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dimension LE JOURNAL DE LA COOPÉRATION BELGE L’Asie, un continent en marche Une nouvelle coopération avec leVietnam La Chine en Afrique FICHE : le Mékong N° 3 / 2011 • BIMESTRIEL JUIN-JUILLET-AOÛT 2011 • P308613 • BUREAU DE DÉPÔT BRUXELLES X L’ACCAPAREMENT DES TERRES LES AGRICULTURES D’ICI ET D’AILLEURS

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dimensionLE JOURNAL DE LA COOPÉRATION BELGE

L’Asie,un continenten marcheUne nouvelle coopération avec leVietnam

La Chine en AfriqueFICHE : le Mékong

N° 3 / 2011 • BIMESTRIEL JUIN-JUILLET-AOÛT 2011 • P308613 • BUREAU DE DÉPÔT BRUXELLES X

L’ACCAPAREMENT

DES TERRES

LES AGRICULTURES

D’ICI ET D’AILLEURS

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sommaireJUIN-JUILLET-AOÛT 2011

4/5/6/7 >DOSSIER

Métamorphoses asiatiques

14/15 >

Une lueur au milieu de l’horreur

24/25 >

Objectif terre :l’accaparement des terressur la sellette

Emmenez vos amisà la découverte d’une

autre dimension !Participez à l’action spéciale “Invitez un ami” et offrez un abonnement à un ami (voir la page insérée dans ce numéro). À chaque ami abonné, vous gagnez une chance de recevoir un bon de 50 euros dans un magasin du monde Oxfam. Le tirage au sort aura lieu le 7 septembre 2011. Les vainqueurs recevront leur bon par la poste. N’oubliez donc pas de noter votre adresse sur la carte.

VIET NAM

LAO PDR

CAMBODDIIABOOOOO

THAILAND

CHINA

Hanoi

Huay Xay

Luang Prabang

Xayabury

Nongh Khai

Pakxanh

Nakhon Phanom

Mukdahan Savannakhet

Thakhek

Vientiane

Bangkok

Pakxe

Muang Khong

Stung TrengSiem Reap

Kampong Chhnang

Kratie

Kampong Cham

Long Xuyen

Can Tho

My Tho

Phnom Penh

Ho Chi Minh

8-10 La quête chinoise en Afrique

11 La microfi nance autonomise les femmes au Vietnam

12-13 Un tigre vietnamien encore fragile

18-19 Du secteur privé naîtra le développement économique et social ?

20-22 Agriculture industrielle, biologique, équitable d’ici et d’ailleurs : la production en question

23 Le parlement congolais vote la première loi-cadre pour l’agriculture

26-27 Le Béninpourra-t-il contenir l’accaparement des terres ?

28 La transparence pour une aide prévisible et responsable

29 “Ce métier offre un contact privilégié avec le patient”

30-31 Petite Dimension

32 Les forêts sont notre maison !

DOUBLE PAGE CENTRALE >

FICHE THÉMATIQUE

Le MékongTiraillements entre développement économique et subsistance durable

24/25

Abonnement gratuit sur :www.dimension-3.be

ou par mail à :[email protected]

Dans un pays bien

géré, la pauvreté

fait honte. Dans un pays

mal gouverné,

c’est la richesse qui

est honteuse”

CONFUCIUS

2 JUIN-JUILLET-AOÛT 2011 I dimension 3

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Périodique bimestriel de

la Direction Générale de la

Coopération au Développement

(DGD)

Rédaction :

DGD - DIRECTION PROGRAMMESDE SENSIBILISATION

Rue des Petits Carmes 15

B-1000 Bruxelles

Tél. +32 (0)2 501 48 81

Fax +32 (0)2 501 45 44

E-mail : [email protected]

www.diplomatie.be • www.dg-d.be

Secrétariat de rédaction :

Élise Pirsoul, Jean-Michel Corhay,

Chris Simoens, Thomas Hiergens.

Création et production :

www.mwp.be

Les articles publiés ne représentent

pas nécessairement le point de vue

offi ciel de la DGD ou du gouvernement

belge. La reproduction des articles est

autorisée pour autant que la source

soit mentionnée et qu'une copie de la

publication soit envoyée à la rédaction.

Dimension 3 paraît 5 fois par an tous les

2 mois sauf en été.

Abonnement :

gratuit en Belgique et à l'étranger.

Imprimé sur papier 100 % recyclé.

Jonque touristique dans le port Victoriade Hong-Kong

© FOTOLIA / Oksana Perkins

3Quatre ans étaient passés lorsque nous nous sommes rendus à nouveau

à Kigali (Rwanda) en 2007. La ville était méconnaissable. Le Centre

culturel français, haut lieu de la culture dans la capitale, avait fermé

ses portes mais quelle ne fut pas notre surprise d’y trouver une imposante

ambassade de Chine en construction, ainsi qu’un Institut Confucius où l’on

pouvait apprendre la langue de Lao Tseu, pratiquer le tai-chi et d’autres éléments

de culture chinoise. Selon toute apparence, les équilibres et forces changeaient…

Parmi ces forces avec lesquelles on doit désormais compter : les pays

émergents. Emergents et étonnants : encore considérés comme pays pauvres

il y a à peine plus d’une décennie, aidés par des bailleurs étrangers, ils ont

fait en quelques dizaines d’années le parcours de deux siècles de révolution

industrielle occidentale. Un parcours si rapide qu’ils se sont vite confrontés aux

revers du développement industriel : recherche effrénée d’énergie et de matières

premières pour alimenter le système de production, pollution, déforestation,

embouteillages… Parmi ces pays émergents, 2 géants se situent en Asie, et

ce sont les 2 pays les plus peuplés du monde : l’Inde et la Chine. Désormais,

Pékin a organisé les derniers Jeux Olympiques avec éclat, les produits chinois

inondent les marchés de la planète, et des bulldozers conduits par des troupes

de Chinois reconstruisent les routes d’Afrique centrale. Mais comment l’Asie

a-t-elle pu prendre un essor aussi fulgurant ? Ce miracle économique – avec ses

bonnes et mauvaises conséquences – est-il une voie pour les autres régions du

monde à la recherche de leurs développements ?

De plus, ils ont désormais une part prédominante dans le commerce

international et sur l’échiquier politique. Leur croissance économique fulgurante

basée sur une économie de marché a sorti des millions de gens de la pauvreté

– avec toutefois des problèmes d’inégalités sociales et de manque de respect

de la démocratie et des droits de l’homme. Et leur développement rayonne sur

toute la région…

Non loin de la Chine, à l’embouchure du fameux fl euve Mékong qui parcourt

l’Asie du Sud-Est, s’étend le Vietnam. Ce pays communiste qui a longtemps du

se concentrer sur sa reconstruction après une guerre sanglante est devenu un

“tigre asiatique”, un miracle économique en devenir, mais encore fragile…

C’est aussi le dernier pays du continent à bénéfi cier de l’aide offi cielle de la

Belgique. Le nouvel accord qui vient d’être conclu entre les deux pays tient

compte des tendances actuelles : l’essor d’un secteur privé – dans de bonnes

conditions qui profi teront à la population –, le changement climatique qui

affectera durement la région, une gouvernance légitime, forte, moins corrompue.

Et c’est plus que le fruit du hasard, si cet accord s’est signé juste avant la

Commission pour les affaires économiques belgo-vietnamiennes : c’est le signe

des temps qui changent et d’une coopération qui tente de s’y adapter…

LA RÉDACTION

La leçon asiatique

édit

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dimension

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E n commandant une bière au bar de l’ancien hôtel Métropole à Hanoï, en 1985, je n’avais guère été surpris de devoir la payer en

dollars et en espèces – c’était une pratique courante dans les pays communistes de régler en devises les consommations de produits importés. J’avais été en revanche sidéré que la serveuse m’eût rendu la monnaie non pas en dongs (la monnaie nationale, ce qui aurait été l’usage normal), mais en quarters de 25 cents.Ainsi, dix ans après la guerre du Vietnam, dans un établissement d’État, les autorités vietnamiennes utilisaient sans vergogne non seulement les billets de banque de l’ennemi américain, mais jusqu’à ses pièces de monnaie. L’expédient avait

quelque chose de pathétique dans une société où le dénuement était total et la vie morose ; où l’unique luxe, d’ailleurs très relatif, était fourni par de rares restau-rants privés dont les propriétaires étaient constamment harce-lés par un Parti com-muniste visiblement inquiet d’un possible retour en force du capitalisme.Un quart de siècle plus tard, le gou-vernement vietna-mien brasse toujours des dollars – par

centaines de millions – mais dans le cadre d’échanges commerciaux et d’investis-sements qui témoignent du spectaculaire

Bill Clinton fut le premier président américain

à se rendre à Hanoï en novembre 2000.

ASIE

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dimension 3 I JUIN-JUILLET-AOÛT 2011 5

En trente ans, beaucoup de choses ont changé en Asie orientale.

Mais des progrès économiques souvent spectaculaires ont

rarement engendré une évolution politique comparable.

développement du pays. L’embargo américain avait longtemps freiné celui-ci. Bill Clinton le leva en février 1994 et fut le premier président américain à se rendre à Hanoï en novembre 2000, quelques mois avant de quitter la Maison-Blanche.Les États-Unis devinrent, dans la foulée, le premier partenaire économique du Viet-nam, avant de voir cette position convoitée par la Chine qui, elle aussi, avait fi ni par surmonter des années d’hostilités pour renouer avec son ombrageux voisin. Jadis “aussi proches que les lèvres et les dents”, Chinois et Vietnamiens s’étaient, rappe-lons-le, livrés une guerre brève, mais san-glante, en 1979, époque où le Vietnam ne jurait que par l’Union soviétique, l’ennemi juré de la Chine.

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6 JUIN-JUILLET-AOÛT 2011 I dimension 3

politique et bientôt militaire), elle trahit de préoccupantes faiblesses. La réduc-tion globale de la pauvreté ne suffi t pas à faire oublier les inégalités qui ne cessent de se creuser entre régions de la côte et de l’intérieur, entre ruraux et citadins, entre catégories sociales – les “classes”que le maoïsme voulait éradiquer sont de retour, et de façon sensationnelle, voire choquante, comme l’atteste la prolifération des millionnaires qui, par une ironie sup-plémentaire, peuvent désormais s’affi lier au Parti communiste.La restructuration économique a fait appa-raître une nouveauté au pays du “bol de riz en fer” (l’emploi garanti à vie) : le chômage. Il n’épargne pas les jeunes universitaires et alimente des frustrations susceptibles de nourrir un vaste mécontentement populaire, voire de provoquer une explosion générale – raison pour laquelle, instruit par l’exemple polonais, le gouvernement chinois redoute l’infl uence des syndicats et a retiré de la Constitution le droit de grève.Les défis écologiques font également planer une lourde menace sur l’avenir de la Chine. Les phénomènes climatiques extrêmes sont plus fréquents, notamment des sécheresses qui touchent des zones de plus en plus vastes. L’érosion des sols concerne un tiers du territoire chinois et la désertifi cation est un péril dantesque. La pollution atmosphérique a conduit les autorités à réduire la part du charbon dans la production d’électricité, mais la priorité donnée au nucléaire doit être réévaluée à l’aune de Fukushima dans un système politique où la transparence et la bonne gouvernance demeurent encore des vœux pieux.

Sur fond de désintégration de l’URSS, la réconciliation de Washington et de Pékin avec Hanoï fut certainement le tournant capital de ces trente dernières années en Asie du Sud-Est. Elle a permis la renaissance d’un grand pays dans cette région où le seul îlot de modernité et de prospérité – avant l’émergence de la Malai-sie et si l’on excepte le cas très particulier de Singapour, qui est une ville plus qu’un pays – était incarné par la Thaïlande. L’évé-nement provoqua, on s’en souvient sans doute, une véritable “vietnamania” : après la Chine dans les années 1980, le Vietnam devenait le nouvel eldorado des années 1990 et la coqueluche des hommes d’af-faires étrangers.L’euphorie retomba, cependant, alors que le marché vietnamien révélait ses limites : c’était moins l’insuffi sance des infrastruc-tures que l’étendue de la corruption et l’omniprésence de la bureaucratie. Mal-gré ce désenchantement, le Vietnam s’est défi nitivement imposé comme un acteur de premier plan en Asie, à la faveur d’une politique de réforme et d’ouverture à l’évi-dence calquée sur le modèle chinois. Mais on répugnait naturellement à admettre cette fi liation à Hanoï quand la mutation s’esquis-sait timidement en 1985…

La Chine revenait elle-même de fort loin. À la mort de Mao, en 1976, la Révolution cultu-relle l’avait laissée exsangue et arriérée. Le pari que lui assigna un homme de 74 ans,

Deng Xiaoping, lors du fameux 3e plénum du XIe Comité central de décembre 1978, était fou : transformer rapidement une nation autarcique et isolée en une puissance éco-nomique dont le moteur serait l’exporta-tion, convertir un État communiste en une “économie socialiste de marché”, brûler les étapes pour sortir un milliard d’êtres humains de la pauvreté et souvent de la misère la plus noire. Une poignée d’anciens guérilleros qui n’avaient jamais eu en main le moindre billet d’un dollar allaient fonder leur vision d’un avenir pour la Chine sur des investissements étrangers souvent chiffrés en millions de dollars.On mesurera le chemin parcouru à cette mince anecdote. Étudiant en Chine nanti d’une (modeste) bourse de notre Com-munauté française, je visitai en 1984 la région autonome du Ningxia, qui venait tout juste d’être ouverte aux étrangers. À peine sorti de la gare, dans le chef-lieu provincial, Yinchuan, je fus immédiate-ment suivi par des autochtones médu-sés dont le cortège ne cessa de grossir jusqu’à compter plusieurs centaines de badauds, un peu comme les Dupont et Dupond sont poursuivis par une foule de curieux dans Le Lotus bleu. Les gens du cru n’avaient jamais vu de “longs nez”.Aujourd’hui, la Chine est la deuxième éco-nomie mondiale – elle a surclassé le Japon – et le pays qui attire le plus grand nombre d’investissements étrangers. Le touriste à Shanghai peut se croire à Tokyo ou à New York. Jusqu’en 1990 pourtant, il n’y avait rien de l’autre côté de la rivière Huangpu, là où se dresse maintenant l’impressionnant quartier d’affaires de Pudong.Le miracle chinois, décrit à l’envi par les médias, est désormais connu de tous et n’étonne quasiment plus personne. Les observateurs les plus lucides n’ignorent pourtant pas que, si la Chine est deve-nue un colosse (économique, mais aussi

La Chine a supplanté les États-Unis comme premier partenaire commercial de la Corée du Sud.

