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24 l LIÈGE U l Hiver 2013 - 2014 Hiver 2013 - 2014 l LIÈGE U l 25 > La CARTE BLANCHE signée par Philippe Raxhon, professeur au département des sciences historiques Ce qui vaut pour des êtres de chair vaut aussi pour la contexture de la temporalité historique. En effet, les dates rondes, comme marqueurs du temps, ont un effet important sur notre représentation du passé, et donc de nous-mêmes par rapport à ce passé. Elles sont propices aux commémorations et, parmi celles-ci, le centenaire est sans doute le moment commémoratif le plus vénérable, car tous les témoins acteurs de l’époque concernée ont certes disparu, mais la distance avec l’événement n’est pas encore assez grande pour délier les contemporains de tout lien avec cette époque, d’autant plus si elle est considérée comme un moment fondateur, ce qui est largement le cas avec la Première Guerre mondiale, qui devait être la dernière aux yeux de ses protagonistes, la “Der des Ders”, et qui pourtant inaugura un XX e siècle creuset de cataclysmes humains sans précédent dans l’histoire. L’acte de commémorer a lui aussi une histoire et c’est peut-être par là qu’il faut commencer, car notre manière de lire le centenaire de 14-18 en dépend. Dans l’entre-deux-guerres, la mémoire de la Grande Guerre occupe de facto une place très importante, entre exaltation patriotique et pacisme. Puis tombe le voile de la Deuxième Guerre mondiale qui va pousser dans un temps reculé la première, la réduisant même à l’état de guerre absurde, de boucherie sans signication, dépassée par l’enjeu idéologique clair de la lutte contre le nazisme et les totalitarismes. Pourtant, cette guerre de 14 avait une signication pour ceux qui l’ont faite, le 11 novembre resta un jour férié, comme aujourd’hui encore, et les survivants de la Deuxième Guerre mondiale ont remplacé ceux de la Première, maintenant tous décédés, aux manifestations commémoratives, tissant de facto à travers l’hommage rendu un lien entre les deux événements, entre les deux générations. Concernant la lecture historienne de la Grande Guerre, le renouveau historiographique s’est enclenché à la n des années 80, avec un important 1914 - 2014 Le centenaire de la Grande Guerre «Seuls les morts ont vu la fin de la guerre.» (Platon) L’art de commémorer a aussi une histoire Monument Dame Blanche - Walthère Dewé colloque tenu à Nanterre en 1988 : “Les Sociétés européennes et la guerre de 1914-1918”, organisé par Jean-Jacques Becker, professeur émérite de l’université de Paris X-Nanterre, qui sera la cheville-ouvrière de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne créé en 1992, à la fois musée novateur et centre de recherches performant, soutenu par le Conseil général de la Somme, région-mémoire s’il en fut, et dynamisé par une pépinière d’historiens français et internationaux. L’accent mis sur les cultures de guerre, sur les questions des militaires mais aussi des civils, celles des mobilisations et des démobilisations, allait renouveler la vision de la Grande Guerre. Des ouvrages devenus des classiques virent le jour, comme par exemple celui en 2001 de John Horne et Alan Kramer, tous deux professeurs à Trinity Collège (Dublin), un livre qui va faire toute la lumière sur les atrocités, c’est-à-dire les massacres de civils belges d’août 1914. La Grande Guerre devint une étape fondamentale–la première – de la brutalisation du XX e siècle et ne pouvait que s’inscrire dans une liation la reliant à la Deuxième Guerre mondiale. On se rappela que le soldat Adolf Hitler avait échappé de justesse à la mort aux batailles d’Ypres, plusieurs fois. Dès lors, induire une mémoire de la Première Guerre mondiale reposant exclusivement sur une manipulation des foules par les propagandistes des belligérants, avides de vider le sang des Européens horriés, apparut comme une vision réductrice de l’événement. Une rectication fut apportée en 2000 avec 14-18, retrouver la guerre, par Stéphane Audoin-Rouzeau, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, et Annette Becker, professeur à l’université de Paris X-Nanterre, deux des piliers de l’Historial de Péronne qui proposèrent une relecture ne sur la mémoire collective du sujet, illustrant la nature du consentement des populations de l’époque face au conit. D ans notre vie collective, nos familles, le centenaire est une personne qui occupe une place particulière, elle a “atteint” un siècle, comme une ligne d’arrivée dans l’exploit de la survie, elle fait l’objet d’une photo-souvenir dans la gazette locale, entourée par sa descendance qui pose en arc-de-cercle, pour l’envelopper d’espérance en l’avenir, et de justications d’exister si longtemps. Cette vieille personne est plus que jamais la crête d’une mémoire intergénérationnelle, et son âge stupée les petits enfants, car trois chiffres d’anniversaire, c’est au moins le temps des dinosaures, selon une pa- role authentique d’un petit garçon qui m’est très cher.

