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« L'esprit de l'Assomption se résume dans ces quelques mots : l'amour de Notre-Seigneur, de la Sainte Vierge, sa Mère, et de l'Église, son Épouse. En ma qualité de religieux, je suis plus spécialement le serviteur de Jésus Christ, et toutes les affections de mon cœur, toutes les puissances de mon être doivent tendre vers lui. Voilà ma vie ! » Père Emmanuel d’Alzon 1810-1880 Vienne Ton Règne Emmanuel d’Alzon des Augustins de l’Assomption et des Oblates de l’Assomption

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« L'esprit de l'Assomption se résume dans ces quelques mots :

l'amour de Notre-Seigneur, de la Sainte Vierge, sa Mère,

et de l'Église, son Épouse. En ma qualité de religieux,

je suis plus spécialement le serviteur de Jésus Christ, et toutes les affections de mon cœur,

toutes les puissances de mon être doivent tendre vers lui.

Voilà ma vie ! »Père Emmanuel d’Alzon

1810-1880

Vienne Ton Règne

Emmanuel d’Alzon

des Augustins de l’Assomptionet des Oblates de l’Assomption

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Assomptionnistes,nous sommes des religieux vivants

en communauté apostolique. Fidèles à notre fondateur, le père Emmanuel d’Alzon,

nous nous proposons avant tout de travailler, par amour du Christ, à l’avènement du règne de Dieu

en nous et autour de nous.

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Quand Dieu voit son peuple dans lebesoin, il appelle des hommes. Il leurdonne la grâce de sentir, d’aimer commeLui. Et la force d’entreprendre. Il lesappelle et il les envoie.

Dans l’Église du XIXe siècle, Emmanueld’Alzon, fondateur des Augustins del’Assomption – les assomptionnistes – etdes Oblates de l’Assomption, est un deces hommes. Sensible, par nature et pargrâce, aux grandes mutations de sonpays et du monde après la Révolutionfrançaise, il souffre partout où Dieu estmenacé dans l’homme et l’hommemenacé comme image de Dieu.

Sa passion pour la venue du royaumede Dieu, sa passion pour Jésus Christet pour tout ce que Jésus Christ aime,il se sent poussé à les partager avec des

laïcs d’abord, avant de les partager avecses frères et sœurs assomptionnistes.Emmanuel d’Alzon les sensibilise auxgrandes causes de Dieu, et de l’hommede leur temps. Il les pousse dans desvoies nouvelles et audacieuses : missiond’Orient, journalisme, pèlerinages, sémi-naires pour pauvres, etc.

Mais avant toute chose, il les invite dansun seul et même mouvement à « cher-cher le règne de Jésus Christ en eux etautour d’eux ».Après son fondateur, l’Assomption acontinué et elle veut poursuivre sonœuvre, par amour du Christ et pourque vienne le règne de Dieu.

Père Hervé Stéphan, assomptionniste,supérieur général 1975-1987

Emmanuel d’Alzon,un passionné du règne de Dieu

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Le père Emmanuel d’Alzon, vousconnaissez ? Si vous habitezNîmes ou sa région, peut-être

en avez-vous entendu parler un jour,à l’occasion. Cet homme du XIXe

siècle (1810-1880), mérite pourtantmieux qu’une mention marginaledans un livre d’histoire et sa congré-gation, les Augustins de l’Assomp-tion, fondée en 1845 à Nîmes, plusque le traditionnel coup de patte à laDaniel-Rops, à la suite des affronte-ments qui ont envenimé l’affaireDreyfus à la fin du XIXe siècle et audébut du XXe. À cette époqued’ailleurs, il y avait vingt ans que lepère d’Alzon avait quitté cette terre.

Fils des Cévennes, méridional d’ori-gine, d’allure, mais aussi d’esprit, telpeut être défini géographiquement et

psychologiquement l’homme d’É-glise, vicaire général de son diocèsependant quarante ans, qui fonda lesdeux familles religieuses des Augus-tins de l’Assomption, appelés pluscouramment assomptionnistes(1850), et des Oblates de l’As-somption (1865). Il participa aussifortement à la naissance des Reli-gieuses de l’Assomption (1839).Toute sa vie durant, Emmanuel d’Al-zon déborda d’activités, d’initiativeset de projets, n’hésitant jamais àmener tout de front. Il trouvait saforce dans les longues heures pas-sées à la prière.

Remontons le temps jusqu’au jourde sa naissance pour découvrir savie, et mieux comprendre son par-cours à l’Assomption.

Le père Emmanuel d’Alzon

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désastres de la guerre d’Espagne etde la déroute de Russie.Que d’histoires ne devait-on pasraconter en famille, à la veillée, surtous les faits majeurs ou mineurs quiavaient émaillé plus de vingt-cinq ansde soubresauts politiques. Au Vigan,on aimait se rappeler le passage d’uncardinal noir, Giulio Gabrielli, éloignéde la cour pontificale elle-même pri-sonnière à Fontainebleau, qui avaitbénéficié de l’hospitalité des d’Alzonet comme prédit dans une bénédic-tion, le destin de l’enfant de la famille.

Au château de LavagnacEn 1816, le château de Lavagnac(près de Montagnac dans l’Hérault)racheté en 1790 par les Faventineaux héritiers des princes de Conti,et fortement restauré, peut accueillirles d’Alzon dans un cadre moins aus-tère que celui du Vigan. À proximitécoule l’Hérault, excellent bassin denatation aux heures chaudes de l’été.Le large domaine agricole lié au châ-

teau permet à la famille de vivre derentes et de fermages sans souci dulendemain et de tenir son rang aucœur de la belle société languedo-cienne. Le vicomte Henri d’Alzon selaisse même tenter par les démonsde la politique et se fait élire haut lamain au scrutin censitaire à plusieursreprises.

