2007-2012 la complexite d'une crise
DESCRIPTION
Résumé L'étude de la crise actuelle est abordée à partir de sept observations méthodologiques et empiriques dont l'ambition de faire passer un triple message : (1) la compréhension et l'étude des crises (et celle de la crise apparue en 2007 plus particulièrement) supposent des représentations ou des référentiels pluriels, divers et qui peuvent changer dans le temps. D'abord parce qu'une crise est un phénomène mouvant. Ensuite parce que sa durée peut conduire à des remises en cause de plus en plus profondes ou structurelles. C'est cette variété et cette mouvance des représentations qui justifient le titre de cet article ; (2) la crise de 2007 est, au moment de son déclenchement, une crise financière liée notamment à une crise de l'endettement privé, mais les conditions du désendettement ne sont pas toujours prises en compte alors que ce problème est central dès lors que l'on reconnaît l'importance de la financiarisation ; (3) la crise de 2007 ne peut pas être considérée comme derrière nous. D'abord parce que bon nombre de problèmes dont la résolution semblait nécessaire pour sortir de cette crise demeurent présents. Ensuite parce que nous n'avons pas encore rattrapé la tendance antérieure à 2007 *. Enfin parce que les politiques restrictives ou d'austérité menées dans certains pays semblent avoir conduit à une dégradation de leur situation. ______________________ * : au moment de la rédaction finale de cet article : avril 2013TRANSCRIPT
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2007-2012 : La complexit d'une crise +
Bernard Paulr
Universit Paris 1 Panthon Sorbonne
Rsum
L'tude de la crise actuelle est aborde partir de sept observations mthodologiques et empiriques
dont l'ambition de faire passer un triple message : (1) la comprhension et l'tude des crises (et celle de
la crise apparue en 2007 plus particulirement) supposent des reprsentations ou des rfrentiels
pluriels, divers et qui peuvent changer dans le temps. D'abord parce qu'une crise est un phnomne
mouvant. Ensuite parce que sa dure peut conduire des remises en cause de plus en plus profondes ou
structurelles. C'est cette varit et cette mouvance des reprsentations qui justifient le titre de cet article ;
(2) la crise de 2007 est, au moment de son dclenchement, une crise financire lie notamment une
crise de l'endettement priv, mais les conditions du dsendettement ne sont pas toujours prises en compte
alors que ce problme est central ds lors que l'on reconnat l'importance de la financiarisation ; (3) la
crise de 2007 ne peut pas tre considre comme derrire nous. D'abord parce que bon nombre de
problmes dont la rsolution semblait ncessaire pour sortir de cette crise demeurent prsents. Ensuite
parce que nous n'avons pas encore rattrap la tendance antrieure 2007 *. Enfin parce que les
politiques restrictives ou d'austrit menes dans certains pays semblent avoir conduit une dgradation
de leur situation.
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* : au moment de la rdaction finale de cet article : avril 2013
+ La version dfinitive a t publie sous ce titre dans La crise du capitalisme financiaris. Mlanges en l'honneur de Franois Morin, dit sous la direction de M. Hattab-Christmann, A. Isla et C. Vautier, 2014, Presses de l'Universit de
Toulouse 1 Capitole. Il s'agit ici d'une version intermdiaire
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L'tude d'une crise est une activit ncessairement ambige. Elle oscille entre, d'un ct, l'tude d'un
phnomne historique c'est--dire d'un vnement significatif dans sa singularit et, de l'autre, une
qute laborieuse d'objectivit privilgiant un objet construit et une traduction du rel qui ne le saisit
d'ailleurs pas compltement. Cet effort d'objectivation peut emprunter plusieurs chemins, privilgier des
niveaux d'analyse diffrents et exploiter des formulations thoriques varies. Alors que le caractre
singulier d'une crise affaiblit, sinon fait disparatre, les repres et rduit la porte des schmes
d'interprtation existants. L'accent mis sur la singularit cre un doute sur la possibilit d'un retour des
normes antrieures, tout en clairant peu, au moins dans un premier temps, les nouveaux horizons
possibles.
Une crise est galement une exprience et une preuve. D'abord pour ceux qui la vivent et qui en
sont, intentionnellement ou non, les acteurs. Ensuite pour ceux qui l'tudient ou qui conseillent les acteurs
susceptibles d'intervenir macro conomiquement et d'avoir une influence sur son droulement. Pour tous
ces acteurs, mais de l'intrieur, des reprsentations et des interprtations diverses de la crise qu'ils vivent
sont produites. Ces reprsentations ne sont ni immdiates ni dfinitives. Elles ne sont pas immdiates
parce qu'il existe un apprentissage de la crise et des contraintes ou des incertitudes nouvelles qu'elle fait
natre. Elles sont varies parce que les contraintes se diffrencient localement et selon la nature des
activits des individus. Ceux-ci n'ont pas une conscience complte de ce qui se passe. Elles ne sont pas
dfinitives parce qu'en dployant ses effets, il y a des sauts qualitatifs qui font que la crise change de
nature, s'approfondit et fait apparatre de nouveaux problmes et de nouvelles dimensions se superposant
ou se substituant aux anciens.
C'est dire que l'tude d'une crise se heurte, plus que d'autres phnomnes conomiques, la
complexit de son objet et la varit invitable de ses reprsentations. Il peut tre tmraire de prtendre
en avoir une vision dfinitive et fidle. Son analyse relve principalement de l'heuristique et d'un
processus d'apprentissage.
Les organisateurs de la journe lors de laquelle fut prsente une version orale du prsent texte 1,
nous invitrent analyser la crise actuelle comme La crise du capitalisme financiaris . Nous pouvons
comprendre cette demande comme exprimant la volont d'aborder la crise actuelle essentiellement
comme la manifestation de la financiarisation contemporaine du capitalisme et de ses consquences. Il
n'existe malheureusement pas de consensus sur ce que recouvre prcisment la notion de financiarisation.
1 Colloque sur La crise du capitalisme financiaris organis Toulouse le 25 octobre 2012 par le LEREPS l'Universit
Toulouse Capitole en l'honneur de Franois Morin. Le prsent texte se dmarque de la prsentation orale principalement par la
prsentation et les commentaires d'un certain nombre de statistiques.
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B. Paulr - 2007-2012 : La complexit d'une crise
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Surtout si on l'aborde par le ct empirique : les manifestations en sont suffisamment varies pour
justifier bon nombre de points de vue diffrents. Certains auteurs proposent une dfinition que l'on
qualifiera de large, comme G. Epstein par exemple, qui dsigne par financiarisation la place croissante
des motifs financiers, des marchs financiers, des acteurs et des institutions financires dans le
fonctionnement des conomies nationales et internationales (EPSTEIN, 2005). D'autres auteurs se sont
appuys sur l'augmentation impressionnante d'un certain nombre de rotations sur des marchs tels que
ceux des devises pour attirer l'attention sur l'ampleur dmesure des oprations financires. On peut
encore partir de l'observation de la prminence macroconomique du secteur FIRE c'est--dire de la
finance et de l'immobilier2. Enfin, dans un autre ordre d'ides tout aussi pertinent, on peut rappeler le lien
troit entre la financiarisation des conomies et la phase descendante (baptise phase B) d'un cycle long
dit Kondratiev 3.
Nous avons propos de considrer qu'il y a financiarisation ds lors que les logiques financires
prennent le pas sur les logiques conomiques, c'est--dire, notamment, lorsque les comportements
individuels sont au moins autant focaliss sur l'volution des postes du bilan patrimonial et de leur
structure que sur les valeurs des flux conomiques. Si bien que La financiarisation se traduit par une
patrimonialisation des comportements (PAULR, 2008).
L'tude de la crise actuelle sera ici aborde en enchanant sept observations mthodologiques et
empiriques. Nous souhaitons faire passer un triple message : (1) la comprhension et l'tude des crises (et
celle de la crise apparue en 2007 plus particulirement) supposent des reprsentations ou des rfrentiels
qui sont pluriels et divers (notamment selon les acteurs), et qui peuvent changer dans le temps. D'abord
parce qu'une crise est un objet mouvant. Ensuite parce que la dure d'une crise peut conduire des
remises en cause de plus en plus profondes ou structurelles. C'est cette varit et cette mouvance des
reprsentations qui justifient le titre de cet article ; (2) la crise de 2007 est, au moment de son
dclenchement, une crise financire lie notamment une crise de l'endettement priv, mais les
conditions du dsendettement ne sont pas toujours prises en compte alors que ce problme est central ds
lors que l'on reconnat l'importance de la financiarisation ; (3) la crise de 2007 ne peut pas tre considre
comme derrire nous. D'abord parce qu'un certain nombre de problmes dont la rsolution semblait
ncessaire pour sortir de cette crise demeurent prsents. Ensuite parce que nous n'avons pas encore
2 Acronyme d'origine nord-amricaine qui dsigne le secteur Finance, Insurance and Real Estate (c'est--dire Finance,
Assurances et Immobilier) 3 Cf. plus particulirement sur ce point Immanuel Wallerstein (2001). Selon lui : dans une phase B, le capitalisme doit, pour
continuer gnrer du profit, se financiariser et se rfugier dans la spculation. Depuis plus de trente ans, les entreprises, les
Etats et les mnages s'endettent, massivement. Nous sommes aujourd'hui dans la dernire partie d'une phase B de Kondratieff,
lorsque le dclin virtuel devient rel, et que les bulles explosent les unes aprs les autres : les faillites se multiplient, la
concentration du capital augmente, le chmage progresse, et l'conomie connat une situation de dflation relle. (Extrait
d'une interview publi dans le quotidien Le Monde du 16 fvrier 2008)
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rattrap la tendance antrieure 2007 4. Enfin parce que les politiques d'austrit menes dans certains
pays semblent avoir conduit une dgradation de leur situation.
1re
observation : l'instabilit foncire du capitalisme.
Force est de constater que dans le capitalisme, formation instable, les crises sont un phnomne
rcurrent.
Je suis, comme d'autres, hostile au principe selon lequel l'conomie de march rapprocherait
ncessairement un systme conomique de la stabilit. Certes, en conomie pure, on peut toujours
dfendre cette position, mais les conditions concrtes de fonctionnement des marchs n'assurent
nullement cette stabilit toute thorique. Elles semblent plutt l'en loigner.
