« le lol dans le commentaire de l’actualité politique sur internet : le cas d’humour de droite...
DESCRIPTION
Ce mémoire porte principalement sur l’étude d’un collectif commentant l’actualité politique sur les réseaux sociaux : Humour de Droite. A travers cette étude, nous voulons montrer en quoi il représente une forme de commentaire de l’actualité hybride et inédite. Sa particularité principale étant l’insertion et la réappropritation de codes et de pratiques appartenant à une culture inhérente à Internet.Il s’agit donc dans un premier temps de montrer en quoi, de par son histoire, Internet s’impose comme un territoire complexe. Un territoire régit par des imaginaires très fort et ayant vu s’installé au cours des années une réelle culture.A partir de ce constat il s’agit de voir en quoi le collectif se réapproprie les codes de cette culture et l’insère dans des problématiques politiques aux enjeux réels. Cet ancrage dans la culture Internet se retrouve tant dans les contenus que les manières de procéder et lesrapports à la communauté.Enfin, nous réfléchissons à l’institutionnalisation de ce phénomène : pourquoi et comment il tend à être repris par un plus grand nombre de personnes tant qu’il connaît aujourd’hui des théorisations. Nous concluront sur la rapidité de l’évolution du numérique et de la force encore présente de ses imaginaire et notamment de l’esprit de contre-culture. Ce constant nous permet de conclure qu’il ne s’agit pas d’aborder une posture trop définitive face à un tel phénomène qui sera amené à connaître de profondes évolutions lui aussi.TRANSCRIPT
UNIVERSITE DE PARIS IV - SORBONNE
CELSA
Ecole des hautes études en sciences de l’information et de la communication
MASTER 1re année
Mention : Information et Communication Spécialité : Médias et Communication
« Le LOL dans le commentaire de l’actualité politiq ue sur Internet : le cas d’Humour de Droite ».
Préparé sous la direction du Professeur Véronique RICHARD
Nom, Prénom : Rougevin-Baville Alix Promotion : 2010-2011 Option : Médias et communication Soutenu le : Note du mémoire : Mention :
2
Remerciements
Je tenais tout d’abord à remercier les membres du collectif étudié, Humour de Droite, pour
leur disponibilité et le temps qu’ils ont pris sur leur travail et leur activité pour le collectif afin
de répondre à mes nombreux mails et questions.
Merci à toute l’équipe de Curiouser : Maud Serpin, Cyril Rimbaud et Anne-Sophie Boyer pour
leur flexibilité, leur soutien et leurs encouragements.
Merci à Séverine Barthes pour ses conseils et recommandations.
Merci aux généreux relecteurs.
Et merci enfin à toute la classe de Master 1 Médias et Communication du CELSA pour ce
soutien mutuel et enthousiaste des quatre coins du monde qui s’est mis en place tout au
long de la rédaction de nos mémoires respectifs.
3
Introduction 4
PREMIERE PARTIE : INTERNET, TERRITOIRE REGI PAR DES IMAGINAIRES FORTS ET DES CODES INHERENTS 9
I) La force des représentations dans les usages des technologies 9
II) Internet : un territoire structuré par des imag inaires forts 10 1) L’imaginaire de la coopération et de l’égalité 10 2) L’imaginaire de la communauté d’intérêt 12 3) L’imaginaire de la contre-culture 13 4) L’imaginaire de l’Internet comme nouvel espace public et démocratique 14
III) Des imaginaires à la création d’une culture en démique 15 1) Une culture d’amateurs 15 2) Du LOL au LULZ : la philosophie du « geste pour le geste » 17
DEUXIEME PARTIE : UNE RE-APPROPRIATION DES IMAGINAI RES ET DES CODES CULTURELS D’INTERNET PAR HUMOUR DE DROITE 20
I) La réappropriation des logiques de temps réel 20
II) La réappropriation des codes de la « culture In ternet » dans les contenus 22 1) La culture du détournement 22 2) Un regard particulier sur l’actualité : entre le second degré et le potache 27
III/ Une identité et un rapport à la communauté iné dits 29 1) La mise en scène de leur identité : entre anonymat et engagement 29 2) La flexibilité de l’énonciation : entre la parole individuelle et collective 30 3) Le rapport à la communauté 32
3EME PARTIE : UN NOUVEAU GENRE DE L’ACTUALITE POLIT IQUE SUR INTERNET ? 36
I) LOL ou prise de parole politique ? Les mécanisme s de création et de réception du messag 36 1) Au-delà des partis : une lutte de valeurs 36 2) Le parti-pris de l’humour comme arme politique 38
II) De la massification à la théorisation 43 1) Humour de Droite : un collectif non-isolé et des usages qui se généralisent 43 2) LOL Journalisme », « LOL Génération » : quelles théorisations et quelles limites. 44
III/ Le web comme laboratoire d’étude politique 46 1) Une énonciation qui n’est pas accessible à tous : l’exemple de l’échec de l’UMP 46 2) L’évolution des technologies et des services comme source de nouveaux détournements 48
Conclusion 52
Bibliographie 56
Annexes 58
4
Introduction
Depuis quelques années plusieurs affaires ont marqué le monde médiatique et posé la
question des rapports entre l’humour et la politique. On pense notamment aux commentaires
ayant entouré le travail de l’humoriste Stéphane Guillon lorsqu’il clamait chaque matin ses
chroniques irrévérencieuses sur la classe politique française. On pense aussi aux vifs débats
engendrés par son licenciement en Juin 2010, après des réactions d’hommes politiques vis-
à-vis de sa chronique. Dans le même cas et à la même période, Didier Porte est aussi
remercié. Les arguments ont alors fusés sur les sujets dont on peut ou ne peut pas rire mais
aussi sur la liberté d’expression dans les médias de masse.
Au-delà de ces débats, on peut s’interroger sur l’association de l’humour et de la politique
sur Internet qui est un territoire où il est possible de s’affranchir de problématiques
économiques, de ligne éditoriale ou de pressions de la classe politique.
Le publicitaire Jacques Séguéla disait en Octobre 2009 lors de la publication de son livre
écrit en défense du socialiste Julien Dray : « Le Net est la plus grande saloperie qu'aient
jamais inventée les hommes. C'est Dieu vivant. Parce que le Net permet à tous les hommes
de communiquer avec les autres hommes. En quelques secondes, le Net peut détruire une
réputation ». Les mécanismes de circulation de l’information à un public extrêmement large
font en effet d’Internet un territoire crucial à considérer lorsqu’il s’agit de politique. Outre la
présence des hommes politiques et des journalistes, nous avons choisi de concentrer notre
étude sur le commentaire de l’actualité politique c'est-à-dire, l’action d’observer, juger et
interpréter un objet 1
Les formes de commentaires politiques qui existent sur Internet sont aussi variées que celles
qu’on peut rencontrer hors-ligne. On y trouve néanmoins un certain nombre d’acteurs qui
n’existent pas dans les médias traditionnels, des acteurs qui mobilisent une culture qui n’a
pas non plus d’égal hors-ligne, une culture endémique à Internet. Cette culture est
composée d’éléments visuels, de codes langagiers et de pratiques particulières que l’on ne
retrouve que sur Internet. Les éléments caractéristiques de cette culture –qu’on a appelés
« mèmes »- sont souvent des détournements d’éléments de la culture populaire
réappropriés par les internautes et à fort potentiel viral. Elle est encore relativement
confidentielle aujourd’hui bien qu’elle ait commencé à se former dès les débuts de la
massification d’Internet, dans les années quatre-vingt et quatre-vingt dix.
1 Larousse
5
C’est de cette culture que vient l’expression « le LOL » qui représente une posture mentale
particulière chez une communauté d’internautes connaisseurs et qui donne lieu à une série
de traits d’humour ou de transgressions.
Le point de départ de notre questionnement sur l’insertion de ces codes dans un
commentaire de l’actualité politique vient de l’observation d’un collectif qui commente
l’actualité sur les réseaux sociaux : l’Humour de Droite. Ce collectif est intriguant tant par le
regard qu’il porte sur l’actualité politique que par le ton qu’il emploie pour la commenter.
Les membres d’Humour de Droite défendent farouchement leur anonymat. Les seules
informations que nous possédons sur eux après enquête et regroupement d’indices
disséminés sur la Toile sont ceux-ci : Humour de Droite est composé de cinq hommes de
trente ans en moyenne, R,X,T,P et D2, qui travaillent dans le milieu de la communication3.
Amis dans la vie « hors-ligne », ils ont monté le collectif Humour de Droite en Juin 2009 dans
une volonté de lutter contre une « droite décomplexée » sur le ton du second degré et du
divertissement. A travers un compte Twitter qui s’élève aujourd’hui4 à plus de 47 000
followers ainsi qu’une fanpage Facebook à plus de 20 800 fans, les membres du collectif
publient chaque jour un nombre conséquent de contenus – en moyenne dix par jour5. Ces
contenus sont très diversifiés : texte, images, sons ou vidéos en réaction à ce qui fait
l’actualité en France, et plus précisément en ce qui concerne l’actualité politique. Ces
contenus portent toujours en eux une tonalité humoristique au second degré, mais ils ne
restent pas moins irrévérencieux et moqueurs envers les personnalités qu’ils ciblent.
Plusieurs caractéristiques font de ce collectif un objet d’étude intriguant. Tout d’abord son
statut : le collectif se situe entre le journalisme, l’humour, l’amateurisme et l’engagement. Un
statut flou qui permet une énonciation particulière et très libre. Ensuite par leur regard
particulier sur l’actualité: un usage systématique du second degré, mais aussi une grande
culture du visuel et du détournement d’image. La manière de procéder enfin qui s’inscrit au
cœur de la logique communautaire et qui favorise un système de co-construction des
contenus.
2 Humour de Droite s’explique, Blog de Diego San – Janvier 2011 3 Annexe 1 4 Au 9 Juin 2010 5 Moyenne effectuée sur les publications du 1er au 31 Mai 2011
6
Pour étudier ce phénomène, il s’agira donc de voir en quoi par une série de
réappropriations et un ancrage profond dans la cult ure et les imaginaires propres à
Internet, Humour de Droite représente une forme hyb ride de commentaire de
l’actualité politique.
Lors de notre réflexion plusieurs hypothèses ont émergé et se sont logiquement enchaînées.
La première de ces hypothèses était qu’Humour de Droite et les acteurs qui lui sont
similaires représentaient une forme particulière de l’actualité politique qu’il ne fallait pas
assimiler à l’humour politique que l’on peut rencontrer hors-ligne.
La seconde est venue de la recherche d’éléments pour confirmer ou infirmer cette première
hypothèse : la particularité d’Humour de Droite et de ses congénères vient de l’insertion de
toute une série de codes et de pratiques que l’on retrouve au sein d’une culture inhérente à
Internet.
Dans un troisième temps, nous nous sommes interrogés sur la généralisation du phénomène
qui pourrait être considéré comme étant la nouvelle forme de commentaire de l’actualité sur
Internet et en se massifiant, sa forme principale.
Il est important de signaler que les contenus et les manières de procéder d’Humour de Droite
sont partagés par un certain nombre d’autres collectifs ou personnalités sur les réseaux
sociaux, mais que le cas d’Humour de Droite est particulièrement significatif. Premièrement
car il s’agit d’un des collectifs à l’audience la plus importante mais aussi car il regroupe les
caractéristiques les plus révélatrices d’une forme hybride et inédite du commentaire de
l’actualité politique.
Pour étudier ce phénomène, plusieurs types de travaux ont été mis en place.
Un travail de recherche important afin de comprendre comment à travers l’histoire d’Internet
se sont forgés des imaginaires forts pour ensuite montrer en quoi ils ont déterminé les
usages que nous en avons aujourd’hui.
Il a aussi été nécessaire de s’intéresser à la culture Internet, bien que nous puissions l’avoir
fréquentée au fil de notre navigation depuis des années, il était important d’avoir un regard
plus global et historique sur cet ensemble hétérogène et encore confidentiel.
Pour comprendre ensuite le phénomène que représente Humour de Droite, il a fallu mettre
en place une observation fine du collectif, de leur façon de procéder, leur rythme de
publication, les différents types de contenus mais aussi des mécanismes qui leur permettent
de faire sens. Il est important de noter que peu de journalistes se sont intéressés à ce
collectif, ils sont souvent cités dans une cadre anecdotique : un encadré dans la presse ou
7
une brève diffusion de photo-montages dans une émission de divertissement6. La ressource
documentaire sur ce phénomène était donc faible, l’observation prenait alors d’autant plus
d’importance.
Outre l’observation, il est intéressant d’avoir l’avis des intéressés pour mettre en lumière ce
qui motivaient leur expression sur Internet mais aussi s’ils avaient le sentiment de constituer
un commentaire de l’actualité politique nouveau, nous nous sommes donc entretenus par
mail – en raison de leur volonté de préserver leur anonymat.
Pour étudier ce phénomène nous procèderons en trois temps.
Il s’agira tout d’abord d’étudier en quoi Internet représente un territoire particulier. Tout
d’abord parce qu’il s’agit du lieu d’expression du collectif que nous allons étudier et qu’il est
toujours très important de ne pas considérer le support comme étant indépendant de l’étude
du message. Le cadre dans lequel sont produits les propos est, en effet, primordial tant au
niveau de la création que de la réception des messages. Il s’agira donc d’étudier en quoi
Internet est un support particulièrement déterminant dans la mesure où il s’agit d’une
technologie qui tout au long de son histoire a été investie d’imaginaires très forts qui sont
encore présents aujourd’hui. A travers les étapes clés de son histoire, nous dégagerons les
imaginaires structurants d’Internet ainsi que les caractéristiques de cette culture propre ce
territoire.
Il s’agira ensuite d’étudier en quoi Humour de Droite représente un commentaire de
l’actualité inédit et hybride. Nous verrons tout d’abord en quoi Humour de Droite est parvenu
à faire des contraintes de temps réel qui régissent les réseaux sociaux - et qui jouent
souvent en défaveur des journalistes - une véritable force en produisant un contenu qui se
prête idéalement à cette logique de flux. Nous verrons ensuite à travers l’étude fine du
contenu proposé par Humour de Droite en quoi celui-ci reprend les codes propres à cette
culture que l’on ne trouve que sur Internet ainsi que la posture mentale très particulière. Ils
se rapprochent aussi fortement de cette culture Internet par leur anonymat perçu comme
signe de liberté et de flexibilité plus que de lâcheté. Nous étudierons enfin le rapport
particulier qu’ils ont établi avec leur communauté.
Et dans un dernier temps nous étudierons l’éventuelle généralisation de ce phénomène.
Nous verrons en quoi utiliser l’humour dans un but politique est extrêmement judicieux car
c’est une association qui permet de délivrer un message tout en désacralisant l’objet du
6 Annexe 5
8
message. Nous verrons aussi comment la généralisation de ce procédé a donné lieu à des
prémices de théorisations. Nous nous interrogerons finalement sur le futur de ce
phénomène, s’il va se généraliser au point de devenir le nouveau et l’unique type de
commentaire de l’actualité sur Internet.
9
PREMIERE PARTIE : INTERNET, TERRITOIRE REGI PAR DES IMAGINAIRES FORTS
ET DES CODES INHERENTS
Le phénomène que nous allons étudier officie au sein du réseau des réseaux : Internet. Une
technologie qui s’est massifiée il y a peu mais qui prend une place extrêmement importante
dans la vie publique actuelle. Il est important d’étudier cet outil car il s’agit de l’unique
territoire d’expression du collectif que nous étudions et que le support n’est jamais neutre, il
infère sur le message lui-même mais aussi sur sa réception. Afin de comprendre Humour de
Droite il est donc essentiel de connaître les représentations du lieu sur lequel il s’exprime et
tout particulièrement lorsqu’il s’agit d’Internet. En effet, en raison de son histoire atypique,
Internet a été investi d’imaginaires très forts et déterminants dans les usages que nous en
faisons aujourd’hui.
I) La force des représentations dans les usages des technologies Internet a, dès ses origines, été l’objet d’un grand nombre de discours très variés et souvent
extrêmes : soit enthousiastes et exaltés soit méfiants voir apocalyptiques.
L’arrivée d’une nouvelle technique engendre souvent ces discours dichotomiques : les uns y
voyant l’origine d’une révolution mondiale et d’autres y voyant une dégradation de la société
sans forcément prendre de recul dans un cas comme dans l’autre. Mais, comme Patrice
Flichy l’explique en préambule de son ouvrage sur les imaginaires d’Internet7, la question ne
va pas être de réfléchir sur le bien fondé ou non de ces discours mais plutôt de les étudier
méticuleusement car ce sont ces discours qui génèrent l’imaginaire qui va entourer une
nouvelle technologie, l’accompagner dans son développement et donc conditionner ses
usages.
Flichy fait référence à différents courants de sociologie (Bruno Latour, les sociologues de
l’interaction, Star et Griesmer) qui montrent que la notion d’innovation n’est pas
exclusivement technique, mais qu’il s’agit d’une construction collective faite d’ajustement
mutuels pour servir un but commun. C’est cette construction collective qui va orienter les
usages majeurs d’une technologie et non les fonctionnalités propres de l’outil.
La création d’un imaginaire autour d’une nouvelle technologie est un phénomène
sociologique général qui s’applique à l’arrivée de toute technologie. Mais le cas d’Internet
représente une particularité dans la mesure où les imaginaires ayant entouré cette
7 Patrice Flichy Les imaginaires d’Internet – 2001 – Editions La Découverte
10
technologie dès ses débuts sont déterminants et à l’origine d’un grand nombre d’usages
actuels dont le phénomène étudié.
Les experts s’accordent sur 1994 pour situer la massification d’Internet, pourtant cette
technologie s’était développée loin des yeux du grand public près de trente ans auparavant.
