actions physiologiques du glucagon

7
Le glucagon : aspects physiologiques, physiopathologiques et thérapeutiques Médecine des maladies Métaboliques - Avril 2011 - Vol. 5 - N°2 © 2009 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés. Résumé Le glucagon joue un rôle crucial dans la régulation du métabo- lisme glucidique in vivo. Sa sécrétion répond à des modifications des concentrations sanguines de substrats, du niveau d’insuline présent dans l’îlot et des influx nerveux reçus par les cellules α. Le glucagon stimule la production de glucose (glycogénolyse et gluconéogenèse), permettant ainsi de maintenir un taux de production correspondant au besoin de l’organisme en glucose. Le foie est la principale cible d’action du glucagon, mais des récepteurs du glucagon se trouvent également au niveau des reins et des tissus adipeux, où, dans des conditions extrêmes, il peut stimuler la lipolyse. Le glucagon est un régulateur important lors de conditions physiologiques comme le jeûne, l’exercice physique et l’hypoglycémie. Les concentrations plasmatiques de glucagon sont élevées chez les personnes atteintes de diabète et cette hormone semble contribuer à l’état catabolique induit par la résistance à l’insuline. Par conséquent, les firmes pharma- ceutiques essayent de diminuer les concentrations de glucagon circulant ou de réduire les effets du glucagon comme un moyen de traiter le diabète. Mots-clés : Diabète – foie – glucagon – gluconéogenèse – glycogénolyse. Summary Glucagon plays an important role in regulating carbohydrate metabolism in vivo. Its secretion depends on changes in blood substrate concentrations, the insulin level in the islet and neural input to the α cell. Glucagon provides a stimulus to glucose production (glycogenolysis and gluconeogenesis) thereby maintaining a rate required to match the glucose needs of the body. Glucagon’s action occurs mainly in the liver, but glucagon receptors can be found in the kidneys and adipose tissue and in extreme circumstances it can stimulate lipolysis. Glucagon is an important regulator in physiological conditions such as fasting, physical exercise and the hypoglycemia. Glucagon levels are elevated in individuals with diabetes and the hormone is felt to contribute to the catabolic consequences of insulin deficiency. As a result pharmaceutical companies are attempting to lower glucagon levels and impair glucagon action as a mean to treat diabetes. Key-words: Diabetes – Glucagon – gluconeogenesis – glycogenolysis – liver. Correspondance : Alan D. Cherrington 702 Light Hall Vanderbilt University school of medicine Nashville, TN, 37232-6015, USA [email protected] Introduction Le glucagon est une hormone peptidique synthétisée par les cellules α du pan- créas ; il constitue le principal stimulus pour la production de glucose par le foie. Sa sécrétion est sous le contrôle de nom- breux facteurs nutritionnels, neuronaux et paracrine. Le glucagon agit sur le foie en stimulant la glycogénolyse et, de façon plus limitée, la néoglucogenèse [1], même si l’effet sur ce second est modeste et lent. Le métabolisme des acides aminés et des lipides est également influencé par le glucagon, mais son action est presque entièrement ciblée sur le foie. Les modi- fications de sécrétion de glucagon qui accompagnent l’exercice physique, le jeûne, l’hypoglycémie, l’infection ou la prise alimentaire, sont importants pour permettre une bonne régulation de la glycémie. Contrôle de la concentration plasmatique en glucagon Sécrétion Les îlots de Langerhans sont compo- sés de différents types cellulaires. Les cellules β sont les plus abondantes et sont responsables de la sécrétion d’insuline. Le glucagon est secrété par G. Kraft, A.D. Cherrington Department of Molecular Physiology and Biophysics, Vanderbilt University School of Medicine, Nashville, TN, États-Unis. Actions physiologiques du glucagon Physiological action of glucagon 122 Dossier thématique

Upload: ad

Post on 31-Dec-2016

215 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Actions physiologiques du glucagon

122 Dossier thématiqueLe glucagon : aspects physiologiques, physiopathologiques et thérapeutiques

Médecine des maladies Métaboliques - Avril 2011 - Vol. 5 - N°2

© 2009 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés.

Résumé

Le glucagon joue un rôle crucial dans la régulation du métabo-lisme glucidique in vivo. Sa sécrétion répond à des modifications des concentrations sanguines de substrats, du niveau d’insuline présent dans l’îlot et des influx nerveux reçus par les cellules α. Le glucagon stimule la production de glucose (glycogénolyse et gluconéogenèse), permettant ainsi de maintenir un taux de production correspondant au besoin de l’organisme en glucose. Le foie est la principale cible d’action du glucagon, mais des récepteurs du glucagon se trouvent également au niveau des reins et des tissus adipeux, où, dans des conditions extrêmes, il peut stimuler la lipolyse. Le glucagon est un régulateur important lors de conditions physiologiques comme le jeûne, l’exercice physique et l’hypoglycémie. Les concentrations plasmatiques de glucagon sont élevées chez les personnes atteintes de diabète et cette hormone semble contribuer à l’état catabolique induit par la résistance à l’insuline. Par conséquent, les firmes pharma-ceutiques essayent de diminuer les concentrations de glucagon circulant ou de réduire les effets du glucagon comme un moyen de traiter le diabète.

