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D. HILLAIRET ,Université de Paris XI Orsay, Centre de Recherches sur la Culture Sportive. UFR STAPS, Bât. 335, 91405 Orsay Cedex. Comment l'analyse des brevets d'invention peut-elle contribuer à définir les tendances futures des objets sportifs ? Si l'étude des processus de diffusion et de consommation des matériels de sport est une étape importante dans le succès des nouveautés sur le marché, les inventions et les brevets, étant à leur origine, sont souvent négligés et ne font que très rarement l'objet d'analyse approfondie. Cette situation est paradoxale et dommageable dans une économie de marché où, en fin de compte, seule une partie du patrimoine inventif est réellement exploitée à bon escient. Depuis peu, dans certains secteurs industriels où les avancées technologiques sont prépondérantes (aéronautique, nucléaire ou automobile...), on cherche à tirer profit de l'énorme accumulation de savoir renfermé dans les inventions brevetées au cours du temps. Car c'est bien dans cette gigantesque banque de données, première banque mondiale d'idées avec plus de 80% des connaissances universelles, que réside le poumon de l'économie et de l'industrie moderne. Tout ce qui se vend, s'échange, se construit, s'améliore, repose aujourd'hui sur un ou plusieurs brevets récents, voir souvent déjà anciens. Dès ses origines, dans les années 1790 en France, le brevet d'invention a toujours eu deux fonctions principales. L'une étant l'indicateur du niveau technique atteint dans un secteur de recherche, l'autre étant de garantir à son propriétaire la jouissance économique et industrielle de son invention. L'histoire des techniques modernes fourmillent d'exemples ayant fait la fortune ou au contraire provoqué la faillite de leurs auteurs. A la base du développement réussi de certains sports modernes, on peut citer le brevet de G. Salomon pour la carre de ski à fourchette dans les années 1950 suivi quelques années plus tard de ceux des fixations de ski à lanière, le brevet de la planche à voile déposé par H. Schweitzer en 1968, celui du surf des neiges par D. Milovich en 1960, celui du catamaran de sport par A. Hobie en 1968 ou celui de l'aile- delta par J. Roggalo en 1965. Tous ces brevets, qui sont des réussites économiques à la base de sports majeurs, sont issus de concepts originaux et opportunistes à leur époque. Mais pour ces quelques réussites exemplaires combien d'inventions sont restées dans l'oubli. Au fil des années, une masse considérable d'idées en tout genre est venue grossir les étagères de l'Institut National de la Propriété Industrielle (organisme d'état chargé de la légalisation et de la gestion des brevets d'invention). Grâce à cet énorme potentiel d'informations techniques, il peut s’avérer intéressant, étant donnée l'étendu de la créativité humaine, d'effectuer une sorte de come-back sur ces techniques «oubliées». Trouver par exemple de nouvelles idées à partir d'une analyse des brevets existants. Cette démarche peut paraître évidente et logique, et pourtant elle ne l'est pas dans la réalité. « Les résumés des brevets d'invention sont une source d'information

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D. HILLAIRET ,Université de Paris XI Orsay, Centre de Recherches sur la CultureSportive. UFR STAPS, Bât. 335, 91405 Orsay Cedex.

Comment l'analyse des brevets d'invention peut-ellecontribuer à définir les tendances futures des objets

sportifs ?

