1. deux et deux quatre - strona główna - pwsz w …bipw/recytacja/2013/frankofonia... ·...
TRANSCRIPT
1
1. Jacques Prévert Page d’écriture
Deux et deux quatre quatre et quatre huit huit et huit font seize... Répétez ! dit le maître Deux et deux quatre quatre et quatre huit huit et huit font seize. Mais voilà l’oiseau-lyre qui passe dans le ciel l’enfant le voit l’enfant l’entend l’enfant l’appelle : Sauve-moi joue avec moi oiseau ! Alors l’oiseau descend et joue avec l’enfant Deux et deux quatre... Répétez ! dit le maître et l’enfant joue l’oiseau joue avec lui... Quatre et quatre huit huit et huit font seize et seize et seize qu’est-ce qu’ils font ? Ils ne font rien seize et seize et surtout pas trente-deux de toute façon et ils s’en vont. Et l’enfant a caché l’oiseau dans son pupitre et tous les enfants entendent sa chanson et tous les enfants entendent la musique et huit et huit à leur tour s’en vont et quatre et quatre et deux et deux à leur tour fichent le camp et un et un ne font ni une ni deux un à un s’en vont également. Et l’oiseau-lyre joue et l’enfant chante et le professeur crie : Quand vous aurez fini de faire le pitre ! Mais tous les autres enfants écoutent la musique et les murs de la classe s’écroulent tranquillement. Et les vitres redeviennent sable l’encre redevient eau les pupitres redeviennent arbres la craie redevient falaise le porte-plume redevient oiseau.
2
2. Max Jacob Les manèges déménagent
Manèges, ménageries, où ? . . . et pour quels voyages ?
Moi qui suis en ménage
Depuis . . . ah ! il y a bel âge !
De vous goûter, manèges,
Je n’ai plus . . . que n’ai-je ? . . .
L’âge.
Les manèges déménagent.
Ménager manager
De l’avenue du Maine
Qui ton ménage mène
Pour mener ton ménage !
Ménage ton ménage
Manège ton manège.
Manège ton ménage.
Manège ton ménage.
Mets des ménagements
Au déménagement.
Les manèges déménagent,
Ah! vers quels mirages ?
Dites pour quels voyages
Les manèges déménagent.
3. Louis Scutenaire Mes inscriptions
On a dit de moi :
Il fait des calculs d'épicier : C'est vrai.
C'est un tendre : Bien sûr.
Il est dans le désarroi : Evidemment.
Comme il est détaché ! : Tiens donc !
Il est gentil : Mais oui.
Quel goujat ! : D'accord Marcel.
Il a beaucoup de talent : Le flatteur n'a pas toujours tort.
Je voudrais m'offrir sa grande carcasse : Bien aimable.
Il n'est pas beau : Je le pense.
Combien il est grand ! La toise le confirme.
Il est grossier : Merci, ma chérie.
C'est un coureur : Hum, hum !
Il est jaloux : Oui, comme Victor Hugo.
C'est un anormal : Qui ne l'est pas ?
Il s'est mal conduit : Je le crois.
Il a de l'allure : Je suis confus, vraiment, mais...
Il est fat : Il le faut bien.
Il est égoïste : Je souris avec approbation.
3
Il est trop modeste : Oui, oui.
Il écrit très bien : Vous savez lire, monsieur.
C'est un maquereau : Le plus beau compliment.
Il se soigne comme une femme : Je le suis un peu, femme.
Il a de jolies cravates : Quelle femme de goût !
Il est propre, trop propre : On ne l'est jamais assez.
Il fait gentiment l'amour : Connaisseuse !
Il est maladif : Hélas !
C'est un beau gaillard : Oh !
Il ne sait pas aimer : Sans doute
Il a des tics : Et vous pas ?
Quelle nouille ! Je l'ai déjà pensé.
4. André Breton L’union libre
Ma femme à la chevelure de feu de bois
Aux pensées d’éclairs de chaleur
À la taille de sablier
Ma femme à la taille de loutre entre les dents du tigre
Ma femme à la bouche de cocarde et de bouquet d'étoiles de dernière grandeur
Aux dents d’empreintes de souris blanche sur la terre blanche
À la langue d’ambre et de verre frottés
Ma femme à la langue d’hostie poignardée
À la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux
À la langue de pierre incroyable
Ma femme aux cils de bâtons d’écriture d’enfant
Aux sourcils de bord de nid d’hirondelle
Ma femme aux tempes d’ardoise de toit de serre
Et de buée aux vitres
Ma femme aux épaules de champagne
Et de fontaine à têtes de dauphins sous la glace
Ma femme aux poignets d'allumettes
Ma femme aux doigts de hasard et d’as de cœur
Aux doigts de foin coupé
Ma femme aux aisselles de martre et de fênes
De nuit de la Saint-Jean
De troène et de nid de scalares
Aux bras d’écume de mer et d’écluse
Et de mélange du blé et du moulin
Ma femme aux jambes de fusée
Aux mouvements d’horlogerie et de désespoir
Ma femme aux mollets de moelle de sureau
Ma femme aux pieds d’initiales
Aux pieds de trousseaux de clés aux pieds de calfats qui boivent
Ma femme au cou d’orge imperlé
Ma femme à la gorge de Val d’or
De rendez-vous dans le lit même du torrent
4
Aux seins de nuit
Ma femme aux seins de taupinière marine
Ma femme aux seins de creuset du rubis
Aux seins de spectre de la rose sous la rosée
Ma femme au ventre de dépliement d’éventail des jours
Au ventre de griffe géante
Ma femme au dos d’oiseau qui fuit vertical
Au dos de vif-argent
Au dos de lumière
À la nuque de pierre roulée et de craie mouillée
Et de chute d’un verre dans lequel on vient de boire
Ma femme aux hanches de nacelle
Aux hanches de lustre et de pennes de flèche
Et de tiges de plumes de paon blanc
De balance insensible
Ma femme aux fesses de grès et d’amiante
Ma femme aux fesses de dos de cygne
Ma femme aux fesses de printemps
Au sexe de glaïeul
Ma femme au sexe de placer et d’ornithorynque
Ma femme au sexe d’algue et de bonbons anciens
Ma femme au sexe de miroir
Ma femme aux yeux pleins de larmes
Aux yeux de panoplie violette et d’aiguille aimantée
Ma femme aux yeux de savane
Ma femme aux yeux d’eau pour boire en prison
Ma femme aux yeux de bois toujours sous la hache
Aux yeux de niveau d’eau de niveau d’air de terre et de feu
5. Jacques Prévert Le sultan
Dans les montagnes de Cachemire
Vit le sultan de Salamandragore
Le jour il fait tuer un tas de monde
Et quand vient le soir il s’endort
Mais dans ses cauchemars les morts se cachent
Et le dévorent
Alors une nuit il se réveille
En poussant un grand cri
Et le bourreau tiré de son sommeil
Arrive souriant au pied du lit
S’il n’y avait pas de vivants
Dit le sultan
Il n’y aurait pas de morts
Et le bourreau répond D’accord
Que tout le reste y passe alors
5
Et qu’on n’en parle plus
D’accord dit le bourreau
C’est tout ce qu’il sait dire
Et tout le reste y passe comme le sultan l’a dit
Les femmes les enfants les siens et ceux des autres
Le veau le loup la guêpe et la douce brebis
Le bon vieillard intègre et le sobre chameau
Les actrices des théâtres le roi des animaux
Les planteurs de bananes les faiseurs de bons mots
Et les coqs et leurs poules les œuf avec leur coque
Et personne ne reste pour enterrer quiconque
Comme ça ça va
Dit le sultan de Salamandragore
Mais reste là bourreau
Là tout près de moi
Et tue-moi
Si jamais je me rendors.
