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    UNE FRAUDE PRESQUE PARFALe pillage des caisses dpargne amricaines par leurs dirigeants

    Traduit de lamricain par Franoise et Paul ChemlaPrface de Jean de Maillard

    Postface dactualisation de William K. Black

    William K. Black

    38, rue Saint-Sabin 75011 Paris / FranceTl. et fax : 33 (0)1 48 06 48 86 / www.eclm.fr

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    Les ditions Charles Lopold Mayer, fondes en 1995, ont pourobjectif daider lchange et la diffusion des ides et des exp-riences de la Fondation Charles Lopold Mayer pour le progrs delhomme ( www.fph.ch) et de ses partenaires. Les ECLM sont mem- bres de la Coredem, une confdration de sites ressources pour unedmocratie mondiale, qui rassemble des partenaires autour dunecharte, dun moteur de recherche et dun wiki. www.coredem.info

    Vous trouverez des complments dinformation, des mises jour,

    lactualit de lauteur, etc. sur le site www.eclm.fr

    LInstitut Veblen pour les rformes conomiques est une associa-tion de loi 1901 but non lucratif. Sa mission est duvrer pourla transition vers un mode de dveloppement soutenable et une co-nomie socialement juste. Pour ce faire, lInstitut labore, diffuse etpromeut des propositions de rformes dans le domaine de lcono-mie. www.veblen-institute.org. LInstitut Veblen anime linitiativeinternationale pour repenser lconomie (www.i-r-e.org).

    Lditeur remercie Aurore Lalucq, co-directrice de lInstitut Veblen,qui est linitiative de ce projet de traduction, et qui a uvr avec beaucoup de prcision, de rigueur et denthousiasme pour rendre letexte accessible au public franais, tant dans la forme que sur le fond.

    Lauteur William K. Black est avocat et universitaire, minent spcialiste dela criminalit en col blanc, des nances publiques et de la rgle-mentation bancaire. Paralllement ses activits universitaires, il adirig lONG Fraud Prevention Institute de 2005 2007.

    Originally published in 2005 as The Best Way to Rob a Bank is to Own One by WilliamK. Black, copyright 2005 by the University of Texas Press. All rights reserved. ditions Charles Lopold Mayer, 2012Dpt lgal, janvier 2012Essai n 190ISBN 978-2-84377-166-8 Mise en page : Sylvie ClmenteCration graphique : Nicolas Pruvost

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    PRFACE Jean de Maillard1

    Publi en 2005 aux tats-Unis, louvrage de Bill Black, dont le titreoriginal sonnait comme une charge ironique sans appel 2, racontelune des pages les moins honorables, mais aussi les moins tudies,du capitalisme nancier amricain : la crise des caisses dpargneamricaines au cours des annes 1980. Quavons-nous faire, sedemanderont peut-tre certains, des turpitudes dune poigne demalfaiteurs en col blanc dont lpoque a dj rejoint, dans la gestecollective, celle de la conqute de lOuest, laquelle ne fut gure plus vertueuse mais reste une pope lgendaire ? lheure o les mar-chs nanciers comptent dsormais en millisecondes les oprationsdu trading haute frquence , o leur horizon ne dpasse gure le jour mme et o le mois, voire la semaine paraissent des chancesinaccessibles, la tentation est grande, il est vrai, de se dire que cestemps anciens appartiennent la prhistoire de la mondialisation.

    Ainsi penseront sans doute les gens amnsiques ou presss, ceuxqui jugent que la crise actuelle cre une urgence plus imprieuseque dvoquer les prcdentes et plus encore ceux qui sont convain-cus que la criminalit des lites nest et ne sera jamais quune plumequi virevolte, ternellement insigni ante et lgre, au-dessus desots torrentueux de lHistoire.

    Tous ceux-l se trompent, ou peut-tre nous trompent. En pre-nant linitiative de cette publication en franais, lInstitut Veblen

    1. Jean de Maillard est magistrat. Il est vice-prsident au tribunal de grande instance de Paris janvier 2011. Son ouvrage,Un monde sans loi. La criminalit nancire en images, fait rfrence enmatire de blanchiment de largent sale. Il est membre de lObservatoire gopolitique des crim(OGC) et contributeur au site Rue89 (source : Wikipdia).2. Le titre original de louvrage de Bill Black estThe Best Way to Rob a Bank is to Own One (Le meilleurmoyen de dvaliser une banque, cest de la possder ) [Note de lInstitut Veblen].

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    et les ditions Charles Lopold Mayer ont bien compris limpor-tance, ici et maintenant, de revenir aux sources de nos mauxprsents. Lintrt dun tel livre nest pas seulement historiqueou anecdotique, tant sen faut. Il est mme des plus pratiques etdes plus actuels. Que nous enseignent en effet les pages qui sui- vent ? Quau-del dune aventure qui ne pouvait probablementsurgir quen Amrique o le culte sacr de la libre entreprisepuise sa force de conviction dans la loi du colt promue par laConstitution , cest aussi notre histoire quelle raconte et elle

    nous concerne encore au premier chef. Pour deux raisons.Dabord parce que, lorsque lAmrique ternue, le monde entier

    senrhume. La crise des savings and loan inaugure par une catastro-phe la globalisation conomique et nancire et xe ainsi, ds lespremiers jours, le modle dune libralisation nancire sauvage quisest construite sur des illusions dvastatrices et des contradictionsinsolubles. Sous les chimres dune mondialisation heureuse ,derrire les mirages dune croissance in nie et facile, dans leupho-rie des bulles destines nous tourdir bulles nancires, bulleinternet, bulles immobilires, aujourdhui bulle des dettes publi-ques (tats, collectivits, institutions) , la crise o nous sommesplongs, dernier avatar dun systme dbrid en voie deffondre-ment, rvle ceux qui lignoraient encore lexistence dune logi-que prdatrice luvre depuis que les tats et les gouvernementsont abandonn leurs pouvoirs la nance. Ensuite parce que cetinvraisemblable dferlement de fraudes que nous relate Bill Blackna pas t une anomalie passagre, une transition mal assume,mais linauguration dun modle de gouvernance qui na cess destendre et de se raf ner depuis lors, au mpris des frontires.

    Force est dailleurs de se demander pourquoi les conomistes,les mdias et les responsables politiques, dans leur grande majo-rit, ont choisi de nier avec un tel acharnement et contre toutevidence la dimension vertigineuse de la fraude dans lmergence,puis la gestion et mme la solution de la crise des savings and loan.Comment ont-ils pu se refuser voir ce que rvle lautopsie dece premier dsastre on en a connu dautres par la suite , sousle scalpel afft et prcis de cet ancien rgulateur ? Pourquoi na-t-on tir aucune leon du rapport de mdecin lgiste quil a extraitde ses observations, faisant le rcit hallucinant dune criminalitqui saf chait tous les tages avec le plus grand cynisme et sans

    PRFACE

    la moindre vergogne ? Laissons chacun la responsabilit de sonsilence ou de son aveuglement, certains de leur complicit, pournous interroger sur des causes plus collectives. Nest-ce pas simple-ment parce que laveu de la fraude comme substance des marchs, lheure de leur tr iomphe, tait tout simplement impossible ?

    Impossible, il semble bien quil lait t un double titre. En pre-mier lieu parce quon ne pouvait construire le nouveau modle co-nomique et nancier, qui est n lors de cette dcennie funeste, sur laconfession dune faute originelle aussi lourde, plaant inluctable-

    ment la fraude au cur des dispositifs de production et dchanges.En second lieu parce que la mondialisation nolibrale a converti sa loi dairain lensemble des familles politiques, en Europe commeailleurs. Les nouveaux proslytes de la religion nancire univer-selle nallaient pas en dnoncer les pchs capitaux, fussent-ils lesplus immoraux et les plus ravageurs, au moment mme o ils syralliaient avec enthousiasme et dcouvraient parfois avec ravisse-ment les avantages personnels quils pouvaient en tirer.

    Cela dit, si lconomie tait chose rationnelle, comme le serinentles conomistes, et si la politique tait mene pour le bien public,comme le proclament les responsables politiques, donner un nou- vel cho au cri dalerte de Bill Black au pire de la crise nancirequi ne cesse de grossir depuis 2007 devrait conduire remettrede lordre dans la boutique mondialisation . Sil aidait un telsursaut, ce livre serait dj, pour ce seul motif, une uvre haute-ment salutaire. Mais il faudra encore, nen pas douter, beaucoupde patience. Bill Black nous y convie nalement, en montrant quelurgence nest pas de chercher frntiquement des solutions vitefaites mais, en revenant inlassablement sur les erreurs et les fautesdu pass, de poser bon escient les questions qui fchent. com-mencer par celle-ci : quelle est la place de la fraude, quil quali e de patronale (control fraud), dans le fonctionnement de lconomie etde la nance ? Or cette simple dmarche de bon sens est dj, en soi,une rvolution mentale qui tarde saccomplir. Sans compter lesintrts quelle bouscule, elle heurte la distinction radicale entreconomie et criminologie, si ancre dans les esprits que lvoquer,mme timidement, parat de la plus grossire impertinence et lin-dice de la pire des incomptences.

    Voil pourtant deux savoirs qui se sont construits dans ligno-rance revendique lun de lautre. Le succs qua connu lexpression

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    de dlinquance en col blanc , invente par Edwin Sutherlanddans lentre-deux-guerres et passe dans le langage courant, nychange rien. Elle dsigne des criminels qui ont investi subrepti-cement le monde des affaires et laisse par consquent intacte laquestion des incitations la fraude venues directement de lco-nomie et de la nance. Quant aux quations mathmatiques dunGary Becker3, par exemple, qui cherche expliquer le crime parla thorie des choix rationnels chre aux noclassiques et ramnetout acte dlinquant un calcul en termes de cots et avanta-

    ges individuels, elles ne dmontrent rien du tout sur la maniredont merge la fraude systmique et nimpressionnent que ceuxqui communient aux dogmes microconomiques de la penseunique.

    Il manquait donc encore une thorie pour dpasser le clivage,en ralit trs complice, entre une science conomique qui nieou ignore, par principe, lexistence de la criminalit conomiqueparce quelle nentre pas dans ses schmas prconus sur la ratio-nalit en fait parce quelle relve dune autre rationalit quela sienne laquelle elle-mme ne comprend rien et une crimi-nologie porte par une seule obsession : que la transgression desrgles ne vire en une pathologie svre et surtout contagieuse. Ense tournant ostensiblement le dos, conomie et criminologie sesont appropri en ralit depuis des lustres, comme deux vieuxcompres, le champ clos des savoirs acadmiques lgitimes : lapremire, ce quelle croit qui existe ; la seconde, ce quelle croitqui ne devrait pas exister Elles empchent quiconque voudraitremettre en cause leurs chasses gardes de saventurer sur leurterritoire respectif. Bien quelles se snobent superbement ellesse sont partag tout lespace, faisant de tout hte importun venudailleurs, qui voudrait leur contester leurs titres de propritsur les sciences sociales, un squatter indsirable. Cest cette belleentente entre les deux faux adversaires que le concept de fraudepatronale vient enfoncer, comme par effraction si jose dire : il joue ici le r le du chien dans le jeu de quilles ou, s i lon prfre,de lempcheur de sophistiquer en rond.