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> La CARTE BLANCHEsignée par Philippe Raxhon, professeur au département des sciences historiques

Ce qui vaut pour des êtres de chair vaut aussi pour la contexture de la temporalité historique. En effet, les dates rondes, comme marqueurs du temps, ont un effet important sur notre représentation du passé, et donc de nous-mêmes par rapport à ce passé. Elles sont propices aux commémorations et, parmi celles-ci, le centenaire est sans doute le moment commémoratif le plus vénérable, car tous les témoins acteurs de l’époque concernée ont certes disparu, mais la distance avec l’événement n’est pas encore assez grande pour délier les contemporains de tout lien avec cette époque, d’autant plus si elle est considérée comme un moment fondateur, ce qui est largement le cas avec la Première Guerre mondiale, qui devait être la dernière aux yeux de ses protagonistes, la “Der des Ders”, et qui pourtant inaugura un XXe siècle creuset de cataclysmes humains sans précédent dans l’histoire.

L’acte de commémorer a lui aussi une histoire et c’est peut-être par là qu’il faut commencer, car notre manière de lire le centenaire de 14-18 en dépend. Dans l’entre-deux-guerres, la mémoire de la Grande Guerre occupe de facto une place très importante, entre exaltation patriotique et paci!sme. Puis tombe le voile de la Deuxième Guerre mondiale qui va pousser dans un temps reculé la première, la réduisant même à l’état de guerre absurde, de boucherie sans signi!cation, dépassée par l’enjeu idéologique clair de la lutte contre le nazisme et les totalitarismes. Pourtant, cette guerre de 14 avait une signi!cation pour ceux qui l’ont faite, le 11 novembre resta un jour férié, comme aujourd’hui encore, et les survivants de la Deuxième Guerre mondiale ont remplacé ceux de la Première, maintenant tous décédés, aux manifestations commémoratives, tissant de facto à travers l’hommage rendu un lien entre les deux événements, entre les deux générations.

Concernant la lecture historienne de la Grande Guerre, le renouveau historiographique s’est enclenché à la !n des années 80, avec un important

1914 - 2014Le centenairede la GrandeGuerre«!Seuls les morts ont vu la fin de la guerre.!» (Platon)

L’art de commémorer a aussi une histoire

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colloque tenu à Nanterre en 1988 : “Les Sociétés européennes et la guerre de 1914-1918”, organisé par

Jean-Jacques Becker, professeur émérite de l’université de Paris X-Nanterre, qui sera la cheville-ouvrière de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne créé en 1992, à la fois musée novateur et centre

de recherches performant, soutenu par le Conseil général de la Somme, région-mémoire s’il en fut, et dynamisé par une pépinière d’historiens français et internationaux. L’accent mis sur les cultures de guerre, sur les questions des militaires mais aussi des civils, celles des mobilisations et des démobilisations, allait renouveler la vision de la Grande Guerre. Des ouvrages devenus des classiques virent le jour, comme par exemple celui en 2001 de John Horne et Alan Kramer, tous deux professeurs à Trinity Collège (Dublin), un livre qui va faire toute la lumière sur les atrocités, c’est-à-dire les massacres de civils belges d’août 1914.

La Grande Guerre devint une étape fondamentale"–"la première – de la brutalisation du XXe siècle et ne pouvait que s’inscrire dans une !liation la reliant à la Deuxième Guerre mondiale. On se rappela que le soldat Adolf Hitler avait échappé de justesse à la mort aux batailles d’Ypres, plusieurs fois.

Dès lors, induire une mémoire de la Première Guerre mondiale reposant exclusivement sur une manipulation des foules par les propagandistes des belligérants, avides de vider le sang des Européens horri!és, apparut comme une vision réductrice de l’événement. Une recti!cation fut apportée en 2000 avec 14-18, retrouver la guerre, par Stéphane Audoin-Rouzeau, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, et Annette Becker, professeur à l’université de Paris X-Nanterre, deux des piliers de l’Historial de Péronne qui proposèrent une relecture !ne sur la mémoire collective du sujet, illustrant la nature du consentement des populations de l’époque face au con#it.

