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De la flânerie. Un improbable dialogue entre F.W. Taylor et W. Benjamin Baptiste Rappin Maître de Conférences à l’IAE de Metz, Université de Lorraine Chercheur au CEREFIGE, EA 3942 IPEFAM, ESM-IAE, 1 rue Augustin Fresnel, BP 15100, 57073 Metz Cedex 3 06 51 99 26 83 [email protected]

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De la flânerie. Un improbable dialogue entre F.W. Taylor et W. Benjamin

Baptiste Rappin

Maître de Conférences à l’IAE de Metz, Université de Lorraine

Chercheur au CEREFIGE, EA 3942

IPEFAM, ESM-IAE,

1 rue Augustin Fresnel,

BP 15100,

57073 Metz Cedex 3

06 51 99 26 83

[email protected]

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Résumé : La philosophie de Walter Benjamin est ici convoquée pour pénétrer au cœur du

système de pensée de Taylor. La flânerie apparaît comme l’opérateur d’une telle entreprise

herméneutique : étant à la fois au centre du management scientifique et une préoccupation

pour le penseur, elle offre ce pont qui relie les rives de la gestion et de la philosophie. La

première étape consiste à clarifier le sens de la flânerie chez Taylor : on y observe tout

d’abord la flânerie naturelle, en d’autres termes la paresse, et ensuite la flânerie systématique.

Cette dernière retient toute l’attention de Taylor car elle est collective, organisée et sournoise,

donc plus difficilement rationalisable ; mais elle est aussi l’objet des réflexions de Benjamin

qui met en exergue les métamorphoses du flâneur dans le Paris du XIXe siècle. Le boulevard

haussmannien et l’usine ont ceci de commun qu’ils ne permettent plus l’exploration libre et

décousue du monde extérieur et qu’ils renvoient le flâneur à son intériorité. On en arrive alors

à cerner l’ambiguïté de la flânerie et son potentiel révolutionnaire : pour Taylor, la maîtrise du

désir et son alignement sur le système de production sont l’objet même du management ; pour

Benjamin, la flânerie apparaît comme l’une des dernières possibilités de voir éclater l’espace-

temps homogène de la Fin de l’Histoire.

Mots Clés : Taylor, Benjamin, flânerie, désir, Fin de l’Histoire, Jetztzeit.

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L’actualité de Taylor

Pourquoi prendre le temps de revenir à Taylor ? Remettre tout cela sur le tapis en 2015 ? Sa

doctrine n’est-elle pas assez connue pour éviter cette redite, assez ressassée pour s’épargner

cette inutile répétition ? Le taylorisme ne se trouve-t-il pas de surcroît suranné et

irrémédiablement dépassé à l’heure de la génération Y et des réseaux sociaux? Il semble

pourtant que ce soit là l’un des lieux communs les plus répandus de notre discipline, l’une des

idées reçues les plus partagées (Gautier et Pezet, 2010, p.148 sq.) : si le nom a disparu, si les

formes technologiques ont incontestablement évolué, le taylorisme s’est pourtant trouvé une

nouvelle peau dans le Lean Management qui déborde désormais le seul cadre de l’industrie

automobile et envahit aussi bien la restauration que les bureaux. En d’autres termes, Taylor

n’a certainement jamais été aussi actuel qu’aujourd’hui : c’est ce que note Peter Drucker

(1976) qui n’hésite pas à qualifier l’ingénieur de « prophète » dès le sous-titre de son article ;

il est rapidement rejoint dans son éloge par Wren (1979) et Locke (1982) qui soulignent tous

deux l’étonnante actualité de Taylor. Par exemple, Drucker montre que la gestion des tâches

fait figure d’ancêtre du management par objectifs, Freeman (1996) allant jusqu’à affirmer que

cette idée est encore parfaitement adaptée aux travailleurs du savoir ; Locke met en évidence

la présence de l’effet de groupe dans le phénomène de la flânerie systématique, une

anticipation de l’école des relations humaines généralement passée sous silence, même si,

chez Taylor, le collectif doit être dissous pour que chaque ouvrier se concentre de façon

optimale sur sa propre tâche ; Locke montre en outre que le système taylorien contient la

notion de feedback : cette dernière n’est certes pas thématisée, mais pose l’ingénieur en

précurseur des relations circulaires de Mary Parker Follet (Graham, 2003) et des boucles de

rétroaction de la cybernétique. Fry (1975), Drucker (1976), Wren (1979) et Locke (1982)

remarquent en dernier lieu que Taylor souffre principalement de ne pas être lu, donc critiqué

car non compris, et qu’il ne saurait se réduire à la peau de chagrin qu’est devenu le

taylorisme. Entre Taylor et le taylorisme, il y a l’épaisseur des textes auxquels il faut

inlassablement revenir pour saisir l’actualité du père du management scientifique.

Si Taylor n’est certainement pas l’inventeur des méthodes qu’il préconise, il lui revient de les

avoir érigées en système et de leur donner des fondements explicites (Freeman, 1996).

Reprenons donc le projet de Taylor tel qu’il le synthétise lui-même dans l’introduction des

Principles of Scientific Management (1911, p.iii et iv) ; celui-ci tient en trois points :

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1. Faire observer les grandes pertes de toute la nation. Quelles sont-elles ? Elles ont déjà

été énoncées plus haut : la déforestation, la pollution des eaux, l’épuisement des

minerais, le gaspillage. L’inefficacité est à l’origine de ces sinistres, la performance

doit être faite « cause nationale » ;

2. Le remède à ces maux réside dans l’adoption du management systématique : l’époque

à laquelle on se mettait en quête de héros ou d’hommes extraordinaires est révolue,

elle est derrière nous. Ce trait n’est pas sans faire penser à l’idéaltype wébérien

(Weber, 1995, p.290 sq.) de la bureaucratie dont les règles et les procédures expulsent

de l’organisation l’arbitraire attaché aux modèles charismatiques et traditionnels ;

3. Le vrai management est scientifique, c’est-à-dire fondé sur des lois. Et suivant

fidèlement le caractère universel des lois scientifiques, Taylor n’hésite pas à étendre

les lois du management : celles-ci sont valables pour n’importe quelle activité

humaine, quelle qu’elle fût, du plus simple geste individuel aux plus grandes

entreprises qui nécessitent la coopération. Est annoncée par là-même l’extension du

management dans les sphères du politique, du savoir, du soin, de la famille, etc.

