a croiset, ist lit gr, vol 4

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d'Atxnes^et Normale historiques 4 GOFP-, Suprieure >

1900 e't de reproduction rserves vs

de traduction

ALBERT FONTEMOlNG, diteur, HISTOIRE DE LA

Rue Le Golf, Paris ]

P ALFRED CROISETMembre de l'Institut poyen de la Facult des lettres de Pans PRIODE PRIODE L UN FORT TOME VOLUME ALEXANDRIXE, ROMAINE, CINQUIME IN 8"

RM M

LITTRATURE GRECQUE [

MAURICE CROSET 1 Professeurau Collge de Franre par par Maurice ET DE Alfred CROISET

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CROISET

DERNIER 1.1 OO PAGES, 12 fr.

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TABL DES MAT1RES DU TOM CJNQUIBE Caractres gplrtiux l'rudition. les Grecs i'Riiie. de la priode alexandrine.

* ^^Kh "* rhtorique,' l'h'isloire, a j^^l^ La.ppsie alex,an.drine. 4|' Les .derniers alexandrins;

-1

Vue de 'gprale ile- desg phases; Se l'hellnisme dans la S OJ^ lntrodhctio,n, t 'v^' i pribdp de l'Empire. de transition. '"Ch. II. D'Auguste Domitin L'ge Nerva de l'hellnisme. Oh. Ftl. et Trajan. La* renaissance Epictte, Dion, ~?~ ^lutarque. Gh. de ta sophistictue. Y^ - 'Les Antonms. Origines Son dYelppempnl etson influenc*. Maxime Lucres. dcTyr, ^lius, Aristide, Alciphron. Ch. et christianisme. Ls premiers y_r Fin du u sicle, Hellnisme apologies Gh. Ch. VJ. hrlffins. D^Dicltien -'Svre ,la mort de Thodose. L'Orient grec au nL sicle.

VlII.^ipvAr'c|r& -t.X'

j.Uraclius." b^ES MMES LA un

La fin de l'hellnisme. AU-EIJRS: S GRECQUE, reli toile l'usage] anglaise, S I I

MAKUEL D'HISTOIRE DE des lyces et collges, d'environ 800 pages."

LITTRATURE volume in-18,

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LITTRATURE

GRECQUE

IV.

TOURS, I.WRI5IEME F11RES,BAMBETTA, DESLIS RUE 6.

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HISTOIRE DE\ L GRECQUE GRECQUEl'Ali

LITTRATURE LITTRATURE/>AttFflS jCRGISET /ilerabfcd^ l'Institut Doyen W [&icult des lettres r^ /ParU

MAURICECROISET Professeur au Collge deFrance

1.

TOMEQUATRIME

PRIODE ATTIOUELOQUENCE HISTOIRE PHILOSOPHIE PAR \y~ Alfred R GROISET

DKUXIKMK

DITION

UEVt/E

ET CORRIGE

5

vANCIENNE ALBERT Libraire

PARISLIBRAIRIE FONTEMOING, THORIN d'Athnes ET FILS ~$ DITEUR

4, 1899

et de Rome, ds J2ool.es Franaises du CoUge de France, de l'cole Normale Suprieure et de la Socit des tudes Y' historiques RUE LE GOFP, 4 J

CHAPITRE

PREMIER

FORMATION LES

DE

L'LOQUENCE SOPHISTES; ANTIPHON

ATTIQUE

BIBLIOGRAPHIE Les uvres des Sophistes. premiers sophistes ne nous son connues, sauf deux discours attribus Gorgias,que par lesfragcrivains anciens. Ces fragments ont t ments qu'en les recueillis dans le tome II des Fragmenta philosopliorum grcorum de G. Millier (Bibl. I?idot, Paris, 1867). aux deux dclamations de Gorgias, elles nous ont t conserves (avec quelques manuscrits d'Antiphon, et elles autres crits sophistiques) les sont ordinairement publies soit dans les ditions gnrales des orateurs. attiqu~-s, ,soit dans les ditions particulires d'Antiphon, notamment dans celle de Blass (Teubner, 1881 ). Antiphon.. Les manuscrits d'Antiphon utiliss par les diteurs sont au nombre de six, dont aucun n'est de premier ordre. Les deux meilleurs sont le Crippsianus (A de Bekker), du muse Bridriver tannique, et YOoniensis (N de Maetzner), qui semblent tous deux d'un mme original ayant contenu parfois deux leons diffrentes pour un seul passage. Le premier semble tre du un peu plus rcent. L'origine xiii0' sicle; le second est peut-tre et la valeur relative des manuscrits d'Aniiphon ont t examines avecle.plus grand soin par Blass, dans la prface de dition, puis par Ccuel, dans son Essai sur la langue et le style de Voratetiir Antiphon, Paris, 1886 L'Htioriprinceps d'Antiphon a t donne par Alde Manuee, Venise/ en 1513, dans son dition des orateurs attiques, d'aprs des -manuscrits secondaires. Reiske, qui a publi Antiphon dans le tome VII, de. ses Ovatores attici (Leipzig, 12 vol., 1770-1775), ne s'est galement servi que de manuscrits mdiocres. Ces vieilles ditions n ont plus qu'un intrt de curiosit. Bekker fit faire unHisl. de la Litt. Grecque. T. IV.

6

CHAPITRE

I".

FORMATION

DE

L'LOQUENCE

grand pas la critique d'Antiphon par l'emploi du Crippsianus (t. I de ses Oratores attici, 4 vol., Oxford, 1822-1823, et 5 vol., fut amlior, Berlin, 1823-1824). Le mme texte, lgrement reproduit par Baiter ei Sauppe (Oratorcs attici, 9 vol., Zurich, 1838-1850, 1. 1). Un nouveau progrs fut d Maetzner (Antiphontis Orationes, XV,Berlin, 18.38), qui collationna pour la premire fois VOxoniensis. Depuis, ce sont surtout des amliorations de soit par une revision plus attendtail qui ont t ralises tive des manuscrits principaux, soit par un meilleur 'usage de leurs indications. Il faudrait mentionner les noms de plus de vingt critiques pour, rendre Chacun ce qui lui test d. Bornonsde Iernsted nous citer les deux ditions (Saint-Ptersbourg, Teubner, 1881). 1880) et de Blass (Leipzig, de l'orateur ,18~. (t.ipzig,'Teubnr,t88i). Antiphon, par Traduction "e('~e,l3lass des uvres compltes Cucuel, Paris, 1883. Index Antiphonte us, par Van Cleeff, 1896,

SOMMAIRE ses caractres gnraux Introduction la prose attique ses princi pales formes; l'loquence. I. L'loquence non crite, g1.' L'ge homrique, g 2. Athnes au 'v"sicle, g 3. Thmistocle; Pricls. II. L'loquence crite, g 1. La rhtorique sicilienne. g2. La rhtorique des sophistes Athnes. Doctrine sophistique scepticisme, y; puissance des mots, recherche de l'utile vogue des doctrines nouvelles. Les premiers sophistes Protagoras, Gorgias, Prodicos, Hippias, etc. g 3. Antiphon et ses homonymes. III. Conclusion. ` Au temps o commence la guerre du Ploponsej de la priode les premiers leur voie et

,1a prose grecque n'tait et des essais des dbuts philosophes, oscillent potiques mais n'est en fait de l'extrme l'histoire de grce dfinitif,

pas encore sortie les logograph'es, cherchent de style,

nave et le type Vuvre de l'atticisme.

simplicit d'Hrodote et. comme.

toutes des hardiesses est un chef-d'uvre, inacheve; rien, encore reste : fixer. C'est nouveau

~y'

LA

PROSE

ATTIQUE

1-

?