La réduction globale de la pauvreté ne suffi t pas à faire oublier les inégalités, qui ne cessent de se creuser.

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Quoi qu’il en soit, le réveil de la Chine (pour reprendre la formule d’Alain Peyrefitte) a modifié en profondeur les rapports de forces en Asie. Le Japon voit sa suprématie régio-nale contestée (parfois de façon humiliante comme l’a montré, en septembre 2010, un inci-dent naval au large des Senkaku, un archipel que revendiquent Pékin et Tokyo : les Japonais ont dû prestement libé-rer l’équipage chinois qu’ils avaient arrêté sous peine de subir des représailles écono-miques), tandis que l’hégémonie chinoise s’affi rme partout, et souvent avec subtilité.Ainsi, tout en restant l’allié principal de la Corée du Nord communiste, la Chine a supplanté les États-Unis comme premier partenaire commercial de la Corée du Sud. Elle a étendu son emprise en Asie centrale, vers laquelle elle construit de gigantesques oléoducs pour aller chercher jusque sur les rives de la mer Caspienne le gaz et le pétrole dont sa phénoménale croissance économique se nourrit.Elle a fait du Cambodge et, plus encore, de la Birmanie de véritables satellites. Les produits chinois à bon marché déferlent sur ces deux pays, tandis que des colons chinois s’y installent en grand nombre, en particulier dans le nord de la Birmanie (en dépit du caractère ouvertement xénophobe de la junte birmane).En consolidant son autorité sur le Tibet, où la plupart des grands fl euves d’Asie prennent leur source, Pékin dispose d’un levier de commande prodigieux sur toute la région en contrôlant l’accès à l’eau dont dépend ni plus ni moins que la survie de dizaines de millions d’hommes et de femmes. C’est vrai notamment du Mékong, l’artère vitale qui irrigue l’ancienne Indochine française.

Si le paysage économique et géopoli-tique a donc considérablement changé en Asie orientale au cours des trois dernières décennies, on est frappé en revanche par la stagnation politique. En dehors du Japon, qui avait pris une longueur d’avance dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale en adoptant une Constitution démocratique, puis de la Thaïlande et des Philippines, seules la Corée du Sud et Taïwan ont réussi à franchir le pas, troquant chacune leur dictature militaire contre un système parle-mentaire pluraliste.À Séoul, l’organisation des Jeux olym-piques en 1988 se révéla décisive dans cette mutation, tandis qu’à Taipei, c’est davantage le sens de l’Histoire qui dicta au fi ls de Chiang Kai-shek, Chiang Ching-kuo, la nécessité de lever la loi martiale et de procéder à des réformes en 1987 – la

reconversion de Taïwan ne concerne d’ailleurs pas que ses 24 millions d’habitants : elle signifi e que, contrairement à ce que soutenaient cer-tains “experts”, la civi-lisation chinoise n’est pas incompatible avec la démocratie occiden-tale. Ainsi, après avoir été pour elle un modèle de développement économique, l’île pour-rait constituer pour la Chine continentale un exemple à suivre sur le plan politique, et cela à l’heure où les relations entre les deux régimes historiquement rivaux

commencent enfi n à se resserrer.Ailleurs, les gouvernements autoritaires se sont maintenus et parfois consolidés, quand ils ne menacent pas de balayer de fragiles démocraties comme en Thaïlande, où la querelle entre Chemises jaunes et Chemises rouges, sur fond de monarchie affaiblie, a mené le royaume dans l’im-passe. En Chine, en Corée du Nord, au Vietnam, au Laos, les systèmes commu-nistes de parti unique se sont perpétués.En Malaisie et à Singapour, une mécanique démocratique n’a pas empêché la persis-tance d’un pouvoir “fort”, tandis qu’en Indonésie, l’après-Suharto a ménagé une ouverture qui n’est encore qu’ébauchée. Au Cambodge, où l’on peine à tourner la page du génocide khmer rouge (le procès de ses responsables s’éternise), l’opposition est brimée, quand elle n’est pas persécutée. Le cas le plus navrant demeure probablement celui de la Birma-nie (rebaptisée Myanmar) où la libération du prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, après deux décennies de détention ou d’assignation à résidence, est l’arbre qui cache une forêt faite de violations systé-matiques des droits humains.

PHILIPPE PAQUET

PHILIPPE PAQUETAprès des études de journalisme à Bruxelles et de chinois à Pékin,

Philippe Paquet est entré en 1984 à La Libre Belgique, où il couvre depuis

l’actualité asiatique. Il a effectué de nombreux reportages dans la région.

Docteur en histoire de l’UCL, il est aussi maître de conférences à l’ULB et

est notamment l’auteur de “L’ABC-daire de la Chine” et de “L’ABC-daire

du Tibet” (Editions Picquier), et de “Madame Chiang Kai-shek. Un siècle

d’histoire de la Chine” (Gallimard).

La civilisation chinoise n'est pas incompatible avec la démocratie occidentale.

Le chômage n'épargne pas les jeunes universitaires et alimente des

frustrations susceptibles de nourrir un vaste mécontentement populaire.

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LA QUÊTECHINOISE

en

AFRIQUEL’Afrique a ouvert les bras à une Chine émergente qui apportait une solution à ce dont elle

avait tant besoin : des investissements sans condition, des routes et des infrastructures. Les

investissements massifs de la Chine sur le continent depuis 2000, et la remise en question

notamment d’un “Contrat du siècle” avec la RD Congo pour “l’échange” de minerais contre

des infrastructures pour 9 milliards de dollars a remué l’Occident. Pourtant, la Chine investit

5 fois plus en Amérique latine et 15 fois plus en Asie ; le danger chinois est-il exagéré ?

Deux spécialistes nous éclairent.

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ASIE

dimension 3 I JUIN-JUILLET-AOÛT 2011 9

Quelles sont les grandes

différences entre l’aide au

développement proposée par la

Chine et celle de l’Occident ?

La première grande différence est que la Chine n’entend pas du tout s’ingérer dans les affaires politiques des autres pays. Le modèle chinois est celui d’une grande puissance éco-nomique qui a besoin de débouchés pour ses produits fi nis et de maté-riaux pour son économie en crois-sance. Ce sont surtout les pays riches en matières premières qui bénéfi -cient des investissements chinois : Angola, Soudan, RD Congo, Nigeria, plus l’Afrique du sud et l’Afrique du Nord. La structure de l’aide est tou-jours la même : infrastructures contre matières premières. Mais ils ne font pas de l’aide : ils prêtent de l’argent et essaient de faire rembourser ces prêts en insistant sur une garan-tie d’État. C’est là que l’opacité des contrats est dangereuse…

En quoi la Chine vient-elle apporter à l’Afrique une plus-

value malgré toutes les institutions et bailleurs pour le

développement ?

Les Chinois ont vu clair en proposant des investissements dans les routes et les infrastructures. Cela fait 50 ans que les bailleurs occidentaux sont en Afrique, mais cette aide est peu visible. Pourquoi ? Ils ont fi nancé la “bonne gouvernance”, les droits de l’homme, la justice, les élections… Mais, comme disent les Congolais, “on ne peut pas manger la démocratie”. Tandis que les Chinois investissent dans des domaines “palpables” qui touchent à la production. Ils construisent rapidement des routes de qualité, comme au Congo par exemple, là où peu d’entre-preneurs occidentaux osent prendre des risques. Le résultat : les routes sont construites et visibles. Mais ils le font à des taux d’intérêt peu concessionnels et tout doit être remboursé. Leur grande force est qu’ils fi nancent un secteur sous-fi nancé et que tout est rassemblé dans un seul grand contrat. Par exemple, le

“Contrat du siècle”, d’un montant de 9 milliards de dollars, tenait en 6 pages ! Pour les bénéfi ciaires, le fait d’avoir une unité de commande (contrairement aux bailleurs occi-dentaux qui arrivent tous avec leurs projets, leurs contrats leurs procé-dures et leurs délégations respec-tives) évite les coûts de coordina-tion. L’aide européenne est plus importante que celle de la Chine, elle aurait beaucoup plus de poids si elle était moins éparpillée.

L’arrivée des Chinois n'a-t-elle

pas apporté un coup de fouet

aux vieilles relations de l’Europe

avec ses colonies ?

Oui, ils changent la donne. Ils opposent “investissement” à “aide au développement”, et relation com-

merciale à relation bailleur-bénéfi ciaire. Tandis qu’en Occident, on essaie d’arrêter l’aide liée, eux en font énormément. On se demande s’il faut toujours autant de générosité sans retour… On voit d’ailleurs de plus en plus une tendance à favoriser le com-merce pour l’aide. On note aussi un regain d’intérêt des bailleurs pour la RD Congo par exemple. Ce qui fait que le gouverne-ment de la RD Congo pourra avoir plus de choix et plus de poids devant les bailleurs.

En faisant fi des conditionnalités de bonne gouvernance

imposées par l’Occident, le système chinois favorise-t-il

la mauvaise gouvernance ?

S’il y a mauvaise gouvernance, les Chinois ne vont pas chercher à le changer, ni en bien ni en mal. Bien sur, le fait que les Chinois ne posent aucune conditionnalité sape les efforts des autres bail-leurs dans ce domaine. Moi je pense qu’il faut les responsabiliser, par exemple en leur donnant plus de poids dans les grandes institutions fi nancières internationales.

LE CONTRAT DU SIÈCLE

En 2008, le ”Contrat du siècle” prévoyait l’octroi d’un prêt de la banque chinoise EXIM Bank d’un montant de 9,2 milliards de dollars à

l’Etat congolais. 3,2 milliards de dollars étaient destinés à la modernisation de l’appareil de production minière. Deux entreprises chinoises

devaient également réaliser des travaux d’infrastructures – 3.500 kms de routes et de chemins de fer, des infrastructures de voiries, 31

hôpitaux et 145 centres de santé – pour une valeur estimée à 6 milliards de dollars. Ces prêts donnaient à la Chine accès aux 14 milliards de

dollars de réserves de cuivre et de cobalt. L’exploitation de ces ressources était confi ée à la Socomine, appartenant à des sociétés d’état

chinoises (68 %) et congolaises (32 %). Au début de 2009, le FMI a tenté de bloquer cet investissement, faisant valoir que la RD Congo ne

pouvait pas conclure de nouvel arrangement avec un créancier préférentiel privilégié alors qu’elle doit encore11,5 milliards de dollars à

des créanciers de l'Ouest. Le ”Contrat du siècle” a été réévalué. Seuls 3 milliards de dollars sont octroyés au secteur des infrastructures.

La production minière n’est plus sous garantie d’Etat. EP

Stefaan Marysse est professeur d’économie politique à l’Institute

for Development Policy and Management (IDPM) à l’Université

d’Anvers. Il est également directeur du Centre of the Study of the

Great Lakes Region in Africa, et auteur d'ouvrages d’économie

politique sur les Grands Lacs. Il s’est intéressé au “Contrat du

siècle” entre la Chine et la RD Congo.

Les Chinois opposent “investissement”

à “aide au développement”

suite en p.10

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ASIE

10 JUIN-JUILLET-AOÛT 2011 I dimension 3

LA QUÊTECHINOISE

en

AFRIQUE

L’Afrique gagne du

terrain dans la politique

étrangère de Beijing. D’où

vient cet intérêt croissant

pour l’Afrique ?

L’agenda africain de la Chine est très complexe. Le pays a un grand besoin en minerais et en énergie. L’Afrique est à cet égard un fournisseur inté-ressant. Mais les entreprises chinoises considèrent de plus en plus l’Afrique également comme un débouché. En plus des grandes entreprises, les petites usines chinoises qui produisent des marchandises moins avancées, s’intéressent aussi davantage au marché africain. Enfi n, la Chine y est également active dans le sec-teur des services : construc-tion, télécommunication, etc.A côté de l’agenda écono-mique, il y a aussi la stratégie politique. La Chine exerce de plus en plus de poids sur des dossiers mondiaux tels que le change-ment climatique et l’approvisionnement en énergie. Il est dès lors très utile d’entretenir de bonnes relations avec les élites africaines et autres. Et sur la scène internationale, Beijing joue toujours sur l'"alliance historique" entre pays en développement, même si cela n’est plus si évident en tant que grande puissance économique. La Chine n’a pas de grande stratégie pour l’Afrique. Beijing mène plutôt une politique réaliste en s’adaptant constamment aux nou-veaux besoins, au contexte international.

Vous parlez de l’Afrique comme débouché pour des

marchandises bon marché en provenance de l'"usine

du monde". Ce n’est pas évident dans un continent à

faible pouvoir d’achat.

La Chine peut produire des produits fi nis très bon marché. Le coût du travail, c’est de la roupie de sansonnet. Ils accaparent ainsi les réseaux commerciaux des Libanais, des Indiens, etc. Aux yeux des commerçants locaux et de la population, tout ceci est très visible et tangible, leur frustration s’accroît. Il y a déjà eu des échauffourées au cours desquelles les entreprises chinoises ont été attaquées et pillées. Mais une fois que les salaires augmente-ront en Chine, les entreprises partiront vers d’autres pays à bas salaires. Alors, elles produiront peut-être plus en Afrique même.

La différence culturelle entre l’Afrique et la Chine est

grande. Se comprennent-elles assez pour travailler

ensemble ?

En Chine, je vois que les commerçants africains s’entendent bien avec leurs partenaires chinois. Mais c’est un fait que les communautés chinoises en Afrique vivent souvent de manière très isolée. Dans de nombreuses villes africaines habitent des communautés de Chinois qui maîtrisent à peine la langue locale. Cela prend naturellement

du temps, la population de Chinois augmente de manière tellement accélérée. En Angola et en RD du Congo – deux pays où la Chine est très pré-sente – il y aurait jusqu’à 50.000 Chinois. Mais l’assimilation est très lente.

Pouvons-nous

réduire la politique

étrangère de la Chine

à un mercantilisme

pragmatique ?