L’attention à l’environnement, la lutte contre l’autoritarisme, la recherche d’une performance

qui s’appuie sur des bases scientifiques, le caractère universel du management…Taylor ne

serait-il pas notre contemporain ?

La flânerie : l’objet d’une improbable rencontre entre F.W. Taylor et W.

Benjamin

Par quel bout commencer ? Comment s’y prendre pour pénétrer fidèlement dans la logique du

système taylorien. Pierre Cossette (2002) est l’auteur d’un remarquable travail qui nous aide à

surmonter cette difficulté : utilisant la méthode de la cartographie cognitive, il met en

évidence les principaux concepts tayloriens ainsi que les liens qui les relient. Il repère ainsi 61

concepts et 77 liens qui forment la pensée de l’organisation du travail chez Taylor.

Que retirer de cette étude ? Les catégories ayant obtenu le score le plus important sont :

« maintien d’une cadence élevée…flânerie »1, « flânerie systématique ou délibérée »2,

« relations harmonieuses entre employeurs et ouvriers conscients de leurs intérêts mutuels »3.

1 « Maintenance of a rapid pace…loafing (or soldiering) ».2 « Systematic or deliberate soldiering ».3 « Harmonious relations between employers and men aware of their mutual interests ».

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Celles qui contiennent le plus de relations aux autres : « maintien d’une cadence élevée…

flânerie », « relations harmonieuses entre employeurs et ouvriers conscients de leurs intérêts

mutuels », « Création d’un type de management fonctionnel (8 contremaîtres)…maintien

d’une structure dans laquelle le travailleur n’a qu’un seul contremaître »4, « flânerie

systématique ou délibérée ». Les mêmes catégories apparaissent encore centrales lorsqu’il

s’agit d’identifier les causes et les conséquences du système taylorien.

Ainsi l’étude Cossette nous apprend-elle que le cœur du système taylorien se fonde sur la

dichotomie cadence/flânerie. Et que cette dernière est d’autant plus centrale qu’elle ressurgit

dans une seconde catégorie (« flânerie systématique ou délibérée »). L’antinomie est

fondamentale en que la flânerie se constitue en impossibilité de suivre la cadence : elle

représente le crime de lèse-performance par excellence, contre lequel il s’agit de lutter à

l’appui d’arguments aussi économiques que moraux voire religieux. Car l’éducation quaker

de Taylor, et l’influence notable de sa mère (Wren, 2011), le conduisent à voir dans le travail

une valeur, et dans l’inactivité (paresse, oisiveté ou flânerie – il s’agira justement de délimiter

ce champ sémantique) la mère de tous les vices. Monin, Barry et Monin (2003) vont même

jusqu’à étudier l’intertextualité de la Bible et des écrits de Taylor pour mettre en évidence la

nature morale du message de Taylor : de ce point de vue, la cadence et l’harmonie des intérêts

mutuels représentent le salut tandis que la flânerie fait figure de péché à l’état pur. Le

caractère religieux de l’antinomie renforce sa centralité dans le système taylorien.

Que vient faire Walter Benjamin avec tout cela ? Eh bien, pour le dire avec Hannah Arendt

(2014, p.49), « le flâneur est devenu la figure clé dans ses écrits ». En effet, entre 1935 et

1939, l’importance du concept de flânerie est grandissante comme en témoigne sa présence

dans les écrits suivants (Liandrat-Guigues, 2009, p.11) : Le Livre des Passages (2009), Paris

capitale du XIXe siècle (1935), Le Paris du second Empire chez Baudelaire (1938), Sur

quelques thèmes baudelairiens (1939).

Figure paradoxale que le flâneur chez Benjamin, qui ne le porte au pinacle que pour mieux en

faire sentir la douce aliénation ainsi que la lente disparition. Car le flâneur constitue un

leitmotiv de la littérature de la seconde moitié du XIXe siècle : on le trouve dans Le peintre de

la vie moderne de Baudelaire chez qui, bien sûr, Benjamin va puiser son inspiration ; mais on

4 « Creation of a functional type of management (eight bosses)…Maintenance of a structure in which the worker has only one boss ».

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le déniche de surcroît chez Balzac (Loubier, 2001) et chez Stendhal, Musset et Gauthier itou.

Le flâneur du XIXe siècle n’est plus le rêveur ou le promeneur solitaire du siècle précédent ;

la flânerie n’est plus dirigée vers l’intériorité, mais vers le monde : « La foule est son

domaine, comme l’air est celui de l’oiseau, comme l’eau celui du poisson. Sa passion et sa

profession, c’est d’épouser la foule. Pour le parfait flâneur, pour l’observateur passionné, c’est

une immense jouissance que d’élire domicile dans le nombre, dans l’ondoyant, dans le

mouvement, dans le fugitif et l’infini » (Baudelaire, 1980, p.795). C’est pourquoi son lieu de

prédilection sera le passage, cette galerie qu’il peut lentement arpenter en se fondant, tel un

caméléon, dans la foule. On comprend alors que le flâneur soit hostile aux réformes du

Second Empire et à l’entreprise haussmannienne : il s’insurge déjà contre une rationalisation

de l’espace public qui ne fera que s’accélérer avec l’architecture moderniste dont le modèle se

trouve dans le monde machinal et mécanique de Taylor et Ford (Guillén, 1997).

Ainsi, chez Benjamin, le flâneur est autant un personnage historique qu’un idéaltype. Le

flâneur prend en effet vie dans un contexte spatio-temporel précis : « Paris a créé le type du

flâneur. L’étrange, c’est que Rome ne l’ait pas fait. Quelle en est la raison ? […] Un

paysage…c’est bien ce que Paris devient pour le flâneur. Plus exactement, ce dernier voit la

ville se scinder en deux pôles dialectiques. Elle s’ouvre à lui comme paysage et l’enferme

comme chambre » (Benjamin, 2009, p.435). Ailleurs, le philosophe déplace la comparaison

entre Paris et Londres : Baudelaire ne connut pas, en France, la massification en cours de

l’autre côté de la Manche ; c’est pourquoi le flâneur eut encore tant d’importance pour lui

(Benjamin, 1938, p.80-81). Le flâneur est l’homme d’une époque et d’un lieu, ceux des

passages parisiens, puis des grands boulevards et des grands magasins : telle est la progression

qui le voit irrémédiablement disparaître. Cependant, loin de se limiter à cette seule perspective

historique, Benjamin fait du flâneur un idéaltype ; et c’est bien le rapport constamment gardé

en vue avec la rationalisation machinale de la modernité qui autorise le saut de la figure

historique à l’idéaltype.

