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L’ENFERMEMENT, QUELLE HOSPITALITÉ POUR LA FOLIE? Des mots posés comme une écharpe sur le cri pour qu’ils ne pren- nent pas froid. N’est-ce pas étrange d’avoir peur de gens qui ont peur de la folie? Elle, (encourageante): Vas-y! lance un texte! Lui (décidé): Les «Nouveaux cahiers pour la folie» feront le lien à travers les solitudes et à travers les institutions portant les dires...

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  • 1. LENFERMEMENT, QUELLE HOSPITALIT POUR LA FOLIE? Elle, (encourageante): Vas-y! lance un texte! Des mots Lui (dcid): poss comme Les Nouveaux cahiers une charpe pour la folie feront le lien sur le cri pour travers les solitudes et quils ne pren- travers les institutions nent pas froid. portant les dires... Nest-ce pas trange davoir peur de gens qui ont peur de la folie?
  • 2. Elle (encourageante): Vas-y ! lance un texte ! (dcid) : Les Nouveaux Cahiers pour la folie feront lien travers les solitudes et travers les institutions portant les dires, les propositions, les revendications, les pomes, les dnonciations, les refus, les ides, les lans... pour que chacun, quels que soient sa place, son mtier, son rle, laisse parler le meilleur de sa folie. Elle (enthousiaste) : Pourquoi les Nouveaux Cahiers pour la folie? Parce que nous en avons besoin. Nous, cest dire soigns, soignants, familles, rsistants mobiliss ou immobiliss, amis, ennemis... ayant affaire la folie telle quelle se dit en ses diffrents lieux... (perplexe): Oh l, pas trop vite! Nos ennemis ont-ils vraiment besoin des cahiers pour la folie ? Ce nous doit englober des gens qui en ont quelque chose faire... Ou bien on dit qui, de quelle place on parle, ou bien on ne dit rien. Elle (poursuivant, imperturbable): Nous avons besoin des Cahiers parce que les voix de la folie ne se laissent pas craser par la politique gestionnaire/scuritaire qui prtend les rduire en protocoles et nomenclatures. Nous en avons besoin parce que les voix de la folie rsistent en leur singulier tissage, potique et politique, utopique et raliste, qui veille secrtement sur le destin de nos cultures... (tranchant): Quest-ce quun nous ? Quest-ce quun collectif ? A t-on des ennemis ou non ? O se situe la violence ? Que pouvons-nous faire? Quel pouvoir daction retrouver ? Elle (songeuse): Quest-ce quun collectif dans le cas o il sagit dcrire ? Peut-il se proposer un autre but explicite que de proposer un lieu pour des critures diverses? Ce quon voit venir, en tous les cas, cest que lcriture plusieurs se fera par des processus non pas dajouts mais de retraits, voire darrachements Le bout de la violence qui sy attrape na-t-il pas dabord voir avec cet ennemi intime qui se (re)lve quand on se risque crire ? (didactique): Lennemi, daccord, nous le portons en nous. Et ltranger, lexclusion, la peur... Ce nest pas une raison pour faire limpasse sur les violences lies aux institutions, ces violences qui tendent saccrotre lorsquune institution soccupe des gens dclars psychochoses ou autres fous des tous les ples, de toutes les bulles. Quil y ait, par nature, de la violence dans les institutions nempche pas que lon peut penser et dfendre des formes institutionnelles moins violentes. Les Cahiers peuvent-il avoir cette fonction ?... Elle et (en rvant, en crivant) : Peut-tre.... 2<
  • 3. Dessins Pierre Sadoul mail Bonjour, comment peut-on participer aux cahiers pour la folie et vos travaux. Bref, jaime bien ce que jai lu de vous et jai envie de faire un bout de chemin parmi ces poussires dvnement. Ci-joint 3 textes. Jen ai dautres dans la besace. Que faire des mots? Au del du dfaire les maux. Dessins Pierre Sadoul 3<
  • 4. EN PAIN D EPICE Au cur de son cerveau se loge un caillou blanc, glac, aux artes acres, qui parfois taillade les tendres mninges qui lentourent. Il sait cette pierre. Il la sent qui sessaie glacer son me. Parfois, il reste immobile, ptrifi sous un froid mordant qui paralyse tout et le plonge dans leffroi. Car il arrive que son esprit tout entier se glace ainsi, rduit un blanc sans rponse, o plus rien nexiste, rien ne compte. O seule rgne la peur. Cest blanc. Cest tout ce quil sait. Cest blanc et froid, et a fait peur. Et dans ce blanc gel se cache un grand bout de sa mmoire. Cela, il ne le sait pas, force de refuser de le savoir. Il dit juste que cest froid, que cest blanc, et quil a peur. Il la dit aux docteurs de lhpital. Leurs blouses aussi taient trs blanches, et leurs mains pas trs chaudes. Ils ont hoch la tte, lil grave et le sourcil fronc. Mme, ils ont toussot, lun aprs lautre, la main poliment devant la bouche. Ils lui ont plant des aiguilles dans les bras, des lectrodes dans le crne, des pilules dans le gosier. Aprs, ils ont dit des tas de mots trs savants en regardant des graphiques trs abstraits. Il y avait son nom, Monsieur Riboule, qui revenait intervalles dans le discours, et quil reconnaissait au milieu de ce magma vocal, alors il hochait la tte son tour en sefforant de prendre lair hautement intelligent. On peut se parler trs longtemps sans jamais se comprendre. Et les docteurs ont parl longtemps. Tellement que monsieur Riboule sest endormi dans son lit blanc et tide. Les discours ont continu entre les docteurs pendant un moment encore. Ils avaient lair content de mlanger leurs mots savants. Les infirmires pensaient dj au menu du repas ce soir pour les enfants et encore aux yeux si bleus du nouvel interne. Aprs, cest une histoire dhpital banale. Ils ont enferm monsieur Riboule dans une chambre blanche et ils lui ont prescrit des comprims de toutes les couleurs. Il a appris articuler lentement chaque mot, mme le plus simple. Les comprims, cest comme a, a vous oblige larticulation pteuse. Il a appris les rites du quotidien, les repas et la tisane, les heures des pilules et celle de la visite, le pas gliss des pantoufles tranes et le frapp des sandales des aides-soignantes. Il a appris demander, sil vous plat, est-ce que je peux me doucher, est-ce que jai le droit daller dehors, je voudrais un autre sucre pour ma tisane, pourrais-je avoir mon portable Dans son cerveau, il y a comme une bouillie tide, poisseuse, peut-tre jauntre, engluant son cortex. Il ne sait gure cette bouillie. Simplement, il sait quil doit articuler plus lentement. Mais il aime bien la tideur dans son esprit, sans questions, sans angoisse. Cest tide. Cest tide, a colle et cest calme. Il a dit merci aux docteurs. Le bout de mmoire enferm dans la pierre est noy sous la bouillie gluante. Le tout petit garon qui hurlait sa terreur sest chang en bonhomme de pain dpice. Tout est sucr, tout est tide, tout est calme. Juste un peu ralenti, peut-tre. Avec juste un tout petit cadavre en pain dpice au cur dun ocan de bouillie tide. Les docteurs sont contents. Monsieur Riboule na plus de crises. A Prigueux, le 30 Janvier 2005 4<
  • 5. mail 26/11/2009 19:47 La folie et la mort sont les ailes de lamour. MERCI DCOUTER VOS PATIENTS cest trs gentil, cest normal au sens noble et a mange pas de pain. Jajoute que dtre inadapte au travail est plus une bndiction quune maldiction, en tout cas au sens normalement positif du terme. Lucie 5<
  • 6. LES NOUVEAUX CAHIERS POUR LA FOLIE se droulant au jour d aujourd hui) Ridentem dicere verum/ Qui vetat ? Dire en riant le vrai/ Serait-il interdit ? (exergue employe par Lewis CARROL, alias Charles L. Dodgson) La Raison raisonnante : Quest-ce quil te prend, chevele Folie, vouloir ressusciter, comme si de rien ntait, tes plus que dfunts Cahiers pour la folie, qui naquirent ta dfense (si je crois bien me souvenir) dans ces lointaines et fort infortunes annes 70, et qui furent enterrs depuis ? : Oui, Mdame, mais le fait est que, mme si autant de Temps sest coul, fauchant droite et gauche un grand nombre de mes amis (ce mme Temps se rjouissant fort de ses indniables victoires), le fait est que (veuillez bien excuser ma hardiesse, accompagne et soutenue, en cela tout au moins, par diffrentes formes de folies de ce monde : cheveles, ou pas), nous estimons le moment venu de nous exprimer amplement, car le moment est devenu grave, trs grave. Infiniment plus grave, quen ces annes lointaines, lorsque notre petit bonhomme ntait encore quun louveteau, en train de grimper (avec hardiesse, il est vrai) ces hautes marches qui mnent lOmnipotence, et La Raison raisonnante (en lui coupant vite la parole) : mais aussi la Gloire, folie ! : Absolument. Absolument. Mais, laissez-moi terminer, Mdame. En ces annes lointaines (disais-je), il navait pas encore rejoint, dune faon tmraire, la redoutable Cime, le frissonnant, mais galement si rjouissant Sommet de lAbsolu Pouvoir. Or, vous, sage Dame, vous, Raison raisonnante, sachez que, depuis quil occupe cette Place si hautement respectable, ce Lieu sacr, il ne nous laisse simplement plus vivre en paix, ne ft-ce que lombre dun instant. Car il ne cesse ni dapparatre ni de parler, et toute bride, sur la totalit de nos crans, en nous