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Le journal de l'IRD Éditorial n° 70 - juin-juillet-août 2013 bimestriel E n déclarant 2014 « Année internationale des petits États insulaires en développement », les Nations unies mettent en exergue la nécessité d’une meilleure coordination internationale pour répondre aux problèmes de développement auxquels sont confrontés ces territoires. Les milieux insulaires présentent une vulnérabilité singulière face aux changements climatiques et environnementaux, tandis que leur isolement contraint leur économie. Sur ces territoires, la recherche représente un enjeu majeur pour le développement. L’IRD, à la hauteur de ses moyens, s’attache à contribuer à l’essor de la recherche, tant en Nouvelle-Calédonie qu’en Polynésie française. En témoigne par exemple le récent séminaire co-organisé par l’Institut en Nouvelle-Calédonie pour poser les bases prospectives d’une recherche scientifique répondant aux attentes et besoins exprimés par la Province Nord. De plus, les programmes de recherche de l’Institut s’inscrivent de plain-pied dans les problématiques particulièrement aiguës des milieux insulaires. Nombre de ces projets revêtent aussi une dimension régionale dans le cadre de partenariats multilatéraux, à l’instar du Grand observatoire du Pacifique Sud. Avant-pont de l’Europe dans la région Pacifique, l’IRD, en assumant la coordination du réseau Pacenet, contribue à favoriser les échanges scientifiques des États insulaires avec l’Europe. La même démarche prévaut pour la valorisation économique des résultats de la recherche avec notamment le Consortium de valorisation technologique, « CVT Sud », coordonné par l’IRD, qui associe les deux universités françaises du Pacifique. Son objectif est de valoriser les résultats de la recherche au sein du monde économique. La recherche peut contribuer à apporter des éclairages et des réponses aux questions de développement de ces territoires insulaires particulièrement vulnérables. L’IRD, en tant qu’organisme national de recherche, a vocation à y contribuer avec ses partenaires. L’ IRD dans le Pacifique Par Michel Laurent Président de l’IRD fois – encore plus étonnantes… Si des mouches savent elles aussi se débar- rasser d’un parasitoïde, en consommant de l’alcool, toxique pour l’intrus, d’autres insectes s’avèrent plus altruistes que les mammifères, étendant leur action sanitaire à leur groupe ou à leur famille. Des fourmis, par exemple, ramènent dans leur nid de petits bouts de résine de conifères aux vertus anti- fongiques et antibactériennes. Ce fai- sant, elles adoptent une pratique hygiéniste préventive, destinée à pro- téger toute la colonie et notamment la progéniture. Plus surprenant encore est le cas d’un papillon infecté par un para- site susceptible de se transmettre à sa descendance. Sans arriver à se soigner, les femelles malades parviennent néan- moins à prémunir leur progéniture, en allant opportunément pondre leurs œufs sur des plantes fatales au parasite. Il s’agit ainsi du premier cas d’automé- dication transgénérationnelle décrit. « Ces découvertes bousculent bien des idées reçues en biologie évolutive, épi- démiologie ou écologie », reconnaît le spécialiste. Ainsi, elles mettent en évi- dence une course aux armements insoupçonnée entre parasite et insecte- hôte. « Au cours de l’évolution, l’agent pathogène va s’adapter à l’automédica- tion et sa résistance aux toxiques ou sa virulence pourraient augmenter », note-t-il. De même, il faut désormais repenser la dynamique de transmission des maladies en intégrant, en plus de l'action de leur système immunitaire, le comportement des insectes. Et, en cas de co-infections, qu’advient-il de l’éco- logie du parasite qui n’est pas ciblé par l’automédication… ? Au-delà des ques- tions posées à la science, l’automédica- tion des insectes ouvre d’intéressantes perspectives thérapeutiques. Leurs com- portements pourraient ainsi désigner dans la nature des molécules candi- dates pour les traitements humains de demain. Cette « entomopharmaco- logie » est déjà au centre de travaux prometteurs sur le paludisme. 1. Science, 2013. 2. CNRS Contact [email protected] UMR Mivegec (IRD, CNRS, Universités Montpellier 1 et 2) @ E. Franceschi Sciences au Sud : Quel bilan peut-on faire de la construction de l’unité africaine, 50 ans après la naissance de l’Organisation de l'unité africaine (OUA) 1 ? Abdou Diouf : Un bilan contrasté. D’abord parce que cinquante ans, c’est très peu au regard de l’histoire d’un continent. Ensuite parce que les pères fondateurs, imprégnés à la fois de l’exemple des pays développés lançant les Nations unies et de l’esprit de la négritude, ont placé la barre très haut, dans un contexte marqué par un dyna- misme économique et social général après les destructions de la Seconde Guerre mondiale. Les esprits chagrins peuvent donc aisément dérouler la liste Recherches Les îles, de la marge à la mondialisation P. 8-9 Dans ce numéro évolutive 2 . Dès les années 70, des tra- vaux rapportent le comportement de grands singes ingérant sans les mâcher des feuilles râpeuses habituellement absentes de leur régime alimentaire, afin de se débarrasser de vers intesti- naux. Ces pratiques individuelles, égale- ment décrites chez certains animaux domestiques, témoignent des capacités cognitives et d’apprentissages des grands mammifères. Mais l’exploration expérimentale de l’automédication chez les insectes révèle des pratiques instinctives – dictées par les gènes cette Les défis de l’automédication des insectes © Jaap de Roode « La francophonie a un brillant avenir devant elle » N ’en déplaise à notre orgueil de vertébrés, les insectes aussi savent se soigner ! Si les chiens, les singes et les chevaux se purgent ou se déparasitent eux-mêmes, on sait en effet maintenant que des fourmis, des mouches ou des papillons s’adonnent aussi à l’automédication 1 . « L’extension inattendue de cette pra- tique dans le règne animal ouvre autant de perspectives prometteuses qu’elle soulève de questions scientifiques com- plexes », estime le biologiste Thierry Lefèvre, spécialiste de parasitologie Abdou Diouf, ancien président du Sénégal, est le secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie. Il expose pour sa vision du rôle et de la place de la francophonie dans le monde. Il revient, par ailleurs, sur cinquante ans de construction de l’unité africaine. suite en page 16 © OIF / T. Monasse Interview d’Abdou Diouf Secrétaire général de la Francophonie des conflits, des essais ratés, des plans sans issue. Mais le rêve de l’unité afri- caine n’a cessé d’être vivant durant ces cinquante années. Chaque échec sur sa route a été l’occasion de l’approfondir, de le préciser, de le rendre de plus en plus réel. Aujourd’hui, les mécanismes de résolution et de prévention des conflits se mettent en place, la démo- cratie s’installe en construisant des modèles en relation avec les cultures africaines, les relations économiques et la coopération interafricaine prennent leur essor et l’Afrique s’affirme de plus en plus face au reste du monde. Mais nous ne nous leurrons pas : le chemin à parcourir reste long. Il est compliqué parce qu’il nous faut assumer tant d’hé- ritages différents : ceux qui sont propres à l’Afrique et ceux qui lui ont été impo- sés. Mais il est tracé et l’Afrique le suit sans faiblir. Certains insectes, comme le papillon monarque, dont on voit ici la chrysalide, ont des pratiques d’automédication particulièrement sophistiquées.

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Le journal de l'IRD

É d i t o r i a l

n° 70 - juin-juillet-août 2013bimestriel

E n déclarant 2014 « Annéeinternationale des petits États

insulaires en développement », lesNations unies mettent en exergue lanécessité d’une meilleure coordinationinternationale pour répondre auxproblèmes de développement auxquelssont confrontés ces territoires. Lesmilieux insulaires présentent unevulnérabilité singulière face auxchangements climatiques etenvironnementaux, tandis que leurisolement contraint leur économie.Sur ces territoires, la recherchereprésente un enjeu majeur pour ledéveloppement.

L’IRD, à la hauteur de ses moyens,s’attache à contribuer à l’essor de larecherche, tant en Nouvelle-Calédoniequ’en Polynésie française. En témoigne par exemple le récentséminaire co-organisé par l’Institut en Nouvelle-Calédonie pour poser lesbases prospectives d’une recherchescientifique répondant aux attentes etbesoins exprimés par la ProvinceNord.

De plus, les programmes derecherche de l’Institut s’inscrivent deplain-pied dans les problématiquesparticulièrement aiguës des milieuxinsulaires. Nombre de ces projetsrevêtent aussi une dimensionrégionale dans le cadre departenariats multilatéraux, à l’instardu Grand observatoire du PacifiqueSud. Avant-pont de l’Europe dans larégion Pacifique, l’IRD, en assumant lacoordination du réseau Pacenet,contribue à favoriser les échangesscientifiques des États insulaires avecl’Europe.

La même démarche prévaut pour lavalorisation économique des résultatsde la recherche avec notamment leConsortium de valorisationtechnologique, « CVT Sud », coordonnépar l’IRD, qui associe les deuxuniversités françaises du Pacifique.Son objectif est de valoriser lesrésultats de la recherche au sein du monde économique.

La recherche peut contribuer àapporter des éclairages et desréponses aux questions dedéveloppement de ces territoiresinsulaires particulièrementvulnérables. L’IRD, en tantqu’organisme national de recherche, a vocation à y contribuer avec sespartenaires. ●

L’IRDdans lePacifique

Par Michel Laurent Président

de l’IRD

fois – encore plus étonnantes… Si desmouches savent elles aussi se débar -rasser d’un parasitoïde, en consommantde l’alcool, toxique pour l’intrus,d’autres insectes s’avèrent plus altruistesque les mammifères, étendant leuraction sanitaire à leur groupe ou à leur famille. Des fourmis, par exemple,ramènent dans leur nid de petits boutsde résine de conifères aux vertus anti-fongiques et antibactériennes. Ce fai-sant, elles adoptent une pratiquehygiéniste préventive, destinée à pro -téger toute la colonie et notamment la

progéniture. Plus surprenant encore estle cas d’un papillon infecté par un para-site susceptible de se transmettre à sadescendance. Sans arriver à se soigner,les femelles malades parviennent néan-moins à prémunir leur progéniture, enallant opportunément pondre leursœufs sur des plantes fatales au parasite.Il s’agit ainsi du premier cas d’automé -dication transgénérationnelle décrit.« Ces découvertes bousculent bien desidées reçues en biologie évolutive, épi-démiologie ou écologie », reconnaît lespécialiste. Ainsi, elles mettent en évi-dence une course aux armementsinsoupçonnée entre parasite et insecte-hôte. « Au cours de l’évolution, l’agentpathogène va s’adapter à l’automédica-tion et sa résistance aux toxiques ou sa virulence pourraient augmenter »,note-t-il. De même, il faut désormaisrepenser la dynamique de transmissiondes maladies en intégrant, en plus del'action de leur système immunitaire, lecomportement des insectes. Et, en casde co-infections, qu’advient-il de l’éco-logie du parasite qui n’est pas ciblé parl’automédication… ? Au-delà des ques-tions posées à la science, l’automédica-tion des insectes ouvre d’intéressantesperspectives thérapeutiques. Leurs com-portements pourraient ainsi désignerdans la nature des molécules candi -dates pour les traitements humains dedemain. Cette « entomopharma co -logie » est déjà au centre de travauxprometteurs sur le paludisme. ●

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RecherchesLes îles, de la marge à la mondialisation P. 8-9

Dans ce numéro

évolutive2. Dès les années 70, des tra-vaux rapportent le comportement degrands singes ingérant sans les mâcherdes feuilles râpeuses habituellementabsentes de leur régime alimentaire,afin de se débarrasser de vers intesti-naux. Ces pratiques individuelles, égale-ment décrites chez certains animauxdomestiques, témoignent des capacitéscognitives et d’apprentissages desgrands mammifères. Mais l’explorationexpérimentale de l’automédicationchez les insectes révèle des pratiquesinstinctives – dictées par les gènes cette

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« La francophonie a un brillant avenirdevant elle »

N ’en déplaise à notre orgueil de vertébrés, les insectes aussisavent se soigner ! Si les

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Abdou Diouf, ancienprésident du Sénégal, est le secrétaire généralde l’Organisationinternationale de lafrancophonie. Il exposepour savision du rôle et de laplace de la francophoniedans le monde. Il revient, par ailleurs, sur cinquante ans deconstruction de l’unitéafricaine.

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des conflits, des essais ratés, des planssans issue. Mais le rêve de l’unité afri-caine n’a cessé d’être vivant durant cescinquante années. Chaque échec sur saroute a été l’occasion de l’approfondir,de le préciser, de le rendre de plus enplus réel. Aujourd’hui, les mécanismesde résolution et de prévention desconflits se mettent en place, la démo-cratie s’installe en construisant desmodèles en relation avec les culturesafricaines, les relations économiques etla coopération interafricaine prennentleur essor et l’Afrique s’affirme de plusen plus face au reste du monde. Maisnous ne nous leurrons pas : le chemin àparcourir reste long. Il est compliquéparce qu’il nous faut assumer tant d’hé-

ritages différents : ceux qui sont propresà l’Afrique et ceux qui lui ont été impo-sés. Mais il est tracé et l’Afrique le suitsans faiblir.

Certains insectes, comme lepapillon monarque, dont on voitici la chrysalide, ont des pratiquesd’automédication particulièrementsophistiquées.

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Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 70 - juin/juillet/août 2013

Les thons sont connus pour se regrouper sous les objets, fixes ou mobiles,flottant à la surface desocéans. Des chercheurslèvent en partie le voile sur les mécanismescomportementauximpliqués.

Déjà utilisée il y a plus de 2 000ans par les pêcheurs romains,l’attirance de certaines espèces

de poissons pour les objets flottants estaujourd’hui massivement mise à profitpar les pêcheries du monde entier. Les dispositifs de concentration depoissons – en abrégé DCP – artificiels ounaturels (troncs d’arbres, débris végé-taux, boules de palangre…) permettentprès de la moitié des captures mondialesde thons tropicaux. Pour autant, lesmécanismes comportementaux impliqués

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Moustique :Apollon taille XXL

Moustique :Apollon taille XXL

Chez les anophèles, les grandsmâles sont les plus compétitifspour la reproduction. C’est une donnée qu’il faudraintégrer dans les nouveauxprogrammes de lutte contre le paludisme.Le fait de s’intéresser aux compétencessexuelles des moustiques pourrait fairesourire… Cette donnée est pourtantfondamentale pour développer denouveaux programmes de lutte contreces vecteurs de maladies qui reposent surle lâcher dans la nature de moustiquesmâles rendus stériles ou modifiésgénétiquement. En s’accouplant avec lesfemelles sauvages, ces mâles pourraientainsi contribuer à l’extinction despopulations naturelles de moustiques ouy disséminer des gènes bloquant latransmission des agents pathogènes.Encore faut-il que ces mâles delaboratoire sachent s’imposer face à leursrivaux naturels pour remporter les faveursdes femelles. Au Burkina Faso, leschercheurs de l’Institut de Recherche enSciences de la Santé et leurs collègues del’IRD1 ont donc étudié les performancesd’Anopheles gambiae, principal vecteurdu paludisme en Afrique subsaharienne.« Les mâles les plus grands sontfavorisés, explique Frédéric Simard,entomologiste à l’IRD et co-auteur destravaux récemment publiés dans leJournal of Medical Entomology. Or lataille du moustique adulte reflète ce qu’il a mangé à l’état larvaire aquatiquecar il ne grandit plus après la métamor -phose. » La nutrition des larves enlaboratoire sera donc un élément crucialpour le succès copulatoire de ces futursmâles. Mais l’âge des moustiques2

importe également. « Trop jeune, lemoustique n’a pas encore atteint sapleine maturité sexuelle, trop vieux, il estdéjà fatigué ! », conclut le chercheur. ●

1. Dans le cadre d’une initiative coordonnée parl’Agence Internationale à l’Énergie Atomique etl’OMS / Multilateral Initiative on Malaria.2. L'âge idéal se situe entre 4 et 8 jours. Ladurée de vie d'un anophèle mâle est enmoyenne de 12 jours.

[email protected] Mivegec (IRD / CNRS / UniversitésMontpellier 1 et 2)

Thons et objets flottants :les liaisons mystérieuses

E n matière de stratégie à adop-ter dans la lutte contre le sidadans les pays du Sud, les déci-

sions à prendre doivent être éclairéespar des données fiables sur l’efficacitémais aussi sur le coût des différentesinterventions envisagées. Dans cecontexte, la question du suivi despatients vivant avec le VIH, et traités enconséquence, est essentielle à la foispour préserver des vies et pour limiterla transmission du virus. Ce suivi médical se réalise soit parsimple examen clinique soit par testsbiologiques1. « Si ces derniers sont plusprécis, ils sont bien évidement pluschers et plus complexes à réaliser cequi en limite l’usage dans les pays duSud. Ainsi, dans un contexte decontraintes budgétaires importantes,l’utilisation des tests biologiques fait l’objet de vifs débats », expliqueChristian Laurent, épidémiologiste àl’IRD. Un essai clinique2 conduit auCameroun de 2006 à 2010 avait montré que le suivi biologique appor-tait un bénéfice médical pour lespatients, modéré au cours des deuxpremières années de traitement maissuscepti ble de s’accroître par la suite.Pour com pléter l’information néces-saire au choix de la stratégie à retenir,

une analyse « coût-efficacité3 » étaitrequise. L’équipe franco-camerounaise4

a ainsi réalisé une évaluation écono-mique comparative des deux straté-gies : suivi biologique ou simpleexamen clinique des patients. « Àl’époque de l’essai, le suivi biologique

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demeurent peu étudiés. Surmontant ladifficulté de mener des observations enhaute mer, des chercheurs de l’IRD etleurs partenaires européens et améri-cains commencent à percer à jour lesmystères de ce « phénomène agréga-tif ». Une première série d’expérimentationsa levé le voile sur une question cen-trale : comment se répartissent lesthons sous les objets flottants, dans letemps et dans l’espace. « Pour ce faire,nous avons équipé d’émetteurs acous-

tiques plus de 70 thons albacoresautour d’Hawaii, dans le Pacifique,relate Laurent Dagorn, chercheur à l’IRD

qui a coordonné ces travaux. Premierrésultat, à tout le moins inattendu : letemps passé sous les dispositifs deconcentration de poissons est trèsvariable, allant de moins de trois joursjusqu’à une moyenne de 23 jours. »Deux hypothèses se font face : « laréponse des thons dépend soit de l’en-vironnement, comme la richesse de lazone en nourriture, soit de la présencede congénères », explique le spécia-liste. Une seconde expérience permet d’allerplus avant dans la compréhension : « Nous avons ancré au large des Sey-chelles, dans l’océan Indien, des DCP

équipés de sondeurs et espacés de 5 km, une proximité qui permet d’esti-mer que le milieu est homogène, décritl’halieute. En comparant la quantité de thons réunis sous chaque objet flottant, les uns s’avèrent fédérer plusd’individus que les autres. » Ces inves-tigations initiales permettent d’ores et déjà aux chercheurs de trancher : « L’environnement des DCP étant jugéidentique, la variabilité observée révèle que les dynamiques d’agréga-tion autour des DCP dépendent d’uncomportement social de la part desthons », conclut-il.Comprendre les mécanismes qui dic-tent le comportement des thonsautour des objets flottants permettrade mieux évaluer l’impact de ces der-niers sur les migrations et la biologiedes thons. Les scientifiques pourrontainsi établir si ceux-ci, utilisés par milliers par les pêcheurs, constituentdes « pièges écologiques », capablesd’attirer les poissons vers des zonespeu favorables. ●

[email protected] EME (IRD / Ifremer / UniversitéMontpellier 2)[email protected]

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n’était pas « coût-efficace » mais nousavons montré qu’il suffit que le prix des tests pratiqués ne dépasse pas 69 dollars par personne pour qu’il ledevienne », avance Sylvie Boyer, éco-nomiste de la santé et co-auteur destravaux récemment publiés dans TheLancet Infectious Diseases. En fonctiondes négociations avec les laboratoirespharmaceutiques, cette condition peutaujourd’hui être atteinte. Toutefois, lesuivi biologique des patients traitésdemeure toujours plus cher par année

Quand l’économie se mêle de santé publique Une évaluation économique de deux stratégies de suivide patients atteints du sida au Cameroun apporte desclés pour éclairer les choix en matière de politiques desanté publique.

