alexandre asselineau groupe esc dijon bourgogne

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À partir d’une étude de cas basée sur le Parc Naturopôle Nutrition Santé, cet article montre comment opère une PME pour croître, en créant de la proximité à la fois privée (avec d’autres entreprises) et publique (avec des partenaires institutionnels), et en quoi cette proximité peut s’avérer, sinon un avantage concurrentiel, du moins une caractéristique stratégique fondamentale. ALEXANDRE ASSELINEAU Groupe ESC Dijon Bourgogne ANNE CROMARIAS Groupe ESC Clermont Construire la proximité L’exemple d’une stratégie entrepreneuriale menée en milieu rural DOI:10.3166/RFG.213.141-156 © 2011 Lavoisier, Paris Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur archives-rfg.revuesonline.com

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Page 1: ALEXANDRE ASSELINEAU Groupe ESC Dijon Bourgogne

À partir d’une étude de cas basée sur le Parc NaturopôleNutrition Santé, cet article montre comment opère une PMEpour croître, en créant de la proximité à la fois privée (avecd’autres entreprises) et publique (avec des partenairesinstitutionnels), et en quoi cette proximité peut s’avérer,sinon un avantage concurrentiel, du moins une caractéristiquestratégique fondamentale.

ALEXANDRE ASSELINEAU

Groupe ESC Dijon Bourgogne

ANNE CROMARIAS

Groupe ESC Clermont

Construire la proximité

L’exemple d’une stratégie entrepreneurialemenée en milieu rural

DOI:10.3166/RFG.213.141-156 © 2011 Lavoisier, Paris

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Les mutations économiques etsociales des cinquante dernièresannées ont modifié notre cadre spa-

tiotemporel, que l’on peut qualifier aujour-d’hui d’« espace long, temps court » avecdes entreprises devant réagir de plus en plusvite, et agir de plus en plus loin (Torrès-Blay, 2004). Pourtant, si la mondialisationsemble incontournable, les PME se caracté-risent par des mécanismes de proximité,aussi bien hiérarchique, fonctionnelle, tem-porelle que territoriale, baptisés « mix deproximité », qui irriguent leur fonctionne-ment (Torrès, 2003).Cette contribution s’interroge sur la façondont les PME peuvent affronter une concur-rence mondiale en tirant profit de capacitéstirées d’une implantation locale, par le jeude pratiques coopératives de proximité.Contrairement aux travaux qui étudient lecas de clusters où préexiste une « atmo-sphère industrielle » (au sens de Marshall)ou une accumulation de ressources, nosrecherches portent sur les cas d’organisa-tions s’implantant sur des territoires présen-tant a priori une faible attractivité écono-mique. Partant du constat qu’il existe peude travaux sur la création ex nihilo de res-sources initiées par les PME, cet articles’intéresse à la manière dont l’entreprise vapouvoir assurer son développement en s’ap-puyant sur les avantages de la proximité, icicomprise comme « la capacité d’acteursproches géographiquement à se coordon-ner » (Pecqueur et Zimmermann, 2004).À partir d’une étude de cas unique baséesur le Parc Naturopôle Nutrition Santé,situé dans l’Allier, nous montrons commentopère une PME pour croître, en créant de laproximité à la fois privée (avec d’autresentreprises) et publique (avec des parte-naires institutionnels), et en quoi cette

proximité peut s’avérer, sinon un avantageconcurrentiel, du moins une caractéristiquestratégique fondamentale.Après avoir rappelé les fondements théo-riques sur lesquels nous basons notrerecherche (partie 1), nous présentons le casde quatre PME organisées sous la forme dece que nous appellons un « micro-cluster spontané sur un territoire rural, pourmontrer comment elles créent de la proxi-mité (partie 2). Nous proposons de considé-rer la proximité du point de vue de l’enraci-nement local de l’entrepreneuriat, enmontrant en quoi une proximité construitepeut potentiellement déterminer le dévelop-pement économique de tout un territoire(partie 3).

I – PME, MONDIALISATION ET PROXIMITÉ

1. PME et « glocalisation »

Le lien entre compétitivité des entrepriseset proximité a longtemps été ignoré par lesthéoriciens de l’économie industrielle. Ilpeut donc sembler paradoxal de constaterl’abondante littérature qui lui est consacrédepuis quelques années, au moment mêmeoù s’accélère la libéralisation généraliséedes échanges, et, une supposée nomadisa-tion croissante des entreprises : « la mon-dialisation permet aux entreprises de trou-ver des capitaux, des biens et destechnologies n’importe où, et d’implanterleurs établissements là où ce sera le plusrentable » (Porter, 2004, p. 205). C’est leparadoxe des small worlds, « modèle deréseau qui combine des relations à la foislocales et globales » (Torrès-Blay, 2004,p. 295). Malgré le grand écart entre cesdeux acceptions du territoire, locale d’unepart, globale d’autre part (la « glocalisa-