imposant ceci ou cela. Tout comme il narrte pas dintervenir physiquement, et dune faon qui pourrait paratre quelque peu inopportune, dans nos propres lieux, dans nos propres espaces, allant jusqu souligner avoir t le Premier de son rang stre gnreusement aventur par l. (Dans ces contres, jentends). Et cela, afin de nous louer, ou de nous critiquer (parfois mme dune faon, pour peu dire, tout fait impolie), et en nous repoussant jamais en des retranchements extrmes dsireux, comme il lest, de tout dcider pour nous. Bref, notre place. La Raison raisonnante (en prenant de la hauteur) : Mais ne serait-ce pas l le lot, le destin le plus noble quil soit sur la Plante, que de nourrir la veuve et lorphelin, et de revtir consciencieusement le nu et le dmuni ? : Oui. Bien sr. Mais, en ralit, ce nest pas ce quil fait, ce nest pas ce qui laguiche, en vrit. Et je peux vous lassurer, sous la foi du plus sincre des serments ! Il ne cesse donc pas de sacharner perptuellement ne plus nous laisser la moindre libert, ni dans lexercice de nos diffrents labeurs, ni dans lexpression de nos voix disparates. En un seul mot : il se glisse, afin dy rsider en vrai Prince florentin, dans lenclos de nos propres vies, de nos vritables existences. (Soupir dru.) Oui, Mdame la Raison raisonnante ! Et cela aussi parmi ceux qui estiment (ceux qui estimrent ?) bien connatre leur travail, et laimer fort. 6<
  • 7. La Raison raisonnante : Expliquez-vous avec une plus grande prcision, tout comme avec une majeure clart, folie. De quoi sagirait-il donc : de labeur, ou de travail ? : Comme vous prfrez le nommer, Dame. Car cela se passait au temps o on pouvait encore laisser libre cours (pour ainsi dire) la recherche et linvention (et mme aux imprvues, soudaines trouvailles), dans son propre terrain. (Evidemment, lorsque lon vous laissait bien loccuper, cette place, dans le concert des humains !) Tout a se passait cette poque, qui apparat dsormais si lointaine et irrmdiable, nos pauvres yeux de mortels, alors que mes enfants pouvaient encore ne pas se laisser errer, hagards, le long de rues, diurnes ou nocturnes. La Raison raisonnante : De grce ! Il noblige personne : Mais si ! Mais si ! Je vous dis que La Raison raisonnante (expliquant tout fait calmement, sereinement, souverainement, la chose en elle-mme): Il voudrait, mieux, il ne dsire tout simplement que de les protger, ces humains, qui lont bel et bien lu pour quil acquitte cette tche. Une tche quil accomplit par une constante Prsence, spirituovirtuelle. Mais galement au moyen des gnreuses techniques de notre poque, dont galement certains de nos voisins (sur un ton prcipit): Ce que je voudrais vous dire, cest que depuis le 2 dcembre de lan de grce 2008, ce petit bonhomme sen est plus particulirement pris nous. nous oui ! les folies cheveles, en dcidant de rayer de par sa parole si lgamment prise, et dont il ne se lasse pas (jamais !) de nous abreuver au grand trot (mais propos de laquelle, dans nos bas-fonds, on murmure, quelle ne serait mme pas, dans ses aussi riches tournures, le fruit de son estimable cru), en dcidant donc de rayer de notre belle carte de France, par des griffonnages ou des violents traits rouges (oh non ! pas rouges ! noirtres, peut-tre ?), notre pass, et tous ces acquis, pour lesquels nos pres et nos grand pres luttrent infatigablement par le pass. Or, je me rfre naturellement, ce disant, aux hommes de ce Pays, car, rgles et coutumes imposent que La Femme ait bien dautres choses faire. (Comme soccuper duvres caritatives, ou chanter, bien labri, des douces, charmantes chansonnettes, en lhonneur de tous ceux qui voudront bien les entendre, en les coutant. Bon !). Et, pour conclure, gente Raison raisonnante La Raison raisonnante : Oui, cest bien a ! : pour conclure, donc, jaimerais vous avouer que, dans ces Nouveaux Cahiers pour la folie, il sera bien question de tout cela. Prcisment, de la libert ncessaire dont chacun de nous ncessite, afin de pouvoir jouer convenablement de linstrument de son choix, mais galement de pouvoir sexprimer de par sa propre voix (unique !), bien qu lapparence tout au moins, oppose la sienne ( la vtre ?), afin quon puisse humainement vivre, et se raliser, sur cette Terre. La Raison raisonnante : Allez ! Dpchez-vous de conclure, car jai autre chose faire que de (tout prise, et comme sourde ce parler) : Et surtout ! Et comme il nous revient de droit, dpauler et de vivifier toute parole se nichant en nos parfois sombres curs dhumains. Des curs parfois si sombres, quils ne se lassent pas de dgringoler dans ce quon appelle dhabitude la Folie cervele, pardon ! Echevele. (Empressant tout coup son dbit, ayant lu, sur les lvres de la Raison raisonnante, son propos dune 7<
  • 8. nouvelle, prompte riposte.) Cest pourquoi nous entendons accueillir dans notre feuille, toutes suggestions, toutes productions crites, relatant faits ou vnements ou penses ou dsirs ou projets, etc. etc., amrement, ou injustement, ou mme courageusement, et dune faon ttue, vcus par nos lecteurs, sur quel bord quils se trouvent, ou se dcouvriraient, du grand fleuve de la vie. Quils soient placs sur le rivage de la Raison raisonnante, ou sur celui de la Folie chevele. Car, nous osons esprer que ce mot de citoyen qui nous a revtus jusqu cette heure, et dont nous nous acharnons pniblement revtir encore et encore la nudit de notre actuelle et si dmunie Rpublique, ne soit pas quun vain mot, et quon puisse le rendre de nouveau irrductible, en en (r)conqurant pleinement sens et signification ! Et cela, en luttant bec et ongles, et de toutes nos forces, afin de le dfendre, en lassumant en tant que parole. Un grand merci vous, amis citoyens, et merci aussi aux Raisons raisonnantes qui voudront bien nous accompagner et suivre, tout le long de cet aventureux voyage, lapparence tout au moins, rouge et quasi dmoniaque ! Vtre folie chevele Antonella Santacroce mail 26/11/2009 19:25 Folie de vouloir croire entrevoir quoi o ? Samuel Beckett 8<
  • 9. Psychiatres vtrinaires On juge le degr de civilisation dune socit la faon dont elle traite ses fous Lucien Bonnaf La vache folle nexiste pas, cest un abus de langage. Au pire, on peut voir de malheureux ruminants avec des troubles neurologiques dus lencphalite spongiforme bovine, mais point de folie l dedans. Un animal ne peut pas tre fou, car la folie ncessite le langage. Hlas, Rabelais a pch par optimisme, le rire nest pas le propre de lhomme. La ralit est moins joyeuse, cest la folie qui est propre lhomme. Depuis la plus haute antiquit, autant en Inde quen Chine, en Egypte et en Msopotamie, les philosophes, savants et lettrs, tous saccordaient considrer que ce qui fait la diffrence essentielle entre lhomme et lanimal, cest la parole, ou plus exactement le langage. Je crois quil faut appeler psychiatrie vtrinaire, toutes pratiques qui nabordent le fou et la folie que dans une dimension biologisante dun homme-animal en rfrence explicite, ou le plus souvent implicite, une idologie qui exclut la folie du champ de lanthropologie. Depuis la Renaissance, la psychiatrie vtrinaire sest prsente, selon les lieux (Allemagne, Espagne, Italie, Autriche, France) sous cinq avatars qui avaient tous en commun la priori dinvalider le discours dlirant et de traiter les fous comme des mammifres rduits leur corps biologique. On peut distinguer: -La psychiatrie asilaire -La psychiatrie neurologique -La psychiatrie gntique -La psychiatrie biologique -La psychiatrie comportementale. Historiquement, nous avons donc dj vcu cinq fois ce processus de rduction de lhomme fou lanimal: -Au XVIIIe sicle, le sicle des Lumires a laiss dimmenses zones dombres, en particulier en ce qui concerne la folie et la place des fous dans la socit. A cette poque ont t conus les asiles dalins de lge dor de la psychiatrie asilaire qui ne proposait quun enfermement des fous, dans des asiles conus comme des zoos. Les fous dans le rle des fauves et les gardiens chargs de nourrir et de garder les btes et dinterdire toute vasion! Il nest pas question de soigner la folie, dcrte priori incu- rable, mais uniquement de protger la socit de ses fous, tous considrs comme dangereux priori. -Au XIXe sicle, la psychiatrie asilaire et la psychiatrie neurologique, dite neuro-psychiatrie, excluent que lhomme fou puisse faire partie de lespce humaine. Le fantasme neuro-psy- chiatrique na jamais cess de faire la promotion de lide dlirante que le psychique serait un jour rductible au neurologique. -Au dbut du XXe sicle, cest la psychiatrie gntique qui est devenue la mode. Elle affir- mait tout simplement que les maladies mentales taient des maladies gntiques transmises par des tares chromosomiques. Les nazis ont pouss cette logique jusqu ses pires extrmits. En 1945, les Allis ont trouv dans la bibliothque personnelle dHimmler tout ce qui avait t publi sur les techniques de slection utilises par les vtrinaires pour lamlioration des races chevaline, bovine ou ovine. Ce sont ces mmes techniques que les nazis ont appliqu leur population pour lamlioration de la race allemande . Abattage systmatique de tout individu suspect de tare gntique. Outre les juifs, les tziganes, les homosexuels, les nazis, au nom de la gntique, ont assassin cent cinquante mille malades mentaux sur le territoire du Reich. Sous lOccupation, le rgime de Vichy a appliqu hypocritement la mme idologie en rduisant les budgets nourriture dans les asiles. Quarante mille malades mentaux sont morts de faim en France occupe. Les Sudois, convaincus par les thses de la psychiatrie 9<