[email protected] Sextant – 44, bd de Dunkerque

CS 90009 – 13572 Marseille cedex 02Tél. : 33 (0)4 91 99 94 89Fax : 33 (0)4 91 99 92 28

Directeur de la publicationMichel LaurentDirectrice de la rédaction (p.i.)Marie-Lise SabriéRédacteur en chefManuel Carrard ([email protected])Comité éditorial : Robert Arfi, Jean Blanchot, Michel Bouvet, Bernard Dreyfus, Yves Duval, Nabil El KenteJean-Marc Hougard, Jean-Baptiste Meyer,Stéphane Raud, Sylvain Robert, Hervé Tissot Dupont, Laurent VidalRédacteursFabienne Beurel-Doumenge ([email protected])Olivier Blot ([email protected])Ont participé à ce numéroGaëlle Courcoux, Elisabeth LeciakPhotos IRD – Indigo BaseDaina Rechner, Christelle MaryPhotogravure, ImpressionIME, certifié ISO 14001, 25112 Baume-les-DamesISSN : 1297-2258Commission paritaire : 0909B05335Dépôt légal : juillet 2013Journal réalisé sur papier recyclé.Tirage : 15 000 exemplairesAbonnement annuel / 5 numéros : 20 €

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de vie gagnée qu’une autre interven-tion essentielle, celle de la mise soustraitement de nouveaux patients suivispar des examens cliniques uniquement.« L’instauration du traitement cheztous les patients qui en ont besoindemeure la priorité absolue mais, enmême temps, il faut continuer à sebattre pour faire baisser le prix des exa-mens biologiques qui apportent unbénéfice non seulement pour lespatients traités mais également pour lasanté publique », affirment en cœur lesdeux chercheurs. ●

1. Mesure dans le sang du malade de lacharge virale du VIH, d’une part, et d’autrepart, du taux de lymphocytes CD4, cellulesde défense de l’organisme.2. Essai Stratall ANRS / ESTHER conduit sur459 patients dans 9 hôpitaux de district.3. Selon l’OMS, une stratégie médicale estdéclarée « coût-efficace » si elle coûte moinsde trois fois le PIB par habitant du pays pourune année de vie gagnée.4. Équipe associant l’IRD, l’Inserm, l’HôpitalCentral de Yaoundé, la Faculté de Médecineet des Sciences Biomédicales de Yaoundé etle laboratoire de virologie du CREMER deYaoundé.

[email protected] TransVIHMI (IRD / UniversitéMontpellier 1 / Université de Yaoundé 1 / Université Cheikh AntaDiop de Dakar) [email protected] Sesstim (IRD / Inserm / Aix-Marseille Université)

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Pérou : un cancer dufoie pas comme les autres

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traditionnelles choisies sont à base decéréales. Le Gowé, breuvage appréciéde la population au Bénin, s’obtientaprès dilution de la pâte de sorgho.Quant à l’Injera, aliment largementconsommé en Éthiopie, voilà peu encoreproduit à partir du teff, plante locale,mais intègre désormais sorgho, orge etblé, seuls ou en mélange. L’analyse dynamique en temps réel desdifférents produits en présence permetde cerner les étapes déterminantesdans l’amélioration des qualités nutri-tionnelles. Sans entrer dans le détaildes différentes fabrications artisanalesdu Gowé et de l’Injera, certains pro -cédés incluent une opération de mal-tage : une partie des grains de céréalesest mise à germer pour donner du malt puis est broyée avec le reste desgrains avant que l’ensemble soit mis à fermenter. « L’ajout de malt inter -agit avec l’étape de fermentation, pro-voquant l’activation d’enzymes quimodifient les propriétés biochimiques,ajoute la nutritionniste. Par exemplenous avons observé que l’acide phy-tique est dégradé, ce qui améliore la

Les nutritionnistesrevisitent certainespréparations culinairestraditionnelles africaineset en déterminent lesqualités nutritionnelles.

U ne boisson d’Afrique del’Ouest, le Gowé, est obte-nue par différents modes de

préparation, de même que l’Injera,sorte de crêpe éthiopienne. Les trans-formations subies par les matières pre-mières ne sont pas sans effets sur lesqualités nutritionnelles du produit final. Pour en avoir le cœur net, desnutritionnistes se sont penchés sur les réactions biochimiques à l'œuvre. « L’analyse de la composition du pro-duit au cours des différentes étapes de transformation nous renseigne surla concentration en éléments béné-fiques tels qu’antioxydants, fer, sucres,ou sur la présence d’éléments indé -sirables comme l’acide phytique, connupour inhiber l’absorption des miné -raux par l’organisme », explique ClaireMouquet, chercheuse à l’IRD et co-auteur des études. Les deux spécialités

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Les changements globauxcontraignent le plus granddes albatros à changer sa zone de nourrissage,selon une étude originaleremontant dans le passégrâce la modélisation.

L es habitants des îles menacéespar la montée des eaux nesont pas les seuls à subir les

conséquences du changement clima-tique. Pour les prédateurs marins supé-rieurs, comme le grand albatros, leschoses se corsent aussi… « D’autresanimaux des échelons supérieurs de lachaîne trophique océanique, manchots empereurs notam ment, connaissentdes évolutions depuis plusieurs décen-nies, explique la chercheuse en écolo-gie Maïté Louzao qui travaille avec lecentre d'études biologiques de Chizé.Leurs populations diminuent sensible-ment et nous voulions voir ce qu’il enest pour l’albatros, un prédateur habi-tué à se déplacer beaucoup au gré des

vents pour se nourrir et donc suscep-tible d’être affecté par les changementsocéaniques et atmosphériques. » Connu du grand public pour ses décol-lages et atterrissages spectaculaires,Diomedea exulans, le grand albatros,est avant tout, un croiseur hors pair.Doté d’une voilure gigantesque, pou-vant atteindre 3,50 m d’envergure, il parcourt des milliers de kilomètresau-dessus de l’océan à la quête de ses proies. Il exploite le plus vaste desécosystèmes de notre planète, l’espacepélagique, en l’occurrence celui del’océan Austral. Avec une longévitémaximale de 60 ans, son espèce n’enest pas moins considérée comme vul-nérable par l’Union internationale pour

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la conservation de la nature. L’idée estde voir si les zones de nourrissage del’albatros se sont déplacées au fil deces cinquante dernières années, enréponse aux changements globaux.« Mais ce n’est pas si facile, car lesdonnées dont nous disposons sont plutôt contemporaines », explique lajeune chercheuse. Ainsi, les informa-tions sur la localisation des oiseaux,obtenues par des techniques de biolog-ging, ne remontent qu’à une vingtained’années. Et celles sur le milieu phy-sique, variables atmosphériques etocéaniques recueillies par des satellites,commencent dans les années 80…Pour pallier cette lacune historique, lesscientifiques se montrent particulière-ment astucieux. « Grâce à des modèlesdéveloppés par les océanographes del’IRD, initialement destinés à prévoirl’évolution des conditions, nous avonsreconstitué le passé », raconte-t-elle.D’autres calculs mathématiques ontpermis d’en faire autant avec les don-nées sur la dispersion des albatros. Ce faisant, les chercheurs ont mis enévidence le déplacement de l’aire dequête alimentaire des albatros géants.Ces derniers sont obligés de chercherleur nourriture toujours plus au sud, àdes centaines de kilomètres des régionsfréquentées il y a un demi-siècle. L'al-batros est ainsi l'un des premiersgrands prédateurs à devoir bouleverserses zones de pêche pour répondre auchangement climatique. ●

[email protected] UMR LPO (IRD, CNRS, IFREMER et Université de Bretagne occidentale)[email protected] Español de Oceanografía

pratique basée sur des critères organo-leptiques a des conséquences nutri-tionnelles non négligeables… ●

1. Le fer aide à lutter contre l’anémie tandis quele zinc joue un rôle dans la croissance.

[email protected] Nutripass (IRD / Universités Montpellier 1 et 2)

Bioprocédés et traditions culinaires

disponibilité des protéines et des miné-raux tels que fer et zinc1. » La science vient donc confirmer l’inté-rêt de ces méthodes patiemment misesau point au cours des siècles. D'ailleurs,les populations savent s’adapter à desévolutions plus récentes. Par exempleen Éthiopie, le teff étant devenu pluscher, elles utilisent d’autres céréalesmais celles-ci fournissent une texturemoins appréciée. Le maltage vient jus-tement pallier ce défaut. Ainsi, une

Pérou : un cancer dufoie pas comme les autresDes chercheurs de l’IRD

et leurs partenaires viennent de révéler une anomalietroublante au Pérou : le cancer du foie touche une populationanormalement jeune.

« La moitié des malades du cancer dufoie ne présentent pas du tout le profildes personnes à risque », témoigneEric Deharo, chercheur à l’IRD et quivient de révéler cette anomaliepéruvienne dans la revue PLoS ONE1.Troisième cancer le plus meurtrier au monde, ce cancer affectenormalement des hommes de plus de 40 ans, le plus souvent atteintsd’une cirrhose ou d’une hépatite B ouC. « Mais au Pérou, il s’agit de jeunesgens, d’un âge moyen de 25 ans, voiredes enfants, pour un tiers des femmes,qui ne présentent pas ces facteurs de risques associés. » Pour mettre en évidence ce phénomène, lepharmacologue et ses collèguesfranco-péruviens2 ont effectué uneanalyse statistique des cas cliniques dela maladie dans ce pays. « Nous avonspassé au crible les caractéristiquesdémographiques, les facteurs de risqueet l’origine de plus de 1 500 patientsen provenance de tout le pays, admisentre 1997 et 2010 à l’ InstitutoNacional de Enfermedades Neoplásicas(Inen) de Lima », relate le scientifique.Une vaste enquête qui a mis à jour unautre fait troublant : ces jeunesmalades viennent d’une même zonesituée dans les Andes. Les chercheursont en effet délimité un foyer dans larégion d'Apurímac, au sud-est dupays, où cette prévalence anormale estla plus forte. La cause est-el le àchercher dans l’environ nement despersonnes affectées ? « Les premièresanalyses semblent él iminer unepossible origine alimentaire, liée à laconsommation de produits agricolescontenant des mycotoxines produitespar des champignons, connues commel’un des facteurs de risque du cancer du foie, explique Stéphane Bertani, co-auteur de ces travaux. La pisted’une intoxication du fait de lacontamination des sols et des eaux parles polluants issus des activitéshumaines dans cette région andinereste en revanche à explorer. »L’éventualité d’un agent infectieux telqu’un virus, qui serait à ce jour nonidentifié, demeure aussi envisagée. ●

1. PLoS ONE.2. Inen et UPCH au Pérou, Institut Pasteur,Inserm.3. Injection directement dans la tumeur.

[email protected] [email protected] Pharmadev (IRD / Université Paul Sabatier Toulouse 3)

Le grand albatros, exilé climatique

Salle d'opération à l'InstitutoNacional de EnfermedadesNeoplásicas (Inen) de Lima au Pérou.

Un albatros hurleur (Diomedea exulans) en vol.

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Jeune éthiopienne qui retire l’Injerade la plaque après cuisson.

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Des minorités pas si isolées

L’origine de l’agriculturebousculée par les Suds

L es recherches ethnographiquespeuvent encore réserver biendes surprises. Il en va ainsi de

travaux menés depuis quelques annéesdans la région laotienne de Phongsaly,aux confins du Vietnam et de la Chine.« Les minorités qui y vivent ne sont pasaussi isolées dans le temps et l’espacequ’on l’a imaginé jusqu’à présent, loins’en faut ! », affirme l’anthropologueGrégoire Schlemmer. Avec ses parte-naires de la faculté des sciences socialesde l’Université nationale du Laos, ils’emploie à collecter des informationsethnographiques et historiques sur l’en-semble des groupes de cette province.Beaucoup n’ont jamais été décrits, nimême répertoriés, une situation deve-nue rare sur la planète. « Ce qui surprend avant tout, c’est l’extraordinaire diversité de popula-tions. Il y a en effet plus d’une cinquan-

taine de groupes et de sous-groupesprésents », explique le chercheur. Pours’en convaincre, il a arpenté à moby-lette durant plus de cinq ans les pisteset les chemins de cette région monta-gneuse, et effectué quelque 800 inter-views dans 200 villages. Et les donnéesrecueillies bouleversent certaines idéesreçues sur le sujet. « Contrairement auxstéréotypes véhiculés, les minorités desmarges géographiques du pays ne sontpas confinées dans des traditionsimmuables, indique-t-il. Elles ne sontcoupées ni de l’histoire politique ni del’économie, ni même de la modernité. »En réalité, ces groupes sont souvent issusde migrations relativement récentes.Ainsi, les trois quarts des habitants de Phongsaly appartiennent à despopu lations établies depuis moins dedeux siècles dans la région. « Ils doivent être davantage considérés comme des

Transferts de Plasmodium entresinges et humains

celle dite « humaine » qui sévit enAfrique de l’Est, en Asie et en Amé-rique. C’est cette lignée forestière quisera retrouvée chez un touriste, mon-trant ainsi que des transferts singes-hommes sont possibles. Quant auvecteur ayant pu jouer le rôle de pontentre ces deux espèces hôtes, lesregards se tournent vers Anophelesmoucheti. Ce moustique remplit lesconditions nécessaires pour assurer latransmission : il pique effectivement leshumains et les chercheurs ont montréqu’il pouvait abriter des parasites degrands singes, en particulier la lignéeforestière de Plasmodium vivax. ●

[email protected] Mivegec (IRD / CNRS / Universités Montpellier 1 et 2)

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ancienne –, nos ancêtres utilisaient despierres taillées comme outils et préle-vaient dans leur environnement de quoisubsister. « Les progrès de l’archéologieau Proche-Orient ont longtemps fourniun modèle, explique Geoffroy de Sau-lieu. Il y aurait eu d’abord apparition dela sédentarité, puis de l’agriculture, puisde la céramique, et enfin expansion dece mode de vie néolithique de procheen proche, à la manière d’une colonisa-tion. » L’agriculture aurait ainsi conquisprogressivement le monde à partir duCroissant fertile. Mais, pour les deux scientifiques, cetteapproche n’explique en rien pourquoi lephénomène est mondial, et comment ila pu apparaître sur tous les continents,indépendamment de toute liaison avecson origine géographique supposée. En effet, l’Asie de l’Est révèle depuisplusieurs années des cultures de chasseurs-cueilleurs avec poteries,démentant l’idée commune selonlaquelle les sociétés pourvues de pierrespolies ou de céramiques seraient néoli-thiques et donc agricoles… Et les

L’abri sous roche de Ngongo II (Cameroun) en cours de fouille.

C omment Plasmodium vivax,deuxième agent du paludismedans le monde, s’est-il retrouvé

dans le sang d’un touriste européenayant séjourné en forêt dans l’un despays d’Afrique centrale et de l’Ouest ?En effet, ce parasite était considérécomme absent des populationshumaines de cette région puisquegrâce à une mutation, elles y sontnaturellement réfractaires. Une équipede scientifiques français, gabonais etaméricains vient d’éclaircir le mystèreconcernant l’origine de ce Plasmo-dium.« Nous savions déjà que Plasmodiumvivax était présent chez les gorilles etchimpanzés, explique Franck Prugnolle,chercheur au CNRS en accueil à l’IRD et co-auteur de la publication dans lesProceedings of the National Academyof Sciences. Nous avons donc analyséla diversité génétiquede parasites issusd’échantillons san guinsde ces grands singeset l’avons comparéeavec ceux portés pardes moustiques etceux infectant desEuropéens. » Les résul -tats montrent qu’ilexiste deux lignéesdistinctes de Plasmo-dium vivax. La lignéedite « forestière » quiinfecte les grandssinges d’Afrique cen-trale et de l’Ouest et

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De récents travaux ethnographiques, menés par deschercheurs français et laotiens, montrent sous un journouveau la mosaïque des populations du Laos.

Plasmodium vivax présente deux lignées distinctes chez les grands singes africains et chez les humains,populations où il est responsable du paludisme. Toutefoisdes passages existent entre ces deux types d’hôtes.

Des découvertes archéologiques au Sud et les connaissances ethnologiques des chasseurs-cueilleurs incitent deux chercheurs de l’IRD et du Collègede France, à repenser la théorie dominante surl’émergence de l’agriculture.

L es plus beaux édifices ne sontpas toujours les plus solides… Ilen va ainsi de l’hypothèse domi-

nante sur les origines de l’agriculture,aujourd’hui remise en cause par uneconstellation de découvertes, notam-ment en milieu tropical. « L’archéologieet l’ethnologie des Suds montrent quec’est l’accumulation des inventions qui en est la cause », révèle ainsi l’archéologue Geoffroy de Saulieu del’IRD. Avec son partenaire, l’éminentanthropologue social du Collège deFrance, Alain Testart, ils se sont penchéssur la question à l’occasion d’un récentarticle commun1 et d’un ouvrage dusecond salué par la critique2. Sans faire l’unanimité, la théorie la plus répandue jusqu’à présent pourexpliquer la sédentarisation des chasseurs-cueilleurs et l’émergenced’une économie de production faitréférence à la révolution néolithique,l’époque où les hommes préhistoriquesadoptent en bloc la pierre polie, la céra-mique et l’agriculture. Avant cela, aupaléolithique – l’âge de la pierre

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contre-exemples en la matière se multi-plient : des chasseurs-cueilleurs utilisentainsi la céramique dès 9 400 av. J.-C. auMali, donc bien avant le Proche-Orient !Il existe des données comparables auSoudan, au Kenya et au Cameroun,remontant à 6 000 et 5 000 ans avantnotre ère. Et l’Amérique du Sud n’estpas en reste, avec des scénarios trèsdiversifiés : une proto-agriculture équa-torienne et une horticulture aux confinsdu Brésil et de la Colombie, toutes troissans poteries, ou au contraire des chas-seurs-pêcheurs amazoniens utilisant lacéramique dès 5 500 av. J.-C… Selon les deux spécialistes, ces diversessituations infirment la doxa et prouventque l’adoption de l’agriculture est avanttout le fruit d’un processus continu. « Les chasseurs-cueilleurs, qui vivent deleur environnement depuis des dizainesde millénaires, connaissent parfaite-ment les règles de reproduction dumonde végétal et animal, rappelle AlainTestart. Et s’ils ne passent pas à unevéritable agriculture, c’est parce qu’elleest incompatible avec leur mode devie. » Les progrès techniques, commela poterie à petite échelle, la proto-agriculture, la collecte spécialisée decéréales sauvages, les pièges à pois-sons, les claies de séchage, les mortierset pierres à moudre ou le stockage alimentaire, sont adoptés tant qu’ils

sont conciliables avec le nomadisme.Mais l’accumulation progressive de cesinnovations entrave la mobilité et tendà sédentariser les populations, rendantle stockage alimentaire et la proto-agriculture toujours plus importants. « Les hommes de la préhistoire ne sesont sans doute pas rendu compte duprocessus qu’ils avaient engagé, car ils ne faisaient que mettre en pratiquede plus en plus souvent des savoirsacquis depuis fort longtemps », conclutl’archéologue. ●

réfugiés politiques ou des migrants éco-nomiques que comme des groupes primitifs isolés », estime le spécialiste.Certains de ces groupes se sont consti-tués en tant que tels dans ce processusmigratoire. D’autre sont en fait desminorités issues de communautés domi-nantes chez le voisin chinois et ancien-nement connectées à l’économie globale(via des produits tels le thé, le coton,l’opium ou les produits forestiers). Cestravaux permettent également derepenser les classifications ethniquesétablies. Ils remettent ainsi en causel’approche habituelle de ces popula-tions par grandes familles ethnolinguis-tiques. Les Seng, par exemple, parlentune langue apparentée à celle de Phou-noy, une famille tibéto-birmane, maissont en tout autre point bien plusproches des Bit dont la langue relèvepourtant d’attaches austro-asiatiques…Il en va de même des tentatives deregroupement en ensembles culturels :« Plus que les traditions ou les traits culturels, ce sont les circonstances et les périodes de migration, les modesd’inscription dans le territoire ou lesrelations politiques et économiques quiont façonné ces groupes », estime lespécialiste, adepte d’une vision dyna-mique de l’anthropologie. Son appro che consiste ainsi, non à pen-ser chaque groupe isolément, mais aucontraire à prendre en considérationl’ensemble des groupes occupant unterritoire donné, et sur le plus longtemps possible, afin de tenter de dégager des logiques communes à l’organisation et à l’évolution de cespopulations. Au-delà des considérations scienti-fiques, ces nouvelles connaissancessont précieuses pour déterminer etmettre en œuvre des politiques dedéveloppement. Elles pourraient per-mettre d’adapter au mieux les proposi-tions, dans ce pays rural parmi les pluspauvres du monde, composé pour moi-tié de groupes minoritaires parfois trèsdéfavorisés. ●

[email protected] URMIS (IRD, Université ParisDiderot - Paris 7 et Université de Nice-Sophia Antipolis)

1. G. de Saulieu, A. Testart, « Naissance del’agriculture. De nouveaux scénarios », L’His-toire, 387, mai 2013.2. Avant l’histoire : l’évolution des sociétés,de Lascaux à Carnac, Gallimard.

