achard, martin compte rendu de la traduction du traité 54 de plotin par agnès pigler

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  • 7/21/2019 Achard, Martin Compte Rendu de La Traduction Du Trait 54 de Plotin Par Agns Pigler

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    Martin AchardLaval thologique et philosophique, vol. 62, n 2, 2006, p. 381-388.

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    Le Trait 54(I, 7) de Plotin : propos d'une traduction rcente

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    Laval thologique et philosophique, 62, 2 (juin 2006) : 381-388

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    note critique

    LE TRAIT 54(I, 7) DE PLOTIN

    PROPOS DUNE TRADUCTION RCENTE*

    Martin Achard

    Facult de philosophieUniversit Laval, Qubec

    ______________________

    e Trait 54 (I, 7), Du premier Bien et des autres biens, est le dernier crit dePlotin. Il a traditionnellement t divis en trois chapitres, dans lesquels le philo-

    sophe rsume grands traits certains lments-cls de son enseignement. Dans lechapitre I, Plotin rappelle dabord, contre Aristote, que le bien de lme sidentifie auBien absolu, puis il offre une description de ce dernier en des termes parfaitementhabituels dans son uvre. Le Bien est au-del de ltre, de lacte, de lintelligence etde la pense. Il est immobile, ne tend vers rien et ne dsire rien. Bien plutt, ce sontles autres choses qui, par leur dsir ou leur activit, tendent vers lui, et cest sous cemode quil donne aux autres la forme du bien. Il est comme le centre dun cercle,

    do partent les rayons, ou comme le soleil, do mane la lumire. Dans le cha-pitre II, Plotin prcise le mode de participation des choses au Bien, en rappelant som-mairement son systme des hypostases . Les tres inanims se rapportent au Bienpar lintermdiaire de lme et de lIntelligence, qui sont, chacune leur manire,des images du Bien. La consquence en est que les tres inanims prennent partau Bien de faon indirecte, en participant la fois de lunit, de ltre et de la forme.Quant lme, elle participe au Bien par la vie et par lintelligence, dont la posses-sion constitue, pour elle, deux manires de tendre vers le Premier Principe. Enfin,dans le chapitre III, Plotin rappelle en quels sens la vie et la mort sont un bien ou un

    * Agns PIGLER, Plotin.Trait 54(I, 7), introduction, traduction, commentaires et notes, Paris, Cerf, 2004,194 p.

    L

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    mal. La vie, y explique-t-il, nest pas forcment un bien puisque, chez le mchant,elle naccomplit pas sa fonction. En fait, il faut dire que la vie impure est un mal pourlme. La vie ne sera un bien que si lme, par la vertu, se purifie, cest--dire se

    garde de tout mal en se dtachant du corps. Dans ces conditions, la mort, qui est lasparation de lme davec le corps, sera videmment, pour lme vertueuse, un bien,et mme un plus grand bien que son union avec le corps, qui fait entrave sonactivit.

    Agns Pigler nous a rcemment offert, dans la belle collection que dirige PierreHadot aux ditions du Cerf, une nouvelle traduction du trait, assortie, comme leveulent les usages de la collection, dune introduction, de commentaires et de notes,et suivie dun appendice dune quinzaine de pages, intitul La matire prcosmiquecomme principe dentropie pour les tres vivants sensibles . Du premier Bien et des

    autres biensest toutefois un trait trs court, nettement plus que les autres parus jus-quici dans la collection, ce qui donne demble au commentaire propos par Piglerune ampleur disproportionne. Ainsi, alors que le trs substantiel Trait 38 (VI, 7),qui fait 57 pages de grec dans leditio minorde Henry-Schwyzer, avait donn lieu, dela part de Pierre Hadot, un commentaire de 173 pages, qui est juste titre considrcomme un modle de prcision et drudition1, Pigler ne consacre pas moins de 94pages dexplications un trait qui nen compte que 3, et dont le propos est essentiel-lement comme on laura aperu partir du rsum qui prcde rcapitulatif.Pour justifier une telle ampleur, lauteur tente de faire valoir, dans son introduction,diverses raisons. Elle affirme ainsi, de manire apriorique, que le Trait 54 repr-

