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1 1. Jacques Prévert Page d’écriture Deux et deux quatre quatre et quatre huit huit et huit font seize... Répétez ! dit le maître Deux et deux quatre quatre et quatre huit huit et huit font seize. Mais voilà l’oiseau-lyre qui passe dans le ciel l’enfant le voit l’enfant l’entend l’enfant l’appelle : Sauve-moi joue avec moi oiseau ! Alors l’oiseau descend et joue avec l’enfant Deux et deux quatre... Répétez ! dit le maître et l’enfant joue l’oiseau joue avec lui... Quatre et quatre huit huit et huit font seize et seize et seize qu’est-ce qu’ils font ? Ils ne font rien seize et seize et surtout pas trente-deux de toute façon et ils s’en vont. Et l’enfant a caché l’oiseau dans son pupitre et tous les enfants entendent sa chanson et tous les enfants entendent la musique et huit et huit à leur tour s’en vont et quatre et quatre et deux et deux à leur tour fichent le camp et un et un ne font ni une ni deux un à un s’en vont également. Et l’oiseau-lyre joue et l’enfant chante et le professeur crie : Quand vous aurez fini de faire le pitre ! Mais tous les autres enfants écoutent la musique et les murs de la classe s’écroulent tranquillement. Et les vitres redeviennent sable l’encre redevient eau les pupitres redeviennent arbres la craie redevient falaise le porte-plume redevient oiseau.

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1. Jacques Prévert Page d’écriture

Deux et deux quatre quatre et quatre huit huit et huit font seize... Répétez ! dit le maître Deux et deux quatre quatre et quatre huit huit et huit font seize. Mais voilà l’oiseau-lyre qui passe dans le ciel l’enfant le voit l’enfant l’entend l’enfant l’appelle : Sauve-moi joue avec moi oiseau ! Alors l’oiseau descend et joue avec l’enfant Deux et deux quatre... Répétez ! dit le maître et l’enfant joue l’oiseau joue avec lui... Quatre et quatre huit huit et huit font seize et seize et seize qu’est-ce qu’ils font ? Ils ne font rien seize et seize et surtout pas trente-deux de toute façon et ils s’en vont. Et l’enfant a caché l’oiseau dans son pupitre et tous les enfants entendent sa chanson et tous les enfants entendent la musique et huit et huit à leur tour s’en vont et quatre et quatre et deux et deux à leur tour fichent le camp et un et un ne font ni une ni deux un à un s’en vont également. Et l’oiseau-lyre joue et l’enfant chante et le professeur crie : Quand vous aurez fini de faire le pitre ! Mais tous les autres enfants écoutent la musique et les murs de la classe s’écroulent tranquillement. Et les vitres redeviennent sable l’encre redevient eau les pupitres redeviennent arbres la craie redevient falaise le porte-plume redevient oiseau.

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2. Max Jacob Les manèges déménagent

Manèges, ménageries, où ? . . . et pour quels voyages ?

Moi qui suis en ménage

Depuis . . . ah ! il y a bel âge !

De vous goûter, manèges,

Je n’ai plus . . . que n’ai-je ? . . .

L’âge.

Les manèges déménagent.

Ménager manager

De l’avenue du Maine

Qui ton ménage mène

Pour mener ton ménage !

Ménage ton ménage

Manège ton manège.

Manège ton ménage.

Manège ton ménage.

Mets des ménagements

Au déménagement.

Les manèges déménagent,

Ah! vers quels mirages ?

Dites pour quels voyages

Les manèges déménagent.

3. Louis Scutenaire Mes inscriptions

On a dit de moi :

Il fait des calculs d'épicier : C'est vrai.

C'est un tendre : Bien sûr.

Il est dans le désarroi : Evidemment.

Comme il est détaché ! : Tiens donc !

Il est gentil : Mais oui.

Quel goujat ! : D'accord Marcel.

Il a beaucoup de talent : Le flatteur n'a pas toujours tort.

Je voudrais m'offrir sa grande carcasse : Bien aimable.

Il n'est pas beau : Je le pense.

Combien il est grand ! La toise le confirme.

Il est grossier : Merci, ma chérie.

C'est un coureur : Hum, hum !

Il est jaloux : Oui, comme Victor Hugo.

C'est un anormal : Qui ne l'est pas ?

Il s'est mal conduit : Je le crois.

Il a de l'allure : Je suis confus, vraiment, mais...

Il est fat : Il le faut bien.

Il est égoïste : Je souris avec approbation.

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Il est trop modeste : Oui, oui.

Il écrit très bien : Vous savez lire, monsieur.

C'est un maquereau : Le plus beau compliment.

Il se soigne comme une femme : Je le suis un peu, femme.

Il a de jolies cravates : Quelle femme de goût !

Il est propre, trop propre : On ne l'est jamais assez.

Il fait gentiment l'amour : Connaisseuse !

Il est maladif : Hélas !

C'est un beau gaillard : Oh !

Il ne sait pas aimer : Sans doute

Il a des tics : Et vous pas ?

Quelle nouille ! Je l'ai déjà pensé.