[email protected] Paloc (IRD, MNHN)[email protected] d’anthropologie sociale

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Le récif avait en effet été photographiépar un avion de l’IGN2 en 1962, pourétablir des cartes de la région. Le pion-nier des études coralliennes, MichelPichon, l’avait arpenté et décrit à lamême époque (voir encadré). Compa-rant ces données historiques à derécentes images satellitaires hauterésolution et des observations in situcontemporaines, les spécialistes confir-ment le diagnostic. « Le littoral connaîtune perte massive de la couverturecorallienne entre 1962 et 2011, allantde 37 à 79 % selon les zones et s’éta-blissant en moyenne à 65 % », indiqueainsi l’océanographe Christian Rali-jaona. Le phénomène, puisqu’il est

M ais qu’arrive-t-il donc auGrand Récif de Toliara àMadagascar ? Cette bar-

rière corallienne d’une surface de33 km2, située dans le canal duMozambique au sud-ouest de laGrande Île, compte parmi les plusimportantes hors lagon dans le monde.Depuis quelques années, elle semblesubir une dégradation prononcée. Lesocéanographes de l’IRD et leurs parte-naires de l’IHSM1 ont voulu en avoir lecœur net. « Par bonheur, nous dispo-sions de séries de photos aériennes etsatellites et de relevés terrain enregis-trés à 50 ans d’écart », explique JeanBlanchot, l’un des auteurs de ce travail.

confirmé, a toutes les raisons de préoc-cuper scientifiques et autorités. Outreun patrimoine naturel remarquable, cerécif constitue en effet une ressourceprécieuse pour les habitants de larégion. Il fait notamment vivre unepopulation de pêcheurs traditionnels,les Vezo. Pour eux, il représente l’es-sentiel des apports alimentaires et éco-nomiques. Il importe donc decomprendre les mécanismes à l’œuvredans cette funeste érosion. Rapide-ment, les facteurs les plus courants,comme le blanchiment des coraux oula sédimentation récifale, sont écartés.« En réalité, il semble que les change-ments globaux ne sont pas directe-ment impliqués, indique Jean Blanchot.Des événements plus ponctuels,comme les cyclones dévastateurs de1982 et 2006, ont produit des dégâtsconsidérables. » Mais, surtout, la pres-sion anthropique sur le récif est trèsintense. Les sécheresses, l’aridificationdes terres agricoles dans l’arrière-pays,l’attrait de la capitale provinciale voi-sine ont contribué à multiplier lenombre de personnes exploitant la res-source. « La contrainte exercée par lapêche à pied sur le platier, et notam-ment l’utilisation d’outils manuels pourattaquer le récif, est le principal moteurde cette destruction, note pour sa partle spécialiste malgache. Chaque rocher

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Le stress du Grand Récif de ToliaraLe Grand Récif corallien de Toliara à Madagascar se détériore, avec une perte de couverture très perceptible au fil du temps. Selon les chercheurs de l’IRD et leurspartenaires de l’IHSM, la pression anthropique sur le milieu et ses ressources est encause, bien davantage que les changements globaux.

tous les individus présents sur des transects représentatifs, de 100 m delong sur 2 m de large, et sur cette basefixent les objectifs de pêche à venir »,précise-t-il. Ensuite, les captures sontcomptabilisées et la campagne depêche est suspendue lorsque le « totalautorisé de capture » est atteint. Lesconcombres de mer de moins de20 cm de long, juvéniles donc, sontsystématiquement rejetés. Et la formule porte ses fruits. Depuis2008, début de ce projet de cogestion,neuf campagnes d’évaluation ont étémenées, permettant d’établir autant dequotas. Grâce à quoi les prises se sontstabilisées avant de croître fortement1,témoignant de la bonne santé recou-vrée de la ressource. Dans le mêmetemps, les revenus des pêcheurs ont augmenté et sont devenus plus

L a bonne recette pour leconcombre de mer fait tâched’huile… Une expérience

originale de gestion raisonnée desholothuries, développée par l’IRD, uneassociation de pêcheurs et la ProvinceNord de Nouvelle-Calédonie, fait desémules en Océanie. « L’initiative enrevient aux pêcheurs eux-mêmes, quiveulent préserver la ressource menacéede surexploitation », raconte l’halieuteMarc Léopold. Cet invertébré mou et de forme allon-gée est particulièrement prisé sur lestables de Chine où il constitue un metde choix. La forte demande et les prixélevés, liés à l’affaiblissement desstocks mondiaux, entraînent uneintense pression sur la ressource dansla plupart des îles du Pacifique. Sanschangement des modes de gestion des

pêcheries, la pérennité des holothuriescommerciales sera compromise. « Confrontés à une baisse de la tailledes prises sur leur zone de pêche duplateau des Massacres, les habitantsont décidé de réagir voilà quelquesannées, explique le spécialiste. Ils ontfait appel au service des pêches de laProvince Nord et à l’IRD pour élaborerde concert un système de quotas. »Concrètement, les scientifiques, lespêcheurs et les techniciens des pêchesont collaboré pour définir uneméthode d’évaluation périodique de labiomasse de la zone et du stock exploi-table. Elle est basée sur des comptagessur le terrain et une cartographie pré-cise des habitats marins. Régulière-ment, les pêcheurs vont estimer lestock et définissent ce qu’ils peuventprélever. « Ils comptent et mesurent

L’holothurie léopard Bohadschia argus fait partie des 15 espècesd'holothuries dont les stocks ont été évalués au Vanuatu.

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Le récif des pionniers de la discipline

Le Grand Récif de Toliara est un lieu fondateur pour les études coralliennes. Le précurseur de cette récente discipline, Michel Pichon, alors tout jeune chercheur de l’Orstom1, y fit ses premiers pas sur un récif. Avec quelques autres océanographes venus de la station marine d’Endoume à Marseille, il décrit le premier les spécificités physiques de cet étonnant écosystème. Ses travaux, sur lesquels s’appuiera sa thèse d’État, posent les fondements de la terminologie scientifique en la matière. Ainsi, l’observationdes peuplements coralliens de Toliara sert à caractériser tous les autres récifs,et notamment la Grande Barrière australienne à laquelle le pionnier consacrapar la suite une bonne partie de sa carrière. ●

1. Précédent nom de l’IRD.

Holothuries, la cogestion plébiscitéeUne initiative de gestion raisonnée des holothuries, menée conjointement par une communauté de pêcheurs, la Province Nord de Nouvelle-Calédonie et l’IRD, montre sa pertinence. Elle est désormais transposée à une plus vaste échelle, dans d’autres sites de la région et même dans des États voisins.

est retourné plusieurs fois par semainepour débusquer les mollusques, lespoissons ou les crustacés cachés endessous. » Précis, les scientifiques ontmême établi la fréquentation du récif –de l’ordre de 6,8 pêcheurs par jour etpar km2 – et le taux de destruction parpêcheur, autour de 7,7 m2 par hommeet par jour. Les observations sur le ter-rain de la perte cumulée corroborentces chiffres. Elles confirment aussi lescauses de la dégradation, puisqu’ellesmontrent que le récif n’est affecté que dans sa partie accessible par lespêcheurs à pied. « Au-delà de 20 msous la surface, le Grand Récif deToliara est en bon état. Il s’est avéréconstituer un site d’une formidablerichesse biologique. Il est même soup-çonné d’être le second hot spot de labiodiversité corallienne, venant après

celui formé par l’immense triangle decorail Indonésie, Philippine, Papouasie-Salomon », confirme Jean Blanchot.Pour pallier cette dégradation, l’IHSM aentrepris de développer des transfertstechnologiques à destination des com-munautés locales, autour d’activitésalternatives telles l’algoculture et l’holothuriculture. ●

1. Institut halieutique et des sciences marines,Université de Toliara.2. Institut géographique national.

[email protected] UMR MIO (IRD, CNRS et Aix MarseilleUniversité) [email protected] IHSM, Université de Toliara

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réguliers, malgré un léger fléchisse-ment des prix. Aujourd’hui, l’expérience intéressebeau coup, en Nouvelle-Calédoniecomme à l’étranger. Ainsi, en 2013,elle sera étendue à l’ensemble de laProvince Nord et exportée au Vanuatu,un petit État insulaire voisin. « C’est unchangement d’échelle géographique,puisqu’il ne s’agit plus de gérer un seulsite mais des régions entières, note lescientifique. C’est aussi un change-ment d’échelle biologique et écolo-gique, car sur le plateau des Massacreson ne s’intéresse qu’à une seule espèced’holothurie présente dans les herbiers,alors qu’il faut en intégrer une quin-zaine ailleurs et inclure tous les typesd’habitats. » La méthode d’évaluationdes ressources a d’ores et déjà été validée dans plusieurs sites du Vanuatu.

L’initiative suscite l’intérêt plus loinencore, puisque le Groupe mélanésiende Fer de Lance, une alliance politiqueentre plusieurs pays de la région, a évalué la possibilité d’adopter le sys-tème de gestion développé au plateaudes Massacres dans les politiques despêches des pays membres. Et en cesens, une délégation de Papouasie-Nouvelle-Guinée vient de rendre visite au département des Pêches duVanuatu et devrait nouer prochaine-ment une collaboration technique avecce pays, l’IRD et la Province Nord. ●

1. De 150 %.

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Avec des partenairesfrançais et internationaux,le Vietnam entreprend decréer une universitéd’excellence qui répondeaux besoins dedéveloppementéconomique du pays.

C inquante-sept établissementsd’enseignement supérieur etorganismes de recherche fran-

çais sont mobilisés au sein d’un consor-tium pour accompagner le Vietnamdans la mise en place d’une Universitédes Sciences et Technologie de Hanoi

Commerçant de lait qui approvisionne les boutiques au nord du Caire (Shubra).

Première promotion du master Biopharma de l’USTH (2010-2012).

Fabrication du beurre à domicile,dans la région du Caire.

Une jeune équipeégyptienne, associée au Cirad dans le cadre de l’AIRD, explore lestransformations rapides du secteur laitier de larégion cairote, une filièreévoluant entre traditions et modernité.

À coup sûr, l’Égypte n’est pas la Normandie ! Pourtant, àl’ombre des pyramides, la

production laitière se développe unpeu comme dans le vert bocage fran-çais... « Le secteur reflète à la fois

les profondes mutations que connaîtl’agriculture méditerranéenne, avecl’émergence d’acteurs industriels, maisaussi la place occupée par des pro -ductions artisanales traditionnelles toujours très prisées », explique le professeur Salah Galal, spécialiste del’élevage et tête de file de la JEAI DAIRY1.L’équipe, la première à être associée auCirad dans le cadre de l’AIRD, regroupeune huitaine de chercheurs nationauxde différentes institutions et associeplusieurs spécialistes français. « Legroupe s’est structuré dans le sillaged’un travail de thèse sur la durabilitédes systèmes de production laitiersurbains et périurbains dans le GrandCaire, et d’une recherche, en partena-

Un grand chantier universitaire

J E A I D A I R Y

L’Égypte des produits laitiers

riat entre le Cirad et l’Apri2, sur l’ana-lyse du rôle de l’élevage dans la réduc-tion de la vulnérabilité face auxchangements globaux », explique sonresponsable. L’Égypte urbaine connaîtune explosion de la demande de pro-duits laitiers, correspondant à sondéveloppement démographique. Poury répondre, de nouvelles industries sesont implantées en périphérie du Caire,fournissant du lait UHT, des yaourts etd’autres préparations manufacturées.S’appuyant en grande partie sur l’utili-sation de lait en poudre importé, cesentreprises collectent aussi du lait surde grandes fermes laitières organiséessur le modèle industriel et comptantplusieurs centaines ou milliers de

(USTH) à la hauteur des enjeux scienti-fiques et de la valorisation au bénéficedu développement. Par ailleurs, « le Vietnam souhaiteacquérir une plus grande visibilité au niveau des classements internatio-naux », explique Sylvain Ouillon, océa-nographe à l’IRD et directeur d’un desdépartements de l’USTH. Formation,recherche et innovation sont étroite-ment associées dans ce projet qui prévoit la création d’unités mixtes derecherche franco-vietnamiennes. L’en-semble du dispositif dont la phase demontée en puissance durera dix ans estencadré par un accord signé en 2009entre le Vietnam et la France. La collaboration de longue haleineentre ce pays et l’IRD fait de ce dernier

un partenaire privilégié : l’Institut s’estimpliqué dès la formulation des 6 thé-matiques prioritaires1 retenues par lesVietnamiens pour structurer cette uni-versité. D’ailleurs, un dispositif de l’Ins-titut se trouve à la source de certainschoix d’orientation. « La chaire croisée2

Océanographie côtière au Vietnam(2010-2011) nous a permis d’identifierles disciplines à développer – parexemple la modélisation ou la télédé-tection appliquée à l’environnement –,ce qui a été fort utile pour monter lemaster Eau – Environnement – Océa-nographie », poursuit le chercheur,également en charge de ce master. Les thématiques considérées commestratégiques par les partenaires vietna-miens sont clairement sous-tenduespar des demandes sociétales. Parexemple, répondre aux défis que devraaffronter la riziculture vietnamiennedans un avenir proche : maintenir lesrendements en condition de stressenvironnementaux et résister aux bio-agresseurs. Une grande partie du territoire étantcôtier, le pays est vulnérable et doitfaire face à des remontées d’eau saléedans les terres agricoles. Les pertescausées par des nématodes dans lesrizières donnent également du fil à

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vaches, et confectionnent des produitsselon les normes internationales. « Mais ces opérateurs dynamiques nereprésentent qu’une fraction de l’offre,explique le spécialiste. Et 80 % de l’approvisionnement des 20 millions deCairotes en lait et produits dérivés estassuré par une myriade de petits producteurs et distributeurs de proxi-mité. » Après avoir prélevé la quantiténécessaire aux besoins de leur famille,ces éleveurs vendent leur lait cru direc-tement à leurs voisins ou collègues detravail, à des boutiques de quartier, àdes petites unités de transformation ouà des collecteurs ravitaillant les pointsde vente de la capitale. « Cette filièreconstitue un véritable réseau social depetites fermes, de collecteurs, de fro-magers, de revendeurs au détail »,indique-t-il. Malgré des contraintesfortes, liées notamment à la pressionfoncière en zone périurbaine, à l’éloi-gnement croissant des centres deconsommation à mesure du déplace-ment des fermes vers l’extérieur desvilles, à la tendance à la normalisationdes productions sur des standards sanitaires, le secteur reste dynamique.« Il montre une grande souplessed’adaptation, se relocalisant, réagis-sant à l’augmentation rapide de lademande et répondant aux attentes

des consommateurs avec des produitsde bonne qualité gustative distribuésen circuit court, estime le chercheur.Mais surtout, il existe une forte tradi-tion culturelle dans la population pources produits, fromage kareish, lait de bufflesse ou ghee. » L’enjeu, pour l’équipe DAIRY, est de suivre lesévo lutions rapides de cette filière qui fournit massivement la sociétéégyptienne et fait vivre les centaines de milliers de familles de petits pro -ducteurs. ●

1. Jeune équipe associée à l’AIRD “Unders-tanding the Traditional Milk Supply Chainfunctioning in El Cairo City”. 2. Animal production research institute.

ContactsSalah [email protected] Ain Shams University, Cairo [email protected] UMR « Systèmes d’élevage méditerra-néens et tropicaux » (CIRAD, Inra et Supagro-Montpellier)

retordre aux spécialistes. De fait l’IRD

est également acteur du master Biopharma. Dirigé par Pascal Gantet,professeur de génomique fonctionnellevégétale à l’Université Montpellier 2,il s’appuie sur les compétences de 80universitaires français et vietnamiens. « Preuve que le sujet était mûr. Le laboratoire mixte international Rice3 etle master se sont montés simulta -nément en 2011 », souligne celui-ci. Lamise en œuvre de connaissances engénétique appliquée à l’agronomieconduira à des avancées très atten-dues. « La nouvelle révolution verte sefera par l’amélioration des capacitésracinaires », précise le professeur dontles étudiants cherchent à identifier lesgènes contrôlant le développement desracines. ●

1. Biotechnologie – Pharmacologie ; Eau –Environnement – Océanographie ; Matériaux– Nanotechnologies ; Sciences et Technolo-gie de l’Information et de la Communication; Aéronautique et espace ; Énergie.2. Le Programme d’excellence pour l’ensei-gnement et la recherche au Sud (ancienne-ment chaires croisées) est un dispositif derenforcement des capacités mis en œuvrepar l’IRD sous la forme d’un projet réunissantdeux chercheurs ou enseignants-chercheursconfirmés, l’un du Nord, l’autre du Sud. 3. Rice functional genomics and plant bio-technology.