7

La grande prose grecque nat Athnes entre les annes 430 et 410. La perfection des crits en prose, en effet, n'appartient qu' la maturit, des littratures. La posie est le langage de l'imagination elle chante. La prose, au contraire, parle, c'est--dire qu'elle use des mots avec prudence et rflexion en vue d'un objet plus pratique elle cherche la clart, qui instruit, plus que la beaut, qui meut; elle met en pleine lumire la liaison logique des ides; elle s'achemine d'un pas rgulier vers un but marqu d'avance elle gouverne ses phrases et ses priodes avec une parfaite conscience de k dmonstration o elle tend, de la conclusion qu'elle prpare. Elle est le langage d&la raison analytique. Cette ferme raison suppose un esprit dj viril. Or l'atticismeest la virilit de l'hellnisme. Ces qualits apparaissent Athnes de bonne heure, car on peut les signaler dj chez Solon. Nous avons dit ailleurs1 comment Athnes, situe pour ainsi dire mi-chemin de l'ionisme et du dorisme, hritire en outre, ds le vi* -sicle, d'une tradition dj longue, avait eu le privilge de natre la littrature arme tout d'abord de raison. Mais c'est surtout au milieu du v sicle que ces germes se dveloppent chez elle. Victorieuse des Perses, matresse d'un grand empire maritime, elle est l premire puissance de la Grce et devient, du mme coup, la capitale intellectuelle d'une race dsormais adulte. L'atticisme, cette date, n'est autre chose que l'esprit grec lui-mme dans sa maturit la plus vigoureuse et son quilibre le plus harmonieux. Le drameen est la premire cration. La prose va suivre presque aussitt. Pendant un sicle environ, les chefsd'uvre en prose vont se multiplier, jusqu' la mort -d'Alexandre, qui marque la fin ds la prose attique et i. Voirt. Il, p. in, et t. III,ch.i.

8

CHAPITRE

I".

FORMATION

DE L'LOQUENCE

le commencement de la prose simplement grecque, ou hellnistique. De l les qualits qui donnent l'atticisme du ye et du iv' sicle sa physionomie originale. Ce sont bien les qualits foncires de l'hellnisme, car Athnes est alors le cur de l'Heliade ('EXXSP 'EXX 'Ae^ai1). Mais c'est un hellnisme nouveau, distinct de celui qui le prcde ou qui l'environne, un hellnisme modifi par le temps, par les circonstances, par le gnie de la cit qui le personnifie2i Un point noter d'abord, c'est la nature des sujets o se complat l'esprit attique. Par une disposition qui lui est propre, il s'attache beaucoup moins la riche diversit de la nature qu' l'tude des chosespolitiques et morales; il s'enferme volontiers dans la vie humaine telle que la lui prsente la cit grecque, et en particulier la cit attique. C'est que l'Athnien est par excellence un tre politique . Jamaisla vie collective de la cit n'a t plus forte avec une vie individuelle plus riche. L'individualisme a fini par tuer la cit attique. Mais,au v sicle, l'quilibre est parfait, et, au ive, c'est encore dans le cadre de la cit que se meuttoute l'activit de l'individu, mmeuandelle en ruine le principe. q Il en rsulte que le sujet presque \mique de la littrature attique, c'est l'hommevivant dans la cit. L'esprit attique n'a pas la curiosit large et un peu vagabonde du vieil esprit ionien tel qu'on l'aperoit chez l'auteur de l'Odysse, ou chez le physicien Thaes, ou chez les historiens voyageurs Hcate et Hrodote. Sa curiosit est moins en superficie qu'en profondeur elle se tourne en rigueur d'analyse et en logique. Les orateurs d'Athnes 1. pitaphe d'Euripideattribue Thucydide (Vieanonyme d'Euripide). je 2. Sur l'espritattique, oirt. III, ch.i. Dansles pages v suivantes, de meplacesurtout au pointde vue la prose. ,

LA PROSE

ATTIQUE

9

sont, par mtier, les hommes du moment prsent. Les historiens s'occupent plus d'Athnes elle-mme que des choses antiques ou trangres. Ses philosophes mettent la morale sociale au centre de leurs systmes. S'il se fait, durant la priode attique, quelque tentative importante dans l'ordre des sciences naturelles, c'est en dehors d'Athnes ou par les moins attiques de ceux qu'elle a adopts. L'esprit attique a donc ses limites trs nettes et assez resserres. Quelques-uns seront tents de, lui en faire un reproche. N'oublions pas, cependant, que les dfauts, dans une riche nature, ont ordinairement leur contre-partie. Ce que l'esprit attique a perdu en tendue, il l'a certainement gagn en force et en prcision. Mme originalit dans la manire d'exprimer les ides. On sait la discussion qui s'leva entre Cicron et son ami Brutus au sujet de l'loquence attique. Brutus ne voulait reconnatre l'atticisme que dans une lgance sobre et un peu grle, comme celle de Lysias. Cicron, tout en gotant fort l'atticisme de Lysias, n'dmttait pas une dfinition qui l'et oblig exclure de la liste des attiques Eschine et Dmosthne. Il y a, disait-il, des attiques de plusieurs sortes1. Quintilien rpte la mme ide il distingue entre un certain fond commun et les diversits individuelles, parfois trs marques; il ajoute que ce fond commun, c'est un got fin et pur2. Gicron et Quintilien ont raison. Eschyle ne ressemble gure Aristophane, ni Lysias Thucydide, et pourtant ils ne sont pas ni Platon Dmosthne non plus les uns aux autres. absolument trangers Bornons-nous aux crivains en prose. Ce qui fait le c'est une raison vive et fine. Cette fond de l'atticisme, 1. Cicron, rator,S. O 2. Judiciumacre tersumque{Inst,Orat.,Xl, 10, 20),

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CHAPITRE

I".