6. Jean Tardieu Au conditionnel
Si je savais écrire je saurais dessiner
Si j'avais un verre d'eau je le ferais geler
et je le conserverais sous verre
Si on me donnait une motte de beurre je
la ferais couler en bronze
Si j'avais trois mains je ne saurais où
donner de la tête
Si les plumes s'envolaient si la neige fondait
si les regards se perdaient, je
leur mettrais du plomb dans l'aile
Si je marchais toujours tout droit devant
moi, au lieu de faire le tour du
globe j'irais jusqu'à Sirius et
au-delà
Si je mangeais trop de pommes de terre je
les ferais germer sur mon cadavre
Si je sortais par la porte je rentrerais
par la fenêtre
Si j'avalais un sabre je demanderais
un grand bol de Rouge
Si j'avais une poignée de clous je les
enfoncerais dans ma main
gauche avec ma main
droite et vice versa.
Si je partais sans me retourner, je
me perdrais bientôt de vue.
6
7. Jean de La Fontaine Le Chêne et le Roseau
Le Chêne un jour dit au Roseau :
Vous avez bien sujet d’accuser la Nature ;
Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau.
Le moindre vent qui d’aventure
Fait rider la face de l’eau,
Vous oblige à baisser la tête :
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d’arrêter les rayons du soleil,
Brave l’effort de la tempête.
Tout vous est aquilon ; tout me semble zéphir.
Encor si vous naissiez à l’abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n’auriez pas tant à souffrir :
Je vous défendrais de l’orage ;
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des Royaumes du vent.
La Nature envers vous me semble bien injuste.
Votre compassion, lui répondit l’Arbuste,
Part d’un bon naturel ; mais quittez ce souci.
Les vents me sont moins qu’à vous redoutables.
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos ;
Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots,
Du bout de l’horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le Nord eût porté jusque-là dans ses flancs.
L’Arbre tient bon ; le Roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu’il déracine
Celui de qui la tête au ciel était voisine
Et dont les pieds touchaient à l’empire des morts.
8. Raymond Queneau L’explication des métaphores
Loin du temps, de l'espace, un homme est égaré,
Mince comme un cheveu, ample comme l'aurore,
Les naseaux écumants, les deux yeux révulsés,
Et les mains en avant pour tâter le décor
— D'ailleurs inexistant. Mais quelle est, dira-t-on,
La signification de cette métaphore :
7
« Mince comme un cheveu, ample comme l'aurore »
Et pourquoi ces naseaux hors des trois dimensions ?
Si je parle du temps, c'est qu'il n'est pas encore,
Si je parle d'un lieu, c'est qu'il a disparu,
Si je parle d'un homme, il sera bientôt mort,
Si je parle du temps, c'est qu'il n'est déjà plus,
Si je parle d'espace, un dieu vient le détruire,
Si je parle des ans, c'est pour anéantir,
Si j'entends le silence, un dieu vient y mugir
Et ses cris répétés ne peuvent que me nuire.
Car ces dieux sont démons ; ils rampent dans l'espace,
Minces comme un cheveu, amples comme l'aurore,
Les naseaux écumants, la bave sur la face,
Et les mains en avant pour saisir un décor
— D'ailleurs inexistant. Mais quelle est, dira-t-on,
La signification de cette métaphore
« Minces comme un cheveu, amples comme l'aurore »
Et pourquoi cette face hors des trois dimensions ?
Si je parle des dieux, c'est qu'ils couvrent la mer
De leur poids infini, de leur vol immortel,
Si je parle des dieux, c'est qu'ils hantent les airs,
Si je parle des dieux, c'est qu'ils sont perpétuels,
Si je parle des dieux, c'est qu'ils vivent sous terre,
lnsufflant dans le sol leur haleine vivace,
Si je parle des dieux, c'est qu'ils couvent le fer,
Amassent le charbon, distillent le cinabre.
Sont-ils dieux ou démons ? Ils emplissent le temps,
Minces comme un cheveu, amples comme l'aurore,
L'émail des yeux brisés, les naseaux écumants,
Et les mains en avant pour saisir un décor
— D'ailleurs inexistant. Mais quelle est, dira-t-on,
La signification de cette métaphore
« Mince comme un cheveu, ample comme une aurore »
Et pourquoi ces deux mains hors des trois dimensions ?
Oui, ce sont des démons. L'un descend, l'autre monte.
A chaque nuit son jour, à chaque mont son val,
A chaque jour sa nuit, à chaque arbre son ombre,
A chaque être son Non, à chaque bien son mal,
8
Oui, ce sont des reflets, images négatives,
S'agitant à l'instar de l'immobilité,
Jetant dans le néant leur multitude active
Et composant un double à toute vérité.