De 1969 à 1989, elle a été travaillée et utilisée par des cercles d’acteurs très circonscrits :
les chercheurs informaticiens, la communauté académique, et certains milieux que l’ont peut
qualifier de « contre-cultures ».
Ces cadres bien que différents ont la particularité de ne pas être soumis à une logique
marchande. En effet, les créateurs de ces nouvelles technologies en étaient aussi les
utilisateurs, ils ne souhaitaient pas les commercialiser et n’avaient pour seul dessein que de
répondre à leurs propres besoins dans la limite du budget alloué par le gouvernement.
Revenons rapidement sur les étapes clé de la création d’Internet au sein de ces différentes
communautés pour comprendre la puissance des imaginaires qui l’ont accompagnée et en
quoi ils sont encore fortement actifs aujourd’hui.
II) Internet : un territoire structuré par des imag inaires forts
1) L’imaginaire de la coopération et de l’égalité
Dans les années cinquante, les ordinateurs étaient principalement utilisés comme des
calculateurs, ils étaient chers et très peu nombreux. C’est en 1959 que Joseph Licklider,
ingénieur au MIT, propose d’instaurer une communication entre l’homme et la machine puis
entre les machines elles-mêmes. Cette proposition était différente de la représentation qu’on
avait alors à l’époque : les ordinateurs n’étaient pas des « machines à communiquer » mais
des « machines à calculer ».
Le premier réseau est alors créé en 1961 au sein de l’agence du Ministère de la Défense :
l’ARPA (Behavioral Sciences program by the Advanced Research Projects Agency). Le
réseau fonctionne sous le modèle du « time sharing » : un système qui grâce à l’utilisation
collective et simultanée des programmes et des ressources ainsi qu’à un partage facilité
entre les utilisateurs devait améliorer la productivité et la qualité du travail.
L’échange des données numériques est facilité par l’idée de Leonard Kleinrock : effectuer
une transmission par paquets qui se réorganisent lors de la réception.
11
Après être parvenus à relier un groupe restreint de machines, c’est tout naturellement qu’est
née l’idée de relier un ensemble beaucoup plus étendu : les différents centres de recherches
qui constituaient l’ARPA ou plus vaste encore. Car outre la volonté d’améliorer la productivité
dans le travail, il y avait aussi ce désir d’approfondir la coopération entre les différents
membres de la communauté scientifique.
C’est ainsi qu’en 1966 naît l’ARPAnet, au sein duquel un ensemble d’échanges informels de
messages électroniques s’est développé entre les membres de la communauté scientifique.
Ces échanges existaient dès les débuts d’ARPA mais ils prirent une autre dimension sous le
prisme de la distance géographique. Cette fonctionnalité n’était même pas présente dans les
présentations de l’ARPAnet mais la pratique s’est très vite répandue. Moins de dix ans plus
tard, l’ARPAnet regroupait presque mille adresses. Les « arpanautes » représentent donc la
première communauté virtuelle.
Puis les étapes se succédèrent jusqu’à l’arrivée d’Internet comme on le connaît aujourd’hui :
le premier réseau indépendant Usenet entre les université de Caroline du Nord à Duke qui
n’était plus seulement utilisé pour le travail, le protocole de Vinton Cerf et Robert Kahn qui
normalise la transmission par paquet et enfin, au début des années quatre-vingt, la création
par Tim Bernes-Lee du World Wide Web, système d’affichages de pages selon un système
de normes : le premier processus de documentation abouti.
Internet a donc connu un développement particulier. Contrairement aux autres technologies,
il s’est produit exclusivement au sein de la communauté académique. Il est directement
passé de la recherche à un outil opérationnel, sans passer par l’industrialisation ni la
commercialisation, car les producteurs de ces techniques en étaient aussi les utilisateurs. Ils
l’ont donc façonnée avec leur propre vision de la connaissance et du travail.
Ce bref retour sur les étapes clé de la naissance du web nous révèle déjà deux imaginaires
fondateurs des usages qui se sont développés ensuite : une logique d’échange et d’égalité
de la parole que l’on retrouve sur les réseaux sociaux actuels. Lorsque l’on étudie le format
du forum par exemple, on s’aperçoit que grâce aux systèmes de pseudonymes, nous
n’avons aucun signe du statut social des participants. Il existe souvent un système de
notation mais celui-ci est lié à la fréquence de participation des individus : sont ainsi bien
notés les internautes qui contribuent le mieux à cet échange.
Le principe même du forum est aussi à étudier. En effet, il s’agit là de la représentation
parfaite de l’espace collaboratif. Un nombre très important d’informations qui peuvent être
12
très qualitatives sont échangées chaque jour. Les auteurs dans un autre paradigme seraient
en droit de monétiser ces informations mais sur Internet, il leur apparait comme évident de
proposer ces informations librement, car ils savent qu’ils auront potentiellement accès à
d’autres informations qualitatives par la suite. Pour le sociologue Antonio Casilli8 on y
retrouve une logique de don/contre don comme la décrivait Marcel Mauss9.
Humour de Droite, en faisant le choix de ne s’exprimer que sur les réseaux sociaux et de
manière anonyme, s’inscrit directement dans cette optique d’égalité et de collaboration.
2) L’imaginaire de la communauté d’intérêt
L’interaction et la coopération avaient initialement lieu entre des personnes dont le point
commun était un intérêt partagé. Peu importait que ces personnes se rencontrent
physiquement, elles formaient ce que Flichy appelle un « collège invisible » : la qualité du
travail et de la coopération n’était altérée ni par la distance, ni par les critères sociaux.
Pour Dominique Cardon10, cette nouvelle façon de faire communauté réside dans le fait que
contrairement à ce qu’on pourrait en penser au XXI° siècle, Internet n’a pas été conçu pour
qu’un émetteur délivre un message à un public de masse mais pour aider à la
communication interpersonnelle qui, en se démocratisant, est devenue une communication
de tous à tous. C’est cet usage initial qui est à l’origine de cette caractéristique qu’Internet
est le seul à avoir : être à mi-chemin entre la conversation et l’information.
La logique de communauté et plus particulièrement de la « communauté d’élection » a
fortement été abordée dans les discours autours du « web 2.0 » qui a alors été
perçue comme une révélation. Cet idéal communautaire était en réalité présent dans les
racines même de la technologie, il s’est trouvé concrétisé et massifié.
Humour de Droite, de par son nom, s’inscrit dans cette imaginaire de la communauté
d’intérêt. En effet, les membres de la communauté d’Humour de droite ne sont unis que par
leur sensibilité à l’énonciation d’Humour de Droite mais aussi par leurs convictions politiques.
8 Antonio Casilli Les liaisons numériques 2010 - Editions du Seuil 9 Marcel Mauss Essai sur le don paru en 2007 - Editions Puf 10 Dominique Cardon La démocratie Internet 2010 – Editions du Seuil
13
3) L’imaginaire de la contre-culture
Dans les années soixante dix et quatre vingt, alors qu’Internet se développait au sein du
monde universitaire, un groupe d’individus commencèrent à en avoir des pratiques
différentes, plus autonomes. Ces personnes, qu’on a très vite qualifié de « hackers »,
avaient une éthique particulière selon Stephen Levy11 : l’accès doit être total et illimité, toute
information doit être libre et gratuite, il ne doit pas y avoir d’autorité, l’organisation doit être
décentralisée, les internautes ne doivent être jugés que selon leurs productions,
l’informatique peut créer de l’art et du beau, il peut aussi être à l’origine d’une vie meilleure.
Ils ont très vite dénoncé l’idée d’une utilisation commerciale et centralisée de la technologie,
notamment celle d’IBM qui avait lancé le premier « Personnal Computer » en 1981.
Dominique Cardon revient sur l’importance de cette contre-culture américaine qui mobilisait
toute une génération contre une série d’institutions (les parents, l’esprit bureaucratique, la
guerre froide, la société de consommation, etc.). Mais il souligne que cette contre-culture est
représentée par deux courants aux idéologies propres.
Le premier est celui qu’on connaît le mieux, il est représenté par les mouvements de
syndicalisme étudiants, les mouvements de « Free Speech » qui se mobilisaient contre la
ségrégation, la guerre au Vietnam ou encore la bureaucratie universitaire. Au sein de ce
mouvement, les individus militent contre les pouvoirs dominants et dénoncent la rationalité
technique, ils sont donc volontairement étrangers aux innovations techniques.
Cardon s’intéresse plus au second mouvement, celui qui préfère l’exil à la confrontation, ces
derniers s’exilent physiquement dans un lieu éloigné et préconisent le changement de
l’individu pour construire une communauté sur des bases nouvelles. Ce mouvement est
particulièrement intéressant tout d’abord par sa forte conviction communautaire, mais aussi
parce qu’il réfléchit à la façon dont l’information fait système et plutôt que l’affrontement, ces
personnes sont dans une logique de court-circuitage de la politique et des pouvoirs
dominants.
Pour Cardon, c’est paradoxalement au sein de cette mouvance qu’Internet plonge ses
racines. Ce groupe d’individus ne se refuse pas aux innovations techniques, ils cherchent au
contraire à se les attribuer pour ne pas les laisser aux industriels et militaires.
Ils repensent donc ces technologies à l’aune de leur logique d’appropriation individuelle et
réaniment cet imaginaire de la frontière, du territoire à conquérir. 11 Stephen Levy Hackers : heroes of the computer revolution 2001, Editions Penguin
14
Cet imaginaire s’incarne à merveille dans la figure du hacker, celui qui contourne les codes
traditionnels, se joue des barrières qu’on lui impose s’il ne les estime pas justes, mais aussi
dans les pratiques d’Humour de Droite qui, comme nous allons le voir, met en œuvre une
philosophie du détournement et de la transgression.
4) L’imaginaire de l’Internet comme nouvel espace p ublic et démocratique
Les hackers partageaient beaucoup de points communs avec la culture des Arpanautes. Ils
avaient une vision plus ambitieuse pour ce réseau : ce n’était pas un simple outil pour
faciliter le travail des universitaires mais une nouvelle technologie qu’il faut étendre à toute la
population pour former une nouvelle société.
La notion de sphère publique est sujette à de nombreuses ambigüités : une ambigüité liée à
la traduction et une autre à la polysémie du mot12.
La polysémie en français nous mène à confondre la notion de publicité dans son approche
spatiale - ce qui est visible et accessible par tous - avec la théorie politique qui qualifie un
propos de « public » s’il sert l’intérêt général. Selon Cardon Internet élargit l’espace public
dans la mesure où sont « visibles » sur Internet une série d’informations qui ne sont pas
« publiques » : le Web a découplé les notions de visibilité et de publicité. La conséquence de
cela est la disparition des gate-keepers qui rendaient visible ce qui était public.
L’ambigüité de la notion réside dans la traduction française qui a aussi conceptualisé le
concept d’Habermas13 sur le plan spatial. On a appelé « espace public », l’idée d’un fait
public, un fait confronté à la « publicité ». Alors qu’Habermas y voyait plutôt un moment où
se constituerait un contre-pouvoir par l’émergence d’une opinion publique qui émergerait à
travers des lieux comme le café.
Internet a été vu comme une incarnation d’un nouvel espace public où l’accès à la parole, à
l’opinion publique ne serait plus cadenassé comme il peut l’être dans les médias
traditionnels, soumis aux contraintes de la commercialisation. Internet serait le lieu où l’on a
accès à de vraies informations. Cet imaginaire-là mobilise aussi fortement l’idée d’un média
qui abolit la médiation, l’imaginaire de l’accès à l’information pure et à une démocratie
12 Cours d’Olivier Aïm, CELSA, Novembre 2009 13 Jürgen Habermas L’espace public, publication de 1988 – Collection Critique de la politique
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directe.
Cet imaginaire est particulièrement important dans le cadre de l’étude d’un collectif comme
Humour de Droite qui s’exprime sur la chose publique et donc représente un acteur du débat
démocratique. Et nous allons voir que cette polysémie dans la notion de publicité est
parfaitement illustrée par Humour de Droite. Il est, en effet, difficile d’évaluer le contenu sur
son apport à l’intérêt général malgré leur écoute grandissante.
III) Des imaginaires à la création d’une culture en démique
1) Une culture d’amateurs
Nous avons tiré des origines d’Internet une série d’imaginaires qui ont déterminé les usages
que nous avons tous aujourd’hui de cette technologie. Mais de ces imaginaires s’est aussi
formée très tôt une réelle culture, propre à Internet, une culture formée d’images, d’éléments
de langages mais aussi de pratiques particulières.
Les LOLcats, Chuck Norris… une grande partie des internautes les connaissent. Ils sont
pourtant peu nombreux à être capables de mettre un nom sur cet ensemble très hétérogène
que l’on retrouve régulièrement aux quatre coins du Web.
Olia Lialina et Dragan Espenschied14 l’ont baptisé « Folklore digital », ces deux enseignants
à l’université de Stuttgart Merz Akademie sont passionnés par cette culture, à laquelle ils ont
eux-mêmes participé au début des années quatre-vingt dix. Le terme désigne l’appropriation
par les premiers usagers d’Internet des nouvelles technologies qu’ils découvraient et qui a
fini par constituer une culture à proprement parler.
Cette culture est constituée d’éléments visuels, audio ou même textuels : ce sont les
documents viraux les plus connus que nous citions plus haut : les LOLcats ou Chuck Norris
mais c’est aussi un langage « Can I haz a cheezburger », « Fail », « LULZ », « Epic », des
typographies comme le comique sans MS. La caractéristique principale de cette culture est
qu’elle s’est auto-créée et que ses fondateurs sont des amateurs.
Dans leur ouvrage, Olia Lialina et Dragan Espenschied opposent cette classe d’amateurs à
14 Dragan Espenschied, Olia Lialina Digital Folklore, 2009 – Edité par Merz Akademie
16
celle des webdesigners qui préféraient reproduire des constructions similaires à ce qui est
jugé visuellement « noble » dans la vie hors-ligne. C’est à leurs yeux cette classe de
designers qui méprise et juge « kitsch » cette culture amateur et bricolée du début du web.
C’est cette origine purement amateur qui fait qu’elle n’a jusqu’alors pas eu droit à une
reconnaissance en tant que culture et pourtant, malgré les sourires moqueurs que l’on peut
voir se dessiner lorsqu’on pense aux gifs animés et pailletés, aux fonds d’écrans de ciels
étoilés, ou aux boutons en 3D, ces éléments font partie d’une histoire et constituent un art
populaire, une culture vernaculaire propre à Internet.
Cette culture perdure aujourd’hui mais elle a changé de nature : la création ne se fait plus
ex-nihilo mais elle passe par une culture du détournement. En effet, selon Lialina et
Espenschied, l’âge d’or de cet Internet aux mains des amateurs est révolu, et pour eux les
« utilisateurs » du web ne font plus que se servir des sites qui ont été conçus pour une
navigation optimale mais ils sont encadrés et n’ont plus l’espace de créativité dont ils
bénéficiaient avant. C’est à ce titre qu’Olia Lialina et Dragan Espenschied remettent en
cause un certain fantasme qui entoure Web 2.0 comme appropriation d’Internet par les
utilisateurs, il s’agit uniquement pour eux d’une forte utilisation de réseaux d’expressions
et non pas d’une réelle ère de création amateur.
Mais les espaces de créativité dans lesquels les amateurs fondent, au jour le jour, une
culture digitale, n’ont pas totalement disparus, ils sont simplement moins nombreux et plus
confidentiels mais ils sont présents car la production et la circulation de « mèmes », ces
nouveaux éléments constituants du digital folklore contemporain, n’ont jamais été aussi
importants. Le lieu le plus connu, prolifique et emblématique de cette culture est 4chan. Le
type de site auquel appartient 4chan est peu connu : il s’agit d’un « imageboard » c'est-à-dire
un site similaire à un forum mais sans enregistrement nécessaire et un contenu uniquement
visuel.
Le site nait en 2003 mais il n’est au début qu’un support d’échange entre passionnés de
culture japonaise, qui a ensuite été investi par un public plus large puis qui est devenu un
lieu incontournable. Aujourd’hui même si le site ne bénéficie pas d’une reconnaissance très
étendue, plus de deux millions de visiteurs s’y rendent tous les jours. C’est la partie du site
intitulée /b/ qui est aujourd’hui la plus connue et c’est de là que sont nés plusieurs éléments
significatifs de la culture Internet comme les « demotivational posters », les « lolcats », le
Rickrolling15.
15 Annexe 2
17
La culture Internet se structure autour d’un certains nombres de ces éléments qui sont
souvent issus de la culture populaire et qui ont été réappropriés par les Internautes et qui ont
énormément circulé jusqu’à devenir emblématique de cette culture Internet. Ces éléments
qui peuvent être un langage, une expression, des vidéos, des photos ou simplement des
polices sont appelés « mèmes » et sont indissociable de cette culture endémique à Internet
2) Du LOL au LULZ : la philosophie du « geste pour le geste »
LOL est l’un des éléments représentatifs de cette culture digitale. Le grand public est très
familier de ces trois lettres car elles ont, à l’origine, une fonction très similaire à celle d’un
smiley : il s’agit d’un acronyme pour l’expression Laughing out loud. Il est fréquemment
utilisé dans les échanges informels en ligne pour signifier rapidement et en peu de
caractères un rire aux éclats, idéal donc pour les conversations instantanées (chats de
toutes sortes). Son utilisation massive et extrêmement facile l’a fait glisser de son sens initial.
Ne signifiant plus un rire intense, il est en effet devenu une sorte de ponctuation facile, peu
engageante, mais qui devient rapidement représentative des adolescents sur Internet.
Mais cet acronyme n’est pas resté cantonné à ces chats pour adolescents, il a été détourné
par les chantres du digital folklore : utilisé avec ironie et second degré, il est alors employé
comme un verbe : « loler », « je lole », « nous lolons » ou comme un nom : le « LOL ».