Taylor se trouve explicitement cité par Benjamin, justement dans cette page où le philosophe

met en évidence la disparition du flâneur à Londres, et progressivement à Paris : « Vers 1840,

il fut de bon ton de promener des tortues dans les passages. Le flâneur se plaisait à suivre le

rythme de leur marche. S’il avait été suivi, le progrès aurait dû apprendre ce pas. En fait, ce

n’est pas lui qui eut le dernier mot, mais Taylor, qui a imposé le slogan : ‘Guerre à la

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flânerie !’ » (Benjamin, 1938, p.81). On y lit d’emblée l’irréductible opposition entre

l’exigence de cadence du travail de l’atelier et la lenteur de la tortue. D’ailleurs, il est aussi à

noter que Benjamin, qui met entre guillemets le slogan taylorien, fait référence à un ouvrage

de Georges Friedmann : on peut émettre l’hypothèse que le philosophe ne lut pas l’ingénieur

dans le texte. Il en eut toutefois une idée claire : « L’oisiveté du flâneur est une protestation

contre la division du travail » (Benjamin, 2009, [M5, 8], p.445).

Faire dialoguer Taylor et Benjamin, ce n’est pas prendre parti pour l’un (l’ingénieur obnubilé

par la prospérité et l’harmonie entre employeur et employés) ou pour l’autre (le philosophe

qui renouvela la pensée de la révolution à partir du messianisme juif). C’est se servir de la

conceptualisation de la flânerie par le philosophe pour plonger au cœur de la naissance du

management scientifique, pour en retrouver la raison d’être désormais camouflée par des

décennies d’incompréhension largement relayée par les mondes académique et professionnel.

Notre recours à Benjamin est méthodologique et herméneutique : il ne s’agit pas de plaquer

telle quelle la pensée du philosophe sur le management, comme il est coutume de faire dans

les Critical Management Studies ; il s’agit bien plutôt de se servir de Benjamin pour faire

philosopher Taylor.

Traduction, trahison ?

Si la traduction ne pose aucune difficulté du côté de Benjamin, puisqu’il reprend les termes

français « der Flâneur » et « die Flânerie », il n’est pas de même chez Taylor dont le lexique

est moins fixé, moins précis, moins défini. En effet, si l’on cherche dans le dictionnaire la

traduction anglaise de « flânerie », nous y lisons : dans un premier sens de « balade »,

« stroll » et « ramble » ; dans un second sens de « paresse » ou « repos », « lounging

about/around », « loafing », ou encore « idleness ». Or, de tous ces termes, Taylor n’use que

celui de « loafing » (1911, p.6) : et encore celui-ci n’est-il pas central lorsque Taylor définit

les principes de la flânerie et en dresse la typologie.

Le verbe « to loaf » renvoie à l’idée de « traîner », voire de « traînasser » et « flemmarder ». Il

n’est donc pas étonnant que le terme apparaisse dans le premier couple antinomique mis en

évidence par Cossette : « Maintenance of a rapid pace…loafing (or soldiering) ». L’obsession

de la cadence, du rythme, de la vitesse voire de l’accélération, fait la chasse au frein, au

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ralentissement, à l’obstacle. À ce titre, on peut rapprocher « to loaf » de plusieurs synonymes

utilisés par Taylor : « underworking », « slow working », « hanging it around » (1911, p.3),

« to take it easy », « lazy », « slow, easy gait » (1911, p.6), « to lag behind » (1911, p.7). Tous

ces termes font apparaître un défaut, un manque, une lacune : comme si les employés

pouvaient donner plus, mais qu’ils donnent moins ou pas assez. Le registre est linéaire et

quantitatif, les ouvriers n’accomplissent pas toutes leurs qualités naturelles alors que celles-ci

furent pourtant partie intégrante de leur sélection.

Mais Taylor utilise un second terme pour désigner la flânerie : « soldiering ». Notons que la

traduction française des Principes d’organisation scientifique des usines (in Séguin et

Chanlat, 1983, p.79-94 : extrait de la traduction chez Dunod) efface la distinction entre

« loafing » et « soldiering » pour les regrouper tous deux sous la bannière de la flânerie. Il est

vrai que Taylor lui-même tend à considérer « loafing » et « soldiering » comme synonymes :

« This loafing or soldiering proceeds from two causes » (1911, p.6). Et un passage antérieur

nous apprend que l’ingénieur considère que le choix du terme, pour désigner la même idée,

dépend du contexte culturel : « Underworking, that is, deliberately working slowly so as to

avoid doing a full day’s work, « soldiering », as it is called in this country, « hanging it

around », as it is called in England, « ca canae », as it is called in Scotland, is almost universal

in industrial establishments […] » (1911, p.3). Si donc la flânerie est universelle, chaque

nation possède son expression pour désigner ce fait.

Mais cette apparente synonymie cache une divergence de sens dont il faut faire apparaître les

traits caractéristiques afin de mieux saisir ce qui se joue dans l’émergence du taylorisme.

Poursuivons donc. Taylor distingue deux causes rendant compte du phénomène universel de

la flânerie. Tout d’abord, l’homme possède un penchant naturel à la paresse, à la fainéantise, à

la lenteur ; c’en est même une évidence qu’il est impossible de remettre en cause : « There is

no question that the tendency of the average man (in all walks of life) is toward working slow,

easy gait […] » (1911, p.6). Il n’y a guère qu’une pression extérieure, c’est-à-dire une

contrainte, qui puisse amener l’ouvrier à adopter un rythme plus rapide. À cette « flânerie

naturelle » s’en ajoute une seconde, la « flânerie systématique » : il s’agit ici d’une flânerie

délibérée, volontaire et calculée (quoique d’un calcul confus pour Taylor). Non plus le

penchant de notre nature, mais la prise en compte d’un intérêt de classe devant la fixation du

salaire par le patron pour chaque catégorie d’employés : si l’employeur venait à découvrir que

l’ouvrier peut produire plus dans le même temps imparti, il lui demanderait de le faire à

salaire constat afin d’en tirer des gains de productivité. C’est pourquoi les ouvriers demandent

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aux meilleurs d’entre eux de ralentir la cadence, y compris par l’exercice de menaces ; c’est

pourquoi les anciens apprennent ce comportement aux nouveaux arrivants : la flânerie se

dresse en routine, elle s’érige en tradition (1911, p.9).