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tion »), l’intérêt est « de comprendre com-ment l’économie globale s’enracine, demultiples manières, dans les structures ter-ritoriales historiques, comment le global, enpermanence, se nourrit du local » (Veltz,2005, p. 13). Autrement dit, le rapport entrel’entreprise et son territoire se modifie, pas-sant d’une stratégie de localisation, où lechoix du territoire n’est que la résultanted’un calcul économique, et où il est doncconsidéré comme simple « réceptacle »d’activités, à une stratégie d’ancrage terri-torial, dans laquelle les intérêts des diffé-rents intervenants (pouvoirs publics locaux,individus et entreprises) convergent : le ter-ritoire devient acteur, et est donc considérécomme un élément pleinement intégré dansle projet entrepreneurial (Pecqueur etZimmermann, 2004).Parallèlement, entre hiérarchie et marché, laglobalisation encourage le fonctionnement« cellulaire en réseau » (Veltz, 2001),comme le soulignent les travaux sur lesgrappes ou les clusters, la coopérationinterindustrielle apparaissant commesource de compétitivité des entreprises(Porter, 2004). C’est dans ce contexte, quifait largement intervenir les notions deproximité et d’ancrage territorial, que doitêtre interrogée la logique de localisation desfirmes, qui ne peut pas être réduite à laseule recherche d’avantages comparatifsdes facteurs de production. L’étude desPME, caractérisées à la fois par leur petitetaille et par le rôle prépondérant du diri-geant-propriétaire (Julien, 1998), montreque celles-ci peuvent souvent tirer bénéficed’un « mix de proximité » (Torrès, 2003),caractérisé par :– une proximité hiérarchique, caractériséepar un dirigeant proche à la fois physique-

ment (partage du lieu et des conditions detravail des salariés) et humainement ;– une proximité fonctionnelle (absence deséparation des tâches et des fonctions,omniprésence et polyvalence du dirigeant) ;– des systèmes d’information de proximité(communication interne généralementsimple et peu formalisée, mécanismes decoordination souples et directs, au premierrang desquels l’ajustement mutuel et lasupervision directe) ;– une proximité temporelle (horizon decourt terme) et une vision entrepreneurialereposant essentiellement sur la vision stra-tégique du dirigeant ;– une proximité territoriale, qui passe parun marketing de proximité, avec un espacemarchand relativement restreint (échellelocale ou régionale), et un réseau de voisi-nage, parmi lequel la PME recrute préfé-rentiellement.Cette proximité a longtemps été considéréecomme un handicap. Or les travaux sur lesclusters et autres réseaux économiques(pôles de compétitivité, systèmes productifslocaux, etc.) mettent en évidence le rôle quejoue la proximité entre les acteurs d’un terri-toire. Pourtant les clusters sont le plus sou-vent présentés comme une forme de collabo-ration interorganisationnelle initiée etrenforcée par les pouvoirs publics, ou struc-turée autour de grandes entreprises. Est-ce àdire que les PME ne sont pas parties pre-nantes dans le processus de constructionspontanée de pôles économiques ? End’autres termes, comment des PME locali-sées sur un même territoire peuvent-ellesêtre amenées à dépasser la proximité géogra-phique stricto sensu, pour inventer descoopérations avec d’autres acteurs, privéscomme publics, de manière à se développer?

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2. Développer de la proximité,une réponse aux contraintes de l’environnement

Dans l’approche par la localisation, le terri-toire a d’abord une consonance géogra-phique. Sur un même territoire cohabitentdes entreprises de tailles et de secteursvariés, avec des orientations stratégiquespropres. Il convient donc de s’interroger surla façon dont une coopération peut s’envi-sager entre des firmes « proches », ce termerecouvrant en réalité deux dimensions :– la proximité géographique (ou spatiale)correspond à la distance, estimée en kilo-mètres ou en temps nécessaire pour couvrirune distance, induite par la localisation del’entreprise ;– la proximité organisée, non spatiale, secaractérise par les échanges entre acteurs etleur degré de coordination (Rallet et Torre,2004).Les deux dimensions sont étroitementliées, notamment dans le concept d’ap-proche « proximiste » (Bouba-Olga etZimmermann, 2004), qui insiste sur le rôledes relations interpersonnelles pour laconstruction de coopération interorganisa-tion, en s’appuyant sur la proximité spa-tiale de ces organisations.Dans ses travaux sur l’innovation organisa-tionnelle en PME et les systèmes productifslocalisés de l’agroalimentaire, Fourcade(2008) considère que la proximité spatialeest certes « un facilitateur du rapproche-ment entre petites entreprises » (p. 13) maisqu’elle ne suffit pas. Elle évoque une« plasticité de la variable territoriale »signifiant que le territoire ne se contente pasd’être un lieu géographique vide de sens,mais qu’il « prend la forme d’un actif que lastratégie des entreprises vise à spécifier,afin de renforcer la dimension stratégique

fondatrice de la coopération ». La proximiténe doit certes pas être surestimée (Loilier,2010), mais son impact sur l’innovation oule développement des organisations a long-temps été négligé : loin d’être une simplevariable d’ajustement ou un choix lié à laseule minimisation des coûts des facteursde production, la proximité sous ses diffé-rentes facettes peut dès lors être envisagéedans une dimension plus fondamentale surle plan de la stratégie de l’entreprise, vec-teur potentiel d’avantages concurrentielsdifférenciants.