Chances et exigencesOn pourrait déduire de cette pré-sentation qu’Emmanuel d’Alzon n’aconnu dans sa jeunesse que lesdélices de Capoue. Il a eu, c’est vrai,la chance d’accéder aux biens d’uneculture d’élite et d’une bonne édu-cation ; il a bénéficié des avantagesde sa naissance : l’aisance, les rela-tions, l’affranchissement d’un métiermanuel absorbant. Mais ce seraitoublier trop rapidement que sonmilieu pratique aussi les devoirs liésà sa charge, selon une conceptionpropre à un idéal chevaleresque d’hon-neur et de responsabilité chrétiens.

Emmanuel d’Alzon est né dansune famille aristocratique, parson père Henri, les Daudé d’Al-

zon, de noblesse récente et desouche viganaise, quasi ruinée à laRévolution. Au XVIII

esiècle, la branche

aînée avait préféré quitter la rudessecévenole pour gagner les vastesplaines ensoleillées du Languedoc.Par sa mère (Faventine de Montre-

don), Emmanuel d’Alzon appartenaità un nom fameux de cette bour-geoisie enrichie par les offices etennoblie de fraîche date que la Révo-lution poursuivit d’une haine venge-resse. Quand Emmanuel voit le jour,le 30 août 1810, dans la maisonancestrale de la Condamine au Vigan,la France vit les derniers beaux joursde l’Empire avant le crépuscule des

Un air de jeunesse dorée

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Le vicomte d’Alzon étant amenéà vivre à Paris pour sa fonctionde député dès 1817, il fut

décidé que toute la famille s’y implan-terait pour le temps scolaire à partirde 1823. C’est ainsi qu’Emmanuelquitte pour la première fois son cherMidi. Ce départ est le prélude à denombreux voyages dans sa vie. Sesparents choisissent pour lui lesmeilleurs établissements scolaires dela capitale, le premier, public selon laterminologie du temps (Collège Saint-Louis, sur le boulevard Saint-Michel),le second, privé (Collège Stanislas,dans le quartier de Notre-Dame desChamps). Public à l’époque ne signi-fiait pas laïque, et privé n’était pasassimilé à une confession particulière.Après un petit temps d’adaptation(ville, rythme), Emmanuel s’enthou-

siasme pour la formation intellectuelleet spirituelle reçue dans ces collèges,préférant ce milieu ouvert, stimulant,collectif, à celui du préceptorat, qua-lifié par la suite de « serre-chaude » :strictement familial et individuel. Ils’en inspirera volontiers lorsque lui-même se trouvera à la tête d’unebelle institution scolaire à Nîmes, leCollège de l’Assomption à partir de1844. Il n’aura de cesse de conseilleraux parents de préférer pour leursenfants ce milieu éducatif large etsocial qu’est le collège, forme d’édu-cation collective, à toutes les formesanciennes usitées dans les classesaisées d’autrefois.

Un système scolaireL’éducation reste encore au XIXe

siècle un privilège de classe, surtout

Quand la Providence place un élu ausommet de l’élite sociale, ce n’est paspour le faire bénéficier égoïstementdes avantages de sa position, maispour lui apprendre, sa vie durant, àvenir en aide à ceux qui auront besoinde lui sur leur route.

Une famille unieOn reste toujours l’enfant de safamille. Cet adage s’est vérifié pourEmmanuel. Il a tiré de son milieu ungrand équilibre psychologique etaffectif. Les liens qui l’ont uni à sesparents et à ses deux sœurs, Augus-tine et Marie, sont restés profondset bénéfiques.Par sa sœur Marie, mariée au comtede Puységur, Emmanuel a connu lesjoies de la vie familiale prolongée quise perpétue par une descendance.Trois neveux et nièces ont donné àses fréquents séjours à Lavagnac l’airet le tonus de ressourcements biennécessaires au milieu de ses conti-nuels tracas et obligations de charges.

Une formation d’élite soignée

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scolaire et l’interdiction d’enseigne-ment pour les membres des congré-gations. Le père d’Alzon vit cettequestion non en spectateur mais enacteur militant et engagé. C’estmême une des passions de sa vieque partagent toujours bien desfamilles de notre temps, soucieusesde donner à leurs enfants la meilleureforme d’éducation et de préparationà la vie par le relais de l’institutionscolaire qui ne cesse aussi d’élargirses horizons, ses méthodes et sesprogrammes. Il a même la satisfactionde voir aboutir le projet de loi sur laliberté de l’enseignement supérieur(loi Laboulaye, 1875), même si soncontenu va en être rapidementpresque vidé par le nouveau courspolitique après 1879. On s’interdiraiten tout cas de comprendre la vie etl’action du père d’Alzon, comme dela première Assomption, si l’on enexcluait cette dimension éducativeet scolaire qui fut au cœur de leurexistence respective.