Voici donc flânerie naturelle et flânerie systématique distinguées. Mais Taylor ne s’arrête pas

en si bon chemin, il les hiérarchise : « The natural laziness of men is serious, but by far the

greatest evil from which both workmen and employers are suffering is the systematic

soldiering which is almost universal under all of the ordinary shemes of management […] »

(1911, p.7). Mais pourquoi la flânerie systématique serait-elle un « mal radical » ? C’est

précisément à ce point que nous pouvons engager la réflexion sur la piste d’une distinction

entre paresse (comme « flânerie naturelle ») et flânerie. Il y va d’une différence capitale :

alors que la paresse se donne comme état amoindri d’énergie, la flânerie agit comme

détournement d’énergie ; la première traîne des pieds dans la même direction, la seconde

hésite sur la direction même.

Tout d’abord, la flânerie est dissimulation : « The greater part of the systematic soldiering,

however, is done by the men with the deliberate object of keeping their employers ignorant of

how fast work can be done » (1911, p.7). Pour Taylor qui fait du travail une valeur centrale, la

paresse naturelle était déjà condamnable ; mais que dire alors de la flânerie qui contient en

son essence propre tromperie, mensonge, et malhonnêteté envers l’employeur ?

Indéniablement, une marche supplémentaire est franchie sur l’échelle du Mal. Mais loin de

de se limiter à cette condamnation morale, le malaise de Taylor est en outre « économique » :

la flânerie dépense dans la dissimulation une énergie qui aurait pu être convertie en travail :

elle est gaspillage, dispersion d’énergie, calcul irrationnel. Plus encore, cette retenue d’énergie

pourrait s’avérer subversive, et menacer de dislocation l’espace-temps homogène de l’usine.

C’est le sens même du terme « soldiering » qui nous met sur cette piste. Le dictionnaire en

donne la définition suivante : « to make a pretense of working while really loafing ». On y

retrouve le sens de la feinte décrite au paragraphe précédent. Mais pourquoi utiliser ce terme

qui renvoie au champ sémantique guerrier que Taylor affectionne particulièrement (Monin,

Barry et Monin, 2003, p.390). Car le premier sens du verbe « to soldier » est bien celui de

« servir comme soldat ». S’il est donc une expression française qui pourrait reprendre cette

même connotation, c’est celle de « tire-au-flanc ». Le tire-au-flanc est en effet le soldat

engagé dans la bataille qui refuse d’aller au front et se déporte sur le flanc ; il n’est pas celui

qui s’arrête, paralysé par la peur, en pure perte d’énergie, mais celui qui initie une déviation

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de cette énergie. Il est ainsi à l’origine d’un déséquilibre susceptible de menacer l’harmonie

générale du bataillon, avec comme conséquence fatale la désorganisation.

On comprend alors tout l’enjeu qui se porte autour de la flânerie comme « soldiering » : le

management scientifique a certes pour finalité de remédier à la paresse et de se poser en

prothèse d’une nature humaine défaillante ; tel sera précisément le rôle de la surveillance

exercée par le contremaître pour Taylor. Mais, plus encore, il porte son action sur la

« rectitude » du désir, sur leur « rectification », afin d’éluder toute possibilité de subversion

qu’offre la déviation ou le détournement de l’énergie. Fort de ces premières indications

livrées par cette entrée matière, il devient à présent expédient de détailler chacune des étapes

mentionnées : de la paresse vers la flânerie puis le désir.

La paresse

Au fur et à mesure que le travail devient le fondement de la civilisation occidentale, porté au

pinacle par le développement du capitalisme et le triomphe de l’éthique protestante en terres

anglo-saxonnes ; au fur et à mesure de sa promotion au rang de valeur par la bourgeoisie

laborieuse, la paresse émerge comme antidote, comme parfait antonyme, comme antitype.

Que n’y a-t-il de plus décisivement opposés à la frénésie de l’activité que l’inactivité, le repos,

la cessation de tout mouvement ?

Mais il faut tout d’abord convenir d’un paradoxe : en effet, loin du crime de lèse-performance

que l’on pourrait d’emblée lui imputer, le paresseux produit de la valeur selon les canons

mêmes de l’économie classique. « On pourrait imaginer que si la valeur d’une marchandise

est déterminée par le quantum de travail dépensé pendant sa production, plus un homme est

paresseux ou inhabile, plus sa marchandise a de valeur, parce qu’il emploie plus de temps à sa

fabrication » affirme ainsi Marx (1985, p.43). Une réponse idoine rétorquerait qu’il faut

mesurer la performance selon le critère de l’efficience, et ne pas se limiter à l’observation de

la quantité produite. Mais, déjà au XVIIIe siècle, Samuel Johnson (1758-1760, p.7) anticipait

cette objection : « Le Paresseux n’aime par habitude que les choses faciles à obtenir ; […] il

réussit mieux que ces hommes actifs qui, méprisant tout ce qui est à leur portée, mettent aux

choses un prix proportionnel à la difficulté de les atteindre ». Privilégiant le hic et nunc, il se

contente du peu dont il dispose plutôt que de se jeter dans une course effrénée dont nul ne

connait l’issue ni la fin.

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Considéré dans l’absolu, le paresseux serait donc plus performant que le travailleur. Mais,

précisément, le raisonnement vaut hors toute considération contextuelle : sans la prise en

compte du cadre de l’atelier dans nos présents propos. Car, dans les faits, le Paresseux ne

dispose pas de la liberté des moyens, ni de celle des fins, dans l’univers contraint qu’est

l’usine : il s’inscrit dans un dispositif matériel (bientôt la chaîne avec le fordisme) ainsi que

dans des mécanismes de coordination du travail. C’est pourquoi la paresse joue un nouveau

rôle stratégique au fur et à mesure que le XIXe siècle avance et que le monde industriel se

développe ; il revient alors à Lafargue, gendre de Marx, d’en faire l’opérateur révolutionnaire

fondamental.