3. La proximité dans la littérature en stratégie

Picq (2003), en étudiant l’innovation ausein de clusters de haute technologie, a misen évidence cinq « ingrédients socio-orga-nisationnels nécessaires pour accroître leschances d’émergence [de l’innovation] »(p. 2095), qui doivent être présents simulta-nément : la diversité des acteurs en pré-sence ; un grand nombre de connexionsentre ces composants ; une densité élevée[c’est-à-dire] un regroupement de proxi-mité sur un lieu géographique réduit ; uneforte intensité [qui se traduit par] la motiva-tion intrinsèque des acteurs ; une autonomied’action et une rupture des modes de gou-vernance classiques. Le lien entre proximitéet développement économique est particu-lièrement analysé dans le cadre des clusterset ses dérivés que sont par exemple les dis-tricts industriels en Italie ou les pôles decompétitivité, plus récents, en France. SiMarshall (1890) a fait office de précurseur,il fut très peu suivi par ses contemporains.Dans la littérature académique, il fautattendre les travaux de Porter pour entrevoirl’approfondissement d’analyses sur les rela-tions entre la stratégie d’entreprise et le

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« micro-environnement », d’une part, lastratégie d’entreprise et l’environnementgéographique immédiat, d’autre part (autravers par exemple de travaux sur l’attrac-tivité de la Silicon Valley pour les start-upde nouvelles technologies).En développant l’idée que le regroupementsur un même territoire d’organisations pré-sentant des logiques d’activités communesest pertinent et doit être encouragé, notam-ment par des politiques publiques actives, laplupart des analyses postulent de facto unelogique de « division internationale du tra-vail », au travers de la création de pôlesattractifs de notoriété mondiale. Fondamen-talement, l’idée est que les relations parte-nariales de proximité constituent un facteurfavorable notamment à l’innovation, grâce :– à des croisements de compétences etdes actions de coopération (en R&Dnotamment),– à une reconnaissance mutuelle des acteurs(accès à des financements, actions de lob-bying, etc.),– à l’existence de « compétences clés » (ausens de Hamel et Prahalad, 1995) aisémentappropriables (universités, centres derecherche, écoles d’ingénieur, etc.),– à la présence plus généralement d’une« atmosphère industrielle » (au sens deMarshall) source d’émulation collective.Par rapport à ces travaux, nous situons notrerecherche dans une perspective différente :la littérature en gestion s’intéresse peu à lacapacité endogène d’un territoire initiale-ment vide de toute activité économique à sedévelopper. Plutôt que d’envisager dessituations pour lesquelles une activité pré-existe sur un territoire avant l’installationde l’entreprise, nous privilégions le casd’entreprises installées sur un territoire (enl’occurrence une zone rurale) disposant ex

ante d’une faible attractivité économique etd’une « atmosphère industrielle » inexis-tante. Dans ce contexte, il s’agit de com-prendre comment l’organisation opère pourse développer, de quelle manière elle« construit » ses relations de proximité(publiques ou privées) et ses partenariats, eten quoi ces actions peuvent être une sourced’avantage concurrentiel.

II – LE CAS DU PARCNATUROPÔLE NUTRITION SANTÉ

Cette recherche repose sur l’étude d’un casunique, approche adaptée dans le cadre denotre problématique qui vise à analyser defaçon approfondie une approche entrepre-neuriale originale, par essence spécifique(Yin, 2003). Le choix du cas retenu estguidé par ses caractéristiques fortes : unedémarche entrepreneuriale initiée ex nihiloà partir d’une réflexion sur les ressources etcompétences (Métais, 2004) conduisant àun développement autonome fort de lastructure ; une approche « think global, actlocal » (Defélix et al., 2008) ; des dimen-sions innovantes retenues pour répondreaux enjeux posés par la spécificité de ladémarche ; un ancrage sur un territoire ruraléloigné des centres de décision, derecherche et de formation, des acteurs del’activité concernée ; la constitution endo-gène d’un fonctionnement en réseau detype small world.

1. La genèse

Philippe L., docteur en pharmacie, décide en1986 de créer LPH (Laboratoire de phyto-thérapie et d’herboristerie), spécialisé dansles préparations à base de plantes médici-nales. L’originalité du projet ne tient pas tantau produit (préparations magistrales à desti-nation des officines) qu’au choix délibéré

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d’installer l’entreprise sur la commune pourdes raisons « uniquement affectives ». Saint-Bonnet-de-Rochefort est une petite com-mune rurale de l’Allier (656 habitants),située à 55 km au nord de Clermont-Ferrandet à 30 km à l’ouest de Vichy. Originaire dela commune, avec des racines familiales bienimplantées localement, il résume ainsi sonprojet : « Mon challenge était d’entre-prendre; mon défi était de le faire dans monpays ». L’ambition de Philippe L. était deprouver que l’on peut entreprendre en milieurural (terme auquel il préfère celui d’« envi-ronnement préservé ») mais aussi créer del’emploi, tout en proposant des services etdes activités de haut niveau d’expertise tech-nique et technologique. Pour Francine D.,responsable RH: « Créer de l’emploi à lacampagne, c’est une vraie conviction. Cen’est pas pour répondre à un effet de mode. »Pourtant, le pari apparaît à l’époque commeun peu fou, aussi bien sur le positionnementde l’entreprise (« on nous a pris pour des

écolos de base, fabriquant de la tisane ») quesur son implantation (« comment faire venirtravailler des gens jusqu’ici? »). De fait, lesdébuts sont plutôt difficiles.Peu à peu, l’entreprise se développe cepen-dant grâce à la diversification de la produc-tion : les préparations magistrales tradition-nelles cèdent la place à la fabrication et auconditionnement de gélules à base deplantes, et aux contacts pris avec des indus-triels, qui utilisent LPH comme façonnier.En 1991, Philippe L. parvient à convaincrele dirigeant de l’un de ses fournisseurs de lerejoindre : Eskiss Packaging, fondée en1985 et spécialisée dans l’emballage, lasérigraphie et le marquage, s’installe àSaint-Bonnet-de-Rochefort. Ce rapproche-ment géographique permet à la fois de tirerpleinement profit de la complémentarité desdeux activités (travail conjoint facilité), degagner en réactivité pour la production(emballage des produits finis) et de dimi-nuer les coûts logistiques.

