abrégé de démonologie_vaquier jean

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    VAQUI Abrg de dmonologie

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    AB RG DE DMONOLOGIE

    JEAN VAQUI

    Application de la Dmonologie Chrtienne la crise de la Socit Contemporaine.

    INTRODUCTIONQuelle peut tre, notre poque, lutilit dune tude sur la dmonologie chrtienne ? Un

    examen, mme superficiel, de ltat du monde dans ses rapports avec le Crateur, nouspersuade facilement que les forces du mal sont au maximum de leur puissance : elles nontjamais t si grandes ni si universellement organises.

    Or la socit humaine est soumise une volution dont les organes moteurs sigent dansles hautes instances des congrgations initiatiques. Mais il est manifeste que les membres deces hautes instances vont chercher leur inspiration dans la mystique lucifrienne. Pourconnatre, autant quil est possible, la stratgie mondiale qui est ainsi mise en application, il fautscruter, du mieux que lon peut, les ambitions de lesprit mauvais qui est, en dernire analyse,linspirateur de cette fausse mystique.

    Si donc on veut comprendre le fonctionnement et lide de manuvre politique et religieusedes confrries initiatiques, il est devenu ncessaire de connatre le comportement habituel desesprits dchus. Cest ce que nous avons essay de faire dans le travail qui va suivre.

    I. LA SCIENCE DU BIEN ET LA SCIENCE DU MAL

    La Sainte criture donne aux dmons des dnominations trs diverses. Essayons de nousfaire une ide de la frquence avec laquelle ils sont nomms. Nous aurons ainsi une premireopinion sur limportance qui leur est rserve dans lenseignement divin.

    Un prcieux instrument de travail va nous permettre doprer ce recensement : cest le Dic-tionnaire des Concordances. Tous les mots que lon rencontre dans le texte de lcriture y ontfait lobjet dun dcompte rigoureux. Chaque mot de la Bible constitue un article de ce curieuxdictionnaire. On y indique les rfrences des passages o chacun est employ. Il va nous trefacile de totaliser les passages scripturaires dans lesquels apparaissent les dmons quelle quesoit la dnomination sous laquelle ils sont dsigns.

    Diverses dnominationsdes dmons

    Ancien Testament Nouveau Testament

    Diabolus

    Satanas

    Draco

    Serpens

    Leviathan

    Bhmoth

    Belial

    Baal

    BeelzebuthBeelphegor

    6

    13

    36

    26

    6

    1

    12

    46

    46

    34

    33

    12

    16

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    Diverses dnominationsdes dmons

    Ancien Testament Nouveau Testament

    Mammon

    Malus-Malum

    Bestia

    Infernum

    Ghenne

    TartareTotal : 1073

    0

    651

    0

    58

    1

    0

    866

    4

    44

    33 (Apoc.)

    11

    10

    1

    207

    Ce total de 1 073 mentions scripturaires ne comprend pas les versets o les dmons sontdsigns par des locutions composes, parce que ces locutions ne figurent pas dans lesdictionnaires de concordances. Ce sont par exemple : les esprits de malice, les lgions delorgueil, les puissances des tnbres, les esprits de rvolte, les enfants de la colre, les fils deperdition, le Prince de ce monde, ladversaire.

    Et pourtant ces expressions reviennent trs souvent dans le texte sacr. Si nous pouvionsles recenser elles aussi, elles augmenteraient notablement le total que nous venons de trouver.

    Pour tre complet, il faudrait encore rpertorier mais cest impossible, toutes les allgories etles paraboles dans lesquelles les dmons sont dsigns par des images, par exemple celle dusemeur divraie ou celle du voleur qui perce la maison. On conoit quil y en aurait une grandequantit.

    Lcriture Sainte nous apporte donc une abondante rvlation concernant les esprits mau-vais. Enseignement prcieux car ces esprits appartiennent au monde invisible. Nous nepouvons pas les observer par lexprience sensible et nous ne saurions les connatre que parrvlation.

    Ainsi lcriture contient, non seulement la science du bien, cest dire la science de Dieu,mais encore la science du mal, cest dire la science de lennemi de Dieu, qui est aussilennemi du genre humain. Et cette science du mal nous est aussi ncessaire que la science dubien puisquelle nous enseigne la nature et les uvres des ennemis invisibles contre lesquelsnous avons combattre au cours de notre prilleux chemin sur la terre.

    Lcriture, rpercute par les Pres, la Liturgie et le Magistre, nous rvle non seulement le

    Verbe Incarn, mais aussi son adversaire ; rvlation qui nous est absolument indispensable.Et si on lui enlevait tout ce qui concerne le dmon, on lui terait la moiti de ce quelle contient.On stonne ds lors du peu dimportance qui est donn lAdversaire dans les discours delglise conciliaire.

    La prsence spirituelle des dmons sur la Terre constitue ce que saint Paul nomme le mys-tre diniquit. Elle a pos aux hommes, depuis toujours, le terrible problme du mal. Cetimmmorial problme a t la pierre dachoppement de bien des philosophes et de bien desfondateurs de religion qui nont pas su le rsoudre correctement, privs quils taient de lavritable et authentique Rvlation divine.

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    II. LES ANGES ET LES HOMMES DANS LA PENSE DIVINE

    Lhomme a trois ennemis redouter : le dmon, le monde et lui-mme. Cest sur le premierde ces trois ennemis, le dmon, que nous ferons porter notre investigation. Nous allons tudierlaffrontement des hommes et des dmons. Tel est le sujet de cette tude.

    Or les dmons sont des anges chasss du ciel. Ils ont conserv, en grande partie, leurnature anglique. Pour connatre nos ennemis il faut donc que nous connaissions dabord lanature anglique. Mais pour tudier la nature anglique, il faut que nous remontions laurorede la cration.

    Au commencement Dieu cra le ciel et la terre (Gen. I, 1).

    Dans ce texte, daprs la plupart des commentateurs, le mot Ciel dsigne lensemble desesprits clestes ; il dsigne le monde des esprits invisibles, cest--dire les anges. Et la Terredsigne lensemble du monde matriel, en y incluant lhomme, qui en fait partie, puisque leCrateur a tir de la terre la substance du corps humain.

    Toutes les cratures appartiennent, soit au monde des esprits, soit au monde des corps. Il

    ressort nettement du texte de la Gense que Dieu na pas cr de monde intermdiaire. Or laplupart des gnostiques daujourdhui enseignent, plus ou moins ouvertement, lexistence dunmonde intermdiaire. Les Chrtiens doivent se tenir en garde contre cette notion errone du monde intermdiaire .

    Ces deux mondes, le monde invisible des anges et le monde visible de lhomme, Dieu lescra en mme temps. Celui qui vit dans lternit cra tout en mme temps. Qui vivit internum creavit omnia simul(Eccl. XVIII,1).

    Il cra, dun seul coup tous les anges et, en mme temps, il fit sortir aussi du nant, dun seulcoup galement, toute la substance dont il allait avoir besoin et dont il constitua ce que lonnomme le chaos. Ce chaos, qui ntait dailleurs pas le dsordre mais seulement la matireinforme de lunivers, il en poursuivit lorganisation au cours de six interventions divines osexera encore sa puissance cratrice. Ces six oprations divines successives sont les sixjours de la cration. Les six jours crateurs sont appels Hexamron .

    Cest donc au commencement que les anges ont t crs. Pour corroborer cettecroyance tout fait universelle dans lglise, on invoque en particulier ces trois versets du livrede Job :

    Qui a fix les dimensions de la Terre ? Le sais-tu ? Qui a tendu sur elle le cordeau ?Sur quoi ses bases reposent elles ? Ou qui en a pos la pierre angulaire, quand les as-tres du matin chantaient en chur et que tous les fils de Dieu poussaient des crisdallgresse (Job. XXXVIII, 5-7).

    Les fils de Dieu et les astres du matin , ce sont les anges. Ils sont dits du matin prcisment parce quils ont t crs au commencement.

    Ce point bien tabli, avanons dans notre raisonnement. Les moyens par lesquels Dieuprocde Ses uvres extrieures sont appeles Ses voies. Or que nous rvle lcritureconcernant les voies de Dieu ?

    Univers vi Dornini rnisericordia et veritas. Toutes les voies du Seigneur sont misri-corde et vrit (Ps. XXIV, 10, Vulg.).

    Cette ide quil existe une dualit et un quilibre entre la misricordeet la vrit, lcritureSainte la rpte avec une insistance qui ne peut pas passer inaperue et qui a certainementune signification.

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    Seulement pour bien observer cette insistance, il faut recourir la version latine de la Vul-gate, car des traductions franaises, sans doute pour viter la monotonie dans lexpression,traduisent misericordia et veritas par une srie de termes approximatifs, ce qui empchede remarquer la rptition qui existe dans le texte lui-mme. Voici quelques passages parmi lesplus notables :

    Que Votre misricorde et Votre vrit me soutiennent toujours (Ps. XXXIX,12). Chargez Votre misricorde et Votre vrit de le garder (Ps. LX, 8).

    La misricorde et la vrit se sont rencontres (Ps. LXXXIV,11).

    La misricorde et la vrit prparent le bien (Prov. XIV,22).

    La misricorde et la vrit rachtent les iniquits (Prov. XVI,6).

    La misricorde et la vrit veillent sur le roi (Prov. XX,28).

    Tous ces passages sont rsums par le verset que nous avons cit le premier. Reprenons-lemaintenant car il convient de bien le garder en mmoire :

    Toutes les voles du Seigneur sont misricorde et vrit (Ps XXIV,10).

    Cela signifie que, parmi les uvres de Dieu, les unes relvent plus spcialement de Samisricorde, tandis que les autres sont destines faire apparatre plus particulirement Savrit.

    Dfinissons maintenant ce que sont la vrit et la misricorde de Dieu. La vrit de Dieu,cest sa rigueur.Les commentateurs assimilent la vrit de Dieu Sa justice. Les deux motsde vrit et de justice sont mme souvent employs lun pour lautre. Or la justice de Dieu estrigoureuse, elle est exacte, cest--dire vraie. Elle rend chacun ce qui lui est d et elle ne faitpas acception de personne . Elle demande tre satisfaite avec rigueur.

    On entend par misricorde divine tout ce qui relve de Sa bont, de Sa bnignit, de Sacondescendance, de Sa dilection et de Sa prdilection. Alors que la justice (ou vrit) de Dieudfinit la rgle, la misricorde rgne sur lexception. Cest la misricorde qui inspire toutes lestendresses du cur divin. Elle prside aux prfrences. Il est une crature qui personnifie lamisricorde divine dune manire surminente, cest la Vierge Marie. Dieu la comble de la plnitude de Ses grces . Elle est la crature de prdilection par excellence.

    Mais alors comment Dieu, qui ne fait pas acception de personne , selon Sa justice, peut-ilavoir des prfrences selon Sa misricorde ? Va-t-on dfinir la misricorde comme tantlinjustice ? Comment la misricorde et la vrit de Dieu sont-elles compatibles ? Cest videm-ment bien mystrieux. ce mystre sapplique la fameuse sentence de lcriture :

    Mes penses ne sont pas vos penses et Mes voies ne sont pas vos voies. Mes pensessont autant au dessus de vos penses, et Mes voies autant au dessus de vos voies que le cielest au dessus de la terre (Isae LV,8).