    3. Crime and Punishment: An Economic Approach.The Journal of Political Economy,1968, p. 169-217.

    PRFACE

    Je laisse au lecteur le soin de dcouvrir, ds les premires pages deson livre, la d nition que Bill Black donne de la fraude patronale.Il trouvera premire vue peu de diffrences entre le patron-escroc dont il parle et le dlinquant en col blanc que Sutherland dcrivaitcomme un criminel form par ses ans en dlinquance et qui, aprsson apprentissage, sintroduit comme un voleur dans le monde desaffaires, bien plus rmunrateur et bien moins dangereux, sur le planrpressif, que celui des bas-fonds. sen tenir cette convergenceapparente, lapport thorique de la fraude patronale serait, je lac-

    corde, insigni ant et ne mriterait gure quon sy arrte. Mais BillBlack, sans renier la dmarche microconomique, voit quand mme beaucoup plus loin que son troit horizon. Il ne rpugne pas regar-der les marchs non comme une proie fragile livre des prdateursfroces tombs du ciel, mais comme la matrice, en n de compte,du parasitisme qui les ronge. Pour prendre une mtaphore quon mepardonnera, la fraude serait en quelque sorte le ver-coquin de lcono-mie, ce petit parasite qui dtruit la matire grise des bovids et nitpar disparatre lui-mme, par la force des choses, mais seulementquand il a achev de grignoter la cervelle o il a lu domicile.

    Soyons juste : Bill Black nest pas le premier auteur pointer lesimpasses thoriques dune conomie abstraite, qui voit les mar-chs comme des mcaniques bien huiles, insensibles aux faibles-ses humaines. Lauteur rend mme hommage ses prcurseurs : Akerlof, Pontell et dautres, dont il reprend ici les analyses. Il leurajoute cependant une vision plus complte, me semble-t-il, enintgrant la fraude et la criminalit comme une dimension partentire de lconomie plutt que comme un facteur de vulnrabi-lit. La force de Bill Black consiste rattacher une description inconcreto des mcanismes quil a vu fonctionner durant la dcenniecruciale o sest mise en place la globalisation, une analyse tho-rique qui en dcortique les causes et le droulement. Largementdocumente et rigoureusement dcrite par ses soins, la crise dessavings and loan a t le laboratoire exprimental de la fraude syst-mique qui na cess ensuite de stendre et de se diffuser mesureque la globalisation simposait.

    Fraudes comptables, abus de biens sociaux, schmas de Ponzi, cor-ruption des politiques et des organes de supervision, falsi cationsen tout genre, pillages des trsoreries, trucages des rglementations,mais aussi dliquescence des institutions et connivence des lites

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    la liste est interminable, mais elle inclut surtout les plus hautes ins-tances de ltat, des administrations, des rgulateurs, des banques etdes entreprises. Sil ny a aucun complot, il ny a pas pour autant deplace pour le hasard ou la concidence. Cest l que la fraude prendtoute sa dimension thorique et devient un concept majeur que BillBlack ne cesse de vouloir intgrer la comprhension des marchs. ce niveau, elle ne peut plus tre considre ni comme une donnengligeable, ni comme une dviance individuelle : elle est devenue sys-tmique, cest--dire quelle fait corps avec le systme lui-mme et en

    constitue un dterminant incontournable. Elle affecte irrmdiable-ment le fonctionnement des marchs.

    Dernire question, et non des moindres, que je voudrais aborderdans ce prambule : doit-on considrer que la thorie de la fraudepatronale est un aboutissement ? Bill Black a-t-il donn le dernier motdune explication sur la fraude conomique et nancire ? Je ne lecrois pas, je ny vois pour ma part quun point de dpart. Cela nterien ses mrites, car il a pos les fondements dune dmarche sur les-quels une nouvelle criminologie, mais aussi une nouvelle conomie vont pouvoir en n sdi er.

    Pour rsumer sa thse, les dirigeants peuvent devenir, contraire-ment ce quon pourrait croire, les meilleurs ennemis de leur entre-prise, car ils sont les mieux placs pour la dvaliser. Il sinterroge alorssur les raisons pour lesquelles ils tuent ainsi la poule aux ufs dor,au lieu de se contenter de faire fructi er le capital qui leur est con .Lexplication quil donne dune observation, au dpart judicieuse,nest pas la partie la plus convaincante de ses dveloppements. Ilfonde en effet la fraude patronale sur les motivations individuelles decriminels qui se jettent sur les entreprises lorsquelles sont vulnra- bles, comme un rapace fond sur sa proie.

    Cette manire de poser le problme place les patrons-escrocs au cen-tre du dispositif qui transforme les marchs en foire aux voleurs. Celaprsente deux inconvnients. Le premier est de ne pouvoir attribuer la fraude quune seule consquence, celle dentraner la destruction desmarchs o elle sest installe. Or rien nest moins sr. Jai montr 4 par

    4. Par un recours massif la fausse sous-traitance, la fausse prestation de service, au dtournement desrgles protectrices du contrat de travail, au travail clandestin, lemploi dtrangers en situation irrgulire,etc., les entreprises ont pu externaliser de nombreuses productions et faonner ainsi un nouveau paysage

    PRFACE

    exemple comment une fraude massive au droit du travail, en France,avait simplement prpar la mutation des entreprises lconomieglobalise, au tournant des annes 1980, les nouveaux modes dorga-nisation ayant ensuite t, au moins en partie, progressivement avali-ss par le droit. Le second inconvnient est de ramener la fraude unetransgression purement dlinquante. En dautres termes, il ny auraitde fraude que l o lon dtecterait aussi des comportements crimi-nels, dont elle serait le produit direct. Il me semble au contraire quelmergence dune catgorie nouvelle, celle de fraude, conduit une

    tout autre approche que celle de la criminologie traditionnelle, qui neconoit la dlinquance qu travers la personne du dlinquant. vraidire dailleurs, je ne pense pas tre en dsaccord avec Bill Black surce point. Jenvisage simplement le problme sous un angle diffrent :l o lauteur pointe surtout des responsabilits, je voudrais insisterplutt sur la logique dun systme quil a lui-mme dcrit, o lim-putation personnelle des fraudes nexplique ni les mcanismes ni lesraisons dtre de la fraude.

    Il suf t de voir par quels procds on a gon la bulle des sub- primes jusqu son clatement. On sait que les prts hypothcairesconsentis aux populations indigentes taient titriss pour treinjects dans le systme nancier o ils donnaient lieu de juteu-ses spculations, sous forme de produits drivs sophistiqus quiont ni par faire seffondrer la nance mondiale. Or 50 70 % desdossiers de prts hypothcaires subprimes, selon les quelques estima-tions dont on dispose, taient frauduleux. Les fraudes en questionont pro t au premier chef aux banques qui les transformaient enproduits toxiques. Certes elles taient matriellement ralises nonpar ces dernires, mais par des Noirs et des Latino-Amricains sansemploi ni ressources et en qute dun logement. Mais on leur faisaitmiroiter la perspective de devenir propritaires bon compte et descourtiers peu scrupuleux les incitaient quand ils ne les y aidaientpas monter leurs dossiers de prts partir de fausses dclara-tions. Qui tait donc le plus coupable ? Les emprunteurs, souventillettrs et insolvables, subjugus par le miroir aux alouettes du rveamricain, ou les professionnels de limmobilier qui constituaient les

    industriel et productif. VoirLArnaque, la nance au-dessus des lois et des rgles, Gallimard, 2009.

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    June : heureusement que Joy a brl la soupe.

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    ABRVIATIONS ET ACRONYMACC American Continental Corporation (holding utilise par Keating pour

    Lincoln Savings)ACFE Association of Certi ed Fraud Examiners (Association des inspecteurs an

    agrs)ADC acquisition, dveloppement et construction

    AICPA American Institute of Certi ed Public Accountants (Institut amricain dperts-comptables)

    APS agent principal de supervisionARM arbitrage risque matrisAY Arthur Young & Company (lun des Huit Grands de laudit et de la compBank Board, voir FHLBBC&D cease and desist order (injonction judiciaire de cesser une pratique et de ne pas

    recommencer)CAP comit daction politiqueCDSL California Department of Savings and Loan (Dpartement des caisses d

    de Californie)CEBA Competitive Equality Banking Act, 1987 (loi sur la concurrence quit

    le secteur bancaire , qui a autoris la recapitalisation de la FSLIC).CRA Community Reinvestment Act (loi imposant le rinvestissement dune pa

    dpts bancaires dans la collectivit locale dont ils sont issus)DCCC Democratic Congressional Campaign Committee (Comit dmocrate de

    gnes lgislatives)DNC Democratic National Committee (Comit national dmocrate)ERC Enforcement Review Committee (Comit dexamen de laction rpressivFAS Financial Accounting Standards (normes comptables et nancires)FASB Financial Accounting Standards Board (Comit des normes comptable

    nancires, instance suprme charge de xer les normes professionnelles dexperts-comptables)

    FBI Federal Bureau of InvestigationFCPA Foreign Corrupt Practices Act (loi sur les pratiques de corruption l

    ger , qui interdit de verser des pots-de-vin des dirigeants trangers)FDIC Federal Deposit Insurance Corporation (organisme fdral qui garantit l

    pts bancaires)FHLB Federal Home Loan Bank (banque rgionale rglementant les caisses d

    et leur consentant des prts)

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    FHLBB (ou Bank Board)Federal Home Loan Bank Board (autorit fdrale de rglementation et de contrledes caisses dpargne)

    FHLBSF Federal Home Loan Bank of San Francisco (FHLB ayant juridiction sur la Califor-nie, lArizona et le Nevada)

    FICO Compagnie nancire cre pour recapitaliser la FSLICFSLIC Federal Savings and Loan Insurance Corporation (organisme fdral qui garantit

    les dpts des caisses dpargne)

    GAO General Accounting Of ce (organisme fdral daudit, rcemment rebaptisGovernment Accountability Of ce)

    GPRA Government Performance and Results Act, 1993 (loi visant amliorer la gestionde projets de ltat)

    IRS Internal Revenue Service (administration fdrale des impts)KIO Kuwaiti Investment Of ce (copropritaire avec Lincoln Savings du Phoenician Hotel)LTOB Loans to one borrower (rglementation du Bank Board restreignant le montant

    global des prts consentis un mme emprunteur)MCP Management Consignment Program (programme de tutelle de la gestion)NAHB National Association of Home Builders (Association nationale des entreprises du

    btiment)NAR National Association of Realtors (Association nationale des agents immobiliers)NASSLS National Association of State Savings and Loan Supervisors (Association natio-

    nale des superviseurs de caisses dpargne au niveau des tats)NCFIRRE National Commission on Financial Institution Reform, Recovery and Enforce-

    ment (Commission nationale sur la rforme, le redressement et la rglementa-tion des institutions nancires, nomme pour tudier les causes de la dbcledes caisses dpargne)