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MÉTHODOLOGIE

L’étude qualitative est menée entre février et juin 2009, selon la méthode de la triangulation,par mobilisation de sources distinctes de données primaires et secondaires. Des entretiensindividuels semi-directifs ont été menés – et ont fait l’objet d’un enregistrement – sur la based’un guide d’entretien axé sur la compréhension de l’origine puis du processus qui a permisla création et le développement du parc Naturopôle. Les acteurs privés et publics les plusengagés dans la démarche ont été interviewés : dirigeants des entreprises concernées et res-ponsable ressources humaines de la holding, maire de Saint Bonnet de Rochefort, représen-tant du conseil général de l’Allier, chargés de mission des chambres de commerce de Moulins-Vichy et de Montluçon-Gannat, directeur de l’agence de développement écono-mique de Vichy. Les éléments ainsi collectés ont été systématiquement complétés et confron-tés aux données secondaires internes (documentations d’information et publicitaires, com-muniqués de presse, rapports fournis par les entreprises et les collectivités) et externes(articles des presses régionale et nationale, sites internet des organisations du Naturopôle(3i Nature, Biosphère, Eskiss Packaging, LPH, Nutraceutics Development & Services).

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Simultanément, le développement de LPHconduit Philippe L. à créer deux filialespour assurer la distribution de ses produits :l’une à destination des pharmacies, dans leslocaux de LPH, et l’autre pour les naturo-pathes, ostéopathes et particuliers, implan-tée à Ebreuil, à quelques kilomètres deSaint-Bonnet. Chez l’entrepreneur, l’idéegerme alors de regrouper ses activités en unmême lieu, et de fédérer les petites com-munes rurales environnantes pour créer unepetite zone d’activités. D’ailleurs LPH doitaussi s’agrandir, des partenaires commer-ciaux demandant désormais à l’entreprisede travailler sur la formulation et ledéveloppement de produits spécifiques.Philippe L. a donc besoin de nouveaux ter-rains et décide de contacter les élus. Àl’époque, l’actuelle maire de Saint-Bonnet-de-Rochefort, Anne-Marie D., alorsadjointe, décide de soutenir le projet :« Quand on a présenté ça au conseil muni-cipal, on disait : « Mais qu’est-ce que c’estque ce truc? Ça va se casser la figure, on vaavoir ça sur le dos… Et puis, on était deuxou trois, on s’est dit : c’est un risque, peut-être, mais si on le laisse passer, on ne l’aurapas deux fois. Du coup, le conseil avalidé ». En 1995 est donc inaugurée unezone d’activités dédiée au domaine de l’ali-mentation santé et installée dans un envi-ronnement préservé. Parallèlement, l’asso-ciation du Naturopôle est créée, au conseild’administration de laquelle siègent à lafois des acteurs publics et privés.En 1999, Philippe L. décide de restructurerson activité en différenciant les activitésindustrielles, ancrées sur le Naturopôle avec

sa propre entreprise, LPH, ou des entre-prises partenaires, comme Eskiss, des acti-vités de distribution. Une holding est crééepour les activités industrielles détenues parPhilippe L. : Thiomed. Par essaimage(Nutraceutics Development & Services –NDS) ou connaissance (Biosphère),d’autres entreprises vont s’installer, don-nant au Naturopôle sa dimension actuelle.

2. Le Naturopôle aujourd’hui

Une zone d’activité thématiquefonctionnant en « microcluster »spontané

Le Parc Naturopôle Nutrition Santé est unezone d’activités économiques située enmilieu rural et consacrée à l’alimentationsanté et à la cosmétique. Il est organisé sousla forme juridique d’une association s’ap-puyant sur « les forces locales que consti-tuent les entreprises LPH, Eskiss Packa-ging, NDS et Biosphère d’une part, et,d’autre part, la commune de Saint-Bonnet-de-Rochefort, l’association Val de Sioule Forterre (fonds Leader +), la CCI de Mont-luçon-Gannat, le conseil général de l’Allier et la région Auvergne1 ». Ilaccueille quatre entreprises pour un effectiftotal permanent de 170 salariés en 2009 :LPH conçoit et produit des complémentsalimentaires à base d’ingrédients d’originevégétale (110 salariés) ; Eskiss Packagingest spécialisée dans la fabrication et le mar-quage d’emballages à moindre impact envi-ronnemental, destinés à la pharmacie, lacosmétique et la parapharmacie (21 sala-riés) ; NDS conçoit et développe des outilspilotes pour la mise en œuvre de poudres etde produits pâteux d’origine végétale

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1. Extrait du dossier de presse de la 1re journée du Naturopôle

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(2 salariés) ; Biosphère est spécialisée dans

le développement et la fabrication d’extraits

végétaux destinés aux industries alimen-

taires, de la cosmétique et de la pharmacie

(27 salariés). Enfin, la holding de

Philippe L., Thiomed, qui regroupe LPH,

Biosphère et NDS (ainsi qu’une autre entre-

prise localisée en Ariège), gère avec 10 per-

sonnes les services transversaux communs

aux entreprises du groupe (finance-contrôle

de gestion, marketing, informatique, res-

sources humaines).

