« histoire des nationalisations, politiqq que pétrolière

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Edité par Le Soir d’Algérie 1, rue Bachir Attar, Alger Tel : 021 67 06 51 et 58 Conception et réalisation Supplément numéro 09 Mardi 4 mars 2008 «Il faudrait pour le bonheur des États que les philosophes fussent Rois et que les Rois fussent philosophes» Platon, «La République» Alger, 21 Février 2008... Après une interrupt tion de près de quatre mois, le supplément « l’Entretien du Mois » reprend avec une longue interview de Sid Ahmed GHOZALI, ancien Président Directeur Général de Sot natrach, ancien Ministre des Affaires Étrant gères et ancien Chef du Gouvernement. Sous le titre générique « Histoire des nationat lisations, politique pétrolière et bonne gouvert nance », Sid Ahmed GHOZALI fourni des pist tes inédites pour comprendre le passé tout en procurant des grilles de lecture pertinentes pour analyser le présent et appréhender l’avenir. L’entretien traite de quatre thèmes essentiels : la nationalisation des hydrocarbures, l’évolution de la politique pétrolière nationale, la crise algérient ne et, enfin, ses perspectives de dénouement. Concrètement, presque rien n’a échappé à l’attention de Sid Ahmed GHOZALI. Sonat trach couvée par le Président Houari BOUt MEDIENE et contrariée par l’establishment politique, la traversée du désert avec son lot de trahisons. L’expérience diplomatique avec avis motivée sur la diplomatie algérienne, l’analyse originale des fondements de la crise avec la montée en puissance du FIS, le rôle de l’armée dans la nation, la bonne gest tion des ressources énergétiques et, in fine , les grands principes de bonne gouvernance ,tous ces thèmes ont été abordés avec une très grande liberté par Sid Ahmed GHOZALI. Ce témoignage, à coup sûr, frappera les uns par ses accents de sincérité et les autres par ses excès de franchise. Je dois témoit gner que Sid Ahmed GHOZALI s’est plié, de bonne grâce, à la règle de l’entretien du mois. Il n’a récusé aucune question, ni choisi aucune autre, laissant à son interlocuteur la liberté de conduire le débat à sa guise. Je vous invite a suivre cet entretien captivant avec Sid Ahmed GHOZALI. Mohamed Chafik MESBAH [email protected] Sid Ahmed GHOZALI est né le 31 mars 1937 à Tighenif en Algérie. Il est marié à Nadra MOSt TEFAI issue d’une famille de notables de Guent zet (Petite Kabylie). Il est père de trois enfants Sabri (1970), Ladmilla (1976) et Salim (1979). Après des études primaires à Nédroma puis secont daires à Oran, il rejoint le lycée Bugeaud à Alger pour les classes préparatoires (Mathématiques supérieures et Mathématiques spéciales).Il intert rompt ses études pour répondre à l’ordre de grève décrété le 19 mai 1956 par l’UGEMA. En 1957, apres la fin de la grève, il reprend ses études en classe de Mathématiques spéciales au Lycée Mont taigne à Bordeaux avant de rejoindre en 1958 l’École Nationale des Ponts et Chaussées de Paris puis en 1961, dans la même ville, le Centre des hautes études de béton armé et précontraint(CHEBAP). En Septembre 62, il retourne en Algérie et oct cupe jusqu’en Avril 1964 les fonctions de Direct teur de l’Énergie et des Carburants au Minist tère de l’Énergie et de l’Industrialisation puis, jusqu’en Octobre 1964, celles de Conseiller pour l’Énergie auprès du Ministre de l‘Économie. En Octobre1964, il est nommé Soustset crétaire d’État aux Travaux Publics mais il démissionne du poste après le renverset ment du Président BEN BELLA le19 juin 1965. De Mars 1966 à Mars 1979, il devient l’inat movible Président Directeur Général de SOt NATRACH avant d’embrasser la carrière ministérielle en occupant les responsabilités de Mit nistre de l’Énergie et des Industries pétrochimiques. Entretemps, il est élu membre du Comité Central du FLN après la succession du Président CHADIi au Prét sident BOUMEDIENE puis nommé Ministre de l’Hyt draulique. Il est, rapidement, relevé de ses fonctions gouvernementales puis exclu de l’instance dirigeante du FLN après qu’il eut protesté contre les accusations officieusement lancées contre le contrat EL PASO contracté avec les USA pour la vente de gaz liquéfié. Il effectue une pénible traversée du désert qui dure jusqu’en Août1984 et le conduit même devant la commission de discipline du parti. Ce n’est qu’en Aout 1984 qu’i se voit désigner Ambassadeur auprès de la Belgique, du Luxembourg et de la CEE. Après les événements d’Octobre 1988, il est, de nouveau, membre du gouvernement au poste de Ministre des Finances puis, en Septemt bre 1989, de Ministre des Affaires Étrangères. Au plus fort de la crise politique qui affecte le pays, il est promu Chef du Gouvernement et organise les élections législatives de Décemt bre 1991 dont seul le premier tour se déroulera. Après l’assassinat du Président BOUDIAF qui avait été appelé pour diriger le Haut Comité d’État. Sid Ahmed GHOZALI démissionne de ses fonct tions.il est, aussitôt éloigné des centres nerveux du pays, se voit désigner Ambassadeur à Paris. Empêche de se présenter aux élections prét sidentielles de 1999 puis de 2004,il est depuis Mai 1999 le fondateur du Front démocratit que, interdit de facto par les pouvoirs publics . « Histoire des nationalisations, politiq que pétrolière et bonne gouvernance» (Entretien avec Sid Ahmed GHOZALI, mené par Mohamed Chafik MESBAH) Sid Ahmed GHOZALI en conversation, via internet, avec MCM [email protected] «Souverains sur le plan légal, nous étions étrangers sur le terrain…En deux mots comme en cent, nous étions les maitres… dans nos bureaux, mais des étrangers sur nos gisements.» (épisode 1) BIO EXPRESS Sid Ahmed GHOZALI

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Page 1: « Histoire des nationalisations, politiqq que pétrolière

Edité par Le Soir d’Algérie

1, rue Bachir Attar, Alger Tel : 021 67 06 51 et 58

Conception et réalisation

Supplément numéro 09 Mardi 4 mars 2008

«Il faudrait pour le bonheur des États que les philosophes fussent Rois et que les Rois fussent philosophes» Platon, «La République»

Alger, 21 Février 2008... Après une interruptttion de près de quatre mois, le supplément « l’Entretien du Mois » reprend avec une longue interview de Sid Ahmed GHOZALI, ancien Président Directeur Général de Sottnatrach, ancien Ministre des Affaires Étranttgères et ancien Chef du Gouvernement.Sous le titre générique « Histoire des nationattlisations, politique pétrolière et bonne gouverttnance », Sid Ahmed GHOZALI fourni des pistttes inédites pour comprendre le passé tout en procurant des grilles de lecture pertinentes pour analyser le présent et appréhender l’avenir.L’entretien traite de quatre thèmes essentiels : la nationalisation des hydrocarbures, l’évolution de la politique pétrolière nationale, la crise algérienttne et, enfin, ses perspectives de dénouement.Concrètement, presque rien n’a échappé à l’attention de Sid Ahmed GHOZALI. Sonatttrach couvée par le Président Houari BOUttMEDIENE et contrariée par l’establishment politique, la traversée du désert avec son lot de trahisons. L’expérience diplomatique avec avis motivée sur la diplomatie algérienne, l’analyse originale des fondements de la crise avec la montée en puissance du FIS, le rôle de l’armée dans la nation, la bonne gestttion des ressources énergétiques et, in fine , les grands principes de bonne gouvernance ,tous ces thèmes ont été abordés avec une très grande liberté par Sid Ahmed GHOZALI.Ce témoignage, à coup sûr, frappera les uns par ses accents de sincérité et les autres par ses excès de franchise. Je dois témoittgner que Sid Ahmed GHOZALI s’est plié, de bonne grâce, à la règle de l’entretien du mois. Il n’a récusé aucune question, ni choisi aucune autre, laissant à son interlocuteur la liberté de conduire le débat à sa guise.Je vous invite a suivre cet entretien captivant avec Sid Ahmed GHOZALI.

Mohamed Chafik MESBAH [email protected]

Sid Ahmed GHOZALI est né le 31 mars 1937 à Tighenif en Algérie. Il est marié à Nadra MOSttTEFAI issue d’une famille de notables de Guenttzet (Petite Kabylie). Il est père de trois enfants Sabri (1970), Ladmilla (1976) et Salim (1979).Après des études primaires à Nédroma puis seconttdaires à Oran, il rejoint le lycée Bugeaud à Alger pour les classes préparatoires (Mathématiques supérieures et Mathématiques spéciales).Il interttrompt ses études pour répondre à l’ordre de grève décrété le 19 mai 1956 par l’UGEMA. En 1957, apres la fin de la grève, il reprend ses études en classe de Mathématiques spéciales au Lycée Montttaigne à Bordeaux avant de rejoindre en 1958 l’École Nationale des Ponts et Chaussées de Paris puis en 1961, dans la même ville, le Centre des hautes études de béton armé et précontraint(CHEBAP).En Septembre 62, il retourne en Algérie et octtcupe jusqu’en Avril 1964 les fonctions de Directtteur de l’Énergie et des Carburants au Ministttère de l’Énergie et de l’Industrialisation puis, jusqu’en Octobre 1964, celles de Conseiller pour l’Énergie auprès du Ministre de l‘Économie.En Octobre1964, il est nommé Soustsettcrétaire d’État aux Travaux Publics mais il démissionne du poste après le renversettment du Président BEN BELLA le19 juin 1965.De Mars 1966 à Mars 1979, il devient l’inattmovible Président Directeur Général de SOttNATRACH avant d’embrasser la carrière ministérielle en occupant les responsabilités de Mittnistre de l’Énergie et des Industries pétrochimiques.Entretemps, il est élu membre du Comité Central du FLN après la succession du Président CHADIi au Préttsident BOUMEDIENE puis nommé Ministre de l’Hyttdraulique. Il est, rapidement, relevé de ses fonctions gouvernementales puis exclu de l’instance dirigeante du FLN après qu’il eut protesté contre les accusations officieusement lancées contre le contrat EL PASO contracté avec les USA pour la vente de gaz liquéfié.Il effectue une pénible traversée du désert qui dure jusqu’en Août1984 et le conduit même devant la commission de discipline du parti. Ce n’est qu’en Aout 1984 qu’i se voit désigner Ambassadeur auprès de la Belgique, du Luxembourg et de la CEE.Après les événements d’Octobre 1988, il est, de nouveau, membre du gouvernement au poste de Ministre des Finances puis, en Septemttbre 1989, de Ministre des Affaires Étrangères.Au plus fort de la crise politique qui affecte le pays, il est promu Chef du Gouvernement et organise les élections législatives de Décemttbre 1991 dont seul le premier tour se déroulera.Après l’assassinat du Président BOUDIAF qui avait été appelé pour diriger le Haut Comité d’État. Sid Ahmed GHOZALI démissionne de ses fonctttions.il est, aussitôt éloigné des centres nerveux du pays, se voit désigner Ambassadeur à Paris.Empêche de se présenter aux élections préttsidentielles de 1999 puis de 2004,il est depuis Mai 1999 le fondateur du Front démocratittque, interdit de facto par les pouvoirs publics .

« Histoire des nationalisations, politiqqque pétrolière et bonne gouvernance»( E n t re t i e n a v e c S i d A h m e d G H O Z A L I , m e n é p a r M o h a m e d C h a f i k M E S B A H )

Sid Ahmed GHOZALI en conversation, via internet, avec MCM

[email protected]

«Souverains sur le plan légal, nous étions étrangers sur le terrain…En deux mots comme en cent, nous étions les maitres… dans nos bureaux, mais des étrangers sur nos gisements.»

(épisode 1)

BIO EXPRESS Sid Ahmed GHOZALI

Page 2: « Histoire des nationalisations, politiqq que pétrolière

Edité par

Le Soir d�Algérie

1, rue Bachir Attar, Alger

Tel : 021 67 06 51 et 58

Conception et réalisation

Supplément numéro 09 Mercredi 5 mars 2008

«Il faudrait pour le bonheur des États que les philosophes fussent Rois et que les Rois fussent philosophes» Platon, «La République»

MCM : Comment expliquer l�intérêt du

GPRA et du FLN pour le secteur pétro--

lier en particulier ? A ce propos, est-il

exact que les concessions accordées

aux Français en matière d�activité pétro--

lière ont été contestées par l�État major de

l�ALN qui aurait récusé de manière géné--

rale, l�esprit même des accords d�Évian ?

SAG : La question de l�intégrité du terri--

toire induite par celle de la souveraineté

sur les ressources en hydrocarbures a été

le point d�achoppement aux négociations

pour l�indépendance et a valu une prolonga--

tion de la guerre de quelque deux années.

Sur le différend politique proprement dit entre

l�État-major et le GPRA, je n�en sais que ce

que m�en ont dit mes aînés ou ce qu�ils ont

rapporté. Lisez notamment Mohamed HAR--

BI ou le très documenté «Été de la discor--

de» de Ali HAROUN, ou ce qu�a écrit Rédha

MALEK sur le sujet des accords d�Évian.

Il est hautement probable que ce ne sont

pas les concessions faites à Évian qui

furent à l�origine dudit différend, lequel

procédait davantage d�une logique de

lutte pour le pouvoir qui s�était exacerbée

avec la perspective de l�indépendance.

Il est aussi probable que les critiques qui

s�exprimaient ici et là étaient à mettre au

compte d�une telle lutte, sans dépasser je

pense les limites d�arguments à charge que

l�on s�échange en de telles circonstances.

Car il est clair que ce qu�ont concédé les né--

gociateurs algériens sur les bases militaires

ainsi quedans la partie pétrolière desAccords

d�Évian (maintien des sociétés concession--

naires et maintien de leur régime juridique et

pétrolier saharien) n�était rien à côté de la

contrepartie qui était l�intégrité du territoire.

L�arrière-pensée de la partition était dans

les têtes du côté français bien avant les pre--

mières négociations. Avant 1957, année de

la création de la défunte OCRS (Organisa--

tion Commune des Régions Sahariennes).

C�était aux moments où se dessinait le pro--

jet de maintenir l�Algérie sous administration

droNel,seitrapxuedneeésivid,esiaçnarf

(« Algérie utile ») et le Sahara algérien princi--

palement, avec la perspective d�un « intéres--

sement » aux richesses de notre sous-sol, qui

n�a pas manqué de susciter des appétits voi--

sins. L�idée n�y avait-elle pas séduit au sein

de hautes sphères politiques ? Et certains

de nos frères tunisiens ne se sont-ils pas

avec la théorie du Sahara « mer intérieure »

commune aux pays riverains de l�Algérie ?

Sur cet aspect il ne peut y avoir aucun

doute sur l�unanimité du côté algé--

rien: le rejet logique de tout ce qui tou--

chait à l�intégrité du territoire. Fût-ce au

prix d�une prolongation de la guerre.

Ce n�est qu�après que Charles DE GAULLE,

dans une conférence de presse du début

septembre de 1961, eut reconnu solennel--

lement le Sahara comme partie intégrante

de l�Algérie, que les négociations se dé--

bloquèrent et reprirent pour s�engager

dans la ligne droite menant vers Évian.

Le fait que l�Algérie une fois indépendante

ait réussi à s�affranchir des contraintes pé--

trolières des Accords d�Évian, prouve bien,

s�il en avait été besoin, que la révolution

algérienne sortit gagnante en payant le prix

fort pour la reconnaissance de l�intégrité

du territoire par la somme de deux années

Quand bien même nous n�aurions pas fait

de concession sur le pétrole, nous aurions

hérité de gisements sans hommes ni ins--

nous serions trouvés à l�instant de l�indé--

celui de nous doter de ces hommes et de

ces instruments qui nous manquaient si

cruellement, dans le domaine des hydro--

carbures comme dans tous les autres.

Nous avons bien côtoyé, pour la plupart en

amis, les tenants de la contestation que vous

avez évoquée vis-à-vis de la politique pétro--

lière et dont l�organe médiatique porteur fut

un temps l�hebdomadaire «Révolutionafricai--

ne». Nous ne leur avions pas vu de lien avec

la problématique État-major-GPRA. Cette

contestation n�a jamais eu, loin s�en faut,

la forme d�un projet structuré porté par une

eu quelque modeste prolongement résiduel

au sommet des trois premiers ministères de

l�Industrie et de l�Énergie comme au sein de

certaines instances nationales de l�UGTA.

MCM : Dans le même ordre d�idée, com--

--

lière nationale s�est-elle, d�emblée, im--

posée au c�ur des préoccupations des

dirigeants de l�Algérie indépendante ?

SAG : L�objectif qui s�impose d�emblée en

matière de politique pétrolière nationale, sin--

gulièrement dans l�esprit de dirigeants ins--

taurés après une longue et dure colonisation

et en prolongement d�une coûteuse guerre

de libération, ne pouvait être que le recou--

vrement de l�une des principales richesses

--

taire naturel et légal, la nation algérienne.

J�ai bien dit propriétaire légal car la recon--

naissance par la France de la souveraineté

algérienne sur l�intégralité du territoire impli--

quait ipso facto la reconnaissance de notre

souveraineté sur le contenu du sous-sol.

Le code pétrolier saharien, reconduit pour

un temps par les Accords d�Évian, étendait

au-delà de l�indépendance le régime d�ex--

ploitation des gisements alors en vigueur.

Cette reconduction, qui était la principale

concession faite par les négociateurs ne

principe de propriété des gisements, au

contraire. Ce Code pétrolier saharien qui

était la loi pétrolière française du temps de

la colonisation reposait sur le droit régalien

aux termes duquel la propriété exclusive du

contenu du sous-sol revient à l�État. A savoir

l�État français du temps de la colonisation

et, depuis l�indépendance, à l�État algérien

par le transfert général de tous les attributs

de l�ex souveraineté française en Algérie

--

tablie. Telle était la situation au vu du droit.

J�en arrive à la situation de fait : en juillet

1962, l�exploitation des gisements est domi--

née par des sociétés françaises majoritaires,

principalement issues d�un établissement

public le BRP auquel succèdera l�ERAP

puis ELF, ainsi que des sociétés anglo-

saxonnes et américaines minoritaires.

Souverains sur le plan légal, nous étions

étrangers sur le terrain, puisque la politique

d�exploitation était menée par des organis--

mes étrangers. En deux mots comme en

cent, nous étions les maitres� dans nos bu--

reaux,mais des étrangers sur nos gisements.

tiasopmi�siuqelbacalpmieuqigolalùo�D

immédiatement à nous : pas de souverai--

neté réelle sans contrôle opérationnel des

gisements ; pas de contrôle possible sans

que les Algériens ne sachent pas eux-mê--

mes conduire les opérations sur chaque

maillon de toute la chaine d�amont en aval.

Ni Ahmed BEN BELLA ni Houari BOUME--

DIENE ne furent dupes de cette souveraine--

té formelle, n�ont jamais mis les pieds sur un

champ pétrolier algérien, tant que le contrôle

en était détenu par les sociétés étrangères.

Houari BOUMEDIENE n�est allé que sur des

sites contrôlés par Sonatrach, comme ce fut

le cas à El Borma ou Zelfana où Sonatrach

première visite historique à Hassi Messaoud

eut lieu le 19 juin 1971 où, de la base de

vie du Nord baptisée pour la circonstance

« Base du 24 février », il annonça solennelle--

ment « La bataille du pétrole est terminée !».

MCM : C�est pour cela que la société nationa--

le SONATRACH avait été très tôt, instituée ?

SAG : Oui, concomitamment avec la pré--

paration des hommes. Car parallèlement à

l�acte de création de Sonatrach, le Président

( E n t r e t i e n a v e c S i d A h m e d G H O Z A L I , m e n é p a r M o h a m e d C h a f i k M E S B A H )

[email protected]

« L� a r r i è r e - p e n s é e d e l a p a r t i t i o n d e l � A l g e r i e é t a i t d a n s l e s t ê t e s , d u c o t é

f r a n ç a i s , b i e n a v a n t l e s p r em i è r e s n é g o c i a t i o n s s u r l � i n d é p e nd a n c e . »(épisode 2)

« Histoire des nationalisations, politique

pétrolière et bonne gouvernance »

SidAhmed GHOZALI à l�Ecole desPonts et Chaussées (Paris)

Page 3: « Histoire des nationalisations, politiqq que pétrolière

2

Ahmed BEN BELLA posait à Boumerdès

la pierre inaugurale de la première école

algérienne de formation des techniciens.

Baptisé Centre Africain des Hydrocarbu--

res et du Textile, le CAHT a été le père

du futur INH, l�Institut National des Hy--

drocarbures et de l�IAP, Institut Algérien

du Pétrole, d�où allaient sortir dès 1967

les premières promotions de l�importante

communauté d�ingénieurs et de techni--

ciens algériens des hydrocarbures. No--

tez au passage que de nombreux élèves

étrangers, africains, cubains, arabes ont

fait partie de cette communauté qui doit se

compter à ce jour par dizaines de milliers.

Que l�Algérie ait consacré son premier

acte de développement à la formation

dans le domaine du pétrole et à la fon--

dation de Sonatrach, voilà un geste qui

illustre une stratégie pétrolière arcboutée

sur la volonté de se doter des instru--

ments et des hommes capables d�occu--

per le terrain sur l�ensemble de la chaine

pétrolière industrielle et commerciale.

MCM : Pouvez-vous retracer l�his--

torique de ce troisième pipe ?

SAG : Ce fut un épisode symbolique

à un double titre : la première projec--

tion sur le terrain d�un plan couché sur

le papier, l�annonce du «détricotage»

des contraintes pétrolières d�Évian.

Au lendemain des premières grandes dé--

couvertes de pétrole et de gaz notamment

Hassi Messaoud et Hassi R�mel en 1956,

les sociétés avaient posés un gazoduc

entre Hassi R�mel et Arzew (mis en ser--

vice à la mi-63 par l�ex SOTHRA) et deux

oléoducs, l�un de Hassi Messaoud à Be--

jaia (ex SOPEG), l�autre entre la région

de Zarzaitine In Amenas et le port tunisien

de la Skhira (ex TRAPSA). Ce deuxième

oléoduc qui court-circuitait l�Algérie en

guerre avait une motivation évidemment

politique reconnue par le Général de

Gaulle dans ses Mémoires. C�est pour

cela, soit dit en passant, que nous nous

étions arrangés pour déduire du montant

des indemnisations accordées par l�Algé--

rie à l�issue des nationalisations de 1971,

la partie relatives aux actifs de la TRAPSA.

Compte tenu des perspectives d�aug--

mentation de la production, sur Hassi-

Messaoud ainsi que sur de nouveaux

champs découverts en 1958, les sociétés

productrices constituées en consortium

(TRAPAL) avaient projeté de construire un

troisième oléoduc entre Hassi-Messaoud

et Arzew en renforcement, cette fois-ci à

l�Ouest, du pipe qui aboutissait à Bejaia.

D�où son nommédiatique « le 3ème pipe ».

Or la réalisation de ce projet était sujette à

autorisation de l�Administration algérienne.

Nous en détenions la clé. D�où le parti que

nous pouvions tirer de cet atout, qui allait

nous fournir la première opportunité de

mettre unpieddansunmaillonde la chaine,

le transport par pipe. Le pouvoir politique

n�eut pas d�hésitation à annoncer la déci--

sion de l�Algérie de prendre directement

en main la réalisation du projet. Au grand

dam des sociétés pétrolières lorsque nous

leur avions dit « Cette production nouvelle

que vous envisagez eh bien nous nous

faisons fort de la transporter pour vous ! ».

La partie française n�a pas manqué d�y

voir un premier coup de canif dans les

accords d�Évian, sans pouvoir pour autant

établir un quelconque fondement juridique

à leur protestation, sauf à contester, à la

fois notre statut de puissance concédante

souveraine et notre droit de transporter et

de commercialiser notre propre part de

pétrole. Car l�État algérien détenait 40%

des actions dans l�ex REPAL du fait des

transferts de patrimoines publics qui ont

été organisés par les Accords d�Évian.

La TRAPAL ne pouvait pas invoquer le

code pétrolier saharien pour faire valoir

le droit de ses membres de transporter

leur pétrole et en même temps exclure

de ce droit l�Algérie, à la fois puissance

concédante et actionnaire à 40% de

l�un des membres de ladite TRAPAL !

Je passe sur les détails pour en arriver

à l�épilogue d�une crise provoquée qui a

contribué sur le plan politique à déclen--

cher, un an à peine après l�indépendance,

le processus de renégociation du volet pé--

trolier des Accords d�Évian, processus qui

débouchera dans une première étape aux

Accords de juillet 1965�et dans une se--

conde étape aux nationalisations de 1971.

La Sonatrach fut aussitôt fondée : vous

de l�acronyme de la SOciété NAtionale de

TRAnsport et de Commercialisation des

Hydrocarbures. Six mois après, l�affaire

dite du 3ème pipe était pour ainsi dire pliée.

Sans argent ni expérience, nos recher--

ches aboutirent au choix d�un construc--

teur britannique aguerri la Compagnie

John Brown CJB et au montage d�un

commerciaux garantis par l�organisme de

crédit à l�exportation l�organisme britanni--

que de garantie des crédits à l�exportation

ECGD et complétés par un prêt public de

10 millions de Dinars koweitiens, quelque

30 millions de dollars US de l�époque.

La Sonatrach toute naissante envoya

en formation les futurs exploitants de

l�ouvrage, comme elle allait le faire sys--

tématiquement lors de chacun de ses

projets industriels durant les quinze pre--

mières années de son développement.

Les premières livraisons de tubes s�effec--

tuèrent au port d�Alger à partir de mars

1964et lamêmeannée lePrésidentAhmed

BEN BELLA inaugurait à Haoud El Hamra

l�ouverture du chantier du 3ème pipe.

La mise en exploitation fut inaugurée l�été

1966. J�ai une pensée toute particulière

pour celui qui avait été le premier à diri--

ger cette exploitation, Mohamed AIT-SI

-MOHAMMED, maquisard très jeune,

envoyé par le GPRA pour une formation

d�ingénieur en Yougoslavie. Aux moments

de l�enregistrement audio de cet entre--

que nous avons perdu «AITSI » et qu�il

sera inhumé dans son village natal de

M�daourouch. Comme je ne peux m�em--

pêcher de penser à Othmane KHOUANI

ancien Vice-président de Sonatrach l�un

des premiers du tout premier noyau. Je

ne peux compter le nombre de négocia--

tions gazières, de projets de pipe-lines,

de projets pétrochimiques, de formations

d�hommes qui se sont lancés et concré--

tisés par l�intermédiaire de ses équipes.

Mercredi 5 mars 2008 (épisode 2)

SidAhmedGHOZALI, étudiant

SidAhmedGHOZALI revenant d�une visite des détenusFLN àFresnes

(en compagnie du chanteur Rachid SOUKI)

Il y a de cela 1année, naquit unem a g n i f i q u eprincesse, quiporte unmerveilleux nom

Dalia BelaïdiC’est avec

tendresse et amour queses grands-parents Rabeh et Hammama,ses tantes Radia et Nabila, sa petitecousine Chanez Yasmine, son oncleLahcène et son épouse Hassiba etsurtout le papa Hocine et la mamanSoumeya lui souhaitent une longue viepleine de bonheur et beaucoup de bellessurprises.

Daly nous t’aimons et nous techérissons.

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Chafik Mesbah : Pouvez-vous nousrappeler quelle était la composition de cenoyau, de la première équipe qui a participéà l’épopée de la création de Sonatrach ?

Sid Ahmed Ghozali : Au départ ce fut uneéquipe forcément très réduite en nombre et enexpérience au regard des exigences de nosambitions. Je n’oublie pas qu’elle a eu sesmartyrs, je pense notamment à deuxingénieurs, deux des premiers responsables de«l’Exploration Production» AbdelmadjidBenalycherif et Aboubakr Mellouk, disparusavec trois autres cadres, en service commandéen URSS, dans une catastrophe aériennesurvenue en ce pénible jour d’octobre de 1972,dans le ciel de Moscou. Nous en avons perduune quinzaine d’autres dans des crashs depetits avions de service en Algérie.

Mais vous en donner une liste, comme ça àbrûle pourpoint, serait me risquer à desomissions, ne fût-ce qu’une seule, que je neme pardonnerais pas. J’attendrai l’occasion deles évoquer un jour un à un. Au fil du temps, cepremier cercle qui a participé à ce que vousappelez l’épopée de la création de Sonatrach adonné au pays beaucoup de ses fidèlesserviteurs. Parmi eux, me viennent notammenten tête au moins huit noms de Ministres de laRépublique. Et si j’étends mon souvenir à toutle champ de l’Énergie et de l’Industrie, jem’aperçois que ce secteur a fourni à laRépublique une vingtaine au moins de sesMinistres. Dont Tahar Hamdi ancien DirecteurGénéral de Sonarem, décédé l’an dernier,après avoir survécu, pour ainsi dire, avec lesprofondes séquelles des graves blessures quelui avait causées un attentat individuel en 1993.

Parmi cette vingtaine de cadres nationaux,je ne peux m’empêcher de citer les deux frèresKeramane, Abdennour et Abdelwahab,ingénieurs de formation et qui se trouvent aumoment où nous parlons dans une situationtellement injuste aux yeux de quiconque est aufait de leur moralité, de celle de leur famille etdes services qu’ils ont rendus à l’État et à lanation. Deux noms, entre autres, sur lesquels ilfaudra bien revenir un jour quand il s’agira derégler objectivement la question essentielledes institutions de l’Etat, inséparable de celledes hommes et des femmes en charge desaffaires du pays.

Comme je ne peux omettre le nom deNordine Aït-Laoussine, premier Vice-présidentde Sonatrach qui a été, en ligne de front, detoutes les batailles des années 1960 et 1970,et qui, en cette qualité, fut au premier rang deshommes ciblés dans la campagne depersécution qui fut menée dans le secteur dèsle lendemain de la disparition de Boumediene.En le chassant de son pays, puis en ledépossédant de sa maison, le pouvoir algériena fourni à la communauté pétrolièreinternationale un expert de renom. Il n’a pashésité à répondre à mon appel pour servirl’Algérie dans mon gouvernement, dans lesconditions difficiles que vous savez, commeMinistre de l’Énergie et des IndustriesPétrochimiques. Il était présent dans la salle oùfut assassiné Mohamed Boudiaf, à coté deAbdennour Keramane - qui garde encore lesséquelles des éclats de grenade qui ontendommagé son épaule droite. Il est retournéensuite à ses obligations privées à l’étranger,comme convenu préalablement entre nous.

Les épreuves douloureuses par lesquellessont passés les serviteurs de l’État dans notrepays, ouvriront-elles un jour les yeux d’unpouvoir politique enclin à mésuser du vocablede bonne gouvernance, tout en se montrantoublieux du fait que la bonne gouvernancec’est l’organisation des pouvoirs publics demanière à mettre l’État au service descitoyens ? Et comment pourrait-il en être ainsien l’absence de ces deux piliers de lagouvernance que sont les institutions et leshommes ? Continuer à fermer les yeux et à seboucher les oreilles, c’est cela qui nous expose

sans cesse plus vite et plus durement à la malvie d’aujourd’hui et aux désastres de la fitnad’hier et d’aujourd’hui. La recrudescence dansnotre pays des destructions meurtrières n’estautre chose que la continuation de la suitedouloureuse de la non gouvernance. Direqu’elle est une affaire de «vigilance desservices de sécurité» c’est commettre unedouble injustice, envers les victimes et enversles services de sécurité.

Je clos ma réponse à votre question par lenom de Belaïd Abdesselam. A l’indépendance,il était notre aîné par l’âge et plus encore parune expérience militante aguerrie, tant par lessacrifices personnels dont elle ne fut pasexempte, que par l’exercice de responsabilitésau sein du Mouvement national et du FLNMouvement de libération. Membre très jeunede la direction politique du PPA-MTLD il a éténotamment en charge au sein du GPRA dusuivi des étudiants, qu’ils fussent sortis desrangs de l’ALN pour parachever des étudessupérieures ou qu’ils fussent après la grèveestudiantine du 19 mai 1956 engagés dans dessections universitaires de l’OCFLN en Algérieet en France et du FLN en dehors de France.Premier PDG de Sonatrach en mars 1964, il adirigé notre délégation aux renégociationspétrolières algéro-française.

Il est rentré dans le gouvernement aulendemain du 19 juin 1965 comme ministre del’Industrie et de l’Énergie. Je venais alors moi-même de quitter le gouvernement et lui aisuccédé à la tête de Sonatrach, que j’avaisdonc rejointe dès le mois d’octobre de la mêmeannée.

Petit intermède dans l’entretien,comment expliquez-vous cette bifurcationdans votre carrière qui vous fait passer dupétrole aux Travaux Publics ?

Ce fut aussi un intermède et une digressiondans ma vie professionnelle.

Disons que cela fait partie des bizarreriespropres à la vie publique. Nous étions un jourd’octobre 1964. Alors que j’étais au côté deBelaïd Abdesselam notre chef de délégation aucours d’un nième round des négociationspétrolières algéro-française, je me rends aubureau du Président de la République avecmon cahier de notes habituel. En fait, cette foislà le Président m’avait appelé, non pourm’entendre, comme l’usage s’en était établi,sur l’évolution des négociations, mais pour menotifier sa décision de me nommer à la tête desTravaux Publics dans le remaniementministériel qui était en cours.

Je sus plus tard qu’une personnerelativement bien placée par ses fonctionsauprès du Président, sachant que celui-ci étaità la recherche d’un remplaçant à AhmedBoumendjel aux Travaux Publics, lui auraitsoufflé qu’il ne pouvait trouver pour les TravauxPublics, personne plus idoine qu’un ingénieurdes Ponts et chaussées, en la personne de SidAhmed Ghozali ! Je doute que le Président aitsu qu’en toile de fond du conseil qu’on luidonnait, apparemment charitable à mon égard,il y a eu une habile manœuvre pour m’écartergentiment du secteur de l’énergie…pour desmotivations très terre à terre dont seuls BelaidAbdesselam, moi-même et mon «sponsor -promoteur» connaissons les véritablesressorts.

Bref, il fallait s’exécuter, tout simplementpuisque le chef avait décidé. C’était l’étatd’esprit de l’époque. Telle est la banale genèsed’une infidélité de ma part au secteur del’énergie, une digression que je n’avais pasrecherchée mais qui, grâce ou à cause du 19juin 1965, allait être de courte durée.

Trois mois après avoir décliné le maintienau gouvernement comme m’y pressentaitHouari Boumediene, je laissais le posteministériel où Abdenour Ali Yahia me fitl’honneur de me remplacer et rejoignais laSonatrach.

À ce propos, convenez qu’il y a de quois’étonner que vous vous retrouviez à la tète

de Sonatrach après que vous vous soyezdémarqué du 19 Juin 1965 ?

Pas forcément si on s’intéresse un peu auxraisons de mon geste et aussi aux motivationsde Boumediene. Sa volonté était que le coupde force qu’il avait conduit fût compris, nonpoint comme une révolution de palais visant àun changement politique radical, mais commeun sursaut révolutionnaire contre ce que lenouveau régime appelait le pouvoir personnel.D’où le souci de reconduire tel quel leGouvernement de Ben Bella. Vous pensez bienque sans une telle motivation, Boumedienen’aurait pas tant insisté à ce que j’en fussepartie, moi qui, après tout, pesais si peu surl’échiquier politique. Seul membre non politiquedu gouvernement et le seul à refuser de rester,on peut imaginer que Boumediene aurait putrouver une telle position insolite et mêmeimpertinente, voire hostile. En fin de compte ilne m’en a pas tenu rigueur. Il a réagi en hommed’État, comme il allait le montrer aussitôt encontinuant telle quelle et sans hésitation lastratégie pétrolière inaugurée par sonprédécesseur. Seule l’histoire en dira assez decette capacité dont il a fait montre à faire le trientre, d’un côté la politique en tant que gestiondu pouvoir ou accomplissement d’ambitionspersonnelles et, de l’autre côté, la politique entant que service des intérêts nationaux. Jepense que pour ce qui concernait mapersonne, il avait bien compris au bout dequelques jours que mon geste ne procédait nid’une quelconque manifestation d’amitié oud’inimitié subjective, ni de l’expression d’unedéfiance politicienne à son égard, maisobéissait à une sorte d’éthique morale enpolitique laquelle me dictait, que du momentque le Président qui m’avait nommé avait étédéchu, je devais m’en aller par une sorte dedevoir de respect institutionnel. Cette«incartade» du 19 juin, ne m’a pas valu quedes amis auprès de certains secteurs des«Services» qui me fichèrent, à tort, comme«Benbelliste» pour le restant de mes jours.C’est une autre histoire… Décidément je n’aijamais regretté le rôle que j’ai joué avec mescamarades, sous le gouvernement d’AhmedBen Bella comme de Houari Boumediene. Enmême temps, je regrette tant que les jeunesd’aujourd’hui n’aient pas eu la chance, quenous avons eue nous, de relever des défisaussi passionnants que ceux auxquels nousavons été confrontés, mes camarades et moi-même. !

Quels souvenirs gardez-vous de l’équipequi a mis en place Sonatrach?

Une montagne de souvenirs. Impossible dela visiter instantanément, ni en si peu de place.Pour en rester à sa quintessence, je diraicependant que ce fut, croyez le, une équipe ausens fort et noble, un groupe fusionnel oùchacun des éléments a été essentiel. Celui quivous en dirait «Moi je… ou c’est moi qui… ousans moi etc.», celui-là sera passé à côté de laréalité d’une aventure humaine exceptionnelle.Chacun des éléments, sommet de la hiérarchiepolitique inclus, avec ses grandeurs et ses

petitesses d’humain, y a joué un rôle décisif. Làest ce que je crois être le plus éminent et lemoins périssable des souvenirs que j’en garde.

Formée de cadres et ingénieurs, provenantd’universités françaises, yougoslaves,américaines, allemandes, soviétiques,roumaines, arabes et autres, forgée au creusetde la mouvance nationale, cette équipe a étéle noyau dur autour duquel s’est cristallisée lagrande famille du secteur national deshydrocarbures à un rythme et avec uneintensité peu observables ailleurs. Que ce soitdans des structures universitaires algériennesou internationales (États-Unis, Japon,Angleterre, France etc.) ou par la voie destages pratiques, ou dans le cadre des projetsindustriels qui étaient lancés par dizaines surla chaine des hydrocarbures, ce sont desmilliers de jeunes Algériens qui sont alléss’instruire dans des Écoles ou des Universités,ou se perfectionner dans des entreprisesexpérimentées. Ils sont, presqu’en totalité,revenus occuper les postes de travail prévuspour eux. Renforcés par les effectifs héritésdes compagnies pétrolières nationalisées entre1967 et 1971, ils ont contribué au bout dequinze années, à hisser la Sonatrach au niveaud’une société de standing international, avecun effectif de 120 000 employés.

Pour en revenir à Sonatrach, commentfut elle perçue dans son environnementpropre comme dans les milieux officielsalgériens ?

C’est une question clé. Elle oblige à desdéveloppements que je m’efforcerai àcondenser. Je commencerai par un rappeld’apparence anecdotique mais significatif.Dans un numéro de mars 1964 je crois, LePeuple quotidien officieux de l’époque,commentait le débarquement au port d’Algerdes premiers tubes destinés à la pose du 3e

pipe, en ces termes «…ces tuyaux sontdestinés à Sonatrach, cet organisme monstre"(sic). Qu’est ce qui a pu bien inspirer à unreporter, sans doute des mieux intentionné,cette qualification de Sonatrach alors qu’elle enétait à peine au stade d’un décret et dont lasubstance se résumait à son PDG, BelaïdAbdesselam muni, en guise de bureauambulant, de sa grosse serviette et assisté dedeux ou trois collaborateurs ? Cette anecdotesuggère que les vocables de gigantisme et«d’État dans l’État», n’étaient ni innocents nispontanés.

Ils se sont gravés, pour ainsi dire sur le frontde Sonatrach dès sa fondation. Ils lui ont colléà la peau en s’insinuant dans les médiascomme dans bien des têtes, opinion etestablishment politico bureaucratiqueconfondus. Leur inspiration n’est pas sans lienavec les entraves en tous genres qui allaients’accumuler sur les parcours de l’entreprise. Nisans effets quant aux aboutissements descampagnes politiciennes qui, depuis ladisparition de Houari Boumediene, n’ont eu decesse que de la démanteler, depuis sacréation, et de ruiner le projet dont elle étaitporteuse.

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L’Entretien du MoisJeudi 6 mars 2008 - PAGE 8

«Il faudrait pour le bonheur des État que les philosophes fusent Rois et que les Rois fusent philosophes» Platon in La République

Histoire des nationalisations, politiquep�troli�re et bonne gouvernance

«Sonatrach a grandi à pas forcés… Avec pour seuls soutiens celui duChef de l’État, du Ministre de tutelle et un certain nombre de hauts

responsables de l’État qui se comptent dans les doigts de deux mains.»

Aux Cotés de Houari Boumediene, Fidel Castro devisant avec Sid Ahmed Ghozali

Entretien réalisé par Chafik Mesbah

Pho

tos

: DR

SID AHMED GHOZALI AU SOIR DÕALG�RIE

Page 6: « Histoire des nationalisations, politiqq que pétrolière

L’Entretien du Mois Jeudi 6 mars 2008 - PAGE 9Ce projet, je l’ai dit, ne s’est jamais réduit à

la pose du «3e pipe» pas plus qu’il n’a tendu àla seule commercialisation directe de la part depétrole qui revenait à l’État au titre de saparticipation dans le capital de l’ex-REPAL.Cela n’a pu échapper aux compagniesrégnantes sur les gisements dans leur lecturedu décret de création de Sonatrach. Ellesallaient tout tenter pour faire échec au projetdont Sonatrach était la colonne vertébrale.Elles n’allaient pas dénigrer Sonatrach sur lestoits, c’eut été contre productif. Au contraire,dans les rencontres diplomatiques et autresréceptions mondaines, comme dans lesmédias, le «message» était empaqueté encommentaires admiratifs et en éloges flatteurs,du genre «...si jeunes vous avez su créer uneentreprise gigantesque… un véritable Étatdans l’État» Il y a certes plus méchant que cevocable dans le vaste répertoire destechniques de désinformation. Mais sapopularisation allait permettre avec le tempsdes effets bien plus destructeurs que sonapparence de bénignité ne laissait prévoir.

Elle a grandement facilité l’œuvred’autodestruction qui fut entreprise dans l’aprèsBoumediene. D’autres facteurs, internes ceuxlà, ont joué dans l’accréditation de cette imagede Sonatrach. Je citerai pêlemêle : le rythme etl’intensité de son développement tousazimuts ; ses interventions dans des secteursqui ne relevaient pas directement de son objetsocial «Sonatrach se mêle de tout et de ce quine la regarde pas disait-on» ; l’image défiguréede sa politique salariale, les heurts répétésavec la bureaucratie, principalement celle desFinances et du Plan, le tout couronné, il faut ledire, par une communication publique, quidevait s’avérer, je ne dirais pas insuffisante enintensité, mais inappropriée dans la forme etdonc inefficiente au bout du compte.

La conjonction de tous ces facteurs, ajoutéeà la vulnérabilité institutionnelle qui caractérisenotre pays, ont fait que Sonatrach a grandi àpas forcés, de secousses en situations decrise, au sein d’une opinion désinformée doncau mieux indifférente, dans un environnementpolitico bureaucratique hostile.

Un peu comme seule contre tous, avecpour seuls soutiens celui du Chef d’État, duMinistre de tutelle (d’après juin 1965) et uncertain nombre de hauts responsables de l’Étatqui se comptent dans les doigts de deux mains.

Arrêtons-nous un instant à cetinventaire. Pouvez-vous l’approfondir unpeu plus car c’est là l’histoire politique etéconomique du pays que nous restituons…

Voici brièvement, quelques exemples :d’abord le développement intense tous azimutsde Sonatrach : au risque de me répéter, jerappelle la longue et complexe séquence selonlaquelle s’ordonnent les activités pétrolièresd’amont en aval, de l’exploration-production,aux transformations industrielles et à lacommercialisation, en passant par lestransports terrestres et maritimes. Chacune deces étapes se ramifie elle-même en desservices connexes.

A l’indépendance, le tout était sous lecontrôle de fait de compagnies étrangères, àleur tête l’ex groupe de l’État français BRP-ERAP dont la stratégie ne tendait à rien d’autrequ’à assurer coûte que coûte, la continuationde son empire pétrolier, au-delà du défuntempire colonial.

C’est en Algérie que s’est fondé cet empirepétrolier. La seule stratégie autorisant laperspective d’une récupération future desressources pétrolières nationales consistait àdoter le pays de moyens nationaux, hommes etoutils économiques, capables de jouer le rôleéchu de facto aux seules compagniesétrangères, à chaque maillon de la chainepétrolière.

C’est à cette fin que Sonatrach a été créée.La feuille de route dont s’est doté le premierPDG de Sonatrach, dès son installation, estdes plus clairement lisible dans l’embryond’organigramme de premier établissement, soitune dizaine de Directions intitulées : Sélectionet Formation, Recherche et Production,Transport, Raffinage et Pétrochimie, ProjetGaz, Commercialisation, Études Économiqueset Administration générale.

Ce qui veut dire que Sonatrach est néeavec une feuille de route, qui l’engageait dès lelendemain de sa fondation sur des dizaines defronts à la fois.

Comment donner une idée de l’ampleur desactions entreprises, de leur multiplicité et deleur diversité ? J’ai sous les yeux, unechronologie brute des événements pétroliersalgériens signalés par les titres de presse entre1877, année du premier acte d’exploration auNord de l’Algérie et l’année 2000. Si je retiens,à titre d’indice d’activités approximatif, lenombre d’évènements enregistrés chaque

année, je note un indice égal à 1 pour les 95ans qui vont jusqu’à la date del’indépendance ; une moyenne de 6 de 1954 à1962 ; une moyenne de 100 pour les huit ansde préparation des nationalisations ; unemoyenne de 100 pour les huit ans qui séparentla nationalisation de 1971 de la disparition deBoumediene en décembre 1978 ; enfin un peumoins de 50 événements par an pour les vingtannées qui vont de 1979 à 2000. Vousjugerez !

C’est pour rappeler que Sonatrachgrandissait d’année en année à un rythmeexponentiel. Plus elle grandissait, plus laperception d’organisme monstre, dont onl’affublait à sa naissance déjà, trouvait créditauprès de son environnement.

Je me souviens de cet entretien que j’avaiseu avec Ahmed Kaid quand il était Ministre desFinances, un homme qui, avec AhmedMedeghri, entre autres, faisait partie, à mesyeux, de ces hommes politiques qui auxlendemains de l’indépendance, avaient unestature et un comportement d’hommes d’État.

J’étais allé l’alerter sur l’état de blocagebureaucratique des projets de Sonatrach.Avant même de me laisser parler, il me dit surun ton bougon et bonhomme à la fois«Sonatrach est un ogre !» C’est pour dire quecette idée d’une Sonatrach qui investit trop,forme trop, mange tout sur son passage, unetelle idée a été instillée même dans les têtes lesmieux intentionnées des Algériens, y comprisnos dirigeants les mieux armésintellectuellement.

Il avait suffi à Ahmed KAID d’unedescription des choses de moins d’une demi-heure pour se convaincre que ses servicesl’avaient trompé. Il a dénoué sur le champ unesituation bloquée depuis des mois.

Admettez que Sonatrach se fourvoyaitaussi dans des secteurs qui ne relevaientpas du tout de ses compétences …

Vous voyez bien que vous aussi, malgré ladistance du temps et avec les meilleuresintentions du monde je crois, vous semblezsuccomber à ce climat que je décrivais tantôt.Oui, il est arrivé et ce ne fut pas rare queSonatrach intervienne dans des secteurs quine relevaient pas directement de son objetsocial stricto sensu : c’était non point sefourvoyer comme vous dites, mais au contrairene pas se détourner de la voie qui lui était

prescrite par sa mission ! Car vous allez voir àtravers de multiples situations, dont je citequelques unes seulement parmi les plussignificatives, qu’il était impossible etinimaginable que Sonatrach se cantonnât àl’attitude bureaucratique qui aurait consisté às’en tenir au strict domaine de sa raisonsociale. Une telle attitude était dans notre espritantinomique avec la raison d’être même del’aventure Sonatrach. Elle eût été reniement desa mission fondatrice. Sans compter que dansbeaucoup de cas spécifiques, elle eut signifiécontravention de fait à des ordres dictés à elledu sommet de l’État.

De surcroît, l’avancement intense etaccéléré sur les maillons pétroliers proprementdits était lui-même forcément tributaire debesoins extra pétroliers : structures pour formerles hommes ; habitations pour que ceshommes puissent se loger près des nouveauxpôles pétrochimiques ; eau industrielle pouralimenter les unités composant ces pôles ;installations portuaires spécifiques ; nouvellesautres infrastructures (routes et pistes) pouraccéder à des zones d’exploration viergesdonc isolées dans d’immenses territoires, celasans compter les besoins de financementsextérieurs, tant pour les investissements quepour l’exploitation.

Attendre que la satisfaction de besoinsimpérieux fût assurée par les secteursofficiellement censés s’en charger ? C’étaitcondamner le secteur à lever le pied pourlongtemps.

C’est que le développement accéléré dusecteur des hydrocarbures avait à s’effectuerdans le contexte d’un développement nationalà deux vitesses, notre gouvernement n’ayantjamais eu, ou voulu, d’une politiqued’aménagement du territoire cohérente avecl’ambition d’un développement national intégré.Cette incohérence majeure a placé à chaquefois la Sonatrach devant l’alternative suivante :se résigner et donc faillir à sa missionfondatrice, ou agir en se donnant les moyensqui relevaient certes de la compétencethéorique d’autres secteurs, mais que cesderniers étaient, soit parfois peu disposés, soitle plus souvent impuissants à fournir.

C’est ce dernier choix qui a prévalu. C’étaitla nature de la mission autant que l’état demobilisation des esprits qui l’ont dicté.

M. C. M.(À suivre)

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Chafik Mesbah : C’est une autocritique?

Sid-Ahmed Ghozali : Oui, nous n’avonspas fait ce qu’il fallait faire en matière decommunication. Nous avons certes consacréun temps et des efforts considérables à lacommunication. Mais celle-ci était focaliséesur nos démêlés avec les sociétés pétrolièresfrançaises, sur les négociations bilatérales etinternationales, sur la constitution de notrepartenariat international, sur un lobbying trèsdynamique tendu vers l’établissement etl’affermissement du crédit de notre pays enmatières énergétique et financière dans lessphères politiques, pétrolières et financièresmondiales. Quinze d’années d’efforts qui ontproduit leur résultat. Sur le plan extérieur.

Paradoxalement nous avions, en matièrede communication battu nos concurrentsdans leur monde à eux. Tandis que dansnotre monde à nous ce sont eux qui nous ontbattus. L’erreur commise consistait àsupposer que la réussite de notrecommunication à l’étranger, allait commecouler de source à la maison. Or il fallait àl’évidence une communication adaptée pourl’opinion publique nationale et ciblant aussiles pouvoirs publics. Il aurait fallu un travaildidactique appliqué et patient, adapté àchaque cible. Il fallait communiquer, pour quele citoyen de base puisse voir le lien entre lepétrole et l’avenir de ses enfants. Pour qu’il enarrive à considérer que Sonatrach c’était sonaffaire.

Un tel travail était-il envisageable avec lerégime politique d’alors ? Le fait est que nousn’y avons pas prêté suffisamment d’attention.Comme si nous avions pris pour notre comptele slogan publicitaire des dirigeants deGénéral Motors «Tout ce qui est bon pourGeneral Motors est bon pour les États-Unisd’Amérique». Nous supposions dans notreintime conviction que ce que nous faisionsétait bon pour le pays et qu’il allait de soi quecela allait être considéré comme tel parl’opinion et les pouvoirs publics. Pensantainsi, nous commîmes peut-être une sorte depéché d’orgueil. Qui sait ? Oui, il nousrevenait, indiscutablement, d’accomplir letravail de persuasion que je viensd’évoquer…

Pouvez-vous aller plus loin dansl’autocritique de la période durant laquellevous avez dirigé Sonatrach ?

Bien sûr, comme toute entreprisehumaine, Sonatrach, dont j’ai assuré ladirection générale durant plus de treize ans, aeu ses points forts, ses lacunes et sesfaiblesses. Une entreprise dont les effectifssont passés en moins de quatorze années dequelques dizaines d’employés à cent vingtmille, dont le patrimoine s’est élevé dequelques millions à plus de dix milliards dedollars, ne peut pas avoir été une entreprisebanale.

Compte tenu d’un tas de facteurshistoriques et politiques, elle s’est trouvéeconfrontée à des obstacles plus que demesure, exposée à des feux nourrisd’attaques qui l’ont placée d’emblée dans laposture psychologique d’un soldat acculédans une guerre de tranchée ou derrière unebarricade. De surcroît, toutes les critiques oules procès qui ont été faits à Sonatrach ontété, soit insensés à l’instar de la premièred’entre elles sur le plan historique et que j’aimentionnée dans l’anecdote de «Sonatrachcet organisme monstre» soit mensongerscomme dans l’histoire du contrat El Paso,celle des salaires royaux ou de la trésorerie

extérieure ; ces critiques ont ciblé les pointsles plus forts de Sonatrach, ses actions lesplus exemplaires ou les plus accomplies. Ilfaut se poser la question pourquoi. Et quelleest la place qui reste pour l’autocritique dansune aussi grande profusion de critiquesinfondées et injustes ?

Je peux vous assurer que nous étions loind’être satisfaits de nous-mêmes ! Nousavions nos cauchemars, qui étaient liés à desfaiblesses réelles celles-là. Principalement enmatière de productivité. Le temps et le coût dumètre foré, du mètre de pipe posé ; telle usinede production d’ammoniac qui a mis dix anspour produire ; des équipementsinsuffisamment entretenus ; l’accouchementdifficile d’un système moderne d’informationet de management. Le plus difficile n’est pasde lister ces lacunes mais d’en analyser lescauses pour les combler. Parmi ces causes ily en a qui sont inhérentes au fait de lajeunesse et des problèmes de croissance. Il ya les difficultés induites de l’environnement,non seulement celui qui est propre àSonatrach, sur lequel j’ai assez longuementdisserté, mais aussi de l’environnementpolitique et bureaucratique en général. Maisdans quels cas ces difficultés sont elles devéritables causes de nos faiblesses et dansquels cas elles nous fournissent desprétextes à nos propres déficiences ?

Pouvez-vous illustrer vos propos pardes cas concrets ?

Volontiers, la question évoquée se pose,au demeurant, pour Sonatrach comme pourles autres entreprises. C’est ainsi que lesentreprises étrangères les plus performanteschez elles, ont accusé chez nous dessurcoûts et des déficiences. Nous avons eufaire à deux types de réaction de cesentreprises, l’honnête et la malhonnête. Lepremier type est représenté par la JGC, lasociété japonaise qui a construit la raffineried’Arzew ; le second type par la sociétéaméricaine Chemico qui était chargée deconstruire l’usine GNL1 d’Arzew. Les deuxsociétés ont accusé des surcoûts qui ontdépassé le prix du contrat. Le président de lapremière est venu me voir quelque trois moisavant la fin du chantier pour me dire ce quisuit «A cause des monopoles, desprocédures bureaucratiques etc. nousprévoyons un dépassement de 8 millions deDollars (sur un contrat d’environ 70 millions).Nous n’allons rien vous demanderaujourd’hui, nous tenons d’abord à terminerl’ouvrage et dans les délais contractuels.Ensuite nous reviendrons vers vous, après lamise en marche de la raffinerie, avec un

dossier justificatif de tous les dépassementsindépendants de notre volonté. Si vousacceptez d’en discuter avec nous et de nousaccorder une rallonge pour que nous nesoyons pas perdants, nous vous enremercions à l’avance. Sinon, nous irons enrendre compte à notre conseil et notre sociétésera mise en faillite» La construction s’estterminée à notre satisfaction. La raffinerie estentrée en fonctionnement. Nous avonsexaminé les justificatifs de JGC. Nous avonsabouti sans difficulté à un accord dedédommagement. Aucune des deux partiesn’est sortie blessée dans l’affaire. Il en estsorti deux sociétés amies.