4. André Breton L’union libre

Ma femme à la chevelure de feu de bois

Aux pensées d’éclairs de chaleur

À la taille de sablier

Ma femme à la taille de loutre entre les dents du tigre

Ma femme à la bouche de cocarde et de bouquet d'étoiles de dernière grandeur

Aux dents d’empreintes de souris blanche sur la terre blanche

À la langue d’ambre et de verre frottés

Ma femme à la langue d’hostie poignardée

À la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux

À la langue de pierre incroyable

Ma femme aux cils de bâtons d’écriture d’enfant

Aux sourcils de bord de nid d’hirondelle

Ma femme aux tempes d’ardoise de toit de serre

Et de buée aux vitres

Ma femme aux épaules de champagne

Et de fontaine à têtes de dauphins sous la glace

Ma femme aux poignets d'allumettes

Ma femme aux doigts de hasard et d’as de cœur

Aux doigts de foin coupé

Ma femme aux aisselles de martre et de fênes

De nuit de la Saint-Jean

De troène et de nid de scalares

Aux bras d’écume de mer et d’écluse

Et de mélange du blé et du moulin

Ma femme aux jambes de fusée

Aux mouvements d’horlogerie et de désespoir

Ma femme aux mollets de moelle de sureau

Ma femme aux pieds d’initiales

Aux pieds de trousseaux de clés aux pieds de calfats qui boivent

Ma femme au cou d’orge imperlé

Ma femme à la gorge de Val d’or

De rendez-vous dans le lit même du torrent

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Aux seins de nuit

Ma femme aux seins de taupinière marine

Ma femme aux seins de creuset du rubis

Aux seins de spectre de la rose sous la rosée

Ma femme au ventre de dépliement d’éventail des jours

Au ventre de griffe géante

Ma femme au dos d’oiseau qui fuit vertical

Au dos de vif-argent

Au dos de lumière

À la nuque de pierre roulée et de craie mouillée

Et de chute d’un verre dans lequel on vient de boire

Ma femme aux hanches de nacelle

Aux hanches de lustre et de pennes de flèche

Et de tiges de plumes de paon blanc

De balance insensible

Ma femme aux fesses de grès et d’amiante

Ma femme aux fesses de dos de cygne

Ma femme aux fesses de printemps

Au sexe de glaïeul

Ma femme au sexe de placer et d’ornithorynque

Ma femme au sexe d’algue et de bonbons anciens

Ma femme au sexe de miroir

Ma femme aux yeux pleins de larmes

Aux yeux de panoplie violette et d’aiguille aimantée

Ma femme aux yeux de savane

Ma femme aux yeux d’eau pour boire en prison

Ma femme aux yeux de bois toujours sous la hache

Aux yeux de niveau d’eau de niveau d’air de terre et de feu

5. Jacques Prévert Le sultan

Dans les montagnes de Cachemire

Vit le sultan de Salamandragore

Le jour il fait tuer un tas de monde

Et quand vient le soir il s’endort

Mais dans ses cauchemars les morts se cachent

Et le dévorent

Alors une nuit il se réveille

En poussant un grand cri

Et le bourreau tiré de son sommeil

Arrive souriant au pied du lit

S’il n’y avait pas de vivants

Dit le sultan

Il n’y aurait pas de morts

Et le bourreau répond D’accord

Que tout le reste y passe alors

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Et qu’on n’en parle plus

D’accord dit le bourreau

C’est tout ce qu’il sait dire

Et tout le reste y passe comme le sultan l’a dit

Les femmes les enfants les siens et ceux des autres

Le veau le loup la guêpe et la douce brebis

Le bon vieillard intègre et le sobre chameau

Les actrices des théâtres le roi des animaux

Les planteurs de bananes les faiseurs de bons mots

Et les coqs et leurs poules les œuf avec leur coque

Et personne ne reste pour enterrer quiconque

Comme ça ça va

Dit le sultan de Salamandragore

Mais reste là bourreau

Là tout près de moi

Et tue-moi

Si jamais je me rendors.

6. Jean Tardieu Au conditionnel

Si je savais écrire je saurais dessiner

Si j'avais un verre d'eau je le ferais geler

et je le conserverais sous verre

Si on me donnait une motte de beurre je

la ferais couler en bronze

Si j'avais trois mains je ne saurais où

donner de la tête

Si les plumes s'envolaient si la neige fondait

si les regards se perdaient, je

leur mettrais du plomb dans l'aile

Si je marchais toujours tout droit devant

moi, au lieu de faire le tour du

globe j'irais jusqu'à Sirius et

au-delà

Si je mangeais trop de pommes de terre je

les ferais germer sur mon cadavre

Si je sortais par la porte je rentrerais

par la fenêtre

Si j'avalais un sabre je demanderais

un grand bol de Rouge

Si j'avais une poignée de clous je les

enfoncerais dans ma main

gauche avec ma main

droite et vice versa.

Si je partais sans me retourner, je

me perdrais bientôt de vue.

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7. Jean de La Fontaine Le Chêne et le Roseau

Le Chêne un jour dit au Roseau :

Vous avez bien sujet d’accuser la Nature ;

Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau.

Le moindre vent qui d’aventure

Fait rider la face de l’eau,

Vous oblige à baisser la tête :

Cependant que mon front, au Caucase pareil,

Non content d’arrêter les rayons du soleil,

Brave l’effort de la tempête.

Tout vous est aquilon ; tout me semble zéphir.

Encor si vous naissiez à l’abri du feuillage

Dont je couvre le voisinage,

Vous n’auriez pas tant à souffrir :

Je vous défendrais de l’orage ;

Mais vous naissez le plus souvent

Sur les humides bords des Royaumes du vent.

La Nature envers vous me semble bien injuste.

Votre compassion, lui répondit l’Arbuste,

Part d’un bon naturel ; mais quittez ce souci.

Les vents me sont moins qu’à vous redoutables.

Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici

Contre leurs coups épouvantables

Résisté sans courber le dos ;

Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots,

Du bout de l’horizon accourt avec furie

Le plus terrible des enfants

Que le Nord eût porté jusque-là dans ses flancs.

L’Arbre tient bon ; le Roseau plie.

Le vent redouble ses efforts,

Et fait si bien qu’il déracine

Celui de qui la tête au ciel était voisine

Et dont les pieds touchaient à l’empire des morts.

8. Raymond Queneau L’explication des métaphores

Loin du temps, de l'espace, un homme est égaré,

Mince comme un cheveu, ample comme l'aurore,

Les naseaux écumants, les deux yeux révulsés,

Et les mains en avant pour tâter le décor

— D'ailleurs inexistant. Mais quelle est, dira-t-on,

La signification de cette métaphore :

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« Mince comme un cheveu, ample comme l'aurore »

Et pourquoi ces naseaux hors des trois dimensions ?

Si je parle du temps, c'est qu'il n'est pas encore,

Si je parle d'un lieu, c'est qu'il a disparu,

Si je parle d'un homme, il sera bientôt mort,

Si je parle du temps, c'est qu'il n'est déjà plus,

Si je parle d'espace, un dieu vient le détruire,

Si je parle des ans, c'est pour anéantir,

Si j'entends le silence, un dieu vient y mugir

Et ses cris répétés ne peuvent que me nuire.

Car ces dieux sont démons ; ils rampent dans l'espace,

Minces comme un cheveu, amples comme l'aurore,

Les naseaux écumants, la bave sur la face,

Et les mains en avant pour saisir un décor

— D'ailleurs inexistant. Mais quelle est, dira-t-on,

La signification de cette métaphore

« Minces comme un cheveu, amples comme l'aurore »

Et pourquoi cette face hors des trois dimensions ?

Si je parle des dieux, c'est qu'ils couvrent la mer

De leur poids infini, de leur vol immortel,

Si je parle des dieux, c'est qu'ils hantent les airs,

Si je parle des dieux, c'est qu'ils sont perpétuels,

Si je parle des dieux, c'est qu'ils vivent sous terre,

lnsufflant dans le sol leur haleine vivace,

Si je parle des dieux, c'est qu'ils couvent le fer,

Amassent le charbon, distillent le cinabre.