    sente en quelque sorte le testament de lAlexandrin , et quil rsume lessentielde son enseignement quant aux questions morales et religieuses (p. 15). Quant sa concision extrme , elle tmoignerait dune rigueur intellectuelle comparable lclat froid mais pur de la lame dacier (p. 19). Pigler croit aussi utile de senprendre, aprs tant dautres, au jugement de Porphyre, qui pose lexistence, dans laVie de Plotin, dune corrlation entre la vigueur physique du philosophe et la force deses crits, et qui affirme que les neuf derniers traits ont t rdigs alors que djla force dclinait, et les quatre derniers plus encore que les cinq prcdents2. Il estindniable que le contenu de plusieurs des neuf derniers traits apporte un flagrant

    dmenti au jugement de Porphyre, mais il est tout fait abusif de rsumer, comme lefait Pigler, son tmoignage en crivant que, selon lui, la dernire priode de la pro-duction littraire de Plotin serait une priode de quasi-snilit , au cours de la-quelle le philosophe navait plus lacuit intellectuelle requise pour ce type de tra-vail (p. 18). Porphyre naffirme videmment, ni mme ne suggre, rien daussi fort.On notera en outre que les raisons quon possde de rcuser le jugement de Porphyresur la valeurglobaledes neuf derniers traits, si lgitimes soient-elles lorsquon con-sidre par exemple les traits 49(V, 3) ou 51(I, 8), ne prouvent pas que le trait54,

    1. Pierre HADOT,Plotin. Trait 38(VI, 7), introduction, traduction, commentaire et notes, Paris, Cerf, 1988,

    428 p.2. 6, 34-37. Nous reprenons, en la modifiant lgrement, la traduction de L. BRISSON et al.,Porphyre.La vie

    de Plotin II, tudes dintroduction, texte grec et traduction franaise, commentaire, notes complmentaires,bibliographie, Paris, Vrin, 1992.

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    pris lui seul, se compare aux meilleurs crits de Plotin. Bien plutt, le trait ayantcertainement t crit quelques mois avant la mort du philosophe, cest--dire unepoque o ce dernier souffrait, vraisemblablement, dune tuberculose avance3, on

    pourrait logiquement sattendre ce quil trahisse quelques signes de faiblesse ; et, defait, on y chercherait en vain une seule formulation ou analyse vritablement fine. Onstonnera par ailleurs de lire, toujours dans lintroduction, que le trait54est, dans legroupe de traits constitu par la premire Ennade, le seul ne pas soccuper dequestions purement thiques, mais aussi de lme, de lIntelligence et du Bien (p. 18). Pour ne donner quun exemple, on voit difficilement comment les dveloppe-ments du trait1 (I, 6) sur la participation du sensible lintelligible, sur le mca-nisme de la perception, ou encore sur la nature du Bien, pourraient tre qualifis de purement thiques . On trouverait galement, dans les traits 20(I, 3) et 53(I, 1),ample matire contester laffirmation de Pigler.

    En dpit de lutilisation des ditions de Henry et Schwyzer4, dont lauteur faitgrand cas pour tenter dtablir a priorila supriorit de son travail sur celui dmileBrhier5, on ne saurait dire que la traduction propose par Pigler reprsente un pro-grs notable par rapport celle de ce dernier ; et, si on la compare lensemble destraductions en langue moderne, il faut certainement conclure quelle est infrieure celles de Harder6, dArmstrong7, dIgal8ou de Casaglia9. En effet, la version de Piglerrenferme un nombre considrable de dfauts graves, surtout compte tenu de labrivet du texte, qui aurait pourtant d faciliter la relecture. Ces dfauts peuvent treregroups sous trois chefs.

    1) Plusieurs connecteurs logiques de cause et de consquence ont t traduits contresens. Ainsi, sagissant des marqueurs de cause, Pigler a choisi de rendre la con-jonction par donc dans la phrase ,(1, 20-2110), ce qui donne il faut doncadmettre comme tant

    3. Voir M.D. GRMEK, Les maladies et la mort de Plotin , dans L. BRISSON et al., Porphyre. La vie dePlotin II, p. 335-353, particulirement p. 350 et 353.