Dans notre vie collective, nos familles, le centenaire est une personne qui occupe une place particulière, elle a “atteint” un siècle, comme une ligne d’arrivée dans l’exploit de la survie, elle fait l’objet d’une

photo-souvenir dans la gazette locale, entourée par sa descendance qui pose en arc-de-cercle, pour l’envelopper d’espérance en l’avenir, et de justi!cations d’exister si longtemps. Cette vieille personne est plus que jamais la crête d’une mémoire intergénérationnelle, et son âge stupé!e les petits enfants, car trois chiffres d’anniversaire, c’est au moins le temps des dinosaures, selon une pa-role authentique d’un petit garçon qui m’est très cher.

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> La CARTE BLANCHE

Ceci dit, l’intrusion momentanée dans ce foyer mémoriel peut s’interrompre ici parce qu’il existe des travaux aboutis, sources de nombreuses pistes historiographiques, auxquels il suf!t de renvoyer le lecteur, comme ceux d’Antoine Prost et Jay Winter, professeur à l’université de Yale, ou de Laurence van Ypersele, professeur à l’UCL, et actuelle présidente de Commémorer 14-18 de la Fédération Wallonie-Bruxelles, pour tirer un bilan historiographique1.

Les Belges frappés par la Première Guerre mondiale

Le 2 août 1914, l’Allemagne adresse un ultimatum à la Belgique neutre demandant le libre passage de ses troupes pour attaquer la France, selon les directives du Plan Schlieffen. La réponse du gouvernement belge et du roi Albert Ier est négative, au nom du droit et du respect des traités internationaux.

Le 4 août, sans déclaration de guerre, 800 000 soldats allemands franchissent la frontière belge, déclenchant la Première Guerre mondiale, car l’Angleterre, garante de l’indépendance de la Belgique, déclare immédiatement la guerre à l’Allemagne. Et contre toute attente, l’armée belge va opposer une résistance farouche. Mais l’effroi est d’autant plus fort que la Belgique entretenait de nombreux liens d’amitié avec l’Allemagne.

Ainsi, c’est en province de Liège que tombent les premiers tués du con"it et c’est la Belgique, en particulier la Wallonie, qui inaugure la brutalisation du XXe siècle, en subissant les exécutions de plus de 5500 civils, les viols, les destructions systématiques, les pillages. Des centaines de milliers de Belges prennent alors le chemin de l’exil, une véritable hémorragie démographique : un cinquième de la population totale du pays se réfugie en France, en Hollande, en Angleterre.

Au mois d’août 1914 se déroulent les grandes batailles de la guerre de mouvement# : on se bat partout et simultanément autour des forts de Liège, à Dinant, à Namur, à Charleroi, à Mons, en province de Luxembourg dans le contexte de la “bataille des frontières”, terriblement meurtrière. C’est dans ces combats que s’illustrent les troupes anglaises et françaises tentant d’arrêter la progression allemande. Les combats sur le sol belge ont sans doute facilité la victoire de la bataille de la Marne, qui brisa le Plan Schlieffen. L’armée belge s’est courageusement battue partout où elle a pu, avant de se regrouper à Anvers, et puis s’enterrer derrière l’Yser.

La Belgique connaît ensuite une occupation militaire brutale et longue de quatre années, une vie quotidienne très rude, où règnent la faim, les réquisitions, le démantèlement de nos industries, les déportations en Allemagne de travailleurs et d’opposants politiques,

la répression, les exécutions, lors d’une expérience de guerre totale où les soldats belges qui se battent sur le front sont séparés d’un “arrière” occupé où résident les leurs. Dans ce contexte sombre, une résistance civile s’organise dans l’ombre, à travers des réseaux et des individus, une lutte clandestine pour la liberté.

Focus liégeois

Et si l’on met brièvement le focus sur la situation liégeoise, on doit bien constater que notre région est riche d’histoire et de traces mémorielles liées à cette période tragique, inaugurée avec l’invasion mais close aussi d’une certaine manière chez nous, puisque c’est à Spa que le Kaiser Guillaume II va abdiquer le 9 novembre 1918. Lorsque les Allemands pénètrent en province de Liège, leur objectif est la neutralisation de la ceinture des forts de Liège. La bataille de Liège durera jusqu’au 16 août 1914, avec l’un des premiers bombardements aériens de l’histoire contre des civils, par un zeppelin, avec aussi le 15 août l’explosion du fort de Loncin qui ne s’était pas rendu. Le 7 août, fait exceptionnel, la ville de Liège se fera attribuer la Légion d’honneur par la France.