Les entreprises du Naturopôle fonctionnent

comme un microcluster spontané (MCS),

constitué d’entreprises complémentaires et

non concurrentes, sur le principe de savoir-

faire communs mutualisés. Une présenta-

tion de type « chaîne de valeur » permet la

visualisation de la dimension liée à l’inté-

gration horizontale des entreprises consti-

tuant le Naturopôle, et en creux, le rôle joué

par la notion de proximité fonctionnelle (cf.

figure 1).

Concrètement, le microcluster se présente

schématiquement sous la forme d’une offre

globale proposée aux clients, créée à partir

des compétences complémentaires des

entreprises parties prenantes au groupe-

ment (figure 2) : maîtrise des éléments

majeurs de la filière (de la R&D « amont »

au packaging), maîtrise des différents pro-

cédés (formes sèches ou liquides des extra-

its de plantes ou des principes actifs),

connexion du marché de la cosmétique et

du marché de l’alimentation-santé. Les

entreprises impliquées sont positionnées en

fonction de l’étape du processus de produc-

tion à laquelle elles interviennent, mais

aussi en fonction du marché auquel elles

s’adressent (des cosmétiques aux alica-

ments) et de la spécialité préparée (de l’ex-

traction de plantes aux formes sèches).

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Figure 1 – La chaîne de valeur des entreprises du Naturopôle

Source : d’après Porter (2004).

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L’accueil de nouvelles entreprises dans lemicrocluster spontané est envisagé (« Aplace for you »), en fonction de savoir-faire qui peuvent s’avérer complémentaireset compléter la synergie d’ensemble dugroupement. En l’état, cette complémenta-rité des différentes activités et le travail demise en cohérence effectué permet aujour-d’hui aux entreprises du Naturopôle de sepositionner comme fournisseur de trèsgrands groupes (Yves Rocher notamment).Le regroupement géographique de compé-tences complémentaires sur un site unique,permettant de mettre en valeur une offrecomplète, est un élément fondamental del’intérêt que de telles entreprises portent surle microcluster.

Vers l’institutionnalisationdu microcluster spontané : la labellisationen pôle d’excellence rurale

En 2006, le Naturopôle a été labellisé pôled’excellence rurale. Les PER sont issusd’une démarche identique aux pôles decompétitivité : ils ont été créés en 2005 dansle but de soutenir « des initiatives localesporteuses de projets créateurs d’emplois,innovants, ambitieux, bâtis autour de parte-nariats publics-privés ».Constituant l’un des trois PER du départe-ment de l’Allier, le PER Parc NaturopôleNutrition Santé est défini sur son sitecomme un « projet de développement d’uncollectif d’entreprises, organisé selon leprincipe d’un système de production locale,avec pour cœur de métier, l’utilisation ou latransformation, à partir de technologiesinnovantes, de matières premières d’originevégétale, destinées au marché de l’alimenta-tion santé »2. Les actions inscrites relèvent

de cinq objectifs : mutualiser les compé-tences à forte valeur ajoutée des quatreentreprises, au moyen d’actions derecherche développement ; commercialiseret se positionner sur les marchés européens ;améliorer la performance globale des entre-prises ; développer et promouvoir la perfor-mance développement durable du parc ;mettre en œuvre un marketing territorialvisant à renforcer la thématique, l’identité etl’image santé nature du parc.L’intérêt majeur du PER est d’institution-naliser des coopérations qui existent depuisde nombreuses années entre les parties prenantes privées et publiques. Pour Philippe L., l’obtention du label PER « …est une reconnaissance du travail et de l’im-plication civique de toute une équipe depuisplus de dix ans. [Elle permet de] fixer uneactivité économique durable sur le terri-toire, créatrice d’emplois. […] La labellisa-tion, c’est la crédibilité du site et desacteurs. » Les propos d’Anne-Marie D.,maire de Saint-Bonnet-de-Rochefort, vontdans le même sens : « Depuis la création deLPH, nous avons toujours travaillé en étroitpartenariat avec les entreprises, en essayantde répondre à leurs objectifs. » Le maireinsiste par exemple sur l’importance depouvoir répondre rapidement à la demanded’implantation d’une entreprise en lui pro-posant un terrain disponible, ce que permetla zone d’activités. Elle cite également leprojet d’associer des agriculteurs locaux àla filière pour certains types de plantes.« Nous avons toujours eu ce partenariatpublic privé, de fait. Ce n’est pas quelquechose que nous avons découvert avec lePER. ». Pour cette raison, le montage du

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2. Source : http://poles-excellence-rurale.diact.gouv.fr/IMG/pdf/03-Allier_fiche_illustree.pdf