Mots-clés : Diabète – foie – glucagon – gluconéogenèse – glycogénolyse.

SummaryGlucagon plays an important role in regulating carbohydrate metabolism in vivo. Its secretion depends on changes in blood substrate concentrations, the insulin level in the islet and neural input to the α cell. Glucagon provides a stimulus to glucose production (glycogenolysis and gluconeogenesis) thereby maintaining a rate required to match the glucose needs of the body. Glucagon’s action occurs mainly in the liver, but glucagon receptors can be found in the kidneys and adipose tissue and in extreme circumstances it can stimulate lipolysis. Glucagon is an important regulator in physiological conditions such as fasting, physical exercise and the hypoglycemia. Glucagon levels are elevated in individuals with diabetes and the hormone is felt to contribute to the catabolic consequences of insulin deficiency. As a result pharmaceutical companies are attempting to lower glucagon levels and impair glucagon action as a mean to treat diabetes.

Key-words: Diabetes – Glucagon – gluconeogenesis – glycogenolysis – liver.

Correspondance :

Alan D. Cherrington702 Light HallVanderbilt University school of medicineNashville, TN, 37232-6015, [email protected]

Introduction

Le glucagon est une hormone peptidique synthétisée par les cellules α du pan-créas ; il constitue le principal stimulus pour la production de glucose par le foie. Sa sécrétion est sous le contrôle de nom-breux facteurs nutritionnels, neuronaux et paracrine. Le glucagon agit sur le foie en stimulant la glycogénolyse et, de façon plus limitée, la néoglucogenèse [1], même si l’effet sur ce second est modeste et lent. Le métabolisme des acides aminés et des lipides est également influencé par le glucagon, mais son action est presque entièrement ciblée sur le foie. Les modi-fications de sécrétion de glucagon qui

accompagnent l’exercice physique, le jeûne, l’hypoglycémie, l’infection ou la prise alimentaire, sont importants pour permettre une bonne régulation de la glycémie.

Contrôle de la concentration plasmatique en glucagon

Sécrétion

Les îlots de Langerhans sont compo-sés de différents types cellulaires. Les cellules β sont les plus abondantes et sont responsables de la sécrétion d’insuline. Le glucagon est secrété par

G. Kraft, A.D. Cherrington

Department of Molecular Physiology and Biophysics, Vanderbilt University School of Medicine, Nashville, TN, États-Unis.

Actions physiologiques du glucagonPhysiological action of glucagon

122 Dossier thématique

Page 2: Actions physiologiques du glucagon

123Actions physiologiques du glucagon

Médecine des maladies Métaboliques - Avril 2011 - Vol. 5 - N°2

les cellules α, tandis que les cellules δ secrètent la somatostatine. Des études in vitro ont montré un effet stimulant du glucose sur la sécrétion du glucagon par les cellules α isolées, tout comme la sécrétion d’insuline par les cellules β [2]. Cependant, lors de l’étude des îlots in vivo, de fortes concentrations de glucose (8 mM) inhibent la sécrétion de gluca-gon, tandis que de faibles concentra-tions (3 mM) stimulent la sécrétion de glucagon ; des résultats opposés ont été obtenus pour la sécrétion d’insuline par les cellules β. Les mécanismes sous-jacents à la suppression de l’activité sécrétrice des cellules α en présence de glucose sont encore mal compris, mais il est généralement admis qu’il s’agit du résultat d’une inhibition par des produits issus de cellules autres que les cellules α au sein des îlots de Langerhans [3]. L’insuline, le zinc, l’acide gamma-amino-butyrique (GABA) et la somatostatine ont tous été identifiés comme des candidats pour expliquer l’inhibition paracrine de la sécrétion de glucagon [revue in 4].Les acides aminés stimulent à la fois la sécrétion de l’insuline et du glucagon afin de coordonner de façon optimale leur uti-lisation [5]. Les acides aminés individuels ont différents effets sur la sécrétion du glucagon. L’arginine est le sécrétagogue le plus efficace. L’alanine et la glycine sont moins efficaces, et les acides aminés à chaîne ramifiée et la lysine sont inactifs. Les acides gras plasmatiques sont une source d’énergie pour les îlots, mais jouent également un rôle dans la sécrétion de l’insuline. Certains acides gras sem-blent être des activateurs efficaces de la sécrétion de glucagon. Par exemple, il a été montré, chez les rongeurs, que plus les acides gras saturés ont une longue chaîne, plus la sécrétion de glucagon est importante [6]. De la même façon, les aci-des gras saturés sont plus efficaces que les acides gras insaturés pour stimuler la sécrétion de glucagon [6].Les cellules α sont sous le contrôle de trois régulateurs autonomes :– les nerfs sympathiques ;– les nerfs parasympathiques ;– l’adrénaline circulante.Ils sont tous actifs lors de situations de stress (par exemple lors d’une hypo-glycémie) et sont tous capables de sti-muler la sécrétion de glucagon [7], mais