Un autre acronyme très similaire est aussi très représentatif de cette culture digitale, il s’agit
du LULZ. Dans sa forme linguistique il s’agit du LOL en argot américain qui transforme les
mots en fonction de leur prononciation (LOL se prononce « lul » en anglais) et remplace
les « s » du pluriel par « z ». Ce détournement d’un mot déjà détourné concerne une
démarche plus agressive qui s’opposerait alors à un LOL classique, plus inoffensif. En effet,
le LOL concernerait toutes productions ou interactions qui ne font de mal à personne comme
le Rickrolling qui consiste à tromper un certain nombre d’internautes en leur envoyant un lien
sur un sujet qui les intéresse, lien qui en réalité les dirige vers le clip d’une star des années
quatre-vingt tombé en désuétude. D’autres mèmes sont inoffensifs : le « Sad Keanu » par
exemple : une série de montages à partir d’un cliché de paparazzi de l’acteur dans une
posture où il parait déprimé.
Le LULZ quant à lui, est plus nuisible et peut entraîner de lourdes conséquences en cas de
découverte. Ses adeptes se prêtent à l’exercice en pleine connaissance de cause. Un
exemple très connu est celui de Jessi Slaughter, jeune américaine de 13 ans qui avait une
attitude arrogante aux yeux de Channeurs (utilisateurs de 4chan), ils ont donc lancé une
18
guerrilla punitive contre la jeune fille mais aussi contre sa famille. Un réel harcèlement s’est
mis en place sur Internet ou dans la vie réelle : publication des mails et numéros de
téléphones de la famille, livraisons de pizzas quotidiennement etc. Lorsque son père publie
une vidéo pour manifester sa colère, la jeune fille en pleurs à ses côtés, la famille est
moquée de plus belle.
Le LOL comme le LULZ viennent du forum 4chan ce forum à l’origine de tant d’éléments
constitutifs de ce folklore digital. C’est le fonctionnement de ce forum qui a permis au LOL de
glisser vers le LULZ. En effet, si on a pu comparer Moot – diminutif de Christopher Poole
créateur de 4chan - au fondateur de Facebook, Mark Suckerberg, car il a fondé le forum à 15
ans, leurs productions sont en réalité extrêmement différentes car Moot n’a jamais accepté
l’expansion commerciale. La comparaison est d’ailleurs souvent effectuée sur les vies
privées des deux jeunes hommes, férus d’informatique : Zuckerberg est multi-millionnaire et
connu du monde entier tandis que Moot vit chez ses parents, sans emploi et a plusieurs fois
dû fermer son site en raison de son absence de rentabilité financière. Mais outre l’anecdote
sur ces deux personnalités, l’aspect non commercial est primordial dans la création d’un
folklore digital, parce qu’il permet une liberté totale, qui est la seule règle de ce forum aux
neufs millions d’utilisateurs : les images à caractère raciste, pornographique, de mauvais
goût ou contraire à toute sorte d’éthique sont permises. Cette liberté est accrue par
l’anonymat imposé à tous les utilisateurs sur ce site. Ce sont ces contenus qui ont contribué
à la réputation subversive de l’imageboard, le mystère entourant l’identité des utilisateurs et
le pouvoir qu’on peut leur reconnaître lorsqu’ils parviennent à hacker les comptes mails de
personnalités aussi haut placées que Sarah Palin16 ,sans objectif politique particulier, leur a
valu le surnom de « fosse à ordure du web ».
Nous allons voir en quoi Humour de Droite s’inscrit dans ce folklore digital par ses contenus
et souvent ses procédés. Mais pouvons-nous pour autant les assimiler à ces praticiens du
LULZ ? La question est difficile à statuer dans la mesure où les frontières séparant le LOL du
LULZ, le caractère inoffensif ou non d’un contenu, n’ont jamais été clairement définies. Il est
cependant clair que malgré les moqueries ouvertes adressées à des personnages publics,
nous sommes loin du harcèlement de Jessi Slaughter. Quant au contenu propre, il est bien
plus mesuré que ce que l’on peut trouver sur 4chan. Néanmoins, concernant la vision qu’ont
certains responsables politiques de ce type d’activisme, on observe une posture
étrangement similaire. Ils subissent en effet un dédain de la part de la classe politique
16 Sarah Palin’s E-Mail hacked – TIME – Septembre 2008
19
comme on peut le retrouver dans l’expression « fosse à ordure d’internet »17. Un dédain qui
n’est néanmoins pas dénué de méfiance et d’inquiétude, liées à l’anonymat et à l’absence de
conventions ou de règles établies.
****
Nous avons donc vu en quoi Internet représente un territoire d’expression qui le distingue
des autres médias. Les premiers acteurs l’ayant utilisé l’ont investi d’imaginaires très forts et
déterminants dans les usages que nous connaissons aujourd’hui. La communauté
scientifique lui a prêté l’imaginaire d’une prise de parole égalitaire et communautaire, l’idée
d’un outil qui sert à travailler ensemble vers un but commun et où la légitimité de la prise de
parole n’est pas due à un niveau social mais au mérite dont les membres font preuve dans
leurs actions. Le fait qu’Internet était avant tout un outil de communication interpersonnelle et
non de masse, a favorisé l’imaginaire comme lieu ultime pour la création de communauté et
il s’agit d’un imaginaire fondateur du « Web 2.0 ». Internet a aussi, très tôt, été réapproprié
par certaines communautés qui ont appliqué les imaginaires de liberté et d’égalité au profit
d’une lutte contre l’appropriation commerciale de l’outil, c’est ce qui a ancré dans les usages
d’Internet l’imaginaire d’Internet comme espace favorisant la lutte contre une culture
dominante qu’elle soit commerciale ou politique. C’est aussi de là qu’est issue la
représentation d’Internet comme espace de re-configuration de « l’espace public » : idéal de
démocratie directe, mais aussi la possibilité de rendre publique toute parole. Ces imaginaires
que l’on retrouve dans nos usages aujourd’hui ont aussi permis la formation d’une culture
propre à Internet avec ses propres codes visuels, langage et pratiques qui favorisent une
liberté totale à travers l’anonymat et qui ne servent pas de but précis. Le territoire
d’expression du collectif d’Humour de Droite n’est donc en aucun cas neutre et il est
primordial de prendre en compte ces imaginaires dans l’étude du collectif car ils sont
profondément ancrés dans sa vision, ses pratiques et ses contenus.
17 For the lolz : 4chan is hacking the attention economy – danah boyd
20
DEUXIEME PARTIE : UNE RE-APPROPRIATION DES IMAGINAIRES ET DES CODE S CULTURELS D’INTERNET PAR HUMOUR DE DROITE Humour de droite s’exprime sur Internet, territoire déjà bien investi par un certain nombre
d’acteurs : journalistes, hommes politiques, comiques etc. Mais nous allons voir que, grâce à
une logique d’adaptation de ces genres à la culture propre à Internet, ainsi que de ses
imaginaires, Humour de Droite représente une forme de commentaire de l’actualité hybride
et atypique.
I) La réappropriation des logiques de temps réel Les nouvelles technologies de l’information et de la communication se sont fortement
développées et les usages aussi : l’accès à l’information se ne fait plus au cours de certains
rendez-vous quotidiens comme le journal télévisé, la lecture d’un magazine ou même d’un
quotidien. Au fil des années, Internet est de plus en plus reconnu comme une source
d’information crédible : dans l’Etude TNS Sofres de Février 201018, Internet était déjà
majoritairement - à 59% - reconnu comme une « source d’information importante ». Or sur
Internet, l’information est diffusée en flux, elle y est constamment mise à jour, il n’existe plus
de calendrier spécifique. Quand la mort de Osama Ben Laden est annoncée un dimanche19
à 5h du matin en France, l’information s’est instantanément retrouvée sur les réseaux
sociaux internationaux qui ont touché une partie de la population avant même de se
retrouver dans les grands médias de masse. Avec cette évolution des techniques, les
usages se sont aussi modifiés : l’information vient aux utilisateurs à tout moment de la
journée, peu importe la situation géographique, grâce aux smartphones dont la
consommation a fortement augmenté : depuis le premier semestre de 2011, ils représentent
en effet un tiers des téléphones mobiles utilisés en France, et donc 27% d’utilisateurs sur la
population française. Les utilisateurs exigent désormais d’avoir accès à une information
actualisée à toute heure et où que ce soit. Dans l’étude sur la consommation de l’information
de l’Express Info Lab20, émerge le concept de « Fast News » : consultation de l’actualité
durant les temps morts de la journée. Selon cette étude, ce mode de consommation tend à
devenir une norme.
Une nouvelle exigence du public qui a modifié les pratiques journalistiques ; si la publication
d’un « scoop » était toujours valorisant économiquement et en terme d’image pour un
organisme médiatique, elle est devenue une réelle injonction. La course au scoop et à
18 Etude TNS Sofres : Internet et les Français Février 2010 19 La nuit du 2 au 3 Mai 2011 20 Express Info Lab Etude sur les nouvelles pratiques de consommation de l’information des français Mars 2011
21
l’actualité dite « chaude » se fait frénétique car elle n’est plus un bonus mais une obligation.
Twitter ne fait qu’accentuer cette exigence avec la sortie à la minute près de l’information et
le suivi en temps réel d’un événement.
Cette nouvelle injonction est d’ailleurs l’objet d’un grand nombre de reproches. C’est en effet
assez logiquement qu’on peut y voir une dégradation du travail du journaliste, qui, pris par le
temps, n’est pas en mesure de prendre du recul et d’y apporter un commentaire murement
réfléchi, ni même de vérifier ses sources. Ces reproches sont exacerbés à chaque reprise
journalistique d’un événement qui n’était que rumeur.
L’Humour de Droite se trouve pleinement concerné par cette problématique de temps réel,
en effet le collectif n’est présent que sur les réseaux sociaux. Mais il n’a pas fondé son
activité principale sur la publication d’un point de vue approfondi, réfléchi et argumenté de la
réalité. Humour de Droite s’inscrit bien dans cette logique de flux, car il s’agit de personnes
ultra-connectées qui suivent l’actualité en temps réel à travers une moyenne de 10
publications journalières21. Mais plutôt que subir cette injonction du temps réel, Humour de
Droite en a fait sa force et sa particularité. Le collectif connaît bien les façons de prendre la
parole dans les réseaux sociaux, ils ont intégré ce rythme et ont donc adapté leur contenu.
Comme nous allons le voir, ce contenu ne nécessite pas de temps de réflexion particulière, il
s’agit plutôt de commenter la bonne actualité et d’en faire le commentaire qui fera rire. Ainsi,
Humour de Droite est extrêmement réactif dans le commentaire des événements, qu’il
s’agisse d’un événement qui fait polémique à un certain moment ou d’un micro-événement
repéré dans l’acuité de leur suivi de l’information et sur lequel ils souhaitent faire la lumière.
Un commentaire est posté instantanément, il est souvent ironique et plus ou moins travaillé ;
arrivent par la suite les réactions de la communauté sur lesquelles ils peuvent rebondir, ou
alors la création d’un hashtag- ce signe « # » propre à Twitter qui permet à l’origine un
repérage mais qui est devenu le signe de blagues récurrentes pour Humour de Droite- qui
pourra occuper la communauté pendant un certain moment. Puis viennent les
détournements que ce soit les montages d’images ou de vidéos ou même la création d’un
site, d’un Tumblr ou d’un dispositif plus important.
Ainsi, si une thématique peut s’inscrire dans une durée plus étendue, l’information est
cependant toujours commentée en temps réel. Mais à l’inverse des journalistes, Humour de
Droit jouit d’une très grande liberté de mouvement et n’est en aucun cas soumis à un devoir
d’exhaustivité : si les membres du collectif ne sont pas intéressés par un fait d’actualité, il ne
serait pas imaginable qu’on puisse le leur reprocher.
21 Moyenne effectuée du 1er au 31 Mai 2011
22
Humour de Droite subit donc les mêmes contraintes qu’un journaliste face à la rapidité de
circulation de l’information sur les réseaux sociaux mais leur statut non-institutionnalisé ne
leur confère aucun devoir. C’est ainsi qu’Humour de Droite a fait de la petite phrase sa
marque de fabrique et un atout aux yeux de leur public.
II) La réappropriation des codes de la « culture In ternet » dans les contenus
Lorsque l’on observe le contenu proposé par Humour de Droite on s’aperçoit qu’un grand
nombre de procédés s’inscrivent dans cette culture digitale. Nous avons déjà vu que le
collectif est déjà imprégné de cette culture, de ce mode d’expression car - contrairement aux
médias online qui sont encore régis par les impératifs des rédactions offline- Humour de
Droite a su, non pas s’adapter à ce temps réel, mais adopter ad hoc une énonciation en
parfait accord avec le temps réel. Mais le contenu proposé est aussi imprégné des codes qui
constituent cette culture digitale. Les grands traits de similarité sont la culture du
détournement ainsi que le second degré et la légèreté du regard porté sur l’actualité.
1) La culture du détournement Le détournement, la réappropriation d’image est une marque de fabrique d’Humour de
Droite, on le voit dès la première confrontation à ce collectif. Leur logotype, représentation
identitaire ultime, est lui-même un détournement.
En effet, le logotype reprend presque l’intégralité du logo de
l’UMP, parti dominant de la représentation idéologique « de
droite » en France et parti au pouvoir. La même forme, les
mêmes couleurs, la même typographie, le même symbole. Le
seul élément qui diffère est la substitution des trois lettres U, M
et P par les lettres L, O et L. Il n’est donc pas judicieux de se lancer dans une analyse
sémiotique des éléments précédemment cités car ils appartiennent à des représentations
liées à l’UMP ; ce sur quoi il faut s’attarder est la transformation totale de sens par le simple
changement de l’élément texte. Ce logo, pourtant si simple, est extrêmement riche et
représentatif de la spécificité de l’Humour de Droite. Le phénomène de détournement réside
justement dans le changement radical du sens et de la réception du logotype par le
changement d’un simple détail. Ainsi, les couleurs franches et se référant aux fondements de
la nation française, la connotation de l’arbre faisant allusion à une idée d’inscription dans le
23
passé en allant vers l’avenir, etc. toutes les significations que l’on peut attribuer au logotype
de l’UMP disparaissent à l’instant même où ses trois lettres initiales sont remplacées par les
lettres LOL. Elles induisent instantanément dans l’esprit du récepteur un regard ironique sur
ce parti. En effet, que ce récepteur soit familier ou non de la culture Internet, il comprend le
sens de ce détournement : l’acronyme évoque un rire. Or, un rire reprenant les codes d’une
institution sérieuse est immédiatement perçu comme une moquerie. Les internautes familiers
de cette culture web quant à eux comprendront que, plus qu’une moquerie, le collectif va
réutiliser les codes de cette culture LOL pour commenter des faits liés à l’UMP.
Le titre même du collectif est aussi un détournement : l’expression « l’humour de droite »
étant originellement comprise comme se référant à un type d’humour propre aux personnes
animées par une idéologie de droite. Les majuscules du titre « l’Humour de Droite » l’éloigne
de cette acceptation au premier degré. Si le simple ajout de majuscule n’est peut-être pas
suffisant pour que l’internaute comprenne qu’il s’agirait d’un collectif qui traitera l’actualité
politique avec ironie, il sait néanmoins qu’il ne lui faut pas comprendre cette définition selon
son sens premier. Le fait de mettre en majuscules, qui sacralisent et rendent unique, une
expression liée à un discours considéré comme léger dans l’imaginaire collectif, induit
néanmoins un décalage dans le sens qui peut représenter de manière instinctive dans
l’esprit de l’internaute une idée de moquerie.
Le logotype et le nom, éléments de l’auto-définition du collectif, mettent donc le
détournement au centre de son identité. Ils nous montrent que par essence, Humour de
Droite va nous proposer un contenu qui prendra sens grâce à un détournement et à un
décalage.
En effet, quand on étudie plus précisément les contenus mis en ligne sur les réseaux
sociaux par Humour de Droite, on réalise que l’on s’éloigne du simple commentaire de
l’actualité politique et que l’on est face à un détournement, à une réappropriation de cette
actualité. Nous allons voir que le détournement peut être associé à différents types de
contenus : image, discussion, discours ou valeurs
a) Le détournement de l’image
Nous l’avons vu, le détournement d’image est une pratique extrêmement courante dans la
culture digitale, il s’agit même de la plus répandue, 4chan étant un imageboard. Ces
détournements d’images sont très nombreux : parmi les « grands classiques », on retrouve
les « LOLcats » ou les « Demotivational posters » –cités précédemment- qui consistent à
24
rajouter du texte à une image. Mais on retrouve aussi des montages modifiant l’image elle-
même, ces montages ayant pris le nom de LOLtoshop selon le nom du logiciel de travail de
photos le plus connu : Photoshop. On retrouve donc parmi les loltoshops, fondateurs de la
culture digitale, des montages comme les « Sad Keanu » que nous avons aussi cités
précédemment.
L’Humour de droite s’inscrit dans la lignée de ces détournements en proposant très souvent
des détournements d’images22 et on y retrouve les mêmes types de détournements. On
retrouve par exemple les images détournées par leurs légendes. On appose ainsi à des
images d’hommes politiques conventionnelles une légende qui en détourne le sens23. Pour
ce type d’image, c’est Laurent Wauquiez- Secrétaire d’Etat chargé de l’emploi - qui est la
cible principale de ce type de détournements. Sur Facebook, deux albums lui sont justement
dédiés, intitulés « Ya pas que les pauvres qui font semblant de bosser à Pôle Emploi » et le
« Wauquiez Show ». Ils sont tous deux intégralement composés de photos aux légendes
décalées qui donnent à l’image tout son potentiel comique. Il est intéressant de voir que
selon les cas, ces albums peuvent venir d’un fait absolument non-politique comme dans
l’album « Wauquiez Show » où les légendes font surtout référence à une parka que le
ministre porte souvent tandis que dans le second « Ya pas que les pauvres qui font semblant
de bosser à Pôle Emploi », l’album fait écho à une déclaration de M.Wauquiez condamnant
l’assistanat.