En fait oui. Beijing mène une diplomatie du camé-léon. Bien que les autorités parlent depuis longtemps de stabilité et de durabilité, il ressort d’études que très peu a changé depuis les dix dernières années. L’attitude de Beijing varie d’un pays à l’autre. S’il s’agit d’une démo-

cratie active, alors la Chine se comporte d’une façon un peu plus exemplaire. Si le pays est sous la coupe d’un régime autocratique, alors la Chine ferme les yeux. Diplomatie du caméléon. On sait que des bonnes relations avec les “crocodiles” africains peuvent entraî-ner des problèmes, mais les considérations stratégiques font que l’on s’engage avec eux dans une affaire.

Des commentateurs occidentaux considèrent la politique

de la Chine en Afrique comme une “mauvaise aide”.

Mais, pour Beijing n’est-ce pas du business as usual ? Ils

ne font pas de la coopération au développement ?

En effet, et ils n’ont aucune diffi culté à l’admettre ! Leur ‘politique de développement’ n’est qu’une manière de mettre un pied dans la porte pour négocier de grands accords commerciaux. La ques-tion est de savoir si c’est tellement mal qu’ils construisent des routes et des infrastructures sans verser directement de grands montants aux autorités. Le revers de la médaille, c’est que cela se fait généralement via des prêts de plusieurs milliards, assortis de conditions. Ainsi, la Chine pourrait paralyser l’Afrique avec une nouvelle montagne de dettes.Ce qui dérange, c’est que la Chine continue de se cacher der-rière un sentiment de méfi ance antioccidental pour, par exemple, se soustraire à des discussions pragmatiques avec l’UE. Un pays peut appliquer d’autres principes en politique étrangère mais doit toujours être disposé à parler. Cette disponibilité est encore trop absente aujourd’hui. La question est de savoir comment la Chine se comportera quand elle aura acquis davantage de puissance sur la scène internationale. Beijing continuera-t-elle à se retrancher der-rière des principes tels que la non-intervention et la souveraineté ? Est-ce que Beijing continuera à laisser faire les dictatures ?

DOSSIER RÉALISÉ PAR :

ELISE PIRSOUL ET THOMAS HIERGENS

La voie pragmatique

de l'économie chinoise

Le Dr Jonathan Holslag, directeur de recherche à l’Institut d’Etudes de la

Chine contemporaine à Bruxelles, est un commentateur souvent invité dans

les médias et qui publie dans des revues scientifi ques et des journaux. En peu

de temps, il a positionné l'Institut d'Etudes de la Chine de la Vrije Universiteit

Brussel sur le plan international. Sa recherche cible essentiellement la sécurité

régionale en Asie. Il est l’auteur de nombreux ouvrages.

suite de la p.9

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RUBRIQUE

dimension 3 I JUIN-JUILLET-AOÛT 2011 11

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didimemensnsioion 33 II JUJUIN-JJUIUILLLLETET-A-AOÛOÛT 20201111 111

ASIE

L es Vietnamiennes font face à d’impor-tants défis dans le domaine profession-

nel et familial. En dépit d’une croissance spectaculaire de l’économie vietnamienne au cours de ces dix dernières années (plus de 7 % par an) et d’une réduction tout aussi exceptionnelle de son taux de pauvreté, le pays occupe encore actuellement la 113e

place sur 169 en matière d’égalité des sexes.(1) Les femmes comptent parmi les entrepreneurs les plus actifs au niveau microéconomique. Elles opèrent dans toutes sortes de domaines afi n de subvenir aux besoins de leur famille. Néan-moins, il leur est diffi cile d’avoir accès à des services fi nanciers sans obtenir une espèce de garantie de la part de leur mari. La microfi nance peut les aider à surmon-ter ces obstacles et à diversifi er les choix qui s’offrent à elles.A 40 ans, Mme Le Ngoc Trang Dai se lève chaque jour à 5h. du matin. En plus de prendre soin de sa famille, et notamment de la santé fragile de ses beaux-parents, elle s’occupe de ses animaux, parmi les-quels plusieurs chèvres qu’elle a pu ache-ter grâce à un prêt de 100 euros accordé sur un an par le Projet belgo-vietnamien de crédit. Mme Le vit à Trung An, une commune de la province de Tien Giang, réputée pour la culture de fruits tropicaux. “J’achetais des fruits et je les revendais au marché”, explique-t-elle. “Mais la vente de fruits est un travail saisonnier. J’ai donc décidé d’utiliser ce prêt pour acheter des chèvres.” Cet exemple de diversifica-tion des moyens de subsistance est une

caractéristique qui se dégage de l’accès accru au crédit. Les petits agriculteurs comme Mme Le doivent toujours être prêts à faire face à une crise. Un accès de grippe aviaire qui a décimé les éle-vages de volaille de la province en 2006 a contribué à sa décision d’élever plutôt des chèvres, en dépit de leur croissance plus lente.Le projet VBCP a fourni des services fi nanciers pendant plus de dix ans à des dizaines de milliers de femmes démunies ou en passe de l’être dans 17 provinces du Vietnam. Il est basé sur une approche de type Grameen selon laquelle sont consti-tués des petits groupes solidaires, au sein desquels les individus ont accès à des

crédits compris entre 50 et 150 euros, qu’ils remboursent par tranches mensuelles, avec intérêts. Le programme a enregis-tré un excellent taux de remboursement. Les emprunteurs apprécient le projet et ce, pas uniquement en raison de son effet positif sur leur niveau de vie. “L’avantage de ce programme, c’est l’épargne et le remboursement mensuel. Il simplifi e la vie de femmes de la campagne comme nous”,

confie Mme Le. Ce sont les produits fi nanciers adaptés, qui offrent notamment la possibilité de rembourser plus souvent, qui distinguent ce projet des institu-tions de crédit, plus imposantes et moins fl exibles.Mme Vu Thi Lien, de la com-mune de Ham Hong dans la pro-vince de Nam Dinh, a acheté une machine à coudre pour fabri-quer des essuie-mains. Cette petite activité professionnelle lui a permis de payer la scola-rité de ses enfants ainsi que de construire une toilette conve-nable dans sa maison. “Mon mari est décédé en 1998”, explique Mme Vu, “et je n’avais pas assez d’argent pour mieux équiper ma maison.” Mais l’accès à un prêt du projet VBCP lui en a donné l’opportunité. “Maintenant, j’aide mes fi ls à construire leur propre maison”, explique-t-elle.

Dans le cadre de la der-nière étape de coopé-ration entre la Belgique et le Vietnam dans ce projet, des efforts sont consentis afi n de créer un mécanisme de crédit de refinancement pour

les institutions de microfi nance durable. Grâce à l’accès accru aux services financiers, notamment ceux de crédit, d’épargne et d’assurance, des femmes comme Mme Le et Mme Vu poursuivront la stabilisation de leurs sources de reve-nus, l’amélioration de leurs conditions de vie et continueront à investir dans l’avenir de leur famille.

VINCENT WIERDA - CTB VIETNAM

La CTB collabore étroitement avec la Vietnam Women’s

Union afi n de permettre aux femmes démunies d’accéder à

des services fi nanciers. Ce partenariat est désormais entré

dans sa phase fi nale et met l’accent sur le soutien apporté au

secteur de la microfi nance dans un sens plus large. Il repose

sur le Projet belgo-vietnamien de crédit (VBCP), qui a ren-

contré un vif succès et s’est concentré sur l’octroi de crédit

à des femmes démunies pendant plus de dix ans.

Des femmes de la province de Hai Phong s’organisent pour fabriquer

des paniers, suite à une formation en création d’entreprise dispensée

par le projet belgo-vietnamien de crédit.

1 Selon les derniers Indicateurs de développement

humain des Nations Unies.

DesDeDeDes fefefemmemmemmemes ds ds ds dee lee la pa paa provrovrovrovrovincincincincnce dee de dde He He Haiaiaii PhoPhoPhoPhoPhPhoPh ngngng s’os’ooooorgrgrgagannnnisententntntn popopopop ururur fabfabfafabriqriqriqriquerueruerr

La microfi nance

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Maintenant,

j’aide mes fi ls

à construire leur

propre maison…

autonomise les femmes au Vietnam

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une montéedu niveau de la mer inonderait partiellement les rizières fertilesdu sud.

M aintenant que le Vietnam a réussi à acquérir en 2010 le statut de pays à revenu moyen, la question se pose

de savoir pourquoi la Belgique continue d’assister le Vietnam sur le plan fi nancier. En effet, le Vietnam n’est-il pas l’un de ces tigres asiatiques à croissance rapide qui présentent un taux de croissance annuel de 6 à 7 pour cent ? En 2010, le Vietnam n’a-t-il pas ramené la pauvreté en dessous des 10 pour cent ? N’a-t-on pas découvert du pétrole et du gaz dans les mers du sud ? Effectivement, le Vietnam se défend bien. Mais comme l’a prouvé la récente crise fi nancière mondiale, il suffi t de peu pour faire reculer un pays et sa population en dessous du seuil de pauvreté.

Bas salairesAu cours des dernières décennies, le Viet-nam a arraché chaque année quelque 2 millions d’habitants à la pauvreté. Et le Vietnam a atteint la plupart des Objectifs du Millénaire. Ceci n’a pas uniquement été réalisé avec l’appui de donateurs internationaux comme la Belgique, mais plus encore grâce à un développement industriel considérable. Comme pays à bas salaires, le Vietnam peut en effet pro-duire des biens bon marché. Mais cette évolution a aussi son prix : les conditions de travail sont souvent misérables, les res-sources naturelles sont gaspillées à toute vitesse et la pollution est énorme. Ajoutez

à cela que le Vietnam sera sévèrement touché par les changements climatiques – une montée du niveau de la mer inon-derait partiellement les rizières fertiles du sud – et on comprend que le Vietnam devra rectifier d’urgence sa trajectoire actuelle. Afi n de pouvoir devenir un pays à hauts revenus, le pays devra adapter ses stratégies de croissance qui sem-blaient payantes par le passé. S’il refuse ces adaptations, la probabilité est grande que le pays réintègre le groupe des pays pauvres ou à faible revenu.

PiègeLa meilleure manière pour un pays d’évi-ter le ‘piège du revenu moyen’ est d’innover et d’améliorer le processus de production. Les atouts concurrentiels basés sur des bas salaires et des processus de production à forte intensité de main-d’œuvre ne sont en effet que temporaires. Étant donné la concurrence avec les autres pays à faible revenu, il est donc urgent pour le Vietnam d’investir davantage dans l’éducation afi n de faire progresser le capital humain et d’améliorer l’innovation sur le plan national. Et le Vietnam devra se consacrer d’urgence à la ‘bonne gouvernance’ qui promeut

l’innovation et lutte contre la corruption. Troisièmement, le gouvernement doit exé-cuter toute la réglementation pertinente sur la sécurité des produits, la propriété intel-lectuelle et le droit des consommateurs.Maintenant que le Vietnam a en grande partie triomphé de la pauvreté, la Belgique veut partager ces défi s supplémentaires avec le Vietnam. Le programme de coo-pération soutient dès lors l’adaptation aux changements climatiques ainsi qu’une bonne gouvernance. La Belgique espère ainsi jouer un rôle important dans le fonds

à créer qui devrait permettre au Vietnam d’acquérir la connaissance nécessaire en matière de ‘technologies propres’. Le budget réservé à la formation a été triplé afi n de renforcer le capital humain viet-namien. Outre le nouveau programme de coopération, un programme économique a également été élaboré qui renforcera le lien entre les entreprises belges et vietna-miennes. La Belgique a déjà mené des dis-cussions exploratoires sur la coopération en matière de sécurité alimentaire. La coo-pération universitaire entre les deux pays emprunte, elle aussi, de nouvelles voies (voir encadré).

Un tigre En juin de cette année, la Belgique et le Vietnam ont signé

leur sixième accord de coopération. De 2011 à 2015, la Bel-

gique va dégager 60 millions d’euros afi n de soutenir le Viet-

nam dans son développement.

12 JUIN-JUILLET-AOÛT 2011 I dimension 3

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ASIE

vietnamienencore fragile

Au cours des dernières décennies, le Vietnam a arraché chaque année quelque 2 millions d’habitants à la pauvreté.

Véritable collaborationEn résumé, la Coopération belge au développement est confrontée au Viet-nam à de nouveaux défis. La relation antérieure donateur-bénéfi ciaire a cédé la place à une coopération où les deux pays s’échangent des informations rela-tives à une croissance économique durable respectueuse de l’environne-ment. Ceci est nouveau pour le Vietnam mais pas pour la Coopération belge au développement qui compte déjà 8 pays à revenu moyen parmi ses pays parte-naires. Ceci explique d’ailleurs pourquoi elle souhaite élaborer une stratégie de

coopération distincte avec les pays à revenu moyen. Même si la pauvreté est freinée, la voie vers un développement économique durable respectueux de l’environnement est longue et diffi cile. La Belgique espère y contribuer grâce au nouveau programme de coopération avec le Vietnam.

PETER D’HUYS

30 ANSde coopération entre la

Belgique et le Vietnam

Cela fait 30 ans que le Vietnam est un pays parte-

naire de la coopération belge. Les premières années,

notre pays a soutenu principalement la reconstruction.

Les infrastructures endommagées pendant la guerre

demandaient une réparation urgente. Ensuite, l’atten-

tion s’est tournée vers les secteurs sociaux et les

populations rurales pour adoucir l’impact des réformes

économiques nécessaires à une économie de marché.

Actuellement, les efforts de la Belgique se concentrent

sur le renforcement des institutions et des capacités et

sur la qualité de vie. En conséquence de l’intégration

croissante du Vietnam dans la région et dans le monde,

notre pays soutien également la Mekong River Commis-

sion (voir p. 16).

POUR EN SAVOIR PLUS :

brochure “30 ans de coopération avec le Vietnam” téléchargeable sur le site :http://diplomatie.belgium.be/fr/binaries/brochure_vietnam_fr_

Les universités belgeset vietnamiennes

engagent la coopération sur une nouvelle voie

Dans un Memorandum of Understanding d’avril 2011,

les universités belges et vietnamiennes ont émis le

souhait de renouveler leur coopération. Dorénavant,

l’accent est mis sur des formations et des recherches

communes. Des formules de coopération public-privé

seront également expérimentées. Les universités sou-

haitent par ailleurs mieux harmoniser leurs programmes

boursiers.