Si l'étude des processus de diffusion et de consommation des matériels de sport estune étape importante dans le succès des nouveautés sur le marché, les inventions etles brevets, étant à leur origine, sont souvent négligés et ne font que très rarementl'objet d'analyse approfondie. Cette situation est paradoxale et dommageable dans uneéconomie de marché où, en fin de compte, seule une partie du patrimoine inventif estréellement exploitée à bon escient. Depuis peu, dans certains secteurs industriels oùles avancées technologiques sont prépondérantes (aéronautique, nucléaire ouautomobile...), on cherche à tirer profit de l'énorme accumulation de savoir renfermédans les inventions brevetées au cours du temps.Car c'est bien dans cette gigantesque banque de données, première banque mondialed'idées avec plus de 80% des connaissances universelles, que réside le poumon del'économie et de l'industrie moderne. Tout ce qui se vend, s'échange, se construit,s'améliore, repose aujourd'hui sur un ou plusieurs brevets récents, voir souvent déjàanciens.Dès ses origines, dans les années 1790 en France, le brevet d'invention a toujours eudeux fonctions principales. L'une étant l'indicateur du niveau technique atteint dans unsecteur de recherche, l'autre étant de garantir à son propriétaire la jouissanceéconomique et industrielle de son invention. L'histoire des techniques modernesfourmillent d'exemples ayant fait la fortune ou au contraire provoqué la faillite de leursauteurs. A la base du développement réussi de certains sports modernes, on peut citerle brevet de G. Salomon pour la carre de ski à fourchette dans les années 1950 suiviquelques années plus tard de ceux des fixations de ski à lanière, le brevet de laplanche à voile déposé par H. Schweitzer en 1968, celui du surf des neiges par D.Milovich en 1960, celui du catamaran de sport par A. Hobie en 1968 ou celui de l'aile-delta par J. Roggalo en 1965. Tous ces brevets, qui sont des réussites économiques àla base de sports majeurs, sont issus de concepts originaux et opportunistes à leurépoque.Mais pour ces quelques réussites exemplaires combien d'inventions sont restées dansl'oubli. Au fil des années, une masse considérable d'idées en tout genre est venuegrossir les étagères de l'Institut National de la Propriété Industrielle (organisme d'étatchargé de la légalisation et de la gestion des brevets d'invention). Grâce à cet énormepotentiel d'informations techniques, il peut s’avérer intéressant, étant donnée l'étendude la créativité humaine, d'effectuer une sorte de come-back sur ces techniques«oubliées». Trouver par exemple de nouvelles idées à partir d'une analyse des brevetsexistants. Cette démarche peut paraître évidente et logique, et pourtant elle ne l'est pasdans la réalité. « Les résumés des brevets d'invention sont une source d'information

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bon marché que trop peu d'entreprises exploitent » (Ducas, 1972) et l'on préfère coûteque coûte inventer (en fait « re-inventer») des principes qui existaient déjà depuislongtemps. Avant d'entamer une quelconque recherche technique, une analysedétaillée des brevets éviterait souvent d'aboutir à des « découvertes » infécondes, voirinutilisables ou dépassées.Aujourd'hui pour augmenter les chances de réussite d'un nouvel article de sport, il fautimpérativement faire référence à l'état de l'art, c'est-à-dire à tous les brevets existantsdans un secteur au niveau national, européen ou mondial. Dans tous les domaines, lesbrevets peuvent jouer un rôle non négligeable de développement qui dépasse lesmesures de protection industrielle longtemps considérées comme leurs seules etvéritables fonctions. Ils sont également des organes de diffusion output de latechnologie (AREPIT, 1982). Dans le système des sports, on peut émettre l'hypothèsequ'ils peuvent aussi permettre d'établir des cycles de vie « officieux » des produitsinventés (en opposition aux cycles de vie « officiels » c'est-à-dire par rapport auxproduits finalisés commercialement). De même, l'évolution des brevets devraitpermettre de mieux cibler les perspectives économiques de celles qui ne le sont pas,d'établir des lignées d'évolution théorique des équipements forcément différentes deslignées purement commerciales.Pour valoriser cet aspect constructif des inventions brevetées, il faut reconsidérer lafinalité des brevets dans le système de créativité et de production économico-industrielle, en particulier celle du rôle informationnel précédant toute recherche denouvelles techniques. Dans ce but l'investigation des collections de brevets est«susceptible de déclencher le vaste processus d'étude et de développement quiaboutira au lancement d'une nouvelle invention» (Bouju, 1965).