N'oublions pas l'enseignement de Schumpeter : le rgime d'volution, initi par des innovations,
contrarie et perturbe le rgime du circuit c'est--dire la tendance l'quilibre Walrasien. Avec Schumpeter
et Braudel, le capitalisme, en tant que rgime ou tage o se conoivent la dynamique et le
changement, et o s'exploitent les leviers du pouvoir conomique, se distingue et s'carte des relations
marchandes d'un univers banalis ou routinis 5. Dans cet esprit, l'analyse d'une crise consiste
invitablement identifier les liaisons et les comportements dviants ou nouveaux qu'autorise ou que
suscite, un certain moment, une organisation capitaliste.
Mais les comportements dviants constituent aussi un lment essentiel de la crise d'une autre faon.
Si une crise cre des contraintes, elle ouvre galement un espace de libert. Elle offre la possibilit aux
acteurs conomiques d'explorer des opportunits nouvelles et d'exercer leur volont. Il ne faut pas
s'tonner que les priodes de crise soient propices aux innovations en tous genres et aux entrepreneurs, le
mot tant pris en un sens large.
Si l'on veut parler de tendance l'quilibre, il faut admettre qu'elle est sans cesse perturbe par des
dcisions qui conduisent s'en carter, voire qui rebattent les cartes. Les paramtres et conditions de
fonctionnement du systme peuvent tre perturbs et, supposer qu'il y ait convergence vers un quilibre,
il se peut trs bien qu'il ne s'agisse pas ncessairement d'un retour l'quilibre antrieur. C'est l'une des
faons dont se manifeste l'histoire dans l'analyse conomique.
4 Au moment de la prparation de cet article, c'est--dire au 1
er trimestre 2013.
5 Nous ne considrons pas Joseph Schumpeter et Fernand Braudel comme fondamentalement loigns l'un de l'autre quant
cet aspect majeur de leur vision du capitalisme. De faon essentielle, pour l'un comme pour l'autre, le comportement des
acteurs du capitalisme s'loigne de la concurrence et s'y oppose, et le capitalisme est l'origine d'une dynamique de
changement. Une analyse dtaille allant au-del de cette orientation commune mettrait cependant en vidence, sans grande
difficult, des diffrences. Cf. sur ce point : Fabrice Dannequin, (2004).
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2me
observation : les limites de la recherche d'un modle gnral de crise
Les conomistes qui nous ont prcds, ceux du dbut du XXme
sicle notamment, se sont efforc de
concevoir des thories gnrales des cycles et des crises 6.
Depuis la 2me
guerre mondiale, le mme type de qute se prsente diffremment : l'exploitation
systmatique de bases de donnes conduit certains chercheurs chafauder des reprsentations en
moyenne des droulements des crises. De mme qu'A. Quetelet avait cr la notion d'homme moyen
(QUETELET, 1835), certains conomistes raisonnent partir des notions de crise ou de rcession
moyennes . Or une moyenne statistique ne fait pas une thorie, ni ne remplace l'examen direct et
approfondi des faits.
De plus, chaque crise a sa part d'originalit, notamment parce qu'elle s'inscrit dans l'histoire et qu'elle
reflte les traits caractristiques de son poque 7. Si, du fait de certains traits ou comportements
permanents de l'organisation capitaliste, aucune crise ne peut tre totalement originale, ce n'est pas pour
autant que toutes obiraient au mme schma. On ne peut donc pas affirmer que la crise actuelle est la
crise du capitalisme. Cette crise est une crise du capitalisme tel qu'il se prsente aujourd'hui, et srement
pas celle du capitalisme en gnral.
L'originalit de la crise actuelle a fait l'objet de beaucoup d'articles et d'un ouvrage important
(Carmen M. REINHART et Kenneth S. ROGOFF, 2009).
Penchons-nous sur la faon dont elle se manifeste aux tats-Unis. On peut aborder de trois faons
diffrentes la question de savoir si elle ressemble celles qui l'ont prcde. Dit autrement, la recherche
d'un air de famille avec des pisodes de crise antrieurs peut se faire selon trois directions.
A - la comparaison avec les rcessions antrieures aux tats-Unis
On peut trouver une illustration de l'approche statistique des rcessions dans certains travaux du
NBER et de la Federal Reserve Bank of Saint Louis 8. Dans un article publi en 2009, on peut lire ceci :
L'conomie U.S. a eu l'exprience de six rcessions lors des quarante dernires annes. En moyenne,
elles ont dur 10,7 mois. Les plus longues celles qui dbutrent en novembre 1973 et en juillet 1981
ont dur chacune 16 mois. La plus courte celle qui dbuta en janvier 1980 n'a dur que six mois
6 Par exemple, pour illustrer simplement le propos, on peut se reporter la prsentation synthtique qui fut sans doute la plus
lue et commente, celle de Gottfried HABERLER (1964). L'une des premires phrases de l'avertissement de 1964 (Foreword)
est la suivante : Je n'affirme pas que le cycle des affaires est mort. J'affirme que les dpressions profondes et longues sont une
chose du pass. Je pense que la majorit des conomistes () sont aujourd'hui d'accord avec cette proposition, alors qu'ils ne l'taient pas il y a 10 ans (p. vii). Cette position peut tre rapproche de celle qui fut mise en avant pendant la priode dite de
la New Economy et selon laquelle les cycles n'existaient plus 7 Rappelons que la rfrence la moyenne par A. Qutelet se fondait sur sa relative stabilit dans le temps (d'ailleurs observe
statistiquement). 8 Certaines analyses dveloppes au sein du NBER amricain sont bien connues et ont ouvert la voie. Voir par exemple
Gerhard BRY et Charlotte BOSHAN (1971) ; Otto ECKSTEIN et Allen SINA (1990),
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Quoique les causes de la rcession actuelle puissent tre uniques, les principaux indicateurs ont boug de
faon prvisible. Dans une rcession la svrit du dclin est aussi pertinente que sa dure 9. D'o la
prvision, qui se rvla exacte, que la rcession de 2007 durerait 18 mois, soit jusqu'au milieu de l'anne
2009.
Sur la base des analyses statistiques on considre gnralement que la croissance du PIB sur les huit
trimestres qui suivent une rcession tend tre d'autant plus importante que celle-ci a t plus svre :
Les retournements la baisse sont finalement suivis par des phases de reprise, et, historiquement, la
force de celle-ci semble tre grossirement corrle avec la profondeur de la rcession qui l'a
prcde . C'est ce qu'on appelle la rgle de Zarnovitz.
Ainsi, en 2009, Edward Lazear, ancien Prsident du comit des conseillers conomiques du Prsident
Bush, annona que la profondeur du retournement permettait d'envisager une croissance et un sursaut
rapide : J'ai dit en janvier 2009 que je prvoyais deux mauvais trimestres mais que la seconde moiti
de l'anne 2009 serait positive avec, peut-tre, une trs forte croissance en 2010. Ces prvisions ne
supposaient aucun stimulus ; le retournement projet tait plutt bas sur le rebond naturel de l'conomie
qui se produirait aprs que la crise financire ait disparu. Le redmarrage de la croissance du PIB, qui est
le second acte sur la route du rtablissement complet, a probablement commenc au printemps de cette
anne. ( Stimulus and the Jobless Recovery , The Wall Street Journal, November 1, 2009).
Les services d'analyse conomique de l'administration amricaine ont d'ailleurs estim une relation
linaire entre l'importance de la priode qui s'est coule depuis le creux d'une rcession et le taux de
croissance du PIB ce moment de la reprise (cf. COUNCIL OF ECONOMIC ADVISERS, Economic
Report of the President, Washington United States Government Printing Office, 2009, p. 54). Ils
observent que dans la mesure o une rcession est plus profonde que la moyenne, la majeure partie de
la profondeur excessive est compense dans les quatre premiers trimestres de la reprise. Durant les deux
ans qui suivent une rcession, la croissance du PIB rel est en moyenne de 5%, chiffre semblable au
rythme de la reprise tel qu'il a t anticip par l'administration pour 2010 et 2011. Les 5 % de taux de
croissance pour 2010 et 2011 vont ramener le taux de chmage, partir du pic de 2009, 5 % en 2012,
soit le centre de la fourchette cohrente avec une inflation stable (Ibid.).
Or si la dure de la rcession de 2007 est conforme ce que l'analyse statistique, associe un peu de
jugement, laissait prvoir, il n'en est pas du tout de mme pour la reprise qui l'a suivie. La valeur de 7,8
%, a t atteinte pour la premire fois en septembre 2012, plus de 50 % au-dessus des 5 % prvus (ou
esprs) pour 2012. En janvier 2013, le taux de chmage est encore de 7,9 %. En mars 2013 le taux de
chmage tombe 7,6 % mais pour de "mauvaises" raisons : un nombre important d'amricains se retirent
9 Charles S. GASCON, The Current Recession: How Bad Is It ? Economic SYNOPSES, 2009, n 4.
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du march et le taux d'activit tombe 63,3 %.
Graphique 1 : Evolution de l'emploi non agricole au cours de quelques rcessions US
d'aprs la deuxime guerre mondiale (ajuste en fonction de la croissance de l'emploi tendancielle)
Indice Pic NBER = 100
En abscisse :nombre de trimestres passs depuis le pic identifi par le NBER
Source : U.S. Department of Commerce, Bureau of Economic Analysis, Congressional Budget Office ;
National Bureau of Economic Research (NBER) et calculs du Federal Reserve Board staff.
Quant aux taux de croissance annuels du PIB rel pour 2010 et 2011, ils ont t respectivement de
2,4 % et de 1,8 %, soit plus de 50 % en dessous des 5 % anticips 10
.
Ce qu'il faut retenir, selon nous, de ce genre d'approche statistique, c'est ce qu'elle fait apparatre a
contrario. Nous pensons que les rcessions passes ne doivent pas tre considres comme des repres et
des outils normatifs d'interprtation ou de prvision de la rcession prsente mais, l'inverse, doivent
tre utilises pour en faire ressortir certaines singularits 11
. Car la rcession de 2007 a un caractre
historique marqu. Il s'agit en effet, d'abord, de la rcession tats-Unienne dont la dure fut la plus longue
depuis la grande dpression : de dcembre 2007 juin 2009 selon le NBER, soit 18 mois. C'est pour cette
raison qu'on la dsigne comme La grande rcession (The Great Recession) aux USA, la distinguant ainsi
10
C'est seulement si l'on prend des valeurs nominales et des taux de croissance trimestriels que l'on obtient, deux reprises
seulement, des valeurs suprieures 5 % (2me
trimestre 2011 et 3me
trimestre 2012). 11
Prcisons : les singularits d'une crise ne ressortent pas uniquement et simplement de la comparaison statistique avec des
crises passes, auquel cas nous n'aurions pas avanc. Il existe d'autres voies d'identification et, de plus, les originalits issues de
la comparaison statistique sont souvent des indices pour la recherche de singularits de structure ou de fonctionnement.