    Et pourtant, il ne faudrait pas sautoriser de ce mystre pour penser quil y ait en Dieu lamoindre trace dinjustice cest dire de mal. Saint Paul, qui connat lobjection, la devance enaffirmant bien :

    Y a-t-il de linjustice en Dieu ? Loin de l ! Car Il a dit Mose : Je ferai misricorde quiJe veux faire misricorde, et Jaurai compassion de qui Je veux avoir compassion (Rom. IX,15).

    Dieu, qui est juste envers chacune de Ses cratures, manifeste des prfrences pour certai-nes, sans pour cela porter aucun prjudice aux autres. Cest tout le sens de la parabole desouvriers de la onzime heure. Faudrait-il que notre il soit mauvais parce que Dieu est bon ? Ilny a pas en Dieu la moindre trace dinjustice ni la moindre trace de mal.

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    Nous savons maintenant que Dieu fait tout, soit conformment Sa misricorde, soit enfonction de Sa justice. Sachant cela nous allons mieux comprendre ce que peut reprsenter lanature anglique compare la nature humaine.

    Les anges sont issus dune pense divine de justice (on dit aussi de vrit). Les angesadorent particulirement la vrit de Dieu, Sa justice, il faut mme dire Sa rigueur. Et en retour

    Dieu glorifie en eux linnocence, limpeccabilit. Les anges sont placs autour de Dieu pourtre Ses messagers rigoureux :

    Bnissez le Seigneur, vous tous ses anges, qui tes puissants et forts, et qui excutez Sesparoles, dociles Sa voix et Ses commandements (Introt de la Messe votive des anges).

    De leur ct, les hommes sont issus dune pense divine de misricorde. Ce qui attire leurreconnaissance cest la misricorde de Dieu. Et en retour Dieu glorifie en eux, non pluslinnocence comme pour les anges, mais la pnitence.

    Cette application aux hommes et aux anges de la distinction entre la misricorde et la vritpeut paratre sommaire. Elle est en effet simplificatrice. Mais cest elle, en dernire analyse, qui

    explique que les hommes aient t rachets alors que les anges ne lont pas t.III. LA NATURE ANGLIQUE DES DMONS

    Connaissant maintenant lorigine des anges et des hommes dans la pense divine, nouscomprendrons mieux les raisons de leurs diffrences de nature.

    La substance spirituelle constitutive des anges va rappeler la simplicit de la vrit de Dieu.Les anges sont constitus dune substance spirituelle simple. Ils ne sont pas des trescomposs, comme les hommes. De cette simplicit constitutive, lintelligence anglique varetirer ses deux principaux traits : la promptitude et la rectitude.

    Lintelligence anglique sexerce avec promptitude. Pas de parties diverses mettre dac-

    cord, pas de dlibration pralable, donc pas dhsitation. Ange signifie messager. Les angessont crs pour tre des messagers rapides. Rapides, ils le sont naturellement aussi dans leursdductions. Ils voient, dun seul regard de lesprit, les ultimes consquences de leurs dcisions.Aussi dit-on souvent que leur pense nest pas discursive.

    Lintelligence anglique sexerce galement avec rectitude. Elle juge avec droiture, cest--dire avec une logique parfaite. Elle aime, en Dieu, ce qui est rigoureux.

    Ainsi faits de promptitude et de rectitude, les anges ont t crs libres. Dieu veut quiladhrent librement aux lois quIl a tablies pour rgler leurs activits.

    Que va-t-il se passer si les anges, usant mal de cette libert, viennent transgresser la loi

    divine, cest--dire prvariquer ? Ils vont encourir un chtiment, bien entendu, mais ils vontcependant conserver leur nature anglique, laquelle ne leur est pas enleve puisque Dieu nese repent pas de ce quIl a fait . Ils vont conserver leur promptitude et leur rectitude constituti-ves.

    Mais alors cette promptitude et cette rectitude vont tre dtournes de leur finalit. Elles vonttre dvies. Elles vont sexercer rebours de leur activit normale. La nature anglique vasubsister mais elle va subir une distorsion.

    Nous avons vu que, du fait de la promptitude de leur intelligence, il ny a pas dhsitationchez les anges. Mais alors il ne va pas non plus y avoir de repentance chez les dmons. Ilsvont apercevoir, dun seul regard, les consquences de leur dcision. Et sils prvariquent, cest

    quils se prfrent Dieu avec une volont farouche. La pntration de leur intelligence devaitprcisment leur viter tout mouvement de rvolte en leur en montrant laboutissement.

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    Nous tenons l un des traits essentiels de la mentalit dmoniaque, lobstination. Toutce que font les dmons se retourne contre eux ; ils le savent et pourtant ils le font. Ils neveulent, ni rtrograder, ni mme sarrter en chemin. Rappelons ici le proverbe chrtien bienconnu : errare humanum est, perseverare diabolicum.

    Lobstination est, en effet, diabolique. Elle lest chez les dmons mais elle lest aussi chez les

    hommes.Sur ce sujet, citons un passage de saint Basile :

    Les anges ont reu leur nature par le Verbe ; leur saintet y a t ajoute par le SaintEsprit. Ce nest pas par lexercice progressif des vertus que les anges sont devenus dignes derecevoir le Saint Esprit, mais cest par un don gratuit quils ont reu la saintet, un don ajout leur nature au moment de leur cration et pntrant leur tre ; cest pourquoi ils ne peuvent quedifficilement pcher.

    Que va devenir, chez les dmons, la rectitude de lintelligence anglique ? Elle va demeureren eux mais elle sera dsormais utilise contresens. Elle va devenir la logique intempestive

    si caractristique des dcisions dmoniaques. Le dmon reste un logicien aux dductionsrigoureuses parce que telle est sa nature dange. Mais, du fait de la prvarication, il ny a plusde vrit en lui. Le mcanisme de son raisonnement restera le mme, et cest le contenu desa pense qui sera chang. Il appliquera des penses fausses, un raisonnement logique.

    Quand il raisonne, le dmon sait davance quelle conclusion il veut aboutir. Et cette conclu-sion est videmment fausse puisquil ny a plus de vrit en lui. Alors de deux choses lune :

    ou bien il est oblig de partir dun postulat juste, mais alors il lui fera subir une srie dedviations insensibles pour arriver la conclusion qui est prtablie ;

    ou bien, quand il le pourra, il posera un postulat faux afin de parvenir la conclusion quilsest fixe, aprs un raisonnement dune logique irrprochable.

    Il faut bien se garder dentamer la conversation avec un tel logicien car on est battudavance. La logique du dmon est la logique de la rvolte, rvolte quelle va prolongerjusqu ses dernires consquences, jusqu ses extrmits les plus folles.

    Lentnbrement des dmons a envahi leur substance spirituelle tout entire parce quelleest homogne et ne prsente aucune coupure capable de limiter linvasion. Les anges ne sontpas des tres fragiles et frangibles. Dieu leur avait donn une solidit qui les mettait labri detoute perturbation, si leur libre volont ft reste bonne. Il a fallu aux anges rvolts un hautdegr de malice et une prodigieuse volont, pour prfrer les tnbres la lumire. Oncomprend que Dieu ne soit pas tenu de leur faire misricorde.

    La mentalit dmoniaque doit, sa nature anglique, deux traits essentiels : lobstinationet la logique. Nous devons nous attendre retrouver ces deux traits dans les habitudes despritdes humains qui se font des imitateurs des dmons. Tous ceux que Lucifer entrane, il en ferades obstins et des raisonneurs.

    IV. LES HIRARCHIES ANGLIQUES

    Nous ne pouvons pas aller plus loin sans exposer la doctrine de lglise sur la structure deshirarchies angliques telle quelle se prsentait avant la rprobation dune partie des anges.Car cest cette structure initiale qui va nous clairer sur la composition de la masse desdmons.

    La description des hirarchies clestes a donn lieu quelques hsitations, comme biendautres notions religieuses. Il a fallu que le Magistre intervienne pour dmler le vrai du fauxau milieu des opinions diverses.

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    Finalement cest la doctrine de saint Denis lAropagite, celle qui avait t la premire expri-me, qui finit par triompher. Saint Denis dclarait tenir sa doctrine sur les anges de saint Paul.Elle reut plus tard lappui de saint Augustin puis celui, dcisif, du Pape saint Grgoire le Grand.

    Selon saint Denis, les anges sont rpartis en trois hirarchies.

    La premire hirarchie est la plus proche de Dieu. Elle comprend, son tour, trois churs :le chur des sraphins, celui des chrubins et celui des trnes.

    Les sraphins sont des archanges brlant du feu de lamour de Dieu. Ils enflamment dece feu les archanges qui sont au dessous deux.

    Puis vient le chur des chrubins. Leur intelligence diffre de celle des sraphins. Ilssont remplis de la science de Dieu. Ce qui les nourrit cest plus la connaissance quelamour de Dieu. leur tour, ils refltent cette science divine et ils en illuminent leschurs infrieurs.

    Vient ensuite le chur des trnes dont le trait essentiel est la solidit. Ce nom de trneleur a t donn prcisment parce que Dieu aime se reposer sur leur robustesse

    comme on se repose sur un trne stable. On peut donc dire que les trnes ont lhonneurde soutenir Dieu.

    La deuxime hirarchie, qui vient au-dessous, comprend les trois churs des dominations,des vertus et des puissances.

    Le chur des dominations. Les dominations sont des archanges sur lesquels on nepeut pas faire pression. Ils sont libres de toute influence. Aussi sont-ils, auprs des autreschurs, mme auprs de ceux qui leur sont suprieurs, les intermdiaires de lautoritdivine. On dit quelquefois quils ont des fonctions dordre militaire.

    Le chur des vertus. Ces esprits diffusent la force divine aux churs infrieurs. On dit

    que cest par les vertus clestes que se font les miracles, lesquels sont, en effet, desmanifestations de la force divine, modifiant les lois de la cration dans un cas particulier.

    Le chur des puissances. Certains commentateurs estiment que les puissances reoi-vent la garde des cits terrestres, des grands collges, des nations et des corps consti-tus.

    La troisime hirarchie est la plus loigne de Dieu. Elle comprend, comme les deux au-tres, trois churs : le chur des principauts, celui des archanges et celui des anges.

    Les anges et les archanges donnent lieu une particularit linguistique quil faut signa-ler. Il sagit du phnomne bien connu de la partie prise pour le tout. Dans le langagecourant on donne le nom danges tous les esprits clestes sans distinction de hirar-chie. Dans ce sens, un sraphin est un ange. On prend la partie pour le tout en gnrali-sant lappellation dange qui nest strictement exacte que pour le chur infrieur. Lemme phnomne se reproduit pour le mot archange . On appelle ainsi tous les es-prits clestes qui sont suprieurs aux anges au sens strict . On parlera de larchangeGabriel, tant bien entendu quil appartient indubitablement un chur trs suprieur celui des archanges au sens strict .

    Pourquoi cette habitude de langage ? Probablement parce quon est rest longtemps danslincertitude quant la vritable composition des hirarchies clestes. On les a longtempsconfondus sous la mme dnomination, ce qui nest pas substantiellement faux puisquils onttous la mme nature spirituelle.