Les universités partenaires vietnamiennes telles que Can

Tho University, bénéfi ciaire d’une coopération poussée

depuis 1998, sont devenues des institutions d’ensei-

gnement et de recherche dynamiques, reconnues par

la communauté internationale. À l’avenir, les universités

belges collaboreront davantage sur un pied d’égalité

avec elles. L’approche de la coopération au développe-

ment universitaire classique est toujours indiquée pour

les institutions vietnamiennes moins avancées.

De nombreux anciens boursiers vietnamiens qui ont fré-

quenté des universités belges occupent aujourd’hui des

positions clés au Vietnam, tant en politique et dans le

monde des affaires que dans le monde académique. Un

site Internet des anciens étudiants vietnamiens (www.

vietbelalumni.org) a été développé à l’initiative de la

Coopération belge au développement à Hanoi.

• www.vliruos.be (universités néerlandophones)

• www.cud.be (universités francophones)

dimension 3 I JUIN-JUILLET-AOÛT 2011 13

© DGD/Peter D'huys

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14 JUIN-JUILLET-AOÛT 2011 I dimension 3

L ongtemps, le docteur Mukwege fut le seul gynécologue obsté-tricien de la région. “La pre-mière fois, en ‘99, que j’ai vu une

femme avec des lésions génitales crées ‘par quelqu’un’, je ne comprenais pas. Elle n’a pas voulu m’expliquer tout de suite. Moi j’ai pensé que cette horreur était un cas isolé. Pourtant, dans les semaines qui ont suivi, le nombre de victimes se multi-pliait.” Aujourd’hui encore, ces viols que le pays ne connaissait pas avant sont le lot quotidien dans l’Est du Congo. “Sur cette semaine, nous comptons 102 femmes violées.”“Celui qui détruit une femme, détruit toute une société”, déplore le docteur, c’est une terrible ‘arme de guerre’ utilisée par les milices qui s’abritent sur ces terres riches de minerais, trop riches peut-être. Et puis les anciens rebelles réin-tégrés dans l’armée régulière, et des civils encouragés par la banalisation du geste et l’impunité qui a été longtemps la règle1 s’y sont mis aussi.Sa vocation initiale était la pédiatrie, il opta pour la gynécologie lorsque, jeune méde-cin, il découvrit les conditions d’accou-chement sur le terrain. Installé à Bukavu, il construit l’hôpital de Panzi en 1999, une structure sanitaire pouvant venir en aide lors des accouchements. Très vite, le

docteur Mukwege y traitera des femmes victimes de violences sexuelles, et en fera une référence en la matière dans la région des Grands Lacs. En 10 ans, le gynéco-logue et son équipe ont traité plus de 30.000 victimes.L’hôpital prend en charge les patientes d’une manière complète. Les soins, la nourriture et les médicaments y sont gra-tuits pour les patients précaires, et toutes les victimes de violences sexuelles. Le traitement des blessures physiques et

émotionnelles s’accom-pagne d’un travail de réinsertion socio-écono-mique. L’approche vise à reconstruire physique-ment et moralement les victimes, à leur rendre une certaine dignité.

Ainsi, un centre de transit propose aux patientes une réadaptation à la vie sociale, un suivi psychologique et des activités génératrices de revenus avant de rentrer chez elles. Des bureaux juridiques au sein même de l’hôpital permettent aux victimes d’être suivies en justice. Des “cliniques mobiles” rencontrent les victimes directe-ment sur le terrain, afi n de leur donner les premiers soins et conseils juridiques.Parallèlement, le docteur n’a de cesse de dénoncer au monde l’horreur dont il est témoin, il lance des campagnes de sensibilisation dans la région et veille au

renforcement des capacités du person-nel confronté aux victimes. “Malheureu-sement, l’insécurité demeure. Il n’est pas rare de retrouver dans ses patientes nou-vellement violées une femme qu’on a déjà soigné il y a 2 ans pour la même chose… Je préfèrerai être anonyme que reconnu dans le monde pour une situation que le monde ne veut pas stopper”, déclarait Denis Mukwege à la réception du prestigieux Prix Roi Baudouin.La Belgique a joué un rôle pionnier et mobilisateur dans la lutte contre les vio-lences sexuelles en RD Congo en soute-nant dès 2004 un programme conjoint de lutte contre les violences sexuelles. Elle participe actuellement à une approche globale comprenant besoins médicaux, psycho-sociaux, juridiques et de réinser-tion des victimes de violences sexuelles dans le cadre du Plan de stabilisation et de reconstruction de l’est-RD Congo(STAREC - voir Dimension 3 n°2/2011). Elle a promis de doter l’hôpital de Panzi d’une unité d’oxygénation pour le bloc opéra-toire et les soins intensifs.

ELISE PIRSOUL

Bukavu, hôpital de Panzi. Un havre de paix novateur pour les trop nombreuses femmes

qui ont subi des viols dans la région. Elles y trouvent soins médicaux, psycho-sociaux,

réinsertion, et même un suivi juridique… À sa tête, à la fois fondateur de l’hôpital,

gynécologue lui-même et éternel pourfendeur des violences faites aux femmes : le docteur

Denis Mukwege dont l’action vient d’être récompensée par le Prix Roi Baudouin.

Une lueurau milieu de l’horreur

Je soigne

la bêtise

humaine.

ONLINEHôpital de Panzi :

www.panzihospital.org

D’après une enquête de l’ American Journal of Public Health, le nombre de viols au Congo serait monté à 1.152 femmes par jour, environ 48 par heure, soit 26 fois plus que le chiffre que les nations unies avançaient auparavant.

1 On assiste aujourd’hui aux premiers procès et condamnations des militaires coupables de viols, voir Dimension 3 n°2/2011.

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dimension 3 I JUIN-JUILLET-AOÛT 2011 15

GENRE

Depuis 1978, le Prix Roi Baudouin, d’un montant de 150.000 euros, est décerné à des pionniers du progrès social dans

le monde en développement. Au-delà de la récompense fi nancière, le prix offre visibilité et publicité aux gagnants. Parmi

les prestigieux lauréats de ces dernières années on compte Ousmane Sy, Paulo Freire et Mohamed Yunus.

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Tiraillements entre développement économique et subsistance durable

MÉKONG

Le Mékong – le dixième plus long fl euve au monde – est vital pour des millions de gens. Mais les barrages viennent mettre en péril et l’homme et l’environnement. Via la Commission du Mékong, la Belgique tente d’infl échir le cours des choses en contribuant à la mise en place d’un développement durable au sens le plus large du terme.

La Mekong River Commission (MRC) est un organe de concertation entre le

Cambodge, le Laos, la Thaïlande et le Vietnam. Ces quatre pays poursuivent

conjointement l’objectif de développement durable du fl euve Mékong,

qualifi é de ‘common treasure’. La Commission organise une concertation

annuelle avec les pays du bassin supérieur : le Myanmar et la Chine. La

coopération avec la Chine, où le Mékong a ses sources, est devenue une

priorité.

La Commission est active dans plusieurs domaines tels que l’irrigation et

la gestion de la sécheresse, la navigation, l’hydroélectricité, la gestion des

inondations, la pêche, l’environnement et le tourisme. La Belgique apporte

son soutien à 2 domaines : la navigation (8 millions d’euros pour la période

2005-2012) et l’hydroélectricité durable (3 millions d’euros pour la période

2010-2012).

ONLINEwww.mrcmekong.org

LE FLEUVE MÉKONG• Longueur : 4.909 km (dixième plus long fl euve au monde)

• Débit : 16.000 m³ par seconde (en moyenne), 80.000 m³ par seconde (au maximum)

LA COMMISSION DU MÉKONG

LE BASSIN DU MÉKONG• 795.000 km²

• Bassin supérieur (Chine, Myanmar) et bassin inférieur (Thaïlande, Laos, Cambodge, Vietnam).

• 60 millions de personnes vivent dans le bassin inférieur.

• Riche en minerais et en biodiversité.

• Principales sources de revenus: commerce, pêche, transports, tourisme, agriculture (riz, crevettes, légumes, fruits).

LE

BARRAGES EN CHINESeule la Chine possède des

barrages sur le Mékong

proprement dit. Ils sont

pour l’instant au nombre de

trois, mais la construction

de douze barrages supplé-

mentaires est envisagée.

Manwan a été construit en

premier (1.750 Mégawatts ;

1 million  m³). Xiaowan est

gigantesque : 15 milliards de m³ et 4.200 Mw quand tous les générateurs

seront installés. Les barrages de retenue ne consomment pas d’eau (à la

différence des barrages d’irrigation) mais ils perturbent le fl ux normal de

l’eau en le retenant temporairement. Les effets sont fl agrants en aval : niveau

plus bas pour la navigation, pêche moins productive, espèces de poissons

menacées d’extinction…

LE LAC TONLÉ SAPLe lac Tonlé Sap, système hydrologique

combinant lac et rivière, est unique au

monde. Pendant la saison sèche, les

eaux refl uent du lac vers le Mékong,

pendant la saison humide, des masses

d’eau du Mékong alimentent le lac. Le

lac, très poissonneux, est d’une impor-

tance vitale pour la moitié des Cambodgiens et pour l’ensemble du bassin

inférieur du Mékong.

XAYABURIEn ce qui concerne la construction d’un méga-barrage à Xayaburi au Laos

(225 millions m³, 1260 Mw, 3,5 milliards USD), c’est la Thaïlande qui est le

premier demandeur. Ce pays a en effet besoin d’énergie (renouvelable). Pour

le Laos, qui exporterait la quasi-totalité de l’électricité vers la Thaïlande, le

barrage constituerait une source de revenus bienvenue.

Les ONG et les pays situés en aval (Cambodge et Vietnam) émettent quant

à eux des réserves. Les modifi cations en termes de débit (et de profondeur)

seraient nocives pour la population piscicole. La zone marécageuse dans le

sud du Laos pourrait s’assécher. Une étude – cofi nancée par la Belgique –

propose de reporter la construction de dix ans afi n de permettre la réalisation

d’études d’impact plus approfondies. Les ministres des pays membres de la

MRC ont ajourné leur décision au mois d’octobre 2011.

NAVIGATION ENTRE PHNOM PENHET L’EMBOUCHURELa Belgique a mis des fonds et de l’expertise à la disposition

des projets suivants :

• Un accord consacrant la liberté de la navigation – éga-

lement pour les bateaux étrangers – entre le Cambodge et le

Vietnam (basé sur l’Accord international sur l’Escaut existant

entre la Belgique et les Pays-Bas).

• Le développement d’un chenal fi able. Le trajet offrant la

plus grande profondeur et le plus sûr a été délimité par des

balises, reliées à un satellite via des pylônes. Les bateaux qui

naviguent sur le Mékong peuvent ainsi se laisser guider par

une sorte de système GPS, et éviter les obstacles.

• Un plan de navigation pour le Cambodge dont l’exécution

est prise en charge par la Banque mondiale.

16 JUIN-JUILLET-AOÛT 2011 I dimension 3

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VIET NAM

LAO PDR

CAMBODDIIABOOOOO

THAILAND

CHINA

Hanoi

Huay Xay

Luang Prabang

Xayabury

Nongh Khai

Pakxanh

Nakhon Phanom

Mukdahan Savannakhet

Thakhek

Vientiane

Bangkok

Pakxe

Muang Khong

Stung TrengSiem Reap

Kampong Chhnang

Kratie

Kampong Cham

Long Xuyen

Can Tho

My Tho

Phnom Penh

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CHINC

FICHE THÉMATIQUE

LLLLLLLLLLLEEEEEEEEEEE MMMMMMMMMMMÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉKKKKKKKKKKKOOOOOOOOOOOONNNNNNNNNNNGGGGGGGGGGGG

NAVIGATION AU LAOS

Au Laos, le niveau du Mékong est bas durant la saison sèche,

ce qui pose des problèmes à la navigation intérieure. Dans la

plupart des régions, le Mékong est la seule voie de transport

(des marchandises vers les marchés, des enfants vers l’école).

Le programme de navigation a prévu l’installation de balises

permanentes afi n de faciliter la navigation.

LE DELTA DU MÉKONG

Dans le delta du Mékong, le Mékong se divise en plusieurs bras.

Cette province vietnamienne densément peuplée produit la moi-

tié du riz du Vietnam, et se consacre à l’élevage de poissons et

de crevettes.

PAK MUN

Pak Mun est l’un des barrages de retenue dans le bassin

inférieur du Mékong, sur l’un de ses affl uents en Thaïlande

(136 Mw). Le potentiel total du bassin inférieur est de l’ordre

de 30.000 Mw. Les barrages de retenue ont un impact social

et environnemental majeur.

MARÉCAGES

Dans le sud du Laos, le Mékong

se transforme en une vaste zone

marécageuse. Cette zone, telle

une éponge, joue un rôle-clé

pour l’économie hydraulique en

aval. Il est impossible de naviguer du Laos vers le Cambodge

en raison des chutes d’eau.

Bangkangkok

dimension 3 I JUIN-JUILLET-AOÛT 2011 17

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RUBRIQUE

18 JUIN-JUILLET-AOÛT 2011 I dimension 3

L es régions en développement sont peu attractives pour les investisseurs qui y voient trop de risques, pas assez d’infras-

tructures ni de personnel formé. Les multi-nationales qui s’y risquent se préoccupent peu des retombées socio-économiques, et les entreprises locales manquent de fi nan-cements pour développer leurs activités et jouer pleinement leur rôle de moteur économique et social. Afi n de pallier l’ab-sence de capitaux ou de crédits à long terme sur ces marchés, la Coopération belge a créé BIO, la Société belge d’inves-tissement pour les pays en développement. Échanges avec Dimitri Van Raemdonck, senior investment offi cer chez BIO.

Pourquoi la coopération belge a-t-elle créé un outil purement

économique éloigné des préoccupations classiques de la coopération au développement ?

La création de BIO, sous le secrétaire d’État Eddy Boutmans, correspondait à un chan-gement de paradigme. Pour qu’un pays se développe, il fallait créer des richesses. Or cette richesse pouvait provenir du sec-teur privé qui manquait de fi nancements dans les pays en développement. Étant donné le risque important à investir dans le Sud, les banques pratiquaient des taux d’intérêts très élevés sur des durées très courtes, des conditions peu adaptées aux petites sociétés. BIO reste accessible et offre des solutions adaptées aux besoins des PME. Plusieurs pays européens avaient déjà lancé ce type d’initiatives qui avaient démontré leur utilité. BIO a commencé par financer des institutions intermédiaires telles que des institutions de microfi nance ou des banques orientées PME, profi tant ainsi de leur expérience sur le terrain. Depuis 2004, elle peut investir directement dans des PME, qui par essence génèrent

Comme d’autres “tigres asiatiques”, le Vietnam a connu une

substantielle réduction de la pauvreté ces 15 dernières années

grâce à une croissance économique soutenue (7 % par an). De

quoi interroger BIO, la Société belge d’investissement pour les

pays en développement sur le rôle du secteur privé et de ses

défi s en Asie et dans les pays en développement.

