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________________________________________________________________________________________________ ÉTAT DES LIEUX DES DIFFÉRENTES APPROCHES POUR ÉTENDRE LA STATIQUE GRAPHIQUE À 3 DIMENSIONS ________________________________________________________________________________________________ Jean-Philippe Jasienski, ir. Arch, doctorant dans la cellule Structures & Technologies - [email protected] - http://sites.uclouvain.be/structech_loci/ UCL - Faculty of Architecture, Architectural engineering and Urbanism [LOCI], Campus of Louvain-la-Neuve Titre de la thèse: 3D graphic statics, new methods for structural morphogenesis Comité d’encadrement: D. Zastavni (promoteur - UCL), L. Ney (ULB), S. Huerta (UPMadrid), C. Fivet (UCL, MIT) ________________________________________________________________________________________________ Abstract: Cette contribution a pour objectif de pointer la pertinence de l’extension de la graphique statique à trois dimensions, ainsi que de présenter les approches en cours en proposant une classication de celles-ci, en pointant leurs forces et limites. Enn, elle présentera l’approche développée dans le cadre de ce doctorat. ________________________________________________________________________________________________ 1. Introduction 1.1. Contexte Les considérations relatives à l’économie d’énergie et de matériau ainsi que la prise en compte du facteur de la durabilité sont cruciaux dans le domaine de l’édication. Parallèlement, le développement des ordinateurs et des méthodes numériques ont contribué à favoriser la disjonction entre l’architecte et l’ingénieur. De ce fait, la conception s’eectue principalement sur un cycle où l’architecte se charge dans un premier temps d’élaborer une forme (pour laquelle une complexité très grande est permise par le développement des outils de CAO en 3D). Ensuite, il est demandé à l’ingénieur de trouver une solution structurale pour rendre le projet constructible. Cette séparation dans le processus de conception mène à des ouvrages demandant un surplus de matière et d’énergie inutiles (Block[1]). Une des raisons de cela est le manque d’un outil commun dés les prémices de la conception. En 1955, D’Arcy ompson[2] démontre comment les formes de la nature sont en rapport avec les contraintes auxquelles elles sont soumises. Dans le cas des structures, une approche intégrée permet d’avoir une compréhension de la dimension structurale durant le processus de conception (et donc d’agir ainsi sur la nition de la forme). Cela autorise une plus grande maîtrise des facteurs à optimiser pour arriver à une forme d’ecacité structurale[3]. Cela va permettre d’agir directement sur l’économie de matériau et d’énergie, ainsi que sur la durabilité dans le temps, grâce à une certaine robustesse et une abilité structurale liée au fait que l’ouvrage résiste par sa forme. Cette approche intégrée est donc particulièrement pertinente dans le contexte actuel évoqué ci-dessus. Nous constatons que les pratiques récurrentes de certains ingénieurs ou architectes-constructeurs attestent de la validité de cette approche (Robert Maillart, Eugène Freyssinet, Felix Candela, John A. Roebling, Eladio Dieste, PierLugi Nervi, Antoni Gaudi, Shigeru Ban, Miller & Maranta, Laurent Ney, Jürg Conzett...). 1.2 Pertinence des méthodes graphiques Schwartz[4] soulève l’intérêt de la statique graphique comme outil de conception, dans l’optique d’une approche intégrée telle qu’évoquée ci-dessus “e qualitative evaluation of the forces using an inductive process- for example, graphic statics-does not require exact calculation, just practice and experience. is method is understandable to architects too, and oers a good basis for working together. […] A common language needs to be learned-an indispensable prerequisite for a close dialogue between the architect and the engineer. […] is would be a culture in which the dialogue between architects and structural engineers can begin to grow-a culture that would enable the development of designs in which structural and formal needs merge.” Elle semble une excellente voie de réponse à la dichotomie ingénieur – architecte qui s’opère actuellement. En eet, les méthodes graphiques ont prouvé leur potentiel pour contrôler la relation entre une forme structurale et les forces (internes et externes) auxquelles elle est soumise. La Statique graphique, telle que théorisée dans la deuxième partie du dix-neuvième siècle (par Maxwell [5], Cullmann [6], Cremona [7]) est fondée sur une JDR+D_LOCI 2015 / 23 janvier 2015 1/8