Les demandes de brevet, occasion d'une recherche "a posteriori" des antérioritéstechniques (1)

Avant d'entrer dans le détail de l'aspect tendanciel des brevets, il est nécessaired'effectuer une remarque importante sur l'une des causes du désintéressement de lavaleur technique des inventions. Accéder aux documents des brevets implique souventune démarche complexe qui n'est pas suffisante pour encourager la curiosité,l'identification et la compréhension des inventions passées, sauf depuis l'avènement del'archivage électronique. La consultation des banques de données « brevets » est un«exercice assez désespérant pour un non-spécialiste» (Maire, 1983). Elle est longue etfastidieuse car l'on doit consulter méthodiquement des livres (inventions antérieures à1973) et des micro-films, année par année. De plus ces bases documentaires sontconçues pour une consultation essentiellement sectorielle, n'autorisant qu'unerecherche suivant des mots-clés2 sans pouvoir valoriser les techniques voisinesapportant quelquefois des idées intéressantes à connaître.

1. A l'Institut National de la Propriété Industrielle, les études les plus fréquentesconcernent les recherches d'antériorité, obligatoires lors de toute demande de brevet. Ils'agit d'opposer à la nouveauté, les brevets déjà existants pouvant revendiquer uneprotection industrielle. S'il y a antériorité déclarée la nouveauté n'est pas brevetable en

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l'état ; elle doit subir des modifications,2. Environ 30.000 mots-clés décrivent tous les domaines de l'inventivité humaine, allantdu génie génétique à la mécanique, en passant par l'agriculture et l'électricité. La C.I.B.(Classification Internationale des Brevets), qui regroupe ces mots-clés, forme unsystème de classification caractérisé par une hiérarchisation des techniques en groupeet sous-groupe (jusqu'a 5 subdivisions).

Hormis la demande de brevet elle-même, toutes les démarches effectuées d'ordinairepar les particuliers et les entreprises s'effectuent donc selon des situations précises. Ledemandeur désire soit des informations détaillées sur un brevet en particulier ou aucontraire sur tous des brevets existants dans un secteur technique, soit desinformations sommaires sur certains brevets (titres, numéros et abrégés) en vue d'uneconsultation ultérieure plus précise. Si l'intérêt de ces différentes démarches apparaîtclairement dans la conception d'un nouvel objet, elles ne s'effectuent la plupart dutemps qu'une fois réalisées les études de développement. C'est-à-dire que l'on sedocumente « par obligation » sur les brevets existants seulement lorsque le besoin deprotection apparaît. Les documents sur les brevets ne sont alors que de simplesinformateurs de technique proches des préoccupations du concepteur. La demande debrevet ne s'apparente donc qu'à une banale démarche juridico-économique sans liendirect avec la créativité. Le seul cas qui déroge à la règle est quand la demande entredans les revendications d'un ou plusieurs brevets déposés existants. L'inventeur se voitdans l'obligation d'effectuer des modifications sur son projet, et de fait utilise (malgrélui) de manière «active» les connaissances antérieures. Les techniques passées sontalors «génératrices» d'idées nouvelles et les brevets deviennent des indicateursprospectifs à part entière. C'est d'ailleurs souvent à ce moment que l'inventeur se rendcompte que son idée n'est pas absolument originale ou que sa solution accuse mêmeun certain retard technologique qui fait que son projet est caduque.Pour minimiser les échecs et profiter de l'énorme potentiel d'idées contenu dans lesbrevets, certaines grandes entreprises effectuent « une veille technologique » desbrevets, action qui consiste à se tenir informé dans chaque domaine, de toute demandede brevet effectuée par autrui. Ces entreprises peuvent en connaissance de causeadapter leur pôle de recherche en fonction des progrès de la concurrence et de l'intérêtgrandissant pour certaines techniques3.

3. Ce type de surveillance fait aujourd'hui la force des entreprises de pointe qui sedonnent les moyens nécessaires pour «sentir et parfois deviner» les stratégiesindustrielles des firmes concurrentes (Maire, G., 1983, p. 2).