FORMATION

DE L'LOQUENCE

raison n'exclut rien, mais elle gouverne tout; elle ne proscrit pas l'imagination, mais elle -la veut lgante, sobre, lgre, comme chez Platon; elle ne rejette pas davantage la passion d'un Dmosthne, mais elle l'oblige respecter la nettet, la brivet du discours, et elle lui interdit certaines manifestations purement extrieures qui s'adresseraient plutt des sens un peu grossiers qu' des intelligences dlies. Le plus souvent; di'ailleurs, elle se passe la fois et d'imagination hardie et de passion vhmente; car elle prend les choses plus simplement, avec plus de srnit. Trs vive, elle comprend demi-mot, et n'aime ni les cris, ni les longueurs;; elle est sobre et mesure; Trs fine elle prend plaisir deviner ce qu'on ne lui dit pas elle aime l'ironie, arme lgre d'un esprit qui se possde, d'une intelligence aile qui se rit de la brutalit des chosesou de la mdiocrit de ses adversaires. L'inconvnient de cette finesse, c'est une tendance la subtilit l'esprit attiqueest parfois subtil s'il oublie de se surveiller, il risque de jouer avec les mots. H manqueparfois aussi d'un certain srieux, d'une certaine force {gravitas) qui vient du caractre; il s'engage rarement tout entier et fond dans une lutte il semble qu'il tienne moins au fond ds.choses qu' l'exercice charmant de sa propre vigueur; il est merveilleusement libre, peut-tre parce qu'il est un peu sceptique. Dans le style proprement dit, il rencontr naturellement une parfaite justesse de termes et une ceux de la langue quotidienne et courante, mais choisis avec got et mis en leur place avec art. Il excelle ce jeu sifin des particules, qui rapprochent ou sparent les ides, qui les forment en faisceaux et les dnouent, qui poussent en avant le discours ou en ralentissent la marche. Il aime beaucoup l'antithse, qui donne

LA PROSE

ATTIQUE

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l'ide tant de pointe et de perant. Mais il n'est pas l'esclave de sa propre rigueur. Il est artiste autant que logicien, c'est--dire pris de la vie et de la grce; 'de l, dans la syntaxe, une libert que ne connaissent ni le latin ni le franais; dans le rythme, une varit qui dans tout vite jusqu' l'apparence du mcanisme; une souplesse, une libert qui l'ensemble du discours, corrigent chaque instant (ou plutt qui prviennent) ce que le trop de nettet pourrait avoir de fatigant, et font ressembler la belle prose attique la parole vivante d'un honnte homme . Ajoutez que le vocabulaire conattique, compar au ntre, est remarquablement au langage du peuple; cret il est bien plus semblable il a, par conil est tout prs encore de la conversation; et de trs vif. squent, quelque chose de trs savoureux De tout cela, se forme un ensemble exquis, o les qualits essentielles d'une grande prose classique, nettet, force logique, raison, se temprent de grce et d'lgance. si l'on croyait que On se tromperait pourtant l?attiistae est arriv d'emble raliser cet idal. En outr, les traits que nous venons de runir ne se rencontrent pas galement chez tous les attiques. Une histoire de la prose attique doit avoir prcisment pour objet, tout en tudiant le caractre original de chaque crivain, de suivre, travers les particularits accidentelles qui tiennent la nature des individus, l'volution qui se continue de l'un l'autre, la srie des actions et ractions, parfois mme le rueau des influences tel qu'il est. entrelaces -qui ont fait l'atticisme Inutile d'ajouter que tous les prosateurs dont nous aurons parler dans ce volume ne sont pas Athniens de naissance; que quelques-uns mme ont peu subi des l'influence d'Athnes et ne sont pas proprement nous aurons mentionner des coles, des attiques

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CHAPITRE

I".

FORMATION

DE L'LOQUENCE

intellecgroupes qui appartiennent d'autres rgions tuelles niais il suffit, pour justifier les observations des gnrales qui prcdent, que la grande majorit et qu'en crivains de cette priode soient des attiques, a t port particulier tous ceux chez qui l'art d'crire un haut degr d'excellence soient, en vertu de leur naissance ou de leur ducation," des reprsentants authentiques de l'atticisme. La prose attique s'est produite presque en mme temps sous ses trois formes essentielles, loquence, histoire, philosophie. C'est cependant l'loquence qui doitattirer d'abord notre attention. C'est elle en effet qui, la premire, sinon encore par ses chefs-d'uvre, du moins par ses thories et par le mouvement qu'elle et donne imprime aux intelligences, ouvre la marche l'impulsion dcisive. Elle est d'ailleurs le lien commun la prose les des trois grandes formes littraires de historiens et les philosophes s'occupent de la rhtorique aussi bien que les orateurs la rhtorique est une des puissances de ce temps les uns l'coutent et l'admirent, les autres la combattent, mais elle ne laisse personne .indiffrent, et l'on ne saurait comprendre tout fait ni ses disciples ni ses adversaires si l'on n'avait commencpar l'tudier elle-mme. qui n'ont pas crit, comme es d acteurs quand ils ont eu du gnie, le reflet s'en conserve dans le souvenir des contemporains. 1 ,oii:ovvt|.aq,o son systme de la nature tait rsum, et le trait Ilspl 9u[ai),qui semble avoir t l'un de ses principaux ouvrages de morale. De tous ces livres, il ne nous reste que. des fragments irs courts. De plus, un certain nombre de penses morales attribues Dmocrite ne sont certainement pas de lui1. Et pourtant la force de sa pense aussi bien que la fracheur de son talent nous apparaissent encore avec, une clart suffisante. Son systme nous est surtout connu par des analyses d'Aristote, prcises et sres2. Dmocrite a recueilli la doctrine de Leucippe il voit le principe des tres dans les atomes. L'coulement universel d'Heraclite et l'unit immobile des lates taient deux solutions extrmes et opposes qui heurtaient l'une et l'autre le sens commun.Dans l'coulement universel, toute ralit dans l'immobilit de l'Un, la substantielle s'vanouit varit sensible des tres devient inexplicable. Dmocrite, aprs Leucippe, dfend contre les lates la ralit du mouvement, et contre Hraclite la solidit du fond dernier des choses. Les atomes, infinis en nombre, ternels, absolument simples et semblables entre eux sem e ~Uf' simpl~ ~el'el~a~~gl~nWPt par la qualit, mais diffrents de volume et de forme, se meuvent dans le vide et se groupent diversement, .n,' ' 4. Voir, pat exemple, inscriptions mdicales d'Epidaure, dans l'ouvrage de M. KLavvadias(Fouilles d'Epidaure, t. Ir 1893, Athnes).

