(1635-1704) miserere . motets - harmonia mundi

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1 HMA 1951185 Nous avons dans ces quatre œuvres un exemple de l’art sublime de Charpentier. Maître dans le genre du grand motet (il l’est aussi dans d’autres), il n’est jamais décoratif comme certains de ses contemporains. Sa musique obéit toujours aux exigences d’une extrême sensibilité s’alliant à une foi profonde et authentique. C’est pourquoi elle nous touche encore si fort aujourd’hui et nous prouve que le siècle de Louis XIV, même sans trompette ni timbale, fut vraiment un très grand siècle pour nous avoir laissé de tels joyaux. Marc-Antoine Charpentier (1635-1704) Miserere . Motets Le titre du Motet pour l’Offertoire de la Messe Rouge que Charpentier a rebaptisé par la suite Motet pour une longue offrande (vraisemblablement à cause d’une autre exécution) se réfère aux cérémonies annuelles qui accompagnaient la rentrée du Parlement de Paris à la mi-novembre. A cette occasion, une messe était célébrée à laquelle les magistrats assistaient vêtus de leur robe d’écarlate, d’où le nom donné à l’office. Il s’agit d’une des dernières œuvres que Charpentier composa alors qu’il se trouvait maître de musique des enfants de la Sainte-Chapelle, voisine du Parlement. Il avait été nommé à cet important poste le 18 juin 1698, les dignitaires du lieu ayant estimé “qu’il compose et possède la musique en perfection” ; il y mourra le matin du 24 février 1704 “sur les sept heures”. Fin d’une carrière de plus de trente ans, riche d’œuvres (plus de 550) mais pauvre en témoignages sur l’homme, sillonnée de marques d’admiration (Donneau de Visée, Sébastien de Brossard) mais aussi de critiques acerbes sur l’italianisme du musicien (Lecerf de la Viéville). Ecarté de la cour de Louis XIV par l’envie jalouse de Lully mais aussi par la malchance (il s’était en effet présenté en 1683 au concours de la Chapelle Royale mais, malade, n’avait pu aller jusqu’au bout des épreuves), Charpentier réussit malgré tout à faire entendre sa musique dans des lieux importants de la capitale dont la Sainte Chapelle qui marque en quelque sorte sa consécration. Depuis 1680, on convoquait pour les grandes occasions des “musiques extraordinaires” : chanteurs et instrumentistes extérieurs à la Sainte Chapelle venaient s’ajouter à la maîtrise. Ainsi en advint-il probablement pour l’exécution du Motet pour l’Offertoire de la Messe Rouge qui nécessite cinq solistes, un grand chœur à quatre parties, deux flûtes, deux hautbois, un ensemble de cordes, basson et orgue. L’extraordinaire beauté qui se dégage de cette œuvre nous montre un musicien parvenu au sommet de son talent, à la pleine maturité de son art. L’écriture tout en étant très diversifiée (la diversité étant pour Charpentier la qualité première en musique ainsi qu’il le souligne à plusieurs reprises dans ses Regles de composition) obéit à un souci formel non moins impérieux : grandes plages instrumentales, sections non plus enchaînées les unes aux autres comme dans ses premiers motets mais nettement séparées, chacune possédant son propre climat tonal. Que faut-il admirer le plus ? Le premier grand chœur avec ses entrées en traits rapides de doubles croches (“Pluet super peccatores laqueos ignis”, “il pleut sur les pécheurs des flèches de feu”) puis sa solide homorythmie, les puissants accents sur le “non” (“non confundar in aeternum”), la légèreté de l’instrumentation dans les “simphonies” lorsque dialoguent flûtes et violons, ou encore la dernière partie très développée où solistes (en trio), petit chœur et grand chœur se font l’écho d’une inspiration perpétuellement variée et sans défaut ? Les trois autres œuvres sont antérieures à la composition du Motet pour l’Offertoire de la Messe Rouge ; elles ont été très probablement écrites pour l’Église des Jésuites de la rue Saint-Antoine, autre lieu de prestige de Paris. Les cérémonies y étaient somptueuses, tout particulièrement la procession de la Fête-Dieu, réglée comme un véritable spectacle. Des reposoirs magnifiquement parés, fleuris, illuminés étaient installés sur le parcours de la procession et chaque station du Saint Sacrement était ponctuée par une prière de la liturgie ou par un motet en musique, comme nous l’indique Charpentier dans ses deux pièces : Pour le Saint Sacrement au reposoir et Pour la seconde fois que le Saint Sacrement vient au mesme reposoir. C’est l’instant où l’effusion se fait la plus intense, où l’adoration divine trouve ses accents les plus tendres et les plus suaves – ainsi dans la première partie de H.372 où après la douce invocation “O Deus O salvator noster”, le texte entièrement bâti sur une accumulation