Grand-Place Vietnam, la société de fabrication de chocolat, intègre

la production locale de fèves de cacao dans son circuit.

DU SECTEUR

Pour chaque projet, BIO demande aux attachés de la coopération de formuler un avis sur l’impact du projet.

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RUBRIQUE

ONLINEwww.bio-invest.be

dimension 3 I JUIN-JUILLET-AOÛT 2011 19

un impact direct sur la communauté locale, la région et par extension le pays où elles opèrent. On peut dire sans hésitation que le soutien au secteur privé est une forme de coopération nécessaire et complémen-taire à l’aide bilatérale.

Quels sont les critères de choix des investissements ?

Les projets et sociétés bénéficiaires doivent être économiquement pérennes et générer un impact sur le développe-ment (création d’emplois, formations, bonnes conditions de travail). Nous ana-lysons également les projets par rapport aux critères dictés par la loi belge sur la coopération (genre, environnement, gou-vernance, etc.). En cela nous nous dis-tinguons des banques traditionnelles qui tiennent compte uniquement des aspects liés à la rentabilité de l’entreprise. Les fi nancements de BIO vont toujours à une entreprise locale. L’essentiel réside dans la capacité du projet à contribuer au ren-forcement du tissu économique, à la créa-tion d’emplois décents, au développe-ment de savoir-faire et de compétences, et à l’amélioration des conditions de vie de la population. Pour chaque projet, BIO demande aux attachés de la coopération (de l’Ambassade de Belgique dans le pays d’accueil) de formuler un avis sur l’impact du projet. Leur expérience sur le terrain est précieuse pour vérifi er les informations dont nous disposons et nous assurer que le projet est valable. Le choix

Séchage des fèves de cacao.

naîtra le développement économique et social ?

PRIVÉ

ASIE

BIO a investi 650.000 euros dans Grand-Place Vietnam (GPV), le seul fabricant de chocolat au

Vietnam. Grand-Place Vietnam est né de la passion d’un homme d’affaire belge pour le choco-

lat. Il a donc créé la première société de chocolat de qualité belge au Vietnam dont la produc-

tion est destinée à une consommation locale avant tout. Il existait déjà dans le pays une fi lière

cacao qui avait été abandonnée. La société a généré la création de nombreux emplois décents

et donné lieu au transfert de savoir-faire européen aux cadres vietnamiens. L’entreprise pro-

duit 3.000 tonnes de chocolat par an et s’est bien développée sur le marché Vietnamien. Elle

répond maintenant à une demande d’exportation vers les Etats-Unis, la Chine, l’Inde, ce qui

permettra de générer des devises fortes pour le pays. Et depuis 2011, GPV intègre la culture

locale du cacao dans sa production, substituant à l’importation de cacao la rémunération des

petits cultivateurs locaux. EP

Grand-Place Vietnam, fabricant de chocolat

des projets est par ailleurs guidé par des priorités géographiques et sectorielles alignées sur celles de la coopération, comme par exemple l’agriculture en RD Congo.

BIO investit en Asie du Sud-est :quelle est la particularité du marché asiatique par

rapport à l’Afrique ?Nous avons des investissements en Inde, au Cambodge, au Vietnam et en Indonésie. L’Asie bénéfi cie d’une dynamique régio-nale importante lancée par des “locomo-tives” comme l’Inde et la Chine. Grâce à

cela, l’offre bancaire est plus développée, le marché est mieux structuré, et la demande plus importante. Certains pays moins déve-loppés où nous sommes présents comme le Cambodge ou le Vietnam sont stimulés par ce dynamisme, mais il reste beaucoup à faire notamment en termes d’accès aux capitaux à long terme pour les entreprises privées.L’Afrique connaît aussi des taux de crois-sance impressionnants, mais elle n’a pas encore atteint le même stade de dévelop-pement économique que l’Asie. C’est pour-quoi, ce continent, et en particulier l’Afrique centrale, constitue une des grandes priori-tés pour BIO.Le gouvernement belge a libéré fi n 2010 des fonds pour un montant de 9 millions d’euros et a alloué des fonds supplémen-taires pour un montant de 105 millions d’euros à BIO. Combiné aux fi nancements antérieurs, le total des fonds, hors capital, mis à disposition de l’entreprise pour des investissements (subventions exclues) s’élève à 460 millions d’euros début 2011.

ELISE PIRSOUL

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AGRICULTURE INDUSTRIELLE, BIOLOGIQUE, ÉQUITABLE D’ICI ET D’AILLEURS :

la production

en questionSelon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, sur l’ensemble de

la planète, un tiers de toute la nourriture produite est jetée. Dans les pays en développement,

essentiellement du fait de la mauvaise infrastructure routière et des mauvaises récoltes, et

dans le monde occidental, souvent, sous forme de surplus parce que nous ne parvenons

pas à la consommer. Le respect de la nourriture, de sa production équitable ou durable est-

il un choix délibéré pour le consommateur occidental. Pourra-t-il aider plus de 900 millions

d’affamés dans le Sud ? Dimension3 s’est rendue sur le terrain.

“Le consommateur est aussi acteur”Catherine est membre d’un G.A.C. (groupe d’achat commun). Elle explique pourquoi elle a fait cette démarche de consommation alternative qui consiste à se regrouper pour acheter des produits de consommation courante directement auprès d’un producteur bio local.

Tout est parti d’une réfl exion sur la consommation. J’ai grandi

dans une famille qui avait un potager, qui se fournissait en lait et

en fromage à la ferme du coin. Ça allait de soi. Lorsque je suis

venue étudier à Bruxelles, j’en ai vite eu assez de manger des fruits sans

goût et de perdre le lien avec le producteur. Au marché, j’ai fait connaissance

avec des producteurs bio et je suis allée dans leur ferme. Dès lors, j’ai pris

le parti d’acheter bio, pour le gout, le local, et la découverte aussi. Cela m’a

permis de découvrir des légumes oubliés comme le topinambour, le panais

et des fromages belges dont j’ignorais l’existence. Mais la question du coût

du bio persistait. C’est ainsi que j’ai participé à la création d’un GAC à

Bruxelles. J’aime beaucoup cette formule : en plus de l’expérience collective,

on peut faire commande de ce que l’on veut, et on connaît le producteur.

Joël, notre producteur, tient une ferme dans le Brabant wallon et il aime son

métier. Une véritable relation de confi ance qui sort de la logique commer-

ciale classique s’est créée entre le groupe et lui. En plus en achetant chez

Joël, le GAC s’assure que lui et ses salariés aient un salaire honnête et de

bonnes conditions de travail parce que l’agriculture biologique c’est aussi

ça pour moi : se soucier des autres et de comment ils travaillent. Je reste

convaincue que le consommateur est aussi acteur. Il peut poser des actes

pour améliorer le monde. Tout petit soit-il, il a le pouvoir de réfl échir où il

achète, à qui, quoi et comment.

EP

“De bons paysans ou de mauvais paysans :

cela n’existe pas”Pour Piet Van Themsche, président du Boerenbond et d’Agricord, les deux systèmes agricoles - la fi lière courte et le système traditionnel - doivent coexister. L’option est prise par le paysan lui-même, sur la base de la logique économique.

Le secteur du marché qui demande des méthodes de production

durables, bio, fi lière courte ou autre, connaît une croissance en

Europe ; la proximité entre producteur et consommateur étant l’axe

central. L’agriculture doit pouvoir agir sur cette opportunité, mais cela reste

une niche qui représente actuellement au maximum 5 % de la production ali-

mentaire. D’autre part, on assiste à une évolution de la conservation durable

dans l’agriculture traditionnelle de base. Faire plus avec moins. Cela signifi e

accroître l’effi cacité avec moins d’intrants, notamment grâce à la génétique

et aux techniques de culture. Ces 15 dernières années, on observe ainsi des

évolutions très favorables dans l’utilisation des pesticides, l’acidifi cation ou

l’émission de particules fi nes. A l’avenir, on imposera toujours plus de limites

à l’agriculture traditionnelle, sur la base de la “demande sociale” de biodi-

versité, qualité de l’eau, climat. Ces frais qui ne peuvent pas être compensés

dans le prix de marché, seront supportés par la société. Pour sa part, la fi lière

courte impute ces frais supplémentaires directement au consommateur. En

ce qui concerne la durabilité de l’agriculture, l’aspect économique restera

toujours le moteur du paysan. La question de savoir s’il peut gagner son pain

déterminera toujours son choix pour telle ou telle méthode.

Toujours d’un point de vue économique, l’agriculture en fi lière courte qui a la

même valeur que l’agriculture très spécialisée, ne peut être qu’un élément

de la question. Il faut éviter de se laisser enfermer dans le récit nostalgique

du paysan vivant en autosuffi sance. À côté de cela, l’agriculture tradition-

nelle très spécialisée et très productive doit en effet continuer à jouer son

rôle. Les tendances mondiales telles que l’extension des mégalopoles, le

développement climatique et l’évolution vers les énergies renouvelables

rendent cette question nécessaire. Il faut toutefois poursuivre les efforts

au niveau mondial, comme actuellement au sein du G20, afi n de mettre un

frein à la récente volatilité des prix alimentaires. En effet, la question reste

de savoir si l’on peut traiter l’alimentation comme un droit fondamental ou

comme une marchandise ordinaire. RVV

et, la question reste

droit fondamental ou

RVVV

20 JUIN-JUILLET-AOÛT 2011 I dimension 3

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AGRICULTURE

“Nourrir la planète avec l’agriculture biologique ?

Ce n’est pas pour demain”Shenggen Fan, directeur général de l’International Food Policy Research Institute,explique sa vision du rôle de l’agriculture biologique dans la production alimentaire.

Il faut promouvoir l’agriculture biologique en Europe et aux Etats-

Unis. Les gens là-bas peuvent se permettre de la nourriture bio-

logique. Aux Etats-Unis, il y a des personnes qui sont prêtes à

payer trois fois plus pour de la nourriture biologique que pour de la nourriture

non-biologique. Mais j’agirais avec prudence dans les pays en développe-

ment parce que les rendements sont trop faibles pour l’instant. Nous devons

en effet produire suffi samment de nourriture pour tout le monde et veiller à

ce que les petits paysans en tirent un bénéfi ce. Parce que s’ils produisent

de la nourriture biologique, personne ne voudra l’acheter. Les agriculteurs

biologiques d’Asie et d’Afrique doivent donc pouvoir accéder aux marchés

en Europe et aux Etats-Unis où les gens peuvent payer des prix plus élevés.

On dit parfois que l’approche écologique est moins chère pour le petit pay-

san. Mais ceci n’est qu’une partie de la vérité. Les agriculteurs biologiques

ne doivent en effet pas acheter d’engrais et d’autres intrants. Il ne faut

toutefois pas oublier que le rendement est moindre, ce qui fait que le coût à

l’unité de production peut être plus élevé. En outre, l’agriculture biologique

réclame plus de travail, en d’autres termes les coûts du travail sont plus

élevés. Tout doit être pris en compte.

L’agriculture biologique est intéressante mais uniquement si les petits agricul-

teurs peuvent en bénéfi cier et s’il y a globalement suffi samment de nourriture.

Sa réalisation ne peut se faire en un tour de main. Une transition vers une

agriculture écologique respectueuse de l’environnement est nécessaire. CS

www.ifpri.org

“L'agro-écologie pour nourrir le monde”Guy Mergeai est professeur d’agronomie tropicale à Gembloux Agro-Bio Tech(Faculté des sciences agronomiques, Ulg)

Il y a un intérêt croissant pour les techniques agro-écologiques

car on se rend compte qu’avec l’épuisement de l’énergie fossile,

on ne peut continuer à pratiquer l’agriculture intensive telle que

nous la connaissons. Mais cette prise de conscience est plus importante

dans l’hémisphère Nord. J’enseigne à des boursiers africains qui arrivent en

général avec une formation classique et n’ont pas d’engouement particulier

pour le bio. Mais les producteurs du Sud n’ont pas vraiment le choix, ils

n’ont pas les moyens d’acheter les grosses machines et des intrants. Je leur

apprends à tirer parti des processus naturels. Ils ont aussi dans leurs tech-

niques ancestrales beaucoup de choses valables, dont certaines pourraient

être utilisées dans le Nord.

J’enseigne surtout l’agro-écologie, un système agricole selon lequel on

essaie de respecter au maximum l’ordre naturel et de minimiser l’utilisation

des intrants. Le “bio” fait partie de l’une de ses pratiques, sans être une

règle stricte. Je suis pragmatique et je pense que pour nourrir la planète, on

ne peut pas passer directement au bio. N’oublions pas que les révolutions

arabes sont liées au prix des aliments. Dans ces pays arides, il est utopique

de penser qu’ils pourront produire de quoi se nourrir eux-mêmes. D’autre

part, une “révolution verte” basée sur l’intensifi cation de la production grâce

à des intrants et à la mécanisation est impossible dans la plupart des pays

en développement, compte tenu du coût, du manque d’énergie et de la dif-

fi culté d’exploiter de grandes superfi cies avec les moyens des agriculteurs.

Et puis, il y a la menace de spoliation des terres. Pour éradiquer la faim dans

le monde, l’agro-écologie est une solution, comme le soulignait Olivier De

Schutter (Rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation). Pour moi,

c’est le futur de l’agriculture. EP

dimension 3 I JUIN-JUILLET-AOÛT 2011 21

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AGRICULTURE

“Rendre à l’Inde ce qu’elle nous a appris”Johan D’hulster, producteur de légumes bio à Schriek, nous parle de ses expériences en Inde.