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dossier a été réalisé, selon les différentsacteurs, avec une relative aisance : « jepense qu’on est les seuls du département àavoir terminé. C’est parce qu’on était prêt.Quand on voit des PER tourisme, qu’on aessayé de fabriquer, qu’il a fallu bâtir…alors que nous, il fallait juste le traduire parécrit pour monter le dossier. On était telle-ment opérationnel que ça s’est fait dans lafoulée. » (Anne-Marie D.). L’expérience duPER semble positive pour toutes les partiesprenantes (ne serait-ce que pour l’aspectrelatif aux créations d’emplois) qui sou-haiteraient maintenant voir la démarcheprolongée.Le succès actuel du Naturopôle est prin-cipalement dû à la cohérence des approchesentre deux types d’acteurs, dirigeantsd’entreprise, d’une part, et élus locaux,d’autre part. Anne-Marie D. expose sonpoint de vue en tant que maire : « Pour unélu, avoir une expérience comme ça au quo-tidien, c’est extraordinaire ; c’est quelquechose que vivent peu d’élus. Je ne suis pasde la région. J’ai rencontré Philippe L. parhasard. On travaille bien ensemble, on a lesmêmes objectifs, les mêmes motivations.On a des relations directes et franches, etc’est appréciable. » Philippe L. ex-plique quant à lui vouloir rendre à son paysce qu’il lui a donné. Tous deux ont donc suœuvrer de concert pour assurer le dévelop-pement économique du territoire, dans unsouci de cohérence entre l’image de ce ter-ritoire, le secteur d’activité des entreprises,et la préservation de l’environnement. C’estce que le Naturopôle traduit, dans sa com-munication externe, par « l’ancrage local[des entreprises] avec une volonté d’assurerla pérennité et le développement de zonesrurales tout en adoptant une attitude éco-responsable ».

III – LA PROXIMITÉ,UN AGRÉGAT DE COMPÉTENCESET DE RESSOURCES

Le cas étudié met en évidence que la proxi-mité, dans ses deux facettes géographiqueet organisée, agit comme un élément impor-tant du succès du Naturopôle. Or cetteproximité n’est pas innée : elle a étéconstruite ex nihilo par les différentsacteurs qui ont su mettre en cohérence unensemble de ressources et compétencesnécessaires à la réussite du projet.

1. Du réseau à la solidarité collaborative

Si la proximité spatiale des entreprises duNaturopôle est avérée dans le cas étudié(toutes sont distantes de quelques centainesde mètres), l’intérêt de cette dimensionn’est pas toujours aussi évident. En effet,non seulement une agglomération d’entre-prises (c’est-à-dire une concentration sur unpérimètre géographique relativement res-treint) n’assure évidemment pas à elle seulela qualité du relationnel entre ces organisa-tions mais, de plus, cette même proximitégéographique peut au contraire constituerune difficulté supplémentaire à les faireœuvrer ensemble sur un projet commun(Rallet et Torre, 2004 ; Loilier, 2010).Ainsi la proximité spatiale ne constitue-t-ellepas une condition suffisante à la réussited’une collaboration interorganisationnelle.Elle doit, pour permettre l’éclosion de projetstels que l’« offre globale » du Naturopôle, sedoubler d’une dimension de proximité orga-nisée. « Pour féconder des interactions, laproximité géographique doit être structurée etactivée par la proximité organisée. […] De lamême manière, les effets négatifs de la proxi-mité géographique peuvent être combattuspar la mobilisation des ressources de la proxi-mité organisée. » (Rallet et Torre, 2004, p. 5).

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Le réseau des entreprises du Naturopôle estsimultanément territorial (proximité géogra-phique) et social (issu de la collaborationentre ses acteurs). Philippe L. a en effet com-mencé son activité seul, voire de manièreisolée. Puis il a développé un réseau sur deuxfronts : à la fois localement, pour favoriser ledéveloppement de son entreprise en prenantcontact avec les élus locaux et en les incitantà œuvrer dans son sens (par la mise à dispo-sition de terrains grâce à la zone d’activités,par exemple) ; mais aussi professionnelle-ment, en utilisant ses contacts commerciaux(clients et fournisseurs) pour attirer des res-sources (par exemple, Philippe L. s’impliquepersonnellement dans le recrutement descadres : « mon responsable marketing estlyonnais ; le directeur financier vient deSaint-Étienne. Il faut leur donner envie departager notre projet »).Le réseau territorial s’avère bien plus com-plexe qu’il n’y paraît, parce qu’il intègre desdimensions paradoxales, déjà illustrées parla parallèle avec le voisinage. Il « échappe àla logique simple de l’inclusion et de l’ex-clusion en ce qu’il est ouvert sur sa toujourspossible prolongation. Alors que l’aireexige une découpe et une clôture pour exis-ter, le réseau nécessite de pouvoir s’étendrepour en être un véritable » (Lauriol et al.,2008, p. 98). Ainsi certains travaux sur lespôles de compétitivité, créés selon unelogique d’agglomération, montrent qu’enréalité, c’est la capacité d’un pôle à dépas-ser ses limites géographiques qui lui permetde nouer de nouveaux partenariats et, par-tant, d’asseoir sa légitimité et sa préémi-nence (Barabel et al., 2009).Dans le cas du Naturopôle, des actions demutualisation entre les entreprises ont étémises en œuvre, certainement facilitées parl’appartenance de trois d’entre elles à une

