08. cadiou - savoir et action publique, un mariage de raison

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SAVOIRS ET ACTION PUBLIQUE : UN MARIAGE DE RAISON ? L'expertise en chantier Stéphane Cadiou La Doc. française | Horizons stratégiques 2006/1 - n° 1 pages 112 à 124 ISSN 1958-3370 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-horizons-strategiques-2006-1-page-112.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Cadiou Stéphane , « Savoirs et action publique : un mariage de raison ? » L'expertise en chantier, Horizons stratégiques, 2006/1 n° 1, p. 112-124. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour La Doc. française. © La Doc. française. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - uqam - - 132.208.12.66 - 01/02/2012 19h57. © La Doc. française Document téléchargé depuis www.cairn.info - uqam - - 132.208.12.66 - 01/02/2012 19h57. © La Doc. française

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SAVOIRS ET ACTION PUBLIQUE : UN MARIAGE DE RAISON ? L'expertise en chantierStéphane Cadiou La Doc. française | Horizons stratégiques 2006/1 - n° 1pages 112 à 124

ISSN 1958-3370

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-horizons-strategiques-2006-1-page-112.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Cadiou Stéphane , « Savoirs et action publique : un mariage de raison ?  » L'expertise en chantier,

Horizons stratégiques, 2006/1 n° 1, p. 112-124.

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Distribution électronique Cairn.info pour La Doc. française.

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La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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L’actualité de la création du Centre d’analysestratégique peut être replacée dans les débatsqui fleurissent depuis quelques années autourde l’expertise, socle des missions de lanouvelle institution. Sans cesse invoquée,l’expertise fait figure d’impératif des modes depouvoir contemporains. Elle donne lieu à uneprolifération d’“experts” dans de multiplesdomaines d’action publique : sécurité, violen-ces urbaines, économie, géopolitique, travail,réforme de l’État, etc. Rares sont les champsd’intervention qui ne disposent pas de leursspécialistes appelés à “éclairer” les décideurs,l’administration ou plus généralement encorel’opinion. Qu’ils soient dénoncés ou loués, les“experts” semblent ainsi étendre leur empriseau point d’alimenter les fantasmes quant à laréalité et à l’étendue de leur pouvoir.

Le succès de la notion d’expertise apparaîtproportionnel à son ambiguïté. En effet, elle selaisse difficilement enfermer dans une défini-tion. La tâche est d’autant plus délicate quel’expertise ne correspond pas toujours à unstatut professionnel, encore moins à un métier.

Le qualificatif d’“expert” est ainsi enjeu deluttes. Plus encore, l’ambiguïté est renforcéepar ceux-là mêmes qui, censés occuper uneplace d’expert, en rejettent parfois la qualifica-tion (Veitl, 2005). Cette méfiance signale bienque l’expertise, pour être généralisée, n’enreste pas moins lourde d’incertitudes au regardnotamment du principe de “neutralité scienti-fique”. Dès lors, il nous faut considérer que ladélimitation de l’expertise est variable et peutdifficilement être circonscrite par avance. Notreparti pris consiste à prendre en compte lesdiverses modalités du recours à l’expertise (àprétention) scientifique sans présager de lapureté de l’une par rapport aux autres 1.

Depuis les célèbres conférences de Max Weber(1963), les analyses se sont régulièrement

Cet article s’interroge sur le sens que revêt l’expertise et les évolutions qui l’affectent. S’appuyant sur une revue delittérature, il part du décalage entre l’écho croissant rencontré par cette notion et les incertitudes entourant sonidentification. L’expertise renvoie à une fonction d’interface qui constitue dans le même temps les conditions de savariété et de sa fragilité. De ce point de vue, la comparaison de contextes institutionnels différents (les États-Unis etl’Union européenne) permet de saisir la diversité des formes et des usages de l’expertise. À rebours, elle rend comptedes spécificités de la situation française même si l’auteur identifie des transformations récentes qui décloisonnent lemode administratif classique de mobilisation de l’expertise.

MMoottss--ccllééssexpertise – connaissance – think tank – commande – procédureexpertise – knowledge – think tank – order – procedure

..AANNAALLYYSSEE

SSaavvooiirrss eett aaccttiioonn ppuubblliiqquuee :: uunn mmaarriiaaggee ddee rraaiissoonn ??LL’’eexxppeerrttiissee eenn cchhaannttiieerr

SSTTÉÉPPHHAANNEE CCAADDIIOOUUchargé de mission au Département “Institutions et société” du Centre d’analyse stratégique

(1) Précisons que l’expertise scientifique mobilise etintéresse des agents aux statuts variés (chercheurs,consultants, chargés de mission d’officines gouver-nementales, etc.) qui peuvent revendiquer ladétention d’une connaissance savante. Elle nesaurait, par conséquent, se rapporter au seul mondeacadémique.

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centrées sur les liens entre science et politiqueen s’intéressant à leurs empiétementsrespectifs et à la rationalisation de l’activitépolitique. À ce niveau de généralité, cesanalyses nous semblent conduire à des posi-tions relativement abstraites. Toutefois, onrappellera ici la typologie de J. Habermasdistinguant les modèles décisionniste, techno-cratique et pragmatique (Habermas, 1978) : lepremier accordant le primat à la décisionpolitique sur la rationalité technique ou scienti-fique, le second au savoir spécialisé sur lepolitique réduit à un organe d’exécution. Face àcette polarisation, le théoricien allemand asuggéré un modèle pragmatique d’ajustementde la pratique politique et des possibilitéstechniques par les voies de la “communicationréciproque” ; modèle qui a suscité la fascina-tion et poussé à en traquer le prototype dansde multiples dispositifs expérimentaux (commeles “comités de sages”). Plutôt que d’évaluerces évolutions générales, notre propos sera icidifférent : il relève moins d’une volonté dedécouverte d’une forme idéale d’expertise, qued’un questionnement visant une clarificationdes conditions d’usage de l’expertise. Noustenterons de préciser les termes de la relationentre scientifiques et espaces politico-adminis-tratifs en privilégiant quelques dimensions-cléscomme l’autonomie à l’égard de la fonctiond’autorité et le pluralisme des savoirsmobilisés. Si la mobilisation des savoirs dansl’action publique a acquis une légitimitéincontestable, elle est loin pourtant d’êtreunivoque et aisée.