MDECINS

185

lions1. Ge n'taient pas eux non plus qui avaient l soin du culte d'Asclpios ils taient tout fait inddu temple et se dplaaient volontiers pour pendants aller exercer leur art dans diffrentes villes2. 'C'taient des corporations laques, groupes seulement sous l'invocation d'un dieu, comme tant d'autres dans la Grce antique. A ct des prtres d'Asclpios, qui avaient form les premiers recueils d'observations mdicales et gard le souvenir de certains modes de traitement inspirs par le dieu, ct des Asclpiades qui taient des mdecins de profession, dpositaires avant tout d'un ensemble de recettes traditionnelles, d'autres hommes avaient abord, au v" sicle, l'tude des questions mdicales dans un esprit assez diffrent c'taient les philo^ sophes et les sophistes, libres non seulement de toute mais aussi de tout respect proccupation religieuse, envers une tradition Leur scrupuleux quelconque. tait de tout savoir et de tout expliquer, prtention et de ne relever que de la raison. L'tude du corps humain, de ses lments constitutifs, de ses maladies, tait une partie de la science totale; ils ne pouvaient la laisser de ct. En fait, Alcmon de Crotone, le pythagoricien Philolaos, Empdocle, Diogne d'Apollonie, Anaxagore, Dcmocrile surtout. le plus savant des Grecs avant Aristote3, touchrent souvent aux questions mdicales. Ils y introduisirent, avec quelques dcouvertes, beaucoup de thories contestables. Mais ce qui est plus important, c'est qu'ils aussi y portrent plus d'indpendance scientifique, plus d'attention aux 1. Celaest vrai du moins pour le v sicleet pour l'immensemajorit des. Asclpiades, commeon le voit par Platon, Protagoras,y 311, et pardiverscrits hippocratiquesnotammentle Ihpl I^tdo-j, ollection ( f f c Littr, t.. X).. 2. Voir.Paul Girnrd,l'Asclpiion'Athnes, . 83-88. d p 3.Littr, t. I, p; 19 de son dition d'Hippocrate.

186

CHAPITRE

III.

CRIVAINS

DIVERS

lois gnrales de la raison, plus de mthode et d'esprit positif. De tous ces lments s'est forme la mdecine grecque du veet du ive sicle, qui a jet un si vif clat. Les mdecins grecs furent alors les premiers mdecins du monde, plus recherchs des rois de Perse que ceux mmes de l'gypte. Le nom le plus illustre de cette priode est celui d'Hippocrate, qui domine tous les autres de si haut qu'il a fini par devenir, comme celui d'Homre, moins le nom d'un homme que celui d'une forme de litde mme qu'on attribuait Homre l'oeuvre trature de la plupart des vieux ades ioniens, la postrit a mis sous le nom d'Hippocrate presque toutes les uvres mdicales produites par l'cole de Cos, au v. et au ive sicle1. Beaucoup de ces uvres subsistent. Disons donc quelques mots d'Hippocrate et de la collection hippocratique ?> La vie d'Hippocrate est fort mal connue. Si l'on carte les anecdotes apocryphes dont sa biographie est encombre, ce qu'on en sait se rduit peu de chose3. Hippocrate naquit Cos; il tait de la famille des Nbrids,1. L'cole rivale de Cnide avait aussi laiss des crits. On trouve dans les ouvrages hippocratiques des allusions aux sentences cnidiennes. Cf. Litre, t. I, p. 39-60, et surtout t. H, p. 198et suiv. 2. Pour toutes ces questions, je renvoie l'admirable dition de Littr, en 10 vol. in-8 (Paris, 1839-1861). Sur les manuscrits, ditions ettraductions d'Hippocrate, voir Littr, t. 1, p. 5U-554.Ce qui est remarquable dans le travail de Littr, c'est la fois l'tendue des recherches en tous sens et la ferme raison qui les dirige. Pour la parfaite correction du texte, il reste encore quelque chose faire. Une nouvelle dition des crits hippocratiques est publie en ce moment par MM.llberg et Klihlewein a.vec d'amples prolgomnes, Prolegomena criticq in Hippo- cratis operum qum feruntur recensionem novatn, etc., Leipzig, 1894. Le ins. de Paris 2233 est une des principales sources'du texte. M. Fuchs a commencaussi, en 1895, la publication d'une nouvelle dition complte. Voir enlin C. Frederich, Hippokratische Untersuchungen (dans les Philol. Unters. de Kiessling et W.Mllendorff, 1899). '}," 3.. Notice dans Suidas biographie de Soranos, dans Khn, Medicorum grc. opra omnia, 28 vol., Leipzig, 1821 1830 (t. III). Cf. Tzetzs, > Chil., VII, 153. '"

HIPPOCRATE

187

qui prtendait descendre d'Asclpios, et fit partie des Asclpiades de sa ville natale. Il tait dj clbre au temps o Platon place la scne de son Protagoras, c'est--dire dans les premires annes de la guerre du Ploponse, autant du moins qu'on peut se fier aux indications chronologiques de Platon'. Un tmoignage qui semble avoir quelque valeur2 le fait natre en 460. Il sjourna sans doute Athnes, o l'on voit que son nom tait populaire et parcourut une grande partie du monde grec 3. Par\enu un. ge avanc, il mourut, Larisse 4. Aprs lui, ses fils, son gendre Polybe, dit-on, plus tard ses petits-fils et arrire-petits-ftls continurent d'exercer la mdecine et de maintenir l'cole de Cos, qu'il avait illustre5. En dehors de Ces faits, tout le reste est lgendaire ou douteux6. Un passage du Phdrt de Platon semble indiquer qu'Hippocrate avait crit 7. Ce qui est certain, c'est que les soixante-douze ouvrages que nous avons sous son nom sont fort loin d'tre tous son uvre. Mais il faut ici distinguer entre ceux qui sont des exercices d'cole sans intrt, comme les Lettres 8, et les ouvrages mdi1. Protagoras,p. 311,B.Cf. aussi,dans Aristophane,Ftes de Dmter, 270,une allusionau serment de la confrrie d'Hippocrate. 2. Biographie Soranos. de 3. 11fit notammentdes observationsprolonges Thasos ('EutS)y.l* 1). 6. Par exemple,ses relationsavec Gorgias,avecHrodicos Slymde brie (lemdecindont parlePlaton, Rp.,111, 406,A), avecDmocrite p. d'Abdre;avecPerdiccas,roi de Macdoine avec Artaxerxs,dont il aurait refus les prsents pour venir combattrela peste d'Athnes. Toutesces histoires, ainsi que les anecdotes plus ou moins clbres qui s'y rattachent, sont desinventionsfondesen partie sur les lettres et apocryphes d'Hippocrate sur d'autrespices non moinsmensongres insresdans la collectionde ses uvres. Cf.Littr, 1.1,p. 38et suiv. 7. Platon, Phdre,p. 270,C. 8. Outre les Lettres, on trouve dans la collection' hippocratiqueun certain nombre de pices (dcrets, harangues)qui sont censes se rapporter descirconstancesde ta vie d'Hippocrateet qui sont purement fictives.4. Les dates proposes 5. Cf. Suidas. flottent entre 377 et 359.