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________________________________________________________________________________________________ ÉTAT DES LIEUX DES DIFFÉRENTES APPROCHES POUR ÉTENDRE LA STATIQUE GRAPHIQUE

À 3 DIMENSIONS ________________________________________________________________________________________________

Jean-Philippe Jasienski, ir. Arch, doctorant dans la cellule Structures & Technologies - [email protected] - http://sites.uclouvain.be/structech_loci/UCL - Faculty of Architecture, Architectural engineering and Urbanism [LOCI], Campus of Louvain-la-Neuve Titre de la thèse: 3D graphic statics, new methods for structural morphogenesis Comité d’encadrement: D. Zastavni (promoteur - UCL), L. Ney (ULB), S. Huerta (UPMadrid), C. Fivet (UCL, MIT) ________________________________________________________________________________________________ Abstract:Cette contribution a pour objectif de pointer la pertinence de l’extension de la graphique statique à trois dimensions, ainsi que de présenter les approches en cours en proposant une classification de celles-ci, en pointant leurs forces et limites. Enfin, elle présentera l’approche développée dans le cadre de ce doctorat. ________________________________________________________________________________________________

1. Introduction1.1. Contexte Les considérations relatives à l’économie d’énergie et de matériau ainsi que la prise en compte du facteur de la durabilité sont cruciaux dans le domaine de l’édification. Parallèlement, le développement des ordinateurs et des méthodes numériques ont contribué à favoriser la disjonction entre l’architecte et l’ingénieur. De ce fait, la conception s’effectue principalement sur un cycle où l’architecte se charge dans un premier temps d’élaborer une forme (pour laquelle une complexité très grande est permise par le développement des outils de CAO en 3D). Ensuite, il est demandé à l’ingénieur de trouver une solution structurale pour rendre le projet constructible. Cette séparation dans le processus de conception mène à des ouvrages demandant un surplus de matière et d’énergie inutiles (Block[1]). Une des raisons de cela est le manque d’un outil commun dés les prémices de la conception. En 1955, D’Arcy Thompson[2] démontre comment les formes de la nature sont en rapport avec les contraintes auxquelles elles sont soumises. Dans le cas des structures, une approche intégrée permet d’avoir une compréhension de la dimension structurale durant le processus de conception (et donc d’agir ainsi sur la définition de la forme). Cela autorise une plus grande maîtrise des facteurs à optimiser pour arriver à une forme d’efficacité structurale[3]. Cela va permettre d’agir directement sur l’économie de matériau et d’énergie, ainsi que sur la durabilité dans le temps, grâce à une certaine robustesse et une fiabilité structurale liée au fait que l’ouvrage résiste par sa forme. Cette approche intégrée est donc particulièrement pertinente dans le contexte actuel évoqué ci-dessus. Nous constatons que les pratiques récurrentes de certains ingénieurs ou architectes-constructeurs attestent de la validité de cette approche (Robert Maillart, Eugène Freyssinet, Felix Candela, John A. Roebling, Eladio Dieste, PierLugi Nervi, Antoni Gaudi, Shigeru Ban, Miller & Maranta, Laurent Ney, Jürg Conzett...).