[email protected] UMR Legos (IRD, Cnes, CNRS, Université Toulouse 3)[email protected] Diade (IRD, UM2)

Quand rêve et réalité se rejoignent

Sur dix ans, 400 doctorants vietnamiens et de nombreux étudiants de Masterseront accueillis et formés en France. Les premières promotions ne cachent pas leur enthousiasme. « Depuis toutpetit j’ai rêvé de devenir un scientifique. Après 4 ans de formation en océano-graphie physique, je souhaitais trouver à l’étranger les solutions pour dévelop-per l’économie de mon pays. J’apprécie beaucoup cette immersion dans larecherche au sein d’un laboratoire français », livre Nguyen Dac Da, accueilli auLegos. Dès l’été 2013, les meilleur(e)s doctorant(e)s formé(e)s en France serontembauché(e)s par l’USTH en tant que cadres enseignants de l’université tout encontinuant leurs recherches à moyen et long terme en coopération bilatérale. ●

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une ou deux espèces de nématodes »,poursuit le chercheur. D’après Thierry Mateille, spécialistedes nématodes à l’IRD, « l’enjeu actuelde la recherche est d’assurer la dura-bilité dans le temps de ces straté-gies ». Car, au pied d’une plante, vittoute une diversité de nématodes. En éliminant ou en perturbant ledéveloppement d’une espèce majeure,cible de la lutte biologique, c’est unvide écologique que l’on crée, et unautre parasite finira sûrement par « prendre la place ». Pour assurer l’effet à long terme, les scientifiquess’appuient sur l’observation enmilieux naturels. « Bien plus que l’im-portance d’une espèce en particulier,c’est le rapport d’effectifs entre lesespèces – autrement dit la structurede la communauté de nématodes – quia des effets ou non sur la santé des

roissance ralentie, baissede production… lesdégâts provoqués par lesnématodes phytoparasi-

taires sont un cauchemar pour lesproducteurs. Ces vers microscopiquesseraient responsables de 20 % despertes de récolte à l’échelle mondiale.Au Maroc, comme dans toute la régionméditerranéenne où les conditions climatiques leur sont favorables, lesnématodes prolifèrent. Dans le cas del’agriculture maraîchère, ils affectenttant la ressource alimentaire qu’uneactivité d’exportation en pleine crois-sance. Les méthodes « classiques » de contrôle, trop polluantes et dange-reuses pour la santé humaine, ontmontré leurs limites. Dans les pays en voie de développement, la lutte chi-mique à base de bromure de méthyle,jusqu’alors la plus utilisée, sera pros-crite d’ici à 2015. À la recherche d’alternatives, des équipes de l’IRD1 etleurs partenaires2 développent denouvelles stratégies. Parmi celles-ci,l’utilisation de champignons microsco-piques qui piègent les nématodes dansleur réseau mycélien ou produisentdes toxines spécifiques. « Nous isolonspuis domestiquons ces champignonsfilamenteux pour produire des biopes-ticides en quantité semi-industriellegrâce à la fermentation en milieusolide », explique Sevastianos Rous-sos, mycologue à l’IRD. « L’avantageest que la lutte biologique est ciblée :une fois introduite dans les cultures,une moisissure ne s’attaquera qu’à

es virus ne sont pas tou-jours néfastes. Ils peuventmême s’avérer d’unegrande utilité. Ceux dits

« entomopathogènes », qui s’attaquentaux insectes, se révèlent être uneaubaine pour lutter contre les rava-geurs de cultures. Depuis quelquesannées, des pesticides biologiques àbase de ces virus apparaissent. Cetteapproche prometteuse inspire deschercheurs de l’IRD et leurs parte-naires1 en vue de combattre la teignede la pomme de terre2. Les chenillesde ces petits papillons font d’énormesdégâts depuis vingt ans au Venezuela,en Colombie et en Équateur. « Lesagriculteurs de ces pays sont aujour-d’hui dépourvus de moyens de contrôlede cette espèce invasive », affirme Olivier Dangles, co-auteur de ces tra-vaux3. Pour y remédier, l’équipefranco-équatorienne a mis au point uneformule à base d’un baculovirus4, quitouche plus particulièrement la teignede la pomme de terre, dite aussi « duGuatemala ». Pulvérisé sur les œufs decette dernière ou à la surface despommes de terre, le produit contamineles larves par ingestion. L’infection sepropage alors dans le tube digestif puisdans tout l’organisme des hôtes, quimeurent en deux à trois jours.« Lors de nos tests en laboratoire, cenouvel insecticide s’est révélé tout

plantes », commente Thierry Mateille.En introduisant ces notions d’écologiedans la conduite des systèmes agri-coles, les champignons ne sont plusutilisés pour éliminer une seuleespèce mais comme des gestionnairesde la biodiversité des parasites. AuMaroc, un programme de recherche-ingénierie, mené en collaborationavec l’Université Ibn Zohr d’Agadir,l’Institut Agronomique d’Agadir et lesecteur de la production maraî-chère3, avance sur la constitutiond’une mycothèque de champignonsautochtones et sur la produc tion dessouches les plus appropriées pourcontrôler les communautés de néma-todes. ●

1. UMR CBGP & UMR IMBE.2. Réseau NeMed : An initiative for a pan-Mediterranean research and training net-work about plant-parasitic nematodes.3. Projet PHC-Volubilis (2013-2015) : Déve-loppement de bionématicides fongiquespour une production biologique au Maroc.

[email protected] CBGP (Inra, Cirad, IRD, SupAgro Montpellier)[email protected] IMBE (IRD, Aix-MarseilleUniversité, CNRS et Universitéd’Avignon et des pays de Vaucluse)

Un bon cocktail de champignons contre les nématodes

Wolbachia, une arme biologiquecontre la dengue

Un virus pour lutter contre la teigne de la pomme de terre

Récolte de pommes de terre dans les Andes.

Biopesticides à l’horizonBiopesticides à l’horizonLa lutte contre les ravageurs des plantes ou contre certains vecteurs de maladies

appelle à développer de nouvelles « armes ». Dans cette perspective, les biopesticides offrent des alternatives à l’utilisation de produits chimiques.

Plusieurs équipes de chercheurs travaillent en ce sens et proposent des pistes innovantes.

lle est microscopiquemais pourrait s’avérerbien plus efficace quedes tonnes d’insecti-

cides chimiques. Wolbachia est unebactérie connue pour infester lesinsectes et, depuis 2011, elle faitl’objet d’expériences prometteusesdans le domaine de la lutte contre ladengue ou le paludisme, maladiestransmises par les moustiques. L’en-jeu est de taille : 40 % de la popula-tion mondiale vit dans des zones où sévissent ces maladies et, d’aprèsl’OMS, 100 millions de personnes sontinfectées chaque année par ladengue. Le paludisme, quant à lui,tue toujours plus d’un million de per-sonnes par an. Avec Wolbachia, les scientifiquesdéve loppent une méthode de contrôlebiologique. « D’après les observa-tions, Wolbachia agit sur le systèmeimmunitaire du moustique et va inhi-ber chez l’insecte la multiplicationdu virus de la dengue ou du palu-disme », explique Ana Rivero qui mènedes recherches sur la co-évolution dutrio moustique-bactérie-pathogène ausein de l’UMR Mivegec. En Australie, aux États-Unis et auRoyaume-Uni, les scientifiques étu-dient différentes souches de la bac-térie et suivent leurs effets sur levirus de la dengue chez le moustiqueAedes aegypti et sur le parasite du paludisme chez les moustiques du genre Anopheles. « L’avantaged’utiliser Wolbachia est que, une fois

aussi efficace que les produits chi-miques, déclare le chercheur. Il per-met d’atteindre des taux de mortalitédes larves de teigne de plus de 98 %,sans risquer les dommages collatérauxdes phytosanitaires classiques. » Pol-lution, élimination des insectes utilestels que les pollinisateurs, développe-ment de résistance de la part des rava-geurs... sont autant d’écueils évités.« Restent néanmoins quelques étapesà franchir avant la commercialisationd’un insecticide viral, souligne lescientifique. Nos partenaires équato-riens s’attèlent désormais à dévelop-per un produit sur le plan industriel.Une autre paire de manches sera de

pénétrer le marché des phytosani-taires et bousculer les pratiques desproducteurs », poursuit-il. Le moded’action relativement lent, comparéaux produits chimiques, peut consti-tuer un frein. « L’emploi d’un biopesti-cide doit aussi s’inscrire dans unestratégie de lutte intégrée, tenantcompte de la génétique, de l’écologie etdu comportement des teignes, rappellel’écologue. La formation demeure unvolet incontournable de cette appro -che », conclut-il. Dans ce contexte, les chercheurs mettent en œuvre des méthodes desensibilisation des agriculteurs, baséessur des jeux de rôle, dont de nouveauxtravaux viennent de montrer l’effica-cité à l’échelle régionale pour luttercontre ces ennemis des cultures. ●

1. Pontificia Universidad Católica delEcuador, IRD et École des Mines d’Alès.2. De son nom scientifique Tecia solani-vora.3. Journal of Invertebrate Pathology,2013, 112 (2), p. 184-191.4. Famille de virus.

[email protected] [email protected]

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Pomme de terre infestée.

Galles sur racines de melon dues à Meloidogyne javanica.

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injectée dans un moustique, la bac-térie peut se répandre facilementdans la population », poursuit la biologiste. La transmission deWolba chia chez les moustiques estverti cale, de la mère à ses descen-dants, et c’est en jouant sur cettecompétence que les chercheurs affinent chaque fois la méthode enrecherchant la « meilleure » souchede bactérie. Pour être optimale,l’arme Wolba chia doit inhiber levirus mais ne pas tuer le moustiquetrop rapidement afin que la bactériepuisse se répandre. « Chez l’ano-phèle, vecteur du paludisme, lesrecherches progressent pour trouvercomment ’’stabiliser’’ l’infection parWolbachia. Les travaux sont plusavancés chez le moustique vecteurde la dengue où cette transmission àtoute la population marche bien avecune souche de Wolbachia trouvéechez la drosophile. » Lors d’une expérience « grandeurnature » menée dans le nord de l’Aus-tralie, 300 000 moustiques Aedesinfestés en laboratoire par Wolba -chia ont été relâchés. En cinqsemaines, la quasi-totalité des mous-tiques sauvages était porteuse de la bactérie. « Ces résultats sont trèsintéressants d’un point de vue biolo-gique, mais il faut attendre encore un peu pour mesurer les effets sur la propagation de la dengue et lasanté humaine », précise Ana Rivero. « Beaucoup d’études ont montré quegrâce à Wolbachia, la densité devirus chez le moustique est nette-ment plus faible, mais nous nesavons pas encore jusqu’où celaréduit la prévalence (nombre demoustiques vecteur de maladie).Nous attendons les prochains résul-tats avec impatience. » ●

[email protected] UMR Mivegec (IRD, CNRS, Universités Montpellier 1 et 2)

En savoir plussur le programme australienwww.eliminatedengue.com

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ssisterions-nous à lafin des spécificitésinsulaires ? « L’ouver-ture géographique des

îles océaniques conduit à la continen-talisation de leurs écosystèmes et deleurs sociétés, c’est-à-dire à l’érosionde la géodiversité planétaire »,affirme en ce sens le géographeChristophe Grenier. Cette notion degéodiversité correspond à la singula-rité culturelle ou biologique résultantde l’isolement écologique ou géogra-phique. Et l’insularité s’est longtempscaractérisée par ce double isolement.Les îles océaniques, qui n’ont jamaisété rattachées à des continents, occupent en effet une place privilé-giée parmi les écosystèmes permet-tant la « spéciation géographique »,c’est-à-dire la formation de nouvellesespèces par isolement écologique.L’archipel des Galápagos a ainsi misDarwin sur la voie de sa théorie de l’évolution. Tout écosystème quidonne lieu à des singularités évolu-tives est considéré comme « milieuinsulaire », même s’il se trouve ausein d’un continent à l’abri de bar-rières naturelles. Le concept de spé-ciation géographique s’étend aussiaux sociétés humaines dont l’espaceest peu connecté au reste du monde.« Leur isolement produit des particu-larités culturelles – notamment lin-

guistiques – et des genres de vieadaptés à l’environnement local »,explique le chercheur. En Mélanésie,par exemple, il existe une immensevariété de langues : 28 en Nouvelle-Calédonie, 70 aux Salomon, 106 auVanuatu, pour quelques centaines demilliers d’habitants. Cette fragmenta-tion linguistique témoigne d’un cer-tain isolement géographique vis-à-visde l’extérieur des archipels maisaussi à l’intérieur des îles. Lesanthropologues et les linguistes adop-tent d’ailleurs les méthodes des biolo-gistes spécialistes des îles pourexpliquer cette diversification cultu-relle en fonction de l’isolement. Sur la petite île de Pâques, la populationpolynésienne installée au premiermillénaire de notre ère a vécu aumoins 500 ans quasiment coupée dumonde et a développé une culture sin-gulière, dont attestent les fameusesstatues monumentales. « Mais cetisolement n’est pas dépendant de lasuperficie, précise le scientifique. Le phénomène existe aussi sur une grande île comme Madagascar, dont les habitants appartiennent à 18 peuples différenciés selon leurgenre de vie ou leurs conditions maté-rielles d’existence. » Cependant, la géodiversité, et larichesse biologique et culturellequ’elle constitue pour la planète, est

Vers la fin de la géodiversité

Isolement, ressources comptées,

vulnérabilité aux changements globaux,

les îles sont des milieux physiques, sociaux

et culturels singuliers et en pleine mutation.

Des recherches dans le domaine économique,

géopolitique, sanitaire ou écologique,

permettent de distinguer les contours

de cette spécificité insulaire débattue

et de percevoir son rôle

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Les îles, de la margeà la mondialisationLes îles, de la margeà la mondialisation

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fortement battue en brèche. La for-mation du système Monde contempo-rain, depuis le XVIe siècle, a réduit laréclusion océanique des îles au gréd’un processus d’ouverture géogra-phique. La connexion accélérée etmassive au reste de la planète derégions naguère isolées, avec des flux de toute nature, s’accompagne deprofondes transformations écolo-giques et sociales. Les îles relais del’Europe, dans l’Atlantique, l’océanIndien ou le Pacifique, ont été trèstouchées, avec parfois la disparitiondes populations indigènes et, tou-jours, le bouleversement des milieuxpar l’exploitation intensive des res-sources et les invasions biologiques.Plus tard, l’installation de bases mili-taires avec des terrains d’aviation sur des îles océaniques, comme auxGalápagos ou au Vanuatu, a aussicontribué à cette ouverture géogra-phique, en les connectant à des terri-toires nationaux d’assise continentaleou, plus largement, au reste dumonde, et en permettant ainsi leurdéveloppement économique et touris-tique. ●

[email protected]é de Nantes, UMR LETG-Géolittomer

Affections émergentes en outre-merhikungunya à La Réunionet en Nouvelle-Calédonie,dengue aux Antilles etdans le Pacifique, lepto-

spirose à Mayotte, à La Réunion, àWallis et Futuna et en Polynésie, palu-disme partout ou presque, les outre-mer français vivent sous la menacepermanente de maladies émergentesou réémergentes. Ces espaces insu-laires et apparentés – la Guyaneconnaît un enclavement dans une forêtinextricable comparable à celui d’uneîle – sont doublement spécifiques auplan sanitaire. Comparés à l’Europe,dont ils sont l’expression ultra péri-phérique, ils sont très exposés à cesaffections. Mais au regard de leurs voi-sins régionaux, ils sont significative-ment épargnés. « Des facteursenvironnementaux, au sens large,expliquent cette situation contrastée »,estime le géographe de la santé Fran-çois Taglioni. Il étudie les récentes épi-démies de chikungunya de La Réunionet de Nouvelle-Calédonie et de denguedans ce dernier territoire. « On l’oublieparfois car ces îles ont l’apparence del’Europe, portent des enseignes fami-lières et des infrastructures modernes,mais ce sont des zones intertropicales,avec des conditions naturelles extrê-mement favorables aux maladiesémergentes ou réémergentes », note lechercheur. Le climat y est propicepour la prolifération de toutes sortesd’animaux, dont des insectes ou desmammifères susceptibles de consti-tuer les vecteurs ou les réservoirspour ces affections : moustiques, rats,souris ou chauves-souris... Au-delà dumilieu physique, l’environnement éco-nomique, social et politique de ces territoires entre en jeu. Ils repré -sentent en effet des pôles de prospé-rité dans des régions défavorisées etsubissent, à travers les relations àl’échelle régionale, les effets de la fai-blesse sanitaire de leurs voisinsdéshérités. « La Réunion et Mayotte,par exemple, entretiennent beaucoupd’échanges avec les Comores ouMadagascar, et la Nouvelle-Calédonieavec le Vanuatu, des pays où les mala-dies sont peu contrôlées, explique-t-il.C’est une cause de vulnérabilité. » Defait, le chikungunya, endémique sur lacôte est-africaine, est successivement

passé par l’île kenyane de Lamu, lesComores, puis Mayotte avant de flam-ber dans une extraordinaire épidémieà La Réunion en 2005-2006. À ce titre,les outre-mer français constituent uneporte d’entrée pour ces maladies enEurope. Pour peu que les saisons correspondent, un épisode de dengueaux Caraïbes aurait tôt fait de se pro-pager, via des touristes infectés, dansle Sud de la France où l’on trouvedésormais son vecteur, Aedes albob-pictus.Quant à l’écart entre ces territoires etleurs voisins, il tient à la fois à la dif-férence de niveau de vie des habitantset d’organisation des services sani-taires. « Il y a une très forte corréla-tion entre niveau de vie et maladie,affirme le spécialiste. Au-delà mêmede la technologie, c’est l’hygiène quifait la différence. » Et s’agissant desstructures de santé, les régions ultra-périphériques de l’Europe bénéficientd’un arsenal de surveillance, d’alerteet de traitement immédiat de tout cassuspect, dont ne disposent pas lespays avoisinants. ●

[email protected] de Recherche et de Veille sur les Maladies Émergentes dansl’océan Indien

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ace aux défis du dévelop-pement, les îles ne sontpas toutes logées à lamême enseigne. « Seuls

9 des 34 États insulaires membres del’ONU comptent plus d’un million d’ha-bitants, le seuil minimal pour envisa-ger une politique économique fondéesur la substitution des importations,explique le géographe Gilbert David.Pour la majeure partie donc, le mar-ché local est trop étroit et l’économieest condamnée à se tourner vers l’ex-térieur, à condition d’avoir les res-sources nécessaires. » Dans cettequête d’ouverture au monde des éco-nomies insulaires, le tourisme est unsecteur clef. « Mais la crise écono-mique exacerbe la concurrence entreîles, note le chercheur. Le facteurcoût/qualité devient prépondérantdans le choix des destinations, et lesarchipels les plus éloignés sontréduits aux produits très haut degamme. » Pour eux, il semble illusoired’espérer émerger autour de cetteseule activité… Pour ces petits États insulaires, lacréation de zones franches portuairespeut aussi constituer une opportunitéintéressante. Nombre d’entre eux ontd’ailleurs tenté l’aventure dans lesannées 1990 à 2000. Mais l’équilibredu modèle est fragile. Il suppose descoûts de main-d’œuvre peu compa-tibles avec la large place des produitsimportés dans la consommationlocale, dont les prix sont majorés desfrais de transport et des taxes à l’entrée. « L’expérience n’a pu fonc-tionner que tant qu’il y avait des

clauses préférentielles d’accès aumarché européen », indique le spécia-liste. Et pour les pays insulaires lesmoins bien lotis, le salut est parfoisdans l’exil. La main-d’œuvre trouve às’employer sous des cieux plus pros-pères et le secteur économique pré-pondérant est celui des transfertsmonétaires des migrants.Finalement, dans la course au déve-loppement, les plus avantagées sontles grandes îles formées d’un mor-ceau de continent ou les plus isolées.Disposant de bonnes surfaces culti-vables ou de richesses minières,comme Madagascar ou la Nouvelle-Calédonie, ou contrôlant une vastezone d’exclusivité économique, ellesont d’indéniables atouts. « Pourautant, cela ne suffit pas toujours car,là aussi, la concurrence des payscontinentaux est rude pour ces terri-toires contraints à importer unebonne part de leur intrants, équipe-ments, énergie et nourriture, note-t-il. Le démantèlement des prix desoutien accordé par l’Union Euro-péenne aux petits États insulaires,sous la pression de l’OMC, fragiliseainsi leurs perspectives de dévelop-pement. » L’économie bleue, ou l’ex-ploitation des ressources halieutiquesdans un rayon de 370 km autour descôtes, favorable aux archipels isolés,connaît elle aussi quelques limites.Les grands pélagiques recherchés nesont résidents toute l’année qu’au voi-sinage de l’Équateur et l’armementd’une flotte de thoniers dépasse sou-vent la capacité des États concernés.Ils sont donc contraints de monnayer,

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Le développement insulaire en quête de modèles

La saga de la singularité insulaire

Des États si fragiles

e que la nature a fait,l'homme peut le renfor-cer… Il en va ainsi durôle des petites îles de

Méditerranée, celles dont la superfi-cie est inférieure à 1 000 hectares. « Refuge biologique naturel d’espècesvégétales et animales souvent enlimite de leur aire de distribution,elles sont devenues un gîte ultimepour les plus menacées par la pres-sion liée aux activités humaines »,explique l’écologue et biogéographeFrédéric Médail. Ainsi, quelques îlesd’Algérie et de Tunisie, récemmentexplorées par les naturalistes, se sontavérées abriter des végétaux désor-mais totalement absents du continentpourtant très proche… De même, surun îlot des Baléares survit le lézard deLilford, aujourd’hui introuvable sur lecontinent et même sur l’île voisine deMinorque où l'introduction de mammi-fères a été fatale à l’espèce. Cesmilieux intéressent au plus haut pointles chercheurs. D’abord dans uneoptique de conservation, parce qu’ilsconstituent de véritables sanctuairesd’espèces méconnues ou menacées,