Mais ni dieu ni démon l'homme s'est égaré,
Mince comme un cheveu, ample comme l'aurore,
Les naseaux écumants, les deux yeux révulsés,
Et les mains en avant pour tâter un décor
— D'ailleurs inexistant. C'est qu'il est égaré ;
Il n'est pas assez mince, il n'est pas assez ample :
Trop de muscles tordus, trop de salive usée.
Le calme reviendra lorsqu'il verra le Temple
De sa forme assurer sa propre éternité.
9. Jacques Prévert Chansons des escargots qui vont à l’enterrement
A l'enterrement d'une feuille morte
Deux escargots s'en vont
Ils ont la coquille noire
Du crêpe autour des cornes
Ils s'en vont dans le soir
Un très beau soir d'automne
Hélas quand ils arrivent
C'est déjà le printemps
Les feuilles qui étaient mortes
Sont toutes ressuscitées
Et les deux escargots
Sont très désappointés
Mais voila le soleil
Le soleil qui leur dit
Prenez prenez la peine
La peine de vous asseoir
Prenez un verre de bière
Si le cœur vous en dit
Prenez si ça vous plaît
L'autocar pour Paris
Il partira ce soir
Vous verrez du pays
Mais ne prenez pas le deuil
C'est moi qui vous le dit
Ça noircit le blanc de l'œil
Et puis ça enlaidit
Les histoires de cercueils
C'est triste et pas joli
9
Reprenez vous couleurs
Les couleurs de la vie
Alors toutes les bêtes
Les arbres et les plantes
Se mettent à chanter
A chanter à tue-tête
La vrai chanson vivante
La chanson de l'été
Et tout le monde de boire
Tout le monde de trinquer
C'est un très joli soir
Un joli soir d'été
Et les deux escargots
S'en retournent chez eux
Ils s'en vont très émus
Ils s'en vont très heureux
Comme ils ont beaucoup bu
Ils titubent un petit peu
Mais la haut dans le ciel
La lune veille sur eux.
10. Raymond Devos Je suis un imbécile
Dernièrement,
j'ai rencontré un monsieur
qui se vantait d'être un imbécile.
Il disait :
"Je suis un imbécile ! "
Je lui ai dit :
"Monsieur ... c'est vite dit ! "
Tout le monde peut dire :
"Je suis un imbécile !"
Il faut le prouver !
Il m'a dit :
"Je peux ! "
Il m'a apporté les preuves
de son imbécillité
avec tellement
d'intelligence et de
subtilité
que je me demande
s'il ne m'a pas pris
pour un imbécile !
10
11. Raymond Devos Je hais les haies
Je hais les haies
Qui sont des murs.
Je hais les haies
Et les mûriers
Qui font la haie
Le long des murs.
Je hais les haies
Qui sont de houx.
Je hais les haies
Qu’elles soient de mûres
Qu’elles soient de houx !
Je hais les murs
Qu’ils soient en dur
Qu’ils soient en mou !
Je hais les haies
Qui nous emmurent.
Je hais les murs
Qui sont en nous.
12. Boby Lapointe Framboise!
Elle s'appelait Françoise,
Mais on l'appelait Framboise !
Une idée de l'adjudant
Qui en avait très peu, pourtant,
(des idées)...
Elle nous servait à boire
Dans un bled du Maine-et-Loire ;
Mais ce n'était pas Madelon...
Elle avait un autre nom,
Et puis d'abord pas question
De lui prendre le menton...
D'ailleurs elle était d'Antibes !
Quelle avanie !
Avanie et Framboise
Sont les mamelles du Destin !
Pour sûr qu'elle était d'Antibes !
C'est plus près que les Caraïbes,
C'est plus près que Caracas.
Est-ce plus loin que Pézenas ?
Je n'sais pas :
Et tout en étant Française,
L'était tout de même Antibaise :
11
Et bien qu'elle soit Française,
Et, malgré ses yeux de braise,
Ça ne me mettait pas à l'aise
De la savoir Antibaise,
Moi qui serais plutôt pour...
Quelle avanie...
Avanie et Framboise
Sont les mamelles du Destin !
Elle avait peu d'avantages :
Pour en avoir d'avantage,
Elle s'en fit rajouter
A l'institut de beauté
(Ah - ahah ! )
On peut, dans le Maine-et-Loire,
S'offrir de beaux seins en poire...
L'y a à l'institut d'Angers
Qui opère sans danger :
Des plus jeunes aux plus âgés,
On peut presque tout changer,
Excepté ce qu'on ne peut pas...
Quelle avanie...
Avanie et Framboise
Sont les mamelles du Destin !
"Davantage d'avantages,
Avantagent d'avantage"
Lui dis-je, quand elle revint
Avec ses seins Angevins...
(deux fois dix ! )
"Permets donc que je lutine
Cette poitrine angevine..."
Mais elle m'a échappé,
A pris du champ dans le pré
Et je n'ai pas couru après...
Je ne voulais pas attraper
Une Angevine de poitrine !
Moralité :
Avanie et mamelles
Sont les framboises du Destin !
12
13. Jacques Douai Rengaine pour piano mécanique
Dépêche-toi de rire
Il en est encore temps
Bientôt la poêle à frire
Et adieu le beau temps
D’autres viendront quand même
Respirer le beau temps
C’est pas toujours les mêmes
Mais y a toujours des gens
Sous le premier empire
Y avait des habitants
Sous le second empire
Y en avait tout autant.
Même si c’est plus les mêmes
Tu t’en iras comme eux
Tu t’en iras quand même
Tu t’en iras chez eux.
C’est pas moi c’est mes frères
Qui vivront après moi
Même chose que mon grand’père
Qui vivait avant moi.
Même si c’est plus les mêmes
On est content pour eux
Nous d’avance on les aime
Sans en être envieux.
Dépêche-toi de rire
Il en est encore temps
Bientôt la poêle à frire
Et adieu le beau temps…
14. Jean Tardieu Théo
Lorsqu’il rencontre sur l’asphalte
Une Manon qui lui sourit,
L’œil allumé, Théo fait halte,
Théo rit.