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HMA 1951185

Nous avons dans ces quatre œuvres un exemple de l’art

sublime de Charpentier. Maître dans le genre du grand motet

(il l’est aussi dans d’autres), il n’est jamais décoratif comme

certains de ses contemporains. Sa musique obéit toujours

aux exigences d’une extrême sensibilité s’alliant à une foi

profonde et authentique. C’est pourquoi elle nous touche

encore si fort aujourd’hui et nous prouve que le siècle de

Louis XIV, même sans trompette ni timbale, fut vraiment un

très grand siècle pour nous avoir laissé de tels joyaux.

Marc-Antoine Charpentier (1635-1704)

Miserere . Motets

Le titre du Motet pour l’Offertoire de la Messe Rouge que Charpentier a rebaptisé par la suite Motet pour une longue offrande (vraisemblablement à cause d’une autre exécution) se réfère aux cérémonies annuelles qui accompagnaient la rentrée du Parlement de Paris à la mi-novembre. A cette occasion, une messe était célébrée à laquelle les magistrats assistaient vêtus de leur robe d’écarlate, d’où le nom donné à l’office. Il s’agit d’une des dernières œuvres que Charpentier composa alors qu’il se trouvait maître de musique des enfants de la Sainte-Chapelle, voisine du Parlement. Il avait été nommé à cet important poste le 18 juin 1698, les dignitaires du lieu ayant estimé “qu’il compose et possède la musique en perfection” ; il y mourra le matin du 24 février 1704 “sur les sept heures”. Fin d’une carrière de plus de trente ans, riche d’œuvres (plus de 550) mais pauvre en témoignages sur l’homme, sillonnée de marques d’admiration (Donneau de Visée, Sébastien de Brossard) mais aussi de critiques acerbes sur l’italianisme du musicien (Lecerf de la Viéville).Ecarté de la cour de Louis XIV par l’envie jalouse de Lully mais aussi par la malchance (il s’était en effet présenté en 1683 au concours de la Chapelle Royale mais, malade, n’avait pu aller jusqu’au bout des épreuves), Charpentier réussit malgré tout à faire entendre sa musique dans des lieux importants de la capitale dont la Sainte Chapelle qui marque en quelque sorte sa consécration.Depuis 1680, on convoquait pour les grandes occasions des “musiques extraordinaires” : chanteurs et instrumentistes extérieurs à la Sainte Chapelle venaient s’ajouter à la maîtrise. Ainsi en advint-il probablement pour l’exécution du Motet pour l’Offertoire de la Messe Rouge qui nécessite cinq solistes, un grand chœur à quatre parties, deux flûtes, deux hautbois, un ensemble de cordes, basson et orgue.L’extraordinaire beauté qui se dégage de cette œuvre nous montre un musicien parvenu au sommet de son talent, à la pleine maturité de son art. L’écriture tout en étant très diversifiée (la diversité étant pour Charpentier la qualité première en musique ainsi qu’il le souligne à plusieurs reprises dans ses Regles de composition) obéit à un souci formel non moins impérieux : grandes plages instrumentales, sections non plus enchaînées les unes aux autres comme dans ses premiers motets mais nettement séparées, chacune possédant son propre climat tonal. Que faut-il admirer le plus ? Le premier grand chœur avec ses entrées en traits rapides de doubles croches (“Pluet super peccatores laqueos ignis”, “il pleut sur les pécheurs des flèches de feu”) puis sa solide homorythmie, les puissants accents sur le “non” (“non confundar in aeternum”), la légèreté de l’instrumentation dans les “simphonies” lorsque dialoguent flûtes et violons, ou encore la dernière partie très développée où solistes (en trio), petit chœur et grand chœur se font l’écho d’une inspiration perpétuellement variée et sans défaut ?Les trois autres œuvres sont antérieures à la composition du Motet pour l’Offertoire de la Messe Rouge ; elles ont été très probablement écrites pour l’Église des Jésuites de la rue Saint-Antoine, autre lieu de prestige de Paris. Les cérémonies y étaient somptueuses, tout particulièrement la procession de la Fête-Dieu, réglée comme un véritable spectacle. Des reposoirs magnifiquement parés, fleuris, illuminés étaient installés sur le parcours de la procession et chaque station du Saint Sacrement était ponctuée par une prière de la liturgie ou par un motet en musique, comme nous l’indique Charpentier dans ses deux pièces : Pour le Saint Sacrement au reposoir et Pour la seconde fois que le Saint Sacrement vient au mesme reposoir. C’est l’instant où l’effusion se fait la plus intense, où l’adoration divine trouve ses accents les plus tendres et les plus suaves – ainsi dans la première partie de H.372 où après la douce invocation “O Deus O salvator noster”, le texte entièrement bâti sur une accumulation