  • 10. mail 20/11/2009 09:42 Je suis "malade" en "libert", modle pour des peintres de temps autre et pote. Je m'inquite, moi aussi, pour "l'avenir de la folie". Je ne sais si ce que je vous envoie peut servir mais bon je me suis dit "il faut que j'apporte ma pe- tite pierre". Sabine 10<
  • 11. gntique, ont strilis leurs malades mentaux pendant cinquante ans. Ces mthodes ra- dicales ont eu au moins un mrite, celui de faire la dmonstration que les chromosomes navaient aucun rle dans les maladies mentales, puisque le taux de maladies mentales est rest inchang dans les trois populations allemande, franaise et sudoise. -Aprs guerre, avec la dcouverte du premier mdicament neuroleptique, un engouement sest dvelopp pour la psychiatrie biologique. En effet, pour les lobbys pharmaceutiques, il tait obligatoire de trouver des arguments biologiques pour faire croire que les mdicaments psychotropes constituaient un traitement tiologique et non simplement symptomatique. On attend toujours le moindre dbut de preuve dune trace biologique dans les maladies menta- les. -Au XXe sicle, avec lidologie bhavioriste, sans surprise puisque le comportementalisme rsulte de la transposition lhomme dtudes pratiques en psychologie animale, rappa- rat la rduction de lhomme fou lanimal mais sous une forme nouvelle, avec en prime une confusion entre les troubles du comportement et les troubles mentaux. Retour donc des effets de dshumanisation: incurabilit et dangerosit potentielle qui avaient t postules priori. Je vous lavais bien dit que tous ces gens l sont incurables et dangereux. Alors, autant les traiter comme des btes . Deux illustres neuro-psychiatres, avec quelques autres, ont tent de rendre lhomme fou sa place centrale en anthropologie : -Sigmund FREUD en analysant le discours des alins. -Jacques LACAN en dmasquant le rle majeur du langage dans les troubles mentaux. En ce dbut de XXIe sicle, la question se pose de savoir si nous nassistons pas au sixime avatar de la psychiatrie vtrinaire avec la mise en place de la psychiatrie scuritaire. La confusion entre troubles du comportement (dlinquance, criminalit) et troubles mentaux (dlires, hallucinations) relance le mythe du fou dangereux et permet de faire passer des victimes de maladies mentales pour des criminels dangereux. La psychiatrie humaniste peine survivre dans des conditions de plus en plus difficiles. Il est tellement plus simple et plus facile de grer un cheptel que de traiter humainement la folie. Dr Ph. LECLERCQ, ancien praticien hospitalier en psychiatrie. Quelques chiffres: 80% des internements (H. D. T.) sont des mesures de prvention de suicides. Seuls 20% des internements (H. O.) sont lis des troubles de lordre public. Incapables de se dfendre, les malades mentaux sont les premires victimes de la dlinquance et de la criminalit. La commission Violence et sant mentale note que les crimes contre les patients psychia- triques sont prs de douze fois plus frquents que dans la population gnrale. Concernant la dlinquance les chiffres sont du mme ordre. Cest le tour de force de la psychiatrie scu- ritaire que de russir faire passer les victimes de maladies mentales pour des bourreaux criminels potentiels. 11<
  • 12. Fragments Ici on recueille les clats fragments de la misre du monde. a pourrait scrire au fronton de tous les hpitaux psychiatriques. Il y en a beaucoup des misres. Passant lautre jour dans une rue Lyon, tt le matin, jen- trevois sous un porche une forme engonce dans un sac de couchage et de lendroit o je me trouve il me semble que lhomme ou la femme couch l sest envelopp le visage dans un sac de plastique transparent pour se protger du froid et de lhumidit. Comme je mapproche je ralise quil nen est rien, le sac de couchage est sans doute bourr de quelques effets et l o devrait se trouver une tte son occupant dpos en guise de baluchon un sac contenant ses objets de premire ncessit une gamelle, quelques canettes, une orange et je ne sais quoi encore. Je me dis que lon penserait peut-tre proposer au propritaire de ces reliquats de misre une place au sec, quelque chose de chaud boire mais qui soccupera, et comment, des maigres objets de survie quil a dans la tte . Il y en a beaucoup des misres et je pense Nathalie Zaltzman qui parle de la gurison psychanalytique comme une tentative daccueillir et de retenir ce qui est en passe en cha- cun de nous de nous prcipiter hors du monde. Nos patients sont de cette misre l, des troubls du rapport eux-mmes, aux autres, la socit qui les a signifis malades mentaux un peu hors du monde. Cest sr il leur manque des mots pour se dire et sarticuler aux autres, alors a passe par des crises dagitation, des tentatives de suicide, des comportement addictifs, des dlires, des demandes incessantes ou des tendues de repli et a passe dans le corps et dans la tte des humains qui les entourent On souhaite que les soignants investissent les patients Mais on ne sait pas qui investit qui finalement, et cest bien comme a, parce que sinon nous tomberons tous hors du monde. Pour laccueillir cette misre du monde, des femmes et des hommes font acte de prsence. Ils ne sont pas l 7h ou 8h ou 12 h par jour pour autre chose que pour a. Faire acte de prsence cest insister sur ce simple fait que des tres humains sont l pour cet accueil, ce travail, cette douleur davoir se faire un peu rceptacle de tout a, et den faire, au mieux, quelque chose dhumain qui soit plus que le couvert et le gte, quelque chose qui retisse des liens dhumanit avec cette misre psychique et sociale. Et cest un acte de prsence qui sprouve, et qui prouve ces femmes et ces hommes, parce que les humains aux prises avec linhumain sont sans cesse tirs du ct de leur refus de cette misre l mais aussi du ct de leurs propres tentations vers linhumanit et son cortge de violence. a ne se fait pas tout seul, a ne se fait pas sans retisser infiniment avec des motions, des penses, des mots, les liens dhumanit qui font que tout a redevient un peu partageable, un peu humain, a ne fait pas sans effort face la facilit de simplement servir la soupe et les mdicaments ou de dcrter rapidement ce qui est bon pour lautre. a ne se fait pas sans une institution qui sy dvoue et en exige les moyens. Parfois tout est confondu et cest prcisment de ce magma l que soin peut advenir. On me dit lautre jour, ailleurs, cette jeune professionnelle depuis peu dans un lieu de soins pour adolescents : En voil un qui hurle un de ces cris glacer le sang, et voil quelle na sur linstant dautre choix que de lisoler dans sa chambre A cris redoubls il martle la porte de ses poings, elle y va pour le contenir, puise, de longues minutes, sans succs, jusqu ce quarrive un collgue, tout aussi vocifrant : quest ce que cest que ce bordel ! Effondre, elle cherche plus tard ce qui lui noue toujours le ventre. Ce jeune quelle tait l pour soigner elle a tellement voulu, un si court et si vif instant le voir mort, comme dautres peut-tre avant elle Elle aurait voulu partager a avec ses collgues et sy retrouver si humaine comme eux, si dsarme comme eux, si traverse de haine comme eux, si capable de sy frayer un chemin, avec eux. Elle aurait tant voulu. L o les hommes et les femmes ne se parlent pas de ce qui les prouve et de ce quils prou- vent dans leur travail soignant, sous couvert dtre professionnels , donc bonne distance 12<
  • 13. inaltrable, ils cessent alors de faire acte de prsence, ils tombent hors du monde ou en font chuter dautres leur place. L o les femmes et les hommes sont aisment convoqus pour se remplacer les uns les autres dans leurs fonctions, en tant ainsi nis dans la singularit de leur humanit, ainsi que dans celle de leurs patients, ils tombent un peu hors du monde. L o la liste est longue. Faudrait faire un inventaire la Prvert. Une collgue me raconte ses Visites A Domicile chez une dame ge, qui se dfend comme elle peut de sa mlancolie on dirait A peine a parle dans une demeure isole que jimagine dans la pnombre et comme fige dans le temps, une maison o la vieille femme se voudrait quelque peu sorcire, a lui laisse des pouvoirs ma- lfiques mais des pouvoirs quand mme. Faites attention, elle lui dit des fois, au mal que je suis capable de faire, prenez garde ! Mais surtout peine a parle et cest une surprise chaque fois quelle ouvre sa porte, un miracle quelle accepte encore ce lien l aprs avoir tout refus. Vous faites quoi ? Elle moffre une cigarette de son paquet et moi, et bien, je lui en offre une du mien. Aprs on fume. Cest a ou tomber encore plus hors du monde. Fragments. Echos tnus de ces immersions dans la misre du monde. Qui les entendra ? Et comment ? J.de Turenne Infirmier psychiatrique Psychologue 13<