La montée de l’expertise tient sans nul doute àde multiples facteurs, parmi lesquels la redéfi-nition des formes d’action publique (avecnotamment les exigences de diagnostic etd’évaluation), l’exacerbation des incertitudes etdes risques (tendance que d’aucuns rapportentà une “société vulnérable”), la technicisation dutravail politique, etc. Mais l’expertise connaîtune nouvelle actualité qui ne peut se réduire àdes besoins fonctionnels provoqués par unecomplexification des affaires publiques. Ellereflète également une évolution des représen-tations de l’action politique. Elle tend effective-ment à coïncider avec la relégation del’idéologie au rang de langage obsolète. Danscette logique, l’énonciation de problèmespublics est censée requérir l’interventiond’experts pour établir des diagnostics et destraitements adéquats. Gouverner sembleconsister désormais à s’entourer de compé-

tences et d’avis fondés sur un savoir spécialisé,ce qui a pour effet de stimuler la recherche denouveaux outils d’aide à la décision. De làdécoulent des reconfigurations des dispositifsd’expertise marquées notamment par desprocessus d’import-export de modèles d’orga-nisation. En la matière, on ne peut manquer dementionner le véritable fétichisme dont faitl’objet la forme anglo-saxonne du think tank(“laboratoire d’idées”) greffée, avec plus ou demoins de succès, dans des contextes natio-naux différents et notamment en France(Desmoulins, 2000).

Nous partirons donc d’une ambivalence : si l’ex-pertise s’impose aujourd’hui comme une res-source de gouvernement en apparenceincontournable, elle demeure toujours aussiproblématique à appréhender. Afin de démêlerles fils de cet écheveau, il est important deconsidérer l’expertise sous un double rapport :à la fois comme concept et comme phéno-mène. À un premier niveau, l’expertise n’existepas en soi, mais constitue un révélateur detendances ou de réalités problématiques. À unsecond niveau, elle renvoie à des pratiques quien manifestent l’existence concrète. Dans cespages, nous nous appuierons sur un ensemblede travaux et sur une comparaison de formesd’expertise inscrites dans des contextes institu-tionnels différents. Après avoir discuté desdimensions constitutives de l’expertise (1), nousaborderons les propriétés de quelques disposi-tifs à travers lesquels celle-ci s’incarne enFrance et à l’étranger (2) pour envisager finale-ment ses recompositions tendancielles (3).

11.. CCoonnttoouurrss :: ssaavvooiirrss eett aaccttiioonn ppuubblliiqquuee

En France, la notion d’“expertise” a longtempsété dépassée par d’autres types d’objets,comme par exemple la planification. Il fautattendre les années 1980 pour qu’elle devienneréellement un enjeu de réflexion. Lors d’uncolloque relativement pionnier, “l’expertise” aalors été définie comme la rencontre, objecti-vée par une commande, d’un savoir spécialiséet d’une situation problématique (Fritsch,1985). Elle prend forme dès le XIXe siècle àtravers les figures de l’expertise judiciaire(Dumoulin, 1998), puis de l’expertise profes-sionnelle (experts-comptables, experts-géomètres, experts en assurance, etc.) sollici-tées pour dire le “vrai” dans les situations deconflit ou de litige. Dans ces cas, que nous

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n’abordons volontairement pas dans cet article,des agents ont pu s’imposer au nom d’uneexpérience de la gestion de problèmes leurconférant une compétence légitime et différen-ciante au sein d’une corporation (Sarfatti-Larson, 1984, Paradeise, 1985). Le recours, trèscodifié, à ce type d’expertise est sous-tendu parl’idéal d’une distinction claire entre la connais-sance apportée par l’expert et le jugementénoncé par le commanditaire. Puis l’exigencede mieux appréhender les affaires gestionnaireset de disposer de moyens d’informationadéquats a débouché sur la convocation descientifiques dans les processus de construc-tion de l’action politique. Avec l’expertise scien-tifique, prend alors forme un autre type d’usagealimentant le mythe d’une décision rationnelle :les scientifiques sont convoqués par les autori-tés politiques moins pour trancher des conflits,que pour fournir des connaissances verséesdans les circuits de la décision publique. Destravaux récents ont permis d’insister surl’ancrage ancien des liens entre savoirsacadémiques et préoccupations politiques (Ihl,Kaluszynski et Pollet, 2003). Mais le recours àl’expertise scientifique s’est accru sensiblementdans les pays occidentaux au lendemain de laSeconde Guerre mondiale (Wagner etWollmann, 1986). Les problèmes économiquesont sans conteste fourni les terrains les plusfavorables à cette mobilisation savante, en rai-son notamment des politiques macro-écono-miques menées après 1945 et du développe-ment des outils statistiques. Puis les usages del’expertise se sont étendus à de multiples sphè-res à mesure que les interventions de l’État sediversifiaient et que se consolidaient de nou-veaux savoirs. Partout ou presque, ces usagesreflètent une institutionnalisation progressive durecours à l’expertise scientifique avec l’émer-gence de procédures spécialisées (comités,conseils, commissions, etc.) prolongeant lessollicitations plus personnalisées (à travers lafigure classique du “conseiller du Prince”)(Benveniste, 1973).

La sociologie de l’expertise s’est dès lorsingéniée à décliner plusieurs classifications(Trépos, 1996). Parallèlement, pour préciser cequ’est un expert, il est fréquent d’énoncer unensemble de compétences proche d’une liste àla Prévert. Mais si l’on veut dépasser lesapproches positivistes et parcellaires débou-chant sur une catégorisation sans fin, ilconvient d’envisager la pluralité des modalitésd’existence de l’expertise relative à l’action

publique (Delmas, 2001). De même, poser unedéfinition générale de l’expertise reviendrait àen faire une activité aux frontières bien établies.Or, force est de reconnaître la difficulté àdistinguer clairement entre activité scientifiqueet expertise, entre la fabrique d’une connais-sance et d’un jugement. La production desconnaissances ne peut jamais totalements’affranchir du monde social et de considéra-tions axiologiques en dépit de la constitutiond’un appareillage technique d’objectivation duréel. De même qu’en s’en tenant aux seulescommandes officielles, on risquerait de nes’attacher qu’à la face la plus visible etd’occulter toutes les autres formes de partici-pation, notamment autonome, des savoirsscientifiques à l’action publique (Castel, 1991 ;Damamme et Lavabre, 2000). Enfin, parlerd’expertise c’est évoquer des positions, dessavoirs et des compétences, des procédures etdes dispositifs organisationnels.