1.2 Pertinence des méthodes graphiquesSchwartz[4] soulève l’intérêt de la statique graphique comme outil de conception, dans l’optique d’une approche intégrée telle qu’évoquée ci-dessus “The qualitative evaluation of the forces using an inductive process-for example, graphic statics-does not require exact calculation, just practice and experience. This method is understandable to architects too, and offers a good basis for working together. […] A common language needs to be learned-an indispensable prerequisite for a close dialogue between the architect and the engineer. […] This would be a culture in which the dialogue between architects and structural engineers can begin to grow-a culture that would enable the development of designs in which structural and formal needs merge.” Elle semble une excellente voie de réponse à la dichotomie ingénieur – architecte qui s’opère actuellement. En effet, les méthodes graphiques ont prouvé leur potentiel pour contrôler la relation entre une forme structurale et les forces (internes et externes) auxquelles elle est soumise. La Statique graphique, telle que théorisée dans la deuxième partie du dix-neuvième siècle (par Maxwell [5], Cullmann [6], Cremona [7]) est fondée sur une

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relation entre forme et contrainte, matérialisée par une dépendance géométrique entre le diagramme des forces et le diagramme spatial. Cependant, cette méthode est uniquement opérante dans le cadre de cas en deux dimensions.

Figure 2 - Statique Graphique, le diagramme spatial et le diagramme des forces correspondants [5]

La pertinence des résultats liés à l’utilisation de cette méthode a été démontrée par les constructions de certains praticiens, tels que Robert Maillart. Le pont du Salginatobel ou les hangars de Chiasso sont des exemples dont la forme est imprégnée de l’efficacité structurale dont nous parlions ci-dessus.

Figure 3 - Le pont du Salginatobel, Robert Maillart,1929 (photo D. Zastavni)

Dans l’article de Fivet et Zastavni [9], l’analyse du processus de conception de Robert Maillart révèle comment, grâce à la statique graphique, cet ingénieur suisse a pu manipuler simultanément les efforts et la géométrie, pour définir la forme du pont du Salginatobel. Celui-ci est reconnu pour son efficacité et son élégance structurale, ainsi que pour sa durabilité.Depuis une dizaine d’années, nous constatons un retour d’intérêt pour les méthodes graphiques dans le domaine de la recherche par le travail de différentes équipes (MIT, ETH, UCL,...). De plus, ces méthodes rencontrent l’intérêt de praticiens et d’ingénieurs contemporains à la pointe de la conception structurale (SOM, Ney, Conzett, Muttoni,…).

1.3 La conception structurale en 3 dimensionsActuellement, nous constatons un manque d’outils pour la conception de structures tridimensionnelles. Cela est plus particulièrement marqué pour certaines typologies dont la forme est plus complexe que des “coques” (surfaces courbées). C’est à dire des structures qui combinent des efforts de tension et de compression dans une géométrie qui est hors du plan et qui ne peut pas être décrite par des surfaces 3D, ou bien des structures étant composées de différents éléments et matériaux. En effet, les outils actuels (méthodes de relaxation dynamique, méthodes de densité de forces ou le thrust network analysis [1]) ainsi que les

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exemples construits (Isler, Frei, Candela, Dieste,...) considèrent principalement des coques, (hormis pour le cas particulier des structures en tenségrité).

Figure 4 - Eladio Dieste, Citricos caputto fruit packing plant [10]

