20 de lutte contre l’accaparement en indonésie : la détermination des paysans ne fléchit pas

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MALGRÉ VINGT ANS DE LUTTE Janvier 2014 « C’est là qu’étaient nos fruitiers, et tout en bas, on cultivait du riz. » L’agriculteur indonésien Sudarmin Paliba fait partie des milliers de villageois de Buol, à Sulawesi central en Indonésie, qui ont été déplacés par l’une des plus riches familles du pays pour créer une plantation de palmiers à huile de 22 000 hectares. (Photo: Pietro Paolini/Terra Project) contre l’accaparement des terres en Indonésie, la détermination des paysans ne fléchit pas A CONTRE COURANT

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En vingt ans de lutte pour récupérer leurs terres et améliorer leurs conditions de travail sur les plantations de palmiers à huile, les villageois de Buol, à Sulawesi central en Indonésie, n’ont guère obtenu de l’entreprise et du gouvernement que des promesses vides. Les seuls avantages réels acquis l’ont été suite à des actions directes. Mais avec ce type d’actions, blocage des routes ou occupation de locaux, le risque de répression violente est grand. Les villageois sont aujourd’hui optimistes et espèrent qu’ils vont bientôt récupérer leurs terres.

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MALGRÉVINGT ANS DE LUTTE

Janvier 2014

« C’est là qu’étaient nos fruitiers, et tout en bas, on cultivait du riz. » L’agriculteur indonésien Sudarmin Paliba fait partie des milliers de villageois de Buol, à Sulawesi central en Indonésie, qui ont été déplacés par l’une des plus riches familles du pays pour créer une plantation de palmiers à huile de 22 000 hectares. (Photo: Pietro Paolini/Terra Project)

contre l’accaparement des terres en Indonésie,la détermination des paysans ne fléchit pas

A CONTRE COURANT

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Une vague d’accaparement des terresSulawesi est l’une des cibles principales d’un

incroyable projet d’expansion des plantations d’huile de palme en Indonésie. Depuis 2005, la superficie consa-crée aux palmiers à huile a quasiment doublé dans ce pays et les palmiers couvrent désormais 8,2! millions d’hectares, à peu près un tiers de toute la surface arable d’Indonésie. Comme il restait très peu de terres dispo-nibles sur l’île de Sumatra où se concentrait traditionnel-lement la production d’huile de palme, les entreprises se sont tournées vers les îles de Kalimantan, de Sulawesi et vers la Papouasie. Certains des plus gros producteurs de palme indonésiens poursuivent même leur expansion jusqu’aux Philippines et en Afrique de l’Ouest.

L’augmentation de la demande mondiale en huile bon marché pour l’industrie alimentaire et les biocarbu-rants ne fait qu’exacerber cette expansion. Mais cette expansion est aussi le résultat d’une inégalité brutale. Les principaux acteurs de l’industrie de l’huile de palme indonésienne, complices de l’ancien président Suharto ont commencé à utiliser les richesses qu’ils ont accu-mulées et leurs contacts politiques pour s’emparer des terres des communautés les plus marginalisées. Ils sont souvent de connivence avec les entreprises agroalimen-taires étrangères et les banques, dont beaucoup sont basées à Singapour et en Malaisie.

Du haut de la colline, Surdarmin Paliba regarde les rangées de palmiers à huile qui s’étendent en contrebas à perte de vue.

«!C’est là qu’étaient nos fruitiers, et en bas, on cultivait du riz,!» dit-il.

En 1994, un beau matin, Sudarmin et quelques autres agriculteurs du district Buol, à Sulawesi central en Indonésie, se rendaient dans leur ferme quand ils sont tombés sur un groupe de travailleurs gardés par des soldats, qui coupaient des arbres dans la forêt environnante. On leur a dit alors qu’une route était en construction. Mais rapidement ils ont compris que ce

n’était que les prémices d’une opération beaucoup plus vaste. Toutes leurs terres et leurs forêts coutumières avaient été cédées - sans qu’ils en aient été avertis ou qu’on leur ait demandé leur consentement - à l’une des familles les plus riches et les plus puissantes d’Indonésie pour en faire une énorme plantation de palmiers à huile de 22!000!hectares de superficie.