à partir du niveau secondaire. L’en-seignement primaire progressecertes, grâce notamment à la proli-fération des congrégations religieuseset à certaines formes de socialisationdes campagnes. La bourgeoisieurbaine, de tradition assez anticléri-cale, n’hésite pourtant plus à confierses garçons aux institutions religieusesdes « bons pères » (jésuites, notam-ment) et ses filles aux couvents,d’ailleurs recherchés plus pour l’ap-prentissage des « bonnes manières »que pour la performance scientifique.L’État français qui se préoccupe alorsplus d’enseignement que d’éduca-tion, encourage les communes àouvrir des écoles primaires (loi Gui-zot, 1833), multiplie les collèges mas-culins dans les villes et les gros bourgsqui servent de pépinières aux futurscadres de la fonction publique et desprofessions libérales, mais abandonnevolontiers le gros des effectifs surnu-méraires des régions à l’encadrementecclésiastique : petits séminaires, col-

lèges privés, institutions et pensionsde tous ordres (loi Falloux,1850). Cependant, sous le Second Empire,croît l’animosité des milieux laïcs etuniversitaires envers ce délestagefacile des autorités de l’État et l’acca-parement d’une fraction de la jeu-nesse hors du champ de l’Alma Materofficielle et publique. Ainsi se déve-loppe en France un clivage de plusen plus exacerbé entre les tenantsd’une liberté éducative sans contrôleétatique et les partisans d’une laïcité,soucieuse d’exclure clergé et congré-gations de tout service d’enseigne-ment et d’encadrement scolaire.

En 1883, les lois Ferry en proclamantl’enseignement primaire, public, gra-tuit et laïque, inversent le processuset le consensus politique et idéolo-gique mis en place jusque-là depuisles lendemains de la Révolution.Une laïcité conquérante et mêmesectaire se donnera pour missionl’exclusion des religions du champ

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chez Emmanuel d’Alzon n’est pas le faitd’un émoi juvénile ou d’un attrait plusou moins sentimental, mais celui d’uneconscience mûrie qui pèse et évalueles enjeux sociaux d’un état de vie.

Devenir prêtre, c’est pour lui s’en-gager à agir et à transformer lasociété, selon les moyens, lesconceptions et les méthodes dumilieu ecclésial du temps.

Emmanuel compte beaucoup audépart sur le bouillonnement d’idéesnouvelles qui se font jour autour deLamennais et qui cherchent à libérerou à dédouaner le lien religieux deses anciennes attaches ou servitudesmonarchiques et gallicanes.

Servir DieuServir Dieu dans la société sans s’in-féoder à ses traditionnels supports,inventer de nouvelles relations avecles couches sociales issues de la Révo-lution et éloignées de l’Église. C’estdans la méditation et la solitude deLavagnac qu’il accueille au fond delui le don d’une vocation sacerdotaleà laquelle ne le prédisposent parti-culièrement ni ses goûts, ni ses habi-tudes, ni son entourage. Il sait fairepreuve en ce domaine d’une grandeliberté pour ne pas rester prisonnierdes préjugés de son milieu.

Retraite intellectuelleet spirituelleIl fait même du temps passé à Lava-gnac entre 1830 et 1832 une sortede retraite intellectuelle et spirituelleprolongée, lisant la Bible et les grandsauteurs de la Tradition chrétienne, àla recherche de Dieu, à la recherchede lui-même, mais aussi des accents,des attentes et besoins nouveaux que

Comme tout adolescent,Emmanuel a les questionne-ments et les incertitudes de la

jeunesse. Vers quelle professions’orienter ?

Militaire ou magistrat ?Il aime les livres mais aussi les armes.Dans sa famille, la profession militaireest de tradition. Les parents contre-carrent cette orientation peut-êtresuperficielle chez leur fils, et l’engagentà regarder plutôt du côté du droitqui peut ouvrir vers les carrières dela magistrature et de la politique.

C’est sans conviction qu’Emmanuelcommence en 1828 à Paris des étudesuniversitaires de droit, vite abandon-nées (1830), en raison des événe-ments. Déjà, dans son cœur, une autre

cause prend peu à peu le dessus, moinsune carrière plus ou moins d’oppor-tunisme qu’un projet de vie intégral,ne sectionnant ni la vie, ni la pensée, nil’activité mais les ordonnant autour dece qu’il appelle lui-même une idéemère : le rôle et la place de Dieu danssa vie, pour la société. Il s’en ouvre à desprêtres dont le fameux Félicité deLamennais, et à des amis d’études pari-siens (d’Esgrigny, Gouraud, de La Gour-nerie) qui, tous, lui conseillent d’at-tendre. Il préfère mettre ce projet àexécution sans traîner, mais après avoirpris le temps quand même de vivredeux années de réflexion, en solitudeet en famille, loin des bouleversementspolitiques et médiatiques (1830-1832).

Devenir prêtre ?L’idée d’une vocation sacerdotale

Du choix d’une carrièreà l’accueil d’une vocation

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Devenir prêtre,c’est pour lui s’engager à agir et à transformer

la société.

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Après avoir tergiversé, finale-ment, Emmanuel retientcomme choix de formation

le grand séminaire de Montpellierà la mi-mars 1832, séminaire réou-vert depuis une dizaine d’annéesgrâce au Concordat napoléonien(1802).Le choc est assez rude pour l’élé-gant jeune homme, racé, frotté auxamitiés parisiennes et habitué auxvoltiges intellectuelles plus aéréesque celles d’un milieu assez fermé.Ce qui le fait surtout souffrir, c’estson amitié pour Lamennais et sesidées libérales fortement combat-tues par l’évêque du lieu, Mgr Four-nier de la Contamine, et quelquesprofesseurs encore acquis auxidées gallicanes.