  • 14. JE RESPIRE Ils balancent du nocodyon par la fentre de ta cave cest peut tre pour a que tu ne te sens pas bien Je lai rencontr plusieurs fois A chaque fois : la porte, la frontire On dit bien que si lhomme a conscience de sa finitude, cela implique lide dun infini impalpable mais rel voire implacable Pourquoi nest-ce pas moi qui louvrirais la porte ? Prends garde ! Ils te surveillent tu ne noues pas tes poubelles de la mme manire que tout le monde tu tes fait reprer Garde toi ! Encore des mirages ! Depuis tant de temps dj, il te dit que cest toi qui va ouvrir la porte Qui il ? Ton animus Merde ! dans quel labyrinthe ma fait pntrer la lecture dun homme tel que Jung ? Tu le sais o a ta conduit, non ? Droit lhpital ! Ncoute pas sa voix Tlphone ton psy tout de suite tu te promnes allgrement par del la frontire Garde toi des portes que tant de fous ont cru enfoncer avant toi Personne ny est parvenu ! Pourquoi toi ? Pas plus quune autre Pourquoi souffre-je de cette maladie pernicieuse, tratre et volage ? tu vois tu reviens cest bienallonge toi Prends immdiatement la dose quil faut Je veux dire une dose autorise Je me demande pourquoi cette fois, je ne ressemble plus un lgume lorsque jatteins cet tat l Laccoutumance ? Une volution vers une personnalit moins multiple, plus construite Parce quau bout jy suis alle une fois : dix de tension et tout et tout Et tout et tout : a veut dire dormir quatre six heures ou pas du tout, fouiller les poubelles la nuit comme un clochard sans raison apparente, murmurer des phrases dans la rue sans honte, devenir une perptuelle trangre jusqu ne plus savoir comment ouvrir la porte dun magasin, qumander un passant le secret du fonctionnement dune cabine carte pas que a des dtails se faire des ides sur tout, avoir peur de changer de pice dans son appartement et dormir dans le fauteuil parce que dans le lit, il y a lautre lautre qui donne une frousse de croque mitaine quon berce avec de la musique interprter tout selon lui, avoir des projets fantasques comme apprendre le sanskrit, dautres plus amusant : se baigner nue dans un trou deau au fin fond dun bois avec seulement des mouchoirs en papiers pour se scher a, je ne regrette pas a ma laisse un sentiment de libert, de bien tre, dentraver un interdit et au bout du bout, puise, ne pouvant plus dormir, crivant des mots que moi seule comprenais, ne pouvant plus donner le change face aux autres : je suis arrive lhpital et a a t pire Jinventais mille choses pour les psy qui mobservaient ils marquaient psychose hystrique ventuelle , ils ninterprtaient que ce que je montrais et la folie est comme les icebergs ce quon ne souponne pas est norme alors les certificats ont dfil psychose schizophrnique paranode mais cest vrai qu un moment avant quon marrte jai eu la sensation que je portais lhumanit dans ma pauvre tte, tout se mlangeait et je ne percevais quavec peine qui jtais 14<
  • 15. Les diagnostics se sont affin psychose dysthymique ou psychose schizo affective et je men sors comment ? Je suis alle voir des faiseurs de pluies et quarante ans je peux vous dire quune pousse de nimporte quoi qui merge en plein Kalahari avec une petite pluie fine mais rgulire et lautre ! Il espre immdiatement loasis ! Pour linstant, je suis allonge avec Maria Callas lombre en plein Kalahari et je respire je respire Je ne peux pas vraiment dire que jai frl la mort mais lautre la recherche pitoyablement parfois Pas croire Je suis passe la banque Tout se monnaie dans ce genre dhistoire Alors trouve un moyen dobstruer ta fentre de cave et tu nauras pas souffrir des bouteilles vides de nocodyon Cest moi qui te lassure Et surtout coute bien les palabres dans le cercle tu ne parviendras jamais au cercle cest lautre qui invente Ce cercle que je nomme trs peu y parviennent ou alors des grands Toi ! Si ridicule lautre il a ses rves, moi je ne touche pas a Je massoie sur le bord du cercle et jcoute mais je ne pntre pas au-dedans sinon ! Tu connais la suite ? Sur le bord respirer aprs avoir bu un hibiscus Et lautre aussi subira sa finitude Lautre aussi Lautre tranquille Maria Callas juste un peu fle pour se remmorer mail 09/11/2009 22:09 Bravo! rsistons la logique denfermement, aux injonctions paradoxales, la surenchre administrative, aux comits thodules, la logique de mutualisation- scurisation-prcarisation, la fausse dmarche-qualit, la trs haute autorit de sant, la proltarisation du corps mdical, la stigmatisation et la discrimination, la destruction de nos valeurs. Dr Philippe, chef de secteur, chef de ple mail 20/11/2009 18:53 Je travaille en psychiatrie, en maison de retraite et en libral en tant que psychologue clinicienne. Aujourdhui, il sy passe videmment le mme schma : le vieux est synonyme de rentabilit , il est maltrait et on est loin de la loi de 2002. Cest pourquoi, je souhaite apporter ma contribution ce mouvement essentiel et vital pour nos gnrations et celles venir, et le propager aussi dans dautres structures que la psychiatrie. On a besoin de savoir que nous ne sommes pas seuls rsister ! 15<
  • 16. Rflexion thique et citoyenne pour lutter contre lparpillement et la perte de sens de la psychiatrie Il y a quelques dcennies, la psychiatrie ne semblait sintresser qu la folie et lasi- le tait un de ses symboles. Son domaine stend dsormais des schizophrnies au bour- bier du mal tre de masse. Les formes dinterventions de cette mme psychiatrie se sont dilues (dlites ?) dans le tissu social. Nous pouvons maintenant la trouver aux dtours dune cole, dune prison, de la famille, du monde du travail, dune catastrophe, dun tri- bunal Les mutations et lvolution socitale viennent interpeller de fa- on massive la psychiatrie comme tiers symbolique qui pourrait donner du sens. Les psys sont de plus en plus soumis des si- rnes attractives, pour rpandre la bonne parole, sous couvert dun suppos savoir qui leur permettrait danalyser, dapporter des solutions, dessayer de rassurer ; en un mot de rpondre tout. Ces nouvelles modalits se font souvent au dtriment de la clinique et, surtout, sinscrivent dans une dominante de la loi du march vise normative. Dans un contexte socital caractris par leffi- cacit financire pure, la dimension singulire, la subjectivit et le caractre humain de la relation thrapeutique sont de moins en moins reconnues. Ceci participant faire une place de plus en plus large la logique administrative et comptable. Aujourdhui, le trouble mental est devenu une question sociale et politique autant que mdicale. Une illustration symptomatique : le projet de loi de prvention de la dlin- quance. Projet dans lequel il est fait un amalgame inquitant entre maladie mentale et dlinquance. Comment ragirons-nous si on nous demande, en tant que soignants de sec- teur psychiatrique, de signaler au maire de la commune concerne toutes personnes prsentant de graves difficults sociales, ducatives ou matrielles ; comme le prvoit larticle 5 de ce projet de loi ? La dferlante des valuations et protocoles en tout genre vient nous rappeler que, pour notre sant (pour notre bien), il est important de tout classifier et contrler. Les psys sont partout et plus rien ne leur chappe, si ce nest peut-tre leur pratique et leur clinique. Ils sont devenus les matres penser des temps modernes. Des nouveaux champs dinterventions se prsentent la psychiatrie, notamment avec lavne- ment de la notion de psychosocial et de son corollaire la rhabilitation synonyme, ici, de radapta- tion, de retour la norme sociale. Ainsi, nous nous retrouvons, de plus en plus souvent, en position dune immdiatet conjoncturelle, paradoxe premier pour des professionnels qui mettent en avant la singularit et latemporalit de linconscient. Les psys sont ainsi convis, en tout temps et en tous lieux, pour par- ler et rguler tous les dysfonctionnements sociaux et moraux. Dans ce contexte, il ny a plus qu assimiler psychologie, psychanalyse et psychiatrie une seule et mme science pour rpondre une qute de rassurance et, surtout, linsupportable du manque. Pire encore, la psychiatrie peut tre amene et accepter de cder une drive nor- mative et moralisatrice. Nous entendons par l un positionnement en tant que matre qui dicte comment jouir , mais aussi ce quil en est du bien pour lautre. Vouloir le bien de lautre sans prendre en compte la particularit et lunicit de toute de- mande ? Dans ces configurations l, lautre est souvent rifi, voire ni. Alors, quen est-il de lthique de la psychiatrie, en tant que responsabilit pour lautre ? Comment rpon- 16<