Les trois années suivantes ont vu la destruction des terres agricoles et des forêts qui étaient utilisées par plus de 6!500!familles. Sudarmin et les gens de son village ont bloqué les camions et se sont attachés aux arbres en signe de protestation, mais face

au soutien militaire dont bénéficiait l’opération, il n’y avait pas grand chose à faire.

Aujourd’hui, les anciennes fermes et forêts de la communauté sont recouvertes d’une monoculture sans fin de palmiers à huile appartenant à PT Hardaya Inti

Plantations. Cette entreprise appartient à un magnat du monde des affaires, un habitué du milieu politique, Murdaya Widyawimarta, et sa femme Siti Hartati Cakra Murdaya, par le biais de leur holding, le Cipta Cakra Murdaya Group.

Une entreprise avec des amis bien placés

Pt Hardaya Inti Plantations s’est emparé des terres de Buol pendant les dernières années du règne de Suharto. Les propriétaires de l’entreprise, Murdaya Widyawimarta et Siti Hartati Cakra Murdaya, ont fait fortune en profitant de juteux marchés publics passés avec le gouvernement de Suharto, avant de diversifier leurs investissements en acquérant des hôtels, des plantations et même des fabriques de chaussures qui fournissent des sociétés comme Nike ou Lacoste.

Quand la dictature de Suharto est tombée en 1998, le couple s’est engagé de façon plus directe en politique, cimentant des liens qui remon-tent jusqu’à l’actuel Président Susilo Bambang Yudhoyono. Les autres principaux actionnaires de Pt Hardaya Inti Plantations sont eux aussi des acteurs importants sur l’échiquier politique, notamment la ministre de l’Autonomisation des femmes et de la Protection des enfants, Linda Armalia Sari,et le fils de l’ancien directeur de l’Agence nationale du Renseignement, Ronny Narpatisuta Hendropriono.

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Des promesses reniéesMalgré les forces redoutables auxquelles ils se trou-

vaient confrontés, les villageois du district de Buol ont toujours eu la ferme intention de récupérer leurs terres. Des blocages répétés des routes et d’autres actions de protestation ont obligé Pt Hardaya Inti Plantations à négocier un accord en mai!2000! : l’entreprise s’enga-geait à fournir quelque 4! 900! ha de terres pour com-penser les pertes des villageois déplacés et établir un programme de sous-traitance selon lequel elle devait préparer et planter 2!hectares de palmiers à huile pour chaque famille et acheter la récolte à un prix convenu.

Cependant, en l’espace d’un mois, l’entreprise niait déjà avoir négocié l’accord et ne proposait à la place qu’un programme de sous-traitance concernant 15!000!ha, situés en-dehors de sa concession et sur des terres que le gouvernement aurait à identifier.

Ce fut une terrible déception pour les villageois. Épuisés par des années de lutte et abandonnés par le gouvernement, ils ont fini par s’essouffler, lais-sant le champ libre à l’entreprise pour poursuivre son développement.

De mal en pisLa situation des villageois s’est détériorée au cours

des années qui ont suivi. L’entreprise ayant découvert qu’une bonne partie des terres acquises n’étaient pas productives, elle a commencé à s’étendre à l’extérieur de la zone de concession. Les cartes officielles montrent comment l’entreprise a peu à peu envahi plusieurs mil-liers d’hectares, qui étaient principalement réservés aux familles qui s’étaient établies dans la région, dans le cadre d’un plan du régime Suharto pour réinstaller des paysans sans terres d’autres régions du pays.

La déforestation et la plantation de palmiers à huile en bordure de rivière et sur les pentes des collines, dans l’enceinte et en-dehors de la concession, ont provoqué une érosion sévère et une grande partie du sol a fini dans le Buol, un fleuve à fort débit.!

«!Autrefois nous avions trois crues par an dans nos rizières, » rappelle Yahyah qui s’est installé en aval des plantations, quand son village a été détruit pour faire de la place à la concession vers le milieu des années 1990. «! Maintenant, le fleuve est en crue six à huit fois par mois et ces crues ont ruiné notre production de riz.!»