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B. Paulr - 2007-2012 : La complexit d'une crise
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de La grande dpression (la crise de 1929). Et il s'agit, ensuite, de la priode de reprise qui, de toutes les
crises US de l'aprs-guerre, durera certainement le plus longtemps.
B - This time is different : la crise actuelle est d'origine financire
La rgle de Zarnovitz est tenue en chec dans la rcession actuelle. La question des raisons de cette
singularit mobilisa l'attention de bon nombre d'analystes. D'autant plus qu'il y avait un enjeu politique
tournant autour du rle et de l'efficacit des politiques menes par le Prsident Dmocrate B. Obama alors
que la rcession tait en voie d'achvement quand il prit ses fonctions.
Or l'analyse sommaire faite auparavant comporte un biais. La crise de 2007 n'est en effet pas
comparable n'importe laquelle des rcessions qui l'ont prcde, car il s'agit d'une rcession cause par
une crise financire. Or, d'une part, on admet gnralement que les crises financires ont des priodes de
rtablissement sensiblement plus longues que les autres crises. Et d'autre part, les crises financires sont
suffisamment rares aux tats-Unis pour que, finalement, on ne dispose pas d'une base statistique apte
permettre des comparaisons, puisque, si on se limite au XXme
sicle, la seule comparaison disponible aux
USA est la crise de 1929.
Les profils des deux crises financires sont en fait trs diffrents. Ainsi, au terme d'une priode de 5
ans aprs le dbut de la rcession actuelle (soit dcembre 2012), le taux de chmage tait encore de
presque 3 points suprieur sa valeur d'avant la rcession (7,8 compar 5 %). En ce qui concerne la
crise de 1929, l'cart tait d'environ 7 points au terme de la mme priode. Le niveau d'emploi antrieur
la phase de rcession ne fut retrouv qu'au bout de 8 ans (96 trimestres) pour la crise de 1929, et n'a pas
encore t rejoint pour la crise actuelle (cf. le graphique 2, ci-dessous).
Si l'on regarde le niveau du PIB (dollars chans 2005), le rattrapage s'effectue en 16 trimestres pour
la rcession de 2007 (4me
trimestre 2007 au 4me
trimestre 2011) alors qu'en 1929, il s'effectua au terme
de 28 trimestres soit 7 annes.
La question se pose alors de savoir si la lenteur du rtablissement actuel s'explique uniquement par la
nature financire de la crise. L'un des lments d'explication alternative rside dans la faiblesse de la
demande qui pourrait elle-mme tre la consquence de politiques de relance montaire et fiscale
insuffisantes (Paul KRUGMAN, 2010). On rejoint ici en partie le dbat sur l'alternative austrit-relance.
Mais il faut prendre galement en considration l'ampleur de la dette accumule au cours des dcennies
passes (prive comme publique) et ses consquences sur les comportements de dsendettement. Nous
reviendrons sur ces points.
Un autre facteur explicatif pourrait tre l'incertitude sur les politiques conomiques (Gary S.
BECKER, Steven J. DAVIS et Kevin M. MURPHY, 2010). Il faut noter ce propos la prsence d'un
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B. Paulr - 2007-2012 : La complexit d'une crise
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facteur historique spcifique qui a pu jouer un rle dans une ventuelle prolongation de la phase de
retournement actuelle, ne serait-ce que du fait de l'incertitude forte qu'il a gnre : il s'agit de la crise
europenne. L'incertitude de l'conomie mondiale en 2011-2012 rsultant des tensions intra-europennes
n'a pas d'quivalent dans les autres crises financires connues.
Graphique 2 : Evolution de l'emploi non agricole aprs le pic prcdent la rcession aux Etats-Unis :
comparaison de la Grande dpression de 1929 et de la Grande rcession de 2007
Nombre de mois passs depuis le dbut de la rcession
* Note : L'emploi de la Grande dpression a t ajust pour tenir compte du changement dans la population non agricole.
Source : Graphique tir de S. MINERD, The Keynesian depression, Market Perspectives,
Guggenheim Partners, dcembre 2012.
C - les comparaisons internationales
L'accent mis sur les caractres singuliers des crises vaut aussi, et peut tre davantage, ds lors que
l'on est attentif aux comparaisons internationales.
On peut ainsi observer que la crise US de 2007 est, en ce qui concerne les pertes d'emplois, d'une
profondeur infrieure aux crises rcentes des pays nordiques (Norvge 1987 8,5 ans ; Finlande 1991
17,3 annes et Sude 1991 17,8 annes). Ce qui permet, sur cette base, de relativiser son degr de
gravit, mme si cela ne retire rien aux difficults et aux souffrances qu'elle gnre.
La crise Sudoise fournit un terme de comparaison intressant car le systme bancaire y a t
fortement impact par lclatement dune bulle immobilire, elle-mme conscutive une expansion
incontrle du crdit. Les causes en sont donc semblables celles de la crise des subprimes. La Sude fut
Indice de l'emploi non agricole (pic pre-recession = 100)
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galement confronte au problme de la prise en charge des actifs toxiques. Le gouvernement les prit en
charge en contrepartie d'une prise de participation dans les banques.
La rponse apporte par les autorits de lpoque a permis un sauvetage rapide du systme bancaire
sudois. Le cot en fut lev puisqu'on estime que le pays aurait perdu au maximum 4 % de son PIB.
Mais ce chiffre fut revu la baisse ultrieurement.
On observe que la crise de 2007 produit aux tats-Unis une perte d'emploi maximale de l'ordre de 6
%, ce niveau de perte tant (avec la crise Norvgienne de 1987) le plus faible de toutes les crises
financires reprsentes dans le graphique ci-dessus. Nous sommes loin des 19 % de perte conscutifs la
crise Finlandaise de 1991 et des 18 % de la crise de 1929.
Graphique 3 : L'volution des pertes d'emploi au cours de diffrentes crises financires
Graphique tir de : J. LERNER, 19 septembre 2011, This Time is Different, An Update on Carmen
M. Reinhart & Kenneth S. Rogoff's Research, Oregon Office of Economic Analysis
L'analyse de l'volution du PIB fait ressortir la gravit de la crise finlandaise de 1991 : la variation
relative du PIB y chute de 0,5 % en 1990 6 % en 1991. Le PIB y retrouve son niveau pr-crise (1990)
au bout de 6 ans.
En Sude, l'emploi retrouve son niveau pr-crise, comme la Finlande, en un peu plus de 17 ans. Ce
pays retrouve son niveau de PIB pr-crise, nous l'avons vu, au bout de 4 ans soit la mme dure que celle
mise actuellement par les USA pour retrouver le niveau du PIB pr-crise.
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Graphique 4 : volution du niveau du PIB pour 4 pays nordiques
au cours des crises financires de 1988 et 1991
(PIB valu en PPP, en dollar constant 2005).
Source : Compil par l'auteur partir des donnes de la Banque mondiale
Le graphique qui suit (Graphique 5), tir d'une tude de la Banque du Canada, synthtise notre
propos sur la relativit des comparaisons des trajectoires de redressement du PIB dans des situations de
crise. Sur ce graphique sont repris les trois rfrentiels possibles : les rcessions amricaines antrieures
(la surface grise), les 5 crises financires de la deuxime moiti du XXe sicle et la crise de 1929.
On constate que la trajectoire du PIB rel suite la crise de 2007 est trs proche de celle du PIB
associe aux cinq grandes crises financires contemporaines des pays nordiques, de l'Espagne et du
Japon. Mais proximit numrique ne veut pas dire identit
3me
observation : premiers facteurs de complexit d'une crise.
Le problme de l'analyse d'une crise est double sinon triple.
Il y a d'un ct la crise comme objet d'analyse des conomistes. Pour ceux-ci, les cycles sont le plus
souvent considrs comme le rsultat de la propagation dans le systme conomique de chocs de nature
exogne 12
. Tout se passe comme s'il existait une espce de phnomne naturel ou un choc pur (les
12
Ragnar Frisch et Eugen Slutzky sont l'origine de l'analyse des fluctuations sur la base d'un principe d'analyse impulsion-
propagation, autrement dit en termes de choc (Ragnar FRISCH, 1933 ; Eugen E. SLUTZKY, 1937). On qualifie cette
approche de conception exogne des cycles ou des fluctuations. Ce qui n'est pas parfaitement exact car la fluctuation dpend
du choc et de la situation ou de la structure du systme impact au moment du choc. On peut voquer ce propos la parabole
dite du cheval bascule, nonce ainsi par R. Frisch : Si vous frappez un cheval bascule avec un bton, le mouvement du
0,85
0,9
0,95
1
1,05
1,1
1,15
1,2
1,25
1,3
1,35
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Denmark Finland Norway Sweden
-
B. Paulr - 2007-2012 : La complexit d'une crise
12
subprimes pour le cas particulier qui nous concerne), dont les caractristiques, associes la situation ce
moment du systme impact, devraient suffire en expliquer totalement les effets. Ce modle de choc
suscite ainsi une analyse causale du droulement et des consquences de la crise associant deux types de
facteurs : (i) les facteurs considrs comme exognes un moment donn et venant perturber un systme
conomique (d'o l'tude de la nature de ces facteurs, de leurs points d'impact et de leur capacit
dstabilisatrice) ; (ii) les caractristiques du systme conomique au moment du choc qui permettent de
rendre compte de la faon dont il se comporte suite la perturbation, des dsquilibres importants qu'il
peut manifester, des modes de propagation des effets du choc, et de la dynamique qui s'enclenche 13
.
Graphique 5 : L'volution du PIB rel dans la crise actuelle compare
aux volutions du PIB lors des 5 grandes crises financires et de la Grande dpression. Valeur 100 = valeur du PIB rel au moment du pic pr-rcession
Source : Banque du Canada, The US Recovery from the Great Recession A Story of Debt and Deleveraging, 2013.