À la fin de l’année scolaire 1833,après avoir reçu les ordresmineurs, Emmanuel opte pourl’enseignement de Rome afin depoursuivre ses études théolo-giques. Par la suite, il reconnaît lesbienfaits de son séjour montpel-liérain : l’enseignement de l’abbéGinoulhiac, futur évêque, l’amitiébienveillante de quelques ensei-gnants à peine plus âgés que lui (lesabbés Fabre et Vernières), la com-pagnie somme toute éclairée dequelques séminaristes dont le futurabbé Soulas et un apprentissagerégulier d’une piété liturgique(sacrements, offices). Sa corres-pondance avec sa famille nous ren-seigne parfaitement sur l’atmo-sphère, les méthodes et lesconditions de vie propres à un

la société ne cesse d’engendrerdepuis le choc révolutionnaire. Onsent à ce moment un Emmanuel plusouvert à de nombreuses questions

de société restées sans réponse, plu-tôt qu’un jeune homme déjà enfermédans les certitudes faciles de tous lesdogmatismes.

L’expérience éprouvantedu grand séminaire à Montpellier

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En novembre 1833, voilà doncEmmanuel en route pourRome, centre du catholicisme

et alors capitale des États pontificaux.Il loge dans le couvent des Minimesprès de la Place d’Espagne et suitquelque temps des cours à la Gré-gorienne. Sur le conseil de quelquesamis cardinaux et théologiens(Micara, Mazzetti, Olivieri), Emma-nuel ne tarde pas à travailler en auto-didacte en chambre, faisant contrô-ler ses notes de lecture. Il se livreaussi avec joie à la découverte de laVille éternelle, de ses ruines antiques,de ses richesses architecturales etpicturales, profitant aussi de la vieliturgique animée. Il se lie d’amitiéavec le jeune Mac-Carthy, alorsséminariste anglais et le futur cardi-nal Wiseman, tout en cherchant à

ne pas se disperser par de trop nom-breuses obligations ou relations plusou moins mondaines auquel sonnom lui permet de se prêter. Sonsens de l’observation toujours enéveil, il ouvre son intelligence et safoi aux réalités plus larges de l’Égliseuniverselle. Mais le pontificat de Gré-goire XVI, initié en 1831, est aussimarqué par un net penchant conser-vateur, méfiant au départ puis ouver-tement hostile à tout bouleverse-ment libéral qui met en cause lestatu-quo politique d’une péninsuleitalienne divisée en sept États.

L’épreuve menaisienneL’affaire menaisienne, portée mal-adroitement en Cour de Romeentre 1832 et 1834, dans cecontexte de crispation antilibérale,

grand séminaire du temps. Lascience théologique ne s’est tou-jours pas remise de la rupturerévolutionnaire. On y vit, selonEmmanuel, trop à l’écart dubouillonnement intellectuel qui agiteles cercles les plus éclairés de l’in-telligentsia du temps et surtout des

attentes religieuses nouvelles de lapopulation. Grâce à la complicitéde quelques prêtres, il suit l’évo-lution des mentalités en lisant à ladérobée quelques journaux pro-hibés dont celui de Lamennais,L’Avenir, fondé en novembre 1830,qui ne tarde à sentir le souffre.

Le bonheur d’être prêtre,la souffrance pour et par l’Église

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est une cause de grandes souf-frances pour Emmanuel qui éprouvejusque-là une grande sympathiepour le prêtre symbole d’une évo-lution en consonance avec lesidéaux de son temps. Il découvreque la Rome ecclésiastique est aussiun centre d’intrigues politico-reli-gieuses où l’Évangile ne tient pastoujours la première place et où ladiplomatie vaticane joue de contor-sions assez contestables envers lespuissances du monde. Quand ilapprend l’évolution personnelle deLamennais se détachant de sesengagements ecclésiaux, alors quelui, Emmanuel, s’achemine vers lesacerdoce, son cœur se trouveécartelé entre sa confiance amicalepour l’homme et sa fidélité moraleenvers l’Église.

Fidélité sans inféodationSur place, au cœur des controverseset des condamnations, il cherche àmaintenir sans reniement, sans inféo-

dation non plus, son amour de l’Église et son amitié pour Lamen-nais jusqu’à la rupture consomméede ce dernier. Cette expérience puri-fiante lui montre à quel point il estsage de travailler pour Rome tou-jours, contre jamais, mais quelque-fois sans.

Ordonné prêtreIl ne dévie pas de sa recherche spi-rituelle et connaît le bonheur d’êtreordonné prêtre, en privé, par le car-dinal Odescalchi au lendemain deNoël 1834. Bien décidé à faire pas-ser en priorité dans sa vie les intérêtsspirituels de l’Église avant toute autreconsidération politique ou partisane,il a la joie d’être reçu en audiencepar le pape Grégoire XVI et met finà son premier séjour romain enmai 1835. Il retrouve avec joie etaffection sa famille à Lavagnac, heu-reuse de bénéficier des prémices deson sacerdoce après plus de dix-huitmois d’absence.

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qui n’interdisent pas un franc échangeverbal, une libre discussion des idéeset un zèle apostolique indéniable.L’œcuménisme n’est alors pas demise, ni de part ni d’autre, mais despositions doctrinales confessionnellestranchées savent s’accorder sur leterrain de la vie publique de relationshumaines sinon toutes amicales, dumoins certaines agréables (de Larcy,de La Farelle et Girard).