    4. P. HENRY, H.-R. SCHWYZER,Plotini Opera(editio maior), t. I, Paris, Bruxelles, Museum Lessianum (coll. Series Philosophica , XXXIII), 1951 ; P. HENRY, H.-R. SCHWYZER, Plotini Opera (editio minor), t. I,Oxford, Oxford Clarendon Press, 1964.

    5. . BRHIER,Plotin. Ennades, texte grec et traduction franaise, t. I, Paris, Les Belles Lettres, 1924. Dansla section Note sur la traduction (p. 32-33), Pigler crit : pour ne citer que quelques-uns des mo-tifs qui ont rendu cette nouvelle traduction indispensable , rappelons limportance des progrs que la re-cherche plotinienne a faits durant les cinquante dernires annes, ainsi que la parution des ditions, pour letexte grec, dHenry et Schwyzer, que ce soit leditio maiorou leditio minor,seules ditions valables pourqui veut entreprendre un travail de traduction de fond, et qumile Brhier navait videmment pas sadisposition pour son dition et sa traduction aux Belles Lettres (p. 33 ; nous soulignons).

    6. R. HARDER, Plotins Schriften, t. V, bersetzt von R. Harder, Neubearbeitung mit griechischem Lesetextund Anmerkungen fortgefhrt von R. Beutler und W. Theiler, Hambourg, Meiner, 1960.

    7. A.H. ARMSTRONG,Plotinus, with an English translation in seven volumes, t. I,EnneadsI, 1-9, Cambridge,Mass., Harvard University Press ; Londres, William Heinemann, 1967.

    8. J.

    IGAL,Porfirio.VidadePlotino.Plotino.EnadasI-II,introducciones,traduccionesynotas,Madrid,Gre-

    dos, 1982.9. M.CASAGLIA,C.GUIDELLI,A.LINGUITI,F.MORIANI,EnneadidiPlotino,volumeprimoI-III,Turin,Unio-

    ne Tipografico-Editrice Torinese, 1997.

    10. Nous citons le texte desEnnadesdaprs leditio minor.

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    le Bien ce quoi tout est suspendu11. Mais linsertion de la conjonction dans le syn-tagme ne lui donne videmment pas, ici, une valeur conclusive ou con-scutive ; et il tombera sous le sens que les traductions de Harder ou dArmstrong

    sont nettement prfrables, qui traduisent respectivement par Man mu ja von einerandern Seite her das als das Gute ansetzen, von dem alle Dinge abhngen , et par For, to put it another way, one must assume the Good to be that on which every-thing else depends12. De mme, en 3, 2-3, Pigler traduit la phrase , par Non, car chez le mchant, la vie est boiteuse ; elle est comme pour unil qui ne voit pas clairement et qui, de ce fait, ne peut accomplir sa propre fonc-tion . On ne voit pas ce qui justifie ou explique cette traduction de par de cefait . Il aurait, bien entendu, t possible de traduire comme Igal : Oh, no! La vidadel malo es renqueante, como lo es la del ojo que no ve con limpidez, porque nodesempea su funcin propia . Mais lon a plus probablement affaire, ici, un simplement explicatif (erklrend), et non pas justificatif (begrndend13), desorte que la traduction minimaliste dArmstrong, qui confre la ponctuation elle-mme le rle de signifier lintroduction dune explication, parat tre la meilleure : [] it is like an eye which does not see clear ; it is not doing its proper work .Sagissant maintenant des marqueurs de consquence, Pigler traduit, en 2, 5, la courtephrase par Ou plus exactement une image du Bien , en paraissantsinspirer dArmstrong, qui, plutt que dopter pour la traduction la plus obvie dutexte14, avait propos : In an image of the Good, that is to say. Mais si lexpres-