Dans leur article sur l'existence d'un modle du cycle des affaires (Olivier J. BLANCHARD, Mark
W. WATSON, 1986), Blanchard et Watson appliquent ce principe d'analyse. Pour rsumer la recherche
existante sur les perturbations (impulses), ils soulvent diffrentes questions dont celle de savoir si les
fluctuations de l'activit conomique sont dtermines par une accumulation de petits chocs dont chacun
cheval sera trs diffrent de celui du bton . Cette phrase est parfois attribue Knut Wicksell quoiqu'on n'en trouve nulle
trace dans ses crits. Cf. Stefano ZAMBELLI, 2004. 13
Une approche alternative consiste partir du principe que les cycles sont le rsultat d'une instabilit naturelle (mais limite)
des conomies de march, les chocs exognes ayant plutt comme effet de modifier leur rgularit
-
B. Paulr - 2007-2012 : La complexit d'une crise
13
est peu important (approche inaugure par E. E. Slutsky dans un article fameux), ou bien par des chocs
importants et peu frquents. Ils observent que cette deuxime approche est manifestement sous-jacente
bon nombre de descriptions et de discussions sur les politiques conomiques.
Revenons la question que nous soulevions. Face l'approche des experts , il y a la posture des
responsables des politiques macroconomiques (gouvernements, banquiers centraux). Ceux-ci ont une
certaine interprtation de la situation sur laquelle ils ont l'intention d'intervenir en fonction de leur vision
de l'efficacit des politiques qu'ils pensent pouvoir appliquer. Les responsables politiques se positionnent
plus que les experts 14
en termes d'action, de justification des politiques menes, et de la recherche d'une
efficacit pratique revendicable dans des dlais proches. Ils se positionnent sur le terrain de la causalit et
de l'efficacit des politiques possibles. Bien entendu, les points de vue des responsables des politiques
macroconomiques ne sont pas neutres et leur position doctrinale transparat la fois dans leur
interprtation de la situation et la nature et l'efficacit supposes (ou revendiques) des politiques
mener.
On comprend aisment que les registres des discours et les objectifs des responsables politiques
soient diffrents de ceux des experts 15
. Mais la situation est plus complique encore car, assez
rapidement, toute crise perd pour tout le monde ce caractre de choc et d'vnement soudain d'origine
prtendument exogne. L'ide qu'une situation de crise garderait longtemps ses traits d'origine de sorte
que son analyse ou sa correction se poserait, au bout d'un certain temps, dans les mmes termes qu'au
dbut n'est pas acceptable. En effet, toute crise devient rapidement un phnomne hybride rsultant de
l'interaction entre le dploiement des consquences de l'vnement perturbateur initial, et les interventions
des diffrents acteurs qui tentent soit de s'adapter la situation nouvelle, soit d'en corriger tout ou partie
des effets, localement ou macro-conomiquement.
Une crise n'est donc pas un phnomne existant en soi et qui perdure dans ses caractristiques
initiales. Elle est rapidement, et pour une part de plus en plus importante avec le temps, ce qu'on en
fait concrtement. Ce qu'on appelle la crise n'est plus, au bout d'une certaine priode, un phnomne
en soi bien identifiable et en quelque sorte distance. Elle est devenue un phnomne endogne au sens
o elle rsulte aussi, en bien ou en mal, des interventions de certains acteurs (et pas uniquement les
gouvernements).
14
Du moins ceux qui n'interviennent pas comme conseillers d'un responsable politique ou dans le dbat sur la conduite des
politiques conomiques. 15
Nous pourrions voquer d'autres aspects comme l'horizon de temps des responsables politiques (la prochaine lection), la
difficult reconnatre publiquement l'incapacit intervenir sur un problme, les manuvres rhtoriques et la volont performative.
-
B. Paulr - 2007-2012 : La complexit d'une crise
14
C'est dire que les discours et les actions des responsables conomiques occupent une place essentielle
et qu'ils peuvent mme avoir une capacit performative, sur les anticipations notamment. Les gouverneurs
des Banques centrales se situent de faon essentielle sur le terrain des annonces performatives. Les
actions compensatrices ou de dpense des autres acteurs domestiques (mnages et entreprises) jouent
galement un rle dans l'volution de la crise et, ventuellement, dans sa transformation.
Les interventions des diffrents acteurs peuvent aussi accentuer, et mme dformer la signification et
la nature de la crise initiale. Ainsi, les politiques dites d'austrit 16
sont accuses de n'tre pas efficaces eu
gard aux objectifs poursuivis et mme d'avoir des effets ngatifs. Par ailleurs, le gonflement de la base
montaire a des effets de cration de bulle de prix sur certains actifs. Il peut aussi avoir des consquences
ou tre un facteur de risque pour certains pays mergents.
On a une bonne illustration de cette approche de la transformation d'une crise du fait de l'interaction
entre la propagation des effets d'un choc initial et les interventions diverses qui se produisent dans la
polmique suscite aux tats-Unis par la longueur juge inhabituelle de la priode de rtablissement.
Cette polmique, qui s'est dveloppe en 2009, anne de la fin de la rcession proprement dite et premire
anne de la prsidence Obama, portait prcisment sur le point de savoir si la faiblesse du rtablissement
tait ou non la consquence des politiques menes. Une autre manifestation de ces dbats concerne encore
aujourd'hui, et en Europe plus particulirement, le fait de savoir si les politiques d'austrit prolongent ou
non la crise 17
.
4me
observation : la dynamique d'une crise et son dploiement, un autre facteur de complexit.
La crise dans laquelle nous sommes plongs illustre bien le caractre volutif et changeant de toute
crise. Chacun reconnatra aisment qu'en cinq ans la crise de 2007 a chang de nature. Encore faut-il
prciser ce que l'on veut dire.
Les changements ou les nouvelles manifestations de la crise ne rsultent d'ailleurs pas seulement des
interventions des responsables montaires ou politiques. Les modes de propagation jouent galement un
rle, surtout lorsque les retombes ou les fluctuations atteignent certaines zones critiques et qu'ils excitent
ou dstabilisent certains facteurs susceptibles de crer des dsquilibres nouveaux. De plus, si la crise
produit ainsi des rpliques de nature diffrente, il ne faut pas imaginer que les manifestations
16
Nous utilisons cette expression pour viter le dbat sur la question de savoir o commencent les politiques d'austrit et
dans quelle mesure celles-ci doivent ou peuvent tre distingues des politiques restrictives, des politiques d'ajustement
budgtaire excessives, des politiques budgtaires d'austrit etc. D'une autre faon, la distinction entre politique de rigueur et
politique d'austrit n'est pas parfaitement tablie et reconnue dans la sphre acadmique, et la discussion est d'autant plus
complique que les responsables politiques l'ont instrumentalise. 17
On utilise parfois l'adjectif iatrogenic , d'origine mdicale, pour dsigner le fait que le traitement mdical subi par un
malade conduit des dsordres plus grands. Cf. par exemple : Noahpinion (Blog), 6 fvrier 2013.
-
B. Paulr - 2007-2012 : La complexit d'une crise
15
nouvelles de la crise viennent remplacer les manifestations anciennes, la crise changeant de nature. On est
plutt dans un processus d'accumulation et de complexification, les facteurs de crise initiaux venant
exciter des facteurs de crise nouveaux qui se conjuguent aux prcdents.
Dans le cas prsent, nous pouvons identifier au moins 3 crises18
.
Au dpart, une crise financire, au sens classique, qui englobe une vraie phase de panique. C'est 2007
et 2008. Je reviendrai sur le fait de savoir si la crise financire a t rsolue mais on peut au moins
reconnatre que, heureusement, nous ne sommes plus dans l'tat de crise paroxystique que l'on a connu
l't 2007 et l'automne 2008.
Il y eut ensuite la transmission de la crise financire l'conomie relle. D'une crise financire, nous
sommes passs une crise conomique, c'est--dire un problme de rcession et de reprise incertaine de
l'expansion. Cela commence en septembre 2008. L'Irlande est le premier pays entrer en rcession. Le
monde connait une phase de rcession d'un an (dernier trimestre 2008 dernier trimestre 2009). Il en sort
grce une reprise forte au 1er
trimestre 2010, mais connait ensuite une lente diminution de rythme.
Il y a une troisime crise, encore plus complexe et hybride : la crise de l'Europe qui elle-mme
englobe trois crises visibles : celle de l'Euro, celle des dettes souveraines des pays de l'Euro-zone
notamment, et celle des institutions europennes. Mais, si l'on doit aller plus loin, le poison de l'Europe,
c'est l'htrognit des comptitivits des pays. C'est donc une crise la fois politico-conomique,
industrielle et financire. Cette crise europenne est la consquence de la crise financire mais pas
uniquement. Elle est le rsultat d'un choc sur une zone comportant des facteurs de dsquilibre ou de
fragilit prexistants et profonds. La crise mondiale joue, comme c'est souvent le cas, le rle de rvlateur
de facteurs critiques dj prsents. Il est frappant de constater que la crise europenne conscutive la
crise financire a conduit certains acteurs prendre conscience de problmes poss depuis Maastricht et
du caractre inachev de la construction europenne. De plus, les premires ractions des acteurs la
crise de l'euro ont contribu dsolidariser l'ensemble montaire et financier europen, faisant merger le
risque de repli sur les espaces nationaux, ce qui a rendu plus intense, videmment, la crise europenne.
Insistons : ces trois crises ne sont pas dans un rapport de succession et de substitution. Elles sont dans
une relation de cohabitation complexe et d'interdpendance. Ce sont des manifestations diffrentes d'un
mme choc qui se conjuguent. De plus, nous les prsentons de faon globalise, alors que chacune peut
tre analyse plus finement et faire apparatre des facteurs d'htrognit qui lui confrent un caractre
systmique complexe.
Au bout du compte, la crise doit tre considre comme systmique. Ce qui peut se comprendre de
deux faons. D'abord elle est systmique au sens o elle est mondiale. Ensuite elle est systmique au sens
18
Sans compter les crises des matires premires, des biens agricoles, et cologique que nous n'abordons pas ici.
-
B. Paulr - 2007-2012 : La complexit d'une crise
16
o les diffrentes dimensions de la socit sont mises en rsonance dans la crise : dimensions conomique
et financire, dimension sociale, dimension politique et institutionnelle, dimension cologique, etc.
5me
observation : les causes multiples de la crise. Causes proches ou immdiates versus causes
profondes ou lointaines
Grosso modo, on rencontre en conomie deux conceptions de la notion de crise :
1- une conception consistant dsigner une situation critique bien localise dans le temps. R.