la contribution de chacun reste inconnue, particulièrement au regard d’expériences sur les chiens et chez l’Homme dont le pancréas est dénervé et où la sécrétion de glucagon continue à répondre à la glycémie [4].Étant donné la complexité du contrôle de la sécrétion de glucagon par les nutriments, il n’est pas surprenant qu’un repas complet contenant des glucides, des protéines et des lipides augmente la sécrétion du glucagon de façon modeste (40 %) [8]. Par ailleurs, pendant le jeûne, l’exercice physique et l’hypoglycémie, la sécrétion de glucagon peut être stimulée de façon plus importante afin de prévenir ou de limiter la baisse des concentrations en glucose. Ce type de stimulus permet d’augmenter la sécrétion de glucagon, mais sa concentration plasmatique ne dépasse jamais huit fois les valeurs de base. C’est pourquoi, il est important que le glucagon agisse de façon biologique dans une marge de concentration plutôt étroite [9].

DégradationLa concentration circulante de glucagon représente la différence entre sa sécré-tion et sa dégradation. La demi-vie du glucagon dans le plasma est d’environ 3 à 6 minutes. La clairance du glucagon de la circulation a lieu principalement dans le foie et les reins. Le foie contribue pour 24 à 33 % à la dégradation du glucagon, tandis que les reins y contribuent pour 17 % [10]. Le taux de dégradation du glucagon dépend de la concentration plasmatique du glucagon, mais n’est pas affecté par la concentration plasmatique de glucose per se [11]. Par conséquent, la concentration plasmatique de glucagon représente son taux de sécrétion. Il est important de noter que la principale cible physiologique du glucagon est le foie, qu’il est secrété dans la veine porte et que le foie élimine environ 30 % du glucagon qui l’atteint. C’est pourquoi la concen-tration portale en glucagon est cruciale pour connaître son effet métabolique. Il est également important de prendre en compte l’effet de réaction croisée qui entre en jeu dans la plupart des méthodes de dosage immunologique du glucagon ; il s’avère alors que la concentration por-tale correspond au double de la concen-tration artérielle.

Effet métabolique du glucagon

Le glucagon a un effet sur des organes cibles à travers l’activation du récepteur Gcgr, un récepteur membranaire couplé à une protéine G. Gcgr est exprimé par le foie, les reins, les tissus adipeux, le cœur, les muscles lisses intestinaux et le cerveau [12]. Dans le foie, le signal de Gcgr a un effet rapide sur les enzymes intervenant dans la régulation de la néo-glucogenèse, de la glycogénolyse et de l’oxydation des acides gras.Le métabolisme du glucose dans l’orga-nisme peut être divisé entre les organes et tissus sensibles à l’insuline (le foie, les muscles squelettiques et les tissus adipeux), et ceux qui ne le sont pas (le système nerveux, la peau, les globules rouges et le tissu musculaire lisse). La sécrétion endogène de glucose a prin-cipalement lieu dans le foie (> 90 %), mais, dans certaines circonstances, les reins et l’intestin peuvent produire une petite quantité de glucose [13]. Le foie est d’une importance particulière car il est sensible au glucagon et il s’agit à la fois d’un lieu de production et de prélè-vement de glucose.