    OCC Of ce of the Comptroller of the Currency (organisme fdral de rglementationet de contrle des banques denvergure nationale)

    OE Of ce of Enforcement (le service de rpression des infractions du Bank Board)OES Of ce of Examinations and Supervision (nom initial du service de supervision du

    Bank Board)OGC Of ce of General Counsel (Bureau du directeur des affaires juridiques)OMB Of ce of Management and Budget (organisme budgtaire de lexcutif fdral)OPER Of ce of Policy and Economic Research (service conomique du Bank Board)OPM Of ce of Personnel Management (service du personnel fdral)ORPOS Of ce of Regulatory Policy, Oversight and Supervision (Bureau de la politique

    rglementaire, de la surveillance et de la supervision, service de supervisiondu Bank Board)

    ABRVIATIONS ET ACRONYMES

    OTS Of ce of Thrift Supervision (Bureau de supervision des caisses dpargnePA protocole daccordPCGA principes comptables gnralement admisPCR principes comptables rglementairesPCRC principes comptables rglementaires cratifsPDG prsident-directeur gnralPTV prt taux variableREPO repurchase obligation (vente de titres quon sengage racheter plus tard ; lautre

    partie, qui achte les titres en sengageant les revendre plus tard, effectue reverse REPO, un REPO invers)

    RP relations publiquesRTC Resolution Trust Corporation (agence fdrale temporaire [1989-1995]

    pour liquider les biens des caisses dpargne en faillite)S&L Savings and Loan (caisses dpargne)SEC Securities and Exchange Commission (organisme fdral de rglementat

    marchs nanciers)TDR Troubled debt restructuring (restructuration de la dette dun dbiteur en dif cult)TFR Thrift Financial Report (rapport nancier trimestriel que les caisses dp

    doivent remettre lOTS)TRO Temporary restraining order ( injonction restrictive provisoire qui, pour protger

    certaines personnes avant le jugement d nitif, interdit immdiatement dautpotentiellement menaantes, tout contact avec elles)

    VNR valeur nette de ralisation

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    AVANT-PROPOSEn 2003, daprs le dpartement de la Justice des tats-Unis, jamais

    les crimes et dlits contre les biens navaient atteint un niveau aussi bas, alors quen fait, depuis leffondrement dEnron la n de lan-ne 2001, ils battaient tous les records. Cette contradiction sexpliqueaisment. Le dpartement de la Justice ne comptabilise pas les vols lesplus graves : il exclut de ses statistiques la criminalit des cols blancs.Pourtant cest bien une vague descroqueries montes par des hom-mes contrlant de grandes entreprises appelons-les control frauds, fraudes patronales ou fraudes du dirigeant qui tait loriginedu gros des pertes dues la criminalit contre les biens.

    Dans les annes 1980, une dferlante de fraudes patronales a ravagle secteur des savings and loan, les caisses dpargne amricaines. Jait au cur de cette crise : je travaillais en tant que rgulateur pourlautorit publique de rglementation et de contrle de ces caisses.Comme on le verra dans ce livre, javais une trange aptitude metrouver au mauvais endroit au mauvais moment et un certain talentpour mattirer les foudres de puissants politiciens 1. Aprs la dbcle, je suis retourn lcole : jai tudi la criminologie luniversit deCalifornie Irvine. Je savais que la crise des caisses dpargne taitne dune fraude systmique. Jai donc consacr ma thse aux frau-des patronales dans les caisses dpargne de Californie.

    Si jai crit ce livre, cest parce que nous navons pas tir les leonsde la dbcle des caisses dpargne. Cest pourquoi nous navons vuque du feu la vague suivante de fraudes patronales. Des escrocs diri-gent des entreprises qui leur servent simultanment dpe et de bou-clier. Ils se sont montrs capables de duper les meilleurs connaisseursdes marchs et les professeurs dconomie les plus subtils. Ce sont

    1. Les grandes tapes de ma carrire dans la rglementation sont rappeles au chapitre 2 de lde Riccucci (1995).

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    des superprdateurs nanciers, qui utilisent la fraude comptable la fois comme arme et comme moyen de se protger des poursuites judiciaires.

    Plusieurs facteurs font de la fraude patronale un phnomneexceptionnellement dangereux. Celui qui dirige une entreprise(ou un pays) peut aisment neutraliser tous les contrles interneset externes parce quen d nitive, leur responsable suprme, cestlui. Et les PDG fraudeurs ne se contentent pas de mettre au placardceux qui sont chargs de contrler ; ils les subornent et les transfor-

    ment en allis. Les plus grands cabinets davocats, sous prtexte deservir avec zle leurs clients, ont aid des patrons-escrocs piller et dtruire leur entreprise.

    Les plus gros cabinets daudit ont t les allis les plus prcieuxdes patrons fraudeurs (Black 1993e). Toutes les caisses dpargnediriges par des escrocs ont pu obtenir leur opinion sans rserve 2 et il en a t de mme dans toutes les grandes fraudes patrona-les rcemment dmasques. Les entreprises, au sein desquelles despatrons-escrocs font de la comptabilit truque leur lance et leur bouclier privilgis, prsentent en gnral des pro ts exceptionnelsavant de sombrer dans une faillite catastrophique. Ces pro ts ctifspermettent aux habiles PDG fraudeurs davoir recours des mca-nismes courants dans le monde des affaires, comme les primes enstock-options, pour faire passer les actifs de la socit dans leur for-tune personnelle. Pour y parvenir, ils se dguisent en chefs dentre-prise lgitimes a n de pro ter de la prsomption dhonntet (et delaura) dont jouit tout PDG.

    Les patrons-escrocs parviennent transformer lentreprise et sonenvironnement rglementaire pour faciliter leurs fraudes patrona-les. Ils disposent cette n de toutes les ressources de leur socit.Ils versent souvent (directement et indirectement) de grosses contri- butions aux campagnes lectorales. Ils peuvent faire du lobbyingpour rclamer plus de drglementation, ou la rforme de la res-ponsabilit juridique des entreprises, ou encore le licenciement

    2. Un auditeur extrieur met une opinion sans rserve quand il estime que la dclaration nancirede lentreprise audite donne une image dle de sa situation nancire, ne dissimule aucuneinformation importante, et que le rsultat de ses oprations comptables est conforme aux dispositionsdes principes comptables gnralement admis (PCGA) [Note de lInstitut Veblen].

    AVANT-PROPOS

    du dirigeant de lautorit de contrle. Ils peuvent repositionnerlentreprise dans les activits les plus propices aux fraudes compta- bles cest--dire, en gnral, investir dans des actifs qui nont pasde valeur de march facilement vri able et se les vendre entreeux, mcanisme qui peut transformer des pertes relles en pro tsctifs (Black 1993b) ; ou encore cibler des secteurs mal rglements.Ils peuvent faire entrer lentreprise en croissance rapide et la trans-former en pyramide de Ponzi 3.

    Le rsultat est un dangereux mlange qui semble sain et lgal

    mais ne lest pas, et qui dispose de ressources extraordinaires dontle patron fraudeur peut user librement. Les dirigeants escrocs sesont montrs capables de duper les acteurs du march les plus aver-tis. Leurs entreprises peuvent tre insolvables au dernier degr touten tant classes comme les meilleures du monde par les experts.Lanalyse conomique traditionnelle de la dbcle des caissesdpargne postule que les high- iers4 nexistaient quen raison de lagarantie des dpts. en croire les spcialistes, la discipline de mar-ch empche toute prise de risque excessive dans les secteurs qui ne bn cient pas dune garantie de ltat. Cest une ide fausse : lespatrons-escrocs des caisses dpargne ont toujours t capables deduper des cranciers et actionnaires privs qui ntaient couvertspar aucune garantie. Elliot Levitas, lun des commissaires nom-ms pour enquter sur les causes de cette crise dans le cadre dela National Commission on Financial Institution Reform, Recoveryand Enforcement (NCFIRRE), la dmontr en 1993. Pourtant aucunconomiste ne la pris au srieux. La vague actuelle de fraudes patro-nales lui a d nitivement donn raison.

    Mais la caractristique la plus effrayante des fraudes patronales,cest quelles peuvent se produire par vagues et provoquer ainsi desdgts systmiques. La dbcle des caisses dpargne a pu tre endi-gue avant quelle ne fasse sauter toute notre conomie, mais vraiment

    3. Dans ce systme, le fraudeur, qui sempare des fonds quon lui con e et quil est cens invrmunre les premiers investisseurs avec une partie de largent frais apport par les suivants faut donc attirer de plus en plus dinvestisseurs et crotre de plus en plus vite, faute de quoscroule [NdT ].4. Ce terme dsigne les caisses dpargne ambitieuses, aux dents longues, de haut vol auxsens du mot franais, pour les distinguer des caisses traditionnelles [NdT ].

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    dextrme justesse, comme on le verra dans ce livre. Dautres vaguesont dferl dans de nombreux pays, souvent avec des consquencesdvastatrices. Lune delles a ruin la campagne de privatisation enRussie.

    La vague actuelle de fraudes patronales a caus de gros dgtssystmiques. Elle naurait pas eu lieu si nous avions tir les bon-nes leons de la dbcle des caisses dpargne. Malheureusement,celles que nous avons choisi de retenir nous ont rendus plus vuln-rables aux fraudes du dirigeant , et non moins. Lanalyse conomi-

    que standard de la dbcle nous a induits en erreur.

    Que dit cette analyse ?

    1. Sans la garantie des dpts, il ny aurait pas eu de high- iers.2. La fraude tait ngligeable, ltudier serait une perte de

    temps.3. Leshigh- iers taient dhonntes parieurs sur la rsurrection

    de leur caisse dpargne.4. Malheureusement, beaucoup de paris ont t perdus, do la

    dbcle.5. La profession avait mis la main sur son autorit de contrle,

    le Federal Home Loan Bank Board (nous crirons : le BankBoard).

    6. La drgulation na pas aggrav les pertes.7. La loi scale de 1986 a considrablement alourdi les pertes

    totales.8. La lgislation de rerglementation de 1989 a provoqu leffon-

    drement du march des obligations pourries 5.9. La loi de drglementation de 1982 tait imparfaite, car les

    conomistes navaient pas t associs sa rdaction.

    5. Les junk bonds , obligations haut risque, rapportaient beaucoup plus que les autres justementparce quelles taient pourries . Voir plus loin, p. 127-128 [NdT ].

    AVANT-PROPOS

    En ralit, tous ces noncs sont faux, pour les raisons suivantes :

    Les deux vagues de fraudes patronales que je viens de dcrirerfutent la premire assertion.