Goldsmith dfinissait ainsi la notion de crise financire : une dtrioration brutale, brve et cyclique
dun ensemble dindicateurs financiers : taux dintrt court terme, prix des actifs, faillite des
institutions financires etc. (Raymond GOLDSMITH, 1982).
2- selon un autre usage du mot, le mot crise dsigne un phnomne long de mutation. C'est la notion
de grande crise des rgulationnistes.
L'une des difficults souleves par cette dernire notion est que l'on peut s'interroger sur l'application
du mot crise un phnomne qui dure 20 ou 30 ans, par exemple la priode qui va du dbut des annes 70
au dbut des annes 90. Quelqu'un avait utilis ce propos l'expression de crise interminable . Il y a l
une ambigit dont l'examen va nous permettre de souligner un autre facteur de complexit dans l'tude
des crises.
Selon les conomistes rgulationnistes, il y a grande crise quand il n'est pas possible de la rsoudre
dans le cadre des structures actuelles. Selon B. Rosier, rien ne permet de penser que les conditions d'un
retour l'essor [aprs une dpression] soient automatiques. Une drive peut se produire, conduisant hors
du systme (Bernard ROSIER, 1995, p. 119). Ainsi, lors de la crise de 1929, le systme conomique
parat incapable de cheminer vers une reprise de lui-mme, c'est--dire partir du jeu de ses propres
structures selon le processus classique (), la dpression des annes trente est la premire de l'histoire du
capitalisme n'avoir pas connu de reprise 'spontane', ce qui explique son ampleur (Ibid., p. 51).
Cet usage de la notion de grande crise se heurte selon nous la difficult qu'une crise n'est pas
facilement identifiable comme grande crise ds son commencement. L'incapacit du systme
conomique rsorber ou absorber la crise dans le cadre de ses structures actuelles ne se manifeste pas
d'emble. Elle peut se rvler progressivement, et cela bien aprs les premiers moments de la crise. Sauf
tre en mesure d'valuer d'emble et lucidement l'ampleur et la profondeur des enjeux ouverts. Ce qui est
loin d'tre trivial. Ou sauf inscrire l'avnement de la crise dans le prolongement de tensions de caractre
structurel s'tant manifestes auparavant. Ce qui peut sembler moins difficile, mais n'est pas toujours
possible ou immdiat.
-
B. Paulr - 2007-2012 : La complexit d'une crise
17
La notion de grande crise a un caractre un peu fonctionnaliste dans la mesure o, par un usage un
peu prcipit, on prjuge de l'issue attendue et normale d'une crise, savoir une transformation
structurelle du systme conomique. Ainsi, par exemple, pour B. Rosier, la fonction [de la crise de
1929] vient se confondre avec celle de la dpression longue dans laquelle elle se trouve inscrite () (p.
57), laquelle dpression longue est un temps de mutation indispensable la reproduction du systme
capitaliste dans la trs longue priode (Ibid., p. 119).
Une autre difficult est que, dans le contexte rgulationniste, la notion de crise financire semble
distingue sinon spare de celle de crise structurelle (Robert BOYER, Mario DEHOVE et Dominique
PLIHON, 2004). Si la thse d'une grande crise est aussitt mise par certains, c'est moins en rfrence
une crise financire qu' une crise de mutation lie aux drglements issus de la financiarisation. Or si l'on
prend la crise de 2007, nous avons affaire une crise qui se manifeste d'abord, lorsqu'elle clate, comme
une crise financire, et qui se transmet ensuite l'conomie relle.
Venons-en une autre difficult. Selon un usage qui nous semble critiquable, la notion de grande
crise est parfois destine caractriser une priode de transformation lente, de mutation rampante sans
que celle-ci ait t ncessairement marque, provoque ou scande par une rupture ou un drglement
brutal intervenant un moment donn. Autrement dit, la notion de grande crise est quelquefois utilise
pour dsigner des mutations en quelque sorte sans crise (au sens d'pisode critique brutal et intense). Elle
procde dans ce cas d'une vision thorique globale centre sur les changements de rgime d'accumulation
et des modes de rgulation. Il y a crise parce qu'il y a des dysfonctionnements dont on pose qu'ils vont
dboucher sur un changement de rgime. La notion de crise n'est pas associe une phase intense et
brutale, elle est fonctionnelle et lie un inluctable changement de priode. Les rgulationnistes ont
ainsi utilis la notion de grande crise pour caractriser les annes 1980 marques par deux pisodes de
rcession et la monte du chmage, les analysant comme moment d'une crise structurelle (crise
d'puisement du fordisme) (Robert BOYER, 1987) 19
.
Nous comprenons l'intention des rgulationnistes lorsqu'ils usent ainsi de la notion de grande crise, et
nous la jugeons lgitime. Mais il convient, selon nous, de rserver le mot crise des phnomnes
comportant des facteurs de dtrioration relativement soudains et brutaux, sachant qu'il faut distinguer la
priode de dtrioration (la rcession) qui, dans les conomies contemporaines ne dure apparemment pas
plus de 18 mois, et la priode de rtablissement ou de reprise qui peut durer vraiment longtemps 20
. La
notion de grande crise ne fait pas clairement appel cette phase critique. Dans les circonstances o il
19
Par rapport notre propos, il est frappant d'observer que R. Boyer pose, au dbut du 1er
article, la question de l'existence
d'une crise dans les annes 1980. Il intitule une section L'arlsienne ou la crise introuvable , page 37. 20
Rappelons les cas extrmes, pour la priode contemporaine, et concernant des crises financires, de la Finlande et de la
Sude : 17 ans.
-
B. Paulr - 2007-2012 : La complexit d'une crise
18
s'agit de dsigner plutt la dtrioration ou la transformation progressive d'un systme sans qu'il y ait eu
un moment critique fort, un autre vocabulaire serait plus appropri : grande mutation par exemple.
Dans les premiers moments d'une vraie crise, les plus critiques gnralement, un clivage pourra
apparatre entre ceux qui considrent que la crise est de nature plutt conjoncturelle, et ceux qui y voient
d'emble une crise structurelle profonde. Si cette divergence se manifeste ds le commencement de la
crise et donc, faisons cette hypothse, en l'absence d'lments immdiatement trs probants, elle risque
d'tre davantage la manifestation d'oppositions doctrinales ou idologiques. C'est plus tard, la lumire
des effets des premires mesures de politique conomique et/ou de l'examen d'un certain nombre de
caractristiques de la crise, que ce dilemme pourra commencer tre tranch ou, du moins, plus
prcisment argument.
La caractrisation et le traitement d'une crise tels qu'ils rsultent de cette distinction suggrent la
rgle d'analyse suivante : sauf raisons flagrantes et dterminantes, il semble raisonnable de traiter d'abord
une crise comme une crise dont la rsolution est possible dans le cadre des structures existantes puis, si ce
traitement se rvle un chec ou ds lors que des indices forts feront apparatre un soupon de grande
crise, il conviendra ensuite de l'aborder analytiquement et en politique comme une grande crise.
En bref, la mouvance de la crise, dans ses manifestations et dans le jugement qui est port sur elle,
constitue un facteur de complexit important qui vient s'ajouter aux autres.
Pour prolonger cette rflexion, il faut observer que la notion de crise comme rsultat de l'impact d'un
choc exogne sur un systme comportant des points de fragilit n'est pas sans soulever galement d'autres
problmes. La discussion est notamment obscurcie par le fait que les notions d'exogne ou d'endogne
sont discutables. La crise des subprimes est-elle endogne ou exogne ? On considre souvent
implicitement qu'il s'agit d'un choc exogne . Mais son origine n'est certainement pas extrieure au
systme financier US conu comme un espace gographique et social. Elle peut tre considre comme
exogne dans la mesure o on lui attribue un caractre exceptionnel, singulier et, en quelque sorte, hors
normes. Elle est donc exogne par rapport au systme financier institutionnel considr dans son
fonctionnement normal c'est--dire en fonction de la reprsentation que l'on a du fonctionnement
rgulier de ce systme. Il s'agit de comportements qui s'cartent des normes habituelles.
Sous cet angle, le problme est moins celui de chocs exognes que l'existence de comportements
dviants c'est--dire d'innovations au sens de ruptures dans les modes de fonctionnement ou les lois de
-
B. Paulr - 2007-2012 : La complexit d'une crise
19
comportement des agents internes au systme 21
. Autrement dit, les chocs rsultent moins d'un vnement
extrieur au systme national que du cumul ou du passage la limite des dviances internes celui-ci.
Pour toutes ces raisons, nous prfrons la distinction qui consiste opposer les causes proches ou
immdiates aux causes profondes ou lointaines, celle consistant incriminer des chocs exognes. Telle
est notre faon d'aborder la question de l'architecture du systme et d'identifier les comportements
dviants et les innovations perturbatrices. C'est aussi un moyen de mnager la distinction entre crise et
grande crise dans la mesure o les causes profondes ou lointaines des crises sont en gnral les facteurs
de fragilisation du systme, c'est--dire les phnomnes qui dforment son fonctionnement, qui crent un
terrain propice aux consquences importantes des causes proches et peuvent entrainer le systme vers une
mutation.
Dans le cas prsent, quelles sont les causes proches ? Ce sont celles qui sont l'origine directe de la
crise des subprimes. Elles concernent donc le dispositif qui a permis la distribution et la ventilation de ce
type de prt aux tats-Unis, et les comportements des acteurs agissant dans ce cadre :
1- la volont politique de faciliter l'accs la proprit des classes moyennes dans n'importe quelles
conditions,
2- le recours une innovation financire (la titrisation) rendant possible, notamment, une pratique
consistant pour les banques ne plus porter les titres hypothcaires mais les transfrer d'autres
structures sur des bases assez opaques ce qui a rendu les banques en partie irresponsables.
3- le fait que les pratiques des prts hypothcaires furent mal rgules ou non matrises. Le congrs
vota ce sujet, en 1994, une loi que Greenspan refusa d'appliquer 22
.
Il s'agit de causes suffisantes pour dclencher la crise (ou, du moins, mettre en place un terrain
propice), mais qui ne sont nullement ncessaires au sens o elles rsultent d'un certain nombre de
contingences. Dit autrement : le mme genre de crise aurait pu se dclencher d'une faon diffrente23
. Par
consquent, il faut identifier les causes profondes qui expliquent notamment les dviances et la fragilit
de la structure du systme financier US (c'est le premier atteint et le premier coupable). C'est l que nous
abordons vritablement l'architecture du capitalisme financiaris.