Métabolisme hépatiqueProduction de glucoseLe foie répond aux signaux hormonaux, nutritionnels et neuronaux, ce qui rend difficile l’interprétation du rôle de chaque composant. La technique de clamp pan-créatique (décrite par ailleurs [13]) a été largement utilisée pour étudier le contrôle de la production hépatique de glucose.La figure 1 présente les données d’une étude sur des chiens et l’effet d’une aug-mentation physiologique, de quatre fois le niveau basal, de la concentration de glu-cagon sur la production nette de glucose par le foie. Dans le protocole témoin, un niveau basal d’insuline et de glucagon a été maintenu durant l’expérimentation. Dans le protocole test, la concentration d’insuline est restée à son niveau basal, mais la vitesse de perfusion de glucagon a été augmentée – après la période prélimi-naire – pour atteindre une concentration quatre fois supérieure au niveau basal. Ces conditions ont engendré une augmentation de la concentration nette de glucose par le foie de 10 à 37 μmol.kg-1.min-1. Cette

Page 3: Actions physiologiques du glucagon

124 Dossier thématiqueLe glucagon : aspects physiologiques, physiopathologiques et thérapeutiques

Médecine des maladies Métaboliques - Avril 2011 - Vol. 5 - N°2

augmentation de la production de glucose a ainsi provoqué une hyperglycémie. Par conséquent, dans le protocole témoin, une infusion de glucose a été nécessaire afin de mimer l’hyperglycémie observée dans le protocole test. Comme attendu, l’hyperglycémie a engendré elle-même

une diminution significative du bilan net hépatique en glucose (BNHG). Donc, l’ampleur de la réponse au glucagon sur le BNHG est représentée par la différence entre les BNHG observés dans la figure 1. Il est clair que l’effet du glucagon diminue avec le temps ; toutefois, il reste présent,

même après 3 heures [13]. Les données observées montrent que l’effet du gluca-gon sur le BNHG est principalement dû à une stimulation de la glycogénolyse. En effet, il n’y a aucun changement appré-ciable dans le flux de néoglucogenèse.D’autres études par clamp se sont inté-ressées à l’effet d’une diminution sélec-tive du glucagon plasmatique (figure 2). Dans le protocole témoin, les concentra-tions d’insuline et de glucagon ont été maintenues tout au long de l’expérience. Dans le protocole test, la concentration basale d’insuline a été maintenue, mais la perfusion de glucagon a été arrêtée à la fin de la période préliminaire. Donc, ces études ont examiné l’effet d’une absence totale de glucagon. Le BNHG a diminué de 70 % en l’absence de glucagon ; de ce fait, du glucose a dû être infusé afin de maintenir l’euglycémie. Cette réduc-tion du BNHG est due à une chute rapide et maintenue de la glycogénolyse, tan-dis que la néoglucogenèse n’a été que peu ou pas affectée. À partir de ce type d’études, une courbe dose-réponse entre la concentration de glucagon atteignant le foie et le BNHG a été calculée. Elle montre qu’une faible modification physiologique de la concentration de glucagon induit une modification significative du BNHG. De plus, l’effet du glucagon est maximum à une concentration correspondant à huit fois le niveau basal. Le glucagon est donc un régulateur efficace de la production hépatique de glucose, et agit principale-ment par une activation de la glycogé-nolyse. La néoglucogenèse est seulement modestement augmentée in vivo par le glucagon, même si cette hormone peut stimuler la « voie » néoglucogénique dans le foie [14]. Même si le glucagon stimule l’efficacité néoglucogénique du foie, il n’augmente pas l’apport en précurseurs néoglucogéniques qui atteignent le foie. Donc, il en résulte que le pool de pré-curseur dans le plasma est rapidement épuisé, ce qui annule l’augmentation de l’efficacité hépatique. En présence d’autres conditions qui augmenteraient la fourniture de précurseurs néogluco-géniques, le glucagon serait capable d’augmenter la néoglucogenèse.

Captage du glucose

Le glucagon est également capable d’inhiber le captage du glucose par le foie.

Figure 1 : Effet d’une augmentation sélective du glucagon sur la production nette de glucose

par le foie, la glycogénolyse (GLY) et la néoglucogenèse (GNG) au cours d’un clamp avec

maintien de la concentration basale en insuline et en glucagon (blanc), ou avec une augmen-

tation de la concentration de glucagon de quatre fois le niveau basal (noir) [Adapté de 13].

Figure 2 : Effet d’une diminution sélective de glucagon sur la production nette de glucose

par le foie, la glycogénolyse (GLY) et la néoglucogenèse (GNG) durant un clamp pancréatique

avec maintien de la concentration basale en insuline et maintien de la concentration basale

en glucagon (blanc), ou absence de glucagon (noir) [Adapté de 13].