Au cours de leur progression, les Allemands affrontent des troupes belges, essuient des pertes, se heurtent à une résistance qui provoque de leur part une répression sanglante à l’égard des civils, exécutés froidement dans des cités martyres, comme par exemple Visé qui sera ravagée. Le thème de la Poor Little Belgium, qui nourrira la propagande alliée, s’internationalise au niveau mondial et déclenche dans les mois qui suivent une campagne d’aide internationale sans précédent dans l’histoire, en particulier par le truchement de la Commission for Relief in Belgium, coordonnée par les Etats-Unis dont l’aide alimentaire empêchera tout simplement la famine de s’installer en Belgique.

Par ailleurs, ces événements auront un incontestable prolongement dans la prise de conscience de la notion de crimes contre l’humanité et dans les efforts juridiques à mener pour les contrer dans l’avenir. Et parmi les conséquences de la Première Guerre mondiale en Belgique, il faut en citer ici au moins deux#: l’accroissement territorial de la province de Liège avec l’intégration de la communauté germanophone d’aujourd’hui et le suffrage universel masculin, impossible à refuser à une génération qui avait assumé tant de sacri!ces. Il est bien sûr impossible de faire ici le relevé complet des faits liés à cette guerre, à l’invasion et à l’occupation, mais si l’on emprunte l’itinéraire de la mémoire à Liège, nul doute que l’on croisera 14-18 sur son cheminement. En étant incomplet, évoquons l’environnement universitaire avec l’allée du 6-Août au Sart-Tilman, dont la date rappelle les combats d’août 1914 à cet endroit dans la bataille pour le fort

de Boncelles. Au centre-ville, la place du 20-Août évoque les massacres de civils froidement abattus et le saccage des immeubles, avec la destruction totale de l’Emulation et de sa prestigieuse bibliothèque. Si nous entrons dans le bâtiment central de l’Université, vers la salle académique, la longue liste des étudiants et membres du personnel tués pendant la guerre s’offre à nos yeux et, dans la cour principale, à côté de l’entrée de la Bibliothèque générale, une plaque commémorative rappelle qu’en 1919, la Commission for Relief in Belgium a fait don de 20 millions de francs de l’époque pour relancer les activités de notre Alma mater. Mais quittons notre enceinte et dans la rue de l’Université, une plaque évoque Walthère Dewé, ingénieur en téléphonie, fondateur du réseau de résistance La Dame Blanche, considéré par les Alliés comme le plus important réseau de renseignements de la Première Guerre mondiale. Wathère Dewé fut abattu en pleine rue par les nazis en 1944. Il avait repris le chemin de la résistance. Il avait 63 ans. Son monument sur les hauteurs de Liège est sans doute l’un des plus émouvants consacrés à ce passé tragique.

Plus loin, la place de la République française nous rappelle la remise de la Légion d’honneur à la ville en 1919 et si, l’on se rend place Saint-Barthélemy, un monument fut élevé en hommage à Dieudonné Lambrecht, fondateur d’un réseau d’espionnage, et à 56 autres résistants liégeois fusillés. On est alors à un jet de pierre du site de l’ancienne prison Saint-Léonard, où les Allemands pratiquaient la torture et expédiaient les condamnés à mort vers le bastion de la Chartreuse pour leur exécution. Le monument au fusillé civil, œuvre d’Oscar Berchmans d’une grande sobriété, y a été érigé en leur mémoire. Sur le chemin vers la Chartreuse, place Gobert, une statue du général Bertrand évoque l’un des défenseurs de Liège, et si nous suivons notre

1 Laurence van Ypersele, Bilan historiographique de la guerre 14-18, dans Cahiers du Centre de recherches en histoire du Droit et des Institutions (Facultés universitaires Saint-Louis Bruxelles), 2005, n° 23-24, p. 1-29, qui fait le point sur la mémoire – notamment belge – de la Première Guerre mondiale.

En souvenir du massacre de 28 civils innoncents en 1914, la place de l’Université fut rénommée place du 20-août.

L’université fut véritablement saccagée.