Des grands projetsTrois activités sollicitent fortementl’abbé d’Alzon à partir de 1843 :l’installation d’un carmel à Nîmes,une relation privilégiée de directionet d’amitié spirituelles avec unejeune fondatrice à Paris, mèreMarie-Eugénie de Jésus, connue en1838 par l’entremise du fameuxabbé Combalot, et la reprise d’uneinstitution scolaire en perte devitesse, la maison de l’Assomptiondont il veut faire un prestigieux col-lège catholique libre, le Collège de

l’Assomption. Cette expérience dedirecteur d’établissement multiplieles relations de l’abbé d’Alzon avecdes centaines de parents d’élèvesprovenant de toute la région de laProvence-Languedoc, le met encontact journalier avec des jeunesqui deviennent ainsi son milieu natu-rel de vie jusqu’à sa mort et appro-fondit chez lui la conception d’uneéducation chrétienne qu’il n’hésitepas à assimiler au travail de l’Incar-nation : former Jésus Christ dansles êtres. Tout ce que Nîmescompte de notabilités, mais égale-ment le petit peuple des artisans etdes ouvriers nîmois n’ignore pas ledynamisme de ce prêtre entraînantqui songe maintenant à adopter lesmœurs de la vie religieuse, aiguillon-nées par l’esprit apostolique desReligieuses de l’Assomption, elles-mêmes exercées aux œuvres del’éducation et aux ferveurs de la viecommunautaire.

Après une entrevue avecl’évêque du diocèse de Nîmes(1835), Mgr de Chaffoy lequel

le dissuade sans équivoque de touteforme d’apostolat auprès des milieuxprotestants, l’abbé d’Alzon gravit rapi-dement les échelons de la respon-sabilité ecclésiastique. Promu cha-noine et vicaire général honoraires,il prend vite la mesure de sa nou-velle insertion et se livre sans ména-gement à toutes les animations de lavie chrétienne locale, avec une pré-dilection marquée pour le monde dela jeunesse, au point d’attirer sur luides jugements peu amènes. Sonentrain et son zèle se déploient avecune liberté et une énergie peu com-munes, bousculant les routines bienassises du monde ecclésiastique.

Vicaire généralLe successeur de Mgr de Chaffoy, unautre Franc-comtois, Mgr Cart, le choi-sit délibérément en 1839 commevicaire général en titre malgré sa jeu-nesse, sa relative impréparation pas-torale et un tempérament diamétra-lement opposé. L’abbé d’Alzon refusede loger au palais épiscopal, gardantainsi une liberté de domicile en villeet une marge de manœuvre assezindépendante qui lui permettent unrythme de vie plus à l’unisson de sesgoûts.

Le souci de l’unitéSa préoccupation envers les protes-tants du Midi le fait plus d’une foismonter en chaire et polémiquer, maistoujours avec cette courtoisie et avecce sens des relations personnelles

Au service du diocèse de Nîmes

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150 communautés dans huit provincesou vice-provinces, dont les languesde communication usuelles épousentune variété de terres et de culturesreprésentée aussi bien en Afriquequ’aux Amériques ou en Asie. Unemosaïque réelle d’une humanité inter-nationale qui cherche à vivre dansl’unité d’un esprit de fondation à la foisévangélique et typé, au serviced’églises locales et de populations sou-vent en quête de développement.

Bien que née nîmoise et française, ausein d’une structure d’enseignement,la congrégation des Augustins de l’As-somption doit à la foi de son fondateuret de ses premiers religieux la grâced’une ouverture spirituelle et aposto-lique qui cherche sans cesse à dépas-ser les marques toujours restreintesde son berceau. Ce ne fut tout aulong de son histoire ni sans souffrances,ni sans incertitudes, ni sans ruptures,ni, même sans métamorphoses. Duvivant du père d’Alzon comme reli-

gieux, entre 1845 et 1880, on necompte pas moins de 21 fondationsou implantations dont sept furent trèséphémères, avec un maximum jamaisdépassé de 73 religieux affectés à desœuvres aussi diverses que collèges,orphelinats, paroisses, maisons deformation et alumnats (petits sémi-naires), missions lointaines, prédica-tion, presse et pèlerinages. C’est direaussi que cette unité de vie et d’es-prit est dès les origines un combatmultiforme, conduit au nom de l’Évangile et des appels de l’Église dutemps.

Un triple amourL’Assomption incarne ce vigoureuxesprit de foi qu’elle développe sousles traits de l’amour du Christ, de laVierge et de l’Église, sous une ban-nière dont elle fait toujours sa devise :Adveniat Regnum Tuum, A.R.T., uneexpression tirée de la prière mêmede Jésus dans le Notre-Père : « Quevienne ton Règne. »

Le Collège de l’Assomptiondevient à partir de 1845 le ber-ceau de vie d’un fondateur.

Grâce à l’aide de courageux etdévoués laïcs, Monnier et Germer-Durand notamment, tous deux uni-versitaires agrégés, l’abbé d’Alzondevenu le père d’Alzon malgré lesatermoiements de son évêque, al’inspiration de créer au sein de soncollège un mouvement spirituel quis’inspire des anciens ordres religieux,sous le patronage de saint Augustin,conjuguant à la fois la ferveur d’unevie religieuse imitée du monastèreet le zèle apostolique conquérant descongrégations modernes. Une asso-ciation de style tiers-ordre, agrégehommes et femmes laïcs aux activi-tés pastorales de la jeune Assomp-tion. Celle-ci, comme famille reli-

gieuse masculine, voit le jour la nuitde Noël 1845, dans l’humilité d’ori-gines presque cachées, à la façon dela Nativité de Bethléem. Le grandvicaire d’Alzon, entouré de quatrecompagnons, le Lozérien Henri Brun,le Parisien Victor Cardenne, le Franc-comtois Étienne Pernet et le Nor-mand Hippolyte Saugrain, vontcontre vents et marées persévérerdans leur engagement religieux jus-qu’à la profession des premiers vœuxà Noël 1850, autorisés in fine parMgr Cart plus que réticent.