Page 4: Actions physiologiques du glucagon

125Actions physiologiques du glucagon

Médecine des maladies Métaboliques - Avril 2011 - Vol. 5 - N°2

Une étude réalisée par Holste et al. [15] a cherché à évaluer l’effet de concentrations variables de glucagon lors d’une hyper-glycémie (≈ 220 mg/dl) et d’une hyperin-sulinémie (quatre fois les niveaux de base) chez le chien. Le glucagon a été, soit maintenu à un niveau basal, soit diminué de 70 % par rapport au niveau basal, soit augmenté de deux fois le niveau basal. La réduction de glucagon n’a pas eu d’effet sur le captage de glucose par le foie, alors que l’augmentation de glucose l’a diminué d’environ 50 %. Ceci est dû à l’incapacité d’inhiber complètement la production hépatique de glucose.Plusieurs années auparavant, Liljenquist et al. [16] avaient montré que le glucagon pouvait modifier le bilan net splanchnique en glucose chez l’homme. De la même façon, lors d’une étude chez des patients atteints de diabète de type 2, Basu et al. [17] ont montré que l’augmentation du glucagon plasmatique qui survient après la prise alimentaire contribue à aggraver l’hyperglycémie post-prandiale. Ceci montre que des modifications phy-siologiques du glucagon ont des effets sur le métabolisme du glucose par le foie, aussi bien lorsque le foie produit ou pré-lève du glucose.

Métabolisme des lipides

Le glucagon a également un effet sur le métabolisme hépatique des lipides [18]. Il peut inhiber la synthèse de triacyl-glycérol, stimuler sa dégradation et sti-muler la cétogenèse. Une relation étroite existe entre la production splanchnique de corps cétoniques et la concentration de glucagon dans la veine hépatique, ce qui indique que la cétogenèse est aug-mentée par une hyperglucagonémie. En effet, la production de corps cétonique est augmentée par le glucagon lors d’études chez le chien [19]. Ces effets sont concordants avec l’effet du gluca-gon sur la carnitine acyltransférase, une enzyme clé de la cétogenèse.

Métabolisme des protéines et des acides aminés

Comme déjà indiqué précédemment, le glucagon stimule la néoglucogenèse au niveau du foie en activant la voie néoglucogénique du foie. En effet, le glucagon stimule le système de trans-port des acides aminés dans le foie [20].

Mais aucune modification n’est observée pour le métabolisme des acides aminés à proprement parler (protéolyse, synthèse protéique, oxydation) [21], donc la fourni-ture en acides aminés au foie est limitée et les concentrations plasmatiques sont diminuées, ce qui affecte l’augmentation du transport hépatique.

Métabolisme des reinsLes reins contribuent pour environ 10 % de la production de glucose chez le chien à jeun, mais en parallèle, ils pré-lèvent 10 % du glucose produit. Ainsi, en terme de bilan net, ils ne contribuent pas à la fourniture en glucose aux autres tissus [13]. Cette observation paraît similaire chez les humains. Il est ainsi communément admis que le foie est le contributeur principal de production de glucose. Le glucagon ne semble pas avoir d’effet sur la production ou le cap-tage de glucose par les reins [22].

Métabolisme des tissus adipeuxLa mobilisation des lipides des tissus adipeux par le glucagon a toujours été un sujet de controverse [23]. Les résultats in vitro suggèrent que le glucagon peut augmenter la lipolyse et inhiber la lipo-genèse [24]. Toutefois, in vivo, un effet du glucagon sur la lipolyse est difficile à détecter car le glucagon induit une aug-mentation du glucose et de l’insuline circulants qui, à leur tour, réduisent la concentration plasmatique des acides gras non estérifiés.

Rôle du glucagon dans la régulation physiologique

À jeun

Une réponse hormonale et métabolique coordonnée est indispensable pour fournir les nutriments nécessaires aux tissus durant des périodes de privation alimentaire. Il est essentiel de fournir du glucose au cerveau, sachant qu’il n’est pas capable d’utiliser d’autres sources d’énergie. Durant les 12 premières heures de jeûne, la concentration du glucose plasmatique est légèrement diminuée (-10 à -20 %), de même que la concentration d’insuline, tandis que la concentration en glucagon augmente légèrement. Au fur et à mesure que les réserves hépatiques de glycogène diminuent, la production hépatique de glucose dépend de plus en plus de la néoglucogenèse [25] (figure 3).À long terme, en présence d’une dimi-nution de la concentration plasmati-que d’insuline, le glucagon participe à la régulation de la néoglucogenèse en augmentant l’extraction hépatique des acides aminés et en augmentant l’effi-cacité néoglucogénique. Cependant, la concentration plasmatique en acides aminés diminue si la fourniture en acides aminés n’est pas assurée par un autre mécanisme. De façon similaire, l’aug-mentation de la lipolyse est due à une diminution de l’insuline, augmentant ainsi le flux de glycérol et d’acides gras non

Figure 3 : Taux de production de glucose par la totalité de l’organisme humain (en rouge)

et contribution de la néoglucogenèse (en bleu) au cours d’un jeûne prolongé [Adapté de Wahren et Ekberg, 25].