Et bientôt, n’étant pas de bois,
Théo goûte un plaisir extrême
13
Dont il se délecte… trois fois :
Théor…aime.
Puis, un peu las de sa prouesse,
Du sommeil du juste et du fort,
Tournant le dos à son hôtesse,
Théo dort.
Et quand arrive le matin,
Le corps dispos, l’âme tranquille,
En peinard, posant un lapin,
Théo file.
15. André Frédérique L'enfant boudeur
Veux-tu jouer à la pirouelle
à la redouble au rat musqué
veux-tu jouer à la sauguette
au goligode au ziponblé
veux-tu jouer au jeu de l'ange
à l'œil-au-dos au mort parlant
veux-tu jouer à cache-mésange
à mouton-bêle à baille-au-vent
veux-tu jouer à croque-au-sel
au déserteur à la logorrhée
veux-tu jouer à l'espincelle
à tête d'or aux estropiés
veux-tu jouer au jeu de l'hombre
sur le mur blanc les mains croisées
veux-tu jouer à compter le nombre
des poissons-chats dans l'océan
veux-tu jouer à la marelle au cervelas
au pince-joue au tirela
au caviar à poisse-Dudule
au mirliton dans la pendule
à la lutte jaune au ramagot
à pousser grand-mère dans les lavabos
à pince-mie et pince-moi en bateau
à la paix royale au souci de sincérité
à la chaude-meurotte au jeu des abbés
à déformer le nom des ministres du culte
au chapeau du jurisconsulte
veux-tu jouer à la bataille des tomates
au pasteur protestant à la loupe à Tatate
à Zaine Phozieux au riz-pain-sel
au canard portugais à la marche en dentelle
à la lanterne froide au pharmacien comique
14
au domino sur glace à la pouille au chien de pique
au hoquet chinois à l'over armstroke
au loup garou au loup coché au loup vendu
au vilbrequin à l'aromé au cadavre exquis
au prote
au touche-zizi à la veule au cornac
à la pinacothèque à la petite marchande de canons
au frotteur de parquets champion de bridge plafond
au troume au solitaire à conazor
à la soutane à la peau de cochon au dieu Frouda
à la turidité au hussard de Bretagne à un
jeu polonais trouvé par Sienkiewicz
au pouce-cul au solfège aux deux sœurs de Barbaud
à mirer les alouettes à la morve au farcin
au mariage blanc au mariage vert à la guimauve
au jeu des gâteaux à madame Room
à l'officier prussien à l'eukonaze au bugle
à l'enfant naturel au knout au saladier
- Non, j'aime mieux étudier.
16. Charles Cros Le Hareng Saur
Il était un grand mur blanc - nu, nu, nu,
Contre le mur une échelle - haute, haute, haute,
Et, par terre, un hareng saur - sec, sec, sec.
Il vient, tenant dans ses mains - sales, sales, sales,
Un marteau lourd, un grand clou - pointu, pointu, pointu,
Un peloton de ficelle - gros, gros, gros.
Alors il monte à l'échelle - haute, haute, haute,
Et plante le clou pointu - toc, toc, toc,
Tout en haut du grand mur blanc - nu, nu, nu.
Il laisse aller le marteau - qui tombe, qui tombe, qui tombe,
Attache au clou la ficelle - longue, longue, longue,
Et, au bout, le hareng saur - sec, sec, sec.
Il redescend de l'échelle - haute, haute, haute,
L'emporte avec le marteau - lourd, lourd, lourd,
Et puis, il s'en va ailleurs - loin, loin, loin.
Et, depuis, le hareng saur - sec, sec, sec,
Au bout de cette ficelle - longue, longue, longue,
Très lentement se balance - toujours, toujours, toujours.
15
J'ai composé cette histoire - simple, simple, simple,
Pour mettre en fureur les gens - graves, graves, graves,
Et amuser les enfants - petits, petits, petits.
17. Paul Vincensini Toujours et Jamais
Toujours et Jamais étaient toujours ensemble
ne se quittaient jamais. On les rencontrait
dans toutes les foires.
On les voyait le soir traverser le village
sur un tandem.
Toujours guidait
Jamais pédalait
C'est du moins ce qu'on supposait...
Ils avaient tous les deux une jolie casquette
L'une était noire ŕ carreaux blancs
L'autre blanche ŕ carreaux noirs
A cela on aurait pu les reconnaître
Mais ils passaient toujours le soir
et avec la vitesse...
Certains d'ailleurs les soupçonnaient
Non sans raison peut-ętre
D'échanger certains soirs leur casquette
Une autre particularité
Aurait dű les distinguer
L'un disait toujours bonjour
L'autre toujours bonsoir
Mais on ne sut jamais
Si c'était Toujours qui disait bonjour
Ou Jamais qui disait bonsoir
Car entre eux ils s'appelaient toujours
Monsieur Albert Monsieur Octave.
18. Jean de La Fontaine Le Loup et l'agneau
La raison du plus fort est toujours la meilleure:
Nous l'allons montrer tout ŕ l'heure.
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d'une onde pure ;
Un Loup survint ŕ jeun,
qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
«Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage?
Dit cet animal plein de rage ;
Tu seras châtié de ta témérité.
- Sire, répond l'Agneau, que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère;
16
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vais désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d'elle;
Et que par conséquent,
en aucune façon,
je ne puis troubler sa boisson.
- Tu la troubles, reprit cette bête cruelle ;
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
- Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né?
Reprit l'Agneau,
je tête encor ma mère.
- Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.
- Je n'en ai point.
- C'est donc quelqu'un des tiens
Car vous ne m'épargnez guère,
Vous, vos bergers et vos chiens.
On me l'a dit: il faut que je me venge.»
Là-dessus, au fond des forêts
Le Loup l'emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.
19. Jean Rousselot L’ordinateur et l’éléphant
Parce qu'il perdait la mémoire
Un ordinateur alla voir
Un éléphant de ses amis
- C'est sűr, je vais perdre ma place,
Lui dit-il, viens donc avec moi.
Puisque jamais ceux de ta race
N'oublient rien, tu me souffleras.