Ouverture internationaleCette fondation bien modeste audépart donne naissance à une nou-velle famille dans l’Église, aujourd’huidisséminée dans vingt-sept pays auxquatre coins de la planète, répartie en

Une aventure évangélique :l’Assomption

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peut demeurer que comme un hori-zon et un idéal en tension perma-nente. C’est vrai qu’à l’Assomptionquelques « terres humaines » ontconnu ses préférences, ses marquesou ses rêves historiques : pensons àla Turquie, aux Balkans, à la Russie etmême à la lointaine Mandchourie,mais l’Assomption ne peut fermer lesyeux sur la nostalgie de ses terresd’élection d’antan. L’actualité l’aconduite à travailler d’une foi géné-reuse en direction de terres incon-nues ou à découvrir : Madagascardepuis 1953, le Congo dès 1929,l’Amérique latine à partir de 1890 oule Mexique en 1948, ceci sans pré-judice des terres vierges d’aujour-d’hui ou de demain : l’Est africain(Tanzanie et Kenya), l’Équateur(1996), la Corée du Sud (1991) etdéjà les Philippines, le Togo et le Viet-nam (2006), avec l’aide de Dieu, sousle patronage de Notre-Dame deSalut et avec l’ardeur de pionniersmissionnaires.

Une règle de vieL’histoire humaine et spirituelle d’unhomme exceptionnel n’engendre pasd’elle-même la survie d’un corps social.Pour affronter le cours de la durée etlui insuffler une authentique sève évan-gélique, l’Assomption doit se donneret recevoir la nourriture de sa routereligieuse. Des premières Constitu-tions élaborées entre 1855 et 1865par le père d’Alzon et les chapitresgénéraux, reprises entièrement en1923 au prix de sacrifices déchirants,que de formulations de cet esprit fon-dateur jusqu’à l’actuelle Règle de vie,éditée en 1983 ! Ce que les textes nesauront jamais totalement exprimer,c’est le poids et l’enjeu de milliers defidélités que l’Assomption a suscitées,encouragées et sollicitées hier, aujour-d’hui et demain pour l’Adveniat duRègne. La vie religieuse s’émousse-rait au contact des simples réalitéspesantes de la vie que durcissent lesroutines et les ornières du quotidien,si la courbe de son élan ne recevait des

impulsions renouvelées et retrem-pées au fil flexible des appels et desbesoins de l’Église comme de lasociété. Le père d’Alzon l’a déjà com-pris de son temps quand il n’hésitepas à sacrifier la communauté deRethel (1859) ou de Clichy (1860),quand il prononce le retrait de la mis-sion d’Australie (1875).

Fidélité créatriceComme l’amour, l’esprit de vie d’unefondation s’éprouve dans une fidé-lité créatrice, tant du point de vued’une continuité possible que d’unimprévu ravageur : la tempête de laPremière Guerre mondiale qui ravagel’Orient, la décolonisation qui videl’Assomption de Tunisie et d’Algérie,le manque de vocations qui dans l’hé-misphère nord ronge le tissu com-munautaire. Le choix positif d’appelset d’enjeux évangéliques dans unecongrégation en faveur des hommesen tant qu’images de Dieu en quêted’unité, de vérité et de solidarité, ne

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de larges poches protestantes, libé-rales, puis républicaines : on le voiten 1789, en 1830, en 1848, en 1851et encore en 1870. Le siècle fut fer-tile en épisodes d’enfantementsdémocratiques au prix d’affrontementsinterconfessionnels guerriers. Le chris-tianisme de l’époque cherche à sefrayer une voie nouvelle entre leschemins toujours difficiles de lamodernité et les sentiers insatisfai-sants de la tradition. Il ne peut échap-per aux secousses des changements.C’est dans le choix d’un catholicismeexigeant mais intellectuellement into-lérant, dit ultramontain, que le fon-dateur cherche à entraîner le clergéde son diocèse. La bourgeoisie reven-dique plutôt un libéralisme par goût,appuyé d’ailleurs par la minorité activedu milieu protestant qui voit dans lesidéaux de la Révolution un rempartcontre les inégalités de l’AncienRégime. Cette tendance tranche avecla masse des faubourgs populaires quine cache ni ses convictions royalistes

ni sa ferveur d’un catholicismedémonstratif : processions, illumina-tions, formes publiques d’un cultemarial et eucharistique à l’évidenceconquérant et anti-protestant.

Aux heures difficiles des tournantspolitiques du pays comme en 1815,en 1830 ou en 1848, le fragileconsensus établi entre communautésvole en éclats. Malgré son ton auto-ritaire et facilement entier au niveaudes principes, le père d’Alzon est l’unde ceux qui, sur le terrain de la viepratique, préparent les esprits auxinévitables compromis (électionsnotamment). Il fraie en tant quevicaire général de 1839 à 1878 avectoutes les notabilités locales (muni-cipalité, préfecture, académie), endépassant le clivage des étiquettespartisanes quand les questions nerelèvent pas de la doctrine. Il ne s’ef-fraye pas, bien au contraire, de toutesles innovations techniques (notam-ment le chemin de fer, plus tard la

Mais revenons à l’époque dupère d’Alzon. Ce titre flam-boyant, « un vivant magni-

fique », lui a été octroyé par le pèreAndré Sève dans la biographie spiri-tuelle qu’il écrit pour le centenairede la mort du fondateur en 1980. Ilne cherche pas à masquer lesépreuves et les blessures que la vien’a pas manqué de lui infliger, mais ilessaie de rendre compte de tout cequ’Emmanuel a conscience d’avoirreçu : éducation, fortune, relations,sans cette fausse facilité d’esprit bour-geois qui, selon lui, débilite lesmeilleurs caractères. Au contraire, lepère d’Alzon apprend l’art de polirce que la nature lui donne commeatavismes cévenols. Il sait évangéli-ser peu à peu les traits parfois saillantsd’un caractère enjoué, volontiers

moqueur et ironique. De mêmepour son impulsivité autoritaire, bienqu’il n’évacue jamais tout à fait danssa vie la rudesse de ses racines mon-tagnardes.