Humour de Droite n’hésite parfois pas à reprendre exactement le même format que ces
« demotivational posters » si caractéristiques de la culture web. Ce qui confirme leur
familiarité avec la culture digitale.
Les détournements d’images peuvent aussi se faire, comme nous l’avons vu, par une
modification de l’image elle-même. Ainsi, Humour de Droite se prêtent souvent à l’exercice
de Sad Keanu en prenant une photo de la vie politique française qui a, à leurs yeux, un
potentiel comique, et la modifient pour créer un effet comique et décrédibilisant.
La modification peut passer par un changement de fond d’image, comme ça a été le cas
pour Christine Lagarde. Plusieurs montages ont, en effet, été réalisés par l’Humour de Droite
et par les internautes à partir de la photographie qui avait été l’objet d’une polémique en
Novembre 2010 lorsqu’une de ses bagues avait été retirée par Photoshop. Rebondissant sur
l’actualité, d’autres montages plus légers ont été réalisés, mettant Christine Lagarde dans
un grand nombre d’autres contextes au sein de l’album « Shoped Lagarde » : dans des
photographies d’événements historiques, de chefs d’œuvres artistiques, de séries télévisées
22 Annexe 3
25
ou d’événements politiques récents. Il est intéressant de voir que certains de ces montages
rassemblent différents mèmes populaires de la culture digitale comme le un photo-montage
sous la forme d’un « demotivational » faisant figurer Christine Lagarde aux côtés d’un
« pedobear », autre mème très répandu. Ce mélange de mèmes est très courant dans la
culture Internet.
C’est aussi le cas de Benjamin Lancar – Président des Jeunesses Populaires, réélu en
2010- qui est vite devenu une des personnes les plus moquées par Humour de Droite et sa
communauté. Le jeune homme, très peu de temps après son élection, a été l’objet d’un
grand nombre de montages qui l’ont mis dans la peau de personnages les moins flatteurs.
Ces montages ont eu un tel succès qu’un Tumblr – portail de blogs simplifiés favorisant le
format image- a été monté. Se nommant « Bonjour Lancar », on y compte aujourd’hui
soixante-dix montages. Son élection datant de Juin 2010, Benjamin Lancar est encore très
moqué aujourd’hui par Humour de Droite et sa communauté.
Mais tous les détournements d’images ne se retrouvent pas dans ces catégories. Toute
image est potentiellement « détournable » pour Humour de Droite. On retrouve ainsi un
grand nombre de détournements très variés, comme le montage de Marine Le Pen sur le
fond classique des portraits des présidents de la cinquième république, la mise en évidence
de ressemblances entre certains hommes politiques et toute autre personne d’un milieu
décalé, etc. Il se peut même qu’il n’y ait pas de détournement explicite : en effet, Humour de
Droite publie souvent des photos d’hommes politiques plus jeunes ou grimaçants, sans
forcément être accompagnées d’un commentaire. Le simple fait qu’elles viennent d’Humour
de Droite fait immédiatement comprendre à l’internaute que leur publication est à visée
moqueuse.
Quoi qu’il en soit, le détournement d’image est central au sein des contenus proposés par
Humour de Droite comme elle l’est au sein du folklore digital. Les contenus visuels proposés
par Humour de Droite s’inscrivent donc directement au sein de cette culture inhérente à
Internet : par le fait d’être détournés, par la façon dont ils sont détournés et par les éléments
qui apparaissent dans ces montages.
2) Le trolling
Humour de Droite se prête aussi à un exercice propre à Internet et à ses initiés : le trolling
c'est-à-dire l’action détourner une conversation, un débat de son sens initial, de l’interrompre.
La définition de terme n’est pas institutionnalisée mais ce terme désigne à l’origine une
26
pratique propre aux discussions, mais on peut étendre le concept à des territoires plus
larges. Les pratiques de trolling peuvent envahir n’importe quel territoire.
Humour de Droite qualifient, par exemple de « trolling » le fait de se rendre sur la page
Facebook d’Alain Juppé24 et d’y poster des commentaires humoristiques et légèrement
provocateurs se référant à la iRiposte, au football ou juste une phrase ironique détournant le
but actuel de la page. Des commentaires similaires ont aussi été faits sur le site du Figaro. A
chaque fois, les membres du collectif postent sous l’identité d’Humour de Droite.
Un autre exemple de trolling : sur le site monté à l’initiative de Valérie Pécresse pour sa
campagne en Ile de France. Le site mettait à disposition des grilles de bandes-dessinées
laissant aux internautes le soin de remplir le texte dans les bulles. Humour de Droite s’est
empressé de prêter aux personnages de ces bandes-dessinées des propos sexuels
détournant ainsi le site de son objectif premier. Courant le risque que cette planche soit
supprimée sous peu par les administrateurs du site, des copies d’écran ont été faites et
postées sur Twitter et Facebook. Lorsque le trolling leur est impossible comme ça l’a été sur
la page des Créateurs de possibles – réseau social de l’UMP- Humour de Droite l’a aussi
signalé à sa communauté grâce aux copies d’écrans des messages d’interdiction.
Dans ces pratiques de détournements de sites institutionnels à visée sérieuse, Humour de
Droite s’inscrit directement dans un usage fondateur de la culture digitale.
3) Les personnalités confrontées au détournement : le phénomène des «têtes de turcs »
La formule paraît étrange, elle est en réalité employée pour décrire un phénomène qui
caractérise l’humour d’Humour de Droite mais qui fait aussi partie de la culture digitale à
laquelle nous ne cessons de nous référer. Il s’agit de l’élection spontanée de ce qu’on
appelle dans le langage vernaculaire des « têtes de turcs », c'est-à-dire un nombre limité de
personnes sur lesquelles les auteurs ont décidé de concentrer leurs moqueries.
On trouve ainsi des personnages récurrents dans les détournements d’Humour de Droite. Ce
sont des personnages qu’ils considèrent comme plus caricaturaux. Ces personnages sont la
cible de détournements récurrents. Il peut s’agir, par exemplen de montages photos et
Benjamin Lancar en est l’exemple parfait avec la création du Tumblr dédiés à ces montages.
24 Annexe 4
27
2) Un regard particulier sur l’actualité : entre le second degré et le potache
a) Second degré et clichés
Comme nous pouvons le voir une grande partie des contenus et des actions effectués par
Humour de Droite peut être considérée comme un détournement. Qu’en est-il du contenu
simplement textuel ? En effet nous avons vu que le collectif poste très fréquemment et suit
l’actualité en temps réel. Les montages prenant plus de temps, une grande partie de leurs
contenus sont textuels et commentent les faits d’actualité qui « font l’agenda » en France.
Cependant cette actualité n’est jamais commentée au premier degré, la marque d’Humour
de Droite est justement le second degré. En effet, mises à part quelques rares exceptions,
les propos d’Humour de Droite doivent rarement être compris au premier degré.
Tout d’abord par le cadre instituant qu’ils ont mis en place : leur logo et leur nom permet une
compréhension du second degré presque instinctive par les récepteurs. Ainsi lorsque l’on
retrouve une phrase telle que « Humour de Droite souhaite un bon anniversaire à Brice
Hortefeux » sur la page d’Humour de Droite, elle est instantanément perçue comme étant
moqueuse et ironique alors que dans un contexte autre, elle avait toutes les raisons d’être
entendue comme de simples vœux d’anniversaire.
L’humour d’Humour de Droite repose sur une reprise des codes et clichés que l’on attribue
généralement à l’idéologie de droite en France et auxquels ils font allusion en forçant
généralement le trait. Les clichés qu’ils mobilisent le plus souvent sont liés au racisme car ce
sont des problématiques particulièrement soulevées par le parti majoritaire depuis presque
dix ans. On retrouve ainsi des commentaires tels que « N’empêche que les concombres
assassins viennent tous de l’étranger. COMME PAR HASARD » (tweet à propos des
concombres tueurs le 2 Juin 2011) ou « Milan menacée par les pédés, les roms et les
bougnouls. Tiens bon Silvio » (lors des élections de Milan perdues Silvio Berlusconi en Mai
2011).
D’autres clichés sont utilisés par Humour de Droite : la condamnation de l’homosexualité, un
certain regard condescendant sur les pauvres mais aussi des détails vestimentaires ou
habitudes de vies que l’imaginaire populaire peut attribuer à une certaine partie de l’électorat
UMP, cette droite complexée qui est leur cible première disent-ils eux mêmes : « les militants
de droite développaient une vraie arrogance (…) affichant une attitude plus que
décomplexée, assez méprisante envers l’autre moitié des Français n’ayant pas voté pour
28
Sarkozy»25. On retrouve donc des commentaires tels que « Les mocassins à glands
#dedroite », ou « Les vacances au Maroc #dedroite ».
Un des mécanismes propres à l’humour d’Humour de Droite est se réapproprier un fait
d’actualité pour le transformer en un cliché qui sera réutilisable dans d’autres contextes. Par
exemple lorsque Laurent Wauquiez fait allusion à « l’assistanat », Humour de droite
s’empare de cette expression et la réemploie « Laurent et sa lampe d’assisté à deux RSA »
et parfois dans d’autres contextes « Brice Hortefeux a récupéré un fauteuil au parlement
européen. Il n’a donc pas le cancer de l’assistanat, même s’il est grassement payé à rien
foutre ».
b) L’humour « gratuit » et léger
Une autre caractéristique propre à l’humour d’Humour de Droite est la légèreté de leurs
propos. En effet, certains commentaires paraissent « gratuits » : absolument dénués de sens
ou message politique. Beaucoup de ces commentaires font référence au sexe, qui reste très
présent dans les blagues du collectif.
Ainsi un événement qui marque l’actualité peut être l’occasion d’une remarque humoristique
et légère. L’actualité récente marquée par les scandales sexuels au sein de la classe
politique française a été spécialement propice à ce type d’humour. Lors de l’arrestation de
Dominique Strauss-Kahn, nous avons par exemple été confrontés à des commentaires tels
que « NON, Dominique ton bracelet électronique ne SERA PAS un anneau vibrant » ou un
montage inspiré de l’affiche du film « La conquête »26 retitré « La quéquette » et mettant en
scène une femme de chambre en tenue légère. Ce genre d’humour peut aussi être
convoqué lors d’événements de l’actualité n’étant pas directement liés au sexe, lors des
rumeurs de contamination par le biais de concombres, Humour de Droite a publié le
commentaire : « Ne changez pas vos habitudes, le concombre c’est toujours meilleur dans
le cul ». Même en dehors des traits d’humour grivois, on peut s’interroger sur la portée
politique de certaines publications d’Humour de Droite, comme par exemple lorsqu’ils
lancent un sondage sur Facebook dont la question est « DECALE CATAN/ DECALE
CATAN » et que les réponses proposées sont « MEUUUUUUUH ? », « OHE OHE »,
« ZOUB ZOUB ZOUBIDA » faisant référence à un morceau de la Compagnie Créole.
25 Humour de Droite : « La politique sur le web, ce n’est pas une affaire de moyens » Slate, Septembre 2010 26 Annexe 3
29
On retrouve là une « posture mentale » selon les mots de la sociologue Monique Dagnaud27
propre à Internet. L’idée que chaque action ne doit pas nécessairement être motivée par un
but précis qu’il s’agisse de l’utilité, ou dans le cas d’Humour de Droite de l’inscription dans
une lutte politique. Nous nous situons au cœur de la philosophie du hacker « I did it for the
LULZ ». Pour le décrire, Monique Dagnaud parle d’une approche du monde par le rire.
La particularité de l’humour d’Humour de Droite est qu’il peut toujours être entendu selon
plusieurs niveaux. On peut en effet se limiter aux ressorts comiques liés à un jeu de mot ou à
une manipulation d’image. On peut aussi y lire cette dimension dans le cadre d’une critique
politique, le rire s’en trouve donc changé : par exemple intégrer une référence à la
compagnie créole dans une page délivrant un message politique peut être perçu comme une
volonté de désacralisation de la communication politique ou de la politique elle-même. Mais
les fins connaisseurs de la culture Internet entendront l’intégralité des niveaux de cet
humour, y voyant tous les niveaux : la blague, le message politique et la philosophie propre
à la culture Internet.
III/ Une identité et un rapport à la communauté iné dits
1) La mise en scène de leur identité : entre anonym at et engagement
Une caractéristique intéressante du collectif Humour de Droite, qui les distingue de certains
utilisateurs de Twitter influents qui sont experts dans le « personnal branding », est leur
anonymat qu’ils défendent farouchement.
Cet anonymat peut être perçu de deux manières différentes. Nous pouvons à nouveau
appréhender ces différences à travers l’opposition Moot/Zuckerberg.
Zuckerberg, comme on peut le deviner au regard des profils sur le réseau social Facebook,
défend vivement l’expression à l’aune de sa propre identité28. Il représente cette catégorie de
personnes, et c’est la pensée dominante dans la vie « réelle », qui considère que si l’on
assume nos propos, nous devons les prononcer en notre propre nom. Ecrire sous couvert de
l’anonymat représente pour lui une démarche lâche et un manque d’intégrité et de
transparence. On retrouve cette vision dans les pratiques politiques actuelles où l’on méprise
par exemple la diffusion de lettres anonymes dans le cadre d’une campagne électorale.
27 De la BOF génération à la LOL génération Slate – Septembre 2010 28 David Kirkpatrick The Facebook Effect 2010 – Editions Simon & Schuster
30
Mais on peut trouver sur Internet une autre perception de l’anonymat. C’est celle décrite par
le fondateur de 4chan dont nous avons déjà abordé le parcours et qui en a une toute autre
vision. Pour lui c’est tout l’inverse « l’anonymat c’est l’authenticité » dit-il en réponse aux
arguments de Zuckerberg ; pour lui, c’est au contraire l’anonymat qui permet « de partager
d’une manière brute et entière », « totalement non filtré »29 . Selon la vision de Moot,
l’anonymat favoriserait plutôt la créativité et permettrait aux utilisateurs une plus grande prise
de risque. Il va même jusqu’à avancer que quitter cet anonymat représente une « perte
d’innocence de la jeunesse » car elle ne laisse pas droit à l’erreur.
Difficile dans le cas de l’anonymat d’Humour de Droite d’imaginer qu’il s’agit là d’un acte de
lâcheté ni qu’ils prennent la position du « vengeur masqué ». En effet lorsqu’on aborde la
question de l’anonymat sur Internet nous changeons de paradigme. Comme le fait
remarquer la chercheuse américaine Danah Boyd dans un article sur les hackers30, il peut
être extrêmement aisé de retrouver la trace d’une personne sur Internet, notamment quand il
s’agit de supports tels que Twitter ou Facebook. L’un des membres d’Humour de Droite s’est
même une fois prêté à l’exercice de la Twittcam – service permettant aux utilisateurs de
Twitter de se montrer par webcam sur un certain laps de temps – se cachant faiblement le
visage.
L’anonymat recherché par les membres d’Humour de Droite est donc plus complexe et
plusieurs facteurs s’entrecroisent. Il ne faut pas perdre de vue que les membres du collectif
sont des amateurs. Par l’anonymat, ils souhaitent donc que leurs activités dans le collectif
n’affectent pas leur vie professionnelle31. Mais on peut aussi penser à l’effet inverse : que
leur personnalité n’affecte pas leurs propos. En choisissant l’anonymat, ils évitent ainsi
l’écueil du « personnal branding » et de la mise en scène de soi qu’ils moquent constamment
chez les hommes politiques. Ils ont donc fait le choix d’effacer leur personnalité pour mettre
leur propos plus en valeur encore. Ils s’inscrivent donc dans cette logique propre à la culture
Internet où personne ne vient revendiquer la paternité d’un mème, 4chan étant anonyme.
2) La flexibilité de l’énonciation : entre la parol e individuelle et collective
Le fait de regrouper leurs différentes identités sous un cadre commun peut apparaître
comme une volonté de s’exprimer selon une énonciation neutre et dépersonnalisée, comme
peuvent l’exiger certains exercices journalistiques. On remarque pourtant que les propos
29 Le fondateur de 4chan défend sa vision de l’anonymat sur Internet Le Monde, Mars 2011 30 Voir note n°17 31 Annexe 1
31
d’Humour de Droite sont très marqués par la subjectivité et que les narrateurs ne s’effacent
pas au nom de la neutralité de leurs propos. On peut ainsi voir que les messages postés sur
Twitter ou Facebook sont souvent exprimés à la première personne. Si la forme fréquente
est la première personne du pluriel – qui marque une expression au nom du collectif- on
retrouve pourtant certaines prises de paroles au singulier faisant référence à la vie privée de
la personne s’exprimant. A ce sujet le collectif explique que : « Soit on est une machine
froide qui se contente de poster des news, soit on pratique un egotrip rapidement saoulant
pour tout le monde. Nous, on a décidé de laisser un peu d'émotion et de créer du lien en
gardant ce côté très personnel »32
On voit donc que le collectif ne se sent pas comme investi d’une ligne éditoriale stricte ou
d’une exigence de neutralité et d’impersonnalité. Leurs seules exigences sont celles
de : « Dans le désordre : pertinence, humour, justesse, caractère édifiant »33.
Cette flexibilité vient de leur statut d’amateur. Ce statut confère aux internautes une très
grande liberté car il ne s’agit pas d’un statut soumis à des contraintes particulières, tout en
étant de plus en plus pris au sérieux, et tout particulièrement sur Internet. Pour son ouvrage
dédié à ce phénomène, Patrice Flichy34 parle de « Sacre de l’amateur », qui voit son
influence s’étendre mais pas les exigences qui pèsent sur lui. Pour décrire ce type de prise
de parole sans exigences ni ligne éditoriale, Flichy parle de l’existence d’une sphère qui se
situerait entre la production d’information et d’opinion.