Page 5: Actions physiologiques du glucagon

126 Dossier thématiqueLe glucagon : aspects physiologiques, physiopathologiques et thérapeutiques

Médecine des maladies Métaboliques - Avril 2011 - Vol. 5 - N°2

estérifiés vers le foie. Ainsi, la baisse de l’insuline et l’augmentation du glucagon agissent de concert au niveau du foie pour maintenir la production de glucose et diminuer la capture de glucose afin de garantir une fourniture continue de glu-cose aux autres tissus. Lorsque le jeûne est prolongé au-delà de 5 semaines, la néoglucogenèse hépatique n’est plus capable de combler les besoins en glu-cose de l’organisme, par conséquence les reins commencent à limiter l’excrétion d’urée [25] et augmenter leur contribu-tion à la néoglucogenèse.

Exercice physiqueLors d’un exercice physique, la pro-duction de glucose augmente afin de fournir du glucose pour l’effort muscu-laire. Les changements hormonaux qui accompagnent l’exercice incluent une diminution de l’insuline et une augmen-tation du glucagon, des catécholamines et du cortisol. Durant les premières phases d’un exercice physique modéré, l’augmentation initiale de la production hépatique de glucose est due presque entièrement à la glycogénolyse. La néoglucogenèse devient de plus en

plus importante au fur et à mesure que l’exercice se prolonge (figure 4A) et peut atteindre jusqu’à 45 % de la production de glucose après 4 heures d’un exercice physique modéré chez l’homme [26].Les concentrations de glucagon ne changent pas durant un exercice faible, mais augmentent en réponse à un exer-cice plus intense ou prolongé [26]. Une étude réalisée chez le chien montre que l’augmentation de trois fois du niveau plasmatique de glucagon qui accom-

pagne l’exercice physique d’intensité modérée est responsable pour près de 70 % de l’augmentation de la production hépatique de glucose [27]. La diminution de 50 % de la concentration plasmatique en insuline explique également une partie de l’augmentation de production hépa-tique de glucose [27] ; en fait, ces deux hormones agissent en synergie et expli-quent pratiquement toute l’augmentation de la production hépatique de glucose induite par l’exercice (figure 4B).

Figure 4 : A. Représentation schématique de la contribution minimale de la glycogénolyse et maximale de la néoglucogenèse à la production

hépatique de glucose au repos, en phase d’exercice, puis durant la récupération. Ces réponses sont basées sur des études sur le chien.

B. Représentation schématique de l’augmentation de la production hépatique de glucose durant un exercice d’intensité modérée et de

l’effet de la baisse de la concentration plasmatique de l’insuline et de l’augmentation de la concentration plasmatique de glucagon d’une

part, et de l’augmentation de la concentration plasmatique de l’adrénaline d’autre part.

[Adaptée de Wasserman et Cherrington [18]. Cette adaptation est issue d’une publication de l’American Physiological Society. L’American Physiological Society n’est pas responsable du contenu de cette adaptation ou traduction, ou du contexte de son utilisation].

La sécrétion du glucagon par les cellules α est contrôlée par les concentrations

plasmatiques de substrats et d’hormones.

Le glucagon est le principal stimulus de la production hépatique de glucose.

Son effet sur la production de glucose est principalement attribuable à une stimulation

de la glycogénolyse. Il stimule les enzymes de la néoglucogenèse dans le foie, mais

il a peu d’effets pour drainer les précurseurs de la néoglucogenèse vers le foie, c’est

pourquoi son impact sur la néoglucogenèse est limité.

Le glucagon a un faible effet sur la lipolyse, mais il stimule la cétogenèse hépati-

que.

Lors d’un jeûne prolongé, d’un exercice physique ou d’une hypoglycémie, le glucagon

fournit un stimulus rapide et important pour le foie qui permet d’ajuster la production

de glucose avec les besoins de l’organisme.

Les points essentiels

Page 6: Actions physiologiques du glucagon

127Actions physiologiques du glucagon

Médecine des maladies Métaboliques - Avril 2011 - Vol. 5 - N°2

Hypoglycémie

Lors d’une hypoglycémie induite par l’insuline, la concentration plasma-tique en glucagon peut augmenter de trois fois ou plus [22]. La sécrétion des catécholamines, du cortisol et de l’hormone de croissance peut égale-ment augmenter, mais le glucagon est considéré comme le plus important des signaux de contre-régulation. Dans les phases précoces d’hypoglycémie, l’augmentation de la glycogénolyse est responsable de l’augmentation de la production de glucose. Au fur et à mesure, les mécanismes de néogluco-genèse sont activés avec l’augmentation du flux de substrats néoglucogéniques au foie. Ceci est régulé par une plus forte activité du système nerveux sym-pathique qui induit une mobilisation des lipides des tissus adipeux et par l’effet de l’adrénaline sur la glycogénolyse muscu-laire. Après 3 heures, la néoglucogenèse correspond à 48-88 % de la production de glucose. Ainsi, la néoglucogenèse est une voie importante lors d’une réponse à une hypoglycémie prolongée et mar-quée [28]. Le glucagon est important durant la phase précoce d’hypoglycémie pour induire la réponse glycogénolytique. Des résultats récents (Riviera-Gonzalez et al., publication soumise), montrent que l’hypoglycémie augmente la sensibilité du foie au glucagon, permettant ainsi à cette hormone de maintenir la production de glucose, même face à une très forte concentration en insuline.

