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CHALLENGES 10/12 PLACE DE LA BOURSE 75081 PARIS CEDEX 02 - 01 44 88 34 34 11/17 DEC 08 Hebdomadaire Paris OJD : 259346 Surface approx. (cm²) : 4956 Page 1/14 ECOLE5 6001028100509/GFS/ATM Eléments de recherche : ECOLE D'ECONOMIE DE PARIS ou PARIS SCHOOL OF ECONOMICS : à Paris 14ème, toutes citations En couverture Les x nouveaux économistes Le W décembre, Paul Krugman a reçu le prix Nobel. Un signal keynésien fort à l'heure où les dirigeants mondiaux se tournent vers les économistes pour sortir de la crise. Mais auxquels se fier? Visite des différentes chapelles. I l en va dè la communauté internationale des écono- mistes comme de la litté- rature française. Un vil- lage avec ses écoles et ses chapelles, qui tout à la fois adule et exècre les grands maîtres du passé. Une com- munauté écrasée par les grandes écuries (Chicago, Columbia, Prince- A la découverte des nouveaux prophètes +• de r é col e de Chicago >• des néokeynésiens • des comportementalistes >• des alters *• des écoles françaises Le Nobel récompense-t-il la pensée dominante? P aul Krugman n'a pas le prix Nobel, maîs celui de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel. Nuance. Alors que les prix Nobel ont été créés au début du xx p siècle selon les volontés testamentaires d'Alfred Nobel, le Nobel d'économie n'a vu le jour qu'en 1969. « Une façon pour les économistes de se distinguer des autres sciences de l'homme, de faire de l'autopromotion », se moque l'économiste et mathématicien Bernard Guernen (Pans I) dans un petit livre iconoclaste, L'Illusion économique (éditions Omniscience). Selon lui, le prix célébrerait toujours le courant dominant. En 1976, le sacre de Milton Fnedman annonce l'ère Thatcher-Reagan. En 2008, c'est Paul Krugman, pour fêter la fm du très impopulaire règne de George W. Bush. Avec plus de 40 Pnx Nobel sur 60, les Américains dominent. Si l'on excepte Gérard Debreu (1983), un normalien émigré aux Etats-Unis en 1948, il n'y a qu'un Français au compteur : Maurice Allais (1988). Maîs Jean Tirole et Olivier Blanchard font partie des nobéhsables. ton, Harvard, MIT) avec ses cou- rants à la mode (les nouveaux key- nésiens), et ses ringards (les monétaristes). Et, bien sûr, un grand prix annuel sujet à polémique dé- cerné non pas dans un restaurant parisien, mais dans l'austère Acadé- mie royale des sciences de Stock- holm. Comme l'économie est une science humaine, et très politique, c'est Paul Krugman qui s'est vu dé- cerner le 10 décembre le prix Nobel. Le professeur de Princeton est re- connu pour ses travaux académi- ques sur les économies d'échelle, mais aussi pour avoir dénoncé de- puis des années et à longueur de colonnes dans le New York Times les dérapages de l'Amérique de George W. Bush. L'explosion de la bulle du crédit aux Etats-Unis et le rsunami économique qu'il engendre aura au moins eu le mérite de se- couer du plafond à la cave la maison des économistes. Une bonne occa- sion de faire l'état des lieux. Pierre-Henri de Menthol!

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CHALLENGES10/12 PLACE DE LA BOURSE75081 PARIS CEDEX 02 - 01 44 88 34 34

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Eléments de recherche : ECOLE D'ECONOMIE DE PARIS ou PARIS SCHOOL OF ECONOMICS : à Paris 14ème, toutes citations

En couverture

Lesx nouveauxéconomistes

Le W décembre, Paul Krugman a reçu le prix Nobel.Un signal keynésien fort à l'heure où les dirigeants mondiauxse tournent vers les économistes pour sortir de la crise. Mais

auxquels se fier? Visite des différentes chapelles.

Il en va dè la communautéinternationale des écono-mistes comme de la litté-rature française. Un vil-lage avec ses écoles etses chapelles, qui tout àla fois adule et exècre les

grands maîtres du passé. Une com-munauté écrasée par les grandesécuries (Chicago, Columbia, Prince-

A la découvertedes nouveaux prophètes

+• de r é col e de Chicago

>• des néokeynésiens

• des comportementalistes

>• des alters

*• des écoles françaises

Le Nobel récompense-t-il la pensée dominante?

P aul Krugman n'a pasle prix Nobel, maîscelui de la Banque de

Suède en scienceséconomiques en mémoired'Alfred Nobel. Nuance. Alorsque les prix Nobel ont étécréés au début du xxp siècleselon les volontéstestamentaires d'AlfredNobel, le Nobel d'économien'a vu le jour qu'en 1969.« Une façon pour leséconomistes de se distinguer

des autres sciencesde l'homme, de fairede l'autopromotion »,se moque l'économisteet mathématicien BernardGuernen (Pans I) dansun petit livre iconoclaste,L'Illusion économique(éditions Omniscience).Selon lui, le prix célébreraittoujours le courant dominant.En 1976, le sacre de MiltonFnedman annonce l'èreThatcher-Reagan. En 2008,

c'est Paul Krugman,pour fêter la fm du trèsimpopulaire règne deGeorge W. Bush. Avec plusde 40 Pnx Nobel sur 60,les Américains dominent. Sil'on excepte Gérard Debreu(1983), un normalien émigréaux Etats-Unis en 1948,il n'y a qu'un Français aucompteur : Maurice Allais(1988). Maîs Jean Tirole etOlivier Blanchard font partiedes nobéhsables.

ton, Harvard, MIT) avec ses cou-rants à la mode (les nouveaux key-nésiens), et ses ringards (lesmonétaristes). Et, bien sûr, un grandprix annuel sujet à polémique dé-cerné non pas dans un restaurantparisien, mais dans l'austère Acadé-mie royale des sciences de Stock-holm. Comme l'économie est unescience humaine, et très politique,c'est Paul Krugman qui s'est vu dé-cerner le 10 décembre le prix Nobel.Le professeur de Princeton est re-connu pour ses travaux académi-ques sur les économies d'échelle,mais aussi pour avoir dénoncé de-puis des années et à longueur decolonnes dans le New York Timesles dérapages de l'Amérique deGeorge W. Bush. L'explosion de labulle du crédit aux Etats-Unis et lersunami économique qu'il engendreaura au moins eu le mérite de se-couer du plafond à la cave la maisondes économistes. Une bonne occa-sion de faire l'état des lieux.

Pierre-Henri de Menthol!

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Paul Krugman. Le professeur de l'université de Princeton est aussi éditorialiste au New York Times.

Paul Krugman,Nobel anticonformiste

brillant, combatif et politique, le Nobel 2008cle l?éco no mie se moque de ce que pensentle Tout- Washington et le Tout- Wall Street.