Une société X concurrente d'une société Y peut ainsi étudier à partir d'un brevet decette dernière, un produit encore plus perfectionné (Desprat, 1991). On reconnaît làune première fonction prospective des brevets, puisqu'en tenant compte des inventionsbrevetées, il est possible d'adapter les recherches sur les produits destinés à un futurproche.

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Les processus de production et d'évolution des brevets à l'origine d'uneprospective technologique des objets

La prospective technologique mise en évidence ici, et applicable pour tout nouvel objet,porte sur la validité, la créativité et la richesse des inventions passées et présentes.Elle est un moyen d'expertise se révélant particulièrement bien adaptée aux loisirssportifs modernes4. Il faut cependant souligner que cette démarche originale n'estbénéfique que si elle est parfaitement intégrée au processus global de production desnouveautés qui reposent aujourd'hui sur trois réalités indissociables, l'innovation, lahaute technologie et les nouveaux matériaux.En effet, les difficultés liées à l'introduction d'une nouveauté sportive dépassentlargement le seul problème des brevets. Les conséquences du marketing, des étudessocio-économiques, de la mode et de la publicité ont une part au moins aussiimportante que les aspects purement technologiques. Le «quantum d'innovation etd'information technique» n'obéit pas toujours à la seule logique scientifique: sensibilitéssociales, stratégies financières y jouent un rôle prépondérant (Bouju, 1964). De même,les techniques gestuelles et comportementales des sportifs forment une dynamiqueindissociable permettant «d'évaluer certains modèles imaginaires » et d’accroître dumême coup « les outils des innovations futures elles-mêmes » (Vigarello, 1988).

4. Sur les aspects socio-technologiques de ce modèle d'évolution, se reporter à lathèse de doctorat : le système P.I.S.T.E. (Prospective et Innovation des Sports àTechnologie Elevée), Hillairet, D., 1992, p. 51-80 et p. 96-108..

Ceci est d'autant plus vrai que l'acceptation sociale et culturelle des utilisateurs estdéterminante dans la réussite commerciale des objets à vocation sportive(équipements, engins, habillement...). Dans les processus d'évolution des techniques etdes usages, on peut dire que les brevets sont bénéfiques à la société «lorsqu'ilspeuvent eux-mêmes être remis en question par des inventions ultérieures» (Ulrich,1989) et transformer potentiellement tous les comportements en vigueur.Une analyse détaillée des brevets et de leurs modalités de transformation en objetcommercial, met en évidence un décalage constant et donc quantifiable, entre lemoment où un brevet est déposé et le moment où le produit correspondant est introduitsur le marché. Cette période transitoire peut être variable selon les techniques, courtepour celles ne demandant pas d'études poussées de mise au point comme pour lesaccessoires de planche à voile ou de cycle (ailerons, selles, casques...), plus longuepour celles nécessitant d'importants tests et essais (semelles de ski, gréements deplanche à voile, matériaux de structure...). En moyenne, elle est de cinq à dix ans pourun objet sportif jamais développé auparavant, de un à deux ans pour les inventions deperfectionnement concernant les objets existants (fixations et chaussures de ski,flotteurs de planche à voile, cadres de VTT...).Chaque matériel sportif provient donc d'un ou plusieurs brevets connus antérieurement,c'est-à-dire que les produits qui ont été proposés aux utilisateurs dans les années 70sont issus d'inventions brevetées à partir des années 60, ceux des années 80d'inventions des années 70, etc... Ainsi dans l'histoire des objets (sportifs ou non), il

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existe un intervalle de temps entre les techniques inventées et celles réellementintroduites sur le marché. Par conséquent, les nouveautés disponibles aujourd'huiproviennent d'inventions connues déjà depuis déjà cinq à dix ans à l'Institut National dela Propriété Industrielle. Ce qui veut dire aussi que les produits qui seront proposés auxconsommateurs dans la prochaine décennie font l'objet de demandes de brevet àl'heure actuelle.

FIG 1. - Les brevets d'invention dans le domaine des équipements et articles de sportsont toujours l'origine des produits commercialisés quelques années plus tard.