Constatant, avec bien d’autres, la « dégénérescence intellectuelle » (1883, p.8) à l’œuvre dans

le travail, Lafargue accuse le prolétariat de corruption voire de trahison : celui-ci se serait

fourvoyé en se convertissant à la religion capitaliste du travail. En 1848, les ouvriers

réclamaient le travail et plongeaient ainsi leurs familles dans l’enfer du labeur. Sortir de

« l’âge de la falsification » nécessite la proclamation des droits de la paresse, en pleine

harmonie avec les « instincts naturels » de l’homme. La thèse révolutionnaire s’appuie ici sur

une anthropologie, paradoxalement partagée avec Taylor, qui fait de l’homme un paresseux

par nature. Mais alors que Taylor construit un artificialisme visant à encadrer cette nature

humaine au nom de la prospérité de la nation, Lafargue en fait le mot d’ordre du refus du

travail. Faire du travail un artifice, c’est se donner la possibilité de déconstruire ce qui a été

construit, c’est-à-dire de mettre en lumière le caractère idéologique de la société capitaliste.

Une thèse poussée dans ses conséquences les plus logiques par Malevitch (1921) qui définit la

paresse comme la vérité effective de l’homme et renvoie dos à dos capitalisme et socialisme,

le premier pour son culte de l’argent, le second pour son utopie du travail pour tous. Si « tout

ce qu’il y a de vivant tend à la paresse » (1921, p.9), alors la paresse ne saurait qu’être mère

de la perfection (1921, p.16).

Quel est le contenu de cette anthropologie ? À quoi donc la journée du paresseux ressemble-t-

elle ? Selon Lafargue, il faut « qu’il se contraigne à ne travailler que trois heures par jour, à

fainéanter et bombancer le reste de la journée et de la nuit » (1883, p.17). Faire bombance,

ripailler, cultiver la pratique de la grande chère…le caractère anti-productif du paresseux

saute aux yeux ! Et l’on sait que l’émergence du management scientifique eut fort à fort avec

le penchant des ouvriers pour la fête : elle fait d’ailleurs partie des « trois grandes institutions

dans lesquelles la dissipation vient s’actualiser », note Foucault (2013, p.197). Le départ entre

la paresse et l’oisiveté s’amorce ici : alors que la première fuit le travail pour le bon temps, la

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seconde condamne l’activité productive au nom de la culture. C’est par exemple le cas de

Russell (1932) qui, recevant ici l’héritage de la scholè grecque et de l’otium romain, associe

l’oisiveté à la civilisation et le travail à une morale d’esclave voire à la barbarie.

Mais le bon temps et l’oisiveté ne résisteront pas au management scientifique. Ils n’en sont

pas en mesure. Trop populaire et trop visible pour l’un, trop aristocratique pour l’autre. Un

comportement ostensiblement paresseux condamne l’ouvrier à prendre la porte : le fainéant ne

peut rester dans l’usine que s’il devient un ouvrier travailleur et productif ; l’abondance de la

main d’œuvre fait de lui un pion interchangeable. Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas

l’éduquer, et lui apprendre les bonnes pratiques : le contrat de travail ne signifie pas pour

autant la totale disponibilité de « la force de travail » selon l’expression marxienne. Quant à

l’homme oisif, son cas est celui d’une classe privilégiée, dont on peut prendre ou non la

défense, mais qui ne possède aucun caractère exemplaire dans un bâtiment industriel.

La flânerie

C’est pourquoi Taylor installe la flânerie au cœur de sa doctrine. Et à juste titre, car elle ne se

donne pas sous les traits de la visibilité et de l’évidence comme la paresse. Rappelons-nous :

elle a trait à la feinte et à la dissimulation. Plus encore, elle est une dépense d’énergie

productive pour le flâneur, improductive pour l’organisation. Les techniques de motivation,

comme le salaire à la pièce, visent précisément à y remédier : il ne s’agit plus de mettre en

mouvement le désir, mais de le redresser et de le rediriger vers l’objectif à atteindre. Le

combat s’installe alors entre une intériorité éprise de sa liberté visuelle et intellectuelle qui

lutte pour sa survie, et ce que nous appelons aujourd’hui « l’engagement organisationnel » qui

nécessite l’identification de la subjectivité à des valeurs et des normes qui lui sont

extrinsèques.

Mais pour mieux comprendre cet enjeu, un détour par les nouvelles d’Edgar Poe s’avère

expédient : c’est ainsi, en tout cas, que Benjamin opère les rapprochements les plus saisissants

entre le monde de la foule et celui de la production avec, à leur croisée, la figure centrale du

flâneur. Ce parallèle est traité dans Le Paris du Second Empire chez Baudelaire (1938, p.80),

dans Sur quelques thèmes baudelairiens (1939, p.180-182) et dans Le livre des passages

(2009, [J 60a, 6], p.352) : les thèmes de « l’uniformité », du « mécanisme », du « réflexe » et

de l’ « automate » sont les pièces clefs de cette analyse structurale. Poe relève en effet « la

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solitude désespérée des hommes prisonniers de leur intérêt privé non pas, comme Senefelder,

par la diversité de leurs attitudes, mais par l’étrange uniformité de leur vêtement et de leur

comportement » (1938, p.80). D’où le recours, chez Poe, au clown qui mime, avec ses gestes

brusques et saccadés, aussi bien les atomes de la foule que « le mouvement fiévreux de la

production matérielle ». Benjamin ajoute que l’homme des foules (ré-)agit par réflexe : « Les

passants qu’il [Poe] décrit se conduisent comme des êtres qui, adaptés à des mécanismes

automatiques, ne pourraient plus avoir eux-mêmes que des gestes d’automates. Leur conduite

n’est qu’une série de réactions à des chocs » (1939, p.182). Si donc « Poe semble avoir

prémonitoirement modelé l’attitude et les réactions de la foule sur le rythme de ces

machines » (2009, [J 60a, 6], p.352), Benjamin s’empresse d’ajouter à la phrase suivante :

« Le flâneur, en tout cas, ne partage pas ce comportement ».