Sont-ils dieux ou démons ? Ils emplissent le temps,

Minces comme un cheveu, amples comme l'aurore,

L'émail des yeux brisés, les naseaux écumants,

Et les mains en avant pour saisir un décor

— D'ailleurs inexistant. Mais quelle est, dira-t-on,

La signification de cette métaphore

« Mince comme un cheveu, ample comme une aurore »

Et pourquoi ces deux mains hors des trois dimensions ?

Oui, ce sont des démons. L'un descend, l'autre monte.

A chaque nuit son jour, à chaque mont son val,

A chaque jour sa nuit, à chaque arbre son ombre,

A chaque être son Non, à chaque bien son mal,

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Oui, ce sont des reflets, images négatives,

S'agitant à l'instar de l'immobilité,

Jetant dans le néant leur multitude active

Et composant un double à toute vérité.

Mais ni dieu ni démon l'homme s'est égaré,

Mince comme un cheveu, ample comme l'aurore,

Les naseaux écumants, les deux yeux révulsés,

Et les mains en avant pour tâter un décor

— D'ailleurs inexistant. C'est qu'il est égaré ;

Il n'est pas assez mince, il n'est pas assez ample :

Trop de muscles tordus, trop de salive usée.

Le calme reviendra lorsqu'il verra le Temple

De sa forme assurer sa propre éternité.

9. Jacques Prévert Chansons des escargots qui vont à l’enterrement

A l'enterrement d'une feuille morte

Deux escargots s'en vont

Ils ont la coquille noire

Du crêpe autour des cornes

Ils s'en vont dans le soir

Un très beau soir d'automne

Hélas quand ils arrivent

C'est déjà le printemps

Les feuilles qui étaient mortes

Sont toutes ressuscitées

Et les deux escargots

Sont très désappointés

Mais voila le soleil

Le soleil qui leur dit

Prenez prenez la peine

La peine de vous asseoir

Prenez un verre de bière

Si le cœur vous en dit

Prenez si ça vous plaît

L'autocar pour Paris

Il partira ce soir

Vous verrez du pays

Mais ne prenez pas le deuil

C'est moi qui vous le dit

Ça noircit le blanc de l'œil

Et puis ça enlaidit

Les histoires de cercueils

C'est triste et pas joli

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Reprenez vous couleurs

Les couleurs de la vie

Alors toutes les bêtes

Les arbres et les plantes

Se mettent à chanter

A chanter à tue-tête

La vrai chanson vivante

La chanson de l'été

Et tout le monde de boire

Tout le monde de trinquer

C'est un très joli soir

Un joli soir d'été

Et les deux escargots

S'en retournent chez eux

Ils s'en vont très émus

Ils s'en vont très heureux

Comme ils ont beaucoup bu

Ils titubent un petit peu

Mais la haut dans le ciel

La lune veille sur eux.

10. Raymond Devos Je suis un imbécile

Dernièrement,

j'ai rencontré un monsieur

qui se vantait d'être un imbécile.

Il disait :

"Je suis un imbécile ! "

Je lui ai dit :

"Monsieur ... c'est vite dit ! "

Tout le monde peut dire :

"Je suis un imbécile !"

Il faut le prouver !

Il m'a dit :

"Je peux ! "

Il m'a apporté les preuves

de son imbécillité

avec tellement

d'intelligence et de

subtilité

que je me demande

s'il ne m'a pas pris

pour un imbécile !

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11. Raymond Devos Je hais les haies

Je hais les haies

Qui sont des murs.

Je hais les haies

Et les mûriers

Qui font la haie

Le long des murs.

Je hais les haies

Qui sont de houx.

Je hais les haies

Qu’elles soient de mûres

Qu’elles soient de houx !

Je hais les murs

Qu’ils soient en dur

Qu’ils soient en mou !

Je hais les haies

Qui nous emmurent.

Je hais les murs

Qui sont en nous.

12. Boby Lapointe Framboise!

Elle s'appelait Françoise,

Mais on l'appelait Framboise !

Une idée de l'adjudant

Qui en avait très peu, pourtant,

(des idées)...

Elle nous servait à boire

Dans un bled du Maine-et-Loire ;

Mais ce n'était pas Madelon...

Elle avait un autre nom,

Et puis d'abord pas question

De lui prendre le menton...

D'ailleurs elle était d'Antibes !

Quelle avanie !

Avanie et Framboise

Sont les mamelles du Destin !

Pour sûr qu'elle était d'Antibes !

C'est plus près que les Caraïbes,

C'est plus près que Caracas.

Est-ce plus loin que Pézenas ?

Je n'sais pas :

Et tout en étant Française,

L'était tout de même Antibaise :

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Et bien qu'elle soit Française,

Et, malgré ses yeux de braise,

Ça ne me mettait pas à l'aise

De la savoir Antibaise,

Moi qui serais plutôt pour...

Quelle avanie...

Avanie et Framboise

Sont les mamelles du Destin !

Elle avait peu d'avantages :

Pour en avoir d'avantage,

Elle s'en fit rajouter

A l'institut de beauté

(Ah - ahah ! )

On peut, dans le Maine-et-Loire,

S'offrir de beaux seins en poire...

L'y a à l'institut d'Angers

Qui opère sans danger :

Des plus jeunes aux plus âgés,

On peut presque tout changer,

Excepté ce qu'on ne peut pas...

Quelle avanie...

Avanie et Framboise

Sont les mamelles du Destin !

"Davantage d'avantages,

Avantagent d'avantage"

Lui dis-je, quand elle revint

Avec ses seins Angevins...

(deux fois dix ! )

"Permets donc que je lutine

Cette poitrine angevine..."

Mais elle m'a échappé,

A pris du champ dans le pré

Et je n'ai pas couru après...

Je ne voulais pas attraper

Une Angevine de poitrine !

Moralité :

Avanie et mamelles

Sont les framboises du Destin !

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13. Jacques Douai Rengaine pour piano mécanique

Dépêche-toi de rire

Il en est encore temps

Bientôt la poêle à frire

Et adieu le beau temps

D’autres viendront quand même

Respirer le beau temps

C’est pas toujours les mêmes

Mais y a toujours des gens

Sous le premier empire

Y avait des habitants

Sous le second empire

Y en avait tout autant.