8S

CHAPITRE

III.

CRIVAINS

DIVERS

eaux proprement dits. Ceux-ci, pour n'tre pas tous d'Hippocrate, n'en sont pas moins des uvres srieuses, composes en gnral par ses lves directs ou indirects, par des Asclpiades de Cos, probablement dans le courant du iv sicle car la collection parat bien. avoir exist dans son ensemble au temps des premiers Ptolmes1. De plus, parmi ces crits dits hippocratiques, si la. pluen part sont postrieurs Hippocrate, quelques-uns, revanche, semblent tre plus anciens, ce qui en augmente l'intrt2. Quant ceux qui sont certainement postrieurs, il eu est un qu'Aristote attribue expressment au gendre d'Hipporate, le mdecin Polybe3. C'est l, la seule indication tout fait authenmalheureusement, tique et prcise qui soit arrive jusqu' nous sur ce sujet. Nous n'avons mme plus les ouvrages dans lesquels Galien, le clbre commentateur des livres hippocratiques, et le mdecin Erotianos avaient discut ex professo l'origine de ces divers crits. C'est donc sur leurs affirmations non prouves et sur l'examen intrinsque des uvres que nous sommes obligs de nous appuyer pour faire l critique de la collection. Les diteurs modernes n'ont pas manqu cette tche immense, qui exige, pour tre bien excute, non seulement les connaissances d'un hellniste, mais encore celles d'un historien del mdecine. Littr, qui runissait les unes et les autres, admet comme certainement authentiques une demi-douzaine d'ouvrages, auxquels il en ajouterait volontiers quelques autres encore; parmi les premiers, il range les traits intituls De l'ancienne mdecine; Du rgime des eaux et des lieux; Pronostic Des airs, 1. Cf.Littr,-1.I, p. 262-291, particulirement 288. et p. 2. Kwaxal Le wpoYvtfie, et npopp|-riic5v, Cf.Littr, t. I, p. 350-352. I. fait 'dbutduIlepl px,afy ijirptxr); du reste allusion tonteunelittra~M. ~p '' ture mdicaleantrieure. 3. Il s'agitdutraitIlspickkv6p 4. Id., ibid., 1, 1, 8.

208

CHAPITRE

IV.

SOCRATE

d'y tenir sa place avec honneur. L'homme, comme,le dira plus tard Aristote, est un animal politique. La vie politique au sens grec du mot, c'est--dire la vie dans la cit (par opposition la vie barbare ou semi-barbare) est la forme par excellence de la vie humaine; elle comprend la fois ce que nous appelons aujourd'hui vie politique, vie morale, vie intellectuelle. La science utile entre toutes, par consquent, est celle qui a pour objet de former le citoyen au sens complet du mot, l'homme en qui se rsume le plus compltement et s'panouit la vertu, telle que la conoit une intelligence athnienne du v" sicle. Sur ce point encore, Socrate est d'accord avec les sophistes. Eux aussi prtendent former l' honnte homme , le xaX n-ya66 qui est l'exemplaire- achev de la civilisation grecque de leur temps. Pour eux comme pour lui, la science par excellence est la science morale. Mais voici la diffrence. Pour Gorgias et Protagoras, purs sceptiques au fond, la science morale est toute dans les mots; elle est la rhtorique ou l'ristique. Prodicos, moins rhteur et moins sophiste que les autres, parle souvent en bons termes de la vertu; mais il ne sait pas pourquoi ce qu'il dit est juste, et il distingue mal la vrit de l'erreur. Il obit une inspiration naturelle qui est parfois heureuse, ma,is qui n'a rien de scientifique. Il en est de mmede ceux qui suivent simplement l'opinion commune ils peuvent avoir raison, mais ils peuvent se tromper, et dans les deux cas ils vont au hasard. Le Caractre propre de la science est de ne pas marcher au hasard. Elle sait ce qu'elle lait. Elle se rend compte elle-mme doses affirmations et peut en rendre compte aux autres, non pas d'une manire simplement apparente et illusoire, commeont la rhtorique et l'risf tique, fausses sciences, inutiles par consquent ou mme

NCESSIT

D'UNE

MTHODE

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dangereuses pour ceux qui s'y laissent prendre mais clairement, solidement, de manire tablir l'intelligence dans la pleine et sre possession de la vrit. En d'autres termes, la premire condition de la science, des objets auxquels il lui est aprs la dtermination de s'appliquer, est d'avoir une mthode. permis D'autre part, son rle est double. Il faut d'abord qu'elle sache reconnatre l'erreur qui se croit vraie et la dmasquer. Il faut ensuite que, dans le domaine des notions accessibles l'homme, elle sache trouver la vrit. La mthode, par consquent, est double aussi il y a d'abord une mthode critique et destructive, puis une mthode constructive. cette double Dgager dcouvrir des notions justes, iathode, puis l'appliquer voil ce qu'a voulu faire Socrate et ce qui lui donne une place a part au milieu de ses contemporains. Le il a nettement compris qu'une opinion vraie premier, pouvait n'tre pas scientifique, que la science tait tout autre chose qu'un ensemble de notions justes, mais non prouves. Le premier, il a essay de tracer les de cette mthode ncessaire. Le premier enfin, rgles il a entrepris d'en tirer parti au' l'ayant dcouverte, profit de la vrit. Avant tout examen de ses thories particulires, on peut dire que c'est l un progrs immense et dcisif dans l'histoire de l'esprit humain; car la mthode joue dans la science le mme rle que la avec la mthode, le mouveconscience dans l'individu ment instinctif et obscur de l'esprit fait place un mouvement conscient et rflchi '.c'est la pleine lumire qui succde aux demi-tnbres des intuitions confuses. On a souvent reproch Socrate, non sans raison, d'avoir trop rtrci le domaine de la science; de l'avoir non seulement rtrci, mais abaiss. Ses proccupations utilitaire, chez Xnophon,ont parfois quelque chose de/ Il n'a pas compris ce qu'il y avait de gnreif# mesquin.Hist. d la Litt. Grecque. T. IV. 14