  • 17. dre cette continuelle expansion des demandes adresses la psychiatrie ? Quest ce qui donne sa lgitimit la psychiatrie? Est-elle assimilable la notion de sant mentale ? Quelle place peut y trouver la notion de souffrance psychique ? Pour une pratique du questionnement thique La manire dont on traite les malades mentaux est, cela est connu de longue date, trs reprsentative de la politique gnrale dune socit, dun tat. Un centre hospitalier psychiatrique est soumis des contraintes en terme de politique de sant, quil ne peut matriser. Contraintes quil est possible de comparer un certain principe de ralit. Cependant, chaque tablissement bnficie, malgr tout, dune certaine autono- mie. Mais, dans le contexte conomique libral actuel, la vigilance doit tre renforce sur la qualit et le sens des soins prodigus. Dans ce cadre l, le questionnement thique se doit dallier au moins plusieurs impratifs : Lapriseencomptedusujetautraversduneoffredesoinseffi- ciente et de qualit. Lalgislationrelativeauxdroitsdesmalades,deleursfamilleset de leurs entourages. Leprincipederalitsocio-conomiquequereprsentelapolitiquenationalede sant lie la psychiatrie. Lencessairequestionnementdelinstitutionsursespratiques,aussibieneninterne quen externe. Si depuis bien des annes, lvolution de la psychiatrie tait avant tout due la volont, aux savoirs et aux connaissances des soignants ; actuellement elle est intime par la primaut de lconomique sur lHumain et par les rgles du fonctionnement dentreprise au risque que le sujet sefface ; que ltre du malade ne soit plus que rifi, ou pire, tarifi ; que lcoute, au sens de faire advenir la parole du patient, se drobe pour laisser place un trop plein de protocoles et dactes codifiables. Comment maintenir ce qui fait lessence de notre spcificit, la rencontre avec le sujet dans sa globalit, comme loffre la psychanalyse, et non pas scotomis sur un ou des symptmes, linverse de ce que propose les classifications nosographiques internationales actuelles ? Cette rencontre ntant possible quavec le filet des savoirs cliniques, dune thorie de lHu- main et de lthique. Lthique a pour objet le domaine de la pratique humaine en tant quaction reposant sur une dcision, impliquant, le plus souvent, une praxis. Les questions fondamentales de lthique concernent le bien qui doit dterminer la conduite et laction. Son but est dtablir les fon- dements dun agir et dune vie en commun justes, raisonnables et remplis de sens. Les prin- cipes et fondements de lthique doivent tre perceptibles de faon universellement valable et raisonnable, sans rfrence des autorits ou conventions extrieures. Cest pourquoi elle adopte, vis--vis de la morale en vigueur, un point de vue distanci et critique. Laspiration la totalit (au sens dune ingrence complte dans la vie du sujet) contient, en soi, la potentialit du totalitarisme o le singulier nest plus respect dans son originalit ir- rductible. Ainsi se rvlent les causes de labandon de lespace intersubjectif, de la relation lautre et, donc, de lthique. Alors, le point de dpart de la relation thique est le face--face, cest--dire la rencontre du je avec autrui. Lapparition dautrui me confre une responsabilit. Jassume sa faiblesse, sa fragilit, sa vulnrabilit, sa faillibilit qui font, entre autres, sa spcificit dHumain. Une relation se noue, constituant le fait originel de la fraternit et engage ma libert. Je suis 17<
  • 18. responsable dautrui . Ici, lthique se hausse au niveau dun absolu qui rgle lexis- tence et dsigne la relation lautre comme lune des modalits de ltre. De manire plus globale, la sectorisation demeure le meilleur dispositif pour ac- compagner tous les patients, sans discrimination. Ceci dans un temps qui est moins sous contrainte de rapidit , notamment pour le secteur extra hospitalier, mais aussi dans leurs environnements propres, avec des quipes soignantes de qualit. Ef- fectivement, si linconscient est intemporel, patients et soignants ont besoin de temps. Besoin qui devient de plus en plus difficile satisfaire par faute de places lhpital, et par dilution des missions en extra hospitalier. Il apparat clairement que la nouvelle gouvernance concerne surtout lattribution des moyens, la logique devient alors : rapporter de largent lhpital et la psychiatrie. De tout temps, en psychiatrie, la plus grosse dpense financire est celle lie aux person- nels. Cest pourquoi une dmarche thique concernant les soins passe ncessairement par le maintien, mais aussi le renforcement des personnels de sant et des moyens suffisants pour remplir quitablement et correctement leurs missions de service pu- blic. Sans que ce qui va suivre puisse tre considr comme exhaustif, plusieurs points savrent inquitants et doivent tre r-interrogs au travers du prisme du questionnement thique. De plus en plus, les tablissements psychiatriques et les soignants sont pousss une obligation de rsultat chiffr, cod et quantifiable. La psychiatrie publique doit, en partie, saffranchir de ce dictat. Ceci, parce que la fonction publique hospitalire doit, prioritairement, tre au service du public; deuximement, en raison de la spcificit de la psychiatrie avec son rapport privilgi linconscient qui, gnralement, sac- commode bien mal de ces logiques du tout codifiable. Linconscient nest ni chiffrable ni quantifiable, le sujet ne peut ni ne doit tre rifi, au risque dtre ni. De plus en plus de demandes sont adresses la psychiatrie, tant par des institutions, des administrations que des particuliers. Les limites de notre champ daction sont sans cesse repousses. Mais toutes ces nou- velles demandes sont-elles toujours de notre ressort ? La psychiatrie est une spcialit mdicale dont lobjet est : les maladies mentales . Pour maintenir la pertinence dune approche globale, il est essentiel de poursuivre une approche pluridisciplinaire (sciences humaines, philosophie, sciences sociales), pour une meilleure lecture des problmatiques psychiatriques. Cependant, la notion de sant mentale devient de plus en plus envahissante, diluant notre mission fondamentale. La vie nest pas un long fleuve tranquille et toute souffrance psychique nest pas psychiatriser. Peut-tre devrions-nous tre parfois plus vigilants quant au fait de pouvoir dire non certaines demandes, tout simplement parce quelles ne relvent pas de notre spcificit ; mais aussi parce que le non peut tre constitutif dune nouvelle adresse, plus adapte, pour ces mmes demandes. Cependant, il est important que lhpital psychiatrique puisse retrouver une fonction dasile . Mot qui, ici, nest pas entendre comme un lieu denfermement et dali- nation dans lequel la socit se dbarrasserait du sujet dit fou, mais comme un lieu daccueil inviolable, o peut se rfugier une personne poursuivie, en rupture, lieu o lon se met labri dun danger. Vouloir tout prix le bien dautrui, tre persuad de dtenir ce bien et vouloir lim- poser lautre cela se nomme le contrle, la matrise, pouvant rapidement driver au totalitarisme, la dictature, la tyrannie. De plus en plus, nous sommes confronts au turn over , plus communment appel dure moyenne de sjour , acclr des patients en raison de la diminution du nombre de lits en intra hospitalier. Ceci ayant pour corollaire des difficults pour- suivre la prise en charge en extra hospitalier, ainsi que des rechutes rapides et donc plus de r-hospitalisations lourdes, faisant ressentir un sentiment dchec pour les patients et les soignants. A ce niveau l, pouvons-nous encore parler de qualit des soins ? Cest l une superbe illustration des drives de cette logique du tout compta- 18<
  • 19. ble. Sur quels critres faut-il valuer le travail soignant ? Certainement pas uniquement sur la dure moyenne de sjour, mais bien sur le contenu et le sens que nous donnons aux soins que nous prodiguons. L aussi, une approche thique, centre sur le sujet, simpose. De plus en plus, nous devons nous interroger sur la demande de soins du patient psycho- tique, du dsir du schizophrne ou du dpressif. En effet, contrairement aux pathologies somatiques, cest souvent un autre que le patient qui demande. Et mme si cest le patient qui demande, sait-il ce quil dsire ? Parfois le sujet ne demande rien alors que nous sommes persuads, ou du moins nous croyons tre persuads, quil a besoin de soins ; parfois cest vrai, mais parfois Alors, intervenir, ne pas intervenir, se substituer, ne pas se substituer, dcider pour autrui ? Pourquoi ? Comment ? Pour qui ? Depuis peu, tous ces question- nements soignants sont prendre en compte en intgrant les dis- positions lgales concernant les malades, leurs familles et leurs entourages. Sachant que, parfois, nous sommes amens prendre des dcisions allant lencontre de nos valeurs thiques personnelles (isolements, contentions, hospitalisations sous contrainte, limita- tions des heures de sortie), mais pourtant frappes par le sceau de la ncessit de soins. Pour conclure et au del de la dimension individuelle de lthique, un centre hospitalier psychiatrique, sil souhaite prendre en compte de manire la plus globale possible, linterrogation thique doit sin- terroger sur les relations entre linstitution et les individus qui la constituent, mais aussi avec ses partenaires extrieurs, notamment sur la place relle qui est laisse aux familles des patients, leurs entourages, les associations dusagers. Cest la raison pour laquelle il est judicieux de r-interroger la notion de psychothrapie institu- tionnelle. Moyen pertinent permettant linstitution de rflchir sur ses pratiques. La proccupation et le questionnement thiques doivent, il sagit bien dun impratif, tre considrs comme un devoir dindividu, de citoyen et de soignant. Herv BOYER extrait dun ancien numro des Cahiers pour la Folie 19<