En 1998, l’Indian National Trust for

Art and Cultural Heritage (INTACH) a

décidé de redonner vie à Khajurâho, la

ville aux temples en ruines. Le programme pré-

voit également la reconstitution d’anciens pota-

gers et vergers. C’est ainsi que j’ai été associé

au projet en qualité de producteur de légumes

bio. Depuis 2005, je pars chaque année pendant

quelques semaines à Khajurâho pour y commu-

niquer mon expérience. J’y suis tout simplement

un paysan parmi les paysans. Depuis lors, une

pépinière a été créée et j’ai appris aux paysans locaux à faire du compost.

J’ai aussi écrit un petit livre sur l’agriculture de conservation, livre qui semble

avoir beaucoup de succès en Inde. C’est quand même étonnant parce qu’il y

a un siècle, c’est le britannique Albert Howard qui a importé la technique du

compostage d’Inde en Europe. L’Inde possède en effet une tradition agricole

incroyablement riche et ancienne (10.000 ans !), avec un énorme respect

pour tous les êtres vivants, le sol et l’eau. Une

règle d’or stipule qu’une agriculture durable

avec des cycles équilibrés n’est possible que

si un tiers du pays est planté d’arbres. Mais

beaucoup de ces connaissances ont été per-

dues. Le colonisateur britannique a introduit

l’idée de l’“exploitation de la nature”. Les abat-

tages d’arbres ont été réalisés massivement

pour l’exportation de bois durs. La “Révolution

Verte” a signifi é l’apparition des monocultures,

des pesticides, des engrais et des super-varié-

tés. Aujourd’hui, nous voyons partout des sols malades, la pollution, une

sécheresse extrême, une perte de biodiversité et une vague de suicides

parmi les paysans et les paysannes. Je suis convaincu que nous devons sau-

ver le petit paysan parce qu’il devra, lui, sauver le monde avec une agriculture

qui s’inscrit le plus harmonieusement possible dans l’ensemble. Je suis très

heureux de pouvoir y participer. CS

www.intach.be

“Le bio, c’est sain pour la terre, la santé, le producteur

et c’est créateur d’emplois”Joël Lambert est producteur de légumes et céréales en agriculture biologique.Il tient la ferme Sainte Barbe dans le Brabant Wallon.

En ‘99, j’ai abandonné l’agriculture

“classique” pour le bio, car mon

exploitation était trop humble pour être

rentable. Je souhaitais aussi travailler autrement

qu’avec des produits phyto couteux, et dangereux

à manipuler pour le fermier, la terre, les consom-

mateurs. L’agriculture me semblait insensée : il

fallait booster la plante puis réguler sa croissance.

En cultivant bio, on vit avec la terre. Mais il est

clairement plus facile de désherber avec un pro-

duit en 1 heures qu’à la main en 5 jours. Le bio

demande un effort, c’est comme abandonner la

voiture pour le vélo. Et en choisissant un circuit de vente “court”, via la vente

directe dans mon magasin, la distribution à de petits commerces, les paniers bio

et les groupes d’achat commun, j’ai un contact direct avec les consommateurs.

L’agriculture classique ne peut être qu’industrielle et intense. Un élevage de

400-500 poulets n’est plus rentable, il en faut 5.000 de nos jours. Avant toutes

les fermes avaient du beurre, de la viande, maintenant, avec la monoculture, ils

ne peuvent plus manger leur propre production. Moi, j’ai une certaine autonomie,

je produis ma viande, mes légumes, mon fro-

mage. La situation ressemble à celle des petits

paysans du Sud : plus moyen d’ouvrir une

petite exploitation familiale car les gros fer-

miers ont pris toutes les terres. Et les primes à

l’hectare de la PAC1 les avantageaient. Dans

le village, on comptait avant 15 à 20 fermes,

il n’en reste que 4. Les terres ont rejoint des

exploitations toujours plus importantes qui font

vivre des multinationales.

Pour moi, le bio, c’est une agriculture d’avenir.

Le fermier reçoit le juste prix de son travail, est

maître de son produit, en contact avec le consommateur. C’est plus sain pour

la planète, la santé et, en plus, c’est créateur d’emplois. Ici, pour 20 hectares,

nous travaillons à 2, plus 3 saisonniers, sans compter le magasin, le chauffeur

plusieurs fois par semaine… Vous vous rendez compte si on faisait cela pour

toutes les exploitations ? EP

1 Politique Agricole Commune

la production

en question

DOSSIER RÉALISÉ PAR : REINOUT VAN VAERENBERGH,

CHRIS SIMOENS ET ELISE PIRSOUL

22 JUIN-JUILLET-AOÛT 2011 I dimension 3

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AGRICULTURE

Septante pour cent de la population congolaise vivent de l’agricul-ture ; aucun secteur ne contribue davantage au produit intérieur

brut. Pourtant, le métier de paysan n’est pas considéré comme une profession à part entière au Congo. “L’absence de politique agricole cohérente coûte énor-mément d’argent au pays parce qu’il faut chaque année importer 640.000 tonnes de l’étranger afi n de nourrir la population locale”, explique Lode Delbare.La nouvelle loi rela-tive à l’agriculture qui a parcouru la procé-dure parlementaire, doit aider à renverser la situation. À côté d’un cadastre et d’un fonds de soutien, la loi prévoit des conseils consultatifs agricoles. Par ailleurs, les dif-férents niveaux de pouvoir sont tenus de prévoir un bud-get pour la construc-tion et l’entretien des infrastructures de transport. Ceci est d’une impor tance vitale pour le com-merce des produits agricoles. D’autre part, les moyens de production agricoles sont exonérés de droits à l’importation et les restitutions à l’exportation pour les produits agricoles sont supprimées.La loi-cadre a été précédée de plusieurs années de discussions. Initialement, les décideurs congolais étaient convaincus que tout le salut allait venir de plantations à grande échelle et non des millions de

petits paysans. “La loi reconnaît heureu-sement que l’agriculture familiale consti-tue la véritable pierre angulaire de l’éco-nomie congolais”, ajoute Delbare. “C’est le mérite de quelques jeunes organisa-tions agricoles telles que Repam qui sont venues faire du lobbying à Kinshasa.”“La loi n’a vu le jour que parce que les pay-sans se sont organisés au niveau politique et ont maintenu la pression”, confi rme Jan Aertsen, spécialiste du Congo chez Vre-deseilanden. Pour la première fois dans

l’histoire du Congo, un groupe de lob-byistes des organi-sations paysannes s’est installé à Kins-hasa pour suivre l’ensemble du pro-cessus. Agricongo, une plateforme d ’organ isa t ions paysannes congo-laises, a bénéfi cié du soutien de six ONG belges (Trias,

V r e d e s e i l a n d e n , SOS Faim, Solsoc, Oxfam Solidarité et Diobass).Grâce à l’aide de donateurs amis, AgriCongo a ras-semblé des moyens

pour un lobby de paysans à Kinshasa. “L’enjeu consiste maintenant à permettre à cette représentation permanente des organisations paysannes de fonctionner de manière structurelle. Ainsi, les orga-nisations paysannes disposent d’un levier permanent dans la capitale pour amé-liorer le sort des familles d’agriculteur”, conclut Aertsen.

Le parlement congolais a approuvé mardi à Kinshasa la toute

première loi-cadre pour le secteur de l’agriculture. “Fait

remarquable, les organisations paysannes ont participé acti-

vement au débat politique qui a précédé le vote”, déclare

Lode Delbare, directeur de Trias. Six ONG belges ont sou-

tenu les organisations paysannes congolaises.

Source : VILT. be

L’agriculture est l’un des trois secteurs de

la coopération belge en RD Congo, aux

côtés du développement des ‘routes, pistes

rurales et voies navigables’ et de l’ensei-

gnement. L’objectif poursuivi est de faire

évoluer l’agriculture, remplacer l’agriculture

familiale de survie par une agriculture dont

les produits sont commercialisés. Une évo-

lution essentielle pour assurer la sécurité ali-

mentaire, à coup sûr dans les villes. Toutes

les étapes de la chaîne sont développées à

cette fi n: non seulement celle de la culture,

mais aussi celles de la transformation et

de la commercialisation. D’autres accents

essentiels sont mis sur une approche res-

pectueuse de l’environnement et sur les

droits des femmes. Le budget total pour

l’agriculture (2010-2013) s’élève à 63,5

millions d’euros. Mais l’agriculture bénéfi -

cie également de retombées positives du

secteur ‘routes, pistes rurales et voies navi-

gables’ (89 millions d’euros). Sans routes, les

paysans ne peuvent amener leurs récoltes

sur les marchés. Si le Congo progresse dans

le domaine de la bonne gouvernance, ces

deux budgets pourront être relevés en 2012

à resp. 88,5 millions et 104 millions d’euros.

CS

Le parlement congolaisvote la première loi-cadre

pour l’agricultureLA BELGIQUE

SOUTIENT L’AGRICULTURE

AU CONGO

La loi n’a vu le jourque parce que les paysans se sont organisés au niveau politique et ont maintenu la pression.

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Accaparement des terres(de l’anglais Land grabbing).

Phénomène développé par des pays ou sociétés prospères qui achètent ou louent de vastes étendues de terre dans des pays en développement pour y cultiver de la nourriture ou des biocarburants destinés à l’exportation.

QUI ET POURQUOI ?1. Pénurie alimentaire

La hausse des prix des denrées alimen-taires de 2008 a rendu les pays souffrant de pénurie alimentaire davantage conscients de leur problème. Principalement, les pays pétroliers riches mais arides du Moyen-Orient (Arabie saoudite, Qatar, Bahrein…) cherchent à cultiver leur nourriture ailleurs. Les pays surpeuplés comme la Chine, la Corée du sud et l’Inde sont eux aussi en quête de terres agricoles.

2. BiocarburantsL’Union europénne souhaite une propor-tion d’énergie renouvelable de 10 % d’ici 2020. Les sociétés européennes ne trou-vant pas suffi samment de terrains au sein de l’UE pour produire des biocarburants se tournent vers l’étranger. Le Commis-saire européen au commerce, Karel De Gucht, dément.

3. InvestissementL’accroissement de la population et de la consommation de viande entraîne une hausse de la demande de terrains culti-vables et ipso facto une montée des prix. D’où l’intérêt manifesté par les fonds de pension et les fonds de levier européens et américains.

OÙ ?L’Afrique est le continent le plus touché : Madagascar, Éthiopie, Mali, Soudan, Mozambique… Des pays où abondent espaces cultivables et main d’œuvre très bon marché, sous un climat favorable. Hors Afrique, ce genre de transactions foncières (Land deals) a également cours : Argentine, Cambodge, Philippines, Pakis-tan, Ukraine… Pour la plupart, des pays avec des régimes politiques faibles.

AVANTAGESLes investissements étrangers favorisent la création d’emplois, l’accès à la tech-nologie et aux marchés, la construction

d’infrastructures, les rentrées fiscales, entre autres bénéfi ces. Voilà pourquoi les gouvernements mordent à l’hameçon. La Banque mondiale elle-même reconnaît cependant que, dans la pratique, ces avan-tages sont souvent limités voire inexistants. Une agriculture hautement mécanisée crée par exemple peu d’emploi, et les investisseurs ne sont pas intéressés à la production.

RISQUES1. Insécurité alimentaire

Ces pays “dépouillés”, dont la population ne cesse de croître, sont dépossédés d’es-paces pour leur usage propre. Des paysans indépendants sont recrutés pour travailler dans les plantations en tant qu’ouvriers agricoles sans terre. Impossible désormais pour eux de produire de la nourriture.

2. Confl itsLes populations locales pourraient se révolter. À Madagascar, le Président Rava-lomanana a dû démissionner en 2008 en raison de l’ampleur des protestations. Il avait cédé en leasing environ 1,3 million d’hectares de terre pour une période de 99 ans à la société sud-coréenne Daewoo. Soit la moitié de la totalité de la surface cultivable de son pays. La transaction fon-cière a été annulée. La contestation gronde également en Éthiopie.

L’accaparement des terres sur la selletteChaque jour plus nombreux, des pays et des sociétés s’approprient de

manière illégale des terres agricoles dans les pays en développement. Sur la

seule année 2009, c’est l’équivalent de la superfi cie de la France qui a ainsi

changé de mains : 45 millions d’hectares. Gros plan sur le phénomène.

Les familles pauvres disposent de parcelles

souvent très petites.

Objectif :

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AGRICULTURE

3. Dégradationdes terres et pollution

Les acheteurs et les locataires introduisent surtout des monocultures avec un apport élevé de produits chimiques. À terme, cela détruit le sol, et fait disparaître les savoirs traditionnels.

SOLUTIONS1. Land deals

sous des conditions strictesLes acheteurs et les locataires doivent être transparents dans leurs négociations avec toutes les parties intéressées – dont les petits paysans –, dédommager la commu-nauté locale pour les expropriations, res-pecter l’environnement, etc.Un pays peut également imposer des règles. Au Brésil, par exemple, les étrangers n’ont plus le droit d’acheter ni de louer plus d’un quart des terres d’une même commune.

2. Revaloriserle métier d’agriculteur

Les petits paysans – et leurs enfants – auront moins tendance à céder leurs terres si leur métier devient plus attractif, soit par une réforme agraire, une approche éco-logique bon marché et l’amélioration du stockage et du traitement des récoltes.

3. Réforme agraireEn Afrique, nombreux sont les pays où les questions de propriété foncière, très complexes, sont encore réglées au sein de la famille ou du village. Souvent, le chef du village est le propriétaire et il gère les terres sans tenir compte des paysans. Parfois, c’est l’État qui possède les terres. Cette situation précaire démotive les pay-sans, et les rend réticents à investir dans la productivité. Les familles pauvres dis-posent de parcelles souvent très petites. À chaque génération, les terrains doivent être répartis entre tous les enfants.C’est pourquoi de nombreux pays se lancent, non sans peine, dans une réforme agraire. Celle-ci devrait idéalement pri-vilégier la redistribution des terres, de manière à ce que les paysans pauvres, les femmes et les populations indigènes y trouvent leur compte. Il faut également insister sur l’utilité de la rotation des cultures des terres collectives. Les pay-sans ou les bergers laissent en effet sou-vent brouter leur bétail sur les jachères, ou y récoltent des fruits, du bois de chauffe ou des plantes médicinales.