    Pour les points 2 et 3 : ces fraudes ont minemment contri- bu la dbcle. Plus dun millier de dirigeants et de cadresdes caisses dpargne ont t condamns au pnal. Ltude desfaillites les plus graves a presque systmatiquement rvl desfraudes patronales. La structure mme de ces faillites est compati-

    ble avec une vague de fraudes du dirigeant , mais parfaitementincompatible avec dhonntes paris. Loin dtre une perte detemps, une tude rigoureuse des escroqueries des dirigeants decaisses fraudeuses nous aurait permis dviter la vague actuellede fraudes patronales.

    Toutes les caisses de haut vol ont fait faillite. Toutes taient diri-ges par des escrocs. Ce sont les caisses dpargne traditionnel-les qui ont pari sur la rsurrection , en continuant prendredimportants risques de taux dintrt dans la priode 1982-1985.Puisque les taux dintrt ont considrablement baiss, ces parisont t gagns haut la main, et ils ont normment rduit lecot du ren ouement opr par la Federal Savings and LoanInsurance Corporation (FSLIC). Les caisses dpargne tradition-nelles nont pas pari de la faon prvue par la thorie de l alamoral 6 , qui prdisait quelles allaient maximiser leur exposi-tion au risque.

    Le secteur des caisses dpargne navait pas captur le BankBoard. En fait, tous les prsidents du Bank Board pendant ladbcle ont t en con it avec lindustrie des caisses dpargne.

    La drglementation et la dsupervision ont considrable-ment aggrav la dbcle, parce quelles ont permis aux caissesdinvestir dans des actifs qui constituaient de parfaits supportspour les fraudes patronales.

    La loi scale de 1986 a immensment rduit le cot de ladbcle en faisant clater les bulles immobilires rgionales.

    6. Lala moral se traduit par le fait quune entreprise assure contre un risque de dfaut (par la gardpt par exemple) va tre plus encline quune entreprise qui nest pas assure contre ce risque, des paris risqus [Note de lInstitut Veblen].

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    La loi scale de 1981 et les fraudes patronales des caisses duSud-Ouest ont, elles, contribu la dbcle en crant et enfaisant grossir ces bulles. Toute bulle nit par clater. Sansla loi scale de 1986, les bulles immobilires de lArizona, du Texas et de la Louisiane auraient continu gon er, aprsquoi le krach aurait t bien pire.

    Le secteur des caisses dpargne tait un acteur (globalement)modeste sur le march des obligations pourries. Son impor-tance venait du fait que plusieurs caisses, dont Lincoln Savings,

    taient sous lin uence de Michael Milken et de Drexel BurnhamLambert7 (Black 1993c).

    La rdaction du St Germain Act de 1982 a bien t vri e pardes conomistes.

    Les principales leons tires de la crise par les tenants de lana-lyse standard sont les suivantes : une rglementation contre lafraude nest pas un ingrdient essentiel, ni mme ncessairementimportant, des marchs des t itres (Easterbrook et Fischel 1991,p. 285) ; la discipline du march priv transforme les con its din-trts potentiels en synergies positives ; et les autorits de contrlecomme la Securities and Exchange Commission (SEC) font plus demal que de bien.

    Bref, nous avons retenu de mauvaises leons. En coutant reli-gieusement nos professeurs de law & economics8, nous sommes deve-nus bien plus vulnrables la fraude patronale. Je critique souventdans ce livre tel ou tel conomiste, mais je ne rcuse pas la scienceconomique dans son ensemble. Si jai eu envie dcrire, cest engrande partie pour contribuer llaboration dune nouvelle tho-rie conomique de la fraude, fonde sur la thorie de George Akerlof(1970), dite des lemons markets (march des voitures doccasion),

    7. Michael Milken, qui travaillait dans la socit nancire Drexel Burnham Lambert, est linventeurdes obligations pourries , que Drexel mettait massivement. Lattrait de ces obligations taitconsidrable : elles rapportaient gros parce quelles taient risques mais le risque ne se matrialisaitpas, les taux de dfaut de paiement taient trs bas. Milken russissait cet exploit grce un systmefrauduleux de socits captives : il grait leurs achats et leurs ventes dobligations pourries sonentire discrtion, comme on le verra plus loin, p. 125-126 [NdT ].8. Mouvement n luniversit de Chicago, lcolelaw & economics entend tudier le droit la lumirede la microconomie traditionnelle et nit par confrer celle-ci force de loi [NdT ].

    AVANT-PROPOS

    qui est devenue classique aujourdhui. Ma thorie serait aussi fon-de sur les travaux de Henry Pontell, selon lequel les limites syst-miques de la rgulation peuvent accrotre le risque de vagues defraudes patronales (Calavita, Pontell et Tillman 1997, p. 136).

    Ce livre va expliquer pourquoi la discipline du march ne peutpas empcher ces vagues. Il montrera aussi que les patrons-escrocsdes caisses dpargne ont cherch manipuler des responsablespublics. cet gard, Charles Keating et ses homologues du Texasont remport des succs clatants. Keating, qui tait coupable de

    la pire fraude patronale du pays, a amen ladministration Reagan tenter de lui donner le contrle majoritaire du Bank Board. Il arecrut comme allis le speaker Wright et les cinq snateurs quonallait appeler les Cinq de Keating ( Keatings ve). Il a russi fairecoparrainer par la majorit des lus de la Chambre des reprsen-tants une rsolution conue pour paralyser la rerglementationdEd Gray, qui prsidait lpoque le Bank Board.

    Puis, sous le mandat de Danny Wall, Keating a utilis tout sonpouvoir politique et a menac le Bank Board de poursuites judi-ciaires pour lintimider. Le Bank Board a prononc son encontrelquivalent dun cease and desist order(C&D). Cette ordonnance decessation et dabstention est une injonction darrter d nitive-ment certaines pratiques.

    La principale comptence des patrons-escrocs est la manipula-tion. Lusage quils en font se heurte essentiellement deux limites :leur propre audace et la force morale de leurs adversaires.

    Contre toutes probabilits, Ed Gray a rvl quil avait ltoffedun hros. Cest parce quil voulait drglementer le secteur descaisses dpargne que le prsident Reagan lavait nomm la ttedu Bank Board. Mais il a suf de quatre mois pour que Gray se mta-morphose en champion de la rerglementation et devienne la btenoire des patrons-escrocs et de leurs allis. Il sest fait aussitt uneliste impressionnante dennemis. Dans Quand le capitalisme perd latte, Joseph Stiglitz crit quil croit aux forces profondes, pas auxhros (2003, p. 455). Je crois aux deux, et ce livre parle des deux.

    Les individus comptent, notamment parce quils nont pas tousla mme conception du devoir, de lintgrit et du courage. Les per-sonnages quvoque ce livre sont moralement complexes. Cette com-plexit ressort parfaitement travers deux constats : des personnesauxquelles on a durement reproch des faiblesses thiques ont jou

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    Mon message central est clair : nous pouvons mettre en place desmesures pour dtecter et liminer les fraudes de chefs dentrepriseindividuels et pour prvenir, ou du moins rduire substantielle-ment, les futures vagues de fraudes patronales. Mais cela demandede prendre le problme au srieux. Le premier pas consiste ne plusignorer les fraudes graves dans nos statistiques. Le second, nousrendre compte quil nous faut former des gens capables de com-prendre les mcanismes de la fraude, les moyens de la reprer et dymettre n. Le personnel technique de la SEC, par exemple, est trs

    majoritairement compos dexperts en droit, en comptabilit et enconomie. Historiquement, aucune de ces trois disciplines na dis-pens ses tudiants le moindre enseignement sur la fraude. Mmeaujourdhui, o les scandales lis aux fraudes sur les titres sontlgion et o lAssociation of Certi ed Fraud Examiners (ACFE) de Joe Well propose gratuitement aux tablissements du matriel pda-gogique sur linspection antifraude, seul un petit pourcentage desnouveaux diplms des coles de commerce ( Business Schools) appren-nent lutter contre la fraude. Luniversit du Texas a cr un Institutdtudes sur la fraude pour aider promouvoir ces rformes.

    REMERCIEMENTSCe livre est n dune carrire et dune vie. Je suis dabord redeva-

    ble ma mre, qui ma duqu et qui ma aid trouver ma boussole

    morale. Bill Valentine et mes professeurs luniversit du Michiganont t de vrais trsors.

    Jack Lansdale ma montr que le droit pouvait et devait tre pra-tiqu au plus haut niveau dexcellence et dintgrit. Il a incarnla conscience et lthique professionnelle chez Squire, Sanders &Dempsey.

    Je dois trop trop de gens au Bank Board et lOTS pour les nom-mer tous individuellement. Dorothy Nichols a su rendre le servicecontentieux fonctionnel, humain et drle ; Ed Gray et Larry White,dans des styles entirement diffrents, ont livr le bon combat ; etMary Ellen Taylor a fait de son mieux dans une tche impossible :mviter les problmes.

    Je suis face au mme dilemme pour la Federal Home Loan Bankde San Francisco. Je ne citerai que Jim Cirona, qui aurait pu scu-riser son emploi en me licenciant ; Mike Patriarca, qui a manifestquotidiennement la classe et lintgrit ultime du dirigeant ; ChuckDeardorff, qui a protg du dsastre la supervision pendant desdcennies ; et mon prdcesseur Dirk Adams, pour avoir recrut lasuperbe quipe qui a fait de mon travail un tel plaisir.

    Merci Jim Leach, Buddy Roemer, Thomas Carper et au regrettHenry Gonzalez. Vous avez sauv le pays de milliards de dollars depertes en vous opposant aux manuvres des patrons-escrocs, mais vous mavez aussi sauv de la tentation de rejeter en bloc les lus,alors que javais des raisons de le faire.

    James Pierce ma offert la chance exceptionnelle de toute une vie quand il ma demand de devenir son adjoint et ma prsent George Akerlof. Vous avez tous deux beaucoup in uenc mon tra- vail de recherche, et votre soutien a t crucial.

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    vhicules de fraude patronale parce que la garantie des dpts per-mettait mme des caisses insolvables de crotre. La bulle technolo-gique des annes 1990 a autoris une croissance tout aussi massive.

    Les patrons-escrocs sont des prdateurs. Ils reprent et attaquentles faiblesses humaines et les failles de la rglementation. Le PDGpositionne son entreprise sur un terrain peu rglement et propice la fraude comptable.

    Les plus audacieux vont mme jusqu transformer lenvironne-ment de lentreprise pour favoriser leurs fraudes. Lessentiel, cest

    de prserver, voire dtendre la gamme des pratiques comptablesabusives et daffaiblir la rglementation. Seul un patron-escrocpeut utiliser toutes les ressources de lentreprise pour faire vo-luer le contexte rglementaire : les contr ibutions aux campagnespolitiques, la commande de travaux conomiques favorables assu-rent la drglementation, et avec les ressources de lentreprise, lepatron fraudeur achte, intimide, embobine ou enterre les agentsde lautorit de contrle. Dans mon cas, Keating a utilis les res-sources de sa caisse dpargne pour me poursuivre en justice en merclamant 400 millions de dollars et pour embaucher des dtectivesprivs chargs denquter sur mon compte (Tuohey 1987).