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d’adjectifs adorateurs est traité dans un style vertical et syllabique afin que l’attention de l’auditeur ne soit pas détournée de la force émotive contenue dans les mots mêmes.La pièce intitulée Pour le Saint Sacrement au reposoir baigne dans une atmosphère de profond recueillement qui se manifeste dès la phrase d’entrée du haute-contre – la mélodie à la fois retenue et tendue vers l’aigu traduit le mouvement et l’attente des regards tournés vers Dieu – et qui se poursuit dans les suspensions pleines de lumière sur “O” (“O nos felices filii O nos beati”).Charpentier n’a pas écrit moins de quatre œuvres sur le texte du Psaume 50 “Miserere mei Deus” : pour les musiciens du Dauphin (H.157), pour les religieuses de l’Abbaye-aux-Bois (H.173), pour Mlle de Guise (H.193) (la même composition ayant été par la suite reprise pour les Jésuites) et enfin le présent Miserere a 4 voix et 4 instr., lui aussi pour les Jésuites. Ne soyons pas surpris de cette multiplicité d’œuvres sur un même texte, Charpentier en était coutumier (dix Magnificat, six De Profundis, cinq Salve Regina…). Ce dont il faut plutôt s’étonner, c’est du génie de ce compositeur à renouveler chaque fois son inspiration au gré des commandes.Tout l’art baroque du contraste est présent dans le Miserere dont l’écriture varie sans cesse d’un verset à l’autre, d’une manière qu’on pourrait presque qualifier de “kaléidoscopique”. Cette volonté de diversifier à l’extrême se retrouve à tous les niveaux de la composition. Nous n’en signalerons ici que quelques aspects : opposition entre mode mineur (l’œuvre est en ré mineur que Charpentier qualifie de “Grave et Devot”) et mode majeur (“Asperges me…”), entre les intensités “doux” (“Domine labia mea aperis”) et “fort” (“et os meum annuntiabit laudem tuam”), entre l’écriture harmonique verticale et le traitement en imitations où fleurissent parfois quelques très belles vocalises (“exultabunt”, “exultabit”, “aedificentur”), contraste encore avec la jubilation de “et exultabunt ossa humiliata” et le statisme de “averte faciem tuam a peccatis meis”…Nous avons dans ces quatre œuvres un exemple de l’art sublime de Charpentier. Maître dans le genre du grand motet (il l’est aussi dans d’autres), il n’est jamais décoratif comme certains de ses contemporains. Sa musique obéit toujours aux exigences d’une extrême sensibilité s’alliant à une foi profonde et authentique. C’est pourquoi elle nous touche encore si fort aujourd’hui et nous prouve que le siècle de Louis XIV, même sans trompette ni timbale, fut vraiment un très grand siècle pour nous avoir laissé de tels joyaux.

CATHERINE CESSAC

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Miserere H.219

1 | Ouverture

2 | Miserere mei, Deus, secundum magnam misericordiam tuam.Et secundum multitudinem miserationum tuarum dele iniquitatem meam.Amplius lava me ab iniquitate mea et a peccato meo munda me.

3 | Quoniam iniquitatem meam ego cognosco et peccatum meum contra me est semper.

Tibi soli peccavi et malum coram te feci ut justificeris in sermonibus tuiset vincas cum judicaris.Ecce enim in iniquitatibus conceptus sum et in peccatis concepit me mater mea.Ecce enim veritatem dilexisti; incerta et occulta sapientiae tuae manifestati mihi.