Il nous faut poursuivre le raisonnement : si le flâneur de la rue n’adapte pas le comportement

de l’homme des foules, celui de l’usine risque alors, en toute logique, de ne pas se plier à la

définition d’une séquence de gestes prédéfinis et préprogrammés, de saper le rouage bien

huilé d’une division du travail minutieusement préparée. Ce qui est en jeu, c’est donc à la fois

le fondement de la séparation entre conception et exécution, qui ne vaut que par la garantie de

l’application automatique des séquences conçues ; mais aussi la spécialisation des tâches qui

ne vaut que par la solidarité organique du tout. « Le flâneur sabote le trafic » peut ainsi écrire

Benjamin (2009, [A 3a, 7], p.73) mettant en évidence que le flâneur n’épouse ni le sens ni la

cadence de la circulation, des hommes dans la rue, des matières dans l’atelier. Ce qui

caractérise en effet le flâneur, c’est son « irrésolution particulière » (Benjamin, 2009, [M 4,

3], p.443) : celui-ci ne s’oppose pas frontalement à la prescription ingénierique, mais doute de

sa légitimité, et ne parvient pas à y adhérer corps et âme. Ou, plus précisément, son âme

maintient une certaine indépendance face à l’univers qui l’entoure. Un écart parvient à

subsister entre intériorité et extériorité : la naturalisation de l’être humain n’est pas encore

achevée chez le flâneur.

L’inhumanité croissante de la foule, ainsi que celle accomplie de l’usine, a pour corollaire le

repli du flâneur sur lui-même, la métamorphose de la flânerie objective en flânerie subjective.

Puisqu’il n’est plus possible d’investir l’espace, et tout le jeu de couleurs qui se donne comme

matière première au flâneur, la flânerie prend alors la direction des méandres de l’intériorité

au risque (pour le management scientifique) d’y découvrir, à l’instar de Montaigne, l’état

perpétuellement mobile et changeant du moi. Si la brèche ne peut sourdre du monde, c’est

alors que le moi qui devient l’épiphanie d’une dislocation. Benjamin (2009, [M 14a, 4],

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p.461) propose en ce sens une citation de Daniel Halévy qu’il érige en « maxime du

flâneur » : « Dans notre monde uniformisé, c’est sur place et en profondeur qu’il faut aller ; le

dépaysement et la surprise, l’exotisme le plus saisissant, sont tout près ». La véritable flânerie

de l’ère des masses est celle de l’âme, elle ne prend plus la forme du voyage aléatoire ou du

vagabondage, mais celle de l’observation : « Flâner est une science, c’est la gastronomie de

l’œil » (Loubier, 2001, p.155). Le flâneur est à l’affût, il scrute, il déchiffre : il s’aperçoit alors

que la réalité n’est pas si homogène qu’on la lui présente, il remarque l’infinie variété de la

vie quotidienne, il est attentif aux variations qui valent plus à ses yeux que la répétition du

même. Et c’est bien cette dissipation d’énergie, que contient inévitablement la pratique de

l’observation, qui prive l’entreprise de la pleine puissance du travail du flâneur. Et celle-ci se

dissimule, elle ne se donne pas à voir comme telle car elle est le fruit de l’activité d’une

intériorité désirante : cette dernière est bel et bien l’objet premier du management scientifique.

Le désir : de la fixation à l’alignement.

Un premier enseignement peut être tiré de ces développements : on ne saurait plus longtemps

assimiler économie classique et management taylorien comme d’aucuns se proposent de le

faire. Certes, il y a de la rationalité dans les deux ; mais dire cela, c’est précisément refuser

d’aller plus loin et de spécifier les rationalités en jeu. Il est pourtant clair que l’anthropologie

taylorienne diffère radicalement de celle de l’homo economicus : alors que l’économie

postule, sans égard pour la réalité et en fonction de son unique besoin de modélisation, la

rationalité de l’homme (comme agent calculateur et maximisateur de l’utilité marginale) et du

marché, Taylor fonde son système sur l’irrationnel du comportement humain et oppose un

constructivisme organisateur au naturalisme de l’économie. Si cette dernière juge la qualité

des modèles produits sur le critère de leur capacité à prédire la réalité, voire à s’imposer

comme réalité dans une logique performative soulignée par MacKenzie, le management

s’institue d’emblée comme opération de dressage et d’éducation, c’est-à-dire de

rationalisation. D’un côté, la rationalité comme postulat ; de l’autre, comme horizon. À

travers la flânerie, Taylor découvre déjà, sans le thématiser explicitement bien sûr, l’effet

Hawthorne rattaché à l’équipe de Mayo, mais aussi la dynamique de groupe que l’on attribue

à Lewin : le matériau de base, l’atome si l’on veut, du management, ce sera le désir ; sa

finalité, le gouvernement des subjectivités dans l’univers organisationnel.

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Aussi la centralité de la flânerie chez Taylor nous autorise-t-elle à revenir sur des pensées

contemporaines considérant le désir pour objet central du management : c’est le cas, entre

autres, de Foucault et de Lordon. Dans son cours de 1972-1973 au Collège de France, La

société punitive, que l’on suppose être préparatoire à Surveiller et Punir, Foucault part du

postulat anthropologique suivant : « Le temps et la vie de l’homme ne sont pas par nature

travail, ils sont plaisir, discontinuité, fête, repos, besoin, instants, hasard, violence, etc. »

(2013, p.236). La vie est expression luxuriante et désordonnée du désir, anarchie des

affects, d’où le rôle du management énoncé dès la phrase suivante : « Or, c’est toute cette

énergie explosive qu’il faut transformer en une force de travail continue et continuellement

offerte sur le marché ». Les travailleurs, principalement des paysans arrivant en ville lors de la

fin saison à la campagne, ne sont guère habitués à la standardisation des tâches, au respect des

délais et des heures ; ils ne reconnaissent guère la légitimité de l’autorité, et importent dans

l’atelier leurs modes d’être des champs. Il s’agit donc, pour reprendre les termes du

philosophe, de fixer leur énergie sur l’appareil de production. Le nom de « fixation » revient

d’ailleurs très souvent dans ce cours, par exemple : « Ce qui est en question, […], c’est un

rapport de fixation à l’appareil de production » (2013, p.193). Si le développement des

institutions judiciaire et carcérale s’avère efficace pour lutter contre la déprédation (vols,

sabotages, …), la question qui hante l’employeur est celle de la dissipation de l’énergie qui

prend la forme de « l’absentéisme, des retards, de la paresse, des fêtes, de la débauche, du

nomadisme, bref, de tout ce qui est de l’ordre de l’irrégularité, de la mobilité dans l’espace »

(ibid.). En outre, Foucault note que l’illégalisme de dissipation est plus dangereux que

l’illégalisme de déprédation en ce qu’il adopte des formes collectives (2013, p.195) : nous

voici renvoyés à la flânerie systématique dont Taylor mit à jour le caractère grégaire. Le

contrôle de la dissipation est ainsi plus ardu, mais cette difficulté est à la hauteur de la perte de

performance qui s’ensuit. L’enjeu est donc crucial.