Tl fallait un Nobel d'économied'exception pour cette annéefolle. Lin fond de sauce mitonnédepuis Princeton avec une

bonne pincée d'épices saupoudréerégulièrement dans le New York Ti-mes Paul Krugman dit qu'il sait yfaire en matière de cuisine. C'est

probablement vrai, vu l'assiduitéavec laquelle il visite les bons restau-rants français. Maîs vu l'impatiencedu bonhomme, on l'imagine mal im-mobile dernère les fourneaux. Ceserait plutôt un menu du genre filetde sole minute, purée instantanée,gâteau express, le tout arrosé d'une

Mort subite... Paul Krugman nes'arrête jamais! «Je suis un tra-vailleut extrêmement rapide maisimpatient et désorganisé >>, est-Olepremier à reconnaître. Toujours surle qui-vive, le regard enfiévré assorti,il semble perpétuellement lancédans une course contre la montre.«Il est 1res occupé, toujours entredeux engagements, remarque Ge-ne M. Grossman, un collègue nobéli-sable de Princeton qui le comiaîtbien. Les journalistes du New YorkTimes n'ont généralement qu'unjob, les chercheurs de Princetonaussi. Lui fait les deiu. C'est attu-rissanl. »Tentez l'arrêt sur image, vous ob-tiendrez un portrait flou. De gau-che ? Sans aucun doute. Son dernierUvre s'intitule La Conscience d'unhomme de gauche. Il le dit : « Je dé-fends sans réserve l'Etal providen-ce, que je considère comme l'arran-gement social leplits décent jamaisinventé. » Mais avant de prendreson téléphone pour lui demanderdes conseils, Martine Aubry feraitbien de lire son analyse de la crise :il faut, certes, un plan de relancekeynésien pour redémarrer l'écono-mie, dit-il, maîs « la finance devraêtre reprivatisée dès qu'on pourrale faire sans danger ». De gauche,oui, mais le prix Nobel qui vient delui être accordé l'a été pour unethéorie démontrant les avantagesdu commerce international. Krug-man, en France, serait probable-ment classé MoDem...

« Mozart de sa gênêration »« Ma vie personnelle, je suis désolede le dire, n 'est pas intéressante Jen'ai aucune escapade sexuelle àconfesser, je n'ai assassiné person-ne et n'ai jamais été arrêté. J'aiessayéunefois le hasch, mais ce futun échec: n'ayant jamais fumé,j'ai été pris d'une quinte de touxdès ma première et unique bouf-fée ». confiait-il en 2003.Fils unique d'un agent d'assuranceset d'une mère au foyer, la future su-perstar de l'économie grandit dansune famille tranquille et bourgeoisedc Long Island, dans la banlieue dcNew York. A l'université Yale, Krug-man se lance sans passion dansl'économie maîs, en licence, il a lachance de suivre le séminaire de BillNordhaus, excellent écono-

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miste élevé dans la traditiondu MIT. Le ph est pris.Krugman, aujourd'hui, est connupour ses éditoriaux bihebdomadai-res dans le New York Times, qu'il arejoint en 2000, or il était déjà célè-bre bien avant chez les économistes,ne serait-ce que parce qu'il a rem-porté en 1991 la Clark Medal, unedistinction accordée tous les deuxans à un économiste de moins de40 ans. « C'est le Mozart de sa géné-ration, dit Maurice Obstfeld, profes-seur à Berkeley et coauteur avecKrugman d'un manuel de référencesur l'économie internationale. Lacréativité et la beauté de son travailacadémique sont remarquables. »

Recherche éléganteKrugman acquiert ses lettres de no-blesse en 1979, avec la parution d'unarticle dans le Journal of Interna-tional Economies qui va profondé-ment renouveler la théorie du com-merce international. « II a élargi lechamp de cette théorie, explique Ge-ne M. Grossman. Pendant des siè-cles, ceUe-ci avait expliqué pour-quoi les différences entre pays lespoussaient à commercer, exploitantleurs avantages comparatifs. Ceque Paul a reconnu et théorisé estqu'une bonne partie du commerceinternational se fait entre pays qui

Paul Krugman àl'université dePrinceton, enoctobre.Reconnu pourses travauxacadémiques surles économiesd'échelle et trèsconnu pour seséditoriauxpolitiques.

Challenges.

rORUMJACQUES ATTAULa crise et après?

Posez-lui dèsmaintenant

vos questions surChallenges.fr,

rubrique «Forums»

LE 17 DECEMBREDE 15 H 30 À16 H 30

ne, sont pas si différents que cela lesuns des autres. Il y a donc uneautre motivation qui les pousse àcommercer. Ce sont les économiesd'échelle : si vous produisez unegrande quantité de quelque chose,vous le faites bien. » Tous les éco-nomistes, Krugman compris, souli-gnent qu'il n'a pas inventé l'idéed'une spécialisation internationaleliée aux économies d'échelle. Il l'asimplement formalisée, l'a intégréeaux modèles mathématiques dontse délectent les économistes, avecbrio. « Sa recherche est d'une rareélégance, il a le chic pour distillerl'essence d'un problème en le débar-rassant de toutes les scories », ditGrossman.Même s'il a reçu le coup de télépho-ne des Nobel alors qu'il était nucomme un ver, prêt à prendre sadouche, Krugman n'a sans doutepas été stupéfait de la nouvelle. Ilaurait été sans doute beaucoup plussurpris si on lui avait annonce en2006, au moment du départ en re-traite de Greenspan, que deux ansplus tard, l'ex-président de la Ré-serve fédérale (Fed) serait un pariaet lui une superstar. Greenspan,avec quèlques dizaines d'autres, faitpartie des têtes de Turc de Krugman.Dès 2001, alors que l'oracle de laFed donne sa caution prestigieuseaux baisses d'impôts de Bush, Krug-man dénonce la « lâcheté » du prési-dent de la Fed, que tout le monde, àcette époque, adule encore. Du purKrugman : il se moque bien de ceque pensent le Tout-Washington etle Tout-Wall Street : dès qu'une idéelui paraît mauvaise il ne se prive pasde l'écrire.Son embauche comme éditorialistedu New York Times, même si elle estune première pour le quotidien,n'est pas incongrue. Krugman a troisqualités précieuses pour un édito-rialiste : il sait exprimer en termessimples ce qui ne l'est pas, adorepasser de la recherche académiqueà la politique économique et viceversa, et a toujours soif de recon-naissance, comme tout génie dou-tant de lui-même.Autant dire que lorsque Bush juniorprend le pouvoir en 2001, les cou-teaux de Krugman sont tous affûtés.Il reste d'abord en terrain connu,l'économie, mais, après le ll sep-tembre 2001, il jette plus loin ses fi-

lets. Kaison circonstancielle : lapresse affiche une unanimité quin'est pas dans le caractère de cetanticonformiste. Raison de fond : latendance des médias à présenter defaçon « équilibrée » la politique deBush - « X pense que les baissesd'impôts (ou la guerre en Irak) sontune bonne idée, Y est d'un aviscontraire » - ouvre un boulevard àKrugman et à Frank Rich, autreéditorialiste du New York Times.

Style polémiqueMais Krugman n'est pas juste viscé-ralement anti-Bush. Il a le don dedénicher telle ou telle information,parfois un scoop pur et simple, pourétayer une argumentation aussiélégante que ses modèles mathéma-tiques. Il dénonce tour à tour les ca-deaux fiscaux aux riches, les tentati-ves de privatisation du régime desretraites, la mainmise conservatricesur la Cour suprême, ou encorel'aventure irakienne.La droite conservatrice le hait detoutes ses fibres, et son oppositionprécoce à la guerre en Irak lui a valudes menaces de mort et la crainte dedevoir un jour s'exiler. Il n'en seraévidemment rien, sa célébrité crois-sant de façon inversement propor-tionnelle à la déchéance de Bush.Début 2007, l'éditorialiste est devenutellement sûr de lui qu'il s'immiscesans précaution dans la lutte entreHillary Clinton et Barack Obama,prenant parti pour la première avecune agressivité aveuglant son objec-tivité. « Je trouve parfois désagréa-ble son style polémique et combatif,même quand je suis d'accord sur lefond avec ses critiques », lâchel'économiste Avinash Dixit, uneautre star de Princeton. « Le pro-blème est sa tendance à écrire avecun zèle de procureur. N'ayant ja-mais vraiment assimilé les valeursculturelles de la profession de jour-naliste, Krugman a du mal à semontrer juste envers ceux qui nesont pas de son avis », note le jour-naliste économique David Warsh.Ce genre de critique laisse de mar-bre ce Prix Nobel qui, précisément,carbure à l'emportement et à la pas-sion. Au point, écrit-il, de rappelerce qui le motive avant tout : l'écono-mie, dit-il, est quelque chose de fun !