    Posons-nous maintenant une autre question. Do proviennent les noms des churs angli-ques ? Ils viennent tous de lcriture Sainte. Ange et archange se rencontrent chaque pagede lAncien et du Nouveau Testament. Sraphins et Chrubins sont ainsi nomms par les livres

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    prophtiques. Quant aux cinq autres noms, ils se rencontrent dans les ptres de saint Paul auxphsiens et aux Colossiens :

    ...Lui qui est le chef de toute Principaut et de toute Puissance (Col. II,10).

    ...supra omnem Principatum et potestatem et Virtutem et Dominationem... (Eph. I,21).

    Nous pourrions videmment entrer dans bien dautres dtails intressants. Mais nous avonsvoulu seulement exposer ce dont nous avons besoin pour comprendre la composition ducollge des dmons. Car nous verrons plus loin que lon rencontre en enfer des anges des neufchurs. La population de lenfer est donc compose dlments trs diffrents les uns desautres. On va y rencontrer de grands sraphins dchus, comme aussi de simples anges, quiont suivi la rvolte. Cette large chelle de capacits spirituelles nest pas sans influencer,dabord le comportement des dmons les uns envers les autres, et ensuite leur comportement lgard des hommes. La digression que nous avons faite tait donc indispensable.

    Il est ncessaire dapporter ici une prcision. Les dmons conservent entre eux les diffren-ces hirarchiques quils avaient dans le Ciel. Tous cependant, quel que soit leur rang, souffrent

    dune dgradation gnrale lgard des esprits rests fidles. Un mauvais ange, hirarchi-quement suprieur par nature un bon ange, est soumis au pouvoir de ce dernier.

    V. LES CIRCONSTANCES DE LPREUVE

    Cest une vrit de foi que : une partie des anges sest dtourne de Dieu et se tient songard dans une hostilit ternelle. Une question se pose donc immanquablement lesprit : lasuite de quelles circonstances ces anges se sont-ils dtourns de Dieu. Quelle est lpreuvequi a entran cette prvarication des anges ? La prvarication, cest le refus dexcuter sesobligations.

    La nature de cette preuve nest pas clairement connue. On est rduit des hypothses.

    Nous avons choisi celle de ces hypothses qui coordonne le mieux les connaissances certainessur les anges et sur le Verbe Incarn. Il est bien vident que les anges connaissaient, dslorigine, la prcarit de leur situation et de leur statut. Ils savaient quils avaient t tirs dunant par Dieu et que par consquent ils se trouvaient dune certaine manire, suspendus entreDieu et le nant, tant quils nauraient pas t, dune faon ou dune autre, intgrs Dieu. Lastabilisation de leur tat bienheureux ne pouvait rsulter que de leur participation la vie divine.

    Les anges se trouvaient, ctait lvidence, dans une situation transitoire et prparatoire. Lesthologiens disent, trs justement, quils taient en tat de voie et ils ajoutent quils en avaientconscience.

    Les commentateurs saccordent penser que les anges possdaient dj une profonde

    science de Dieu. Cest ainsi quils distinguaient les Trois Personnes de la Sainte Trinit. Ilsconnaissaient le Logos comme agent de la puissance extrieure de Dieu. Mais jusquo allaitcette science ? Et en particulier pouvaient-ils connatre par avance la mystrieuse Incarnationdu Logos ?

    Cest dans cet tat de voie , dans cette situation dexpectative, que les anges assistrent Iuvre des six jours , cest--dire la Cration de lunivers matriel et celle de lhomme.Cest alors que vint leur preuve. Voici en quoi elle a consist.

    Pour prouver les anges, donc, Dieu leur montre, par anticipation, limage du Verbe Incarnqui devait tre, quand la plnitude des temps serait rvolue, lAdorateur suprme de Dieu et leMdiateur universel entre Lui et la Cration, bref le Pontife et le Roi de lUnivers visible et

    invisible. Et Il leur montra aussi la femme privilgie qui devait tre la Mre de cet Homme-Dieu.

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    On peut penser qu ce spectacle un frmissement immense parcourut les hirarchies cles-tes et quune prodigieuse motion les sidra. Ainsi lHomme-Dieu qui leur tait montr,sinterposerait un jour entre la Cration et la Divinit. Cest Lui qui assurerait la mdiation. CestLui qui transmettrait Dieu ladoration des cratures clestes et terrestres. Cest Lui aussi quidispenserait laide surnaturelle sans laquelle la participation la vie divine nest pas ralisable.

    Cest devant Lui que toutes les hirarchies angliques devraient sincliner comme tant lepremier personnage de lunivers.

    Les anges, qui navaient jamais connu personne entre eux et le Tout-Puissant, et qui luiadressaient dj directement leurs adorations, allaient devoir sincliner devant le trne universeldu Verbe Incarn non seulement pour lui confier leurs adorations, mais encore pour recevoir deLui, dans leur tat de voie la grce ncessaire leur sanctification.

    Il faudrait tre un ange pour mesurer la tension et leffervescence qui parcourut la courcleste lannonce dun dcret aussi mystrieux et devant une telle mutation.

    Lucifer refusa la souverainet du Verbe Incarn. Son implacable logique lui dicta une dci-sion effrayante. Il refusa sa soumission lAdorateur Suprme parce qutant lui-mmeplac au sommet des hirarchies spirituelles, il voulait transmettre directement Dieu, comme illavait toujours fait, sa propre adoration qui tait exemplaire.

    Et il refusa de recevoir, du Mdiateur Universel , laide gracieuse ncessaire son adop-tion divine parce quil sestimait capable de parvenir la sanctification par les seules vertusnaturelles dont il tait abondamment dot.

    De plus il ne voulait pas dpendre dun Homme-Dieu qui ne serait pas un pur esprit puisquiltirerait de la terre la substance de son corps. Plus radical encore fut son refus de sinclinerdevant la Mre de Dieu qui serait une crature simplement humaine et que lon prtendaitlui imposer comme Reine des Anges.

    Quelques commentateurs et quelques mystiques pensent mme que Lucifer pcha vnielle-ment en refusant la suprmatie du Verbe Incarn mais mortellement en refusant celle de laMre de Dieu. Cest lui, Lucifer, estimait-il, qui tait dsign, en toute logique et donc en toutejustice, pour devenir ladorateur suprme et le mdiateur universel par qui la participation lavie divine devait soprer. Bref, lHomme-Dieu lui prenait la place quil croyait lui tre due, luiLucifer, en toute justice. Telles furent ses penses en cette preuve capitale.

    On comprend que cette preuve ait comport, pour un ange, une certaine difficult. Mais ellentait pas impossible surmonter. Il ntait pas plus difficile, pour un ange, de sincliner devantun Homme-Dieu quil est difficile pour un homme, de sincliner devant une hostie qui nest, dansses apparences, quun produit vgtal. De plus lintelligence anglique tait faite pour aperce-

    voir, en un clair, les consquences long terme de la rvolte.Cest au Verbe Incarn que sadresse le fameux non serviam de Lucifer. Ce non ser-viam sest rpercut, dcho en cho, parmi les anges et les hommes. Notre Seigneurlentendit autour de Lui quand Il vint sur la terre, comme Il le dit Lui-mme dans cette parabole :

    Un homme de haute naissance sen alla dans un pays lointain pour prendre possession duroyaume et pour y revenir par la suite ...Mais les citoyens de ce pays le harassaient et ilsenvoyrent une dputation derrire lui pour dire :

    Nous ne voulons pas que cet homme rgne sur nous. (Luc XIX,12-14).

    VI. LE RECRUTEMENT DES RVOLTS

    Et voil Lucifer parcourant les neuf churs des anges pour sy constituer un parti, afin defaire pression sur Dieu par le nombre. Quel discours tint-il tous ces esprits ? On connat les

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    deux grands thmes quil dveloppait : Je serai comme Dieu , et vous serez comme desdieux .

    Refusant la suprmatie universelle de lHomme-Dieu, Lucifer est entran par la fatalit deson insoumission et il se comporte lui-mme comme sil tait lAnge-Dieu. Sa logique implaca-ble lui inspire une audace implacable : il rclame un pouvoir et un culte. Ilparcourt les neuf

    churs en prchant sa rvolte et en mme temps sa suprmatie. Et les neuf churs sonttouchs par leffervescence et la contagion ; pas un seul chur nest pargn, ni le plus lev,celui des sraphins, ni le plus bas, celui des anges. Lucifer fit des adeptes partout. Mais aucunchur non plus ne sombra en entier.

    Quelle est la proportion des anges qui prirent le parti de Lucifer rvolt ? Certains commenta-teurs de lcriture pensent que le tiers des anges se laissa entraner la prvarication ; ils sefondent sur le passage suivant de lApocalypse :

    ...tout coup on vit un grand dragon rouge, ayant sept ttes et dix cornes, et sur ses ttessept diadmes ; de sa queue il entranait le tiers des toiles du ciel et il les jette sur la terre (Apoc. XII,3-4).

    loppos du parti lucifrien, il se trouva des anges des neuf churs pour conserver laconscience de leur nant originel et pour accepter la grce ncessaire leur sanctification, decet Homme-Dieu dont la cour cleste venait de recevoir la Rvlation.

    On sait quun hros se distingua parmi tous, saint Michel, que lon appelle archange maisqui tait certainement beaucoup plus quun archange. la devise du hros de lorgueil : jeserai comme Dieu , il opposa la devise de lhumilit : Quis ut Deus ? Qui est commeDieu ? .

    Elle devint un mot dordre et circula dans les neuf churs. Les anges fidles non seulementreconnurent le Verbe Incarn comme leur matre, mais encore ils se mirent en dsirer

    lavnement avec ce zle ardent que les anges peuvent dployer. Et cest pourquoi lOint duSeigneur, ce premier personnage de la Cration, est appel, dans lcriture Sainte : le dsirdes collines ternelles (Gen. XLIX, 26).

    Qui sont les collines ternelles ? Ce sont les anges fidles que lhumilit avait grandis etqui taient devenus des minences . Quant au dsir lui-mme, cest lOint du Seigneur.

    Et pourquoi les anges Lont-ils dsir ? Cest parce que Dieu ne veut pas descendre si londoit Lui rester indiffrent. Il dsire tre dsir, car Il ne veut contraindre personne. Il montre sesplans pour faire soupirer aprs leur ralisation. Cest une loi mystrieuse de laction divine laquelle lOint lui-mme se soumet, puisque le Pre le conjure en ces termes :

    Demande-Moi et Je Te donnerai les nations pour hritage et pour limites les extrmi-ts de la Terre. (Ps. II, 8).

    Ainsi, le Verbe Incarn Lui-mme est tenu de demander (postulare) un hritage qui Lui estpourtant destin. Les anges ont t soumis la mme loi et cest pourquoi lOint du Seigneurest appel le dsir des collines ternelles .

    VII. LABANDON DES DEMEURES

    On connat, par lptre de saint Jude, lune des modalits de la rvolte des anges. Il faut lanoter avec soin parce quon en retrouve les consquences, sur la terre et toutes les poques,dans le comportement des hommes et des rassemblements humains que le dmon inspire.