JIO

SOCRATE

et de fcond dans ce vif lan de curiosit qui entranait un Thaes, un Anaximandre, un Anaxagore si loin du cercle troit de l'humanit, au risque de quelques chutes. Si les modernes, avaient ^fidlement obi Socrate, la science de la nature ne serait pas ne. Voil le reproche, et il est en' grande partie fond. II y a cependant plusieurs rserves importantes faire. Laissons de ct ce qu'il peut y avoir de choquant dans certaines c'est critiques adresses par Socrate Anaxagore Xnophon qui les rapporte, et,il n'est pas sr qu'ici l'interprte, en tant aux boutades de Socrate leur fantaisie, n'en ait pas altr le caractre. Quant au fond des choses, il faut songer, pour tre juste, que Socrate jugeait non pas la science de l'avenir, mais celle de son. temps; et que, si l'effort des premiers physiciens tait gnreux, il n'avait rien de sr ni de mthodique on comprend qu'un esprit rigoureux en ft offens. Exiger de lui qu'il distingut entre l'objet de ces recherches, lgitime en soi, et le dfaut de mthode qui les gtait, c'tait trop demander un polmiste original et novateur qui, ayant trouv la J'ois unnouveau domaine explofer et une nouvelle mthode pour le faire, ne pouvit gti~re s'eupcher de ~cosidrer les dux parties deux g~artis'' vait gure s'empcher de considrer de sa dcouverte comme insparables. D'ailleurs, s'il est vrai que Socrate ait rtrci d'un ct le champ de la science, il l'largit de l'autre, et plus peut-tre qu'on ne le dit. La science morale, telle qu'il l'entend, est beaucoup plus vaste que ce qu'on est habitu de nos c'est vraiment pour lui toute la jours nommer insi a en science de l vie humaine, mme des points qui n'ont rien voir avec la morale proprement dite. Ensuite, en subordonnant la mtaphysique la morale, il ne la dtruit pas il la transforme il cre la mtaphysique religieuse. Onpeut rejeter ses solutions on peut souteIV, 1. Xnophon, Mmor., 7, 7. ~$K"

MTHODE

CRITIQUE

211

nir mme que les problmes ainsi poss chappent toute solution. Ce qu'on ne saurait nier, c'est que, depuis Socrate, ils obsdent la pense humaine, et dton se rsigner ne pas les rsoudre, il faut bien du moins convenir qu'ils existent. Avant Socrate, on se demandait si c'est l'eau qui a commenc d'tre, ou si c'estl'air, ou si c'est le feu. Depuis Socrate, on se demande pourquoi il existe quelque chose, et si mme il y a un pourquoi. Rpondre n'est pas chose facile; mais on avouera que nulle question ne touche plus profondment au mystre des choses et ne dnote chez l'homme qui s'efforce d'y rpondre une plus haute et plus pntrante curiosit. 22 Arrivons aux rgles de la mthode. L'erreur est un jugement faux. Ce qui produit la fausset d'un jugement, c'est la disconvenance des lments quel'esprit rapproche dans une mme affirmation, par suite d'une tude insuffisante de ces lments. Ce qui dissimule aux hommes inattentifs cette disconvenance, c'est la complexit des choses examiner. Pour prouver la vrit d'un jugement, il faut donc l'analyser, en tudier chaque partie tour tour, confronter les mots avec les choses, le nom gnrique avec les objets particuliers auquel il est cens correspondre et dont il peut tre une reprsentation incomplte ou inexacte. L'erreur, mthodiquement analyse, aboutit une contradiction, qui trahit la disconvenance intime des choses; de mme, le signe de la vrit est la liaison exacte et la convenance des ides et des mots. L'erreur est tranehante et lgre la vrit doit tre patiente et prudente elle doit marcher pas pas, et, pour mieux sa marche, obtenir chaque pas l'adhsion garantir

212

1

CHAPITRE

IV.

SCRATE

de l'esprit1. Or le meilleur moyen d'assurer pratiquement cette adhsion, c'est de procder dialectique ment, c'est--dire par dialogues, et non par discours suivis. Dans les discours suivis, chers la rhtorique, il est facile de mler des choses incertaines ou fausses ' d'autres qui' sont vraies le torrent des paroles entrane tout2. Dans la dialectique telle que la conoit Socrate, chaque ide est envisage part et tour tour, et chacune n'est admise comme vraie que si les deux interlocuteurs sont d'accord pour la juger telle. Voil ta mthode d'examen qui permet de vrifier la valeur d'une opinion donne mthode d'analyse quant au fond, de dialogue quant la forme. La forme, videmment, n'a pas ici la mme importance que le fond; l'assentiment d'un interlocuteur pourrait tre remplac par l'adhsion de l'esprit lui-mme ses propres ides. Cependant Socrate tient presque galement aux deux choses c'est l'assemblage de ce fond et de cette form qui constitue sa dialectique 'de vrification ou d'preuve, sa dialectique critique. Maisil y a une autre dialectique, celle qui construit la science et l'organise. Auxyeux de Socrate, la science est avant tout une classification. L'univers n'est point un amas d'objets prs et sans lien' c'est un tout, formnI d'objets qui ont entre eux des rapports dtermins; en' d'autres termes, c'est un tout intelligible, au moins dans ses parties accessibles l'homme. La science consiste donc dcouvrir ces rapports. Connatre une chose, c'est non seulement savoir ce qu'elle est en ellemme, mais aussi quelle place elle occupe parmi les autres. Il s'agit donc non seulement t de la derire, 8i UMmor,, IV,6, 1S:'O.tiXYri, parledes7rom*o e et il 1. Aristoteppelle, a n 2 Lenomde l'induction de Socrate(Mtaphys., III, p. 1078,B, 8).mais X chezXnophon le verbeiwxvTreiv, se trouveni chezPlaton ni l par dansles Mmorables 13et 14),exprime'opration laquelle (IV,6, Socrateamne r unfait particulier saloi. & SwxpotTst .2. Aristote16c. it.) dit Avopurtv ti av dtaoBofy { c y = xaOdXov. 8i%at'h>;> t' nXTHto; * irow X-pu; T4p'e8ai (Platon, p G 3. O jot'a,XX nieretwixalvoumovre; Apol., .22, .). t