L’expertise s’appréhende plus efficacementcomme un continuum de rapports entre savoiret action publique définissant autant deconceptions du savoir “utile” à l’activité poli-tique. Ainsi se révèle la prétention (plus sûre-ment que l’effectivité) pratique du savoird’expertise, de même que sa dimensionnormative. Parler de “rapports” n’est pasneutre dans la mesure où cela renvoie tout à lafois à une diversité d’ajustements et à uneposition fonctionnelle d’interface. À ce titre, ilapparaît que l’enjeu premier de l’expertise estla définition et l’adoption d’une positionmédiatrice entre les espaces savant etpolitico-administratif. L’expert ne saurait êtreréduit à un technicien ou à un spécialiste. Il sespécifie par l’accès à ce qu’un physiciennomme, à la suite d’Aristote, une information-organisation (I-O) – distincte de l’information-connaissance (I-C) – mettant en forme desdonnées disparates et spécialisées (Costa deBeauregard, 1983) 2. L’expert prend position –au double sens de s’engager et d’occuper uneplace – au nom de la maîtrise d’unecompétence qu’il mobilise pour se projeterdans l’action. Il se place à la limite de deuxtypes de pratiques qu’il essaie de fairedialoguer. L’essentiel tient dans une capacité àsavoir comment faire pour répondre à cetteéquation : mobiliser des connaissances

(2) De la même manière, A. Lalande souligne quel’information revêt un double sens : il s’agit de “faireconnaître quelque chose à quelqu’un” mais aussi de“donner forme à une matière” (Lalande, 1951).

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existantes (bien plus que d’en produire de nou-velles) pour saisir un problème et avancer dessolutions pratiques. Il revient à l’expert detransférer sa compétence savante et/ou tech-nique présumée dans un autre espace quecelui dans lequel il est engagé quotidienne-ment. Ce transfert est au centre de la relationd’expertise et, de ce point de vue, n’a riend’évident si l’on tient compte du doublemouvement d’autonomisation – impliquant deslogiques de fonctionnement et des intérêtsdistincts – des champs politique et scientifique(Bourdieu, 1976). La question des conditionsde ce transfert est celle qui fait aujourd’huil’objet des plus amples débats. L’expertise sespécifie donc comme une fonction relative, ausens où elle ne correspond pas à un statutdéfinitivement acquis. Toutefois, elle est inéga-lement accessible pour les détenteurs de savoirtant interviennent dans la sélection des expertsdes ressources extra-savantes. Elle mobilisesur chaque question un petit nombre d’agentsaux positions et dispositions privilégiées(comme, pour ne citer que les plus évidentes,les ressources politico-administratives ou lesliens d’interconnaissance) 3.

En se positionnant à l’intersection du savoir etde l’action publique, l’expert s’expose à destensions. Il est attiré par deux espaces auxcontraintes et aux exigences distinctes leplaçant dans une position incertaine. D’un côté,plus l’expert fait siennes les préoccupations dudécideur, plus il a de chances de peser sur lesprocessus décisionnels ; mais plus en retour ilmenace son autonomie et est passible decritiques issues de son espace d’origine. D’unautre coté, plus l’expert se drape des habits del’autonomie, plus il conserve une crédibilitéscientifique ou technique ; mais plus, en retour,il risque de connaître des difficultés pour être enprise avec les processus décisionnels. Pour ledire autrement, l’expert est porté à être à la foissuffisamment engagé et distancié de l’actionpour escompter réaliser sa mission, avec deschances de succès, sans s’aliéner la légitimitéqu’il tire de son espace professionnel. Cettetension se décline également sur le plan tempo-rel avec, d’une part, une attente de mise enperspective stratégique ou prospective duproblème et, de l’autre, une attente d’opération-nalité pratique et immédiate des avis formulés

pour s’accorder au temps disponible dudécideur (Coleman, 1991). De fait, elle ne peutqu’être imparfaite dès lors que l’on accorde plusou moins d’importance à telle ou telle exigence.

En outre, la fragilité de l’expertise apparaît dansle flou concernant ses effets. Appelée pourapporter une solution ou un éclairage sur unproblème, elle ne constitue qu’une composanteparmi d’autres des processus de constructionde l’action publique. De plus, tout laisse penserque les conditions d’un usage efficient del’expertise sont précaires. En effet, dès lorsqu’une situation devient problématique etpropice à un recours à l’expertise, c’est qu’elleest porteuse d’incertitudes qui n’épargnent pasla production de connaissances. Si a fortiori leproblème public est conflictuel, il est porté àvoir s’affronter des prises de positiondistinctes. Le responsable public est dès lorsamené à intégrer dans ses choix des donnéesmultiples (comme la force des intérêts mobili-sés) qui dépassent la seule dimension experte.Le cas des OGM est de ce point de vue révéla-teur. C’est dire si l’expertise compose avec desdonnées hétérogènes et ne peut prétendrecirconscrire un problème public. Il est donccompliqué de réduire l’évaluation de l’expertiseà ses effets tangibles et immédiats sur ladécision 4. Il paraît tout aussi important deconsidérer d’autres types d’effets, notammentcognitifs, à travers la mise sur agenda (agenda-setting), la formulation des problèmes ouencore l’alimentation de controverses, le déve-loppement des connaissances, etc. Quellesque soient les formes d’expertise, il apparaîtque leurs effets demeurent diffus amenant à nepas les circonscrire à une simple fonctiond’“aide à la décision” (Stone, 1996).