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    Parlant des anges dchus que Jsus retient enchans pour le jour du Jugement, saint Judefait allusion une circonstance particulirement importante de leur rvolte. Il parle de :

    ces anges qui nont pas conserv leur principaut, mais qui ont abandonn leur propredemeure (Jude, 5-6).

    Saint Jude exprime ici deux ides, conjointes mais distinctes ; par le mot principaut , ilexprime lide de dsertion de la fonction ; et par le mot demeure , lide dabandon de larsidence. Les anges rvolts ne se sont plus contents des principauts que Dieu leur avaitconfies ; ils ont vis plus haut. Puis ils ont abandonn leur demeure, cest--dire quils se sontexclus eux-mmes de la hirarchie anglique et quils ont constitu un parti, contestant lespouvoirs du Verbe Incarn et exigeant de le remplacer par un pur esprit nayant rien decommun avec la matire.

    Dans le langage humain, nous pourrions dire que les mauvais anges, au dbut de leur r-volte, sont descendus dans la rue . Ils ont envahi les parvis du ciel pour sy livrer unevritable manifestation de dsobissance et de revendication.

    En quoi cet abandon des principauts et des demeures peut-il nous intresser aujourdhui ?Cest quil a marqu pour toujours la psychologie dmoniaque. Le dmon sobstinera dsormaisdans la logique de cet abandon primordial. Le voil sans fonction et sans place attitre. Avec luitous les anges rvolts sont devenus des astres errants. Cette modalit de leur rvolte estdevenue pour eux un caractre acquis et dfinitif :

    Ces astres errants auxquels dpaisses tnbres sont rserves pour lternit (Jude,13).

    Ils vont pratiquer lerrance qui est devenu leur manire dexercer le pouvoir : tre prsentpartout cherchant qui dvorer . Un des premiers versets du livre de Job dcrit ce comporte-ment errant en des termes concrets :

    Et Yahweh dit Satan : do viens-tu ? Satan rpondit Yahweh en disant : de parcourirle monde et de my promener. (Job I, 7).

    Les esprits dchus sont des tres gyrovagues. La prgrination est le lot des inquiets. Can,aprs le meurtre dAbel, a t, condamn par Dieu lerrance : ...tu seras errant et fugitif surla terre (Gen IV, 12).

    Les dmons, dge en ge, vont communiquer ce got de lubiquit aux hommes quilsauront sous leur coupe. Lesprit gyrovague dnote une influence mauvaise ; il nest pas autrechose que lhorreur et la crainte de se trouver en face de soi-mme. Il est le symptme desconsciences qui ne sont pas en repos. Il est une forme de cette inquitude indlbile qui tenailleles esprits rvolts, quils soient anges ou hommes.

    Cest bien souvent par la non-rsidence que commencent les troubles : autrefois par la non-rsidence des vques dans leurs cathdrales, aujourdhui par la non-rsidence des mresdans leurs foyers.

    Le sagede lcriture, au contraire, se tient sous son figuier, cest--dire se contente desa principaut et de sa demeure. Il naspire point se trouver partout la fois parce quilnambitionne pas de tout surveiller. Il a lesprit de stabilitqui favorise la contemplation et quiprocure la compagnie de Dieu. Dans la chrtient du Moyen-ge, bien des monastresajoutaient, aux trois vux habituels, le vu de stabilit.

    VIII. UN COMBAT DANS LE CIEL

    Abandonnant donc leurs principauts et leurs demeures, les anges rvolts se rassemblentsur le parvis du ciel. Cest l que va se drouler la grande bataille.

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    Et il y eut un combat dans le ciel :Michel et ses anges combattirent contre le dragon ; etle dragon et ses anges combattaient ; mais ils ne purent vaincre, et leur place mme ne setrouva plus dans le ciel (Apoc. XII, 7-8).

    cette poque, il ny avait encore ni enfer, ni schol. Cest dans le ciel mme que la mlesest produite, au milieu de ce que nous avons appel le parvis pour emprunter une expression

    concrte.Le dragon, cest Lucifer. Il est plein de lui-mme, dune prodigieuse intelligence, dune im-

    peccable logique, dune implacable volont, dune activit sans repos, dune redoutable habiletmanuvrire. Il se sait extrmement fort.

    Et comme ses troupes sont nombreuses, il peut penser quelles vont dominer le parti deshumbles et des obissants. Elles vont le vaincre. Et il faut reconnatre que, selon ltat desforces naturelles qui sont en prsence, cest peut-tre ce qui se serait produit.

    IX. LE TRNE AU DESSUS DES TOILES

    Observons maintenant Lucifer et ses anges, expulss quils sont dans les tnbres ext-rieures. Ils ne vont pas sy dplacer librement ltat dispers. Mais avant dexaminer dansquel lieu et dans quelles conditions ils vont tre confins, il faut essayer de comprendre quellessont les dispositions spirituelles des anges dchus, leur sortie du ciel.

    Nous savons dj que leur nature anglique ne leur a pas t enleve. Elle sest seulemententnbre. Mais maintenant un caractre acquis est venu simprimer en eux. Ils vont dsor-mais rester fixs dans la logique de la rvolte. Ils vont pousser lesprit de rvolte jusqu sesplus effroyables consquences.

    Un texte capital du prophte Isae dcrit les ambitions de Lucifer. Au chapitre XIV, le pro-phte contemple, dans lavenir, la ruine finale du grand dragon et il exprime sa stupfaction

    devant la dchance dun esprit originellement aussi lev : Comment es-tu tomb du Ciel, Lucifer, fils de laurore ? Comment tes-tu renvers par

    terre, toi le destructeur des nations ? (Isae XIV, 12).

    Le prophte donne Lucifer le nom de fils de laurore parce quil a t cr, comme tousles anges, au commencement, cest--dire laurore du monde.

    Et Isae stonne de cette ruine quand il la compare aux ambitions inimaginables que Luciferruminait au moment o il excitait les anges abandonner leur propre demeure :

    Toi qui disais en ton cur : Je monterai dans le Ciel : jtablirai mon trne au dessus destoiles de Dieu ; je massirai sur la montagne du testament, dans les flancs de lAquilon ; je

    monterai au-dessus des hautes nues ; je serai semblable au Trs Haut. (Isae XIV, 12-15).Et nous navons pas l seulement le programme de la rvolte des anges. Le texte dIsae

    nous rvle aussi le plan qui sera dsormais celui de Lucifer dans son action auprs deshommes.

    Il faudrait bnficier de lassistance du Saint Esprit pour comprendre ce que signifient desimages comme : au dessus des toiles de Dieu , la montagne du testament , les flancsde lAquilon , au-dessus des hautes nues .

    Bien que ne les comprenant pas parfaitement, nous devons conserver ces expressionsprophtiques prsentes lesprit. Elles ont eu ou elles auront certainement leur application aucours de lhistoire humaine puisque aucune parole de Dieu ne revient Lui sans avoir texcute.

    Comment le grand dragon peut-il nourrir des ambitions aussi exorbitantes ? Comment gravirla montagne du testament ? Comment tablir son trne au-dessus des nues ? Comment sortir

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    en conqurant des flancs de lAquilon ? Par qui se faire adorer comme semblable au TrsHaut ? Sur qui exercer cette suprmatie pour laquelle il se croit fait ?

    Ces prtentions sont dautant plus irralisables, pour linstant, que le cortge des rprouvs,serpente maintenant dans les tnbres extrieures, vers labme qui lui est dsign.

    X. LES DEUX ENFERS DE LANCIENNE LOIQuelle est la condition des dmons dans labme o ils ont t projets ?

    Cet abme occupe une position infrieure. Pour y accder, selon tous les textes de lcriture,il faut descendre. Cest labme den-bas. Saint Jean parle du puits de labme et de sa clef :

    Et je vis une toile qui tait tombe du Ciel sur la Terre, et on lui donna la clef du puits delabme (Apoc. IX, 1).

    Ce sjour infrieur est appel lenfer. Mais il porte aussi dautres noms. Cest ainsi que saintPierre lappelle le Tartare :

    ...Dieu na pas pargn les anges pcheurs mais Il les a prcipits dans le Tartare et les alivrs aux abmes des tnbres, o Il les garde en rserve pour le jugement (Il Petr. II, 4).

    Peut-on connatre plus exactement la situation de ce Tartare ? Parlant de sa Rsurrectionquil annonait pour le troisime jour aprs sa mort, Notre Seigneur sexprimait ainsi :

    Cette gnration mauvaise et adultre rclame un signe : il ne lui sera pas donn dautresigne que le signe de Jonas. Car de mme que Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventredu poisson, de mme le Fils de lhomme sera trois jours et trois nuits dans le cur de la terre(in corde terr) (Math. XII, 39-40).

    Les commentateurs estiment que lexpression in corde terr ne dsigne pas seulementson tombeau mais aussi et surtout lenfer dans les profondeurs duquel lme de Notre Seigneur

    est reste pendant trois jours.Pourquoi les textes sacrs crivent-ils souvent les enfers au pluriel ? Parce que, sous lem-

    pire de lAncienne Loi, il existait deux enfers : linfrieur et le suprieur.

    Lenfer infrieur est labme qui reoit les dmons et les mes des hommes criminels. Cestun sjour o lon subit la peine du dam laquelle consiste ne pas voir Dieu et donc vivresans soleil, dans les tnbres. On y subit aussi la peine de la brlure.

    Lenfer suprieur est celui qui reoit les mes des justes. Lcriture lui donne en hbreu lenom de Schol et en grec le nom de Hads. Les scolastiques, plus tard, devaient lappelerlimbus patrum ou limbes des patriarches . Cest ce mme schol qui est dsign par

    lexpression image le sein dAbraham. Nous dirions le giron dAbraham ; les justes dfuntstant supposs venir sasseoir sur les genoux du Pre des croyants, ou se rfugier sous sonmanteau.

    Les habitants du schol sont eux aussi privs de la vision de Dieu. Mais ils sont cependantillumins par lesprance den jouir un jour quand les temps seront rvolus. De sorte quils nevivent pas dans les tnbres comme les damns, mais dans la pnombre. Le schol nest pasun sjour de malheur. Lme y vgte dans une lthargie pacifique. Lantique liturgie romaine,au moment du mmento des morts, parle encore de ceux qui dorment du sommeil de la paix :qui dormiunt in somno pacis.

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    Ce que nous savons du schol par lcriture nous permet de le dfinir comme une anticham-bre du Ciel. Les mes des justes y attendent louverture du ciel. Et pourtant il ne fait aucundoute quil appartient aux enfers. Cest une demeure infrieure, on ne monte pas au schol, ony descend. Il est voisin de labme des dmons. Le saint homme Job, par exemple, se lamentesur son me infortune et il dit :

    quelle est descendue aux portes du schol (Job XVII, 16).Les proverbes parlent des ...profondeurs du schol (Prov. IX, 18).

    Le prophte Isae parle aussi du schol et de ses profondeurs (Isae XIV, 9).

    Il est certain que le schol est voisin de labme.