DiabèteChez des patients atteints de diabète de type 1 ou de type 2, les concentra-tions de glucagon sont augmentées de façon relative ou absolue [29]. De plus, le glucagon semble accentuer les deux types de diabètes [29]. Chez les patients atteints de diabète de type 1, deux observations sont importantes : tout d’abord, la réponse des cellules α à l’hypoglycémie est abolie, ce qui pré-dispose ces individus à des événements hypoglycémiques [30]. Par ailleurs, le glucagon contribue aux conséquences métaboliques résultant d’une absence d’insuline [31]. En fait, des études récen-tes sur des rongeurs suggèrent qu’en l’absence de glucagon, les conséquen-ces d’une insuffisance en insuline sont

modérées [32]. Il est clair que le déve-loppement de médicaments visant à inhiber l’action du glucagon est une voie de recherche importante pour les firmes pharmaceutiques.

Conflits d’intérêt

Les auteurs n’ont pas de conflit d’intérêt à décla-

rer en lien avec le contenu de cet article.

Références

[1] Young A. Inhibition of glucagon secretion. Adv Pharmacol 2005;52:151-71.

[2] Olsen HL, Theander S, Bokvist K, et al. Glucose stimulates glucagon release in single rat alpha-cells by mechanisms that mirror the stimu-lus-secretion coupling in ß – cells. Endocrinology 2005;146:4861-70.

[3] Le Marchand SJ, Piston DW. Glucose suppres-sion of glucagon secretion: metabolic and calcium responses from a-cells in intact mouse pancreatic islets. J Biol Chem 2010;285:14389-98.

[4] Gromada J, Franklin I, Wollheim CB. α-cells of the endocrine pancreas: 35 years of research but the enigma remains. Endocr Rev 2007;28:84-116.

[5] Pagliara AS, Stillings SN, Hover B, et al. Glucose modulation of amino acid-induced glu-cagon and insulin release in the isolated perfused rat pancreas. J Clin Invest 1974;54:819-32.

[6] Radulescu A, Gannon MC, Nuttall FQ. The effect on glucagon, glucagon-like peptide-1, total and acyl-ghrelin of dietary fats ingested with and without potato. J Clin Endocrinol Metab 2010;95:3385-91.

[7] Ahrén B. Autonomic regulation of islet hormone secretion – -implications for health and disease. Diabetologia 2000;43:393-410.

[8] Moore MC, Pagliassotti MJ, Swift LL, et al. Disposition of a mixed meal by the conscious dog. Am J Physiol 1994;266:E666-75.

[9] Cherrington AD, Stevenson RW, Steiner KE, et al. Insulin, glucagon, and glucose as regulators of hepatic glucose uptake and production in vivo. Diabetes Metab Rev 1987;3:307-32.

[10] Dobbins RL, Davis SN, Neal DW, et al. Compartmental modeling of glucagon kinetics in the conscious dog. Metabolism 1995;44:452-9.

[11] Herold KC, Jaspan JB. Hepatic glucagon clearance during insulin induced hypoglycemia. Horm Metab Res 1986;18:431-5.

[12] Hansen LH, Abrahamsen N, Nishimura E. Glucagon receptor mRNA distribution in rat tissues. Peptides 1995;16:1163-6.

[13] Cherrington AD. Banting Lecture 1997. Control of glucose uptake and release by the liver in vivo. Diabetes 1999;48:1198-214.

[14] Pilkis SJ, Granner DK. Molecular physiology of the regulation of hepatic gluconeogenesis and glycolysis. Annu Rev Physiol 1992;54:885-909.

[15] Holste LC, Connolly CC, Moore MC, et al. Physiological changes in circulating glucagon alter hepatic glucose disposition during portal glu-cose delivery. Am J Physiol 1997;273:E488-96.

[16] Liljenquist JE, Mueller GL, Cherrington AD, et al. Evidence for an important role of glucagon in the regulation of hepatic glucose production in normal man. J Clin Invest 1977;59:369-74.