Philippe Boulet-Gercourtcorrespondant aux Etats-Unis

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Les nouveaux prophètes

De F ingratituded'être Cassandre

S'ils avaient été écoutés, la crise du capitalismeaurait-elle été évitée?Pas sûr. Consolation :

les prophètes de malheur ont acquis de la crédibilité.

Et les Frenchies ? L'Hexagone a sonoracle, mais il vit en Californie. L'eth-nologue Paul Jorion, économiste ettrader, a vu venir la crise dans sonlivre Vers la crise du capitalismeaméricain? écrit en 2005. Il tra-vaillait alors chez un champion descrédits immobilier, CountrywideFinancial. Son ouvrage a nus deuxans avant d'arriver en France. « Leséditeurs trouvaient mes thèses far-felues, et c'est grâce au soutien deJacques Attali que j'ai pu être pu-blié. » Depuis, Jorion est édité chezFayard. Son dernier opus, La Crise,des subprimes au séisme financierplanétaire, figurait dans la sélectionfinale du Prix du Livre d'économie2008. David Bensoussan

L'anecdote est déjàentrée dans la légen-de. Septembre 2006,Washington, confé-rence au siège duFonds monétaire in-

ternational. L'économiste NourielRoubini décrit devant une audiencedubitative l'enchaînement de la fu-ture crise des subprimes : éclate-ment de la bulle immobilière, faillitedes banques, de Freddie Mac etFanny Mae, puis la récession. Il ygagne son surnom de Dr. Doom(Monsieur Mauvais présage). De-puis, tout le monde le réclame, deLondres à Hong-kong, du Forum deDavos aux couloirs du Capitole. Peud'économistes peuvent se vanterd'avoir été aussi visionnaires.A ceux qui lui posent la question,Roubini cite volontiers l'un de sesmentors à Yale, Robert Shiller, rede-venu l'une des coqueluches des mé-dias américains. Ce dernier avaitdéjà prévu l'éclatement de la bullehigh-tech dans son best-seller inti-tulé Exubérance irrationnelle(2000). C'est d'ailleurs dans une réé-dition de cet ouvrage, en 2005, quece spécialiste de l'immobilier dé-nonçait les dangers du surendette-ment des ménages, pointant les ris-ques de faiUites individuelles qui nemanqueraient pas de se répercutersur les institutions financières.Robert Shiller souligne aujourd'huique de nombreux experts avaientfait les mêmes observations que luisans en tirer les conclusions quis'imposaient, par peur de rompreavec le consensus.

Roubini a prédit en 2006 Ila crise des subprimes \

Nouriel Roubini. Ce professeur à l'université de New Yorka créé et dirige un cabinet de conseil, RGE Monitor.

Ce nouveau prophètede Wall Street est unproduit mondialisé.Né à Istanbul,

Nouriel Roubini a d'abord vécuen Iran, en Israel et en Italie,avant d'obtenir son doctoratà Harvard et de devenirprofesseur d'économieà l'université de New York.Ce polyglotte a travaillépour l'administration Clintonà la fin des années 1990comme conseiller économiqueinternational - il suivaitnotamment les crises despays émergents -, puisau Trésor américain.Alors que sa carrière plafonne,il fonde, en 2004, son cabinetde conseil, RGE Monitor, quirassemble une quarantained'experts et héberge un blogéconomique, où ses sombresprévisions font fureur.Et pourtant, Nouriel Roubinin'est pas un sinistre crâned'oeuf. Ce célibataire de50 ans, passionné d'artcontemporain, est aussiconnu pour ses soiréesfestives organisées dansson loft design de Tnbeca,quartier trendy de Manhattan,où il compte commevoisine l'actrice ScarlettJohansson.

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Le hall de la Chicago Booth School of Business. L'université fut le berceau du néolibéralisme.

UEcole de Chicagoa déboulonné

Milton FriedmanLa Chicago Booth School of Business alliée d'un

président démocrate! Certes, elle reste pro-markct,mais ses économistes ne s'en remettent plus

à ta seule «main invisible du marché» :ils débobinent les comportements de Vhommeet injectent dc Vhumain dans leurs solutions.

Impressionné? Et com-ment. Mais surpris? Pas lemoins du monde. Ce ma-tin-là, Sébastien Gay esttombé nez à nez avec ungrand type sortant de son

4x4, qui déposait ses fillettes àl'école. Rien de particulier, sauf quel'homme au manteau noir s'appelleBarack Obaina. Lejeune Français apatiemment attendu que le convoiredémarre pour poursuivre son che-min, il a traversé la rue et gagné sonbureau de la Chicago Booth Schoolof Business.La rencontre n'avait rien de fortuit :Obama, ancien prof à la faculté dedroit de l'université de Chicago, ha-bite dans le quartier. Et dans lesmurs de « Booth », tout le mondesemble le connaître ou connaîtrel'homme qui connaît l'homme qui leconnaît. Austan Goolsbee, tout justenomme au côte dc Paul Volckcrpour conseiller le président surl'économie, enseigne à la ChicagoSchool of Business. Tout commeRichard Thaler, le théoricien del'économie comportementale, quiconnaît Obama dc longue date.Comme beaucoup d'autres...

InnovationLa Chicago School of Business alliéed'un président démocrate ! MiltonFriedman doit s'en retourner dans satombe. Il avait dominé dc sa staturela faculté pendant trente ans, de1946 à 1976, fondant cette Ecole deChicago qui fut le temple du néolibé-ralisme que les « Chicago Boys »latinos avaient appliqué dans toutel'Amérique latine. Apôtre du marché,le monétariste de choc serait certai-nement horrifie dc voir le gouverne-ment jouer les pompiers volants etsauver les banques de la faillite. Maîsles temps ont changé.« Les genspenseïit à Chicago et celaleur évoque Friedman, les ChicagoBoys, mais cela fait longtempsqu'ils mt passé la main, rappelleRichard Thaler. Gary Becker, le Nobel 1992, est encore là, mais l'âgemédian des projs avoisine 40 ans.Leil'rformation est différente, ?7»sont des idées neuves, ils ne se sen-tent pas liés par le passé. »Certes, « nous sommes tous trèspro-market, vous ne venez pas ici sivous pensez que le gouvernementva résoudre tous vos problèmes f,

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«La question de la discrimination passionnaitFriedman. Il voulait découvrir la vérité. »John List, professeur d economie et chercheur sur la discrimination

«Les gens pensent à Chicago et celaleur évoque les Chicago Boys, mais celafait longtemps qu'ils ont passé la main. »Richard Thaler, théoricien de I economie comportementale.