CHRIS SIMOENS

RAPPORTS ET INFORMATION SUR L’ACCAPAREMENT DES TERRES

www.grain.org

(‘Seized: the 2008 land grab for

food and fi nancial security’)

siteresources.worldbank.org

(‘Rising interest in farmland’)

www.ifad.org

(‘Land grab or development

opportunity?’)

www.ifpri.org

(‘Land grabbing by foreign investors

in developing countries’)

www.foeeurope.org

(‘Africa: up for grabs’)

www.oaklandinstute.org

(‘The great land grab’)

Farmlandgrab.org

(l’ONG GRAIN rassemble

toutes les informations sur

l’accaparement des terres)

www.srfood.org

(site web d’Olivier De Schutter,

Rapporteur spécial ONU pour

le Droit à l’alimentation)

Dans une résolution de mai 2011, le Sénat demande au gou-

vernement belge de soutenir les pays partenaires confrontés

au phénomène d’accaparement des terres. Le gouvernement

devrait pousser les pays partenaires vers une agriculture

familiale et durable. Selon la sénatrice Olga Zrihen, auteure

de la résolution, il est inconcevable de faire de la coopération

au développement en ignorant la question de l’accaparement

des terres arables. Sa proposition de solution est de présen-

ter, par l’intermédiaire des Nations Unies, un modèle d’accord

pour la location de terres dans les pays du Sud.

ADOPTION PAR LE SÉNAT BELGED’UNE RÉSOLUTION SUR L’ACCAPAREMENT DES TERRES

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pourra-t-il contenirl’accaparement des terres ?

Le Bénin

N otre guide Nestor Mahinou consigne pour le compte de l’ONG béninoise Synergie Paysanne tous les achats de

terres relativement importants. En che-min, nous faisons halte devant un hangar non clôturé, abritant quelques vieilles machines. “C’est une station d’entretien pour des machines importées de Chine”, dit Mahinou. “Sur les 600 ha dont ils se sont emparés, les Chinois cultivent surtout du maïs sucré, des fruits et des légumes pour les Chinois du Bénin et l’exportation.”À Za-Kpota, un jeune paysan souhaite nous confier son histoire. “Dans notre village, un Libyen a acheté 800 ha de terres pour construire une fabrique de jus d’ananas. Pour

convaincre le chef de la famille, il avait pro-mis de recruter des paysans pour travailler la terre. Mais jusqu’à présent, il n’a rien fait avec le terrain. Peut-être le Libyen veut-il le revendre ? Maintenant, le chef de la famille regrette d’avoir vendu. Certains paysans sont retournés illégalement sur leur lopin de terre.”Mais il est aussi question de très grandes transactions. Ainsi, le gouvernement du Bénin a promis 300.000 ha à la Malaisie pour une plantation de palmiers à huile et 200.000 ha à la société italienne Green Waves pour une plantation de jatropha. On ne trouve pas une superfi cie de cette taille d’un seul tenant. Il faut la constituer petit à petit. Pour l’instant, Green Waves ne dis-pose que de 150 ha à Ouessè.

Il est remarquable que la plupart des ache-teurs de terrains sont des fonctionnaires, des militaires ou des élus béninois. Ils achètent des terrains, mais n’en font rien. Peut-être parce qu’ils ont sous-estimé le travail ? Ou est-ce de la spéculation ? Dans l’arrondissement d’Allahe, qui fait partie de Za-Kpota, un ancien général a acheté 65 ha. “Il a dupé les gens”, déclare le chef d’arrondissement, Lion Agbogbe, dans son petit bureau dépourvu d’ordinateur. “S’ils retournent vers le terrain maintenant en friche, ils en sont chassés manu militari. Je ne peux pas interdire la vente de terres, mais j’essaie de sensibiliser les gens. Quand j’entends parler d’ acquisition de terres, je m’y oppose immédiatement.”

Besoins de formationLes administrations communales font appel à Synergie Paysanne pour recen-ser les opérations douteuses. Toutes les acquisitions foncières doivent pourtant être enregistrées auprès de la commune. “Tout est nouveau. La vente de terrains est encore informelle. Nous devons mieux organiser la réforme de la propriété fon-cière.”, déclare le secrétaire général du maire de Za-Kpota.“Selon la réglementation actuelle, toute acquisition de plus de 2 ha doit être accom-pagnée d’un projet qui vient en aide à la communauté”, ajoute Mahinou. “Mais les élus d’une commune ne connaissent pas encore la réglementation, nous leur don-nons une formation. Par ailleurs, nous trou-vons que la réglementation actuelle ne va pas assez loin. La propriété foncière devrait être limitée à 50 ha maximum et quiconque a besoin de plus de terres, devrait les louer.”

A grande échelleLes vastes étendues que lorgnent les étrangers sont destinées à une agricul-ture à grande échelle orientée vers l’ex-portation, à grand renfort d’engrais, de pesticides et de semences améliorées.

Une mer immense d’herbes hautes et de buissons

ondoyants avec par-ci par-là un arbre, à perte de vue. Au

Bénin, les terres en friche semblent abonder. À Za-Kpota,

nous découvrons plusieurs cas d’“accaparement de terres”.

Le Service National pour l'Alimentation vend du riz bon marché pour les plus pauvres.

Cependant, l'accaparement des terres, ajouté à la croissance démographique

et au changement climatique, peut miner la sécurité alimentaire.

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Le président béninois Boni Yayi veut recou-rir à ce type d’agriculture pour transfor-mer le Bénin en puissance agricole. “Le fait qu’il est prêt à offrir un million d’hectares, s’inscrit dans sa vision”, dit Mahinou. “En décembre 2010, il a assisté à un congrès avec les États du Golfe.”Mais les ONG n’ont que faire du modèle occidental d’agriculture orientée vers l’exportation. Elles veulent d’abord que le pays produise lui-même sa nourriture et que l’agriculture familiale à petite échelle ne soit pas démantelée par d’ énormes plantations fortement mécanisées qui pri-vent les petits paysans de leur terre et les condamnent au chômage. Toute forme d’in-vestissement étranger est-elle donc mau-vaise ? “Les effets négatifs sont plus nom-breux”, souligne Jeanne Zoundjihekpon. Elle est professeur à l’université et activiste pour l’ONG GRAIN. “La faim est fréquente. On a recours au Programme alimentaire mondial alors que certains cultivateurs de maïs ne trouvent pas de débouchés pour leur maïs ! En outre, la population augmente. Non, nous devons tout mettre en œuvre pour parvenir à la souveraineté alimentaire. L’ac-caparement des terres est une catastrophe !” Le directeur général de l’Offi ce National d’Appui à la Sécurité Alimentaire partage la même préoccupation. “D’accord pour les investissements, mais l’État doit prévoir un cadre rigoureux afi n que nos compatriotes n’en souffrent pas.”

Taxi-motoMalheureusement, les jeunes ne sont pas très chauds pour exercer le métier de paysan. “Une vie de petit paysan ne nourrit pas son homme”, confi e notre chauffeur. Comme beaucoup d’autres, il a laissé tomber. Les engrais, les pesticides et les semences sont chers. Sur le lopin de terre dont ils ont hérité, les jeunes paysans peuvent difficilement concurrencer les produits en provenance des pays voisins, et certainement pas ceux qui viennent de l’Ouest. Ainsi, les tomates sont importées à meilleur prix à partir du Nigeria riche en pétrole. De plus, il n’y a pas d’installations pour transformer les aliments. “Nous avons besoin d’une fabrique de jus d’orange !”, nous crient les paysans à Za-Kpota. “Alors,

il sera intéressant de passer à la production d’oranges, maintenant que le coton devient moins attrayant.” Beaucoup de jeunes pay-sans découragés sont une proie facile pour les acheteurs de biens fonciers. Avec l’argent reçu de la vente de leur terre, ils préfèrent acheter un taxi-moto. Ou alors, ils placent leur argent dans une institution de crédit où le rendement est supérieur à ce qu’on gagne en étant agriculteur.

Centre SonghaiLe père Godfrey Nzamujo a-t-il trouvé la clé du problème ? Son Centre Son-ghai cultive à peu près tout sans pro-duits chimiques (Dimension 3 - 2/2011). Il obtient de bonnes récoltes avec peu d’intrants et apprend aux jeunes paysans des méthodes simples pour transformer la nourriture. Mais son approche a également des allures d’exploitation à grande échelle, comme son élevage de poules en batterie pour les œufs. “Nous devons autant que possible être indépendants de l’étranger et travailler avec nos propres ressources”,

estime Nzamujo. Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Marie Ehouzou, est lui aussi enthousiaste. “Le Centre Songhai nous indique la route à suivre. Nos jeunes y apprennent à moderniser leur agriculture. La sécurité alimentaire est trop importante pour notre pays.”Le Bénin dispose d’atouts pour ne pas être victime de l’accaparement des terres : quelques fonctionnaires et politiciens vigi-lants et des ONG actives. Des ONG que le gouvernement respecte et qui peuvent infl uencer la politique. “Non, l’accapare-ment des terres au Bénin n’est pas encore aussi grave que dans d’autres pays afri-cains”, résume une Zoundjihekpon com-bative. “Mais nous voyons qu’il se passe beaucoup de choses. C’est pourquoi nous devons agir maintenant.”

CHRIS SIMOENS

Nous devons tout mettre en œuvre pour parvenir à la souveraineté alimentaire. L’accaparement des terres est une catastrophe !

AGRICULTURE

"Nous avons besoin d'une fabrique de jus de d'orange !" Sans possibilité d'un

traitement, le mode de vie paysanne est peu attractif pour la plupart.

ONLINEwww.synergiepaysanne.org

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28 JUIN-JUILLET-AOÛT 2011 I dimension 3

Au cours des 10 dernières années, des efforts considérables ont été consentis afi n d’améliorer la qualité de la coopération. L’en-

semble du secteur de la coopération s’est accordé sur ce point au siècle dernier : il fallait faire mieux.Les High Level Fora sur l’Effi cacité de l’Aide (Paris 2005, Accra 2008, Busan 2011) ont ouvert, à un niveau élevé, la voie vers une aide plus effi cace. L’un des chantiers enta-més est la transparence : pour une meilleure vue d’ensemble des fl ux fi nanciers et des résultats générés par ceux-ci. Concrète-ment, elle vise à donner accès, au Nord

comme au Sud, à des informations claires à propos des activités prévues et des pro-messes de dons ainsi que de leur degré de réalisation. Actuellement, les informa-tions relatives aux frais administratifs et de transaction, au coût de la coopération tech-nique, aux consultants internes, à l’accueil des réfugiés, etc. sont lacunaires. Il est dès lors diffi cile de déterminer la part de l’aide effectivement disponible sur le terrain.Mais il y a de l’espoir : de plus en plus de projets ont pour objectif de recenser les dépenses consacrées au développement, dont l’un des plus connus est l’Internatio-nal Aid Transparency Initiative. Le Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE - le CAD réunit les donneurs tradi-tionnels en vue d’améliorer la coopération - accomplit également des démarches en ce sens. Aidfl ows, une collaboration entre la banque mondiale et le CAD, fournit des données sur l’aide de manière accessible. Et les ONG belges ont déjà consenti de sérieux efforts par la publication de nom-breuses données sur ong-livreouvert. be.

Justifi cationLes autorités sont responsables des bud-gets qu’elles gèrent et il en va de même pour l’aide publique au développement. Un donateur transparent ne fait par conséquent aucun secret de ses dépenses. Les autorités doivent pouvoir justifi er à quelles fi ns elles utilisent les fonds publics. Tout citoyen est en droit de le savoir. Les donateurs ont donc avant tout pour mission de garantir la trans-parence de leurs dépenses en matière de développement. Les organisations d’aide doivent rendre compte aux citoyens mais également - et peut-être même plus encore - aux bénéfi ciaires fi naux, c’est-à-dire aux personnes qui reçoivent les fonds.

Une aide prévisibleLa transparence permet non seulement de justifi er les dépenses mais également de rendre l’aide plus prévisible. Quel bud-get un donneur prévoit-il pour un pays en développement ? Les autorités du Sud doivent savoir quel est le montant des fonds alloués ainsi que quand elles les recevront et de quelle manière. C’est seulement ainsi qu’elles pourront planifier les budgets pour lancer des projets de coopération au développement. Les donateurs doivent dès lors fournir en temps utile des informations correctes à propos de leurs futures contri-butions fi nancières afi n d’éviter de pertur-ber le cycle budgétaire du pays en voie de développement. Les donateurs qui font de belles promesses mais qui, au fi nal, paient moins que prévu, versent les fonds avec du retard voire pas du tout, sont des parte-naires peu fi ables.

THOMAS HIERGENS

Le secteur de la coopéra-

tion s’efforce d’améliorer en

permanence la transparence

des dons. Cette dernière doit

rendre les flux d’aide plus

prévisibles et permettre aux

donateurs de rendre compte

aux citoyens. Les pays scan-

dinaves, les Pays-Bas et le

Royaume-Uni font partie des

meilleurs élèves en matière

de transparence. La Belgique

compte bien se hisser dans

le classement grâce à ODA

online, qui lui permet de rendre

publiques les dépenses consa-

crées au développement.

pour une aideprévisible et responsable

TENDANCES

transparenceLa

ONLINEwww.aidtransparency.net

www.aidfl ows.org

www.ong-livreouvert.be

LES CHIFFRES DE L’AIDE RENDUS

PUBLIQUES GRÂCE À ODA ONLINE

Afin de répertorier l’ensemble de l’aide belge

au développement (ODA = Offi cial Development

Aid), la Direction générale de la Coopération au

développement (DGD) gère une base de données

sur les interventions belges en matière de déve-

loppement : ODA.be. Afi n d’accroître la transpa-

rence sur ses données, les chiffres seront doré-

navant disponibles pour le public. Tout le monde

peut dès à présent consulter en ligne la base de

données ODA online. Vous pourrez effectuer des

recherches par continent, pays, secteur, exécu-

tant ou mot clé.

ONLINEwww.dg-d.be (chiffres – base de données)

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PARTENAIRES

dimension 3 I JUIN-JUILLET-AOÛT 2011 29

Début mai je suis arrivé dans la ville d’Abidjan, dans le cadre d’une

mission d’urgence pour Handi-cap International en soutien de la mission MSF. La réalité des souffrances de guerre m’y est vite apparue.