1.4. Enjeux liés à l’extension de la statique graphique à trois dimensions. Les perspectives liées au passage d’une méthode 2D à 3D sont multiples. 1.4.1. Conception de structures tridimensionnellesL’extension de la statique graphique à trois dimensions permettrait d’étendre le champ d’application des coques. En effet, cela permettrait de contrôler des variations significatives d’épaisseur dans de telles surfaces. De plus, cela permettrait aussi d’étendre la conception à d’autres typologies de formes. Cela grâce au fait que le concepteur pourra contrôler les forces (appliquées, et efforts internes) de manière séparée et globale à la fois pour tous les éléments composants n’importe quelle typologie de structure tridimensionnelle. 1.4.2.Analyse structurale Les édifices historiques ont souvent subi des déformations dans le temps pour diverses raisons (fissurations, tassements, séismes...). Cela a pour conséquence de modifier leur forme initiale et de poser de réelles questions quant à leur durabilité. Par exemple, la stabilité du duomo de Brunelesschi à Florence est encore source d’incertitudes [11]. En effet, il est très difficile d’avoir une compréhension des redistributions d’efforts internes liées aux différents types de fissurations qu’a subit le dôme. La statique graphique en trois dimensions serait un outil adapté pour cela.1.4.3.Avantages liés à la nature de cette méthodePar sa définition, cette méthode offre d’autres avantages considérables. D’une part, elle exprime visuellement et de manière simultanée le rapport entre la forme et les efforts. Ensuite, elle permet de travailler avec des structures directement à l’état d’équilibre. De plus, elle permet un travail en amont du choix du matériau, mais les spécificités liées à un tel choix peuvent y être intégrées. 1.4.4.Vers de nouvelles typologies de structures tridimensionnelles?Le développement d’une telle méthode amènerait très probablement vers l’émergence de nouvelles formes structurales qui n’ont pas encore été envisagées à ce jour. 1.4.5. Liens avec la théorie du calcul plastiqueEn termes de conception, l’approche géométrique permet de se saisir de l’analogie forme-efforts pour atteindre l’état d’équilibre comme nous l’avons développé ci-dessus. Heyman[12] a soulevé plusieurs fois que l’utilisation des théorèmes du calcul plastique est liée au fait d’avoir un équilibre interne dans la structure. L’intérêt et la pertinence de travailler en calcul plastique est renforcé dans le cadre de la conception (Muttoni[13]). Ceci est encore souligné, puis mis en relation avec la statique graphique par Ochsendorf [14]« If the designer can find one set of forces that are everywhere in equilibrium and that do not violate the yield conditions for the material, then the structure is safe and will stand ». Muttoni travaille notamment avec ces théorèmes dans le cas de la méthode bielles-tirants, qui est aussi exploitée par la statique graphique par Fivet

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et Zastavni[15]. Une fois la statique graphique étendue à trois dimensions, il sera pertinent de coupler cela avec la théorie du calcul plastique.

2. Etat de l’art, différentes approches 2.1. Classification Dans cette section, nous proposons donc une classification des différentes approches déjà présentes dans la littérature. Pour celles-ci, nous pointerons les forces et faiblesses qui nous paraissent pertinentes. Premièrement, une clarification sur le choix des méthodes prises en compte est nécessaire. Le problème de la troisième dimension s’est très vite posé pour la conception et l’analyse de voutes. La première approche qui a été utilisée est la méthode des tranches (slicing technique). Les voutes sont analysées par cette technique qui consiste en la division en plusieurs section 2D (qui deviennent de simples arches) (Wittman[16]). Cette technique est utilisée de la sorte depuis 1870 (selon Huerta[17]). Ce type de méthodes (décomposition d’une structure 3D en sections 2D, pour lesquelles les diagrammes spatiaux et des forces sont 2D) n’est pas reprise dans la classification ci-dessous puisqu’il s’agit pour nous d’une décomposition du problème 3D en différents problèmes 2D. Ce type de techniques ne s’applique d’ailleurs qu’à peu de typologies de formes, et n’apporte pas de réponse aux difficultés énoncées au point 1.3.