    Nous lapprenons de la bouche mme de Notre Seigneur :

    Or il arriva que le pauvre Lazare mourut et il fut emport par les anges dans le seindAbraham. Le riche Lazare aussi mourut et on lui donna une spulture. Dans lenfer, il leva lesyeux, en proie aux tourments, et il aperut de loin Abraham et Lazare dans son sein. (Luc XVI,

    22-24).Tout est bien pes dans ce texte de saint Luc. Le pauvre Lazare est bien dans le sein

    dAbraham , cest--dire dans le schol, tandis que le riche est bien en enfer. Le riche lveles yeux parce que lenfer est plus bas que le schol. Mais il peut quand mme lapercevoirde loin parce que le schol est, sinon proche, du moins voisin de labme o il se trouve lui-mme.

    Et pourquoi le schol et labme sont-ils voisins ? Puisque le schol est lantichambre du ciel,il devrait logiquement tre situ proximit du ciel. Or prcisment il est voisin de labme.Pourquoi cela ? Parce quil ny a pas encore de Ciel pour les mes des justes dfunts. Et, silny a pas de Ciel pour les humains, cest que le Verbe Incarn nest pas encore venu pour

    leur prparer une place auprs du Pre . Cest ce quil doit faire pendant le temps comprisentre la Rsurrection et lAscension.

    Que votre cur ne se trouble point : croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Il y a des de-meures nombreuses dans la maison de mon Pre ; autrement, je vous laurais dit, car je menvais vous prparer une place. Et lorsque je men serais all et que je vous aurais prpar uneplace, je reviendrai et je vous prendrai auprs de moi... (Jean XIV, 1-3).

    Et nous serions encore sous le rgime du schol de lancienne loi si le Sauveur ntait pasvenu. Car enfin de quoi le Sauveur nous a-t-il sauvs ? Il nous a sauvs de lenfer. Sil ne nousavait pas rachets, les justes dentre nous seraient promis au sommeil et la pnombre duschol et ils seraient privs de la vision batifique.

    Cest la visite de Jsus-Christ aux enfers qui mit fin au rgime dattente qutait le schol.Comme le disent les Pres, il descendit aux enfers pour vangliser les justes, cest--dire pourleur annoncer la bonne nouvelle du royaume . Il leur annona quune place venait de leurtre prpare, que le royaume ternel allait souvrir pour eux et quils y feraient bientt leurentre avec Lui le jour de lAscension.

    XI. LINFESTATION DE LA TERRE

    Saint Pierre nous apprend que les dmons, dans lenfer, sont gards en rserve pour lejugement (Il Petr. II, 4). Saint Jude reprend la mme ide dans un texte que nous avons djcit pour une autre raison :

    Jsus retient pour le jugement du grand jour, lis de chanes ternelles, les anges quinont pas conserv leur principaut, mais qui ont abandonn leur propre demeure (Jude, 6).

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    Avant donc que le jugement du grand jour ne soit intervenu, les dmons sont dits en r-serve . Sans doute leurs chanes sont ternelles, cest--dire que leur tat de damnation nesera pas rvis. Mais leur statut dfinitif ne leur sera inflig que par le jugement dernier. Ilssubiront alors la seconde mort et seront jets dans ltang de feu :

    Puis la mort et lenfer seront jets dans ltang de feu : cest la seconde mort, ltang de

    feu (Apoc. XX, 14).Cest donc seulement aprs le jugement dernier que les verrous seront referms sur les

    dmons

    avec la clef qui ferme et personne nouvre (Apoc. III, 7).

    XII. LE PRINCE DE CE MONDE

    Il ne fait pas de doute quAdam fut constitu, ds lorigine, Roi et Pontife : tel estlenseignement constant de lcole. Et sans le drame de la chute, il aurait conserv cette doubleprrogative jusqu la plnitude des temps , cest--dire jusquau jour de lAvnement du

    Verbe Incarn, qui est le vritable Roi-Pontife de la cration. Le premier Adam ntaitdestin qu annoncer et prparer la venue de lOint du Seigneur , lequel est appel aussi le Nouvel Adam .

    Nous avons vu que Satan avait reu le pouvoir de rder, dans latmosphre terrestre, autourde nos premiers parents en vue de les mettre lpreuve. Une preuve avait t ncessairepour que les anges soient confirms dans leur tat et dans leur sjour clestes. De mme unepreuve tait ncessaire pour que lhomme soit confirm dans son tat de perfection originelle.

    Il a t donn certaines mes mystiques le privilge de voir quAdam et ve, usant de leurlibert, avaient dabord commis des fautes vnielles, spontanment, cest--dire sans y trepousss par une stimulation dmoniaque. Ce sont ces fautes vnielles qui ont donn Satan

    un prtexte, et comme un droit, sapprocher deux pour les tenter ; elles constituaient unefissure par o il est entr.

    Voil donc Satan piant Adam qui est une prfiguration de lOint futur dont il a reu lannonceet quil excre depuis son viction du ciel. Il demande Dieu la permission de mettre Adam lpreuve. Comme bien des millnaires plus tard il demandera encore Dieu la permission demettre les Aptres lpreuve : cest cet pisode que Notre Seigneur rapporte en disant :

    Voici que Satan vous a rclam pour vous cribler comme le froment (Luc, XXII, 31).

    Dans quel arbre le serpent est-il apparu ? Il est apparu prcisment dans larbre de laconnaissance du bien et du mal dont le fruit devait faire comprendre nos premiers parentsquil existait dans lunivers non seulement un Dieu Bon mais aussi un adversaire du Dieu Bon,adversaire gnrateur du mal. Cet arbre tait bon par lui-mme, comme tout ce qui sortait de lamain de Dieu. Et son fruit devait tre consomm un jour par lhomme quand le temps seraitvenu. Mais ce qui fut nfaste, ce fut sa consommation prmature.

    Le dmon avait hte de faire chuter le premier homme. Il est dun naturel fbrile, nouslavons vu, et il veut toujours anticiper sur les plans de Dieu. Mais aussi, en se htant, il voulaitsurprendre lhomme un moment o sa maturit pour consommer un tel fruit ntait pas encoreralise.

    Les Docteurs ont raison de dire que la faute dAdam fut inconcevable. Elle constitue unvritable mystre. Mais ce que lon oublie trop souvent cest que sa pnitence, elle aussi, futinconcevable. Quand notre premier pre assistait au dlabrement progressif de sa famille, de lasocit humaine, du monde animal, du monde vgtal et quil voyait en lui-mme lorigine detout ce dsordre, il subissait une pnitence dune effroyable lourdeur, surtout pour lui qui avaitconnu lexemption de tous ces maux. Nous devons le plaindre comme lon plaint un pre

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    malheureux et non pas laccabler comme on le fait trop souvent. Car lequel dentre nouspourrait se vanter davoir fait mieux sa place ?

    La faute est maintenant commise. Adam est descendu de son trne royal et pontifical. Qui vadsormais sasseoir sur ce trne laiss vacant ?

    Dans lordre de la nature, cest la loi du plus fort. Celui qui remplace le vaincu dans sesdroits, cest le vainqueur. Cest Satan qui va donc remplacer Adam comme roi et commepontife. Mais Satan est un pur esprit : il est invisible lil humain, il ne peut pas rgnerouvertement ; il ne peut exercer quune principaut invisible. Et cest parce quil est trsrellement investi de cette principaut invisible que Notre Seigneur parlera de lui comme tantle Prince de ce monde.

    Pour que cette principaut invisible de Satan sur le monde se concrtise visiblement, ilfaudra quil arrive se matrialiser dans un homme, ralisant ainsi une sorte dincarnation.Cette personnification humaine de Satan, ce sera lAntchrist. Il ny aura pas vritableincarnation, bien entendu, mais plutt une possession dmoniaque son plus haut degr.

    Or nous savons que lAntchrist ne doit apparatre qu la fin des temps. Pendant le cours delHistoire Humaine, cet Antchrist aura nanmoins des prfigurations. Il se lvera de mauvaisrois et, dans les fausses religions de mauvais pontifes, qui se conduiront, toutes proportionsgardes, comme des antchrists. Une des premires prfigurations de lAntchrist a tralise par le personnage de Nemrod.

    Dans lordre de la Grce, le vritable titulaire du trne dAdam est le Verbe Incarn. Le pre-mier Adam , avant la chute, ne faisait que tenir la place et prparer les hommes lAvnementdu Nouvel Adam. Cest pour lui quest fait le trne universel ; le royaume est fait pour le roi.Cette dvolution en deux phases, une phase prparatoire et une phase dfinitive, est rappeledans le passage suivant de lvangile :

    Un homme de haute naissance vint dans un pays lointain pour prendre possession duroyaume et pour y revenir par la suite (Luc XIX,12).

    Cet homme de haute naissance, cest Notre Seigneur. Lors de son avnement dhumilit, ilest venu une premire fois pour prendre possession du royaume, en droit. Puis il est remont la droite du Pre pour attendre la plnitude des temps . Lors de son avnement deMajest, il reviendra pour exercer en fait la royaut ternelle.

    La principaut invisible de Satan sur le monde, que Notre Seigneur lui reconnat quand il luidonne le titre de Prince de ce monde , nest en dfinitive que celle dun usurpateur. SaintBernard en a trs bien vu la prcarit quand il crit :

    Ainsi cette sorte de pouvoir que le dmon sest acquis sans justice, quil a mme usurpavec malice, ne laisse pas de lui avoir t attribu avec justice. Mais sil tait juste que lhommefut esclave, la justice ne se trouvait ni du ct de lhomme, ni du ct du dmon ; elle tait toutentire du ct de Dieu. (Saint Bernard, Des erreurs dAblard).

    XIII. LE JOUR DE LHOMME

    Le septime jour est le jour de lhomme. Comment cela ?

    Quand Dieu eut achev Iuvre des Six Jours , Il se reposa, cest--dire quIl cessadexercer Sa puissance cratrice :

    Et Dieu se reposa le septime jour de toutes les uvres quIl avait faites (Gen. II, 2).

    Sa dernire uvre cratrice est la formation de Notre Mre ve.Dsormais, commence le septime jour. La cration est pourvue dun dynamisme interne et

    dune force dinertie initiale. Dieu sen retire comme Crateur et ny laisse que Sa Providence.

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    lhomme maintenant de faire ses uvres et ses preuves. Dieu va le confronter avec unadversaire spirituel contre lequel il faut quil se dfende. Lpreuve sera difficile parce que larcompense doit tre grandiose. Rien nest mdiocre en Dieu.

    Nallons pas attribuer Dieu une douceur sans virilit. Le procd de la tentation nest pasdnu dune certaine rigueur :

    Parce que vous tiez agrable Dieu, il tait ncessaire que la tentation vnt vous prou-ver (Tob. XII, 13).

    Et inversement :

    Le Seigneur votre Dieu vous tente pour quil apparaisse visiblement si vous Laimez (Deut. XIII, 3).

    Il va falloir un combat car, sans combat, pas de rcompense :

    Celui qui combat dans la carrire ne sera couronn quaprs avoir lgitimement combattu (Tim. II, 5).

    Bienheureux lhomme qui souffre la tentation, parce quaprs avoir t prouv, il recevrala couronne de vie que Dieu a promise ceux qui Laiment (Jacques I, 12).