Même si c’est plus les mêmes

Tu t’en iras comme eux

Tu t’en iras quand même

Tu t’en iras chez eux.

C’est pas moi c’est mes frères

Qui vivront après moi

Même chose que mon grand’père

Qui vivait avant moi.

Même si c’est plus les mêmes

On est content pour eux

Nous d’avance on les aime

Sans en être envieux.

Dépêche-toi de rire

Il en est encore temps

Bientôt la poêle à frire

Et adieu le beau temps…

14. Jean Tardieu Théo

Lorsqu’il rencontre sur l’asphalte

Une Manon qui lui sourit,

L’œil allumé, Théo fait halte,

Théo rit.

Et bientôt, n’étant pas de bois,

Théo goûte un plaisir extrême

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Dont il se délecte… trois fois :

Théor…aime.

Puis, un peu las de sa prouesse,

Du sommeil du juste et du fort,

Tournant le dos à son hôtesse,

Théo dort.

Et quand arrive le matin,

Le corps dispos, l’âme tranquille,

En peinard, posant un lapin,

Théo file.

15. André Frédérique L'enfant boudeur

Veux-tu jouer à la pirouelle

à la redouble au rat musqué

veux-tu jouer à la sauguette

au goligode au ziponblé

veux-tu jouer au jeu de l'ange

à l'œil-au-dos au mort parlant

veux-tu jouer à cache-mésange

à mouton-bêle à baille-au-vent

veux-tu jouer à croque-au-sel

au déserteur à la logorrhée

veux-tu jouer à l'espincelle

à tête d'or aux estropiés

veux-tu jouer au jeu de l'hombre

sur le mur blanc les mains croisées

veux-tu jouer à compter le nombre

des poissons-chats dans l'océan

veux-tu jouer à la marelle au cervelas

au pince-joue au tirela

au caviar à poisse-Dudule

au mirliton dans la pendule

à la lutte jaune au ramagot

à pousser grand-mère dans les lavabos

à pince-mie et pince-moi en bateau

à la paix royale au souci de sincérité

à la chaude-meurotte au jeu des abbés

à déformer le nom des ministres du culte

au chapeau du jurisconsulte

veux-tu jouer à la bataille des tomates

au pasteur protestant à la loupe à Tatate

à Zaine Phozieux au riz-pain-sel

au canard portugais à la marche en dentelle

à la lanterne froide au pharmacien comique

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au domino sur glace à la pouille au chien de pique

au hoquet chinois à l'over armstroke

au loup garou au loup coché au loup vendu

au vilbrequin à l'aromé au cadavre exquis

au prote

au touche-zizi à la veule au cornac

à la pinacothèque à la petite marchande de canons

au frotteur de parquets champion de bridge plafond

au troume au solitaire à conazor

à la soutane à la peau de cochon au dieu Frouda

à la turidité au hussard de Bretagne à un

jeu polonais trouvé par Sienkiewicz

au pouce-cul au solfège aux deux sœurs de Barbaud

à mirer les alouettes à la morve au farcin

au mariage blanc au mariage vert à la guimauve

au jeu des gâteaux à madame Room

à l'officier prussien à l'eukonaze au bugle

à l'enfant naturel au knout au saladier

- Non, j'aime mieux étudier.

16. Charles Cros Le Hareng Saur

Il était un grand mur blanc - nu, nu, nu,

Contre le mur une échelle - haute, haute, haute,

Et, par terre, un hareng saur - sec, sec, sec.

Il vient, tenant dans ses mains - sales, sales, sales,

Un marteau lourd, un grand clou - pointu, pointu, pointu,

Un peloton de ficelle - gros, gros, gros.

Alors il monte à l'échelle - haute, haute, haute,

Et plante le clou pointu - toc, toc, toc,

Tout en haut du grand mur blanc - nu, nu, nu.

Il laisse aller le marteau - qui tombe, qui tombe, qui tombe,

Attache au clou la ficelle - longue, longue, longue,

Et, au bout, le hareng saur - sec, sec, sec.

Il redescend de l'échelle - haute, haute, haute,

L'emporte avec le marteau - lourd, lourd, lourd,

Et puis, il s'en va ailleurs - loin, loin, loin.

Et, depuis, le hareng saur - sec, sec, sec,

Au bout de cette ficelle - longue, longue, longue,

Très lentement se balance - toujours, toujours, toujours.

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J'ai composé cette histoire - simple, simple, simple,

Pour mettre en fureur les gens - graves, graves, graves,

Et amuser les enfants - petits, petits, petits.

17. Paul Vincensini Toujours et Jamais

Toujours et Jamais étaient toujours ensemble

ne se quittaient jamais. On les rencontrait

dans toutes les foires.

On les voyait le soir traverser le village

sur un tandem.

Toujours guidait

Jamais pédalait

C'est du moins ce qu'on supposait...

Ils avaient tous les deux une jolie casquette

L'une était noire ŕ carreaux blancs

L'autre blanche ŕ carreaux noirs

A cela on aurait pu les reconnaître

Mais ils passaient toujours le soir

et avec la vitesse...

Certains d'ailleurs les soupçonnaient

Non sans raison peut-ętre

D'échanger certains soirs leur casquette

Une autre particularité

Aurait dű les distinguer

L'un disait toujours bonjour

L'autre toujours bonsoir

Mais on ne sut jamais

Si c'était Toujours qui disait bonjour

Ou Jamais qui disait bonsoir

Car entre eux ils s'appelaient toujours

Monsieur Albert Monsieur Octave.

18. Jean de La Fontaine Le Loup et l'agneau

La raison du plus fort est toujours la meilleure:

Nous l'allons montrer tout ŕ l'heure.

Un Agneau se désaltérait

Dans le courant d'une onde pure ;

Un Loup survint ŕ jeun,

qui cherchait aventure,

Et que la faim en ces lieux attirait.

«Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage?

Dit cet animal plein de rage ;

Tu seras châtié de ta témérité.

- Sire, répond l'Agneau, que Votre Majesté

Ne se mette pas en colère;

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Mais plutôt qu'elle considère

Que je me vais désaltérant

Dans le courant,

Plus de vingt pas au-dessous d'elle;

Et que par conséquent,

en aucune façon,

je ne puis troubler sa boisson.

- Tu la troubles, reprit cette bête cruelle ;

Et je sais que de moi tu médis l'an passé.

- Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né?

Reprit l'Agneau,

je tête encor ma mère.

- Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.

- Je n'en ai point.

- C'est donc quelqu'un des tiens

Car vous ne m'épargnez guère,

Vous, vos bergers et vos chiens.