Toute la difficulté étant alors de «décrypter», dans la masse des inventions brevetéesannuellement, celles qui, selon toutes vraisemblances, deviendront des produits.Analyses délicates mais réalisables par le «technologue», le spécialiste en prospective,ou même par le sportif connaissant très bien les différentes possibilités d'évolution. Surce principe prospectif, il est possible d'établir une véritable typologie des inventions quiont par le passé abouti à un produit commercial, en tenant compte naturellement desconnaissances technologiques, des critères et des goûts sportifs de chaque époque. Ilest possible aussi d'identifier des cycles de vie et des phénomènes dynamiquesspécifiques aux lignées, faisant émerger des secteurs et des familles de matérielsamenés à se développer dans des secteurs aussi divers que les loisirs urbains, lesactivités nautiques et de plage, les sports de montagne et de glisse, les activitésaériennes...

Une prospective qualitative ciblée sur le court et moyen terme

L'exploitation des informations contenues dans les brevets d'invention peut s'incorporerdans les critères tendanciels des pratiques sportives modernes et en particulier cellesindividuelles nécessitant des engins véhiculants. Par un travail de recensementexhaustif d'une grande part des brevets français existants dans ce secteur depuis unequarantaine d'années5, il a été possible d'établir une généalogie de toutes les variétésd'engins à caractère sportif. Alors que dans les années 50, seule une douzaine devariétés différentes formait l'essentiel des inventions brevetées, aujourd'hui ondénombre une quarantaine de lignées de base, et plus de 150 lignées secondaires.

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Cette « sur abondance » qui n'est cependant pas fidèle de la réalité des marchés - àpeine une vingtaine de ces lignées de base génère des produits commerciaux - permettoutefois de circonscrire des lignées à forte inventivité et/ou à haut niveau derendement, ou au contraire des lignées à faible inventivité et/ou à risque élevé.Par une évaluation détaillée de chaque lignée de brevets (degrés d'ingéniosité, valeursportive, espérance de vie...) et en essayant de comprendre comment s'adaptent lesnouveautés au contexte social et culturel d'une part6, aux possibilités techniquesactuelles d'autre part, il est possible de réaliser une prospective «technico-sportif» desmatériels à forte influence technologique.

5. Des recherches sur ce thème sont actuellement en cours au Centre de Recherchessur la Culture Sportive de l'Université de Paris-Sud Orsay.6. Les mécanismes entre culture et objet technique ne peuvent se comprendreséparément, l'objet ne pouvant être inventé que s'il s'incorpore à l'environnement qui l'alait naître, et dont l'homme et son comportement sont les initiateurs (Simondon, G.,1989).

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Milieux d'évolution Lignées d'appareillages brevetéesAiles-volantesAiles-volantes motoriséesCerf-volants

AIR Engins aériens à propulsion humaineParachutesParapentesCyclesEngins terrestres à propulsion véliqueEngins terrestres à traction animaleEngins terrestres (divers)

TERRE Luges à roulettesPatins à roulettesSkate-boardsSkis à roulettesCycles nautiquesEngins nautiques à propulsion véliqueEmbarcations à propulsion vélique (multi-coques)Embarcations à propulsion humaine(jambes/pieds)Embarcations à propulsion humaine (bras/mains)Embarcations immergées à propulsion humaine(pour les nageurs)

EAU Embarcations pliables et gonflablesEmbarcations tractéesSabots nautiquesSkis nautiquesSurfsWind-surfsCycles sur neigeEngins sur glaceEngins sur neige à propulsion véliqueEngins sur neige motorisés

NEIGE/GLACE Luges sur neigeLuges sur neige (formés de skis alpins)Monoskis sur neigeSkis sur neigeSnowboards

MULTI-MILIEUX Engins mufti-milieux (multi-usages)

FIG. 2. - Principales lignées de brevets - français et européens - d'engins individuels àdominante sportive.