Quatorze ans plus tard, dans le cadre dudémantèlement du secteur de l’Énergie et dela persécution de ses cadres, MohamedMazouni, docteur en sciences physiques,ancien de l’ALN, Vice-président de Sonatrachet ancien chef du projet de la raffinerie a été«invité à rendre des comptes en «justiciable»sur cette affaire à la Cour des comptes…puisnommé un an plus tard Ministre de la Pêche.

Quant à Chemico, c’était une sociétéaméricaine à laquelle nous avions confié en1971 la construction à Arzew de l’usine deliquéfaction de gaz GNL1, dans le cadre d’uncontrat «clé en main» au prix de 314 millionsde dollars. Trois ans plus tard ses nouveauxdirigeants (la société venait d’être rachetéepar Aerojet filiale du groupe General Tire,multinationale qui avait eu maille à partir avecles autorités américaines sur une grandeaffaire de corruption qui avait abouti à ladisgrâce du premier ministre japonaisTanaka) sont venus me voir au printemps1974 pour réclamer une rallonge de 70millions de dollars, alors que le chantieraccusait déjà une année de retard sur leplanning prévisionnel. Soupçonnant ces

dirigeants de vouloir exercer une sorte dechantage, nous avons dépêché dans leursiège à New York une équipe de dix expertsfinanciers et ingénieurs algériens pouréplucher toute la comptabilité du projet. Aucours de leurs investigations nos experts sonttombés sur deux paiements, datant de 1970,qui se sont avérés porter sur deuxcommissions, l’une de 2 millions de dollarsl’autre de 750 mille dollars, déguisées en«contrats de services» au profit de deuxsociétés prête-nom domiciliées en Suisse.Notre relation avec Chemico aussitôt rompueet celle-ci aussitôt renvoyée du chantier quifut ensuite confié à Bechtel, nous avons saiside l’affaire le tribunal de commerce de NewYork. Nous avons récupéré en mars 1977 lessommes indûment payées. Nous avons menéparallèlement une campagne de vasteéchelle auprès des autorités américaines etde tous nos partenaires pour dénoncer lesintermédiaires qui s’étaient insinués (outentaient de s’insinuer) dans nos relationsd’affaires.

J’ai cité ces deux exemples pour illustrer lefait que l’environnement bureaucratiquehostile affaiblit le bon manager et aggrave seslacunes, tandis qu’il fournit au mauvaismanager des prétextes pour masquer sespropres faiblesses ou turpitudes.

Tout compte fait, c’est notre carence enmatière de communication intérieure que j’airetenue comme leçon principale. Une leçonque j’ai tenté par la suite, de partager avecmes ministres quand je leur demandais de «consacrer une heure de travail à expliquer,pour chaque heure de travail consacrée àbâtir. Vous construirez deux fois moins maisce que vous construirez vous survivra. Et cesera la seule manière d’assurer la continuité àvos réalisations». Car rien de durable ne peutêtre fait par un dirigeant public, sans laparticipation de citoyens se sentantconcernés par ce qu’il fait.

Puisque l’Algérie a eu une politiquepétrolière très particulière au lendemainde l’indépendance, avec le recul, celle-ci, apu comporter des points faibles ?

La politique pétrolière a été on ne peutplus claire, on ne peut plus en cohérenceavec les choix fondamentaux faits dèsl’indépendance, et ce, jusqu’à la disparition deHouari Boumediene.

Si vous l’évoquez sous les éclairages de lajustesse de la vision, de la légitimité desaspirations, du réalisme des objectifs, de lavalidité des choix en matière de voies etmoyens et de la bonne évaluation desrisques, on ne peut déceler, même avectrente et quarante ans de recul, d’autre défautque la grosse lacune en matière decommunication intérieure. Et sans douted’inéluctables imperfections de second ordre.

«Il faudrait pour le bonheur des États que les philosophes fussent Rois et que les Rois fussent philosophes» Platon in La République

Histoire des nationalisations, politiquep�troli�re et bonne gouvernance

«L’ambition de recouvrement des richesses nationales, qui étaitdans toutes les têtes… Elle s’est déroulée sur tous les fronts, huitannées durant…»

Houari Boumediène accompagné de Belaïd Abdesslam et Sid-Ahmed Ghozali,visitant le premier appareil de forage installé par Sonatrach.

Entretien réalisé par Mohamed Chafik Mesbah

Pho

tos

: DR

SID-AHMED GHOZALI AU SOIR DÕALG�RIE

4e partie

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Belaïd Abdesslam, Sid-Ahmed Ghozali et Nouredine Aït Lahoussineà bord d’un hélicoptère en Allemagne fédérale.

Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Vend. 7 - Sam. 8 mars 2008 - PAGE 8

Page 8: « Histoire des nationalisations, politiqq que pétrolière

Si on évoque, comme je l’ai fait, la prise encompte des incohérences de situation ou detype environnemental, on débouche sur laproblématique de l’action : faut-il attendre quetoutes les conditions soient favorablementréunies pour agir ? Aucun chef d’entreprise,aucun chef politique n’attend pour agir d’avoiren son sac, à la fois «le beurre l’argent dubeurre et le sourire de la crémière». Ce seraitl’inaction en continu. Faut-il agir seulementpour se donner l’impression d’agir ? Ce seraitde l’activisme. La politique pétrolièrealgérienne a été l’action basée sur la vision àlong terme, elle n’a donc jamais été del’activisme. Elle a été ruinée ? Certes et c’estun échec à coup sûr, mais un échec qui n’enremet nullement en cause la validité, aucontraire. C’est dans ce sens qu’il fautcomprendre la parabole prophétique bienconnue «Celui qui agit et réussit obtient deuxrécompenses. Celui qui agit et échoue a uneseule récompense».

La politique pétrolière dont vous parlez asouffert du manque de cohérence au niveaudes politiques sectorielles, au regard del’ambition proclamée d’un développementnational intégré. Cette distorsion est àl’origine de l’image tenace d’undéveloppement à deux vitesses, secteur del’Énergie et de l’Industrie d’un côté, et autressecteurs économiques et sociaux de l’autrecôté. Je le répète, la perception de Sonatrachqui a prévalu dans son environnementnational a été le plus souvent erronée etinjuste. Sonatrach n’a pas «piqué » leshommes des autres secteurs. Elle les aformés à la base. Sonatrach a obtenu desfinancements extérieurs parce qu’elle y étaitéligible. Si elle ne les avait pas eus, ilsn’auraient certainement pas été pour autantdisponibles pour l’agriculture, les barrages,les routes ou les logements ou l’éducation.

Non seulement elle n’a pas dissipé desressources appartenant aux autres secteurs,mais elle en a transféré beaucoup à cesderniers, à travers la fourniture sur le plannational de produits pétroliers (carburants,gaz, engrais, plastiques) aux prix les plus basdu monde, à des prix qui étaient parfoisinférieurs aux coûts de production. Sanscompter que l’essentiel de nos ressourcesextérieures provenait de l’énergie, ce qui,trois fois hélas est toujours le cas trente ansaprès ! Trente ans durant lesquels on avainement proclamé «l’avènement desproductions hors hydrocarbures». Pourquoivainement? Parce que l’on s’est contenté demots sans songer à mettre des politiques enface. Comme le fait de se satisfaire d’ôter lemot «Énergie» du titre du Ministre y afférentpour marquer «sa volonté de sortir de ladépendance de l’énergie». C’est pourmasquer son incurie en matière de promotiond’une économie fondée sur la création de larichesse au sein de l’entreprise que le pouvoirpolitique chez nous en est arrivé à épouser lathèse étonnante du «pétrole malédiction».

Avant l’annonce de la décision denationaliser les compagnies pétrolièresétrangères, vous aviez donc pris desdispositions préalables ?

L’ambition de recouvrement desrichesses nationales, qui était dans toutesles têtes, passait par la formation d’unecapacité nationale à jouer le rôle dessociétés étrangères dominantes. Lanationalisation a été préparée par laformation d’hommes et de femmes qualifiés,la création des outils nationaux capables deprendre le contrôle de l’exploitation sur leterrain. Elle s’est déroulée sur tous les fronts,huit années durant, pour que des Algériensdeviennent aptes à prendre la place descompagnies étrangères sur toute la chaîne.

Une année avant les nationalisations, ilest possible d’affirmer que les dispositifs enhommes, y inclus des cadres algériensexerçant au sein de compagnies pétrolièresétrangères, étaient en situation. Déjà lesmises sous contrôle des sociétés anglo-saxonnes, avaient permis de prendre ladirection des exploitations de certainsgisements périphériques de Hassi-Messaoud, par l’intermédiaire deCommissaires du gouvernement mis enplace au lendemain de la guerre des sixjours de juin 1967. Enfin, du fait desacquisitions par Sonatrach en équipementsde forage et des sociétés de servicesconstituées en partenariat, nous étions déjàmajoritaires dans le volume des servicespétroliers. Par la voie de rachats amiables etde nationalisations de sociétés anglo-saxonnes en 1967-68, tout le réseau de ladistribution nationale de produits pétroliers etdérivés était sous contrôle direct deSonatrach.

Restait l’exportation de pétrole brut,contrôlée à plus de 85% par les sociétésfrançaises. Nous comptions bien sûr avecl’éventualité d’une perturbation des recettesextérieures du pays suite auxnationalisations : il nous a fallu donc élargirnotre clientèle. Sonatrach, pour mémoire,avait vendu son premier baril en 1966 à laPétrolière du Brésil Petrobras en nousengageant avec de nouveaux acheteursdans des promesses d’acquisition de ventede quantités de pétrole… que nous nedétenions pas encore, ni de droit, ni de fait etpour des dates de livraisons qu’il ne nousétait pas permis de trop préciser !

La campagne commerciale menée àl’extérieur par Sonatrach s’était soldée parune somme de contrats de 36 millions detonnes soit 80% de nos exportationsglobales. Le pouvoir politique était en droitd’attendre une évaluation du risque demanque à gagner sur l’année et Sonatrach adû s’engager sur un seuil minimum deventes garanti, qui fut fixé à 30 millions detonnes, soit les deux tiers de nosexportations globales. Sonatrach s’estengagée ainsi à ce que, compte tenu des

turbulences éventuelles qui suivraient ladéfection des sociétés françaises, nosressources en devises en 1971 ne seraientpas en dessous des deux tiers des rentréesde 1970. Je peux entendre encore lePrésident Boumediene, peu avant le choixde la date fatidique, m’interpeller dans sonbureau «Tu confirmes le seuil de 30 Millionsde tonnes ?» Je peux encore l’entendrem’appeler directement au téléphone, un oudeux mois plus tard, «Ghozali ! Alors où enêtes vous ? Est-ce que vous ferez les 30millions de tonnes ? Car si vous ne les faitespas, on te pendra !»… Dit en riant bien sûr.

L’année sera, effectivement, boucléeavec 36 millions de tonnes exportées, soit80% du volume habituel. C’est pour cela queje suis encore là, trente six ans après, pourconstater avec vous que grâce à Dieu, le 31décembre 1971 personne n’aura été pendu !

Après le succès de la nationalisationdes hydrocarbures, Sonatrach s’étaitengagée dans un programme ambitieuxd’exportation de gaz vers les USA etl’Allemagne. Le recul historiquel’abandon des contrats visés, c’était unemesure sage ou plutôt une faute grave ?

Je laisserai à l’histoire le choix duqualificatif qui convient à l’opération qui aconduit à ce recul. Le gâchis qu’il a déjàprovoqué est en soi suffisamment expressif.

En vérité c’est bien avant lesnationalisations que le programme gazier futlancé. Source la plus noble des énergiesfossiles, pour la satisfaction des besoinsinternes, notamment l’approvisionnementdes foyers, la production d’électricité etmatière de base d’excellence pour lapétrochimie, le gaz naturel était aussi porteurd’enjeux considérables en matière deressources en devises. Hors les Etats-Unisprincipalement, le marché du gaz naturel, enétait alors encore à ses débuts.

Au moment où cette matière était appeléeà être très demandée, le groupe ex BRP-ERAP était en train d’en stériliser la vente àl’extérieur et de la gaspiller sur le planintérieur. Je m’explique : en matièred’exportation, le groupe avait développé, eneffet, la théorie dite du «gaz algérien captif».Cette théorie visait entre autres à faire desrichesses gazières algériennes des réservesstratégiques pour le marché français. Aancrer, dans les esprits, chez nous comme àl’étranger, qu’en dépit de l’indépendance,seules les sociétés françaises étaient enmesure d’extraire le gaz sur les gisementsalgériens, qu’elles étaient seules à savoir leliquéfier et le transporter, à pouvoir accéderau marché français et à pouvoir construire etfinancer les équipements et installationsindustriels requis. Bref, tout candidatacheteur était, selon cette théorie, assujetti àun passage obligé par les organismes et lemarché français.

Quant à son utilisation, le gaz étaitconsidéré comme «gaz fatal», c’est à dire unsous-produit inévitable du pétrole.Intéressées d’abord par les gains financiersimmédiats et leur approvisionnement enpétrole brut, les sociétés exploitantesfrançaises brûlaient sur place ledit gaz fatal,aussi bien sur Hassi Messaoud, que surHassi R’mel ! Ainsi, sur le site de ce qui

représentait alors un des plus grandsgisements de gaz naturel du monde, ce quiles intéressait c’était le condensat, unhydrocarbure liquide léger très apprécié enpétrochimie et mélangé au gaz à proportionde 10% ; le gaz, soit 90% de la matièreextraite, était déclaré «fatal» et brûlé en pureperte ! D’où cette série de torchèresflamboyantes, qui offraient la nuit aux pilotesdes courriers transafricains une vue de toutebeauté sur des centaines de miles, mais quinous choquaient ainsi que nos visiteursétrangers, techniciens ou politiques, auspectacle d’une dilapidation aussiscandaleuse d’une ressource noble.

Tenons-nous en, à la question, leprogramme d’exploitation de gaz…

Oui, j’y suis. Mais il faut un éclairage pluslarge pour s’imprégner de la réponse. Le gaza été le premier objet de nos investissementsen actions et en hommes. Si le 3e pipe futl’exploitation d’une opportunité de mettre unpied dans la chaîne pétrolière, le gaz fut despremières priorités de la démarchestratégique pétrolière nationale.

Sachant l’insatisfaction du gouvernementalgérien vis-à-vis de l’attitude dilatoire dessociétés françaises quant à l’application d’unengagement, écrit en annexe des Accordsd’Évian, et qui portait sur l’achat de 4milliards de gaz algérien, De Gaulle dépêchaà Alger, fin novembre 1963, PierreGuillaumat patron du «pétrole d’État»français. Celui-ci repartit avec la réponsealgérienne, un épais mémorandum oùfiguraient les exigences algériennesconcernant, tant le gaz, la fiscalité pétrolière,les investissements d’exploration, que larésolution de l’Algérie d’être opérateur à partentière sur la chaîne des activitéspétrolières. A la suite de cette visite, il futretenu le principe des négociationspétrolières algéro-française qui allaients’ouvrir effectivement en mai 1964…un moisaprès l’institution du dinar algérien, enremplacement du Nouveau Franc français.

Mais il y a eu quand même,entretemps, la Camel ?

Oui une société franco-anglo-saxonne,constituée avant l’indépendance aux fins deliquéfier du gaz de Hassi Mel destiné au Gazde France GDF et au British Gas. Unequantité d’un milliard et demi de m3/an, soitmoins de 2% des potentialités de l’Algérie !Le chantier en avait été inauguré l’été 1962et la mise en exploitation deux ans plus tard.En comparaison, la somme des capacitéslancées par Sonatrach à Arzew GNL 1 et 2 età Skikda faisait 30 milliards de m3/an,presque trente fois plus.Je saisis cetteoccasion pour évoquer la mémoire de l’un denos aînés Abdelkader Chanderli qui, avantd’être la premier président algérien de laCamel, fut un grand journaliste et, pendant laguerre de libération nationale sur la placeonusienne de New York, aux côtés,notamment de M’hamed Yazid, Ministre del’Information du GPRA, a fait partie de ceuxqui ont été les brillants communicateurs surla scène politique internationale de la causede l’indépendance algérienne.

M. C. M.(A suivre)

Aux côtés de Sid-Ahmed Ghozali, Houari Boumediène gonflé de plaisir, lors del’inauguration de l’usine de liquéfaction d’Arzew.

Sid-Ahmed Ghozali discutant avec le personnel de Sonatrach, un esprit d’entreprise

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Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Vend. 7 - Sam. 8 mars 2008 - PAGE 9

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Chafik Mesbah : Vous avezmentionné au cours de l’entretien, leprojet Valhyd. Que dites-vous dureproche qui a été fait à Boumediene deplacer les hydrocarbures du pays sousle contrôle des Etats-Unis ?

Sid-Ahmed Ghozali : Oui cela a étédit. Avant et après la disparition de HouariBoumediene.

Il faut d’abord que vos lecteurs sachentque l’acronyme Valhyd est uneassociation entre Val pour «Valorisation»et hyd pour «hydrocarbures». Nousparlons ici de ce qui était un programmeglobal, une sommation formalisée desactions menées par le ministère del’Energie et par Sonatrach, en deuxpériodes bien distinctes.

Le premier temps va de 1963 à 1971. Ils’agissait de mettre sur pied et dedévelopper les moyens en étudestechnico-économiques, en hommes et enstructures capables d’assurerl’intervention progressive de l’Algérie àtous les stades de l’activité pétrolière.C’est ce que nous fîmes dans des sitesqui étaient encore hors du contrôle dessociétés étrangères mais en préparant,parallèlement, les moyens similaires,nécessaires à la prise en main, le momentvenu, des gisements et installations quiétaient sous contrôle étranger.

Le deuxième temps commence en1971. C’est l’année de l’extension desactivités de Sonatrach à l’ensemble desinstallations pétrolières. Ce qui veut dire,concrètement, son implantation physiquesur plusieurs centaines de sites, leschamps, petits et grands, les puits deproduction, les installations de séparation,les systèmes de stockage et detransmission. Les implications immédiatesdes mesures de nationalisation de 1971se traduisaient par une rupture sur troisfronts : changement d’échelle du champd’activité, changement de politiqued’exploitation sur chaque gisement prisindividuellement, mise en cohérence desstratégies d’exploitation individuelle avecles exigences et les besoins d’undéveloppement national. Cette triple

rupture était en droite ligne de l’objectif derecouvrement des richesses du sous-sol,objectif qui était à l’esprit des dirigeantsalgériens et de leur volonté, depuisl’indépendance, sinon avant.

L’ensemble des orientations politiqueset directives managériales sur les basesdesquelles les ingénieurs algériensavaient travaillé, la veille et au lendemainde 1971, ont été ordonnées, actualisées,codifiées et rassemblées dans undocument unique de quelque deux centspages, mis au point conjointement entre leministre de l’Energie et le P-dg deSonatrach. En appui et en associationbien sûr avec les cadres spécialisés dusecteur, faut-il le souligner. Finalisé enavril 1976, le document et l’ensemble desdispositions qu’il contient ont reçu ladénomination de «Programme Valhyd». Ilest l’équivalent, non point d’une«destination» que serait un projet délimité,mais d’une sorte de réseau de routesprincipales auxquelles les opérateursalgériens sont tenus de se conformer enpermanence dans la conception etl’élaboration de tout projet dedéveloppement et d’exploitation sur leschamps d’hydrocarbures.

Cela concernait-il également le gaz ?Oui, mais le programme gazier,

confondu indûment avec Valhyd, dont iln’est que l’un des volets, même s’il enconstitue un composant important, faitpartie de ceux qui ont été constammentsuivis par le président Boumediene, pas àpas. Au même titre que l’ensemble duprogramme Valhyd, c’est un travailalgérien, dans le choix des stratégiesindustrielles et économiques, dans ladéfinition de ses objectifs et orientationspolitiques dans l’élaboration des normeset des directives techniques. Lesorganismes techniques étrangers mis àcontribution au titre des études et del’engineering n’ont rien partagé, pas uniota, dans sa conception politique etstratégique.

Au demeurant l’intervention de Bechtel,si indûment décriée aux seules fins dediscréditer le programme et ses auteurs,est postérieure au processus de

conception et d’élaboration du programmeValhyd. Bechtel a été sollicité au stade del’évaluation de faisabilité technico-économique et financière d’un programmedéfini et arrêté par Sonatrach, le ministèrede tutelle et leurs ingénieurs, leurs juristeset leurs économistes. Pourquoi Bechtel ?Tout simplement pour sa compétence etsa crédibilité internationale. Les grandesentreprises pétrolières lorsqu’elless’adressent à des banques pour lefinancement d’un programme, présententune évaluation, toujours parl’intermédiaire d’organismes indépendantset crédibles. Sonatrach n’a rien fait d’autreque de recourir à une saine pratique, à unusage international établi.

A propos du programme Valhyd,quel était l’état d’esprit du présidentBoumediene ?

Tout comme il avait suivi naguère, pasà pas, les études relatives au programmed’exploitation de Hassi Messaoud,réalisées sur près de dix années avec unecoopération déterminante des ingénieurssoviétiques qui datait de 1966, année dela visite en Algérie de Baibakov, vice-premier ministre de l’URSS et présidentdu Gosplan, le président Boumediene asuivi pas à pas l’élaboration duprogramme Valhyd.

Il a suivi le développement duprogramme gazier d’abord sur le plancommercial. Sur le plan économique etfinancier, il a consacré plusieurs séancesà écouter le rapport d’évaluation Bechtel.Je le vois encore, comme si c’était hier,avec son burnous noir — il avait eu uncoup de froid — à sa gauche le Dr AhmedTaleb El-Ibrahimi, son ministre conseiller,et à sa droite le ministre de l’Energie quej’étais. Fidèle à une attitude que je lui aitoujours connue en pareillescirconstances, il était attentif à tout ce quilui était exposé au tableau, posant denombreuses questions, ici et là, auxingénieurs de Bechtel, relayés de temps àautre par Nordine Aït-Laoussine. Celui-ciétait vice-président en titre de Sonatrachmais, depuis ma nomination augouvernement, je lui avais confié l’intérimde la présidence de l’entreprise enattendant la désignation officielle de monsuccesseur.

C’est sur le feu vert du président de laRépublique que j’ai exposé par la suite au

Conseil des ministres ladite évaluation,dans le cadre d’une série de conseilsspéciaux que le président avait décidé deconsacrer à chaque départementministériel, un dimanche par ministère.L’exposé des activités du ministère del’Energie et les débats y afférents avaientpris deux journées. Quelques mois plustard, l’évaluation fut présentée auxbanques internationales par une missionde financiers et ingénieurs algériensaccompagnés de cadres de Bechtel. Bref,cette mission avait comporté une tournéeà travers cinq places financières, NewYork, Londres, Tokyo, Paris et Frankfurt. Ason retour, la mission avait rassemblé unvolume de deux milliards de dollarsaméricains de promesses de crédits auprofit des projets de Sonatrach. C’étaitdurant la maladie du président.

Fin 1979, les membres du Comitécentral, dont le Dr Ahmed Taleb El-Ibrahimi et moi-même, ont entendu leministre de l’Energie «révéler» que Valhydaurait été fomenté en cachette avecBechtel à l’insu de la présidence,protestant que lui-même, alors «conseillerdu président», n’en «avait apprisl’existence que par la presse !» Autantsuggérer qu’un programme exposé,débattu et adopté en Conseil desministres est sorti à l’insu de HouariBoumediene qui présidait !

C’est ainsi que, dans la foulée ducontrat Sonatrach-El-Paso et un anpresque jour pour jour après la disparitionde Houari Boumediene, la bêtise et lemensonge sont venus à bout d’un travailalgérien de quinze années, enrichissant leflorilège des actes d’autodestruction quijalonnent notre errance cahoteuse dans lesous-développement.

Vous insistez, de manièrerécurrente, sur le conflit d’intérêts, quid’emblée, a opposé Sonatrach et lescompagnies pétrolières françaises.

Oui un conflit objectif d’intérêts, et pourcause. Le groupe ex-BRP ERAP,entreprise missionnaire de naissance pourle compte de l’Etat français dans lecontexte de l’empire colonial, s’est trouvé,du fait de l’indépendance, en confrontationdirecte avec Sonatrach, une sociétémissionnaire elle aussi, pour le compte dela nouvelle puissance souveraine, l’EtatAlgérien.

«Il faudrait pour le bonheur des États que les philosophes fussent Rois et que les Rois fussent philosophes» Platon in La République

Histoire des nationalisations, politiquep�troli�re et bonne gouvernance

«Tout comme il avait suivi naguère, pas à pas, les études relatives auprogramme d’exploitation de Hassi Messaoud, le président Boumedienea suivi pas à pas l’élaboration du programme Valhyd.»

Sid-Ahmed Ghozali en conversation avec Chafik Mesbah via internet.

Entretien réalisé par Chafik Mesbah

Pho

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: DR

SID-AHMED GHOZALI AU SOIR DÕALG�RIE

5e partie

●●●Sid-Ahmed Ghozali effectuant son jogging avec les cadres de Sonatrach,

un esprit d’équipe bien entretenu.

Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Dimanche 9 mars 2008 - PAGE 8

Page 10: « Histoire des nationalisations, politiqq que pétrolière

Ce conflit s’est déclaré d’emblée surtous les fronts, l’exploration, l’exploitationet la transformation des hydrocarbures engénéral, comme la valorisation du gaz enparticulier.

Me permettez-vous une digressiontechnique pour expliquer la genèse de laformation d’un gisementd’hydrocarbures ? Car c’est indispensablepour saisir le cœur des enjeux en questionet donc la nature du conflit d’intérêts.

Volontiers, mais sans trop alourdirl’entretien...

J’essaierai dans toute la mesure dupossible…

Je prends l’exemple de cette question :le seul moyen d’alléger l’entretien aumaximum c’est de s’en tenir à dire à voslecteurs «contentez-vous de savoir qu’il ya conflit d’intérêts». Mais le seul moyen deleur montrer du respect, c’est de leur direle pourquoi d’une telle affirmation.

D’où la nécessaire digressiontechnique. Et de commencer par leurdonner des informations de base sur cequ’est un gisement d’hydrocarbures. Audépart, il y a des matières organiquescharriées par les fleuves au fondd’anciens océans. En cours de route,comprenez au fil des millions de siècles,ce sont des processus géologiquesd’entassements sédimentaires, dephénomènes tectoniques, demouvements des océans, d’évolutionsclimatiques qui sont venus enfouir lesditesmatières organiques à des milliers demètres de profondeur, les soumettant àdes pressions formidables jusqu’à plus de500 fois la pression de l’atmosphère etdes températures de plusieurs centainesde degrés. Pressions et températuresfavorisent un processus chimique quitransforme la matière organique encomposés de carbone et hydrogène, leshydrocarbures.

A l’arrivée, c’est de la roche quicontient, dans des pores microscopiques,un mélange de composés liquides etgazeux. C’est ce qu’on appelle la rocheréservoir. De ces pressions formidablesnaturelles, provient l’énergie qui faitremonter spontanément le produit, à partirdes couches imprégnées, jusqu’à lasurface, par la voie des puits forés parl’homme sur des milliers de mètres.Autrement, en l’absence d’une tellepression, il serait matériellementimpossible d’extraire, de si loin enprofondeur, le produit piégé dans la roche.

Cette énergie due aux pressionsnaturelles va baisser au fur et à mesure del’extraction du produit, et ce, jusqu’au seuild’épuisement, un seuil au-dessous duquelle produit contenu dans la roche ne pourraplus parvenir à la surface. A moins quel’on ait prétraité la roche réservoir demanière qu’elle continue à produire. C’estpour cela qu’il est fait recours à des

techniques dites de récupération assistée,qui consistent à remonter la pression parréinjection de fluides, à augmenter laporosité de la roche par fracturation etautres procédés, à diminuer l’adhérencedes produits à la roche par des techniquesdites de balayage, à recourir aux forages«horizontaux» dans la roche réservoir, etc.

Que voulez- vous expliquer à traverscette digression technique ?

La première loi naturelle : qu’il estimpossible d’espérer extraire la totalitédes produits contenus dans la roche. D’oùles notions de «réserves en place», àsavoir la quantité de produits contenusdans la roche réservoir et de «réservesrécupérables», c'est-à-dire le volumemaximum qui pourra être extrait. Lepourcentage de la quantité récupérablepar rapport aux quantités en place dans laroche, c’est cela qui est appelé «taux derécupération». Ce que l’on ne pourra pasrécupérer pour une raison ou une autreest perdu pour de bon. Le souci depréserver au mieux une richesse naturellenon renouvelable va donc conduire àminimiser les volumes qui restent au fondpour de bon. On va chercher à maximiserle taux de récupération finale. Un exemple: une politique d’exploitation qui se fondesur la déplétion naturelle, c'est-à-dire surl’utilisation «à mort» du seul moteur despressions naturelles peut conduire à uneperte de 80% des réserves en place dugisement — une perte qui, pour le casd’un gisement de la taille de HassiMessaoud, peut s’élever de 1 600 à 2000milliards de dollars !

La politique de développement etd’exploitation détermine, nécessairement,le taux de récupération final. Ce tauxdépend d’une série de facteurs. Desfacteurs purement techniques qui, selonles caractéristiques de la roche réservoir,ne dépendent que de l’évolution destechnologies de récupération lesquellesont progressé considérablement avec letemps, notamment avec les progrès encalculs par ordinateur et en physique desmatériaux nouveaux. La discipline deconservation des gisements est capitale.Lesdits facteurs ne sont pas gratuits. D’oùl’importance des investissementsfinanciers que requièrent les stratégiesrationnelles de récupération et deconservation des gisements.

D’où aussi la deuxième série defacteurs, de type économique, financier etcommercial. Un taux de récupération n’estpas forcément égal à celui que permettentles technologies. Il relève également desinvestissements que l’on est prêt àconsentir pour leur mise en œuvre. Il est lerésultat d’un compromis optimum entre letechnologiquement possible et ce qui estcommercialement, économiquement etfinancièrement possible et/ou souhaité parl’exploitant.

D’où la troisième série de facteurs,d’ordre politique : selon le rôle assigné auxhydrocarbures dans l’économie nationale,le montant des investissements consacréaux actions de récupération, associés aumode ainsi qu’au rythme d’exploitationque l’on choisit, la vie du gisement seclôturera par une récupération globalefinale qui peut varier du simple au triple. Sil’exploitant est une société qui est là pourdix, quinze, vingt ou trente ans ellefondera sa stratégie sur l’objectif demaximisation des profits et deminimisation des investissements durantcette période.

Et dans le cas de l’Algériepropriétaire des gisements ?

Justement, si l’exploitant est lepropriétaire du gisement, c'est le cas del’Algérie, la stratégie sera basée, non pointsur ses gains immédiats ou sur unepériode restreinte, mais sur d’autresfacteurs qui touchent aux besoins dedéveloppement de plusieurs générations.La démarche d’Etat va viser unerécupération finale la plus élevée possible.Pour vous donner une idée des enjeuxfinanciers considérables liés à cet aspectde la politique d’exploitation desgisements, il me suffit de mentionner lecas de Hassi-Messaoud. Un seul pourcentde plus ou de moins sur le taux derécupération finale, c’est 350 millions debarils, soit à raison de 80 dollarsaméricains le baril, 28 milliards de dollarsaméricains de gagnés ou de perdus pourl’Algérie. J’aurais pu citer, à cet égard, lescandale de la mauvaise exploitation deZarzaitine par les filiales de l’Erap qui acausé des dommages définitifsconsidérables à ce gisement. Legouvernement algérien, à la fin desannées 1960, avait porté, d’ailleurs,l’affaire auprès des tribunaux arbitrauxinternationaux.

Le conflit d’intérêts était congénital enquelque sorte. L’Erap se comportait enAlgérie non comme un groupe industrielclassique, à l’image de Total par exemple,mais comme une entreprise économico-idéologique dont la mission est de gérerles gisements algériens, pour un temps,en fonction, primo, de la part qu’il leur auralui-même assignée parmi les autressources mondiales d’approvisionnementde la France, deuxio, en fonction desprofits financiers qu’il jugera devoir entirer. D’où l’attachement au contrôleexclusif, pour jouir du privilège de réaliserle maximum de profits, sur la période laplus courte.

L’Etat algérien, qui est là pour tout letemps et non point de passage, vachercher, lui, à tirer du gisement le plusgrand profit possible et pour le temps leplus long. Cela exigera donc plusd’investissements pour une longueconservation des gisements. C’est cettecontradiction d’intérêts qui est à la source

des premiers clashes apparus sur tous lesgisements, à commencer par HassiMessaoud et Hassi R’mel. C’est,d’ailleurs, la même stratégie qui prévautpour la politique de l’exploration…

A ce propos, permettez-moi derevenir sur le phénomène de sous-exploration du sous-sol saharien.Comment expliquez-vous que l’effortd’exploration soit si faible ?

Reconduisez mutatis mutandis lesmotivations qui ont prévalu dans ledomaine de la production, au domaine del’exploration et vous avez l’explication dela sous-exploration. On comprendrafacilement que la probabilité de trouverdes hydrocarbures dans un territoiredonné sera proportionnelle auxinvestissements consentis dans lestravaux d’exploration.

Le groupe français majoritaire Eraps’est réservé à la veille des Accordsd’Evian de vastes permis de recherche,pour y investir non point en fonction despotentialités du sous-sol, c'est-à-dire enraison des chances que l’on a d’y trouverdes hydrocarbures, mais au niveauminimum exigible par les besoins du paysd’origine et de façon à entamer auminimum les profits réalisés dansl’exploitation.

J’ai parlé des accords de juillet 1965.Les signatures avaient à peine séchéqu’une première crise secouaitl’association coopérative dès la discussiondu premier budget, quand la partiefrançaise trainait les pieds sur lesmontants des investissementsd’exploration à consacrer dans le domaineminier commun. Au même moment, desmanœuvres de l’Erap tendaient à court-circuiter la nouvelle société de forage Alforque Sonatrach venait de fonder avec unesociété américaine.

A la suite de cette crise, PierreGuillaumat, P-dg d’ELF-Erap, est venu en1967 expliquer à Alger, avec force courbeset statistiques à l’appui, qu’en Algérie,l’essentiel avait été déjà découvert, et quele sous-sol algérien n’avait plus de secretà révéler. Ces documents se trouventdans les archives de Sonatrach et duministère de l’Energie. C’est évidemmentl’Erap qui a bâti cette théorie, aux finspolitiques que j’ai évoquées. Ne vousétonnez pas que même le ministèrealgérien des Finances ait entravé lesactivités d’exploration de Sonatrach,notamment dans le Grand Erg oriental.

Pourtant, vingt ans à peine après lesnationalisations, suite aux découvertesfaites dans le même Grand Erg oriental,cette zone grande comme les deux tiersde la France, donnée par l’Erap pour«zone stérile», fait l’objet de découvertessi importantes qu’elle a été reconnuecomme une zone de «réservespotentielles majeures».

C. M.

Sid-Ahmed Ghozali s’adonnant aux jeux d’échecs avec ses collaborateurs,une pratique habituelle à Sonatrach.

Sid-Ahmed Ghozali sous le charme du chanteur andalou Chikh El-Ghafour.Les activités d’enrichissement de l’esprit encouragés par Sonatrach.

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Chafik Mesbah : Cette expériencealgérienne dans le domaine du gaz,quelle est son originalité ?

Sid Ahmed Ghozali : Au préalable,nous avons eu à nous faire acceptercomme interlocuteurs crédibles à proposde nos propres ressources. Cela peutétonner aujourd’hui, ça n’allait pas de soià un moment où prévalait la théorie du«gaz captif», où nous étions «étrangers»sur nos propres gisements. Suivre à latrace les organismes français dans lemonde, pour dire aux clients potentiels :«Attention, l’Algérie est indépendante,nous sommes désormais vosinterlocuteurs», ce n’était pas évident. Lescampagnes de sensibilisation et lesnégociations commerciales qui s’en sontsuivies devaient s’étaler sur des années !

D’un côté, les clients français, italienset allemands étaient en entente pourprivilégier, outre la mer du Nord, le gazsoviétique, misant sur ce dernier pourcréer des précédents en matière de prix.Pendant qu’ils se donnaient le temps deconclure avec le Nord aux conditions lesplus favorables à l’acheteur, ilsallongeaient à loisir leurs pourparlers avecnous… en proposant des prix que nous nepouvions que refuser.

De notre côté, nous avions une seulevoie : créer des précédents avec d’autresclients pour démontrer que l’exportationdu gaz algérien pouvait parfaitement sedispenser du bon-vouloir de notrepartenaire français. D’où les premiersaccords avec l’Espagne (Catalana de Gase Electricidad) en 1967, et avec les Etats-Unis (El Paso Natural Gas) en 1969. Jerelève au passage l’hommage tardif maislogique rendu au président de CatalanaPedro Duran Farel, puisque trente ansplus tard, le deuxième gazoductransméditerranéen, celui qui a connectél’Espagne via le Maroc et le détroit deGibraltar, a été baptisé de son nom. Lepremier gazoduc transméditerranéenétant celui qui a connecté l’Italie via laTunisie et le canal de Sicile.

La transaction avec El Paso portait surla vente de 10 milliards de m3/an. Ce futune première en matière de transactiontransatlantique de GNL à grande échelle.

Ces deux accords ont été déterminantsdans le déblocage de nos relations avectous les autres clients européens. Ils ontouvert, sur les sept années qui allaientsuivre, la voie à la conclusion avec lesEtats-Unis, l’Espagne, des clientsfrançais, italiens, austro-allemands etnordiques (belges, hollandais, suédois),d’une somme de contrats fermes totalisant56 milliards de m3/an et de contratsoptionnels pour 8 milliards de m3/an. Soitcinquante fois plus que pour l’ancienneCamel que vous avez évoquée.

Pourtant, avec l’Italie, les choses nese sont pas déroulées, apparemment,aussi facilement !

En effet, il y a eu les tergiversations dela part de l’ENI italienne. Le marché italienfut alors attaqué par la voie de la Sicile,avec la création de la société mixteSonems Sonatrach-EMS (l’ENI sicilienne).Ce n’est qu’à l’achèvement des études

économiques et d’engineering et après lapose expérimentale du gazoduc à traversle Canal de Sicile, que l’état-major de l’ENIfinit par se rallier à l’opération algéro-sicilienne.

Quant aux Allemands, il a fallu lescontrats Catalana et El Paso, confortéspar les retombées psycho-politiques desnationalisations de 1971, pour qu’ilss’exonèrent d’une certaine obédience auconcept de «l’Algérie chasse gardée de laFrance». Un concept auquel ils avaientimplicitement souscrit jusque-là, sansdoute comme à l’un des prix à payer pourménager le climat franco-allemandinauguré à l’époque du Traité d’amitié.

Et du côté français, alors ?Cela a bougé aussi. D’apparence en

tout cas. La partie française auxnégociations gouvernementales acceptaiten janvier 1971 une reconduction pure etsimple de la formule de prix figurant aucontrat conclu quatorze mois plus tôt àNew York entre Sonatrach et El Paso. Ilétait mis fin ainsi au blocage denégociations commerciales qui trainaientdepuis l’indépendance. Mais larenonciation à la stratégie dilatoire nesignifiait nullement l’abandon des actionsparallèles multiformes visant à empêcherl’entrée de l’Algérie dans le marché gazieraméricain. Dès le début de 1970, lesautorités françaises ont exercé despressions sur l’administration américaineà chaque étape du développement duprojet algéro-américain : procédures del’Autorité fédérale de régulation del’énergie (à l’époque la Federal PowerCommission FPC) ; négociations desgaranties des financements parl’Eximbank US. Un lobbying intense despétroliers de l’ex-BRP-Erap tendait àétouffer l’opération avant saconcrétisation. Les tentatives de fairerejeter le projet en bloc en étaient arrivéesà se situer au sommet politique, deprésident à président, en 1970 et 1971.

Les nationalisations de 1971 ontparallèlement servi comme prétexte auxpétroliers de l’Erap pour tenter uneopposition juridique à la mise en œuvre ducontrat Sonatrach-El Paso.

Les obstacles ont été, cependant,contournés…

Je dirais franchis et en dépitd’immixtions algériennes intempestives dedernière heure, notamment celle de notrepropre ministre des Finances qui a faillifaire capoter l’affaire.

En mars 1973, les autorisations de laFPC ont été prononcées et lesfinancements commerciaux garantis parl’organisme américain de garantie descrédits à l’exportation Eximbank, bouclés.Les processus de commande de l’usinede liquéfaction GNL1 à Arzew parSonatrach ainsi que des dix méthanierspar El Paso avaient démarré fin 1970. Lamise en exploitation a commencé fin1977. L’inauguration officielle par HouariBoumediene s’est faite mi-1978.

Les tentatives françaises d’empêcherla réalisation du projet avaient ainsiéchoué… pour un temps, car la disparitiondu président Boumediene allait fournir auxadversaires français de Sonatrach uneoccasion en or pour faire en sorte que ce

soit les Algériens eux-mêmes qui ruinentpour une douzaine d’années la politiquegazière de l’Algérie, en dénonçant lescontrats de Sonatrach avec lescompagnies américaines, mais aussi avecles autres clients en Europe… àl’exception de la France et de l’Italie.

Venons-en, justement, auxcirconstances qui ont conduit à ladénonciation du contrat Sonatrach-ElPaso.

Le vocable «affaire El Paso» quebeaucoup ont repris par candeur, cache,sous une apparence d’affairecommerciale, une réalité politique desplus pernicieuses.

Commençons par l’apparence. Noussommes en mai 1979. Le premiergouvernement du président ChadliBendjedid est en place depuis trois mois àpeine. J’en fais partie pour six mois à latête de l’hydraulique, le président m’ayantremplacé au poste de l’Energie quej’occupais sous Boumediene. Monsuccesseur annonce à la presse larévision du prix du contrat Sonatrach-ElPaso, en cours d’exécution depuis 15mois comme je l’ai relaté tout à l’heure. Ilmentionne au passage que du fait del’ancienne formule de prix, l’Algérie «aperdu 150 millions de dollars américains».En prenant bien soin d’occulter le fait quela renégociation du prix avec El Paso avaiten fait commencé un an plus tôt et qu’elleen était à son aboutissement à la veille dela formation du nouveau gouvernement, illaissait entendre qu’il avait découvert etcorrigé une grave anomalie commise sousBoumediene, à savoir que notre gaz étaiten train d’être bradé et que cela nous acoûté une perte sèche de 150 millions dedollars américains. C’est ainsi quel’opinion et sans doute le nouveau chef del’Etat, avaient décodé le message. Il nepouvait en être autrement. A l’APN, desdéputés ont immédiatement interpellé legouvernement sur les tenants d’unedéclaration dont ils ont noté à juste titre lagravité.

Au Conseil des ministres dulendemain, je prends la parole pourdénoncer ladite déclaration du nouveauministre de l’Energie comme mensongèreet délibérément attentatoire à l’honneur de

ses prédécesseurs, y compris à lamémoire du président défunt. Je demandel’ouverture d’une enquête parlementaireavec ma participation en tant qu’ancienministre de l’Energie. Le présidentdésigne à cette fin une commissioncomposée de Ahmed BenmohammedAbdelghani, alors Premier ministre,secondé par les ministres des Finances,de l’Energie et de l’Hydraulique. Sous desprétextes dilatoires divers, de premièreréunion en reports successifs, pour«indisponibilité du ministre de l’Energie»auteur de la déclaration en cause, nousarrivons à fin juin, veille de la date de la finde la session parlementaire de printemps,sans que la Commission soit parvenuecomme elle y était requise à aucun projetde réponse, autre que celui que j’avais missur la table moi-même dès la premièreréunion.

La manœuvre était claire ; il fallaitescamoter l’incident. La commission s’estcomme dissoute implicitement et, dansson sillage, le projet d’enquêteparlementaire décidé en Conseil desministres.

Vous êtes-vous résigné vous-même ?

Pas du tout ! Devant ce fait accompli, jereprends le projet de réponse soumis à lacommission Abdelghani, en lui donnant laforme d’un mémorandum de 120 pagesque j’adresse sous ma responsabilité àtous les membres du comité central duFLN et bien sûr au secrétaire général, quin’est autre que le président de laRépublique. Celui-ci au Conseil desministres de la rentrée de septembre juge,sans me nommer, mon initiative commeun «acte d’indiscipline». Sur cesentrefaites, il m’accorde à ma demandeune entrevue au cours de laquelle je luiprésente ma démission. Il la rejette.

Cependant, trois ou quatre semainesplus tard, c’était un dimanche 14 octobre1979, le président m’appelle dans sonbureau et me demande de quitter legouvernement en me donnant rendez-vous pour le comité central prévu endécembre. J’apprends le lendemain par laune de la presse officielle que le présidenta signé un décret me «démettant de mesfonction.»

«Il faudrait pour le bonheur des États que les philosophes fussent Rois et que les Rois fussent philosophes» Platon in La République

Histoire des nationalisations, politiquep�troli�re et bonne gouvernance

Lors du conseil de discipline du FLN censé me concerner personnellement, j’avais noté uneinsistance insolite des membres de la commission à me faire parler de Abdelaziz Bouteflika pourme faire dire qu’il aurait tenté d’influencer le processus du contrat Sonatrach El Paso à la faveurdes Américains.

Sid-Ahmed Ghozali lors de la signature du contrat El Paso à Alger.

Entretien réalisé par Mohamed Chafik Mesbah

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SID-AHMED GHOZALI AU SOIR DÕALG�RIE

6e partie

Suite en page 10

Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Lundi 10 mars 2008 - PAGE 9

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Selon vous, il existe un lien entre lesobstructions françaises contreSonatrach avant et sous Boumedieneet ces nouvelles attaques après samort ?

Vous m’accorderez que, jusqu’àprésent, j’ai plus cité des faits qu’analysé.J’ai relaté bien plus que je n’ai conjecturé.Le lien se lit comme à livre ouvert dans lesactions conduites sous la houlette dugroupe Erap, entre 1962 et 1979, il se voitdans les prolongements algériens de cesmêmes actions à partir de 1979. Pour levoir sous un autre éclairage, il fauts’arrêter un instant sur la nature des deuxprincipales compagnies pétrolièresfrançaises. La Compagnie française despétroles, CFP, future Total, créée aulendemain de la Première Guerremondiale avait une raison socialeindustrielle et commerciale privée pourfaire une place à l’industrie pétrolièrefrançaise naissante au Moyen-Orient.Tandis que le Bureau de recherchespétrolières (BRP) et son successeur legroupe Erap, est un établissement publicdont la mission fondatrice consiste à bâtirun empire pétrolier aux fins d’assurer lecontrôle de l’Etat sur les ressourcespétrolières de l’empire colonial français.Ce n’est pas le fait du hasard si ce groupe,pourtant bien moins développéindustriellement que la CFP, beaucoupmoins expérimenté, fut en charge ducontrôle majoritaire des permisd’exploration puis des concessionsd’exploitation sur l’ensemble de l’empirecolonial français, à commencer parl’Algérie, pièce maitresse de ce mêmeempire.

Les ingénieurs du BRP devenu Erap,qui ont été les acteurs sur le terrain despremières actions de recherche et, plustard, des premières grandes découvertesen Algérie, se considéraient comme «lesgéniteurs» du pétrole algérien. Que l’Erapn’ait eu de cesse de perpétuer son empirepétrolier au-delà de l’empire colonialdéfunt, cela procède du constat historique.La théorie du «gaz algérien captif» n’estpas un fantasme imaginé maisl’expression d’une stratégie gravée dansle marbre, vulgarisée par les responsablesfrançais eux-mêmes aux fins deconvaincre leurs partenaires mondiaux, ycompris les Algériens, qu’ils étaient unpoint de passage obligé pour touteentreprise industrielle ou commercialeconcernant les hydrocarbures du pays.Quand on dit que les dirigeants de l’exBRP-Erap et GDF ont promis d’étoufferdans l’œuf toute tentative algérienne depénétration du marché gazier mondial, ons’appuie sur des déclarations publiques etdes actions multiformes, pressions etinterventions françaises officielles auprèsdes organismes et autorités US eteuropéens.

Pourtant, vos contradicteursaffirment que l’affaire El Paso est uneaffaire commerciale…

L’affaire El Paso une simple correctiond’un contrat commercial ? Ajoutez,surtout, qu’elle prétendait relever desturpitudes dans l’ère Boumediene ! Elle aété le premier acte de la«déboumedienisation» et des politiques etde l’encadrement. Pour ce faire, on aouvert deux «chantiers» pour ainsi dire : lepremier fut la mise en œuvre immédiatedu «principe de la rotation des cadres», unprincipe qui fut proclamé solennellement àla première session du comité central eten application duquel les cadres que lenouveau pouvoir considérait comme «seshommes à lui» étaient mis en lieu et placede ceux qui étaient considérés «comme

les hommes de Boumediene».

Le second chantier» était la«fabrication de dossiers» contre lespersonnes et les politiques, une véritablechasse aux sorcières. Celle-ci devait,dans la même foulée, s’opérer sous laforme d’une campagne officielle de «luttecontre les fléaux sociaux». Le nouveaupouvoir a ouvert les deux chantiers par mapersonne : je vous ai relaté les conditionsdans lesquelles j’ai été remplacé d’embléeau poste de l’Energie, comment on aessayé de fabriquer un dossier El Paso,pour saisir ensuite le motif d’indiscipline etme faire révoquer du gouvernement sixmois plus tard.

M’ont rejoint peu après AbdelazizBouteflika et Belaïd Abdesselam, dans lecadre de la même chasse mais pour des«dossiers» différents, qu’on est alléchercher via la Cour des comptes : lepremier rendu justiciable pour sa gestionde la trésorerie des ambassades, lesecond pour un contrat de formationprofessionnelle géré par l’ancien ministèrede l’Industrie et de l’Energie.

Un an après ma révocation, on a choiside nous mettre dans la même charrette auterme de «procès» qui mèneront à notreexclusion du comité central du FLN findécembre 1980. Lesdits procès se sonttenus, en un temps record, quelquesminutes d’une session du comité central,le temps que chaque membre du comitémette un oui ou un non dans un bulletinnominal, en l’absence de chacun de nousde l’enceinte du Palais des nations. Pourma part, je n’ai reçu aucune notification, nide mon exclusion, ni des motifs lajustifiant. Je n’ai comme point de repèreque les questions qui m’ont été posées surun ton qui se voulait fraternel par lesmembres de la commission de disciplinedu parti au cours d’une audition d’unedemi-heure à peine, tenue la veille de lasession du comité central qui nous a jugés; ces questions, auxquelles j’ai donné desréponses factuelles, ne donnent aucunenotification d’accusation ou de sanction.J’ai bien noté que les membres de lacommission prenaient la précaution de mefaire entendre que ces questions, ilsétaient chargés par «d’autres» de me lesposer.

Elles ont porté sur les commissionspayées par Chemico et les sociétés prête-nom qui les avaient perçues. J’ai donnéles faits en signalant au président de lacommission que ces mêmes faits étaientdans le dossier que je voyais posé devantlui et qui était celui-là même que j’avaisremis de la main à la main au présidentChadli Bendjedid à mon départ del’énergie. Alors que ma convocation auconseil de discipline était censée meconcerner moi seulement, j’avais noté uneinsistance insolite des membres de lacommission à me faire parler de AbdelazizBouteflika (absent d’Algérie à l’époque)comme si chacun de ces membres, à tourde rôle, cherchait d’évidence à me fairedire que celui-ci aurait tenté d’influencer leprocessus du contrat Sonatrach El Paso àplusieurs reprises et à la faveur desAméricains. Cela dénotait d’évidence qu’àtravers mon audition et parallèlement audossier de mauvaise gestion qui lui étaitfait dans le «canal» de la Cour descomptes, on cherchait à obtenir de moi untémoignage qui enrichirait un seconddossier fait pour étayer un procès en «pro-américanisme» intéressé.

La malice du sort a voulu que lapersonnalité qui a décoré AbdelazizBouteflika, nouveau président de laRépublique en 1999, tout en prononçantun mea-culpa étranglé de sanglots quetout le monde a pu voir en direct à latélévision, fut la même personne qui avait

été chargée, vingt ans auparavant,«d’instruire» lesdits procès !

Pour ce qui est de l’aspecttechnique de la question, quelles ontété les conséquences économiques etfinancières de la dénonciation ducontrat El Paso ?

Avant 1979, la configuration de laclientèle de Sonatrach, pour un volumeglobal de plus de 63 milliards de m3/an,était répartie comme suit : Etats-Unis25%, France-Italie 34%, Allemagne etEurope du Nord 34% et Espagne 7%. Fin1981, deux ans après l’affaire El Paso,c’est un bouleversement radical quiaffecte cette répartition. A lui seul,l’ensemble France-Italie est passé de 41%à 95% ! En fait tous les contrats algérienshors ces deux pays ont été, à l’initiative duministre de l’Energie, soit dénoncés, c’estle cas des Etats-Unis, de la RFA et despays nordiques, soit réduits en volumes,c’est le cas de l’Espagne et de laBelgique.

Non décidément : pour les inventeursde l’affaire dite El Paso, celle-ci n’a jamaisété une simple correction de contratcommercial ! L’objectif visé c’était bien lastratégie nationale de développement del’Algérie. Les conséquences financièresinduites par le sabordage des contratsgaziers ont été évaluées à une pertesèche en ressources extérieures dequelque 40 milliards de dollarsaméricains, en dollars courants del’époque. Le rapprochement du montantde ces pertes avec le montant atteint parla dette extérieure à la fin des années1980, soit 25 milliards, ne donne qu’unepâle idée des tragiques retombées dont lepays porte encore les séquelles jusqu’àaujourd’hui.

Comment les autorités politiques ausommet des pays ont-elles pu selaisser entrainer dans une telleentreprise ?

Le président de la République del’époque a été délibérément abusé. Apeine prenait-il la succession de HouariBoumediene, qu’un quarteron hétéroclitea tôt fait de le convaincre que plus vite il sedémarquerait de son prédécesseur, plusvite il assoirait son autorité. Voilà quel’homme à peine investi d’un côté sous laprofession de foi de «la continuité et de lafidélité à Houari Boumediene» — le motd’ordre officiel du Congrès du FLN — unhomme qui de surcroit est loin d’être unaventurier, se trouvait ainsi engagé d’unautre côté, par ceux qui l’ont abusé, dansune logique de rupture, aussi brouillonneque dévastatrice. Il faut s’en souvenir, leprix du brut était de 12,35 dollars à la veillede l’intronisation du nouveau président,puis est passé de 19 à 25, pour cause derévolution iranienne, pour en arriver à 36puis à plus de 40 dollars le baril, juste unan et demi plus tard. Fraichement investi,

le président Chadli Bendjedid inaugureainsi son mandat dans une aisancefinancière euphorique sans précédent.Par malchance, ce concours decirconstances a anesthésié la vigilancequi aurait pu être la sienne vis-à-vis demesures précipitées dont on lui faisaitendosser la responsabilité : dénonciationdes deux tiers de nos exportations de gaz,baisse de moitié des exportationspétrolières, coup d’arrêt au programmeValhyd, déstructuration de toutes lesentreprises publiques à commencer parSonatrach, décomposée pour lacirconstance en quatorze morceaux. Avecle cortège de purges de cadressupérieurs, valeureux serviteurs de l’Etat,qui se trouvaient pourchassés etpersécutés.

Ne vous êtes-vous pas renducomplice d’une certaine manière enacceptant de rester en poste ?

C’est étonnant que vous puissiezcomprendre cela de ma réponse ! Je nesuis pas «resté à mon poste», j’en étaissorti depuis un an ! Bon, je vois que je vaisavoir à répéter ce que j’ai dit : je n’étaispas à mon poste quand ces actionsénumérées ci-dessus ont été commises !J’ai été démissionné le 14 octobre 1979,et ces mêmes actions ont été commisesdurant les années 1980 et 1981, c'est-à-dire après ma sortie du gouvernement.