Le statut d’amateur confère donc le droit à Humour de Droite d’exprimer des propos
empreints de n’importe quel degré de subjectivité, même s’ils s’expriment sur la chose
politique.
C’est un argument qu’ils avancent très facilement. Ainsi lorsque pendant les élections
municipales de 2009, une femme, membre du public d’Humour de Droite, avait trouvé très
machiste et peu sérieuse l’opération « Politits » d’Humour de Droite qui proposait à sa
communauté de prendre en photos sa poitrine dans l’isoloir et de la leur transmettre pour
qu’elle soit publiée, Humour de Droite a brandi cet argument. En réponse au message
qu’elle leur avait adressé sur Facebook, les membres du collectif lui avaient alors répondu
« on est des garçons hétéro, on demande des photos de nichons, c’est pas plus compliqué
que ça ».
32 Annexe 1 33 Annexe 1 34 Patrice Flichy Le sacre de l’amateur 2010 – Editions du Seuil
32
Ainsi lorsque nous étudierons l’engagement et la prise de parole, il faudra garder à l’esprit
qu’il ne s’agit pas d’une mission fixe et inflexible qu’ils se sont donnée. Les membres du
collectif se défendent d’une grande liberté, celle d’exprimer exactement ce qu’ils souhaitent
tout comme les Channeurs ne se donnent aucune limite.
3) Le rapport à la communauté
Nous avons vu qu’Humour de Droite bénéficie d’une communauté importante, qui s’étend de
jour en jour, il est intéressant d’étudier les rapports inédits qu’entretient le collectif avec cette
communauté.
a) Accessibilité et égalité Nous l’avons vu, Humour de Droite a fait le choix de ne s’exprimer que sur des réseaux
sociaux, ce qui illustre d’emblée leur volonté d’interaction et de mise en valeur de la
communauté. Néanmoins, si ces réseaux sont dits sociaux, l’interaction n’y est pas
forcément la norme. On a beaucoup parlé de la présence des journalistes sur Twitter comme
étant la marque d’une plus grande proximité avec le lectorat notamment dans leur
énonciation supposée être plus personnelle, plus libre et moins soumises aux codes du
journalisme. Néanmoins on voit qu’un grand nombre d’entre eux ne se servent de leur
compte que pour faire la promotion de leurs articles et en proposer d’autres mais peu
exploitent le potentiel d’échange des réseaux sociaux. Ces journalistes-là ne quittent pas
leur fonction, ils se servent juste de Twitter comme d’un relais pour la visibilité de leurs
articles et la leur.
Humour de droite en revanche a mis ces échanges avec la communauté au cœur de son
activité. En effet, chaque « mention » sur Twitter reçoit une réponse sous des délais très
brefs et chaque contribution à un hashtag ou à une série de photomontage est retweetée par
Humour de Droite. On observe donc chez eux une réelle posture d’humilité et d’égalité. Le
collectif ne se positionne pas comme une source d’information qu’il faut écouter mais comme
un groupe d’amateurs parmi d’autres. Le retweet de ce point de vue est très symbolique : les
contributions sont postées sur le compte Twitter du collectif, les énonciations se mélangent
et le tweet de l’usager s’insère dans le contenu d’Humour de Droite et est légitimé par le
geste du collectif. Humour de droite se fond au sein de sa communauté. Ce sentiment se
ressent dans le niveau de langage employé pour s’adresser aux membres de la
33
communauté : on ne peut les distinguer d’échanges entre deux personnes ordinaires sur
Twitter.
Cela dépasse la mise en valeur de la communauté, il s’agit d’une réelle mise à niveau de la
part d’Humour de Droite. Une mise à niveau ressentie très fortement par les membres de la
communauté qui se sentent valorisés par l’écoute qu’ils gagnent en étant retweetés et c’est
cette valorisation et cette mise à niveau de la part du collectif qui a donné lieu à une relation
qui dépasse la simple contribution de la communauté. On assiste désormais à une réelle co-
construction du contenu.
b) La co-construction du contenu
Nous l’avons vu, Humour de Droite est un collectif extrêmement réactif mais on remarque
que sa communauté l’est tout autant, ce qui favorise la dynamique d’échange. En effet, pour
chaque post d’humour de Droite, on observe une moyenne de 95, 7 likes et 32, 5
commentaires35. Cette participation est engageante pour la communauté. Le « like »
notamment, s’il s’agit d’un geste très peu engageant à première vue il est néanmoins
porteur de sens de par son nom même qui dénote une approbation d’ordre émotionnelle.
L’action du « like » est aussi engageante dans la mesure où elle est publique : les « friends »
ont en effet accès à ce que l’on « like » sur Facebook, il fait donc partie de la construction de
notre identité numérique.
Il est intéressant de voir en quoi les circuits d’échanges ne sont pas forcément ceux que l’on
pourrait imaginer : c’est-à-dire une réponse de la communauté à une initiative lancée par
Humour de Droite. C’est souvent le cas : Humour de Droite initie par exemple une série de
photomontages comme ce fut de cas des loltoshops Benjamin Lancar ou ils instaurent un
hashtag qui va pouvoir être utilisé par l’ensemble de la communauté. Parfois le chemin se
fait à l’inverse, lors d’un événement politique, les internautes peuvent venir de leur propre
chef proposer souvent un jeu de mots, un hashtag et parfois même un photomontage. Leur
participation peut être décorrélée de ce qui fait la une de l’actualité en France, il arrive
souvent qu’ils cherchent à attirer l’œil d’Humour de Droite sur une photo, une petite phrase
ou un article qui serait passé inaperçu. Pour décrire cette communauté, Humour de Droite
parlent d’une « une armée de nanas et de mecs qui vont se casser le cul à trouver de l’info,
à écrire une vanne, à relayer ce qu’on raconte, à designer un visuel, à monter un site, un
tumblr “cousin”… »36 Il s’agit en effet d’une communauté extrêmement active et pro-active.
35 Calcul effectué du 1er au 31 Mai 2011 36 Voir note 2
34
Lorsqu’en Janvier 2011, les membres d’Humour de Droite ont orchestré leur propre
disparition, certains membres de la communauté sont spontanément allés « troller » la page
Facebook de Benjamin Lancar, empruntant le même ton acerbe et irrévérencieux qu’ utilise
Humour de Droite. Cette action confirme bien la posture accessible d’Humour de Droite : la
communauté avait bien compris que ce que faisait Humour de Droite était faisable par tous
et que tout le monde a un potentiel d’action similaire à celui du collectif.
Pour qu’une telle contribution et assimilation soit possible il faut que les internautes soient en
totale adéquation avec la vision d’Humour de Droite et cette adéquation n’est rendue
possible que par le partage de valeurs, de codes : d’une culture commune.
Ce phénomène de détournement et de réappropriation communautaires est spécialement
fort sur Internet. On y retrouve le phénomène de « trivialité » décrit par Yves Jeanneret37
exacerbé et symbole même de la circulation d’éléments culturels sur Internet. Le concept de
trivialité est utilisé pour décrire la circulation d’ « êtres culturels » au sein d’une communauté
et de la société. Ce qu’Yves Jeanneret appelle un « être culturel » peut représenter une
idée, un objet ou une personne qui a été approprié et pérennisé par les membres de cette
société. C’est le phénomène de trivialité qui permet la transformation d’objets du quotidien
en une représentation aux yeux des membres d’une communauté. Tout part de la circulation
des informations qui n’est jamais anodine et neutre pour l’objet et ses représentations. Au fil
de la circulation, intervient un phénomène de réappropriations successives : l’objet se trouve
à chaque fois chargé de nouvelles valeurs. Il s’agit là d’un processus social de réécriture : de
nouveaux effets de sens sont produits mais l’objet n’est pas réellement dénaturé, il est
transformé. En passant d’un milieu social à un autre, il est aussi complexifié dans la mesure
où il gagne plusieurs niveaux d’analyse : sociales, intellectuelles et symboliques. Il est donc
important de considérer la circulation sur Internet comme n’étant pas neutre38
La trivialité est un phénomène qui ne concerne pas que le domaine du digital mais il est
intéressant de voir comment elle prend sens autrement en ce qui concerne la circulation sur
Internet. Le phénomène de trivialité peut être valorisé ou non, dans certains cas comme celui
du domaine scientifique, le fait qu’un savoir exhaustif puisse être réinvesti de sens et de
valeurs nouvelles en étant réapproprié par un public plus large est perçu très négativement.
Sur Internet au contraire, elle est socialement très valorisée. Car, en effet, mettre en valeur
les phénomènes de trivialité c’est promouvoir la trivialité, l’instaurer comme idéal. Au-delà du
résultat, sur Internet, c’est l’usage même de transmission et de réappropriation qui est prôné.
37 Yves Jeanneret Penser la trivialité 2008 – Editeur Hermes Science Publications 38 Cours d’Etienne Candel « Sémiotique interculturelle d’Internet » Novembre 2011
35
Ainsi, Humour de Droite s’inscrit au cœur même de cette philosophie mais aussi au cœur
d’un imaginaire structurant propre à Internet : la communauté d’intérêt composée de
membres égaux et régie par une logique de collaboration. « Les créateurs de possibles, les
vrais, ils sont de notre côté » affirment les membres d’Humour de Droite.
****
Nous avons donc vu qu’Humour de Droite s’inspire fortement de ces imaginaires et se les
réapproprie pour créer une prise de parole hybride. Cette inspiration se fait à tous les
niveaux. Tout d’abord en ce qui concerne la prise de parole : Humour de Droite s’est
approprié les logiques de flux en temps réel qui sont inscrits dans les supports qu’ils utilisent.
Au lieu de les percevoir comme une contrainte, ils en ont fait une force en privilégiant l’art de
la « petite phrase », l’extrême réactivité et ont joué du potentiel viral de leur contenu. On
trouve donc une réelle adéquation avec le support et une logique similaire à celle que l’on
retrouve sur 4chan. Sur le plan du contenu, on note aussi une forte hybridité liée à la reprise
de codes visuels avec les détournements d’images de personnalités politiques proches des
mèmes, constitutifs de la culture Internet, des pratiques inhérentes à cette culture web
comme le trolling, mais appliquées aux acteurs politiques français. Mais on retrouve aussi
chez Humour de Droite cette « posture mentale » des hackers : c'est-à-dire un humour au
second degré parfois très acerbe mais aussi parfois extrêmement léger ou grivois et sans
message politique, s’inscrivant directement dans la philosophie du « geste pour le geste » ou
du « I did it for the LULZ ». On retrouve aussi dans la mise en scène de l’identité et dans les
interactions d’Humour de Droite avec sa communauté une forte influence de la culture
Internet. La balance entre l’anonymat et les propos engagés reflètent bien cette volonté
libertaire de n’être soumis ni à l’injonction du « personal branding », ni d’être contraint à
suivre une ligne éditoriale. L’hybridité de leur statut leur permet cela. Humour de droite
s’inscrit aussi très profondément au sein de la culture communautaire en se mettant au
même niveau que sa communauté et en fonctionnant par une logique de co-construction de
contenu. Humour de Droite est donc un acteur particulier en ce qui concerne la politique sur
Internet : se réappropriant à leurs grés les codes du journalisme et des réseaux sociaux et
les enrichissant des codes et des imaginaires inhérents à Internet. S’agirait-il alors des
prémices d’un nouveau genre de commentaire de l’actualité politique à un niveau plus
global ?
36
3EME PARTIE : UN NOUVEAU GENRE DE L’ACTUALITE POLITIQUE SUR IN TERNET ?
Nous l’avons vu, Humour de Droite représente une forme inédite de commentaire de
l’actualité politique, imprégnée des imaginaires et des codes propres à Internet. Il ne faut
cependant pas oublier que le sujet principal de leur prise de parole est la vie politique
française et que les enjeux sont réels. En effet, si comme ils le disaient lors d’une interview
en Septembre 201039: « 10 000 fans sur soixante millions de français, c’est quoi ? », huit
mois plus tard, leur nombre de fans a doublé sur Facebook et leur nombre de followers sur
Twitter s’élève à plus de 47 00040. La proportion par rapport à la population reste peu
significative mais Humour de Droite étend son réseau et commence à être connu au-delà de
la sphère restreinte des fins connaisseurs de la culture Internet. Le collectif a ainsi été cité
lors d’une chronique politique sur Canal +41 et a été mentionné dans d’autres magazines au
public très large.
Au regard des évolutions qu’a connu le commentaire de l’actualité politique dans les médias
traditionnels et lorsqu’on s’aperçoit que l’énonciation propre à Humour de Droite se retrouve
aussi chez d’autres collectifs, on peut se demander s’ils ne participent pas d’un phénomène
qui va s’institutionnaliser et représenter le commentaire de l’actualité propre à Internet.
I) LOL ou prise de parole politique ? Les mécanisme s de création et de réception du message
1) Au-delà des partis : une lutte de valeurs
Comme nous l’avons vu, il est très difficile de catégoriser le collectif Humour de Droite. Le
contenu proposé est souvent très léger et on retrouve la notion d’humour au sein même de
leur nom. Pourtant le sujet traité est sérieux, les enjeux sont réels que nous soyons en temps
d’élections ou non. Humour de Droite a conscience de ce poids - là et il est très important de
noter que malgré leur nom, les membres ne se considèrent pas comme de
« simples humoristes ». Il est intéressant d’étudier cette tension que l’on retrouve au sein de
ce collectif entre un vrai désir politique de combattre certaines valeurs tout en gardant un
regard distant, léger et n’incitant pas à l'action contestataire.
39 Voir note n°25 40 Au 9 Juin 2011 41 Annexe 5
37
Concernant leurs prises de positions politiques, les membres d’Humour de Droite sont très
francs. Ils racontent dans cette même interview du 10 Septembre 201042 que la création
d’Humour de Droite en Juin 2009 était liée à l’expansion de la « droite décomplexée », qu’il
s’agisse des prises de position d’humoristes comme Laurent Gerra ou Jean-Marie Bigard
mais aussi de l’assurance toujours croissante d’une partie de l’électorat de Nicolas Sarkozy :
des personnes souvent très jeunes qui affichent avec fierté –et arrogance nous diraient
Humour de Droite- leur attachement aux valeurs portées par le candidats qu’ils avaient
soutenu en 2007. Néanmoins au lieu de produire un discours argumenté pour montrer leur
désapprobation face aux valeurs défendues, ils ont préféré se positionner sur le terrain de
l’humour.
Malgré la légèreté des propos, la visée politique d’Humour de Droite n’est pas à nier.
Lorsqu’il s’agit de les décrire, on parle le plus souvent de « gauchosphère». Le clivage
droite/ gauche est propre à l’organisation politique française et pourtant les membres du
collectif nuancent l’inscription dans cette logique. Pour se décrire, ils mettent un point
d’honneur à préciser qu’ils ne sont liés à aucun parti, que ce soit sur le plan de l’engagement
militant mais aussi idéologique. Ils déclarent en effet dans une interview43 « Perso, la droite
je m’en branle, comme de la gauche d’ailleurs. » Il s’agit pour eux d’un concept trop large qui
contient trop de différentes visions de la politique pour pouvoir être considéré comme un
tout. Mais le refus d’appartenance à un courant politique de droite comme de gauche
s’explique aussi par le fait qu’à leurs yeux, si l’on réfléchit à l’aune des notions de
« politiques de droite » face aux « politiques de gauche », la défense de « la gauche » perd
plus encore de son sens. Les membres du collectif considèrent en effet que les partis
dits « de gauche » se situent aujourd’hui du côté de la droite sur le plan des
politiques : « Selon moi, la gauche applique des politiques de droite depuis un certain temps.
CES GENS LA COUCHENT ENSEMBLE, IL FAUT LE SAVOIR.». Malgré ce que l’on peut
penser au regard du nom, du logo et des rapports qu’ils entretiennent avec certains
membres de l’UMP, ils ne militent pas explicitement pour un parti de gauche.
Le combat d’Humour de droite se situe plus sur le plan des valeurs et nous allons voir qu’il
s’agit de prendre position sur des valeurs républicaines, comme ils l’affirment44, et de
dénoncer certaines dérives qui les touchent particulièrement.
42 Voir note n°25 43 Voir note n°2 44 Annexe 1
38
Etonnamment, certains aspects du militantisme font même partie des valeurs qu’ils
dénoncent : « Le truc c’est qu’être encarté à vingt ans ça dénote un sacré manque de
recul sur soi »45. Et pourtant quand arrive la question de l’avenir, Humour de Droite affiche
une volonté de représenter un acteur influent de jouer un réel rôle politique dans le déroulé
des événements : « Plutôt qu’une fierté on a surtout envie que ça s’amplifie en 2012. Jusqu’à
devenir TRÈS GROS. »
Quelles sont les valeurs qu’Humour de Droite se propose de combattre ? Quels acteurs sont
à leurs yeux porteurs de ces valeurs ? On s’aperçoit que la critique ne se cantonne ni à un
parti, ni à la classe politique : concerne une gamme d’acteurs très étendue. Concernant la
question des partis : si la majorité des critiques est destinée aux hommes politiques affiliés à
une idéologie de droite, Humour de Droite ne s’interdit aucun commentaire sur les partis de
gauches. Ainsi lors de l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn, Humour de Droite a posté
un très grand nombre de commentaires décrédibilisants. Néanmoins, parler d’impartialité
serait impossible dans la mesure où Humour de Droite est tout de même clairement
positionné contre les idéologies de droite. Le collectif s’inscrit en réalité dans une lutte contre
tout ce qui peut entourer et dénaturer les idées politiques. Ils cherchent en effet à lutter
contre la communication politique qui, à leurs yeux, enrobe les idées et les valeurs. Ils sont
donc à l’affut de ce type d’attitudes mais n’hésitent pas à railler certains grands acteurs du
milieu de la communication – milieu dont ils sont issus- et qui ont des liens avec la politique.