On me l'a dit: il faut que je me venge.»

Là-dessus, au fond des forêts

Le Loup l'emporte, et puis le mange,

Sans autre forme de procès.

19. Jean Rousselot L’ordinateur et l’éléphant

Parce qu'il perdait la mémoire

Un ordinateur alla voir

Un éléphant de ses amis

- C'est sűr, je vais perdre ma place,

Lui dit-il, viens donc avec moi.

Puisque jamais ceux de ta race

N'oublient rien, tu me souffleras.

Pour la paie, on s'arrangera.

Ainsi firent les deux compères.

Mais l'éléphant était vantard

Voilà qu'il raconte ses guerres,

Le passage du Saint-Bernard,

Hannibal et Jules César...

Les ingénieurs en font un drame

Ça n'était pas dans le programme

Et l'éléphant, l'ordinateur

Tous les deux, les voilà chômeurs.

De morale je ne vois guère

A cette histoire, je l'avoue.

Si vous en trouvez une, vous,

Portez-la chez le Commissaire;

Au bout d'un an, elle est ŕ vous

Si personne ne la réclame.

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20. Maurice Carême Conciliabule

Trois lapins, dans le crépuscule,

Tenaient un long conciliabule.

Le premier montrait une étoile

Qui montait sur un champ d'avoine.

Les autres, pattes sur les yeux,

La regardaient d'un air curieux.

Puis tous trois, tęte contre tęte,

Se parlaient d'une voix inquičte.

Se posaient-ils, tout comme nous,

Les męmes questions sans réponse ?

D'oů venons-nous ?

Oů allons nous ?

Que sommes-nous ?

Pourquoi ces ronces

Pourquoi dansons-nous le matin,

Parmi la rosée et le thym ?

Pourquoi avons-nous le cul blanc,

Longues oreilles, longues dents ?

Pourquoi notre nez tout le temps,

Tremble-t-il comme feuille au vent ?

Pourquoi l'ombre d'un laboureur

Nous fait-elle toujours si peur ?

Trois lapins dans le crépuscule

Tenaient un long conciliabule.

Et il aurait duré longtemps

Encore si une grenouille

N'avait plongé soudainement

Dans l'eau de lune de l'étang.

21. Jean Rousselot Dit des oiseaux

Tirelire! Tirelire!

Dit l'alouette

Mais on ne l'a jamais vue mettre

Un sou de côté

Plus vite! Plus vite !

Dit le merle aux ouvriers

Mais lui passe son temps à enfiler des perles

De rosée

Je n'y crois pas, crois pas, crois pas

Dit le corbeau en secouant ses manches

Mais tout ce qu'il voit il le mange

Faites que tout brille, brille

18

Ordonne la pie

Mais jusqu'au crépuscule

Elle jouit de la vie

Dans son fauteuil à bascule

Des couleurs j'ai, des couleurs j'ai!

Dit le geai.

Mais quand tu veux l'admirer

Il a déjà filé.

Dis-moi tu, dis-moi tu

Dît le moineau dodu

Mais dès que tu ouvres la bouche

Il s'effarouche

Et que dit le serin ?

On n'y comprend rien

C'est peut-être du latin

22. Jean de La Fontaine Le Corbeau et le Renard

Maître Corbeau, sur un arbre perché,

Tenait en son bec un fromage.

Maître Renard, par l'odeur alléché,

Lui tint ŕ peu prčs ce langage :

«Hé! bonjour, monsieur du Corbeau.

Que vous ętes joli! que vous me semblez beau!

Sans mentir, si votre ramage

Se rapporte ŕ votre plumage,

Vous ętes le phénix des hôtes de ces bois. »

A ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie ;

Et pour montrer sa belle voix,

Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.

Le Renard s'en saisit, et dit : «Mon bon monsieur,

Apprenez que tout flatteur

Vit aux dépens de celui qui l'écoute :

Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute.»

Le Corbeau, honteux et confus,

Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.

23. Jacques Prévert Pour faire le portrait d'un oiseau

Peindre d'abord une cage

avec une porte ouverte

peindre ensuite

quelque chose de joli

quelque chose de simple

quelque chose de beau

quelque chose d'utile

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pour l'oiseau

placer ensuite la toile contre un arbre

dans un jardin

dans un bois

ou dans une forêt

se cacher derrière l'arbre

sans rien dire

sans bouger ...

Parfois l'oiseau arrive vite

mais il peut aussi bien mettre de longues années

avant de se décider

Ne pas se décourager

attendre

attendre s'il le faut pendant des années

la vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseau

n'ayant aucun rapport

avec la réussite du tableau

Quand l'oiseau arrive

s'il arrive

observer le plus profond silence

attendre que l'oiseau entre dans la cage

et quand il est entré

fermer doucement la porte avec le pinceau

puis

effacer un à un tous les barreaux

en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l'oiseau

Faire ensuite le portrait de l'arbre

en choisissant la plus belle de ses branches

pour l'oiseau

peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent

la poussière du soleil

et le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'été

et puis attendre que l'oiseau se décide à chanter

Si l'oiseau ne chante pas

c'est mauvais signe

signe que le tableau est mauvais

mais s'il chante c'est bon signe

signe que vous pouvez signer

Alors vous arrachez tout doucement

une des plumes de l'oiseau

et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.

24. Pierre Gamarra Le cosmonaute et son hôte

Sur une planète inconnue,

un cosmonaute rencontra

un étrange animal;

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il avait le poil ras,

une tête trois fois cornue,

trois yeux, trois pattes et trois bras !

« Est-il vilain! pensa le cosmonaute

en s'approchant prudemment de son hôte.

Son teint a la couleur d'une vieille échalote,

son nez a l'air d'une carotte.

Est-ce un ruminant? Un rongeur? »

Soudain, une vive rougeur

colora plus encor le visage tricorne.

Une surprise sans bornes

fit chavirer ses trois yeux.

<< Quoi! Rêvé-je? dit-il. D'où nous vient, justes cieux,

ce personnage si bizarre sans crier gare !

Il n'a que deux mains et deux pieds,

il n'est pas tout à fait entier.

Regardez comme. il a l'air bête,

il n'a que deux yeux dans la tête !

Sans cornes, comme il a l'air sot ! »

C'était du voyageur arrivé de la Terre

que parlait l'être planétaire.

Se croyant seul parfait et digne du pinceau,

il trouvait au Terrien un bien vilain museau.