reconnaît Sébastien Gay, unnormalien surdoué qui a fait sa thèsesur. . les motivations des donneursd'organes. Maîs le plus importantn'est pas là : ll est dans la méthode,un mélange de confrontationpermanente d'idées et de validationde la théone par l'expérimentation.Une université comme le MIT - d'oùproviennent d'ailleurs de nombreuxmembres de la faculté de Chicago -valorise la méntocratie, maîsChicago l'exacerbe. Ici, « vous nevalez pas plus que ce que vaut votredernier article publié >, dit JamesHeckman, l'un des six Prix Nobeld'économie dc l'école.Dans la cafétéria d'un magnifiquebâtiment ultramoderne, cadeau d'unancien élève devenu milliardaire, onse motive entre nobélisables :« Continue de bien travailler »,« Quand publies-tu ton prochainarticle ? »... Le professeur John Listse souvient de son bizutage de 2003,alors qu'il n'était encore qu'un « visi-teur » venu plancher devant l'un des« ateliers » de l'école « Je voulaisparler de discrimination, j'avaisprévu une présentation en 72 trans-parents Soudain, un type en blouseblanche m'interrompt C'était GaryBêcher Avec toutes les questions, jene suis pas allé au-delà du treiziè-me transparent. » « Quand je les aivus malmener, à mon deuxièmeatelier, le rédacteur en chef du Jour-nal of Finance, la i evue dans laquel-le tous les prof s veulent être publiés,

j'ai compris qu'ici on était "mé-chant" avec tout le monde, se sou-vient Thaler. C'est la différence avecHarvard ou Cambridge ici, lesgens interagissent bien plus inten-sément qu'ailleurs Au MIT ou àHarvard, chaque type célèbre a sachapelle et on en sort rarement »

ValidationOn \ient à Chicago pour enseigner,celtes, maîs plus encore pour fairede la recherche. Et pour validercette recherche par l'expérimenta-tion C'était déjà vrai du temps deFriedman : malgré sa foi dogmati-que dans le marché, ll fut l'un dessupporters les plus ardents dujeuneGary Becker, venu faire sa thèse surle thème de la discrimination. « Laquestion le passionnait, raconteJohn List. Pourquoi observe-t-on ladiscrimination dans l'économie demarché ? Friedman voulait décou-vrir la vérité »Un demi-siècle plus tard, List tra-vaille à son tour sur la discrimina-tion, maîs aussi la réussite scolairedans les écoles pauvres de Chicagoou la criminalité. De l'avis de sespairs, ce fils de camionneur et desecrétaire est devenu le manitou del'étude de terrain, une réputationque l'on croît volontiers quand ilvous détaille, enflammé, les résul-tats d'un test sur l'espnt de compé-tition masculin et féminin, le mêmetest ayant éte conduit dans une so-ciété patriarcale de Tanzanie et ma-

« AU MIT OU

à Harvard,chaquetypecélèbre asa chapelleet onen sortrarement.A Chicago,les gensinter-agissentbien plusfortement. »

PHOTOS

BethRoonej/ÏÏP\pour CliRUelige&

triarcale d'Inde (dans les deux cas,c'est le sexe dominant qui a l'espntde compétition le plus marqué).

SolutionsAutant dire qu'on cst à mille hcucsdu monétarisme à la Fnedman ou dela foi aveugle d'un Greenspan dansla capacité du marché à s'autorégu-ler. John List est un « obamiste » dela première heure. Son collègue etami Steven Levitt, auteur du célèbreFreakonomics, publie un blog sur lesite du New York Times.Avec Thaler, Goolsbee et d'autres,ces économistes débobinent descomportements humains variés :pourquoi les gens épargnent ou nonpour leur retraite pourquoi font-ilsdes dons charitables, des dons d'or-ganes ou abandonnent-ils l'école à15 ans... Puis ils proposent des solu-tions qui passent souvent par le mar-ché, maîs ne s'en remettent pas à saseule « main invisible » : une incita-tion financière pour un gamin mena-ce d'échec scolaire, l'enrôlementd'un salarié dans le plan d'épargne-retraite d'une entreprise, sachantqu'une fois enrôlés peu de salariésquitteront le plan...Du pragmatisme, alimentant desmodèles économiques d'une sophis-tication, d'une complexité et d'uneélégance bluffantes. Le Chicago nou-veau est toujours aussi exigeant, in-tellectuellement. Maîs fl ne se \eutplus parole d'évangile. P. B.-G.

(envoyé spécial à Chicago)

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Les néokeynésiens

La crise sonnele retour de FEtat

Tombées en disgrâce, les théories du britanniqueJohn Maynard Keynes ressuscitent avec le spectrede 1929. Mais de quel keynésianismeparle-t-on?

Au début de son quin-quennat, NicolasSarkozy, qui a tou-jours été très mé-fiant vis-à-vis deséconomistes, avait

coutume de répéter : « Je ne me lèvepas tous les matins en me deman-dant ce que Ricardo, Keynes ouHayek auraient fait à ma place! »Pour ce qui est de Hayek ou de Ri-cardo, on ne sait pas ; mais face aurisque réel d'effondrement de l'éco-nomie mondiale, la question de sa-voir ce que Keynes aurait préconiséest revenue en force sur le devant dela scène, et pas seulement à l'Elysée.Pour les keynésiens, l'heure de larevanche a sonné.

Concept bas beenDepuis les années 1970, l'inventeurdu concept de trappe à liquiditésétait passé à la trappe tout court.Pendant plus de trente ans, les key-nésiens ont rasé les murs. Leursconcepts étaient tenus pour rin-gards, quand on ne les traitait pas debolcheviques. Tout cela pourquoi?Parce qu'ils défendaient l'idée que lemarché n'avait pas réponse atout etque l'Etat devrait réguler ses dérives.En face, l'idéologie dominante - lelibéralisme monétariste de MiltonFriedman et de l'Ecole de Chicago,relayé dans la sphère politique parMargaret Thatcher et Ronald Rea-gan - vantait les charmes de l'auto-régulation par le marché. Leurs idéo-logues trustaient les postes, deWashington à Bruxelles, de Londresà Tokyo. Bien sûr, cette belle méca-nique connut des ratés, dont certains

Joseph Stiglitz.Prix Nobeld'économieen 2001. NicolasSarkozy a confiéà l'ancienéconomisteen chef de laBanque mondialeune missionde réflexion surle changementdes instrumentsde mesurede la croissancefrançaise.

auraient du mquieter les responsa-bles de l'économie mondiale, mais àchaque fois une bonne petite baissedes taux d'intérêt faisait repartir lamachine. Jusqu'au moment où lemoteur maintenu artificiellement ensurrégime a explosé. Pris de pani-que, les pompiers pyromanes ontouvert grandes les vannes du créditpour éviter l'effondrement du systè-me financier. Et, horreur, ils ontmême dû nationaliser des banques !Problème : cela ne suffit plus. L'éco-nomie réelle est touchée avec unetelle violence qu'il faut voir plusgrand, plus haut, plus fort, bref, opé-rer un retour radical à Keynes. « Re-tour de Keynes ? Mais quel retour?Moi, Keynes, je ne l'ai jamais vupartir! s'exclame, goguenard, le

patron de l'OFCE, le Centre de re-cherche en économie de Sciences-Pô, Jean-Paul Fitoussi, grand four-nisseur de la boîte aidées élyséenned'Henri Guaino, la plume du prési-dent. Pendant la disgrâce de Key-nes, la théorie macroéconomique afait des avancées considérablesgrâce aux nouveaux keynésiens. »