Euro RSCG C&O en est un exemple, ainsi lors de l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn
Humour de Droite a publié ce commentaire « COUCOU EuroRSCG ! Vous passez à la TV
avec DSK, vachement plus classe que votre live tout pété sur Dailymotion ! ».
Humour de droite s’attaque aussi aux médias dont ils estiment qu’ils ne conservent pas la
distance et le recul qui s’imposent aux journalistes face à la classe politique, et tout
particulièrement face au pouvoir et aux personnalités de droite. Ils attaquent ainsi
régulièrement le Figaro en raison de ses rapports avec le pouvoir : « Je serais le Figaro, je
re-facturerais directement mes sondages au gouvernement ».
Plus que l’attaque de l’UMP que semble indiquer le logo, c’est à une manière d’envisager la
politique que s’attaquent les membres d’Humour de Droite.
2) Le parti-pris de l’humour comme arme politique 45 Voir note N°2
39
a) L’humour : phénomène complexe de mise a distance et de désacralisation
Nous avons bien vu que si Humour de Droite prend ses distances avec l’écosystème
politique, la prise de parole du collectif est bien porteuse d’un message politique. Pourquoi
alors prendre le parti de l’humour ?
Pour décrire ce qu’elle appelle la « génération LOL », Monique Dagnaud parle d’une
« posture mentale »46 qui consiste à ne rien prendre sérieusement et pourtant il ne faut pas
se méprendre sur cette posture. En effet si on peut penser que cette posture régit les
contenus issus de la culture digitale que certains appellent de plus en plus la « culture
LOL », nous avons vu que les origines d’Humour de Droite partent d’une prise de conscience
des plus sérieuses. Comment l’expression humoristique se prête-t-elle à ce type de
message ?
En réalité, il ne s’agit pas de se cantonner à la simple opposition « drôle » et « sérieux ». La
prise de parole humoristique porte en elle des effets qui se prêtent particulièrement à la
chose politique. Dans sa description de ce qu’elle appelle la « LOL génération », la
sociologue Monique Dagnaud fait référence aux libellés qui circulaient lors de la Révolution
Française. Ces libellés exprimaient différentes formes d’anecdotes : articles, portraits ou
courts textes sur la famille royale. Selon elle, ces anecdotes croustillantes, concernant
presque systématiquement les mœurs légères des membres de la famille, ont contribué à la
chute de la royauté car cette accumulation de courtes histoires souvent insignifiantes ont
créé l’image d’une société incompétente et immorale. En désacralisant l’instance au pouvoir,
la légèreté a contribué à sa fragilisation. Pour décrire ce phénomène, Monique Dagnaud
parle de « contestation par l’hilarité ».
Nous assistons à un phénomène plus complexe qu’il peut y paraître. Traiter la chose
politique peut être perçu comme un éloignement du sujet initial. Faire des jeux de mots sur le
nom des politiques alors qu’ils sont impliqués dans des polémiques lourdes de
conséquences sur le plan politique ou même moral représente une réelle prise de distance
vis-à-vis de la gravité du sujet. Et pourtant cette prise de distance peut être un catalyseur
pour qu’un rapprochement ait lieu entre un public et la vie politique de son pays. En se
concentrant sur certains détails plus insignifiants et d’une manière divertissante, ce genre de
prise de parole permet tout d’abord de susciter un plus grand intérêt et une plus grande
écoute mais aussi de désacraliser et de rapprocher les personnages politiques, dont les faits
46 Voir note N°27
40
et gestes sont calculés, de personnes plus humaines en facilitant à la fois la critique mais
aussi l’attachement.
Dans le cas d’Humour de Droite, ce phénomène est accentué par les procédés de
détournements se basant sur des images réelles, ou des citations qui, même détournées par
des légendes ou des montages, confèrent une impression de transparence et de non
d’invention de la part des auteurs. Ils insistent d’ailleurs bien sur ce détail lorsqu’ils
définissent leur activité : « Au final on ne fait rien d’autre que commenter de l’actu qui sort
dans les journaux avec un angle, de faire des captures d’écran de symptômes visibles de
racisme, etc. Y’a pas de dénigrement, de diffamation, d’invention ni de spéculation. Tout est
vrai, prouvé, visible. On est inattaquables. »47. Les membres du collectif soulignent par
ailleurs que l’humour permet de mettre en valeur les idées elles-mêmes que l’on tend à
« enrober sous une couche de com’ » lorsque l’on parle de politique sérieusement.
b) L’humour qui fédère et qui influence
Nous avons vu que l’humour, et tout particulièrement celui pratiqué par Humour de Droite,
est en réalité une expression favorable au message politique, mais il est aussi efficace
lorsqu’il s’agit de sa réception et de la création, puis de la consolidation d’une communauté.
En effet, l’humour ne provoque pas, dans les premiers temps, de réactions cérébrales, les
sentiments provoqués sont avant tout viscéraux et émotionnels. Et plus l’humour est potache
et léger plus on s’éloigne de la réaction raisonnée.
Nous avons vu que les contenus proposés par Humour de Droite sont polysémiques et
cryptés et que leur réception peut se faire à plusieurs niveaux : le simple rire ou
l’activation/réactivation de sentiments politiques souvent contestataires. Si les réceptions
peuvent être différentes selon les publics, ils sont néanmoins tous liés par la réaction
première et émotionnelle qu’ils ont eue : celle du rire. Ainsi quelque soit le niveau de
pénétration du message politique, les deux différentes réceptions peuvent être à l’origine
d’une seule et même réaction de la part du public : un « like » sur Facebook, un retweet sur
Twitter ou un commentaire. Ainsi, dans les 95 likes et 32 commentaires par semaine48 on ne
peut distinguer ceux qui ont simplement ri de ceux qui sont touchés par le message politique.
Mais on a néanmoins un sentiment d’appartenance très fort à une communauté ainsi que
l’établissement d’une humeur commune et partagée.
47 Voir note n°25 48 Moyenne effectuée du 1er au 31 Mai
41
Dans le cas d’Humour de Droite, ce sentiment d’appartenance à une idée commune est
accentué par le système de co-création qui s’est mis en place. Non seulement je partage
avec une communauté des références et une humeur commune grâce aux contenus
d’Humour de Droite, mais parfois c’est le contenu d’un membre de cette communauté qui en
est à l’origine. Mieux encore, parfois il s’agit du mien. Il s’agit donc là d’un phénomène
extrêmement fédérateur. Monique Dagnaud parle à ce propos de : « reconversion de
l’énergie mobilisable dans des échanges et des activités entre pairs ».49
Le sentiment d’appartenance à une communauté n’est pas sans incidence sur la création
d’opinions politiques. On peut en faire appel aux théories du sociologue Elihu Katz50. En
effet, si elles étaient à l’origine destinées à penser la diffusion de l’information à partir des
médias de masses, elles sont très révélatrices dans le cas d’Humour de Droite. Katz parle
d’une exposition sélective face aux informations qui nous sont transmises tous les jours, une
exposition fortement influencée par notre sphère sociale et personnelle. Il existerait de plus
un phénomène de renforcement des opinions existantes. On comprend donc la portée
potentielle que revêt l’expression d’Humour de Droite. Un renforcement des opinions
existantes tout d’abord : si les convictions politiques de la communauté d’Humour de Droite
peuvent être très variées il paraitrait néanmoins peu logique de devenir fan sur Facebook ou
de suivre sur Twitter un groupe qui signale dans son propre nom qu’il tourne en dérision les
idéologies de droite. De plus les propos étant peu engageants, car humoristiques, le
renforcement des opinions existantes est donc susceptible de fonctionner très fréquemment.
Concernant l’influence des relations personnelles et sociales, ce phénomène sert aussi très
bien Humour de Droite. Nous avons en effet vu que les interactions, que ce soit entre les
membres de la communauté ou du collectif à la communauté, sont très fortes et très
fréquentes. Nous avons aussi vu que les membres d’Humour de Droite sont très humbles
dans leur propos et ne quittent jamais le statut d’amateurs pour se mettre dans une position
supérieure par rapport à leur communauté. Tout concorde donc pour que la communauté
d’Humour de Droite soit considérée, selon la typologie d’Elihu Katz, comme étant au même
niveau que les cercles de relations privées et personnelles qui sont aux yeux du sociologue
les facteurs les plus influençants.
c) Une association qui a fait ses preuves : une « f ormule à succès »
49 Note n°27 50Paul Lazarsfeld et Elihu Katz, Personnal influence 1955 – Editions Armand Colin
42
Le parti-pris de l’humour pour véhiculer des opinions politiques est donc parfaitement justifié.
Les membres d’Humour de Droite reconnaissent par ailleurs très bien qu’il s’agissait a priori
pour eux d’une forme d’expression qui était susceptible de marcher et que c’est l’une des
raisons qui les ont poussés à privilégier le format « fait d’actualité + commentaire ironique »51
Ils affirment que c’est suite à l’observation de type de formats sur les médias traditionnels et
son succès auprès du grand public qu’ils ont choisi l’expression humoristique. Pour illustrer
ces propos, les membres du collectif citent des succès récents comme le présentateur
Yacine Bellatar, l’humoriste Stéphane Guillon ainsi que le programme court inséré au Grand
Journal de Canal + : « Le Petit Journal » de Yann Barthès.
Il est intéressant de noter que depuis quelques années, les médias traditionnels mettent en
avant des programmes ou des personnalités qui associent l’humour et le commentaire de
l’actualité politique par des mécanismes de désacralisation et de mise en avant des
coulisses, du « off ». Le Canard Enchaîné est un exemple très parlant du phénomène : le
titre se distingue de la presse politique traditionnelle par son ton satirique mélangeant des
propos très légers à une réelle irrévérence contestataire. Il se distingue aussi de ses
congénères de la presse écrite par sa mission : mettre en lumière les scandales qui
sclérosent les coulisses de la politique. Ils n’hésitent pas alors à briser la règle qui règne
dans les médias de ne pas relayer les propos récoltés « en off » pour mettre en valeur les
aspects qui échappent à la communication politique. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’à
l’instar d’Humour de Droite, le Canard Enchaîné insiste sur le fait qu’ils ne sont
idéologiquement affiliés à aucun parti. On reconnaît bien la volonté d’Humour de Droite de
dénoncer la communication politique jugée comme artificielle.
Aujourd’hui on remarque la généralisation du statut de chroniqueur, une personne dont le
métier est souvent peu mis en valeur, qui est là pour représenter la voix de l’amateur à
travers un commentaire ironique et souvent au second degré. On peut penser à Laurent
Baffie, présent comme une seconde voix dans les émissions de Thierry Ardisson et qui
commente avec ironie les propos sérieux des invités. On note aujourd’hui la présence
systématique de chroniqueurs ou d’humoristes dans les émissions d’informations sur la
tranche cruciale 6h-9h des radios françaises. Il s’agit donc d’une association qui commence
à se généraliser dans les médias de masse et donc dans l’esprit du grand public. Est-ce
donc l’évolution logique pour Humour de Droite : devenir un phénomène touchant un public
plus large, voire de masse ?
51 Voir note n°25
43
II) De la massification à la théorisation
1) Humour de Droite : un collectif non-isolé et des usages qui se généralisent Si Humour de Droite représente une forme inédite de commentaire de l’actualité politique, et
qu’il s’agit du collectif qui bénéficie de la plus grande écoute, il existe d’autres acteurs qui
s’expriment d’une manière similaire à Humour de Droite. La forme et les supports
d’expression peuvent diverger mais on y retrouve le même esprit et la même manière de
s’exprimer sur l’actualité.
On retrouve ainsi d’autres collectifs anonymes. « Petites Phrases » par exemple qui à la
différence d’Humour de Droite privilégie l’archivage sur un site plutôt que de se limiter aux
flux de réseaux comme Twitter ou Facebook. Sur son compte Twitter (environ 6 000
followers) et son site Wordpress, le collectif se limite à la collection de phrases marquantes
prononcées par les politiques. Comme Humour de Droite, le message passe par une lecture
au second degré de phrases qui sont sorties de leur contexte et qui en trouvent une nouvelle
interprétation. Le site « Ils l’ont dit » propose exactement le même contenu - mais n’entre
pas en conflit avec Petites Phrases dans la mesure où ces derniers n’ont pas actualisé leur
site depuis presque un an. « Brave Patrie » est un autre exemple : le collectif anonyme
prend la forme d’un site qui parodie un journal de droite. Nous avons aussi « Comic San
Ms » et « Bonjour La Droite » qui se déclinent sur les mêmes supports mais se rapprochent
des contenus proposés par Humour de Droite.
Cette liste n’est pas exhaustive mais elle illustre bien le fait qu’Humour de Droite n’est pas un
acteur isolé dans sa manière de traiter l’actualité politique en jouant avec les codes et les
imaginaires d’Internet.
Il s’agit en réalité d’une façon de s’exprimer sur l’actualité qui tend à être adoptée par un
nombre de plus en plus important de personnes actives sur les réseaux sociaux. Si certains
détournements nécessitent la possession ou la maîtrise d’outils comme Photoshop, il reste
possible à toute personne active sur Internet de produire des commentaires avec ce ton
propre à la culture Internet. Lors de l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn, nous avons
ainsi vu un très grand nombre de personnes non-investies d’un statut particulier comme
peuvent l’être Humour de Droite ou des journalistes, proposer des jeux de mots ou des
images détournées. Nous sommes ainsi face à une culture Internet qui est de plus en plus
mobilisée pour commenter l’actualité française.
44
2) LOL Journalisme », « LOL Génération » : quelles théorisations et quelles limites.
Le fait que cette façon de commenter l’actualité s’étende à un nombre d’acteurs plus large et
que ces acteurs gagnent en notoriété n’a pas échappé à un certain nombre de personnes
qui y ont vu un phénomène en devenir. Deux personnes sont à distinguer tout
particulièrement : il s’agit du journaliste et étudiant à l’EHESS Vincent Glad et de la
sociologue et chercheuse au CNRS Monique Dagnaud. Il est intéressant de voir qu’ils ont
tous deux une approche différente de ce phénomène.
a) L’approche générationnelle
Pour Monique Dagnaud, il s’agit d’un phénomène générationnel, elle parle de « LOL
génération »52 qu’elle met en parallèle avec la « BOF Génération » de Mai 68 qui avait été
jugée comme étant incapable « de trouver la passion dans un monde sans émotion» (« La
Bof Génération », chanson de Renaud Hantson, 1997) se distinguant de cette dernière, la
LOL génération serait réinvestie d’une volonté contestatrice mais par la dérision. Monique
Dagnaud parle d’une approche globale du monde par le rire, tout étant potentiellement
« détournable » et objet de moquerie.
Un rire qui s’inscrit selon la sociologue dans les codes de cette culture Internet. Elle décrit
ainsi les différents détournements que nous avons pu étudier chez Humour de Droite.
Monique Dagnaud constate cette évolution du traitement de l’actualité dans les médias
traditionnels mais reconnaît bien les particularités du web qui permet aux commentateurs
d’aller plus loin dans la transgression des codes traditionnels et qui est le seul territoire où
peut s’exprimer cette forme si particulière d’humour : le LULZ. Monique Dagnaud conclue sa
description du phénomène en disant : « S’installe alors, traversant les réseaux sociaux et les
blogs de jeunes, une culture que les plus de 30 ans peuvent ne pas comprendre.»
b) Le LOL comme nouveau journalisme citoyen
S’il analyse les mêmes changements dans l’énonciation et l’insertion inédite de la culture
Internet dans certains commentaires de l’actualité, Vincent Glad en tire d’autres conclusions
et théorise un autre phénomène.
Il s’agit pour lui d’une mutation du journalisme. Il explique en effet que ce qu’on avait imaginé
être la mise en place du journalisme citoyen – les blogs- n’ont pas rempli cette mission. A
ses yeux, le vrai journalisme citoyen réside plutôt dans les commentaires ironiques des 52 Voir note n°27
45
acteurs similaires à Humour de Droite. Pour Vincent Glad, ces acteurs tirent leur force du
court-circuitage des méthodes des médias traditionnels et des institutions, ce qui fait qu’ils
représentent un réel contre-pouvoir.
Il est intéressant de voir en quoi cette vision et cette énonciation particulière sur l’actualité se
généralise au point d’être considérée par différents acteurs comme étant un réel phénomène
susceptible d’être théorisé. On remarque que les deux théories décrites s’inspirent des
mêmes faits et des mêmes modifications du regard porté sur l’actualité, mais elles sont
pourtant très différentes.
Quelles limites ?
Ces deux théories peuvent néanmoins toutes deux être nuancées par la mise en lumière de
certaines limites.
Celle du « LOL journalisme » dans un premier temps. Il est intéressant de voir que, lors de
notre étude, nous avons mis l’accent sur l’hybridité de l’énonciation de ces acteurs, les
mettant en parallèle avec les internautes engagés ou encore avec les liens de l’humour et de
la politique. Mais nous n’avons à aucun moment rapproché cette activité de celle du
journaliste. Pourtant, comme le souligne Vincent Glad, ce commentaire de l’actualité peut
être pratiqué par certains journalistes, souvent très actifs sur Twitter. Il cite Alex Hervaud
mais nous pouvons aussi prendre Vincent Glad lui-même pour exemple.