Pour la paie, on s'arrangera.
Ainsi firent les deux compères.
Mais l'éléphant était vantard
Voilà qu'il raconte ses guerres,
Le passage du Saint-Bernard,
Hannibal et Jules César...
Les ingénieurs en font un drame
Ça n'était pas dans le programme
Et l'éléphant, l'ordinateur
Tous les deux, les voilà chômeurs.
De morale je ne vois guère
A cette histoire, je l'avoue.
Si vous en trouvez une, vous,
Portez-la chez le Commissaire;
Au bout d'un an, elle est ŕ vous
Si personne ne la réclame.
17
20. Maurice Carême Conciliabule
Trois lapins, dans le crépuscule,
Tenaient un long conciliabule.
Le premier montrait une étoile
Qui montait sur un champ d'avoine.
Les autres, pattes sur les yeux,
La regardaient d'un air curieux.
Puis tous trois, tęte contre tęte,
Se parlaient d'une voix inquičte.
Se posaient-ils, tout comme nous,
Les męmes questions sans réponse ?
D'oů venons-nous ?
Oů allons nous ?
Que sommes-nous ?
Pourquoi ces ronces
Pourquoi dansons-nous le matin,
Parmi la rosée et le thym ?
Pourquoi avons-nous le cul blanc,
Longues oreilles, longues dents ?
Pourquoi notre nez tout le temps,
Tremble-t-il comme feuille au vent ?
Pourquoi l'ombre d'un laboureur
Nous fait-elle toujours si peur ?
Trois lapins dans le crépuscule
Tenaient un long conciliabule.
Et il aurait duré longtemps
Encore si une grenouille
N'avait plongé soudainement
Dans l'eau de lune de l'étang.
21. Jean Rousselot Dit des oiseaux
Tirelire! Tirelire!
Dit l'alouette
Mais on ne l'a jamais vue mettre
Un sou de côté
Plus vite! Plus vite !
Dit le merle aux ouvriers
Mais lui passe son temps à enfiler des perles
De rosée
Je n'y crois pas, crois pas, crois pas
Dit le corbeau en secouant ses manches
Mais tout ce qu'il voit il le mange
Faites que tout brille, brille
18
Ordonne la pie
Mais jusqu'au crépuscule
Elle jouit de la vie
Dans son fauteuil à bascule
Des couleurs j'ai, des couleurs j'ai!
Dit le geai.
Mais quand tu veux l'admirer
Il a déjà filé.
Dis-moi tu, dis-moi tu
Dît le moineau dodu
Mais dès que tu ouvres la bouche
Il s'effarouche
Et que dit le serin ?
On n'y comprend rien
C'est peut-être du latin
22. Jean de La Fontaine Le Corbeau et le Renard
Maître Corbeau, sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage.
Maître Renard, par l'odeur alléché,
Lui tint ŕ peu prčs ce langage :
«Hé! bonjour, monsieur du Corbeau.
Que vous ętes joli! que vous me semblez beau!
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte ŕ votre plumage,
Vous ętes le phénix des hôtes de ces bois. »
A ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie ;
Et pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le Renard s'en saisit, et dit : «Mon bon monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l'écoute :
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute.»
Le Corbeau, honteux et confus,
Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.
23. Jacques Prévert Pour faire le portrait d'un oiseau
Peindre d'abord une cage
avec une porte ouverte
peindre ensuite
quelque chose de joli
quelque chose de simple
quelque chose de beau
quelque chose d'utile
19
pour l'oiseau
placer ensuite la toile contre un arbre
dans un jardin
dans un bois
ou dans une forêt
se cacher derrière l'arbre
sans rien dire
sans bouger ...
Parfois l'oiseau arrive vite
mais il peut aussi bien mettre de longues années
avant de se décider
Ne pas se décourager
attendre
attendre s'il le faut pendant des années
la vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseau
n'ayant aucun rapport
avec la réussite du tableau
Quand l'oiseau arrive
s'il arrive
observer le plus profond silence
attendre que l'oiseau entre dans la cage
et quand il est entré
fermer doucement la porte avec le pinceau
puis
effacer un à un tous les barreaux
en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l'oiseau
Faire ensuite le portrait de l'arbre
en choisissant la plus belle de ses branches
pour l'oiseau
peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
la poussière du soleil
et le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'été
et puis attendre que l'oiseau se décide à chanter
Si l'oiseau ne chante pas
c'est mauvais signe
signe que le tableau est mauvais
mais s'il chante c'est bon signe
signe que vous pouvez signer
Alors vous arrachez tout doucement
une des plumes de l'oiseau
et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.
24. Pierre Gamarra Le cosmonaute et son hôte
Sur une planète inconnue,
un cosmonaute rencontra
un étrange animal;
20
il avait le poil ras,
une tête trois fois cornue,
trois yeux, trois pattes et trois bras !
« Est-il vilain! pensa le cosmonaute
en s'approchant prudemment de son hôte.
Son teint a la couleur d'une vieille échalote,
son nez a l'air d'une carotte.
Est-ce un ruminant? Un rongeur? »
Soudain, une vive rougeur
colora plus encor le visage tricorne.
Une surprise sans bornes
fit chavirer ses trois yeux.
<< Quoi! Rêvé-je? dit-il. D'où nous vient, justes cieux,
ce personnage si bizarre sans crier gare !
Il n'a que deux mains et deux pieds,
il n'est pas tout à fait entier.
Regardez comme. il a l'air bête,
il n'a que deux yeux dans la tête !
Sans cornes, comme il a l'air sot ! »
C'était du voyageur arrivé de la Terre
que parlait l'être planétaire.
Se croyant seul parfait et digne du pinceau,
il trouvait au Terrien un bien vilain museau.
Nous croyons trop souvent que, seule, notre tête
est de toutes la plus parfaite!
25. Charles Vildrac La pomme et l'escargot
Il y avait une pomme
A la cime d'un pommier ;
Un grand coup de vent d'automne
La fit tomber sur le pré !
Pomme, pomme,
T'es-tu fait mal ?
J'ai le menton en marmelade
Le nez fendu
Et l'œil poché !