Plusieurs écolesIci, un petit rappel à l'ordre s'impose.Car, au moment où l'on redécouvreles charmes de la pensée keyné-sienne, force est de constater que lefront des keynésiens est loin d'êtreuni. Même s'ils sont d'accord surl'essentiel, les camps - postkeyné-siens, nouveaux keynésiens, Ecolede la régulation, etc. - divergentdans leur lecture du maître deCambridge. Dans son très utile petitouvrage, L'Economie postkeyné-sienne (La Découverte), le postkey-nésien Marc Lavoie, professeur àl'université d'Ottawa, distingue ainsiles keynésiens « hétérodoxes » deskeynésiens « néoclassiques » (ou« nouveaux keynésiens *). Les pre-miers (Ecole de la régulation etpostkeynésiens) sont tenus pourplus radicaux, plus macro ; les se-conds mixent les hypothèses micro-économiques néoclassiques dans lecadre d'un équilibre macroéconomi-que keynésien revisité.L'Ecole de la régulation est repré-sentée en France par des chercheurscomme Michel Aglietta, Laurent Ber-rebi ou Robert Boyer. Les postkey-nésiens, eux, sont les héritiers decontemporains de Keynes, commeRoy Harrod et Joan Robinson, et del'Ecole de Cambridge (Nicholas Kal-dor, Michael Kalecki ou Piero Sraf-fa). En France, on peut citer EdwinLe Héron, maître de conférences àSciences-Pô Bordeaux, président del'Association pour le développementdes études keynésiennes (Adek), ouFranck Van de Velde, membre d'At-tac, maître de conférences à Lille I.Mais le gros du bataillon est fournipar les nouveaux keynésiens, héri-tiers de Paul Samuelson, James To-bin ou Robert Solow. Joseph Stiglitz,Gregory Mankiw, Olivier Blanchard,Daniel Cohen ou Jean-Paul Fitoussien sont quelques-uns des représen-tants les plus célèbres. Sans oublierun certain... Ben Bernanke, le prési-dent de la Fed. Thierry Gandillot

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Olivier Blanchard, à l'île de Ré, en 2008. Le nouvel économiste en chef du FMI est keynésien.

Olivier Blanchard,le nobélisable français

signé des temps :c'est un « nouveaukeynésien », OlivierBlanchard, 59 ans,

qui vient d'être nommeéconomiste en chef du FMI,au moment où le monderisque de plonger dansla plus profonde récessiondepuis 1929. Parti étudierau prestigieux MIT à l'âgede 25 ans, il y fit sa thèsesous la direction de StanleyFischer, avant d'enseigner,

puis de diriger ledépartement d'économie.Pour Challenges, celui quel'on considère souventcomme le nobélisablefrançais, explique : « Etrenéokeynésien, c'estinterpréter cette crisecomme venant d'un énormechoc du côté dè l'offre - duà l'effondrement du systèmefinancier -, qui a déclenchéen retour un énorme chocde demande -dû à

la perception parles consommateurs etfes entreprises d'un risquede dépression les amenanta réduire considérablementleurs dépenses. Et donc,être néokeynésien dansce contexte, e est préconiserdes mesures pour réparerles dégâts du côté del'offre Et des mesures _pour fortement relancer ™la demande en utilisantla politique budgétaire. » ^^

Leur théorie

Le multiplicateurd'investissement^ L'auteur de La Théorie générale del'emploi, de l'intérêt et de la monnaie nemanquait pas d'humour : « Nous étionsquatre à discuter, lança-t-il un jour.Il y avait trois keynésiens. J'étais le seulà ne pas l'être. > ll savait aussi êtrefort pragmatique : « Quand les faitschangent, je change. » S'il est vrai queles apports de Keynes à la théonemacroéconomique sont immenses, ilssont également si complexes qu'ils seprêtent parfois à des interprétationsdivergentes. Maîs, en ces temps decrise, bien des concepts keynésiensrésonnent de façon moderne.Par exemple, I importance du rôle desanticipations, l'imperfection desmarches, l'asymétrie des informations,l'existence d'un équilibre de sous-emploi,ou encore la préférence des ménagespour la liquidité. Maîs le coeur de lathéone keynésienne - sur lequelreposent les espoirs des responsablesde la planète - reste, bien sûr, le fameuxmultiplicateur d'investissementRappelons-en le mécanisme. Si l'oninjecte via la politique budgétaire100 milliards d euros, une partie va êtreépargnée, disons 20, et l'autre (80),consommée. Cette consommationsupplémentaire va pousser lesentreprises à investir pour répondre à lademande ainsi générée. Ce surcroîtd investissement créera de l'emploi,donc des revenus supplémentaires, cequi va augmenter la demande. D'où denouveaux investissements, et ainsi desuite. Maîs ce schéma vertueux peutvenir buter sur deux obstacles. D'abord,en économie ouverte, une hausse de lademande se traduit par une hausse desimportations. Pour la France, il n'y auraitguère d'intérêt à relancer la demande sicela doit provoquer une hausse desimportations chinoises. Ensuite, rienn assure que l'argent d'un plan derelance soit consommé. Keynes a bienmontre qu'en temps de crise lesménages peuvent être tentés de sedésendetter ou d'épargner. C'est lesyndrome japonais. La dette de l'Etatnippon est passée en quinze ans de 30%du PIB à 160%, sans que cela setraduise par une croissance équivalentede l'activité, l'argent injecté étant tombédans la trappe à liquidités décrite parKeynes. - On ne fait pas boire un chevalqui n'a pas soif », dit le dicton. Toute ladifficulté des politiques de relanceactuelles réside dans le degré de soifd investissement et de consommation.

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Les comportementalistes

L'économie est affaire cPaffectsLes émotions influencent les décisions économiques : née

dans les années 1970, la théorie comportementale essaime depuis peu.Son pragmatisme séduit aujourd'hui jusqu'à la Maison-Blanche.

On ronronnait de-puis des décenniesau rythme descoups de balancierentre économistesnéoclassiques et

keynésiens. Et voici que le tsunamiéconomique et financier fait surgirau grand jour une école plus exoti-que dont David Brooks, éditorialiste-vedette du New York Times, n'hésitepas à vanter les mérites.Ce détecteur de tendances - il a in-venté le terme « bobo » - met enavant les apports de la théorie de la« révolution comportementale » :«La crise financière est l'occasionpour les économistes du comporte-ment, qui introduisent de la psy-chologie sophistiquée dans lechamp des politiques publiques, depromouvoir leurs théories. Ces ty-pes peuvent expliquer de façon sen-sée pourquoi tant de gens se sonttrompés dans les risques qu'ils pre-naient. » Robert Shiller, l'un despremiers à avon- tiré la sonnetted'alarme sur la formation de bullesspéculatives, a puisé dans ces théo-ries. « Ces économistes sont encoreconsidérés comme un groupe mar-ginal, mais sans leur soutien jen'aurais peut-être pas osé parler. »

Reconnaissance tardiveLes premiers travaux d'économiecomportementale remontent auxannées 1970. Mais ce n'est qu'en2002 que cette école de pensée a étéreconnue, avec l'attribution du prixNobel à Vernon Smith, et surtout àDaniel Kahneman, récompensé« pour avoir introduit en sciencesêconomiques des acquis de la re-cherche en psychologie, en particu-lier concernant les jugements etles décisions en incertitude ».

Daniel Kahnemanle Nobel psychologue

i

Daniel Kahneman, Prix Nobel d'économie 2002. Sesrecherches sur les prises de décision ont fait école.

C'est une exceptionau royaume des PrixNobel d'économie.En 2002, l'Académie

n'a récompensé ni unéconomiste de formationni un mathématicien, maîsun psychologue. DanielKahneman se vante d'ailleursde n'avoir jamais pris decours d'économie! Cettesommité mondiale dessciences comportementalesest née à Tel-Aviv en 1934,a grandi caché à Parisdurant la guerre, avant deretourner enseigner en Israel.C'est en réfléchissant à lademande de l'armée de l'airsur la meilleure façon de •motiver les jeunes pilotesque Daniel Kahneman etson acolyte Amos Tversky ontcommencé leurs recherchesen matière de prises de _décision. Maîs c'est aux •Etats-Unis qu'ils accéderont •à la célébrité : Kahnemanest, depuis 1993, professeurde psychologie etd'administration publiqueà l'université de Princeton.Il conseille également lefonds d'investissementde la famille Guggenheim.En 2006, la France l'a faitdocteur honoris causade la Sorbonne, et lepsychologue siège au conseild'administrationde la fondation de l'Ecoled'économie de Toulouse.