Le programme de sous-traitance promis par l’entre-prise s’est à peine matérialisé. Jusqu’à présent, seuls 400! hectares de terres ont été alloués et la majorité de ces terres sont allées aux hommes politiques locaux pour les remercier de leur soutien. Paraman Yunus, un

Ouvriers de PT Hardaya Inti Plantations dans l’un des camps de travailleurs de la plantation de Buol : « Nous avons beau travailler très dur, nous sommes toujours endettés. » (Photo: Pietro Paolini/Terra Project)

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agriculteur engagé dans le programme se sous-traitance fait remarquer que le salaire mensuel payé par l’entre-prise n’est que d’une quarantaine de dollars.

«!L’entreprise ne nous informe pas de la façon dont elle calcule les prix,!» déplore Paraman. «!La plus grande partie de nos revenus sert à rembourser les dettes que nous avons contractées vis—à-vis de l’entreprise pour payer les coûts initiaux de préparation des terres.!»

Les conditions de travail dans la plantation sont ter-ribles. Plus de 3!000!personnes y travaillent, dont beau-coup ont perdu leurs terres au profit de l’entreprise. Elles vivent dans des camps délabrés et ne sont payées qu’en fonction de la quantité récoltée.

Un ouvrier du nom de Hamsi vit avec sa femme et ses deux enfants dans une pièce exiguë dans un des camps de travail de la plantation. Lui et sa femme font de longues semaines diffi-ciles depuis 13 ans.

«!Nous avons beau travailler très dur, nous sommes toujours endettés,!» explique Hamsi.

Ce n’est pas seulement parce que les salaires payés par l’entreprise sont très bas que les ouvriers restent pauvres. En effet, l’entreprise leur déduit en permanence toutes sortes de frais, de l’électricité et de l’eau qu’ils utilisent chez eux aux outils et au matériel dont ils ont besoin pour travailler. À la fin de chaque mois, Hamsi dit qu’il ne leur reste plus d’argent.

La femme de Hamsi comme les autres femmes de la plan-tation, s’occupe des pesticides. L’un des pesticides lar-gement utilisé sur la plantation est le Gramaxone (du paraquat), un herbicide qui a été interdit dans plus de 30 pays pour ses conséquences graves sur la santé humaine. Elle n’a pas reçu de formation, dit-elle, et elle travaille sans protection! ; elle a continué à vaporiser des pesticides pendant ses grossesses et juste après la naissance de ses enfants, parce qu’elle ne pouvait pas se permettre de prendre des congés sans solde.

Renaissance de la résistance En 2012, les chefs de trois des villages détruits par la

plantation ont noué des contacts avec AGRA, le mou-vement paysan national. À cette date, les ouvriers de la plantation avaient aussi mis en place un syndicat et

commencé à se battre pour obtenir de meilleures condi-tions de travail. Ensemble, ils se sont mobilisés de nou-veau contre l’entreprise sous la bannière du Forum Tani Buol.

En octobre 2012, le Forum Tani Buol a envoyé une délégation de leaders à Jakarta, pour rencontrer la Commission nationale des droits humains et négo-cier avec l’entreprise au siège de cette dernière. Ils ont ensuite organisé un blocage de route et occupé le bureau du maire. À chaque fois, le gouvernement et les responsables de l’entreprise ont répondu en promettant de trouver un arrangement qui s’appuierait sur l’accord

initial de mai 2000. Mais rien ne s’est jamais matérialisé.Frustrés par ce manque de décision, les agriculteurs

et les ouvriers se sont emparés de l’usine de transfor-mation de l’entreprise en mars 2013. Le gouvernement a envoyé l’armée pour les déloger, mais ils avaient eu le temps d’arracher au gouvernement une nouvelle pro-messe d’imposer une résolution au conflit.

Malgré des années de promesses non honorées, les villageois demeurent optimistes et espèrent qu’ils vont bientôt récupérer leurs terres. Ils sont convaincus que le gouvernement local a finalement pris leur parti. En outre, un groupe de travail agréé par le gouvernement et la Commission nationale des droits humains sou-tient leurs revendications. Les propriétaires de l’entre-prise sont dans une position moins avantageuse! : Siti

Carte de la concession foncière accordée à PT Hardaya Inti Plantations. La concession est marquée d’une ligne rouge. La zone en bleu représente les 4 900 ha que les villageois demandent à récupérer. (Photo: Pietro Paolini/Terra Project).