    sion that is to say est sans doute apte, en anglais, exprimer la valeur conclusivede , on ne saurait en dire autant de lexpression franaise ou plus exactement ,qui annonce bien plutt une rectification ou une prcision. En 2, 10-11, Pigler com-met trs certainement son erreur la plus lourde, lorsquelle choisit de traduire laphrase de conclusion du deuxime chapitre, , , par Maisltre qui possde la fois la vie et lintelligence tend doublementvers le Bien . Une telle traduction de la conjonction de coordination , en plusdtre en elle-mme hautement fantaisiste, dnote une incomprhension complte dupropos de Plotin dans les lignes 2, 9-11, qui dveloppe un argument dont la structureest si limpide quelle se passe de toute explication : Donc, ltre qui vit a pour bien

    la vie, et ltre qui prend part lintelligence a pour bien lintelligence.De sortequeltre qui possde et la vie et lintelligence, tend vers le Bien de deux manires .Enfin, chacun remarquera que la traduction, en 3, 7, de par cest que , rend laphrase totalement incomprhensible : Pourtant, si la vie et lme continuent dexis-ter aprs la mort, cest quela mort est un bien, dautant plus que lme exerce mieuxson activit propre sans le corps . La traduction de Casaglia respecte la cohrence de

    11. Tous les passages en italiques, dans les extraits de traductions que nous citons, ont t souligns par nous.

    12. Harder et Armstrong ont par ailleurs raison de traduire la particule ( von einer andern Seite et to

    put it another way ).13. Sur la distinction, voir E. SCHWYZER,Griechische Grammatik, zweiter Band, Syntax und syntaktische Sti-

    listik, vervollstndigt und hrsg. von A. DEBRUNNER, Munich, Beck, 19592, p. 560.

    14. Que retient, par exemple, Brhier : Il ne participe doncqu une image du Bien .

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    laffirmation de Plotin : Tuttavia, se dopo la morte vi sono vita ed anima, allorapo-trebbe esservi un bene, tanto maggiore quanto pi lanima svolge meglio la sua atti-vit senza il corpo .

    2) Pigler a par ailleurs omis de traduire certains mots, utiliss par Plotin pour ex-primer avec prcision sa pense. Nous ne donnerons que quelques exemples particu-lirement frappants, en reprenant les traductions de Pigler, et en y ajoutant, en itali-ques, les termes quil aurait t prfrable et facile de traduire :

    1, 13-15 : Ainsi, si le dsir et lactivit se dirigent vers le bien le meilleur, le Bien lemeilleur ne doit tendre vers rien dautre() ni rien dsirer dautre() . Lesdeux pronoms ne sont pas superftatoires, puisque, dans le trait39 (VI, 8), Plotinexplique que, en un sens, le Bien se veut lui-mme () (16, 22) et pos-sde une inclination () vers lui-mme (16, 24).

    1, 24-27 : Le soleil aussi() en est un paradigme : il est comme un centre doprovient la lumire qui dpend de lui.En tout cas(), elle est partout avec lui etne peut tre spare de lui .

    2, 1 : Quelle relation toutes les autres() choses ont-elles avec le Bien ?

    3, 19-22 : Nous devons dire que la vie incarne est, par elle-mme, un mal ; maislme accde au Bien par la vertu, en ne vivant pas la vie du compos mais en se s-parant ds maintenant (15) du corps . Ladverbe a ici pour fonction essen-tielle de signifier que la sparation peut avoir lieu alors mme que lme demeureincarne. Il permet donc Plotin dindiquer clairement, dans ce qui constitue la con-clusion du trait, quil existe une autre voie que celle du suicide.

    3) Enfin, on trouve, dans la traduction, plusieurs ngligences. Ainsi, on comprendmal pourquoi Pigler, dans le chapitre I, fait varier, en lespace de quelques lignes, latraduction de la prposition , qui constitue comme chacun sait lun des ter-mestechniquesduplotinisme,etdontiletparconsquenttprfrabledeproposerune traduction uniforme : (1, 8-9) est rendu par transcendetous les tres ; (1, 19), (1, 19-20) et (1, 20), sont traduits, respectivement, par au-del delessence , au-del delactivit et au-del delintelligence et de la pense ;