Il parait néanmoins difficile de voir dans ce nouveau commentaire de l’actualité politique une
pratique journalistique. En effet le métier de journaliste est institutionnalisé et défini : les
journalistes sont rémunérés, leur statut dépend d’une validation représentée dans la carte de
presse, ils appartiennent à une rédaction et s’inscrivent dans une ligne éditoriale. Le fait que
les journalistes puissent désormais être présents sur Twitter et exprimer leur avis personnel
au même titre que les autres internautes complique ces différents critères mais les
exigences face à l’exercice journalistique sont plus que jamais présentes. Les internautes
s’indignent lorsqu’un journaliste ne prend pas le temps de vérifier ses sources ou manque à
ses devoirs de transparence face au pouvoir. Instituer l’inscription du LOL dans le
commentaire de l’actualité politique sous le nom de « journalisme », c’est remettre en cause
l’hybridité et l’absence de statut qui constituent l’essence même des acteurs comme Humour
de Droite. Lorsqu’on leur demande de quel statut ils se rapprochent le plus, les membres du
collectif prennent une distance claire face au métier de journaliste : « journalistes pas
46
tellement, on n’a pas le temps ou les moyens d'investiguer, on laisse plutôt l'info venir à
nous. »53
Quant à l’approche du phénomène par l’âge comme le fait Monique Dagnaud avec son
concept de « LOL génération », il peut paraître surprenant dans la mesure où parmi les
acteurs dont on connaît l’âge, peu ont moins de trente ans. Concernant l’idée de Monique
Dagnaud qu’il s’agit là d’une « culture que les plus de 30 ans ne peuvent pas comprendre »,
il est intéressant de remarquer que nous sommes plutôt face au phénomène inverse. Si les
jeunes emploient en effet fréquemment l’acronyme LOL dans leurs échanges de messages
instantanés, ils sont très peu nombreux à être familiarisés avec cette culture propre à
Internet. Comme le soulignent Olia Lialina et Dragan Espenschied, la culture Internet trouve
ses racines dans la période où Internet était investi d’un public large mais sans être très
professionnalisé, cette période se situant pour eux entre les années 80 et 90. La génération
décrite aujourd’hui a certes une connaissance importante des technologies numériques avec
lesquelles ils cohabitent depuis leur enfance, ils sont confrontés aux imaginaires liés à ces
technologies, mais ne sont pas nécessairement amenés à rencontrer cette culture qui n’est
produite que par une communauté d’internautes relativement restreinte. Les membres de
cette génération « de moins de trente ans » peuvent pour certains y avoir été confrontés
mais l’approche de cette culture ne doit pas être abordée sous l’angle générationnel.
III/ Le web comme laboratoire d’étude politique
1) Une énonciation qui n’est pas accessible à tous : l’exemple de l’échec de l’UMP
On remarque que parmi les différents acteurs que nous avons cité(s) comme portant le
même regard qu’Humour de Droite sur l’actualité, tous s’inscrivent dans une mouvance de
gauche.
Il y a pourtant eu une volonté de réponse de la part des internautes de droite et tout
particulièrement des militants de l’UMP. Une stratégie à été mise en place en Septembre
2010 : l’iRiposte. Elle peut être considérée comme étant directement liée à Humour de Droite
dans la mesure où elle est l’initiative de Benjamin Lancar, l’un des personnages politiques
les plus soumis aux moqueries du collectif. Selon les mots du président des Jeunes
populaires, l’iRiposte est une « reconquête »54 du web face à ce qu’il appelle la
53 Annexe 1 54 L’UMP « iRiposte » sur Internet L’Express – Septembre 2010
47
« gauchosphère ». Et pas de n’importe quelle manière, il souhaite s’y engager dans la même
tonalité que des acteurs comme Humour de Droite. C’est-à-dire sur le plan de l’humour et du
décalé, afin de « taper fort sur la gauche et user de second degré » toujours selon les mots
du jeune militant.
Tout au long de sa mise en place, le plan des Jeunes Populaires a été mis à mal par cette
« gauchosphère » ultra-réactive. Dès l’annonce de la stratégie, elle a été détournée par la
communauté visée : un compte Twitter ainsi qu’un site ont été ouverts sous le nom
d’iRiposte et sur lesquels ont rapidement été postées différentes vidéos, images et
commentaires se moquant des acteurs initiaux de cette iRiposte Si l’action a été faite
anonymement, on remarque que le fond du site iriposte.fr s’inspire fortement du logo
d’Humour de Droite, on sent donc le sentiment d’appartenance de son lecteur.
Les Jeunes Populaires se sont aussi prêtés à l’exercice du compte Twitter anonyme. Sous le
nom de @Solférinien, ils se sont fait passer pour le Parti Socialiste et ont divulgué de
fausses informations sur celui-ci. Mais il a rapidement été révélé à la suite d’une enquête
que le propriétaire du compte était probablement – il n’a pas confirmé- Baptiste Roynette,
communiquant à la tête de l’équipe dédiée à la stratégie Internet des Jeunes Populaires.
Ils se sont aussi prêtés à l’exercice du détournement humoristique en reprenant le modèle
de l’animation Happy Tree Friends pour illustrer les déchirements internes au parti socialiste.
On y trouve aussi un site « La Gauche m’a tuer » qui se donne pour ambition de dénoncer
ce que le parti ne fait pas pour les jeunes.
Cette iRiposte n’a pas rencontré le public qu’elle attendait, « La Gauche m’a tuer » n’a que
429 fans55 sur Facebook et 56 followers sur Twitter. L’adoption du second degré ne semble
pas fonctionner pour le moment, Humour de Droite et ses congénères n’ont toujours pas
d’adversaires usant des mêmes procédés. Plusieurs arguments ont été avancés pour
expliquer la faiblesse du succès de cette stratégie. Selon les instigateurs, la difficulté réside
dans le fait qu’ils appartiennent au parti actuellement au pouvoir et qu’il leur est plus difficile
de capter une audience à partir d’idées positives contrairement à qu’Humour de Droite qui
s’inscrit en opposition. Si cet argument n’est en rien irrecevable, il parait pourtant difficile de
s’y limiter pour expliquer l’échec de l’iRiposte.
Une autre explication réside dans le fondement même du projet : il s’inscrit tout d’abord dans
un logique de défense et de réciprocité : ils ont vu le fait de communiquer sur le ton de
l’humour comme une nécessité car c’est ainsi qu’ils ont été attaqués. Nous sommes là aux
antipodes de la philosophie du « Pour le LULZ ». Au contraire, la iRiposte repose sur un très
55 Au 9 Juin 2011
48
grand nombre d’objectifs : lutter contre la « gauchosphère » premièrement mais surtout un
objectif d’image destiné à valoriser politiquement et orienter un choix d’électeur. Cette
initiative a été mise en place dans le cadre d’une « web agency » dédiée à la communication
de l’UMP qui emploie huit personnes à plein temps dans ce dessein, grâce à un budget
confortable. Le site « La gauche m’a tuer », bien que créé par Mike Borowski, extérieur à
l’agence, a bénéficié des généreuses donations – 20 000€- d’un « ami du pouvoir avec
énormément de moyens » selon les mots de M. Borowski.56
Tout s’éloigne donc des imaginaires fondateurs et de la culture d’Internet qui fait la
particularité de la prise de parole des acteurs comme Humour de Droite. Il s’agit là d’un
simple mimétisme dans l’énonciation, la démarche qui les porte en est totalement différente.
C’est ce décalage qui nous semble être le facteur qui a le plus joué dans l’échec de
l’iRiposte.
Nous pouvons donc voir à travers l’exemple de l’iRiposte que si l’énonciation peut se
généraliser, et donc logiquement être théorisée, les imaginaires et la culture endémiques à
Internet restent très prégnants et instaurent Internet comme un territoire particulier : d’une
grande complexité et en évolution constante.
2) L’évolution des technologies et des services com me source de nouveaux détournements La complexité des représentations et son évolution constante font d’Internet un territoire
protéiforme et unique. C’est à l’aune de ces deux caractéristiques qu’il s’agit d’adopter un
regard critique face à toute posture trop définitive concernant les phénomènes agissant
Internet.
Il ne s’agit pas de penser l’insertion du LOL dans le commentaire de l’actualité politique en
ligne comme étant la nouvelle forme de militantisme en ligne. Bien qu’étant pratiquée par un
nombre grandissant de personnes sur Internet et conquérant un public de plus en plus large,
il s’agit de rester conscient de l’évolution constante de ses formes. Elles sont tout d’abord
liées à l’évolution particulièrement rapide des techniques et de l’écosystème d’Internet. Mais
elles s’expliquent aussi par la force des imaginaires qui imprègnent Internet et y
entretiennent la présence d’une certaine contre-culture et d’un esprit libertaire qui eux
mêmes entraînent un renouvellement constant des formes d’expression et de transgression.
L’énonciation et les pratiques qui font la signature d’Humour de Droite ne sont en rien
figées : elles vont être amenées à évoluer. Nous avons vu que les membres d’Humour de
56 Bondages et pain grillé : c’est la iRipose… entre jeunes UMP Rue89 – Février 2011
49
Droite sont des individus très connectés et se montrent toujours enthousiastes pour tester
les différentes évolutions des services ou des technologies : twittcam, les
questions/réponses sur Facebook et récemment le service de crowdfunding Ulule, créé l’été
2010. Ils écrivent, par ailleurs, régulièrement à partir de leur smartphones.
Les technologies numériques évoluent aujourd’hui à un rythme effréné : il suffit par exemple
de voir le temps qui sépare les différentes versions des produits Apple. Ces évolutions
technologiques sont donc amenées à être adoptées rapidement par ces acteurs connectés
qui, constamment portés par l’énergie créatrice qui les caractérise, trouveront d’autres
détournements simples mais percutants à appliquer à ces nouveaux services.
Dans « L’activisme sur Internet, entre défection et expérimentation »57, Olivier Blondeau et
Laurence Allard étudient les différentes formes de militantisme sur Internet durant toute une
décennie (de 1995 à 2005). A travers cette observation, on constate bien qu’à chaque
innovation technologique, les acteurs engagés ont su se la réapproprier. Ainsi au début des
années quatre-vingt dix, ils utilisaient l’envoi massif d’e-mails pour immobiliser des systèmes.
Avec le développement d’interfaces de gestion de contenus accessibles, ce sont les blogs
qui ont été utilisés et l’expression intime s’est développée. Avec le développement du peer-
to-peer et des Creative Commons, c’est l’aspect collaboratif qui a pris de l’importance et on
voit aujourd’hui les usages des technologies de la mobilité : le temps réel et les images
prises sur le vif.
Si, comme le dit Vincent Glad, 2012 sera certainement la « Grande bataille de l’humour sur
Internet»58, on peut déjà imaginer que les contenus d’Humour de Droite auront connu des
évolutions et que d’autres acteurs seront apparus, peut être porteurs d’un nouveau genre de
commentaire de l’actualité politique.
3) Internet comme porteur inéluctable d’une contre -culture.
Outre les évolutions technologiques, on peut déjà imaginer la création de nouvelles formes
de contestations et d’expressions dès lors que le style Humour de Droite se sera trop
massifié. Nous avons vu qu’Internet est soumis à de très forts imaginaires libertaires et
contre-culturels qui façonnent les usages et nous permettent d’imaginer que de nouvelles
transgressions sont à attendre.
57 Olivier Blondeau et Laurence Allard Devenir média : l’activisme sur Internet entre défection et expérimentation 2007 – Editions Amsterdam 58 2012, la grande bataille de l’Humour sur Internet Slate – Septembre 2010
50
Internet se présente comme le territoire idéal pour se différencier des opinions et
expressions dominantes : à savoir celles des médias traditionnels. Il s’agit de leur refuser le
monopole : que ce soit au niveau de leur énonciation codée, de leur fonction d’agenda, ou
encore de leur écoute de masse. C’est pour décrire ce phénomène que la chercheuse
Danah Boyd parle de « hackers de l’attention »59 : désignant toute une série d’internautes qui
souhaitent manipuler la réception de l’information. Les internautes choisissent en effet, en
s’en moquant, de mettre l’actualité qu’ils désirent en avant court-circuitant ainsi la circulation
de l’information.
On peut donc avancer que restera sur Internet cette volonté de détourner et de se
réapproprier tout ce qui est du domaine du « mainstream », terme issu du vocabulaire
économique et qui désigne les courants principaux de consommation et par extension, les
courants culturels et sociétaux dominants.
Comme l’expliquent Olivier Blondeau et Laurence Allard, Internet n’est pas une technologie
parmi d’autres, elle a permis une reconfiguration du militantisme, de la démocratie et même
du rapport à la société. C’est à ce titre que nous pouvons appliquer au commentaire de
l’actualité politique leur vision d’Internet comme un territoire à part, régit par une logique
d’expérimentation.
****
Nous avons donc vu que l’humour est une arme redoutable si l’on veut faire passer un
message politique. Il permet, en effet, de fédérer et d’influencer tout en prenant une distance
critique en passant par la légèreté. Nous avons pu illustrer cette efficacité à travers l’exemple
d’une tendance plus générale que l’on retrouve hors-ligne. Il s’agit de l’insertion de plus en
plus fréquente des programmes mêlant humour et politique grâce à toutes sortes de
techniques de désacralisation. Mais nous avons vu que la caractéristique principale
d’Humour de Droite - à savoir l’hybridité et l’insertion de codes propres à la culture Internet-
est un phénomène qui concerne d’autres acteurs et le ton employé tend à se généraliser
auprès de tous les internautes connaisseurs. Le phénomène de massification est illustré par
une nouvelle théorisation, notamment par le journaliste Vincent Glad et la sociologue
Monique Dagnaud. Ils perçoivent le phénomène sous des angles différents et discutables
mais qui y voient tous deux une réelle tendance. Pourtant si le phénomène est amené à se
généraliser, comme ces derniers le précisent, nous pouvons avancer qu’il ne s’agira pas
pour autant d’une forme unique de commentaire de l’actualité sur Internet. Nous l’avons vu,
59 Voir note n°17
51
il s’agit d’un territoire extrêmement mobile qui se réinvente constamment et rapidement.
Nous pouvons donc imaginer l’émergence prochaine de nouveaux types de commentaires
de l’actualité politique en raison de l’évolution rapide des techniques qui va donner lieu à de
nouvelles réappropriations de la part des internautes, mais aussi d’un fort esprit de contre-
culture qui pousse les internautes à se distinguer des phénomènes de masse.
52
Conclusion
A travers cette étude nous avons pu confirmer qu’Humour de Droite représente en effet un
commentaire de l’actualité inédit. Inédit, justement par sa manière de se réapproprier les
codes de la culture Internet et son application à un contexte sociétal concret. Nous avons vu
qu’ils s’inspirent des codes et des imaginaires d’Internet à tous les niveaux : dans la
définition de leur identité, dans leurs pratiques d’expression et leur rapport à la communauté
mais aussi dans leurs contenus.
Mais nous avons aussi vu que si ce regard sur l’actualité et son ton employé pour la décrire
se généralisent de plus en plus, il est primordial de prendre de la distance envers ce
phénomène. Internet a en effet cela de particulier que ses acteurs évoluent très vite ; tout
d’abord face à l’évolution des techniques mais aussi en raison de la persistance d’un fort
esprit de contre-culture. Ces formes de commentaire de l’actualité politique vont donc être
amenées à évoluer rapidement ou d’autres formes nouvelles vont émerger et venir contre-
balancer ou compléter celles d’Humour de Droite et de ses congénères.
Considérant le calendrier politique français on peut s’interroger sur la forme que va pouvoir
prendre l’expression politique sur Internet lors d’une période aux enjeux plus concrets et
immédiats : des élections.
Nous avons, en effet, étudié ce phénomène dans une période sans enjeu politique majeur :
le collectif s’est créé alors que le gouvernement de Nicolas Sarkozy était en place depuis
plus d’un an et quatre ans nous séparaient alors des élections présidentielles suivantes.
Comment sera alors perçu un collectif sans affiliation politique directe à un parti ou un
candidat ? Si ce paradigme change et que les membres du collectifs d’Humour de Droite,
animés de la conscience politique qu’on leur connait, sont amenés à prendre position pour
un candidat : comment le discours, habituellement construit en négation, pourra-t-il prendre
forme ? Quelle pourrait être la réaction de la communauté d’Humour de Droite ?
Ces questions nous montrent à quel point il peut être intéressant d’étudier un phénomène
qui est régi par une grande liberté mais qui subit néanmoins la force des imaginaires propres
à Internet.
Dans ce mémoire, il s’agissait bien sûr d’étudier la prise de parole d’Humour de Droite, la
53
complexité des ses influences, l’inscription dans des codes propres à Internet tout en
commentant une actualité politique concrète. Mais il était tout aussi important de montrer la
complexité et la force des représentations qui sont inscrites dans l’ADN d’Internet. Une
complexité qui fait d’Internet un territoire à part et non un média parmi la multitude d’autres
qui existent. Il s’agit d’une complexité qui n’est pas comprise de tous et c’est au nom de ces
enjeux propres à Internet qu’il a été possible de considérer Humour de Droite comme un
acteur à part dans la galaxie de ceux qui se prêtent au mélange de l’humour et de la
politique dans les autres médias.
Il peut en effet être intéressant de se demander si les spécificités liées à Internet sont bien
admises de tous les acteurs de la communication politique en France. Il aurait été possible
d’imaginer une réflexion sur l’échec de certaines formes de communication politique en ligne
et notamment l’échec des réseaux sociaux institués par les partis politiques eux-mêmes (Les
créateurs de Possible pour l’UMP, Désirs d’avenir pour le PS, Epicentre pour le MoDem, ou
même au nom d’un candidat comme villepinnet.com).
Nous avons constaté que si beaucoup de nos analyses se trouvent confirmées par le
collectif lui-même - les membres d’Humour de Droite confirment avoir une culture digitale
importante de par leur métier et leur fréquentation de forums depuis de longues années60 - ils
ne semblent pas se caractériser particulièrement par l’insertion de codes propres à Internet.
Pour eux, il s’agit plus d’un bon usage des technologies numériques. Est-ce parce que ces
codes sont si bien intégrés qu’ils n’ont pas conscience que les réutiliser pour parler de
politique représente une forme inédite ? Une question qui reste encore en suspens.