2.2 L’approche projectiveCette approche est celle qui a été la plus explorée dans la littérature jusqu’à maintenant. Des projections sont utilisées afin de résoudre le problème de la représentation et la manipulation d’une structure tridimensionnelle. Ce point de départ rapproche cela de la statique graphique 2D. Le diagramme spatial est défini dans un espace 3D mais est manipulé via des projections parallèles. Chacune de ces projections peut être liée à un diagramme des forces correspondant. Ces diagrammes des forces sont par conséquent contenus dans un espace plan. Cette méthode est basée sur la propriété suivante: “If forces in space are in equilibrium, their projections on any plane are also in equilibrium. […] For a system of forces in space to be in equilibrium, it is both necessary and sufficient for the orthogonal projections on three rectangular planes to be in equilibrium” [18]. Cela permet en réalité d’avoir recours à la théorie 2D existante, et donc de pouvoir assurer la relation de réciprocité entre les deux diagrammes (celle-ci restant valide). Cela ne demande donc pas la production d’une nouvelle théorie pour rendre cette méthode fonctionnelle. Celle-ci a déja été développée précédemment, notamment par Föppl [19] et Mayor [20], qui en sont les précurseurs. Ce dernier a publié “Application de la Statique Graphique aux systèmes de l’espace” dans lequel il développe une méthode utilisant les projections orthogonales sur un plan, cela en prenant pour base la théorie des complexes linéaires. Ensuite, Foulon [21] a continué à développer cette voie. Cependant, ce dernier pointait déjà une difficulté importante, liée à la difficulté de représentation des systèmes tridimensionnels. Dessiner des projections orthogonales à la main demande un travail laborieux et enlève un des intérêt majeurs de la statique graphique: la facilité de représentation et de manipulation d’esquisses rapides. En 2006, Huerta pointait cette difficulté “Graphic statics, [...], can be used comfortably in two dimensions (on the drawing surface). To fix the position of a line in space, three projections are needed, thus making space problems very laborious to solve” [17]. Cela explique probablement la raison pour laquelle la méthode développée par Mayor et Foulon n’a jamais été utilisée en pratique. Néanmoins, ceci n’est plus pertinent à l’heure actuelle avec l’arrivée des ordinateurs. Nous pouvons établir qu’une implémentation d’une telle méthode travaillerait avec au moins deux plans projectifs. Les forces de cette méthodes sont:- elle peut facilement être liée à la théorie 2D existante- le déplacement de points est aisé et précis - la représentation des systèmes manipulés correspond à l’outil utilisé pour les représenter (un écran

d’ordinateur 2D)Certaines difficultés identifiées sont:- la représentation d’éléments superposés sur un plan projectif. Cela est équivalent au problème lié à la

représentation d’une sphère en deux dimensions) De ce fait, les structures ne peuvent pas se replier ou se superposer. Cette difficulté pourrait peut-être être contournée via l’usage d’un plan projectif “dynamique” qui fonctionnerait comme une section dynamique.

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- la difficulté de représenter des contraintes géométriques, puisqu’on ne les appréhenderait que via une projection ou une coupe dans celle-ci. L’approche composite est une proposition pour résoudre ce problème (voir 2.3).

L’approche projective est intéressante puisqu’elle permet de résoudre certaines typologies de structures en 3D mais les difficultés liées à sa définition même ne peuvent être dépassées pour atteindre une extension complète et générale de la statique graphique en 3 dimensions, permettant de traiter toutes les typologies de structures tridimensionnelles.

2.3 L’approche compositeDans cette approche, le diagramme spatial, le diagramme des forces et les contraintes géométriques sont tous définis dans un espace tridimensionnel, mais sont représentés et manipulés par des projections axonométriques, permettant à des diagrammes des force plans d’être la projection de plusieurs diagrammes des forces spatiaux. Cette approche est à mi-chemin entre les deux présentées dans cet article. La principale qualité de celle -ci est qu’elle se servirait de la théorie existante en 2D et donc pourrait assurer la réciprocité entre les diagrammes 2D manipulés. Cela en fait une piste intéressante à explorer. Les points cruciaux sur lesquels se focaliser sont l’établissement de la relation entre les diagrammes 3D et avec leurs projections. De plus, la définition de ses projections est aussi à établir.