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Aujourd'hui, elle lait même sonentrée à la Maison-Blanche grâce àun autre de ses pionniers, RichardThaler, professeur à Chicago (lirepages 62-63). «Les économistesautour de Barack Obama sont jeu-nes, et marquent un intérêt plusfort que leurs aines pour ces théo-ries >, confie cet universitaire qui ainspiré certaines mesures du candi-dat démocrate. Obama a ainsi pro-posé que les entrepnses fassentautomatiquement adhérer leurs em-ployés à un plan d'cpargnc-rctraitc,leur laissant le libre choix d'en sortirCette mesure s'appuie sur les etudesde Thaler, qui a constate que beau-coup de salaries n'adhèrent pas auplan si on se contente de le leur pro-poser, d'où la nécessite d'influencerleur choix dès le depart

Influence grandissantePlus pragmatique qu'idéologique,l'économie comportementale a donctout pour plaire au président élucomme aux étudiants «Les grandesuniversités, Yole, Harvard, Chica-go, ont monté un département dédiéà cette discipline, et déplus en plusdéjeunes y consacrent leur thèse >,confirme le Français Xavier Gabaix,37 ans, qui enseigne a New York, aucôte dc David Laibson. Avec Mat-thew Rabbin, lauréat dc la médailleClark qui recompense le meilleurjeune économiste américain, toustrois lont partie de cette nouvelle

Robert Shiller.L'économiste duBureau nationaldes rechercheséconomiquesaméricains'est appuyésur le comporte-mentalismepour alertersur la formationde bullesspéculatives.

«Autourcie BarackObama,les écono-mistes sontjeunes etmarquentun intérêtplus fortque leursaînéspour cesthéories. »

Xavier Gabaix. Le Français, quienseigne à New York, fait partie decette nouvelle génération qui pousseplus loin les théories de Kahneman.

génération qui pousse plus lom lesthéories de Kahneman et s'en sert,par exemple, pour analyser la « myo-pie » des consommateurs sur cer-tains marches.Discipline surtout américaine, l'éco-nomie comportementale compteaussi des adeptes en Europe. LeFrançais Jean Tirole a consacré unepartie de ses travaux aux incitationset aux interactions entre psycholo-gie et econonue; à l'Ecole d'écono-mie de Toulouse, ll a monte ungroupe de recherche d'une quinzainede personnes sur l'économie com-portementaleAutre référence : l'Autrichien ErnstFelir, qui enseigne a Zurich, ou ll aobtenu le prix Marcel Benoist, équi-valent suisse du Nobel Ses travauxtraitent de la façon dont les agentseconomiques prennent en comptel'équité ou la réciprocité.Enfin, les travaux de Kahneman ontdonne naissance a la finance com-portementale, « discipline en pleinboom », selon Mickael Mangot, lau-réat du prix Turgot 2006 du meilleurlivre d'économie financiere, pourPsychologie de l'investisseur et desmarches financiers. Docteur en eco-nomie, ce trentenaire est chercheura l'Essec, sur le campus de Singa-pour « Je teste les théories compor-tementales sur la culture asiatique,et fai constate que l'aversion desChinois pour les pertes est sembla-ble a la nôtre, maîs qu'ils sont bienmoins fnleux ms-a-iis du risque »Pas de doute, les comportemen-talistes sont en phase avec leurtemps. Sans barrières géographiquesni idéologiques. David Bensoussan

Leur théorie

Le nouvel Homoeconomicus^ Depuis l'Ecossais Adam Smithet I invention de la « mam invisible »du marche au xvm6 siecle, la théorieéconomique a été dominée par la figuremythique de V Homo economicus, cetêtre parfaitement rationnel, motivé parla maximisation de son profit personnelLin charmant bonhomme qui atoutefois pris un sérieux coup de vieuxapres guerre, sous I influence duFrançais Maurice Allais et de l'AméricainHerbert Simon, tous deux Prix NobelLe premier a établi, à travers sonfameux paradoxe, que le choix rationneln est pas forcément celui qui offrela plus forte probabilité de gain.Le second a démontre que la rationalitéd un individu est limitée par sa capacitéa traiter les informations en un tempsrestreint, certaines habitudes venantalors dicter son comportement facea des choix complexesCes travaux ont ouvert la voieaux pionniers de I economiecomportementale, Kahnemanet Tversky Leur « théorie desperspectves >, formulée en 1979,postule que les choix des individusdépendent, certes, d incitationsmonétaires, maîs également de biaisémotionnels qui faussent leur jugement,en particulier dans un contexted incertitude. Les deux chercheursarrivent notamment a la conclusionqu une perte a davantage d impactpsychologique qu'un gain du mêmemontant Autrement dit, le fait de perdre100 ne pourra etre compense qu engagnant 200 ou 300 De même, lesacteurs tendent a donner plus de poidsaux changements de richesse qu aleur niveau absolu, ou a accorder plusde valeur aux actifs qu ils possèdentqu'a ceux que le marché proposeCette théorie s appuie notammentsur des techniques d'enquête utiliséespar l'économiste Vernon Smith,également nobehse en 2002 « pouravoir fait de l'expérience en laboratoireun instrument d'analyse empirique,en particulier dans l'étude de différentsmarches » Empruntée aux sciencesnaturelles, cette méthode expérimentalelui a permis d étudier les phénomènesd enchères et la formation de bullesspéculatives en observant, par exemple,les comportements des traders Etces derniers, malheureusement pourla stabilité du systeme financier,sont bien loin de I Homo economicusimaginé par Adam Smith.

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Les alters

II n'y a pas que le PIBEt si la liberté, Végalité et la croissance allaient de pair? Bien sûr,

affirment les économistes du développement pour qui révolution d'un payspasse obligatoirement par le bien-être de sa population.

Il y a dix ans, dans la tour-mente financière de la criseasiatique et de la faillite dufonds LTCM, le prix Nobeld'économie revenait à l'In-dien Amartya Sen pour ses

travaux sur les choix publics et ledéveloppement. Un humaniste, loindes génies de la modélisation finan-cière récompensés en 1997. Depuis,

les économistes du développementsont devenus des stars. Même Nico-las Sarkozy, pourtant pas franche-ment altermondialiste, les sollicite.Au début de l'année, le président estallé chercher l'auteur de Povertyand Famines pour l'inviter à réflé-chir avec son collègue Joseph Sti-glitz et l'économiste français Jean-Paul Fitoussi à la mise en place

d'indicateurs originaux pour « pren-dre en compte le bien-être social etla performance économique ».Au Presidency College, à Calcutta,où le jeune Amartya Sen a fait sesclasses, en passant par le MIT auxEtats-Unis, la Delhi School of Eco-nomies, le Trinity College de Cam-bridge ou la Paris School of Econo-mies, l'idée fait son chemin : il n'y apas que le PIB dans la vie. Un peutrop brut, le produit ultérieur brut.