    La troisime raison de la puissance destructrice des fraudes patro-nales est quelles fournissent au PDG un moyen lgal de convertir desactifs de lentreprise en biens personnels. Tout fraudeur doit mettreen balance les gains potentiels de la fraude et ses risques 4. Pour unpatron, le procd denrichissement le plus ef cace consisterait voler des liquidits son entreprise, par exemple en les transfrantsur son compte personnel dans un paradis scal. Aucun patron-escrocde caisse dpargne ne la fait, et personne non plus dans les gigan-tesques fraudes actuelles. Piocher massivement dans la caisse dunegrande entreprise est un moyen sr dtre repr et de faciliter latche du procureur. Cette stratgie ne pourrait sduire que ceux quisont prts vivre dans la clandestinit, ou en exil dans un pays quina pas de trait dextradition. Le cas Marc Rich mis part (graci parle prsident Clinton), peu de PDG fraudeurs suivent ce chemin.

    4. Je ne postule pas que les individus sont parfaitement rationnels dans lvaluation des risques : il leurarrive souvent de mal les mesurer. Il suf t pour mon propos quils essaient dviter les situations o ladtection et la punition de la fraude sont les plus probables.

    VOL PAR IMPOSTURE

    Les fraudes comptables sont idales pour permettre les fraudespatronales de lescroc chef dentreprise. Elles gon ent les revenuset dissimulent les pertes de socits insolvables mme au dernierdegr. Cela permet au patron fraudeur de reconvertir son usagepersonnel des fonds de son entreprise par des moyens apparemmentnormaux et lgitimes. Les PDG amricains, notamment ceux quidirigent des socits extrmement rentables, gagnent des sommesahurissantes. Ils reoivent dnormes salaires, des bonus, des stock-options et de luxueux avantages en nature. Les entreprises diriges

    par un escroc annoncent presque toujours de fabuleux pro ts, etdes cabinets daudit de tout premier ordre bnissent leurs bilans.Les patrons-escrocs des caisses dpargne utilisaient un mcanismede fraude qui produisait des pro ts records et pratiquement aucundfaut de paiement sur les prts, et ils avaient moyen de transfor-mer rapidement toute perte (relle) dcouverte par un inspecteuren pro t ( ctif) qui serait avalis par un des huit grands cabinetsdaudit. Cest ainsi que les choses se passent dans le monde de les-croquerie ! Le chapitre 3 analyse ce mcanisme frauduleux.

    Pratiquement personne ne cre de dif cults aux entreprisesextrmement rentables : ni les agents (normaux) des organismesde contrle, ni les cranciers, ni les investisseurs et srement pasles analystes nanciers des valeurs boursires. Cest pour cela quenotre guerre contre les patrons-escrocs tait si audacieuse : dansune priode o des centaines de caisses dpargne se dclaraientinsolvables, nous cherchions fermer celles qui se disaient les plusrentables tout en laissant gnralement ouvertes les insolvablesaf ches. Nos adversaires politiques nous croyaient fous. Notreguerre ne pouvait tre rationnelle que dans un seul cas : sil y avaitdes centaines de fraudes patronales ; sil y avait des surestimationsmassives de revenus et des sous-estimations massives de pertes ; ettout cela ne pouvait se produire que si les cabinets daudit les plusprestigieux donnaient leur opinion sans rserve des escrocs.

    Les patrons-escrocs sont humains ; ils jouissent des avantagespsychologiques lis leur statut de PDG dune des socits les plus rentables . La presse, les lites conomiques locales, les personna-lits politiques, les salaris et les uvres charitables qui reoiventde leur entreprise des contributions (en gnral importantes) quali-ent toujours leur PDG de gnie. En ralit, ces hommes daffairessont des minables. Sils avaient t capables de grer une entreprise

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    vite conduit une saturation du march de limmobilier de bureaudans les tats o elles dominaient le march (les meilleurs exem-ples tant le Texas et lArizona). Et puisquil sagissait de pyramidesde Ponzi, elles augmentaient leurs prts immobiliers spculatifsmme quand les taux despace vacant atteignaient des niveauxrecords et que les prix immobiliers seffondraient. Les vagues defraudes patronales crent des bulles qui nissent toujours par cla-ter. Elles retardent cet clatement en continuant prter, ce quiconduit un hypergon ement de la bulle. Plus elle grossit et plus

    elle dure, pires sont les problmes quelle cause. Les caisses dirigespar des patrons-escrocs comptent parmi les causes principales desrcessions immobilires du Texas et de lArizona dans les annes1980, et non parmi les victimes de ces rcessions 6.

    Nous avons donc affaire une triple concentration : 1. Avec lerisque systmique, les fraudes patronales se produisent au mmemoment. 2. Elles se concentrent dans certains secteurs, ceux quioffrent les meilleurs environnements criminognes. 3. Et ellessagglomrent aussi dans les investissements les mieux adapts la fraude comptable. Il rsulte de cette triple concentration queles vagues de fraudes patronales vont crer, gon er et tendre des bulles.

    LALA MORAL

    Lala moral est la tentation de rechercher un gain en se livrant une pratique abusive, destructrice fraude ou excs de risque.Les entreprises au bord de la faillite exposent leurs propritaires lala moral. Ce nest pas particulier aux caisses dpargne ; cestdans la nature mme des entreprises. Lala moral surgit lorsquegains et pertes sont asymtriques. Une socit qui a 100 millionsde dollars dactifs et 101 millions de dollars de dettes est insolva- ble. Sil y a liquidation (vente des actifs), ses actionnaires naurontrien, car ils ne doivent tre pays quaprs remboursement completde tous les cranciers. Dans mon exemple, les actifs ne suf sent

    6. Cest ce mme type de dynamique qui a provoqu plus tard la saturation du march destlcommunications.

    VOL PAR IMPOSTURE

    pas rembourser les crances de ces derniers (les dettes), donc laliquidation effacera totalement les intrts des actionnaires dans lasocit. Le PDG dirige lentreprise jusquau jour o elle est accule la liquidation. Il y a deux autres points cruciaux. Le principe de responsabilit limite limite la perte dun actionnaire la valeurde ses actions. Il nest pas responsable des dettes de la socit, quelleque soit lampleur que prend son insolvabilit. Si lentreprise devient encore plus insolvable, ce sont les cranciers qui perdent.

    Si une socit au bord de la faillite fait rentrer de largent, il va

    aux actionnaires. Ceux-ci gagnent gros quand les investissementssavrent payants. Supposons que mon hypothtique socit insol- vable fasse un lm qui rapporte un pro t de 70 millions de dollars,ce gain ira presque entirement aux actionnaires.

    Quand une entreprise est insolvable, mais laisse sous le contrledes actionnaires, le risque et sa rmunration sont asymtriques.Que se passe-t-il quand elle fait un investissement extrmement ris-qu ? En cas dchec, la perte est entirement la charge des cran-ciers ; en cas de succs, le gain va quasi totalement aux actionnaires.Ceux-ci ont une incitation perverse prendre des risques indmentlevs au lieu de faire les investissements les plus productifs.

    Ces exemples dala moral portent sur les comportements partrop risqus. Mais la thorie ne se limite pas la prise de risquehonnte. Elle explique aussi pourquoi, dans les rmes au bord de lafaillite, apparat une incitation la fraude patronale ractive (White1991, p. 41). De fait, puisque la fraude patronale dans les caissesdpargne avait un rsultat certain (elle apportait coup sr, pourun temps, des pro ts records), la fraude ractive tait une meilleureoption que le pari haut risque.

    POURQUOI LE SECTEUR DES CAISSES DPARGNSUBI UNE VAGUE DE FRAUDES PATRONALES ?

    Une mauvaise rglementation a expos le secteur des caissesdpargne un risque systmique de taux dintrt et provoqu lapremire phase de la dbcle : les rgles du Bank Board interdisaientles prts immobiliers taux variable (PTV), qui auraient rduit le risque

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    de taux dintrt 7. Cette interdiction a provoqu une vague de fraudespatronales ractives, qui est reste toutefois remarquablement modeste.

    Les fraudes patronales opportunistes peuvent aussi se produirepar vagues. Les opportunistes cherchent le meilleur terrain pourla fraude. Quatre facteurs sont cruciaux : la facilit de la prise decontrle, la faiblesse de la rglementation, lampleur des prati-ques comptables abusives et la possibilit doprer une croissancerapide.

    Ces caractristiques sont souvent lies. Un secteur o les rglemen-

    tations antifraudes sont faibles incitera vraisemblablement aux prati-ques comptables abusives. Les secteurs comptabilit truque offrent demeilleures possibilits de croissance puisquils produisent les niveauxde pro ts ( ctifs) et de valeur nette ( ctive) qui amnent investisseurs etcranciers fournir toujours plus de fonds aux patrons-escrocs.

    Linterrelation entre les belles occasions offertes aux fraudesractive et opportuniste a cr des environnements rglementaireet conomique idaux pour la fraude patronale. Puisque le risquede taux dintrt a rendu toutes les caisses dpargne insolvables(en valeur de march) dans la priode 1979-1982, il est devenu bien moins coteux et plus facile aux opportunistes den acqurir.Propritaires et agents de lautorit de contrle cherchaient dses-prment vendre des caisses ; les opportunistes avaient lardentdsir den acheter. Le Bank Board et les experts-comptables ontrecouru cette absurde comptabilit du goodwill ( comptabilit dela survaleur ) pour stimuler ces ventes.

    Lorsquun secteur est en dif cult nancire, particulirementsil jouit dune garantie implicite ou explicite de ltat (par exem-ple une garantie des dpts), une autre dynamique courante est la

    7. La rgle interdisant les prts taux variable (PTV) ntait pas due la domination des caissesdpargne sur le Bank Board. Au contraire : le secteur, lautorit de contrle, plusieurs prsidents etla plupart des lus du Congrs souhaitaient supprimer linterdiction des PTV pour allger lexpositionsystmique du secteur au risque de taux dintrt. Linterdiction a cependant t maintenue, parceque la National Association of Home Builders et la National Association of Realtors (les puissantesassociations professionnelles des entreprises du btiment et des agences immobilires, qui taientgnralement des allies pour celle des caisses dpargne) craignaient que les PTV ne rduisent lesventes dans limmobilier rsidentiel. La NAHB et la NAR ont envoy leurs lobbyistes aux prsidents decomit du Congrs favorables la dfense des consommateurs pour barrer la route lapprobationdes PTV par le Bank Board.