Mieux, dès les premiers signes de miseen question de l’œuvre de Boumediene,j’ai pris sur moi d’alerter le présidentChadli Bendjedid, le lendemain de soninvestiture, sur la gravité des mensongesdont il était abreuvé. Je l’ai mis en garde,non point contre une volonté de surpasserBoumediene, ce qui eût été, de la partd’un nouveau chef d’Etat, «naturel,légitime et même souhaitable», maiscontre les dangers pour le pays d’unelogique qui choisirait, pour surpasser leprédécesseur, de détruiresystématiquement l’héritage en ce qu’ilavait de meilleur, plutôt que de s’employerà combler les lacunes dont le bilan deBoumediene n’était guère indemne. Il fautcroire que je n’ai pas convaincu.

Et vous, qui êtes en train dem’interroger depuis des heures, que vousavanciez un seul instant la suppositionque j’aie pu être complice, tendrait à mefaire croire que j’ai dû bien mal m’exprimerquand j’ai relaté plus haut les conditionsdans lesquelles j’ai été amené à dénoncerles tenants et les aboutissants de laditeaffaire El Paso, point de départ dudémantèlement des contrats gaziers puisà réclamer une commission d’enquête,puis à m’adresser au comité central duFLN par la voie d’un document de 120pages, puis à démissionner, puis à finir parêtre démissionné.

M. C. M.(À suivre)

Belaïd Abdesslam, Sid-Ahmed Ghozali et Nouredine Aït Lahoussine à bordd’un hélicoptère en Allemagne fédérale.

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Mohamed Chafik Mesbah : Revenonsaux négociations de Paris que vous avezévoquées, plutôt subrepticement.Décrivez-nous la mission et lesnégociateurs…

Sid-Ahmed Ghozali : C’est la premièrefois que vous me posez une question directesur les négociations, je ne les ai évoquéesmoi-même que par incidence, mais non à ladérobée. Ces négociations donc, qui se sonttenues de septembre 1970 à janvier 1971,ont constitué en quelque sorte le troisième etdernier round des renégociations desdispositions pétrolières des Accords d’Evian.

Le premier round, j’en ai déjà parlé, futlancé suite au mémorandum algérien remisà Pierre Guillaumat lors de la mission de cedernier à Alger en novembre 1963. Les deuxchefs de délégation étaient BelaïdAbdesselam, en son ancienne qualité deconseiller spécial du président Ahmed BenBella, et André Wormser, directeur généralau Quai d’Orsay français.

Les Accords d’Alger en ont résulté enjuillet 1965 avec, successivement, lacréation d’une association coopérative, joint-venture Sonatrach-Erap au sein duquel leportefeuille de permis de recherche étaitpartagé à 50/50, y compris le rôled’opérateur pour le compte de l’association ;l’élévation de la part de l’Algérie dans l’ex-Repal de 40% à 50%, avec présidencealgérienne ; la fin de la mission de«l’Organisme saharien», notamment dansses compétences para-administratives enmatière d’hydrocarbures et satransformation en organisme de coopérationindustrielle (OCI), chargé d’administrer lescrédits d’État français destinés à des projetsde petites et moyennes industries.

Ces accords d’Alger prévoyaient au boutde cinq années, donc en 1970, une révisiondu prix de référence, base de calcul del’impôt pétrolier et du taux de rapatriementdes recettes d’exportation des sociétés.

Tout cela paraît bien synchronisé ducôté algérien…La synchronisation, comme vous dites, estplus lisible avec le recul. Mais elle n’était pasque du côté algérien puisque chaque partieétait en cohérence avec sa propre logique…Revenons au deuxième round desnégociations lancé à Alger sous laprésidence de Belaïd Abdesselam devenuentre-temps ministre de l’Industrie et del’Energie, et de Pierre Brunet, successeurd’André Wormser au sein du Quai d’Orsay.Entre l’ouverture des négociations, le 24novembre 1969, et la rupture, le 13 juin1970, sept sessions de deux à trois jours parsession ont été tenues toutes à Alger ausiège du ministère de l’Industrie et del’Energie. Il nous était apparu que les négociateursfrançais n’avaient rien en poche. Pasforcément par tactique ou mauvaise volonté,les vrais décideurs n’étaient pas lesfonctionnaires négociateurs, mais lesdirigeants de l’Erap, qui n’étaient pas à latable d’une négociation censéeintergouvernementale. Un exemple assezcocasse pour illustrer cette situation. Lesexperts étaient tombés d’accord sur tous lescomposants du prix de référence, c'est-à-dire les coûts de production, de transportainsi que les différentiels de qualité et detransport avec le pétrole de référence quiétait l’Arabian Light et les redevances et

impôts dus à l’État. Ils ont acté de cet accordpar procès-verbal commun. Il ne restait plusqu’à faire une addition et les deux partiestrouvaient le même prix. Seulement voilà, lapartie française refusait d’enregistrer lasimple addition de ces composants ! Parceque le résultat aurait été la pleinejustification du prix qui était revendiqué parla partie algérienne. Les négociateursfrançais venaient de donner à leur vis-à-visalgérien un argument décisif pour prendreune mesure unilatérale légitime. Laconviction s’étant faite à Alger qu’il n’y avaitrien à attendre des renégociations desAccords de 1965, le processus s’engageaitdès lors dans la dernière ligne droite quiallait mener aux nationalisations. Sur ces entrefaites, en effet, lesnégociations furent rompues et le ministrede l’Industrie enjoignit, les jours suivants,aux sociétés françaises de rapatrier leproduit de leurs ventes sur la base d’un prixégal à la somme des composants surlesquels les deux parties s’étaientaccordées. Ce fut la crise connue de juin1970. Aux fins de dénouer cette crise, ladécision fut prise d’étendre les négociationsà tous les problèmes bilatéraux(commercialisation du vin, émigration,archives) et donc d’élever le niveauprotocolaire des chefs négociateurs : leministre de l’Industrie, Xavier Ortoli, du côtéfrançais, et le ministre des Affairesétrangères, Abdelaziz Bouteflika, du côtéalgérien. On verra par la suite qu’elles sesont limitées de facto aux seulshydrocarbures.

Bref, les négociations de Paris se sonttenues en sept sessions algéroises et en sixsessions françaises. Alors qu’il n’y avaitaucune illusion à se faire sur l’aboutissementdes trois semaines algéroises des uns etdes six semaines parisiennes des autres,une session fut ouverte à Paris le 29 janvier1971 et se prolongea seize jours, ce qui nefut pas du goût de l’Autorité à Alger qui nousenjoignit, le 4 février 1971, de rentrer à lamaison. Trois semaines plus tard à peine, leprésident Houari Boumediène annonçait,place du 1er-Mai, la signature desordonnances de nationalisation.

A la différence de ceux de l’Erap quin’étaient pas à la table des négociations,les cadres de Sonatrach étaient bienprésents et même au premier plan. Quelrôle ont-ils joué ?

Les cadres de Sonatrach et du ministèrede tutelle étaient au four et au moulin. Passeulement les cadres, car une négociation,c’est aussi la logistique de soutienbureautique. Nous procédions àl’enregistrement intégral de ce qui se disait àla table des négociations, quatre cadresingénieurs et juristes se relayaient en duostoutes les deux heures pour en prendre lesnotes. Au rythme des rotations, ces notesécrites étaient aussitôt tapées à la machinepar un véritable virtuose de la frappe à lamachine, deux minutes trente la page, AliAmmani, secrétaire du ministre. En fin dejournée, nous complétions par une synthèseaussitôt remise à la frappe pour lelendemain.

C’est ainsi que grâce à notre champion,le chef de la délégation, le ministre de tutelleet le président de la République avaient entemps quasi réel les minutes des réunions,les notes et analyses de synthèse.N’oublions pas qu’à l’époque, il n’y avait niles matériels et logiciels électroniques detraitement de texte ni Internet. Ammani

n’acceptait d’opérer qu’avec sa vieillemachine mécanique. Ce recordman de lavitesse de frappe était aussi un bourreau dutravail, ne fléchissant pas une minute le longde nos journées qui allaient jusqu’à très tardle soir, pour ne pas dire le lendemain matin.Il était, pour la délégation algérienne, lemembre le plus précieux de l’équipe.

Que pouvez-vous dire à propos de lacollaboration avec les services derenseignement algériens que vousévoquez comme un moment fort dans leprocessus qui a conduit à lanationalisation des hydrocarbures ?Vous pensez bien que dans un domaineaussi sensible que celui de l’énergie, dontj’ai souligné dès le début de cet entretien lecaractère multidimensionnel, un domaineporteur notamment d’enjeux financiers etstratégiques considérables, nous allions,nous, dédaigner les moyens de la diplomatiesecrète et autres canaux du contre-espionnage disponibles chez nous ! D’autantplus que, vous le savez bien, noshomologues français ne s’en privaient guèrede leur côté. Particulièrement à l’occasion de

négociations internationales.Vous avez peut-être lu comme moi

l’ouvrage écrit par Pierre Pean, célèbrejournaliste d’investigation, en associationavec Jean-Pierre Sereni, les Emirs de laRépublique, publié il y a une quinzained’années.

Dans cet ouvrage qui s’étend sur lesarcanes des pétroliers d’État français(l’Erap), les deux auteurs consacrent despassages assez intéressants sur lasuspicion obsessionnelle développée pardes dirigeants de cet établissement durantles négociations algéro-françaises de 1970,qui en arrivaient, d’après les auteurs del’ouvrage, à voir des espions de Sonatrachpartout dans leur siège parisien. Il fautdéduire des investigations de Pierre Pean,que les négociateurs français avaient alertéle groupe Erap de leurs soupçons, fondés ounon, que leurs vis-à-vis algériens étaient aufait d’informations qui ne pouvaient provenirque de documents strictement internes à lapartie française.

Quelle a été la réaction française aulendemain des nationalisations ?

Sur le plan politique, il y a eu ladéclaration du gouvernement français et saproclamation de la «fin des relations

privilégiées» entre la France et l’Algérie. Il ya eu aussi toute une série de gestes tantôtépidermiques ou symboliques, tantôtintimidateurs, tels l’appel au boycott del’achat du pétrole algérien déclaré «pétrolerouge». L’Erap a tenté quelques actions enjustice destinées à faire saisir descargaisons de pétrole provenant d’Algérie,c'est-à-dire de Sonatrach. Aucune de cesactions n’a eu de suite, sauf… en Tunisie, oùl’administration a empêché le chargementdes premiers bateaux dépêchés parSonatrach, nouveau propriétaire du pétrolestocké au port de la Skhira.

On se souviendra de l’exacerbationd’une campagne médiatique anti-algériennequi prévalait depuis le deuxième round desnégociations et qui allait déboucher le longdes premières années de 1970 sur unerecrudescence des actes de violenceperpétrés contre les membres de lacommunauté algérienne émigrée en France: assassinats, défenestration, bombe contrele consulat général de Marseille, etc. Sur leplan de l’exploitation, désertion des champspétroliers en avril de tous les personnels nonalgériens des compagnies.

Avec Total, le contentieux post-nationalisation a été réglé en deux mois etdemi. Le groupe Erap, pour sa part, troismois après les accords signés par Total,avait annoncé en fin de compte qu’ilchoisissait d’être nationalisé à 100% plutôtque de rester à 49%. Aveu explicité cettefois-ci on ne peut plus officiellement, à savoirque ce groupe n’a jamais envisagé saprésence dans notre pays qu’en tant queseul détenteur du contrôle sur l’exploitationde nos gisements.

Selon vous, le général de Gaulle avait-il en projet une politique particulière pourl’exploitation du pétrole en Algérie ?Aurait-il réagi à l’image de sonsuccesseur ?

C’est de Gaulle qui, au lendemain de laSeconde Guerre mondiale, avait créé legroupe pétrolier BRP-RAP-Erap avec leprojet de bâtir un empire pétrolier français. Ilavait fait de Pierre Guillaumat une sorte degénéral en chef du projet.

Mais c’est le même de Gaulle qui aengagé la France dans les Accords d’Evian,la reconnaissance de l’indépendance del’Algérie et de son intégrité territoriale, avecla perspective d’une coopération d’égal àégal avec notre pays.

Ses intentions réelles étaient-ellesconviction ? «Toute politique africaine de laFrance passe par la porte étroite del’Algérie», avait-il affirmé. Ou bien y avait-ilune arrière-pensée néocolonialiste commele suggérerait le maintien en Algérie à la têtedu pétrole d’Etat français d’une équipe dontil ne pouvait ignorer les motivationsnostalgiques et impériales ?

L’Organisme saharien était-il unestructure de coopération ? Ou bien un centrede co-souveraineté sur nos richessesnationales, comme cela était sans doutedans l’arrière-pensée française et mêmedans la perception de beaucoup d’entrenous ? Quand on regarde les choses et lestextes dans la lettre, l’Organisme saharienétait certes un «coin» inséré dans leprocessus administratif national mais sescompétences se limitaient à fournir un avis,sans le droit à la décision qui ressortaitexclusivement de la souveraineté nationale.L’affaire du troisième pipe l’a bien montré, oùl’Organisme saharien a instruit le dossier etdonné un avis favorable sans qu’une suiteait été donnée à son avis, lequel avis n’a paspu empêcher l’administration algérienne debloquer le dossier, ni le gouvernement deréaliser le projet.

«Il faudrait pour le bonheur des Etats que les philosophes fussent Rois et que les Rois fussent philosophes» Platon in La République

Histoire des nationalisations, politiquep�troli�re et bonne gouvernance

«Les dirigeants d’ELF-Erap développaient une suspicion obsessionnelle. Lesnégociateurs français les avaient alertés de leurs soupçons que leurs vis-à-visalgériens étaient au fait d’informations qui ne pouvaient provenir que dedocuments strictement internes à la partie française.»

Les Accords d’Evian.

Entretien réalisé par Mohamed Chafik Mesbah

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SID-AHMED GHOZALI AU SOIR DÕALG�RIE

7e partie

Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Mardi 11 mars 2008 - PAGE 8

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Ce qui militerait pour la premièrehypothèse, c’est le choix de ClaudeCheysson comme chef de file de la partiefrançaise au sein de l’Organisme saharienpour la mise en œuvre de la coopérationpétrolière. Cet ancien résistant, desensibilité socialiste, polytechnicien deformation, sera en 1981 le premier ministredes Affaires étrangères de FrançoisMitterrand puis vice-président de la CEEpour la coopération avec les pays du sudméditerranéen. De Gaulle a fait venir à lui cebrillant et grand commis de l’État qui avaitété relégué au «placard» dans un poste enAfrique, en raison de ses positionsfavorables à l’indépendance algérienne etde sa démission d’un haut postediplomatique en protestation publique contrel’arraisonnement, sous le couple Guy Mollet-Robert Lacoste, de l’avion qui transportaitquatre historiques du FLN en octobre 1956entre Rabat et Tunis. Le choix de ClaudeCheysson, le message dont il était porteur,accréditent l’hypothèse d’un De Gaulle dontla passion principale, à savoir une visionconnue des intérêts supérieurs de la France,n’aurait pas été incompatible avecl’hypothèse de l’approche d’un hommepragmatique qui ne serait pas formaliséd’une éventuelle remise en cause parl’Algérie du dispositif hérité des Accordsd’Évian «pour peu que lui-même en fûtprévenu à temps», semble-t-il avoir voulufaire entendre aux nouvelles autorités del’Algérie indépendante.

Sonatrach et ses cadres ont joué unrôle capital dans la préparation desnationalisations, notamment à travers lesnégociations algéro-françaises. Quid dessyndicats ?

Fruit d’une coopération de plusieursannées entre le ministère de l’Énergie, ladirection générale, les cadres et le syndicatd’entreprise, la convention d’entreprise deSonatrach, dans son volet salarial, aconstitué un modèle pour les autres

entreprises du secteur et même lors del’élaboration du Statut général destravailleurs. Le domaine d’intervention dusyndicat allait au-delà des limites dupérimètre salarial et social. La contributiondes représentants des travailleurs a englobéle reste des activités industrielles et socialesde l’entreprise, lors des avancées les plusdécisives de l’ensemble du projet national dedéveloppement des hydrocarbures. Enparticulier dans la préparation et la mise enplace des dispositifs des nationalisations.

Le caractère stratégique de Sonatrach,outil d’une politique nationale dedéveloppement, a fait tout naturellement queles syndicalistes de la Fédération destravailleurs de l’énergie ne voyaient pas enelle un interlocuteur patronal classique. Neserait-ce que pour une bonne partie desaffiliés de la FNTPG, ceux des effectifsalgériens des compagnies pétrolièresétrangères et qui n’avaient pas encoreSonatrach comme employeur. Aussi lalogique de la mobilisation au service d’unprojet national commun a prévalu, au moinsdurant les douze années de préparation etde mise en œuvre des mesures derécupération des hydrocarbures, sur lalogique de confrontation corporatisteclassique.

Comment expliquer alors la baisse decombativité que l’on observe aujourd’huichez les syndicalistes de Sonatrach ?

Il faut distinguer le syndicat des pétroles(FNTPG) de la Centrale confédérale. Pouranalyser les positions des uns et des autres,il y a lieu de se référer à deux époquesdistinctes, l’avant et l’après-Boumediène.

Si l’on parle de la FNTPG, j’ai mentionnéson engagement indiscutable dans labataille du pétrole, c'est-à-dire durant toutela période de préparation de la mise enœuvre des mesures de nationalisation, ainsique de leur consolidation. J’ai expliquépourquoi, pour des raisons historiques, larelation entreprise-ministère-syndicat s’estsituée dans la logique de coopération plus

que dans la logique de confrontation. De là àregarder la FNTPG comme un «syndicatmaison», il n’y avait qu’un pas que n’ont pasmanqué de franchir des courants de laCentrale parmi les plus hostiles à Sonatrachet plus généralement à la politiqueindustrielle. Les rares moments de tensionqui ont marqué nos relations syndicales onttous eu une origine purement politique sousl’instigation d’un courant traditionnellementréservé vis-à-vis de la politique industriellenationale.

Et le comportement des syndicalistesdans l’après-Boumediene ?

Au moment où a sonné l’hallali de lapolitique industrielle et énergétique deBoumediène, les représentants de laCentrale syndicale au comité central du FLNont été de la curée générale, avec un zèleremarqué. Les responsables syndicaux deSonatrach ne sont pas allés jusqu’à ce point.Hélas, ils n’ont pas entrepris grand-chosepour défendre l’aventure humaine à laquelleils avaient participé. Dans le meilleur descas, ils ont assisté passivement au

démantèlement du secteur de l’énergie. S’il s’agit de la période allant de 1999 à

maintenant, que voulez-vous que je vous endise ? Force a été de constater qu’àl’occasion de la promotion de ce qui allaitêtre la loi scélérate de 2005, la Centralesyndicale a affiché une succession depostures en exécution d’ordres précis qui luiétaient dictés par la machinerie du pouvoirpolitique.

Les variations observées dans lediscours officiel de la Centrale ne prêtentpas à optimisme sur la combativité dusyndicat, élément indispensable d’undéveloppement économique harmonieux.

Le 24 février 2005, date anniversaire dela fondation de l’UGTA et de l’annonce del’ordonnance de nationalisation deshydrocarbures, c’est au même siège de laCentrale syndicale qu’a été annoncéel’abrogation de la loi fondamentale de 1971.Cette mutation des symboliques traduitl’ampleur de la rupture historique qui amarqué le mouvement syndical algérien.

M. C. M.(À suivre)

Sid-Ahmed Ghozali, ambassadeur à Paris.«Mitterrand était-il en quête de quelque chose que l’histoire substituerait à l’obsédante

déclaration (la seule négociation, c’est la guerre).

Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Mardi 11 mars 2008 - PAGE 9

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Page 15: « Histoire des nationalisations, politiqq que pétrolière

Mohamed Chafik Mesbah : En1991, lorsque vous avez accédé auxresponsabilités de chef dugouvernement, vous aviez amendéla loi fondamentale sur leshydrocarbures. Quel était votreobjectif ?

Sid Ahmed Ghozali : Ce fut la suited’une histoire que j’avais vécue à latête du ministère des Finances oùj’avais trouvé une situation desurendettement sans précédentailleurs, en ce sens que le service de ladette dépassait 70% de nos recettesextérieures alors que le niveau desréserves était à zéro.

Selon les normes généralementadmises, lorsqu’un pays consacre lequart de ses recettes extérieures auseul remboursement de la dette, alors ily a problème. Si on n’a pas les moyensde rester en deçà de cette limite ou d’yrevenir quand on l’a dépassée, il est derègle de recourir à un étalement deséchéances de remboursements, aurééchelonnement de la dette. Le feuvert du FMI pour la négociation avecles deux clubs de créanciers, celui deLondres pour les crédits commerciauxet celui de Paris pour les créancierspublics, est alors requis. Le FMI exigel’acceptation préalable de mesuresd’ajustement structurel censéesproduire un redressement financier quisoit à même de permettre l’étalementde la dette et conditionne en mêmetemps le retour nécessaire del’emprunteur sur les marchés financierspour les besoins de la relance de sonéconomie. Chez nous, on a préférécontinuer à rembourser vaille quevaille, moyennant quoi, on a commis cequi est considéré par les expertsinternationaux comme une aberrationéconomique, un non-sens politique etmême un crime social. On a maintenupar ailleurs la population, voire laquasi-totalité des institutions, dansl’ignorance des faits.

Lors de mon court passage auxFinances, j’avais commencé par faireconnaître notre situation financière nonseulement aux institutions, ministres etdéputés, mais aussi à l’opinionpublique. Contrairement à la démarcheprédominante, qui consistait à réfuter lerééchelonnement sans proposer unesolution alternative, j’ai prôné la thèseque le rééchelonnement était évitable àcondition que nous mobilisions nospropres potentialités qui étaient audemeurant très au-delà des 25milliards de la dette extérieure, encomptant, au départ, sur le seuldéveloppement de notre potentiel deproduction d’hydrocarbures.

Huit mois et demi aux Finances, il enfallait plus pour mettre en œuvre lasolution que je défendais, et legouvernement qui a succédé augouvernement Kasdi Merbah voyait les

choses autrement. La situationfinancière a continué à se détériorerjusqu’à menacer de conduire à unefaillite annoncée pour l’été 1990, n’eûtété la manne que nous a valu lahausse des prix du pétrole consécutiveà l’invasion du Koweït, soit troismilliards de dollars américains derentrées supplémentaires en quelquetrois ou quatre mois. Une manne qui nefit que repousser quelque peul’échéance funeste puisqu’elle n’a pasempêché l’évolution négative de notresituation financière et ses effetscollatéraux sur la politique intérieure…Il n’y aurait pas le temps de s’étendresur cet aspect des choses qui avaitconduit à ce que, moi-même ministredes Affaires étrangères en désaccordprofond avec le gouvernement, jesoumette ma démission.

Vouliez vous vraiment quitter legouvernement ?

Oui, pour des motifs précis dontl’exposé ici déborderait excessivementle présent entretien mais que j’aid’ailleurs évoqués dans mon discoursd’investiture de juillet 1991 à l’adressede l’APN. En fin de compte c’est lacrise du Golfe qui a masqué etcontrarié ma volonté de quitter leministère des Affaires étrangères.L’ironie du sort a voulu qu’une annéeplus tard, j’ai eu à former legouvernement, alors que le pays étaitdans une situation très délicate, l’étatde siège issu de la périodeinsurrectionnelle d’avril-mai 1991 etune profonde détérioration financière,conséquence de la politique de fuite enavant pratiquée depuis 1986 :emprunter pour rembourser ce qu’on aemprunté hier, etc.

Revenons aux motivations devotre loi sur le pétrole de 1991…

Nous y sommes en plein quandnous en rappelons le contexte. A cetteépoque, nous étions, disais-je, en trainde consacrer plus de 70% de nosrecettes d’exportations auremboursement de la dette extérieure.Un seul précédent à cela peut êtreévoqué, celui de la Roumanie deCeausescu communément retenucomme l’exemple du crime social. Jen’oublie pas l’état de nos réserves dechanges qui étaient à zéro.

Lors des débats d’investiture sur leprogramme présenté à l’APN, j’airépondu aux questions des députés surla situation financière, en général, etsur la problématique des relations avecle FMI. J’ai dénoncé la vanité d’unedémarche qui, tout en maintenant lanation dans l’ignorance des faits,consistait à se borner à exclure l’idéedu rééchelonnement et à ergoter sur lethème stérile des atteintes par le FMI àla souveraineté nationale. J’ai dûrappeler que le FMI était une sorte de

coopérative entre Etats chargée d’aiderà la résolution des problèmes debalance de paiements de sesmembres. C’est comme le médecinque l’on consulte lorsque l’on estmalade : il établit un diagnostic etordonne le traitement qu’il jugeapproprié, un traitement fait deprescriptions et de restrictions. On peutavoir d’excellentes raisons de pensertout le mal des remèdes préconisés parle médecin mais il n’est pas possible des’adresser à lui pour vous appliquerune thérapeutique et de le récuser,parallèlement, au motif que ce qu’ilprescrit porte atteinte à la libertéindividuelle. Si on considère que lesprescriptions du médecin sont uneatteinte à notre liberté, il ne faut pasabuser de notre santé au point d’enêtre amené à solliciter le recours aumédecin. En l’occurrence, le vrai malréside dans le fait d’avoir suffisammentmal gouverné pour tomber dans unesituation de surendettement, alors quel’on a clamé «avoir désendettél’Algérie» deux années auparavant.

Partons quand même du postulatque le FMI ce n’est pas bon : si on estvraiment animé par une telle convictionil est alors tout à fait incohérent d’allerrechercher un prêt de 500 millions oumême 5 milliards de dollars auprès duFMI à des conditions qui nous seraientinacceptables, au même moment oùnous sommes passivement assis surun trésor de centaines de milliards dedollars américains qui est le nôtre etqui ne demande qu’à être fructifié.

Je visais les réserves considérablesd’hydrocarbures qui gisaient dans lesous-sol, non seulement celles qu’ilrestait à découvrir, mais aussi cellesqui étaient découvertes et en état desous-exploitation dans le sous-solnational.

C’est là que j’ai recouru à cettefameuse formule qui allait susciterbeaucoup de bruit pour rien. «Si HassiMessaoud n’est pas capable de sortirnotre pays de la situation

d’abaissement où il se débat, alorsmaudit soit Hassi Messaoud !» Voilàcomment j’en étais venu à présenter leprojet de loi de 1991 que vousévoquez, une loi qui fut trois mois plustôt, lors des débats d’investiture,clairement annoncée dans le discoursprogramme et explicitée lors desréponses aux questions des députés.

J’avais choisi à dessein uneformulation imagée, peut-êtreprovocatrice. «Si pour sortir notre paysdes fourches caudines du FMI, il fautvendre le quart de Hassi-Messaoud, jesuis prêt à cela.» «Sonatrach, avais-jeajouté, détient bien du savoir-faire dansl’exploration et la réhabilitation desgisements. Mais pas tout le savoir-faireet il lui faudrait des décennies pourparvenir à elle seule à des résultatstangibles. C’est une questiond’ampleur des moyens matériels ethumains nécessaires à une relancemassive de l’activité pétrolière. Il n’estpas pensable de dire aux Algériens quisouffrent de patienter quelquesdécennies. D’où la nécessité des’assurer un apport massif detechnologies et de finances à traversune extension du partenariat deSonatrach, dans les domaines del’exploration et aussi dansl’exploitation.

Quelles sont, à cet égard, lesdispositions de la loi 1991 ?

La loi fondamentale d’avril 1971autorisait ce partenariat maisseulement sur les zones vierges et/ousur les seuls gisements de pétrole, etnon de gaz, nouvellement découverts.Il fallait donc élargir le champ dupartenariat de Sonatrach auxgisements de pétrole déjà mis au jourainsi qu’aux gisements de gaz. Pour cefaire, assouplir la loi fondamentaled’avril 1971.

Mais, dans tous les cas de figure, lecontrôle algérien à 51% demeurerait larègle fondamentale dans le futur projetdu gouvernement.

«Il faudrait pour le bonheur des Etats que les philosophes fussent Rois et que les Rois fussent philosophes» Platon in La République

Histoire des nationalisations, politiquep�troli�re et bonne gouvernance

«Le FMI établit un diagnostic et ordonne le traitement qu’il juge approprié. Sion considère que les prescriptions du médecin sont une atteinte à notre liberté,il ne faut pas abuser de notre santé au point d’en être amené à solliciter lerecours au médecin !»

Sid-Ahmed Ghozali en conversation avec Chafik Mesbah.

Entretien réalisé par Mohamed Chafik Mesbah

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SID-AHMED GHOZALI AU SOIR DÕALG�RIE

8e partie

Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Mercredi 12 mars 2008 - PAGE 8

Page 16: « Histoire des nationalisations, politiqq que pétrolière

Pourtant, votre projet a été,plutôt, mal accueilli…

Oui, l’annonce que je fis suscita deviolentes réactions, provenantprincipalement du FIS et au sein duFLN. Le fait d’avoir dévoilé aux députésles indicateurs des financesextérieures m’a valu d’être accuséinjustement de noircir à dessein lasituation financière du pays. Lesarchives sont là pour prouver l’injusticedes soupçons.

Une campagne a été orchestréecontre mon gouvernement. Au sein duComité central a été improvisé unvéritable procès d’intention hors maprésence et en occultation desdonnées financières de base quej’avais rassemblées pour le profit de ladirection politique du FLN. La pressedu parti, El Moudjahid et Ech Chaabnotamment, ont consacré forcemanchettes et colonnes auxaccusations de bradage des richessesdu sous-sol.

L’APS n’avait pas hésité jusqu’àlancer un bobard annonçant uneimminente décision de dévaluation dudinar. Je passe sur les attaquespersonnelles. Des députés, faisantchorus avec les protestations du FIS,ont contesté la légitimité d’ungouvernement tenu pour «être là poursix mois, le temps de préparer lesélections», pas pour engager le pays«comme s’il était là pour l’éternité». Jecite là les minutes des débats autantque la protestation communiquée à lapresse par Abassi Madani de son lieude résidence surveillée.

En dépit de ce climat d’hostilitéorganisé à l’encontre dugouvernement, les députés de l’APNont voté la loi quasi-unanimement, àcinq voix près, en novembre 1991.

Immédiatement à l’issue du vote,une voix très haut placée au sein duFLN, en concomitance avec celles duFIS et dans des termes identiques, aclamé sa résolution à «remettre encause cette loi, dès la mise en place dela future Assemblée».

Voilà, très résumé mais en toutefidélité, le climat politique ambiant quiprévalait alors.

Êtes vous bien sûr que ladirection du FLN s’est opposée auprojet de loi lui-même et non à ladéclaration par laquelle vousévoquiez «la vente de Hassi-Messaoud» ? Comment expliquez-vous dans ce cas que cette loi de1991 fut adoptée par les députés del’APN, tous élus du FLN ?

Sûr et certain, et ce n’est pas mamémoire seulement qui me le fait diremais surtout les écrits officiels qui sontlà pour en attester irréfutablement.

Ni les députés ni la direction du FLNqui connaissent ces écrits ne pouvaientcomprendre un seul instant quel’intention du gouvernement était de«vendre Hassi-Messaoud». Allezsimplement aux faits tels qu’ils sontinscrits dans les minutes des débats etdans le programme, ils vous ôterontl’ombre d’un doute à ce sujet. Acommencer par la simple raison que nimon programme ni la loi, tous les deuxapprouvés par l’APN à trois mois dedistance, n’ont jamais porté mention de

l’idée de vendre Hassi-Messaoud.Cette idée est une farce inventée àpartir d’une citation délibérémenttronquée.

Les députés savent bien cela et passeulement eux, puisque lors de mesrencontres de juillet et août avec lespartis et associations civiles, j’ai faitdistribuer à tous les chefs de parti, ycompris donc le FLN, et auxassociations civiles, les minutesportant mes déclarations et mesréponses à des questions des députés,sur la situation financière du pays, surle FMI et le rééchelonnement, sur lecontexte de la réelle citation de Hassi-Messaoud, sur mon projet deprésentation d’une loi sur leshydrocarbures.

Ces déclarations ainsi que lesréponses faites devant tous lesdéputés réunis à huis clos étaient doncconnues de tous les chefs de parti etassociations peu après l’investiture dugouvernement. Elles se concluaient,notamment à propos du projet annoncéde la future loi, comme suit : «L’esprit etla lettre du 24 Février 1971 sont etdemeureront vivants et en vigueur.»Dites-moi, s’il vous plaît, commentpeut-on promettre à la fois la «vente deHassi-Messaoud» et en même tempsassurer la préservation de l’esprit et dela lettre du 24 Février 1971 ? Non, niles députés FLN ni la direction du FLNne pouvaient avoir compris à aucunmoment, en juillet ou en août, oudurant tout l’automne 1991, que legouvernement voulait vendre Hassi-Messaoud ! Ceux qui ont combattu legouvernement l’ont fait pour des motifstotalement étrangers à la loi Ghozali de1991.

La défense de l’idée de possessionsouveraine des gisements par lepeuple a été au cœur de ma vieprofessionnelle, de mes combats, demes engagements ; le combat pourque le produit des richesses quecontiennent ces gisements aille à sonpropriétaire légitime, la nationalgérienne. Pour ce faire, nécessité ducontrôle par les instruments de l’Étatsur les politiques d’exploitation desgisements, formation des hommes etdes femmes ainsi que des instrumentsnationaux à ces fins. Fallait-il attendreque je devienne chef du gouvernementpour défaire en un mot tout ce qui a faitles nuits blanches, les sacrifices, lesjoies et les frustrations, les peines etles douleurs de toute une vie auservice public ? Tout homme peutchanger, me direz-vous, et je l’admets,mais vous, Chafik Mesbah, croiriez-vous à cette farce de la vente de Hassi-Messaoud ?

Un respectable cheikh était venu mevoir un jour à mon bureau pour me direla grande émotion et lemécontentement que suscitait en lui la«nouvelle de la vente de Hassi-Messaoud». Je vous restitue ledialogue qui eut lieu entre nous.

- Lui : «Alors, c’est vrai que vousvoulez vendre Hassi-Messaoud ?»

- Moi : «Vous connaissez monitinéraire professionnel ? Mon rôle dansla récupération des richessesnationales ? Et vous y croyez à cettehistoire de vente de Hassi-Messaoud ?»

- Lui : «C’est pourtant ce qu’on m’adit ! Il y a bien une raison là-dessous.»

- Moi : «On vous l’a dit, bien.Supposez maintenant que des gensme disent qu’ils ont vu dans la rue tel

cheikh respectable sortant d’un bartitubant, saoul à mort. Est-ce que jedois les croire ?»

- Lui, devenu tout pâle : «Bien sûrque non !»

- Moi : «Et moi, je ne serais jamaisvenu vous voir pour vérifier la véracitédes propos que j’aurai entendus. Parceque j’aurai d’abord exercé les facultésmentales dont chacun de nous estdotées.» Fin du dialogue. Oublions mes références personnelleset allons tout simplement aux preuvesirréfutables : les écrits. Allons auxarchives de l’APN et revoyons lesminutes des débats d’investiture, lediscours programme, les questionsposées par les députés (unequarantaine d’interventions-questions),les réponses données par le chef dugouvernement, les débats sur la loi1991, en commission et en plénière. Etrevoyez les articles des campagnes depresse avant, pendant et aprèsl’investiture ; avant pendant et aprèsles débats sur la loi de 1991.

Ces écrits établissent d’eux-mêmesque l’hostilité que vous évoquez étaitpoliticienne, seulement politicienne, enpremier et dernier ressort.

Trois mois plus tard, quand le projetde loi fut effectivement déposé à l’APN,cela n’a suscité aucune réticence aumoment même où certains médiascontinuaient la campagne contre legouvernement. Les députés votèrent laloi, sans problème aucun, deuxmembres éminents de la direction duFLN ont déclaré à la presseinternationale, concomitamment avecla direction du FIS (AbdelkaderHachani) qu’ils «remettront en causecette loi à la future Assemblée».Conclusion, si l’APN a approuvé pardeux fois, en juillet et en novembre, leprogramme pétrolier du gouvernement,c’est donc contre la volonté de ceux quide l’intérieur du FLN l’ont combattu.

Après son adoption, quelles ontété les suites et quels résultats ontété engrangés ?

D’abord la mise en œuvre duprogramme de relance des activitésd’exploration et de production annoncéà l’APN ; sur toute l’étendue duterritoire pour l’exploration et sur lesprincipaux gisements pour laproduction.

Des cahiers des charges mis enconformité avec la nouvelle règle dujeu ont été élaborés et communiqués àtous les partenaires potentiels. Desnégociations ont été engagées avecles nombreux partenaires, qui ont éténombreux à montrer leur intérêt.

Dans le domaine de l’exploration,les nouvelles zones délimitées furentmises en adjudication. Sous mongouvernement, une vingtaine depermis d’exploration ont été accordés.Parmi les premiers permis octroyésfigurent ceux qui sont situés dans legrand erg oriental. J’ai eu l’occasion dementionner que c’est dans cette région,tenue pour stérile depuis desdécennies, que Sonatrach y fit sespremières armes.

C’est aussi dans cette région que,deux ans après la loi de 1991, futconfirmée par une société américainel’importance des réserves pétrolièresde la région de Berkine, des réservesconsidérées comme «potentiellementmajeures».

M. C. M.(A suivre)

Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Mercredi 12 mars 2008 - PAGE 9

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Page 17: « Histoire des nationalisations, politiqq que pétrolière

Mohamed Chafik Mesbah : Peut-onévoquer, rapidement, la loi sur leshydrocarbures initiée par M. Chakib Khelil,approuvée par l’APN, puis, comme vous lesavez, abrogée sur initiative du président dela République ?

Sid-Ahmed Ghozali : La loi de 2005 était uneloi de dénationalisation qui ne dit pas son nom.Elle abroge une loi fondamentale, celle d’avril1971 sans la viser ni la nommer, ce qui est déjàune illégalité majeure en soi : l’abandon encachette du contrôle national sur toute la chaînedes hydrocarbures, d’amont en aval, était noyé àdessein dans soixante pages de texte. Lesdéputés ont eu quarante-huit heures pour étudieret voter la loi.

Qui peut se risquer à attester de l’algérianitéde ce projet, que ce soit au stade de saconception, de sa rédaction initiale ou du lieu oùil a été conçu et rédigé pour la première fois ? Aumoment des tergiversations du gouvernement en2002, un haut fonctionnaire américain duCommerce en visite à Alger s’est autorisé unevéritable admonestation publique de l’Algérie quitardait trop à son gré à adopter la loi. Il n’y avaitpas de précédent à cette interférence américainedans la politique économique nationale.

C’était une loi dangereuse et nuisible, dans lefond et dans la forme, qui ne signifiait rien d’autreque le retour à la situation d’avant 1971, quandles sociétés étrangères dominaient l’exploitationdu sous-sol algérien. A la limite, c’était plus graveque la privatisation de Sonatrach envisagée dansun premier temps. C’est une abdication ducontrôle sur nos gisements susceptible de setraduire à terme par une perte définitive deréserves d’hydrocarbures importantes.

La loi 1991 était suffisamment attractive pourla plupart de nos partenaires étrangers, même sij’admettrais volontiers qu’elle pouvait êtreaméliorée pour en attirer encore davantage.

La loi de 2005 instaurait le régime le pluslibéral au monde, au risque de provoquerl’éclatement de la solidarité entre les paysmembres de l’Opep, et donc de l’organisationelle-même. Contrairement aux allégationstrompeuses de son promoteur, la loi de 2005 allaitcauser des préjudices au plan des rentréesfinancières et des rentrées en devises.

L’Algérie allait être le seul pays de l’Opep à neplus exiger une participation majoritaire de l’Etatsur les gisements à découvrir.

Les Etats de la péninsule arabique, alliés desEtats-Unis les plus proches, n’ont jamais songé àrenoncer au contrôle de l’exploitation de leursgisements.

La loi de 2005 allait placer sous le contrôle ducomplexe militaro-industriel des Etats-Unis, leshydrocarbures d’une Algérie considérée depuis lamise en évidence de l’ampleur des réserves deBerkine en 1993, comme un futur détenteurmajeur de réserves pétrolières» pour reprendrel’expression des observateurs de l’époque. Jepartage ce pronostic, même si je considère qu’iln’existe à ce jour aucune indication qui autorise àaller aussi loin que certaines comparaisons faitesà l’époque avec les réserves au Moyen-Orient.Au stade des connaissances actuelles du sous-sol, on en est encore très loin.

Compte tenu de cette dangerosité de la loi, j’aientrepris d’alerter l’opinion publique depuis l’an2000.

Le gouvernement suivant celui de Ali Benflisadressa, aussitôt formé le projet de loi à l’APN en2005, un vendredi soir en urgence et sanss’embarrasser d’aucune précaution, avecinjonction de vote dans les quarante-huit heures,à la hussarde. J’ai aussitôt entrepris de mettre engarde les présidents et chefs de groupe des deuxchambres contre la responsabilité qu’ils allaientendosser. C’était un samedi, la veille du vote. Jeleur signalai tous les facteurs de dangerosité queje viens d’énumérer et concluai ma lettre : «Orl’amalgame entre les hydrocarbures et lesimpératifs de l’économie de marché occultesciemment le fait que de tels impératifs serapportent à la création de la richesse, alors qu’enmatière pétrolière la richesse existe déjà… Elleappartient à la nation. Sa vocation est de

répondre d’abord aux intérêts permanents de lanation. (...) En d’autres termes, le projet enquestion nous ramène à la situation d’avant 1971,immédiatement pour ce qui concerne les futuresréserves découvertes, à terme pour ce quiconcerne la globalité de nos réserves. C’est unedénationalisation rampante. (...) On sait la suite.Les parlementaires s’exécutèrent quand mêmesur le champ et «votèrent» le texte. Quatre moisaprès, la loi n’était pas encore promulguée. Un anaprès le vote, la loi était défaite par ordonnance.Faire voter une loi pour l’annuler un an après parordonnance, voilà qui malmène notre crédibilité àl’extérieur. Sur le plan intérieur ce fut uneoutrance de plus envers les députés et lessénateurs, dans un premier temps on les chargede la sale besogne, dans un deuxième temps on«redresse» les torts, par ordonnance, pour mieuxleur faire porter le chapeau d’une véritableforfaiture. Cela donne la mesure du mépris danslequel l’exécutif tient un législatif soumis parconsentement, le maltraite et se joue de lui à saguise.

Cette loi de 2005 avait-elle unsoubassement politique ?

Dans un dessein inavouable. Il y a là un projetmûri, qui nous est parvenu dans les bagages dequelqu’un, c’est connu, notamment desdirigeants syndicalistes qui sont encore en vie eten poste et qui ont été parmi les premiers àentendre les deux futurs ministres principaux desdépartements économiques (on en était encoreau gouvernement intérimaire de Smaïl Hamdani),leur dire «quand nous serons au gouvernement ily a une chose à laquelle vous ne pourrez paséchapper, c’est la privatisation des secteurs deshydrocarbures et des banques». Ce projet a étédévoilé en 2000, vous vous en souvenez. Faceaux remous soulevés il a été retiré. Il est relancé20 mois plus tard et même communiqué par endessous aux membres de la commissionéconomique de l’APN, alors qu’il n’était pasapprouvé par le gouvernement (dixit Ali Benflis) :tollé de nouveau. D’où sa relégation «aucongélateur, en attente de l’incinérateur», selonles termes du responsable syndicaliste.

Pourquoi masquer la disposition principale dela loi qui est la cession du contrôle des gisements? Si on cache quelque chose, c’est que l’on saitque ce n’est pas bien. Et si la chose n’est pasbien pourquoi la faire ? Et dans l’urgence !Quarante-huit heures ont été imparties auxdéputés pour voter une loi de soixante pages.Pourquoi, après l’urgence du vote, le retardementde la promulgation puis le revirement une annéeplus tard ? Est-on dans l’improvisation ou dans lamanœuvre politicienne ? Quid de l’image deversatilité que le pouvoir donne de l’Etat algérienà l’intérieur comme à l’extérieur ?

Considérez-vous, d’ailleurs, que cette loin’avait pas de fondement, disons, légitime ?

La légitimité d’une loi réside dans latransparence de ses motivations et la justesse deses objectifs. Comme au lendemain del’indépendance, il faut commencer par lesréponses aux questions fondamentales. Quel estle type de développement que le pouvoir politiqueentend adopter pour faire face au défi du 21e

siècle ? Quel usage est attendu du pétrole pour lebénéfice de notre économie actuelle et pour lebénéfice des générations futures ? C’est en avalseulement des réponses à ces questions,qu’interviennent les développements techniques,y compris dans leur aspect quantitatif. Que peutdonner le pétrole ? Au stade actuel, il peut donnertant, mais nous avons le droit et les raisons depenser qu’il peut donner plus. Que devons-nousfaire pour que ce plus devienne une réalité ?L’objectif étant atteint, quelle partie allons-nousréserver pour le fonctionnement de l’économie ?Quelle part sera investie ? Quelles sourcesd’énergie laisserons-nous aux générationsfutures ? Le problème commence déjà à seposer. Il faut y penser dès maintenant.

Aucune de ces considérations n’est incluse nimême effleurée dans l’argumentaire officiel, quise résume au contraire en une succession deprétextes, d’amalgames et de contrevérités. La

mauvaise foi ajoute à la confusion des assertionsofficielles passées : tantôt ce fut «la loi nous a étéimposée (de l’étranger)» ! Auparavant c’étaitl’annonce à l’opinion que «dans vingt ans nosréserves seront épuisées» ; tantôt ce futl’étonnante promesse «d’assurer (à partir dusous-sol algérien) la sécurité del’approvisionnement énergétique du marchéaméricain pour 5 millions de barils/jour».

A propos, que dites vous de ces annoncesrécurrentes qui prédisent, à terme — 10 à 15ans —, l’épuisement de nos réserves enhydrocarbures ?

Vous connaissez l’adage populaire,britannique je crois, qui dit «il y a les petitsmensonges, il y a les gros mensonges et il y a lesstatistiques». Il y a aussi, dans le même sens,cette plaisante anecdote recueillie d’un amiancien secrétaire général de la présidence quiexprimait des observations critiques sur unrapport chiffré dressé par le grand patron del’économie de l’époque, début des années 1980.Ce dernier, vexé par lesdites observations, dit«Tu insinues que je mens au président ?» Et l’amisecrétaire général de rétorquer : «A Dieu neplaise ! Je ne dis pas que tu mens, mais que cesont tes chiffres qui mentent !»

Je crois qu’il faut faire très attention auxchiffres que l’on avance, surtout dans ce domaineaussi complexe que sensible. Aux chiffres telsqu’on les avance et aussi au sens qu’on veut leurdonner. Sans cette précaution, on risque de setromper et de tromper, sciemment ou non, ceux àqui on s’adresse, au lieu de les informer. Onrisque aussi de fausser complètement desdécisions vitales pour l’avenir du pays et lesfutures générations.

Quand on parle en effet de réserves d’ungisement, il faut toujours distinguer entre lesréserves en place, c'est-à-dire les quantitéscontenues dans la roche réservoir découverte etles réserves récupérables, qui représentent unepart seulement des réserves en place. Les deuxchiffres ne sont pas figés une bonne fois pourtoutes. Les réserves en place vont évoluer dedeux façons avec le temps : vers le bas àproportion des quantités extraites et qui viendrontdonc en soustraction aux réserves de départ ;vers le haut au fur et à mesure que les donnéessur les dimensions du gisement, sescaractéristiques physico-chimiques etgéologiques seront précisées, ce qui ne peut sefaire qu’au fur et à mesure que les forages etautres travaux d’extension avanceront avec lesannées. C’est ce qui fait dire aux gens du métierqu’un «gisement n’est bien connu qu’au momentoù on l’a épuisé». C’est une image bien sûr, unemétaphore si vous préférez, mais qui illustre bienle caractère très évolutif de la notion de quantitésde réserves en place.

On comprendra aussi que les réservesrécupérables vont elles aussi évoluer, nonseulement parce qu’elles sont une portion desréserves en place lesquelles changent comme onvient de le voir, mais aussi parce que cette

portion, le taux de récupération, varie vers le hautau fur et à mesure que les technologies derécupération se développent et vers le haut ou lebas selon que la valeur commerciale du pétroleaugmente ou diminue. Vous comprendrezfacilement qu’à technologie égale, lesinvestissements que l’on peut consentirdépendent du prix de vente du produit. Comme letaux de récupération et donc les réservesrécupérables dépendent de l’utilisation destechnologies, ils seront d’autant plus élevés queles investissements de récupération consentisseront élevés.

Dans les statistiques, nationales oumondiales, l’usage s’est établi d’exprimer l’étatdes réserves en une année donnée, non point enbarils, mais par un nombre exprimé en annéesparce qu’il est égal à la division des réservesexprimées en barils par les quantités produitesdans l’année considérée. Mais attention ! Cerapport qui s’exprime donc par un «nombred’années de réserves» n’exprime pas pour autantle nombre d’années qui restent pour que lesréserves considérées soient totalement épuisées !

Je m’explique. Regardez à titre d’exemple leplus ancien pays pétrolier du monde, mais aussile plus avancé à la fois en outils statistiques et entechnologies, les Etats-Unis. Je me souviensqu’en 1970 il y a 37 ans, les statistiquesaméricaines estimaient les réserves gazièresaméricaines à «10 ans». Cela ne voulait pas direque les réserves gazières américaines en avaientpour 10 ans avant épuisement ! La preuve en estque dix ans après en 1980, les statistiquesestimaient les réserves gazières à 10 ans. Celaveut dire tout simplement que durant la décennie1970 les réserves récupérables gazièresaméricaines ont augmenté grâce audéveloppement des technologies, auxinvestissements d’exploration, de développementet de récupération assistée. Le bilan doitcomprendre évidemment la balance entre lesproductions locales et les importations,principalement du gaz canadien.

Quand on vous dit donc qu’il reste à l’Algériedu pétrole pour vingt ans, sans autre précision,eh bien on se trompe et on vous trompe, c’est sûr! Vous avez une illustration de ce que je veux dire,dans la nième polémique sur l’état de nosréserves : selon les comptes rendus médiatiqueson aurait entendu «18», d’un côté et du côtéofficiel on aurait rétorqué «50». La fourchette estimmense ! Où est donc la vérité me direz-vous ?La vérité n’est ni dans un côté ni dans l’autre.Ceci pour la photo du présent.

Quand on parle de l’avenir il faut considérernon seulement les réserves découvertes etprouvées, mais aussi les réserves probables,celles sur lesquelles on peut raisonnablementcompter à partir d’une meilleure récupérationfuture des gisements déjà découverts, plus lesnouvelles découvertes les plus probables.Selon le but de l’exercice on ajoute aussi,par ordre de probabilité décroissante, lesréserves perspectives et enfin les réservesprospectives.

«Il faudrait pour le bonheur des États que les philosophes fussent Rois et que les Rois fussent philosophes» Platon in La République

Histoire des nationalisations, politiquep�troli�re et bonne gouvernance

«La loi de 2005 était une loi de dénationalisation qui ne dit passon nom.»

Chakib Khelil, ministre de l’Energie, véritable concepteur de la loisur les hydrocarbures abrogée.

Entretien réalisé par Chafik Mesbah

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SID-AHMED GHOZALI AU SOIR DÕALG�RIE

9e partie

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Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Jeudi 13 mars 2008 - PAGE 8

Page 18: « Histoire des nationalisations, politiqq que pétrolière

C’est pour toutes ces raisons que lorsque l’onse contente pour l’Algérie de lancer un chiffre, 18ou 20 ans, sans autre commentaire, on fait croireaux gens qu’en 2025-2027 nous n’aurons plus depétrole ni de gaz. Il est tout à fait normal et mêmevital de s’interroger sur cette question, encorefaut-il dire ce que nous sommes en train de fairedans le domaine pétrolier, ce que nous avonsl’intention de faire et ce que nous feronseffectivement.

Si c’est pour dessiner le paysage énergétiquefutur du pays, il est nécessaire de bien situer leschiffres qu’on avance en liaison avec desdonnées fiables sur la situation actuelle, avec lespolitiques clairement énoncées en matièred’exploitation, d’exploration, d’exportation, demodèle de consommation, de mise en œuvred’énergies renouvelables, avec les politiquesd’aménagement et de développement. L’opacitéofficielle dans ce domaine peut être, soit le signed’une absence totale de vision et donc depolitique, soit l’expression d’une volonté délibéréede cacher des choses, soit la marque d’uneignorance des choses. Dans tous les cas defigure, le grand perdant c’est l’intérêt général.

Vous estimez que la coopération avec lesEtats-Unis n’implique pas l’obligation de semettre au service d’intérêts catégorielsaméricains ?

Absolument pas ! Au profit de quels groupesd’intérêts ? Laissons la parole à un ancienprésident des Etats-Unis d’Amérique, le généralDwight D. Eisenhower, dans un message délivréau peuple américain, à l’occasion de la fin de sondeuxième mandat au mois de janvier 1961 :«Quand on est au gouvernement, on doit segarder d'accorder une influence trop importante,délibérément ou non, au complexe militaro-industriel (américain). Le risque d'unaccroissement dangereux de son pouvoir existeet existera demain. Nous ne devons jamaislaisser cette menace mettre en danger noslibertés et notre démocratie.» Ce sont là lesparoles d’un homme politique célèbre que l’on nepeut suspecter, ni d’anti-américanisme ni d’anti-militarisme primaires.

Vous voyez une légitimité dans le fait deconcéder un cadeau à un groupe d’intérêtscatégoriels quelconque ? Je crois beaucoup enl’intérêt qu’a notre pays à entretenir unecoopération importante avec les Etats-Unisd’Amérique, une nation exemplaire, de mon pointde vue, à bien des égards et dont nous serionsbien avisés de nous inspirer dans certains de sesachèvements. J’ai eu le privilège de travaillerintensivement avec des Américains pendant prèsde dix-sept années suivies. Mais je ne mesouviens guère avoir observé ni entendu de mesinterlocuteurs une quête de cadeaux au profit degroupes sectoriels américains, qu’il s’agisse deGeorge Schulz, John Connally, Ronald Reagan,Clifford, Mike Forrestal, Henry Kissinger, PierreSallinger, Frank Schultz et beaucoup d’autrespersonnalités qui ont été alternativementhommes d’affaires, sénateurs, journalistes,gouverneurs ou ministres, avec lesquels nousavons développé des relations de travail qui nepouvaient être que d’excellence dès lors qu’ellesétaient d’un profit mutuel transparent,respectueuses des intérêts fondamentaux desparties que nous représentions respectivement.

La première société de forage que l’on acréée en 1966, c’était avec la South EasternDrilling Cy (Sedco) société américaine de foragequi a fait une bonne affaire avec nous commenous avons fait une bonne affaire en créant avecelle notre premier outil de forage, Alfor, enformant des foreurs algériens éprouvés, au pointque plus tard ils furent très demandés dans lapéninsule arabique. Le propriétaire de la Sedco,Bill Clements a été trois ans plus tard secrétaireadjoint à la Défense. A partir du moment où onavait noué un partenariat avec lui quand il étaitdans le privé, il nous a connus et il est devenu unami. Il a servi son pays, par la suite, pas sasociété ou sa personne.

Nous avons constamment recouru auxservices de conseillers juridiques et techniquesde premier rang, au sein des deux mouvancesrépublicaine et démocrate, qui ont défendu nosintérêts dans maints domaines, y compris lacommunication et le lobbying, dans la plusgrande des transparences et moyennant deshonoraires déclarés et que nous avons réglés surtable.

Justement, laissez-moi un peu m’étonnerde votre réaction car les rapports de l’Algérieaux Etats-Unis semblent avoir été des plusflorissants lorsque vous dirigiez Sonatrach…

Sur le bien-fondé de la coopération avec lesEtats-Unis, ce serait un non-sens de la récuser.Laissez-moi évoquer un peu l’histoire. HouariBoumediene, dont l’idée qu’il était «vendu» auxAméricains ne peut effleurer l’esprit de personne,

disait invariablement à ses interlocuteursaméricains : «Il faut que vous compreniez quenous pouvons être vos amis et ne pas êtred’accord avec vous sur certains aspects de vosinterventions internationales ou votrediplomatie». Henry Kissinger, secrétaire d’Etat, afait plus d’un crochet par Alger lors de sestournées arabes, pendant la rupture entre 1967 et1977 de nos relations diplomatiques. Il voulaitconnaitre l’avis du président dont il déclaraitpubliquement apprécier les analyses.Significativement, c’est pendant cette mêmedécennie de rupture diplomatique que noséchanges économiques se sont instaurés etdéveloppés au point de faire des Etats-Unis letroisième partenaire commercial de l’Algérie.Auparavant, j’avais inauguré ma prise de fonctionà Sonatrach par une tournée de deux mois auxEtats-Unis, en novembre et décembre 1965, envue de repérer les partenaires pétrolierspotentiels pour l’Algérie. Pour avoir eu l’avantagede contribuer à travers les activités de Sonatrachnotamment, au développement intense deséchanges algéro-américains, je suis peu suspectd’anti-américanisme primaire, même si jeconsidère que la politique extérieure del’administration américaine a été plus d’une foisexécrable et peut constituer un danger pour lastabilité et la sécurité de la planète, comme ce futle cas en Irak.