VALEUR

DE LA MTHODE

215

une maentiue (ymt-wi-fj) Socrate, le fils de la sage-femme, fait pour les esprits ce que sa mre faisait pour les corps1 il ne leur apporte pas la vrit du dehors il les aide produire au jour celle qu'ils renfermaient en eux-mmes. On voit alors comment le dialogue lui est ncessaire. Ce qu'il demande ses interlocuteurs, c'est de luioffrirdes matriaux laborer et des matriaux que son-propre fonds ne suffirait pas fournir lui, de son ct, leur apporte ses procds d'examen et de triage, sa mthode de vrification, de classement, de construction. Il y a donc entre eux -et lui une collaboration vritable. Les dangers de la mthode socratique sont de plusieurs sortes, et viennent de cette forme dialogue aussi bien que du fond qui la constitue. On ne tirera jamais d'un dialogue, mme sur un sujet de morale, toutes les donnes prcises qu'une tude attentive et patiente des faits pourrait fournir surtout si 1 un croit, comme la vrit, en toute matire, est dj forme Socrate, que au fond de' l'esprit et qu'il s'agit uniquement de la D'une manire gnrale d'ailleurs, on peut dgager. dire que le grand dfaut de la mthode socratique, sinon par l'effet d'une thorie formelle, du moins en fait, est de ne pas donner une part assez grande la description dite et l'observation des proprement prliminaire choses, de courir trop vite la classification, c'est--dire une construction d'ides gnrales. Il en rsulte (et c'est l'inconvnient que rendra plus frappant encore la hardiesse de Platon) qu'elle laissera les mots, ces signes des ides gnrales, se substituer peu peu aux choses, devenir mme des choses et vivre d'une vie idale qui finira par'sembler plus relle que' la ralit. Socrate observe peu c'est l, au reste, le dfaut de toute la science antique, surtout avant Aristote. Socrate, fondai. Thtte, . 149,sqq. p

d'tre

irt

etu&itfiUuy.s^cju

teur de la science morale, est moins un moraliste et un psychologue qu'un classificateur d'ides morales. Ces imperfections de la mthode sont videntes, et on ne saurait les taire. Mais il serait tout fait injuste de les reprocher durement au fondateur du spiritualisme. L'histoire impartiale prouvera toujours une vive admiration pour tant de vues si nettes et d'une si grande porte; pour ce sentiment profond qu'il n'y a pas de science sans mthode, et que la science humaine, faire d'abord l'tude des quelque part qu'elle doive tudier des rapports et faits, aboutit ncessairement les dterminer; la puissance de cet esprit qui, pour ayant conu la ncessit d'une mthode, en a fix les d'une manire durable; pour cette principaux trails abondance enfin d'ides originales et neuves qui, sous une apparence souvent paradoxale, comme dans la thorie delamaeutique, renferment un si riche trsor d'intuitions justes. ~'3J Les Mmorables font voir quelle varit de sujets Socrate appliquait sa dialectique. 11 causait avec tout le mond, de prfrence sur le. sujet qui tait le plusfamilier son interlocuteur, esprant ainsi dcouvrir quelque vrit nouvelle. Il discute unjour sur la beaut avec des. sur les exercices gymnastiques artistes une autre fois avec un jeune hommede sant dlicate2, une fois mme avec une courtisanfcsur l'amour3. Sept chapitres des f Mmorables 4 sont remplis par des discussions relatives aux qualits, du stratge, de i'hipparque, de l'homme d'tat, etc. La plupart sont Consacrs aux vertus morales 1. Mmor., III, 10. ~~s; 1. m, .12. 2. 3. Ibii. Ibd.,111, III. i. Au livre 'P'j.r.

ESTHTIQUE;

MftAL

^1?4*

des questions de proprement dites; quelques-uns, du mot) ou de thologie. Nous .physique (au sens grec n'avons pas suivre Socrate dans le dtail de ses vues sur tant de sujets; mais, sur trois ou quatre, ses conclusions ont une importance particulire et sont vraiment caractristiques. Par exemple, c'est un trait essentiel de son esprit que cette proccupation de l'utile, qui a t le point de dpart de toute sa, philosophie, et qu'on retrouve d'une manire frappante dans certaines thories o elle semble d'abord inattendue. Sa thorie du beau est, par certains cts, trs curieusement utilitaire ce qui fait qu'une cuirasse est belle, c'est la perfection avec laquelle doit protger. Socrate elle s'adapte au corps qu'elle dirait volontiers que le beau, c'est, non pas, selon le mot prt Platon, la splendeur du vrai, mais plutt la splendeur du bien, ou,, ce qui revient au mme, la splendeur de l'utile1; car le bien, dans la langue de Socrate, n'est rien d'absolu: une chose est bonne pour telle ou telle fin et n'est pas bonne en soi utile et bon sont synonymes2. Mme tendance et positive, mle d'idautilitaire lisme, dans la morale proprement dite. Quel est l'objet de la vie En fait, les hommes cherchent leur bonheur. Socrale ne rejette pas cette manire d'envisager la destine humaine. 11 s'y tient, mais il l'tudie dialectiquement.et voici ce qu'il y trouve. Lo vritable intrt de chacun,, le seul fondement solide du bonheur, c'est d'tre vertueux. Une mauvaise action est toujours punie, non pas seulement par les lois humaines, auxquelles se natter d'chapper, on pourrait par des lois autrement puissantes et invitables, qui sont la force mme des choses, la logique ncessaire gouverne tout. Le 1. Cf.Mmor.,III, 10,9 et suiv., et IV,6, 9. 2. Ibid.,IV,6,8 (i|>iXi|M>c = 4. Denys (ch. xn) lui en donne quatre-vingts, mais par conjecture, et parce qu'il .le ./ait naitre en 459. Onlui attribuait deux discours pour Tphicrate, prononcs, en 371 et 3S4 mais ils taient rejets par Denys ils S"iit auji urd'hui perdus. Cf. Blass, 33. p.3

LYSIAS

435

D'aprs l'auteur de la Vie de Lysias, le nombre des discours conservs sous son nom s'levait, dans l'antiquit, au chiffre extraordinaire de quatre cent vingtcinq. Beaucoup, sans doute, taient apocryphes; mais les critiques les plus svres et les plus expriments, Ccilius de Galact et en reconDenys d'Halicarnasse, naissaient encore comme authentiques plus de deux cents1. De cette immense bibliothque oratirs, il ne nous reste aujourd'hui que discours ou trente-quatre morceaux de discours2; si l'on admet trente-cinq, comme tant de Lysias celui du Phdre sur l'amour. Encore faut-il retrancher-de ce recueil cinq ou six pices apocryphes., De plus, un certain nombre d'autres sont de simples extraits (exordes ou proraisons), et enfin plusieurs sont en si mauvais tat que le texte en est parfois difficile restituer. Au total, ce n'est gure que dans une quinzaine de discours que nous retrouvons l'image tout fait pure et fidle du gnie de Lysias. Essayons de le faire revivre, en suivant, autant que possible, l'volution qui le conduisit peu peu des jeux subtils de la sophistique l'atticisme dlicieux des plaidoyers. De la premire priode sophistique de Lysias, il ne nous reste absolument rien, moins qu'on n'admette que le discours' attribu Lysias par. Platon, dans la premire partie du Phdre, est rellement de Lysias, et que Platon s'est born le transcrire. Cette hypothse, il est vrai, a trouv des dfenseurs considrables notamment, en France, M. Egger3, et, en Allemagne, M. Blass, le savant historien des orateurs attiques. Elle i. Deux centtrente-trois, selonla Viede Lysias; SuxxoaKov Mro-i* tou 1. L'auteur de l'argument dit qu'Ise a fort habilement pass sous silencele principequivoulaitquela postritdes mlesl'emportt sur celle des femmes; aiscf. Schmann, M Attische Process, p. 377. 2. La formuleest presqueinvariable.