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Hartati Cakra Murdaya est actuellement en prison pour deux ans et demi pour avoir offert 3!milliards de roupies (300!000!dollars US) en pots-de-vin à un fonctionnaire de Buol en échange d’autorisations d’étendre la planta-tion sur des terres extérieures à la zone occupée par la concession.

Les villageois commencent même à discuter de savoir ce qui va se passer une fois que leurs terres leur auront été rendues. Ils sont d’accord pour dire que ces terres doivent être gérées de façon collective et non pas selon des droits de propriété individuels et ils admettent qu’ils n’ont pas vraiment d’autre choix que de continuer à produire de l’huile de palme, jusqu’à ce que les arbres actuels arrivent à complète maturité et puissent être remplacés par d’autres cultures.

Le problème, toutefois, est que l’entreprise n’est pas d’accord. Elle ne s’est pas présentée lors d’une réunion organisée avec les villageois l’an dernier par le gouver-nement local. On peut raisonnablement craindre que les propriétaires n’exploitent les liens étroits qu’ils entre-tiennent avec le gouvernement et l’armée pour faire déraper une fois de plus la résolution attendue.

Leçon à tirer de l’accaparement des terres pour l’huile de palme

L’expérience des communautés de Buol montre que les conséquences profondes de l’établissement de plan-tations d’huile de palme pour les communautés locales ne font que s’aggraver avec le temps. Les maigres avan-tages récoltés dans une plantation, que ce soit à tra-vers un emploi ou un programme de sous-traitance, ne remplacent nullement la perte d’accès et le contrôle des terres et des ressources en eau utilisées par les communautés pour assurer leur alimentation et leur subsistance.

«! Autrefois nous cultivions toute la nourriture dont nous avions besoin en une seule saison,! » rappelle Samisar Abu, mère de trois enfants, dont les terres familiales sont passées aux mains de PT! Hardaya Inti Plantation. «! Mes parents gagnaient suffisamment avec nos terres pour payer nos frais scolaires, mais aujourd’hui je ne peux pas faire la même chose pour mes enfants.!»

Au cours des 20 années où les villageois de Buol se sont démenés pour récupérer leurs terres et améliorer les conditions de travail dans les plantations, ils n’ont pas obtenu grand chose de l’entreprise ni du gouverne-ment, si ce n’est des mots dénués de signification. Les seuls gains véritables ont été acquis quand des actions directes ont été menées! : les blocages de routes et les occupations de locaux ont réussi à faire progresser les choses à coup de négociations. Mais ce genre d’actions

est susceptible hélas de susciter une répression vio-lente. Si la dernière série d’actions ne parvient pas à garantir des terres aux villageois, le conflit risque fort de s’exacerber.

Dans ce contexte, la solidarité et le suivi de la situa-tion au niveau international sont essentiels. Les vil-lageois veulent vraiment que leur cas reçoive plus de publicité dans le reste du monde. Ils indiquent que l’un des moyens de les soutenir est de signer une pétition qui sera remise à PT Hardaya Inti Plantation.

Ils pensent aussi qu’il est crucial pour eux d’avoir une carte détaillée de la région qui clarifie l’usage des terres avant et après l’établissement de la plantation! ; ils demandent qu’on les soutienne financièrement pour leur permettre de réaliser cette carte.

Pour prendre contact avec les villageois, vous pouvez passer par l’AGRA!:

Agra [email protected]

Abdulah Rahman, chef du syndicat des travailleurs dans les plantations de PT Hardaya Inti Plantation de Buol, à Sulawesi central. Rahman a été licencié par l’entreprise aussitôt après avoir mené une délégation d’ouvriers et de paysans à la Commission nationale des droits humains de Jakarta en 2012. (Photo: Pietro Paolini/Terra Project).

GRAIN est une petite organisation internationale à but non lucratif qui soutient la lutte des petits agriculteurs et des mouvements sociaux en faveur de systèmes alimentaires sous le contrôle des communautés et basés sur la biodiversité. GRAIN publie plusieurs rapports chaque année. Il s’agit de documents de recherche détaillés qui fournissent des informations générales et des analyses approfondies sur un sujet donné.GRAIN tient à remercier les différents amis et collègues qui ont commenté ce rapport ou contribué à sa mise en forme.

On pourra trouver la collection complète des rapports de GRAIN sur notre site web:www.grain.org/article/categories/13-against-the-grain

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