Nous étions mus à l’époque par une seulevolonté, celle de faire profiter notre pays de tousles progrès à travers le monde, et ce, par unelarge diversification de nos partenaireséconomiques et commerciaux ; c’est pour celaque nous avons travaillé intensivement avec lesSoviétiques, les Américains, les Japonais et lesAllemands, les Anglais et les Nordiques, lesFrançais, les Espagnols et les Italiens. Il n’ajamais été question de jouer l’un contre l’autre ouprivilégier l’un par rapport à l’autre, mais de tirerle plein profit de la concurrence internationale,non de la rivalité entre puissances, pour ne plusdépendre d’un seul pays.

Aux confessions faites à des journalistes parle promoteur de la loi de 2005, «il vaut mieux leleur donner (le pétrole algérien) avant qu’ils neviennent le prendre de force» je répondrai qu’il nedépend que de nous de nous prémunir d’unesemblable éventualité. Que notre ministrereprenne donc ses esprits ! Point n’est besoin,pour pouvoir se protéger, d’être en mesure decontrer l’hyperpuissance sur le plan militaire : ilfaut et il suffit que notre pays sache se montrerrobuste sur le plan intérieur, avec une forteinstitutionnalisation, un peuple uni et solidaire deses dirigeants, pour qu’il en soit ainsi, un peupleconvaincu que l’Etat est à son service, avec uneintelligente et audacieuse politique derestructuration de la gouvernance etd’aménagement du territoire. Dans la mentalitéaméricaine, le respect est dû aux peuples quirésistent et aux pouvoirs qui les dirigent enlégitimité, pas à ceux qui se couchent. LesIrakiens n’ont pas levé le petit doigt pour secourirle régime qui les oppressait. Ils n’en ont pas étépour autant heureux d’accueillir les soldatsaméricains chez eux. Voilà les Etats-Unis que j’aiconnus. Je trouve stupéfiant l’argumentaireavancé par ceux qui ont promu la fameuse loi de2005. C’est à se demander à l’entendre : qui n’arien compris à son pays ? Qui roule pour qui ?

A propos du contenu technique de la loiChakib Khelil, quels sont vos commentaires ?

Le partage de production présente-t-il uninconvénient dans la mesure où les variations deprix modifient l’équilibre de profitabilité convenuau départ ? Si l’observation ne manque pas desens, elle ne peut suggérer, loin s’en faut, unejustification de la loi de 2005. Car on ne trouverapas une seule compagnie qui ne sache pas qu’uncontrat est toujours l’expression d’un équilibrefinancier jugé acceptable par chacune desparties, pour un ordre de prix donné, ni que si cetéquilibre est rompu, il est légitime de corriger lecontrat dans le sens du rééquilibrage des intérêts.

Si on a négocié un contrat alors que le prixétait de trente dollars et que sur cette base on alaissé à la société partenaire un droit à 20% de laproduction, aucun partenaire étranger ne peuttrouver illégitime, en cas d’un doublement desprix, qu’on ne lui donne plus droit qu’à 10 ou 12%,pour que l’équilibre contractuel soit maintenu.Chaque pays souverain a le droit de revoir lerégime de partage pour maintenir l’équilibre,l’essentiel est qu’aucun partenaire ne sorteblessé. Il n’était pas utile de faire une loi pour cepoint précis ! Surtout que, nième incohérence, lechangement du régime fiscal a été présentéd’une part comme étant plus favorable à l’Etat etque d’autre part la loi était censée attirer plusd’investisseurs.

Ce qui pose problème en vérité, c’estl’absence de vision et de cohérence, l’absence depolitique pétrolière tout court, une politique au

sens national. La preuve de l’incohérence et de lamauvaise foi, c’est que le gouvernement n’ajamais posé cartes sur table comme cela est sondevoir en décrivant clairement sa démarche.

Je m’explique : avant de présenter la loi de1991 aux députés en octobre, j’ai prévenu troismois auparavant que nous étions en droitd’attendre beaucoup du pétrole pour nous ensortir, mais que nous ne pouvions pas réaliser cetobjectif dans des délais raisonnables sans uneouverture dans la loi de 1971 ; j’avais prévenu,aussi bien dans le discours programme que lorsdes débats d’investiture, que je reviendrais doncvers l’APN pour lui proposer les amendementsque mon gouvernement jugeait nécessaires. Jen’ai jamais dit aux députés que je voulais changerla loi de 1971 pour entrer dans l’économie demarché, mais que c’était pour gagner denouveaux partenaires et donc les intéresser àmiser plus nombreux sur les potentialités de notresous-sol. Ici, il est manifeste que le but de la loi de2005 était tout sauf ce qu’on a annoncé. Quandon a laissé croire dans un premier temps queSonatrach allait être privatisée, c’était pourdétourner l’attention d’un objectif plus graveencore que la privatisation de Sonatrach, quin’est après tout qu’un instrument… encore qu’enla privatisant on prive l’Etat d’un puissant pointd’appui dans les négociations avec lespartenaires potentiels. Car les partenairesétrangers sont d’autant plus enclins à venir cheznous, qu’ils sont rassurés de trouver en faced’eux un interlocuteur national qui est unpartenaire opérateur crédible. Entendez ce que jedis dans le cadre d’un raisonnement à la limite, àsavoir qu’il y a pire que la privatisation d’uneentreprise nationale, c’est la privatisation desgisements et ça c’est illégal et illégitime. Quandon donne le contrôle des gisements à une sociétéqui n’est pas un instrument appartenant à lanation, on commet un acte anti-économique,illégitime et donc illégal. La politique d’exploitationdoit rester en des mains nationales car legisement appartient à la nation. Telle est la loialgérienne et celle de tous les pays. S’est-ondemandé pourquoi de Gaulle a-t-il bâti uneentreprise publique et a donné à celle-ci lecontrôle des gisements de l’Algérie soussouveraineté française ? Nous avons hérité de laloi française, qui posait que ce qui est dans lesous-sol appartient à l’Etat. C’est cette vérité,confirmée par nos lois fondamentales, qui ajustifié les lois de 1971 et leur donne leurlégitimité économique et politique.

Peut-on considérer , néanmoins, que lesAméricains sont demandeurs de cette loiChakib Khelil ?

Absolument pas ! Aucun expert pétrolier,aucune personne qui suit ce secteur ne vousdonnera une réponse différente. C’est sur la basede la seule loi 1991 que beaucoup de sociétéssont venues en Algérie. On pourrait comprendreque l’on considère par exemple que la loi 1991est perfectible. Que l’on essaie de l’améliorerpour attirer encore plus de partenaires, pourquoipas ? Encore que sur ce plan c’est d’un plus encrédibilité que nous manquons cruellement. A luiseul, ce plus nous attirerait, beaucoup plus qu’onne sait quelle nième loi sur les hydrocarbures,des partenaires investisseurs dans le pétrole etdans d’autres domaines, encore plusdemandeurs que les hydrocarbures.Commençons à respecter scrupuleusement leslois existantes, nos lois, respectons-les àl’intérieur de notre pays et dans tous les secteurset ce sera un pas de géant dans le sens de lacrédibilité.Vous savez, il faut faire la distinctionentre les opérateurs internationaux qui sont plusindustriels que «politiques» et ceux qui sont plus

«politiques» qu’industriels. Les premiers sontceux qui nous intéressent et qui n’exigentnullement d’être majoritaires, pour peu qu’on leuroffre un cadre clair et stable.

Une société pétrolière digne de ce nom, c’estle cas de la majorité des sociétés pétrolièresinternationales, vient chercher du pétrole et del’argent. Elle est révolue l’époque que nous avonsvécue avec les filiales d’un groupe de l’Etatcolonial qui voulaient, non seulement le pétrole,l’argent du pétrole, mais aussi le contrôle, c'est-à-dire la survie de l’empire colonial aprèsl’indépendance. Mais il se trouve aujourd’hui queles véritables tenants du pouvoir dansl’administration américaine de nos jours émanentpour beaucoup d’entre eux de la sphère militaro-industrielle. C’est vis-à-vis de cette sphère que lepeuple américain a été prévenu il y a quarante-cinq ans par un homme qui, avant d’êtreprésident des Etats-Unis, a été toute sa vie unmilitaire, le général Dwight Eisenhower que j’aicité tout à l’heure. Les composants de cecomplexe dit militaro-industriel de l’alliancepolitique de l’industrie pétrolière et de marchandsd’armements, deux couches très influentes danscertains secteurs de la vie politique étasunienne.

Les producteurs pétroliers, petits et grands,se comptent par des mille et des cent aux Etats-Unis. Déjà avant la fin du siècle, la Standard OILavait été cassée en 34 morceaux différents parcequ’elle est parvenue à une positionmonopolistique qui mettait en cause la survie del’ensemble des petits pétroliers américains. Lesystème économique américain, basé sur laconcurrence, traite les situations monopolistiquesd’illégales. Ce n’est pas une question de morale.

Vous m’obligez à vous interpeller àpropos de votre état d’esprit sur l’intérêt decoopérer avec les Etats-Unis…

Je ne suis pas stupide pour m’étendre sur unequestion dont la réponse est évidente. Je dis ilfaut savoir coopérer, voilà tout. Si, justement,nous devions nous enrichir de l’expérience desEtats-Unis en matière d’économie de marché,c’est de leur système fiscal et de leurs puissantsdispositifs protecteurs de concurrence que nousdevrions nous inspirer. L’économie de marchérepose, en effet, sur deux piliers : la liberté del’entrepreneur et la concurrence. Ils ont uneexpérience formidable sur ce plan-là. Dans ledomaine fiscal : aux Etats-Unis, un citoyenpauvre considère que l’argent du fisc est sonargent. Dans sa culture comme dans ses lois, ilest envisageable de tricher partout, sauf avec lefisc. Le système fiscal américain estextrêmement performant, donc juste. Un outilfiscal incompétent matraque les faibles etengraisse les gros, c’est connu. S’il était possiblede mesurer mathématiquement le niveau dedémocratisation d’un pays, le premier paramètreque je choisirais serait l’aptitude du systèmefiscal.

Le célèbre Al Capone est passé à travers tousles filets anti-crime organisé. Il n’a pas pu passerà travers les mailles du filet fiscal. L’exploitationde ses délits fiscaux a été décisive dans sa misehors circuit, aboutissement que les poursuitespour mort d’hommes ont été impuissantes àatteindre. Oui, il faut bien méditer sur le systèmefiscal américain et aussi sur le délit de parjure, lesdeux crimes les plus élevés aux Etats-Unis étantla tricherie avec le fisc et le mensonge. Leprésident Richard Nixon n’a pas été chassé pourles graves fautes commises dans le scandale duWatergate, mais parce que, dans le cadre del’enquête sur ce scandale, il avait menti aux jugespar omission.

M. C. M.(A suivre)

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Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Jeudi 13 mars 2008 - P AGE 9

Séance de l’Assemblée populaire nationale : les députés votant la loisur les hydrocarbures de 2005.

Page 19: « Histoire des nationalisations, politiqq que pétrolière

Mohamed Chérif Mesbah : Mais il étaitescompté, tout de même, que la loiChakib Khelil allait apporter une plusgrande transparence dans le systèmed’imposition fiscal des compagniespétrolières étrangères, donc un surcroîtde ressources pour l’État…

Sid-Ahmed Ghozali : Le promoteur dela loi de 2005 veut faire croire que l’Etat ygagnera en fiscalité, que financièrement,l’Algérie sortira gagnante : c’est unecontrevérité qui tend à confondre les espritspar un amalgame entre la fiscalité pétrolière,d’un côté, et le profit global qui revient àl’économie algérienne, de l’autre côté. Il fauty ajouter aussi les effets comparés sur nosréserves de changes.

Dans la répartition du produit de notrepétrole, entre l’Etat et les sociétéspartenaires, puisque c’est de cela qu’il s’agitquand le gouvernement prétend que sonprojet nous fait gagnants, les déterminantssont, outre le régime fiscal, la part deproduction de chacun au sein del’association et enfin le régime appliqué autraitement des devises générées par la ventedu pétrole… sans oublier, bien sûr, que leprix de vente du pétrole a un impact direct etimmédiat sur les trois éléments du bilan.

Examinons donc en quoi chacun desdéterminants ci-dessus est modifié par la loide 2005.

Le premier est la fiscalité : disons tout desuite, pour être clairs, que si vous interrogezles experts internationaux sur cette nouvelleloi, ils vous diront que c’est que cette loiinstaure en Algérie le régime le plus libéralau monde en faveur des sociétésétrangères. Néanmoins, je vais me placerdans l’hypothèse que le projet de loiaméliore notre situation financière «suivre lementeur jusqu’à la porte», comme ditl’adage populaire. Non sans avoir noté queladite hypothèse contredit déjà la prétentiongouvernementale d’une loi faite pour attirerplus de sociétés, donc à faire croire ainsiqu’en augmentant l’impôt pétrolier, c'est-à-dire en diminuant les dividendes dessociétés, celles-ci seraient plus incitées àvenir chez nous ! C’est absurde ! Et c’estprendre le peuple pour imbécile enprétendant lui faire gober un tel bobard.

Inversons la démarche. Supposonsque le nouveau régime fiscal soit,effectivement, plus favorable à l’Etat quel’ancien…

Quid, alors, du deuxième paramètre quiest notre part du profit après impôt : la loiaugmente le taux de participation dessociétés étrangères, qui passe de moins de50% à un maximum de 80% et donc diminuecelle de Sonatrach de 51% ou plus, à unminimum de 20%. Or le profit d’unproducteur est proportionnel à sa part dansla production, c'est-à-dire à son taux departicipation. Donc la nouvelle loi vaaugmenter le profit des sociétés audétriment de celle de Sonatrach, c'est-à-direde l’Etat actionnaire.

En première conclusion, la loi augmenteles recettes fiscales de l’État (toujours selonle ministre) mais diminue les profits dumême Etat par l’effet de la baisse de la partde l’Etat dans la répartition de la production(ce que cache le même ministre). En vérité,la prétendue augmentation fiscale estinférieure à la diminution ; réelle celle-là,engendrée du fait que notre part dans lecontrôle de la production diminue.Comparons la répartition des profits, sur un

simple exemple chiffré, entre l’Algérie d’uncôté, fisc et profits de Sonatrach confondus,et la société étrangère de l’autre, dans lesdeux situations suivantes.

Dans la première hypothèse, l’Etatprélève un impôt, mettons de 85%, sur lesprofits des entreprises, au sein del’association, le partenaire étranger est à30% et la Sonatrach est donc à 70% : sur unbénéfice brut de 100 millions, la société vagagner 15% de 30%, soit 4 millions et demi ;le fisc algérien va prélever 85 millionsd’impôts auprès de Sonatrach et sonpartenaire étranger. Mais l’Algérie aura enplus les profits de Sonatrach, soit 15% de70%, c'est-à-dire 10,5 millions. Au total,l’Algérie gagnera 10,5+85, soit 95,5 millions.

Dans la seconde hypothèse, le systèmefiscal, comme le prétend le ministre, va êtreplus favorable à l’Etat.

Admettons donc que le fisc va prélever90% au lieu de 85 %, mais les parts dansl’association vont être de 30 % pourSonatrach et 70% pour la société étrangère.Donc, la société étrangère va réaliser unprofit de 10% de 70%, soit 7 millions, l’Etatpercevra un impôt de 90 millions auxquelss’ajouteront les profits de Sonatrach, soit10% de 30%, soit 3 millions. Au total,l’Algérie ne gagne plus que 90+3, soit 93millions au lieu des 96,5 millions. Parconséquent, même si ce que prétend leministre était vrai, à savoir que le systèmefiscal est plus favorable à l’Algérie, la loi de2005 se solde pour l’Algérie par une pertefinancière nette et qui sera d’autant plusimportante que la part de Sonatrachs’éloignera du 51% vers le bas.

Le troisième paramètre est lié à l’impactdu projet de loi sur la balance des devises.La nouvelle loi, en augmentant la part dessociétés sur les gisements, augmente leursprofits, donc leurs capitaux exportés,entamant d’autant nos réserves de changes.Quant au dernier paramètre, le prix de ventedu pétrole : la loi ne peut ni le diminuer nil’augmenter. Il se détermine ailleurs ettotalement en dehors de notre volonté.

En conclusion : par rapport au régimeactuel, la nouvelle loi nous est sûrementpréjudiciable sur le plan des rentréesfinancières et des rentrées en devises, et cesans compter le deuxième volet de laquestion, l’impact dû au changement demajorité : l’Algérie sera le seul de tous lespays de l’Opep à ne plus exiger uneparticipation de l’Etat à plus de 50% sur lesfuturs gisements à découvrir.

Revenons à la transparence sur lesopérations…

Vous parlez de plus grande transparenceen supposant qu’un partage de bénéficessur la base d’une production exprimée enbarils est tributaire de l’évolution du prix dubaril, c’est un manque de transparence ? Ilest certes vrai qu’il n’est pas possible dedéterminer la répartition des bénéfices, plusexactement du taux de profitabilité sansparler du prix. C’est un argument juste. Maispour changer cela, à quoi bon une loi desoixante articles ? Il relève, comme je l’ai ditplus haut, de la logique comme de la bonnefoi des deux associés de veiller au maintiende l’équilibre des contrats au niveau où ilétait au moment de la conclusion. Jecomprends aussi que l’on puisse définir plusfinement cet équilibre en le liantmécaniquement à une échelle de prix. Maisla fiscalité n’est pas indifférente auxvariations de prix. Elle n’a aussi de sens quedans le cadre d’un équilibre de profitabilitéqui dépend des prix. Elle n’est pas plus

transparente que le PSA Production SharingAsssociation, qui désigne la formed’association en partage de production.

En matière d’équilibre des intérêts, on nepeut jamais tout prévoir dans le contrat. Jedirai même que dans les grandspartenariats, le bon sens et la bonne foi sontplus importants que la lettre du contrat.Oublier cela, c’est décidément ne riencomprendre à la réalité des relationsd’affaires partenariales.

Vous évoquiez tout à l’heure, enaparté, un souvenir truculent pourillustrer l’importance que les partenairesaméricains accordent à ce paramètre de«bonne foi»...

J’ai appris beaucoup, en effet, dans cedomaine avec les hommes d’affairesaméricains. Je vous livre cet exemple vécu.Avec le magnat du pétrole Paul Getty, l’unedes plus grandes richesses mondiales del’époque, qui avait quelques intérêts enAlgérie, nous avions profité de la situationde 1967 pour aller plus loin que les Arabes.

Les intérêts pétroliers américains sur lesgisements avaient été mis sous tutelle. Cen’était pas une nationalisation, nous avionsen quelque sorte mis ces gisements souscontrôle d’un commissaire dugouvernement. Nous avons négocié,ensuite, avec les Américains pour racheterleurs intérêts. Getty avait une petite mise.Comme il y avait le précédent du gaz, nousavons tenté notre chance pour obtenir uneassociation à 51%-49%, c’était nouveaupour l’époque. Nous avons entamé lesnégociations avec Getty. Nous les avonsavancées lors d’un passage à New Yorkpuis à San Francisco en octobre 1968. Unjour qu’il était venu en Algérie pour continuerces négociations, je l’avais reçu àl’immeuble Maurétania pour une entrevued’une heure qui s’est prolongée jusqu’àminuit. La discussion avait accroché aupoint que nous aboutîmes à un accord aupetit matin. La poignée de main, le «shakehand», dans l’esprit américain vaut lecontrat.

En se réveillant en fin de matinée, Gettys’aperçoit qu’il était allé trop loin dans lemontant du bonus qu’il nous avait concédé«parce qu’il avait trop veillé, avait-il argué, etpeut-être bu quelques verres de trop». Il ledit sans ambages à Nordine Aït-Laoussine

et demanda à rediscuter ledit montant. Nousavons été beaux joueurs et acceptions derenégocier un nouveau montant. Nousaurions pu nous en tenir à ce qui futconvenu au petit matin, mais c’étaitcompromettre pour longtemps notreassociation naissante.

Un autre exemple, au lendemain du chocpétrolier d’octobre 1973, nous avions alignétous nos contrats avec nos clients au prixofficiel nouveau de 14 dollars. Or pendantles semaines qui suivirent, les prix spotss’envolèrent jusqu’à 28 dollars. Nousaurions pu faire comme d’autres et imposerà nos clients beaucoup plus que le prixofficiel. Avec l’accord et même lesencouragements de Boumediene, nousnous en sommes tenus au prix officiel. Nousavons résisté à la tentation du «coup defusil» illusoire, mais notre crédibilité vis-à-visde nos clients en sortit raffermie. Jamaisnous n’avons perdu un client par la suitedans les moments de dépression qui ontsuivi les années suivantes.

La loi était supposée aussi faire ladistinction entre le rôle de Sonatrach etle rôle de régulateur de l’Etat.

Là aussi, c’est un argument fallacieux !Sonatrach n’a jamais eu des compétencesd’Etat, de prérogatives de puissancepublique comme de décider de l’octroi despermis. Ces permis sont octroyés pardécret, par le gouvernement et sous soncontrôle. Si par contre il s’agit de renforcerles moyens humains et matériels del’administration, alors là oui, la créationd’une autorité de régulation est utile etsouhaitable. Dans ce cas, pourquoi une loifourre-tout de soixante pages qui consacred’ailleurs quelques lignes à ladite autorité ?Il suffisait de faire adopter une loi pourinstaurer cette instance, pas pour supprimer,subrepticement, le contrôle de l’Etat.

La loi, pourtant, devait permettre àSonatrach de se cantonner sur sesmissions spécifiques, exploration,production, commercialisation, puis dese mettre à niveau avec le standardinternational. Je vous renvoie laquestion. Cette mise aux normesinternationales, n’était-ce pas le meilleurmoyen de démanteler Sonatrach ?

«Il faudrait pour le bonheur des États que les philosophes fussent Rois et que les Rois fussent philosophes» Platon in La République

Histoire des nationalisations, politiquep�troli�re et bonne gouvernance

Sid-Ahmed Ghozali et le président du GOSPLAN à Hassi Messaoud.«L’idée de possession souveraine de gisements par le peuple a été au cœur de mes combats.»

Entretien réalisé par Chafik Mesbah

SID-AHMED GHOZALI AU SOIR DÕALG�RIE

10e partie

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Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Vend. 14 - Sam. 15 mars 2008 - PAGE 8

«Comment inciter Sonatrach à se mettre au niveau de la compétitioninternationale par des pratiques qui privilégient l’élimination des cadresles plus compétents, le népotisme et l’opacité ?»

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Page 20: « Histoire des nationalisations, politiqq que pétrolière

J’ai été amené à vous dire que lescritiques qui étaient faites à Sonatrach n’ontpas porté sur ses véritables failles,notamment la productivité. Mais le fait detravailler en partenariat avec d’autressociétés aguerries n’est-il pas un élémentsuffisamment incitateur pour pousser sanscesse plus Sonatrach vers une meilleureproductivité ? C’est même l’un desprincipaux mérites de notre partenariat avecl’étranger que le fait de confronterquotidiennement nos ingénieurs, nosmanagers à quelqu’un qui va êtreparticulièrement soucieux de voir les coûtsse réduire et les techniques s’améliorer, unpartenaire qui sera un témoin impitoyablede nos propres performances. N’est-ce paslà un aiguillon suffisamment puissant pourêtre salvateur ? Il est clair que Sonatrach aconnu plusieurs phases qui n’ont jamais étéfavorables à son développement. Audépart, elle a évolué dans un climatglobalement hostile, compensé par lesoutien des principaux responsablespolitiques, notamment le présidentBoumediene.

A la mort de Boumediene, il y a eu ledébut du démantèlement de Sonatrach nonseulement en tant que programme, maisaussi en tant que communauté, à travers lachasse aux hommes, une véritable chasseaux sorcières. Je suis bien placé poursavoir que les tenants de Sonatrach onthérité en 1999 d’une société dont l’état, etc’est le moins qu’on puisse dire, n’étaitguère brillant, mais ils n’ont fait qu’«acheverla bête meurtrie». Que l’on cesse d’exploiteren slogan politicien le prétexte de «bonnegestion» quand celle-ci est le dernier dessoucis de ceux qui s’en gargarisent.

Dites-moi, seulement, comment inciterSonatrach à se mettre au niveau de lacompétition internationale par des pratiquesqui privilégient l’élimination des cadres lesplus compétents, le népotisme et l’opacité ?

Encore une fois, peut-on considérer

que les compagnies pétrolièresétrangères étaient vraiment demandeursde cette loi de 2005 ?

Non, définitivement non, la mutationculturelle des entreprises de par le mondeest en cours. Nous ne sommes plus dans lasituation pré ou néo-coloniale, dans unelogique de rapports asymétriques entre d‘uncôté l’Etat simple percepteur d’impôtsimpuissant et d’un autre côté des sociétésdominatrices et exploiteuses. Noussommes vraiment dans la nouvelle culturedu partenariat à l’instar de celui qui futpromu en 1971 avec la société Total, unpartenariat industriel authentique fondé surle «gagnant-gagnant». Pourquoi avons-nous réussi à inventer avec Total et ensuited’autres entreprises françaises,américaines, japonaises, italiennes etespagnoles, une nouvelle forme decoopération dans un climat politiquebilatéral qui n’était pourtant pas des plusfavorables ?

Sonatrach et Total avaient été parmi lespremières à comprendre qu’un partenariatréussi est celui qui fait deux partenaireségalement heureux et de manière durable.C’est le maintien de l’équilibre dessatisfactions légitimes qui donne laconfiance, la stabilité et la durée. Lesprétendues bonnes affaires «coups defusil» ne sont que feu de paille.

Les sociétés étrangères de manièregénérale et les sociétés pétrolières demanière particulière ont besoin deconditions claires, de visibilité. Elles nedédaignent certes pas le taux de rendementfinancier, c’est leur raison d’être après tout,mais elles se montreront volontiers moinsgourmandes financièrement etcommercialement en contre partie degaranties sérieuses de stabilité et decrédibilité du pays d’accueil.

Or, on ne peut par parler aujourd’hui devisibilité dans le domaine de l’énergiecomme on ne peut pas en parler dansl’ensemble de l’environnement

réglementaire, législatif et institutionnel.Que cela se passe dans le domaine de laloi, au sein de Sonatrach ou au sein de sesfiliales. La soudaineté de la dissolution encatimini de la BRC, dissolution sansprécédent dans le monde pétrolier, ne ditrien sur les tenants et les aboutissantsd’une affaire qui assurément sent plus lesoufre que le pétrole. Ou c’est une affairede pacotille et pourquoi la brusquedissolution d’un outil aussi important ? Oubien, c’est une affaire grave et pourquoi cetétrange silence des responsables ? C’estmystérieux et opaque au point d’êtreinquiétant sur la fiabilité de la manière dontce secteur est tenu.

Pour clore le débat sur cette loi,l’opinion publique est un peudésemparée, elle ne sait plus où elle enest. Est-ce que l’on peut considérer quela loi 2005 étant abrogée, le dispositifactuel répond véritablement aux besoinsde l’économie nationale ?

Elle n’est pas abrogée : c’est ladisposition sur le contrôle du gisement parl’Etat qui est annulée. Le reste de la loi n’estpas touché. Aujourd’hui, toute l’activitéhydrocarbures est gérée par les ancienscontrats, il n’y a pas de nouveaux contratssignés depuis la nouvelle loi et même ceuxqui ont été signés après 2000 et qui se sontinspirés par anticipation de la future loi de2005 n’ont pas donné lieu à des mises enproduction de gisements. Il y a les activitésindustrielles qui sont le raffinage, etc. Cesactivités industrielles, ça n’a rien à voir avecla loi, construire une raffinerie, c’est commeconstruire une unité de dessalement ouquoi que ce soit, c’est passible de l’impôtclassique, il n’y a pas d’impôt particulier surune raffinerie qui fonctionne, c’est une unitéindustrielle, c’est comme la sidérurgie…

Aujourd’hui, cette nouvelle loi, elleexiste, elle est là, elle engloutit de l’argentparce qu’on a du monde, on construit desimmeubles… mais elle n’a aucun impact sur

le fonctionnement du secteur deshydrocarbures. C’est bien la preuve qu’ellea été faite pour faire passer en force et encachette l’abrogation du contrôle desgisements. Une fois que cette disposition aété abrogée par ordonnance en 2006, ellene présente plus d’intérêt pour sonpromoteur. Cela confirme que 2005 a bienété une forfaiture.

Vous avez évoqué, dans un passé pastrès lointain, les incidencesgéopolitiques des découvertes dansl’Erg oriental. Pouvez-vous mieuxexpliciter ?

Suite à la mise en œuvre de la nouvellerègle du jeu établie par la loi de 1991, ladécouverte au Grand-Erg oriental a placél’Algérie, pour la première fois de sonhistoire, au premier rang du classementannuel des pays découvreurs de pétrolepour l’année 1994.

Du fait de l’histoire politique del’exploration pétrolière en Algérie, l’imagetraditionnelle de l’Algérie était alors celled’un pays «où il n’y avait plus grand-choseà découvrir en matière de pétrole» «Unpays gazier majeur et un pays pétroliermineur.» J’ai pu vous décrire commentnous devons cette image à la stratégie dugroupe ERAP qui visait à protéger sachasse gardée dans notre pays, enrépandant dans les esprits des concurrentspotentiels, comme dans le chef desAlgériens, la thèse que le sous-sol algérienavait déjà tout donné dans le passé et qu’iln’ y aurait plus grand-chose à trouver.

Avec le programme de prospection misen route et les premières grandesdécouvertes de Berkine, l’Algérie estaussitôt passée au statut de pays «futurdétenteur potentiel majeur de réservespétrolières». Le Sahara est désormais unenjeu qui compte sur le plan stratégique. Ilfaudra s’en souvenir pour ne pas s’exposerà se rendre compte, trop tardivement, desretombées extrêmes de l’absence totale

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Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Vend. 14 - Sam. 15 mars 2008 - PAGE 9

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Page 21: « Histoire des nationalisations, politiqq que pétrolière

Mohamed Chafik Mesbah : Vousévoquez un positionnementstratégique différent pour l’Algérie dèslors qu’elle a accédé à ce statut de«futur détenteur majeur de réserves».La mauvaise gouvernance aidant, nenourrissez vous pas de craintes, à cepropos, pour l’intégrité territoriale dupays ?

Sid-Ahmed Ghozali : Bien plus fortque vous ne puissiez le penser. C’est,au-delà de toutes les conséquencesnégatives possibles, celle que je redoutele plus pour notre pays. C’est au sud dupays et non point au nord que se situe lamenace potentielle. Je m’explique.J’exclus, d’emblée, l’hypothèsefallacieuse d’un démembrement duterritoire national à partir de la Kabylie.

Par ailleurs et contrairement à desassertions officielles plus que légères, lesmanifestations populaires en Kabylie duprintemps 2003 n’avaient rien à voir avec«la main de l’étranger». Elles n’étaientrien d’autre que l’expression derevendications socio-politiques et d’unras-le-bol présents dans le chef de tousles autres Algériens.

Elles n’étaient rien d’autre quel’expression de revendications socio-politiques, culturelles et linguistiquesautant que d’un ras-le-bol présent cheztous les autres Algériens. Il faut peuconnaître de l’histoire de l’Algérie pourcraindre une menace à l’intégritéterritoriale qui proviendrait de Kabylie.L’Etat colonial avait bien tenté, on va direde bonne guerre et sous le couvert dusoutien à notre culture berbère, d’enpromouvoir le particularisme voire de luiinventer une dimension séparatiste. Maisceux sont les Kabyles eux-mêmes qui ontfait échec à toutes formes de manœuvresde division des Algériens.

Le nationalisme algérien estbeaucoup trop enraciné dans l’histoire etla culture de la Kabylie pour qu’il puisselaisser une place autre que marginale àdes mouvements ou tendances àconnotation séparatiste.

Aussi, malgré les initiativespoliticiennes qui visèrent en 2003 à isolerla Kabylie, malgré la dureté de larépression qui répondit auxmanifestations populaires, on ne peutpas établir qu’il y ait eu résurgence etencore moins renforcement destendances ou convictions d’obédienceséparatiste dans cette région. Mais oncomprend en même temps que ladétérioration accrue de la relation entreles citoyens et le pouvoir y ait favorisé lerapport des forces au profit desmouvements extrémistes violents.

L’idée même de nation implique lasolidarité d’intérêts entre ses membres.Cela n’est pas spécifique à l’Algérie. Lepremier corollaire en est que toutmanque d’attention à la concrétisation decette solidarité crée renforce toutemenace potentielle envers la cohésion dela nation et ouvre la voie dans certainesconditions à la possibilité de mise encause de l’intégrité territoriale.

C’est sur une conscience aiguë decela que Houari Boumediene a donné

une si grande importance au concept del’équilibre régional. Je suis convaincuque si le pays en avait eu les moyensfinanciers à l’époque, il serait allé, dansla concrétisation de ce concept, bien au-delà de la politique des «programmesspéciaux de wilaya» qu’il pratiquait avecapplication pour chaque région du pays.Néanmoins, la politique des programmesspéciaux avait au moins le mérite dedonner le sentiment à l’ensemble desAlgériens que le pouvoir central n’oubliaitpas les couches sociales les plusvulnérables et les régions défavoriséespar la nature. Mais les effets à long termede la politique des programmes spéciauxétaient nécessairement limités, faute des’être inscrits et élevés au niveau d’unaménagement global du territoire, dansle cadre d’une vision à long terme quitienne compte des véritables richessesde ce pays.

Autant on voit l’intérêt de l’Etatcolonial à s’en être tenu en matière dedéveloppement humain à ce qu’il appelait«l’Algérie utile», celle où il a installé lescolons, c'est-à-dire au développement del’étroite frange nord du pays, autant seuleune déficience de gouvernance peutexpliquer que l’Algérie indépendante aitagi comme si elle continuait uneconception aussi restrictive del’aménagement.

Près d’un demi-siècle après lerecouvrement de l’indépendance, on estdans une situation où 90% des Algériensvivent dans moins de 10% du territoire.Nous tournons le dos à notre proprepays.

Continuer comme ça seraitimpardonnable, non seulement en raisondu gaspillage monumental de ressourceshumaines et matérielles auquel cettesituation donne lieu, mais aussi à causedes menaces réelles que ce même étatde choses fait peser sur l’intégritéterritoriale. Nous vivons mal à 35 millionsd’âmes alors que le territoire algérienaudacieusement réaménagé peut fairevivre plus de cent millions d’habitantsdans la prospérité.

Si nous ne veillons pas à cettemenace, c’est que nous fermons les yeuxsur un gros problème dans le mêmetemps où, soyez-en convaincus, d’autresque nous, dans les divers scénarios qu’ilséchafaudent pour notre avenir dans leursprospectives stratégiques, n’ont guèrecessé d’intégrer le scénario d’unedislocation du territoire national à partirdes régions pétrolifères du Sud. Plusnous continuons à négliger la nécessitéd’un aménagement intégré, moderne etsolidaire de notre territoire, plus nousfabriquons nous-mêmes les ingrédientsd’une telle éventualité. Il y a lesprécédents. Déjà durant la périodecoloniale, il y a bien eu un projet departition de l’Algérie.

Vous m’avez fait parler de cet épisodequi a conduit à une prolongation de laGuerre de libération nationale de deuxannées avec tous les sacrifices humainsqui en ont résultés. Il y a en plus lanouvelle donne géopolitique qui sestructure depuis plus d’une décennie.Les Etats sont des monstres froids, il nefaut jamais l’oublier.

Vous évoquez avec un sentiment dedépit les transformations intervenuessur l’étendue de l’espace de l’ArabieSaoudite…

Je souhaite encore plus de succès ànos frères saoudiens. Mais,naturellement, comment ne pas être, eneffet, marqué par l’exemple donné par cepays. La dynastie saoudienne, encohérence avec l’unification du royaumepar Abdelaziz à partir de la province duNajd, a changé le visage de l’Arabie enmoins de quarante ans. Ma génération aconnu à la fin des années 1960 des villescomme Riyad, Mekka Djedda et d’autresindustrielles sous l’apparence de grossesbourgades.

Aujourd’hui ce sont autant de HoustonTexas qui ont été bâtis en ArabieSaoudite. Je ne parle des terresfertilisées dans le désert, des trentemillions de quintaux de céréales par an,des cheptels constitués. Quant auxautoroutes, pratiquement inexistantes enfin de 1960, elles s’allongent aujourd’huisur des milliers de kilomètres.

Vos anciennes hautesresponsabilités dans la conduite desaffaires publiques vous autorisent àapprécier l’usage qui est fait desressources financières tirées deshydrocarbures mais, également, lamanière dont cet usage est fait. Auplan politique comme au plantechnique quelle est, à cet égard, votreappréciation ?

Du temps de Boumediene, les chosesétaient assez claires : l’usage desressources était transparent, par la voied’une loi de finances accessible à tous.Sous Boumediene comme sous Chadli,l’APN avait, certes, des prérogativeslimitées, mais elle les assumait : on ydébattait et parmi les députés «choisis»dans le cadre d’un pouvoir unique,nombreux étaient ceux dont la staturen’enviait rien à celle de leurs homologuesdes pays politiquement développés. Il yavait un plan d’investissements qui valait

ce qu’il valait, qui avait ses incohérences,ses insuffisances, j’en ai déjà parlé, maisce plan existait vraiment. On peut dire engros que les ressources étaient étriquéesmais qu’elles n’étaient pas gaspillées,que l’essentiel allait aux bons endroits, àl’investissement et plus généralement àla préparation de l’avenir, à l’éducation età la santé, plus qu’à la consommationdite de seconde nécessité.

L’évolution de nos ressourcesprovenant des hydrocarbures, sur troispériodes distinctes, se présente commesuit, en dollars américains courants :

1963 à 1978, soit en 16 ans :25 milliards de dollars américains ;

1979 à 1988, soit en 10 ans :135 milliards de dollars américains ;

2000 à 2007, soit en 8 ans :320 milliards de dollars américains.

Pour comparer des recettes cumuléesou moyennes sur des périodesdifférentes, il faut raisonner en termes depouvoir d’achat, donc en dollarsconstants. Si on prend la valeur du dollaren 2007 comme valeur de référence pourles trois périodes, on trouve que lesrecettes annuelles moyennes sur chaquepériode considérée, exprimées enmilliards de dollars américains constantsvaleur de 2007, ont été : 3,5 s o u sla présidence de Houari Boumediene ; 20sous la présidence de Chadli Bendjedid ;44 sous la présidence de AbdelazizBouteflika. Depuis que nos ressources sesont accrues, les choses se font dansl’opacité et sans aucune ligne directriceni plan.

L’opacité : l’une des premièresprérogatives de l’APN est de voter lesdépenses et les recettes de l’Etat.Pourquoi déclarer dans la loi de financesdes recettes sur la base d’un prix dupétrole qui est égal à la moitié, voire letiers des ressources réelles ? Cela veut-ildire que les dépenses relatives auxrecettes non déclarées se font selon lebon vouloir de l’exécutif, c'est-à-dire horsla décision et hors le contrôle de l’APN ?

«Il faudrait pour le bonheur des États que les philosophes fussent Rois et que les Rois fussent philosophes» Platon in La République

Histoire des nationalisations, politiquep�troli�re et bonne gouvernance

Le rapport Dick Cheney sur l’énergie et le théâtre d’opérations«Etre présent au Moyen-Orient pour gérer la pénurie de demain.»

Entretien réalisé par Chafik Mesbah

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: DR

SID-AHMED GHOZALI AU SOIR DÕALG�RIE

11e partie

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Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Dimanche 16 mars 2008 - PAGE 8

«L’intérêt stratégique de notre région se réduisait à sa situation dezone limitrophe du couloir maritime Gibraltar-Suez-Bab El Mendeb-Ormuz, jusqu’au jour où le statut pétrolier de l’Algérie a changé pour sehisser au niveau de première priorité.»

Page 22: « Histoire des nationalisations, politiqq que pétrolière

Sous l’angle politique etstratégique, pourriez-vous faire unelecture de ce nouveau statut «futurdétenteur majeur de réservespétrolières» ?

Notez d’abord que l’abandon parl’Administration américaine de lapolitique d’accommodement vis-à-vis duFIS se situe à un an après les grandesdécouvertes de Berkine. Cela ne relèvepas de la simple coïncidence.

De manière plus générale, l’Algérie, àl’instar des autres pays du Maghreb,n’était pas parmi la première priorité dela diplomatie américaine.

L’intérêt stratégique de notre régionse réduisait à sa situation de zonelimitrophe du couloir maritime Gibraltar-Suez- Bab El Mendeb-Ormuz. Hors lasécurisation directe de ce couloir, lereste était laissé aux pays européens,notamment la France. Telle était ladonne géopolitique qui a prévalu,jusqu’au jour où le statut pétrolier del’Algérie et donc celui de l’ensemble dela région a changé, pour se hisser auniveau de première priorité. Outre leparamètre pétrolier qui a ainsi accrul’intérêt américain pour notre pays,d’autres facteurs entrent en jeu pourexpliquer la soudaine progression de laprésence américaine : l’assoupissementde l’Europe et de la France vis-à-visd’une région considérée commehistoriquement acquise à son influence,le manque de cohérence entre le projetpolitique européen et sa dimensionméditerranéenne, les ressentimentsnourris par les dirigeants algériens auregard de l’indifférence, voire du rôlenégatif de la France et de l’Europe dansl’isolement international de l’Algériedurant la tragédie des années 1990, toutcela a grandement facilité la progressiondu projet américain de supplanter lesEuropéens en Afrique du Nord.

Or, tout le monde sait les risquesencourus par une région où intervientune Administration américaine plusinspirée par l’école de pensée impérialeque par les défenseurs dumultilatéralisme. Toute démarche visantà la domination se traduit en effet par larecherche de situations où les conditionsde survie des régimes locaux sont sousla maîtrise de la puissance dominante.Les premiers corollaires classiques dansune pareille démarche sont les créationsde foyers de tensions ou l’entretien defoyers préexistants.

Consubstantiel au rôle qui est celui del’État d’Israël dans la présence pétrolièreet sécuritaire américain au Moyen-Orient, l’enlisement sur des décenniesde la question palestinienne parexemple, est largement dû au peud’empressement de la puissance, qui endétient les clés, à en faciliter unesolution.

De la même manière il n’est pasabsurde de distinguer sur la question duSahara occidental un avant et un après-Berkine. Avant, on pouvait comprendreque l’Administration américaine œuvreen faveur d’une solution du conflit ;après, il y a plus de chances que l’intérêtde l’hyper puissance penche pour unedémarche qui favoriserait plutôt lapérennisation de ce contentieux et sonpourrissement.

Vous semblez négliger , totalement,l’influence européenne dans larégion...

Je ne la néglige pas quand jeconstate simplement qu’elle aconsidérablement décliné à la faveur desEtats-Unis, une évolution que je regrettecar je la considère comme menaçantepour notre avenir. Le simple bon sensdoit nous faire croire que les Européensne peuvent demeurer longtempsindifférents à des risques dedéstabilisation chez leurs voisins tout

proches de la rive sud-méditerranéenne,tandis que l’Administration américaine,en raison de l’éloignement des Etats-Unis ne sera pas particulièrementanxieuse ou hésitante devant des choixstratégiques porteurs de germes deperturbation de l’ordre et la stabilité cheznous.

Sans nul besoin qu’elle soit le fait d’unantiaméricanisme primaire, une lecturedu bouleversement de la géopolitique dela région devrait susciter plus de raisonsde s’inquiéter que de se réjouir. Maisforce est de constater que les Européensse sont assoupis sur l’idée que laMéditerranée fait partie de leur domaineréservé. Témoin de cet assoupissementle fait significatif qu’au moment où nousnous parlons, en 2007, les politiques etles médias français ont de la peine à sedéfaire du vocable d’«arrière-cour» pourdésigner le Maghreb dans leur jargongéopolitique. Les princes qui nousgouvernent auraient été bien inspirésd’évaluer les risques de «moyen-orientalisation» de notre région avant desuccomber au chant des sirènesparvenu de l’outre-Atlantique.

Dans ce contexte géopolitiqueperturbé, pensez-vous que lademande en pétrole des paysconsommateurs restera toujoursaussi forte ?

Dans les années passées, desperspectives réputées savantes, qui ontété périodiquement avancées à proposde l’offre et de la demande en énergie,ont été contredites par les faits. Il seraitimprudent d’extrapoler et de prédire unemême fin aux prévisions qui sedessinent aujourd’hui. Notre pays doitêtre attentif à l’évolution de ce rapport,non seulement en relation avec notreplace dans l’offre, non seulement enraison de ses implications sur la stabilitédans le monde, mais aussi et surtout enpréoccupation de notre propre avenirénergétique. Les sociétés pétrolières lesplus anciennes et les plus importantessont déjà en train de travailler à leurreconversion future au nucléaire : nosstratèges s’en sont-ils seulementaperçus ? Il y a lieu d’en douter, quandon voit le peu d’attention qu’ils montrentpour notre avenir énergétique, au stadede la réflexion et encore moins à celui dela conception.

Est-ce que nous faisons quelquechose dans ce domaine ? Rien n’estmoins sûr. En vérité les grands défis duXXIe siècle, dont les problèmes del’énergie et de l’eau, procèdent de laproblématique centrale relative àl’utilisation des ressources naturelles ausens le plus large du terme. Uneutilisation rationnelle de ces ressourcesn’est possible que si elle estrespectueuse et de la nature et del’homme. Elle implique un changementradical du mode de vie, ce qui veut direun recentrage des préoccupations surl’homme et la nature. Il n’y aura pas desalut tant que l’homme et la nature neseront pas au cœur des stratégiespolitiques à toutes les échelles de laplanète.

Dans un pays où l’on fait fi desproblèmes quotidiens les plusélémentaires, il peut paraître illusoireque l’on se préoccupe de l’avenir. Maiscomment espérer traiter correctementles problèmes du présent sans les situerdans des projections d’avenir ? Cargouverner c’est prévoir.

Les grands maîtres du jeu d’échecsqui promettent que s’engager dans unepartie sans plan c’est se condamner àperdre d’avance. C’est tout comme dansune bataille militaire. C’est d’eux quevient le précepte qui veut qu’«il vautmieux un mauvais plan que pas de plandu tout». Je m’en tiendrai donc pourl’instant à un inventaire des faits. Il est

raisonnable de tenir pour acquis la finproche de la période de l’abondance quia prévalu longtemps après les premièresdécouvertes.

L’exploration, notamment après lechoc pétrolier de 1973, a bénéficiéd’avancées technologiques quiautorisent une quantification crédibledes réserves prospectives. Ces mêmesavancées permettent déjà la productioncroissante d’énergies de substitution auxsources fossiles. Malgré l’hostilité desenvironnementalistes, aux Etats-Unis,en Allemagne ou dans les paysscandinaves, l’énergie nucléaire occupeune place importante. En France, à titred’exemple, c’est l’énergie nucléaire quifournit l’essentiel de l’électricité.Troisième fait, les économies deconsommation sont de plus en plus àl’ordre du jour. En raison de la luttecontre le réchauffement de la planète,mais aussi du fait de la percéetechnologique inéluctable qui serainduite par l’évolution de la qualité devie, il faut s’attendre à ce que ce soit leséconomies de consommation quipèseront le plus à l’avenir sur l’évolutiondu rapport offre-demande. Je pense auxtechnologies nouvelles qui permettrontune augmentation continue de l’efficacitéénergétique et presqu’autant àl’élimination systématique de toutes lesformes de gaspillage. Les anticipationssur la fin du pétrole — perspective qui seprésentera en point de mire en fin desiècle – justifient pour une grande partles restrictions de consommation.

Cette richesse aura été dilapidée endeux siècles alors qu’elle a mis descentaines de milliers de siècles pour seformer. Si on raisonne sur une sorte demodèle réduit chronologique enramenant à une année l’âge de laplanète terre depuis que la vie y acommencé, on s’aperçoit que brûler endeux siècles à peine une ressourcenaturelle qui s’est formée depuis quatremilliards d’années équivaut à passertoute l’année à créer une matière, pourla brûler en l’espace des trente dernièressecondes de la dernière heure dudernier jour de l’année !

L’humanité a pris conscience quetoutes les générations des XXe et XXIe

siècles seront regardées par celles quileur succéderont comme ayant dilapidéen un espace de temps qui est à l’âge dela planète ce que 30 secondes sont àl’année. De mon point de vue, l’avenir àlong terme de l’énergie réside en fin decompte dans la réalisation industrielle dela fusion nucléaire.

Nucléaire-fusion, les lecteurs nevont pas suivre…

Bien sûr que si ! Comment le dire enpeu de mots ? L’énergie nucléaireaujourd’hui repose sur le processus de lafission : c’est le noyau d’un atome lourd(uranium par exemple) que l’on cassepour libérer de l’énergie. C’est leprocessus de la bombe A, mais contrôlé.La fusion thermonucléaire ce sont desnoyaux d’atomes légers, deutérium ouhydrogène lourd, que l’on fusionne pourproduire de l’énergie chaleur. C’est leprocessus de la bombe H, mais contrôlé.L’homme doit trouver une solution auproblème du confinement de la matièreen «fusion» capable de supporter destempératures de millions de degrés,qu’aucun matériau classique ne peutcontenir. On travaille sur un confinementmagnétique.

Au jour d’aujourd’hui, les savants etles ingénieurs ne sont pas en mesure desituer, ne serait-ce qu’en ordre degrandeur, le temps qu’il faudra pour quela fusion thermonucléaire permette desapplications industrielles à grandeéchelle. Pour le moment on le situe à lafin de ce siècle.

Cependant, des percéesconsidérables ont été réalisées durant ladécennie 1990 dans les premiersréacteurs thermonucléaires aux Etats-Unis, en Europe (Grande-Bretagne), enRussie, au Japon et en Chine. On aréussi dans ces réacteurs à produiredans le réacteur anglais 16 MW(mégawatts) durant une seconde. ITERse propose de produire 500 MW durantsix minutes et demie.

Pour comparaison, la puissance de laplus grande centrale en opération enAlgérie est de 400 MW ; la puissanceusuelle des centrales nucléairesfrançaises est de 2000 MW.

Le réacteur ITER en constructiondepuis 2005 à Cadarache dans le Midide la France, en association entre lespuissances nucléaires que je viens deciter, a pour objet de démontrer que leprocessus de la fusion peut produire del’énergie à grande échelle et de manièreviable. C’est alors que l’avenirénergétique de l’humanité sera assuré àpartir d’une matière première quasiinépuisable, à savoir l’hydrogène quientre dans la composition de la moléculede l’eau des océans, assuré proprementcar le sous-produit de la réaction est del’hélium gaz non polluant et de surcroîtd’un usage industriel précieux.

M. C. M.(A suivre)

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Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Dimanche 16 mars 2008 - P AGE 9

Ouvrages sur la fusion nucléaire«L’avenir de l’énergie ? La réalisation industrielle de la fusion nucléaire»

Page 23: « Histoire des nationalisations, politiqq que pétrolière

Mohamed Chafik Mesbah : Demanière beaucoup plus concrète, cespays émergents qui consommentgoulûment l’énergie ne vont-il pasaccélérer cette fin annoncée du pétrole ?

Sid-Ahmed Ghozali : C’est un pointcapital pour la période transitoire des deuxou trois prochaines décennies. Il y a dix ansde cela, la consommation d’un Nord-Américain était cinquante fois celle d’unChinois ou d’un Indien. Actuellement, l’Indeet la Chine à eux deux qui totalisent pas loinde la moitié de la population mondiale et quise développent à un taux de croissance quifrôle les 10% pour la Chine consomment etvont consommer de plus en plus d’énergie.Imaginez que dans quinze à vingt ans laconsommation per capita chinoise etindienne ne soit plus que le dixième de celledes Etats-Unis au lieu du cinquantième, celavoudra dire que dans vingt ans la demandede trois milliards d’habitants sera multipliéepar cinq ! Certes, toute cette demande nesera pas satisfaite à partir du seul pétrole.Néanmoins le poids de la demande de cesdeux pays sur le marché va être tel qu’unemenace de pénurie de pétrole est d’ores etdéjà envisageable. Malgré les économies deconsommation ou la découverte denouveaux gisements, le risque est très réel.

Cette perspective à elle seule explique cequi se déroule au Moyen-Orient. LesAméricains ne sont pas allés en Irak pour«faire une croisade» comme l’a dit lePrésident américain ou pour instaurer ladémocratie, ils se préparent dès maintenantà la pénurie de demain de manière à s’enréserver les principales clés de répartition.En pleine période des préparatifs guerrierssuite à l’invasion du Koweït par l’Irak,Richard Nixon, président en retraite,déclarait sans ambages : «Si nos troupessont au Golfe, ce n’est pas pour libérer unpays démocratique car le Koweït n’est pasun modèle de démocratie. Ce n’est pas nonplus pour mettre fin à la dictature en Irak, caravec la profusion de dictatures dans lemonde, on n’arrêterait pas de faire laguerre… Si nous sommes là-bas c’est pourpréserver nos intérêts vitaux.» On ne peutpas trouver de voix plus autorisée pouridentifier le facteur déterminant de toutedémarche US au Moyen-Orient : le contrôledes trois premières réservesd’hydrocarbures : les réserves saoudiennes,suivent tout près et même plus d’aprèsd’aucuns, les réserves de l’Irak et, assez loinderrière, l’Iran.

Pourquoi, les Américains auraient-ilsmis tout ce temps avant de s’installer,physiquement, au Moyen-Orient ?

Sur le plan pétrolier, les intérêtsaméricains étaient déjà basés sur lapéninsule arabique depuis la SecondeGuerre mondiale. Abdelaziz Al Saoud,souverain fondateur en 1932 du royaumeauquel il a donné le nom de sa dynastie,d’où l’éponyme Assaoudya, avait rallié leRoyaume-Uni et les Etats-Unis vers la fin dela Seconde Guerre mondiale. Mais c’est en1945, lors de sa rencontre avec Franklin D.Roosevelt à bord du navire qui ramenaitcelui-ci de Yalta, que fut scellée au large deDjedda l’alliance stratégique avec les Etats-Unis.

La présence militaire américaine,positionnée à proximité, essentiellementdans le Golfe et en Méditerranée orientale,n’était que l’un des trois fondements de la

structure sécuritaire américaine dans larégion. Le deuxième fondement étaitl’équilibre entre l’Iran et l’Irak aux fins de laneutralisation mutuelle entre les héritiers despuissances historiques perse etbabylonienne. Le troisième pilier est lasuprématie militaire absolue d’Israël dansson rôle de gendarme dans la région. Desurcroît, l’activation permanente du foyer detension palestinien et donc de la menaceisraélienne est censée pérenniser en mêmetemps le besoin des régimes arabes enprotection américaine obligée.

S’agissant de l’Iran et de l’Irak, tant queles deux régimes figuraient parmi lespartenaires amicaux des Etats-Unis, laneutralisation mutuelle se faisait sur la based’un équilibre vers le haut : en armantégalement les deux régimes, on consolidaitd’autant la capacité de chacun de dissuaderles visées de l’autre sur la péninsule. Dèsque l’instauration de la République islamiquea fait de l’Iran une partie hostile aux Etats-Unis, la neutralisation mutuelle – «dualcontainment» — devait alors se continuermais par un nivellement vers le bas, c'est-à-dire par l’affaiblissement des deux pays. Dela guerre Iran-Irak qui a suivi immédiatementl’instauration de la République islamique,Henry Kissinger a dit sans ambages, qu’il«devait en sortir deux vaincus». Aussil’Administration américaine s’est-ellearrangée pour gérer les équilibres au fil desdéveloppements de la guerre en soutenantalternativement l’un ou l’autre desbelligérants, selon l’évolution du rapport desforces qui étaient en guerre. Elle a soutenud’abord l’Irak et quand au bout de quatreannées le rapport des forces tournait à lafaveur de l’Irak, c’est à l’Iran qu’est allé lesoutien militaire américain via Israël.L’affaire de «l’Iran Gate» vient de là.