Amartya Sen,U économistehumaniste

Originaire deShantmiketan,près de Calcutta,Amartya Sen,

65 ans, professeur àHarvard, est un économistehumaniste - parfoissurnommé la Mère Teresade l'économie, ou le PrixNobel des pauvres.Témoin de la famine quia ravagé l'Inde en 1943,le lauréat du Nobelen 1998 a conçu l'indicede développement humaindes Nations unies,ayant montré que le seulcritère du PIB ne suffit pasà donner une idéedu bien-être effectifdans un pays, ni même

de ses performanceséconomiques. Ses travauxsur les choix publics, lesinégalités hommes-femmeset les famines ontbouleversé la visiontraditionnelle dudéveloppement, ont montrél'importance décisive dela santé, de l'éducation...et de la démocratie, autantde capabilities qui mettentles citoyens en mesured'opérer des choixpertinents. Bref, Senréconcilie développementet démocratie, croissanceet conscience, unecontribution précieuse.Et pas seulement pourles pays pauvres.

Amartya Sen, Prix Nobel d'économie en 1998. Il a conçul'indice de développement humain des Nations unies.

I

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« Le développement d'un pays ne serésumepas à l'accumulation de ca-pital. La croissance passe aussipar la santé, l'éducation, la démo-cratie, autant rie "capacités" quimultiplient les opportunités pourchacun », explique Eloi Laurent,auteur avec Jean-Paul Fitoussi deLa Nouvelle Ecologie politique (LaRépublique des idées-Seuil), un es-sai consacré au couple « économieet développement humain »Le principe de base pour Sen et sesdisciples, c'est que la liberté, l'éga-lité et le développement, tout celamarche ensemble. De doux rêveurs ?Pas du tout : de leurs convictions,ces chercheurs d'élite ont fait unebombe académique, un avertisse-ment que les chefs d'Etat ne peuventplus ignorer.

Révolution statistiqueAvec son collègue pakistanais Mah-bub ul Haq, le Nobel indien a réussià imposer en 1990 aux Nations uniesl'indice de développement humain.Un instrument de mesure inédit quiprend en compte, au lieu des tonnesd'acier ou des milliards de dollarsd'exportations, ces paramètresconcrets que sont pour les citoyensl'espérance de vie, la mortalité infan-tile, le niveau d'éducation, la santé,et même les droits politiques. Unerévolution statistique qui renvoie lesEtats-Unis au 12e rang mondial, en-tre la Finlande et l'Espagne. Pour en-foncer le clou, Sen souligne que « lesNoirs américains vivent moins

Leur théorie

Jeffrey Sachs.L'ex-Chicago Boys'est reconvertien star dudéveloppementdurable à la têtede ('EarthInstitutede Columbia.

Esther Duflo. La Française a fondéle Poverty Action Lab, qui est devenuune place forte de l'économiedu développement.

longtemps en moyenne que LesChinois, les Sri Lankais ou les ha-bitants du Kerala, un Etat du sudde l'Inde, alors qu'ils jouissent d'unrevenu bien supérieur ».Là où la sagesse populaire senneque l'argent ne fait pas le bonheur,les économistes du développementrévèlent que l'inverse est vrai : lebonheur (collectif) fait la richessedes nations. Investir dans le capitalhumain et social, à terme, celaboos-te le PIB. C'est ce que démontre Es-ther Duflo. Du haut de ses 36 ans, lapetite Frenchy surdouée a fait duPoverty Action Lab, qu'elle a fondéen 2003 avec Abhijit Banerjee ausem du MT, une place forte de l'éco-nomie du développement.

«Fin de la pauvreté»Dopée par ces méthodes innovantes,l'école du développement, jadismarginale, s'est métamorphosée.« Quand j'ai fait ma thèse, à la findes années 1990, on trouvaitbizarre qu'un bon étudiant s'inté-resse au développement », se sou-vient Esther Duflo, amusée C'étaitau siècle dernier. Depuis, en 2000,les Nations unies ont adopté les« objectifs du millénaire » visant àaméliorer la situation des plus dé-munis du globe avant 2015.C'est Jeffrey Sachs, l'ex-Chicago Boydes années 1990, reconverti en stardu développement à la têle de l'EartliInstitute dc Columbia, qui a pilotel'initiative. Avec un message simple :mettre «fin à la pauvreté », c'estpossible, fl suffit dc mesures ciblées,ces quick wins pour lesquellesSachs se fait fort de lever des mil-liards de dollars. « C'est Bono! » lâ-che un universitaire. Preuve quel'économie du développement saitaussi faire son show. Eve Charrin

L'expérience deterrain aléatoire^ Qu'est-ce qui permet de passerde la pauvreté au développement?Des vaccins, des puits, des ordinateursou des écoles? Tout à la fois. Oui,maîs qu'est-ce qui marche le mieux7

Pour le savoir, Esther Duflo,cofondatnce en 2003 du Poverty ActionLab au Massachusetts Instituteof Technology (MIT), a mis au pointune méthodologie rigoureuse etinnovante : l'expérience de terrainaléatoire ou randomized experimentExemple : pour mesurer le rendementd'une année d'études supplémentaire,idéalement, il faut comparer deséchantillons significatifs d'adultes enfonction de leur fréquentation scolairepassée. Maîs cela ne prouve pas grand-chose. « Ceux qui ont étudié pluslongtemps sont le plus souvent d'unefamille plus riche », explique EstherDuflo. Pour mesurer l'efficacité d'uneannée d'études, il convient « d'isolerla variable ». Et pour isoler les étudesproprement dites des autres variables,il faut que l'expérience soit menéesur des échantillons choisis de façonaléatoire. Pour se rapprocher de cetteexpérience idéale, la jeune économisteétudie dans sa thèse les effets d'uneréforme menée en Indonésie dans lesannées 1970 : « Grâce aux revenuspétroliers, les autorités avaient lancéun vaste programme de constructionde 70000 écoles sur cinq ans,réparties sur tout le territoire. »Résultat : dans les mêmes zones, il yavait des villages avec école et d'autressans, une répartition aléatoire prochede l'expérience idéale. C'est pam bénitpour Esther Duflo qui, vingt-cinq ansplus tard, mouline les données eten déduit ceci : une année d écolesupplémentaire égale 7% de salaireannuel en plus à l'âge adulte. Clair etnet. Aujourd'hui, ses équipes du PovertyAction Lab créent de toutes piècesles conditions de l'expérience idéale,en quadrillant une zone donnée avecI aide d'ONG. « En distribuant desordinateurs dans une école, du soutienscolaire dans une autre, rien dansune troisième, on comprend ce quiest efficace », affirme-t-elle. Bref,le monde sert de laboratoire. Brillantmaîs attention aux généralisationsabusives, met en garde l'économistePierre-Noël Giraud, auteur deL'Inégalité du monde : « Ce qui marchedans tel pays ne marchera pasdans un autre. » T. G.

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Et la Francedans tout ça ?

Elles sont deux Schools of Economies, Toulouse et Paris,à vouloir bâtir une «école d'excellence» en recrutant les meilleurs

chercheurs mondiaux. Difficile de rivaliser avec V Amérique.

Ce sont les deux gran-des fabnques d'éco-nomistes Made inFrance L'une estconfortablementinstallée dans les

anciennes manufactures de tabacen bnques rouges, au centre de Tou-louse. L'autre est à l'étroit dans desbâtiments vieillots de l'Ecole nor-male supérieure, dans le sud de Pa-ris. La toulousaine a été créée dansles années 1980 par l'économisteJean-Jacques Laffont. La parisiennea été portée sur les fonts baptis-maux fin 2006.Toutes deux partagent la même vi-sion : bâtir une « école d'excellen-ce » en recrutant les meilleurs cher-cheurs mondiaux. Avec l'ambitionde résister aux campus américains,

qui dominent de façon écrasante larecherche mondiale. Leur nom an-glophone (TSE, Toulouse School ofEconomies et PSE, Pans School ofEconomies) n'est pas une coquette-né maîs une nécessité pour être vi-sible à l'international.