Nous croyons trop souvent que, seule, notre tête

est de toutes la plus parfaite!

25. Charles Vildrac La pomme et l'escargot

Il y avait une pomme

A la cime d'un pommier ;

Un grand coup de vent d'automne

La fit tomber sur le pré !

Pomme, pomme,

T'es-tu fait mal ?

J'ai le menton en marmelade

Le nez fendu

Et l'œil poché !

Elle tomba, quel dommage,

Sur un petit escargot

Qui s'en allait au village

Sa demeure sur le dos

A ! Stupide créature

Gémit l'animal cornu

T'as défoncé ma toiture

Et me voici faible et nu.

Dans la pomme à demi blette

L'escargot, comme un gros ver

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Rongea, creusa sa chambrette

Afin d'y passer l'hiver.

Ah ! Mange-moi, dit la pomme,

Puisque c'est là mon destin ;

Par testament je te nomme

Héritier de mes pépins.

Tu les mettras dans la terre

Vers le mois de février,

Il en sortira, j'espère,

De jolis petits pommiers.

26. Jean de La Fontaine Le loup et le chien

Un Loup n'avait que les os et la peau,

Tant les chiens faisaient bonne garde.

Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,

Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde.

L'attaquer, le mettre en quartiers,

Sire Loup l'eùt fait volontiers ;

Mais il fallait livrer bataille,

Et le Mâtin était de taille

A se défendre hardiment.

Le Loup donc l'aborde humblement,

Entre en propos, et lui fait compliment

Sur son embonpoint, qu'il admire.

"Il ne tiendra qu'ŕ vous beau sire,

D'être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.

Quittez les bois, vous ferez bien :

Vos pareils y sont misérables,

Cancres, haires, et pauvres diables,

Dont la condition est de mourir de faim.

Car quoi ? rien d'assuré : point de franche lippée :

Tout à la pointe de l'épée.

Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin. "

Le Loup reprit : "Que me faudra-t-il faire ?

- Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens

Portants bâtons, et mendiants ;

Flatter ceux du logis, à son Maître complaire :

Moyennant quoi votre salaire

Sera force reliefs de toutes les façons :

Os de poulets, os de pigeons,

Sans parler de mainte caresse. "

Le Loup déjà se forge une félicité

Qui le fait pleurer de tendresse.

Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé.

"Qu'est-ce là ? lui dit-il. - Rien. - Quoi ? rien ? -

Peu de chose.

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- Mais encor ? - Le collier dont je suis attaché

De ce que vous voyez est peut-être la cause.

- Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas

Où vous voulez ? - Pas toujours ; mais qu'importe?

- Il importe si bien, que de tous vos repas

Je ne veux en aucune sorte,

Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. "

Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor.

27. Jean de La Fontaine Le renard et la cigogne

Compère le Renard se mit un jour en frais,

et retint ŕ dîner commère la Cigogne.

Le régal fùt petit et sans beaucoup d'apprêts :

Le galant pour toute besogne,

Avait un brouet clair ; il vivait chichement.

Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :

La Cigogne au long bec n'en put attraper miette ;

Et le drôle eut lapé le tout en un moment.

Pour se venger de cette tromperie,

A quelque temps de là, la Cigogne le prie.

"Volontiers, lui dit-il ; car avec mes amis

Je ne fais point cérémonie. "

A l'heure dite, il courut au logis

De la Cigogne son hôtesse ;

Loua très fort la politesse ;

Trouva le dîner cuit à point :

Bon appétit surtout ; Renards n'en manquent point.

Il se réjouissait à l'odeur de la viande

Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande.

On servit, pour l'embarrasser,

En un vase à long col et d'étroite embouchure.

Le bec de la Cigogne y pouvait bien passer ;

Mais le museau du sire était d'autre mesure.

Il lui fallut à jeun retourner au logis,

Honteux comme un Renard qu'une Poule aurait pris,

Serrant la queue, et portant bas l'oreille.

Trompeurs, c'est pour vous que j'écris :

Attendez-vous à la pareille.

28. Jean de La Fontaine Le Rat de ville et le Rat des champs

Autrefois le Rat de ville

Invita le Rat des champs,

D'une façon fort civile,

A des reliefs d'Ortolans.

23

Sur un Tapis de Turquie

Le couvert se trouva mis.

Je laisse à penser la vie

Que firent ces deux amis.

Le régal fut fort honnête,

Rien ne manquait au festin ;

Mais quelqu'un troubla la fête

Pendant qu'ils étaient en train.

A la porte de la salle

Ils entendirent du bruit :

Le Rat de ville détale ;

Son camarade le suit.

Le bruit cesse, on se retire :

Rats en campagne aussitôt ;

Et le citadin de dire :

Achevons tout notre rôt.

- C'est assez, dit le rustique ;

Demain vous viendrez chez moi :

Ce n'est pas que je me pique

De tous vos festins de Roi ;

Mais rien ne vient m'interrompre :

Je mange tout à loisir.

Adieu donc ; fi du plaisir

Que la crainte peut corrompre.

29. Paul Fort Complainte du petit cheval blanc

Le petit cheval dans le mauvais temps,

qu'il avait donc du courage !

C'était un petit cheval blanc,

tous derrière et lui devant.

Il n'y avait jamais de beau temps

dans ce pauvre paysage.

Il n'y avait jamais de printemps

ni derrière, ni devant.

Mais toujours il était content,

menant les gars du village,

à travers la pluie noire des champs,

tous derrière et lui devant.

Sa voiture allait poursuivant

sa belle petite queue sauvage.

C'est alors qu'il était content,

eux derrière et lui devant.

Mais un jour, dans le mauvais temps,

un jour qu'il était si sage,

il est mort par un éclair blanc,

tous derrière et lui devant.

24

Il est mort sans voir le beau temps,

qu'il avait donc du courage !

Il est mort sans voir le printemps

ni derrière ni devant.

30. Gilles Hénault L’enfant prodigue

L'enfant qui jouait le voilà maigre et courbé

L'enfant qui pleurait le voilà les yeux brûlés

L'enfant qui dansait une ronde le voilà qui court après

le tramway

L'enfant qui voulait la lune le voilà satisfait d'une

bouchée de pain

L'enfant fou et révolté, l'enfant au bout de la ville

dans les rues étrangères

L'enfant des aventures

sur la glace de la rivière

L'enfant perché sur les clôtures

le voilà dans l'étroit chemin de son devoir quotidien

L'enfant libre et court vêtu, le voilà

travesti en panneau-réclame, en homme-sandwich

affublé de lois en carton-pâte, prisonnier de mesquines

défenses

asservi et ligoté, le voilà traqué au nom de la justice

L'enfant du beau sang rouge et du bon sang

le voilà devenu fantôme d'opéra tragique

L'enfant prodigue

L'enfant prodige, le voilà devenu homme

l'homme de time is money et l'homme du bel canto

l'homme rivé à son travail qui est de river

toute la journée

l'homme des dimanches après-midi en pantoufles

et des interminables parties de bridge

l'homme innombrable du sport de quelques hommes

et l'homme du petit compte en banque

pour payer l'enterrement d'une enfance morte

vers sa quinzième année.