2.4 L’approche entièrement tridimensionnelleDans la troisième approche, le diagramme spatial, le diagramme des forces et les contraintes géométriques sont tous définis et manipulés dans un espace tridimensionnel. Il existe de multiples points de départ pour cela, de par la nécessité d’établir de nouvelles bases théoriques valides dans l’espace tridimensionnel. 2.4.1. L’approche par polyèdres Premièrement, la méthode proposée par Akbarzadeh, Van Mele and Block développée dans “Equilibrium of spatial structures using 3D reciprocal diagrams” [21] sera présentée. Le point de départ de cette méthode est une publication de Rankine[22] dans laquelle l’intensité des forces est représentée par des faces de polyèdres. L’équilibre des forces agissant sur un point est dés lors garanti par l’existence d’un polyèdre fermé dont les faces sont perpendiculaires à ces forces et dont leur surface est proportionnelle à l’intensité de chaque force. Maxwell [5] a caractérisé ce problème d’une manière purement géométrique, a théorisé l’existence de deux polyèdres et a établi la relation de réciprocité qui les lie. La méthode proposée par Akbarzadeh, Van Mele et Block est une extension de la proposition de Maxwell qui permet de prendre en compte plus de typologies de structures puisqu’il permet l’application de forces extérieures. Le système est donc basé sur deux polyèdres, un représentant le dispositif spatial, l’autre les forces.

Figure 5: Equilibrium of a single node in space: a) a single tetrahedron as force polyhedron; b) its reciprocal form polyhedron consisting of four lines and the applied force; c) a piped representation of the magnitude of the applied forces proportional to the areas of the face of the tetrahedron. Figures issues de [21]

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La particularité de cette méthode est le fait qu’elle travaille avec des polyèdres. L’équilibre de la structure est garanti par l’existence du polyèdre des forces (sous une forme fermée), et on ne construit donc pas un polygone des forces comme classiquement en graphique statique. Actuellement, on peut construire un polyèdre ou son réciproque par une suite d’opérations géométriques. L’unicité de ces deux figures est garantie mais uniquement si le système travaille en compression ou en traction uniquement. A l’heure actuelle, il n’y a pas de cycle de lecture des forces qui est défini pour les opérations permettant la construction réciproque des deux polyèdres, ce qui garantirait leur unicité dans tous les cas, et permettrait donc de considérer des éléments travaillant en compression et en traction dans un même dispositif. Une autre limitation est liée à la représentation. Les polyèdres ne possèdent pas les qualités visuelles d’un diagramme des forces en termes de représentation visuelle d’un jeu de forces, et ne possède donc pas le côté visuel et intuitif relatif à la manipulation des forces. Il faudrait convoquer une certaine dose de créativité graphique pour palier à cette limitation.

2.4.2. L'approche par polygones spatiaux gauches Une autre approche intéressante est celle développée par Schrems et Kotnik dans “Statically motivated form-finding based on extended graphical statics” [24]. La base de leur travail réside dans le fait qu’un nombre fini de forces dans l’espace peut être réduit à un couple de forces. Celui-ci correspond en intensité et en direction à la somme de toutes les forces. De ce fait, par un processus itératif, il est possible de combiner deux forces pour ensuite lier la résultante avec une troisième. Par ce processus, on construira une des multiples configurations possibles du polygone des forces. La conséquence principale de ce choix répété, est qu’on ne peut garantir l’unicité entre les deux diagrammes. De ce fait, il ne peut y avoir de différentes applications de forces sur un noeud (force qui tire ou pousse), et donc on ne peut avoir de structure qui mélange les efforts de traction et de compression. La perspective de cette recherche réside dans le fait de montrer que la statique graphique en plan est un cas particulier de celle dans l’espace. Ceci semble une excellente manière de considérer l’extension vers les systèmes de l’espace, cependant la méthode de résolution ne se base pas exactement sur ce parti.