Sur les aspects culturels, par exemple, si à une époque donnée, une idée ne pouvaitconvenir, elle peut aujourd'hui s'épanouir par des modifications des comportementssociaux. En privilégiant certaines tendances actuelles comme «l'individualisation»,«l'écologisation» et la «technologisation» (Pociello, 1991), il est possible d'isoler dansles lignées de brevets, ceux qui répondent le mieux à ces fonctions et de voir commenton pourrait favorablement les incorporer («re-stylés» ou non) dans le système sportif. Ilsuffit parfois de peu de chose, comme modifier la forme ou simplement les couleurs,revoir le principe général ou le mécanisme de certains éléments des objets, pour arriver

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à un produit répondant aux standards marketing du moment. Souvent de simplesmodifications de détail peuvent transformer une invention ou une idée «retro» en unproduit répondant bien aux tendances du marché.D'une manière générale, si beaucoup de ces idées n'ont pas abouti à undéveloppement commercial conséquent à l'époque de leur dépôt c'est qu'il existesouvent un fossé entre l'imaginaire des créateurs et les contraintes liées à la fabricationindustrielle d'une part, la réalité économique et conjoncturelle des marchés d'autrepart7. Ce décalage est de 6% pour les inventions concernant les disciplines sportivesnautiques (6% seulement des inventions brevetées ont une réalité commerciale, cechiffre étant encore plus faible pour les réussites commerciales), de 7% dans le milieuaérien, 15% dans le milieu terrestre, 16% dans le milieu neigeux et enfin 25% pour lesinventions pouvant se pratiquer indifféremment dans plusieurs milieux à la fois(inventions multi-milieux). Ces chiffres se rapprochent de ceux obtenus dans les autresdomaines de la recherche technique, c'est-à-dire aux alentours de 8%-10% seulement(pour l'année 1987). On imagine donc très bien que les brevets peuvent délivrer, pourqui s'en donne les moyens, une quantité importantes d'idées «nouvelles» puisque trèspeu sont développés commercialement.

7. L'efficacité économique réelle du système des brevets d'invention pourrait être remisen cause... mais ceci constitue un autre débat.

Quelques soient les problèmes à résoudre, l'ensemble des techniques brevetéesdoivent toujours être incitatives de découverte: en examinant des inventions parfois trèséloignées du champ des préoccupations, on formalise des idées souvent originales.«C'est en consultant les brevets sur les frontières ou en dehors du domaine traditionnel(.../...) qu'on a des idées fructueuses: on peut repérer des technologies inhabituellesdans le métier, mais déjà confirmées dans d'autres domaines, qu'il suffit de transféreren les adoptant, de façon innovatrice et parfois inventive» (Maire, 1983). En analysanttous les brevets d'objet sportif, trois processus technologiques sont favorables auxnouvelles idées:

- tout d'abord «l'influence globale d'une technique» qui permet de reprendredans son principe un concept utilisé dans un autre objet.

- ensuite «l'apport d'organes techniques» où cette fois des ensemblestechniques entiers sont repris in extenso pour former des combinaisons nouvelles.

- enfin «l'usage d'un nouveau concept» en général pas ou peu exploité, qui,associé aux fonctions d'un objet déjà existant, en fait naître un nouveau souvent mieuxadapté.Ce dernier processus est important car il génère des nouveautés sportives, et«revitalise» une lignée en perte de vitesse. Par exemple, il est fort probable que dansles années à venir, des engins comme le «skitract», engin hybride mi-surf, mi-skinautique et mi-scooter des mers, puissent apporter des solutions originales, beaucoupplus attrayantes du point de vue sportif et satisfaisant du point de vue technique, queles engins actuels « mécano-tractés » du genre bouée gonflable ou knee-surf (surftracté à genoux). Ce type d'engin futuriste est né d'une exploitation fructueuse des

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idées de brevets existants et il associe à des éléments connus (flotteur, guidon, aileron,hydro-foil...) un principe jusqu'ici inédit dans les objets sportifs, celui de la position demiallongée vers l'avant.Ce concept original s'inscrit tout à fait dans le prolongement technique des lignées déjàexistantes (celles du surf, du ski nautique et des scooters des mers). Cette filiation desprincipes est propre à tous les domaines où chaque nouveauté s'inscrit logiquementdans un "continuum idéologique et technique". Les brevets et les suggestionstechnologiques qu'ils induisent peuvent donc produire des appareils intéressants pourles pratiquants de demain... mais aussi pour les industriels à l'affût de nouveauxmarchés.