La guerre et sa prolongation nedonnaient aucun souci sur le plan pétrolierpuisqu’à partir du milieu de la décennie1980, le rapport offre/demande grâce à laforte montée en cadence de la productionsaoudienne était maîtrisé à un point tel queles prix sont descendus jusqu’à 11 dollarsaméricain le baril. Et il n’y avait pas de soucinon plus du côté de la fiabilité politique de lapéninsule.

Tant que la guerre se prolongeait par lesmoyens conventionnels, les Etats-Unis sesuffisaient des «coups de pouce»correcteurs pour maîtriser les équilibres.Mais à partir du moment où ledéveloppement par l’Irak des armeschimiques «bombe atomique des pauvres»,un développement initié pourtant par lesEtats-Unis et le Royaume-Uni, est venu à lafois défier le principe de la suprématiemilitaire israélienne et créer un déséquilibredurable entre l’Iran et l’Irak, les stratègesaméricains en sont arrivés dès 1987 à ladisqualification des coups de pouce à lamarge et, partant, à la conclusion quel’intervention militaire américaine directeétait seule à même de prévenir uneévolution irréversible du rapport des forcesIran-Irak. Restait à trouver les motifs propresà convaincre l’opinion américaine de lalégitimité d’un envoi de troupes dans larégion. Une campagne diplomatique etmédiatique intense fut menée entre 1987 et1990 pour construire l’image d’un Irakapparaissant crescendo comme le dangerpublic numéro un pour la planète.

Le régime irakien a beaucoup fait pouraider dans ce sens, à l’instar de l’utilisationde l’arme chimique en pays kurde, desdiscours enflammés promettant que «Les

ingénieurs irakiens ont mis au point unearme chimique capable de rayer Israël de lacarte en quelques minutes», ou des discoursbelliqueux à l’adresse du Koweït sansoublier les triomphants lancements defusées. Au sommet de la Ligue arabeconvoqué par l’Irak le 20 mai à Baghdad eten la présence de la quasi-totalité des chefsd’État, Saddam Hussein, présidant laséance, a apostrophé solennellement l’EmirDjaber du Koweït, lui promettantouvertement la guerre. «Est légitime touteguerre qui répond à une agression, quecelle-ci soit militaire ou économique», a-t-illancé à la face de son homologue koweïtien,pour ajouter en pointant le doigt sur lemême : «Je déclare ici que le Koweït aagressé économiquement l’Irak !» Cettedéclaration de guerre a été prononcée sousles feux des projecteurs et des caméras TVun 21 mai 1990 parmi vingt chefs d’État etleurs délégations, soit deux mois et douzejours avant l’invasion du Koweït.

Les responsables américains, qui ont faitmine de se montrer pris de court par laditeinvasion, ne pouvaient pas avoir ignoré cettedéclaration de guerre, pas plus que nepouvait échapper à leurs satellites le vastedéploiement vers le sud de 300 000hommes de troupes à travers le territoireirakien. En envahissant le Koweït, le régimeirakien a fait ce qui était attendu de lui pourque les troupes américaines s’installent surle sol de la péninsule pour longtemps enattendant de fouler, le moment voulu, le soldes gisements irakiens.

Comment, de manière concrète, s’estdéroulé votre rappel à Alger pourrejoindre le gouvernement formé parKasdi Merbah ? A ce propos, dites-nousquels souvenirs gardez-vous de feuKasdi Merbah ? Quelle appréciationpourriez-vous porter, postmortem, sur sapersonnalité ?

Craignant Celui qui nous jugera tous unjour, je ne porterai aucune appréciation surla personne. Quel titre aurais-je d’ailleurs àle faire en me mettant soudain dans laposture d’un juge, fût-ce un jugebienveillant ? Je suis devant vous en acteur-témoin de faits vécus et répondrai donc auxquestions qui m’interpellent en tant que tel.

Résumée, ma relation personnelle avecfeu Kasdi Merbah a été de toujours correcte,honnête et jamais inamicale. Il nous estadvenu de coopérer entre secteurs quandj’étais à l’Energie. Ses services ont eu unrôle dans certaines phases de nos

négociations avec les Français. D’un autrecôté, notre collaboration directe de quelquehuit mois a été très difficile, en raison defacteurs que je sais indépendants de lavolonté de chacun de nous deux.

En effet, au lendemain d’octobre 1988,j’étais à mille lieues de penser que j’allaisêtre pressenti à nouveau pour la fonctionministérielle et encore plus loin d’envisagerun retour au gouvernement, et ce, pour desraisons tant privées que politiques. Témoin,la suite que j’avais donnée à une démarchedatant de deux années auparavant aux finsde sonder mon sentiment sur l’idée d’unretour à la fonction : «Pour accepterd’assumer la responsabilité dans lesconditions présentes, avais-je répondu, ilfaut être ou fou, ou totalement inconscientde la réalité. J’ai tous mes esprits et jen’ignore rien de la situation calamiteuse quise profile.» Tel était mon état d’esprit àl’époque. C’est ainsi que j’ai commencé pardécliner par deux fois son invitation à rentrerdans son gouvernement.

Les faits sont que Kasdi Merbah et moi-même, on nous a forcé la main à tous lesdeux, moi pour revenir au gouvernement etlui pour m’y réserver le poste des Finances.Pourquoi nous sommes-nous laissés avoirtous les deux et fini par céder à la pression,lui pour me pressentir, moi pour accepter ?Probablement une crainte partagée d’avoirmanqué au pays dans une situationdramatique. De toute manière, ce point dedépart allait peser sur notre collaboration,d’autant que s’y ajoutaient d’autres facteursaggravants. Déjà, le fait d’être imposé àquelqu’un vous marque à ses yeux, aumieux comme une taupe placée enobservation, au pire comme un rivalpositionné à l’affût. Je ne suis ni l’un nil’autre ; cela ne pouvait lui suffire pour seconvaincre de ma loyauté de principe à sonégard. Les coups tordus, qui ne tardèrentpas à fuser d’en haut sur le chef dugouvernement n’étaient pas faits pourcontribuer à dégeler la méfiance qui était làdès le départ. Il est vrai que nos antécédentsprofessionnels, lui dans la sphère de lasécurité, moi dans la sphère économique, del’entreprise principalement, ont sollicitéprobablement des zones différentes de nosréflexes culturels respectifs, quant àl’approche des choses et des hommes.Chez lui, c’était plutôt de se méfier a priori etde communiquer par ordres ; chez moi, c’estplutôt de convaincre d’abord puis faireconfiance, quitte à vérifier ensuite.

«Il faudrait pour le bonheur des États que les philosophes fussent Rois et que les Rois fussent philosophes» Platon in La République

Histoire des nationalisations, politiquep�troli�re et bonne gouvernance

Sid Ahmed Ghozali saluant le président Chadli Bendjedid.«Une solitude morale qui date de 1988.»

Entretien réalisé par Chafik Mesbah

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SID-AHMED GHOZALI AU SOIR DÕALG�RIE

12e partie

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Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Dimanche 16 mars 2008 - PAGE 8

«Le Président Chadli Bendjedid a été profondément choqué par lesévènements d’Octobre 1988 proprement dits. Il en était au début de la prisede conscience d’une dure réalité qu’il n’avait pas osé regarder en facejusque-là.»

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A côté de cela, nous partagions certes unamour commun du pays, une réputation debosseurs qui n’était pas surfaite ainsi que, jele crois, un attachement commun à lapropreté morale. Mais nous étions nettementéloignés dans nos approches respectivesdes gens et des questions économiques etpolitiques, divergents dans nos propresvisions de l’information au sens largecomme au sens médiatique. Au mêmemoment nous héritions tous les deux d’unétat social dégradé, d’une situationfinancière désastreuse : le surendettementet son piètre traitement par nosprédécesseurs dissipaient 70% de nosressources dans le seul remboursement deséchéances, les réserves de changes étaientà zéro, la menace de l’état de cessation depaiement était instante. Une telle situation,nous ne pouvions l’assumer qu’ensemble etc’est ce que nous fîmes. Au moment ducombat contre le feu, nous ne pouvionsqu’évacuer les états d’âme ou lesdifférences. Le traitement du dangerimmédiat nous a unis à chaque fois. C’estensemble que nous avons pu mobiliser dèsle mois de mai 1989 la première tranche diteinconditionnelle de 600 millions de dollarsauprès du FMI ainsi que la tranchecorrespondante, dont je n’ai pas en tête lemontant, auprès du Fonds monétaire arabe.Cela c’était pour éteindre le feu.

Sur quoi portaient vos divergences ?Dès que l’on passait aux questions de

moyen et long termes, nos points de vuedivergeaient. Par exemple, nous partagionsla conscience qu’il y avait mieux à faire pourl’Algérie qu’à aller renégocier la dette. Notreaccord s’arrêtait là. Encore fallait-il allerdéployer les moyens propres à éviter lerééchelonnement. Mon programme était deredéployer nos capacités pétrolières pournous donner ces moyens au bout de trois àquatre ans. Mais dès qu’il s’agissait d’obtenirl’adhésion du ministre de l’Energie, celui-cime donnait l’impression qu’il faisait la sourdeoreille, qu’il était plus obstiné à marquer sonterritoire qu’à se décarcasser à mettre auservice du sauvetage de l’Algérie tout ce quenos gisements avaient dans le ventre. Aucontraire de cela, il s’en tenait à faireentendre au conseil de gouvernement latendancieuse sentence qu’il n’y avait plusrien à attendre de plus des hydrocarbures ;une antienne que les sociétés de l’Erap ontinstallée depuis les années 1960 dans desesprits aussi peu avertis des donnéesréelles de notre sous-sol que de la chosegéologique.

Plus enclin à la permissivité enversl’inertie de mon collègue que convaincu parles implications de la politique que jepréconisais, le chef du gouvernement ne m’apas aidé à faire bouger les choses. C’étaitune divergence majeure entre nous. Je mesuis retrouvé seul jusqu’à notre départ àtous. Il ne reste de mon programme qu’unenote détaillée que j’ai délivrée au Conseildes ministres en juillet 1989 et que jeconcluais :

1- en mettant solennellement en gardecontre la posture c’était celle de nosprédécesseurs et ça allait être celle de nossuccesseurs qui consiste à réfuter lerééchelonnement ;

2- s’en tenir à une telle réfutation ne suffitpas pour faire une politique ;

3- sans la volonté de se donner lesmoyens de ne pas rééchelonner, il valaitmieux aller au rééchelonnement tant qu’onétait encore debout, au lieu de tergiverserjusqu’à y aller sur les genoux.

Et c’est ainsi que neuf mois à peine aprèsla formation du gouvernement KasdiMerbah, nous passâmes au gouvernementsuivant une situation financière qui était celled’octobre plus une bulle d’oxygène, situationqui devait m’être passée deux ans plus tard,la bulle d’oxygène consommée et dans l’étatque j’ai décrit en parlant de la loi 1991.Seulement, pour mémoire, je cite d’autresexemples où nos convictions divergeaient etoù les options retenues par le chef dugouvernement n’ont pas été celles que leministre des Finances avait préconisées. Lesystème bancaire national : nous voulionstous les deux le réformer, lui en comptant surla seule vertu du volontarisme, tandis que je

croyais qu’en la matière les posturesvolontaristes seules ne peuvent que tourneren vœux pieux, voire en velléités, horsl’incontournable création d’unenvironnement concurrentiel, l’appel ausavoir-faire privé étranger dans ce domainecomme dans d’autres secteurs industriels àl’instar de l’industrie des matériaux deconstruction. S’agissant du partenariat avecle privé, je me suis trouvé à défendre seul leprojet adopté par le gouvernement devantdes députés très réticents : le résultat en aété une édulcoration telle du projet qu’il n’enest rien resté en fin de compte et que letexte qui fut adopté n’a jamais servi à rien.Le lancement d’un emprunt national que jevoulais très important en volume etnovations a été réduit, contre mon avis, àune réédition d’opérations usées qui s’estsoldée par un fiasco complet. La politiquefiscale : le chef du gouvernement avait entête une priorité à la réforme fiscale,focalisée elle-même sur l’impôt sur lafortune, pendant que je privilégiais lamodernisation par la formation des hommeset la restructuration préliminaire de l’appareilfiscal national, par sa revalorisation enhommes et moyens informatiques, sans quoitoute réforme était vouée à être un coupd’épée dans l’eau. La libéralisation politiquedes médias publics autant que l’analyse et lagestion des rapports entre le gouvernementet la presse a fini par nous séparer.

Sur ce dernier point, il était revêche à lavertu de l’ouverture systématique desjournaux radios et télévisés à lacontradiction.

Il disait avec sincérité de ceux desjournalistes, lesquels, il est vrai, ne leménageaient pas beaucoup, qu’ils étaient«les ennemis du gouvernement», thèse queje réfutais, insistant pour ma part surl’acceptation de la critique et sa réfutationpar le débat contradictoire avec ceux-làmêmes qui nous critiquaient le plus. Il m’ena voulu quand j’ai adhéré et répondu, endépit de son insistante opposition, à uneproposition de débat sur la Chaîne III, face àquatre journalistes, dont celui qui incarnaitl’opposition la plus virulente augouvernement. Il m’a blâmé en me disantque finalement j’ai consacré «90% de mesinterventions au pétrole (la réalité était moinsde 2%) ; ce n’est pas le blâme en soi qui meblessait mais le fait qu’il l’ait argumenté enreprenant à son compte et sans vérificationune version totalement défigurée que sesservices lui avaient donnée du débatincriminé».

Sur ces entrefaites, j’en arrivais à laconclusion que mon maintien augouvernement ne pouvait être de quelqueutilité pour lui. Je le lui dis. J’ai fait alorsreproduire in extenso le contenu du débat dela Chaîne III en cause, que je lui remis avecla cassette audio y afférente, en annexe àune lettre exprimant mon sentiment, juste àla veille de son départ en congé. Il s’étaitmontré sincèrement surpris de ma volontéde quitter son gouvernement sur «quelquechose» qu’il disait «sans importance et quej’ai dit comme ça». Il me demandad’attendre son retour pour en parler.

Cet épisode de notre relation de travailest bien sûr passé inaperçu et pour cause :à son retour, le gouvernement étaitdémissionné… de la manière la moinsconstitutionnelle et la moins élégante.

Le limogeage de Kasdi Merbah de sesfonctions de chef du gouvernement était-il, selon vous, quelque chosed’inéluctable, c'est-à-dire le fruit d’uneincompatibilité objective entre deuxlignes politiques, ou le résultat forcéd’une manipulation politicienne ? Votreperception de ce limogeage, en sonmoment à chaud, a-t-elle changé, avec lasérénité que consolide le temps quipasse ?

Kasdi Merbah ne cherchait pas àmasquer l’ambition qu’il nourrissaitd’accéder un jour aux responsabilitéssuprêmes. C’est là un fait avéré. Il est avéréégalement que son limogeage arbitraire étaitprogrammé avant sa nomination, dans lecadre d’un processus préconçu avantoctobre 1988 et qui devait conduire un autreque lui à la présidence de la République.

Le Président Chadli Bendjedid a étéprofondément choqué par les évènementsd’Octobre 1988 proprement dits, autant quepar ce que lui ont révélé la genèse de cesévènements et le processus qui y a conduit.Déjà, il en était au début de la prise deconscience d’une dure réalité qu’il n’avaitpas osé regarder en face jusque-là, à savoirla déloyauté que lui ont payée de retourceux-là mêmes de ses ministres en qui ilavait placé une confiance aveugle et à qui ilavait donné, neuf années durant, despouvoirs absolus sur l’économie, despouvoirs jamais égalés dans aucune desconfigurations gouvernementalesprécédentes ni dans celles qui allaientsuivre.

De là date un sentiment de solitudemorale, voire une sorte de démissionmorale, qui n’allait pas se dissiper jusqu’àson départ en janvier 1992. Malgré sareconduction par le congrès de décembre1988, on garde bien le souvenir du momentoù il avait emprunté au poète la manière de«demander sa liberté». A mon avis, sondépart définitif de janvier 1992 ne fut que laconcrétisation d’une résolution intérieuredatant de trois années au moins, lasatisfaction d’un désir demeuré enfoui maisjamais apaisé complètement. Un désir quine pouvait, au contraire, que s’accentuer àla vue de la disparition impressionnante deCeausescu un certain 22 décembre de1989.

Les développements de la situationpolitique durant les années 1990 et 1991n’étaient pas faits pour relever un moralatteint, au point de s’en remettre de factoentièrement à celui qu’il ne désignait plusque par son prénom et dont il fit très tôt etd’évidence une sorte d’héritier politique. Envérité, depuis 1988, probablement mêmeavant 1988, l’héritier tacite a été l’artisan defait de toute la cuisine politicienne intérieurealgérienne, que ce fût à partir du siège de laPrésidence, ou que ce fût du Palais dugouvernement, ou que ce fût descommissions du congrès de 1988 dont il futle coordonnateur dans les coulisses, ou quece fût au sein du Bureau politique du FLN oùil a siégé depuis début 1989 durant six ousept ans.

Ainsi en a-t-il été de la révision de laConstitution le 4 novembre 1988 : laPrésidence du gouvernement séparée de lafonction présidentielle est assurée par unchef de gouvernement responsable devantle Parlement et non plus devant le présidentde la République. Présenté à l’opinioncomme une avancée démocratique majeure,cet amendement n’était qu’un artifice, avait-on expliqué à Chadli, destiné à «protéger» lePrésident par l’instauration d’un «fusible» àla tête du gouvernement. Kasdi Merbah aété le premier à faire les frais de cettemanœuvre, lorsque, dès sa nomination, lesservices de la Présidence se sont aussitôtattachés à rogner les attributions du chef dugouvernement en matière de nomination descadres supérieurs de l’administration. Tousles coups tordus et autres attaquesmédiatiques les plus virulentes contre le chefdu gouvernement étaient inspirés,concoctés ou commandités d’El-Mouradia.La démission du gouvernement KasdiMerbah neuf mois à peine après saformation a été l’aboutissement d’un travailde sape qui a duré ce qu’a duré legouvernement. Des injures médiatiquesprolongées ont été faites à son action, voireà sa personne. De mon nouveau bureau desAffaires étrangères, je lui avais témoigné masolidarité et avais dénoncé ouvertement sesdénigreurs, comme je le fis devant l’APN lorsdu débat d’investiture de mongouvernement.

C’est à juste titre que Kasdi Merbah avaitsouligné dans une conférence de presseque sa démission n’était pas trèsconstitutionnelle.

Nous voilà arrivés, après le limogeagede Kasdi Merbah, à l’épisode où vousavez eu à diriger la diplomatie algérienne.Quels souvenirs gardez-vous de cetépisode, particulièrement dans vosrelations aux principaux responsables dupays concernés par l’actiondiplomatique du pays ?

Démissionnaire des Finances à la veilledu limogeage de mon chef degouvernement, j’étais en train de boucler«mes cartons» quand le nouveau chef degouvernement me pressentait pourm’informer qu’il me considérait «commefaisant partie de son équipe», qu’il avait déjàchoisi un nom pour les Finances en mêmetemps qu’il me proposait d’aller àl’Equipement. Il avait souligné l’importancedu «paquet de compétences» que le posteallait contenir : les Transports, l’Habitat,l’Hydraulique et les Travaux publics. Maréponse était que tout cela je l’avais euvingt-six ans auparavant alors que je n’étaisqu’un petit sous-secrétaire d’État. Que laparticipation à un gouvernement se mesuraitnon point à l’aune du «volume» descompétences, mais avant tout de l’idée devolonté politique commune ; qu’enl’occurrence, en l’absence d’une tellecommunauté de volonté, je ne me voyaisguère éligible à faire partie de son équipe. Jedéclinai donc l’offre aussi gentiment qu’elleme fut présentée et m’en allai passer lesconsignes à mon successeur, quand je fusappelé par le Président qui me pressentitpour «travailler avec lui» aux Affairesétrangères.

Dans cette fonction nouvelle, jerejoignais un secteur qui m’était très familier.La nature internationale du secteur del’énergie — j’ai travaillé près de dix-huit ansdans ce secteur —, ses implicationsstratégiques et diplomatiques ont fait que j’aiété, en permanence et souvent trèsétroitement, associé dès l’indépendance auxactivités diplomatiques de l’Algérie, aussibien à maintes relations bilatérales (Franceet principaux pays européens, Etats-Unis,URSS, Japon, pays producteurs de pétrole,pays du Maghreb, OLP et principaux paysarabes,) que dans le multilatéral (ONU,OUA, OPEP, OPAEP, institutions financièresinternationales, Maghreb arabe, Ligue desÉtats arabes). J’ai eu le privilège departiciper activement dans la conduite desnégociations algéro- françaises, commedans l’élaboration du dossier préparatoire àla tenue de l’Assemblée généraleextraordinaire des Nations unies convoquéepour avril 1974 à l’initiative de HouariBoumediene, ou dans la préparation et latenue du premier Sommet de l’OPECconvoqué à l’initiative du même HouariBoumediene pour mars 1975…

Si vous ajoutez les quatre années etdemie passées à Bruxelles, c’est uneexpérience diplomatique de vingt-deux ansque j’apportais au service du départementqui venait de m’être confié. Et c’est aussiune certaine expérience en gestion,intérieure et extérieure, aux Affairesétrangères, qu’il me tenait à cœur decommuniquer à ce secteur où je comptaispar ailleurs beaucoup de camarades detravail, parmi les cadres et les diplomatesauxquels je me suis trouvé si souvent mêléauparavant, dans la défense ou la promotiondes intérêts nationaux à l’étranger. Monpassage aux Affaires étrangères a coïncidéavec l’exacerbation des crises au Moyen-Orient : la question libanaise (négociationsde Taif) puis la crise du Golfe et la deuxièmeguerre du Golfe consécutive à l’invasion duKoweït ont occupé plus de la moitié de monplan de charge. A un degré moindre, ce futaussi une période particulièrement activedans la mise en route de l’UMA à lafondation de laquelle j’avais assisté quelquetrois mois avant, à Marrakech, en ma qualitéde ministre des Finances. Parce qu’elle sesituait immédiatement dans la foulée de lafondation, la période de deux ans que j’aivécue a été marquée par une dynamiquemaghrébine très prenante, un sommet parsemestre, des réunions ministérielles àhaute fréquence. Bien sûr l’Afrique, l’Europeet le multilatéral m’ont occupé, mais si jedevais caractériser lapidairement monpassage aux Affaires étrangères, je diraisque j’ai été le ministre du Liban, du Golfe etdu Maghreb arabe. C’est une présentationcaricaturale, mais expressive de ce qui anettement dominé dans mon plan de charge.

M. C. M.(A suivre)

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Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Dimanche 16 mars 2008 - PAGE 9

Page 25: « Histoire des nationalisations, politiqq que pétrolière

Mohamed Chafik Mesbah : Justement, jevous invite à revenir sur votre passage à latête de la diplomatie algérienne et de vousattarder sur des personnalités que vous avezeu à rencontrer alors...

Sid-Ahmed Ghozali : Mes navettesdiplomatiques m’ont conduit à plusieurs reprisesauprès d’un certain nombre de chefs d’État, dontles plus fréquemment rencontrés, en mesqualités de ministre des Affaires étrangères ou demissionnaire du président Chadli Bendjedid,furent, je cite les noms dans l’ordre où ils meviennent à l’esprit, Fahd Ibn Abdelaziz, Husseinde Jordanie, Hafedh El Assad, Hassan II,François Mitterrand, Juan Carlos, Giulio Andreottid’Italie, Yasser Arafat, Nelson Mandela, HosniMoubarak, Maâmmar El Kadhafi, Zine El AbidineBenali de Tunisie, Saddam Hussein, Baudouin.

La fréquence des rencontres aidant, il estarrivé que l’entretien fît une place à unecommunication où la personne perce la carapacedu chef d’État. On dit dans ces cas que le courantpasse. Ce fut le cas avec bon nombre d’entreeux. Il s’imprime alors dans la mémoire desimpressions marquantes, souvent enrichissanteset d’autant plus vivaces qu’elles se rapportent àdes problématiques passées mais qui demeurenttoutes d’une brûlante actualité. Cela va del’impression de bonhomie bourrée de bon sensramenée du Caire, à la perception d’unesensibilité aiguë et de grande culture chezFrançois Mitterrand, cet homme politiqueassurément exceptionnel, en fin de mandat et enplein questionnement avec lui-même sur sarelation passée avec l’Algérie, en passant par laroublardise bon enfant mêlée de spontanéitéparfois visionnaire de notre frère libyen quand ilne cessait de nous mettre en garde sur lesconséquences de notre légalisation des partisreligieux.

Hosni Moubarek inspirait le sentiment d’unhomme bon et modeste, ce qui ne donnait queplus de saveur à certaines de ses répartiesfrappées du sceau de la candeur populaire. Lorsd’un dîner intime avec ses homologues algérienet libyen, au Caire, dîner où j’ai été associé enmême temps que mon homologue IsmatAbdelmadjid, le Qaïd part dans une tiradefustigeant les Arabes qui placent leur argent dansles banques occidentales ; c’était au lendemaindu Sommet arabe du 9 août 1990, le présidentHosni Moubarek marmonna entre deux gorgéesde potage «Et toi tu mets ton argent où ?» Tel unenfant pris en défaut, le Qaïd ne pipa mot.

Sur notre retour le 12 août 1990 du sommetdu Caire, nous avions fait une escale d’une nuit àTripoli. Alors que nous conversions de la crise duGolfe et de l’UMA, il me voulait alors commesecrétaire général de l’Union, le «Qaïd» setournant ostensiblement vers moi me fitl’observation suivante : «J’ai des fois l’impressionque vous les Algériens vous nourrissez plusd’affinités avec les Européens qu’avec lesArabes.» J’ai compris qu’en lançant cette pique ils’attendait à une dénégation de ma part ou à uneprotestation de principe ; je lui répondis, sous leregard amusé du président : «Mais votreimpression n’est pas si éloignée du tout de lavérité comme vous paraissez le penser frèreQaïd ! D’ailleurs, ne l’êtes-vous pas autant quenous puisque nous sommes avant tout desMéditerranéens ? Et puis, que nous reste-t-il decommun avec des pays arabes qui envahissentviolemment leurs voisins ? Avec d’autres Arabesqui en appellent à la rescousse des troupesétrangères pour matraquer un autre paysarabe ?» J’ai fait partie de la délégationalgérienne qui était au siège de l’OPEC à Viennelors de l’assaut donné par le groupe de Carlos le20 décembre 1975. Zaki Yamani, le ministresaoudien qui avait été désigné avec l’IranienJamshid Amouzegar et leurs adjoints directsparmi les premières personnes qui seraientimmolées, s’il n’était pas fait réponse auxexigences du commando, a indiqué quel’opération avait été commanditée de Libye. Est-ce parce que l’occasion idoine ne s’est jamaisprésentée ou est-ce parce que je n’aurais pas sula saisir ? Le fait est que je ne suis jamais allé àce jour jusqu’au bout de la promesse que jem’étais faite d’évoquer la question avec le Qaïd.

Peut-être y parviendrai-je un jour, qui sait ? Il y aeu aussi la forte douleur que je ramenais de mesentretiens avec Saddam Hussein, devantl’immense gâchis que les calamiteuses décisionsd’un seul homme peuvent causer à des centainesde millions d’humains ; un gâchis qui donne lamesure de l’extrême fragilité des hommesprétendus forts parce qu’ils dirigent de la manièreforte et brutale, de l’extrême vulnérabilité d’unsystème politique bloqué qui ne laisse aucuneplace à la contradiction et se met, de ce seul faitet de lui-même, dans une situation de totaleinsécurité ; un système qui, de par sa naturemême, se prête à marcher, durant des années,voire des décennies dans toutes lesmanipulations extérieures qui sont faites pour leperdre.

A l’autre extrême, le sentiment d’être enprésence d’une incarnation de la force desinstitutions et de leur rôle capital dans la vie d’unenation. Le réconfort que procurent la visionrévolutionnaire authentique et la force moraleréunies dans le chef d’un même homme politiqueafricain, Nelson Mandela.

Pouvez-vous évoquer, plusparticulièrement, le souvenir du présidentFrançois Mitterrand, dans son profilpersonnel et dans ses rapports avecl’Algérie ?

J’ai connu François Mitterrand en trois tempsdifférents. Au milieu des années 1970 à la faveurdes rencontres au sommet FLN-PS. C’était parLionel Jospin qui, l’accompagnant dans un oudeux séjours algérois en sa qualité de secrétairenational aux relations extérieures du PS, enprofitait pour passer à la maison un moment enfamille ; car il existait déjà une amitié personnellequi s’était établie depuis 1958 par un concours decirconstances fortuites : nous avions étudiédurant trois années dans la même rue des Saints-pères, de part et d’autre du boulevard Saint-Germain, l’un à l’École nationale d’administrationet l’autre à 200 m de là à l’École des ponts etchaussées. Nous logions dans la même citéuniversitaire dans deux bâtiments communicants; last but not least, il y avait notre militantismepour la cause algérienne, chacun dans sonpropre cadre national, l’un au sein de l’Union desétudiants de France, l’Unef, et de l’Union de lagauche, l’autre dans l’organisation clandestine duFLN. Mes contacts avec François Mitterrandétaient donc plutôt privés, sporadiques etimpersonnels, comme c’était le cas à Paris lorsde colloques sur les relations Nord-Sud ou sur laMéditerranée. Il y a eu aussi, en novembre1974,ce dîner à la résidence de notre ambassadeur enFrance, il était en compagnie de Pierre MendèsFrance, j’étais aux côtés de Belaïd Abdesselamen mission officielle à Paris. Sept mois plus tôt ilavait été battu d’un nombre de voix égal à celuides Comores par Valéry Giscard D’estaing auxprésidentielles de succession à GeorgesPompidou. Il nous avait expliqué comment lesdeux candidats étaient convenus de refaire lesélections dans le cas où la différence des votesne dépasserait pas le nombre des voix desComores, parce qu’ils s’étaient rendu compte quele chef des Comores les avait promises à chacund’eux. Valéry Giscard D’estaing les ayantemportées en fin de compte aurait ainsi oubliéses engagements.

Dans un deuxième temps, ce sont mescharges aux Finances et aux Affaires étrangèresqui me conduisaient à l’Élysée, des fois seul,tantôt en compagnie de mes collègues saoudienet marocain, tantôt dans la suite du présidentChadli Bendjedid. C’était pour le traitement descontentieux financiers algéro-français quis’étaient accumulés durant la décennie 1980, oulors des laborieux processus euro-arabe, euro-maghrébin, France-Afrique ou dans le cadre desefforts parallèles algériens et français, dans lesaffaires libanaise ou irako-koweitienne.

Vous avez eu à l’approcher, plus souvent,en qualité d’ambassadeur à Paris…

C’est en ambassadeur d’Algérie, en effet, queje l’ai approché le plus et le plus fréquemment.C’était une période particulière pour lui commepour moi, car il était à moins de trois années de lafin de son mandat et sa maladie avait progressé.Ce sont des moments de vérité pour tout être

humain. Son premier mot pour moi quand je luiprésentais mes lettres de créances en débutdécembre de 1992 en la présence de RolandDumas fut : «Je veux d’abord dissiper unmalentendu entre nous : non seulement je nevous ai pas critiqué mais je considère aucontraire que ce que vous avez fait était trèscourageux. » Il se référait à sa déclaration dulendemain de la démission de Chadli Bendjedidet de l’interruption du processus électoral. «Il fautque le processus démocratique reprenne le plustôt possible.» Invité par un journaliste français àcommenter ladite déclaration, j’avais répondu :«Inacceptable. »

A la fin de la cérémonie protocolaire, il me ditson souhait de m’inviter à déjeuner au Palais del’Élysée une fois tous les trois mois. «Chose queje ne fais qu’avec trois autres ambassadeurs,l’Anglais, l’Allemand et le Soviétique… Je comptesur vous pour me le rappeler s’il advient que jen’en prenne pas l’initiative. » La première de cetype de rencontres eut lieu après la premièrequinzaine de janvier 1993. Il aimait à prolonger laconversation au moment du café. Ces moments-là, je croyais entendre l’être humain se parler àlui-même, ou le Français qui se confiait àl’Algérien, plus souvent que je n’entendais lepropos du chef d’État face à l’ambassadeur.L’homme donnait l’impression de revisiter sanscesse une ancienne relation avec l’Algériecoloniale qu’il semblait vivre plutôt mal avec letemps, pendant que le Français semblaitchercher les occasions pour se montrer solidairede l’Algérien en difficulté. Quant au chef d’État,était-il en quête d’un quelque chose que l’histoiresubstituerait enfin à l’obsédante déclaration deBatna : «La seule négociation c’est la guerre» ?

Vous avez évoqué le poids de l’histoiredans les relations entre les deux pays,l’Algérie et la France...

Un jour, c’était en hiver et nous étions assis aucoin cheminée, nous évoquions l’histoire de lacolonisation française en Algérie, lorsqu’ilm’interrompit par une surprenante question :«Combien y a-t-il eu de morts durant la guerred’indépendance ?» «Les chiffres officiels diffèrentévidemment, répondis-je, pour nous un million etdemi, pour vous cinq ou six cent mille. Si la véritéétait seulement entre les deux, cela ferait quandmême un Algérien sur neuf… c’est comme si laFrance avait perdu sept à huit millions de ses

habitants en sept ans. » Il a hoché doucement latête, s’est tu pendant une trentaine de secondespuis tendant sa main vers Roland Dumas, il medit : «Vous voyez la personne qui est à côté devous, son père a été exécuté par les Allemands.Aujourd’hui, il est en train de travailler à l’amitiéfranco-allemande.»

De mon côté, je lui livrais mon expérience desrelations algéro-françaises, sans précautionprotocolaire particulière et souvent à contre-courant des clichés dominants en France. Si onpeut charger également les classes politiquesdes deux côtés sur l’absence de vision, c’est enAlgérie que l’opinion publique a été la plus mâturedès l’indépendance. Comme s’il avait lagéopolitique dans la tête, le peuple algérien estpour des relations importantes avec l’Europe,notre voisin, notamment la France. Il a toujoursséparé la problématique des méfaits de lacolonisation passée de celle des intérêts objectifsprésents et futurs. Déjà en pleine périodecoloniale, les Algériens, qui ont le plus souffert etceux qui ont les premiers combattu lecolonialisme, ont été les premiers à faire ledistinguo entre le peuple français et le systèmecolonial d’État. Mon intime conviction est quel’attachement à la préservation de la mémoireest, dans l’esprit et dans le cœur des Algériens,totalement exempt d’un quelconque sentiment derevanche ou d’une volonté de culpabilisationd’humiliation en bloc d’un peuple, ni dans le fondni dans la forme. Les Algériens, les plus attachésà une relation exemplaire avec la France, saventbien à juste titre qu’une telle relation repose surune reconnaissance solennelle objective que lacolonisation de l’Algérie est passée par desentreprises de pillage et de massacressystématiques de la part d’un systèmecolonisateur d’État.

Les successeurs de Charles de Gaulle ontentretenu un contentieux psychologiquepersonnel avec l’Algérie, le cas le plus évidentétant celui de Valéry Giscard D’estaing.

Les cadres du PS, à commencer par ceux quisont venus à la politique par la voie du soutien àl’indépendance, demeurent, eux aussi, frappéspar un syndrome d’un autre genre, celui d’uneAlgérie indépendante qui avait le tort de ne pasressembler assez à celle de fantasmespaternalistes refoulés à ce jour.

«Il faudrait pour le bonheur des Etats que les philosophes fussent Rois et que les Rois fussent philosophes» Platon in La République

Histoire des nationalisations, politiquep�troli�re et bonne gouvernance

«Le président Mitterrand donnait l’impression de revisiter sans cesse sonancienne relation avec l’Algérie coloniale qu’il semblait vivre plutôt mal avec letemps.»

Sid-Ahmed Ghouzali en compagnie de Zaki Yamani.

Entretien réalisé par Mohamed Chafik Mesbah

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SID-AHMED GHOZALI AU SOIR DÕALG�RIE

13e partie

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Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Mardi 18 mars 2008 - PAGE 8

Page 26: « Histoire des nationalisations, politiqq que pétrolière

Vous aimez à citer, à cet égard, l’exempledésintéressé du professeur AndréMandouze…

Oui, car il ne cessait de répéter à ceux quirêvaient : «Tu ne convoiteras point la révolutiondes autres.» C’était un intellectuel français horsnormes, fondateur du journal le Témoignagechrétien, il fut aussi un Algérien de cœur et decombat. Il a incarné l’intellectuel chrétien impliquédans tous les combats en faveur des causesjustes. Jeune agrégé de latin et résistant français,puis professeur à la faculté d’Alger à la fin del’occupation nazie en France, il a soutenuactivement le mouvement national et la cause del’indépendance algérienne au péril de sa vie. Il aessuyé sans jamais faillir les menaces etagressions incessantes de la part des fascistesd’Alger, la persécution exercée à son encontre parl’administration d’un pays pourtant censé «ne pasemprisonner Voltaire».

C’est au cours de son séjour à la prison deFresnes qu’André Mandouze, qui était à l’époquepour les jeunes de ma génération une figureemblématique des luttes en faveur des libertés,tissa les premiers liens personnels avec d’autrescodétenus algériens, notamment cinq chefshistoriques de la Révolution : Boudiaf, Ben Bella,Khider, Bitat et Aït Ahmed. Il a été le premierdirecteur de l’Enseignement supérieur de l’Algérieindépendante et a quitté l’Algérie en 1965. Il yrevint en 1992 revoir Mohamed Boudiaf. Il apartagé avec nous le retour de ce dernier avec lamême ferveur que la nôtre. Sa passion pourl’Algérie était restée intacte, parce qu’il l’a vécuepleinement, lucidement, en pleine conformité avecle principe qu’il a superbement énoncé : «Tu neconvoiteras point la révolution d’autrui.» Il n’amanqué à aucun moment au peuple algérien, carson cœur battait à l’unisson du nôtre, auxmoments de tous les dangers comme à la lueurdes grands espoirs. Son désir le plus ardent étaitque «les Algériens se réapproprient saintAugustin» dont il fut un grand spécialiste. Il n’avaitcessé de marteler cette invite devant l’auditoireque j’avais réuni pour l’écouter au Palais de laculture. L’observation préliminaire à son exposéétait : «L’œuvre de saint Augustin s’évalue à 250tomes : il était excessif… comme tous lesAlgériens. » En vérité, durant plus de cinquanteans de sa vie, c'est-à-dire jusqu’à ses derniersjours, André Mandouze n’a jamais quitté l’Algérieni dans sa tête ni dans son cœur.

Le jour viendra-t-il où nos programmesscolaires et universitaires incluront l’enseignementde la vie, de l’œuvre et des actions de cet hommequi fait partie intégrante de notre histoire ? Dieu,qui comme l’affirmait péremptoirement AlbertEinstein «ne décide pas à coups de dés», a dûsans doute vouloir combler André Mandouze enchoisissant de le rappeler à lui en mai 2006 àPorto Vecchio, c'est-à-dire au milieu de laMéditerranée, à mi-chemin entre Marseille etAnnaba.

Finalement, François Mitterrand s’est-ildélié, à la fin de sa vie, de son rapportconflictuel à l’Algérie ?

Pour l’avoir approché à des moments où ilfaisait sa mutation dans maints secteurs,politiques et spirituels, je crois, pour ma part, queFrançois Mitterrand a profondément évolué avecle temps. Cela n’est pas l’avis de ClaudeCheysson qui est allé jusqu’à déclarer à LCI, lejour de la disparition de François Mitterrand, que«l’indépendance de l’Algérie lui est restée dans legosier». Je pense que Claude Cheysson, dont nulne peut dénier la sincérité et l’amitié enversl’Algérie, parlait du dernier François Mitterrand quiest demeuré dans sa mémoire, celui de 1985 datede son départ du Quai d’Orsay pour Bruxelles.

Durant la période 1989-1994, j’ai enregistréplusieurs des gestes et démarches de la personneet du chef d’État qui témoignaient d’une évidenteévacuation de relents passés. Il a fait beaucouppour être aux côtés de l’Algérie en difficultéfinancière. Il s’est investi personnellement etfortement dans ce domaine. Notamment en juin1991, quand j’avais demandé à la Communautéeuropéenne de l’époque un prêt d’aide à labalance des paiements d’un milliard de dollarsaméricains. Bien que l’Algérie ne fût passtatutairement éligible à ce type d’intervention – leseul précédent était un prêt similaire accordé à unÉtat européen, la Hongrie —, le Conseil des chefsd’État et de gouvernement de la CE répondit dansdes délais exceptionnellement rapides dequelques mois, grâce à la forte implication deFrançois Mitterrand, relayé amicalement et aussifortement par Jacques Delors, président de laCommission européenne, et Pierre Beregovoy,ministre de l’Économie. Sur le plan personnel, jevoudrais souligner combien François Mitterrands’est montré fraternel à mon égard. J’ai reçu lanotification de ma révocation de l’ambassade un12 novembre. Le 20 novembre j’ai trouvé dans legarage de la résidence les valises de monsuccesseur. Le HCE m’avait donné un préavis dehuit jours pour que je n’aie même pas la possibilitéde demander à faire mes adieux aux autorités

françaises. La goujaterie n’a pas échappé auprésident français, qui m’a fait appeler par Vedrinequi me dit : «Le président tient à vous recevoirpour la visite d’adieux. » Pour me marquer uneamitié et un respect à un moment où mes propresmandants s’appliquaient à m’humilier, le présidentfrançais est passé outre les exigences de sonprotocole d’État. C’était cela aussi l’homme d’ÉtatFrançois Mitterrand.

Pouvez-vous évoquer le rôle, aussi minimefût-il, de l’Algérie lors de la crise du Golfe ?

La période de la crise du Golfe a été la plusfrustrante de ma vie publique, la plus dure. Je l’aivécue de manière plus éprouvante même quemon passage à la tête du gouvernement, passagedont les conditions ne sont pourtant pas réputéesavoir été faciles. Mes déplacements à Baghdadétaient pour tenter de convaincre SaddamHussein de retirer ses troupes du Koweït, del’alerter sur les conséquences incalculables, pourlui et pour nous tous, d’un prolongement indéfinide l’occupation. Nous nous connaissions déjàdepuis 1974, ce qui m’autorisait à lui parler sansrestriction particulière.

Ses interventions me donnaient l’impressiond’un entretien surréaliste. Je lui disais : «Monsieurle Président, il n’est pas besoin d’expertisemilitaire pour savoir que vous allez avoir affaire àun pays, qui, à la veille d’entrer en guerre en 1942contre l’Allemagne et le Japon, s’est mis àfabriquer des milliers et des milliers d’avionsmilitaires par an, pendant que le pays de Stalinede son côté fabriquait cent quarante mille charspar an. Or, tout à l’heure en débarquant àl’aéroport de Baghdad, j’ai noté dix aéronefs enstationnement, dont on m’a dit qu’ils étaient enpanne par manque de pièces de rechange…»«En cas de guerre, ce sera l’ordinateur américaincontre l’ordinateur irakien et l’Irak sera détruit enmoins de temps qu’il ne faut pour le dire. » Je tiensde Tarek Aziz la narration de la promesse que fitJames Baker à la délégation irakienne, lors de larencontre de la dernière chance début décembre1990 à Genève : «Nous vous remettrons à l’âgede pierre. » Je n’ai jamais relâché nos efforts envue d’éviter l’intervention militaire : du début del’invasion jusque et y compris la dernière tentativede paix effectuée par le président ChadliBendjedid. Je l’avais alors accompagné dans unegrande tournée de sensibilisation aux principalescapitales du Moyen-Orient et de l’Europeoccidentale, en décembre 1990, c'est-à-direjusqu’à la veille de la guerre. Et ce, malgrél’agacement, voire l’hostilité que nous valaient cesefforts de la part de toutes les parties :l’Administration américaine était rivée à bloc danssa logique de guerre et prête à tout pour dissuadertoute action susceptible de favoriser une décisionde retrait des troupes irakiennes du Koweït,éventualité que les stratèges américainsdésignaient, c’était connu, comme étant le«scénario cauchemar» dans le sens où un telretrait leur ôtait l’alibi de base à l’intervention deleurs troupes ; les alliés arabes de l’Administrationaméricaine, à leur tête les gouvernants du Koweït,souvent rencontrés au Caire, à New York ou àAlger, avaient été satisfaits quand nous avionscondamné l’invasion, ensuite ils se montrèrentdéçus quand nous n’avions pas voté en faveur durecours aux soldats étrangers et enfin ils necachèrent pas leur irritation quand nouspoursuivions nos efforts pour un départ desIrakiens de leur pays ! Ne pensant qu’à endécoudre avec leur envahisseur et lui faire payerle prix élevé, mon collègue et mes amiskoweïtiens me disaient : «De quoi te mêles-tu àvouloir convaincre Saddam de se retirer ? Laisse-le ! Mais laisses-le donc ! Dût-il transformer leKoweït en un tas de cendres ! » A Alger, dans unclimat de véritable hystérie collective, toutescouches sociales et politiques confondues, lapresse, l’opinion algérienne y compris toutel’intelligentsia, toutes les sensibilités politiques etparmi elles ceux que l’on croit les plus averties,tous étaient dans un état second, aveuglémentacquis à la folle idée de «l’Irak quatrièmepuissance militaire du monde» et dénonçaientdurement le fait que nous ne soutenions pasinconditionnellement Saddam Hussein «pour unefois que nous avons un pays arabe en mesured’infliger une correction aux Etas-Unis, criaient-ilstous»! Il a fallu six heures de débats à huis closdans l’hémicycle de l’APN, pour que je décrive àdes députés médusés l’envers de la médaille.

Rencontré à New York en septembre 1990,James Baker, secrétaire d’Etat américain, tentaiten vain de nous rallier à la «coalition militaire» —nous nous étions abstenus lors du sommet arabedu Caire qui lui avait donné sa bénédiction — Ils’exclamait à l’exposé de notre position : «Qu’est-ce que c’est donc cette position qui mécontentetout le monde, qui mécontente les gouvernementsaméricain, français, irakien, koweïtien, l’opinionalgérienne comme toutes les opinions arabes ?»«Ça s’appelle une position indépendante,Monsieur le Ministre», me contentai-je derépliquer. Ainsi s’est terminé ce qui allait être notredernier entretien jusqu’à une année plus tard.

J’ai vécu les cinq mois précédant la guerretourmenté par la perspective de la destruction del’Irak et les souffrances qui allaient en résulterpour le peuple irakien. Ce matin du 15 janvier1991 qui a suivi le début de la guerre, le présidenta tenu un Conseil des ministres extraordinaire,j’ai commencé mon exposé la voix étranglée.

Mon passage au ministère des Affairesétrangères autant que ma mission de chef degouvernement m’ont beaucoup édifié tant sur laréalité du régime irakien que sur celle du régimeiranien. Alors que je le recevais officiellement àAlger, mon vis-à-vis de l’époque aux Affairesétrangères Ali Velayati, au cours d’un tête-à-têtequ’il avait expressément demandé, a exprimésans l’ombre d’une gêne son souhait que legouvernement algérien autorise l’envoi depropagandistes iraniens dans nos mosquées,selon ses propres termes pour «mettre lesIraniens sur un pied d’égalité avec les salafistessaoudiens». Manière polie de le remettre à saplace, je m’étonnai de l’entendre vouloirtransformer, avec notre bénédiction en prime,l’Algérie en un champ de bataille entre la shi’a etla salafia. C’est pour dire combien les faitspassés ont forgé ma conviction quel’instrumentalisation de l’islam et de la shi’a par lerégime des mollahs n’est pas la manifestationinnocente d’un acte de prosélytismedésintéressé, mais entre bel et bien dans le cadred’une stratégie hégémonique qui va bien au-delàdu voisinage asiatique de l’Iran et s’étend surtoute notre région à commencer par notre pays.Voilà un régime que l’Algérie a été l’un des raresà soutenir de la manière la plus désintéressée, etce, dès l’instauration de la république islamique.C’est grâce à une médiation menée par de hautsresponsables algériens au nom de l’Algérie,médiation dont les chevilles ouvrières ont étéMohamed Seddik Benyahia et Mohamed SeghirMostefaï, gouverneur de la Banque d’Algérie surles plans politique et économique, relayés sur leplan diplomatique à Washington par RédhaMalek alors notre ambassadeur aux Etats-Unis,que fut débloqué le contentieux irano-américainde l’époque, et ce, à la grande satisfaction et desEtats-Unis et de l’Iran.

Vous semblez avoir conservé bien del’amertume de cet épisode particulier de votreparcours personnel...

Je m’étais déjà familiarisé avec l’idée que lesÉtats sont des «monstres froids», mais il est vraiqu’à travers ce que j’ai vécu durant la périodeparticulière de ma vie diplomatique, j’ai mesuréencore davantage combien le cynisme des Étatspouvait être sans limite, en particulier quand yrègnent des régimes qui mettent l’homme trèsloin du cœur de leurs préoccupations. Nousavons payé le prix fort notre initiative pour uneautre médiation en faveur de l’arrêt des hostilitésirano-irakiennes, la seule initiative d’entre toutesles autres qui fût exempte de toute arrière-pensée politique ou mercantile : quatorze de nosdirigeants et cadres supérieurs, dont le mêmeMohamed Seddik Benyahia, ministre des Affairesétrangères et membre du Bureau politique duFLN, y ont laissé leur vie, dans le tragique crashd’un avion du gouvernement algérien abattu parun missile dans l’espace aérien irako-persique. Aceux qui ont abattu notre avion en ce mois de mai1982, nous n’avons demandé ni réparation, niindemnisation des familles des victimes, ni mêmel’expression d’excuses officielles. C’est par sonattachement à défendre partout dans le mondeles droits, la dignité et l’intégrité de ses citoyens,qu’un pays impose aux autres de le respecter.Que peut être le sentiment à notre égard d’unrégime dont les missiles ont abattu un aviongouvernemental avec à bord 14 de nos cadresdirigeants, quand il voit notre silence devantl’offense qu’il nous a faite ? Comment le régimeiranien nous a-t-il payés de retour pour nossacrifices totalement désintéressés ? Six annéesplus tard il soutenait idéologiquement etfinancièrement l’irruption de la violenceextrémiste chez nous. C’est pour cela que lesrelations diplomatiques furent rompues àl’initiative de l’Algérie, alors que j’étais chef dugouvernement sous la présidence de MohamedBoudiaf. La problématique iranienne aujourd’huiest enfermée dans une alternative d’extrêmes,c'est-à-dire soit en termes guerriers soit entermes de complaisance avec le régime en place.La guerre à l’Iran ? Mais on a quotidiennementsous les yeux les désastreuses retombées del’expédition américaine de 2003 en Irak !«L’apeasement» ? (comprenez la complaisancepar la négociation avec le régime iranien). LesFrançais et les Anglais en 1938 n’ont rien faitd’autre à Munich que de l’«apeasement» ! Lasignature des Accords de Munich qui entérinaientle fait accompli de l’Anschluss en Autriche (mars1938) et le rattachement à l’Allemagne deterritoires sudètes en Tchécoslovaquie, Munichn’a pas empêché moins d’un an plus tard…l’invasion de la Pologne puis la Seconde Guerremondiale. Ni la guerre ni la complaisance n’yferont rien. Qu’on laisse tout simplement le

peuple iranien prendre son destin en main.D’autant plus qu’à la différence du cas irakien, ilexiste une opposition nationale qui a quarante-deux ans d’âge puisqu’elle s’est fondée enopposition au régime du Shah, dans le sillagespirituel de Mossadegh. Soit dit en passant c’estun mouvement qui est demeuré profondémentmarqué par la lutte de libération algérienne, dontl’histoire a été suivie là-bas avec passion commeun modèle gravé dans les esprits, dans le chefdes anciens comme dans celui des plus jeunes.

Je suppose que l’exercice diplomatiqueque vous évoquez vous a permis, parfois,d’accéder à des moments de plénitude…

Aussi, oui en effet. De mes rapports avec lecouple royal belge, à titre d’exemple, il m’estresté déjà cette impression de douceur etd’humilité que dégageait la personne de feu leRoi Baudoin, un homme de paix. C’est lui quim’avait confié, alors qu’il me recevait au Palaisroyal du temps de ma mission à Bruxelles, qu’ilavait tout arrangé pour une rencontre qui devaitse tenir entre Houari Boumediene et Hassan II àl’automne 1978. La disparition du premier luilaissa un grand regret. Sachant que les deuxhommes n’étaient pas du genre à se déplacerdans une capitale européenne pour le seul désirde prendre un thé ensemble, depuis l’informationque m’avait confiée feu Baudoin je me suis sentiautorisé à croire que déjà en 1978 nous étionspassés tout près d’une imminente normalisationdes rapports algéro-marocains. Le roi des Belgesétait un érudit qui montrait une soif assidue deconnaissance de notre culture et de notre religionet un homme simple. Je le vois encore courantavec une joie d’enfant, pieds nus sur une crête dedune du Tassili des Ajjers où il était avec sonépouse Fabiola l’invité de Chadli Bendjedid.L’évocation des rapports algéro-marocains meconduit à noter que c’est avec Hassan II que lesoccasions de rencontre ont été les plusfréquentes, il est facile de comprendre pourquoi :outre la volonté de rapprochement avec le Maroc,qui était celle de Chadli Bendjedid et que jepartageais entièrement, il y avait la dynamiquemaghrébine dont j’ai parlé, ainsi que lamultiplication des crises au Moyen-Orient et oùnos deux pays se trouvaient très investis. Lecourant passait très bien entre lui et moi, passeulement parce que je n’ai jamais perçu lesMarocains et les Tunisiens que comme faisantpartie du même peuple que les Algériens. J’avaisavec lui des conversations qui allaient au-delà duseul objet officiel de nos rencontres. Ilm’entretenait volontiers de ce qu’il faisait,projetait ou rêvait pour le Maroc dans diversdomaines. J’ai conservé de lui l’image d’unesynthèse réussie entre la tradition et lamodernité. Ses achèvements doivent beaucoup,non seulement à un attachement viscéral à sanation mais aussi à la stabilité qu’il a supréserver. L’œuvre en Tunisie de feu HabibBourguiba, qu’il m’a été donné de rencontrerplusieurs fois en ma qualité de président deSonatrach, à l’instar de celle de Hassan II auMaroc et de celle de Houari Boumediene enAlgérie, illustrent dans mon esprit l’étroiteinteraction entre le niveau de légitimité politiqued’un chef, son obsession des intérêts nationauxet le sentiment qu’il donne à son peuple de sevouer à ses préoccupations.

J’ai eu le privilège de recevoir NelsonMandela en Algérie et de le rencontrer trois foisencore, alors que je représentais le président àdes rencontres de l’OUA, ce qui m’a valu desentretiens prolongés avec lui inoubliables. Ledernier eut lieu tout un après-midi d’un 4 juin1991, dans un avion du gouvernement algérienentre Abuja et Alger où je le laissai à l’aéroportpour qu’il continue son chemin vers Paris. C’étaitun entretien que je ne peux oublier,essentiellement en raison de sa densité et de salongueur permise par le vol Abuja-Alger etsubsidiairement parce qu’il coïncidait avec monrappel en urgence par le président. (Je sus enarrivant que ce fût pour me pressentir pour laconstitution du gouvernement).

A la fin de sa captivité, un moment où tous lesgrands de ce monde se le disputaient, c’est lui quiavait demandé à l’Algérie de le recevoir pour qu’illui exprime sa reconnaissance. Il n’a cessé declamer durant sa visite : «C’est l’ALN qui m’aformé. » Et de réclamer, en sus des nouvelles deBen Bella, celles des personnes qu’il avaitconnues au sein de l’ALN et du GPRA et dont ilavait gardé les noms en mémoire après 26 ansde captivité, à savoir le «docteur Mostefaï»(Chawki) et «Djamel» (Belkacem Cherif).