    VOL PAR IMPOSTURE

    forte probabilit quil adopte des pratiques comptables abusives etque la rglementation soit assouplie. On trouvera dailleurs lan-nexe B une lettre franche et directe de Norman Strunk, ancien pr-sident de lassociation professionnelle des caisses dpargne, sonsuccesseur Bill OConnell. Il y explique que le secteur a us de sa trsforte in uence sur lexcutif et le Congrs pour limiter les pouvoirs desupervision du Bank Board. Les agents de lautorit de rglementa-tion et de contrle, craignant dtre accuss de la faillite du secteurquils sont chargs de superviser, sont confronts leur propre ver-

    sion de lala moral. Leur tentation (quils partagent avec le secteur)est de choisir la dissimulation. Le secteur va multiplier les pressionsauprs de lautorit de contrle, de lexcutif et du Congrs pourquils y apportent leur concours, en avalisant la comptabilit tru-que et en rduisant au minimum les prises de contrle des caissesinsolvables.

    Conjointement, ces facteurs signi ent que les incitations lafraude patronale opportuniste et ractive vont varier selon les prio-des et les secteurs : il est donc possible que les deux culminent aumme moment et au mme endroit (Tillman et Pontell 1995). Celana rien dun hasard, et ne dpend nullement de lexistence initialedun gros contingent de patrons malhonntes dans la profession. Si lafraude patronale a t lune des causes majeures de la dbcle descaisses dpargne, cest parce que ce secteur a offert simultanmentle meilleur environnement du pays ses formes ractive et opportu-niste. Ltonnant nest pas que les fraudes patronales aient fait tantde dgts, mais que nous ayons pu les arrter avant quelles ne frap-pent lensemble de lconomie. Non quil y ait non plus eu un brillantsuccs de la rglementation : les fraudes patronales ont provoqu desdizaines de milliards de dollars de pertes. Mais un parieur du milieudes annes 1980 aurait jug nulles, et non minces, les chances delautorit de contrle de mettre hors jeu tous les patrons-escrocs dansles cinq ans. Or le Bank Board les a bel et bien mis hors circuit, et cela,remarquons-le, malgr laccession sa prsidence, au milieu de lan-ne 1987, de l apaiseur en srie Danny Wall.

    Les vagues de fraudes patronales sont provoques par des envi-ronnements conomique et rglementaire prcis : cest un faitcrucial pour laction publique. Il signi e que nous pouvons pr-dire quels sont les secteurs les plus exposs et y mener des politi-ques susceptibles de rduire ces vagues et non de les encourager.

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    Nous pouvons aussi reprer les fraudes patronales probables puis-que nous en connaissons les pratiques caractristiques. Et noussavons comment les attaquer : en prenant pour cible leur crois-sance, leur talon dAchille.

    Pourquoi les fraudes patronales des caisses dpargne sont-ellesmortes alors que le prsident du Bank Board, D. Wall, avait concluune paix des braves avec elles ? Parce quil sagissait de pyramidesde Ponzi. Les restrictions imposes leur croissance par lancienprsident Gray leur ont t fatales. Cest toute lironie de cette his-

    toire : Wall cherchait dsesprment ne pas fermer des caissescomme Lincoln Savings, mais il na jamais compris quil sagissaitde pyramides de Ponzi. Il na donc jamais vu la ncessit de modi erla rgle limitant la croissance. Les caisses patron-escroc que Graynavait pu fermer faute de fonds se sont effondres sous le regardperplexe et horri de Wall.

    LE CAMOUFLAGE DE LINSOLVABILIT DU SECTEURET DE LA FSLIC

    Le camou age de la dbcle des caisses dpargne a t la dyna-mique dominante sous ladministration Reagan. Si le secteur taitinsolvable de 150 milliards de dollars, le fonds de la Federal Savingsand Loan Insurance Corporation (FSLIC) (qui avait en caisse 6 mil-liards de dollars) tait insolvable dun peu moins de 150 milliardsde dollars. Derrire les fonds de garantie fdraux, il y a le Trsordes tats-Unis : linsolvabilit du fonds de la FSLIC aurait donc damener le Trsor inscrire une dette ventuelle de 150 milliards dedollars. Traduction : puisque linsolvabilit du secteur des caissesdpargne napparaissait pas dans les comptes, le d cit du budgetfdral pesait en fait 150 milliards de dollars de plus que le chiffreof ciel.

    Nul ne voulait reconnatre cette det te ventuelle. LadministrationReagan sy refusait parce quelle sefforait de faire voter les rduc-tions dimpts de 1981 et quon disait dj quelle nallait pas tenirsa promesse de campagne sur lquilibre du budget. La professionne voulait pas admettre quelle tait insolvable. Le cauchemar delautorit de contrle, que jai partag quand jy suis entr le 2 avril1984, tait le dclenchement possible dune panique bancaire nationale,

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    car des dposants risquaient de faire le calcul et de comprendre que150 milliards de dollars, ctait considrablement plus que les 6 mil-liards de dollars de la FSLIC.

    Dun ct, le Congrs tait favorable au camou age, de lautre,les Amricains adoraient les caisses dpargne parce quelles accor-daient des prts aux particuliers, pas aux entreprises, et rendaientpossible le rve amricain (possder sa maison). Le secteur savaitsoigner son image. Le fait que, ds quil tait question de caissesdpargne, le grand public pensait Jimmy Stewart et au lm de

    1946 La vie est belleaidait aussi. Les lus adoraient eux aussi lescaisses dpargne parce que les Amricains les adoraient, que cescaisses contribuaient largement leurs campagnes lectorales etquelles avaient les meilleurs lobbyistes sur le terrain. Leur associa-tion professionnelle, la United States League of Savings Institutions la Ligue , tait une force de la nature, de mme que ses alliesla National Association of Home Builders (NAHB, btiment) et laNational Association of Realtors (NAR, agents immobiliers).

    De plus, si le d cit budgtaire augmentait de 150 milliards dedollars, les coupes claires dans les dpenses de ltat allaient sag-graver. Les membres du Congrs ne voulaient pas rduire des pro-grammes populaires.

    Signe des temps : la Federal Deposit Insurance Corporation(FDIC) a galement entrepris de camou er linsolvabilit des ban-ques dpargne quelle rglementait. Pour ce faire, cette institution beaucoup plus prudente et compasse que le Bank Board a utilisune comptabilit truque. Le secteur des banques dpargne tait beaucoup moins important que celui des caisses dpargne, e t laFDIC considrait sa mission leur gard comme une diversion parrapport son vrai travail : rglementer les banques de dpt. Les banques dpargne avaient donc peu din uence sur elle. Le fondsde la FDIC tait beaucoup plus important que celui de la FSLIC, etla FDIC navait pas craindre une panique systmique contre les banques dpargne, mme si le public apprenait leur insolvabilit.Malgr toutes ces diffrences, la FDIC a recouru des truquagescomptables pour dissimuler la situation nancire relle des ban-ques dpargne et a ainsi pu cesser de les fermer, ce qui montrecombien les pressions pour le camou age taient fortes dans lesannes 1980.

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    COMMENT LE CAMOUFLAGE A OPTIMIS LE SECTEURPOUR LA FRAUDE PATRONALE

    Nul na conu le camou age dans lintention expresse doptimiserle secteur pour les patrons-escrocs. Si quelquun avait essay, je suis cer-tain quil aurait chou. Cest linteraction dune srie de mesures qui arendu le secteur des caisses dpargne idal pour la fraude patronale.

    Cinq faits cruciaux expliquent pourquoi la mise en uvre ducamou age par le Bank Board sest rvle si nocive. Premirement,

    il est venu den haut, et par consensus. Le prsident Pratt laapprouv et mis au point. Il la fait avec laide dautres dirigeants.Un organisme tristement clbre, le Groupe de travail conjoint surla rentabilit ( Joint Task Force on Pro tability), a runi les talents desprincipaux conomistes et agents du Bank Board et du plus connudes comptables extrieurs spcialiss dans le secteur des caissesdpargne. Ce groupe a avalis les pratiques comptables abusives,mais cest surtout la faon dont il la fait qui rend si dprimantela lecture de ses textes. Il na pas dit, en se pinant le nez : noussommes obligs, dans cette situation de crise, de prendre ces mesu-res dsagrables. Au contraire. Il a approuv dabsurdes truquagescomme le report des pertes sur les prts (qui permettait de nepas les reconnatre immdiatement) en prtendant quil sagissaitde meilleures procdures comptables au regard de la thorie de lacomptabilit et de la science conomique 8. Le Groupe de travail aaussi encourag la croissance rapide et le risque de taux dintrt dansune dmarche denrichissement rapide quil a baptise l arbitrage risque matris (ARM,risk-controlled arbitrage)9.

    8. Cette possibilit de diffrer la reconnaissance des pertes sur les prts ntait pas seulement excrablesur les plans conomique et comptable. Ctait aussi une mauvaise politique. Elle encourageait lescaisses dpargne vendre leurs prts immobiliers en faisant des pertes normes qui verrouillaient leurinsolvabilit relle. Les propritaires savaient que leur caisse tait dsesprment insolvable et queles pro ts quelle annonait taient ctifs. Sil y avait des pro ts , ctait uniquement par la grcede la sous-estimation considrable des pertes relles que permettait la remise plus tard des pertessur les prts. Les propritaires savaient aussi que leurs pro ts ctifs allaient disparatre dans cinq ansenviron. Le report a donc provoqu deux ractions dsastreuses : les caisses ont vendu leurs prtstrs probablement au pire moment possible (ce qui a normment accru les pertes nales de la FSLIC) ;et leurs PDG ont t puissamment incits sengager dans la fraude patronale ractive.9. Un arbitrage est un change sans risque, donc arbitrage risque matris (ARM) est une contradictiondans les termes. Aucun arbitrage ntait possible pour les caisses dpargne. Si lon te le vernis du jargon

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    Deuximement, la conception et la mise en uvre du camou-age garantissaient quil y aurait un dsastre. La thorie de lalamoral le prdit sans ambigut : si lon desserre les freins contreles abus dans une priode dala moral intense et massif, il y aurades abus trs graves. Si lon avait demand Richard Pratt, quandil tait tudiant de deuxime cycle, de faire une dissertation surles effets dun retrait des garde-fous en temps dinsolvabilit demasse, je suis sr quil aurait remis une analyse sense prdisantla catastrophe. Il est dailleurs inutile dtre docteur en sciences

    conomiques pour la prvoir. Le bon sens fait aussi bien laffaire.Daniel Fischel (1995, p. 211) quali e d entirement prvisible laseconde phase de la dbcle. Un camou age fonctionne en gon antconsidrablement la valeur nette et le revenu net, mais pour fermerune caisse dpargne, lautorit de contrle est souvent tenue deprouver son insolvabilit. Il peut donc savrer trs dif cile de fer-mer des caisses diriges par des patrons-escrocs tant quelles nontpas subi de pertes majeures.

    Troisimement, personne chez les conomistes na prdit lpo-que que la politique de ladministration Reagan allait provoquer undsastre 10. Les conomistes ont mme prdit le contraire : la politi-que de Pratt leur semblait le meilleur espoir du secteur. Pour citerla clbre formule du futur membre du Bank Board Larry White,lui-mme conomiste nancier (1991, p. 90), il ny avait pas deCassandre chez les conomistes.