21
Nous utilisons ici le mot innovation non pas en son sens Schumpeterien (innovation se traduisant par un produit ou un
procd nouveaux, ou encore une organisation industrielle nouvelle) mais au sens qu'il a dans l'tude de la dcision. Cf., par
exemple, James G. MARCH et Herbert A. SIMON, 1971. 22
Le Congrs US vota en 1994 une loi sur la proprit immobilire et la protection des emprunteurs hypothcaires (Ownership
and Equity Protection Act). Mais en 2005 Alan Greenspan refusa d'introduire les rgles permettant de l'appliquer, partant du
principe que les prts subprimes allaient se rguler sans intervention rgulatrice. Finalement, moins de 1 % de tous les prts
hypothcaires furent soumis aux restrictions rsultant de cette loi (cf. Michael HIRSCH, 2008). 23
Par exemple, dans les annes 2008-2009 on a craint aux tats-Unis une crise ayant son origine dans les crdits accords aux
tudiants.
-
B. Paulr - 2007-2012 : La complexit d'une crise
20
Ainsi, la liste des causes profondes possibles de la crise de 2007, liste non hirarchise de causes
formant systme, englobe :
1- L'interdpendance des conomies et le caractre fortement systmique de la finance dans un
monde o les capitaux circulent librement.
2- Une croissance considrable de la liquidit au niveau mondial qui profite surtout aux marchs
boursiers, de matires premires et de produits financiers sophistiqus et spculatifs.
3- Une drive de la finance au service d'elle-mme plus qu'au service de l'conomie dans son
ensemble. Elle rsulte en partie des changements dans les conditions de rmunration et les systmes
d'incitation des gestionnaires de la finance. Elle se manifeste par la mise en place d'un systme bancaire
parallle (shadow banking) 24
, par des innovations financires sophistiques et, finalement, par un
phnomne hybride : la croissance du systme bancaire, en taille et en pouvoir, mais aussi sa fragilisation
(Louis-Philippe ROCHON et Sergio ROSSI, 2010).
4- Une monte rgulire, d'origine lointaine, de l'endettement, priv comme public (B. PAULRE,
2008) 25
.
5- L'absence ou l'chec des rgulations face la finance et la mondialisation.
6- La dynamique de la rpartition des revenus et ses effets sur la consommation et l'endettement des
mnages se manifestant, notamment, aux tats-Unis, par un levier lev.
7- Des dfaillances intellectuelles : (1) l'hgmonie de l'cole no-classique et, notamment,
l'hypothse de l'efficience des marchs financiers, qui fait que le laisser faire et la promotion de
l'conomie de march prosprent sans limites dans la priode dite de Grande modration 26
; (2) le fait de
ne pas avoir tenu compte temps de l'exprience japonaise et de sa dcennie perdue, ainsi que de la crise
sudoise.
Ces causes profondes ont un caractre plus structurel.
Les deux catgories de cause se rfrent des dviances dont les effets se cumulent dans le temps et
se conjuguent.
24
Ce secteur aux contours flous comprend notamment les fonds montaires, les assureurs et les fonds alternatifs (hedge
funds). 25
Sur ce point prcisment, cf. B. PAULRE, 2008, notamment le dcollage du ratio [dette cumule de tous les agents/PNB]
qui commence se manifester, aux tats-Unis, la fin des annes 70. La tendance qui fera passer ce ratio de 1,5 au dbut des
annes 70 3,5 en 2007 est visible ds le tout dbut des annes 80. Cf. Graphique 1, p. 188. 26
Il est devenu d'usage courant de considrer que, depuis 1995 environ, l'conomie US plus particulirement est caractrise
par une grande modration , au sens o la variabilit du taux de croissance du PIB rel et celle du taux d'inflation ont
diminu sensiblement. Des diminutions analogues sont observables dans d'autres pays dvelopps mis part le Japon. L'article
de BLANCHARD et SIMON de 2001 est considr comme pionnier sur ce point.
-
B. Paulr - 2007-2012 : La complexit d'une crise
21
6me
observation : o en sommes-nous ?
O en est-on ? Comment a volu l'architecture ?
Six observations permettent de justifier la thse que le processus de correction des drives passes est
insuffisamment engag et/ou qu'il manque d'efficacit.
A - En ce qui concerne la rgulation financire
Lors de la runion du FMI de Tokyo (9-14 octobre 2012), Christine Lagarde a dclar que le systme
financier n'est toujours pas plus sr qu'au moment de la faillite de Lehman Brothers en 2009 : le
systme est encore beaucoup trop complexe, les activits sont encore trop concentres dans de grands
tablissements , a-t-elle prcis. Elle a dclar que le spectre de banques trop grandes pour faire
faillite (too big to fail) continue hanter le secteur.
Nous rejoignons F. Morin lorsqu'il observe qu' une sphre financire globalise on ne peut rpondre
que par une rgulation ncessairement, elle aussi, unitaire dans son diagnostic architectural (Le
nouveau mur de l'argent, op. cit., p. 234). Il faut malheureusement reconnatre que la rforme de la
rgulation financire avance lentement et de faon parfois un peu hsitante quant la direction et au
caractre contraignant des nouvelles rglementations. La rcession a dmarr fin 2007 et la crise a t la
plus forte au cours de l'anne 2008. Or, la plupart des rformes prvues ne seront pas pleinement
oprationnelles avant fin 2013, sinon 2014 voire 2019.
Certes, la ncessit et l'urgence d'une rforme de la rgulation du systme bancaire et financier ne
sont pas contestes. La crise a t trop forte et trop soudaine pour que se manifeste une opposition franche
ce type de rforme. Mais celle-ci se heurte plusieurs difficults dont la conjugaison ralentit beaucoup
les processus de dcision et rend leur issue incertaine :
- la superposition de plusieurs niveaux de rgulation : national, rgional (Europe) et international, qui
introduit dans le dbat un facteur de complexit important ainsi que des dlais dcisionnels,
- la puissance des acteurs dont il s'agit de contrler et d'encadrer les activits. F. Morin a soulign que
l'oligopole bancaire est le vritable rgulateur des marchs montaires et financiers mondiaux (Le
nouveau mur de l'argent, op. cit., p. 226). Il s'agit donc, en quelque sorte, de rguler le rgulateur et, bien
videmment, ce n'est pas facile,
- la nouveaut de la situation associe l'incertitude ou une connaissance insuffisante des
mcanismes contrler, des interdpendances en jeu et des outils financiers, sans compter la masse
considrable des encours de toutes sortes accumuls,
- la globalisation financire, qui rend les interdpendances denses, multiplie le nombre et le poids des
acteurs systmiques, et introduit une dimension gopolitique,
-
B. Paulr - 2007-2012 : La complexit d'une crise
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- l'existence d'un sentiment d'urgence qui a jou certainement un rle mobilisateur dans les annes
2008-2009 mais dont l'effet s'rode mesure que l'on s'loigne de la phase paroxystique de la crise.
La reforme a t impulse par les sommets des chefs d'tat (G20) et, plus particulirement, par ceux
qui se sont tenus au plus fort de la crise : sommets de Washington (15 novembre 2008), de Londres (2
avril 2009) et de Pittsburgh (24 et 25 septembre 2009).
C'est le 28 janvier 2013 qu'est enfin install le Conseil de Stabilit Financire (Financial Stability
Board - FSB) auquel le G20 de Londres a confi trois missions principales 27, 28
. Cette innovation
institutionnelle est intressante puisque l'on peut considrer qu'il s'agit d'une premire tape dans la
construction d'une architecture de rgulation financire mondiale 29
.
Examinons rapidement, en leur contenu, le degr d'avancement sur les trois problmes poss en
matire de rgulation bancaire et financire : (i) la question de la rglementation prudentielle, (ii) la
question de la supervision bancaire et de la rsolution, et (iii) celle de la sparation des activits bancaires.
Ces problmes sont traits des rythmes diffrents selon les niveaux auxquels on se situe (international,
rgional ou national).
En ce qui concerne la rglementation prudentielle, la rforme dite de Ble III , labore par le
Comit de Ble et publie le 16 dcembre 2010, vise principalement : renforcer le niveau et la qualit
des fonds propres ; mettre en place un ratio de levier ; amliorer la gestion du risque de liquidit ;
renforcer les exigences prudentielles concernant le risque de contrepartie et le suivi des activits de
march 30
. Les recommandations du comit devaient tre transposes en droit national avant le 1er
janvier
2013, les banques ayant jusqu'en 2019 pour les appliquer. La traduction en droit europen (directive
d'adquation des fonds propres des banques CRD IV : Capital Requirements Directive IV) se heurte une
srieuse difficult car les tats europens ne sont pas tous d'accord sur le mode de transposition 31
.
Le dispositif Bale III prsente d'ailleurs certains inconvnients non ngligeables. Non seulement il
ignore le hors bilan l'origine de la crise des subprimes mais, de plus, il pousserait les banques
27
Les trois missions sont : 1- Dterminer les vulnrabilits du systme financier mondial et identifier et valuer les rgulations
mettre en uvre pour les prvenir ; 2- Promouvoir la mise en uvre et sassurer du respect des standards internationaux en matire de rgulation financire et 3- Favoriser la coordination et la cohrence des activits des normalisateurs techniques
internationaux pour viter les recoupements de comptences et les lacunes dans diffrents domaines (domaine prudentiel,
rgulation des marchs, prvention du risque systmique etc.). 28
Notons que le FSB, dont le secrtariat est hberg par la Banque des rglements internationaux, Ble, chapeaute
maintenant le Comit de Bale sur le contrle bancaire. 29
Ce Conseil correspond en partie la proposition de Franois Morin de crer ce qu'il appelle un Comit global de rgulation
(CGR), cf. Le nouveau mur de l'argent, op. cit., p. 235. 30
cela sajoutent des propositions de nature macro-prudentielle visant rduire la procyclicit. 31
Traumatis par les nombreux plans de renflouement conscutifs la crise de 2007-2008, le Royaume-Uni, associ la
Sude, l'Espagne et certains pays de l'Est dont la Pologne, souhaite que chaque pays puisse exiger de ses banques le respect de
normes plus svres que celles de Ble III. D'autres pays europens, notamment la France, l'Allemagne, l'Italie et l'Autriche, s'y
opposent. Craignant de placer leurs propres banques en position concurrentielle dfavorable face des tablissements mieux
capitaliss, ils souhaitent une harmonisation maximale (single rule book).