  • 20. Malette anti-patient mode demploi: 1. Gentil soignant 2- Mchant patient 3- Et voil, cest pli! mail 09/11/2009 12:10 Merci de nous donner l'occasion de nous exprimer car cet isolement dont nous souffrons dans nos pratiques laisse la part belle aux politiques pour instiller des ides et des projets inquitants pour notre profession 20<
  • 21. Lettre au directeur propos de la rception du dispositif de signalement et de gestion des vnements indsirables, en forme de FSEI Monsieur le directeur, Permettez moi de vous signaler un E.I (Evnement Indsirable). Qui tient la rception de la F.S.G.E.I ( Fiche de Signalement et de Gestion des Evnements Indsirables), par le soussign. Celui-ci ne disposant pas du DQEnr-XX-vO (formulaire de signalement) ni du DQ-Enr-XXX-v0 (fiche de gestion), utilisera donc les pauvres moyens de communication quil utilise habituellement, son papier lettre, pour attirer lattention sur la faon dont lpoque semble tente dapprocher les problmes tenant la prsence dhumains sur notre pauvre plante. La mthode dont nous avons ici un exemple tonnant menace ceux qui elle sadresse, bien au del des EI, seraient-ils catastrophiques. LANAES, la DGS, la DG, la DRASS, la DDASS, lARH, savent donc moins bien que UBU que ce qui tient les humains au monde cest lincompltude qui leur ouvre laccs au langage. Il faudrait que CME, CHSCT, CSSI, CTE, CA et tutti quanti se rendent compte de la langue que lon cause ici, l hpital et dans dautres lieux du mme tonneau, o lon pourrait attendre que se dployt lart de lcoute et de lcho , langue sigle, lN prt on tombait fous. Il semble que lon y soit tenu de parler la lan- gue des machines o le sens immanquablement fait dfaut/tes. Cette langue l est celle dun monde ou lthique serait dtermine par le grand valuateur post-moderne visant tout normer, tout lisser, tout numriser, tout simplifier en quelque sorte. Une fois cod en 0.1, lhumain peut enfin paratre simple, rduit au statut dobjet valu, on pourrait alors imaginer quainsi on pt avoir raison de lui, lobliger marcher au pas, tre heureux, ventuellement contre son gr. Il convient pour cela de corriger quelques erreurs, de transmettre copie de lAFSEI, dexa- miner les FSEI, dinformer le suprieur hirarchique pour enfin nommer un pilote, procder la transmission copies fiches FSEI et FGEI . Pourtant qui a lu Schreiber en sait un brin sur les mfaits des projets orthtiques. Chacun peut, lire les livres dhistoire, se rendre compte que lorsquon cher- che des solutions propos des problmes humains, les plus simples ont quel- quefois vers du ct de lhorreur. Je crains ainsi que sous les dehors polics de la dmarche de qualit, voire de la charit lgard des plus en difficults, lon dcharite comme disait Lacan, et que sous les couleurs du progrs les humains ne soient confondus en un seul corps, celui qui prside la jouissance totalitaire et barbare du grand organi- sateur. Je resterai enfin et jusquau dernier souffle, rsolu comme le sauvage, rcla- mer le droit dtre malheureux. Dr M. GUYADER 21<
  • 22. MAI (S) Je trouvais du charme l'air vif c'tait brut, douillet j' tais maigre et fragile. Que font les fous le dimanche 3 heures du matin, l'aprs-midi pareil c'est une mi-temps plus forte que celle des 12 coups c'est en creux le froid comme une mauvaise herbe les penses en vague se fracassent sur les rochers puissants d'une normalit qui les crase et les entaille les brise en cume de cris les refoule en rsistance souveraine et sombre les penses en poussire sont domptes comme tout comment tout redevient tal petits voiliers blancs soleil plongeant Que fait le fou quand finalement il perd la tte sa dmesure de son jeu dupe ? devient-il vieux, cendres avant la mort ruines ? quand videmment il ne se fout plus de rien de lui Il se sacrifie et CRIE Lonore Fandol 22<
  • 23. LES MOUTONS NOIRS DE LA PSYCHIATRIE DE MARCH Mouvement de grve lhpital psychiatrique dAuch Depuis le 14 septembre 2009, le personnel soignant du centre hospi- talier spcialis dAUCH, qui soccupe de la prise en charge de sec- teur psychiatrique de lensemble du dpartement, est en grve pour le maintien de moyens suffisants pour exercer ses missions de service public. En effet, revendiquant un EPRD (tat prvisionnel des recettes et des dpenses) en baisse de plusieurs centaines de milliers deuros, la nouvelle direction sest attaque brutalement un certain nombre dacquis : gel ou fermeture dune douzaine de postes de soignants, arrt de la prise en charge des frais de repas et de dplacement des soignants travaillant dans les CMP priphriques (situs jusqu 60 km), politique de restriction, de dqualifica- tion et de prcarisation des quipes travaillant dans les units intra-hospitalires Nous ne dirons rien des mthodes employes pour amener lensemble des agents accepter cette mise plat des organisations , mthodes sapparentant un management par la peur dsormais bien document. Dans le mme temps, plusieurs centaines de milliers deuros sont dbloques pour amliorer la scurit de lhpital, et vont servir essentiellement rehausser les barrires et cltures, tendre lusage des dispositifs metteurs-rcepteurs de protection des travailleurs isols , ainsi qu installer une premire camra de vido- surveillance Depuis un mois donc, les soignants sont entrs en rsistance, rassemblant travers une multitude dac- tions toutes les disciplines (et notamment quelques cadres et mdecins), syndiqus (CGT, SUD et Union Syndicale de la Psychiatrie) et non-syndiqus : journe de grve hebdomadaire avec paralysie de lad- ministration et pique-nique gant, actions de sensibilisation du public, des lus, des familles de patients, occupation symbolique du CHS par linstallation, 24 heures sur 24, dune tente de rsistance place lentre, lieu de rencontre festif (cette tente a t rcemment dplace dans la salle de runion de ladmi- nistration, fracheur automnale oblige !). Cette mobilisation sans prcdent du personnel, dont la solidarit et la ferveur dfendre leur outil de travail au service de la population se sont renforcs au fil des jours, a contraint la direction de lhpital des ngociations, et concder un certain nombre de points : rexamen de la situation des contractuels avec engagement en embaucher un certain nombre, maintien de la prise en charge des frais de dplacement en CMP Cependant, aprs plusieurs heures et deux sances de ngociations, un accord na pas pu tre sign sur la ncessit de prserver un effectif de fonctionnement suffisant dans chaque unit dhospi- talisation, la direction exigeant in extremis que le texte mentionne que cet effectif dpend des contraintes financires pesant sur ltablissement (EPRD) , les reprsentants du personnel ont alors accept de faire rfrence ces contraintes financires de la direction, mais en soutenant jusquau bout quelles lui sont propres . Cette simple locution reprsente bien un enjeu majeur : accepter de reconnatre le primat de la logique financire sur la logique de soins, accepter que lEPRD, susceptible dtre rvis chaque anne la baisse, devrait dicter la politique mdicale du service public de secteur psychiatrique, cest accepter une pnurie croissante, labandon inluctable des catgories les plus indsirables et coteuses de nos patients, au nom dimpratifs gestionnaires de ren- tabilit. Pire encore, cest exiger des soignants quils fassent leur, quils intriorisent cette contrainte financire suppose, quils soient co-responsables de dcisions conomiques 23<