    Quatrimement, alors quaucun conomiste navait cern lesproblmes, environ deux cents patrons-escrocs opportunistes ont vite repr les belles occasions et se sont empresss dentrer dans

    nancier dont le Groupe de travail avait affubl sa proposition, un ARM est un instrument permetcroissance rapide avec un risque de taux dintrt modr. Mais le report des pertes sur les prts econstituent des stratgies contradictoires, ce qui a chapp lanalyse du Groupe de travail. Un Arentable si les taux dintrt diminuent ; il alourdira considrablement les pertes sils augmententsi lautorit de contrle comptait sur une chute court terme des taux dintrt, le report des perles prts tait bien la dernire initiative quelle aurait d prendre, puisquil incitait les caisses vleurs prts traditionnels en faisant de grosses pertes relles. Si les caisses conservaient ces prts eles taux chutaient abruptement, leurs gains seraient normes. Cette incohrence entre les politiquetypique du mandat de Pratt. Il voulait faire tout ce quil pouvait pour le secteur, mme si les compde son action taient logiquement incompatibles.10. Il est vrai quEd Kane (1985) a prdit trs tt que le secteur courait au dsastre, mais sans lprdiction exacte une critique de la drglementation.

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    le secteur. Larry White (1991, p. 92) le dit expressment la n deson analyse sur linexistence des Cassandre :

    Le renforcement du nud dopportunits-capacits-incitations est simple-ment pass inaperu sauf des entrepreneurs qui allaient en pro ter (souli-gn dans le texte original).

    Cinquimement, le Bank Board a perdu un capital moral essen-

    tiel quand il a truqu les pratiques comptables pour dissimulerlinsolvabilit du secteur et de la FSLIC. Le succs dune autorit derglementation et de contrle repose largement sur la persuasionmorale. Quand une de ces autorits embrasse la comptabilit tru-que, elle perd sa lgitimit, et elle aura bien du mal convaincreles tribunaux, par exemple, quun patron de caisse mrite la prisonpour avoir gon la valeur et le revenu nets laide de mthodes(diffrentes) de comptabilit frauduleuse.

    CEST LE CAMOUFLAGE QUI A POUSS LADMINISTRATIONREAGAN SOPPOSER LA GUERRE DE GRAY CONTRELES FRAUDEURS

    Aucun ouvrage antrieur na relev le rle crucial du camou agedans la dbcle, dans les fraudes patronales et dans loffensive deladministration Reagan contre Gray. La guerre de Gray contre lespatrons-escrocs faisait planer deux menaces sur lexcutif. La pre-mire : la fermeture des caisses fraudeuses aurait rvl linsolvabi-lit du secteur au moment o ladministration Reagan le dclaraitassaini. La seconde tait la rerglementation, cruciale pour vaincreles fraudeurs, mais idologiquement honnie et assimile un sui-cide politique. Ladministration Reagan avait conu, mis en uvreet port aux nues la drglementation qui avait attir les patrons-escrocs et fait deux des superprdateurs. Rerglementer aurait tun aveu de culpabilit 11.

    11. Ce risque politique concernait aussi le vice-prsident Bush, car ctait lui qui dirigeait leffort dedrglementation nancire sous Reagan.

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    POURQUOI LES CONOMISTES ET LTAT SE SON CE POINT TROMPS SUR LA DBCLE ?

    White ne se demande pas pourquoi seuls des entrepreneurs ont vu ce nud et ont immdiatement ragi en entrant dans le sec-teur des caisses dpargne. Comme on le verra, je ne suis pas daccordavec lui pour penser quil sagissait essentiellement dentrepreneurshonntes. Cest coup sr une question importante. Toute une profes-sion sest fourvoye en bloc, malgr une formation spcialise trs

    pousse, malgr laide dune thorie qui prdisait sans ambigutque la politique mise au point par ses membres serait dsastreuse,malgr linsistance de sa discipline sur les ractions individuellesaux incitations. Ils ont conu lineptie, y ont vu la solution et nontmme pas mis en garde contre les problmes quelle allait invita- blement crer. Fischel (1995) a raison de dire que la seconde phasede la dbcle tait entirement prdictible dans le cadre de lathorie conomique admise mais le fait est que, comme tous lesautres conomistes, il ne la pas prdite, et quil ne se demande paspourquoi il ny est pas parvenu. Chez Fischel dailleurs, le mchantest Gray, l attach de presse , qui, lui, la prdite (ibid.).

    Les conomistes ont refus dadmettre que ladministrationReagan avait provoqu un dsastre, et ils ont entrav nos effortspour mettre n aux fraudes patronales individuelles et la vaguede fraudes. Aujourdhui encore, ils sobstinent nier le rle de ladrglementation et de la fraude dans la dbcle.

    Pourquoi les conomistes se sont-ils si mal comports et sont-ilsdevenus, avec les experts-comptables et les avocats, les principauxallis des patrons-escrocs ? Pourquoi ladministration Reagan na-t-elle cout que leur point de vue ? La rponse, je crois, a quatre volets. Dabord, les conomistes ne savent pratiquement rien de lafraude. Selon la thorie dominante du mouvement law & economics,il ny a pas de fraude patronale srieuse, donc il est inutile dtudierle sujet. Il nexiste aucune thorie cohrente de la fraude, mme silon commence en n voir lintrt den laborer une.

    Deuximement, les plus minents conomistes amricains pen-saient en gnral que la rglementation tait le problme et la dr-glementation la solution. Lorigine du dsastre a t lidologie despartisans de la drglementation, mais le fait que leur politiqueait conduit la catastrophe a aussi cr un terrible embarras chez

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    les conomistes. Ils souhaitaient cest humain esquiver la respon-sabilit de leurs erreurs. Leur gne tait dautant plus grave quilsse considraient comme les seuls vrais experts scienti ques de lasocit et pensaient que leurs ides dcoulaient de la thorie et desfaits, pas de lidologie. Leur thorie, je lai dit, ne leur avait pas faitdfaut. Elle prdisait que les politiques quils recommandaientprovoqueraient un dsastre. Tout cela renforait leur dsir de nepas avoir reconnatre leur erreur.

    Troisimement, les conomistes (et lexcutif) ressemblaient

    aux gnraux qui prparent la guerre prcdente. En matire decaisses dpargne, cela voulait dire se concentrer sur le risque detaux dintrt. Donc, leurs yeux, les caisses dpargne tradition-nelles taient le problme et les high- iers, ces gagneurs, la solution.Malheureusement, les gagneurs taient des fraudeurs.

    Quatrimement, le problme a chapp aux conomistes parcequils ont t aveugls par le prjug de classe et lintrt person-nel. Peu dconomistes sont prts voir les hommes daffaires,en particulier les patrons, comme des criminels. Beaucoup dmi-nents experts en conomie nancire avaient travaill pour despatrons-escrocs, et la chute de ces fraudeurs les a mis dans uneposition si embarrassante quils se sont sentis tenus de nier quectaient des patrons-escrocs. Ltude conomique la plus clbrede la fraude a t effectue par Bert Ely, conseil nancier qui,en tant que tmoin expert, avait particip la dfense de diri-geants de caisses dpargne et dexperts-comptables extrieurs.En fait, ce travail ne parlait pas de la fraude [Black, Calavita etPontell 1995]. Cet intrt personnel ntait pas lapanage des seulsconomistes ; il existait aussi chez les experts-comptables et lesavocats. Mais les conomistes se trouvaient en position particu-lirement dlicate quand le PDG tait lactionnaire dominant.Le texte le plus prestigieux de lcole law & economics af rme quecest la structure idale, parce quelle garantit que les dirigeantssont dles aux intrts des actionnaires (Easterbrook et Fischel1991, p. 106, 120). Cest lun des domaines o son ignorance enmatire de fraude a mis dans lembarras la science conomique,car William Crawford a entirement raison : le meilleur moyende dvaliser une banque, cest de la possder. La personne qui a leplus dincitations frauder est le patron-propritaire dune rmeen train de sombrer.

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    Cinquimement, les conomistes ont labor une analyse admisede la dbcle sans jamais la remettre en question : celle-ci sexpliquepar lala moral, la fraude patronale a t ngligeable, des caissesdpargne insolvables ont effectu des investissements honntesmais ultrarisqus (qui ont fait delles des high- iers) et ces paris ontsouvent chou. Aucune assertion de cette analyse of cielle nersiste lexamen. Les caisses dpargne traditionnelles ont parisur leur rsurrection en continuant sexposer au risque de tauxdintrt dans la priode 1982-1984. Ces paris, elles les ont gagns, et

    elles ont ainsi considrablement rduit le cot de la dbcle (NCFIRRE1993a, p. 1-2). Quant auxhigh- iers, leurs dirigeants ntaient pasdhonntes parieurs, mais des patrons-escrocs. Les tudes effectuessur ces caisses gagneuses aprs leur faillite ont dbusqu systma-tiquement des fraudes patronales ( ibid., p. 3-4). Il y a eu plus de millecondamnations pnales de patrons et de cadres de caisses dpar-gne. La structure des faillites montre bien que les high- iers taientdes fraudeurs. Ces caisses ont systmatiquement rapport des pro-ts initiaux levs, puis elles ont toutes dpos le bilan. Lhonntepari ne peut expliquer tous les aspects de cette structure (Black,Calavita et Pontell 1995). En n, la faon dont ces gagneurs inves-tissaient (en stimulant la slection ngative et en effectuant ltudepralable des demandes de prt avec une incomptence systmati-que) aurait t irrationnelle pour dhonntes parieurs ( ibid.).

    LES DIVERS FRONTS DU COMBAT DE GRAYCONTRE LES PATRONS-ESCROCSLes grandes controverses qui ont eu lieu pendant la dbcle

    des caisses dpargne ont presque toujours concern des patronsfraudeurs. Sur la raction la crise de 1979-1982 autour du risquede taux dintrt, il ny a eu aucun dsaccord rel. Deux rponsesindissociables ont fait lunanimit : dissimuler et drglementer. Ilnest venu lesprit daucun de ceux qui ont contribu llabora-tion de cette politique quen associant linsolvabilit massive dunsecteur, la garantie des dpts, une inspection et une supervisionexceptionnellement inadaptes, un camou age base de compta- bilit truque et la drglementation, on allait crer un environne-ment idal pour la fraude patronale. Nul na eu lide de demander

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    crucial de lclaireur. Une quipe ef cace qui fait des inspections fr-quentes ne rapporte pas seulement ses dirigeants ce qui se passe surun champ de bataille, mais aussi des informations sur les intentionsgnrales et les tactiques couramment pratiques, et ce sont des don-nes cruciales pour les analystes du renseignement 12. Sans claireursef caces, on tombe dans des embuscades et on se fait massacrer.Le Bank Board navait pas assez dclaireurs, loin sen fallait13. Lundes apports inestimables de Gray est davoir russi cerner la struc-ture de la fraude patronale partir dune information minimale.