La récurrence des interrogations sur l’expertiserévèle les incertitudes constitutives de cettefonction. Alors même qu’elle est sans cesseinvoquée, l’expertise semble toujours remisesur le métier. Elle s’organise autour d’un rapportinstable expliquant que nombre d’expertspréfèrent se qualifier de “médiateurs” ou de“passeurs” (Veitl, 2005) s’efforçant de concilierdes espaces distincts.

(3) On pourrait ici citer l'exemple des “nouveauxgéographes” largement mobilisés par la DATAR(Massardier, 1996) ou les aménageurs investis dansl’expertise des politiques urbaines (Cadiou, 2005).

(4) Cette difficulté à identifier des résultats apparentsest sans nul doute à l’origine de l’ambivalence desjugements portés sur l’expertise allant, pour carica-turer, de la dénonciation d’un savoir “alibi” à unsavoir inapte à être injecté dans les processusdécisionnels (Théry, 2005).

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22.. DDééttoouurrss :: vvaarriiaattiioonnss aauuttoouurr ddeell’’eexxppeerrttiissee

Dès lors que l’on ne parle plus d’expertise maisd’experts, prévaut la disparité des pratiques.En effet, si le développement de l’expertisedans la gestion des affaires publiques repré-sente un trait général des sociétés contem-poraines, les dispositifs de mobilisationdemeurent variables. Deux situations sont, dece point de vue, instructives au regard du casfrançais : les États-Unis et l’Union européenne.

En France, l’institutionnalisation de l’expertisedans des dispositifs formalisés et autonomes alongtemps tardé tant celle-ci s’est confondueavec l’autorité étatique détentrice du pouvoirde définition de l’intérêt général. Enfouis dansl’administration (directions d’études, servicesd’informations et de statistiques, etc.) et dansses démembrements (les cabinets ministériels),les experts sont dans ce système en grandepartie “invisibles” (Restier-Melleray, 1990). Dece fait, s’est imposée une différenciation entre,d’un côté, les scientifiques et les organismesde recherche et, de l’autre, les corps de hautsfonctionnaires occupant des positions straté-giques dans l’accès aux informations utiles à ladétermination des politiques publiques.Significativement, de nombreux ministères –comme le ministère de l’Économie avec laDirection de la prévision 5 – se sont efforcés demettre en place des dispositifs internesd’information et d’étude à même de favoriserl’appropriation de données et de préparer lesdécisions. Il en a résulté, dans l’espacepolitique français, un déséquilibre au bénéficede l’exécutif, entre l’expertise administrativeet d’autres formes d’expertise (Bourdin, 2001).À ce titre, l’une des questions posées est cellede la formation des élites avec la juxtapositiond’une filière universitaire et de grandes écolesqui prédispose peu les agents des sommets del’État, issus de ces dernières, à se socialiser àla recherche. Certes, des liens entre les mon-des académique et administratif se dévelop-pent dans des ministères par le biais de cellulesde prospective (CAP, CEP, CPVS, 6 etc.) ou de

recherche institutionnelle (IHESI, PUCA, MIRE,C2SD, 7 etc.). Mais ces cellules tendent souventà fonctionner de manière autonome dans leursadministrations et à apparaître surtout commedes sources de financements complémentairespour la recherche universitaire. Dans cecontexte, les think tanks n’ont guère trouvé leurplace tant ils étaient concurrencés sur le terrainde l’expertise par des dispositifs ministérielsdirectement articulés à l’univers décisionnel, etnotamment par les cabinets au point de leurêtre assimilés par un observateur étranger(Gaffney, 1991).

L’absorption de l’expertise dans l’administra-tion a donc limité le rôle des universitaires dansles processus d’action publique. Quand elle esteffective, la participation des scientifiquesprend bien souvent une tournure théâtrale etpolémique 8. Elle est conditionnée par uneconception surplombante et unifiée del’autorité décisionnaire. De plus, dans la culturepolitique française, l’expert bénéficie d’uneprésomption d’objectivité qui, en retour, se paied’une relative extériorité par rapport aux méca-nismes décisionnels. Les scientifiques sontplutôt portés à sublimer leur engagement en undiscours général propice à générer uneinsatisfaction des acteurs politiques à l’égarddes prestations offertes.

Néanmoins, plus récemment, le monopole del’expertise par l’administration a commencé àse fissurer sous l’effet de multiples critiquespointant son opacité, voire son arbitraire. Des“comités de sages”, des “commissionsd’experts”, des “agences” 9 ou des “conseils”(Conseil d’analyse économique, Conseil

(5) On pourrait également citer la Direction de larecherche, de l’évaluation, des études et des statis-tiques (DARES) au ministère des Affaires sociales etde la Santé. (6) Centre d’analyse et de prévision du ministère desAffaires étrangères, Centre d’étude et de prospectivedu ministère de l’Intérieur, Centre de prospective etde veille scientifique du ministère de l’Équipement.

(7) Soit respectivement : l’Institut des hautes étudesde la sécurité intérieure au ministère de l’Intérieur, lePlan urbain construction et architecture au ministèrede l’Équipement, la Mission interministériellerecherche-expérimentation au ministère des Affairessociales, le Centre d’études en sciences sociales dela défense au ministère de la Défense. Sur cesdispositifs hybrides, cf. Bezes, Chauvière, Chevallier,Montricher et Ocqueteau, 2005.(8) La mise en place, en 1990, d’un Comité intermi-nistériel de l’évaluation accompagné d’un Conseilscientifique de l’évaluation en constitue une illustra-tion : l’évaluation étant destinée aux élites politico-administratives centrales et contrôlée par elles.(9) Notons que ces agences concernent encoreprincipalement des domaines particuliers (risquestechnologiques, naturels, sanitaires) mobilisantpour l’essentiel des savoirs issus des sciencesdites “dures”.

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d’orientation pour l’emploi) se sont multipliésmarquant ainsi une progressive autonomisationet externalisation de l’expertise (Lascoumes,2002 ; Jacob et Genard, 2004). Ils conduisent àassocier des spécialistes extérieurs à l’analysedes problèmes publics et à rééquilibrer lesmoyens d’information à disposition desdécideurs. Cette inventivité indique une diversi-fication des formes d’expertise qui contrastenéanmoins toujours avec les usages en vigueurdans d’autres systèmes politiques.