Qui aurait pu croire un an avant sa libérationque le problème de l’apartheid allait trouver unesolution ? On ne réalisait peut-être pas à sa justemesure la dimension universelle de NelsonMandela. Si la question d’un gouvernementmondial avait été envisageable, voilà un hommequi aurait été l’homme de la situation.

M. C. M.(A suivre)

Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Mardi 18 mars 2008 - PAGE 9

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Page 27: « Histoire des nationalisations, politiqq que pétrolière

Mohamed Chafik Mesbah : Il n’ypas si longtemps, une fracturetransatlantique était évoquée pourfaire état d’intérêts stratégiquesantagoniques entre les Etats-Unis,d’une part, et, d’autre part, l’Unioneuropéenne, la Franceparticulièrement. Cette fracturetransatlantique, à supposer qu’elleexiste, présente-t-elle uneopportunité à exploiter pour ladiplomatie algérienne ?

Sid Ahmed Ghozali : La questionrelève d’un sujet qui n’est pas nouveau,celui du leadership mondial, un sujet quiconcerne tous les hommes de laplanète, qui pose problème à tous, maisqui suscite des débats qui sont denature et de niveaux différents, selonque l’on se situe à l’intérieur deschamps nationaux, sur la scèneinternationale ou à l’intérieur du petitcercle des puissances qui ont lacapacité économique et militaire, soitpour peser sur le leadership, soit pourl’exercer, tout ou en partie. A l’intérieurdes Etats-Unis, les écoles de penséepartagent la conviction que, si les Etats-Unis sont les plus forts, cela est dû àleur mode de vie dont ils ressentent lasupériorité au point de l’élever au rangd’un modèle à suivre par tous lesautres : transposer leur mode de viedans le monde est donc le moyen de lepréserver, tout en rendant service àl’humanité et en même temps enconfortant la suprématie globale quijustifie et légitime le leadership mondialaméricain.

Des nuances entre écoless’expriment quant à la manière dont celeadership devrait s’exercer. Les unssont pour une certaine«démocratisation» du leadership àtravers l’association aux décisions desprincipales forces de la planète aptes àl’exercice du pouvoir mondial avec unedose de concertation multilatérale unpeu plus que symbolique au sein desNations unies notamment. Les autressont les tenants de la voie autoritaire, duleadership solitaire, celle qui place lesintérêts des Etats-Unis au-dessus detout et par tous les moyens, celle quiconsiste à dire à la limite qu’il ne sert àrien d’avoir la suprématie militaire si onne l’utilise pas. Ce sont les tenants de lavoie impériale qui ont prévalu à la fin dela guerre froide, à l’arrivée de Bush pèreau pouvoir. Rappelez-vous que le chefde l’Administration américaine aulendemain de l’invasion du Koweït,c’était quelque neuf mois après la chutedu mur de Berlin, a axé son discours surun seul point : «Il n’y a pas de substitutau leadership américain. » Dès la fin dela guerre dans sa première interventionde fin février 1991 déclarant la victoiredes armées américaines, il a ouvert sondiscours par cette proclamationsolennelle : «Aujourd’hui les Etats-Unissont le seul leader dans le monde.»

L’Europe dans sa configuration issuedu partage de Yalta en 1945 s’est

trouvée dans sa partie orientale dans lazone d’influence, pour ne pas dire sousla coupe de l’Union soviétique. La partieoccidentale était, elle, dans la zoned’influence des Etats-Unis, partagéeentre l’école atlantiste qui s’en remettaitau leadership américain et l’école«européenne» qui n’avait pas renoncé àson aspiration à faire jouer à l’Europe unrôle autonome dans les affairesmondiales, d’égal à égal, dans le cadrede l’alliance stratégique avec les Etats-Unis. De Gaulle a incarné cette école depensée, qui est sorti de l’OTAN militaireet a doté la France de sa propre forcede frappe nucléaire. Le processus del’unification de l’Europe et la chute dumur de Berlin ont conforté l’écoleeuropéenne dans un premier temps ;l’élargissement précipité de l’UE,notamment aux pays de l’Europeorientale, a conforté l’école atlantiste.Ces deux faits majeurs n’ont pas crééau sens propre un antagonismenouveau. Ils ont plus mis à jour, lesguerres du Golfe aidant, uneproblématique déjà ancienne, celle duleadership mondial.

Mon point de vue est que la sécuritéde la planète, sa stabilité et saprospérité ont besoin d’un leadershipmondial. Et c’est ce vers quoi onconvergera nécessairement. Mais tantqu’il sera concentré dans une seulemain, il sera le contraire de ce quijustifie sa raison d’être : il sera unfacteur de désordre et d’instabilité. Quin’est pas pour moi est contre moi», c’estpar ces propos que le chef del’Administration américaine s’estadressé à tous les autres pays de laplanète avant de lancer l’invasion del’Irak, contre les avis majoritaires del’opinion mondiale et celui de beaucoupde pays amis et même alliés des États-Unis d’Amérique.

Tout le monde reconnaît aujourd’hui,y compris aux Etats-Unis, à travers lessuites désastreuses de l’aventureirakienne, ses conséquences locales etles menaces que représentent lesdéveloppements irakiens, nonseulement pour la région environnante,mais aussi pour une grande partie dumonde, y compris l’Europe et les Etats-Unis.

Cela pour noter que nous restonsconcernés, tributaires ou exposés dessuites de décisions prises en dehors denous, sans notre avis et souvent contrenotre volonté. Que nous ayons aimé ouexécré l’intervention américaine en Irak,nous ne pouvons pas croire que celapuisse se solder par un désastre totalpour les Etats-Unis sans que nous ensouffrions nous-mêmes, certainementplus que ceux qui ont décidé sans nous.Les Européens qui ont refusé demarcher dans l’aventure vont-ils aiderles Etats-Unis, leur allié, à tirer la leçonet corriger leur politique dans l’affaireiranienne par exemple, au lieu decontinuer à leur emboîter le pas commeils l’ont fait jusqu’à présent dans un va-et-vient entre le cynisme le bellicisme ?Les aider à comprendre qu’il n’y a

aucune chance que les chosesretournent à l’apaisement en Irak ouailleurs par la voie de la compositionillusoire ou les encourager à lacomplaisance cynique avec les régimesqui oppriment les peuples ?

Pour en revenir à l’échelle mondiale,la problématique est que depuis lachute de Berlin, c'est-à-dire depuis la finde l’état vicieux de l’équilibre par laterreur qui s’était établi au lendemain dela Seconde Guerre mondiale, il n’existepas encore d’ensemble national ouinternational suffisamment puissantpour faire contrepoids à l’hyper-puissance, pour assurer un équilibrevertueux dans le gouvernement dumonde. L’Europe est encore enformation, malgré des achèvementsconsidérables en économie...

Qu’en est-il de la rivalité ancienneentre blocs de l’Est et de l’Ouest ?Est-ce là un axe de déploiementtoujours actuel pour la diplomatiealgérienne ?

C’est un passé révolu. Du temps duleadership bipolaire, la plupart des paysdu Tiers-Monde avaient bien vu queleurs préoccupations et leurs intérêtsn’étaient pas au centre de laconfrontation idéologique des deuxblocs. Ils choisirent la voie de laneutralité politique d’obédience sinonidéologique, c’est ce que l’on a appeléle non-alignement. Ils ont contribué àleur manière à la stabilisation de la paixarmée issue de la guerre froide, tout enrenforçant leur pouvoir contractuelrelatif, dans la défense de leurs intérêtsen sachant tirer un certain parti de larivalité entre les deux blocs.

L’Algérie combattante ne s’est pastrompée en adhérant au mouvementd’entrée de jeu. On ne met pas sesœufs dans le même panier, dit l’adagepopulaire : l’Algérie indépendante s’est

aussi employée à fonder l’un des piliersde l’indépendance économique, ladiversification des relations extérieures,notamment commerciales etéconomiques. En ancien départementde la France, elle a hérité d’uncommerce extérieur entièrement orientévers la France, d’une économiepétrolière contrôlée par des sociétés del’État français.

Elle est allée chercher la technologiepartout où elle se développe, des Etats-Unis au Japon en passant par les payseuropéens et l’Union soviétique.

La mise en jeu de la compétition doitêtre un levier du progrès aussi bien surle plan intérieur que dans nos échangesextérieurs.

Quinze ans après l’indépendance laplace de l’ancienne puissance colonialedans nos échanges commerciaux estpassée de 100% à 19%. L’Algérie y agagné et la France aussi puisque grâceà l’augmentation de notre capacitéd’échanges induite par ledéveloppement, le commerce avec laFrance est passé de 500 millions dedollars à plus de 1800 millions dedollars américains. Et pour cause : unebonne affaire à 50% c’est mieux qu’unemauvaise affaire à 100%.

Le monde unipolaire qui s’estinstauré depuis quinze années va seprolonger pendant plusieurs décennies,le temps nécessaire pour que l’Europese mette en mesure d’élever son poidspolitique au niveau de son poidséconomique, qu’ensuite les paysémergents (la Russie, la Chine, l’Inde etle Brésil) parviennent à la massecritique suffisante pour que leleadership mondial devienne plusrassurant, plus apte à garantir la paix etla stabilité dans le monde. Nous devonsdonc compter avec une périodepérilleuse de plusieurs décennies.

«Il faudrait pour le bonheur des Etats que les philosophes fussent Rois et que les Rois fussent philosophes» Platon in La République

Histoire des nationalisations, politiquep�troli�re et bonne gouvernance

«Je voulais sortir le ministère des Affaires étrangères de la prédationextérieure.»

Sid-Ahmed Ghozali, chef du gouvernement, en compagnie de Nelson et Winnie Mandela.

Entretien réalisé par Mohamed Chafik Mesbah

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SID-AHMED GHOZALI AU SOIR DÕALG�RIE

14e partie

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Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Mercredi 19 mars 2008 - PAGE 8

Page 28: « Histoire des nationalisations, politiqq que pétrolière

La contribution de notre pays danscette quête d’un monde plus stablepasse d’abord par une remise en ordresur le plan intérieur, qui aura pour fin denous rendre moins vulnérables dans unenvironnement mondial dangereux.Seul un édifice institutionnel modernisé,qui mette l’intégrité et le bien-être del’individu au cœur de toutes sesfinalités, un édifice indispensable à labonne gouvernance nous permettra defaire de notre pays un refuge agréable àses habitants et respectable aux yeuxde l’étranger. Il n’y a pas de bonnediplomatie sans le préalable de cetteremise en ordre chez nous ; laquellenous conduira tout de suite vers nosvoisins et frères immédiats, à l’ouest,l’est et au sud. Nous avons beaucoupde leçons à tirer des expériencesunionistes qui ont avorté et de celles quiont réussi. L’immense chantier lancé enEurope depuis les années 1950 est àmême de nous éclairer sur ce qui peutêtre fait avec nos voisins et lesembûches à éviter.

Justement notre espace naturel estd’abord méditerranéen et notre voisinimmédiat au nord est l’Europe, àcommencer par les paysméditerranéens de l’Europe qui setrouvent être ceux-là mêmes aveclesquels nous partageons une bonnepartie de notre passé et de notrehistoire. Cela ne nous empêche pas dedévelopper des relations plusdynamiques avec les Etats-Unis, laRussie, la Chine, le Japon. Dans lecadre d’une saine compétitioninternationale.

Après votre passage au ministèrealgérien des Affaires étrangères,considérez-vous avoir été plutôtconquis ou déçu par la qualité ducorps diplomatique algérien ?

Ni l’un ni l’autre, puisque c’est unsecteur dont j’avais fait partie en tantqu’en ambassadeur et avec qui j’avaiseu des relations de travail de plus devingt années. Sur le plan desressources humaines, le ministère desAffaires étrangères n’est pas parti derien à l’indépendance. Il existait déjàdans le GPRA en exil. La diplomatiealgérienne n’a pas seulement préexistéau jour de l’indépendance, elle afonctionné en tant que relais stratégiquede l’action armée sur la scèneinternationale. Le large soutien del’ensemble de la planète à la cause del’indépendance doit, certes, beaucoup àla justesse de cette cause. Encorefallait-il la faire connaître et la défendresur la scène internationale. Le rôle de ladiplomatie algérienne en exil a étérempli avec efficacité et souvent avecbrio. A la différence donc de la plupartdes autres secteurs tels que celui del’énergie qui a été l’objet de notreentretien, le secteur diplomatique étaitdéjà doté à l’indépendance d’un capitalsubstantiel de départ, en ressourceshumaines et en expérience. Ladeuxième génération de nos diplomatesa beaucoup profité de la présence de lapremière génération et de l’expériencedes aînés.

Avec le temps, les mentalités ontforcément évolué. Les ressortspurement militants des vocations desanciens ont reculé devant les attraitsmatériels. L’évolution a été aggravéepar le mode de gestion administrative :le gap entre les salaires d’un mêmediplomate, selon qu’il est en poste àAlger et ou à l’étranger, est tellementdisproportionné que la recherche de la

«sortie» devient obsessionnelle et le«rappel» cauchemardesque. Un ordrede grandeur pour mesurer les enjeux :une affectation de quatre ans àl’étranger peut équivaloir à quelquechose qui va de vingt à quarante ans desalaires à Alger.

Cela se traduit par une désertion defait des directions centrales qui sontcensées être le cerveau du secteur,celui qui fournit le grain à moudre auxpostes à l’étranger. Un doubleaffaiblissement, en nombre et enqualité, qui a pour effet de livrer le chefde poste à lui-même, sans directives, niorientations, ni données de basenécessaires à une représentation quisoit en symbiose permanente avec lavie du pays et ses besoins. Il fautajouter à cela les dérives qui ne sontpas propres au seul ministère desAffaires étrangères, qui consistent ànourrir une sorte de mépris pour lafonction de gestion des moyenshumains et matériels. Cette visionerronée a tendance à considérer lafonction de diplomate comme la seulefonction noble du secteur, et donc ellerelègue au rang de parent pauvre lafonction d’administrateur qui est censéêtre celui-là même qui conçoit et met enœuvre les politiques de recrutement, deformation et de gestion de tous lesmoyens nécessaires à une solideconstitution d’ensemble du corpsdiplomatique et à sa bonne marche.

Le ministère ne pouvant ques’appauvrir avec cet état d’esprit, j’aientrepris de réhabiliter la fonctionmanagériale par une restructuration quia consisté à élever au premier rang,celui de direction générale, la gestiondes ressources humaines etmatérielles. J’ai créé le poste desecrétaire général adjoint qui seconsacre intégralement à lasupervision, pour le compte du ministre,de la marche administrative duministère. Tout en prenant la défense denos diplomates face aux attaquescontenues dans les ragots et autresmanifestations de jalousie, j’ai faitpression sur les diplomates pour qu’ilscessent de se détourner, quitte à faireviolence sur eux-mêmes, de la fonctiond’administration qui est aussi essentielleà la réussite de notre diplomatie que lafonction diplomatique proprement dite.

Je voulais sortir le ministère desAffaires étrangères d’une postureconservatrice d’assiégés, farouchementagrippés à des privilèges matériels sanscesse convoités par les prétendants«étrangers» au ministère. Sortir leministère de la prédation extérieure.

Moins de deux ans après mon départdes Affaires étrangères, on a effacé cequi a été mis en place en matière deréhabilitation de la fonction dediplomate et la fonction managériale,d’informatisation du secteur, de combatcontre l’ostracisme envers lesdiplomates femmes, pour redorer leblason du chef de poste, augmenter laperformance, activer la formation.L’indolence au sommet de la hiérarchieaidant, la bureaucratie sclérosée etclientéliste a vite fait de se réapproprierle pouvoir.

Au poste de ministre des Affairesétrangères, vous releviezdirectement du président Chadli.Quelle était la nature de vos rapportset quel souvenir en conservez-vous ?

Parce que le ministère des Affairesétrangères était sous son autoritédirecte, c’est la Constitution qui le veut,

j’ai été amené à me trouver très souventaux côtés du président, chaque fois qu’ilrecevait des visiteurs étrangers, quandje l’accompagnais à l’extérieur du pays,ou quand il me retenait pour desconversations étendues à des sujetsautres que diplomatiques. Nous noustrouvions, dans son bureau à laprésidence comme dans l’avion lors deslongs périples, à converser de politiqueintérieure ou d’économie. Peut-êtrecherchait-il à travers les questions qu’ilme posait à combler une sorte desolitude morale qui datait de 1988, ou àprocéder à des recoupements avec cequi lui était dit ou ce qui était fait par leparti et le gouvernement. Peut-être mesondait-il sur l’évolution des affaires dupays pour lever des doutes qui seprésentaient à son esprit sur telle outelle question particulière. Il était bien aufait des réserves sérieuses qui étaientles miennes sur l’opacité de l’action dugouvernement. Se doutait-il, qu’àtravers les questions qu’il me posait, ilm’informait indirectement de ce qui luiétait rapporté ou de ce qui était en trainde se faire dans les arcanes et caché àune grande partie du gouvernement ?En dépit de ce qui apparaissait commeune relation de confiance entre nous, jene me suis jamais mépris sur le fait quesa confiance finissait en fin de comptedu côté des dirigeants du parti et dugouvernement, en dépit desapparences de doute que certaines deses questions laissaient supposer.

J’ai toujours été loyal à son égard. Jen’étais pas le seul. Ses deux aidesimmédiats, Larbi Belkheir et NoureddineBen-Kortbi, étaient envers lui d’uneloyauté et d’un dévouement qui sonttrès rares dans nos structures techno-politiques, en plus du fait qu’ils avaientcapitalisé à son service une expérienceavérée dans leurs domaines decompétences respectifs. J’en ai été letémoin quotidien. J’étais toujours surprisde pressentir qu’il ne semblait pasmesurer à sa juste hauteur la chancequ’il avait de les avoir à ses côtés.Depuis 1979 et avec l’expérience, j’aivécu des situations où Chadli Bendjedidn’a pas toujours été très heureux dansle choix de la bonne option chaque foisqu’il a eu à discerner entre ses vraisamis et ses vrais ennemis.

Je n’ai jamais cherché à exploitercette proximité exceptionnelle avec lui,sauf pour lui révéler les donnéespropres à le détromper sur maintesidées reçues ou inculquées qui étaientfaites pour influencer indûment sonjugement ou pour l’abuser. Dans tous

les cas, c’était en réponse à desquestions qu’il me posait et sur dessujets évoqués de sa seule initiative.

Quel type de questions ?Par exemple, on lui fait une

présentation tronquée de la dettesupposée «avoir été léguée par lesannées 1970», sur le rééchelonnement,aussi, jamais il ne lui avait été exposé laproblématique correcte. Sauf du tempsdu gouvernement Kasdi Merbah, maisc’était au temps où il était moins àl’écoute de ce gouvernement qu’à celled’un groupe autoproclamé«réformateur» exfiltré du Plan vers laPrésidence dès 1986.

Sur la prétendue convertibilité dudinar algérien, le chef du gouvernementavait «garanti» en plein Conseil desministres que le dinar algérien allait êtredans les deux trois ans comme ledeutschmark grâce à la loi sur lamonnaie et le crédit. Quand dans unavion qui nous ramenait d’Addis-Abeba,le président cherchait à connaître maréaction, je lui dis ce que je ressentaisde pareilles assertions devant un chefd’Etat et tous les autres ministres : unmanque d’égard. Comme de déclarertoujours en plein conseil : «Nous avonsfait en six mois ce que lesgouvernements précédents n’ont pasfait en quinze ans.» Je ne suis pas sûrque le président ait beaucoup appréciémon sentiment et même qu’il n’ait pasregretté de m’avoir posé la question surce sujet.

Je passe sur les négociationsvoulues secrètes avec le FMI, lestractations cachées avec le FIS baséessur l’idée chimérique que s’il accédaitau pouvoir, il se «casserait la figure ensix mois» à cause de la situationfinancière catastrophique du pays.J’évoque au passage la politique desvisas d’entrée aux journalistesétrangers, dont le ministère des Affairesétrangères avait la charge mais qui étaitsouvent contrariée par le ministre del’Intérieur. Le président m’a donnél’occasion dans nos conversations dem’ouvrir à lui et, cherchant à le mettre àl’aise, je lui avais offert ma démission.La tenue du sommet de l’OUA en juin1990, à Addis-Abeba, puis de l’UMA enjuillet de 1990 ont retardé la prise d’effetde cette démission. La crise du Golfeintervenue quelques jours après fîtpasser de facto au second plan lesavatars de la politique intérieure.

M. C. M.(A suivre)

Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Mercredi 19 mars 2008 - PAGE 9

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Abassi Madani et Ali Benhadj, leaders du FIS «Toutes les situations de malvie (…)favorisent la prospérité d’extrémismes populaires violents».

Page 29: « Histoire des nationalisations, politiqq que pétrolière

Mohamed Chafik Mesbah : A propos duprésident Chadli, comment jugez-vous, aposteriori, sa position vis-à-vis de ce quifut appelé «le programme de réformes». Ilétait véritablement imprégné de cesréformes ou bien a-t-il suivi seulement lavague ?

Sid-Ahmed Ghozali : Je ne peux pasvous dire. Pour avoir été associé à toutes sesrencontres avec les visiteurs étrangers, je l’aientendu plus d’une fois dire à ses hôtes :«Vous ne cessez de répéter que Gorbatchevest le réformateur du siècle. Mais en Algérie,c’est en 1980 que j’ai initié les réformes, dixans avant Gorbatchev !» Mais de quellesréformes parlons-nous au juste ?Franchement, je ne sais pas. Quant à ce quevous appelez le programme de réformes ?Dites-moi quelles sont ces réformes ? Quellessont leurs traces sur notre vie économique,sur nos institutions, sur notre vie politique etculturelle ? Alors je pourrai vous donner desréponses. Rendez-vous compte. Il a étémésusé du concept de réforme comme d’unemachine à produire des anathèmes ou desslogans au service d’une stratégie de prise depouvoir. Tout le monde a oublié les divisionsartificiellement créées au sein du FLN entre«réformateurs» et «conservateurs» entre1988 et 1990 : elles ne procèdent pas,pourtant, d’une génération spontanée. Envérité, aucun système de réforme digne de cenom ne peut faire l’économie de la mesurepréalable qui consiste à traiter la question dela corruption.

Quel rapport entre les réformes et lacorruption ?

La transparence dans la lutte contre lacorruption, voilà la mère des réformes, et jem’explique. Je prends l’exemple de l’affairedite des 26 milliards laquelle s’est déclarée en1990, je vous le rappelle, sous legouvernement prétendu réformateur.L’opinion a immédiatement accepté pour«argent comptant» cette thèse des 26milliards qui se sont immédiatement gravésdans les mémoires comme le «symbole de lacorruption du régime durant la décennie1980». Vingt années plus tard, allez expliquerà une population nouvelle pour laquelle cechiffre, devenu entre-temps le nom d’unboulevard dans la capitale, allez donc, dis-je,expliquer que ce chiffre a été balancé avec laplus extrême des légèretés par celui-là mêmesous la responsabilité duquel la prétenduecorruption qu’il «dénonce» a sévi. Celui qui aurait dû, selon ses propresdéclarations, être l’accusé, estimmédiatement passé de manière subliminaleau statut de justicier et d’accusateur :Abdelhamid Brahimi, inventeur du chiffre de26 milliards et membre du comité central duFLN, ne fut invité par aucune autorité del’époque, ni le chef du gouvernement ni leFLN, à s’expliquer. J’étais ministre desAffaires étrangères et membre éphémère aubureau politique du FLN. J’avais dit : «Dedeux choses l’une, ou ce que dit AbdelhamidBrahimi est faux et il doit répondre devant lajustice d’avoir menti aussi gravement ; ou cequ’il dit est juste et il doit répondre d’avoirlaissé faire car cela s’est passé durant lapériode où il était le patron absolu del’économie.» Suite à mes protestations, moiqui étais pourtant le moins susceptible de mesentir concerné par les prétendues turpitudesdes années 1980 durant lesquelles j’étais entraversée du désert et en tout cas éloigné detout centre de décision, il y a bien eu cettecommission d’enquête symbolique créée à lava-vite par l’APN. Abdelhamid Brahimi y allapour justifier vainement son chiffre et en

profita pour témoigner à charge… contre leprésident. Et là non plus rien. Ni réaction nimesure, ni aucune autre suite. De la mêmemanière quand un ancien chef d’État «prêtait»publiquement au successeur de Boumediène15 milliards de dollars (sic), une seule voixs’était élevée pour protester : la mienne.J’étais alors chef du gouvernement et avais ditma réprobation au cours de l’émission«Mir’at» (miroir) de la Chaîne I. Et c’est ainsique je fis une proposition de loi sur lemensonge en politique, un projet qui futimmédiatement mis sous le boisseau,autrement dit enterré. Pourquoi ai-je réagi ?Parce c’eût été faire acte d’irresponsabilitéque de se taire à l’écoute de ces milliards dedollars qu’on balance sans preuve pour léserl’intégrité des personnes et détériorer en fin decompte et de manière durable la relation entreles citoyens et la chose publique. C’est ce quipeut advenir de pire à une société.

Or, si le président Chadli Bendjedid s’esttrouvé lui-même depuis son deuxième mandatciblé par cette valse des milliards de dollarsque l’on a prêtés à une interminable listed’hommes publics et de cadres dirigeants,c’est bien sous sa propre présidence et dèsson premier mandat qu’elle s’est déclenchéeet amplifiée. Je ne veux pas faire ici unequelconque allusion à la fable de «l’arroseurarrosé», mais plus gravement noter enpremier lieu qu’à force de mettre dans lemême sac les hommes publics, sansdistinction entre le bon grain et l’ivraie, et faireaccroire à l’opinion publique qu’ils sont touscorrompus, on ne ferait pas mieux pourcouvrir la vraie grande corruption. Je veuxsurtout, à travers un énoncé de laproblématique de la corruption, souligner quela mère des réformes, quand réforme il y avraiment, consiste pour les pouvoirs publics,d’abord à s’assurer la participation active etcritique des citoyens à l’œuvre derégénération des énergies créatricesnationales. Cette régénération qui doit être lebut stratégique de toute réforme authentique,n’est possible que par une crédibilisation desinstitutions et des hommes, par unenécessaire réconciliation entre les citoyens etla chose publique en général, entre le citoyenet les pouvoirs publics en particulier. Or, seulle fonctionnement transparent d’un systèmede contrôle par la voie de structures publiquestotalement indépendantes du pouvoir exécutif,de structures reconnues comme telles parl’opinion publique et donc crédibles, seuledonc la pratique permanente de cettetransparence-là est à même de protéger lescadres dirigeants intègres, à la fois contre lacalomnie et le discrédit et contre la tentationde transgresser les règles de l’éthique et de lamorale en matière d’action publique. Tout lereste est littérature ou, comme je l’ai dit etsouligné, instrumentalisation du concept deréformes au profit de desseins politiquespersonnels.

Considérez vous que nul effortsignificatif n’a été engagé dans la voie decette moralisation de la vie publique ?

Je prendrai deux ou trois autres exemplesconcrets. Il a été mis en honneur durant lesdécennies 1970 et 1980 les trois critères«d’intégrité, de compétence etd’engagement» suivis de celui de «l’hommequ’il faut à la place qu’il faut». Faute del’accompagnement institutionnel de cescritères, un accompagnement nécessaire àleur crédibilisation, ils sont demeurés en l’étatde mots d’ordre ou de slogans. Aux Etats-Unis, les nominations par le président à tousles hauts postes de la Fonction publique nesont validées qu’après un «examen depassage» devant une commission ad hoc ducongrès : les candidats préposés à cesnominations répondent ainsi, parfois durant

des semaines, à des questions sur leursconnaissances du domaine de leurs futurescompétences comme sur leur vie privée etleur fortune, en public et sous couverture endirect de la télévision. Le système américainrend ainsi l’opinion et ses représentants élus,témoins directs donc juges indépendammentde l’exécutif de la conformité des nominationsavec les critères en vigueur dans la société etdans l’administration. Aux Etats-Unis, il n’y aaucun tabou en matière de fortune ou derémunération. Sauf dans les milieux mafieuxou du grand banditisme, tout est sur la table.Dans les citations d’hommes publics, dans lesjournaux ou dans les biographies et autres, onva même jusqu’à faire suivresystématiquement le nom et l’âge de lapersonne citée, du montant de larémunération annuelle et, des fois, de safortune. C’est là-bas une pratique établiedepuis des lustres. Toute déclarationmensongère quand elle est un parjure estpunie par la loi par des peines très sévères,qui vont jusqu’à «l’impeachment» c'est-à-dire,dans un régime pourtant présidentiel commecelui des Etats-Unis, à chasser un présidentélu ou tel haut commis élu ou désigné. C’estarrivé avec Richard Nixon. Bill Clinton y aéchappé de peu, non pour avoir eu une légèrerelation avec une stagiaire mais d’avoirmenti… sur la nature de ladite relation.

Un autre exemple, pris en Algérie : une loide la mi-décennie 1990 oblige tout candidataux présidentielles ou à un postegouvernemental, à faire une déclaration depatrimoine mobilier et immobilier. Le seul faitque ce fût conçu comme une déclarationunilatérale, c'est-à-dire non soumise àcontrôle public institutionnel indépendant, aprivé d’emblée cette mesure de toutecrédibilité aux yeux de l’opinion. Si vousajoutez que toutes les déclarations faitesétaient manifestement fausses, cela n’a guèrecontribué qu’à accroître la dérision dont cesmêmes déclarations ont été entourées parl’opinion publique.

Je vais me hasarder à vous poser lamême question que celle relative à KasdiMerbah sur les conditions du départ deMouloud Hamrouche. C’était un départnaturel, allais-je dire, ou provoqué ?

C’est fifty-fifty. J’ignore l’existence d’unelettre de démission de sa part. On m’a dit qu’ila été démissionné. L’évolution des chosesconduit à voir que la réalité est plus subtileque ça. Quand on évoque, en effet, ceux quiétaient derrière la conception du discours du19 septembre 1988 qui mettait les échecs dela décennie 1980 sur le dos du FLN, et ceuxqui ont obtenu le limogeage de Kasdi Merbah,ce sont les mêmes forces informelles desarcanes du pouvoir que l’on évoque. Je

n’exclus donc ni l’hypothèse d’un problème deloyauté quelque part, le long d’une ligne declivage au sein du microcosme civil etmilitaire, ni même celle d’une démission quiaurait été «concertée» aux fins de blanchir lesacrifié d’octobre 1988, le FLN et de leremplacer par un nouveau bouc émissaire.Lequel serait… le gouvernement Ghozali, parexemple ?

Du temps où j’étais aux Affairesétrangères, le chef du gouvernement, à peineinstallé dans ses fonctions, semble avoirsuscité des questionnements dans certainsmilieux de la Défense. J’étais présent auConseil des ministres où il a dénoncé lesservices de la Défense comme étant la sourced’attaques contre son gouvernement pourobtenir aussitôt le départ du responsabledesdits services. C’est un fait unique dans lesinitiatives et les pouvoirs des chefs degouvernement depuis l’amendement de laConstitution de novembre 1988. De surcroît,l’opacité dans les actions économiques etfinancières du chef du gouvernement et dansses initiatives politiques semble avoirpréoccupé le ministre de la Défense au pointde s’en montrer suffisamment alarmé auprèsdu président, puisque c’est une séanced’«explications» qui fut tenue à la présidence,d’un côté les chefs du parti et dugouvernement accompagnés des ministres del’Intérieur et des Finances, et de l’autre côtéde la table, le directeur de cabinet et deuxconseillers du président, ainsi que lesministres de la Défense et des Affairesétrangères. Les questions portèrent sur lasituation financière du pays, sur lespréparatifs des élections communales et surles tractations politiques qui tournaient autourdes futures élections législatives. Aprèsquelques réponses très évasives, donnéesdans une atmosphère d’une grande froideur,la séance tournait court et se soldaitrapidement par une sorte de fin de non-recevoir à la question posée : «Où allons-nous ?».

A ce propos, un conflit apparent vous aopposé à la direction politique du FLN del’époque. S’agit-il d’un différend d’ordredoctrinal, portant sur le mode de gestionde l’islamisme politique, ou bien d’unerivalité fondée sur une ambition depouvoir ?

Une ambition de pouvoir de mon côté oudu côté de mon gouvernement ? Jusqu’à1998, c’est un présupposé et un préjugé. Unerivalité entre quiconque au sein du FLNet moi ? C’est une fable. Un conflit avec leFLN ? C’est une supercherie : j’étais membredu comité central jusqu’à ma démission ducomité central et mon départ dugouvernement en juillet 1992. Si vousconsidérez l’écrasante majorité du FLN, de sadirection politique, de ses députés et autresélus, je n’ai pas eu de conflit avec ce parti, niavant, ni pendant, ni après ma mission.

Des différends avec le FLN ? Non jamais.J’ai démissionné du comité central en mêmetemps que du gouvernement en juillet 1992.Par contre, il y a eu une désinformation activesur une vaste échelle aux initiatives d’unréseau occulte et au profit d’un projet politiquestructuré autour d’une ambition de pouvoir,aux fins de discréditer un chef degouvernement aux mains nues et agissant àvisage découvert.

Mon opposition au FLN ? C’est unecontrevérité, sauf à assimiler indûment à uneopposition au FLN ma désapprobation despratiques du réseau que je n’ai cessé dedénoncer, y compris en mon ancienne qualitéde ministre des Affaires étrangères. Lesarchives de l’APN et des médias audiovisuelsen attestent. «Parler d’une inimitié de ma partvis-à-vis de Mouloud Hamrouche, d’unecompétition ou d’une rivalité mutuelle estabsurde et insensé. C’est une mystification.»

«Il faudrait pour le bonheur des Etats que les philosophes fussent Rois et que les Rois fussent philosophes» Platon in La République

Histoire des nationalisations, politiquep�troli�re et bonne gouvernance

«J’ai entendu plus d’une fois le président Chadli dire à ses hôtes : «Vous necessez de répéter que Gorbatchev est le réformateur du siècle. Mais en Algérie,c’est en 1980 que j’ai initié les réformes, dix ans avant Gorbatchev !»

Mouloud Hamrouche chef duGouvernement réformateur.

«Démissionnaire ou démissionné ?»

Entretien réalisé par Mohamed Chafik Mesbah

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SID-AHMED GHOZALI AU SOIR DÕALG�RIE

15e partie

Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Jeudi 20 mars 2008 - PAGE 6

Page 30: « Histoire des nationalisations, politiqq que pétrolière

De quel réseau parlez-vous ?J’y reviendrai. Je continue, donc, mon

argumentation.Le FLN s’est-il opposé à moi ? La

déclaration publique : «Nous sommesmaintenant dans l’opposition», une premièredans l’histoire du parti du FLN, était unedéclaration personnelle de son auteur etn’exprimait nullement la position majoritaire duFLN. Sinon pourquoi les députés FLN ont-ilsvoté tous les textes présentés par legouvernement durant les six derniers mois dela législature ? Seuls les deux projets de loisur le mensonge en politique et sur le modede scrutin proportionnel proposé de concertavec les partis ont été, le premier enterré, et lesecond, amendé au profit du mode de scrutinmajoritaire.

La direction politique du FLN s’est-elleopposée à moi ? C’est encore une fois unemystification, si vous visez l’écrasantemajorité du bureau politique, du comité central(dont j’étais membre) et des députés del’APN. Ai-je combattu le FLN ou l’unquelconque de sa direction politique ? Nonjamais : les archives de l’APN et médiatiquesaudiovisuelles sont là pour en attester. J’ai, aucontraire, défendu l’honneur du FLN etdénoncé l’injustice qu’on lui avait faite dans lepassé, notamment en octobre 1988, quand ilfut indûment montré comme responsable denos malheurs. En réunion au comité central,j’ai demandé à la direction du FLN «de sedémarquer autant de mon gouvernement quedes gouvernements précédents».

Ai- je combattu ou noirci le bilan ou l’actiondu gouvernement qui a précédé le mien ?Jamais : les archives de l’APN et médiatiquesaudiovisuelles sont là pour prouver ce que jevous dis.

Selon votre question, il y aurait eu unconflit entre deux acteurs institutionnels et unerivalité entre deux ambitions personnelles depouvoir. Or, s’agissant des acteursinstitutionnels, ils étaient visibles et agissaientà ciel ouvert : le gouvernement était tout à sesactivités et sa mission ; la direction politiquedu FLN ainsi que ses élus étaient eux aussi àleurs activités normales. Mais il y avait aussiun troisième acteur, mon prédécesseur augouvernement qui agissait, à l’abri degroupements informels, tissés depuis la mi-décennie 1980 en un réseau aussi informel,autour d’un projet de pouvoir. Nous y voilà,donc, au réseau sur lequel vous vousinterrogiez. Usant de moyens du FLN, de sonnom et de ses structures, ainsi que d’autresressources puisées au sein des médiaspublics et privés ou des services de sécurité,ledit réseau s’est employé à déstabiliser et ouà décrédibiliser quiconque se trouvait hors deson contrôle ou s’aventurait sur son terrain dechasse. Main basse faite sur des moyens depresse, ledit réseau a beau jeu de faire direanonymement ce qu’il veut commeextravagances, contrevérités et clichés qu’ilfabrique et diffuse sous formes d’écrits ou derumeurs. Tout a été colporté sur des mois etrelayé innocemment sur des années,devenant «vérités» communément admisesou idées reçues. D’où notamment lesprésupposés de votre question.

J’ai évoqué cela à visage découvert dansmon discours programme et désigné leréseau comme «forces responsables de lasituation de détresse dans laquelle s’esttrouvé le peuple algérien en 1988-1991» touten précisant que je «ne visais nullement leFLN en tant que tel». Décrypter une situationaussi délibérément brouillée ici et maintenant,on ne peut qu’en dire trop ou pas assez. Jen’ai à blesser personne, ce n’est pas monéthique.

La vérité prévaudra de toute façon avec ousans moi. Si c’est si important, pourquoi nepas confier à des universitaires en sciencespolitiques et sociales d’éplucher les archivesde l’APN et les documents audiovisuels del’époque, les discours et débats au sein del’APN et aux rencontres avec les partis pourdégager la vérité des scories quil’ensevelissent ? J’aurais préféré en rester àmes affirmations contre les leurs, sans plusd’explication. Car j’ai conscience que le seulfait d’accepter de répondre à votre questionme fait rentrer dans un jeu politicien stérile desdeux poids et deux mesures.

Ce n’est pas pour le plaisir que je vouspose ces questions. L’opinion publique adroit à un éclairage provenant d’unesource authentique et responsable sur

cette période de l’histoire nationale…Je m’y prête volontiers sauf que j’aurais

souhaité un débat focalisé sur les idées et lesfaits, pas sur les hommes. Mais, soit vousfaites référence à l’ambition de pouvoir en1991, c’est bien Mouloud Hamrouche et oumoi-même que vous visez, n’est-ce pas ?Alors mettons à plat, là, cette hypothèse desambitions qui brouille tant le reste. Je nenourris aucune prévention de principe enverstoute aspiration de quiconque à accéder à lamagistrature suprême, même s’il ne suffit pas,pour s’en montrer digne, de désirer fortementla haute fonction et par tous les moyens. Bienque je n’aie été habité par aucun complexevis-à-vis de la haute fonction publique, il setrouve, que de mon côté, ce genre deprétention n’a effleuré mon esprit la premièrefois qu’en octobre 1998 après que futannoncée l’anticipation des électionsprésidentielles. Dans une contribution parue le9 janvier 1999 dans les trois quotidiens, ElKhabar, Liberté et El Watan, j’avaisexposé «les idées que j’avancerais etdéfendrais, si toutefois le contexte nationalm’autorisait à concourir à la compétitionnationale et si compétition il y a...»

En 1991, il ne pouvait donc être questionde concurrence entre une ambition quin’existait guère avec une autre ambition quielle était déjà là, courante et activiste.Laissons donc le deuxième volet de votrequestion à ceux qui ont confectionné la fablede la rivalité de personnes instillant dans lesesprits à force de mystifications répétées.Entre le réseau et moi — je le souligne, jamaisentre le FLN en tant que tel et moi-même —,il existait, en effet, des différences majeuresde nature et de contenus de projets ainsiqu’un abîme en matière d’éthique et demorale en politique. J’admets que l’on puisseconsidérer comme un manque d’habiletépolitique de ma part le fait de m’être toujoursdémarqué d’un jeu politicien où j’ai paru mêlé.C’est ainsi que je suis, même si c’est là unedémarche qui n’est pas politiquementrentable. Je considère ce jeu commemensonger et irresponsable, nuisible auxintérêts du pays.

Abdelhamid Mehri parlait à tort, dites-vous, d’un «combat de coqs» pourévoquer vos rapports avec MouloudHamrouche. Ce qui vous opposait à votreprédécesseur à la tête du gouvernement,c’est un combat entre deux projetspolitiques contradictoires ou une simplelutte pour le pouvoir ?

Vous revenez à la charge. Vous ne trouvezpas les discussions sur cette question plutôtbyzantines ? Question projets ? Monprédécesseur au gouvernement et moi-mêmeétions dans des logiques qui étaient denatures incommensurables entre elles, luidans une logique sous-tendue par un projetde carrière personnelle enrobé dans uneposture fumeuse de prétendues réformes, moidans une logique de projet social et de servicepublic exempt de toute préoccupation decarrière. Dans ma contribution du 9 janvier1999, j’évoquais l’hypothèse où il n’y auraitpas compétition et j’indiquais que jecontinuerais l’action publique en «donnant lamain à un grand nombre d’Algériens qui nedemandent qu’à contribuer, de là où ils vivent,en Algérie ou à l’étranger, avec leurs moyenspropres, à la réécriture de l’espoir». Jeconcluais ma contribution en indiquant : «Laprésidence de la République n’était pas leseul endroit ni la seule façon, loin s’en faut, oùon peut servir ce pays.»

J’ai été en désaccord avec les méthodespoliticiennes et immorales du réseau, commeje l’ai dénommé, c’est connu. En supposantque je fusse un «coq» je n’ai jamais pourautant combattu l’autre «coq» d’unequelconque façon : j’ai offert au président dequitter son gouvernement. Rien de plus. Jen’ai entrepris aucune action hostile contre lui,jamais, et encore moins eu recours contre luià des moyens tordus qui ne sont pas de maculture. Le discours programme prononcé à latribune de l’APN, traitait, en 52 pages et 36chapitres, des choix proposés par mongouvernement sur tous les aspects de la viepolitique, économique, sociale et culturelle dupays, comme ne l’a fait aucun gouvernementde la République. Ce programme étaittellement centré sur les vrais problèmesprésents et à venir du pays, que certainsdéputés ont cru devoir m’interpeller : «Vousnous avez dit que vous étiez là pour préparer

en six mois les élections législatives et voilàque vous nous présentez un programmecomme si vous alliez être là pour l’éternité !»Le discours programme appelait à consoliderles acquis, à compléter les actions qui n’ont puêtre réalisées et à corriger et à améliorercelles qui, pour de différentes raisons, n’ontpas obtenu les effets positifs escomptés. Avecpour ambition d’établir la saine tradition quiconsiste à procéder régulièrement àl’établissement de l’évaluation objective de lasituation réelle du pays dans tous les secteurs(…) par des autorités indépendantes dupouvoir

Est-ce là le discours de quelqu’un qui «neregarde que le rétroviseur», qui fait un bilannégatif de ses prédécesseurs comme l’aprétendu le réseau ? Le fait de fournir desindicateurs financiers officielles élémentaires(endettement, réserves de changesproblématiques du FMI et durééchelonnement) aux partis, aux institutionset à l’opinion est jugé insupportable par ceux-là mêmes qui les ont cachées aux députés,aux ministres et même au président de laRépublique. Comment peut-on être à ce pointennemi de la transparence, mère de toutes lesréformes authentiques et prétendre en mêmetemps détenir le monopole des réformes ? Oualors sommes-nous en présence d’uneprétendue réforme qui n’est qu’un habit quel’on arbore comme un chiffon avec lequel onparade avec ostentation ? Ou comme uncache-misère de la pensée politique, à l’abriduquel on s’autorise au passage toutes lesturpitudes ? Vos lecteurs jugeront. Je n’ai paseu l’idée d’être chef de gouvernement ; je n’aiété nullement sollicité dans ce sens, jusqu’àce jour du 4 juin 1991 où le Président mepressentit pour les fonctions de chef degouvernement, dans les conditions que j’airelatées précédemment.

Contrairement à la prétention absurde demon prédécesseur, je n’ai évidemment pascomploté pour être ministre ou chef degouvernement, encore moins pour êtreprésident de la République. Le lendemain duretour de Mohamed Boudiaf en Algérie, lapresse a publié cette déclaration d’un hautdignitaire du régime «C’est le roi Michel… Il ena pour un mois.» Rivalité personnelle ? Luttepour le pouvoir ? Regardez les itinéraires desuns et des autres, vous n’y trouverez sur 25années aucune situation, aucune motivationaucun sens possible à une quelconque idéede rivalité ou d’inimitié personnelles entreMouloud Hamrouche et moi.

Sous la présidence de HouariBoumediène, puis celle de Chadli Bendjedidlorsque j’effectuais ma traversée du désert,nos itinéraires se sont si peu croisés, àproprement parler. Lors de ma mission deministre des Finances durant la deuxièmepériode de la présidence de Chadli Bendjedid,J’y suis venu contraint et forcé, rappelez-vous.Pour cette courte période, je vous ai narré lesseuls soucis que je partageais avec KasdiMerbah et les autres camarades ministres,c'est-à-dire la situation économique et socialedu pays. Mouloud Hamrouche était tout à sonaffaire du moment, à savoir l’élimination deKasdi Merbah, l’obstacle le plus «évident»,pour ne pas dire déclaré, sur son chemin versle destin national. Est-ce à ce moment qu’il acommencé à me voir moi aussi comme unautre obstacle au moins potentiel ? C’est bien

possible. A sa nomination comme successeurde Kasdi Merbah, j’étais déjà partant desFinances, j’ai dit dans quelles circonstances.

Nommé aux Affaires étrangères par leprésident, je me trouvai dans une situation oùj’étais en porte-à-faux, j’ai offert de tirer marévérence. Rien d’autre. Je n’ai mené aucuncombat contre mon prétendu rival. Et bienentendu je n’ai jamais agi contre sa personneen quoi que soit, ni encore moins par l’injure nipar la calomnie, ni par voie de machination. Jen’en ai ni la culture ni l’envie, ni les réseaux. Ilfaut dire les choses telles qu’elles se sontpassées. Last but not least, il se dit «enfant dusystème» avec tout ce que cela impliquecomme avantages et comme inconvénients.Je me définis tout autrement. Je revendiquemon indépendance et mon appartenanceexclusive à l’Algérie. Une situation quej’assume pleinement. Parler d’une inimitié dema part ou d’une compétition ou d’une rivalitémutuelle est absurde et insensé. C’est unemystification.

Je suppose que nous en avons terminéavec cet aspect.

Justement, avec l’ancien secrétairegénéral du FLN, Abdelhamid Mehri, vousavez rencontré de l’hostilité ?

J’ai le plus grand respect pour la personnede Abdelhamid Mehri et n’ai nourri aucuneforme d’inimitié ou de ressentiment à sonencontre. Il est un de mes aînés et unepersonne historique de notre lutte deLibération, respectable et respectée. Auxmoments les plus forts de nos divergences,artificielles pour la plupart, je ne l’ai nullementperçu en adversaire ni ne me suis comportécomme tel à son égard. Je ne lui ai jamaisimputé la responsabilité de mes déboires. Cesdéboires furent le fait, non point du FLN maisd’un groupe qui a usurpé des structures duFLN et une part de ses moyens.

Je n’ai pas perçu Abdelhamid Mehricomme un adversaire encore moins commeun ennemi, ni au moment de mon exclusionen 1980 ni quand j’étais ministre des Affairesétrangères, ni quand j’étais chef dugouvernement. Je l’ai toujours regardécomme un personnage d’une honnêtetémorale et politique impeccable, même quandje juge qu’il a été trompé à mon égard, enplusieurs circonstances : dans sacompréhension de ladite affaire El Paso, dansson acceptation de l’idée de rivalitéd’ambitions personnelles avec MouloudHamrouche («un combat de coqs» disait-il) ;dans les prétendues intentions malignes denoircir la situation qui ont été prêtées auxexposés que j’ai sur la situation financière dupays aux députés en juillet 1991 — lesarchives de l’APN sur les débats lèvent toutdoute au sujet de telles intentions —, dans maprétendue volonté de faire passer lescandidats indépendants au détriment de ceuxdu FLN. En novembre 1991, c’est moi qui aifait la plus grande campagne en faveur duFLN à travers le territoire national. Témoinsceux qui m’ont accompagné dans ma grandetournée de l’époque à travers tout le territoire;notamment Ali Kafi, secrétaire général del’Organisation des moudjahidine, et AbdelazizBouteflika, membre à l’époque comme moi ducomité central du FLN.

J’ai voté dans ma circonscription pour lecandidat FLN, une personne que je neconnaissais ni d’Eve ni d’Adam. Le fait que jene croyais pas aux chances du FLN, unsentiment que connaissait bien AbdelhamidMehri, n’impliquait pas mon inimitié vis-à-visd’un parti auquel j’appartenais encore. Parailleurs, si mon gouvernement s’est vouluindépendant de tous les partis, ce n’était paspar défiance ni ostracisme envers le FLN(j’avais maintenu au gouvernement troismembres de la direction politique du FLN, àtitre personnel), mais pour que legouvernement ne fût pas suspecté par lesautres partis de favoritisme dans lapréparation des élections. Au demeurant, j’aicru comprendre que cela concordait avec lavolonté de Abdelhamid Mehri, premierresponsable du FLN, qui m’avait dit lors demes consultations avec lui au siège de laprésidence de la République, qu’il nesouhaitait pas que le parti fût impliqué dans laformation du gouvernement. Pour les mêmesraisons j’ai en même temps pris l’engagementqu’aucun de mes ministres ne serait candidataux élections législatives.

M. C. M.(A suivre)

Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Jeudi 20 mars 2008 - PAGE 7

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Kasdi Merbah.

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Mohamed Chafik Mesbah : Non,vous avez succédé à MouloudHamrouche à la tête du gouvernement.En votre âme et conscience, quelleévaluation faites-vous de son actiongouvernementale, c’est-à-dire du bilandont vous avez hérité ?

Sid-Ahmed Ghozali : Quel intérêttrouverais-je chez vos lecteurs si je faisaisaujourd’hui un bilan que je m’étais interdithier en ma qualité de Chef degouvernement, quand je déclarais auxdéputés mon souhait de voir s’instaurerdans notre pays une tradition de bilansétablis par des institutions neutres ? Etquel intérêt au regard des préoccupationsréelles du grand public ? Je n’en voisaucun.

Vous avez été désigné Chef dugouvernement dans un contexted’instabilité et d’incertitude grave. Dequelle autonomie avez-vous disposépour choisir vos collaborateurs,notamment les membres dugouvernement, et pour définir votreprogramme d’action ?

Vous parlez fort justement d’uncontexte d’instabilité et d’incertitude.Parlez-vous d’il y a quinze ans ou demaintenant ?

Du contexte de l’époque, bienévidemment…Bien. Sachez alors que la composition de

mon gouvernement, aussi bien que celledu staff, a été le résultat de mon librechoix. Je l’affirme sans souci decomplaisance ou de ménagement de quique ce soit. Je dis tout simplementcomment cela s’est passé. J’ai consultéau préalable mes amis bien sûr, maisaussi le département de la Défense pourceux de mes choix, hommes ou postesspécifiques tels que le ministère del’Intérieur, qui ont une implicationsécuritaire directe ou qui requerraient desinformations sensibles du même ordre. Jen’ai perçu aucune pression ni aucunetendance à m’imposer ni même à mesuggérer tel ou tel choix, tel ou tel nom.Mieux que cela, c’est au contraire moi quisuis allé au-delà de mes strictesattributions en proposant le nom d’unministre à un poste qui relevait, auxtermes de la Constitution, du seul choix duPrésident. Je savais en avançant maproposition que ce nom, qui convenait auPrésident certes, n’était pas vupositivement par les gens de la Défense,en ce sens qu’il avait déjà suscité dans lepassé, dans le cadre du traitement del’affaire libanaise, de sérieuses réservesque j’avais réfutées du temps où j’étaisaux Affaires étrangères. Les responsablesconcernés avaient leurs propres raisonsde ne pas aimer mon choix. Que cesraisons fussent fondées ou non, je suisobligé de reconnaître qu’ils ont faitviolence à leur propre conviction en nes’opposant pas à ma proposition. Il fautrendre à César ce qui est à César. Mêmesi ce n’était pas forcément pour les suivretous, j’ai sollicité les conseils depersonnalités politiques en matière denoms, lors de la première consultationpréalable que j’ai engagée avec chacun

des partis des associations civiles et desmembres éminents de la classe politique,avant la formation de l’équipegouvernementale. Des personnalitéspolitiques nationales, seul le Dr AhmedTaleb El-Ibrahimi avait décliné moninvitation pour des raisons que j’airespectées et qu’il revient donc à lui seulde les dire ou pas. Certains m’ont laissé,avant de me quitter, des listes de trois ouquatre noms. Parmi ceux-là j’ai enmémoire le Dr Saïd Sadi et les regrettésKasdi Merbah et Mahfoudh Nahnah. J’aipuisé dans ces listes quelque trois ouquatre noms qui convenaient à mescritères. Compte tenu du nombre depersonnes que j’ai rencontrées, cetteconsultation a duré trois semaines, untemps que la presse a attribué à tort à desdifficultés à former le gouvernement. Nonje n’ai rencontré aucune difficultéparticulière et j’ai été libre dans mes choixet complètement maître de mon planning.Le programme d’action lui-même ne porteaucune trace d’une influence ou d’unepression quelconque. Je l’ai conçu etrédigé dans une totale liberté. Le discoursd’investiture également : le ministre de laDéfense en a pris connaissance et l’aendossé en même temps que les autresministres.

Cela vous a-t-il indisposé quel’opinion publique ait parlé, à proposde votre gouvernement, du «sultanatde Tlemcen» ?

Quelle opinion publique ? Dites plutôtles contre-vérités dont l’opinion publique aété abreuvée. Procédez, donc, demanière scientifique, vous qui êtespolitologue, à l’analyse chiffrée desorigines régionales des ministres (lieux denaissance) de tous les gouvernements dela République, vous arriverez à laconclusion que mon gouvernement est leplus «équilibré» de tous sur le plannational. Je ne l’ai pas fait exprès. J’ai faitfaire ce calcul, que je juge mesquin, poursaisir pièce à la presse du réseaujustement qui, à la suite d’un député, quiavait crié au régionalisme et parléméchamment du «sultanat de Tlemcen»,publiait sous un pseudonyme de fauxjournaliste un brûlot dans ce sens.Injustice gratuite envers Tlemcen. Pourvisiter les tombes de mes parents, de mesancêtres et des parents et ancêtres de mafemme et de mes enfants, je dois traversertoute l’Algérie entre l’Est et l’Ouest enfaisant des haltes sur mon itinéraire entreles deux extrêmes. La seule manière deprouver le caractère mensonger demesquines accusations de régionalisme,c’était de se résoudre à un mesquin calculde pourcentages… de lieux de naissancede mes ministres. C’est mon ami MokdadSifi, alors mon plus proche compagnon aucabinet, natif lui de Tébessa, qui sesacrifia pour la sale besogne. C’estvérifiable aujourd’hui, mon gouvernement,sur le plan de la composante humaine, aété le plus «national» de tous lesgouvernements de la République.

Lorsque j’étais aux Affaires étrangères,le même réseau avait déblatéré sur mesprétendues pratiques régionalistes,jusqu’à la qualification déplacée desOranais pour la circonstance de«Houariate». Je fus, d’ailleurs, interpellé

sur ce point par un député. Là aussi,vérification faite, 80% du staff du ministreet les trois quarts des ambassadeursétaient natifs de la moitié est du pays ! Enmême temps que ce député, je medécouvris donc un régionalisme quipencherait plutôt vers le côté opposé dema région de naissance ! Ce fut l’un desexercices les plus humiliants que j’ai eu àfaire au cours de ma carrière.