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B. Paulr - 2007-2012 : La complexit d'une crise
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dvelopper le shadow banking ce qui accrot les facteurs d'inquitude suscits par ce secteur 32
. D'o la
forte ncessit, souligne par M. Barnier, d'avancer de manire concerte, notamment dans le cadre du
FSB, sur la rgulation du shadow banking.
En ce qui concerne la supervision bancaire, le cadre d'intervention est au mieux rgional (niveau
europen) et le plus souvent national.
En Grande Bretagne la rforme de la supervision bancaire prend des allures de rvolution 33
.
Dsormais toutes les fonctions seront exerces par la Banque dAngleterre qui devient ainsi le nouveau
gendarme des marchs financiers dans ce pays 34
. Grande premire : les anglais ont dcid de confier un
tranger, Mark Carney, ex-gouverneur de la Banque du Canada, la direction de la Banque d'Angleterre.
Au niveau Europen, la question de la supervision europenne a fini par dboucher, difficilement, le
13 dcembre 2012, sur un accord. Aux termes de celui-ci, la Banque centrale europenne pourra
superviser lensemble des banques, et non les seuls grands tablissements systmiques. Elle prendra soin
de sparer ces activits de celles qui relvent de son rle de banque centrale.
En ce qui concerne la rsolution, les dirigeants de l'Union europenne (UE) ont dcid de crer un
mcanisme de rsolution unique pour les banques de la rgion. Selon J. M. Barroso, L'tablissement du
mcanisme commun de rsolution ferait en sorte que c'est le secteur bancaire, plutt que les
contribuables, qui paie la facture pour le sauvetage des banques en faillite 35,
36
.
L'ide de sparer les activits de banque de dtail des activits de banque d'investissement n'est pas
nouvelle 37. Les avantages attendus dune telle sparation sont multiples. On a constat, au plus fort de la
crise, des injonctions internationales la sparation, mais la rgulation lgislative se ralise surtout au
niveau national.
Aux tats-Unis, la rgle propose par Paul Volcker, ancien Prsident de la Fed., et prsente dans le
cadre de l'amendement Merkley-Levin du Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act
32
Selon Philippe Wahl, Il y aura une nouvelle crise bancaire, nous le savons, [] Et nous savons d'o elle viendra , mentionnant le secteur bancaire parallle : Il est moins rgul, moins tax, il crot et, selon moi, il reprsente la prochaine
crise [] Nous devrions essayer de prparer l'avenir et voir comment nous pouvons empcher cette nouvelle crise financire . 33
Le chancelier de l'chiquier, dans un discours retentissant, a stigmatis la sparation des rles entre la Banque centrale,
lautorit rglementaire et le Conseil du trsor, dclarant, en substance, que le Trsor tait inefficace, la Banque centrale sans pouvoirs et le rgulateur, la Financial Services Authority, emptr dans une multitude de rglements. Cf. le Discours du
chancelier de lchiquier du 4 fvrier 2013. 34
D'o un risque de conflit d'intrts. 35
Un fonds de rsolution devrait tre abond principalement par des prlvements sur le secteur bancaire, comme le produit de
la taxe sur les transactions financires. 36
Le mode de rsolution de la crise Chypriote dbut 2013 (prlvement sur les dpts suprieurs 10 000 Euros, aprs avoir
envisag des prlvements ds le premier Euro) et certains commentaires qui ont suivi ont mis en lumire cette volution
doctrinale si ce n'est que les dposants sont aussi mis contribution. 37
C'est au lendemain de la crise de 1929 que les tats-Unis adoptrent le Glass Steagall Act (1933), obligeant une stricte
sparation entre banques commerciales (spcialises dans les activits de crdit et de gestion des dpts) et les banques
daffaires (spcialises dans les activits financires) (la France embotera le pas avec la loi bancaire de 1945).
-
B. Paulr - 2007-2012 : La complexit d'une crise
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de juillet 2010, vise limiter les investissements spculatifs des banques et empcher les conflits
d'intrts pouvant toucher les banques d'investissement. Elle s'applique partir d'avril 2012 et les banques
disposent de deux ans pour la mettre en uvre. Ce n'est pas une rgle de sparation stricte.
Le DoddFrank Act adopt en 2010 est, au-del de la rgle dite de Volcker , une vaste rforme de
la rglementation de lensemble des agents financiers (banques, assurances, hedge funds, agences de
notation, etc.) ainsi que de la surveillance des risques systmiques. Mais sa mise en uvre avance trs
lentement et difficilement. Ainsi, selon le cabinet d'avocats Davis Polk, 148 des 398 dispositions que
ncessite l'application de la loi ont t codifies de manire dfinitive au 1er
fvrier 2013. Et un grand
nombre de dispositions ont dj dpass leur date limite de finalisation (quand elle tait prvue) (Mathilde
Damg, 2013).
En Europe, la demande de Michel Barnier, le groupe dexperts dirig par le gouverneur de la
Banque centrale de Finlande, Erkki Liikanen, a remis un rapport le 2 octobre 2012. Celui-ci recommande
un cloisonnement bancaire strict et revient galement sur les rmunrations des dirigeants et des traders.
La dmarche europenne est cependant devance par les processus lgislatifs de plusieurs pays
europens38
.
B - En ce qui concerne les liquidits excessives
Mis part quelques brefs flchissements, la liquidit mondiale est toujours croissante. Au niveau
mondial la progression de la base montaire continue tre beaucoup plus rapide que celle du PIB
nominal, si bien que de 1990 2012, elle semble voluer un rythme exponentiel. En % du PIB mondial
la base montaire mondiale est passe d'un peu plus de 8 % en 1992 20 % en 2009 (Natixis). Elle tait
aux alentours de 15 % en 2007.
La croissance de la liquidit mondiale provient essentiellement de l'accroissement des rserves de la
Chine en 2007 et 2008. Puis, c'est la politique US de Quantitative easing qui produit ses effets tout au
long de l'anne 2009 et un peu dans la premire moiti de 2010, les rserves de la Chine redevenant
prpondrantes dans la seconde moiti de 2010.
Selon les donnes compiles par P. Artus et S. Broyer (2013), la base montaire mondiale, de l'ordre
de 16 600 milliards de USD fin 2012, semble connatre un ralentissement de sa croissance. On peut y voir
38
En Allemagne, un projet de loi de rgulation bancaire a t prsent par le gouvernement le 6 fvrier 2013, et pourrait entrer
en vigueur en janvier 2014. Le Royaume-Uni sest illustr en 2011 avec la publication du rapport Vickers, mais le gouvernement britannique ne semble pas press de mettre ces recommandations en uvre, une probable chance tant 2019. La France nest pas en reste avec la loi de sparation et de rgulation des activits bancaires en cours de discussion l'Assemble Nationale au moment o ces lignes sont crites et dont certains regrettent le caractre limit ou insuffisamment
contraignant.
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B. Paulr - 2007-2012 : La complexit d'une crise
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l'effet du ralentissement de la croissance montaire des pays mergents, alors que celle des pays
dvelopps, tout en flchissant, demeure suprieure 10 %.
L'examen des volutions du ratio [total du bilan de la banque centrale du pays i / PIB du pays i] pour
les 4 principales banques centrales mondiales (cf. graphique 6 ci-dessous) permet de constater que les
ratios des deux banques centrales europennes (zone Euro et UK) se dtachent par un mouvement
ascendant trs net : dpassement de la Banque du Japon par l'ECB au dbut de 2012 d'une part ;
dpassement de la FED par la banque d'Angleterre au mme moment, d'autre part.
Graphique 6 : Ratio [Total du bilan / PNB]
pour les principales Banques Centrales (Japon, BCE, UK et USA)
Source : http://www.alsosprachanalyst.com
Traitement des bilans de la BOE, de la FED, de la BoJ et de l'ECB.
Ce sont surtout les volutions compares des bases montaires nationales et des crdits l'conomie
qui sont instructives. Les effets des politiques montaires des banques centrales sur l'conomie semblent
peu prs inoprants. Malgr les nettes volutions des bases montaires, la croissance de la monnaie reste
faible ou nulle. Si les effets de la politique US de quantitative easing sont notables au niveau des marchs
spculatifs (or, matires premires et march boursier), ils sont dcevants en termes de croissance et de
cration d'emploi. D'o une interrogation sur l'existence d'une trappe liquidit, aux tats-Unis au moins.
D'o galement une autre interrogation sur l'efficacit de la politique montaire.
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B. Paulr - 2007-2012 : La complexit d'une crise
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Selon nos calculs, le taux de croissance annuel moyen des crdits bancaires au secteur priv pour les
trois pays recenss (USA, Grande Bretagne et zone Euro) pour la priode [septembre 1999 - mars 2008]
est de 8,04 %. Pour la priode [juin 2008 - septembre 2012], ce taux tombe 0,89 %, sachant que pour les
tats Unis il s'tablit -0,95 %. Mais depuis le dbut de 2012, les tats-Unis, contrairement aux deux
autres zones, sont revenus dans la partie positive.
Graphique 7 : Crdits bancaires au secteur priv. USA, Angleterre et zone Euro.
Taux de croissance annuel - Donnes trimestrielles non ajustes.
Source : compilation par l'auteur des donnes de la BRI
Nous avons voqu dans la section prcdente le dveloppement de la finance de l'ombre
(shadow banking). Les entits de l'ombre , qui chappent aux rglementations classiques, ont continu
grossir ces dernires annes. Aprs la crise, la croissance du shadow banking se ralentit
considrablement mais globalement elle demeure positive comme le montre le graphique suivant,
l'encours global s'levant de 62 trillions de dollars en 2007 67 trillions en 2011 selon le rapport annuel
du Conseil de stabilit financire (FSB), reprsentant 90 % des actifs financiers dans le monde.
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B. Paulr - 2007-2012 : La complexit d'une crise
27
Graphique 8 : L'importance du Shadow banking mondial, 2002-2011, en trillions de dollars
Le graphique ci-dessous (Graphique 9) permet d'observer la diffrence entre le rythme de croissance
du shadow banking avant la crise (entre 2002 et 2007) et son rythme aprs la crise (2007-2011). Avant la
crise, le taux de croissance de la finance d'ombre est trs lev. Entre 10 % de rythme annuel moyen
(Japon par exemple) plus de 100 % (Argentine 39
et Chine). Cette priode est caractrise par des taux
d'intrt faibles, une sous-valuation du risque et un accroissement de l'endettement (leviers).