    Lagent de lpreuve, ladversaire de ce combat, cest Satan :

    Le dmon votre ennemi tourne autour de vous comme un lion rugissant, cherchant quidvorer (I Petr. V, 8).

    Nous avons un exemple de la main vigoureuse de Dieu dans le cas du Roi Sal quil veutpunir dune faute grave :

    LEsprit de Yahweh se retira de Sal, et un esprit mauvais de Yahweh fondit sur lui. Lesserviteurs de Sal dirent : Voici quun mauvais esprit de Dieu fond sur toi (I Sam. XVI, 14-15).

    Le lendemain, un esprit mauvais envoy par Dieu fondit sur Sal, et il eut des transports aumilieu de sa maison (I Sam. XVIII, 10).

    Quelques temps plus tard encore :

    Alors le mauvais esprit de Yahweh fut sur Sal, pendant quil tait dans sa maison (I Sam. XVIII, 10).

    Lexpression un esprit mauvais de Dieu est laconique mais claire. Les esprits de malice,tout rprouvs quils sont, nen restent pas moins, comme au temps o ils taient des anges, dociles Sa voix et Ses commandements , mais par force maintenant.

    Permission est donc donne aux dmons de quitter lenfer et de remonter sur la terre. Ils nyremonteront pas tous en mme temps. Ils y seront appels par Dieu proportion des fauteshumaines qui seront commises, cest--dire des droits que les hommes abandonneront sur eux-mmes aux dmons.

    Il est donc logique de penser que le nombre des dmons qui hantent la terre est de plus enplus grand. Cest bien ce qui semble se passer en effet. Certaines mes mystiques disent, pourlavoir observ dans leurs visions, qu la fin des temps, il ne restera presque plus de dmonsdans lenfer. Ils seront, dans leur quasi totalit, sur la terre.

    Arrivs sur la terre, alors quils chercheront qui dvorer, les dmons vont-ils affectionnercertains lieux particuliers ? Leur lment de prdilection va incontestablement tre llment de

    lair. Quand saint Paul veut nous fournir des prcisions sur nos tentateurs, il nous dit : Vous agissiez autrefois selon le prince de cette puissance de lair, selon lesprit qui mainte-nant opre dans les fils de dsobissance (Eph. II, 2).

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    On comprend que les tres spirituels que sont rests les dmons affectionnent llmentarien :

    Car nous navons pas seulement lutter contre la chair et le sang, mais contre les princes,contre les puissances, contre les dominateurs de ce monde de tnbres, contre les esprits demalice rpandus dans les airs (Eph. VI, 12).

    Lexpression de saint Paul est mme forte puisquil dit in clestibus, cest--dire danslatmosphre . Toutes les substances matrielles, et pas seulement lair, peuvent servir desupport des dmons. Cest pourquoi il faut exorciser les matires, comme le sel et leau, donton se sert pour les Sacrements. On sait ainsi quils affectionnent les lieux arides. Qui ne gardeen mmoire la phrase vanglique : Quand un dmon est sorti dun homme, il va par les lieuxarides, cherchant du repos .

    XIV. LES COMBATS SINGULIERS

    Pendant toute la dure du jour de lhomme , cest--dire jusqu la fin des temps, le princede ce monde va mener, contre lhumanit, un combat la fois collectif et individuel.

    Collectivement, il va sattaquer aux institutions temporelles et spirituelles, soit en infestantcelles qui existent en dehors de lui, soit en crant des organismes dont il sera le fondateur et lematre. Nous tudierons plus loin cette forme collective de la lutte.

    Individuellement, il va investir chaque homme pris en particulier, tournant autour de lui sanslui laisser de trve. Cest cette forme individuelle de la bataille que nous allons observermaintenant.

    Voil donc les hommes et les dmons face face dans dinnombrables combats singuliers.Mais les adversaires sont trs dissemblables. Les dmons sont des esprits simples, autrefoislimpides et maintenant troubles. Les hommes au contraire sont composs de deux substances,

    lune charnelle qui nest quune forme spciale de la matire, lautre spirituelle, analogue celledes anges. Chaque combat singulier va mettre aux prises un attaquant, cest--dire un ouplusieurs dmons, et un attaqu, cest--dire un homme, quil soit encore indemne ou quil soitdj bless.

    Voyons dabord le comportement du dmon attaquant. Va-t-il sen prendre de prfrence aucorps ou lme ? Dieu ne lui a pas donn de pouvoir direct sur le corps humain. Selon les loisnaturelles, un dmon ne peut pas tuer un homme. Mais il peut le mettre progressivement dansun tat de dchance qui entranera la mort.

    Cest ainsi, par exemple, quil peut lui suggrer de se suicider. Tout le monde sait quil yparvient souvent.

    Quels sont les pouvoirs du dmon sur lme humaine ? L encore, selon les lois de la nature,le dmon na pas non plus le pouvoir direct de tuer lme. Tuer une me, cest obtenir sonconsentement une rvolte dlibre et obstine contre Dieu. Or il existe, dans lme humaine,un for interne dans lequel le dmon ne peut pas entrer. Il ne peut pas deviner la pense intimedune me qui se rfugie au for interne . Et donc il ne peut pas obtenir delle, si lme nyconsent pas, lobstination qui la tuerait.

    Si le dmon na de pouvoirs directs ni sur le corps ni sur lme, comment va-t-il sy prendrepour attaquer lhomme ? Il va viser la partie fragile cest--dire la zone de suture entre lme etle corps. Or tous les matres de la vie spirituelle enseignent que cette zone sensible cestlimagination. Cest dans limagination que les sensations, en provenance des organes

    sensoriels, se transforment en penses. Et ils ajoutent que le dmon a le pouvoir dexacerberlimagination ; il peut intensifier les images sensorielles afin dintensifier les penses qui vont enrsulter et de crer ainsi des passions qui sont des forces psychologiques indisciplines et

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    violentes. Les passions rotiques sont les plus typiques de ces passions, mais elles ne sont pasles seules. Il y a aussi toutes les ambitions, celles qui drivent de largent, du pouvoir, deshonneurs. Il y a aussi les jouissances artistiques et intellectuelles qui peuvent senfler enpassions drgles. Cest donc sur cette zone de limagination sensible que le dmon va faireporter son effort. Cest par cette zone de fragilit quil va entrer dans lme.

    Voyons maintenant quels peuvent tre les comportements de lme ainsi attaque.Dans son combat singulier, lme humaine possde un refuge intrieur et elle reoit aussi

    une aide extrieure.

    Le refuge intrieur, nous le connaissons, cest le for interne, autrement dit la partie sup-rieure de lme, celle qui est oriente vers Dieu. Le dmon ny a pas naturellement accs. Maislme, parce quelle possde son libre arbitre, a le pouvoir douvrir librement son for interne linfluence du dmon. Ds lors que le dmon sera entr dans lme par la porte basse delimagination sensible, il ne lui restera plus qu se faire sduisant et obtenir lentre du forinterne afin dentretenir avec lme une conversation intime.

    Lissue du combat individuel va donc dpendre de la volont libre de lme. Car le for internenest pas radicalement imprenable. Il est plac sous la dpendance de la volont. Il ne resteune citadelle que dans la mesure o la volont en ferme la porte. Lme peut renoncer lamfiance, cder la sduction et souvrir la conversation dmoniaque.

    Mais alors la malice, qui est entre dans lme par lexaltation des images sensibles, vaenvahir la zone raisonnable et donner naissance, chez lhomme sans volont, la malice delesprit. Cest la malice favorite des intellectuels. Le catchisme du Concile de Trente(d. Itinraires, p. 548) attire lattention sur cette malice de lesprit. Elle comprend, dit-il, lespassions qui appartiennent la partie suprieure de lme. Elles sont dautant plus dangereu-ses et plus criminelles que la raison et lesprit sont au dessus de la nature et des sens .

    Cette malice de lesprit est trs rpandue dans les socits de pense et les confrriesinitiatiques o elle est considre, non pas comme une malice, mais comme une vertu.

    Livre ses seules forces humaines, lme est-elle capable de soutenir lattaque des d-mons ? Les pres du Concile de Trente ne le pensent pas :

    Qui osera, aprs cela, se croire en sret avec ses propres forces ? .

    Aussi Dieu accorde-t-il une aide extrieure :

    Nous avons, pour nous aider, un Pontife qui peut compatir nos infirmits, ayant lui-mmet tent et prouv en toutes choses (Hb. IV, 15).

    Saint Paul se fait l lcho du vieil enseignement des psaumes :

    ...Qui est un rocher, si ce nest notre Dieu ? ...Qui me fait tenir debout sur mes hauteurs ;qui forme mes mains au combat et mes mains tendent larc dairain (Ps. XVII, 32-35).

    On connat aussi la clbre phrase de saint Paul :

    Aucune tentation ne vous est survenue, qui nait t humaine ; et Dieu, qui est fidle, nepermettra pas que vous soyez tents au del de vos forces ; mais, avec la tentation, Il mnage-ra aussi une heureuse issue en vous donnant le pouvoir de la supporter (I Cor X,13).

    Ce pouvoir de rsister nous est envoy du Ciel par Jsus-Christ.

    Les combats singuliers sont ncessaires parce quune preuve est ncessaire en ce monde

    qui est essentiellement provisoire et probatoire. Celui qui combat dans la carrire ne sera couronn quaprs avoir lgitimement combat-

    tu . (Tim. II,5).

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    Bienheureux lhomme qui souffre la tentation, parce quaprs avoir t prouv, il recevrala couronne de vie que Dieu a promise ceux qui Laiment (Jacques I, 12).

    Les combats singuliers psent dun grand poids sur lvolution du monde. Cest de leurssuccs ou de leurs checs que dpendent les droits du dmon venir infester aussi lesinstitutions temporelles et spirituelles. Sans ces victoires individuelles, il ne pourrait pas planter

    un jour le drapeau de lAntchrist sur la socit humaine. Ne nous tonnons pas de souffririndividuellement de linvasion collective de Satan puisque nous en sommes en partie responsa-bles. Tous punis parce que tous coupables.

    XV. LA POSTRIT DU SERPENT

    Sadressant au serpent, aprs lpisode de la tentation, Dieu lui dit :

    Je mettrai des inimitis entre toi et la femme, entre ta postrit et sa postrit (Gen. III,15).

    Que doit-on entendre par ce terme un peu mystrieux de postrit ? Le texte de la Vulgate

    porte le mot semen, littralement semence , que lon traduit couramment par postrit oudescendance. Il y a donc deux postrits, celle de la femme et celle du serpent.

    Selon lopinion traditionnelle, la postrit de la femme dsigne Notre-Seigneur Jsus-Christ.En effet, lidentification de Notre-Seigneur avec la Postrit de la femme se justifie double-ment. En premier lieu parce que la femme par excellence cest Marie dont la postrit estprcisment lobjet de linimiti du serpent. Et en second lieu parce que la postrit parexcellence dve, cest N.S.J.C, dont elle est laeule et qui est, quant Lui, son plus illustre etplus parfait descendant.