4 | Asperges me hysopo et mundabor; lavabis me et super nivem dealbabor.Auditui meo dabis gaudium et laetitiam et exsultatunt ossa humiliata.Averte faciem tuam a peccatis meis et omnes iniquitates meas dele.Cor mundum crea in me, Deus, et spiritum rectum innova in visceribus meis.

5 | Ne projicias me a facie tua et spiritum sanctum tuum ne auferas a me.Redde mihi laetitiam salutaris tui et spiritu principali confirma me.Docebo iniquos vias tuas et impii ad te convertentur.Libera me de sanguinibus, Deus, Deus saluti meae,et exsaltabit lingua mea justitiam tuam.Domine, labia mea aperies et os meum annuntiabit laudem tuam.Quoniam si voluisses sacrificium, dedissem utique; holocaustis non delectaberis.

6 | Sacrificium Deo spiritus contribulatus;cor contritum et humiliatum, Deus, non despicies.

7 | Benigne fac, Domine, in bona voluntate tua Sion ut aedificentur muri Jerusalem.

Tunc acceptabis sacrificium justitiae, oblationes et holocausta;tunc imponent super altare tuum vitulos.

8 | Pour la seconde fois que le Saint Sacrement vient au mesme reposoir H.372

O Deus, O Salvator noster,quam dulcis, quam clemens, quam mitis, quam bonus,quam patiens, humilis et mansuetus!Unde hoc mihi Domine ut iterum ad me venire digneris Rex summaemajestatis ad infimum servum et inutilem, deus ad hominem, creator ad creaturam.Quis es tu Domine et quis sum ego?Tu ne Deus meus qui de sinu patris in purissimum virginis uterum venisti?Rursum intrabis in hanc domum heu segniter nimis et incurie paratam.

Urget amor salvatorem amor ille nimius vincet.Ah Domine! Noli vexari, noli Domine vexari.Non enim sum dignus ut intres sub tectum meum,sed tantum dic verbo et sanabitur anima mea.Urgebat amor Jesum amor ille nimius vicit jam ingressus estO felix hospes qui tanto frueris hospite.Ipsum enim habes qui habet omnia quem totus tibi mundus auferre non potest.Sentiat O Jesu mens nostra dulcedinem praesentiae tuaenil quaerat extra te nil amet praeter te.Qui tu summa bonitas, tu via vita veritas et vera felicitas et felix aeternitas.

9 | Pour le Saint Sacrement au reposoir H.346

Oculi omnium in te sperant Domine,et tu das illis escam in tempore opportuno;aperis manum tuam et imples omne anima benedictione.Et mihi sitienti et mihi esurienti deesse poteris?Venite sitientes, venite esurientes, comedite panem meumet bibite vinum quod miseri vobis.O nos felices filii, O nos beati,qui ad mensam patris nostri coelestis tam amanter invitamur.Ibi panis angelorum copiose frangitur.Ibi vinum electorum copiose bibitur.O nos felices filii…

Motet pour l’Offertoire de la Messe Rouge H.434

10 | Paravit Dominus in judicio thronum suum, tribulatio et angustia et morsin manibus ejus; nubes et caligo in circuitu sedis ejus;quis poterit resistere, quis non parcebit?

11 | Pluet super peccatores laqueos ignis et sulphur et vapor fumi et sulphur procellarum pars calicis eorum ignis et sulphur et vapor;

et bibet omnes peccatores terrae.Vidi impium super exaltatum et elevatum sicut cedros Libani et transiviet ecce non erat, quaesivi eum et non inventus locus ejus.

12 | Deus justus et patiens numquid irascitur per singulos dies,ubi sunt misericordiae tuae Domine?Speravi, speravi in bonitate tua, non confundar in aeternum.

13 | Justus es Domine,bonus es Domineet fortis et rectuset patiens et misericorset fortis et rectus… justus, fortis, rectus, patiens et misericors.Justitia et pax osculatae sunt, virtutem terribilium tuorum eructabunt.Memoriam abundantiae suavitatis tuae laetantes decantabunt.Misericordias Domini in aeternum cantabo.In generationem et generationem annuntiabo justitiam tuam.Justitia et pax osculatae sunt…