Le trésor des petites îles de Méditerranée

’Ulysse à l’ONU, desmythes aux débats d’ex-perts, les îles et l’insula-rité ne laissent personne

indifférent. « Pour le commun desmortels, ce sont avant tout des lieuxd’utopie et de rêve, en marge dumonde et de sa temporalité, expliquele géographe Gilbert David. Mais pourleurs élus politiques, ce sont surtoutdes espaces de contraintes et degrande vulnérabilité, dont le dévelop-pement pose des problèmes spéci-fiques du fait de la taille réduite desterritoires, de leur isolement et del’incapacité de leurs économies àpeser sur le marché international. »Au nombre de 34, les petits Étatsinsulaires représentent 1/5 des paysmembres de l’Organisation desNations Unies, laquelle intègre désor-mais l’insularité comme une variableintangible des relations interna -tionales et de la problématique du

développement. Mais cette singula-rité insulaire acquise au plan poli-tique fait toujours débat, notammentdans la sphère scientifique.À l’exception de Singapour et Bah-reïn, la plupart de ces pays sontpauvres. Longtemps, les économistesont mis leurs difficultés sur le seulcompte de leur taille réduite. Mais en2002, une économiste de l’Universitéde Corte a montré que l’éloignementpar rapport aux principaux foyers deconsommation et « centres de com-mande du système Monde » est unevariable explicative tout aussi perti-nente. « Dans le domaine écono-mique, il existe donc bel et bien unesingularité insulaire, note le cher-cheur. Et c’est également le cas enmatière de relations sociales et d’ap-préhension de l’espace, comme l’amontré une sociologue de la mêmeuniversité. » En revanche, pour lesgéographes, les îles sont toujours

plus ou moins bien, des licences à desopérateurs étrangers. « L’économiede rente n’est pas une singularitéinsulaire mais elle pourrait demeurerun élément central de la viabilité despetites îles, face aux contraintes del’insularité et de la globalisation »,conclut le géographe. ●

[email protected] ESPACE DEV (IRD, UniversitéMontpellier 2, Université de La Réunion et Université desAntilles et de la Guyane)

a réalité économiquepourrait contrarier lerêve de vie paradisiaquedans les îles… « Les

États insulaires sont bien plus fragilesque les autres », révèle en effet l’éco-nomiste Lisa Chauvet. Avec deuxautres spécialistes, Paul Collier etAnke Hoeffler, elle étudie l’impact éco-nomique et social de la défaillance desÉtats. Cette situation correspond à undysfonctionnement des institutions etdes défauts de gouvernance majeursaffectant certains pays, alors qualifiésd’États défaillants ou fragiles. LaSomalie, le Soudan, la RDC, l’Afghanis-tan, l’Irak, le Zimbabwe, la Birmanieou Haïti font partie des pays étiquetéscomme tels par les institutions inter-nationales. Selon la définition de laBanque mondiale, ce sont des Étatstrès pauvres et ayant des institutionspolitiques ou économiques faibles.Concrètement, ils ne parviennent pasà dispenser les services publicsessentiels, à assurer leurs missionsrégaliennes – police, justice, contrôledu territoire, protection des popula-tions…– sur une partie ou l’ensemblede leur sol. Ils connaissent une désor-ganisation incompatible avec une acti-vité économique normale et avec lebien-être des habitants. « Le coût decette fragilité est porté par le pays lui-même, par ses populations, mais

également par tous ses voisins,indique la chercheuse. Un Étatdéfaillant est un ’’mauvais’’ voisin, ilpénalise toute l’économie de la sous-région, crée de l’incertitude néfasteaux investissements, limite la crois-sance des pays frontaliers ou proches.» À partir de ce constat, les scienti-fiques se sont interrogés sur les coûtsde la défaillance pour des États insu-laires. « La notion de voisinage n’esten effet pas la même dans les îles, oùil n’y a pas de continuité territoriale,explique-t-elle. Et puis, les îles sontplus ouvertes au commerce mondialque les pays continentaux, parcequ’elles dépendent fortement desimportations et parfois des exporta-tions. Par contre, elles n’échangentpas beaucoup avec le voisinage immédiat, souvent composé d’îlessimilaires, sans complémentarité deressources. » De fait, les scientifiquesont bien identifié des spécificités en lamatière. « Les États insulaires faiblesou fragiles n’impactent quasiment pasleurs voisins, indique-t-elle. Vraisem-blablement parce qu’ils commercentpeu entre eux, disposant sensiblementdes mêmes atouts les uns et lesautres ». Mais pour les États insu-laires défaillants eux-mêmes et pourleur population, c’est une toute autreaffaire. « Ils subissent un coût lié à lavulnérabilité et à la mauvaise gouver-nance bien supérieur aux pays conti-nentaux », remarque-t-elle. Celapourrait tenir à leur grande ouverturesur le monde. « Plus intégrées au com-merce et aux échanges que les payscontinentaux, leurs capitaux et leurstravailleurs sont plus mobiles. Etquand le contexte interne devientdéfavorable, les investissements et lescompétences ont tôt fait de fuir, lais-sant les habitants les moins mobilesdans une situation très difficile »,conclut la spécialiste. ●

[email protected] DIAL (IRD et Université Paris-Dauphine)

mais aussi pour des raisons scienti-fiques. La plupart des grandes théo-ries sur l’évolution en milieu insulaireont en effet été échafaudées sur desîles océaniques, qui n’ont jamais eu dedestin continental. Or, la majeure par-tie des 10 000 à 15 000 petites îles deMéditerranée ont été, à un moment ouun autre de leur histoire, reliées aucontinent, d’où des processus évolu-tifs différents. « Ces îles peuvent doncnous éclairer sur les mécanismes éco-logiques, les interactions entreespèces et sur l’évolution et l’adapta-tion aux conditions extrêmes dans desmilieux isolés ou fragmentés »,indique le spécialiste. Elles consti-tuent en somme une reproduction àpetite échelle de ce qui s’est passé ouse passe sur le continent, lors de lafragmentation des milieux naturelspar l’homme. « Chacune recèle uneflore et une faune originale, avec desassemblages d’espèces différents del’une à l’autre mais aussi de ceux ren-contrés sur la terre ferme », indique lespécialiste. Ces associations uniquesont une histoire biogéographiquepropre, fruit d’un isolement plus ou

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moins ancien et d’impacts humainssouvent moins importants que sur les grandes îles et, a fortiori, que surles côtes du continent. « L’étude desprocessus de persistance et d’adap -tation à des conditions locales trèsstressantes nous apprend beaucoup,précise le chercheur. Ils constituentainsi de bons modèles pour com-prendre comment les populationsanimales et végétales pourrontrésister à des changements environ-nementaux rapi des comme ceux liésà l’évolution climatique. » En outre,la plupart des petites îles méditerra-néennes possèdent une richesse éle-vée au regard de leur faible surface.Ainsi, par exemple, une quarantained’îlots satellites de l’Île de Beautéabritent près de 22 % de la florevasculaire indigène corse, sur seule-ment 0,025 % de la super ficie totalede l’île ! ●

[email protected] IMBE (IRD, Aix-Marseille Université, CNRS et Universitéd’Avignon et des pays de Vaucluse)

Paquebot de croisières en Nouvelle-Calédonie.Les croisiéristes de passage sur l’île de Lifou débarquent sur la baie d’Easo.

Rocher du Pilau (Tunisie nord).

Déchargement de poissons, au port de Papeete, Tahiti.

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objet de vifs débats. « La spécificitéinsulaire n’existe pas, sauf pour ceuxqui y croient », affirmait ainsi en 1996un des grands noms de la géogra-phie1. Depuis, la polémique perdure.L’IRD est engagé dans cette discus-sion, avec dans les années 90 laconstitution d’un groupe « Îles et sys-tèmes d’îles » sous l’égide de JoëlBonnemaison2. Celle-ci se poursuitaujourd’hui avec les réflexions sur « l’archipel monde » et la gestion inté-grée des territoires insulaires. ●

1. Rémy Knafou.2. Géographe, spécialiste de l’Océanie (1940-1997).

[email protected] ESPACE DEV (IRD, UniversitéMontpellier 2, Université de La Réunion et Université desAntilles et de la Guyane)

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Hommes et microorganismesjouent au chat et à la souris

Une régulation au cœur des cellules

e monde scientifique alongtemps pensé quel’apoptose n’existait paschez les organismes

unicellulaires. Désormais, ces phéno-mènes ont été décrits chez la plupartd’entre eux, pathogènes ou non.Preuve a été faite qu’ils occupent uneplace centrale dans le succès du cycleinfectieux des parasites.Pour contourner ou tromper le sys-tème immunitaire de l’Homme ou del’animal, les microorganismes patho-gènes sont effectivement capables detous les stratagèmes ! Afin de réduirel’efficacité de la réaction de défensede leur hôte et se faire accepter, lesparasites du genre Leishmania ontrecours au « suicide » de certainsd’entre eux. Responsables de la leish-maniose, ils sont transmis par depetits insectes se nourrissant desang. Leur cycle de vie se partagedonc entre un hôte vecteur et un hôte mammifère. « Chez le vecteur, lapopulation de parasites qui seratransmise par piqûre au mammifère,un humain par exemple, est consti-tuée de parasites infectieux et deparasites morts par apoptose,raconte Denis Sereno, biologiste àl’IRD. Seul ce mélange des deux typesest capable de coloniser l’hôte. » Le sacrifice d’un certain nombre d’in-dividus assure ainsi la survie desautres. Mais pour arriver à leurs fins,les Leishmania ont plus d’un tourdans leur sac : ils activent une autreparade qui consiste à prendre l’appa-rence de cellules apoptotiques del’hôte tout en restant parfaitement

viables. « Le parasite exhibe à sa sur-face des constituants membranairesqui se trouvent normalement à l’inté-rieur dans les cellules saines. Cetteposition extracellulaire est un signald’apoptose. Ce déguisement lui per-met d’entrer incognito dans sa cellulehôte (un macrophage) dont le rôle estentre autres de digérer les débris cellulaires. C’est une invasion silen-cieuse », commente Baptiste Vergnes,également biologiste à l’IRD. Si les agents pathogènes détournentle mécanisme ancestral de l’apoptoseà leur profit, les chercheurs ne sontpas en reste et retournent cette armecontre eux en développant des outilsthérapeutiques et vaccinaux notam-ment chez le chien. « Chez ce dernier,une fois identifiée la réponse immuni-taire protectrice, nous avons mimécette réaction qui provoque l’apop-tose des formes intracellulaires duLeishmania chez l’hôte », exposeJean-Loup Lemesre, immunobiolo-giste à l’IRD. C’est l’une des stratégiesqui a abouti à la réussite du vaccinCanileish1. ●

1. Le premier vaccin antiparasitaire euro-péen contre la leishmaniose viscéralecanine a été finalisé par l’IRD et le groupeVirbac.

[email protected]@ird.frUMR Mivegec (IRD / CNRS / Universités Montpellier 1 et 2) [email protected] Intertryp (IRD / Cirad)

’équilibre d’un orga-nisme pluricellulairerepose sur l’efficacitéd’un dialogue constant

entre ses constituants. Des cellulesmeurent, d’autres naissent. Maislorsque le mécanisme s’enraye, cer-taines d’entre elles continuent à sedévelopper et peuvent se multiplier defaçon anarchique, ce qui caractériseles premiers stades d’un cancer. « Lescellules cancéreuses sont devenuesimmortelles par blocage de leur capa-cité apoptotique naturelle, avanceÉric Solary, professeur à l’Institut derecherche intégrée en cancérologie deVillejuif. Nous cherchons à rétablircette capacité pour les faire mourir etempêcher la propagation du cancer. »Un certain nombre de traitementsbasés sur ce principe sont en cours dedéveloppement. Lorsqu’au contrairela mort cellulaire programmée sedéclenche alors qu’elle ne le devraitpas, d’autres types de désordres phy-siologiques s’installent. L’apoptose

intempestive des cellules garantes del’immunité pourrait être activée par levirus du sida. Ceci est suspecté pourd’autres maladies parasitaires virales :Chikungunya, Ebola, Marburg, dengue.Dans ces cas, l’apoptose empêche lesorganismes infectés de se défendrecontre les attaques microbiennes. « Le virus Ebola déclenche chezl’Homme une hyperactivation des lym-phocytes, cellules sanguines respon-sables de l’immunité. Cette réactionn’est pourtant pas suivie du fonction-nement normal des lymphocytes qui meurent sans avoir pu remplirleur rôle d’élimination des cellulesinfectées », explique Éric Leroy, direc-teur du Centre international derecherches médicales de Franceville(Gabon). Même si les mécanismes finsne sont pas encore élucidés, les viro-logues savent que cette accumulationde cellules mortes dans les vaisseauxsanguins conduit à une coagulationintravasculaire disséminée, l’un dessymptômes de la fièvre hémorragiqueà Ebola, maladie connue pour tuer enquelques jours. Le VIH, quant à lui,s’attaque aux cellules clés du systèmeimmunitaire, les lymphocytes T auxi-liaires ainsi qu’à 4 autres catégoriesde cellules impliquées dans la défensede l’organisme. Le virus du sida parvient à activer l’apoptose de cescomposants sanguins même lorsqu’ilsne sont pas directement infectés parune particule virale. Cette éliminationciblée affaiblit progressivement le système immunitaire, le VIH se

ans l’intervention del’apoptose1, la découpede la main de l’embryonhumain en 5 doigts

serait impossible. Ce processus physiologique impliqué dans la« sculpture du vivant »2 est à l’œuvredans le modelage de la forme défini-tive de l’être. Il est également large-ment associé au fonctionnement du système immunitaire. Il permetd’éliminer régulièrement les cellulesen excédent, trop âgées, altérées ouqui présentent un risque pour la sur-vie de l’organisme. Mais sur quoirepose ce mécanisme fondamental ?Dans tout être vivant, les cellulescommuniquent entre elles en perma-nence, échangent des signaux.Lorsque les signaux de mort reçussont plus nombreux que ceux de vie,la cellule s’avance vers son autodes-truction, baptisée « apoptose » ou« mort cellulaire génétiquement pro-grammée ». Celle-ci est ciblée etsous contrôle afin d’éviter une réac-tion en chaîne à l’ensemble de l’indi-

vidu. « Les scientifiques n’ont pasencore trouvé toutes les clés de ceprocessus sophistiqué », avoueMichel Nicole, phytopathologiste àl’IRD. Pour autant, il y a plus oumoins consensus sur le déroulementqui part d’une cellule animale saineà une cellule morte. L’apoptose estsous la dépendance de divers stimu-lis internes ou externes (soleil,agents chimiques ou pathogènes…).Sa mise en œuvre conduit à l’activa-tion de composés spécifiques quijouent le rôle de régulateurs. Ceux-cis’incorporent dans la membraneextérieure des mitochondries, orga-nites cellulaires importants, pour enmodifier la perméabilité. La mito-chondrie libère alors des protéinesenzymatiques à l’origine de pro-fondes modifications biochimiques etmorphologiques de la cellule. En finde processus, la cellule apoptotiquese fragmente pour être digérée pardes cellules spécialisées, les macro-phages. Dans le règne végétal oùl’apop tose diffère sensiblement, l’un

L’apoptose, une mort cellulaireprogrammée

L’apoptose, une mort cellulaireprogrammée

Quand le mécanisme s’enraye

Feuille de cotonnier résistant à la bactériosemontrant des lésions nécrotiques

caractéristiques de la réactiond’hypersensibilité. Pour survivre, la plante vasacrifier ses tissus infectés (zone marron clair)

et éviter ainsi l’extension de la maladie auxtissus sains (zone verte). Les portions de

feuilles de couleur marron sont mourantes.

des mécanismes de défense – laréaction dite « d’hypersensibilité » –répond à ce concept de mort cellu-laire programmée. « Le cotonniermet en place cette réaction lorsqu’ilest infecté par la bactérie Xanthomo-nas campestris, explique MichelNicole. Cette ligne de défense vaconduire le cotonnier à sacrifier unepartie de ses tissus pour éviter uneinfection généralisée de la plante. »Le végétal contre le parasite en luicoupant l’herbe sous le pied… ●

1. Mécanisme identifié dans les années 60par John F. Kerr et nommé en 1972 parrapprochement avec la chute des feuilles.2. La Sculpture du Vivant. Le suicide cellulaire ou la mort créatrice, Éditions du Seuil 1999, 5e éd. 2007, Jean-ClaudeAmeisen.

[email protected] RPB (IRD / Cirad / Université Montpellier 2)

L’apoptose est un mécanisme fondamental que l’on retrouve, du développement de l’embryonà la sénescence, chez tous les êtres vivants uni ou pluricellulaires, tant dans le règne animal que végétal. Génétiquement programmée et impliquée dans le fonctionnement physiologique des organismes, elle conduit des cellules à la mort sans pour autant compromettre le cycle

normal de la vie. Des dérapages existent toutefois, avec des conséquences diverses.

En brun, des Leishmania en apoptose dans desmacrophages de souris naturellement résistantes.

répli que largement et des maladiesdites « opportunistes » profitent decette faiblesse pour s’installer, aggra-vant l’état du malade. ●

[email protected] Gustave [email protected] Mivegec (IRD / CNRS / Universités Montpellier 1 et 2)

Principales étapes d’une cellule en apoptose

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Des microorganismes très convoités

Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 70 - juin/juillet/août 2013

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processus tectoniques et érosifs sur lelong terme. Pour évaluer les réserves etreconstituer cette histoire, qui remonteà plus de 100 millions d’années, lesscientifiques synthétisent des donnéesde surface relevées sur le terrain et desdonnées de sous-sol. « L’accès auxdonnées de sous-sol issues des forageset des données sismiques des entre-prises pétrolières est indispensable ànos recherches. Nous y avons accèsgrâce aux conventions mises en placedans notre partenariat avec le Pérou.L’IRD est aujourd’hui le seul organisme à faire cela », explique le géologuePatrice Baby. Le cadre de recherche appliquée ren-force la recherche fondamentale etrépond à l’un des objectifs des InstitutsCarnot, réseau de laboratoires et labeld’excellence créé par l’Agence Natio-nale de la Recherche (ANR). « Les insti-tuts Carnot sont des structuresorientées par filières économiques.L’idée est de faciliter la visibilité de la recherche pour stimuler le

partenariat », explique Alexandre Bisquerade la direction de la valorisation au Sudà l’IRD. En s’associant à l’Institut Carnot-Isifor,des entreprises comme Total soutien-nent des travaux dont les résultatsinnovants permettront un développe-ment responsable de l’exploration etde la production des hydrocarbures. Isifor, créé en 2011 sous la tutelle del’IRD et d’autres organismes publics derecherche1, regroupe près de 150 cher-cheurs et 250 doctorants et post-doctorants, avec un budget consolidéde 33,4 millions d’euros pour 2012.Déjà 28 % de ce budget provient departenariats avec les entreprises. « L’as-pect appliqué est stimulant car lesmodèles que nous développons visentà rationaliser les futures explorationspétrolières dans le bassin amazonien,témoigne Patrice Baby, mais il est aussitrès motivant de chercher à reconsti-tuer l’histoire d’une région encore peuconnue. » Les données géologiques etgéochimiques acquises sont largement

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risation

À la frontièreentre l’explorationscientifique etpétrolièreUn programme franco-péruvien labellisé Institut Carnot-Isifor, vise à comprendre la formation des Andes et des bassins sédimentaires associés. Une base pourrepérer les zones qui peuvent potentiellement renfermerdes hydrocarbures.

D ans la région méditerranéenneet la zone subsaharienne, lesinitiatives de reboisement sont

encouragées, encore faut-il permettreaux arbres de croître dans de bonnesconditions. « Notre équipe travailledepuis 2009 sur les procédés de culturecapables d’améliorer la mise à disposi-tion du phosphate dans les sols »,annonce Robin Duponnois, microbiolo-giste à l’IRD. Cet élément minéral favorisela croissance des végétaux qui l’absor-bent par leurs racines. Quatre brevetsdéposés témoignent des avancées réali-sées en collaboration avec l’UniversitéCadi Ayyad de Marrakech (Maroc) et le Centre National de Recherche sur l’Environnement (Madagascar). Les par-tenaires ont su tirer parti des connais-sances acquises antérieurement sur les

associations bénéfiques entre plantes ouentre celles-ci et des bactéries ou cham-pignons. Par exemple la mycorrhizationa été mise en œuvre pour l’une des inno-vations qui concerne un bioengrais1. Undeuxième brevet utilise la technique desplantes nourrices2 qui améliorent les pro-priétés minérales et microbiologiques dusol avant plantation de cyprès de l’Atlas, espèce endémique du Maroc. « Ces produits trouveront des débou-chés en particulier dans les programmesde revégétalisation des sites miniers.D’ailleurs, nous sommes actuellement enrelation avec une société minière àMadagascar gérant une exploitation denickel sur la Grande Île et qui est trèsintéressée par ces procédés, ajoute lechercheur. Les exploitants de sablièresconfrontés à l’obligation de réhabiliter

Des technos pour le Sud… Des technos pour le Sud… Des technos

Des microorganismes très convoitésCertains microorganismes

associés aux gisements pétroliers

seront bientôt des alliés précieux

pour mieux exploiter cette

ressource.