    Mais qui est donc la postrit du serpent ? Le serpent na pas de descendance humaine. Ilne peut donc sagir que dune filiation spirituelle. Le personnage qui sera le plus conforme

    cette filiation spirituelle du serpent sera lAntchrist.Mais avant que lAntchrist ne vienne, la filiation spirituelle du serpent va se transmettre

    dge en ge. Cest justement ce quaffirme Notre-Seigneur quand il dit ses contradicteurs :

    Le Pre dont vous tes issus, cest le Diable, et vous voulez accomplir les dsirs de votrepre (Jean VIII,44).

    On ne peut pas tre plus clair : les contradicteurs de Jsus appartiennent la postrit duserpent .

    Le Christ et lAntchrist sont donc les deux postrits dont il est question dans la Ge-nse. Seulement ils sont aussi le type de deux postrits entendues cette fois collectivement.

    Ils sont les modles de deux lignes , cest--dire de deux corps mystiques .Le corps mystique du Christ peut tre regard comme la postrit de la femme . Cest en

    effet la nouvelle ve qui la engendr, comme il est dit en maints endroits et en particulier dansle curieux verset que voici :

    Numquid Sion : Homo et homo natus est in ea, et ipse fundavit eam Aitissimus (Ps LXXXVI, 5 Vulg.).

    Mais on dira de Sion, quun Homme et un homme sont ns en elle car cest le Trs Hautlui-mme qui la fond .

    La citadelle de Sion est une image de la Vierge. Les deux hommes quelle a engendrs sont,

    lun le Christ et lautre son Corps Mystique = Homo et homo. Adam donna sa femme le nom ve parce quelle a t la mre de tous les vivants

    (Gen. III, 20).

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    La descendance ve est donc tout entire divise en deux corps mystiques, celui du Christet celui de lAntchrist. ve est laeule aussi bien de lun que de lautre.

    Entre ces deux descendances, entre ces deux semences, il doit exister des inimitis, jusqula disparition de lun des deux antagonistes, cest--dire jusqu la fin des temps o lAntchristsera terrass par lclat de lAvnement de majest de Jsus-Christ. Cest Dieu qui a tabli ces

    inimitis : Inimicitias ponam. (Gen. III, 15). Il existe donc une rivalit fondamentale entrelHomme-Dieu et le Grand Dragon. Cette rivalit a dj motiv lexpulsion de Lucifer hors duCiel. Voici maintenant quelle se prolonge sur la terre.

    Au moment donc o le serpent vient de remporter sa premire victoire terrestre, Dieu an-nonce quIl suscite contre lui un germe mystrieux qui finira par triompher de lui. Un filslointain de la femme que le serpent vient de tromper lui crasera la tte : lpse conteret caputtuum (Gen. III, 15). Ce texte capital, et pourtant trs court, a t appel le protvangile parcequil annonce la venue de celui qui doit dtruire Iuvre du serpent. Cette prophtie a alimentla mditation des Grands Patriarches qui ont vcu sous la Loi Naturelle et qui lont transmisejusquau temps dAbraham. Dieu prcisa alors Abraham que cette prophtie se raliserait

    dans sa propre descendance.Deux religions, issues de cet antagonisme, vont prendre naissance parmi les enfants

    dAdam : la religion dAbel et la religion de Can. Elles diffrent par les rites de leurs offertoiresqui sont les symptmes de deux esprits diffrents.

    Le rite dAbel, inspir par lide de luniversalit de la loi du sacrifice, est encore revendiqupar lglise Catholique comme tant le rite primordial de la Vraie Religion. Cette revendicationest particulirement nette au canon de la Messe romaine, loraison Supra qu propitioque leclbrant rcite aprs la conscration. Cette oraison marque le rattachement de la SainteMesse au sacrifice dAbel et la Tradition primordiale.

    Le rite de Can, on le sait, na pas t agr par Dieu. Can, fils an dAdam, fut le premierreprsentant de la postrit spirituelle du serpent : Can tait du malin (I Jean III, 11).Son rite doffrande contient en germe toutes les fausses religions parce que, sil montrepeut-tre un certain zle de Dieu, ce zle de Dieu nest pas selon la science (Rom. X,2).

    Ce mme dmon dont la postrit spirituelle prolifrait dj du temps de nos premiers pa-rents, tait encore au travail, bien des millnaires plus tard, lpoque de Notre Seigneur :

    Le pre dont vous tes issus, cest le diable et vous voulez accomplir les dsirs de votrepre (Jean VIII, 44).

    Il est vident que ce mme serpent opre encore parmi nous aujourdhui le recrutement de

    son corps mystique, qui ne sera au complet qu la mort de lAntchrist.Cette doctrine des deux postrits, qui est lun des plus anciens lments de la Rvlation

    divine, est particulirement ncessaire connatre aujourdhui. Car les adversaires de lglisefont grand bruit autour de la fameuse thse de lUnit transcendante des religions. Cette thse,trs ancienne elle aussi, est une vue de lesprit. Cest une invention de type gnostique. Elle necorrespond pas la ralit. Elle est en contradiction avec la Tradition apostolique et avec lesplus anciens textes de la Rvlation divine.

    En ralit, il existe, depuis le dbut de lhumanit, une dualit fondamentale des religions.Lhistoire des hommes sur la terre est celle dune lente formation de deux corps mystiques dont,aprs la rsurrection de la chair, lun sera celui des brebis et lautre celui des boucs.

    Or quand le Fils de lhomme viendra dans Sa gloire, et tous les anges avec Lui, Il Sassirasur un trne de gloire, et Il mettra les brebis Sa droite et les boucs Sa gauche (Matth. XXV,31-32).

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    Nous devons maintenant rpondre une objection. Nous avons donn, la postrit duserpent , le nom gnrique de corps mystique de lAntchrist . Certes cette appellationnest pas courante. Mais elle nest pas non plus ni impropre, ni blasphmatoire.

    Lui donner le nom de corps nimplique pas forcment que le corps que lon dsigne soitparfait dans ses proportions et dans son aspect. Un corps peut-tre difforme, comme cest le

    cas prcisment de la Bte de lApocalypse avec ses sept ttes et ses dix cornes ; toutmonstrueux quil est, il nen est pas moins un corps et donc pourquoi lui refuserait-on ce nom.

    Quant au qualificatif de mystique, il signifie cach : on peut lappliquer aux adeptes et auxprcurseurs de lAntchrist dont lensemble demeure invisible tant quil ne sera pas assemblpour le Jugement. Le mot mystique nest pas rserv aux choses de Dieu puisque lon parle devraie et de fausse mystique.

    Bref lexpression de corps mystique de lAntchrist , bien que peu employe, nest cepen-dant ni impropre ni blasphmatoire. Il est bien vident que le corps mystique du Christ estresplendissant de perfection alors que celui de lAntchrist est hideux, cest une horde et unmonstre, mais cest tout de mme un corps. Lcriture donne bien le mme nom de Semen(Semence) pour dsigner deux postrits antagonistes, lune bonne, lautre mauvaise.

    XVI. HOMICIDE ET MENTEUR

    Lcriture Sainte nous fait encore une trs importante rvlation concernant la personnalitdu dmon :

    Il a t homicide ds le commencement, et il ne sest pas maintenu dans la vrit, parcequil ny a point de vrit en lui. Quand il profre le mensonge, il parle de son propre fond, car ilest menteur et le pre du mensonge (Jean VIII, 44).

    Ainsi, lhomme va devoir combattre contre un esprit qui se prsentera tout tour comme

    homicide et comme menteur. Et il adoptera ce double comportement non seulement lgardde chaque homme pris en particulier, mais aussi lgard de la socit humaine tout entire, etcela tout au long de son histoire. Examinons successivement les agissements du dmoncomme homicide puis comme menteur.

    Pour faire rellement uvre dhomicide, le dmon est soumis deux conditions : il lui fautdabord la permission de Dieu et il lui faut aussi la dmission plus ou moins accuse delhomme quil a pris pour cible. Car Satan est comparable un chien tenu en laisse ; cest Dieuqui tient la laisse et en rgle la longueur ; quant lhomme, il peut rester loign ou au contrairesapprocher du chien et se faire mordre.

    Au paragraphe XIV, nous avons rsum les modalits de laction homicide du dmon sur les

    mes individuelles. Mais ladversaire du genre humain opre aussi son uvre de mort sur lmedes nations, en insufflant ses erreurs dans lesprit de ses gouvernants et de leurs conseillers ;car lme dune nation cest son gouvernement. Que fait-il pour cela ? Ils les entranent dans lafausse contemplation ; il obscurcit, dans leur intelligence, le souvenir de la Rvlation vritable ;il leur suggre une thosophie dont il est lui-mme le dieu. Il amne ainsi les nations, parlintermdiaire de ses gouvernants, se dgrader, sentre-dchirer et se perdre.

    Cette activit destructrice de Satan sur la mentalit et les dcisions des gouvernants ne doitpas faire oublier les pouvoirs homicides que lui et les siens possdent aussi, quoique indirec-tement, sur notre corps. Ils ont en effet horreur du corps humain qui leur rappelle celui du VerbeIncarn, limage duquel il est fait et qui fut la cause de leur chute. Ils ne songent depuis lors

    qu meurtrir les corps. Ils nen ont pourtant le pouvoir quavec la permission de Dieu. Cest lecas, par exemple, de cette femme, une fille dAbraham que le dmon tenait courbe depuisdix-huit ans (Luc XIII,16).

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    Les dmons peuvent aussi, bien que nayant aucun pouvoir direct sur les corps, les dtruireindirectement, de bien des manires et en particulier en se servant des hommes les uns contreles autres. Le dmon pourra aussi, toujours avec la permission divine, agir sur lintgrit et lavie mme des nations. Selon saint Athanase, cest Satan qui parle par la bouche du roidAssyrie quand il dit :

    Par la force de mes mains jai fait cela, et par ma sagesse, car je suis intelligent ! Jaidplac les bornes des peuples. Jai pill leur trsors et, comme un hros, jai renvers du trneceux qui y taient assis. Ma main a saisi comme un nid la richesse des peuples. Et comme onramasse un uf abandonn, jai ramass toute la terre... (Isae X, 13-14) ?

    Ainsi Satan peut dplacer les bornes des nations . Or on peut dplacer les bornes desnations dans deux intentions diffrentes. Les nations fidles Dieu, Satan naura de cesse quilles ait mutiles et fractionnes ; il pourra mme aller jusqu les faire disparatre. Quant auxnations qui ont pris son parti, Satan les conduira lhypertrophie : do ces nations gantes,monstrueuses et menaantes qui ont toujours entour les frontires du peuple dIsral et dontDieu seul peut le dfendre. Ainsi exerce-t-il son inlassable activit homicide sur les mes et les

    corps des individus et des peuples.Or, en tant quils sont homicides, les dmons sont videmment terrifiants et hideux ; sous cet

    aspect, ils ne vont pas attirer lhomme mais au contraire le faire fuir. Dieu peut les obliger semontrer nous dans cet tat repoussant qui est celui de leur vritable nature, afin de nousinspirer une crainte salutaire.

    Si donc les dmons ntaient jamais apparu que sous cette forme dtres meurtriers, ilsnauraient fait aucun adepte et nauraient finalement exerc aucune influence dans le monde.Cest pourquoi ils se font sduisants et se transforment en anges de lumire . Lexpressionest de saint Paul :

    ...Satan lui-mme se dguise en ange de lumire (II Cor XI, 14).