    et la clbre formule de RpubliqueVI, 509b, que Pigler, danssa n. 3, p. 42, met pourtant en parallle direct avec 1, 19, est rendue par dpasse deloinlessence . Par ailleurs, dans le chapitre III, Pigler traduit, de faon inexplicable,la phrase (3, 5), par Car la mortne peut arriverqu quelquun , plutt que par Car le malne peut arriver qu quelquun . Ellerend galement le de la ligne 3, 9 par avec elle , et ajoute entre crochets, pourexpliciter le rfrent du pronom, lme universelle , ce qui est bien sr inadmis-sible, puisque le syntagme avec elle nest pas une traduction littrale de ladverbe, qui signifie l ou l-bas . Si Pigler tenait vraiment paraphraser, elle et

    15. Ce sens de (sofort), assez frquent dans lesEnnades, correspond au second des trois sens tempo-rels de ladverbe distingus par R. KHNERet B. GERTH,Ausfhrliche Grammatik der griechischen Spra-che, Zweiter Teil, Satzlehre, Zweiter Band, Munich, Max Hueber Verlag, 1963, p. 122-123.

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    mieux fait de traduire , directement, par avec lme universelle16. Enfin, en 3,11, elle choisit de rendre la particule par et , alors que le sens en est trs claire-ment mais17. On notera en outre que le manque de soin affecte le franais. Ainsi,

    tout au long de sa traduction et de son commentaire, Pigler utilise comme de parfaitssynonymeslesexpressionsparticiperetparticiperde18,alorsquecesconstruc-tions ont en fait un sens distinct, participer signifiant proprement prendre part , et participer de , tenir de la nature de . Il et videmment fallu opter pourlune ou lautre construction, et respecter ce choix du dbut la fin.

    Nous avons dj signal que le commentaire propos par Pigler avait, par rapport la longueur et au contenu du texte, une ampleur disproportionne. Pour arriver cersultat, lauteur propose, en maints endroits, des rsums gnraux de divers aspectsde la philosophie de Plotin. Ces rsums auraient pu avoir, pour un lecteur nophyte,

    une certaine utilit, mais ils manquent souvent de clart19

    , et ils reclent, et l, desinexactitudes. Nous ne donnerons quun seul exemple. propos de la thorie plo-tinienne de lUn, Pigler affirme que lUn ne peut, proprement parler, tre lasource ou la cause des tres qui viennent aprs lui, parce quil est infiniment transcen-dant et radicalement autre (p. 64, n. 31). Il est vrai quen un passage, Plotin affirmeque mme lorsque nous disons quil [lUn]est cause (), ce nest pas luique nous attribuons un prdicat, mais nous-mmes, car cest nous qui avons en nousquelque chose qui vient de lui, alors que lui est en lui-mme20. Mais cette affir-mation, qui doit au demeurant tre comprise dans son contexte particulier, ne sauraitfaire contrepoids la plthore de passages o Plotin affirme sans ambages que lUn

    ou le Bien est principe (), source () ou cause (ou ) ;

    16. On remarquera toutefois quune traduction littrale de ladverbe donne un sens parfaitement transpa-rent la phrase, et demeure donc la meilleure option : Et si lme devient une partie de lme univer-selle, quel mal peut-il y avoir pour elle quand elle est l-bas ? .

    17. Et, somme toute, comme les dieux possdent le Bien sans aucun mal, de mme, pour lme qui a suprserver sa puret, il ny a pas de mal. Et () si elle na pas su se prserver pure, alors ce nest pas lamort qui est un mal pour elle, mais la vie (3, 9-12). Igal et Casaglia ont eu raison de traduire, respective-ment, par Perosi no la preserva, ser un mal para ella no la muerte, sino la vida , et par se invecenonla conserva, non la morte sarebbe un male per essa, ma la vita .

    18. Comme en tmoigne ce passage de la traduction : Mme les ralits inanimes ont part auBien, parce

    que toute ralit existante est un dune certaine faon et tant dune certaine faon. Et elles participentdela Forme, et parce que tout tre participe delunit de ltre et de la Forme, tout tre [inanim] parti-cipeaussi duBien. Ou plus exactement une image du Bien (p. 44).

