l’ensemble des allégations

Les allégations ne doivent pas être trompeuses.Elles ne doivent pas remettre en cause une ali-mentation équilibrée.

Des profils nutritionnels globaux à respecterpar les denrées portant des allégations de santédoivent être définis par la Commission avecl’appui scientifique de l’Autorité européenne desécurité des aliments. Ces profils nutritionnels ontpour objectifs d’éviter qu’une allégation nutri-tionnelle ou de santé portant sur une des carac-téristiques de la denrée ne masque un statutnutritionnel global peu satisfaisant (par exem-ple, un aliment allégé en matière grasse, maispar ailleurs riche en sucre ou en sel). Cette dis-

2

Depuis la date de cette communication, une partie des textes a été

publiée notamment le décret n° 2006-352 du 20 mars (JO du

25 mars 2006) relatif aux compléments alimentaires, et l’arrêté du

9 mai 2006 (JO du 28 mai 2006) relatif aux nutriments pouvant

être employés dans la fabrication des compléments alimentaires.

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position a fait l’objet d’une intense bataille auParlement européen, qui l’a finalement suppri-mée, les industriels de l’agroalimentaire faisantvaloir les risques de multiplication des contrain-tes et de remise en question de traditions ali-mentaires locales. Elle a été réintroduite, avecdes garanties d’assouplissement possibles, dansla position commune de la Commission et duConseil.

Enfin, le projet de règlement pose le principeselon lequel les allégations nutritionnelles et desanté doivent reposer sur des données scientifi-ques et être justifiées par l’exploitant.

Une liste des allégations nutritionnelles autorisées

Les allégations nutritionnelles ne sont autoriséesque si elles figurent sur la liste annexée au projetde règlement. Celle-ci définit le libellé des allé-gations autorisées et les conditions dans lesquel-les elles peuvent être employées. Par exemple,en ce qui concerne la valeur énergétique, le pro-jet définit les notions de faible valeur énergéti-que, valeur énergétique réduite et sans apporténergétique en fonction de l’apport calori-que pour 100 g ou 100 ml de produit. Il en vade même pour les teneurs réduites en sucre, ensel, en matière grasse etc.

Cette liste devrait faire l’objet de mises à jourpériodiques.

Des allégations de santé autorisées à la demandeet encadrées

Le projet de règlement comporte un certain nom-bre d’interdictions relatives aux allégations desanté : lorsqu’elles sont trop générales, non spé-cifiques à un nutriment ou à une denrée, oulorsqu’elles pourraient laisser penser que la non-consommation peut être préjudiciable à la santé.La caution d’un professionnel de santé dans lapublicité est interdite.

Le projet de règlement crée un régime distinctpour les allégations de santé qui ne font par réfé-rence à la réduction d’un risque de maladie, etcelles qui s’inscrivent dans la perspective de laréduction d’un tel risque.

Les allégations ne faisant pas référence à laréduction d’un risque de maladie sont celles quidécrivent le rôle d’une substance dans la crois-sance, le développement et les fonctions de

l’organisme, les fonctions psychologiques etcomportementales, le contrôle du poids.

Elles peuvent être utilisées sans autorisationpréalable si elles répondent à trois conditions :

— reposer sur des données scientifiques géné-ralement admises ;

— être compréhensibles par le consommateurmoyen ;

— figurer sur une liste à établir par la Commis-sion sur proposition des États-membres.

Les allégations relatives à la réduction d’un risquede maladie font l’objet de la procédure la plus res-trictive. Elles doivent être autorisées au fur et àmesure de la demande des exploitants. Le projet derèglement crée une procédure d’autorisation quifait intervenir les États-membres, lieu de premièreintroduction de la demande, l’Autorité européennede sécurité des aliments, qui donne un avis scienti-fique, et la Commission qui délivre l’autorisation.

À l’issue de cette procédure, la denrée et les allé-gations autorisées sont inscrites sur une listecommunautaire. Les allégations pourront alors êtreutilisées par tout exploitant du secteur alimen-taire, sous réserve de dispositions protégeant lapropriété industrielle du premier demandeur.

Calendrier

Le texte adopté par la Commission et le Conseil enjuillet 2003 a fait l’objet d’une première lecture auParlement européen en juin 2005. Celui-ci a pro-

posé un certain nombre d’amendements importants

dont une partie a été rejetée par la Commission et

le Conseil. Après adoption d’une position commun

epar la Commission et le Conseil, il a été transmisau début de 2006 au Parlement en vue d’unedeuxième lecture

3

. Il pourrait être adopté définiti-vement au milieu de l’année 2006.

S’agissant d’un règlement, les dispositionsdécrites ci-dessus s’appliquent directement dansles États-membres, sans que des mesures de trans-position nationales soient nécessaires. Toutefois,le règlement, après son adoption, devra fairel’objet de nombreuses mesures d’application (listedes allégations autorisées, définition des profilsnutritionnels…) qui font intervenir les États-membres. On peut donc présumer que la mise

3

Cette deuxième lecture par le Parlement européen est effectivement

intervenu le 16 mai 2006.