Elle tomba, quel dommage,
Sur un petit escargot
Qui s'en allait au village
Sa demeure sur le dos
A ! Stupide créature
Gémit l'animal cornu
T'as défoncé ma toiture
Et me voici faible et nu.
Dans la pomme à demi blette
L'escargot, comme un gros ver
21
Rongea, creusa sa chambrette
Afin d'y passer l'hiver.
Ah ! Mange-moi, dit la pomme,
Puisque c'est là mon destin ;
Par testament je te nomme
Héritier de mes pépins.
Tu les mettras dans la terre
Vers le mois de février,
Il en sortira, j'espère,
De jolis petits pommiers.
26. Jean de La Fontaine Le loup et le chien
Un Loup n'avait que les os et la peau,
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde.
L'attaquer, le mettre en quartiers,
Sire Loup l'eùt fait volontiers ;
Mais il fallait livrer bataille,
Et le Mâtin était de taille
A se défendre hardiment.
Le Loup donc l'aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu'il admire.
"Il ne tiendra qu'ŕ vous beau sire,
D'être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, haires, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi ? rien d'assuré : point de franche lippée :
Tout à la pointe de l'épée.
Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin. "
Le Loup reprit : "Que me faudra-t-il faire ?
- Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens
Portants bâtons, et mendiants ;
Flatter ceux du logis, à son Maître complaire :
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons :
Os de poulets, os de pigeons,
Sans parler de mainte caresse. "
Le Loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé.
"Qu'est-ce là ? lui dit-il. - Rien. - Quoi ? rien ? -
Peu de chose.
22
- Mais encor ? - Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
- Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? - Pas toujours ; mais qu'importe?
- Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. "
Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor.
27. Jean de La Fontaine Le renard et la cigogne
Compère le Renard se mit un jour en frais,
et retint ŕ dîner commère la Cigogne.
Le régal fùt petit et sans beaucoup d'apprêts :
Le galant pour toute besogne,
Avait un brouet clair ; il vivait chichement.
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
La Cigogne au long bec n'en put attraper miette ;
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
Pour se venger de cette tromperie,
A quelque temps de là, la Cigogne le prie.
"Volontiers, lui dit-il ; car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie. "
A l'heure dite, il courut au logis
De la Cigogne son hôtesse ;
Loua très fort la politesse ;
Trouva le dîner cuit à point :
Bon appétit surtout ; Renards n'en manquent point.
Il se réjouissait à l'odeur de la viande
Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande.
On servit, pour l'embarrasser,
En un vase à long col et d'étroite embouchure.
Le bec de la Cigogne y pouvait bien passer ;
Mais le museau du sire était d'autre mesure.
Il lui fallut à jeun retourner au logis,
Honteux comme un Renard qu'une Poule aurait pris,
Serrant la queue, et portant bas l'oreille.
Trompeurs, c'est pour vous que j'écris :
Attendez-vous à la pareille.
28. Jean de La Fontaine Le Rat de ville et le Rat des champs
Autrefois le Rat de ville
Invita le Rat des champs,
D'une façon fort civile,
A des reliefs d'Ortolans.
23
Sur un Tapis de Turquie
Le couvert se trouva mis.
Je laisse à penser la vie
Que firent ces deux amis.
Le régal fut fort honnête,
Rien ne manquait au festin ;
Mais quelqu'un troubla la fête
Pendant qu'ils étaient en train.
A la porte de la salle
Ils entendirent du bruit :
Le Rat de ville détale ;
Son camarade le suit.
Le bruit cesse, on se retire :
Rats en campagne aussitôt ;
Et le citadin de dire :
Achevons tout notre rôt.
- C'est assez, dit le rustique ;
Demain vous viendrez chez moi :
Ce n'est pas que je me pique
De tous vos festins de Roi ;
Mais rien ne vient m'interrompre :
Je mange tout à loisir.
Adieu donc ; fi du plaisir
Que la crainte peut corrompre.
29. Paul Fort Complainte du petit cheval blanc
Le petit cheval dans le mauvais temps,
qu'il avait donc du courage !
C'était un petit cheval blanc,
tous derrière et lui devant.
Il n'y avait jamais de beau temps
dans ce pauvre paysage.
Il n'y avait jamais de printemps
ni derrière, ni devant.
Mais toujours il était content,
menant les gars du village,
à travers la pluie noire des champs,
tous derrière et lui devant.
Sa voiture allait poursuivant
sa belle petite queue sauvage.
C'est alors qu'il était content,
eux derrière et lui devant.
Mais un jour, dans le mauvais temps,
un jour qu'il était si sage,
il est mort par un éclair blanc,
tous derrière et lui devant.
24
Il est mort sans voir le beau temps,
qu'il avait donc du courage !
Il est mort sans voir le printemps
ni derrière ni devant.
30. Gilles Hénault L’enfant prodigue
L'enfant qui jouait le voilà maigre et courbé
L'enfant qui pleurait le voilà les yeux brûlés
L'enfant qui dansait une ronde le voilà qui court après
le tramway
L'enfant qui voulait la lune le voilà satisfait d'une
bouchée de pain
L'enfant fou et révolté, l'enfant au bout de la ville
dans les rues étrangères
L'enfant des aventures
sur la glace de la rivière
L'enfant perché sur les clôtures
le voilà dans l'étroit chemin de son devoir quotidien
L'enfant libre et court vêtu, le voilà
travesti en panneau-réclame, en homme-sandwich
affublé de lois en carton-pâte, prisonnier de mesquines
défenses
asservi et ligoté, le voilà traqué au nom de la justice
L'enfant du beau sang rouge et du bon sang
le voilà devenu fantôme d'opéra tragique
L'enfant prodigue
L'enfant prodige, le voilà devenu homme
l'homme de time is money et l'homme du bel canto
l'homme rivé à son travail qui est de river
toute la journée
l'homme des dimanches après-midi en pantoufles
et des interminables parties de bridge
l'homme innombrable du sport de quelques hommes
et l'homme du petit compte en banque
pour payer l'enterrement d'une enfance morte
vers sa quinzième année.