Foucault, en conclusion de ce cours, affirme alors que la mise en place de la société

disciplinaire, qui repose sur la pénalisation de l’existence et la logique de l’examen, est la

réponse à la problématique de la fixation du désir sur l’appareil de production. Le contrôle

continu qu’est l’examen repose sur le savoir ; Taylor en était parfaitement conscient, lui qui

reprochait aux managers de ne pas connaître le travail des ouvriers qu’ils encadrent : « […]

the greatest obstacle to harmonious cooperation between the workmen and the management

lay in the ignorance of the management as to what really constitues a proper day’s work for a

workman » (1911, p.25). Aussi ce savoir-pouvoir qu’est la discipline comporte-t-il toutes ces

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méthodes que Foucault analysa dans Surveiller et Punir (1975) : quadrillage de l’espace,

emplois du temps, surveillance hiérarchique, etc.

Toutefois, alors que Foucault perçut génialement la mise en place d’un contrôle continu visant

à transformer le temps en production, il resta centré sur la question de la fixation et du

branchement du désir, c’est-à-dire sur l’apprentissage d’une immobilité corporelle (« la

docilité des corps »), sans aborder la question de l’alignement du désir des employés sur celui

de l’employeur. Et pourtant, cet aspect est déjà bien présent chez Taylor, et connut une

importance grandissante au fur et à mesure du développement et de la sophistication des

techniques managériales. Comme le note Lordon, si la mobilisation est bien ce qui fait

mouvoir les corps (2010, p.48), alors elle est « affaire de colinéarité : il s’agit d’aligner le

désir des enrôlés sur le désir-maître. Dit autrement, si le conatus5 à enrôler est une force

allante d’une certaine intensité, il s’agit de lui donner sa « bonne » orientation, c’est-à-dire

une direction conforme à la direction du conatus patronal (que celui-ci soit un individu ou une

organisation) » (2010, p.54). Pour reprendre nos développements précédents, si le paresseux

et le vagabond ont besoin d’être fixés sur l’appareil de production, l’alignement des désirs

s’adresse quant à lui au flâneur, lui qui est toujours déviant ou tangent par rapport à l’ortho-

désir : en termes géométriques, le désir du flâneur n’est pas perpendiculaire à celui de

l’employeur, comme peut l’être celui du paresseux, il lui est finalement assez proche, même

trop proche pour que l’écart soit détectable. D’où le danger qu’il représente, car l’interstice

peut être le lieu d’une subversion plus profonde, car sournoise et dissimulée, que l’opposition

frontale.

Il est d’ailleurs tout à fait significatif que Taylor étendit la logique du savoir-pouvoir à l’âme,

loin de se contenter de la docilité des corps : « There is another type of scientific investigation

which has been referred to several times in this paper, and which should receive special

attention, namely, the accurate study of the motives which influence men » (1911, p.62). C’est

avec l’ingénieur que la motivation fait son entrée sur la scène du management, faisant de

Mayo, Lewin, Herzberg et consorts ses héritiers plutôt que ses contempteurs. Se défiant du

management de « l’initiative et de l’incentive » (1911, p.14) qui caractérisa les modes

d’organisation précédents et se révélait par trop dépendant de l’arbitraire subjectif des

employés, de leur bon vouloir, Taylor fonde ses espoirs sur le management de la tâche, dont il

ne s’attribue d’ailleurs pas la paternité. L’alignement du désir se produit alors dans l’étroite 5 Lordon développe une philosophie économique dont il puise les postulats chez Spinoza. Aussi le conatus, cet effort par lequel chaque chose s’efforce de persévérer dans son être, est-il la pierre angulaire de son ambitieux système.

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corrélation instituée entre la cadence, donc la production, et le salaire : « […] plenty of

workmen can be found who are willing to work at their best speed, provided they are given

this liberal increase in wages » (1911, p.63). Mais la reconnaissance n’est pas seulement

financière, elle est également psychologique : le travailleur doit être encouragé (verbalement)

à améliorer les méthodes en vigueur (1911, p.67). Aussi le projet de Taylor n’est-il pas

simplement un réajustement matériel de l’atelier : il est certes dressage des corps mais

également, et fondamentalement, « a complete change in the mental attitude of the working

men as well as of those on the side of the management » (2011, p.73). Le taylorisme

s’annonce comme une révolution anthropologique, comme une transformation de

l’ « outillage mental » pour reprendre l’expression de Lucien Febvre, une quête de prospérité

et de performance qui passe par le nécessaire alignement des désirs des ouvriers.

Fin de l’Histoire ou Jetztzeit ?

S’il est également un item central que l’étude de Pierre Cossette fait ressortir, c’est celui des

relations harmonieuses entre employeurs et employés. Et, en effet, « scientific management

will mean, for the employers and the workmen who adopt it […] the elimination of almost all

causes for dispute and disagreement between them » (Taylor, 1911, p.75). La réconciliation

du patronat et des ouvriers, des employeurs et des employés, cette harmonie enfin trouvée,

marquent la fin de l’Histoire : l’élimination de toute négativité supprime le moteur du possible

et obère la venue du temps sous la forme de l’évènement. La modernité, s’avançant sous les

traits des différents visages de la Philosophie de l’Histoire, réservait toujours une place, au

sein même du mouvement du progrès, à une dose de négativité : Hegel en est l’exemple le

plus illustre, lui qui inscrit la dialectique au cœur de l’histoire de l’Esprit et de son

développement. Le négatif y apparaît même comme une condition du positif. Le management

scientifique, sous la plume et la doctrine de Taylor, parachève le mouvement moderne de telle

sorte que l’Histoire y prend fin, et que le temps en vient à s’immobiliser dans l’éternel retour

de l’application des principes de la performance. La paix économique et sociale y est

célébrée, vécue et partagée sous le signe de la pleine acceptation de lois scientifiques

irréfutables.