En terrain difficileD’une foi catholique très vive, nour-rie aussi aux eaux mêlées d’un anti-protestantisme viscéral, il développeun ultramontanisme à la Veuillot, tou-jours en alerte et souvent agressif.Méridional dans l’âme, le père d’Alzongoûte l’ardeur et la vivacité pugnacesde ces populations « blanches » duMidi vite emportées par les fièvres detoutes les passions politiques et reli-gieuses. Nîmes est alors une ville tris-tement habituée aux coups de sangdes passions qui font de la région unbastion catholique légitimiste entamé

Le père d’Alzon, un vivant magnifique

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Déjà en 1868, lors d’un chapitregénéral, le père d’Alzon entre-voit le bien-fondé de quelques

changements ou évolutions dans sesobjectifs apostoliques : servir le biencommun des masses plutôt queconcentrer ses efforts sur les seulesélites. Atteint dans sa santé en 1854, ilrecentre son action apostolique au feud’une pensée plus intérieure ou mêmemystique attestée par ses écrits dematurité (Directoire 1859, Lettres auxMaîtres des novices 1868, Circulaires etMéditations après 1870), corrigeant ceque son dynamisme naturel peut com-porter pour un regard extérieur derelent activiste.

Des priorités pastoralesSous l’influence de quelques religieux,notamment du père Étienne Pernet et

des religieux parisiens (François Picard,Vincent de Paul Bailly, et Hippolyte Sau-grain), il lui semble encore courageuxde redessiner quelques priorités pas-torales en direction des masses ou dupeuple, comme l’on aime dire alors :les pèlerinages, la presse populaire, lespetits séminaires ou écoles aposto-liques pour milieux pauvres (dits « alum-nats » à l’Assomption), les congrès etœuvres d’ouvriers qui font florès à par-tir de 1871.

Il se lance dans des animations decaractère nettement plus populaire,lâchant la bride à ses religieux plusjeunes qui ont fait l’expérience descamps de prisonniers militaires aprèsla défaite de 1870. Les excès de laCommune de Paris en 1871 ne sontcertes pas de nature à tempérer ses

machine à coudre, le téléphone) quidonnent des possibilités nouvellesaux conditions de vie. Avec le poidsdes années, des responsabilités et lapléiade d’œuvres entreprises, sonentrain ne faiblit pas.

Au service du RoyaumeIl refuse de se laisser happer par lamitre ou la crosse que des amis cher-chent à lui offrir à Mende, à Aire-sur-Adour ou même à Nîmes. Hommede terrain, il ne se préoccupe pasd’une carrière ecclésiale, mais de l’en-cadrement pastoral de son diocèseet du dynamisme d’œuvres nouvellesqui, ayant pris naissance à Paris ou àLyon (Propagation de la Foi, Confé-rences Saint-Vincent-de-Paul, Œuvrede Saint-François-de-Sales, Cerclesouvriers), se doivent selon lui d’irriguerle tissu nîmois. Ses fréquents voyagesà Paris sont motivés par des considé-rations pastorales : animation et lan-cement d’œuvres, prédication, liensavec les Religieuses de l’Assomption.

Sur ce plan, sa vie ressemble fort àde perpétuels chantiers sans cesserepris sur de nouvelles bases, pourde nouveaux besoins : lutte pour laliberté de l’enseignement, transfor-mations sociales, mission lointaine,journalisme. Le père d’Alzon s’in-quiète toujours des courants et desbesoins nouveaux qu’une société elle-même sans cesse en transformationfait naître, voulant en faire bénéficierau mieux ou à en protéger, le caséchéant, le corps ecclésial.

Une dernière décennie de combats

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financent toutes les activités aposto-liques de l’Assomption. Sans leurconcours, d’ailleurs, toutes ces impul-sions n’auraient pu trouver de véri-tables voies de réalisation et auraientdormi à l’état de projets dans les tiroirsdes couvents ! Le père d’Alzon lesavait bien, lui qui toute sa vie subitselon ses propres dires le « martyredes écus » et engloutit avec généro-sité son patrimoine familial dans d’in-nombrables œuvres dont les profitsne se comptabiliseront jamais à la

Bourse des valeurs financières oùtriomphe cet esprit bourgeois qui lerebute tant. Prince ou chevalier duRoyaume, il ne compte sur les biensou libéralités de ce monde qu’à lamanière de l’Évangile, c’est-à-direpour les assujettir librement aux seulesfins dignes de ses convictions et deses préoccupations. Sur son lit demort, il répond à son médecin traitant,lequel compare sa santé délabrée à uncapital usé, qu’il peut partir après enavoir ébréché tant d’autres !

nettes préférences politiques en direc-tion d’une restauration monarchique,mais elles aiguillonnent son désir derépondre aux sollicitations plus socialesqui s’étaient faites jour dans ces cir-constances. La génération de ses dis-ciples, sans abandonner le champ del’éducation, sait innover en ce senset seconder cette impulsion plus large.

Grandes figureset bouillonnement d’idéesÀ Paris, le père Picard mobilise leclergé et obtient le concours desfoules avec l’Association Notre-Damede Salut, fondée en 1872 (campagnesde prières publiques).

