1997 dictee complet

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Texte intégral de la Dictée des Amériques 1997 Texte d’Arlette Cousture Saynète à deux temps 1 de 1 Scène 1 Appelé au chevet d’une jeune fiancée victime d’une crise aiguë de mutisme, le médecin malgré lui confondit la malade et sa nourrice. Eût-il mieux tâté le sein d’icelle que notre homme eût pu reconnaître une tumeur aussi détestable que maligne. On lui amena la pâlichonne enfant, qui, comme l’en informa son père, «était devenue muette, sans que jusques ici on en ait pu savoir la cause». Quoique la patiente, au dire de ses proches, allât là où nous savons, échappant ainsi à un clystère, que son aorte ne fût point obstruée et que son pouls frappât les parois des artères malgré sa déveine, la pauvre demeurait sans voix. Le médecin remarqua ses humeurs peccantes puis en perdit son latin. Fin de la dictée pour les juniors Scène 2 Sur ces entrefaites, mon ami Pierre, déchaux, mandibule suspendue, les sarraus sales du décrochez-moi-ça pendant de sa trousse, apparut dans cette scène moliéresque. Rassuré par l’absence de toute ecchymose, mais voyant l’acné rosacée, il porta son stéthoscope sur le sterno-cléido-mastoïdien de la souffreteuse damoiselle. Pierre ne vit point d’aphte lingual, d’amygdales hypertrophiées, mais, remarquant une diaphorèse profuse et une érythrose prononcée, il déduisit qu’elle était aussi chevronnée dans la comédie que ne l’était son prétendu soignant. Voulant rendre diserte la femme aphone, il réprima un sourire, fronça les sourcils, puis lui enjoignit de s’empiffrer de croque-monsieur si cela lui chantait et de manger des croquignoles sucrées si elle le voulait. Elle était visiblement en mal de mots pour exprimer sa détresse amoureuse. Certes, Pierre fit fi du fumiste extravaguant sur la concavité du diaphragme, pensant pis que pendre de cet être et des diagnostics bidon qu’une sotte imagination s’était plu à échafauder. Devant l’humiliant hallali, le fraudeur brindezingue reporta aux calendes grecques l’usage de la sangsue, pria ses hôtes de l’excuser, se mit élégamment un doigt dans l’œil pour en enlever la chassie et, drapé dans sa cape d’arrogance, sortit en fulminant contre Poquelin d’avoir fait de lui un clownesque caudataire.

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  • Texte intgral de la Dicte des Amriques 1997

    Texte dArlette Cousture

    Saynte deux temps

    1 de 1

    Scne 1

    Appel au chevet dune jeune fiance victime dune crise aigu de mutisme, le mdecin malgr lui confondit la malade et sa nourrice. Et-il mieux tt le sein dicelle que notre homme et pu reconnatre une tumeur aussi dtestable que maligne. On lui amena la plichonne enfant, qui, comme len informa son pre, tait devenue muette, sans que jusques ici on en ait pu savoir la cause. Quoique la patiente, au dire de ses proches, allt l o nous savons, chappant ainsi un clystre, que son aorte ne ft point obstrue et que son pouls frappt les parois des artres malgr sa dveine, la pauvre demeurait sans voix. Le mdecin remarqua ses humeurs peccantes puis en perdit son latin. Fin de la dicte pour les juniors Scne 2 Sur ces entrefaites, mon ami Pierre, dchaux, mandibule suspendue, les sarraus sales du dcrochez-moi-a pendant de sa trousse, apparut dans cette scne moliresque. Rassur par labsence de toute ecchymose, mais voyant lacn rosace, il porta son stthoscope sur le sterno-clido-mastodien de la souffreteuse damoiselle. Pierre ne vit point daphte lingual, damygdales hypertrophies, mais, remarquant une diaphorse profuse et une rythrose prononce, il dduisit quelle tait aussi chevronne dans la comdie que ne ltait son prtendu soignant. Voulant rendre diserte la femme aphone, il rprima un sourire, frona les sourcils, puis lui enjoignit de sempiffrer de croque-monsieur si cela lui chantait et de manger des croquignoles sucres si elle le voulait. Elle tait visiblement en mal de mots pour exprimer sa dtresse amoureuse. Certes, Pierre fit fi du fumiste extravaguant sur la concavit du diaphragme, pensant pis que pendre de cet tre et des diagnostics bidon quune sotte imagination stait plu chafauder. Devant lhumiliant hallali, le fraudeur brindezingue reporta aux calendes grecques lusage de la sangsue, pria ses htes de lexcuser, se mit lgamment un doigt dans lil pour en enlever la chassie et, drap dans sa cape darrogance, sortit en fulminant contre Poquelin davoir fait de lui un clownesque caudataire.