  • 24. injustes dont ladministration cherche ainsi se dcharger, en les faisant pas- ser faussement pour une ralit suprieure, intangible On retrouve dans cette intention inavouable les techniques du management par la responsabilisation des acteurs , justement critiqu par des auteurs comme Christophe Dejours ou Jean-Pierre Le Goff, qui ont compar lidologie du ralisme conomique nolibral au nazisme, dans la mesure o il induit galement une soumission pathologique de masse Et maintenant ? Bien videmment, le mouvement continue ! Car nous ne cau- tionnerons pas cette casse de nos mtiers et de notre dontologie (au service du patient et en toute indpendance !), cette perversion gestionnaire et scuritaire de notre psychiatrie publique, commandites par un systme politico-conomi- que manifestement bout de souffle, et qui cherche nous enrler dans sa folle fuite en avant. Une mdiation pourrait tre propose pour sortir de la crise, mais elle reste soumise au bon-vouloir de lARS, dont le nouveau directeur vient de lindustrie des alliages spciaux. Souhaitons quil dcouvre la formule alchi- mique qui vitera la transformation des soignants du CHS dAUCH en moutons blants de la psychiatrie de march ! Collectif des soignants du Centre Hospitalier Spcialis d AUCH Epilogue : Village gaulois, banquet final! Aprs 37 jours doccupation non-violente, le mouvement de grve conduit au Centre Hospitalier Spcialis dAUCH sest achev le 20 octobre 2009 par la signature dun protocole daccord, entre le collectif soignant reprsent par lintersyndicale CGT-SUD-USP et la direction de ltablissement. Sous la supervision dun conseiller gnral des tablissements de sant dsign comme mdiateur par le ministre, ce protocole a avalis toutes les revendications du collectif, et ce sans condition financire. Ce succs permet de dmontrer que lunit dun front intersyndical et interprofessionnel, travers des actions de rsistance offensive non-violentes et dtermines, le soutien de la po- pulation et de quelques lus, peut encore avoir raison dune politique de restriction budgtaire, et contrecarrer toutes les intimidations et la dsinformation, toute la propagande scuritaire dont sentoure celle-ci. Le collectif restera vigilant ce que cet accord soit respect, lapproche de la mise en place dfini- tive de la loi HPST et de la rforme de lhospitalisation psychiatrique, le fonctionnement par ples et par territoires risquant dentriner une pnurie des moyens soignants savamment prmdite depuis des annes, que compenseront avantageusement des dispositifs de contrle de la bonne sant men- tale des populations Continuons dfendre une psychiatrie publique humaniste et indpendante du pouvoir politico-conomique ! 24<
  • 25. QUE LA FOLIE SOIT Folie ! Folie outrage ! Folie brise ! Folie martyrise ! Et puissions nous dire un jour aussi folie libre ! Cest en tout cas cet objectif de libration que veulent semployer ces Nouveaux Cahiers de la folie que nous ouvrons aujourdhui avec vous. Vous tous, les soigns, les soignants sur qui la nuit scuritaire sest abattue un triste jour de dcembre o celui suppos prsider nos destines sest employ stigmatiser les plus fragiles dentre tous, les plus vulnrables, les damns de lintrieur. Souvenons-nous du 2 dcembre 2008 o Nicolas Sarkozy lhpital dAntony dlivra sa profession de foi en matire de sant mentale, plongeant le personnel dans le plus profond dsarroi : des fous il faut se mfier, les fous enfermerez ! Prenant comme son habitude un fait divers -certes dramatique, o un schizophrne avait tu un jeune homme, il nona les rgles du grand retour lexclusion des faibles parmi les faibles : les fous, enfermerez ! Et il ouvrit ce jour-l la voie royale au dploiement de lobscurantisme populiste et scuritaire imposant par le spectre de la peur, le retour au grand enfermement en lieu et place de ce qui fait lessence mme du soin psychiatrique : la parole, lcoute, la relation humaine. A lisolement, les fous ! A lisolement ces tres dont la souffrance psychique accable la vie sur un mode tellement inimaginable quelle a fait deux lincarnation de ltranget , comme dit le psychiatre Michael Guyader. Depuis, ce ne sont plus que barreaux qui se dressent, murs qui srigent, vidos qui surveillent, chambres qui isolent et ceintures qui contentionnent. Des milliers deuros dpenss pour les plans de scurisations des hpitaux psychiatriques, mais des milliers deuros conomiss en rduction de postes de soignants et en destruction dinitiatives sectorises. On juge ltat dune socit la manire dont elle traite ses fous disait le grand dsaliniste Lucien Bonnaf. Alors bien mal en point sommes nous tous. Sauf l, o a rsiste. Car a rsiste. Ici aux injonctions scuritaires et protocoles aveuglment appliqus, ici la construction dune Unit pour Malades Difficiles, l la mise en cause de moyens mis pour pouvoir soigner les malades hors les murs, l encore pour sauvegarder des postes de soignants. Les Nouveaux Cahiers pour la folie veulent avoir pour fonction de faire remonter et de mettre en pleine lumire toutes les rsistances au quotidien de quelque instance soignante quelles proviennent. Faites nous parvenir tous ces savoir faire, toutes ces intelligences relationnelles, mais aussi tout ce potentiel soignant du peuple comme disait Bonnaf qui ne se laissera pas dicter et protocoliser ses actions par des experts qui ne voient le monde quau bout de leur peur, de leurs chiffres et de la rentabilit. Que les bouches souvrent, de ceux qui rsistent pour pouvoir encore dire les mots qui apaisent, les regards qui coutent, pour sauvegarder tous ces moments du lien, non valuables, non comptables qui font le sel du soin et jamais nentreront dans aucun protocole de la pense no-librale. Quelle hospitalit pour la folie ? Ce fut la question pose lors dun meeting organis par le Collectif des 39. Nous la reprenons notre compte pour ouvrir avec vous ces Nouveaux Cahiers pour la folie. Que vous soyez soignants, soigns, nous attendons de vous, tout ce qui rsiste pour restituer la folie toute sa dimension humaine. Que la folie soit et quelle rsiste ! Non pas en lenfermant, mais en lui donnant le droit dexister et dtre soigne dignement, autrement que par ce protocole dshumanis, punitif, que lon veut dsormais lui appliquer. Que la folie soit, en donnant ceux qui la vivent et la soignent, matire librer la richesse dont ils sont tous porteurs. 25< Elisabeth Weissman
  • 26. Lhpital de Volterra. Mme si depuis long- temps la Toscane stait employe dvelopper un travail psychiatrique en rseaux, lorsque la loi 180, dite Loi Franco Basaglia, dcrtant la fermeture des hpitaux psychiatrique en Italie, fut vote, lhpital de Volterra fut soudaine- ment abandonn . Ac- cueillie de faon trs contraste, dans un contexte politique parti- culirement trouble, (on venait de dcouvrir le corps dAldo Moro as- sassin par les brigades rouges), cette Loi fut applique, avec plus ou moins de zle selon la coloration politique des diverses Rgions. Aujourdhui, 30 ans aprs sa fermeture,alors que les toits des pa- villons seffondrent et que la vgtation rapi- dement recouvre ce qui ne fut peut-tre quune utopie, parcourir les couloirs, cellules et sal- les laisse cette impres- sion trange que ces murs bruissent encore des voix et rumeurs qui, un temps, les contint. Photos: Patrick Faugeras 26<
  • 27. mail 24/11/2009 20:13 Je suis infirmier dans un CHS en Savoie. Je mintresse depuis longtemps aux questions scuritaires lies au sanitaire et social. Aujourdhui jai envie de crer du lien avec les usagers, les patients, les professionnels de ces domaines car je ne peux plus supporter le quotidien trop fade de la relation soignante aseptise et gestionnaire du moindre risque social. Pour faire simple je rve dorganisations alternatives ce qui existe dsormais dans ces domaines, censs tre humani- ss. Je ne sais pas par quel moyen (mme si jai des ides) mais jaimerai participer la cration, lorganisation de ripostes face ce pouvoir sans fin de la gestion et du scuritaire. Alors, si vous pouvez, si nous pouvons, nous soutenir et nous entraider dans cette dmarche, je suis des ntres... 27<
  • 28. TIME IS OUT OF JOINT Tu psalmodies doutre-raison lenchevtrement discontinu des terreurs et des temps qui thabitent tels quils sagitent, sentrechoquent dans nos rves lorsque nous nous laissons emporter par la rminiscence de nos souffrances et de nos rvoltes. Ta violence minterpelle dans mes rves: la violence que tu dis, que tu cries qui test faite chaque fois que je passe devant la porte de ta chambre ferme et que tout se cogne dans ma tte. Cris douloureux. Gestes dchirs, arrachs. Avorteuse du refoulement, tu te veux la mmoire anantissant du monde. Tu es mmoire, condensation de gnrations, rceptacle de toutes les reprsentations qui sinscrivent dans la chair au temps davant la symbolisation. Ils cherchent sur leurs fiches le nom de ta maladie. Elle sappelle anachronie, rptition spectrale, discordance des temps. Qui es-tu Jeanne Azil, enchane une histoire que tu sembles condamne rpter? A perptuit. Comment parler de ce pass pass, mais toujours l, aussi actuel quternis? Comment conjuguer au prsent le pass? Si lhistoire est rsurrection des temps, la tienne est un disque ray. Que cherches-tu faire exister, gardienne infatigable de la mmoire? Histoire familiale, institutionnelle et mondiale, tu veilles sur la vrit retranche. Tu rappelles la psychiatrie son histoire. Te souviens-tu, ctait il y a trente ans lors de ta premire hospitalisation, dj tu venais de lHpital Robert Debr o tu te retrouves tout prs aujourdhui. Tu as seize ans. Ton premier suicide manqu. Tu tes jete, crase dans le vide comme on saute dune falaise. Ils disent que vous vous tes disputs ton frre et toi. Ils disent que tu es instable, fragile, lunatique. Mais toi seule sais la vrit. Ce pre qui te battait nen plus pouvoir. Ce pre qui vous frappait ta mre et toi. Serais-tu passe par la fentre pour empcher quil ne la tue? A dix ans dj, une histoire dinceste. Tu nas plus pu lui chapper. Ils disent quils vont te renvoyer lhpital. Ils disent quils ne vont plus pouvoir te garder. Tu sais quils disent vrai. Je vais te tuer. On va tenfermer. A lasile des fous. Dans la maison des alins. Ils ne voulaient pas de toi. Ils tont battue parce que tu tais malade. Toute la violence sabat sur toi. Farouche, obstine, nauras-tu de cesse de dchaner les foudres ancestrales? Et de ton enfance difficile, des atteintes somatiques, des troubles neurologiques, des douleurs abdominales et intestinales, du rachitisme, nas-tu jamais rien dit? Nulle autre trace que ton corps dcharn, presque sans sexe ni ge. Ton seul dlire simprime mme ta chair. Angoisses Corporelles intenses. Tu ne peux plus aller vers eux. Tu pars de morceaux en lambeaux. Tu nentends que ceux qui passent par ton corps. Ton corps se dchire aux points cardinaux de lhorizon. Tu ne parviens pas conjuguer lespace. Encore moins dcliner le temps. Mettrais-tu en scne par ce corps sans limite ni unit, ta radicale impossibilit tre au monde? Eparpills devant toi les temps de ton histoire comme les morceaux de ton corps. Tu as perdu la matire comme la forme, le point de rassemblement entre les parties et la totalit. En renonant habiter ton corps propre en une image unifie entends-tu signifier la difficult entrer dans ton histoire? 28<