holding baptisée Thiomed. Dans le domainedes ressources humaines, par exemple, lamobilité professionnelle est rendue possibleà l’échelle du Naturopôle et non d’une seuleentreprise. Mais cette mutualisationdéborde la seule proximité spatiale immé-diate puisque LPH adhère à un groupementd’employeurs départemental. De même,dans le domaine de la R&D, déterminantepour acquérir et maintenir une visibilité surun secteur aussi concurrentiel que celui desalicaments, un système de mutualisation dela main-d’œuvre hautement qualifiée a étémis en place avec des laboratoires et desuniversités régionales, sous forme degrands projets collaboratifs.L’enjeu réside donc bien dans les collabora-tions à construire entre différents acteurs,les enjeux humains étant d’autant plusdéterminants que l’on se situe dans un cadre« non naturel ». Defélix et al. (2008) propo-sent ainsi de distinguer, à l’intérieur mêmedu vocable « collaboration », la coordinationde la coopération. La coordination désigneainsi la structuration et l’accompagnementdu projet par le chef de projet ; elle est ainsi« hiérarchique, obligatoire et basée sur desprocédures » (p. 5). La coopération désigneun « ajustement mutuel » qui traduit lavolonté, pour les structures impliquées, detravailler ensemble, dans une « logique desimilitude » (Rallet et Torre, 2004), baséesur des représentations partagées.Dans le cas du Naturopôle, ces deux dimen-sions sont impulsées par un même acteur,Philippe L., qui diffuse des valeurs et unétat d’esprit dans lequel se reconnaissentles autres parties prenantes. S’adressant auxacteurs publics locaux, cette coopération setraduit par un développement « gagnant-gagnant », bénéficiant simultanément à lacommune et autres instances décisionnaires

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locales et aux entreprises. La « journée duNaturopôle », qui se tient chaque année, aainsi pour objectif de faire connaître augrand public les savoir-faire des entreprises,tout en permettant à la commune de se posi-tionner comme un acteur du développementdurable (conférences spécialisées, randon-nées botaniques). De même la réussite desentreprises installées sur la commune a per-mis à la collectivité d’en tirer profit. L’écolea pu être rénovée, tout comme la casernedes pompiers ou la salle polyvalente quidatait des années 1950. Les maisons dubourg et des environs proches trouvent desacquéreurs, de nouveaux habitants s’instal-lent… D’où l’intérêt bien compris des éluslocaux d’accompagner les entreprises dansleurs projets de développement.

Se développe par là même une dimension desolidarité, qui se traduit à la fois par unerecherche de souplesse conduisant à privilé-gier systématiquement la flexibilité interne àla flexibilité externe et par la nécessité deraisonner en réseau, en développant une« dynamique relationnelle [qui favorise] unesorte de développement social conjoint »(Le Boulaire et Leclair, 2006, p. 1141).C’est d’ailleurs ce que résume le maire enquelques phrases : « [Les entreprises] tra-vaillent aussi pour tout un territoire et unbassin de vie. C’est aussi notre intérêt [de lamunicipalité] d’accompagner des entre-prises de ce type-là. On a intérêt à jouer cejeu-là. Tout le monde s’y retrouve. »Le concept de solidarité ainsi mis en évi-dence nous semble caractériser de manière

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Tableau 1 – Les différentes dimensions du réseau de ressources des entreprises du Naturopôle

Dimension

Réseau

Locale (Saint-Bonnet)

– Proximité géographique– Contacts avec les élus locaux (mairie, conseilgénéral) et autres organismes (CCI, Agence deDéveloppement)– Contacts avec les autres dirigeants– Contacts avec la population (« journée duNaturopôle », visite des entreprises, etc.)

– Principe du « microcluster » spontané (activitéscomplémentaires et non concurrentes)– Principe d’une « offre globale » sur un même site(proposer au client la prise en charge de son produit,de la formulation galénique au conditionnement)– Actions de mutualisation des ressources humaines(entre les entreprises du Naturopôle ou avec ungroupement d’employeurs départemental)– Essaimage (cas de l’entreprise NDS)

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Ter

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Extra-locale

Réponse à des appels àprojets (exemple : labellisationen PER au niveau national)

– Clients (grands groupes del’industrie pharmaceutique oucosmétique)– Fournisseurs (Auvergne,France, ou étrangers)– Création de réseauxprofessionnels (exemple :Nutravita3)– Mutualisation de la R&D

3. Nutravita est le groupement des acteurs de la filière alimentation santé en Auvergne. Il a été initié par Philippe L.

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non équivoque la nature du réseau déve-loppé entre les entreprises du Naturopôle,mais aussi avec ses partenaires extérieurs,pour permettre un développement écono-mique efficace. D’ailleurs, cette solidarités’inscrit largement dans le concept de« coopération » précisé ci-dessus, commeune vision partagée.

2. La coopération de proximité,facteur d’avantage concurrentiel ?

La mesure du développement économiqueeffectivement opéré sur le territoire consi-déré pose évidemment question et, afind’évaluer l’existence (ou non) d’un véri-table avantage concurrentiel, il peut êtrepertinent de mobiliser les travaux sur lesmilieux innovateurs. Les réseaux d’innova-tion reposent sur l’articulation de troisdimensions (Quévit et Van Doren, 1997).La dimension cognitive (existence d’unelogique de création, d’apprentissage etd’acquisition de savoir-faire orientée versl’innovation technologique) fait référence,dans le cas du Naturopôle, à l’évolutiond’un savoir-faire peu original (des prépara-tions magistrales) vers des formulationsgaléniques sur mesure proposées en asso-ciant avec les différentes étapes du processde production (R&D, formulation, dévelop-pement, fabrication, packaging, condition-nement). La deuxième dimension est orga-nisationnelle (logique de coopérationpartenariale entre les acteurs et la constitu-tion de réseaux orientés vers l’innovation) ;elle renvoie ici clairement aux partenariatsformels (holding Thiomed, association duNaturopôle, labellisation en PER) maisaussi informels (essaimage, vision partagéedes différents acteurs). Enfin, la dimensionterritoriale (c’est-à-dire la capacité à créerun avantage comparatif en connexion avec