31. Robert Desnos Les Quatre sans cou

Ils étaient quatre qui n’avaient plus de tête,

Quatre à qui l’on avait coupé le cou,

On les appelait les quatre sans cou.

25

Quand ils buvaient un verre,

Au café de la place ou du boulevard,

Les garçons n’oubliaient pas d’apporter des entonnoirs.

Quand ils mangeaient, c’était sanglant,

Et tous quatre chantant et sanglotant,

Quand ils aimaient, c’était du sang.

Quand ils couraient, c’était du vent,

Quand ils pleuraient, c’était vivant,

Quand ils dormaient, c’était sans regret.

Quand ils travaillaient, c’était méchant,

Quand ils rodaient, c’était effrayant,

Quand ils jouaient, c’était différent,

Quand ils jouaient, c’était comme tout le monde,

Comme vous et moi, vous et nous et tous les autres,

Quand ils jouaient, c’était étonnant.

Mais quand ils parlaient, c’était d’amour.

Ils auraient pour un baiser

Donné ce qui leur restait de sang.

Leurs mains avaient des lignes sans nombre

Qui se perdraient parmi les ombres

Comme des rails dans la forêt.

Quand ils s’asseyaient, c’était plus majestueux que des rois

Et les idoles se cachaient derrière leur croix

Quand devant elles ils passaient droits.

On leur avait rapporté leur tête

Plus de vingt fois, plus de cent fois,

Les ayant retrouves à la chasse ou dans les fêtes,

Mais jamais ils ne voulurent reprendre

Ces têtes où brillaient leurs yeux,

Où les souvenirs dormaient dans leur cervelle.

Cela ne faisait peut-être pas l’affaire

Des chapeliers et des dentistes.

La gaîté des uns rend les autres tristes.

Les quatre sans cou vivent encore, c’est certain,

J’en connais au moins un

Et peut-être aussi les trois autres,

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Le premier, c’est Anatole,

Le second, c’est Croquignole,

Le troisième, c’est Barbemolle,

Le quatrième, c’est encore Anatole.

Je les vois de moins en moins,

Car c’est déprimant, à la fin,

La fréquentation des gens trop malins.

32. Jules Laforgue Complainte de la lune en province

Ah ! la belle pleine Lune,

Grosse comme une fortune !

La retraite sonne au loin,

Un passant, monsieur l’adjoint ;

Un clavecin joue en face,

Un chat traverse la place :

La province qui s’endort !

Plaquant un dernier accord,

Le piano clôt sa fenêtre.

Quelle heure peut-il bien être ?

Calme Lune, quel exil !

Faut-il dire : ainsi soit-il ?

Lune, ô dilettante Lune,

À tous les climats commune,

Tu vis hier le Missouri,

Et les remparts de Paris,

Les fiords bleus de la Norvège,

Les pôles, les mers, que sais-je ?

Lune heureuse ! ainsi tu vois,

À cette heure, le convoi

De son voyage de noce !

Ils sont partis pour l’Ecosse.

Quel panneau, si, cet hiver,

Elle eût pris au mot mes vers !

Lune, vagabonde Lune,?

Faisons cause et mœurs communes ?

Ô riches nuits! je me meurs,

La province dans le cœur !

Et la lune a, bonne vieille,

Du coton dans les oreilles.

33. Pamphile LeMay (le poète québécois) Le castor et le loup-cervier

Un castor, bon enfant, un jour prêta l’oreille

Aux paroles d’un loup-cervier.

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Il s’agissait d’éteindre une haine bien vieille

Et d’échanger enfin la branche d’olivier.

« Pour sceller l’amitié l’on pourrait, ce me semble,

Dit l’astucieux lynx, chasser toujours ensemble...

Je grimpe prestement, vous ne l’ignorez pas,

Sur les plus hautes branches ;

Au lieu de chair en tranches

Vous aurez, chaque jour, des fruits mûrs aux repas. »

Ils vécurent longtemps sur le bord des rivières,

Mais le lynx mangeait seul, et de bon appétit

Et sans faire trop de manières,

Le gros poisson et le petit.

« De la société, je porte seul les peines,

Lui dit, bien poliment, le castor aux abois ;

Soyez plus généreux ; rentrons dans les grands bois,

Montez sur quelque hêtre et donnez-moi des faînes.

— Des faînes ? J’y pensais ; ça fera changement. »

Ils marchaient lentement,

Car les pieds du castor n’ont pas grande vitesse.

Après de longs circuits

Ils trouvèrent un hêtre assez chargé de fruits.

Le loup-cervier avec prestesse

Grimpa sur les rameaux et se mit à manger,

Sans nullement songer

À son bon camarade.

« Vous ne me donnez rien ? demanda celui-ci.

—Ta santé délicate est mon plus grand souci,

Et je crains que ce fruit ne te rende malade...

Il ne faudrait qu’un accident,

Répondit le lynx impudent.

« C’est vrai, fit le castor, j’en souffrirais peut-être ;

L’écorce me suffit. »

Sous des dehors sereins

Il cachait sa colère. Or, il coupe le hêtre.

Maître loup-cervier tombe, et se brise les reins.

Le fourbe bien souvent de l’innocent abuse,

Mais la naïveté n’empêche pas la ruse.

34. Gérald Godin (le poète et politicien québécois) Fins

I

Il manquait quelque chose

dans le miroir

peut-être les tentures bleues

du salon peut-être un père

28

peut-être le crucifix

m'enfouir m'enfouir

chercher

la tête dans ce tas de feuilles

pourries chercher une odeur

l'automne comme on ne l'a jamais vu

un visage reconnu

que l'on croyait oublié

lire dans les complications du tapis

les écailles du mur

un conte une vie d'homme mort

n'en rien dire

de peur d'être injuste

n'en rien même penser

lire et relire

mais toujours hélas à peine

j'ai peur de partir d'ici

cette peau qui meurt au bout de mes

doigts près des ongles

cette peau morte qui tombe

ces plaques jaunes aux chevilles

nous vivons si peu

il faudrait aller tellement loin

et le temps qui nous manque

et le cœur

35. Robert Desnos La Grenouille aux souliers percés

La grenouille aux souliers percés

A demandé la charité

Les arbres lui ont donné

Des feuilles mortes et tombées.