31. Robert Desnos Les Quatre sans cou
Ils étaient quatre qui n’avaient plus de tête,
Quatre à qui l’on avait coupé le cou,
On les appelait les quatre sans cou.
25
Quand ils buvaient un verre,
Au café de la place ou du boulevard,
Les garçons n’oubliaient pas d’apporter des entonnoirs.
Quand ils mangeaient, c’était sanglant,
Et tous quatre chantant et sanglotant,
Quand ils aimaient, c’était du sang.
Quand ils couraient, c’était du vent,
Quand ils pleuraient, c’était vivant,
Quand ils dormaient, c’était sans regret.
Quand ils travaillaient, c’était méchant,
Quand ils rodaient, c’était effrayant,
Quand ils jouaient, c’était différent,
Quand ils jouaient, c’était comme tout le monde,
Comme vous et moi, vous et nous et tous les autres,
Quand ils jouaient, c’était étonnant.
Mais quand ils parlaient, c’était d’amour.
Ils auraient pour un baiser
Donné ce qui leur restait de sang.
Leurs mains avaient des lignes sans nombre
Qui se perdraient parmi les ombres
Comme des rails dans la forêt.
Quand ils s’asseyaient, c’était plus majestueux que des rois
Et les idoles se cachaient derrière leur croix
Quand devant elles ils passaient droits.
On leur avait rapporté leur tête
Plus de vingt fois, plus de cent fois,
Les ayant retrouves à la chasse ou dans les fêtes,
Mais jamais ils ne voulurent reprendre
Ces têtes où brillaient leurs yeux,
Où les souvenirs dormaient dans leur cervelle.
Cela ne faisait peut-être pas l’affaire
Des chapeliers et des dentistes.
La gaîté des uns rend les autres tristes.
Les quatre sans cou vivent encore, c’est certain,
J’en connais au moins un
Et peut-être aussi les trois autres,
26
Le premier, c’est Anatole,
Le second, c’est Croquignole,
Le troisième, c’est Barbemolle,
Le quatrième, c’est encore Anatole.
Je les vois de moins en moins,
Car c’est déprimant, à la fin,
La fréquentation des gens trop malins.
32. Jules Laforgue Complainte de la lune en province
Ah ! la belle pleine Lune,
Grosse comme une fortune !
La retraite sonne au loin,
Un passant, monsieur l’adjoint ;
Un clavecin joue en face,
Un chat traverse la place :
La province qui s’endort !
Plaquant un dernier accord,
Le piano clôt sa fenêtre.
Quelle heure peut-il bien être ?
Calme Lune, quel exil !
Faut-il dire : ainsi soit-il ?
Lune, ô dilettante Lune,
À tous les climats commune,
Tu vis hier le Missouri,
Et les remparts de Paris,
Les fiords bleus de la Norvège,
Les pôles, les mers, que sais-je ?
Lune heureuse ! ainsi tu vois,
À cette heure, le convoi
De son voyage de noce !
Ils sont partis pour l’Ecosse.
Quel panneau, si, cet hiver,
Elle eût pris au mot mes vers !
Lune, vagabonde Lune,?
Faisons cause et mœurs communes ?
Ô riches nuits! je me meurs,
La province dans le cœur !
Et la lune a, bonne vieille,
Du coton dans les oreilles.
33. Pamphile LeMay (le poète québécois) Le castor et le loup-cervier
Un castor, bon enfant, un jour prêta l’oreille
Aux paroles d’un loup-cervier.
27
Il s’agissait d’éteindre une haine bien vieille
Et d’échanger enfin la branche d’olivier.
« Pour sceller l’amitié l’on pourrait, ce me semble,
Dit l’astucieux lynx, chasser toujours ensemble...
Je grimpe prestement, vous ne l’ignorez pas,
Sur les plus hautes branches ;
Au lieu de chair en tranches
Vous aurez, chaque jour, des fruits mûrs aux repas. »
Ils vécurent longtemps sur le bord des rivières,
Mais le lynx mangeait seul, et de bon appétit
Et sans faire trop de manières,
Le gros poisson et le petit.
« De la société, je porte seul les peines,
Lui dit, bien poliment, le castor aux abois ;
Soyez plus généreux ; rentrons dans les grands bois,
Montez sur quelque hêtre et donnez-moi des faînes.
— Des faînes ? J’y pensais ; ça fera changement. »
Ils marchaient lentement,
Car les pieds du castor n’ont pas grande vitesse.
Après de longs circuits
Ils trouvèrent un hêtre assez chargé de fruits.
Le loup-cervier avec prestesse
Grimpa sur les rameaux et se mit à manger,
Sans nullement songer
À son bon camarade.
« Vous ne me donnez rien ? demanda celui-ci.
—Ta santé délicate est mon plus grand souci,
Et je crains que ce fruit ne te rende malade...
Il ne faudrait qu’un accident,
Répondit le lynx impudent.
« C’est vrai, fit le castor, j’en souffrirais peut-être ;
L’écorce me suffit. »
Sous des dehors sereins
Il cachait sa colère. Or, il coupe le hêtre.
Maître loup-cervier tombe, et se brise les reins.
Le fourbe bien souvent de l’innocent abuse,
Mais la naïveté n’empêche pas la ruse.
34. Gérald Godin (le poète et politicien québécois) Fins
I
Il manquait quelque chose
dans le miroir
peut-être les tentures bleues
du salon peut-être un père
28
peut-être le crucifix
m'enfouir m'enfouir
chercher
la tête dans ce tas de feuilles
pourries chercher une odeur
l'automne comme on ne l'a jamais vu
un visage reconnu
que l'on croyait oublié
lire dans les complications du tapis
les écailles du mur
un conte une vie d'homme mort
n'en rien dire
de peur d'être injuste
n'en rien même penser
lire et relire
mais toujours hélas à peine
j'ai peur de partir d'ici
cette peau qui meurt au bout de mes
doigts près des ongles
cette peau morte qui tombe
ces plaques jaunes aux chevilles
nous vivons si peu
il faudrait aller tellement loin
et le temps qui nous manque
et le cœur
35. Robert Desnos La Grenouille aux souliers percés
La grenouille aux souliers percés
A demandé la charité
Les arbres lui ont donné
Des feuilles mortes et tombées.