Travailler sur un objet d’étude et un territoire d’expression en pleine évolution est ce qui fait
d’Humour de Droite un sujet à la fois passionnant et difficile à appréhender. Passionnant car
de nouveaux exemples significatifs s’écrivent chaque jour et ont accompagné la rédaction de
ce mémoire, mais difficile car la prise de recul est rendue presque impossible. C’est tout
l’intérêt de la remise en contexte à travers l’histoire d’Internet qui permet de mieux éclairer et
avec plus de solidité les contenus parus très récemment. Il faut aussi noter qu’il n’existe
aucune littérature sur ce sujet, les articles présents sur Internet ne dépassent pas la dizaine.
Même la culture digitale qui se met pourtant en place depuis un certain nombre d’années n’a
pas été théorisée. L’ouvrage d’Olia Lialina et Dragan Espenschied, par exemple, n’a pas été
traduit. Et bien qu’il s’agisse du seul ouvrage dédié à la culture digitale, il n’offre pas un
grand recul théorique sur cette culture : quelques paragraphes en début d’étude remettent
60 Annexe 1
54
en contexte et parlent de cette culture mais le reste de l’ouvrage n’est qu’une compilation
des différents éléments de cette culture.
Il s’agit pourtant d’une étude qui serait importante dans la mesure où elle concerne un
territoire de plus en plus fréquenté et s’insérant réellement dans les habitudes des
populations. Jusqu’à, comme nous l’avons vu, être adoptée dans le cadre de messages
politiques et donc primordiaux pour la vie publique hors-ligne.
Outre l’étude de la culture en elle-même, il serait intéressant d’étudier l’appropriation
grandissante de cette culture par des acteurs hors-ligne. On pense notamment à la récente
campagne de publicité télévisuelle mettant en scène le Keyboard Cat61, mème fondateur de
la culture propre à Internet. Cette campagne de publicité a donné lieu à des
mécontentements de la part des connaisseurs, on pense notamment à l’article d’OWNI : « Le
petit chat au piano est mort »62. Quelle réappropriation peut-elle être faite de cette
culture sans que les connaisseurs ne le voient comme une dénaturation ?
Nous pouvons aussi nous interroger sur cette tension qui existe entre un esprit de la contre-
culture inhérent au folklore digital - que l’on devine bien dans la réaction des internautes au
spot mettant en scène le Keyboard Cat- et la massification croissante d’Internet. Mais aussi
une tension entre la présence d’acteurs hégémoniques et commerciaux comme Facebook
ou Google. Comment va se matérialiser cette contre-culture ? Quelle forme va-t-elle prendre
au fil des années ?
61 Voir annexe 2 62 Le petit chat au piano est mort OWNI, Mai 2011
55
56
Bibliographie Ouvrages Patrice Flichy Les imaginaires d’Internet, 2001 – Editions La Découverte Antonio Casilli Les liaisons numériques, 2010 - Editions Seuil Marcel Mauss Essai sur le don paru en 2007 - Editions Puf Dominique Cardon La démocratie Internet, 2010 – Editions du Seuil Stephen Levy Hackers : heroes of the computer revolution, 2001, Editions Penguin Jürgen Habermas L’espace public, publication de 1988 – Collection Critique de la politique Dragan Espenschied, Olia Lialina Digital Folklore, 2009 – Edité par Merz Akademie David Kirkpatrick The Facebook Effect, 2010 – Editions Simon & Schuster Patrice Flichy Le sacre de l’amateur, 2010 – Editions du Seuil Yves Jeanneret Penser la trivialité, 2008 – Editeur Hermes Science Publications Paul Lazarsfeld et Elihy Katz, Personnal influence, 1955 – Editions Armand Colin Articles Sarah Palin’s E-Mail hacked – TIME – Septembre 2008 http://www.time.com/time/politics/article/0,8599,1842097,00.html For the lolz : 4chan is hacking the attention economy – danah boyd http://www.zephoria.org/thoughts/archives/2010/06/12/for-the-lolz-4chan-is-hacking-the-attention-economy.htm Humour de Droite : « La politique sur le web, ce n’est pas une affaire de moyens » Slate, Septembre 2010 http://www.slate.fr/story/27511/humour-de-droite-interview De la BOF génération à la LOL génération Slate – Septembre 2010 http://www.slate.fr/story/27079/bof-generation-lol-generation Le fondateur de 4chan défend sa vision de l’anonymat sur Internet Le Monde, Mars 2011 http://www.lemonde.fr/technologies/article/2011/03/14/le-fondateur-de-4chan-defend-sa-vision-de-l-anonymat-sur-internet_1492720_651865.html Bondages et pain grillé : c’est la iRipose… entre jeunes UMP Rue89 – Février 2011 http://www.rue89.com/node/191949 2012, la grande bataille de l’Humour sur Internet Slate – Septembre 2010
57
http://www.slate.fr/story/27199/lol-politique-gauchosphere-benjamin-lancar L’UMP « iRiposte » sur Internet L’Express – Septembre 2010 http://www.lexpress.fr/actualite/politique/l-ump-iriposte-sur-le-net_916831.html Humour de Droite s’explique, Bloge de Diego San – Janvier 2011 http://diegosan.me/2011/01/27/exclu-humour-de-droite-sexplique/ Cours Cours d’Olivier Aïm, CELSA, Novembre 2009 Cours d’Etienne Candel « Sémiotique Interculturelle d’Internet », Novembre 2010 Etudes Express Info Lab Etude sur les nouvelles pratiques de consommation de l’information des français Mars 2011 Etude TNS Sofres : Internet et les Français Février 2010 Conférences SIANA 2011 : Idées reçues sur les technologies numériques Table Ronde au Social Media Club : Les réseaux sociaux des partis politiques
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Annexes Annexe 1 : Interview écrite d’Humour de Droite
Annexe 2 : Le folklore digital
Annexe 3 : Les détournements d’images par Humour de Droite
Annexe 4 : Le trolling d’Humour de Droite
Annexe 5 : La faible présence d’Humour de Droite dans les médias
Annexe 6 : La iRiposte
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Annexe 1 : Interview écrite d’Humour de Droite
Humour de Droite et l’anonymat
- Qu’a-t-on le droit de savoir sur vous ?
La trentaine, métiers liés à l'image, l'information et à la communication. On ne peut pas trop en dire
plus. Mais disons, des profils Sc-po, grande école de communication publique...
- Pourquoi cet anonymat ?
Tout d'abord parce qu'on est plusieurs, et que ça facilite les choses de parler d'une seule voix.
Ensuite, pour la tranquillité d'esprit, pour éviter les menaces, pressions et intimidations.
- Quelle vision avez-vous de la prise de parole anony me sur Internet ? "Authenticité" comme le
dit Moot ou "Lâcheté" comme le défend Zuckerberg ?
C'est facile de parler en son nom sur internet quand on est politique et étiqueté, ou qu'on prend la
parole au nom de son métier ou de son rôle. Un militant en campagne, un acteur en promotion ou
quelconque porte-parole n'a pas de souci avec ça.
En revanche quand on est salarié, que notre situation professionnelle peut être touchée par l'action
idéologique, c'est beaucoup moins simple. Dire que l'anonymat est une lâcheté ne colle pas à toutes
les situations. Dans notre cas, c'est une protection contre la censure économique.
- Vous avez fait le choix d'être représentés sous une identité collective et anonyme. Vous
n'hésitez pas pour autant à utiliser la première pe rsonne ou à faire allusion à votre quotidien ?
Est ce contradictoire ?
C'est un positionnement. Soit on est une machine froide qui se contente de poster des news, soit on
pratique un egotrip rapidement saoulant pour tout le monde. Nous, on a décidé de laisser un peu
d'émotion et de créer du lien en gardant ce côté très personnel. Mais ça n'est pas nouveau, beaucoup
de journalistes depuis la beat génération jusqu'à des mecs comme Eudeline le font. Ne parlons même
pas des jeunes journalistes qui sévissent actuellement... Ils ont raison, la personnalisation de
l'information et l'éditorialisation c'est certainement la meilleure manière de sortir de la crise de la
presse, au prix de se faire taxer de sale blogueur, parfois.
Le statut, la ligne éditoriale
- Comment vous qualifieriez vous ? Humoristes ? Com mentateurs ? Journalistes ?
Uniquement amateur ?
Un peu de tout, à des degrés différents : humoristes pourquoi pas, vu qu'on invente des blagues
100% originales ; commentateurs bien sûr vu qu'on invente rien ; journalistes pas tellement, on n’a
pas le temps ou les moyens d'investiguer, en tout cas pas pour HDD - et ce n'est pas notre but - mais
60
notre maîtrise des médias est complète, de pars nos métiers (information, communication etc.), même
si on laisse plutôt l'info venir à nous. Et amateurs, ouais, vu que ce n’est pas notre activité principale.
Mais ça ne signifie pas qu'on fait ça en dilettante, c'est très important pour nous.
- Quelles contraintes/exigences vous imposez-vous qua nt à votre contenu ?
Dans le désordre : pertinence, humour, justesse, caractère édifiant. On n’est pas contre la mauvaise
foi ou le mauvais goût, du moment où on fournit du contenu de "qualitay", c'est à dire que ça fasse
réagir. Pour les sujets les plus chauds, on convoque un "point Mougeotte" par e-mail, pour valider un
contenu un peu limite. Enfin généralement, c'est surtout pour faire valider par les autres une bonne
vanne dont on est très fier...
Votre rapport à la politique
- Vous dites n'appartenir à aucun parti politique mai s vous affirmez défendre des valeurs. Est-
ce contradictoire ? Quelles sont ces valeurs ?
Non il n'y a aucune contradiction. C'est comme avoir comme valeur l'amour du prochain sans être
chrétien. Nos valeurs sont celles de la République : liberté, égalité, fraternité. C'est vraiment la base
de tout, pour le coup la France a une putain de devise qui défonce, le mec qui a trouvé ça est un
génie. Sauf qu'on ne se reconnaît pas dans la République actuelle. Comme les musulmans qui ne se
retrouvent pas dans l'extrémisme, les juifs qui ne se retrouvent pas dans la politique d'Israël, les
chrétiens qui ne se retrouvent pas dans les écrits du Pape.
Le rapport au LOL
- Estimez-vous avoir une bonne connaissance de la cul ture digitale ?
Ca fait partie de notre métier pour la plupart. On peut délivrer du conseil à très haut niveau. Aussi bien
théorique que pratique.
- Fréquentez-vous 4Chan ?
On ne tient pas 4Chan pour le Graal ultime, on apprécie mais sans plus. En revanche ça fait près de
15 ans qu'on est sur les forums, les salons de discussion, etc. C'est extrêmement formateur, on ne
peut pas dire connaître le digital sans avoir écumé ces lieux.
-Avez vous le sentiment de vous inscrire dans une c ulture propre au digital
C'est juste le media qui a changé. Les lettres existaient avant les emails, les films existaient avant
YouTube, etc. On profite juste à mort des canaux, tout en restant dans un processus de création
classique. On a juste besoin d'être beaucoup plus réactifs pour être pertinents. C'est aussi pour ça
61
qu'on essaie de bosser un peu plus sur des sujets de fond, comme le processus de propagande au
sein de l'UMP.
La communauté
- Quel rapport entretenez vous avec votre communauté ?
On les respecte énormément, parce que c'est d'elle que vient la plupart des infos, et l'inspiration. Mais
on essaye de pas se laisser emmerder, ni de rien leur devoir. Parfois notre communauté essaie de
nous faire passer pour un service public, mais on reste indépendants et on garde une certaine
distance. On peut se le permettre, on est pas une marque commerciale, on a rien à vendre. Gérer la
communauté ça peut être extrêmement chronophage, c'est aussi pour ça qu'on n'essaie de pas aller
trop loin.
- Pourquoi n’avez-vous aucun following sur Twitter ?
Parce que les followings sont gérés sur nos comptes personnels. Ca n'a aucun sens pour nous d'avoir
des followings sur HDD ; à part pour montrer notre soutien ou notre admiration, je ne vois pas à quoi
ça nous servirait. Parfois même quand on suit quelqu'un à l'occasion, c'est ironique, comme quand on
a suivi Lorie.
- Que change le fait de pouvoir nourrir une relatio n directe avec la communauté dans la
diffusion de messages ?
Pas d'intermédiaire, pas de distorsion. "Traduire, c'est trahir".
- Que savez-vous de votre communauté ? Est-elle homog ène, sur les plans politiques,
socioprofessionnel, au niveau de la connaissance du web ?
Son trait principal, l'anti-majorité présidentielle. Mais il y a aussi bien des gauchistes extrêmes, des
déçus du sarkozysme, des écologistes (plein), des socialistes... On a aussi bien des altermondialistes
que des libéraux qui nous suivent, des étudiants, des salariés, des pauvres comme des riches... Après
d'après Facebook, notre communauté est présente partout en France même si principalement en RP,
au 2/3 masculine, entre 25 et 34 ans mais présente dans toutes les classes d'âge. . Bon on a aussi
pas mal de trolls de droite et d'extrême-doite mais eux ça compte pas, puisqu'on les méprise.
Le LOL journalisme
- Avez-vous le sentiment d'appartenir à un nouveau ge nre de commentaire de l'actualité sur
Internet ?
Le seul nouveau genre que l'on a identifié, c'est celui de la non-intermédiation, du contact direct. On
n’a pas besoin d'une marque de media pour exister. On est également indépendants financièrement,
on n’a pas besoin de ça pour vivre. L'amateurisme est une forme de liberté, dans notre cas.
Idéalement, il faudrait même être indépendant de Twitter et Facebook.
62
- Que pensez-vous de la notion de LOL journalisme ?
On aime pas mal le concept de traiter sérieusement un sujet léger, ou légèrement un sujet grave.
C'est un angle extrêmement intéressant, mais au final l'humour repose énormément sur ce décalage.
C'est donc une notion nouvelle dans le journalisme, mais pas chez nous.
- Que pensez-vous de celle de "hackers de l'attention " (Danah Boyd) à laquelle se réfère
Vincent Glad ?
La formule est intéressante, après je pense que c'est un travail de captation du "temps de cerveau
disponible", mais au niveau amateur. Les grands medias sont en concurrence entre eux, avec le ciné,
les bouquins, le sport, les autres loisirs... Et les amateurs sont en concurrence avec les medias
traditionnels, et même entre eux. Rajoute là-dessus une couche d'ego, d'exploit, de "David contre
Goliath", et tu peux te faire une bonne idée de ce qu'est ce "nouveau genre de commentaire sur
internet".
- Quel regard portez vous sur la iRiposte ? A quoi e st du, à votre avis, le retard ou
l’incompétence de la droite sur Internet ?
Ils ne sont pas en retard techniquement, en revanchent ils déclinent la façon de fonctionner du off sur
le on : asséner des éléments de langage, comportement panurgesque, mépris, etc. Il n'y a pas de
recherche d'utilité dans leurs actions, c'est à dire répondre à un besoin latent ou exprimé de la part de
ses cibles actuelles ou de conquête.
Après ils sont clairement ringards et pas drôles. Objectivement. Et on sait reconnaître quand
l'adversaire est bon.
- Comment envisagez-vous 2012 ? Pour vous mais aussi en ce qui concerne la politique sur
Internet ?
On a plutôt un bon pressentiment pour 2012. Pour nous le changement de majorité ça serait
l'occasion de se lancer dans un nouveau projet, et concernant la politique sur internet, ça reste de la
politique. Elle s'adaptera plus ou moins rapidement aux nouveaux outils, canaux, plateformes... Le
tout sera de bien savoir en tirer profit, et aujourd'hui je ne pense pas qu'un parti quel qu'il soit sache
vraiment les utiliser aussi bien que l'utilisateur lambda.
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Annexe 2 : Le folklore digital
Le Rick Rolling Les demotivational posters
Lolcats Sad Keanu
Keyboard cat Pedobear
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Annexe 3 : Les détournements d’images d’Humour de Droite
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Annexe 4 : Le trolling d’Humour de Droite
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Annexe 5 : Un collectif peu traité par les journalistes
Glamour, Octobre 2010
Top 100 de Technikart, Décembre 2010 Edition Speciale – Canal + Les Off de Nicolas Domenach Octobre 2010
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Annexe 6 : La iRiposte
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Resumé Ce mémoire porte principalement sur l’étude d’un collectif commentant l’actualité politique
sur les réseaux sociaux : Humour de Droite. A travers cette étude, nous voulons montrer en
quoi il représente une forme de commentaire de l’actualité hybride et inédite. Sa particularité
principale étant l’insertion et la réappropritation de codes et de pratiques appartenant à une
culture inhérente à Internet.
Il s’agit donc dans un premier temps de montrer en quoi, de par son histoire, Internet
s’impose comme un territoire complexe. Un territoire régit par des imaginaires très fort et
ayant vu s’installé au cours des années une réelle culture.
A partir de ce constat il s’agit de voir en quoi le collectif se réapproprie les codes de cette
culture et l’insère dans des problématiques politiques aux enjeux réels. Cet ancrage dans la
culture Internet se retrouve tant dans les contenus que les manières de procéder et les
rapports à la communauté.
Enfin, nous réfléchissons à l’institutionnalisation de ce phénomène : pourquoi et comment il
tend à être repris par un plus grand nombre de personnes tant qu’il connaît aujourd’hui des
théorisations. Nous concluront sur la rapidité de l’évolution du numérique et de la force
encore présente de ses imaginaire et notamment de l’esprit de contre-culture. Ce constant
nous permet de conclure qu’il ne s’agit pas d’aborder une posture trop définitive face à un tel
phénomène qui sera amené à connaître de profondes évolutions lui aussi.
Mots clés
Réseaux sociaux – culture digitale – politique – imaginaires – humour - Internet