FIG. 3. - Un engin sportif «mécano-tracté» futuriste reprenant certains élémentstechniques du surf, du ski nautique et du scooter des mers.

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Une prospective quantitative orientée vers le long terme

Les brevets d'invention sont bien plus que de simples «marqueurs» historiques ettechniques, ils sont aussi des indicateurs économiques sur les fluctuations quantitativesdes marchés8. Ils permettent, par exemple, de cerner les tendances d'évolution desmarchés. Dans ce cas, les brevets sont le reflet des efforts de recherche etdéveloppement des entreprises et des inventeurs pour une technique donnée. Ilsdonnent une «orientation quantitative» (nombre, intérêt, croissance...) des lignéesd'objet en fonction des marchés dominants (air, eau, terre, neige). Par exemple, onobserve ces dernières années une régression constante des brevets dans le milieu"nautique", ce qui signifie qu'il existe un désintérêt grandissant des concepteurs pource genre de loisirs.

8. Une analyse statistique des brevets doit se réaliser selon des conditions biendéfinies et ne «se justifie que si elle apporte une image satisfaisante et peu déforméede la réalité technologique» (AREPIT, coll., 1982, p. 16).

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FIG. 4. - Les appareillages sportifs véhiculants et non-motorisés: évolution du nombredes demandes de brevets et des produits diffusés sur le marché français.

D'ici quelques années, cette tendance se manifestera sur le marché par une baisse dunombre des produits disponibles, phénomène qui s'observe déjà sur la courbe dunombre d'appareillages commercialisés. A l'inverse les objets s'utilisant dans l'espace«terre» sont à la hausse aussi bien pour les brevets que pour les produitscommercialisés, ce qui laisse augurer de bonnes perspectives d'évolution.Pour les concepteurs, les tendances d'évolution des lignées de brevet autorisentd'éviter d'abord les domaines saturés par un nombre trop important d'inventions, etdonc plus difficiles d'accès car encombrés de solutions, ensuite les domaines désertésavec peu de brevets exploités ou qui sont dans le domaine public9 prouvantl'inexistence d'une demande. Elles sont aussi un moyen efficace pour déterminer lapolitique d'innovation des firmes leaders dans une technologie, et donc connaître leurconviction dans les perspectives d'un marché.

9. On peut décrire trois cas où le brevet d'invention n'a plus aucune validité juridique deprotection et, de fait, tombe automatiquement dans le domaine public: lorsque le breveta plus de 20 ans, lorsque le breveté ne s'acquitte plus des redevances annuellesnécessaires au maintien du brevet, ou lorsque le breveté n'exploite pas l'objet de soninvention trois ans après la délivrance du certificat de brevet.

Par exemple dans l'industrie du ski, il est possible d'analyser la totalité des brevetsaccordés en France depuis les années 60, aux quatre plus grands fabricants defixation'°: Marker, Look/Geze, Salomon et Tyrolia. Les grandes firmes sont souvent desindicateurs fiables en prospective industrielle, car elles ne peuvent se permettre desmauvaises appréciations de développement. Tenir compte de leur politique en matière

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de prise de brevets est un signe largement exploitable pour les perspectives nouvelles.La société Salomon qui valorise depuis toujours son patrimoine créatif, constitue uneréférence dont les ambitions sont des signes révélateurs qu'il serait vraiment maladroitd'ignorer dans le domaine des sports d'hiver. Dans un secteur hautement concurrentielcomme celui-ci, l'objet doit subir une constante «re-valorisation» technologique (on voitd'ailleurs dans les graphiques les firmes concurrentes de Salomon qui n'ont plus cettevolonté). Ceci est encore plus vrai dans les secteurs de grande consommation soumis àun renouvellement constant et obligatoire des produits (prêt-à-porter, jeux vidéo,automobile...). Et là, nous entrons de plein-pied dans les attitudes consommatoirescaractérisées de plus en plus par la «versatilité» des utilisateurs face à une seuletechnique, à un seul objet, à une seule fonction.