22..11.. LLeess ÉÉttaattss--UUnniiss :: uunn mmaarrcchhéé ddee ll’’eexxppeerrttiissee ??

La situation américaine retient l’attention autantpar sa conception de l’expertise que par lafascination exercée par l’une de ses formesd’organisation : les think tanks. Considérés parbeaucoup comme des prototypes de l’expertisecontemporaine, ou en tout cas souvent revendi-qués comme label, les think tanks ont pris leuressor aux États-Unis auxquels leur fonctionne-ment est étroitement associé (Stone, 1996). Ilssont les révélateurs d’un double mouvementhistorique caractéristique de l’expertise améri-caine : son pluralisme et sa politisation. Cesdeux dimensions constituent, pour partie, desréponses pratiques à la nature fragmentée etdécentralisée du système politique américainconférant une place importante aux négocia-tions. Le pluralisme socio-politique (groupesd’intérêt, lobbies, médias…) et institutionnel(exécutif, législatif, États fédéral et fédérés)conduit à convoquer des experts multiplesdéfendant des points de vue différents (Restier-Melleray, 1990 ; Béland, 2000). À cela s’ajoutentl’éclatement de l’administration fédérale(l’empêchant de prétendre à une centralisationde l’information) et sa porosité (avec destransferts fréquents entre sphères privée etpublique), ainsi que le caractère lâche de lastructuration partisane. Ces différents facteursconcourent à entraver tout processus de mono-polisation des ressources d’expertise et àgénérer une demande diversifiée. À rebours,celles-ci deviennent des vecteurs et des sup-ports du pluralisme. L’expertise est en effetmobilisée pour défendre (advocacy) des intérêtspluriels et ainsi participer aux mécanismes denégociation qui rythment le processus décision-nel américain. Elle n’est pas tournée vers unevisée consensualiste débouchant sur un avissurplomblant. Elle donne à voir les différencesqui se manifestent au travers de controversesd’experts. Loin d’être l’apanage d’une institu-tion, comme l’exécutif fédéral par exemple,

l’expertise est un enjeu entre les différentsacteurs sociaux et centres de pouvoir. De cepoint de vue, le Congrès américain dispose,sans commune mesure avec son homologuefrançais, de sources d’information qui luipermettent de contrebalancer la concentrationprésidentielle (Bourdin, 2001).

Ce pluralisme se retrouve dans l’offre d’exper-tise. Si les think tanks constituent un formatmédiatisé et bien connu, ils recouvrent desréalités variables. Apparus précocement, dès leXIXe siècle, dans les domaines institutionnels,ils se sont diversifiés depuis 1945 bénéficiantpour cela du soutien de fondations philanthro-piques et de conditions fiscales favorables(Stone, 1996 ; Carpentier-Tanguy, 2006). Lesthink tanks partagent néanmoins un certainnombre de traits communs qui en font desinstances indépendantes, et non partisanes, deproduction d’analyses et de réflexions sur lesdébats publics et destinées aux responsablespublics et privés, voire plus généralement àl’opinion. Les spécialistes distinguent ainsiquatre types de think tanks qui ont émergésuccessivement (McGann et Weaver, 2000) :

– les “universités sans étudiants” (Russell SageFoundation, Institute for Government Research),nées dans le premier quart du XXe siècle,désignent des centres de recherche qui sont lesplus proches d’une production académique.Attachées à leur indépendance, elles mettentl’accent sur le caractère scientifique de leursanalyses et sont portées à définir leur propreprogramme de travail ;

– les “instituts de recherche sous contrat”(RAND Corporation, Urban Institute) : s’ilspartagent avec les premiers un même souci derigueur, ils s’en différencient par des liens plusréguliers avec les agences gouvernementalessous la forme de contrats qui conditionnent laformulation des sujets traités. L’émergence dece type d’institut a notamment résulté del’accroissement de l’interventionnisme étatique– tant au plan national qu’international – qui aaccru la demande publique d’expertise ;

– les “advocacy tanks” (Center for Strategicand International Studies, Heritage Foun-dation) : ils se mobilisent et travaillent à la pro-motion des intérêts d’un groupe social. Ils sontengagés dans une logique de compétition pourfaire primer leur position auprès des autorités etsont moins soucieux du respect des canonsacadémiques ;

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– les “party think tanks” (American EnterpriseInstitute) : s’inscrivant dans le prolongement duprécédent, ce type de think tank sert lesbesoins d’une formation partisane. Tout enproclamant souvent leur indépendanceintellectuelle, ils revendiquent un engagementqui se traduit par des échanges de ressourceshumaines avec les organisations et les institu-tions politiques.

Selon cette typologie, le classement des thinktanks américains s’opère en fonction de l’équi-libre établi entre les activités de recherche etcelles de défense d’intérêts. Significativement,les deux premiers types sont désignés commedes policy research organizations. Toutefois,les distinctions restent ténues. Il paraît doncplus intéressant de prêter une attention à l’évo-lution qui s’est dessinée depuis la SecondeGuerre mondiale avec notamment une démulti-plication des think tanks et des experts qui ontpu être considérés comme une “nouvelleclasse” (Brint, 1994). Plus encore, cette crois-sance s’est accompagnée d’une politisationdes think tanks. Cette tendance peut serapporter d’abord aux effets d’une concurrenceexacerbée sur le marché des idées poussant àdévelopper des stratégies de distinction. À cetitre, une partie de l’activité des think tanks estorientée et conditionnée par la quête demoyens pour survivre 10. Parallèlement, la pola-risation des think tanks est le produit des luttespolitiques mettant aux prises Démocrates etRépublicains (Fischer, 1991 ; Domhoff et Dye,1987). La mobilisation des sciences socialessous la présidence de L. Johnson (1963-1969),à travers notamment les programmes de luttecontre la pauvreté, a motivé une contre-mobili-sation des spécialistes conservateurs. Pour cesderniers, la période de Great Society a révélé lerôle des scientifiques dans l’action publique àtravers des organismes qui, telle la BrookingInstitution, ont assuré un lien étroit avec lesresponsables démocrates et véhiculé desmodes partiaux de découpage de la réalité.