  • 29. 1989, Maison Blanche. Ta mre hospitalise pour un pisode confusionnel dlirant suite un thylisme chronique. 1993, Maison Blanche. Ton pre hospitalis pour ivresse pathologique et violence envers sa femme. 1998, Maison Blanche. Ton frre Didier meurt dune fausse route . Mais toi, nas-tu jamais trouv le chemin pour tvader? La psychiatrie te fait horreur. Saint-Herold, lenfer. Sainte-Anne: de vrais fous; on les attache. Maison Blanche, trente ans dternelle rptition. Quelle folle histoire incestuelle, familiale-institutionnelle, joues-tu avec la psychiatrie? Quel vcu dabandon te pousse toujours y revenir? Quelle violence insymbolisable tempche de prendre une place qui ne soit toute la place? Pendant combien de temps encore le jeu du rejet et de la fascination? Tu dois risquer ta vie pour la gagner. Tu dois mourir avant de renatre. 2002 et quelques sries choues, rptes dlectro-chocs. Abandonnes. La vie, dis-tu, nuit gravement la sant. Les convulsions de la mort nen finissent pas de sagiter comme si tu cherchais la faire agoniser. Tes angoisses dissquantes de mort. Ils parlent dhallucinations. Ce frre que tu as dterr? Les cendres de tes parents dans le bac fleurs, prs du bureau des infirmiers? Dis-moi quelle langue pour cette mort qui nen finit pas de venir jusquau jour. As-tu seulement pris la mesure de la dsintrication des pulsions qui te porte cette intolrable rptition? Ton histoire convoque une mmoire sans anamnse, un pass qui nen finit pas de ne pas passer et revient, comme le rel, chaque jour la mme place. Combien de temps encore cet inoubliable? Lavenir ne peut pourtant pas tre quaux fantmes. Le temps, il est vrai, est dsarticul, disloqu, dbot, dtraqu, hors de ses gonds, disait dj Hamlet. The time is out of joint o cursed spite/ that even, I was born to set it right. Serait-ce le tort tragique fait ta naissance? Fallait-il que tu sois ne pour remettre le monde, lhistoire, le temps mme lendroit? Tu vis dans lintemporalit dun temps par-del le refoulement. Tu vis un prsent unheimlich hant par les revenants, revenant lui-mme tmoigner de ce qui fut retranch, exclu de la parole. Etranges, inquitantes, les dates de ton histoire commmorent en une seule fois un essaim discontinu dvnements, au mpris de toute chronologie. Ce qui peut revenir revient pourtant, non plus seulement dans la mmoire, comme tout souvenir, mais aussi la mme date dans les spasmes de ton corps disloqu. mail Bonjour, J'ai retenu qu'on pouvait vous crire et vous faire part de notre rsistance. Je dois dire que dans le milieu o je me trouve Pau, je me sens assez isole ou je n'ai pas rencontr les bonnes personnes. J'ai crit des textes qui sont des portraits "de folie" et j'ai travaill avec un peintre. Avec ma troupe de thtre, nous avons mont une pice sur la folie, en y intgrant quelques tex- tes et nous essayons de la jouer. Voir la folie autrement, toute proche de nous sans qu'elle nous effraye. Avec tout mon soutien, 29<
  • 30. Dans quelle langue le mme temps pour dire le futur et le pass? Dans quelle langue le mme mot pour dire le contraire et sa ngation? Tu nes plus quun prsent dilat que rien ne peut combler. Tu confonds les personnes et les temps. Tu ngliges leur concordance. Tu cherches le nom de linnommable. Le mot qui manque. Tu es la pice qui manque. La pice qui manque est une pice de trop. Mais peut-tre cherches-tu encore inscrire dans lhistoire, la tienne, celle de tes prents, celle de linstitution, des morceaux de temps arrachs, dlis de la chane signifiante. Peut-tre cherches-tu obstinment remettre en marche le temps. Extrait des anciens Peut-tre rejoues-tu dans un infiniment ternel prsent la tragdie qui prsida ta naissance Cahiers pour comme pour tenter de la reprsenter et de ten dbarrasser. la folie Alors seulement serait-il possible de la conjuguer au pass? Vous avez fabriqu le temps de loubli. Vous avez ajout des temps pour tre srs de ne pas vous souvenir. Vous vous bouchez les oreilles avec de limparfait. Vous dites cest du pass, cela passera. Tu as fait de ton corps la mmoire dune lutte mort. La mmoire dune horreur que rien ne peut calmer. La mmoire dune souffrance qui ne peut plus cesser. Tu redeviens toute petite dans son ventre. Depuis si longtemps quelle veut ttouffer. Ta mre-la-mort. Depuis tant dannes que vous luttez lune contre lautre. Depuis tant dannes quelle ttouffe, te rejette en elle. Tu tabandonnes. Tu rgresses en elle. Et dans ton ventre, nentends-tu pas les derniers tressaillements de ton enfant? Le viol dun assistant social, non maternel celui-l. Dans ton ventre un meurtre. Tu touffes ton enfant. Ils parlent de dlire de grossesse. Ils disent lenfant est mort. Comm e si tu ne savais pas que dans vos ventres gestants vous luttiez mort et receviez la folie en hritage. Comme si tu ne savais que les enfants quils ont mis dans ton ventre, tu les avais ton tour touffs. Tu dis le ventre des femmes et parle des blessures que tout un chacune spuise vainement cautriser pour mieux les oublier. Parfois tu deviens deux puis trois. Tu parles ta sur jumelle qui vit dans une autre maison, blanche elle aussi. Jeanne la morte, Jeanne la gentille, Jeanne la mchante. Tu es plusieurs. Ils disent que cest une maladie. Ils lui donnent un nom: schizophrnie-autisme-hystrie. Ils veulent te gurir. De quoi au juste? La ralit, la seule ralit, la ralit objective. Le je impossible trouver qui te rend folle. Le je et le moi par erreur. Dans quelle langue les mots signifient-ils aussi leur contraire? Tu es ensemble toi et elle. Vous tes une. Elle ne ttouffe que si tu es autre quelle. Si tu disparais en elle, tu survis. Si tu rsistes, elle te tue. Ils ont chang vos histoires, mais ils nont pu tuer votre mmoire. Alors tu bois, tu manges, tu avales: emballages, chaussette, couche-culotte pour les dtruire en toi. Est-ce ainsi que tu te charges de toutes ces disparitions qui nont pu tre labores? Tu les tues, tu te tues. 2008, une fausse route, quelques dix ans aprs celle o ton frre, au mme endroit, a trouv la mort. Etrangement ton autre frre se dplace. Lide de ta mort? L'espoir quil dpose en toi de ta mort? Mais tu ny parviens pas, quelque chose rsiste en toi. Quelque chose au fond de ta folie ne capitule pas. Le Temps dvore ses enfants. Mais un toujours chappe. 30<
  • 31. Un enfant rsiste. Tu abois le jour. Tu hurles la nuit. Tu deviens la muraille. Aveugle. Sourde. Muette. Le dchet. La folle. Les yeux clos. La mutit. Les cris. Le refus. Je ne sais quoi qui refuse de cder et qui survit dans le dsastre. A labri des crises. A labri de ton corps bris. Ton corps comme un boulet quils ont appropri. Ils en ont fait leur chose, leur objet : les couches, le change. Ils se sont empars de ton corps. Ils lont enferm dans la cellule des condamns mort. Ils lappellent chambre disolement, chambre de radaptation la normalit. A la vie. Ils disent que tu es encore jeune. Mais ils tenferment vive. Lenfermement qui accrot la rgression qui accrot lisolement. Le placement en H.D.T. au mpris du droit. Et de ta libert : vole ? Envole ? Vous memmenez, vous memmenez. Tu gmis comme on hurle la mort. Et tu casses et tu frappes et tu cries. Les murs de ta chambre se couvrent-ils des monstres de ta psych ? De ceux dune histoire trs ancienne ? Le rejet, le mensonge, la violence, la haine, le vide. Le manque damour. De ce que nous avions dcid pour toi, rien na t tenu. Ils questionnent ta place, lespace. Ils parlent dinadaptation du service. Ils parlent de difficult pour les quipes. Et cest dj texclure. Serait-ce comme le remarquait Monsieur H., ton compagnon dinfortune, quil y a deux coles ici lhpital ? Celle o lon vous laisse vivre perscut. Celle o vous tes guri et mort au-dedans.