[17] Basu A, Shah P, Nielsen M, et al. Effects of type 2 diabetes on the regulation of hepa-tic glucose metabolism. J Investig Med 2004;52:366-74.

[18] Wasserman DH, Cherrington AD. Hepatic fuel metabolism during muscular work: role and regu-lation. Am J Physiol 1991;260:E811-24.

[19] Keller U, Chiasson JL, Liljenquist JE, et al. The roles of insulin, glucagon, and free fatty acids in the regulation of ketogenesis in dogs. Diabetes 1977;26:1040-51.

Le glucagon joue un rôle critique dans la régulation de la production de glucose

par le foie, principalement par son action sur la glycogénolyse. Son effet est rapide

(l’augmentation à 50 % de la valeur maximale survient en quelques minutes) et puis-

sant (l’activation de 50 % de la maximale de la production hépatique de glucose

a lieu pour des concentrations de glucagon de 150 ng/l environ). Le glucagon est

responsable de l’augmentation rapide de la glycogénolyse qui a lieu durant l’exercice

physique et l’hypoglycémie, permettant ainsi une fourniture en glucose pour les

muscles et le cerveau lors de besoins critiques. Dans l’état post-absorptif, le glucagon

gère la production hépatique de glucose qui permet, en partenariat avec l’insuline,

de fournir précisément les quantités de glucose nécessaires au reste du corps. Le

glucagon est également très important lors de la transition entre l’état nourri et l’état

de jeûne, car il prépare la machine néoglucogénique et permet au foie d’utiliser les

substrats néoglucogéniques qui lui sont fournis par la diminution de la concentration

en insuline. Lors d’un repas complet, la concentration du glucagon augmente afin

de prévenir la baisse de la glycémie qui pourrait résulter de la forte augmentation

de l’insuline plasmatique. Le glucagon joue ainsi un rôle clé dans la régulation de la

cinétique du glucose in vivo.

Conclusion

Page 7: Actions physiologiques du glucagon

128 Dossier thématiqueLe glucagon : aspects physiologiques, physiopathologiques et thérapeutiques

Médecine des maladies Métaboliques - Avril 2011 - Vol. 5 - N°2

[20] Handlogten ME, Kilberg MS. Induction and decay of amino acid transport in the liver. Turnover of transport activity in isolated hepatocytes after stimulation by diabetes or glucagon. J Biol Chem 1984;259:3519-25.

[21] Flakoll PJ, Borel MJ, Wentzel LS, et al. The role of glucagon in the control of protein and amino acid metabolism in vivo. Metabolism 1994;43:1509-16.

[22] Gerich JE, Meyer C, Woerle HJ, Stumvoll M. Renal gluconeogenesis: its importance in human glucose homeostasis. Diabetes Care 2001;24:382-91.

[23] Carlson MG, Snead WL, Campbell PJ. Regulation of free fatty acid metabolism by glu-cagon. J Clin Endocrinol Metab 1993;77:11-5.

[24] Girard J, Perdereau D, Foufelle F, et al. Regulation of lipogenic enzyme gene expres-

sion by nutrients and hormones. FASEB J 1994;8:36-42.

[25] Wahren J, Ekberg K. Splanchnic regu-lation of glucose production. Annu Rev Nutr 2007;27:329-45.

[26] Ahlborg G, Felig P, Hagenfeldt L, et al. Substrate turnover during prolonged exercise in man. Splanchnic and leg metabolism of glucose, free fatty acids, and amino acids. J Clin Invest 1974;53:1080-90.

[27] Wasserman DH. Regulation of glucose fluxes during exercise in the postabsorptive state. Annu Rev Physiol 1995;57:191-218.

[28] Frizzell RT, Hendrick GK, Biggers DW, et al. Role of gluconeogenesis in sustaining glucose production during hypoglycemia caused by continuous insulin infusion in conscious dogs. Diabetes 1988;37:749-59.

[29] Unger RH, Orci L. The essential role of glu-cagon in the pathogenesis of diabetes mellitus. Lancet 1975;305:14-6.

[30] Raju B, Cryer PE. Loss of the decrement in intraislet insulin plausibly explains loss of the glucagon response to hypoglycemia in insu-lin-deficient diabetes: documentation of the intraislet insulin hypothesis in humans. Diabetes 2005;54:757-64.

[31] Fanelli CG, Porcellati F, Rossetti P, Bolli GB. Glucagon: the effects of its excess and deficiency on insulin action. Nutr Metab Cardiovasc Dis 2006;16(Suppl.1):S28-S34.

[32] Yu X, Park BH, Wang MY, et al. Making insulin-deficient type 1 diabetic rodents thrive without insulin. Proc Natl Acad Sci U S A 2008;105:14070-5.