Aussi les conservateurs s’organisèrent-ilsprogressivement dans les années 1970 pourcontrebalancer l’hégémonie démocrate etcombattre leurs adversaires sur le mêmeterrain. Des institutions conservatrices n’ontpas tardé à émerger pour constituer une éliteintellectuelle proche des Républicains :American Enterprise Institute, HeritageFoudation, Hoover Institution… C’est dans ceslieux que les programmes à venir de l’adminis-tration Reagan ont été préparés. Ces rapidesdéveloppements reflètent bien un processus depolitisation de l’expertise aux États-Unis : si lessciences sociales, et plus précisément lespolicy sciences, s’articulent étroitement auxaffaires publiques, elles sont mobiliséescomme une ressource à disposition des forcesen compétition pour construire une vision de lasociété et, du même coup, fédérer des coali-tions d’intérêts.

L’expérience américaine a ceci d’intéressantque l’expertise y participe à la logique démo-cratique libérale : les controverses sont assu-mées comme des conséquences de la promo-tion de positions et d’intérêts divergents. Lamobilisation pluraliste de l’expertise est alorspropice à la formation d’un marché aux idéesoù s’affrontent des argumentaires. Les thinktanks forment des viviers de recrutement pourles équipes politiques, témoignant ainsi de laporosité des frontières entre les espaces depouvoir et de savoir. Notons, pour terminer, quesi la politisation de l’expertise est indissociabledu système politique américain, elle s’observeégalement dans d’autres contextes. À cetégard, la situation britannique a connu uneévolution analogue avec l’avènement du néo-libéralisme et l’élection de M. Thatcher. Celle-cis’est en effet appuyée sur le travail intellectueld’instituts et de centres de rechercheparticulièrement actifs (Institute of EconomicAffairs, Centre for Policy Studies) pour contrerl’hégémonie keynésienne et œuvrer à unetransformation de l’“air du temps” (James,1993 ; Dixon, 1998) 11.

22..22.. LL’’UUnniioonn eeuurrooppééeennnnee :: uunn rrééggiimmeedd’’eexxppeerrttiissee

L’Union européenne constitue un secondterrain privilégié de développement de l’exper-tise. Celle-ci irrigue largement le processus

(10) On saisit alors l’importance accordée par lesthink tanks à leur communication (ouvrages, workingpapers, newsletters, site Internet, articles de presse,conférences, déjeuners et dîners…), dictée autantpar des impératifs de persuasion que par la quête definancements. La communication est si importantequ’elle est souvent prise en charge par des équipesde professionnels travaillant explicitement le lien auxmédias, mais aussi aux institutions et forcespolitiques dans le but de “vendre” les idéesproduites et de trouver des clients potentiels.

(11) Précisons qu’en Europe, c’est l’Allemagne quiconnaît le plus grand nombre de think tanks(Carpentier-Tanguy, 2006).

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communautaire sous des formes multiples :think tanks, comités d’experts indépendants,advisory boards, consultation de lobbies…(Lequesne et Rivaud, 2001 ; Boucher, 2004 ;Radaelli, 1999). Comme pour l’expérienceaméricaine, les ressorts de la mobilisation del’expertise à l’échelle européenne sont difficile-ment compréhensibles sans garder à l’esprit lanature du système communautaire.

Dépourvue des fondements électifs de la légiti-mité politique, la Commission européenne doittrouver d’autres moyens pour exercer unpouvoir normatif face à la concurrence desautres acteurs communautaires. Par ailleurs,elle s’appuie sur une administration inéga-lement développée selon ses directions géné-rales. Plus encore, dans un certain nombre desecteurs (agriculture, pêche, etc.), elle doit faireface à la structuration principalement nationaledes intérêts. Dans ces cas, elle sembleéprouver des difficultés à s’appuyer sur lamédiation des forces sociales organisées, peusocialisées aux enjeux européens, pour définiret mettre en œuvre des politiques principale-ment réglementaires et régulatrices. Pourtoutes ces raisons, l’expertise apparaît commeune ressource décisive pour la Commissionafin de s’imposer dans la sphère publique etinstitutionnelle par l’efficience de ses poli-tiques. La fameuse formule de la “comitologie”européenne en est d’ailleurs un révélateuremblématique. À cela, il faut ajouter une expli-cation plus stratégique tant l’expertise permetà la Commission de légitimer son interventionet d’enrôler des partenaires (Robert, 2003). Lesmultiples procédures de consultation d’expertslui offrent en effet la possibilité de s’appuyer surdes réseaux de compétences adjacents auxfilières et aux circuits constitués, mais aussi dediffuser des normes tout en contournant lesvoies représentatives. C’est dans cetteperspective que la Commission s’est parexemple attachée à collaborer avec des ONG(organisations non gouvernementales) dans lesecteur de la pêche, compensant l’assise prin-cipalement nationale des représentants profes-sionnels (Lequesne, 2001).

La Commission s’appuie sur un régime d’ex-pertise structuré, de manière schématique, àtrois niveaux. Elle s’est d’abord entourée decompétences internes par la structuration deses directions générales et par la création degroupes d’experts scientifiques placés auprèsdu BEPA (Bureau of European Policy Advisers).

Elle a également favorisé la construction etl’européanisation d’un marché externe del’expertise en suscitant la création de boîtes àidées et de bureaux d’études (Guérin-Lavignotte, 2002). Dans d’autres cas, à défautde disposer directement d’experts, elle recourtà l’expertise fournie par des groupes d’intérêt(Saurugger, 2002). Les secteurs les moins orga-nisés et les plus intergouvernementauxsemblent particulièrement propices à cetterecherche externe d’expertise.