Blessures par balleLe confl it armé en Côte d’Ivoire a entrainé beaucoup de bles-sés, souvent par balles, qui souffrent en outre de graves complications. En effet, certains blessés sont restés cachés du fait de l’insécurité. Par après, les hôpitaux ont été débordés et se sont retrouvés sans ressources humaines ou matérielles : manque de médicaments, de matériel chirurgical, défaillance des appareils de stérilisation… Des plaies se sont donc surin-fectées, gangrenées…

Nana YamoussoMSF s’est installé dans l’hôpital de Nana Yamousso, à Treich-ville, Abidjan. Partant d’une structure d’une vingtaine de lits, sa capacité a été doublée. Le service d’urgence est rempli. Trois tentes sont dressées dans la cour pour répondre aux besoins chirur-gicaux : des blessés de guerre mais aussi des urgences gynéco-obstétricales. Les salles d’opération tournent à plein régime pour traiter les fractures, les blessures par balle avec également des reprises chirur-gicales, des débridements de plaies et des changements de pansements lourds.

Kinésithérapie post-opératoireLa majorité de nos patients est mascu-line et blessée par balle, entraînant des plaies, des fractures très comminutives, des amputations… Très vite, la kinésithé-rapie post-opératoire a pu débuter : mobi-lisation précoce, verticalisation, exercices

respiratoires (dégâts thora-cique avec pause de drains pleuraux), positionnement du patient, souvent à l’aide de petits bricolages.

Un contact privilégiéPar notre métier, nous avons une proximité qui entraîne rapi-dement un contact privilégié avec les patients. Nous pas-sons aussi du temps à écouter : Michel pleure sa jambe perdue, Ouara reste prostré. D’autres racontent des histoires de guerre, de violences subies, de peur… Certains regards sont vides et hagards.

Des patients sans vêtements

L’histoire de cette petite fi lle de 12 ans, amputée de la jambe… Il faut maintenant lui fournir des cannes, lui apprendre à marcher, mobiliser son moi-gnon afin de la préparer au mieux à la prothèse. D’autres encore sont sans vêtements, sans famille ni ressources. D’autres ne peuvent rentrer chez eux de peur de l’insé-curité dans leur quartier ou parce que leur maison a été saccagée et pillée.

DeboutIl y a des patients qui arrivent aux urgences pour des fractures datant de 2 ou 3 mois, mal consolidées ou en position vicieuse, entrainant des ankyloses… Pour exemple, ce jeune de 21 ans sous la tente d’urgence, souffrant d’une fracture comminutive du fémur. Sa jambé était raccourcie et en rotation externe, entraînant des douleurs importantes. Par de la mobilisation, un bon positionnement pour la nuit (grâce à deux sacs de sable) et des exercices mus-culaires, il s’est remis debout deux jours après. À l’aide de 2 cannes en bois, il a recommencé à marcher.

“ CE MÉTIER OFFRE

UN CONTACT PRIVILÉGIÉ

AVEC LE PATIENT ”

Qui ?Luc Etienne,

collaborateur de Handicap

International Belgium

Quoi ?Mission d’urgence en

Côte d’Ivoire après la guerre

Pourquoi ?Soigner les victimes de guerre

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Petite Dimension

30 JUIN-JUILLET-AOÛT 2011 I dimension 330 JUIN-JUILLET-AOÛT 2

Autour des relations nord-sud, avec Annoncer la couleur.

Mener un projet avec vos jeunes, inscrivez-vous à une formation, bénéfi ciez d’appuis méthodologiques et de res-sources pédagogiques adap-tées aux jeunes !

Annoncer la couleur (ALC) est le pro-

gramme fédéral d’éducation à la

Citoyenneté mondiale. Les jeunes de 10

à 18 ans deviennent des citoyens res-

ponsables, acteurs à leur niveau dans la

solidarité internationale et critiques face

aux enjeux globaux du développement.

ALC cherche à provoquer des change-

ments de comportements, des manières

de penser et de voir les relations entre

les pays du Nord et ceux du Sud.

NOTRE OFFRE

ALC propose des formations à l’atten-

tion des professeurs et éducateurs

de jeunes, au cours desquelles des

démarches pédagogiques sont expéri-

mentées et des outils sont testés. Ces

démarches vécues sont transférables

auprès des groupes-cibles (classes,

groupe de jeunes). Les thèmes ? Les

migrations, l’interculturalité, la démo-

cratie, apprendre à coopérer, etc.

ALC stimule la mise en projets des

jeunes. Au départ d’une question de

société liée aux réalités du monde d’au-

jourd’hui, découverte dans la presse,

par un spectacle, par un fi lm, ALC pro-

pose la mise en projet. Qu’apporte ALC ?

Un appui méthodologique, une mise en

relation de personnes et de structures

appropriées, la mise à disposition de

ressources pédagogiques, un soutien

fi nancier aux activités liées au projet. Au

fi nal, le groupe est amené à imaginer

une “action de citoyenneté” et à prendre

part activement à sa réalisation.

Annoncer la Couleur est coordonné

depuis la CTB. L’ancrage local est assuré

en relation de partenariat, dans chacune

des provinces belges, et à Bruxelles.

INTÉRESSÉS ?

Rendez-vous sur le site :

www.annoncerlacouleur.be

E n 2011, les défi s auxquels est confronté le secteur de l’agriculture sont immenses. L’évo-lution démographique, l’urbanisation grandissante, les changements des modes de consommation et le développement de nouvelles attentes sociétales (comme la protec-tion de l’environnement et la préservation de la biodiversité) exercent une pression sur

la demande en produits alimentaires. En vue de mieux faire face à ces défi s mondiaux, la nouvelle note stratégique entend améliorer l’aide belge en matière d’agriculture et de sécurité alimentaire.La note défi nit les axes d’intervention prioritaires de la coopération belge dans ce secteur. Produc-tion, commercialisation, gouvernance, et égalité des sexes : voilà les quatre priorités stratégiques de la politique de développement belge en matière d’agriculture et de sécurité alimentaire pré-sentées dans la note :

1. Production agricole : amélioration et sécurisation de la production et de la productivité agricole dans une perspective de développement durable.

2. Commercialisation de la production : amélioration de la valorisation agricole et de l’accès aux marchés.

3. Gouvernance du secteur agricole : renforcement de l’État dans ses rôles de coordination, de facilitation et de régulation et renforcement de la société civile ainsi que des organisations paysannes.

4. Les femmes rurales : autonomisation individuelle et collective des femmes rurales.

La note stratégique a été élaborée en collaboration avec la Plateforme belge Agriculture et Sécu-rité alimentaire qui rassemble les différents acteurs de la coopération agricole belge. La note servira de document de référence pour les programmes indicatifs de coopération et indiquera à nos pays partenaires les domaines où la coopération belge dispose d’une expertise et d’une valeur ajoutée à exploiter. Les interventions du , qui s’attaque aux différentes dimensions de la sécurité alimentaire en Afrique subsaharienne, s’inscrivent également dans ce cadre stratégique général, tout comme la politique belge en matière d’assistance alimentaire.

LA BELGIQUESOUTIENT L’AGRICULTURE FAMILIALE DURABLE

Bientôt la rentrée

des classes…

Note stratégique Agriculture et Sécurité alimentaireLa Coopération belge au développement soutient l’agriculture fami-

liale durable. L’objectif est d’améliorer la sécurité alimentaire et de

contribuer à une croissance économique durable et créatrice d’em-

plois décents en milieu rural. Dans une nouvelle note stratégique, la

Coopération belge présente sa vision de l’agriculture et de la sécu-

rité alimentaire. Tandis que le soutien de la Belgique en faveur de ce

secteur augmente depuis plusieurs années, la nouvelle note s’ins-

crit dans l'améliora-

tion de l’effi cacité

de cette aide.

rité alimentaire. Tandis que le soutien de la Belgique en faveur de ce

secteur augmente depuis plusieurs années, la nouvelle note s’ins-

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dimension 3 I JUIN-JUILLET-AOÛT 2011 31

Un rapport récent du Programme des Nations

unies pour l’environnement (PNUE)1 constate

que les réserves mondiales de matières

premières de qualité et bon marché telles que le

pétrole, le cuivre et l’or s’épuisent rapidement. En

outre, l’exploitation des réserves restantes nécessite

davantage d’énergie et d’eau. “La consommation de

matières premières est en train d’exploser”, déclarent

les auteurs du rapport. “Les pratiques actuelles ne

peuvent en aucune façon être poursuivies. La prospé-

rité et le bien-être ne passent résolument pas par une

consommation en croissance perpétuelle.”

Cette préoccupation a amené le professeur Munasin-

ghe à formuler les Objectifs pour la consommation.

“Les 20 % des individus les plus riches consomment

80 % de la production mondiale, soit 60 fois plus que

les 20 % que représentent les populations les plus

pauvres. Ne considérons pas les riches comme un

problème mais convainquons-les de contribuer à la

solution.”

Dans leur version actuelle, les Objectifs pour la

consommation prévoient notamment la réduction de

moitié de la consommation énergétique totale, la limi-

tation de 75 % des dépenses militaires, la réduction

de moitié de l’obésité, le remplacement du produit

intérieur brut (PIB) par un indicateur de bien-être plus

largement représentatif.

Ce dernier point rencontre également la recomman-

dation clé du rapport du PNUE. “Le PIB est un para-

mètre bien trop restrictif qui peut donner une vision

tronquée. Une catastrophe majeure comme celle de

l’ouragan Katrina peut par exemple faire croître le PIB”,

expliquent les auteurs. “Le PIB mesure tout, sauf ce qui

est véritablement essentiel pour les gens.”

Les Objectifs pour la consommation n’en sont pour

le moment qu’au stade de l’ébauche. Toutes les

suggestions pour la finalisation d’un modèle de

consommation plus équilibré peuvent être adres-

sées à www.millenniumconsumptiongoals.org.

Le Professeur Munasinghe envisage d’inscrire ces

Objectifs à l’ordre du jour de Rio+20, le Sommet ONU sur

le Développement durable qui sera organisé en 2012.

P our défi nir les domaines principaux de la coopération à venir, on a tenu compte des défi s spécifi ques du Rwanda et de la plus-value belge. L’expertise – historique – belge en matière de santé au Rwanda est établie, ce qui lui

donne le leadership dans ce domaine au sein des bailleurs. La santé reste donc le premier secteur fi nancé (avec 55 millions d’euros). Le Pays des mille collines pâtit d’une importante pression démogra-phique sur un territoire limité (de la taille de la Belgique, celui-ci est composé de grandes collines dont les versants sont diffi cilement cultivables). La coopération consistera donc principalement à aider le Rwanda a relever certains défi s tels que l’évolution vers une éco-nomie de services, et à trouver des solutions à l’important défi cit énergétique, à travers les énergies renouvelables. (pour 55 millions

d’euros, dont un projet-pilote de géothermie dans la région des volcans). Par ailleurs, le Rwanda qui a connu un développement important ces dernières années souffre d’un profond déséquilibre de développement entre la ville et les campagnes. La Belgique appuiera le processus de décentralisation.La totalité de l’accord se monte à 160 millions d’euros, une hausse par rapport aux 145 millions du dernier PIC, portant la Belgique au rang des troisièmes donateurs. Cette augmentation confi rme la tendance belge à augmenter le poids du bilatéral et de l’Afrique centrale dans la coopération. A l’instar du Burundi et de la RD Congo, le Rwanda pourra bénéfi cier d’une tranche supplémen-taire de 40 millions d’euros suite à une évaluation de mi-parcours sur base de critères de gouvernance économique et politique.

Le Rwanda et la Belgique ont renouvelé leur accord de coopération gouvernementale ce 18 mai 2011. Cet accord, négocié et approuvé par les deux pays, défi nit les grandes lignes de la coopération (Programme indicatif de développement) pour les années 2011-2014 qui porteront sur 3 secteurs principaux : santé, énergie et décentralisation.

Coopération bilatérale

Rwandaen hausseavec le

Le Professeur sri-lankais Mohan Munasinghe, ancien membre du Panel international sur les changements

climatiques, a élaboré huit Objectifs du Millénaire pour la Consommation exprimant l’engagement des 20 % des individus les plus riches de la planète à réduire leur consommation. En guise de complément aux

Objectifs du Millénaire pour le Développement, ils sont destinés à améliorer la vie des plus pauvres.

Objectifs du Millénaire pour la ConsommationUn nouveau modèle international de consommation

1 Decoupling: natural resource use and environmental impacts from econo-

mic growth (www.unep.org)

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Page 32: Dimension 3 N° 2011/3 - Federal Public Service Foreign ...€¦ · N° 3 / 2011 • BIMESTRIEL JUIN-JUILLET-AOÛT 2011 • P308613 • BUREAU DE DÉPÔT BRUXELLES X L’ACCAPAREMENT

DGD - DIRECTION GÉNÉRALE

COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT

Rue des Petits Carmes 15 • B-1000 Bruxelles

Tél. +32 (0)2 501 48 81 • Fax +32 (0)2 501 45 44

E-mail : [email protected]

www.diplomatie.be • www.dg-d.be

POUR EN SAVOIR PLUSAnnée internationale des Forêtswww.un.org/en/events/iyof2011

State of the World’s Forests 2011www.fao.org

Forests for a living planetwww.wwf.org

L es Nations Unies ont proclamé 2011 Année internationale des Forêts. Car les forêts sont d’une importance capitale pour cha-

cune et chacun d’entre nous. Elles jouent un rôle dans de nombreux processus pas toujours très connus, contribuant par exemple à la stabilité du climat, ou garan-tissant des pluies en suffi sance. La liste ci-après rend leur contribution plus concrète. Pourtant, de vastes espaces de forêts dis-paraissent chaque année. Est-il possible d’exploiter les forêts sans compromettre le bien-être des générations futures ?

forêtssont notre maison !

Les

• Les forêts protègent des tremblements de terre, des inondations et de la désertifi cation.

• Les forêts fournissent de l’eau potable à des millions de citadins.

• Les forêts abritent quantité de plantes médicinales et de sources de nourriture.

• Les forêts constituent un réservoir naturel de CO2.

• Les forêts abritent 80 % de l’ensemble de la biodiversité terrestre.

• 300 millions de personnes vivent dans des forêts.

• 1,6 milliard de personnes dépendent des forêts pour leur subsistance.

• On estime que les revenus du commerce de produits forestiers se sont élevés à 327 milliards de dollars en 2004.

• Chaque année, 13 millions d’hectaresde forêts sont détruits (plus de 4 foisla Belgique).

• D’ici 2050, 112 millions d’hectares de forêts auront disparu en Afrique, 82 millions en Amérique latineet 38 millions en Asie.

© G

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F.

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