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> La CARTE BLANCHE

route, un monument impressionnant face aux tombes militaires nous accueille au cimetière de Robermont. Toutefois, nous ne quitterons pas Liège sans passer par le pont Atlas, dont la dénomination renvoie à l’Atlas V, une péniche à bord de laquelle une centaine de civils fuyant la répression s’étaient embarqués en janvier 1917 pour une rocambolesque échappée sur la Meuse vers la frontière hollandaise qu’ils franchirent avec succès sous les balles des mitrailleuses. En face du pont se dresse le monument géant du roi-soldat Albert Ier, qui fait écho à sa statue équestre au bord de Meuse près du boulevard Frère-Orban. Mais notre dernier regard se portera sur le Monument Interalliés de Cointe, !nancé par les nations alliées en hommage à la résistance de Liège en août 1914. Et nous n’aurions pas tout vu, et nous ne serions restés qu’à Liège.

Pro!l des commémorations

A l’approche du centenaire, les commémorations se structurent dans une Belgique qui n’est plus la même que celle de 1914, unitaire et soudée face à l’invasion et à l’occupation. Ces commémorations se déclinent en fonction des régions et des communautés de notre pays. La Flandre a lancé une “machine de guerre” de manière précoce, avec d’importants moyens budgétaires, en mettant l’accent sur les combats sur l’Yser et le tourisme de mémoire qui en découle, ainsi que sur la thématique de la paix couplée avec une victimisation de la Flandre par le truchement de sacri!ces qui auraient été spéci!quement vécus par les Flamands. Une perspective qui risque de l’isoler aujourd’hui dans l’espace commémoratif international qui se met en place, en particulier par rapport au monde anglo-saxon, très sensible sur la thématique de la Première Guerre mondiale et qui aime à rappeler deux choses par le biais de sa diplomatie" : les Anglais sont morts pour la Belgique et non pour la Flandre, et si la paix est une fraise sur le gâteau de la démocratie, des boys tombent encore sous les balles dans certaines parties du monde aujourd’hui. Cet isolement est accentué par la volonté manifeste du gouvernement #amand de ne pas intégrer ses historiens spécialistes de cette époque dans la préparation des manifestations commémoratives.

Le processus commémoratif en Fédération Wallonie-Bruxelles s’est enclenché avec un certain décalage par rapport au nord du pays, mais le programme qui se met en place témoigne de la diversité des problématiques soulevées par la Grande Guerre chez nous, celles des événements militaires mais aussi de l’occupation du pays et de la vie quotidienne des populations civiles. Le

2 Pour les précisions, voir le site où l’on peut télécharger le programme complet!: www.provincedeliege.be/fr/evenement/1?nid=6876&from=actu. Voir le site officiel de la Fédération Wallonie-Bruxelles!: www.commemorer14-18.be3 Renseignements!: Véronica Granata, courriel [email protected]

25 octobre dernier, le programme des manifestations commémoratives provinciales liégeoises a été dévoilé, impossible à détailler ici2, et il témoigne de la richesse des projets locaux et d’une mémoire vive très motivée. Le 4 novembre à Namur, c’est le programme de l’ensemble de la Fédération Wallonie-Bruxelles qui a été présenté.

Epinglons néanmoins le 4 août 2014 qui marquera le début des commémorations of!cielles internationales avec la cérémonie au Mémorial Interalliés de Cointe, rassemblant plus de 50 chefs d’Etat étrangers ou leurs représentants, invités par le roi Philippe. Outre Liège, deux autres grandes commémorations of!cielles sont prévues en Belgique, à Ypres en octobre 2014 et à Bruxelles en 2018.

Mais une commémoration, telle qu’il est heureux de la concevoir, n’est pas une simple remémoration" : c’est aussi une opportunité au pro!t de la pédagogie de l’histoire, des relations intergénérationnelles, des liens sociaux, des activités citoyennes, de la mise en valeur du patrimoine et des ressources en tourisme mémoriel. En outre, la transmission de la mémoire doit rester aussi un objet d’étude, dont on analyse les raisons d’être et les conséquences. C’est pourquoi cette vivacité mémorielle provoquée par le centenaire doit également être étudiée en tant que phénomène sociétal. C’est l’une des ambitions du futur Centre de recherches et d’études sur la transmission de la mémoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles3, initié dans le service d’histoire contemporaine de l’ULg et dont le siège sera situé dans la Cité Miroir-Mnema, au cœur de Liège, dans les anciens Bains de la Sauvenière rénovés et inaugurés en janvier 2014.

La mémoire, c’est la présence du passé et le passé n’est pas un refuge, mais une lanterne. Nul doute que les prochains mois vont en être l’illustration frappante.

Philippe Raxhonprofesseur au département des sciences historiques

JL W

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Lire l’entièreté du magazine Liège U #18 (hiver 2013-14) à l’adresse : http://www.ulg.ac.be/liegeu