À l’échelle communautaire, l’expertisefonctionne comme un régulateur de l’espacepolitique, c’est-à-dire comme un ensemble derègles à même d’en structurer le fonctionne-ment. En retour, l’expertise exerce des effetsréels de formatage des pratiques. Pour denombreux prétendants aux processus de fabri-cation des normes (groupes d’intérêt, associa-tions, syndicats), elle devient une clé d’accèsaux arènes de débat et un moyen de faireprévaloir une position auprès des services de laCommission. En contrepoint, elle joue un rôlesélectif tant l’expertise n’est sans doute pas unepratique partagée par tous les acteurs etcontraste avec les logiques représentatives. Onvoit ici qu’à la différence du cas américain (s’ap-parentant à un modèle néo-organisationnel destructuration d’un marché “par le bas”), le plu-ralisme des expertises est plus induit par deseffets institutionnels (envisageable comme unmodèle néo-institutionnaliste de structurationd’un marché “par le haut”). De plus, si elle joueun rôle structurant dans ce régime, laCommission européenne ne peut prétendre, à ladifférence d’une administration nationale, à unmonopole de l’expertise (Muller, 1995).

Les expériences américaine et communautaireconfirment que l’expertise est autant un enjeude rationalisation des politiques publiquesqu’un enjeu de pouvoir. Elle est un moyen de sefaire entendre dans des processus d’actionpublique où s’intensifient les négociations. Elleparticipe, dans le même temps, à redistribuerles positions et les rapports de force dans lesespaces politiques en concourant notamment àvaloriser la figure de l’expert sachant manier leregistre savant et argumenter ses positions audétriment de celui qui s’en tient à l’expressionde son vécu. En effet, autant que la montée del’expertise, il convient de garder à l’esprit unelogique parallèle de démonétisation d’autresmodes d’expression plus traditionnellementusités par les organisations politiques (manifes-

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tations, programmes idéologiques, etc.). Toutceci illustre qu’à travers les usages de l’exper-tise, ce sont bien les formes d’exercice et delégitimation du pouvoir qui sont en jeu.

33.. RReettoouurr ssuurr qquueellqquueess éévvoolluuttiioonnsstteennddaanncciieelllleess

Alors que dans plusieurs pays, les scientifiquesétaient appelés de manière explicite à endosserdes rôles d’expert et à se positionner dans desdébats publics spécialisés, il en a étédifféremment en France. Ce n’est réellementqu’à partir des années 1980 et, plus encore,1990 que “l’expertise” en tant que telle a gagnéen visibilité, parallèlement à la montée du label“think tank”. Il ne fait guère de doute que lespolitiques publiques sont affectées par deprofondes transformations qui se répercutentsur les modes d’expertise. L’exigence d’innoverpour prendre la mesure de ces nouvelles condi-tions et répondre aux critiques démocratiquesde confiscation de l’expertise (Jasanoff, 1990) aamené à repenser les formes et les usages decette dernière. Partant, les rapports entre lessavoirs et l’action publique se renouvellentavec pour conséquence d’affaiblir la croyanceen une décision rationnelle. Même s’ils sonttoujours incertains quant à leur réalité et leurampleur, on peut évaluer ces changements endifférenciant trois dimensions-clés répondantaux questions suivantes : où se localisent lesexperts ? Comment organiser le recours auxexperts ? Quel est le savoir utile ? Les réponsespermettent de circonscrire trois axes derepérage des évolutions de l’expertise.

33..11.. LL’’aaccccèèss :: lleess aacctteeuurrss ddee ll’’eexxppeerrttiissee

Devenue un registre d’action particulièrementvalorisé, l’expertise se diffuse. Même si elleconserve un lien fort avec les autoritéscentrales, notamment dans un pays comme laFrance où l’État conserve le contrôle des poli-tiques scientifiques, l’expertise n’est plusmonopolisée par un acteur. Elle tend à essaimeret à s’externaliser. À côté des outils gouverne-mentaux nationaux, l’expertise s’étend auxéchelles européenne et territoriale (cellules deprospective, observatoires, centres de ressour-ces…). Concurrençant les ressources mili-tantes, elle devient également un mode d’actionprivilégié par des organisations socio-politiques(partis, mais aussi associations comme ATTAC)pour se positionner dans l’espace public et

contrer, sur son propre terrain, l’expertise d’État.En témoigne la mise en place de multiplesstructures (Fondations Jean Jaurès, Copernic,Robert Schuman) destinées à alimenter en pro-positions ces forces collectives et revendiquantsouvent l’appellation de think tank. Ne se rédui-sant plus aux seules commandes étatiques etaux sphères ministérielles, elle est investie pardes mouvements contestataires qui trouvent làun moyen de redéfinir leurs liens aux pouvoirsreprésentatifs et de rapprocher militants etscientifiques. De plus, sous l’effet de la globali-sation et d’évolutions technologiques (McGann,2004), on assiste à la montée de réseaux inter-nationaux d’expertise qu’atteste d’ores et déjàla constitution de filiales européennes des thinktanks américains (Carpentier-Tanguy, 2006).

Mais ce serait aller vite en besogne que deconclure à une autonomie de l’expertise.D’abord parce que ces différentes formessont dépendantes des moyens d’informationdétenus par l’État qui, par l’entremise notam-ment de son appareillage statistique et de sescatégories de pensée, dispose de pouvoirsimportants pour peser sur les acteurs del’espace politique. Ensuite car la productiond’avis argumentés ne signifie pas en soi uneplus grande influence sur l’action publique.Enfin, il n’est pas sûr que l’attraction de laforme du think tank rompe totalement avecles cercles et clubs de réflexion existantdepuis bien longtemps dans la sociétépolitique française.

Ainsi s’ébauche un continuum allant de situa-tions de concentration de l’expertise à desformes d’expertise indépendante, voire decontre-expertise. Entre les deux s’interposentde multiples formes de différenciation du savoird’expertise de la fonction d’autorité.