Vers le milieu du XXe siècle, Rizzi puis Burnham expliciteront plus clairement cette dilution

de l’histoire dans le management. De ce point de vue, Taylor fait déjà figure d’aboutissement

pour une modernité qui ne rêvait que de Progrès, dont l’Esquisse d’un tableau historique des

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progrès de l’esprit humain de Condorcet joua le rôle d’archétype. Quelle ruse de l’histoire !:

là où le progrès devait se faire culturel, scientifique, moral, politique et juridique, il ne doit in

fine sa victoire qu’au règne du management, c’est-à-dire à celui d’un monde coopératif :

« Harmony, not discord. / Cooperation, not individualim » (1911, p.74). Ici encore, Taylor

diverge radicalement des postulats de l’économie néoclassique ; le quaker qu’il est considère

le management scientifique comme l’effectivité même de la fraternité, une fraternité dont il ne

faut pas craindre de penser l’extension à l’échelle de la planète : « The larger profit would

come to the whole world in general » (ibid.). Significativement, l’État et ses frontières sont

absents des écrits de Taylor qui annonce déjà la crise de la souveraineté et le prochain succès

d’une gouvernance mondiale.

Aussi le monde industriel de Taylor revêt-il les mêmes caractéristiques que le Paris

haussmannien qui, dans le même temps, abrite et chasse le flâneur. Le grand boulevard, dont

la construction nécessite la suppression des ruelles, des impasses et des passages, et l’usine

relèvent tous deux d’un univers continu et homogène, pleinement stable et positif : un espace-

temps newtonien parfaitement intégré dans le plan des affaires humaines. « Si le principe de

la manufacture est l’isolement des procès particuliers par la division du travail, celui de la

fabrique est, au contraire, la continuité non interrompue de ces mêmes procès » (Benjamin,

2009, [J 78, 4], p.382). Entendons-nous bien : cette continuité est bien celle des processus

matériels et opérationnels, mais elle ne s’y limite pas. La continuité est avant tout historique,

sens de l’histoire et de son achèvement, dans la célébration de l’harmonie de deux classes

auparavant antagonistes, mais désormais réunies dans la compréhension de leurs intérêts

mutuels : « La célébration, ou encore l’apologie, s’efforce de recouvrir les moments

révolutionnaires du cours de l’histoire. Elle a à cœur de fabriquer une continuité » (Benjamin,

2009, [N 9a, 5], p.491-492). Il s’ensuit que la révolution ne saurait plus être un combat pour la

propriété des moyens de production : elle est la lutte pour l’éclatement de l’histoire continue,

à laquelle le marxisme lui-même participait pleinement (Benjamin, 1942, p.427-428). C’est

précisément ici que ressurgit la flânerie, comme possible du Jetztzeit, comme soudaine et

explosive irruption de l’image dialectique dans le continuum historique. Ici même, à ce point

exquis de la modernité qu’atteint le management scientifique, s’engage ainsi le combat entre

continuité et discontinuité : la déchirure de l’unité de temps, de lieu et d’action est-elle encore

possible ?

Quelle est l’activité du flâneur ? Il « herborise le bitume » (1938, p.57) : que cela signifie-t-

il ? Herboriser, c’est, selon le Trésor de la Langue Française, « recueillir des plantes dans la

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nature pour les étudier, les collectionner ou pour utiliser leurs propriétés thérapeutiques ». Le

flâneur, dans son inlassable activité d’observation, saisit la vie « dans toute sa variété et dans

la richesse inépuisable de ses variations » (1938, p.58), il constate que « la ville n’est

homogène qu’en apparence » (2009, [C 3, 3], p.113) ; tout comme le collectionneur, il est

touché par « la confusion et l’éparpillement des choses dans le monde » (2009, [H 4a, 1],

p.228), c’est pourquoi le détective, toujours en quête d’indices, est l’un des derniers avatars

du flâneur (2009, [M 13a, 2], p.459). Dans cette collection visuelle qui rassemble des

éléments épars et hétérogènes, le flâneur souhaite recréer un ordre qui n’est plus celui du

fonctionnalisme technique : « Ce qui est décisif dans l’art de collectionner, c’est que l’objet

soit détaché de toutes ses fonctions primitives » (2009, [H 1a, 2], p.221-222). Le flâneur,

quand il herborise le bitume, ou l’appareil de production, opère un réagencement de l’espace

et du temps qui échappe à la staticité positive de la fin de l’Histoire, il fait surgir l’éclair de

l’image dialectique (1942, p.430) d’une tradition jetée dans les cachots de l’histoire par le

triomphe de la rationalité managériale. Le flâneur reste le seul témoin d’un univers « lieu de

catastrophes permanentes » (2009, [D 5, 7], p.136), il est l’unique garant d’une théologie de la

révolution, il peut se faire le lieu de transition et de médiation entre une compréhension du

passé enfoui et l’horizon d’action du présent : c’est pourquoi l’alignement de son désir

procède bien d’un enjeu de clôture de l’Histoire ou d’ouverture d’une nouvelle temporalité.

Le point nodal du management scientifique naissant – ce n’est certainement plus le cas un

siècle plus tard – dépasse, tout en les englobant, les questions de la rationalisation du travail et

de la performance, traits sous lesquels le taylorisme se trouve habituellement présenté.

L’Histoire peut-elle se laisser totaliser ? Si tel est le cas, le management peut alors recycler le

projet éducatif de la modernité dans son entreprise d’alignement des désirs sur celui de la

Totalité. Pourtant, les déchirures et les ruptures, les brèches et les catastrophes, les fractures,

se laissent-elles toutes réintégrer dans le cours de l’Histoire ? Benjamin, héritier de la

théologie juive, fait ici le pari d’une irréductibilité de la négativité : Jetztzeit dit le temps de

l’urgence, celui de l’accident et du quotidien, celui de l’aléa et de l’imprévisible, qui ne sont

pas reconductibles à une Totalité achevée et homogène résultant d’un processus continu

d’accumulation. En somme, le nœud du management scientifique est bel et bien la flânerie :

alignée et maîtrisée, elle tend vers la fin de l’Histoire ; préservée voire cultivée, elle pourrait

se faire l’instrument de la fugace irruption de l’instant révolutionnaire.

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