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Allégations de santé des aliments

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en place de l’ensemble du dispositif s’étalera surplusieurs années.

Quelques questions soulevées

par le développement des allégations

de santé des aliments

La mise en place d’un cadre juridique européenpour les allégations de santé des denrées alimen-taires conduit à s’interroger sur l’articulation deces dispositions avec le droit pharmaceutique etavec certaines dispositions du code de la santépublique en France.

La consécration des allégations de santé pour les aliments est-elle susceptible de remettre en cause la définition du médicament ?

Le débat sur la frontière entre médicament etproduit revendiquant un effet bénéfique pour lasanté est bien antérieur au projet de règlementcommunautaire sur les allégations de santé [15].

Selon d’article L. 5111-1 du code de la santépublique, « on entend par médicament toutesubstance ou composition présentée comme pos-sédant des propriétés préventives ou curatives àl’égard des maladies humaines ou animales (…) ».Tout produit revendiquant des propriétés théra-peutiques est donc un médicament et ne peutêtre assimilé à une denrée alimentaire.

Mais cette définition a une seconde branche.En effet, est également qualifié de médicament« tout produit pouvant être administré à l’hommeou à l’animal en vue d’établir un diagnosticmédical ou de restaurer, corriger ou modifier leursfonctions organiques » (médicament par fonc-tion).

L’interprétation extensive donnée par la juris-prudence de la notion de médicament par fonc-tion rend plus difficile la délimitation de la frontièreentre médicament et produit à allégation de santé.Cette difficulté est renforcée par la nouvelle défi-nition du médicament par fonction donnée parle code communautaire des médicaments à usagehumain, en cours de transposition en droit français,qui définit le médicament par fonction comme« toute substance ou composition pouvant êtreutilisée chez l’homme ou pouvant lui être admi-

nistrée en vue […] de restaurer, de corriger oude modifier des fonctions physiologiques en exer-çant une action pharmacologique, immunologiqueou métabolique (…) ».

Le rapprochement avec la définition descompléments alimentaires, dont l’effet physiolo-gique est reconnu, peut être source de confusion.

Toutefois, la réglementation communautaireouvre une porte de sortie relativement satisfaisanteau conflit potentiel de normes qu’elle comporte.En effet, le code communautaire des médicamentsà usage humain (article 2) prévoit qu’« en cas dedoute, lorsqu’un produit. est susceptible de répon-dre à la fois à la définition d’un médicament et àla définition d’un produit régi par une autre légis-lation communautaire, les dispositions de laprésente directive s’appliquent ». Le droit commu-nautaire fait donc prévaloir la réglementation laplus restrictive et la plus protectrice en termes desanté.

Une évolution nécessaire des dispositions françaises relatives au contrôle de la publicité des produits « bénéfiques pour la santé »

L’article L. 5122-14 du code de la santé publiqueprévoit que « la publicité pour les produits autresque les médicaments présentés comme favorisantle diagnostic, la prévention ou le traitement desmaladies, des affections relevant de la pathologiechirurgicale et des dérèglements physiologiques,le diagnostic ou la modification de l’état physiqueou physiologique, la restauration, la correctionou la modification des fonctions organiques estsoumise aux dispositions du premier alinéa del’article L. 5122-2 et des articles L. 5122-8 etL. 5122-9 », c’est-à-dire aux modalités de contrôlede la publicité pour les médicaments.

La compatibilité de ces dispositions avec ledroit communautaire est contestée depuis long-temps. En effet, par leur conception même, cesdispositions permettent à des aliments de faireréférence à des maladies en contradiction avec ladirective relative à la publicité des denrées ali-mentaires.

Cette compatibilité avec le droit communau-taire doit également être questionnée au regardde la jurisprudence de la Cour de Justice desCommunautés européennes qui considère quele fait d’imposer une autorisation préalable à

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toute allégation de santé sur l’étiquetage est anti-communautaire [16].

La procédure actuelle est d’ailleurs largementtombée en désuétude en France en raison desdifficultés d’articulation entre droit de l’alimenta-tion et droit de la santé et des divergences d’inter-prétation entre les administrations compétentes[Direction générale de la concurrence, de laconsommation et de la répression des fraudes(Dgccrf) et Afssaps]. Le bilan de la commissionchargé du contrôle de la publicité pour la partiede son activité liée aux « produits bénéfiquespour la santé » est fort peu éloquent si l’on seréfère au rapport annuel de l’Afssaps. Le nombrede décisions rendues au titre des « visas PP » stagnedepuis plusieurs années (autour de 200,incluant les produits cosmétiques, les auto-testset les denrées alimentaires). Ce bilan ne fait l’objetd’aucun commentaire depuis trois ans dans le rap-port annuel de l’Agence. Aucune recommandationn’est venue éclairer la pratique depuis 1993.