33..22.. LLee pprroocceessssuuss :: lleess ffoorrmmeess dd’’oorrggaanniissaattiioonn

En lien avec le point précédent, il ressort unevisibilité accrue des dispositifs d’expertise. Onserait tenté de croire que l’expertise est unepratique qui doit avant tout se montrer. Plusencore, une tendance forte tient à ce quel’expertise perd progressivement son caractèremoniste pour intégrer de multiples disciplinesou intérêts. Entre les critiques d’une confisca-tion de l’expertise et d’une collusion avec desintérêts extérieurs au savoir, un besoin aémergé : celui de la nécessité de mettre enplace des formes plus collectives d’expertise(conférences de citoyens, forums de débats,

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comités d’experts…). Cette expertise vise àmieux contrôler le savoir produit, à favorisersa transparence et à échapper à la mainmised’un corps réduit d’experts. De nombreuxtravaux ont ainsi insisté sur l’ouverture desdispositifs d’expertise dans les situationsfrappées d’incertitude, notamment en ce quiconcerne l’évaluation des risques sanitairesou technologiques. Ici peut-être plusqu’ailleurs, l’expertise ne peut se réduire à unseul point de vue tant apparaissent les limiteset les divergences des connaissances scienti-fiques.

Dans ces situations, l’autorité de l’expertiseréside autant dans l’information produite quedans la juxtaposition de savoirs variés etréunis dans une même enceinte. De sorte quechacun apporte une part de son autorité pourdonner forme à un avis collectif et biensouvent à une “expertise de consensus”(Théry, 2005). Les controverses entre connais-sances deviennent donc un mode d’existencede l’expertise. En rassemblant des compé-tences variées, le statut de l’expertise n’en estpas pour autant transformé. À travers lesdispositifs collectifs, s’observent moins uneconversion à une forme de pluralisme qu’uneffort d’adaptation au discrédit frappant leslogiques administratives de contrôle surl’expertise. Dès lors, le souci organisationneld’externalisation de l’expertise dans desforums ne saurait être rapidement assimilé àun mouvement de démocratisation. Entémoigne le fonctionnement de certainesagences toujours marquées par une prise dedécision surplombante et par l’usage légiti-mant des savoirs (Granjou, 2004 ;Benamouzig et Besançon, 2005). Ces limitestrahissent en fait une contradiction entre lavolonté institutionnelle de mieux gérer leschoix publics et la nécessité de transformerses modes de fonctionnement. De plus, l’affi-chage d’incertitudes scientifiques cadre malavec les nécessités de l’action politique repo-sant sur une symbolique de la maîtrise du réelet de la décision. Prendre pour argentcomptant les intentions affichées par lesforums d’expertise collective reviendrait fina-lement à confondre les procédures formelleset les processus réels d’échange. Portées parun souci démocratique, ces formes d’experti-se fonctionnent alors parfois comme desmoyens d’intégrer des points de vue diversi-fiés et de se prémunir de critiques adjacentes.

33..33.. LLee ccoonntteennuu :: llaa ssuubbssttaannccee ddeess ssaavvooiirrss

L’ouverture de l’expertise s’est accompagnéed’une remise en cause de l’autorité des savoirs.Loin de signifier une maîtrise accrue desprocessus d’action publique, la montée del’expertise coïncide avec l’exacerbation desdoutes. L’expertise est mobilisée moins pourasséner des certitudes que pour donner à voirles incertitudes entourant les décisions dans demultiples domaines. L’accent mis ainsi sur lesquestionnements et les limites des connais-sances rompt avec la figure de “l’expertise-solution”. Le champ des risques est là encoreemblématique : la diversité des avis sollicitésrévèle et renforce la pluralité des possiblessans que bien souvent l’un d’entre eux soit enmesure de s’imposer sur le mode de l’évidence(Estadès et Rémy, 2003). De sorte qu’on enarrive à ce paradoxe : l’expertise peut finale-ment favoriser la non-décision. En prolonge-ment, cette ouverture tend à conférer à la paro-le profane un statut d’expertise – au nom d’un“savoir d’usage” comme dans le cas desdispositifs de participation au niveau local(Nonjon, 2005). Le statut du savoir se transfor-me ainsi pour évoluer vers une imbrication desconnaissances savantes et ordinaires.

Mais cette redéfinition est porteuse d’uneconfusion accrue au point de rendre la notiond’expertise sinon peu opératoire, du moins peudiscriminante. De plus, elle génère ses propreslimites : comment s’assurer en effet de la repré-sentativité d’un savoir profane face à l’hétéro-généité des intérêts en présence ? Sur quelscritères fonder la légitimité du savoir de“l’homme de la rue” ?

••••

Si la justification publique d’un recours àl’expertise paraît relativement simple à énoncer– mieux appréhender les problèmes eteffectuer des choix à partir d’un socle deconnaissances avérées –, ses usagesparaissent beaucoup plus contrastés.L’efficacité de cette notion (au moins rhéto-rique) est à la hauteur de son ambivalence etdes enjeux qu’elle sous-tend. Si l’expertise agagné ses lettres de noblesse dans la

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construction des politiques publiques, sesfrontières deviennent de plus en plusflottantes avec les enjeux de collectivisation etde démocratisation, et les enjeux depluralisme et de transparence amènent à enbrouiller l’identification.

Parallèlement, si l’on se place du point de vuedes décideurs, l’expertise n’a jamais été autantproblématique à mobiliser. En effet, loin d’êtrerares, les connaissances se démultiplient touten se spécialisant et se fragmentant. Le poidsdes négociations dans les politiques publiques,nationales et communautaires, accroît laproduction et la diffusion d’avis argumentés.De plus, le développement de nouveaux lieuxde production d’expertise échappant en partieà la fonction d’autorité s’inscrit dans uncontexte de remise en cause de toute logiquede monopolisation du savoir et de transforma-tion des conditions de fonctionnement dumonde universitaire (contractualisation, quêtede débouchés, etc.). Dès lors, apparaît lanécessité pour les autorités publiques derepenser leurs moyens d’expertise. Désormaisl’enjeu ressenti comme crucial, en Francecomme dans d’autres pays européens (Clark,1996), est de se doter d’outils capables de lireet de trier l’information. C’est dans cetteoptique que doit s’appréhender l’émergenceauprès des autorités gouvernementales denouveaux dispositifs d’expertise chargés d’in-carner un pouvoir d’organisation pour fournirun savoir utile à même de favoriser la prépara-tion des décisions, mais aussi la participation àdes échanges qui se nouent en continu,notamment à l’échelle européenne.

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