10. Il faut cependant tenir compte ici que certaines firmes préfèrent demander un breveteuropéen plus économique, et couvrant en une seule procédure directement 13 paysdont la France.

11. Toutes les innovations majeures qui ont marqué l'expansion de cette société est lerésultat d'une politique constante de dépôt de brevets (Bruder, M., 1990, p. 10).

Conclusion: les brevets sont des indicateurs importants dans l'évolution desobjets

Il ne suffit donc pas, et c'est malheureusement très fréquent, de proposer un produitnouveau, il faut aussi qu'il puisse s'inscrire dans un segment de marché propice à«recevoir» et à diffuser la nouveauté au bon moment. D'où l'importance du contextesocio-culturel et socio-économique du milieu auquel se destine la nouvelle technique12.Il faut respecter un minimum de contraintes économiques, sans quoi l'inventionbrevetée reste un banal brevet c'est-à-dire pas grand chose en regard des quelques80.000 demandes de protection industrielle effectuées ces dernières années enFrance13. Les brevets d'invention sont toujours à l'origine de ce qui se passeraultérieurement sur le marché. Ils sont les signes avant-coureurs des processus dedéveloppement qui viendront après, c'est-à-dire lors de la fabrication, de la diffusion etde la consommation. Ils contiennent en eux toutes les germes des techniques futures.Savoir les analyser et en comprendre leur pertinence devient alors une nécessitééconomique.Dans tous ces cas, les brevets sont emprisonnés dans une sorte de demi-sommeil setransformant immuablement pour beaucoup d'entre-eux, en sommeil profond. Encomprendre la raison est essentiel dans le développement des activités nouvelles.Ainsi, on distingue en majorité des brevets qui répondent à un besoin latent mais quin'ont pas de développement immédiat, des brevets sans intérêt lors du dépôt mais quitrouvent très rapidement une application, des brevets qui répondent à un besoinimmédiat mais qui sont tout de suite périmés, et enfin en minorité des brevets attenduset immédiatement exploités.

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12. L'évolution de la perche en fibres de verre (Defrance, J., 1981), montre bien lesrapports étroits entre technologie nouvelle, acceptation socio-sportive, et améliorationdes performances sportives humaines.

13. Pour 1990, le nombre exact de demandes de brevet en France est de 81 884(source Institut National de la Propriété Industrielle).

FIG.5. - Nombre de brevets français sur les fixations de ski déposés par quatre firmeseuropéennes depuis 1961.

Etant donné leur différentes formes d'évolution, les brevets sont donc des indicateurstechnologiques de premier ordre. Ils sont aussi en quelque sorte les garde-fous del'innovation. Quand les fabricants promettent l'invention, l'engin ou le sport de l'année,le scepticisme doit être de rigueur: soit effectivement la nouveauté peut marquer unprogrès décisif parce qu'elle est valable et dans ce cas destinée à un bel avenir et étaitprévisible d'après l'évolution de la lignée apparentée, soit l'invention est une «fausse-nouveauté» sans prétention et dans ce cas sujette à d'autres destinées (moinsglorieuses) envisageables d'après les processus d'évolution passés. A l'aube duprochain millénaire, celui de «l'hypertechnologie» des loisirs, la devise des différentsacteurs impliqués dans le développement d'activités nouvelles pourrait être la suivante:inventons, oui, mais inventons mieux et plus intelligemment, mais surtout proposonsdes objets, des équipements qui répondent vraiment aux aspirations sportives dumoment.

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BIBLIOGRAPHIE

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