    19. Comme lillustre le dveloppement suivant, propos comme amorce de commentaire la question soule-ve par Plotin en 3, 1 ( Si la vie est un bien, ce bien appartient-il [ncessairement] tout tre vivant ? ) : Puisque tout tre vivant est vivant du fait de son me, et puisque chaque me incarne est un fragment delme universelle qui, tout comme lIntelligence, procde de la surabondance du Bien et est le produit n-cessaire de la proto-vie, tout tre vivant a ncessairement la vie comme bien propre. En effet, parce quetout tre vivant est identique son me, sa vie est limage de la proto-vie ; de ce fait, le bien propre deltre vivant est la vie car par elle, cest--dire par lme qui lanime, il participe au Bien (10 [V, 1], 1, 1-3). Lme est ainsi la raison et la cause de lexistence de tout ce qui est et, bien videmment, de lexistencede ltre vivant. Bien plus, cest lme qui existe dans ltre vivant dont elle a produit lexistence. Lmeest donc cause de la vie, et la vie est lagathonde tout tre vivant. Lme est ainsi tout la fois le principe

    dindividuation de chaque tre vivant et son principe biologique, dans la mesure o elle est la somme deses fonctions biologiques (p. 106-107).

    20. Trait 9(VI, 9), 3, 49-51. Nous citons ici lexcellente traduction de P. HADOT,Plotin. Trait 9(VI, 9), in-troduction, traduction, commentaire et notes, Paris, Cerf, 1994.

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    et elle ne saurait faire contrepoids au fait que nombre de thses mtaphysiques typi-quement plotiniennes sont des corrlats directs de lide que lUn est cause efficienteoufinale,notammentlemodlemmedelaprocessionetdelaconversion,oulathse,

    si centrale chez Plotin, selon laquelle ce qui est parfait produit21. Pigler enchane enoutre, dans le mme passage, en crivant qu il serait tout aussi incorrect, proposduBienplotinien,deparlerdesanature,mmesilexpressionsetrouvedansPlaton,Philbe, 60c10. Car le Bien, tout comme lUn, est pos par lAlexandrin au-del deltre et de la nature (p. 64, n. 31). Ces affirmations sont radicalement fausses.Comme la en effet trs bien montr Paul Aubin dans un livre quon gagnerait liredavantage, non seulement on trouve, dans les Ennades, une cinquantaine de passa-ges qui parlent clairement de la naturedu Bien ou de lUn22, mais le mot natureappliqu lUn nest jamais accompagn dun de ces qui relativisent son sujetlusage de hupostasis, vie, nergieet surtout ousie23. De surcrot, alors que lesEn-nadesne cessent de dclarer que lUn est au-del du monde de lIntellect et au-del de lousie, elles ne disent [nulle part]quil se situe au-del de la nature24 .En fait, bien plus que du Philbe, Plotin pouvait sautoriser, pour appliquer le termeau Bien ou lUn, de la LettreII attribue Platon, dont on connat limpor-tance ses yeux25, et o il est question dans la Doctrine secrte [en 312d]de lanature du Premier[26].

    Finalement, dans lappendice, La matire prcosmique comme principe den-tropiepourlestresvivantssensibles27,Piglerprsentecommeunpointacquislen-gendrement de la matire prcosmique28 par lme infrieure (p. 149), puis

    elle dveloppe lide selon laquelle cette matire aurait un rle minemment actif[]danslaproductiondumal (p. 160), au sens o, comme laffirme le trait51(I,8), elle possderait une sorte de volont (p. 158), et un pouvoir de communiquer

    21. Voir notamment Trait 10(V, 1), 6, 37-39, o Plotin affirme : . M. ATKINSONa parfaitement raison de noter, propos de ces lignes : Perfection is seen by Plotinus in terms of power, since it is power which makes creation possible (cf. IV8, 6, 12 ff.). The One as the is the creative source of the whole Plotinian system (Plot-inus : Ennead V.1. On the Three Principal Hypostases , a commentary with translation, Oxford, OxfordUniversity Press, 1983, p. 148).