Près de la moitié des réserves mon -diales de pétrole ne sont plusactuellement exploitables par les pro -cédés physico-chimiques conven -tionnels1. De nouveaux procédéspermettant d’en récupérer une partiepourraient voir le jour. Les auxiliairescapables de cet exploit sont à chercherdu côté de l’infiniment petit. « Lesméthanoarchées2 présentes dans lescouches pétrolifères sous la croûteterrestre participent naturellement à latransformation des hydrocarbures enméthane et en gaz carbonique,explique Bernard Ollivier, microbio -logiste à l’IRD et directeur adjoint del’Institut méditerranéen d’océanologie.Le méthane est alors utilisé enassociation avec le CO2 comme sourced’énergie par les ingénieurs pétrolierspour diminuer la viscosité du pétrole etfaciliter sa séparation de la roche-mère. »Encore faut-il que toutes les conditionsbiologiques soient réunies car leprocessus qui se réalise en l’absenced’oxygène et à des profondeurs quipeuvent aller jusqu’à 3 000 mètres est complexe. Il fait intervenir desbactéries présentes in situ qui jouent lerôle d’intermédiaires. Même si cesmicroorganismes sont tous réunis, unestimulation extérieure de l’activitéméthanogène semble nécessaire. « Pour l’instant, si les pétroliers sont àjuste titre intéressés par l’éventualitéd’une récupération d’hydrocarburesassistée par les microorganismes, selonBernard Ollivier, il est nécessaire decompléter les connaissances sur lesmécanismes précis de stimulation desméthanoarchées et des bactériesassociées. » Cela fait seulement unevingtaine d’années que les micro -biologistes se penchent avec attentionsur les étonnantes capacités de cesorganismes. Ceux-ci résistent en effetaux conditions extrêmes régnant dansces écosystèmes (hautes températures,salinité et pression élevées). Les méthanoarchées et les bactériesassociées font l’objet d’intensesrecherches par l’IRD et ont d’ailleursdonné lieu à deux brevets (2005 et2009) couvrant déjà leurs propriétés dedépollution. ●

1. L’exploitation pétrolière s’appuie d’abordsur la pression naturelle du gisement puisinjecte du gaz carbonique ou de l’eau afin derepressuriser le forage pour récupérer lepétrole.2. Les archées et les bactéries sont des orga-nismes unicellulaires constituant deuxgroupes distincts.

[email protected] UMR MIO (IRD / Aix-Marseille Université / CNRS)

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Relevés de terrain dans le bassin du Ene, Amazonie péruvienne. Les géologuesprennent des mesures structurales et échantillonnent pour évaluer le potentiel

pétrolier de la roche sédimentaire.

D ans le sous-sol péruvien,quelques secrets restent biengardés. « 50 % du pays n’a

pas encore été exploré et des réservesde pétrole ou de gaz sont à décou-vrir », affirme Patrice Baby, directeur derecherche à l’IRD et coordinateur d’unprogramme franco-péruvien labelliséInstitut Carnot-Isifor. En décryptantl’histoire des bassins sédimentaires, leséquipes de recherche de l’IRD et leurspartenaires de l’Agence Nationale desHydrocarbures du Pérou (PERUPETROSA) se positionnent à l’amont de touteexploration pétrolière. « Le but premierde nos travaux est de comprendre la formation des Andes et des bassinssédimentaires associés, explique PatriceBaby, c’est la base pour repérer leszones qui peuvent potentiellement ren-fermer des hydrocarbures. » Localisés dans des zones à la géologiecomplexe, au pied des Andes, les gise-ments péruviens sont relativement délicats à détecter. Piégés dans les sédi-ments, ils résultent d'interactions entre

exploitées et mobilisées dans d'autresdomaines de recherche, notammentdans des travaux avec des paléonto-logues ou des généticiens. L’histoire del’Amazonie et de sa biodiversité est elleaussi contrôlée par la tectonique et lacroissance des Andes. ●

1. L’Institut Carnot-Isifor, dédié aux enjeuxénergétiques et environnementaux du sous-sol, regroupe 9 unités de recherche sous latutelle de l’IRD, du CNRS, de l’Université PaulSabatier de Toulouse, l’Université de Pau etPays de l’Adour, l’Université de Bordeaux etde l’Institut Polytechnique de Toulouse.

[email protected] (Géosciences-Environnement-Toulouse)

En savoir plushttp://www.instituts-carnot.eu/fr/institut-carnot/isifor

U n test diagnostic du sida bien plus sensible que ceux disponibles sur lemarché est en cours de perfectionnement dans les laboratoires de l’IRD.Cette sonde moléculaire à large spectre est capable de détecter toutes les

souches du virus causant la pandémie, aussi bien les variants humains du VIH-11

que tous ceux des SIV portés par des gorilles et des chimpanzés. En effet, les virusinfectant l’Homme sont le résultat de multiples transmissions interespèces depuisles singes. Les performances du nouveau test reposent sur l’existence de fractionsde génome communes aux virus qui infectent l’Homme et à ses cousins. Cettetechnologie permet aussi de quantifier le nombre de copies virales en présence, ceque ne font pas les autres tests. « Cette innovation sera une aide précieuse pourles médecins qui observent des discordances entre le tableau clinique de leursmalades et le taux de réplication virale mesuré par les tests utilisés aujourd’hui »,révèle Martine Peeters, co-inventrice du brevet déposé par l’IRD en novembre 2012.La sonde, validée en laboratoire, est désormais testée grandeur nature au Came-roun. Ce test, en plus de détecter les nouveaux cas, permettra de suivre l’évolutionde la maladie et l’efficacité des traitements antirétroviraux. Il sera, dans un premiertemps, proposé aux hôpitaux en Afrique centrale car la diversité génétique etl’émergence de nouveaux variants y sont les plus élevées, puis étendu au reste ducontinent. ●

1. Le VIH 1 est présent dans le monde entier tandis que VIH 2 est localisé principalement enAfrique de l'Ouest. Chacun de ces groupes est lui-même subdivisé en sous-groupes contenantun grand nombre de virus différents.

ContactMartine Peeters, IRD, UMR TansVIHMI (IRD / Université Montpellier 1 / Universitéde Yaoundé 1 / Université Cheikh Anta Diop de Dakar)

Meilleure disponibilité du phosphate pour les plantes

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Détection du sida :d’une pierre deux coups

Plant de cyprès mis en pépinière entre deux lavandes.

les sites d’exploitation, par exemple enAlgérie, sont également destinataires deces offres technologiques. » Bien entendu,le secteur de l’agriculture et plus large-ment l’ensemble des acteurs du secteuragronomique (maraichage, arboricul-ture) tireront profit de ces améliorations.Les différentes innovations viendront enappui à un autre secteur d’activité, laconservation et la valorisation de la bio-diversité végétale. ●

1. Bioengrais associant du phosphate auchampignon mycorrhizien Glomus intrara-dices, testé sur la croissance d’Acacia holose-ricea (Burkina Faso).2. Lavandula dentata et Thymus satureoides.

[email protected] LSTM (IRD / Cirad / MontpellierSupAgro / Université Montpellier 2 / Inra)Une cascade de brevets

s’attache à ce que lesplantes d’intérêt agricoleou destinées à luttercontre la déforestationassimilent mieux le phosphate nécessaire à leur développement.

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Sciences au Sud : Quels sont les enjeux éthiques aujourd’hui en matière de développementdura ble ? Ali Benmakhlouf : Il y en a plusieurs,et le premier consiste avant tout à définir le terme de « développement ».Il y a en effet une ambigüité, s’agit-il desatisfaire aux besoins immédiats del’humanité – accès universel à l’eaupotable, à l’alimentation… – ou biend’entreprendre une action viable dansla durée, compatible avec la préserva-tion des ressources ? Le second enjeutourne autour des défis humains, destragédies évitables dans les pays duSud : la scolarité des enfants du rural,notamment les petites filles. Commentadapter l’activité à la capacité parfoislimitée des milieux qui peuvent êtrearides ou peu productifs ? Cela pose la question de la co-préservation del’humanité et des écosystèmes. Le cadre juridique et les outils d’analysesont aussi des enjeux d’éthique dudéveloppement. L’antagonisme entredroit à l’investissement et protection del’environnement, par exemple, ou bien

le recours à la modélisation, susceptiblede fausser la vision de la réalité quandun seul indicateur est considérécomme synthèse de toute la réalité,l’illustrent bien. De même, l’éthiquesoulève la question de l’échelle d’inter-vention. L’action au niveau d’un terri-toire donné semble mieux intégrer lapluralité des acteurs du développementet, donc, répondre plus justement à lacomplexité de leurs interactions. Enfin,il faut garder à l’esprit que l’éthiquen’est pas une nouvelle science mais unnoyau de savoir commun à de nom-breuses disciplines.

SAS : Ce colloque post-RIO+20 a-t-ilpermis de dégager d’autres axes deréflexion ?A. B. : Oui, il a été l’occasion de poin-ter des grands dilemmes morauxpropres à l’éthique du développementdurable : Où, par exemple, mettre lecurseur entre anthropocentrisme – tout faire pour asservir la nature àl’homme – et écocentrisme, affirmantla non intervention sur la nature… ceproblème de degré d’intervention

mérite d’être posé. De plus, il convientde réaffirmer la place de l’éthique dansles processus de connaissance. Celasuggère tout à la fois de garder lecontrôle sur l’action issue du savoir,sans pour autant brider la soif légitimed’explorer toujours plus avant. Ce colloque a également permis demettre l’accent sur l’importance d’in -tégrer les savoirs au service des poli-tiques publiques. Les décisions doivents’appuyer autant que possible sur laproduction scientifique.

SAS : Après 4 années à la présidencedu CCDE, quel bilan faites-vous sur laplace des questions éthiques dans larecherche au Sud ?A. B. : Paradoxalement, si nous avonseu régulièrement à rendre des avis sur des recherches en santé, nousavons été très peu saisis pour des questions relatives à l’environnement.Et ce, malgré l’organisation de deuxcolloques internationaux durant ma mandature, faisant la part belle aux questions d’environnement. Il me semble donc souhaitable que les

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La zoologie revisitée grâce à l’ADN

Nouvelle espèce de raiepastenague.

Colloque Santé, éthique et développement durable de Recife.

Vendeur de poissons au marché de Port Louis à Maurice.

scientifiques travaillant sur les théma-tiques du climat, de la biodiversité, des écosystèmes intègrent davantagela dimension éthique dans leurdémarche. Enfin, s’agissant de l’éthiquedu partenariat, de l’éthique de l’infor-mation scientifique et de la formation àl’éthique, plusieurs de nos chantiers,

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Finie la classification au faciès. L’ADN révèle de nouvelles espècesjusque-là confondues avec d’autres.

I nutile d’aller explorer le bout dumonde pour découvrir de nou-velles espèces ! L’ADN prend le

relais des caractères morphologiquespour offrir une vision claire de la diver-sité du vivant et affiner la taxonomie.De ce fait, la classification est en pleinerévolution. L’information génétiqueapporte aux scientifiques des révélations

bienvenues. « La diversité des espècesau sein de la famille des mulets, pois-sons cosmopolites, était jusqu’à pré-sent largement sous-estimée : avec lesséquences ADN, nous avons estimé queplus de 40 % des espèces de cettefamille restaient à décrire », pointeJean-Dominique Durand, généticien àl’IRD et co-auteur d’une étude réalisée à l’échelle mondiale. Désormais, à partir d’un court fragment d’ADN mito-chondrial appelé barcode, il peut iden-tifier des espèces dites « cryptiques »,c’est-à-dire non reconnaissables sur lesseuls critères ana tomiques. « En analy-sant les ADN de 115 raies du genreHimantura de l’océan Indo-Pacifique,nous avons découvert une nouvelleespèce jusqu’ici assimilée à ses espèces sœurs », affirme pour sa part le biolo-giste Philippe Borsa.L’enjeu de ces travaux dépasse lesimple objectif d’affiner la classifica-tion. Tant les mulets que les raies pastenagues sont consommés parl’homme, donc soumis à des pressionsde pêche. Une meilleure connaissanceest indispensable pour gérer plus effi-cacement ces ressources. « Connaîtrela diversité réelle des espèces permetde mieux définir leurs caractéristiquesbiologiques, par exemple leur tailleminimale à maturité qui est un critèreessentiel pour la gestion de la pêche »,

ajoute Philippe Borsa. Les investiga-tions futures porteront aussi bien surles aires de répartition, les habitudesalimentaires ou les modes de reproduc-tion. Toutes ces données renseignerontles programmes de conservation dansles zones importantes pour ces espècesà des étapes clés de leur vie. Parexemple les stades juvéniles des muletssont totalement dépendants des éco-systèmes estuariens. Quant aux raiespastenagues, elles se reproduisent tardivement et donnent naissance àpeu de descendants. Leurs populationssont donc très fragiles. Et cela, d’au-tant plus que les raies n’alimentent passeulement les étals des poissonniersmais terminent aussi leur vie sous laforme de sacs et portefeuilles de luxe.Ces élégantes cousines des requinssont victimes de surpêche. D’ailleurs,l’Union internationale pour la conser-vation de la nature estime que 36 %des 650 espèces connues risquent

l’extinction. Il y a donc une réelleurgence à apporter des élémentsconcrets pour contribuer à la sauve-garde de ces habitants des mers. ●

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À l’occasion d’un récent colloque sur la santé, l’éthique et le développement durable,organisé au Brésil par le Comité consultatif de déontologie et d’éthique de l’IRD, sonprésident, le philosophe Ali Benmakhlouf, répond aux questions de Sciences au Sud.

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E n t r e t i e n a v e c A l i B e n m a k h l o u f ,p r é s i d e n t d u C C D E

Éthique et développement durable

j’espère, pourront être poursuivis, notam -ment en mettant l’accent sur la co-priorité des projets Nord-Sud, à traversle respect d’une copublication (parte-naires du Nord et partenaires du Sud)et sur l’accès des pays du Sud à laphase de conception des projets, et passeulement de leur réalisation. ●

[email protected] Ecosym (IRD / CNRS / Ifremer /Universités Montpellier 1 et 2)[email protected] Coreus

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plexe, et doivent composer avec unemultitude d’interlocuteurs, au nombredesquels se trouvent les groupessociaux locaux, les institutions localesou nationales et leurs représentants, lasociété civile, les opérateurs de l’aideou du développement, les organisa-tions internationales, les ONG… ». Touten gardant leur indépendance, ils doivent se faire accepter par les uns etles autres, négocier l’accès au terrain,parfois les thèmes de recherche ou les modes de restitution des résultats.Ils s’engagent dans certains cas dansdes recherches en collaboration... « Lechercheur doit s’interroger en perma-nence sur son positionnement, sur lesliens qu’il tisse avec ses interlocuteurset sur les effets de ces relations sur cesacteurs et sur son propre jugement »,précise-t-il. Cette démarche introspec-tive s’inscrit dans un mouvement plus vaste de l’anthropologie et dessciences humaines, appelé le « tour-nant réflexif ». À sa faveur, les scienti-fiques réfléchissent aux effets de leur

C omment enquêter en contextede crises, d’urgence ou dedéveloppement ? Les anthro-

pologues, sociologues, géographes,économistes ou politistes qui pra-tiquent l’immersion sur le terrain,auprès des populations étudiées, sontsouvent confrontés à la violence, auconflit, à la misère ou à la stigmatisa-tion, dans les camps de réfugiés parexemple. Ils travaillent aussi sur desthèmes tabous, comme l’avortement,qui supposent un investissement per-sonnel important auprès des personnesétudiées et posent des dilemmeséthiques et méthodologiques. « Denombreuses régions du Sud connais-sent en effet des situations sensibles,dans lesquelles le travail des chercheurspratiquant les sciences sociales qualita-tives est particulièrement délicat »,explique l’anthropologue PhilippeLavigne Delville, coorganisateur durécent colloque de l’Apad1 consacré àce sujet2. « De plus, les chercheurs évo-luent dans un environnement com-

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Enquêtes sensiblesintervention sur les milieux observés. «D’autant que les chercheurs ne sontpas les seuls à étudier, à mener desrecherches sur le terrain, note PhilippeLavigne Delville. Les acteurs de l’ur-gence ou du développement, aussibien la Banque Mondiale ou le HCR quedes ONG comme MSF ou Oxfam, produi-sent eux aussi, pour leurs propresbesoins, des connaissances et des dis-cours sur les mêmes situations et surles mêmes populations. » Sans comp-ter que l’action et le fonctionnementinterne de ces institutions – pourquoi,comment, en vertu de quoi s’enga-gent-elles sur le terrain, quelles sontleurs pratiques ? – constituent un nou-veau champ d’investigation promet-teur pour les sciences sociales… ●

1. Association euro-africaine pour l’anthro-pologie du changement social et du dévelop-pement (www.association-apad.org/).2. Enquêter en contexte de développementou d’urgence, 13-15 juin, Montpellier.

[email protected] UMR GRED (IRD et Université Paul-Valéry Montpellier 3)[email protected] [email protected] IRC / Supagro

blématique à Hanoï consacrée au sta-tut épidémiologique des Kissing Bugs2. Cet insecte3 venu du continent améri-cain y est connu comme vecteur de Trypanosoma cruzi, agent de la mala-die de Chagas4. Y a-t-il un risque devoir apparaître cette maladie mortelleau Vietnam ? À moins que la punaisene se révèle porteuse d’autres infec-tions ? « S’il n’y a pas, à ce jour, de cas

L’expansion d’une espèce de grande punaise est suiviede près par les scientifiques.Porteuse de parasites, ellepourrait devenir ennemipublic au Vietnam.

P lus d’un millier de punaisesdans une maison à Hanoï…Depuis quelques années, les

habitants des grandes villes vietna-miennes subissent l’invasion de cesinsectes. Douloureuses, leurs piqûresprovoquent des réactions cutanéeslocales qui poussent les citadins àconsulter les hôpitaux. Cette situationa amené les autorités sanitaires à dili-genter une enquête pour comprendrele phénomène. L’IRD contribue à cetteexpertise aux côté du Nimpe1, institu-tion vietnamienne en charge du dos-sier, et vient de coordonner unerencontre internationale sur cette pro-

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Les punaises gagnent du terrain

humain autochtone connu au Vietnamd’infection par ce parasite ou par unautre trypanosome, la situation peutêtre qualifiée de pré-émergente »,indique Jean-Pierre Dujardin, entomo-logiste médical à l’IRD.Que sait-on à l’heure actuelle sur cette nuisance en passe de devenir un problème de santé publique ? « Ensuivant sa victime préférentielle, le rat

Punaise Triatoma rubrofasciata.

Sciences au Sud : En quoi le manioc représente-t-il un enjeu de sécuritéalimentaire ? Claude Fauquet : Le manioc, plante à tubercules1, nourrit actuellement 800 mil-lions de personnes dans plus de 105 pays dans le monde. La production mondialeactuelle est d’environ 240 millions de tonnes par an et ce chiffre pourrait atteindre475 millions de tonnes en 2050. C’est la 4e plante alimentaire derrière le maïs, leblé et le riz dans les pays en développement. Elle est particulièrement importantepour l’Afrique où elle représente la principale production vivrière et l’aliment debase pour les populations. Cette plante se cultive facilement par bouturage, résistenaturellement à la sécheresse et sera capable de s’accommoder des fortes augmentations de température et des concentrations en CO2 atmosphériqueannoncées par les experts en climatologie.