Les champignons lui ont donné

Le duvet de leur grand chapeau.

L’écureuil lui a donné

Quatre poils de son manteau

L’herbe lui a donné

Trois petites graines.

Le ciel lui a donné

Sa plus douce haleine.

29

Mais la grenouille demande toujours,

Demande encore la charité

Car ses souliers sont toujours,

Sont encore percés.

36. Robert Desnos L’Oiseau du Colorado

L’oiseau du Colorado

Mange du miel et des gâteaux

Du chocolat et des mandarines

Des dragées des nougatines

Des framboises des roudoudous

De la glace et du caramel mou.

L’oiseau du Colorado

Boit du champagne et du sirop

Suc de fraise et lait d’autruche

Jus d’ananas glacé en cruche

Sang de pêche et navet

Whisky menthe et café.

L’oiseau du Colorado

Dans un grand lit fait un petit dodo

Puis il s’envole dans les nuages

Pour regarder les images

Et jouer un bon moment

Avec la pluie et le beau temps.

37. Robert Desnos Le Poisson sans-souci

Le poisson sans-souci

Vous dit bonjour vous dit bonsoir

Ah ! qu’il est doux qu’il est poli

Le poisson sans-souci.

Il ne craint pas le mois d’avril

Et tant pis pour le pêcheur

Adieu l’appât adieu le fil

Et le poisson cuit dans le beurre.

Quand il prend son apéritif

à Conflans Suresnes ou Charenton

Les remorqueurs brûlant le charbon de Cardiff

Ne dérangeraient pas ce buveur de bon ton.

Car il a voyagé dans des tuyaux de plomb

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Avant de s’endormir sur des pierres d’évier

Où l’eau des robinets chante pour le bercer

Car il a voyagé aussi dans des flacons

Que les courants portaient vers des rives désertes

Avec l’adieu naufragé à ses amis.

Le poisson sans-souci

Qui dit bonjour qui dit bonsoir

Ah ! qu’il est doux et poli

Le poisson sans-souci

Le souci sans souci

Le Poissy sans Soissons

Le saucisson sans poids

Le poisson sans-souci.

38. Robert Desnos L’Araignée à moustaches

L’araignée à moustaches

n’est pas Napoléon III

qui s’ennuie quand il a froid.

L’araignée à moustaches

n’a pas de robe en satin

pour trottiner le matin.

L’araignée à moustaches

Ne se rasera jamais

Elle règne au mois de Mai

Mais

ah mais

mais oui

mais

L’araignée à moustaches

habite dans un château

son ami est un corbeau

Mais

L’araignée à moustaches

S’éclaire avec une étoile

Le soleil lui sert de poêle

Mais

L’araignée à moustaches

Porte de belles lunettes

31

Et joue de la clarinette

Du tambour de la trompette

Et chante d’une voix nette

Fait le jour maintes pirouettes

Toute la nuit fait la fête

Et charme les grosses bêtes

Ah mais !

39. Robert Desnos Le chat qui ne ressemblait à rien

Le chat qui ne ressemble à rien

Aujourd’hui ne va pas très bien.

Il va visiter le Docteur

Qui lui ausculte le cœur.

Votre cœur ne va pas bien

Il ne ressemble à rien,

Il n’a pas son pareil

De Paris à Créteil.

Il va visiter sa demoiselle

Qui lui regarde la cervelle.

Votre cervelle ne va pas bien

Elle ne ressemble à rien,

Elle n’a pas son contraire

À la surface de la terre.

Voilà pourquoi le chat qui ne ressemble à rien

Est triste aujourd’hui et ne va pas bien.

40. Robert Desnos L’Éléphant qui n’a qu’une patte

L’éléphant qui n’a qu’une patte

A dit à Ponce Pilate

Vous êtes bien heureux d’avoir deux mains,

Ça doit vous consoler d’être Consul romain.

Tandis que moi sans canne et sans jambe en bois

Je suis comme un héron et jamais je ne cours et jamais je ne bois

Et je ne parle pas des soins qu’il me faut prendre

Pour monter l’escalier qui conduit à ma chambre.

32

J’aimerais tant laver mes mains avec un savon rose

Avec du Palmolive avec du Cadum

Car il faut être propre et ne puis me laver

Et j’ai l'air ridicule debout sur le pavé.

Je n’ai pour consoler cette tristesse affreuse

Que ma trompe pareille aux tuyaux d’incendie

Et si je mets le pied dans le plat

Il y reste et l’on ne peut le manger à la sauce poulette.

Plaignez, Ponce Pilate, plaignez cette misère

Il n’y en a pas de plus grande sur terre

Vous êtes bien heureux de laver vos deux mains

Ça doit vous consoler d’être Consul romain.

41. Robert Desnos C’était un bon copain

Il avait le cœur sur la main

Et la cervelle dans la lune

C’était un bon copain

Il avait l’estomac dans les talons

Et les yeux dans nos yeux

C’était un triste copain.

Il avait la tête à l’envers

Et le feu là où vous pensez.

Mais non quoi il avait le feu au derrière.

C’était un drôle de copain

Quand il prenait ses jambes à son cou

Il mettait son nez partout

C’était un charmant copain

Il avait une dent contre Étienne

À la tienne Étienne à la tienne mon vieux.

C’était un amour de copain

Il n’avait pas sa langue dans la poche

Ni la main dans la poche du voisin.

Il ne pleurait jamais dans mon gilet

C’était un copain,

C’était un bon copain.

42. Robert Desnos L’arbre qui boit du vin

L’arbre qui boit du vin

aime qu’on dorme dans son ombre

comme les cerfs et les lapins

nourris de thym et de concombres

33

L’arbre qui boit du vin

est un fameux camarade

bon pour le soir et le matin

et tous les jours en cavalcade

L’arbre qui boit du vin

ce matin nous a dit

Pas besoin d’être devin

ce n’est pas tous les jours mardi

L’arbre qui boit du vin

Le verse à la terre entière

Il n’est pas bête il est malin

et son ombre sera la dernière

Et son ombre sera la dernière

sur la terre s’il en est encore

et sur la mer et sur la terre

à l’instant de la dernière aurore.