Le père Vincent-de-Paul Bailly reprendle petit bulletin de liaison des pèlerinsen 1873, né à La Salette, pour letransformer dès 1877 en un maga-zine familial attrayant et distractif où lescaricatures font la part belle aux joutespolitiques du temps. Plus tard (1880)naît La Croix-Revue, vite transformée

en journal quotidien (1883). À Paris,le père Pernet avec les Fraternités delaïcs autour des Petites Sœurs de l’As-somption (gardes-malades gratuitesà domicile) entre lui aussi dans lechamp d’un catholicisme social.

Depuis Nîmes, le père d’Alzon quel’âge commence à freiner, surveille cebouillonnement d’idées et d’actions quilui inspirent force sympathies et cri-tiques, mais où il sait reconnaître le sanggénéreux de sa propre jeunesse et lafoi entraînante de son esprit. Il ne doutejamais de la force de l’Assomption, mal-gré le petit nombre de ses religieux etreligieuses lancés sur plus de fronts qu’ilne peut compter de membres !

La relèveUne nouvelle jeunesse se forme dansces petits séminaires-alumnats dontl’entretien était confié à la seule Pro-vidence. De nombreux et généreuxdonateurs, regroupés dans l’Associa-tion de Notre-Dame des Vocations,

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familles religieuses, un autre grandtémoin de foi et de caractère, le pèreFrançois Picard.

Dernier souffleLe dimanche 21 novembre 1880,en la fête de la Présentation de Marie,le père Emmanuel d’Alzon laissait auxsiens la force d’un esprit qu’aucunetombe ne peut enfermer et qu’aucunpouvoir de cette terre ne peut briser.

Même si l’histoire malmène leshommes au gré de ses caprices, une

force religieuse née de l’Évangile trouvedes formes et des forces d’adaptation,de renouveau et de liberté qui passentle cours du temps et des événementspour inventer des chemins nouveauxet même insoupçonnés.

L’Église a validé le parcours spiritueldu père Emmanuel d’Alzon en luireconnaissant en décembre 1991 letitre de vénérable, première étaped’une béatification future espérée etportée dans la prière.

La mort du père d’Alzon fait pen-ser à celle du Patriarche de l’Oc-cident. On sait qu’Augustin a

lutté toute sa vie en Afrique dans lecadre de cet empire romain dont iladmire la force organisatrice, admi-nistrative et culturelle. Devant l’invasion progressive desforces « barbares » dont celle desVandales, qui minent les construc-tions de cet empire et inquiètent ledéveloppement du christianisme, ilmeurt en 430 dans le sentimentd’une profonde décadence à venir.

Ultime épreuveÀ plus de huit siècles de distance, lepère d’Alzon pour sa part peutéprouver des sentiments semblables.En France, les forces républicainesanticléricales jusque-là contenues

investissent les commandes de l’Étatet laissent présager de sombres joursau vu d’un programme scolaire axésur la laïcité, notamment pour lesjeunes congrégations que ne protègeaucune sécurité ou garantie légale.

Le collège de Nîmes subit les effetsdes décrets Ferry qui entendentexpulser de l’enseignement celles quise sont dispensées de toute formed’autorisation gouvernementale. Lepère d’Alzon sait ses congrégationsmenacées et pense déjà à leur exilprochain. C’est pourtant dans unegrande sérénité que le « Lion desCévennes » prit congé de cette terre,après avoir pris le temps de se pré-parer spirituellement à son éternité etd’avoir pressenti, et même désigné,pour lui succéder à la tête de ses

Tel Augustin, sur les riveset les ruines d’Hippone

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Pour aller plus loin ensemble

Renseignements : Maison provinciale assomptionniste

79, avenue Denfert-Rochereau - 75014 Paris

« Emmanuel d’Alzon fondateur des Augustins de l'Assomption et des Oblates de l'Assomption » fait partie de lacollection « Vienne ton règne ».Comité de rédaction : Dominique Lang, Noël Le Bousse, Marie-Bernard Kientz, Claude Maréchal, Hervé Stéphan,Benoit Gschwind, assomptionnistes.Textes : Jean-Paul Périer-Muzet, assomptionniste, archiviste.Livret réalisé en collaboration avec Prions en Église. Maquette : Maguy Figureau, Cathy Croizet. © Photos : Assomption - © Dessins : Pascal Gindre - D.R.

Espace d’AlzonConférences, sessions, à Paris - www.alzon.org

Université européenne assomptionnistewww.univete-assomption.org

Programme volontaire assomptionDes propositions pour les jeunesVocations : accompagnement et discernementProjet auberge de jeunesse chrétienneDes pèlerinages, des retraitesLourdes, Terre sainte, etc - www.pelerinage-national.com

Valpré (69) - Saint-Lambert des Bois (78)Formation, retraites, accueil de groupes - www.valpre.com

Une revue : L’Assomption et ses œuvresBayardPresse religieuse, jeunesse, senior... www.bayard-presse.com

Procure Missionnaire de l’AssomptionPour soutenir nos missions

Pour que l’Assomption cherche avant tout le royaume de Dieu, et que lui soit donné par surcroît tout le reste : des frères, l’unité,

la joie et le courage de servir, prions le Seigneur.

Fais venir ton Règne Seigneur !

Pour que l’Assomption soit fidèle à l’esprit de son fondateur dans son amour pour le Christ, la Vierge et l’Église, prions le Seigneur.

Pour que l’Assomption, fidèle à la mission du Christ, soit comme lui présente à ce monde, et qu’elle soit gardée du mal, prions le Seigneur.

Pour que l’Assomption aime et serve l’Église à la suite du Christ qui l’a aimée et s’est livré pour elle, prions le Seigneur.

Pour que l’Assomption, dans l’espérance et la prière, attende le jour où l’Église reconnaîtra la sainteté

du père Emmanuel d’Alzon, prions le Seigneur.