Le dispositif prévu par le projet de règlementcommunautaire relatif aux allégations de santé,fondé sur un système de listes d’allégations auto-risées ou d’autorisations

a priori

au cas par cas,semble difficilement compatible avec l’organisa-tion résultant du code de la santé publique enFrance. Il est donc plus que probable qu’elledevra être revue lorsque le texte européen auraété définitivement adopté.

Conclusion

Le développement irrépressible des allégationsde santé des aliments pose des défis scientifiqueset sanitaires redoutables et passionnants.

Le premier d’entre eux est la constitutiond’un

corpus

scientifique permettant d’étayer leseffets sur la santé humaine des aliments modi-fiés. Quel niveau de preuve exiger, et selonquelle méthodologie ? Si le mode de développe-ment du médicament reste une sorte de

goldstandard

pour beaucoup de scientifiques et derégulateurs, la transposition des modes de preu-ves fondés sur des essais cliniques contre pla-cebo trouve à l’évidence ses limitesconceptuelles et économiques dans le domainede l’alimentation. Des travaux de recherche ontété soutenus par l’Union européenne dans le

cadre d’une action concertée du 5

e

programmecadre de recherche et développement pilotée parl’ILSI (

International life science initiative

). Ils ontabouti à la mise au point d’un outil dévaluationde la justification scientifique des allégations desanté baptisé PASSCLAIM (

Process for the assess-ment of scientific support for claims on food

) [17].Cependant ces travaux restent essentiellementd’ordre méthodologique et leur transpositiondans la pratique ne fait que débuter.

En terme de répartition des compétences, ledéveloppement des allégations de santé des ali-ments pose la question de la place respective desautorités sanitaires et des autorités chargées del’alimentation ou de la défense des consomma-teurs. On a vu la régression du rôle de l’Afssapsdans le contrôle des revendications des produitsbénéfiques pour la santé. Le pilotage de la trans-position de la directive sur les compléments ali-mentaires est dans les mains de la Dgccrf et lesavis sur la pertinence des allégations, qu’ils’agisse de nouveaux aliments, de complémentsalimentaires ou d’aliments modifiés, sont renduspar l’Afssa. Au niveau communautaire, la réu-nion des compétences santé et défense des con-sommateurs au sein d’une même direction, sousl’autorité d’un même commissaire, rend moinssensible cette question. Toutefois, les motiva-tions de l’harmonisation sont formulées en ter-mes de libre circulation, de marché intérieur etde défense du consommateur plus que de santé.

Enfin, on a vu que le processus de mise enplace d’un système communautaire de contrôledes allégations à travers le règlement en coursd’élaboration était loin d’être opérationnel. Ilfaut donc gérer la période actuelle et la fortepression des industriels pour développer des« aliments-santé ». À court terme, tant les auto-rités de contrôle que les industriels sont relati-vement démunis de cadre de référence.

On ne peut donc que souhaiter la mise enplace la plus rapide possible d’un cadre commu-nautaire.

Références

1. Source syndicat national des fabricants en produits dié-

tétiques, naturels et compléments alimentaires : www.

Synadiet.org.

Page 9: Allégations de santé des aliments : une perspective communautaire

Allégations de santé des aliments

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2. Source IMS Health.

3. Pour une tentative de définition des aliments fonction-

nels, voir notamment Roberfroid M. Commission euro-

péenne – RDT info ; avril 1998.

4. Source Datamonitor.

5. Données Eurostaf, 2004.

6. Leem données économiques, 2004.

7. Bureau européen des unions de consommateurs, inter-

groupe consommateurs et santé : www.beuc.org.

8. JOCE du 6 mai 2000.

9. JOCE du 14 février 1997.

10. JOCE du 8 août 2000.

11. Voir par exemple l’avis de l’Afssa du 3 janvier 2003 :

www.afssa.fr.

12. Afssaps. Recommandation de bonne pratique : prise en

charge du patient dyslipidémique, mars 2005.

Afssaps. Communiqué de presse: « Baisse du taux de

cholestérol : usage détourné des recommandations »,

6 février 2006.

13. Directive 2002/46/CE du Parlement européen et du Con-

seil du 10 juin 2002 relative au rapprochement des légis-

lations des États membres concernant les compléments

alimentaires. JOCE du 17 juillet 2002.

14. Avis du 6 avril 2004 : www.affsa.fr.

15. Degroote D, Benaisch L, Campion MD. Allégations santé

et définition du médicament : quelle frontière ? Bulletin

de l’Ordre des pharmaciens, avril 2003.

16. CJCE Autriche contre Commission, affaire C-221/00,

23 janvier 2003.

17. Contor L. PASSCLAIM, un outil dévaluation de la justi-

fication scientifique des allégations de santé. Lettre Scien-

tifique IFN n

°

104, mars 2005.