des réseaux externes afin d’augmenterl’avantage compétitif du milieu) montrecomment le village de Saint-Bonnet-de-Rochefort est passé d’un simple site d’im-plantation d’une activité économique à un« territoire acteur », favorisant l’innovation.La dimension du réseau est explorée dans lalittérature par l’étude des clusters de hautestechnologies ou par la théorie des smallworlds de Watts. La théorie des réseauxsociaux de Granovetter appliquée aux terri-toires met en évidence « l’articulation et laporosité de communautés hétérogènes etcomplémentaires » (Suire et Vicente, 2008,p. 132), autrement dit des liens faibles, quifavorisent l’innovation. La solidarité seraitdonc dépendante des liens faibles duréseau, à la fois comme cause et commeconséquence. En matière de développementéconomique, la solidarité qui existerait, enamont du projet, entre les entreprises repré-sentées par leurs dirigeants, serait un fac-teur favorisant, mais pas suffisant. Ainsi, lacapacité qu’a eue Philippe L. d’attirer desentrepreneurs et des cadres s’avère icidéterminante.Inversement, le développement écono-mique d’un territoire, a fortiori peu doté enressources et donc peu attractif, impliquenécessairement une solidarité entre lesPME qui en sont les acteurs directs, voiremême entre tous les acteurs du projet, ycompris indirects. C’est ce que l’on peutqualifier de « stratégie collective de terri-toire », puisque, ici, à partir d’une trajec-toire au départ purement (et classiquement)entrepreneuriale, s’opère un glissementvers une stratégie collective des entreprisesdu Naturopôle, elle-même s’institutionnali-sant et se formalisant par le biais de l’im-plication des acteurs publics, notammentdans le PER (Asselineau et Cromarias,

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2010). Il est à noter que la cohérence d’en-semble de la stratégie collective ainsi élabo-rée génère un climat de confiance tout à faitfavorable, dont les effets positifs se mani-festent par exemple lorsqu’il s’agit derecruter des collaborateurs, notamment dehaut niveau, à l’extérieur du bassin d’em-ploi. Une dynamique vertueuse est donc àl’œuvre, permettant de démultiplier les res-sources et compétences exploitables par lemicrocluster spontané.

CONCLUSION

Le cas du Naturopôle s’avère exemplaire depar la vision stratégique et la cohérenced’ensemble du projet, initialement impulséet diffusé par un entrepreneur, alliant d’em-blée intérêts privé (celui des entreprises) etpublic (celui du territoire).Le cas conforte les travaux évoquant lecaractère potentiellement innovant des clus-ters (Defélix et al., 2008). Au-delà, sonintérêt réside dans le fait que la structurecréée s’est développée ex nihilo, sur un ter-ritoire a priori peu doté en ressources, àpartir de l’initiative privée d’un entrepre-neur « isolé ». Pour bâtir ce qui est devenuun succès (nombreuses créations d’emploi,reconnaissance en pôle d’excellencerurale), l’entreprise constituée initialement,puis l’ensemble d’entreprises et les organi-sations parties prenantes à ce que nousavons appelé un microcluster spontané ontsu pleinement miser sur les atouts d’unecollaboration de proximité au sens large duterme (proximité géographique ; proximiténon spatiale).Ces conclusions apportent une premièreréponse à notre problématique de recherche:elles mettent en évidence l’existence de liensentre le développement économique et l’an-

crage dans la proximité des organisationsconsidérées. De par son développement, leNaturopôle fait preuve d’une approche detype « dynamique auto-entretenue de typeréticulaire » décrite par Maillat et al. (1994),fondée sur son histoire, son développement,et sur la formation d’un capital relationnelqui permet aux acteurs de développer desprojets innovants. La figure de l’entrepreneurest décisive : la construction de la proximitéentre les entreprises et leur environnementest un acte stratégique délibéré. Ici, entre-prendre en PME, c’est être créateur de proxi-mité pour inciter d’autres ressources et com-pétences à s’agréger au projet commun, lerendant ainsi viable puis pérenne.Ces premiers résultats sont cependant par-tiels et méritent des approfondissementsempiriques et théoriques. Le choix métho-dologique (étude d’un cas unique) permetde dégager des hypothèses dans le cadre decette recherche mais présente quelqueslimites relatives notamment au risqued’une généralisation trop hâtive. Notam-ment, il apparaît que la personnalité mêmedes dirigeants des organisations étudiéesconstitue un aspect particulier à partentière, indépendant des considérationsliées à la seule proximité. Il convient des’interroger à présent sur les conditionsqui rendent stratégiquement efficace lacréation de liens de proximité. De plus, sile succès est au rendez-vous, une questioncentrale concerne la pérennisation duréseau mis en place (Mignon, 2009), car ledéveloppement du Naturopôle a jusqu’àprésent reposé pour l’essentiel sur lescompétences et l’énergie d’une poignéed’acteurs. Dans ce construit, le leadershipde l’entrepreneur a été déterminant, toutcomme l’implication de quelques élus etresponsables publics locaux. Ils devront

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par la suite s’assurer de l’institutionnalisa-tion de l’ensemble, ce qui pourrait êtrefacilité néanmoins par la reconnaissanceen PER qui permet de formaliser un cadred’action pour l’avenir. Enfin, un approfon-

dissement pourrait être envisagé sur labase d’une approche de type « Strategy asPractice » pour une analyse plus fine dufonctionnement des acteurs impliqués(Bouty et Gomez, 2010).

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