ISOCRATE

465

On comprend que Dmosthne ait choisi l'loquence d'Ise pour modle, cette parole nerveuse et forte convenait sa propre vhmence. Entre Lysias et Dmosthne, pourtant, il y a encore un autre intermdiaire qu'Ise; c'est Isocrate, en qui se personnifie et s'panouit l'loquence d'apparat au ive sicle.

IIILOQUENCE D'APPARAT 1. Isocrate Isocrate1, quit en 436. qui lui son fils fils de Thodoros, du dme nad'Erchia, Son pre possdait une fabrique de fltes de l'aisance. Thodoros fit donner procurait une bonne ducation; eut appris quand Isocrate

tous les enfants ce que l'cole enseignait d'Athnes, il suivit des sophistes, l'enseignement plus relev qui l'ge o d'autres, cotait cher et qui exigeait des loisirs, gagner leur vie. Il fut moins favoriss, songeaient l'lve dans le gnovs de Prodicos2. Il couta aussi Socrate; dialogue du philosophe3; de Platon, le range parmi dans^son Phdre, les compale Busiris,

lui-mme,

4. Ce que nous savons de la vie d'Isocrate nous vient surtout de Denys d'Halicarnassc (Jugement sur Isocrate, 4) et du Pseudo-Plutarque (Vies des Dix Orateurs), qui citent des sources anciennes. Ajouter, quelques indications (assez rares), parses dans ses oeuvres (surtout dans YAntidosis). Cf. Blass, Allische Berds., t. H. Sur Isocrate en gnral, outre les historiens de la littrature ou de l'loquence grecques, il faut lire l'tude exquise donne par E. Havet en tte de la traduction de YAntidosis par Cartellier, Paris, 1863. 2. Denyscite encore, parmi ses maitres, Gorgias, Tisias et Thramne. 11 sera question de Gorgias un peu plus bas. Quant Tisias, qui habitait la Sicile ou l'Italie, il est douteux. qu'Isocrate ait fait autre chose que de lire ses crits. Thramne enfin n'a certainement jamais profess la rhtorique. 3. Phdre, 278, E cf. 279, B;Hist. de la Litt. Grecque. T. IV, 30

iiiti

CHAPITRE

VII.

L'ART

ORATOIRE

homme avec respect1. Nous verrons qu'il Lui dut beaucoup. La philosophie pourtant ne le retint pas; l dialectique de Socrate, en effet, ne convenait gure sa nature, et il a maintes fois exprime son peu de got pour les coles philosophiques de son temps ?. Une vocation irrsistible le poussait vers l'loquence. Aprs la guerre du Ploponse, son pre se trouvant ruin, il dut chercher a gagner de l'argent. C'est vers l'loquence qu'il se tourna. Et tout d'abord il s'occupa de complter son ducation oratoire 3. Gorgias, qui avait t longtemps le plus illustre des rhteurs, vivait alors en Thessalie, o sa gloire durait encore. Isocrate alla se mettre son cole Il revint ensuite Athnes pour faire mtier d'orateur. Mais, dans l'loquence mme, toutes les voies ne lui taient pas ouvertes. Il tait incapable d'affronter la tribune aux harangues. Il le dclare plusieurs reprises et endonne la raison sa voix tait insuffisante, sa timiCette timidit maladive ne lui dit insurmontable5. permit mmepas d'essayer de se faire sa place dans une carrire qui, quelques gards, tait de nature lui, plaire, mais dont il n'avait pas en somme les qualits essentielles! Ni son esprit ni son caractre n'taient d'un hommed'action. Les questions qui se discutaient dans l'assemble du peuple l'attiraient sans oute, mais bien plus par leurs cts philosophiques et gnraux que par leurs dtails rels et prcis. C'est un idaliste et un rveur qu'lsocrate; c'est un bel esprit chimrique un honnte homme candide et un peu naf.1. Busiris, S et C(il parle de sa douceur). 2. Cf. plus bas. 3. Antidosis (XV), 161: 4. Gicron, Orat., 116. Quintillen (III, 1, 13) rapporte aussi, d'aprs date de t Aristote, qu'il fut le plus clbre des disciples de Gorgias. Sur la 'i ces relations, cf. Blass, p. 14. 5. Panathn. (XII), 9-10; Philippe (V), 81-82; et souvent ailleurs. -`'

ISOCRATE

467

Il n'a ni la nettet de vues, ni le sens pratique, ni peuttre l'absence de scrupules qui sont ncessaires rhonanie d'tat. Il est d'ailleurs trop artiste; il se proccupe trop d'atteindre un certain idal de style pour donner aux choses l'attention qu'elles rclament. Avec il a la vanit l'esprit d'un artiste, il en a le caractre chatouilleuse et irritable qu'Horace attribuait aux potes. Une piqre lgre lui causait une vive douleur. Il pense sans cesse lui-mme, son talent et sa gloire il en parle avec une fatuit nave qui fait sourire. Il n'eut que deux procs dans sa longue vie 1; c'tait peu pour un Athnien. Les luttes et les difficults lui faisaient horreur2 l'atmosphre o il aimait respirer tait celle des ides pures et du beau langage. S'il trouvait sur sa route un rival, ou simplement un dissident, il en souffrait, et sa douceur ordinaire s'aigrissait3. Il fallait des mes autrement trempes pour se jeter dans la bataille politique. La tribune aux harangues lui tant ferme, il pouvait encore choisir entre le mtier de logographe et l'loquence d'apparat. Il tenta d'abord le mtier de logographe. Pendant une douzaine d'annes, il composa des plaidoyers pour vivre. Ceux qui nous restent ont d tre crits entre 400 et 397 environ. On voit par Denys d'Halicarnasse que les bons juges en faisaient grand cas, et il n'est pas douteux qu'il n'ait acquis ds lors de la fortune et de la rputation. Le mtier de logographe n'tait pourtant ses yeux qu'un pis-aller; ces misrables ques1. Tousdeux pour une questionde trirarchie; le premiercontreun le certain Megaclids (Ps.-Plutarque,socvate), secondcontre ceLysimaI chosqu'ilprend partie dans 1'Antidosis. le discoursde VAntidosis Si eneffet,est unplaidoyerfictif,il n'en est pas moins vrai qu'il avait t prcdd'unecontestation relle au sujet d'une liturgie. Cf.Antidosis, 4-5 et.27. 2, Antidosis,51 rfp (.v i xi rovxi'av 7rp