    22. P. AUBIN, Plotin et le christianisme. Triade plotinienne et Trinit chrtienne, Paris, Beauchesne, 1992,

    p. 199. Et, sur cette cinquantaine de passages, une vingtaine prsente explicitement lexpression (la) na-turedu Bien, ce qui attire dautant plus lattention que naturede lIntellect et naturede lme sontbien plus rares (ibid.).

    23. Ibid. En fait, comme le rsume G. LEROUX, par le terme Plotin donne une lgitimit un langagequi en serait autrement dpourvu (Plotin. Trait sur la libert et la volont de lUn [Ennade VI, 8 (39)],introduction, texte grec, traduction et commentaire, Paris, Vrin, 1990, p. 333-334).

    24. P. Aubin,Plotin et le christianisme , p. 201.

    25. Voir notamment lindex fontium donn dans P. HENRY, H.-R SCHWYZER, Plotini Opera (editio minor),spcialement p. 349.

    26. P. AUBIN,Plotin et le christianisme , p. 199.

    27. Qui comprend galement son lot daffirmations surprenantes, par exemple : La matire sensible est []une ousia (p. 150), ou la contemplation des beauts dici-bas mne, ncessairement, la rminiscence

    du Beau en soi (p. 163 ; nous soulignons). Rappelons que, selon Plotin, trs peu dmes peuvent accder la rminiscence du Beau en soi.

    28. La matire prcosmique se distingue, selon lauteur, de la matire sensible, qui est la matire prcos-mique lorsquelle a t revtue dune forme par lme infrieure (p. 149).

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    sa nature propre aux corps (p. 158). La matire serait donc un principe indpen-dant du mal (p. 160), et Plotin admettrait bel et bien, comme le montre derechef letrait51, lexistence de deux principes (p. 159). Mais Pigler, aprs avoir avanc

    ces conclusions, cherche les attnuer, en faisant valoir quen 51 (I, 8), 15, 23-26,Plotin assigne au mal un statut ternellement infrieur au Bien (p. 160), ce qui lamne, dans le tout dernier paragraphe de son appendice, affirmer la fois que lemal, cest la matire , qui nest nullementprincipe (p. 163 ; nous soulignons), etque la matire reprsente un pouvoir actifimpensable mais rel, qui vient mineretcontredire, ici-bas, le dynamisme vital-actif de lenergeia de la proto-vie et de lasurabondance vitale du Bien (p. 163 ; nous soulignons). En somme, dans cet appen-dice, Pigler pose et dcrit certains des termes de lpineux problme du mal et de lamatire chez Plotin, mais elle napporte rien pour le rsoudre.

    On aura donc compris, partir des remarques qui prcdent, que la contributionde Pigler reste en de de la huitaine dautres ouvrages, de haute tenue scientifique,qui sont parus jusquici dans la mme collection. En fait, comme le prcdent livre delauteur29permettait desprer davantage, nous souponnons que son ouvrage na pasbnfici dun retravail suffisant, ce que paraissent illustrer les nombreuses coquillesqui le parsment30. Il est par ailleurs difficile dentrevoir la raison pour laquelle, sur lacouverture du livre, la dernire phrase du trait est cite dans une traduction31qui dif-fre significativement de celle donne lintrieur32.

    29. A. PIGLER,Plotin. Une mtaphysique de lAmour, Paris, Vrin, 2002.

    30. Beaucoup de citations en grec, notamment, renferment au moins une erreur. Voir par exemple p. 39, n. 1 ;p. 42, n. 3 ; p. 92, n. 8 ; p. 94, n. 18 ; p. 121, n. 30 ; p. 160, n. 47.

    31. Nous devons dire que la vie incarne est, par elle-mme, un mal ; mais lme accde au Bien par la vertu,par le fait quelle ne vit pas comme un compos (de matire et de forme) mais comme si elle tait dj elle-

    mme spare (du corps) (nous soulignons). On remarquera que, dans cette version, ladverbe a ttraduit.

    32. Nous devons dire que la vie incarne est, par elle-mme, un mal ; mais lme accde au Bien par la vertu,en ne vivant pas la vie du compos mais en se sparant elle-mme du corps (nous soulignons).