    Le personnage de Laban, loncle de Jacob, est lune des figures de Satan dguis en angede lumire. Laban, on sen souvient, fit peser sur Jacob une longue tyrannie. Or le nom deLaban signifie peint en blanc , signification qui suggre parfaitement lide dune blancheuremprunte et superficielle.

    Comment Satan fait-il pour se prsenter lhomme travesti en ange de lumire ? Il vient luicomme un auxiliaire attentionn ; il est porteur de promesses ; il suggre un idal lev ; illucide les mystres divins ; il aide percer les secrets de la nature. Mais le secours quilapporte est illusoire ; ses promesses sont secrtement assorties de conditions mortelles ; lidallev quil propose est excessif et dtourne lme de sa vocation vritable ; et quand il prtend

    lucider les mystres divins, cest pour se mettre lui-mme la place de Dieu.On comprend linsistance de lcriture nous mettre en garde contre ce travestissement : Ne croyez pas tout esprit, dit saint Paul, et abstenez-vous de toute apparence de mal .

    La connaissance de cette facult de travestissement du dmon est une des donnes les plusimportantes, et aussi les plus caractristiques de la dmonologie chrtienne.

    XVII. LE DISCERNEMENT DES ESPRITS

    Puisque le dmon peut se peindre en blanc et se faire passer pour un ange, commentallons-nous distinguer les bons des mauvais esprits, les bonnes des mauvaises influences ?Oprer cette distinction, cest oprer ce que lon appelle le discernement des esprits.

    La facult de discernement des esprits ne nous est pas naturelle. Toutefois lhomme peutexceptionnellement la possder en tant que don de la grce. Elle constitue alors le discerne-ment infus qui est un charisme. Cette facult est comparable, dans son mcanisme, linstinct

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    des oiseaux migrateurs qui sorientent sans repre. Lme favorise du discernement infuspeut, en labsence de tout symptme visible, flairer les tnbres mme quand elles sontrecouvertes par un travestissement de lumire.

    Mais alors quel va tre le recours de limmense majorit des hommes qui ne sont pas dousde ce charisme ? Les Matres de la vie spirituelle ont runi ce que lon nomme les rgles du

    discernement des esprits .Les rgles de discernement des esprits se sont affines depuis lpoque de lAncien Testa-

    ment jusqu nos jours. Cet affinement prouve que les dmons sont de plus en plus intimementmls aux hommes, soit que le nombre de ceux qui hantent la terre augmente, soit quilsaccentuent leur subtilit et perfectionnent leur art de pntrer dans nos esprits. Le CardinalPierre dAilly, dj au dbut du XVe sicle, dans son gros trait des Fausses Prophties,constatait que le monde est sur son dclin, lAntchrist approche et les imaginations malsai-nes, les illusions dangereuses pullulent .

    Sous lempire de lAncienne Loi, la rgle de discernement des esprits tait simple et frusteparce quelle suffisait : les bons esprits portent obir Dieu et les mauvais Lui dsobir. Etlon se rfrait la rgle de la Gense :

    Parce que tu as mang de larbre dont Je tavais ordonn de ne pas manger (Gen. III,17).

    Le serpent, mauvais esprit, avait incit dsobir la Loi. Tel tait le critre simple et sain.

    Aprs lAvnement de Notre Seigneur Jsus-Christ, les dmons vont perfectionner leur art ; ilva falloir aussi perfectionner lanalyse. Saint Paul nonce les divers lments du diagnostic desbonnes et des mauvaises influences spirituelles. Les mauvais esprits empruntent les voies de lachair :

    Les uvres de la chair sont manifestes : ce sont limpudicit, limpuret, le libertinage,lidoltrie, les malfices, les discordes, les contentions, les jalousies, les emportements, lesdisputes, les discussions, les sectes, lenvie, les meurtres, livrognerie, les excs de table etautres choses semblables (Gal. V, 19-21).

    Telles sont les uvres de la chair auxquelles les dmons sefforcent de pousser lhomme.

    Voici maintenant comment on reconnat les influences divines, que saint Paul appelle aussi les uvres de lEsprit :

    Le fruit de lEsprit, au contraire, cest la charit, la joie, la paix, la patience, la mansutude,la bont, la fidlit, la douceur, la temprance... Ceux qui sont Jsus ont crucifi la chair, avecses passions et ses convoitises (Gal. V, 22-24).

    On le voit, saint Paul nonce des rgles de discernement bases sur des critres moraux.Saint Jean fournit des critres doctrinaux :

    Vous reconnatrez ceci lEsprit de Dieu : Tout esprit qui confesse Jsus-Christ venu dansla chair est de Dieu ; et tout esprit qui ne confesse pas ce Jsus nest pas de Dieu ; cest celuide lAntchrist, dont on vous a annonc la venue (I Jean IV, 13).

    Ds lors, les deux critres apostoliques, de saint Paul et de saint Jean, nauront plus besoinque dtre dvelopps par les matres de la vie spirituelle.

    Ce dveloppement commence la priode patristique. Origne tient le raisonnement sui-vant : Satan profite des premiers mouvements suscits en nous par notre nature pcheresse. Illaisse dabord ces mouvements soprer en nous et par nous, et il trouve ainsi en eux uneexcuse et un droit nous tenter et nous pousser plus avant dans la voie que nous avons

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    nous-mmes choisie ; il y trouve en mme temps un moyen de dissimuler son influence ; nouscroyons ainsi continuer par nous-mmes ce que nous avons commenc seuls.

    Les Pres constatent aussi les effets psychologiques du bon et du mauvais esprit : le bonesprit engendre la paix et lhumilit ; le mauvais esprit engendre la tristesse, le trouble, lindci-sion, la paresse.

    Saint Thomas dAquin traite mthodiquement de la question du discernement des esprits. Ilsattache distinguer ce qui, dans notre vie intrieure, relve de notre libert et ce qui relve delinfluence de Satan, lequel agit surtout en utilisant nos sens et notre imagination. Il numreaussi quelques rgles pour diffrencier les vrais et les faux prophtes. Les vrais, avant tout, nese donnent pas leur mission eux-mmes ; ils la reoivent de Dieu. Les faux prophtes sedonnent eux-mmes leur mandat, ils ont horreur du saint Nom de Jsus, ils incitent dabord aubien puis ils dvient trs vite vers le mal.

    Lauteur anonyme de LImitationfait porter le discernement des esprits sur la distinction de lanature et de la grce. La nature se recherche elle-mme, elle veut perdurer, elle hypertrophie lemoi, elle napporte que des consolations extrieures. La grce agit pour Dieu qui est sa fin, ellemodifie le moi, elle apporte des consolations spirituelles et intrieures. Mais lImitation noubliepas le dmon : vient en nous avec les choses de la nature, il les accompagne.

    Saint Ignace de Loyola est lun des derniers venus comme docteur du discernement. Il en aexprim les rgles dans son livre des Exercices. La grande diffusion de ces Exercices arendu ses rgles classiques. Saint Ignace distingue dabord la vie purgative et la vieilluminative . Il consacre la premire semaine des exercices ltude de la viepurgative et ilnonce quatorze rgles pour discerner les mouvements que les divers esprits excitent danslme afin dagrer les bons et de repousser les mauvais . La seconde semaine a trait la vieilluminative et elle est termine par huit autres rgles pour mieux discerner les esprits .

    Quel est essentiellement le critre ignacien du discernement des esprits ? Les mauvaisesprits produisent dans lme des tats de dsolation : ils y crent la tristesse, le dsespoir, laperte de confiance en Dieu ; il ne faut pas prendre de dcision quand on est dans ces priodesde dsolation car rien de bon ne se fait sous linfluence des dmons. Au contraire les bonsesprits produisent dans lme des tats de consolation comportant joie spirituelle et calmeintrieur, mls aux larmes du repentir.

    Cependant saint Ignace connat les fausses dsolations qui ne sont autres que ces tatsde scheresse si bien dcrits par saint Jean de la Croix et sainte Thrse dAvila. Ces faus-ses dsolations viennent de Dieu pour lpuration de lme. Il connat aussi les tats defausses consolations qui viennent du dmon et qui consistent en un contentement de soi etun sentiment de complaisance.

    Il est facile de constater que les rgles ignaciennes de discernement des esprits ont surtoutpour champ dapplication le travail dintrospection personnelle. Elles sont minemment subjecti-ves.

    Peut-on les appliquer quand il sagit de discerner de quel esprit relvent des uvres doctri-nales ? Peuvent-elles aider reconnatre si telle production intellectuelle vient du Ciel ou aucontraire sort du puits de labme ? Dans ce cas, elles sont insuffisantes et cest seulementlanalyse objective des doctrines exposes qui peut en rvler lesprit.

    Nanmoins on peut appliquer les rgles ignaciennes limpression intrieure, danxit oude calme, que les uvres de doctrine produisent dans lesprit des lecteurs. Elles servent alors

    confirmer les rsultats de lanalyse objective. Mais la condition que lexprience soitpoursuivie pendant un dlai assez long, cela pour liminer les phnomnes deuphoriepassagre. Les ouvrages de fausse mystique, en particulier, peuvent engendrer une pitintense mais phmre.

  • 7/31/2019 Abrg de dmonologie_VAQUIER Jean

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    VAQUI Abrg de dmonologie

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    XVIII. LE SINGE DE DIEU

    Observons maintenant le dmon dans son comportement comme imitateur de Jsus-Christ. Le dmon est jaloux de Notre Sauveur qui il reproche de lui avoir ravi la premireplace dans la cration. Et, comme tous les tres jaloux, il ne quitte pas des yeux celui qui estlobjet de sa jalousie.

    Mais par ailleurs Satan ne peut rien innover puisque Notre Seigneur conserve en tout linitia-tive. Sa jalousie va donc faire de lui limitateur de Jsus-Christ. Nous allons voir dans quellesconditions.

    Le dmon, nous lavons vu, travaille difier sur la terre son pouvoir et sa religion. Il a vi-demment le choix entre deux tactiques.

    Il peut difier les organes de sa principaut en toute indpendance, crer ses hauts lieux,ses dynasties dvoues, ses sanctuaires ; il peut tablir ses propres cycles chronologiques, sesrites doffrande, son symbolisme, ses voies mditatives et cela en face de ldifice du Christ etpour le braver et le narguer. Cest mme la tactique qui convient le mieux un tre aussi

    pntr de propre esprit et aussi actif.Malheureusement les hommes possdent une religiosit naturelle et un respect naturel de

    lautorit qui sont faits pour Dieu et pour ses envoys. Ils se plieront donc difficilement desorganes indpendants construits sur un autre modle, en vue dune autre finalit, et pour lecompte dun autre matre.

    Sans abandonner totalement la tactique indpendante laquelle il aime certes revenir, Satanva donc suivre une tactique dimitation qui lui facilitera singulirement la tche. Il va pntrer,couvert dune peau de brebis, dans les institutions faites pour Dieu et dans lesquelles il va sefaire passer pour Dieu grce ce pouvoir de travestissement que nous venons dexaminer.

    En somme, il va gnraliser la stratgie par laquelle il a russi dtrner Adam, quand ilsest montr dans larbre plant par Dieu. Toutes les autorits viennent de D