Les champignons lui ont donné
Le duvet de leur grand chapeau.
L’écureuil lui a donné
Quatre poils de son manteau
L’herbe lui a donné
Trois petites graines.
Le ciel lui a donné
Sa plus douce haleine.
29
Mais la grenouille demande toujours,
Demande encore la charité
Car ses souliers sont toujours,
Sont encore percés.
36. Robert Desnos L’Oiseau du Colorado
L’oiseau du Colorado
Mange du miel et des gâteaux
Du chocolat et des mandarines
Des dragées des nougatines
Des framboises des roudoudous
De la glace et du caramel mou.
L’oiseau du Colorado
Boit du champagne et du sirop
Suc de fraise et lait d’autruche
Jus d’ananas glacé en cruche
Sang de pêche et navet
Whisky menthe et café.
L’oiseau du Colorado
Dans un grand lit fait un petit dodo
Puis il s’envole dans les nuages
Pour regarder les images
Et jouer un bon moment
Avec la pluie et le beau temps.
37. Robert Desnos Le Poisson sans-souci
Le poisson sans-souci
Vous dit bonjour vous dit bonsoir
Ah ! qu’il est doux qu’il est poli
Le poisson sans-souci.
Il ne craint pas le mois d’avril
Et tant pis pour le pêcheur
Adieu l’appât adieu le fil
Et le poisson cuit dans le beurre.
Quand il prend son apéritif
à Conflans Suresnes ou Charenton
Les remorqueurs brûlant le charbon de Cardiff
Ne dérangeraient pas ce buveur de bon ton.
Car il a voyagé dans des tuyaux de plomb
30
Avant de s’endormir sur des pierres d’évier
Où l’eau des robinets chante pour le bercer
Car il a voyagé aussi dans des flacons
Que les courants portaient vers des rives désertes
Avec l’adieu naufragé à ses amis.
Le poisson sans-souci
Qui dit bonjour qui dit bonsoir
Ah ! qu’il est doux et poli
Le poisson sans-souci
Le souci sans souci
Le Poissy sans Soissons
Le saucisson sans poids
Le poisson sans-souci.
38. Robert Desnos L’Araignée à moustaches
L’araignée à moustaches
n’est pas Napoléon III
qui s’ennuie quand il a froid.
L’araignée à moustaches
n’a pas de robe en satin
pour trottiner le matin.
L’araignée à moustaches
Ne se rasera jamais
Elle règne au mois de Mai
Mais
ah mais
mais oui
mais
L’araignée à moustaches
habite dans un château
son ami est un corbeau
Mais
L’araignée à moustaches
S’éclaire avec une étoile
Le soleil lui sert de poêle
Mais
L’araignée à moustaches
Porte de belles lunettes
31
Et joue de la clarinette
Du tambour de la trompette
Et chante d’une voix nette
Fait le jour maintes pirouettes
Toute la nuit fait la fête
Et charme les grosses bêtes
Ah mais !
39. Robert Desnos Le chat qui ne ressemblait à rien
Le chat qui ne ressemble à rien
Aujourd’hui ne va pas très bien.
Il va visiter le Docteur
Qui lui ausculte le cœur.
Votre cœur ne va pas bien
Il ne ressemble à rien,
Il n’a pas son pareil
De Paris à Créteil.
Il va visiter sa demoiselle
Qui lui regarde la cervelle.
Votre cervelle ne va pas bien
Elle ne ressemble à rien,
Elle n’a pas son contraire
À la surface de la terre.
Voilà pourquoi le chat qui ne ressemble à rien
Est triste aujourd’hui et ne va pas bien.
40. Robert Desnos L’Éléphant qui n’a qu’une patte
L’éléphant qui n’a qu’une patte
A dit à Ponce Pilate
Vous êtes bien heureux d’avoir deux mains,
Ça doit vous consoler d’être Consul romain.
Tandis que moi sans canne et sans jambe en bois
Je suis comme un héron et jamais je ne cours et jamais je ne bois
Et je ne parle pas des soins qu’il me faut prendre
Pour monter l’escalier qui conduit à ma chambre.
32
J’aimerais tant laver mes mains avec un savon rose
Avec du Palmolive avec du Cadum
Car il faut être propre et ne puis me laver
Et j’ai l'air ridicule debout sur le pavé.
Je n’ai pour consoler cette tristesse affreuse
Que ma trompe pareille aux tuyaux d’incendie
Et si je mets le pied dans le plat
Il y reste et l’on ne peut le manger à la sauce poulette.
Plaignez, Ponce Pilate, plaignez cette misère
Il n’y en a pas de plus grande sur terre
Vous êtes bien heureux de laver vos deux mains
Ça doit vous consoler d’être Consul romain.
41. Robert Desnos C’était un bon copain
Il avait le cœur sur la main
Et la cervelle dans la lune
C’était un bon copain
Il avait l’estomac dans les talons
Et les yeux dans nos yeux
C’était un triste copain.
Il avait la tête à l’envers
Et le feu là où vous pensez.
Mais non quoi il avait le feu au derrière.
C’était un drôle de copain
Quand il prenait ses jambes à son cou
Il mettait son nez partout
C’était un charmant copain
Il avait une dent contre Étienne
À la tienne Étienne à la tienne mon vieux.
C’était un amour de copain
Il n’avait pas sa langue dans la poche
Ni la main dans la poche du voisin.
Il ne pleurait jamais dans mon gilet
C’était un copain,
C’était un bon copain.
42. Robert Desnos L’arbre qui boit du vin
L’arbre qui boit du vin
aime qu’on dorme dans son ombre
comme les cerfs et les lapins
nourris de thym et de concombres
33
L’arbre qui boit du vin
est un fameux camarade
bon pour le soir et le matin
et tous les jours en cavalcade
L’arbre qui boit du vin
ce matin nous a dit
Pas besoin d’être devin
ce n’est pas tous les jours mardi
L’arbre qui boit du vin
Le verse à la terre entière
Il n’est pas bête il est malin
et son ombre sera la dernière
Et son ombre sera la dernière
sur la terre s’il en est encore
et sur la mer et sur la terre
à l’instant de la dernière aurore.