Deux groupes de pays mergent : d'un ct ceux dans lesquels le taux de croissance du secteur,
quoique faible, demeure positif, et de l'autre ceux o le taux de croissance est ngatif. La France et les
tats-Unis, appartiennent ce second groupe, alors que la zone Euro est dans le premier.
Si le problme du shadow banking n'a pas t rsolu, il faut reconnatre que son dveloppement s'est
beaucoup ralenti. Cependant, la rpartition gographique des risques s'est modifie. Il semble que ce soit
le dveloppement de ce secteur en Chine qui soit actuellement trs surveill. Au moment o nous
crivons ces lignes, dbut avril 2013, l'inquitude sur ce phnomne semble augmenter.
C - En ce qui concerne les dettes souveraines
La dette publique continue progresser. Selon les prvisions du FMI la dette publique dans les pays
dvelopps devrait dpasser 110 % du PIB en 2012 et 113 % en 2013. Pour Christine Lagarde la dette
publique atteint maintenant quasiment un niveau de temps de guerre . On observe facilement que la
crise a fait dcoller la dette publique et n'a pas contribu la rduire. Si on doit attribuer une efficacit
aux politiques de rduction de la dette publique 40
, ce qui est trs discutable pour d'autres raisons, on doit
39
Le taux de croissance de l'Argentine est un peu particulier et doit tre relativis parce que durant cette priode, ce pays sort
d'une crise financire svre. 40
Arithmtiquement, le ratio entre une dette qui croit un taux (ventuellement dcroissant) et le PNB qui croit un taux
moindre que la dette, augmente.
-
B. Paulr - 2007-2012 : La complexit d'une crise
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considrer que c'est, au mieux, en contenant l'augmentation de la dette qu'elle se manifeste, plutt qu'en la
diminuant. Mis part la priode 2006-2007, seule l'Allemagne, parmi les pays dont l'volution est
reprsente dans le graphique ci-dessous, exhibe un point d'inflexion et semble amorcer une diminution
Graphique 9 : Taux de croissance annuel du secteur des Autres Intermdiaires Financiers
avant et aprs la crise
Source : FSB (Financial Stability Board), Global Shadow Banking Monitoring Report 2012
du ratio [Dette publique/PIB]. Pour les autres pays, y compris le Japon 41
, la dette publique augmente
grosso modo de 50 % entre le point bas local de 2007 et 2013. L'Angleterre est le pays dont la dette
publique augmente le plus dans l'chantillon trait : elle fait plus que doubler entre 2007 et 201342
.
Vouloir rduire cette dette avec une croissance faible sera incroyablement difficile . Pour la
France, selon une tude de Thomas Jobert, avec un bon contexte, il faudrait 10 ans pour esprer ramener
le ratio [Dette publique / PIB] 60 % (Thomas JOBERT et Ruhi TUNCER, 2009).
41
Le Japon se singularise par l'augmentation importante du ratio avant 2007 (de 90 en 1995 170 en 2006, soit pas loin du
doublement) alors que pour les autres pays on observe une relative stabilit entre 1995 et 2007. 42
L'Angleterre part de plus bas (la valeur du ratio est d'environ 57 % en 2008, contre des valeurs comprises entre 65 et 75 %
pour les autres pays) et atteint 110 % en 2013.
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B. Paulr - 2007-2012 : La complexit d'une crise
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Graphique 10 : General government gross financial liabilities (Source : OCDE)
En % du PNB
Source : donnes de l'OCDE Compiles par l'auteur
D - En ce qui concerne la demande et l'endettement extrme des mnages
Lvolution de la dette des agents non financiers est un lment crucial de lanalyse de la crise et de
son issue. Le poids ngatif de limportance de la dette dans la reprise peut sexpliquer par un effet de
richesse jouant ngativement ou par les consquences du dsendettement (deleveraging) qui vont
inflchir la consommation et/ou linvestissement.
Avant dvoquer les mcanismes en jeu dans lactuelle sortie de crise, examinons dabord lvolution
de la dette depuis la priode qui a prcd la rcession de 2007-2008. Pour comparer simplement les
dynamiques de la zone Euro, des USA et de la France, nous utilisons deux critres lmentaires : (1) le
diffrentiel relatif de taux dendettement entre la dernire valeur connue (3me trimestre 2012) et la valeur
de lacm, et (2) le diffrentiel relatif de taux entre la dernire valeur connue et la 1re valeur de la srie
fournie par la Banque de France (1er
trimestre 1999).
Nous constatons :
- en ce qui concerne lendettement des Mnages : des volutions pas trop loignes quand on
compare lcart entre T3-12 et T1-99 (de +27,2 % pour les USA +34,7 % pour la France) et quand on
compare le taux relatif de dsendettement depuis l'acm : -1,4 % pour les USA, -5,4 % pour la zone Euro
et 0 % pour la France. On observe, en substance, que les taux dendettement des Mnages ont assez peu
-
B. Paulr - 2007-2012 : La complexit d'une crise
30
rgress depuis lacm de la priode de crise 43. Mais, alors que le taux dendettement des Mnages aux
USA a rejoint, en T3-2012 le niveau qui tait le sien en T2-04, pour la zone Euro le niveau de T3-12
rejoint celui de T3-09, un niveau de crise. Quant la France, le taux demeure quasiment au maximum
historique.
- en ce qui concerne lendettement des Socits Non Financires (SNF), les volutions sont nettement
plus contrastes. Le diffrentiel de taux entre T3-12 et lacm slve, en termes relatifs, -14,3 % pour
les USA, ce qui constitue une amlioration non ngligeable quoiquinacheve. Mais, pour la zone Euro, le
diffrentiel est trs faible (-2%) et il est nul pour la France. On peut donc faire tat dun retard de la zone
euro et, notamment de la France, compare aux tats-Unis. La comparaison des performances de T3-12
rapportes T1-99, fait ressortir des carts encore plus grands : si lendettement des SNF sest accru de
27,2 % aux tats-Unis, il sest accru de 40 % dans la zone Euro et de 71,2 % pour la France. Pour
lendettement des SNF, la situation de la zone Euro globalement et celle de la France semblent donc trs
dgrades quand on les compare celle des SNF des USA. Pour la France, nous en sommes, comme pour
les Mnages, un taux historique.
En substance et en synthse : (1) le taux dendettement des Mnages demeure lev et, (2) le taux
dendettement des SNF a bien rgress aux tats-Unis (alors quil avait moins augment) mais demeure
proccupant dans la zone Euro sinon trs proccupant en France. Les deux tableaux qui suivent
rassemblent les observations faites.
La question se pose alors de savoir si la rgression (faible) des taux dendettement depuis leur acm
est suffisante pour ne pas gner la croissance. On peut, en effet, difficilement imaginer qu'un niveau lev
43
Cette conclusion vaut pour la srie utilise : si lon prend dautres sources, les chiffres sont diffrents.
-
B. Paulr - 2007-2012 : La complexit d'une crise
31
des taux dendettement demeure sans effet sur les conditions de la reprise. Ce niveau peut contribuer
anticiper ou comprendre lefficacit des politiques menes.
La relation en jeu est celle qui lie la situation financire des agents privs non financiers leur
consommation et leur investissement. En ce qui concerne les mnages, dont on sait la place cruciale
quoccupe la consommation dans lactivit conomique aux tats Unis (plus de 70 % en moyenne depuis
2002) deux facteurs sont en prsence : effet de richesse et rle du processus de dsendettement. Pour
lessentiel, le rle de leffet de richesse doit se manifester au travers de leffet du prix des biens
immobiliers sur la consommation. Or, il semble que la diminution de la consommation soit trop
importante pour tre explique uniquement par la variation des prix de limmobilier. Cest pourquoi on
soriente vers une explication de la faiblesse de la consommation, pour une part importante, par le haut
niveau dendettement des mnages.
Cette thse a t formule par plusieurs auteurs, et notamment par l'conomiste Richard KOO (2008)
qui compare la crise actuelle avec la Grande Dpression et ce qu'on appelle la Dcennie perdue du Japon.
On retrouve selon lui dans ces crises la mme squence de lclatement dune bulle alimente par
lendettement qui dbouche sur une rcession de bilan (Balance Sheet Recession). Contraints de
rduire leur niveau dendettement pour restaurer leur bilan les agents privs rduisent leurs dpenses, ce
qui contribue dprimer lactivit conomique et retarde finalement la reconsolidation des bilans.
L'originalit revendique par R. Koo est que la profession des conomistes n'a jamais envisag une
rcession qui pourrait tre cause par la minimisation de sa dette par le secteur priv destine rtablir
des bilans suite une bulle du prix des actifs finance par la dette (The Economist, 20 aot 2011, p. 13).
La thse de la Rcession de Bilan rejoint, tout en s'en diffrenciant, les analyses antrieures d'I.
FISHER (1988) sur la dflation de la dette et de H. Minsky sur l'instabilit financire (Hyman MINSKY,
1986). I. Fisher avait insist sur le rle du surendettement dans l'avnement de la crise et le rle de la
liquidation de la dette dans la dpression qui suit. Selon H. Minsky, il existe dans le capitalisme une
tendance endogne l'instabilit. Une priode de prosprit conomique conduit les agents sous-estimer
toujours de plus en plus les risques, se tourner vers des modes de financement toujours plus spculatifs,
recourir un levier toujours plus lev et faire appel des innovations financires. Suite au
retournement des prix dactifs, lendettement devient insoutenable et le processus fishrien de dflation
par la dette s'enclenche. Postrieur aux premires publications de R. Koo, on peut aussi se reporter un
article de KRUGMAN et EGGERTSSON publi en 2012.
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B. Paulr - 2007-2012 : La complexit d'une crise
32
R. Koo caractrise ainsi la Rcession de bilan :
- une rcession par le bilan se manifeste aprs lclatement dune bulle dactifs finance par la dette
et qui laisse un grand nombre dacteurs privs avec un bilan dsquilibr, dtenant plus de dettes que
d'actifs.
- pour rtablir son bilan, le secteur priv se focalise davantage sur un effort de minimisation de la
dette que sur la maximisation du profit.
- pendant la priode o le secteur priv se dsendette, mme si l'on se trouve dans un environnement
o les taux d'intrt sont nu