Pour revenir à la composition dugouvernement que j’ai dirigé, je voussignale que les trois quarts au moins desministres qui ont accepté d’entrer dansmon gouvernement ou dans mon staffn’avaient aucune envie de devenir ou deredevenir ministres ; mais vraimentaucune envie. Ils sont venus par pur espritde sacrifier à l’intérêt du pays. Ils ont bienmérité de la patrie. Je n’en dirai pas plus.

Vous évoquiez, tantôt avecbeaucoup d’émotion, le regrettéAboubakr Belkaïd qui fut, précisez-vous, un ami plutôt qu’uncollaborateur…

C’est notre collaboration qui a renforcénotre amitié. Parmi mes amis, le regrettéAboubakr Belkaïd a joué un rôle privilégié.Il était à mes yeux un homme de dialogue,de paix et de bonne volonté. C’est pourcette raison d’ailleurs que j’avais tenté dele placer comme ministre délégué auprèsde moi du temps où j’étais aux Affairesétrangères. Le Président avait donné sonaccord de principe, sans hésiter et de trèsbonne grâce, quand immédiatement unecampagne de presse d’une violenceinouïe se déchaîna contre lui et sonépouse. Qu’on l’attaque lui, passe encore,puisque c’est cela aussi la politiquemalheureusement, chez nous commeailleurs. Mais pourquoi son épouse ? Cen’est pas dans nos traditions, d’autantmoins qu’il s’agit d’une femme respectableà tous égards. Je la salue fraternellementde votre tribune.

Devenu Chef du gouvernement, j’aiappelé Aboubakr en raison de l’amour queje lui connaissais pour notre pays, vuaussi ses capacités humaines etpolitiques à servir l’action dugouvernement et compte tenu de l’objectifqui m’était cher de libérer le débat publicet d’ouvrir le dialogue avec les partis et lasociété civile.

Pour ce faire, il n’y avait pas, à maconnaissance, mieux que lui commehomme de la situation. D’où sa nominationen tant que ministre chargé des Relationsavec le Parlement.

A propos, quel commentaire faites-vous, avec le recul, sur cette fameuseconférence des partis que d’aucunsavaient assimilée à une «messefolklorique» ?

Oui, j’avais entendu cette remarque àl’époque, à l’image de celle qui avançaitque j’allais vendre Hassi Messaoud…

Imaginez qu’avant même de m’atteler àformer le gouvernement, j’ai passé deuxsemaines entières à recevoir matin et soir60 délégations de partis, un à un, en plusdes personnalités de la société civile etpolitique, une trentaine. A chaquedélégation, j’ai expliqué ma mission et ceque j’avais l’intention de faire, àcommencer par la révision de la loiélectorale. A chaque délégation j’ai promisque je ne ferais rien sur ce point sans lesconsulter et que ma volonté était plusgénéralement d’instaurer le débat avec lasociété civile et politique. Et j’ai demandéà chacun de me donner les conseils qu’iljugeait utiles pour ma mission. Enconformité avec une volonté qui étaitsincère et en fidélité à mes engagements,une consultation générale de tous lespartis et associations civiles nationales surla nouvelle loi électorale a été organisée etconçue par le seul gouvernement, parl’intermédiaire de Aboubakr Belkaïd, qui ya consacré plusieurs journées entières deson temps, sans aucune interférencequelconque. Nous avons tenu deuxréunions en juillet et août en accord directavec tous les partis sur les dates, lesordres du jour et le règlement intérieur.Voilà pour la première séquence de cettemanifestation. Peut-on croire que tous cesefforts et ce temps d’un chef degouvernement nommé sous le signe del’urgence et dans une situation d’état desiège, avec des caisses vides et desréserves de changes à zéro, étaient pourle plaisir de monter une messefolklorique ?

Pour la deuxième séquence, c’est laresponsabilité des partis qui étaitengagée.

«Il faudrait pour le bonheur des Etats que les philosophes fussent Rois et que les Rois fussent philosophes» Platon in La République

Histoire des nationalisations, politiquep�troli�re et bonne gouvernance

«Parmi mes amis, le regretté Aboubakr Belkaïd a joué un rôleprivilégié. Il était à mes yeux un homme de dialogue, de paixet de bonne volonté.»

Aboubakr Belkaïd (à droite), un collaborateur privilégié.«Un homme de dialogue, de paix et de bonne volonté.»

Entretien réalisé par Mohamed Chafik Mesbah

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SID-AHMED GHOZALI AU SOIR DÕALG�RIE

16e partie

Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Vend. 21 - Sam. 22 mars 2008 - PAGE 8

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Le premier jour, le gouvernement,maître des dispositions matérielles, n’avaitrien prévu comme couverture TV endirect. A partir du deuxième jour de lapremière session, et devant la protestationmajoritaire des participants, l’intégralité detoutes les séances furent diffusées parradio et télévision. A la demande expressedonc et réitérée de la majorité dessoixante partis, non à l’initiative dugouvernement. Cela devrait invalidercertains commentaires qui ont prétenduque le Chef du gouvernement auraitcherché malicieusement à discréditer lespartis en prenant à témoin l’opinionpublique à leurs dépens. Que certainschefs de parti n’aient pas donné uneimage favorable d’eux-mêmes c’estplausible. Mais c’est imputable aux seulspropos ou comportements qu’ils ont eux-mêmes librement affichés. Pourquoi ledialogue a-t-il été suivi avec tant d’intérêten Algérie comme ailleurs et assidûmentdans le monde arabe au plus hautniveau ? En tout cas je sais que j’avaisvoulu inaugurer une pratique qui manquecruellement chez nous, celle du débatpublic. J’avais l’espoir de semer quelquechose pour l’avenir. La suite montrera quela semence n’a pas été renouvelée. Et jele regrette. La consultation s’est soldéepar un accord à l’unanimité moins unevoix, celle du FLN, sur le principe de laproportionnelle intégrale pour lesélections. L’APN a fait échec à cet accorden adoptant deux mois plus tard le scrutinmajoritaire à deux tours.

Vous vous êtes, pourtant,accommodé de ce désaveu de l’APN…Pas exactement. A la suite de ce désaveucinglant de l’APN, j’ai voulu rendre letablier. J’ai fini par céder à la réserve duPrésident conjuguée à celle desresponsables de la Défense, par scrupuledevant le risque de paraître me dérober aucontrat passé avec eux, un contrat quej’avais annoncé le jour de ma nomination :à savoir organiser des élections avant lafin de l’année. Un contrat passé aussiavec les soixante partis. J’ai donc cédé,bien conscient que c’était au détriment demes intérêts politiques strictementpersonnels et aux dépens du crédit dugouvernement. Des chefs de parti, dontcelui du FFS, ne manquèrent pas dedénoncer le vote de l’APN comme un«coup concocté entre le chef dugouvernement et le FLN». Au mêmemoment la presse dite du FLN medésignait comme une «taupe du FIS» ;Hocine Aït Ahmed a déclaré «me retirer saconfiance». Mais tous sont quand mêmeallés aux élections, chacun avec laconviction qu’il y avait quelque chose à ygagner pour lui. Le fait est que je suisresté. Je me suis limité à élever au niveaudu Conseil constitutionnel la seuledisposition relative au vote de la femmeque l’on voulait noyer dans la «procurationpermanente entre conjoints». Un chef departi était venu dans mon bureau arguerque j’étais en train d’interdire, pour le vote,«la procuration, que Dieu autorisait pour lemariage». Je lui répondais que l’actepersonnel de vote était au vote ce que laconsommation du mariage était à l’unionentre conjoints. Et que la loi de Dieu en lamatière ne peut être interprétée quecomme une procuration pour unedemande formelle en mariage, et jamaiscomme une procuration pour consommerle mariage.

Le Conseil constitutionnel m’a donnéraison, c’était une victoire symbolique dudroit de la femme algérienne. Ellen’effaçait pas le camouflet balancé augouvernement et à 60 partis moins 1 sur lemode de scrutin majoritaire qui a jouél’avenir de l’Algérie à la roulette russe. Lesdéputés et leurs mandants s’enapercevront… un lendemain de 27décembre 1991.

Je reviens sur la question. L’idée aprévalu, alors, que vous auriez euaffaire à deux hiérarchies parallèles,d’une part, la Présidence de laRépublique et, d’autre part, lecommandement militaire. Est-ce là unevision correcte de la réalité ?

Vous avez le droit de faire écho à cettemanière de voir. Je dirai que pour moi celas’était passé autrement. Je vousconcéderai néanmoins que tout ce que jevous dis de mes rapports avec lesmilitaires ou avec le Président de laRépublique ne peut être considéré commesignificatif. J’ai tout lieu de croire que moncas est à part. Dans ma vie publique j’aiobservé sans exception deux principes :ne jamais solliciter de poste et ne jamaisme dérober devant la responsabilité. Peut-être parce que j’ai connu très jeune lafonction ministérielle et sa petitesse,d’autant que cette fonction est allée en sedévaluant avec le temps ; peut-être parceque j’ai eu la chance de connaître très tôtl’entreprise, je n’ai jamais été en situationde «saliver» devant les dérisoiresprestiges de la haute fonction publique.

En droite ligne de cette conduite, je n’aipas été une seule fois demandeur à êtreChef du gouvernement. Je ne l’ai pasenvisagé auparavant. Je n’ai apprisl’intention du Président de m’y nommerqu’après que l’avion dépêché en urgenceà Abuja m’eût déposé à Alger en feu et enétat de siège, et au moment où jerencontrai au siège de la Présidence ledirecteur de cabinet de la Présidence et leministre de la Défense, c'est-à-dire unedemi-heure avant que le Président ne mecontacte lui-même au téléphone. Mondiscours d’investiture autant que lesdébats avec les députés sont disponiblesaux archives. Ils vous montreront que jen’étais pas dupe quant à la naturesuicidaire de ma mission, autrement ditqu’il ne m’échappait pas d’être un jour oul’autre le mouton du sacrifice. Je l’avais ditainsi aux députés. C’est inscrit dans lesminutes des débats. Tout cela doit vousdonner autant de raisons de ne pas vousétonner que j’aie travaillé au respect descompétences constitutionnelles duPrésident de la République, des miennes,de l’APN et de l’ANP. Nommé de surcroîtdans une situation sécuritaireextraordinaire, qui avait conduit avant manomination à l’instauration, par lePrésident, de l’état de siège et de ce quien découle en matière de compétencespour l’armée.

Pourquoi ai-je accepté la mission ? Jel’ai dit aux députés quand j’ai demandél’investiture dans deux paragraphesconsacrés l’un à ma solidarité avec lepeuple algérien et l’autre à ma solidaritéavec l’ANP. Vous pouvez vous y référer.C’était après avoir procédé à une analysedans mon discours lu devant les députéssur les constats suivants : primo, noshandicaps viennent du fait que lesgouvernements qui se sont succédé ycompris le mien et les institutions, ycompris la vôtre, n’émanent pas de lavolonté populaire.

Deuxio, la violence actuelle n’est que laréaction à une autre violence précédente,qui l’explique mais ne la justifie pas. Lepeuple s’est trouvé ainsi entre le marteauet l’enclume, d’un côté des forcesaccrochées au pouvoir, et de l’autre, desforces venues poser les problèmes descitoyens aux fins de s’emparer du pouvoirpar la violence.

Tertio, l’antagonisme entre les deuxmâchoires de l’étau n’est qu’écran defumée derrière lequel des apprentissorciers trament un partage sordide dupouvoir.

Là aussi vérifiez bien dans les archivesou dans le livre publié par legouvernement et qui rassemble lediscours programme et le verbatim desdébats.

Un an plus tard, j’ai été appelé auprétoire par le président du tribunal deBlida. Ce dernier voulait entendre mapropre version du contenu des échangesque nous avions eus avec Abassi Madani,Ali Benhadj et moi-même, en présence dedeux collaborateurs et d’un ami imamd’Oran et ancien moudjahid, lorsque je lesrencontrais au siège du ministère desAffaires étrangères, dans les heures quiont suivi ma nomination. Mon témoignageterminé, le Président me posa unequestion subsidiaire : «A votre avis le FISest-il le seul responsable de la violencevécue dans le pays en mai 1991 ?» J’airépondu : «Non. Le responsable c’est lalutte pour le pouvoir...» C’était sous formetrès ramassée l’analyse que j’ai citée plushaut, dans mon discours programme dejuillet 1991. Aujourd’hui, je ne change pasun iota à cette analyse.

Revenons au cœur de la question,vous deviez composer avec deuxhiérarchies...

En parlant de hiérarchies, je vous diraisqu’à la Présidence j’avais affaire auPrésident et dans l’armée à ses principauxchefs «visibles». Côté Présidence de laRépublique, j’ai régulièrement vu lePrésident. J’étais conscient qu’il avaitgardé le contact continu avec monprédécesseur, sans savoir évidemment lecontenu de leurs entretiens, mais enl’imaginant bien, vu les informations quime parvenaient, ou par supputation, sur labase de certaines questions qu’il meposait comme il le faisait à l’accoutuméedu temps de nos conversations auxAffaires étrangères. Côté militaires, nosrapports, outre les communications écritesformelles, se situaient dans quatreinstances :

1. Le Conseil du gouvernement qui seréunissait au moins un jour par semaine ;

2. un Conseil interministériel quej’avais instauré pour le suivi de la situationsécuritaire et qui comprenait égalementles ministres de l’Intérieur, des Droits del’Homme, des Affaires religieuses, de laCommunication avec le Parlement et quise réunissait au moins une fois parsemaine ;

3. un groupe de liaison formé de deuxcivils (dont mon directeur de cabinet) etdeux militaires, un groupeparticulièrement sollicité à la suite dupremier tour ;

4. les fréquents échangestéléphoniques quotidiens ou lesrencontres dans mon bureau, au coup parcoup, avec le ministre de la Défense et leresponsable de la sécurité.

La société militaire est très opaquedans notre pays. Votre expérience etsurtout votre proximité des chefsmilitaires algériens, durant la périodecruciale où vous dirigiez legouvernement en 1991, devraient vouspermettre d’en dresser un tableau plusou moins fiable…

Toutes les armées du monde ontbesoin de protéger leurs activités. Lesecret-défense se confond avec l’opacitélorsqu’on en mésuse à des fins nonrequises pour la protection des activitésde sécurité et de défense. Le recoursabusif au secret se produit pour des tas deraisons qui vont de l’excès de prudence oude bureaucratie à la volonté de cacherquelque turpitude. Tout cela n’a rien debanal chez tous les militaires de laplanète. La tentation d’opacité est plusforte dans la partie la moins militaire del’armée, celle qui s’implique dans lapolitique. Dans ce cas, l’opacité n’est plusbanalité, car dès lors qu’elle se situe dansl’un des fondements du pouvoir politiqueet de son seul bouclier, elle poseproblème. J’ai toujours eu à travailler avecdes militaires. C’était inévitable quand ona navigué entre un secteur économique

stratégique, l’énergie, la diplomatie et latête du gouvernement. L’armée que j’aifréquentée en premier c’est l’armée desingénieurs, des managers, destechniciens, des hommes de terrain.C’était pour la plupart des hommes dugénie militaire, de l’aviation, de la marine,mais pas seulement ; certains sontdécédés, d’autres sont en vie et en poste,d’autres à la retraite. C’était plus que desrelations de prestataire de biens ou deservices à client, plutôt des liens decoopération d’égal à égal entre serviteursde l’État, hors toute connotation de typepoliticien, hors tout complexe.

Il se disait à l’époque que Boumediènemarchait sur deux pieds, l’ANP et laSonatrach. Il a pu se former à partir decette situation de partage de la fierté duchef une sorte de sensation confusecommune de porter en complémentarité ledrapeau de la fierté nationale. Quand, enraison des circonstances que j’aimentionnées, Houari Boumediène m’avaitordonné en 1975 «de mettre tous lesmoyens de Sonatrach à la disposition del’ANP», nos relations se sont intensifiées,plus qu’elles n’eussent été en situationnormale. C’est çà l’armée que j’ai connuele plus, durant les quatre cinquième de mavie professionnelle. Le plus et le mieux dufait d’une relation de travail en communpour la même cause, l’intérêt général,hors tout calcul politicien et hors tout autreconsidération subjective. Au fond c’était cequi représentait plus de 95% de l’armée.Et là, à part l’uniforme et le mode defonctionnement, je ne vois pas, entre lesdeux composantes civile et militaire de lapopulation, de différence un tant soit peusignificative sur les plans des mentalités,du niveau de proximité entre le citoyen etles centres de décision politique, de lacapacité d’influence sur le cours politiquedes choses, ou plus généralement en cequi est le meilleur et le pire dans les deuxparties de la population.

A force d’utiliser le vocable de militaireà tout bout de champ, par commodité delangage, pour évoquer des situations trèsdifférentes, l’image de la réalité militairealgérienne finit par être brouillée. Parexemple, à force d’affubler le qualificatifde «militaire» au pouvoir politique enAlgérie, au départ par référence à unecomposante militaire du pouvoir, plusexactement à une composante politiquede l’armée, puis par commodité delangage et, en fin de compte, parhabitude, on en arrive à consacrer l’idéeerronée que le pouvoir politique c’estl’armée. Soit dit en passant les chefsmilitaires ont eux-mêmes beaucoupcontribué à ancrer cette fausse idée dansles esprits en proclamant, tantôt mal àpropos, tantôt à contre-temps, que«l’armée s’est retirée de la politique». Cen’est que durant mes passages auxAffaires étrangères et à la tête dugouvernement que j’ai travaillé avec deschefs militaires impliqués dans lesprocessus politiques. A quelquesexceptions près, ils appartiennentfinalement au secteur le moins militaire del’armée. Je parle des chefs bien sûr. Lescirconstances dans lesquelles je les aifréquentés étaient exceptionnelles parleur durée qui fut relativement courte,deux ans aux Affaires étrangères et un anseulement à la tête du gouvernement eten une période anormalementdramatique. Pas assez pour développerune relation et une connaissance mutuelledurables. Assez pour savoir que l’arméeest, en proportion de ses effectifs etconjointement avec les services civils desécurité et la communauté desjournalistes, la couche sociale qui a le pluspayé en pertes humaines pour lesauvetage d’une société qui était à ladérive.

M. C. M.(A suivre)

Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Vend. 21 - Sam. 22 mars 2008 - PAGE 9

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Mohamed Chafik Mesbah : Finalement,quels sont les traits distinctifs que vous enretenez ?

Sid-Ahmed Ghozali : J’ai retenu de mesrelations avec les militaires, durant toute ma vieprofessionnelle, une perception qui meconduisit à défendre l’honneur de l’armée àl’intérieur comme à l’extérieur du pays, qu’ils’agisse de dénoncer la thèse du «Qui tue qui»,ou de dire en témoin dans l’affaire Souaïdia que«tout ce qui touche à l’honneur de l’arméetouche à l’honneur de l’Algérie». J’ai fait cela enconviction et connaissance de cause et nonpoint pour courtiser l’armée. Laissons cetexercice aux larbins, nombreux en notre pays.Je me livre à ce devoir de défense de l’honneurmilitaire alors que c’est à certainscompartiments des Services que je dois laplupart des coups tordus que j’ai essuyéspersonnellement dans ma vie publique depuistrente ans. Ma propre vision de l’armée n’a riende commun avec le cliché injuste et trompeurqui assimile en bloc l’armée à ces fabuleux«généraux corrompus». C’est pour cela que jem’en suis toujours tenu à ma vision proclaméedevant l’APN dans mon programme quandj’exprimais «… ma solidarité totale avec l’ANP,qui n’est pas intervenue sur le terrain de sapropre initiative mais en application de laConstitution et pour l’accomplissement d’unenoble mission : préserver la sécurité descitoyens et de leurs biens, protéger ladémocratie naissante, préserver la paix civile etl’unité nationale, défendre l’honneur de lanation».

Je n’ai aucun doute sur le caractèrepatriotique de la démarche des militaires, deceux qui étaient mes interlocuteurs en tout cas,lors de cette période cruciale de notre histoire.Mais l’expérience m’a montré que pour laconduite des affaires de l’État, que l’on soit civilou militaire, le patriotisme, condition nécessaire,est loin d’être une condition suffisante. End’autres termes, qu’il s’agisse de diriger unefamille, une équipe de football, une entreprise,une administration ou des affaires d’Etat, lepatriotisme n’est pas un brevet de capacité etde compétence.

Sur l’avenir du rôle de l’institutionmilitaire dans la vie du pays, quel est votrevision ?

Elle se fonde sur ma vision des chefs aveclesquels j’ai travaillé pour le bien public.L’Algérie et l’armée appartenant autant à tousles Algériens, la solution à nos problèmes serale fait de tous les Algériens rassemblés, ou alorselle ne sera pas. Rassemblés dans une logiqued’alliance entre civils et militaires au service desintérêts supérieurs nationaux. Se trompentceux, civils ou militaires, qui se convainquent,fût-ce sincèrement, qu’ils sont eux seuls lasolution. C’est servir le pays et leur rendreservice en même temps, que de leur dire qu’ilsne seront la solution qu’à partir du moment oùils cesseront d’être à la fois le problème et lasolution. Se trompent ceux, civils ou militaires,qui s’illusionnent à penser qu’il puisse y avoir uniota de bonne gouvernance dans un systèmeinstitutionnel où celui qui décide est l’un et celuiqui répond des décisions est l’autre. La règled’or de la bonne gouvernance exige que celuiqui détient l’autorité doit être responsabilisé,c'est-à-dire qu’il doit s’attendre à tout instant àrépondre de ses actes et décisions et que celuiqui est responsabilisé doit avoir l’autoriténécessaire à l’exercice de ses responsabilités etobéir à l’obligation de répondre de ses actes etdécisions. C’est ce que j’appelle laréassociation indispensable de l’autorité et de laresponsabilité. C’est ce que les Américainsappellent accountability. En dehors de cetteliaison mécanique, point de salut.

Restons à votre place, en tant que Chefdu gouvernement, dans le systèmeinstitutionnel tel qu’il fonctionnait

concrètement en 1992. Quelle fut votre partdans la décision d’interruption duprocessus électoral ?

A la suite des résultats du premier tour et enl’état de vacance à la présidence de laRépublique, l’arrêt du processus électoral a étéprononcé après la tenue du Haut-Conseil desécurité, que j’ai présidé aux lieu et place duPrésident de la République démissionnaire. Lesmembres du Haut-Conseil sont, outre le Chefdu gouvernement, les ministres de la Défense,des Affaires étrangères, de l’Intérieur et del’Economie. Était présent également leprésident de la Cour suprême. Le même Haut-Conseil a créé un Haut-Comité d’État composéde cinq membres dont Mohamed Boudiaf,Président, et ce, pour deux ans, le temps quirestait à courir du mandat du président ChadliBendjedid. Ces décisions ont été publiées auJournal Officiel de la République. Elles donnentclairement ma part dans la décision : celle deChef du gouvernement, ni plus ni moins. Maisc’est peut-être autre chose que vous cherchiezà savoir. Si c’est «qui a fait quoi ?» dans leprocessus qui a conduit à ces décisions, il mefaudra beaucoup plus que l’espace et le tempsd’un simple entretien pour vous satisfaire.Analyser fidèlement et objectivement leschoses, ne saurait se limiter à ce qui s’est passédepuis le premier tour. Il faut remonter enamont. Sauf à tomber dans l’historiette ou dansles vérités tronquées. C’est un exercice qui nesiérait pas à la gravité du sujet et à l’honnêtetéenvers les gens, comme envers les acteurs.

Vous allez donc devoir vous contenter desavoir que le processus a impliqué à la fois lesministres, les responsables de la Défense, lePrésident, les partis, la société civile et même larue. Quand tous les acteurs, j’en fus, donnerontleur témoignage, il reviendra à l’historien dequantifier, si tant est que cela soit d’unquelconque intérêt immédiat. Sans prétendresouffler les questions que je souhaite entendre,il me semble que le plus important est, primo,que l’ensemble desdits acteurs, à commencerpar Mohamed Boudiaf, ont agi en dehors detout calcul personnel et exclusivement enfonction de ce qu’ils ont considéré enconscience comme le devenir de l’Algérie ;deuxio, qu’à ce jour, nous n’avons pas tiré lesleçons de cette expérience. D’où la principaleexplication à la situation qui est la nôtreaujourd’hui.

Pouvons-nous marquer un temps d’arrêtpour analyser sereinement, vingt ans après,ce phénomène politique exceptionnel que leFIS avait représenté. Comment expliquez-vous l’engouement populaire pour ce parti ?Sur le plan organique et doctrinal, le FIS,enfin, c’était un vrai parti moderne ou unconglomérat archaïque de tendances ?

Une analyse ne peut être que sereine. Sinonce n’est pas une analyse. Le FIS ne date passeulement du jour de sa propre légalisation, nimême des journées d’octobre où on l’a vuprendre le contrôle de la rue. Les premièresactions dans les maquis c’était au milieu desannées 1980. Sur les plans idéologique etopérationnel, le mouvement couvait déjà dansles années 1970. Ce n’est pas propre àl’Algérie, toutes les situations de malvie, dedésespérance et de désenchantement vis-à-visdu pouvoir en place, favorisent l’émergencepuis la prospérité d’extrémismes populistesviolents. J’ai évoqué la situation qui a prévaludès la chute des prix du pétrole en 1985, pouren dire la genèse et les conditions de sonaggravation au fil du temps, pour en analyserles aboutissements en 1988 et aux évènementsd’octobre. La société algérienne était mûreavant 1988 pour aller chercher dans le recoursà l’extrémisme la sortie salvatrice qu’ellen’attendait plus de ses dirigeants.

Le FLN, censé officiellement avoir gouvernédepuis dix années, était tout indiqué commecoupable aux yeux de la population, d’autantplus que ce sont ses dirigeants suprêmes quil’ont désigné comme responsable des maux qui

affectaient la société. C’était une injusticehistorique. Je pense avoir été le seul àdénoncer cette injustice. Référez-vous auxenregistrements des débats d’investiture dejuillet 1991où vous noterez que j’ai clairementdénoncé pour la énième fois «ceux qui ontchargé indûment, injustement et abusivement leFLN en tant que Front de tous les mauximposés à ce pays. Ils portent entièrement laresponsabilité de cette déchéance (del’Algérie)». C’est depuis 1988 qu’ont fleuri lescris dans la rue de «FLN assassins ! FLNvoleurs !» Qui s’est senti blessé par cela ? Quidu sein des hommes publics n’a cessé deprotester ? Les écrits restent : ils sont là pour enattester.

Beaucoup auront noté la sibyllineformulation utilisée, un an après son discourshistorique du 19 septembre 1988, par lePrésident Chadli Bendjedid pour expliquer lelimogeage, injuste ô combien de CherifMessadia du secrétariat permanent du FLN,dans un entretien exclusif paru en octobre 1989au quotidien Echarq El Awsat. «Je lui aidemandé de se mettre à l’abri en attendant quel’orage passe», avait-il confié au journalisteQoçay. On en était là. L’état d’esprit desAlgériens n’était plus que de se «débarrasserdu FLN», bouc émissaire désigné par sespropres dirigeants et livré par les mêmes à lavindicte du peuple comme le responsable deses malheurs. Qui aurait imaginé que les troislettres symboliques, qui ont incarné la Libérationnationale, que le sigle du mouvement historiquequi a incarné les sacrifices et l’héroïsmelégendaires des artisans de la Libérationnationale, allaient être associés aux vocablesde « voleurs et d’assassins » dans les esprits,dans les rues, dans les cités et les campagnesde l’Algérie indépendante ?

Quand on cherchait à attirer leur attentionsur la signification future des égorgements quiétaient pratiqués déjà à l’époque dans les rues,les bus et les mosquées, quand on les mettaiten garde contre l’effrayante perspective d’uneprise de pouvoir par les extrémistes, lesAlgériens répondaient comme de concert : «Fais moi vivre aujourd’hui et égorge- moidemain !» Il n’y a pas plus concis que cettefameuse formule populaire qui était dans tousles esprits et sur toutes les lèvres pour décrirel’état d’esprit et les intentions de vote yassociées des Algériens entre Octobre 1988 etles élections de 1991. C’était profondémentinjuste. C’était pourtant le choix qui avait été faitdans les arcanes du pouvoir.

La force du FIS se nourrissait au terreauépandu et structuré au fil du temps par lamalvie, par le ressentiment des gens et leurdésespérance. A quoi pouvait-on s’attendre enoffrant au choix des Algériens, commealternative au FIS, le seul FLN, c'est-à-direl’objet de leur colère désigné par le pouvoir àcette fin ? Quant aux résultats du premier tour,

52% d’abstentions et 16% de bulletins nuls, cesont en fin de compte 26% du corps électoralqui ont voté FIS. Un petit détail technique pourexpliquer le phénomène des bulletins nuls. Lesbulletins de votes portaient les listes descandidats ; l’électeur était invité à cocher unepetite case en face du candidat de son choix. Labureaucratie avait édicté la règle que la croix nedevait d’aucune façon déborder de la case souspeine de nullité… comme au jeu de loto… loind’imaginer que, pour une personneanalphabète, il est aussi difficile de respecterune règle aussi stupide que d’écrire une lettre !Les militants du FIS, par la voie de faux bulletinspré-imprimés dans les communes, ou par lavoie de la fameuse astuce de la noria, ont muniles citoyens qu’ils ont mobilisés de bulletins déjàcochés. Ils ont fait voter les gens à l’entrée desbureaux et le tour était joué. Le FIS a fait voterhors des bureaux de vote ! Voilà pourquoi, surles deux millions de bulletins nuls, pas un seuln’était destiné au FIS ! Vous pensez bien qu’entant que Chef du gouvernement je n’étais pasfier de moi quand j’ai appris cette bévueadministrative au lendemain du premier tour.Mais les remords ne servent à rien, d’autantplus que les résultats auraient été différentsmais sûrement pas au point d’en masquer lasubstantifique signification. J’évoquerai plus loincette signification.

Par ailleurs, et pour les seuls besoins del’analyse des rapports de force, dans unesituation normale, celle des pays à forte traditiondémocratique, les abstentions doivent êtreréparties au profit des forces en présence dansles mêmes proportions que les votes respectifsacquis par ces forces. Je m’explique :supposons une compétition électorale oùs’opposent A et B. Supposons que lepourcentage des abstentions est 50% et que Aremporte 60% des suffrages exprimés et B40%. En termes de rapports de force, onsuppose alors que le rapport des forces est égalau rapport des résultats. Mais si on a desraisons sûres de penser que les 50%d’abstentions ne pouvaient pas aller au profit deA, alors le rapport des forces réel n’est donc quede 30% au profit de A. Or, dans la situation de1991 on peut raisonnablement penser que leFIS a mobilisé au maximum et que parconséquent aucune des voix comprises dansles 50% d’abstentions ne pouvait être«comptabilisée» comme un vote potentiel pourle FIS. En conséquence, le FIS a remportécertes 52% des votes exprimés. Mais le rapportdes forces, compte tenu des abstentions, est demoitié soit environ 26% qui se trouve coïncideravec le pourcentage des électeurs inscrits. Onpeut donc raisonnablement affirmer que lesrésultats officiels de 26% des inscrits reflètentbien le rapport des forces électorales. Mais cen’est pas le rapport de force idéologiquementparlant.

«Il faudrait pour le bonheur des Etats que les philosophes fussent Rois et que les Rois fussent philosophes» Platon in La République

Histoire des nationalisations, politiquep�troli�re et bonne gouvernance

«Le FLN, censé officiellement avoir gouverné depuis dix années, était indiquécomme le coupable aux yeux de la population. C’était une injustice historique.»

Sid-Ahmed Ghozali, en conversation avec le président Chadli. Au premier plan à gauche,Abdelhamid Mehri «personne historique respectable et respectée».

Entretien réalisé par Mohamed Chafik Mesbah

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SID-AHMED GHOZALI AU SOIR DÕALG�RIE

17e partie

Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Dimanche 23 mars 2008 - PAGE 8

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En effet, si vous tenez compte des bulletinsnuls et que de plus vous enlevez au moins lamoitié des 26% représentant des votes rejet-sanction, vous constatez, qu’en termes derapport des forces idéologiques, les résultatsdu vote indiquent que 10% au maximum desAlgériens adhèrent au projet du FIS ; cecidonne une lecture évidente du scrutin : lesAlgériens à 90% ont surtout espéré, qu’ils aientvoté ou non, d’abord et avant tout à être«débarrassés du pouvoir en place».

Ce n’est qu’au lendemain du premier tourqu’ils ont commencé à réaliser la situation etse poser la question de savoir si le mouvementprétendant éradiquer ce qu’il nommait leTaghout, n’était pas en train de préparer sonremplacement par un autre Taghout à lapuissance deux ! C’était à ce moment que lesreprésentants du FIS se répandaient déjà enpromesses effrayantes, notamment lapromesse de «purification ethnique» : «S’il fauttuer deux millions d’Algériens pour purifier lasociété, alors on en tuera deux millions !»

Quand j’évoque «les graves déficits degouvernance dans les contrées musulmanes,le refus obstiné de tirer les leçons dephénomènes analogues à ceux qui se sontdéveloppés chez nous», j’ai en tête deux typesde déclaration de hauts dignitaires algériensde la sécurité. Mohamed Lamari en sasituation de chef militaire disait en 2003 :«Nous avons vaincu militairement le terrorismedans les maquis. Mais le problème del’intégrisme demeure entier. Ce problèmerelève du politique.» Autrement dit, «nous, lesmilitaires, avons fait notre boulot, les politiquesn’ont pas encore fait le leur». Bien. On ne peutque partager ces propos. Je n’ai moi-mêmerien dit d’autre en ressassant que lephénomène de la violence avait des causespolitiques et que le traitement du mal impliquaitle traitement des causes du mal et passeulement des symptômes du mal ; que lesmilitaires pouvaient traiter les symptômes maispas les causes du mal. Jusqu’à ce jour, les«politiques», qu’ils soient d’ailleurs civils oumilitaires, ont tourné le dos aux causes du mal.Ils les ont aggravées en négligeant letraitement des problèmes des citoyens. Leslois naturelles édictent que les mêmes causesproduisent les mêmes effets. Les bombes quituent à Batna, dans la capitale ou en Kabylie etailleurs sont-elles une affaire de vigilance desservices de sécurité, comme le suggèrent lesanalyses lapidaires du ministre de l’Intérieur,dont les citations périodiques des chiffres«résiduels» du terrorisme sont encore restéesdans les mémoires pour qu’il se croit obligé deles ressasser ? Je veux dire que je m’inquièteencore davantage quand j’entends une voixaussi haut placée dans la hiérarchie du pouvoirpolitique défausser de cette manière le mêmepouvoir de ses responsabilités et faire mined’ignorer que jamais nos services de sécurité,civils et militaires confondus, dût-on enquadrupler les effectifs et les moyens, neseront jamais assez performants pour venir àbout du terrorisme, tant qu’ils n’auront pas surle plan du renseignement la coopérationspontanée de vingt millions d’Algériens. C’estcela l’arme absolue dont ont besoin nosservices de sécurité.

Dans le même ordre d’idées, à votreavis, le FIS a-t-il triché ou a-t-il remportéloyalement les élections législatives de1991, même si c’est en profitant de lafaiblesse de tous ses autres concurrents ?

Lors d’un entretien télévisé en direct, quej’ai eu avec six de vos confrères, au lendemaindu premier tour des élections législatives,quelques jours avant la démission duPrésident, j’ai procédé à l’analyse desrésultats. J’en restitue le sens ci-après, ce quiest aisément vérifiable à partir des archivesaudiovisuelles.

Début de l’analyse1. Je vous ai promis à ma nomination des

élections propres et honnêtes. Le scrutin du 27décembre a-t-il été propre et honnête ? Oui dela part du gouvernement qui n’a pas triché, nonde la part du FIS qui a abusé de sa positiondominante dans les collectivités locales depuisjuillet 1990 et n’a pas hésité devant denombreuses pratiques déloyales et illégalespour fausser le scrutin. En attestentd’évidence : pas un seul bulletin FIS sur deuxmillions de bulletins nuls, la disparitionmystérieuse d’un million de noms des listesélectorales, la fabrication de faux bulletins devote.

2. Cela veut-il dire, avais-je conclu, que lesrésultats ne sont pas significatifs ? Non. Au

contraire, les résultats signifient clairementque le vote des Algériens doit être compriscomme un appel au secours, un très fort cri derejet total par les Algériens de tous ceux qu’ilsconsidèrent, à un titre ou à un autre, commeresponsables de leur condition dégradée. Finde l’analyse.

Au petit matin du 28 décembre, à unjournaliste qui m’interrogeait à la volée dans lehall du palais du gouvernement sur lesrésultats du premier tour qui venaient detomber, je répondis : «Ce n’est pas un votec’est un vomissement.»

À vous limiter à votre mission principaleen qualité de Chef du gouvernement,organiser les élections législatives dans undélai de six mois, vous ne voyez pasmatière à autocritique ?

Comment ai-je accepté la mission de Chefdu gouvernement et ai-je bien fait del’accepter ? L’ai-je bien accomplie ? Ai-jecontribué à changer le cours des choses etdans quels sens ? Quelles traces a-t-ellelaissées sur le plan national et subsidiairementsur le plan personnel ? Si j’ai bien compris,c’est à cet exercice ardu que vous me conviez.Cela ne va pas être aisé de vous satisfaire demanière juste allusive. Je vais essayer dem’acquitter de l’exercice. Je vous livre, desuite, un résumé lapidaire de mon état d’espritprésent.

Primo : Sur le plan purement personnel, j’aimal géré ma relation avec Abdelhamid Mehri,secrétaire général du FLN.

Deuxio : En acceptant la mission de Chefdu gouvernement dans les conditions quiprévalaient alors, j’ai fait un sacrifice personnelqui s’est avéré inutile.

Tertio : De la même manière en nedémissionnant pas au lendemain du désaveudu gouvernement par l’APN, à propos du modede scrutin proportionnel, je me suis beaucoupdesservi sans que cela fût d’une utilité pour lepays.

Quarto : L’annulation du deuxième tour desélections de décembre, mesure obligatoire,patriotique et salvatrice, est devenue aposteriori un coup d’épée dans l’eau dès lorsque par la suite le régime n’a pas tiré à ce jourla leçon qu’il fallait des résultats du premiertour. Je crois que ces erreurs n’ont pas nui aupays. Mais elles ne l’ont pas servi non plus. Entout cas pas comme j’aurais dû et comme j’aisouhaité le servir. Maintenant, je vais expliciter.

Il y a eu entre Abdelhamid Mehri et moi unefracture de communication fabriquée de toutepièce par d’autres que lui ou moi, bien avantma nomination à la tête du gouvernement.Mais j’ai ma part de responsabilité de cet étatde choses. Il m’incombait à moi, en ma qualitéde Chef du gouvernement, et en mon devoirenvers un aîné que je respecte, de faire plus etmieux pour éviter l’aggravation de cettefracture à partir de juin 1991. Sous l’étreinte dutemps et de la confusion de l’époque, sousl’effet des attaques politiques virulentesémanant de moyens détournés du sein duFLN, mes efforts dans le sens de la réductionde la fracture ont été sincères maisinsuffisants, pas assez réfléchis et maladroits.Il a tenu certes et à plusieurs reprises despropos contre l’action du gouvernement.Même s’ils étaient injustes à mes yeux, cespropos ont été tenus publiquement et je fus àmon tour injuste à son égard en les mettantdans le même sac que d’autres proposblessants pour le gouvernement et pour moi-même mais que je n’ai pas entendusdirectement de lui. Je n’avais donc pas àprendre pour argent comptant les dires desdéputés qui lui ont prêté ces propos en me lesrapportant. Bien que cela ne pouvait avoir etn’a eu aucune influence sur le cours deschoses ; ce fut sur le plan de relationspersonnelles l’un des plus grands reprochesque je me suis fait à moi-même avec le recul.Je regrette une telle faute. La conclusion denotre dernier entretien dans son bureau auFLN a été : «Ecoute, Sid-Ahmed, toi tu es têtuet moi je suis têtu.» A cette réflexion qui étaitinjuste c’est l’amour propre qui s’est laissésolliciter alors que j’aurais dû la saisir pourfaire preuve de plus d’intelligence et desensibilité dans nos relations de cette année1991. Vous comprenez maintenant pourquoi jecontinue à espérer que le jour inéluctable oùl’un de nous deux ne sera plus ici-bas nevienne pas avant que nous nous enexpliquions entre nous deux.

Mais pour vous en tenir à votre missionde Chef du gouvernement en propre...

Justement, j’en viens à ma mission de Chefdu gouvernement telle que vous la qualifiezvous-même, inexactement, dois-je souligner !Il est vrai qu’il y a eu à son propos beaucoupde malentendus, nés des interprétationstrompeuses et des polémiques plus ou moinsbien intentionnées qui l’ont entourée. J’en aidéjà parlé. Ma mission a été celle de Chef dugouvernement, investi de toutes sesprérogatives, pas en charge, seulement, del’organisation des élections. Le programme de52 pages que j’ai présenté à l’Assemblée est làpour en attester, s’il en est besoin. Le faitqu’elle ait comporté en outre et dansl’entendement préalable qui a conduit à manomination, la mission d’organiser lesélections avant la fin de l’année, ne signifiaitpas que ma mission de Chef du gouvernementfût limitée à l’organisation de ces élections. Dureste, il ne pouvait être question d’une tellelimitation, ni de par le texte et l’esprit de laConstitution, ni de par le texte de manomination ni dans l’entendement préalablequi a conduit à cette nomination. Ma premièreréaction quand j’ai été pressenti, dans lesconditions que j’ai déjà narrées, fut d’abord unsentiment de réticence. Pourquoi la réticenceen premier ? Parce que je savais l’état deslieux calamiteux sur le plan financier et lasituation économique, sociale et politiquefortement détériorée, me trouvant pressé dem’engager, sans préavis et en urgence dansune telle situation et avec la perception desfaits, une analyse des problèmes et dessolutions qui étaient les miennes et quin’étaient guère en adéquation avec leprocessus dans lequel on avait engagé laRépublique durant une douzaine d’années,j’avais donc autant de sérieuses raisons decraindre de me trouver d’emblée en porte-à-faux vis-à-vis du Président.

S’employant à dégeler mes craintes et maréticence, ce dernier se voulait rassurant,m’assurait de son soutien. A l’instar de LarbiBelkheir et Khaled Nezzar, il a invoqué ledevoir national et insistait pour que j’accepte lamission, ne serait-ce que pour le temps des sixmois nécessaires à la sortie de la crise qui étaiten cours et à l’organisation des électionslégislatives qui venaient d’être reportées sinedie en raison des évènements.

Sur la base de ce tacite entendement eutlieu l’annonce de la signature par le présidentde la République du décret me confiant lamission de Chef du gouvernement. Quitte àrevenir plus loin sur cet aspect spécifique dema mission de Chef du gouvernement, jeprécise que l’entendement en question étaitdans le principe d’une durée de six mois et dela fixation de la date des élections à l’intérieurde cette période. Qu’on m’ait crû ou non,toutes les raisons de mon acceptation, cellesqui ont été dans ma tête sur le moment, ont étéexplicitées dans le discours programmeprononcé début juillet devant les députés del’APN. Ces raisons ont été, sur le planpersonnel, le facteur de devoir national qui aété invoqué et, sur le plan politique, de poserun acte de solidarité avec le peuple algérien etavec l’ANP. La suite, vous la connaissez, ons’est assez étendu sur le contenu et lesconditions de ce qui fut fait, sur le planéconomique et financier ainsi que sur le planpolitique.

Puisque vous dites avoir été un Chef degouvernement investi de toutes lesprérogatives afférentes à sa fonction, quela été votre bilan sur le plan économique etfinancier ?

Sur le plan et financier, j’ai du faire face àune situation d’urgence : nos réserves dechanges au 27 juin 1991 c'est-à-dire lesmoyens d’approvisionnement de l’économie etde la population se montaient à 345 millions dedollars ; nous n’en avions plus que pour quinzejours 15 jours d’importation… théoriquement !Mais réellement moins, beaucoup moins de 15jours, car pour se constituer ces liquidités laBanque d’Algérie avait dû recourir à desemprunts à très court terme sur le marchémonétaire pour 130 millions, à des opérationsd’emprunts gagées par une partie (environ17%) du stock d’or pour un montant de 365millions et enfin par des suspensions depaiement de factures arrivées à échéancepour un montant de 740 millions. Donc nosréserves ne suffisaient pas à régler la moitiédes factures arrivées à échéance. De facto,nous étions en état de cessation de paiementsextérieurs.

C’est pour cela que le gouvernement étaittenu d’abord «d’éteindre le feu» en

s’employant immédiatement à opérer à unredressement de la balance de paiements aumoins pour pouvoir assurer la subsistancequotidienne, le temps que les mesures deredressement à long et moyen termes fassentleurs effets. D’où le recours à des aides à labalance des paiements, principalement auprèsde la CEE, et par la voie d’obtentionsd’avances sur des exportations futures. C’étaitencore des emprunts mais plus du tout dans lecourt terme.

Au départ de mon Gouvernement, nouslaissions des réserves de changes de l’ordred’un milliard et demi de dollars, ce qui signifiaitque la balance des paiements avait étéredressée en l’espace d’une année, de plus dedeux milliards de dollars.

Mais cela était juste suffisant pour éteindrele feu et ne pas céder à nos successeurs lemême incendie que nous avions eu à éteindre.

Mais les richesses en hydrocarbures, siimportantes qu’elles fussent, n’étaient qu’enétat de potentialité. Encore fallait-il les rendreconcrètement disponibles. Il fallait aller lesprendre là où nous les savions demeuréesdormantes. D’où le projet de loi 1991 surlequel j’ai longuement disserté.

Je me suis, également, étendu sur la loi de1991.Faut-il rappeler que les hydrocarburesétaient la première chance à savoir saisir pournous dégager de l’enlisement financier, nousaffranchir de ses conséquences sociales etpolitiques, reprendre ainsi notre marche vers leprogrès et la prospérité ?

Parmi les autres actions du Gouvernementon peut noter l’application de l’accord avec leFMI qui avait été signé par le gouvernement enavril 1991. Il était censé entrer en vigueur dèsle mois de juin. En réponse au FMI qui serappelait à notre bon souvenir, j’ai demandéque l’on nous laissât le temps d’en informerl’Assemblée nationale, les acteurs sociaux etpolitiques ainsi que toutes les autres partiesqui avaient tous été tenus dans l’ignorance del’existence même de cet accord. Nous noussommes aussi donné le temps de l’améliorerautant que faire se pouvait. C’est pour celaque les mesures de « vérité des prix » desproduits de première nécessité n’ont été misesen application, qu’après que nous ayons misen place le filet social, c'est-à-dire au mois demai 1992, sous la Présidence de MohammedBoudiaf.

Je passe sur tous les autres chantiers quenous avions ouverts, dans les domaines dulogement, de la lutte contre la pauvreté», del’éducation et de la formation, des médias etc. :voyez le programme il y en a pour descinquante pages. Je vous ai narré notammentdans quelles conditions nous avons lancé lesactions prioritaires qui devaient allaient plusloin, c'est-à-dire nous constituer des moyensde financement des réformes et desinvestissements nécessaires à la relanceéconomique, à partir du redéploiement de nosressources propres, déjà existantes ou à créer.C’est pour cela que tout naturellement ce quivient en premier ce sont les hydrocarbures,non seulement en raison de leur importancepotentielle, mais aussi parce qu’elles ontl’avantage de contribuer à redémarrer unemachine économique grippée et à la rendrecapable, moyennant une politique économiqueadéquate, de générer elle-même desressources propres nationales.

Etant donné le temps imparti, les situationsd’urgence traitées, les oppositions et entravesrencontrées, je pense que nous avons fait leschoses du mieux que nous pouvions faire surle plan économique et financier. Nous avonscontribué au moins à les mettre dans la bonnedirection. Avec le recul, je ne regrette rien detout ce qui figure dans le programme duGouvernement, ni de ce qui a été accomplidans le cadre de sa mise en œuvre.

En deux tranches de cinq mois pour agir, ilest impossible de faire davantage et en plus deprofondeur, surtout pour lancer les réformesque nous nous étions promis de conduire etqui demandaient beaucoup plus de temps, destabilité et de moyens financiers que ceux dontnous pouvions disposer à l’époque.

Surtout qu’il n’était pas de la culture de mongouvernement de rechercher à travers laréforme seulement des effets d’annonces etencore moins le modelage artificiel dedesseins politiques personnels.

Nous croyions aux réformes et tenionscelles que nous préconisions pour affairesérieuse, non comme on brandit un slogan etun joujou politicien.

M. C. M.(A suivre)

Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Dimanche 23 mars 2008 - PAGE 9

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Mohamed Chafik Mesbah : Mais, vousen convenez, la dimension politique devotre mission restait prépondérante...

Sid-Ahmed Ghozali : Oui, en effet, sur leplan politique nous avons fait tout ce quenous avions annoncé en matière deconsultation de dialogue et de concertationavec les associations politiques et civiles. Enmatière d’organisation des élections, nousavons rempli tous nos engagements, saufpour le mode de scrutin où nous avons étédésavoués par l’APN. Le rejet du scrutin à laproportionnelle m’a posé un problèmesérieux, puisqu’il mettait le gouvernement endéfaut dans ses engagements pris enversles soixante partis, sans compter que lescrutin majoritaire allait ajouter au FIS unautre avantage qui serait décisif. Ai-je bienfait de ne pas aller jusqu’au bout de madécision de démissionner ? Tout compte fait,non je n’ai pas bien fait. Ce fut là une erreurque je me suis reprochée par la suite.

Ce n’est pas qu’en revenant sur marésolution de partir j’ai nui au pays, mais jene lui ai pas non plus rendu service.

Comment cela ? Il suffit simplementd’imaginer le scénario inverse et supposerque j’ai effectivement démissionné aulendemain de l’adoption de la loi électorale –et je réponds en même temps à ceux qui desannées plus tard glosaient encore sur lesconséquences hypothétiques du fait que legouvernement soit quand même resté enposte. Si je m’en étais tenu à mon intentionpremière qui était de partir, il est certain quesur la considération strictement personnellej’aurais été «gagnant-gagnant». En effet, jeserais parti sous les applaudissements despartis et non dans l’opprobre de la plupart ;non point comme le complice mais comme lavictime du FLN, ce qui, aux yeux de l’opinionnationale et internationale, eût été à l’époquede la culpabilisation de ce parti, un motifévident de surcroît de popularité.

Restant dans le scénario du départ dugouvernement, deux sous-scénarios étaientles plus probables : ou le report deséchéances électorales ou leur maintien.Dans les deux hypothèses, j’aurais étégagnant, sans que cela change quoi que cesoit aux fondamentaux de la politiqueintérieure. Dans le cas du maintien deséchéances, le cas le plus probable à monavis, on aurait mis quelqu’un d’autre à maplace, les élections auraient donné le mêmerésultat, elles auraient été annulées et latragédie nationale aurait été imputée àl’interruption du processus électoral… Saufque le coupable désigné aurait été un autreque moi. Si par contre le scénario avait été lereport des échéances, le régime auraittrouvé d’autres formules et un autre bouc-émissaire pour tenter d’occulter les vraiesraisons de l’irruption du terrorisme dansnotre pays. Les mêmes causes produisantles mêmes effets, le départ dugouvernement n’aurait certainement pasapporté de solution au problème de fond. Sidonc je n’ai pas nui à mon pays en nedémissionnant pas le jour du désaveu dugouvernement par l’APN, par contre je n’ainui qu’à moi-même et à mon gouvernement,puisque j’ai contribué à faciliter l’occultationdes causes du problème de fond. Et quandje dis que je n’ai pas non plus rendu serviceau pays, je vise le fait de m’être prêté, à moncorps défendant, à fournir en ma personne eten mon gouvernement un bouc-émissaireaux lieu et place du FLN d’octobre 1988.

Vous continuez à considérer quel’annulation du deuxième tour des

élections législatives était la seulealternative qui s’offrait ?

L’annulation du deuxième tour n’auraitjamais eu lieu si tous les acteurs serviteursde l’Etat, y compris moi-même, avaient agisur la base d’une considération de leursintérêts politiques personnels. C’est donc surdes convictions exclusivement fondées surles intérêts supérieurs du pays, que nousavons préféré préserver l’avenir de la nationquitte à passer, les uns pour des putschistes,les autres de mauvais joueurs, de surcroîtcomparses de putschistes, plutôt quesuccomber à la tentation de passer àl’histoire pour des démocrates candides,quitte à laisser froidement le pays plongerdans une interminable et sombre tourmente.

En conscience nous ne pouvions paslaisser l’Algérie s’embarquer dans un trainfou que personne ne pourrait plus arrêter.

Avions-nous violé pour autant laConstitution ? Je pense que non. Leprésident a démissionné et il fallait comblerla vacance en résultant. En tout état decause, la fin en soi n’est jamais uneConstitution, mais le destin d’un pays et sonbien-être qu’elle est censée servir. En cas deconflit entre les deux finalités «destinnational» et «Constitution», c’est le pays quipasse avant. Le régime nazi s’est imposépar des élections démocratiques dans laRépublique de Weimar en Allemagne quiétait la démocratie la plus avancée dans lemonde. S’il y avait eu en 1933 des forcespatriotiques allemandes pour annuler lavictoire nazie, les Allemands auraient faitl’économie de la mort d’une républiquedémocratique et le monde l’économie de laguerre la plus meurtrière de l’humanité.

Quand on me demandait pourquoi nousavions interrompu un processusdémocratique, j’ai répondu que je n’avaispas connaissance de l’existence d’unprocessus démocratique en cours enAlgérie. Ce fut présenté délibérément parcertains médias comme une attaque contrele président, mais à tort. Je voulaissimplement dire que des électionsdémocratiques ne doivent pas consisterseulement à recourir à un scrutin propre ethonnête, mais aussi à se dérouler dans desconditions qui donnent effectivement unchoix véritable au citoyen. Des élections quidonnent au citoyen le choix entre le pouvoiren place et le FIS, elles ont beau se déroulerdans les conditions les plus propres et lesplus honnêtes, elles ne peuvent pas mériterle qualificatif de démocratiques. Ce quej’avais espéré après les résultats du scrutinde janvier 1992, c’est que le régimecomprenne les raisons de l’échec du 27décembre et tire les leçons de cet épisodedramatique de notre histoire et de l’épisoded’octobre 1988. Au contraire de cela lerégime s’est enfoncé davantage dans lalogique de la gestion du pouvoir devenu defacto une finalité. C’est ce qui me fait dire,sous l’angle de l’évaluation du service renduau pays, que mon acceptation de la missionde Chef du gouvernement en juin 1991 fut uncoup d’épée dans l’eau, tout comme monretour au gouvernement fin 1988. Etre restéau gouvernement après le désaveu sur lemode de scrutin en octobre 1991 était uneerreur, être resté au gouvernement lelendemain du premier tour en décembre1991 n’a pas été en fin de compte un servicedurable rendu au pays.

Pourquoi avoir accepté alors deprendre en charge l’organisationd’élections dont vous pressentiezl’issue ?

En premier lieu parce que l’annulation

des législatives fixées avant moi pour mai-juin 1991, pour cause de troubles, ne fut riend’autre que l’annulation de l’anticipation desix mois par rapport aux échéances, uneanticipation décidée avant moi, dans le cadrede tractations entre les principaux partis.

Et l’annonce d’organiser les électionslégislatives à la fin de l’année 1991 n’étaitrien d’autre que le retour à l’échéancenormale exigée par la Constitution ! Il estfrappant qu’aucun des analystes n’ait cru àce jour devoir rappeler cela, à savoir que findécembre 1991 était l’échéanceconstitutionnelle normale du mandat del’Assemblée ! Faites le compte : premièreAPN 1977-1981, deuxième 1982-1986,troisième 1987-1991. Mais on avait tellementparlé durant les années 1989 et 1990, tantôtd’avancer, tantôt de reculer la fin du mandat,que l’on a fini par oublier que la fixation à ladate de mai-juin 1991 des électionslégislatives c’était une anticipation de sixmois de la fin du mandat qui avait étédécidée dans le cadre des tractations quieurent lieu à l’époque entre le FLN, le FIS etle FFS notamment. On en était arrivé audemeurant à un brouillage et une confusiondes échéances tels que même le Présidentcroyait dur comme fer que la fin normale deson mandat était fin décembre 1992 ! Alorsque c’était en réalité fin 1993. C’était un jourd’octobre 1991 quand, réfléchissant touthaut devant moi, il lançait l’idée d’anticiper àfin 1991 les élections présidentielles .«Aprèstout, cela ne fait qu’une anticipation d’un an»Je l’en avais dissuadé bien sûr. Il a fallu queje fasse devant lui le compte de sesquinquennats successifs, à savoir 1979-1983, 1984-1988, 1989-1993 pour leconvaincre qu’à fin 1991, il n’en sera qu’àtrois années accomplies et non quatre !