Figure 6 : Réduction de forces [24]

3. Approche entièrement 3D basée sur une axiomatisation géométrique de la statique graphiqueSuite aux observations et conclusions relatives à l’état des lieux des approches en cours, une autre approche est en cours de développement dans le cadre de la recherche effectuée par l’auteur. Son point de vue est purement géométrique. Le concept principal est aussi d’étendre la théorie 2D de manière à ce que celle-ci soit un cas particulier de la 3D, dont un degré de liberté est supprimé. La base théorique 2D sur laquelle nous nous basons est l’axiomatisation géométrique de la statique graphique

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effectuée par Corentin Fivet dans Constraints based graphic statics [25]. Ce travail permet de re-théoriser la statique graphique sur base de relations géométriques. Cela a permis entre autres de découvrir de nouvelles propriétés. Les nouveaux axiomes fondamentaux établissent les relations de réciprocité et d’unicité entre les deux diagrammes, cela en étant uniquement basé sur des propriétés géométriques appliquées sur des points. Un de ces axiomes établit un sens de lecture identique pour les deux diagrammes (règle du sens chronologique). Grâce à cela, une “barre” dans le diagramme des forces correspond à une “barre” dans le diagramme spatial (ce qui n’est pas le cas dans l’approche basée sur les polyèdres vues précédemment). Cela permet d’avoir des structures qui combinent des efforts de traction et de compression.

Figure 7 : structures pyramidales à l’équilibre, diagramme spatial au dessus et diagramme des forces en dessous.

L’approche poursuivie ici pour passer vers une méthode tridimensionnelle est basée sur l’extension de chacun de ces axiomes, (voire éventuellement l’ajout de certains si cela est nécessaire). Cette extension est presque directe pour une partie de ces axiomes. Cependant, le noeud du problème se trouve sur l’extension du sens unique de lecture. Le problème peut être vu comme définir une règle qui permettent d’établir une notion d’ordre de lecture pour des points situés sur la surface d’une sphère.

Figure 8: Forces agissant sur un point dans l’espace. La relation d’ordre à trouver peut être considérée comme l’ordre de points situés sur la surface d’une sphère.

La pertinence de cette approche est liée à l’existence de cette propriété en 3D. A l’heure actuelle, rien n’a prouvé que ce n’était pas possible. La force d’une approche entièrement tridimensionnelle est qu’elle amènerait très probablement à une extension complète des propriétés 2D. Cependant, cela requiert des nouvelles bases théoriques sur lesquelles nous travaillons actuellement. Les outils de CAO ont permis de diminuer les problèmes posés par la question de la représentation, puisqu’ils permettent une projection dynamique d’une géométrie 3D, tout en conservant ses propriétés (longueurs, angles, etc.). Comme évoqué ci-dessus, il y a donc plusieurs manières de développer cette extension, mais il n’est pas sûr qu’elles puissent toutes démontrer

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la relation fondamentale qui établit l’unicité entre le diagramme des forces et le diagramme spatial. Cependant, l’approche poursuivie actuellement porte en elle les possibilités d’une extension complète, et le noeud du problème a été identifié.

4. ConclusionsDans cette contribution, nous avons présenté l’intérêt et les différents enjeux liés à l’extension de la statique graphique à trois dimensions. Nous avons ensuite présenté les différentes approches qui pourraient mener à cela, en pointant leur atouts et limites. Ensuite, nous avons présenté l’approche suivie par l’auteur, cela mis en rapport avec les autres approches. Nous avons identifié quelle était la pierre d'achoppement du développement de cette méthode. Concernant le rapport avec la dimension architecturale et la réflexion sur la spatialité des structures directement conçues en 3D, celui ci peut se faire via le biais de rendus, déjà couramment utilisés, mais aussi via le travail avec une imprimante 3D pour obtenir directement des maquettes réelles. La recherche s’attardera à rendre la connexion vers celle-ci la plus simple possible, au vu des qualités qu’offrent les modèles physiques pour jauger les questions de spatialité interne, de lumière, et d’intégration dans un contexte. La visée d’une telle recherche est de taille puisqu’elle ouvre de nouveaux possibles à la fois dans le champ de l’analyse et de la conception structurale.

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JDR+D_LOCI 2015 / 23 janvier 2015

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