EmulationEt chacune est portée par un écono-miste de renommée planétaire :Jean Tirole à Toulouse, médailled'or du CNRS et nobélisable grâce àses 160 articles publiés dans lesmeilleures revues anglo-saxonnes.Daniel Cohen à Pans, spécialiste dela mondialisation, expert auprès del'OCDE et de la Banque mondiale,dont certains ouvrages ont été tra-duits en douze langues. Entre lesdeux institutions, totalisant

Daniel Cohen,FrançoisBourguignon,Philippe Martin,et AgnèsBénassy-Quéré.membres dela Paris Schoolof Economies.Le point fortde la PSE?L'éclectisme deses chercheurs.

Patrick Rey, Christian Collier. Jean Tirole, Franck Portier et Bruno Jullien, de la Toulouse Schoolof Economies. Le point fort de la TSE? Des liens étroits avec le monde de l'entreprise.

200 chercheurs, c'est l'émulation.Pour ne pas dire la guéguerre.D'abord, elles s'affrontent dans lesclassements internationaux qui re-censent les articles scientifiques.Sur le papier, Toulouse est en têteen s'appuyant sur son coeur de mé-tier, l'écononue industrielle, unediscipline dont elle est devenue leleader mondial. Maîs Paris contesteces classements, qui ne prendraientpas en compte les travaux de tousses chercheurs, provenant d'orga-nismes très divers (Ecole normalesupérieure, Ecole des ponts etchaussées, Inra, Pans I). « En fait,si l'on fait un recensement exhaus-tif, nous sommes numéro un euro-péen », s'exclame François Bourgui-gnon, le directeur de la PSE. Et deciter quelques-unes de ses pointuresmondiales, comme Thomas Piketty(sur les inégalités), Roger Guesnene(sur la fiscalité) et Thierry Verdier(économie internationale).Maîs l'essentiel, c'est de faire faceaux universités américaines - on encompte dix-huit dans les vingt pre-mières mondiales -, qui captent lesgros cerveaux. « Le marché deschercheurs est très compétitif, as-

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sure Jean Tirole. Et il est très diffi-cile d'attirer les meilleurs. » Pas fa-cile de faire venir - ou de retenir - despontes qui peuvent gagner trois ouquatre fois plus outre-Atlantique.Alors Paris et Toulouse ont décidéd'offrir une carotte pour compléterle maigre traitement de la fonctionpublique. La PSE attribue ainsi desprimes (jusqu'à 1800 euros parmois), et la TSE verse des salairesplus élevés aux « visiting profes-sors » pendant une durée limitée. Lafac toulousaine attribue aussi desbonus (jusqu'à 4 DOO euros) à seséconomistes chaque fois qu'ils pu-blient dans l'une des cinq meilleuresrevues scientifiques. De plus, cesdeux facs mitonnent des postes surmesure aux jeunes chercheurs enréduisant leur nombre d'heures d'en-seignement. Grâce à ces faveurs, el-les ont fait rentrer au bercail quèl-ques Français. Bernard Salame, del'université Columbia, à New York,va revenir à Toulouse pour un an, etRomain Rancière, un jeune prodigedu FMI, a déjà rejoint la PSE.

Mécènes privésPour cette chasse à la matière gnse,Toulouse - bien immergée dans lemonde de l'entreprise - peut comp-ter sur de généreux mécènes privés.Lors d'un appel de fonds lancé l'an-née dernière, 30 millions d'euros ontété récoltés, notamment auprès deTotal, BNP Paribas et Orange. Deson côté, Paris n'a obtenu que 4 pe-tits millions. Les donateurs préfèrentla lisibilité de l'organisation toulou-saine et son département intégré à lamyriade de labos de la PSE « C'est•un handicap, admet François Bour-guignon. Il faut créer une culture etune identité communes. »Pourtant, d'après Daniel Cohen,l'éclectisme de Paris est une force.« Nous avons des normaliens, despolytechniciens et des universitai-res, souligne-t-il. C'est une richesseque Toulouse n'a pas. » Recrutantexclusivement à la fac, la TSE cher-che les meilleurs à l'étranger. « No-tre vivier, c'est l'international, d'oùviennent 70% de nos inscrits », seréjouit Marc Ivaldi, l'un des fonda-teurs de l'école. Attirer les meilleursétudiants, c'est bien. Mais on attendtoujours un Nobel pour consacrerl'une ou l'autre de nos Schools ofEconomies. Thierry Fabre

Campus de Berkeley, en Californie. Les universités américaines s'arrachent les talents mondiaux.

CTest si tentant, FAmériqueAttirés par les moyens considérables des universités

outre-Atlantique, les chercheurs français les plusperformants les rejoignent. Parfois pour longtemps.

L e 5 janvier s'ouvrira,à San Francisco,\ejob market mondial

des économistes, où lesuniversités vont s'arracherles meilleurs talents, aprèsles avoir auditionnés dansles hôtels de luxe de la ville.Et comme les annéesprécédentes, les facsaméricaines vont embaucherplusieurs cracks français.Car la fuite des cerveauxest une réalité. Parmi les40 chercheurs français lesplus performants, 16 sontdéjà partis aux Etats-Unis,d'après une étude récentede l'Ecole des mines. Et lesexemples récents foisonnent :Pierre-Olivier Gourmchas etEmmanuel Saez ont migréà Berkeley; Xavier Gabaix etThomas Philippon, à la NewYork University; Olivier Jeanneest parti à Baltimore; et IvanWernmg, au MIT. Autant dejeunes prodiges formés parles universités et les grandesécoles françaises.Pourquoi partent-ils7 « Dansla recherche en économie,l'Amérique, c'est le centre

du monde », s'exclame DavidSraer, un jeune Françaisen poste à Berkeley.Les universités américainesoffrent en effet uneconcentration de cerveauxextraordinaire. Notammentà Boston, l'épicentre dela profession, où se trouventle MIT, l'université Harvardet le NBER, un centrede recherche très réputé.Là, des conférences etdes séminaires ont lieuquotidiennement, avecdes économistes du mondeentier qui viennent débattrede leurs découvertes.« C'est une véritable ruche,constate Emmanuel Fahn,un économiste de 30 ans quis'est fait rapidement un nomà Harvard. Si on veut réussir,il faut absolument être ici. >Richissimes (Harvard disposed'un capital de... 35 milliardsde dollars), les universitésaméricaines offrent aussides moyens considérablesà ces jeunes experts. Cesderniers peuvent acquérir decoûteuses bases de données,embaucher des assistants

de recherche et se déplacertrès souvent, y comprisà l'étranger Surtout,ils sont rémunérés jusqu'à200000 dollars par an,soit environ trois fois plusqu'en France.Difficile dans ces conditionsd'envisager un retour dansla mère patrie. Car, en plus dela lourde perte de salaire, cesjeunes économistes craignentd'être coupés de la rechercheinternationale. « On ne veutsurtout pas se retrouverdans un milieu universitairefranco-français », lanceDavid Sraer. Il n'empêche,ces expatriés commencentà regarder avec intérêtles initiatives de Toulouseet de Pans, qui essaientd'attirer des étudiants et deschercheurs du monde entier.Ces deux écoles imposentque tous les cours soiententièrement en anglais.Et elles ont créé des primespour convaincre les jeuneschercheurs de rentrer (lire ci-contre). Et puis, dit l'un d'eux,« on a de temps en tempsla nostalgie du pays »... •