SAS : Quelles menaces pèsent sur cette ressource ? C. F. : Malgré ses capacités hors normes, le manioc fait déjà face à des attaquesvirales et bactériennes ainsi qu’à des insectes qui occasionnent des dégâts directsdans les champs. Les maladies virales sont propagées par des mouches blanches.Quand la température s’élève, les populations d’insectes croissent et leur impactaugmente en conséquence. Par ailleurs, le manioc est propagé par bouturage destiges, qui contribue à l’expansion des maladies. Deux virus en particulier sont à l'origine d’importants dégâts dans les récoltes : celui qui cause la mosaïque africaine et celui qui provoque la striure brune. À elles deux, ces pathologies entraî-nent des pertes très importantes de tubercules. La situation pourrait encore s’aggraver en réaction au réchauffement global qui favorise l’explosion démogra-phique des insectes vecteurs. Le cas du Nigeria est particulièrement préoccupant,où plus de cent millions de personnes dépendent du manioc. Si la striure brune du manioc, pour le moment restreinte à l’Afrique de l’Est, atteignait ce pays, ceserait sans aucun doute une catastrophe sans précédent en Afrique. Compte tenude ces données, le manioc est à la fois synonyme d’espoir et une bombe à retar-dement !

SAS : Quelles solutions peut fournir la recherche ? C. F. : Développeurs et scientifiques se sont emparé de la question. Un grouped’experts animé par le GCP21 s’est réuni récemment à Bellagio (Italie) pour mettreau point un plan d’attaque global. Une alliance mondiale associant scientifiques,développeurs et donateurs a été créée pour répondre à ce défi et une feuille deroute définie. Celle-ci comporte trois activités essentielles. D’une part, la mise enplace d’un système centralisé de surveillance et d’alerte sur la propagation desmaladies virales en Afrique et dans le monde. D’autre part, le développement d’unsystème de production de boutures saines à travers une filière impliquant les secteurs public et privé ainsi que les communautés agricoles. Enfin, des activités de recherche portant principalement sur la mise au point de variétés de maniocrésistantes aux deux maladies virales et à leur vecteur. ●

1. Partie souterraine consommée, organe de réserve de la plante.

[email protected] Cassava Partnership for the 21st Century, Centre International pour l’Agriculture Tropicale (Colombie)

T r o i s q u e s t i o n s à … C l a u d e F a u q u e t

« Le manioc, 4e plante alimentairedu monde »Directeur du Partenariat Global du Manioc pour le XXIe siècle(GCP21) consacré à l’amélioration de cette plante alimentaire dansle monde. Ancien chercheur de l’IRD, Claude Fauquet vient d’enprésenter l’action à la communauté scientifique de Montpellier.

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domestique qui lui-même profite desbateaux pour émigrer, cette punaises’est répandue dans les ports d’Afriqueet d’Asie aux latitudes tropicales,explique le chercheur. La situation decette espèce au Vietnam est particu-lière car elle y a pénétré jusqu’à 150km à l’intérieur des terres. De plus, elleabrite des parasites encore non identi-fiés, du même genre que Trypanosomacruzi. » Compte tenu de cette expan-sion mondiale, le problème posé par cevecteur dépasse le cadre vietnamien etmême asiatique, d’où le choix du récentatelier qui favorisait le partage Sud-Sud. Les experts internationaux dontdes scientifiques venus de pays latino-américains ont sensibilisé les institu-tions de différents pays asiatiques auxespèces invasives d’importance médi-cale. « Cette sensibilisation a été opti-misée par le module de formationproposé en préliminaire et qui a permisaux participants de se familiariser avec les outils de caractérisation des

Le colloque biennal de l’Association euro-africaine pour l’anthropologie du changement social et dudéveloppement explore les questions relatives auxenquêtes en milieu difficile. Un défi courant pour leschercheurs en sciences sociales qualitatives travaillant au Sud.

vecteurs et parasites impliqués dans lamaladie Chagas », ajoute l’entomolo-giste. Afin de circonscrire le dangerd’une importation de la maladie deChagas en Asie, de nombreuses ques-tions devront trouver réponse. ●

1. National Institute for Malariology, Parasi-tology and Entomology (Vietnam).2. Surnom attribué à cette punaise car elleest connue pour piquer la nuit les personnesendormies, préférentiellement autour de labouche puisque le visage du dormeur reste àdécouvert. 3. Triatoma rubrofasciata ; sa taille adultedépasse deux centimètres.4. Sept millions de personnes sont atteintesde la maladie de Chagas dans les zonesendémiques d’Amérique latine.

[email protected] UMR Mivegec (IRD / CNRS / Université Montpellier 1 et 2)

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Émergences capitalistes aux Suds Sous la direction d’Alain Piveteau, Éric Rougier et Dalila Nicet-Chenaf Karthala28 €

Malgré une visibilité nouvelleet une médiatisation croissantedes pays émergents, les chan-

gements en cours dans ces économies restent malconnus. Dépourvu de visée normative, l’ouvrage a pour ambition première de donner à comprendre ce qui se construit à l’arrière-plan des performanceséconomiques auxquelles on associe l’émergence.Quinze contributions, suivant plusieurs échelles d’obser-vations, analysent des faits d’émergence, hétérogènes et instables, aux conséquences sociales et politiquesmultiples, dans des pays aussi différents que la Chine,l’Inde, le Brésil, la Russie, le Mexique, l’île Maurice, l’Argentine, le Vietnam ou la Turquie. À l’appui d’approches positives, d’études comparativeset de propositions théoriques, économistes, socio-économistes, politistes et géographes livrent ici une réflexion originale qui permet au lecteur de mieux appré-hender la singularité des transformations institution-nelles et économiques en cours.L’ouvrage pose l’hypothèse d’un changement, ou dechangements, de type capitaliste dans les Suds et enprovenance des Suds. Les émergences capitalistes dont il est question ne se laissent enfermer ni dans une théorie actualisée du rattrapage, ni dans une théorie renouvelée de la domination Nord-Sud. Elles sont le résultat, encore provisoire, d’une contribution inédite et originale de pays du Sud à la dynamique mondiale du capitalisme. Les institutions constitutives de ces émergences sont loin de correspondre à celles du capitalisme libéral de marché. Elles pourraient bien participer à une recréation aux Suds de la diversité descapitalismes.

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Rendre possibleJacques Weber, itinéraire d’un économistepasse-frontièresMeriem Bouamrane, Martine Antona, Robert Barbault, Marie-Christine Cormier-Salem(coordonnateurs)Éditions IRD, Quae24 €

Provocateur, visionnaire, pédagogue : tels sont lesprincipaux traits de la personnalité de Jacques Weber

qui se dégagent de cet ouvrage à travers une douzaine d’articles de l’auteuret leur relecture par des confrères et disciples, d’horizons fort divers, enrichisde témoignages sur la contribution de ce passeur de frontières. Depuis ses travaux sur l’économie des pêches et du développement, JacquesWeber n’a eu de cesse d’examiner les contextes locaux et de montrer les décalages entre les pratiques de gestion des écosystèmes et le « prêt-à-penser », qu’il soit académique ou promu par les bailleurs de fonds. Sa réflexion sur les modes d’appropriation de la nature pour questionner la gestion des ressources renouvelables a nourri des échanges fructueux avecd’autres conceptions des relations homme-nature. Ses contributions sur lerôle des modèles, méthodes et outils ont ouvert la voie à des recherches innovantes. Enfin, par ses interrogations sur la valeur de la nature et la nature des valeurs, il a illustré l’intérêt de s’intéresser aux multiples systèmesde valeurs liés aux rôles de la biodiversité. Cet ouvrage s’adresse à tous ceuxqui ont eu l’honneur et le bonheur de cheminer avec lui depuis plus de qua-rante ans, mais aussi à un large public soucieux du devenir de notre planèteet désireux d’avoir un éclairage sur les grandes questions du XXIe siècle, dela lutte contre la pauvreté aux valeurs de la biodiversité.

Interactions insectes-plantesÉditeurs scientifiques : Nicolas Sauvion, Paul-André CalatayudDenis Thiéry, Frédéric Marion-PollCoédition IRD/Quae 79 €

Malgré leur rôle primordial dans lesécosystèmes, les insectes, qui repré-sentent les trois quarts des espècesanimales identifiées, sont encore

mal connus. Leur relation avec le règne végétal et l’espèce humaine, que ce soit comme compétiteurs au niveau des cultures ou comme auxiliaires, notamment par la pollinisation,revêt pourtant une importance majeure.Permettant de mieux comprendre les grandes fonctions desinsectes, leur fonctionnement individuel et populationnel,leurs inter actions avec les composantes de l’écosystème – enparticulier les plantes – et plus globalement leur intégrationdans les milieux naturels et anthropisés, cet ouvrage proposela première synthèse en français sur un domaine ayant connurécemment d’importants développements.Il offre une revue complète et actualisée des grands courantsde pensée, des approches et des découvertes dans les diffé-rents champs disciplinaires : physiologie animale et végétale,éthologie, écologie chimique, biologie évolutive, agronomie,paléoentomologie… Il présente par ailleurs les multiples applications des recher -ches pour réduire l’impact des insectes ravageurs sur les cultures, tout en limitant l’usage des insecticides. Des questions souvent sujettes à controverse sont revisitées à la lumière des connaissances scientifiques actuelles : plantestransgéniques, impact des changements climatiques sur l’extension des aires de distribution de ravageurs ou de vecteurs…Illustrée de nombreuses figures et photos, cette somme à vocation pédagogique s’adresse aux étudiants, enseignants etchercheurs, mais aussi à tous les lecteurs intéressés par les relations complexes entre le monde des insectes et le règnevégétal.

Aguas del Iténez o Guaporé :Recursos hidrobiológicos de un patrimonio binacional (Bolivia y Brasil)P.-A. Van Damme, M. Maldonado,M. & Doria Pouilly Éditions CRC Éditorial INIA, Cochabamba,Bolivia.http://www.editorial-inia.com/

Situé dans le haut Madeira, affluent majeur del'Amazone, le bassin de l’Iténez est l’une des zones les mieuxpréservées de toute la région amazonienne. Une grande hétéro-généité d’habitats et une faune aquatique diversifiée en font unpatrimoine remarquable, d’une haute valeur pour la conserva-tion et le développement local. La monographie Aguas del Iténez, éditée avec l’appui de l’IRD, regroupe pour la première fois l’ensemble des connaissances surla biodiversité aquatique et le fonctionnement écologique de larégion. Ce recueil propose également plusieurs analyses sur les expé-riences de gestion des ressources menées avec les communautéslocales. L’ouvrage est le fruit de plus de dix ans de recherche durant lesquelles ont collaboré chercheurs boliviens, brésiliens etfrançais.

Campement urbainDu refuge naît le ghettoMichel AgierÉditions Payot & Rivages15 €

À la naissance de toutghetto il y a un refuge.Lieu d'une mise à l'écart, d'un abri dans un contexte hostile, il

devient le nom d'une commu-nauté de survie, dont l'avenir dépendra de sa relationaux autres et à l'État. En attendant, aux yeux de l'anthropologue, l'habitant du camp, du campementou du ghetto édifie, dans cet écart, sa part d'unmonde commun qui est encore largement à faire ; etil montre ainsi l'universalité des histoires de recons-truction de soi et des lieux. Le maintenir enfermé dansson refuge originel, c'est nous enfermer nous-mêmes.L'ouvrir, c'est nous sauver tous.

Journal des anthropologues N° 132-133Anthropologie et eau(x) 22 €

L’eau est l’une des ressources qui a la capacité de lier différents domaines du social : le rapport à la nature etau milieu, l’organisation du territoire, les institutions, les relations de pouvoir, les systèmes de valeurs et lesidentités. Étudier l’eau signifie appréhender, à partir de l’appro-priation d’une ressource, les réseaux sociaux, écono-

miques, politiques, culturels ainsi que les formes de dépendance, d’ex-clusion, de solidarité ou de conflit. Au-delà de l’apparente « naturalité » de l’eau,bien d’autres dynamiques se cachent derrière la gestion hydraulique.Ce dossier s’attache à montrer les apports divers de la recherche en anthropo logiesur l’eau. L’eau est appréhendée comme un médiateur relationnel, ce qui en faitun objet heuristique de l’enquête ethnologique alimentant une réflexion globalesur les dynamiques sociales dans le monde contemporain.

Anopheles mosquitoes New insights into malaria vectorsEdited by Sylvie ManguinInTech

Les moustiques Anophèles transmettent les agents du pa-ludisme, maladie qui a causé 660 000 décès en 2010. L’étu-de de ces vecteurs est un élément clé pour la réussite descampagnes de lutte contre cette maladie parasitaire. Unequantité impressionnante d’informations a été accumulée

au cours du siècle passé à laquelle s’ajoutent des avancées rendues possibles parles nouvelles technologies. L’originalité de cet ouvrage de 813 pages est d’offrirla plus vaste compilation de résultats de recherche récents, de nouveaux conceptset d’approches innovantes pour le contrôle des Anophèles. Les 24 chapitres, ré-digés par des experts internationaux dont certains de l’IRD, couvrent tous leschamps de la connaissance sur ces moustiques, tant au niveau spécifique que despopulations et de la biologie du développement aux nouvelles armes d’étude etde lutte contre ces vecteurs.Lien web : http://www.intechopen.com/books/anopheles-mosquitoes-new-insights-into-malaria-vectors

Traites et esclavages en Afrique orientale et l'océan IndienHenri Medard, Marie-Laure Derat, Thomas Vernet,Marie-Pierre BallarinKarthala – 34 €

Aucune région au monde n’a connu une histoire aussilongue de la traite et de l’esclavage que l’Afrique orien-tale et l’océan Indien. Très loin des modèles simplifi -cateurs du complexe atlantique, les sociétés de l’océanIndien ont éprouvé des modalités de traites et des situa-

tions serviles très diverses, où tous les systèmes esclavagistes européens, orien-taux et africains se mêlent. Les Africains et les Malgaches sont majoritaires parmiles esclaves mais ils côtoient des compagnons d’infortune d’origines géogra-phiques extrêmement variées, et en particulier des Asiatiques. Les esclaves sontredistribués et vendus aux quatre coins de l’océan Indien mais aussi vers l’Atlan-tique, alors que se développent en Afrique de façon croissante les logiques serviles qui connaissent leur apothéose à Zanzibar au XIXe siècle. Cetouvrage complète magistralement une historiographie qui demeure largementdominée par les études sur l’Atlantique. Par le biais d’une approche globale,océanique comme continentale, il renouvelle en profondeur les questions de la traite et de l’esclavage ainsi que de leurs mutations complexes du XVe auXXIe siècle dans l’espace de l’Afrique orientale et de l’océan Indien. Il offre ainsiau public francophone une approche novatrice et percutante à partir d’études decas originales et fouillées menées par les meilleurs spécialistes de ces questions.

Le triangle vertLuc Riolon et Brigitte SurugueIRD audiovisuel DVD

Le bambou est un symbole national du Vietnam. Géné-reux, il pousse sur des sols même très pauvres. Nous suivons le Dr Diêp Thi My Hahn, dans le conservatoire de bambous qu'elle a créé, et dans lequel elle collecte et conserve plus de 200 variétés de bambous. Son but,

transformer le Triangle de fer, région dévastée par la guerre en Triangle vert.Grâce à ses qualités biologiques, le bambou pousse très vite et, peut absorber lesmétaux lourds, traiter les eaux usées ou les sols pollués.

Une photo, une rechercheDans les cloches (enceinte métabolique), on observe des huitres perlières (Pinctada margaritifera) et différentes espèces d'épi-biontes (bio-salissures qui se fixent sur les coquilles des huitres perlières). Ces assemblages d'huitres perlières et d'épibiontessont mis en incubation dans le système de cloches et des prélèvements d'eau sont réalisés à intervalle régulier pour analyserle recyclage des nutriments et la consommation de nourriture par ces organismes au cours du temps.La plaquette, tenue par le scientifique, est un porte seringues. Ces dernières servant à réaliser les prélèvements d'eau in situdans les cloches destinés à être analysés en laboratoire. De telles expériences permettent d’évaluer le rôle des assemblages enélevage sur les flux de matières particulaires et dissoutes dans la colonne d’eau et, à plus large échelle, sur la productivité etle fonctionnement de l'écosystème exploité. Ellles conduisent également à préciser l’impact de l’activité perlicole sur les modi-fications du couplage bentho-pélagique et la structure du réseau planctonique. Elles ont été réalisées dans le cadre d’une mis-sion dans les îles Gambier en Polynésie dans le cadre du projet Polyperl. ●

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Science et art : un pont en Avignon

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A frica Unite ! chantait BobMarley en 1979, popularisantle message de générations de

penseurs et de militants noirs et afri-cains… Mais que devient donc aujour-d’hui ce panafricanisme tant invoqué,à l’heure où l’Union Africaine fête ses 50 ans d’existence ? « C’est à lafois un objet de recherche fascinant et complexe, un ensemble de réalisa-tions politiques et de pratiquessociales, et un défi bien concret pourl’avenir », estime depuis Addis-Abeba

l’historienne Giulia Bonacci, spécialistedes diasporas noires. Avec une tren-taine d’intellectuels et de chercheurs,elle a organisé un colloque sur le sujet1

dans la capitale éthiopienne, principalévénement scientifique des cérémoniesofficielles commémorant le cinquante-naire de l’Organisation de l’Unité Afri-caine. Souvent considérée comme l’idéologiela plus ambitieuse produite parl’Afrique pour elle-même depuis leXVIIIe siècle, le panafricanisme est en

nous accueillons toutes les vicissitudesde notre vie d’humain est singulière.C’est très perceptible lorsqu’on envi-sage l’immensité des autres temps,comme celui vertigineux de lapaléoclimato logie. Ainsi, j’ai souhaitémettre en perspective ces deux dimen-sions temporelles, le présent avec lescatastrophes auxquelles nous pouvonsêtre confrontés – dans la pièce un tsu-nami et son impact sur l’individu – etles grands mouvements du monde, àl’échelle de millions d’années.

Sciences au Sud : Comment avezvous reçu l’œuvre écrite par Jean-René Lemoine ? Florence Sylvestre : J’ai été très sur-prise. D’abord parce qu’il a fait de moiun personnage de sa pièce : je suis lafille. C’était assez inattendu. Alors quele champ de la paléoclimatologie, aucentre de notre échange, ouvrait tantd’autres possibilités, il a choisi d’écrireun texte très sensible, très émouvant,d’une grande profondeur humaine, oùil a mis une part de sa vie et une part dela mienne – dont ma propre relationavec ma fille que je n’avais pourtantévoquée et qu’il a su percevoir… Et puisil a su puiser dans ma démarche depaléoclimatologue, fondée sur l’analyse

du passé pour mieux anticiper l’avenirclimatique, afin d’évoquer le perpétuelrenouvellement de la vie. Face à cecycle continuel, il rappelle, à la toute finde la pièce, combien il est important devivre l’instant présent, de profiter del’existence quand tout va bien.

Sciences au Sud : La créativité est-elle un point de rencontre entre lechercheur et l’écrivain ? Florence Sylvestre : Je le pense etc’est précisément cette idée, de la créa-tivité comme point commun à lascience et aux arts, qui m’a donnéenvie de participer à cette expériencede partage. Il y a dans la recherche unepart certaine d’inventivité, un souffled’imaginaire, à côté du cadre rigoureuxde l’approche scientifique. En étudiantle climat passé d’Afrique subsaha-rienne, par exemple, je ne peux quesonger à la vie, à l’environnement deceux qui l’ont occupée jadis. De même,quand j’échafaude des hypothèses detravail, je passe inévitablement par unephase intense de créativité, où l’imagi-naire occupe une grande place.Jean-René Lemoine : Oui, pour moila créativité a été vrai un point de ren-contre. Pendant l’entretien, je ne cher-chais qu’à recevoir, sans songer à

Sciences au Sud : En quoi la dé mar -che du scientifique a-t-elle nourrivotre propre travail artistique ? Jean-René Lemoine : Au-delà de lamise en danger que constitue unecommande pour l’auteur, il y avaitcette rencontre avec une scientifiquedont l’univers est complètement étran-ger au mien. Il s’agissait de voir com-ment je pouvais faire trésor desinformations très précises de FlorenceSylvestre, et arriver à les intégrer pourraconter ce que je raconte toujoursmes obsessions, à savoir une réflexionsur l’existence. Son champs d’investi-gation, la paléoclimatologie et doncl’apparition et la disparition de certainséléments comme des lacs, m’ont per-mis tout de suite de trouver le lien avecle rythme de l’existence, ponctué par lanaissance, la mort, la disparition.