Je ne veux pas me dérober à votrequestion sur les législatives. J’avais foi endes chances minimes d’au moins limiter lesdégâts en redonnant l’espoir aux Algériensd’une amélioration future de leur situation,en évitant le scrutin majoritaire qui est lescrutin du tout ou rien. Les stratèges qui ontentraîné l’APN dans le choix du scrutinmajoritaire sont des forces qui au sein de ceparti et du régime en général étaient dansl’obsession de la pérennisation au pouvoiravec des tas de motivations qui se sontavérées aventureuses. 1- Croyant qu’il

allait jouer en leur faveur ils se sont trompéset joué à la roulette russe comme ils l’avaientfait pour les élections communales de juillet1990, avec les résultats que l’on sait et à laveille desquels ils en étaient encore àassurer le Président que leurs candidatsallaient rafler la mise moyennant undécoupage électoral adéquat par legouvernement ;

2- ils étaient dans une logique de partagedu pouvoir avec le FIS et même de le luilaisser pour un temps, tant leur convictionétait forte que celui-ci, à cause de la situationfinancière calamiteuse, allait se casser lafigure et que le peuple reviendrait en courantdans leur giron ;

3- ils étaient obsédés par l’idée de sedéfausser de leur responsabilité sur d’autres.

J’étais conscient de tout cela dès ledépart : rappelez-vous que c’est en juilletque je disais aux députés que j’acceptaisd’être «le mouton du sacrifice» dans l’espoirde contribuer à redresser les choses demanière saine en m’occupant des problèmesdes citoyens et ce faisant, en leur redonnantde l’espoir. C’est trois mois après manomination que je réalisais que le Présidentétait irréversiblement sous forte influence deces forces. Il avait bien compris que j’avaiscompris quand, suite à une interviewtélévisée, je qualifiais mon gouvernement de«gouvernement pauvre et orphelin», il pritl’initiative de m’appeler au téléphone pourme rassurer sur son soutien. Je ne mefaisais guère d’illusions, m’étant rendu àl’évidence que mon gouvernement, aumoment même où il était désigné étaitaussitôt livré en pâture à des forces agissantdu cœur du système.

Abordons l’épisode du Haut-Comitéd’État. La solution politique ainsienvisagée et la formule juridique conçueont emporté votre adhésion. De manièretrès brève, expliquez-nous en quoi leHaut-Comité d’État était politiquement etjuridiquement la formule la plusappropriée ?

L’accord s’étant fait rapidement surl’impossibilité, en tout état de cause,d’envisager la tenue du deuxième tour desélections, il restait à savoir comment combler

«Il faudrait pour le bonheur des Etats que les philosophes fussent Rois et que les Rois fussent philosophes» Platon in La République

Histoire des nationalisations, politiquep�troli�re et bonne gouvernance

«L’assassinat du président Boudiaf demeure dans mon esprit l’unedes plus grandes offenses faites aux Algériens. Commise sous mongouvernement, j’ai décidé de démissionner.»

Khaled Nezzar (à gauche) à l’arrivée à Alger de Mohamed Boudiaf.

Entretien réalisé par Mohamed Chafik Mesbah

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SID-AHMED GHOZALI AU SOIR DÕALG�RIE

18e partie

Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Lundi 24 mars 2008 - PAGE 8

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l’état de vacance de la présidence de laRépublique. Il s’est donc passé un momentoù les échanges s’étaient portés sur le choixde la formule juridique appropriée avec ceque de tels échanges pouvaient produire enidées lancées ici et là par les uns ou lesautres dans une sorte d’effort de réflexion«tout haut». Dans un premier temps, l’idéed’un Haut-Comité d’État, qui n’était pas demoi, présentait à mon sens le risqued’apparaître à l’opinion comme la façadepotiche d’une nouvelle révolution de palais.C’est tout le contraire de cela que nousvoulions du message qu’allait comporterforcément la formule qui serait retenue. Déjàsix mois auparavant, les forces politiciennesqui étaient derrière mon prédécesseuravaient propagé la thèse que ma nominationétait la manifestation d’un coup de forcetramé contre le Président, nous ne tenionsguère à travers la forme d’autorité qui allaitprendre le relais de la Présidence,apparaître pour ce que nous n’étions pas.Nous voulions, au contraire, délivrer à notrepeuple des motifs d’espoir en l’avènementd’une ère nouvelle, d’une réhabilitation de lapolitique dans notre pays. Aussi maréticence était-elle encore plus forte quandfut avancée la suggestion de confierprovisoirement les pouvoirs du président dela République à l’autorité du rang le plusélevé de l’Etat, c'est-à-dire le Chef dugouvernement ; c’était une idée préconisée àun moment donné, je présume, à partir de lapériphérie du Conseil constitutionnel.

Mais dès que fut avancé le nom deMohamed Boudiaf, idée qui n’était pas nonplus de moi, j’ai levé instantanément mesréserves. Car, avais-je argué, l’imagenationale et internationale de Boudiaf esttout sauf celle d’un homme potiche. De plusil est antimilitariste. C’est une grande figurede Novembre 1954, l’organisateur de l’ALN.Il était enfin le dernier à être suspecté d’avoirtrempé dans un complot algérois, lui quis’était si éloigné du pouvoir et de la politiquedepuis des décennies. Mais encore faut-ilqu’il accepte ! S’il accepte c’est qu’il a unamour infini pour son peuple, avais-jeconclu.

C’est ainsi que je signai un ordre demission, plus exactement un titre de congé,à Ali Haroun, encore ministre des Droits del’homme, qui fut dépêché auprès de lui auMaroc. En raison de ses responsabilitéspassées à la tête de la Fédération de Francedu FLN, Ali Haroun était, avec AboubakrBelkaïd, parmi nous celui qui le connaissaitle mieux.

Vous avez été collaborateur deMohamed Boudiaf. Quel souvenirconservez-vous de cette collaboration ?

J’ai connu Mohamed Boudiaf du tempsde sa captivité en France avec les autreschefs historiques. Je n’allais le revoir quetrente ans plus tard, durant sa visite éclair àAlger où il était venu dire son acceptation deprésider le futur Haut-Comité d’État. Il me diten début d’entretien : «Ma présence ici esten soi un engagement… Ce que je demandec’est la loyauté. » A part les cheveuxgrisonnants, il avait intégralement conservéla fraîcheur et la rigueur d’esprit que je luiavais connues. Et aussi une capacitéexceptionnelle à se remettre en questionquand cela s’imposait, au fur et à mesureque progressait sa connaissance de laréalité. Car en son état d’exilé, cetteconnaissance était forcément lacunaire etdonc brouillée.

J’ai travaillé avec lui durant cinq mois etdemi dans un climat confiant et détendu. Yont sûrement aidé, et ma loyauté à sonégard et une certaine proximité personnelle.Avec l’aide d’une mémoire prodigieuse, ilm’a montré qu’il connaissait, nom par nom,mes parents par alliance, plus complètementque je ne les savais moi-même ! La presse,contrôlée par ceux qui ont choisi mongouvernement comme ennemi depuis juin1991, a inventé des tas de choses. Medonnant partant toutes les semaines, ellecherchait, ce faisant, à faire échouer legouvernement. Rien de plus classiquecomme procédé de déstabilisation.Mohamed Boudiaf s’est employé à démentir,tantôt par un communiqué de la présidence,tantôt en faisant adopter par le HCE unemotion de renouvellement de confiance.

Depuis son retour en Algérie, j’avais essayéau moins par deux fois de le convaincre dedésigner un nouveau Chef degouvernement. Mes arguments étaient queses ennemis, ceux qui considéraient que lefauteuil sur lequel il était assis leurappartenait en propre, avaient beau jeu de leprésenter comme une marionnette «entre lesmains» d’un Chef de gouvernement qu’il atrouvé en place, lequel lui-même était unhomme des militaires. A chaque fois,Mohamed Boudiaf a rejeté monargumentation, d’un revers de la main. Nonseulement il ne m’a jamais montré unequelconque intention de se séparer de moi,mais il a au contraire rejeté les propositionsque je lui avais faites de me démissionner.Qu’il se soit donné le temps pour choisir unnouveau Premier ministre ou que sonintention fût de me garder encore jusqu’àune légitimation de son statut par le vote, luiseul le savait. Le fait est que jusqu’à sonassassinat, nous avons travaillé dans unclimat de loyauté réciproque indiscutable.

Au moins dans ma propre perception. Jegarde de ma collaboration avec lui unsouvenir d’émotion et de grand espoir.

Avez-vous un commentaire à formulersur l’assassinat du Président Boudiaf ?

En sus de la douleur inhérente à la perted’un président, j’ai vécu des momentsdifficiles. Dès le départ du cortège funèbrede la Présidence, nous étions apostrophéspar nombre de voix émanant d’une fouleétreinte par un mélange de douleur et decolère au passage des voitures officielles.«Vous l’avez amené et vous l’avez tué ! FLNassassins !» J’ai vécu cela de l’intérieurd’une voiture officielle. Tout ce que j’ai à dire,je l’ai dit à la commission chargée d’enquêtersur cet assassinat, et/ou dans ma lettre dedémission que j’ai lue devant le HCE réuniau complet un certain 8 juillet 1992.

Cet assassinat demeure dans mon espritl’une des plus grandes offenses faites auxAlgériens. Et elle a été commise sous mongouvernement. Et c’est pour cela que j’aidécidé de démissionner. «Le pouvoirpolitique ne pourra pas infantiliserindéfiniment la société civile et politique.»

Venons-en à votre départ de la tête dugouvernement. Vous estimez que ce futun limogeage ?

Mohamed Boudiaf a été assassiné un 29juin. Le 30 juin ma décision était prise. Ilfallait donner au HCE le temps de trouver unnouveau Chef de gouvernement. Le HCE,réuni au complet, m’a reçu le 8 juillet en finde matinée. J’ai lu les trois pages et demiede ma lettre de démission. Le Président en apris note et m’a dit les remerciements etcompliments de circonstance. Les autresmembres du HCE ont approuvé, qui par decourtes paroles, qui par hochement de tête.J’ai ensuite réuni le gouvernement devantqui j’ai lu la même lettre, que j’ai faitcommuniquer immédiatement à l’APS et à lapresse, ainsi que ma démission du Comitécentral du FLN (deux lignes). Tout cela a étépassé sous silence, au point que l’écrasantemajorité des médias aujourd’hui nesoupçonnent même pas leur existence à cejour. Tout comme vous. Je vous remets unecopie de ces deux lettres à l’usage que vousvoudrez. Je vous en donne un extrait que jelimiterai à la conclusion

«… Monsieur le Président, le martyrMohamed Boudiaf dérangeaitconsidérablement parce qu’il était l’hommede la rupture, l’homme de l’espoir et de lajeunesse, l’homme propre décidé à restaurerl’autorité de l’État, à redresser le pays, àcombattre la corruption et à rendre l’Algérieaux Algériens.» «Parce qu’il dérangeait, on amené contre lui et contre le gouvernement,une véritable guerre, une guerre de chaqueinstant, avec les moyens les plus bas et lesplus pernicieux.»

J’ai appris le nom de mon successeurquelques minutes avant qu’il ne fûtcommuniqué à la presse. Lescommentateurs qui ont glosé sur l’idée quej’ai moi-même contribué à son choix se sonttrompés complètement. Si je n’avais pasdémissionné est-ce que j’aurais été quandmême limogé, comme vous dites ? Je saisce que j’ai fait ,moi. Je ne veux ni n’ai àconjecturer sur le reste.

Un reproche vous «colle à la peau» :comment, après avoir occupé lesfonctions prestigieuses qui furent lesvôtres, avez-vous accepté unegratification, si vous permettezl’expression, avec le posted’ambassadeur à Paris ?

Accepté une gratification… qui mecollerait à la peau avez-vous dit ? Reprenonsnos esprits ! Etre ambassadeur c’estreprésenter à l’étranger un pays, un peuple,un chef d’État et un gouvernement. Lesconventions internationales donnent à unambassadeur le même titre honorifique quecelui d’un chef d’État : «Excellence». Il y a cefameux propos d’un ambassadeur deHollande : «Quand je porte mon uniformeofficiel, je suis la reine Juliana !» Relisez leformat international convenu pour les lettresde créances, elles vous diront toute lanoblesse d’essence de la fonction dereprésentation à l’étranger d’un pays, d’unpeuple et d’un chef d’État. Certainestraditions en vigueur dans des nations à fortelégitimité historique mettent en valeur cetaspect prestige de la fonction. Aux Etats-Unis, ce sont les amis rapprochés duprésident, hommes trop riches pourrechercher la gratification, qui ne sont pasdiplomates de métier et qui sont honorés enétant placés dans certaines des capitalesjugées les plus prestigieuses. Voilà pour leprestige. C’est votre question qui a misl’accent sur cet aspect. Mais vous le savezbien, je ne regarde pas la question de lafonction sous l’angle du prestige. Lanoblesse d’un poste réside dans le servicede l’intérêt général en soi, à quelque niveauqu’il soit, je dirais même à commencer parles niveaux les plus humbles et dans lesdomaines les plus anonymes. C’est à l’aunedu service des gens que je mesure leprestige en matière professionnelle. C’estainsi que dans le domaine de l’enseignementpar exemple, c’est de mes maîtres, del’école primaire à l’École des Ponts, que jegarde l’impression la plus forte, c’est leurexemple qui marque le plus profondémentmes choix professionnels : Si MohamedZerhouni, Rahmouni, Djebbri, mes anciensinstituteurs, mon propre père qui était«moudarras», Abdelbaki Bencheikh ElAbbas, Benmansour, Allal, Mahdad, Gulil,Hamza Boubeker, Vaissière, Durupt, Saint-Jean, Chapoutier, Galabru, ce sont là mespremières références et non pas lesministres de l’Education de leur époque etdont je n’ai retenu ni le nom ni le visage.Allez poser la question à des générations demédecins de notre pays, quels ont les nomsqui sont restés dans leur tête, ceux desprofesseurs Mohamed Cherif Mostefaï,Toumi, El OqbiI, Benmiloud, Keddari, etc., ouceux des ministres de la République ?Mieux, la fonction ministérielle s’estdévaluée très tôt à mes yeux. Il m’est arrivéde ressentir un sentiment d’humiliation enétant ministre. Jamais en étantambassadeur. Passer de chef degouvernement à ambassadeur est un fait quin’est pas sans précédent et a un sens selonles circonstances. Si ma mémoire ne metrompe pas, Echeverria, ancien président éludu Mexique, a été ensuite ambassadeur deson pays à l’Unesco. Un autre précédent,pas des moindres : Walter Mondale, ancien

vice-président des Etats-Unis d’Amérique dutemps de Carter, puis candidat malheureuxaux «présidentielles», a été ambassadeurdes Etats-Unis, après son mandatprésidentiel. Qu’est-ce qui est plusprestigieux, président du Mexique, vice-président des Etats-Unis ou chef dugouvernement algérien ?

On a vu d’autres cas, en ex-URSS où unedisgrâce conduisait de hauts dignitaires durégime, soit au goulag, soit à un posted’ambassadeur… en Mandchourie. Est-ceune gratification ? Chez nous ?Probablement, dans le cadre d’une dériveque j’ai relatée précédemment. Mais passystématiquement. Votre question décide,d’avance et à la fois, que c’était unegratification et que je l’ai acceptée. Eh bienc’est faux. En fin de compte, c’est ma paroleou la thèse à laquelle vous vous hasardez,un peu légèrement à mon avis. Peut-êtreparlez-vous sous influence de la violentecampagne de mensonges orchestrée dèsmon départ du gouvernement et qui aprésenté les choses comme le fait votrequestion. Des amis ont désapprouvé, eneffet, mon choix d’aller à Paris, c’est vrai,mais c’était pour bien d’autres raisons. Poureux, j’aurais dû rester à Alger pour continuerune action politique. C’était leur conviction.Une partie des citoyens m’en voulurent de«les avoir abandonnés à leur sort» enquittant le gouvernement. Jamaisméchamment. Je vous le dis en touteingénuité, c’est à contrecœur que j’airépondu à cette question sur l’ambassade,parce que, ce faisant, j’ai l’impression de melaisser tirer vers le bas.

Permettez-moi de revenir à la charge.Pour quels motifs avez-vous acceptél’offre de l’ambassade d’Algérie à Paris ?

Je croyais avoir déjà répondu à votrequestion. Si l’objet est de savoir quelles sontmes motivations intérieures, alors il faudraitque vous me posiez la même question pourla douzaine d’autres responsabilités que j’aiacceptées depuis 1962 et pas seulementpour le poste d’ambassadeur à Paris. Maisattardons-nous à cette fonctiond’ambassadeur à Paris qui vous tracassetant ! Quel était le contenu particulier, à sonpropos, de l’impératif de service public ?Servir les relations algéro-française pour lebien d’une Algérie en grande difficultéfinancière, en voie d’isolement et dans uneFrance politique peu amicale, m’a paru êtreun challenge qui méritait d’être relevé. Jem’étais bien posé la question de savoir si telétait l’esprit réel de ceux qui m’ont proposé lamission. Je me suis contenté de penser quec’était le cas pour une partie d’entre eux. J’aieu à choisir entre rester à Alger en étant sûrque je ne pourrais rien y faire d’utile et allerà Paris pour peut être continuer à servir. J’aipréféré la possibilité de l’action à la certitudede l’inaction.

Je vous concède que sitôt arrivé à Paris,je me suis aperçu qu’au moment où laproposition m’était faite, une machinationpoliticienne était déjà déclenchée à un hautniveau des Services, pour obtenir mondépart de l’ambassade, pour le compte duréseau que j’ai mentionné précédemment.Une machination relayée par le sommet del’État qui, de son côté, voyait en moi un rivalpotentiel à éliminer. Cela n’est pas le produitd’une analyse mais d’un constat de faitspatents. Cela ne m’empêcha pas decontinuer ma mission comme si de rienn’était. La machination que j’évoquais s’estsoldée en novembre 1993 par mon renvoiavec un préavis de sept jours. Vous vousétonnez qu’un ambassadeur dans un paysaussi important que la France soit chassé,muni militari, par son gouvernement ?! Lesdétails et les raisons d’un renvoi qui a étédélibérément voulu comme une humiliationn’ont pas leur place dans cet entretien. Lefait est que le HCE m’a sacqué, commeaucun ambassadeur ne l’a jamais été cheznous. A l’exception de deux d’entre eux, lesmembres du HCE ont plongé, pieds joints etyeux fermés, dans le piège de lamachination. Fut-ce par précipitation oulâcheté ou fut-ce mesquinerie ou calculpoliticien. Je ne sais, mais cela ne fut paspour forcer l’admiration à leur égard.

M. C. M.A suivre

Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Lundi 24 mars 2008 - PAGE 9

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Le président Boudiaf, «une capacitéexceptionnelle à se remettre en question».

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M. C. M. : Quel fut votre plus grandbonheur durant votre parcours etquelle fut votre plus grandedéception ?

Le bonheur, c’est à la maison. Jetiens ma plus grande satisfactionprofessionnelle de l’entreprise. J’ai eu lachance d’être acteur dans une aventurehumaine d’exception. Ma grandefrustration est la crainte que magénération ne livre à celle qui la suivraune Algérie dans un état si éloigné denos rêves de jeunesse.

S. G. : En vous détachant dufactuel, que vous inspire commeidées et comme sentiments lasituation que traverse l’Algérieactuellement ?

Est-il raisonnable, après avoirrépondu à plus de 110 questions surdes faits passés, de dissertervalablement du présent, à travers uneseule question sur un sujet aussivaste ? Je me le demande, sachantsurtout que vos lecteurs, malgré leurintérêt pour le passé, auraient sansdoute espéré qu’on les entretienne duprésent et l’avenir. Je savais à l‘avanceque c’est le parti pris de ce typed’exercice que de faire témoigner dupassé. Vous vous êtes imposébeaucoup d’efforts à concevoir et choisiren toute liberté toutes les questions quevous avez jugé susceptibles d’informerau mieux vos lecteurs. Je n’ai pasménagé mes efforts pour y répondrehonnêtement, telle que vous les avezposées. J’aurai d’autres occasions,écrits ou entretiens, pour consacrer mesréflexions, au passé pourquoi pas, maisen liaison avec le présent et l’avenir.

Je vous ai posé la question, parceque tous les hommes politiques seréclamant de l’opposition en Algériedressent un constat de carence durégime en place sans offrir, pourautant, d’alternative sérieuse.Comme s’ils attendaient que lerégime tombe de lui-même ou, plusétrangement, qu’il leur offre debonne grâce, les moyens de lecombattre. Au peuple algérien àl’écoute, quel projet d’avenir et quelledémarche d’espoir proposez-vouspersonnellement ?

La question est importante. La formepeut cependant altérer d’avance le fondde la réponse. Je ne suis pas sûr eneffet que nous pensions à la mêmechose quand nous parlons du «régimealgérien», de «l’opposition» ou de la«majorité». C’est une terminologie quisuppose des mœurs et des traditionspolitiques qui ne sont pas encore cellesqui sont en vigueur chez nous. Dans mapropre compréhension, le régimealgérien tel que le définissent les lois ettextes fondamentaux c’est une chose, lerégime tel que l’incarne le pouvoirpolitique réel dans notre pays c’estautre chose. Dans la plupart dessituations c’est une chose et son

contraire. Je ne rejoins pas non plusl’affirmation, abusive à mon sens, quiveut que tous les hommes ditspolitiques qui ne sont pas au pouvoirsont dans une posture d’opposition, nique tous ceux qui sont arbitrairementrangés dans une telle posture secontentent de dresser des réquisitoirescontre le régime, n’ayant de cesse,selon votre formulation, que d’espérerque ce régime tombe de lui-même ouleur donne de bonne grâce les moyensde le faire tomber. La clarté du débatd’intérêt public ne gagnera rien à laredite de telles assertions qui ne sontque des clichés. Ne serait-ce que pource qui me concerne, ce que je préconisec’est que le régime changeprogressivement mais résolument, qu’ils’éloigne le plus vite de l’arbitraire et serapproche le plus vite possible de l’étatde droit. Qu’il s’investisse pour doterl’État des instruments de la bonnegouvernance. Qu’il conduise lechangement dans ce sens et dansl’ordre. Le plus important pour moi qu’ils’engage dans des pas en avant, mêmedes petits pas, c’est la direction quicompte et la régularité. Qu’il commence,car jusqu’à présent il s’est figé dans laroutine conservatrice, quand ce ne futpas des régressions successives.

Autrement dit, non seulement jen’attends pas que le régime tombecomme vous dites ni encore moins qu’ilme donne les verges pour l’abattre,mais je crains au contraire qu’à force derefuser le changement dans l’ordre, il nese voit imposer le changement dans ledésordre lequel, celui-là, le fera tomberà coup sûr et avec peu de chances pourque ce soit pour le bien de l’Algérie. Endeux mots comme en cent, qu’il tire laleçon de 1991 et qu’il comprenne que lechoix qui est devant nous ce n’est pass’il faut changer ou non. Le choix qui estdevant nous est entre le changementdans l’ordre ou le changement dans ledésordre. Ce que nous désignons par lascène politique algérienne n’est riend’autre qu’un objet virtuel, un ensembled’acteurs qui jouent des rôles que lepouvoir politique réel veut bien leurimpartir, une niche pour chaquesensibilité, la nationaliste, la démocrate,l’islamiste, la trotskyste et mêmel’indépendante. Qu’elles serevendiquent de la majorité ou seréclament de l’opposition, qu’elless’allient ou s’entre-déchirent, qu’ellessoutiennent ou s’opposent, qu’ellesapplaudissent ou dénoncent, toutes lesprétendues sensibilités, jouent sur unepartition et selon un casting qui sontconfigurés et composés par une seuleet même instance scénariste qui opèredans l’arrière-scène.

A part le FFS ou ce qui reste du MDSqui préexistaient à la Constitution ditepluraliste, à part le RCD aussi depuisquelques années, quelles sont lesformations politiques qui se conçoivent,se configurent et agissent de manièreautonome comme des associationsd’hommes et de femmes rassembléspar une volonté et un projet politiques

communs ? Nous nous voilons la facequand nous parlons de la vie politiquedans notre pays en faisant mine decroire que la scène politique est autrechose qu’un leurre. En quoi fermer lesyeux sur cette réalité fait-il avancer laréflexion sur nos problèmes ?

Le rôle de l’opposition est-il decritiquer et de proposer ? Certes,encore faut-il que cela soit permis.Quand j’ai commencé par parler de fondet de forme, c’était pour noter que votrequestion situe d’emblée les chosescomme si nous étions dans des pays oùl’opposition est non seulement acceptéemais dispose d’un statut, de droits et defonctions institutionnels, dans des paysoù le règne est celui du droit et non celuide l’arbitraire. Depuis quand le pouvoiralgérien a-t-il toléré un seul instantl’action politique en général, l’oppositionet le débat public en particulier ? Si nousne vivions pas sous le règne del’arbitraire, pourquoi cet irrespectéhonté et honteux à l’encontre desdroits clairement affirmés dans la loi duFD et de WAFA depuis sept années ?

Avez-vous entendu une seule foisdes débats, soit au sein de la ditemajorité, soit entre la majorité etl’opposition sur des questions autresque celles liées à la gestion du pouvoir ?Pouvez-vous me dire si vousconnaissez le programme du pouvoirpolitique ? Je doute que vous leconnaissiez puisqu’il n’existe nulle part.Trouvez-vous normal que dans notrepays ce soient des exclus de la politiquequi aient un projet politique et socialpour le pays et que ceux qui détiennentle pouvoir n’en aient pas, affairés qu’ilssont à la seule problématique degestion du pouvoir ?

Désolé de vous apporter la

contradiction. Comme tous lesopposants, vous en êtes au stade duconstat…

Je regrette d’avoir à vous le direaussi crûment, je crains que votrejugement expéditif sur ce que vousappelez les opposants, ne soit que laredite du discours fabriqué dans lesmachineries d’État : on interdit à deshommes publics toute action publique,on les empêche de communiquer avecl’opinion en les interdisant de médiaspublics, on les prive du droitd’association, du droit d’éligibilité, pourvenir ensuite et impudemment leurdénier toute audience ou ancragepopulaire, pour leur reprocher l’absenceprésupposée de projet ou l’incapacitéprésupposée aussi à constituer unealternative. Qu’il le pense sincèrementou qu’il ne fasse que répéter ce que l’onveut qu’il dise, cet ancien chef degouvernement se trompe quand ilfustige les «hommes politiques que l’onentend jamais qu’une seule fois tous lescinq ans à l’occasion des échéancesélectorales». De tels propos dénientl’existence dans notre société d’autresfaçons d’être que le mercenariatpolitique, dont il a par ailleurs ce méritequ’il s’en revendique auprès desdéputés ou des militants de son parti. Ilsdétonent dans la bouche du chef d’unchef de parti prodige, il fait le croire,puisque deux mois à peine après sacréation, ce parti a contrôlé une majoritéde plus des deux tiers des sièges àl’Assemblée nationale en 1997. C’estpour dire combien est grande laconfusion que l’on instille dans lesesprits à propos de la vie politiquenationale.

M. C. M.(A suivre)

«Il faudrait pour le bonheur des Etats que les philosophes fussent Rois et que les Rois fussent philosophes» Platon in La République

Histoire des nationalisations, politiquep�troli�re et bonne gouvernance

«Le pouvoir politique ne pourra pas infantiliser indéfiniment la société civileet politique.»

Sid-Ahmed Ghozali au congrès constitutif du Front démocratique«Le pouvoir ne pourra pas infantiliser indéfiniment la société civile et politique».

Entretien réalisé par Mohamed Chafik Mesbah

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SID-AHMED GHOZALI AU SOIR DÕALG�RIE

19e partie

Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Mardi 25 mars 2008 - PAGE 9

Page 38: « Histoire des nationalisations, politiqq que pétrolière

Mohamed Chafik Mesbah : Désoléde vous apporter la contradiction.Comme tous les opposants, vous enêtes au stade du constat…

Sid Ahmed Ghozali : On ne répéterajamais assez l’illusion d’une démarche, celledu pouvoir politique réel, qui prétendinstaurer une scène politique viable par lefaire-semblant. Comme mû par une tentationirrésistible de ne voir dans les civils que desservants serviles. Il existe bel et bien deshommes publics qui n’ont guère rechigné àcommenter et à informer l’opinion sur leprésent tout en lui parlant de l’avenir. Pourma seule part, cela s’est traduit depuis 1999,par une centaine de contributionspersonnelles ou d’interviews à vos collèguesde la presse privée. Pourquoi des hommesqui totalisent 30 ans de service public sont-ilsinterdits de médias publics ? Pourquoi sont-ils interdits d’action publique ? Est-il juste vis-à-vis de vos lecteurs et de l’opinion dereprendre à votre compte l’anathèmeprononcé par le pouvoir contre tous leshommes publics qui ne sont ciblés commeennemis que parce qu’ils ne sont pas servilesou soumis ou au moins complaisants ? Si j’aicréé le FD en mai 1999-mai 2000, avec 170membres fondateurs, 10 000 militants et 1100 congressistes, ce fut tout simplementpour contribuer avec d’autres à rétablir lesconnexions rompues entre l’opinion et lapolitique, entre le citoyen et la chosepublique. Pour faire reprendre espoir auxAlgériens. On ne crée pas un parti pours’opposer. Vous ne trouverez pas une ombrede cela dans leur profession de foi, qui est lasomme d’une déclaration de principes et d’unprogramme d’action à propos de toutes lesvaleurs et les problèmes concrets du citoyenet de la société. Vous ne trouverez rien decomparable dans les propositions des partisdits de gouvernement, ni même dans cellesdes gouvernements qui se succèdent ! Encontravention ouverte à la loi et encontradiction flagrante avec le discourspolitique officiel, le pouvoir, à ce jour, interditde facto cette initiative civique après qu’elleait été acceptée explicitement par la loi. Est-ce à dire qu’il faut baisser les bras ?

L’obstacle majeur à l’action publique est,qu’oubliant la cuisante leçon de 1991, lepouvoir ne laisse la parole qu’à la soumissionou à la violence. Il ne vous agrée que si vouslui montrez des raisons de vous mépriser ousi vous le convainquez d’une volonté oud’une capacité de nuisance ou de violence devotre part. Oubliant l’adage populaire «Tonami est celui qui te fait pleurer», il n’entendtoute critique que comme une dissonance àses oreilles. Le contredire ou seulement lemettre en garde c’est être son ennemi. Quelledifférence entre pareille démarche et leslogan de ceux qui disaient en 1990 «Si tuvotes pour nous tu vas au paradis. Si tu nevotes pas pour nous tu vas en enfer» ? Iln’est pire sourd que celui qui ne veut pasentendre, ni pire aveugle que celui qui neveut pas voir. Il est pathétique, que dis-je, ilest tragique que le pouvoir n’ait pasconfiance en son peuple. N’est-il passignificatif qu’il le voit tantôt comme le«peuple des miracles» tantôt comme «unpeuple médiocre» ? Les deux évaluationssont également absurdes autant qu’elles sontégalement irrespectueuses. Elles ne sont passans rappeler la fameuse tirade où le génialBerthold Brecht fait dire à Arturo Ui dans saRésistible ascension : «Le peuple a perdu laconfiance du gouvernement : il faut changerde peuple !»

Encore une fois, le peuple algérien esten attente de messages d’espoir clairs,portés par des perspectives concrètes ledépassant du statu quo…

Je regrette d’avoir à vous le dire aussibrutalement, le peuple algérien n’est pas àl’écoute des hommes publics. Cela faitlongtemps qu’il a désespéré d’eux. Vous medemandez de vous dire si j’aipersonnellement quelque chose à luiproposer comme démarche d’espoir. Bien sûrque si. Je n’ai fait que ça durant ma viepublique. Pas aux fins de lui plaire et encoremoins à titre de pieux mensonge. Je l’aimontré en plusieurs occasions, dans lessecteurs où j’ai servi, y compris sur le plannational quand j’ai été chef du gouvernement.Les écrits restent. Mon programmes’adressait à toutes les préoccupations desAlgériens… Des députés m’ont en même faitreproche ! «Tu nous dis que tu es là pour sixmois pour préparer les élections mais tu nousprésentes un programme comme si tu allaist’éterniser à ce poste.» Notre culture politiques’est pervertie au point que des députéss’étonnent qu’un gouvernement sepréoccupe des problèmes des citoyens.

Ils ont voté le programme quand même àl’unanimité. Mes initiatives politiques se sonttoutes fondées sur un projet fait depropositions et d’objectifs concrets etdétaillés, tendus tous vers les préoccupationsdes citoyens. Ainsi en a-t-il été lors de mescandidatures aux élections présidentielles de1999 et 2004 : sont déposés au Conseilconstitutionnel des programmes d’action quine se sont jamais réduits à des généralités.Ainsi en a-t-il été aussi de la fondation du FD: elle n’est pas allée sans une déclaration deprincipes et d’un programme d’action. Làaussi les écrits sont restés. Dans toutes lessituations mes programmes et propositionsont été autant de messages d’espoir,formulés autrement que par de simplesbonnes paroles.

Plus concrètement…Cessez d’abord d’égarer les Algériens

dans les dérivatifs politiciens, parlez leur depolitique à travers leurs préoccupations,toutes leurs préoccupations. Prendre leursproblèmes, un à un, concrètement : lechômage, la santé et la pauvreté ; l’eau,l’énergie et les ressources naturelles ; lajustice, la solidarité et la sécurité publique ; laculture, l’éducation et les médias ; labureaucratie, la corruption et la violence ;l’agriculture, le tourisme et l’industrie ;l’économie de marché, le commerce et lamonnaie ; le logement, les transports etl’aménagement du territoire ; le systèmebancaire, les télécommunications etl’informatique, sans oublier les questions desécurité et de défense nationales, lesrelations extérieures, la géopolitique, lesrelations intermaghrébines, les rapports avecnos voisins immédiats, avec la France etl’Europe, avec l’Afrique et le monde arabe,avec les continents asiatique et américain.Leur livrer les données de base et lesanalyses qui vont avec et dont ils ont été detous temps privés. Ne pas chercher à lénifier.Dire donc la complexité de ces problèmesmais démontrer aussi qu’il existe pourchaque problème des solutions et leur direlesquelles. Les aider à objectiver les liensentre ces problèmes et la gouvernance.

Dire les actions et les conditionnalités dela bonne gouvernance. Dire quelles sont lesimplications sur le plan institutionnel de lanature de ces problèmes et de leurrésolution. Sans faire tout cela, on en resteraà la bonne parole au mieux, à la langue debois au pire. C’est un travail de long terme. Il

procède du devoir permanent de tout hommepublic, qu’il soit à l’intérieur du pouvoir ou àl’extérieur. C’est à ce prix que l’homme publicgagnera l’écoute du citoyen et contribueraensuite à l’éveil indispensable desconsciences sur le plan civique. Ce sera àpartir du rétablissement de l’écoute, un pasde géant dans notre problématique, quecommencera à se fonder l’espoir d’un débutde la solution à nos problèmes. Maiscomment remplir ce devoir pour un hommepublic interdit de médias publics, interditd’action publique ? Vous parlez de redonnerespoir aux gens. Nos partenairesbusinessmen américains quand ilsdécouvraient pour la première fois notrepays, nous disaient «… l’Algérie c’est au nordla Californie et, au sud, le Texas...»

Cela veut dire que notre pays détient unesomme de ressources climatiques et derichesses matérielles naturelles comparablesà celles deux Etats qui sont les deux Etats lesplus riches des Etats-Unis d’Amérique. Cesont là des atouts considérables quand onsait que s’y ajoute la richesse humaine, unepopulation jeune, un niveau de formationgénérale, de qualification technique et desavoir-faire managérial qui constitue unebase départ non négligeable pour favoriser lacréation de richesses autres que celles quiont été créées par la nature.

Thomas Robert Malthus n’a pas laisséque l’Essai sur le principe de population surla dénatalité, théorie qui a été rapidementdémentie par les progrès de la science et dela technique. Il a laissé un principe qui estaujourd’hui plus que d’actualité sur toute laplanète, à savoir que, pour que pour qu’unesociété puisse prospérer, il y a troisconditions préalables à remplir : de bonnesinstitutions, une bonne éducation et lerespect de la personne et de sa propriétéprivée. Le pouvoir politique ne pourra pasinfantiliser indéfiniment la société civile etpolitique. Rien ne peut se faire dans unenation sans l’utilisation de toutes sesénergies créatrices. L’attachementobsessionnel de l’oligarchie augouvernement dans l’irresponsabilité ne peutconduire qu’à la perte du pays comme del’oligarchie. Notre expérience est assez richepour nous enseigner que nous devonsorganiser le changement dans l’ordre. Fautede quoi le changement nous sera imposédans le désordre.

Il faut combattre l’idée violemmenttrompeuse que le pétrole est une malédiction: c’est un slogan absurde, fait pour couvrirl’incurie des pouvoirs à mobiliser l’énergiecréatrice individuelle. Si ce n’était pas cetteincurie qui était la vraie source de notreindigence économique, il faudrait donc croire

alors à une incapacité congénitale nationale.Et dans cette dernière et scabreusehypothèse, peut-il exister des richessesnaturelles qui seraient en mesure de réparerune incapacité nationale prétenduecongénitale ? Les tenants de cette absurdethèse ne se rendent même pas compte deson incohérence.

En pesant bien mes mots, je situe pourma part cette idée au rang du blasphèmeéconomique. Car la possession de richessesnaturelles est au contraire une bénédiction.Encore faut-il savoir en tirer le profit, quiconsiste à les utiliser comme un starter, unpuissant levier pour réformer notre économie,restructurer les instruments de régulationétatiques, de façon à triompher du chômage,de la pauvreté et de l’injustice.

La lutte contre le chômage repose sur undéveloppement intensif de l’économie fondéesur la créativité et l’initiative individuelles, laliberté d’entreprendre et la concurrence, ainsique sur un réaménagement radical duterritoire national. Nous sommes neufAlgériens sur dix à occuper moins du dixièmedu territoire national. Le fait que nous vivionsainsi en tournant le dos à notre pays, est ungaspillage monumental de nos potentialitéset c’est en même temps une source dedangers mortels pour l’intégrité du territoire.

La lutte contre le chômage étant uneœuvre de longue haleine, elle serasocialement insoutenable et donc vouée àl’échec si elle n’est pas accompagnée d’unprogramme d’urgence de lutte contre lagrande pauvreté, si elle n’est pas doublée dela mise en place d’instruments permanentsde redistribution pour un fonctionnementpérenne de la solidarité nationale.

Accepterez-vous de vous livrer àquelque pronostic à court et moyenterme ? Par exemple, quels scénariosd’évolution possibles selon vous pour lasituation générale en Algérie ?

La situation est caractérisée par unefragilité générale propice aux lendemainsincertains. Fragilité de la société parce quecelle-ci est abandonnée à elle-même, livréeaux tracas des difficultés quotidiennes, sansinformation sur son passé et son présent,sans projet social national qui donne desraisons de rêver, sans autre perspective queles cauchemars du lendemain et le sentimentd’insécurité d’ensemble.

La désespérance vis-à-vis de l’Étatdéfaillant sur toutes les lignes détruit le senscivique, annihile le système immunitaire depensée, ouvrant tous grands les exutoiresrefuges vers les populismes et lesextrémismes violents sous toutes les formes.

«Il faudrait pour le bonheur des Etats que les philosophes fussent Rois et que les Rois fussent philosophes» Platon in La République

Histoire des nationalisations, politiquep�troli�re et bonne gouvernance

«Thomas Robert Malthus a laissé un principe plus que jamais d’actualité :«Pour qu’une société puisse prospérer, trois conditions préalables sont à réunir: de bonnes institutions, une bonne éducation et le respect de la personne et desa propriété privée».»

Entretien réalisé par Mohamed Chafik Mesbah

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SID-AHMED GHOZALI AU SOIR DÕALG�RIE

20e partie et fin

Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Mercredi 26 mars 2008 - PAGE 8

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Sid-Ahmed Ghozali.

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Fragilité des pouvoirs publics parce que,par essence, le pouvoir solitaire entraved’une manière générale les énergiescréatrices individuelles dans tous lescompartiments de la vie de la société ; sur leplan des libertés individuelles fondamentales,il empêche le débat public et la contestationpolitique et, de ce seul fait, s’interdit à lui-même l’éclairage de la lumière contenuedans la discussion et la contradiction, ildédaigne les précieux apports de laparticipation citoyenne qui est incontournabledans la mise en œuvre des programmes, despolitiques et des lois ; s’agissant de lasécurité du pays le pouvoir solitaire prive lesservices qui en sont chargés del’indispensable coopération des citoyensdans la prévention des graves menacesattentatoires aux biens et aux personnes.Fragilité des acteurs sociaux et politiques quisont dans l’incapacité de jouer le rôle degrands intermédiaires de la vie associativepolitique et civile indispensables à unfonctionnement harmonieux de la cité ; nepouvant exister qu’en tant que leurres dansun simulacre de vie associative civile oupolitique, ils sont discrédités dès lors qu’ilssont asservis en rouages d’un système quifonctionne en cycle fermé sur lui-même etpour lui-même. Alors que leur raison d’êtreest de multiplier les passerelles entre lesgouvernants et les gouvernés, le dévoiementde leur vocation en fait des agentsaggravants de la rupture entre le pouvoir et lasociété.

Fragilité des institutions parce que lesprincipes fondamentaux qui président à labonne gouvernance sont en permanencebattus en brèche : non-observance des lois,déséquilibres et confusions de pouvoirs,opacité dans la prise de décisions et dans lespratiques politiques, absence de contrôlesinstitutionnels crédibles dans les processusde désignation des responsables, de prisedes décisions et de mises en œuvre de cesdécisions. La primauté des préoccupationsde pouvoir dans la pratique politique, parrapport aux préoccupations des citoyens,s’opère au détriment de l’attention qui doitêtre portée au traitement des problèmes.Nous la payons par la dégradation continuedes conditions de vie et par la prolifération duphénomène de la désespérance. D’où lamultiplication des fractures sociales béantesoù viennent s’engouffrer les mouvementsviolents, acteurs bénéficiaires uniques d’unesituation où la seule certitude vers laquelleconvergent les esprits est l’incapacité avéréedu régime à apporter des réponses auxangoisses du lendemain. Sortir de cesfragilités conjuguées implique la sortie ducycle de la défiance mutuelle entre le citoyenet la société politique.

C’est un cycle auto-entretenu qui ne peutque s’emballer si chacun de nous secantonne dans la posture que se limite à sedéfausser de ses responsabilités présentes,politiques ou citoyennes, à se défausser «surles autres» ou sur le passé. Rompre le cerclevicieux dans lequel nous nous trouvonsenfermés est donc l’affaire de tous lesacteurs : la société, les acteurs de la vieassociative civile et politique, les pouvoirspublics et les acteurs institutionnels. Lasociété ne pourra pas s’en sortir si elle nereprend pas d’abord elle-même avec lavolonté de s’en sortir, pour pouvoir ensuiteagir par la force de son énergie propre.Quelle que soit la légitimité de leurscomplaintes, les citoyens, et à leur tête lesélites, doivent se dire une bonne fois pourtoutes que personne ni aucune force neviendra spontanément leur apporter sur unplateau d’argent tous les ingrédientsnécessaires à l’accomplissement de leurdestin. Il est à la fois illusoire et incohérentque, d’un côté et à juste titre, nous pleurionssur notre condition et qu’au même momentnous nous abandonnions à une résignationpassive ou à un dédain, voire un dégoût vis-à-vis de la chose publique.

Une telle attitude, qui considère lapolitique comme «une sale chose» et quiconduit à laisser en somme la politique auxautres, revient en fin de compte à espérerque le règlement de nos problèmes et denotre sort viendra un jour de ceux-là mêmesqui se sont disqualifiés à nos yeux !

Le temps comme la nature travaillentcontre nous tous, dans la mesure où ils nous

éloignent sans cesse des solutions qui sontl’objet de notre quête passive. Au mêmemoment, ils attisent les tentations du recoursà la violence dévastatrice qui, non seulementn’améliorera pas notre conditiond’aujourd’hui, mais accélérera davantagenotre descente aux enfers. L’ennemiapparent et autoproclamé de ce que tudétestes n’est pas forcément ton ami. Quantà se mettre à tricher, voler ou contourner leslois sous le prétexte que les «autres» ou lestenants de l’Etat trichent, volent oucontournent les lois, il s’agit là de rien moinsque de comportements antisociaux dont laseule et première victime est la société elle-même.

Ce sont des comportements suicidaires,qui de surcroît enlèvent toute légitimité auxreproches les plus justifiés que l’on est endroit de faire aux pouvoirs publics. En vérité,notre société doit se souvenir que rien ne sedonne pour rien. Le mieux que la sociétépuisse exiger légitimement de sesgouvernants est que ceux-ci s’attachent enurgence à lever tous les obstacles quil’empêchent de se donner les moyens deprospérer par elle-même et ses propresénergies créatrices.

Il revient à la société une grande part dece qui est à faire pour qu’elle assume sondestin. Les élites ainsi que les acteurssociaux, politiques et civils ne peuvent êtred’aucune utilité publique s’ils se résignent, degré ou de force, au rôle de faire-valoir d’unrégime parvenu à bout de souffle, tant ils’affaire à sa propre pérennisation, à être et àparaître plutôt que d’agir pour le bien général.Faute de revenir à leur vocation première quiest de recentrer les débats et les activités surles problèmes de la cité et leurs solutions, ilsparticipent au contraire à l’aggravation de lafragilité d’ensemble. En se consacrant parcontre à l’éveil de la conscience citoyenne,tout en contribuant à déciller les yeux d’unpouvoir bloqué sur lui-même et enlisé dansl’erreur, les forces de bonne volonté sedonneront la voix qui les rendra plus audiblesau sein de la société comme face au pouvoiren place et seront de ce fait plus à même depeser sur le cours des choses.

Les pouvoirs publics se condamnent eux-mêmes à l’échec s’ils prétendent servirl’intérêt général en faisant fi de laparticipation active de la population. Or iln’existe pas de décisions en matière de lois,de règlements ou de programmes politiqueset sociaux, fussent-elles de la meilleureconception et de la plus grande justesse, quipuissent être mises en œuvre sans unecoopération consciente de la population.Cette coopération repose sur la motivation,c'est-à-dire sur une conscience qu’acquiertchaque individu du lien qui existe entre lesdécisions d’un côté, et son intérêt ou l’intérêtgénéral de l’autre.

La motivation est fonction, non seulementdu degré de participation des citoyens dansle processus des décisions, non seulementde l’efficacité incitative de ces décisions,mais aussi et surtout de la qualité du travailinformatif et pédagogique en direction descitoyens, travail qui relève du devoir despouvoirs publics et des acteurssociopolitiques.

C’est un devoir naturel, à la fois politiqueet institutionnel. Les données diagnostiquesde base étant ainsi posées et si on lesaccepte comme je les vois moi-même, existe-t-il des solutions à la «sortie de crise», pourreprendre l’expression consacrée chez nouspour désigner une situation qui perdurepourtant depuis des décennies ? Avant de sehasarder à un pronostic, on peutraisonnablement poser deux constats. Lepremier est que la solution est l’affaire denous tous, société et acteurs sociopolitiqueset institutionnels confondus.

Le second est l’incapacité avérée desacteurs institutionnels à produire la solution,en tout cas pas eux tout seuls. Mais ont-ilspris conscience de cela ? Là est la grandequestion. Vous le savez bien, la vie politiqueest submergée, au point de s’étouffer, par unactivisme politicien qui est l’apanage decercles très restreints du pouvoir. Depuis desdécennies nous sommes gouvernés par lesrumeurs et la désinformation. L’inexistenced’un programme politique cohérent etdéclaré, l’absence de vision et l’indigence dela pensée se nichent derrière des slogans ou

à l’abri d’un discours officiel qui est, soitmensonger, soit creux. Elles excitent l’attraitobsessionnel pour les effets d’annonce ; ellesdisqualifient la capacité à fournir dessolutions aux vrais problèmes de la nation. Sipar «situation générale» vous entendiez lessoudaines et concomitantes rumeurs qui vonts’amplifiant sur le prétendu sentiment généralde dégradation de la situation sociale ou surla ritournelle du changement de laconstitution et le refrain du nième mandatprésidentiel ou sur les émois que susciteraitla corruption ou enfin sur la prétenduequestion angoissante relative au nom decelui qui serait le prochain président, si c’estdonc tout cela que vous désigniez par levocable de «situation générale» alors c’estque quelque part on ne cesse pas des’évertuer à détourner l’attention des vraisproblèmes.

La violence meurtrière ? Mais c’est depuis1999, année de la «concorde civile» quenous sommes dans le «résiduel» ou dansl’«épiphénomène» pour reprendre certainsdes termes ahurissants du discours officiel.Que dis-je 1999, c’est depuis 1994 que nousentendons qualifier les actions meurtrières de«derniers soubresauts d’un terrorisme auxabois». Aussi ne peut-on que répéter que lerégime n’a pas compris ou fait mine den’avoir pas compris que le terrorisme est unphénomène politique, que ses causesprofondes sont politiques, sociales doncinstitutionnelles. Et que la résorption duterrorisme ne peut s’accomplir que par desvoies politiques, sociales et doncinstitutionnelles. Ce sont ces mêmes causesqu’il s’agit d’éradiquer. La situation socialen’a jamais cessé de se dégrader depuis plusde deux décennies et le fait que nos recettespétrolières annuelles aient décuplé en dollarscourants entre 1989 et 2007, prouve bien quenotre problème se situe ailleurs que dans lesressources financières.

Une société maltraitée continuera àproduire plus de candidats terroristes que lesservices sécuritaires ne peuvent en éliminer.Surtout quand ces services ne bénéficientpas du soutien spontané et entier de lapopulation. La recrudescence des attentatsn’a pas d’autre signification, à savoir que larelation de défiance mutuelle entre le pouvoiret la population est de se dissiper. Aussi laréconciliation nationale dont notre pays a lebesoin impératif le plus urgent est-elle cellequi rétablira les liens rompus entre le citoyenet l’Etat. La vraie question est celle del’incapacité du régime, dans sa configurationactuelle, à faire face aux problèmes gravesqui se posent.

Le constat conduit directement à ladeuxième question qui procède de lacapacité du régime à prendre conscience àtemps que faute d’un premier pas vers ceque j’appelle le changement dans l’ordre, ilnous expose de manière accélérée auchangement dans le désordre, ce qui serait lapire des éventualités parmi celles qui nouspendent déjà au nez. En matière sécuritaireon s’est laissé abuser par les accalmiespassagères au point de perdre de vue que,faute d’un traitement politique, économiqueet social des causes profondes quiconcourent au développement et à l’entretiende la violence, on a laissé perdurer unesituation, où l’Institution militaire a étéconfinée au traitement des symptômes dumal, avec pour perspectives à long terme, aumieux un endiguement de la barbarie – maisnon son élimination – et au pire, unenlisement dans des tâches qui sont d’autantplus frustrantes, qu’elles distraient l’institutionde sa vocation première et qu’elless’accomplissent au prix de sacrificeshumains sans fin.

Le processus décisionnel est lacombinaison d’une constructioninstitutionnelle et d’un legs historique. Un telédifice ne peut tenir que si les rôles y sontbien définis, les responsabilités biendélimitées, donc pleinement assumées, cequi est le gage de l’efficacité et du progrès,de la sécurité et de la stabilité. Dans unesituation de construction institutionnellevirtuelle, ce qui est le cas actuellement, ce nepeut être que n’importe quoi.

Celui qui est le «responsable» visible nedétient pas forcément l’autorité pour assumerses responsabilités tandis que celui quidétient l’autorité réelle n’est ni visible ni

comptable de ses décisions. Se sachant noncomptable, il sera peu regardant, sur lasûreté de ses décisions ainsi que sur le choixde celui qui sert de «devanture». Quant à cedernier, sans le pouvoir réel de décision, il estcondamné à être inopérant puisquediscrédité aux yeux de l’opinion, desappareils administratifs ou des opérateurséconomiques. D’où le règne de l’occulte et del’irresponsabilité, d’où le cortèged’immobilisme, de mauvaises décisions et enfin de compte de gaspillages de ressources.

Qu’il s’agisse de la conduite d’unensemble quelconque, un Etat, uneentreprise, jusque et y compris une cellulefamiliale, le découplage de l’autorité et de laresponsabilité ne peut conduire qu’à laconfusion, à la régression et au chaos. C’estlà un précepte fondamental de la bonnegouvernance qui devrait inspirer l’ordreinstitutionnel nouveau dont nous avonsbesoin et de la place qui devrait y être cellede l’Armée. Le rôle d’une armée moderneconsiste à assurer la défense de la nation, lapréservation de son unité et de sesinstitutions, la défense du territoire et de sonintégrité et non point la gestion de l’Etat ou lefonctionnement de la société.

Quant à la problématique du terrorisme,elle ne saurait se réduire à l’aspectsécuritaire — c’est-à-dire la légitime défense— mais embrasser surtout les aspectspolitiques, économiques et sociaux que seulela société dans toutes ses composantes —institutions étatiques, opinion et société civile— est en mesure de prendre en charge. C’estcela le rôle du pouvoir civil dont l’armée doitêtre le bras. Commençons donc par engagerles premiers pas en direction de cetteexigence. Cela doit se faire avec l’armée. Lapire des éventualités serait que desévènements extérieurs à notre volontéinterviennent pour imposer le changementmalgré l’armée, voire contre l’armée.Oublions tout type de rapports entre civils etmilitaires qui reposerait sur une sorte desubordination servile des uns aux autres, etmisons sur l’alliance patriotique etrépublicaine fondée sur des réalitéshistoriques, sociologiques et culturelles denotre pays, une alliance franchementproclamée, sans complexe, exempte de touteallégeance ambiguë et qui s’imposerait àelle-même, pour seule raison d’être, lasauvegarde de l’unité nationale et le serviceexclusif des intérêts supérieurs du pays.

Il faut ajouter qu’il n’est pas d’avenirconcevable si nous continuons à nousreposer sur une institution unique car toutestratégie efficiente pour entrer dans l’ordreinstitutionnel nouveau, repose surl’édification d’un Etat de droit moderne dotéd’institutions républicaines et démocratiquesauthentiques et fortes, avec l’adhésion detous les Algériens.

Cela demandera du temps. On en a déjàperdu assez comme ça. Il faut commenceravec patience et résolution. Dans une telleperspective, nos soldats gardiens de lanation, de son unité et de ses institutions sesituent en retour sous l’irremplaçable etinégalable aile protectrice du peuple à traversses institutions suprêmes. Emanant de lavolonté populaire, celles-ci n’en seront queplus éloignées de toute tentation pourl’intrigue et donc mieux à même de préserveren toute garantie le statut des corps desécurité, hors d’atteinte de toutes visées, jeuxou intrigues à caractère politicien ourevanchard.

Un statut dévolu, au demeurant par notreHistoire et dont la cruciale validité estcorroborée par les risques inhérents à toutprocessus d’édification d’un Etat de droit etauthentiquement démocratique. Lesdouloureuses épreuves que notre pays etnotre peuple ont vécues de 1988 à ce journous ont appris que de tels risques ne sontpas seulement hypothétiques ou théoriques.Telle est ma réponse à votre dernièrequestion sur la situation générale et sur lespronostics à court et moyen terme. Si vousm’avez lu auparavant, vous relèverez que jen’ai fait que répéter ce que j’ai dit ou écrit àplusieurs reprises.

C’est que les faits sont têtus et que l’unedes lois de la physique édicte que les mêmescauses produisent les mêmes effets…

M. C. M.

Le Soird’Algérie L’Entretien du Mois Mercredi 26 mars 2008 - PAGE 9

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