    ANALYSE CONOMIQUE AVEC LE RECUL : 20/2000

    Avec le recul, on na pas toujours 20/20. Si ctait le cas, noustirerions toujours les leons du pass et ne serions pas condamns le rpter. La crise nancire en cours montre combien nous avonsmal compris ce que la dbcle des caisses dpargne aurait d nousapprendre. Et dabord que les pertes les plus colossales vont venirdes fraudes patronales ; que les marchs ne vont pas les dtecter temps ; que les professionnels extrieurs vont aider les patrons-escrocs et non les freiner ; que les conseils dadministration vontcamou er les fraudes ; que les stock-options vont dcoupler plusencore les intrts des actionnaires et ceux des patrons-escrocs, carles PDG les structurent de faon maximiser leurs intrts person-nels et sen servent comme un moyen de reconvertir les actifs delentreprise leur usage personnel.

    Ed Kane a rsum sa vision de la dbcle des caisses dpargnepar une image clbre. La distorsion des principes comptables parle Bank Board, a-t-il dit, a mis lautorit de contrle dans la situationdu chauffeur dune voiture dont le pare-brise serait couvert de boue(Kane 1989, p. 167-169). Mais ce quont cr les patrons-escrocs est

    12. Par exemple, nos analystes ont su que lURSS tait en train de dployer des missiles nuclaires Cuba parce que nos U-2 avaient repr la structure caractristique des dfenses antiariennes que lesSovitiques utilisaient toujours autour des missiles nuclaires.13. Cest aussi ce qui est arriv la SEC dans les annes 1990. Ses effectifs sont devenus si insuf santsquelle na jamais su quune vague de fraudes patronales avait dferl. Elle na jamais repr lesstructures de comportement qui indiquaient la probabilit dune fraude.

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    bien pire quun pare-brise couvert de boue. La boue, on la voit et ellegne. Le chauffeur sait que sa vision est entrave, et il a une incita-tion forte descendre pour nettoyer son pare-brise.

    Les fraudes patronales utilisent dlibrment la comptabilittruque pour que tout paraisse lumineux, transparent. Plus quaupare-brise, elles ressemblent aux rtroviseurs extrieurs, qui don-nent limpression de re ter si normalement que ltat imposedy inscrire cet avertissement permanent : Les objets perus dansce miroir sont plus prs quil ne semble 14. Dans les entreprises

    patron-escroc, linsolvabilit massive est toujours bien plus prochequil ne semble.

    LA GUERRE CIVILE ENTRE AGENTS DE LAUTORIDE CONTRLE

    Je vais examiner comment les patrons-escrocs ont russi mani-puler lus et fonctionnaires de lautorit de contrle, et mme dclencher chez ces derniers une guerre civile. De hauts responsablesde ladministration Reagan, des membres importants du personnelspcialis des institutions politiques et des personnalits nommespar le prsident au Bank Board ont aid les PDG fraudeurs. Un seulparmi eux tait corrompu, mais ce pome de Humbert Wolfe saisitlambigut de la situation :

    Nul ne peut esprer Acheter ou in chir,Dieu merci,Le journaliste britannique.Mais, vu ce quil feraSans quon lachte,Nul nen a loccasion non plus 15.

    14. Ce qui a permis un merveilleux effet visuel dans Jurassic Park(Spielberg, 1993). La camra lmedans le rtroviseur ct passager limage dun Tyrannosaurus Rex encore lointain qui poursuitpuis, sans transition, limage directe de laction, o le T Rex est effroyablement proche.15. Humbert Wolfe (1886-1940), Over the Fire, inThe Uncelestial City, New York, Alfred A. Knopf, 1930.

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    II. LA CONCURRENCE DU LAX

    Les conomistes qui ont montr que les autorits de rglemen-tation se disputaient des clients en leur promettant une super- vision plus laxiste ont forg deux des formules les plus rvlatricesqua inspires la dbcle des caisses dpargne : concurrence dulaxisme et course vers le fond . La nouveaut, cest quils appor-taient leur soutien au phnomne dsign par ces termes pjoratifs,parce quil sagissait dune course la drglementation. Au dbutdes annes 1980, tout conomiste savait que la rglementation taitle problme, donc que tout ce qui la rduisait tait souhaitable.Richard Pratt partageait cet tat desprit quand le prsident Reaganla nomm prsident du Bank Board en 1981.

    POUR LE BANK BOARD, LA COURSE VERS LE FON A T BRVE

    Le Bank Board tait dj au bas de lchelle de la rglementa-tion nancire fdrale avant la drglementation et la dsupervi-sion de Pratt. Jim Ring Adams (1990, p. 40) la justement quali de paillasson des autorits fdrales de contrle. Je nvoquerai que brivement les problmes de linstitution en matire dinspection,de supervision et daction rpressive, mais ils ont t lun des fac-teurs les plus importants de la dbcle, et un problme de moyensdu mme ordre la SEC est lorigine des scandales nanciers encours lheure o jcris. Les criminologues parlent de problmede capacit de systme (Calavita, Pontell et Tillman 1997, p. 136).Les systmes de la rglementation et de la justice pnale nont pasles moyens suf sants (et souvent la volont) pour arrter les fraudespatronales.

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    Au milieu de lanne 1982, linsolvabilit du secteur tait de lordre de150 milliards de dollars (NCFIRRE 1993a, p. 1). Le fonds de la FSLICne contenait que 6 milliards de dollars de rserves, donc lui-mmetait dsesprment insolvable. Ladministration Reagan refusaitdadmettre que le secteur tait insolvable, refusait daccorder laFSLIC les moindres fonds supplmentaires pour fermer les caissesen faillite, et ordonnait Pratt de ne pas faire usage du droit sta-tutaire de la FSLIC demprunter au Trsor la somme drisoire de750 millions de dollars. Pratt avait ordre dtouffer la crise des cais-

    ses dpargne.Ce camou age tait particulirement capital pour lexcutif en

    1981. Les promesses de campagne de Ronald Reagan taient claires :rduire les impts, accrotre les dpenses militaires et quilibrerle budget. Elles taient aussi, bien sr, incompatibles, comme sondirecteur du budget David Stockman le reconnatrait plus tard 2.Si lopinion comprenait que le d cit budgtaire tait en ralitsuprieur de 150 milliards de dollars au chiffre of ciel, le tollqui en rsulterait ladministration Reagan en avait parfaitementconscience pourrait empcher le vote des normes rductionsdimpt prvues par lEconomic Recovery Tax Act de 1981 (souventnomm simplement la loi scale de 1981 ).

    De son ct, lindustrie des caisses dpargne tait favorable aucamou age parce quelle ne voulait pas se dclarer insolvable. Pratt y tait aussi favorable parce que les responsables du Bank Board par-tageaient tous la mme crainte : une panique nationale visant lescaisses dpargne. Ce ntait pas Pratt qui avait provoqu la crisedes taux dintrt, mais, si le systme sombrait sous son mandat, beaucoup le lui reprocheraient. Il a fait le ncessaire pour lviter.Le Congrs tait lui aussi favorable ce camou age pour viterdavoir rduire les dpenses sociales populaires.

    bonne part de sa valeur de march si les taux dintrt augmentent considrablement. Cest ce quilsont fait dans la priode 1979-1982, et cest pourquoi les caisses dpargne, avec leurs prts taux xesur trente ans, sont devenues massivement insolvables.2. Les conomistes de loffre soutenaient que la rduction des impts allait stimuler la croissance delconomie, donc celle des recettes scales, ce qui permettrait dliminer les d cits. Quand il disputait Reagan linvestiture rpublicaine pour la prsidentielle de 1980, Bush avait justement quali cettethse d conomie vaudou . Les rductions dimpts de 1981 ont abouti des d cits records.

    LA CONCURRENCE DU LAXISME

    LE CAMOUFLAGE CRE LES CONDITIONS PROPIC LA VAGUE DE FRAUDES PATRONALES

    Ce camou age a optimis le secteur pour la fraude patronale deplusieurs faons. La plus directe a t la comptabilit truque. Les principes comptables rglementaires du Bank Board (PCR) lem-portaient en gnral sur les principes comptables gnralementadmis (PCGA) pour les comptes remettre lautorit de contrle.Pratt a labor des principes comptables rglementaires cratifs

    (PCRC)3. Jai voqu le pire, le report des pertes sur les prts , danslintroduction. Les innovations des PCRC taient la cerise sur legteau de la comptabilit extravagante. Deux dispositions des PGCAcomposaient le gteau lui-mme. Le plus gros truquage comptabletait la non-reconnaissance par les PGCA des pertes de valeur demarch provoques par lvolution des taux dintrt. Les PGCAignoraient donc les 150 milliards de dollars de pertes en valeur demarch in iges par la hausse des taux dintrt 4.

    LEGOODWILL (LA SURVALEUR) : LE TRAITEMENT BREDE PRATT POUR UN SECTEUR MALADE

    Lautre norme abus des PCGA tait la comptabilit de la surva-leur . Un mot dencouragement : vous allez comprendre, vous serezahuris de larnaque et vous saurez pourquoi ceux qui conoiventlaction publique doivent imprativement comprendre ce genre dechoses. Vous allez aussi entrer dans une petite lite, car peu de gensont compris. Dans dautres ouvrages, vous lirez que la comptabilitde la survaleur tait scandaleuse, mais pas comment fonctionnait

    3. Les abrviations anglaises sont GAAP (generally accepted accounting principles) pour lesprincipes comptables gnralement admis ; RAP (regulatory accounting principles) pour les principescomptables rglementaires ; et CRAP (creative regulatory accounting principles) pour les principescomptables rglementaires cratifs. Cest pourquoi lauteur ajoute ici propos de ces dernierssigle dit tout ! (crap signi e foutaise ) [NdT ].4. Par la suite, on a modi les PCGA pour quils imposent de reconnatre les pertes en valeur deMais, pendant la dbcle, les PCGA valuaient les actifs leur valeur initiale ou valeur comptquils taient dtenus en tant quinvestissements (et non pour la vente ou letrading). Les caissesdpargne ont toujours af rm quelles les dtenaient en tant quinvestissements.

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    larnaque. Je nexplique en dtail que les deux fraudes comptablesqui sont au cur de la dbcle ; la survaleur est la premire.

    Tout commence par un postulat simple et logique emprunt lascience conomique : la meilleure preuve de la valeur de march, cestce quun acheteur indpendant paie pour avoir un actif. Lacheteurindpendant est celui qui agit dans son propre intrt, en toute autono-mie. (Quand les conomistes postulent la rationalit , ils se trompentsils ne prennent pas en compte ce qui est rationnel pour un escroc.)Dans lcrasante majorit des cas, le recours au goodwill dans la compta-

    bilit des caisses dpargne des annes 1980 tait frauduleux. Puisquela FSLIC navait que des fonds ngligeables au regard de lchelle delinsolvabilit du secteur, les priorits de Pratt taient dviter dedpenser ces fonds pour rgler les faillites de caisses et de camou erlinsolvabilit du secteur et de