Sciences au Sud : Vous avez su saisirce rapport au temps si particuliercaractérisant l’approche des paléo-climatologues. Est-ce un matériauidéal pour un auteur ? Jean-René Lemoine : En tout cas, çal’a été pour moi, car le rapport autemps m’interpelle au plus haut point.Il me semblait primordial de montrercombien la manière autocentrée dont

réalité né hors du continent. Ses pre-miers promoteurs se trouvent outre-Atlantique, chez les intellectuels noirsdescendants des esclaves africains, auxAmériques et dans les Caraïbes. Parmi eux, Edward W. Blyden, né dansles îles Vierges et émigré au Libéria dès1851, écrit sur l’historicité de l’Afriqueet appelle ses fils et filles emmenéscomme esclaves à un retour sur lecontinent. Ce faisant, il pose les basessavantes et culturelles du panafrica-nisme, portées ensuite par des leaderspolitiques, une myriade d’églises et decongrégations, et relayées jusqu’auXXIe siècle par la musique reggae. Unautre pionnier, l’américain W. E. B. DuBois, premier Noir diplômé de l’Univer-sité d’Harvard, fondateur de l’Associa-tion nationale pour l’avancement desgens de couleur (NAACP), représente ladimension intellectuelle et politique du mouvement. Avec d’autres militants et penseurs, il anime les congrès panafricains qui rythment le début duXXe siècle, essentiellement autour dela lutte contre l’inégalité des races,dans une vision dominée par le spectrede la traite négrière transatlantique et par le colonialisme à l’œuvre enAfrique. « Mais le panafricanismetrouve un second souffle à l’occasion

l’angle que j’emprunterais pour créer àmon tour. Quelque chose de très fort,d’indéfinissable, s’est passé entre nouslors de ce moment partagé. Après, j’aitraversé une espèce de nuit, degouffre, où je m’interrogeais sur lafaçon de transformer cette matière…Ensuite, les choses sont remontéescomme des sédiments, et j’ai pu lestransfigurer, trouver un axe poétiquepour faire réfléchir…

Sciences au Sud : Quelle réflexioncette expérience vous inspire-t-ellequant à la place des sciences et desarts dans nos civilisations ? Florence Sylvestre : Au risque d’em-ployer de grands mots, je crois que cesont les deux piliers de notre humanité.

Chercheurs et intellectuels s’interrogent sur le mouvement panafricain, deux sièclesaprès ses prémisses et cinquante ans après la création de l’Organisation de l’UnitéAfricaine, devenue depuis Union Africaine, son principal organe politique.

La paléoclimatologue de l’IRD, Florence Sylvestre, et l’auteur dramatique haïtien, Jean-René Lemoine, se sont prêtés cette année à l’expérience Binôme. Créée par Thibault Rossigneux, directeur artistique de la compagnie Le Sens des mots1, cette initiative vise à élaborer une œuvre de théâtre à partir d’un uniqueentretien entre un chercheur et un écrivain. La pièce Atlantides était jouée dans le cadre du festival d’Avignon.

C o l l o q u e

Le panafricanisme à l’épreuve du temps

du congrès de Manchester en 1945,quand les Africains se réapproprientfermement l’idéologie produite horsd’Afrique », indique la chercheuse. Le contexte de l’après-guerre s’y prêteparticulièrement, avec les luttes pourl’indépendance. Et naturellement, cesont des figures politiques incarnant lenouveau visage du continent, commeKwame Nkrumah, Julius Nyerere ouAhmed Sékou Touré, qui en sont lesleaders. Les objectifs sont ambitieux :l’indépendance pour toute l’Afrique, laliberté pour les Africains et l’unité poli-tique du continent. La fondation de l’Organisation del’Unité Africaine, à Addis-Abeba enmai 1963, marque la première étapepolitique de cette union des États afri-cains indépendants. « Une fois ces objectifs anticolonialisteset antiracistes atteints, au moins enpartie, le panafricanisme politique serenouvelle et enfourche logiquementl’objectif du développement, transfor-mant l’OUA en Union Africaine en2001 ». Bien sûr, les résultats sontmoins spectaculaires. Les pays africainsne se développent pas vite, malgré desinitiatives ambitieuses, comme leNepad2. « L’avenir du panafricanismeest riche de défis, estime la spécialiste.

Il doit servir de cadre pour agir enfaveur de la paix et de la résolution des conflits, pour créer du lien socialentre élites politiques et peuples, pourassocier les anciennes et les nouvellesdiasporas au développement del’Afrique et pour promouvoir le rôledes femmes. » Si les résultats politiques sont souventmitigés, l’élection d’une femme, lasud-africaine Nkosazana DlaminiZuma, à la tête de la Commission del’Union Africaine est une avancée, tout comme « l’initiative diaspora » del’Union Africaine, lancée en 2002, quicherche à établir un dialogue entre les États africains et les diasporas afri-caines. ●

1. « Être Panafricain / Being Panafrican »,symposium et atelier, 17-19 mai 2013,Union Africaine, Addis-Abeba. 2. Nouveau partenariat pour le développe-ment de l’Afrique, créé en 2001 et portéd’abord par l’Afrique du Sud, le Sénégal,l’Algérie, l’Égypte et le Nigeria.

[email protected] URMIS (IRD, Université ParisDiderot - Paris 7 et Université de NiceSophia Antipolis)

Ils nous permettent de progresser et demieux appréhender le monde. Ils nousnourrissent.Jean-René Lemoine : Pour moi, lethéâtre c’est la philosophie incarnée,pouvoir réfléchir à des questions pro-fondes en leur donnant une formepoétique et ludique. Théâtre et sciencemènent des réflexions sur le présent, lepassé, le futur, sur le changement dumonde, qui me paraissent fondamen-tales. ●

1. www.lessensdesmots.eu

[email protected] de la culture scientifique

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SAS : Que reste-t-il de l’héritagedes pionniers du panafricanismesur le continent comme KwameNkrumah, Ahmed Sékou Touré... ?A. D. : Il reste l’essentiel : l’Afrique s’attache toujours à inventer unmodèle d’organisation à l’échelle d’uncontinent. Cela signifie tenir compted’une très grande diversité de cultures,de milieux et d’économies. À celas’ajoutent les traditions administrativesdistinctes apportées par la colonisationet les résidus des antagonismes de laGuerre froide. Mais, aujourd’hui, lajeunesse de l’Afrique dépasse toutcela. Chaque génération nouvelle pré-cise et approfondit ce que sera cetteAfrique unie qu’espéraient construireles pères fondateurs. L’ambition estbien là, comme le prouve la décision deconstruire une zone africaine de libre-échange d’ici à 2017. Cela dit, il nefaut pas sous-estimer les menaces nouvelles qu’il va falloir affronter – jepense avant tout à ces clivages visant à opposer les fidèles des différentesreligions, d’abord entre ces religions,puis au sein de ces religions elles-mêmes. Nos pères fondateurs n’yavaient pas pensé tant cela était étranger à l’esprit de l’Afrique. Certes,tous les continents ont connu cesguerres faites au nom de Dieu, maisj’espère que l’Afrique saura puiser danssa propre tradition religieuse, faite detolérance et de syncrétisme, pour éviterune telle catastrophe et continuer àbâtir son unité.

SAS : L’Afrique comptera près dedeux milliards d’habitants en 2050.L’avenir de la langue française est-il sur ce continent ? A.D. : Avec plus de la moitié des locu-teurs de français de la planète,l’Afrique est déjà le premier continentfrancophone ! En 2050, 85 % de lapopulation mondiale maîtrisant lalangue française y sera rassemblée.Ceci nous incite à l’optimisme maisnous impose aussi des devoirs. Danstous les pays africains membres del’Organisation internationale de lafrancophonie (OIF), le français coexisteavec les langues nationales. Sa capacitéà fédérer des populations dont leslangues maternelles sont souvent différentes sur un même territoire, ainsique son statut international de langued’accès aux savoirs et à l’information,ont incité une vingtaine de ces pays àle choisir comme langue officielle etlangue principale d’enseignement. Ledéfi de la scolarisation de masse et dequalité, conditions du développementet de la croissance, que les prévisionséconomiques annoncent très positivessur le continent, implique donc trèsfortement les acteurs de la promotiondu français : États et gouvernements,OIF et tous les opérateurs de la franco-

s’approfondir, en particulier dans lecadre de la prévention des conflits surle continent, en faveur de la promotionet de la protection des droits del’Homme ainsi que de l’accompagne-ment des processus électoraux.

SAS : L’accession de NkosazanaDlamini-Zuma à la tête de l’UA

n’est-elle pas le symbole de la nouvelle place des femmes enAfrique ? A.D. : Il est certain que son élection àla tête de la Commission de l’Unionafricaine est un signe fort pour lesfemmes en Afrique puisque c’est lapremière femme à occuper ce posteimportant. C’est aussi et surtout l’élection d’une femme politique d’ex-périence – elle a été ministre desAffaires étrangères d’Afrique du Sudpendant une dizaine d’années etministre de l’Intérieur – et extrême-ment compétente. Avoir une respon-sable de cette qualité, qui met sondynamisme au service de l’organisationcontinentale et porte la voix del’Afrique au sein des instances interna-tionales est une chance pour l’Unionafricaine. C’est un superbe message en cette année où l’Union africainecélèbre son cinquantenaire.

SAS : L’une des ambitions fortes del’OIF est de faire émerger la démo-cratie. Cette dernière doit-elle être pensée ou repensée en fonc-tion de contextes culturels particu-liers ? A.D. : C’est même l’une de ses ambi-tions premières. En l’an 2000, les chefsd’État et de gouvernement membresde la francophonie ont adopté un texteextrêmement fort, un acte fondateurde la Francophonie politique. La décla-ration de Bamako proclame en effetque francophonie et démocratie sontindissociables, qu’il ne saurait y avoird’approfondissement du projet franco-phone sans une progression constantevers la démocratie et son incarnationdans les faits. Cette exigence nous faithonneur. L’OIF œuvre depuis cette dateà promouvoir et protéger les principesuniversels qui fondent la démocratie.Elle a développé et intensifié ses acti -vités en appui à ses États membrespour la consolidation de l’État de droit,la protection et la promotion des droitsde l’Homme ou encore l’organisationd’élections libres, fiables et transpa-rentes. Nous avons su, au fil des ans,développer une expertise francophoneunique et reconnue. Notre objectif estque s’enracinent durablement les fon-dements démocratiques dans chacunde nos pays membres. Cela passe parun travail d’appropriation non seule-ment des principes mais aussi des outilsdémocratiques par nos partenaires surle terrain. La force de l’OIF est, je lecrois, d’être en mesure de proposerune expertise adaptée à chaquecontexte particulier en tenant comptedes réalités et spécificités historiques,culturelles et sociales de chaque pays.La Déclaration de Bamako prenait déjà en considération cette diversité descontextes en établissant que, pour laFrancophonie, les principes universelsintangibles ne présupposent pas pourautant un mode d’organisation uniquede la démocratie mais des formes d’expression qui s’inscrivent dans cettepluralité.

phonie. C’est pourquoi nous devons,comme le prévoit la Politique intégréede promotion de la langue françaiseadoptée par le Sommet de la franco-phonie de Kinshasa, veiller à coordon-ner toutes les actions en faveur dufrançais en les adaptant aux réalités etaux besoins locaux. Ceci passe notam-ment par une meilleure articulationentre le français et les langues natio-nales et la valorisation de celles-ci, toutparticulièrement dans le processus de scolarisation et de formation. Lafrancophonie s’y emploie grâce, parexemple, à son initiative pour la forma-tion à distance des maîtres et à sonprogramme École et langues nationalesen Afrique subsaharienne franco-phone.

SAS : La nouvelle présidente de lacommission de l’Union africaine,Nkosazana Dlamini-Zuma, est anglo - phone. N’est-ce pas là le signed’une érosion de l’influence de lafrancophonie ? A.D. : Très honnêtement, non. Le fran-çais demeure l’une des six langues offi-cielles et de travail de l’Union africaine(UA), avec l’arabe, l’anglais, le portu-gais, l’espagnol et le swahili. Je sais quela présidente de la commission est trèsattachée à cette question du multilin-guisme. Je crois même savoir qu’elleprend des cours de français pour ren-forcer son niveau. Elle est venue mevoir à Paris, au siège de l’OIF ennovembre 2012, un mois à peine après son entrée en fonction. La colla-boration entre nos deux organisationsest très fructueuse. Nous sommesengagés à la renforcer, notammentdans les domaines des droits del’Homme, des élections, mais aussi dela prévention et de la gestion des crises et des conflits sur le continent.Les contacts et les consultations entre les deux organisations sont quo-tidiens.

SAS : Comment voyez-vous le rôlede l’OIF dans ce contexte ? A.D. : L’OIF et l’Union africaine, qui tra-vaillent ensemble depuis de nom-breuses années, ont formalisé leurcoopération dans le cadre d’un mémo-randum signé en mai 2005, qui faitsuite à l’accord conclu avec l’Organisa-tion de l’unité africaine en juillet 2000.Grâce à notre représentation perma-nente auprès de l’Union africainebasée à Addis-Abeba, l’OIF, associéeaux travaux conduits par l’UA, organisede nombreuses actions conjointes avec les différents départements. Nousmenons des concertations régulières, àParis, à Addis-Abeba et dans les capi-tales africaines, sur l’ensemble des pro-blématiques d’intérêt commun pournos deux espaces, en particulier dansles domaines de la paix, de la sécuritéet de la gestion des crises, mais aussisur les grands enjeux de développe-ment du continent africain. Nous déve-loppons également, et de plus en plus,des activités conjointes, dans un soucid’efficacité sur le terrain, de complé-mentarité et de cohérence. Je pensenotamment au déploiement de mis-sions d’évaluation technique dans certains de nos États membres ensituation de crise ou de consolidationde la paix. La pertinence de cettecoopération ne s’est jamais démentie,bien au contraire. Elle a vocation à

� Suite de l’interview d’Abdou Diouf

« La francophonie a un brillant avenir devant elle »

Entretien

Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 70 - juin/juillet/août 2013

SAS : La culture est également unenjeu majeur de l’OIF. Quelle placeaccordez-vous à la culture scienti-fique et aux sciences dans votreaction ? A.D. : Vous mettez le doigt sur un deces paradoxes que nous lègue l’histoirede la francophonie. Avant que l’OIF

n’existe, les réseaux universitaires(AUPELF, UREF, puis AUF) et les réseauxliés, comme la Conférence des Doyensdes facultés de médecine, ont assuré lerayonnement de la culture scientifiquefrancophone. Mais cela s’est fait defaçon relativement dispersée, sans parvenir à une masse critique au niveauinternational, sauf dans certainsdomaines tels que les mathématiquesou les sciences sociales. De ce fait,nous avons un défi majeur à releverdans de nombreuses disciplines scienti-fiques : les principales revues sont enanglais et il est presque inévitable depasser par elles pour se faire recon-naître. C’est seulement après l’adop-tion successive de la Charte d’Hanoï,créant l’OIF en 1997, et de la Charte deTananarive, fusionnant l’OIF et l’Agenceintergouvernementale de la franco -phonie en une seule organisation dépo-sitaire du Traité fondateur de Niamey,de 1970, que le Sommet de Montreux,en octobre 2010, a adopté l’article 40de sa déclaration : « Nous entendonsvaloriser le français en tant que languetechnique, scientifique, juridique, éco-nomique et financière. Dans cet espritl’OIF, en coordination avec l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) etdes autres opérateurs et instances de laFrancophonie, soutient la création et ledéveloppement de réseaux franco-phones dans des domaines tels que l’in-novation, la normalisation, les nouvellestechnologies, la santé et l’économie. »Le développement du Réseau mondial,les nouveaux modes de publication et de diffusion sur la Toile, les outilsmobiles d’accès peuvent nous per-mettre de modifier un modèle fondésur une capitalisation centralisée, etbientôt centenaire, des connaissanceset de prendre part à la constructiond’un réseau des savoirs beaucoup plusdivers. L’OIF peut et doit être un desacteurs majeurs de cette nouvelle orga-nisation des savoirs, comme elle l’a étédans la prise en compte de la diversitéculturelle, par la mise en place d’uneConvention mondiale.

SAS : Que pensez-vous du projet,actuellement débattu en France, de dispenser les cours en anglaisdans l’enseignement supérieur ? A.D. : En tant que Secrétaire général dela Francophonie, je n’ai pas à commen-ter les politiques de nos États et gouver-nements. En revanche, la Francophonieencourage tous ses membres à prendretoutes les mesures possibles pourconsolider la place du français commegrande langue internationale, langue dusavoir, de l’expertise et du transfert deconnaissances et des technologies.Nous avons la conviction que la langueet la culture françaises constituent unavantage comparatif et un atout attrac-tif pour les étudiants. Parallèlement, laFrancophonie se fait forte de soutenir lemultilinguisme dans la vie internationaleet notamment dans les organisationsinternationales et le mouvement olym-pique. Nous restons convaincus quel’uni linguisme va à l’encontre du droit

fondamental de chacun de communi-quer dans une langue et selon uneapproche qui lui permettent aisémentde partager sa vision du monde. Lechoix de l’unilinguisme, souvent pré-senté comme celui de la commodité, de l’efficacité budgétaire ou encore de la modernité, constitue pour nous l’acceptation d’un appauvrissement dessavoirs, des expertises et des modes deréflexions.

SAS : La 7e édition des Jeux de laFrancophonie s’ouvrira en sep-tembre à Nice. Que représente-t-elle à vos yeux ? A.D. : Organisés tous les quatre ans,les Jeux de la Francophonie invitent la jeunesse de l’espace francophone àse rencontrer au travers d’épreuvessportives et de concours culturels. Auxexploits des sportifs répondent le talentet la créativité des artistes. Les sitessportifs, les aires d’expression cultu-relles et le village des Jeux sont autantde lieux d’échange et de dialogueentre les participants. D’une manièregénérale, ces Jeux favorisent l’émer-gence de jeunes talents artistiquesfrancophones sur la scène artistiqueinternationale et contribuent à la préparation de la relève sportive fran-cophone. La présence de ces 3 000jeunes venus des cinq continentsconstitue aussi un formidable messaged’espoir. Alors que le monde est enproie à des déchirements, à des dispa-rités énormes, notamment entre leNord et le Sud, ces sportifs et artistesnous donnent une belle leçon de diversité, de solidarité et de partage.Ces jeunes nous montrent la voie, indi-quant le chemin de demain qu’il nousfaut emprunter par un message qui est d’abord celui de l’amour de la vie.Ils sont le reflet de la solidarité et dupartage exercés au sein de notre Orga-nisation. Au-delà de ce grand rassem-blement réunissant les jeunes du mondeentier dans un esprit festif, ces Jeuxconstituent une vitrine formidable pourla francophonie. Ils permettent de véhi-culer des messages forts à travers lesmédias, comme les valeurs de cette7e édition placée sous le signe de la soli-darité, de la diversité et de l’excellence,mais aussi celles, chères à l’OIF, de paix,de diversité culturelle et linguistique.

SAS : Comment voyez-vous la fran-cophonie dans 20 ans ? A.D. : Je crois fondamentalement quela francophonie a un brillant avenirdevant elle, notamment parce qu’elleest une pionnière. C’est une organisa-tion internationale qui, basée sur lepartage d’une langue, a pour vocationde faire émerger un projet politique ethumaniste à l’échelle de la planète,tant à travers les actions qu’elle mèneau sein de ses États membres, qu’à tra-vers la magistrature d’influence qu’elleexerce sur la scène mondiale. Adopterune langue, c’est en effet choisir unecivilisation et adopter la vision dumonde qui l’accompagne. Notre com-bat pour la langue française, qui estnotre ciment, est plus largement uncombat pour toutes les langues face, ilfaut bien le dire, à une langue domi-nante, qui, pour l’heure, est l’anglaismais, qui demain, pourrait être le man-darin ou l’espagnol. ●

1. OUA devenue en 2002 UA.

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