y a-t-il encore des indications de la fibroscopie pour l’intubation difficile ?
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Le Praticien en anesthésie réanimation (2013) 17, 309—313
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ScienceDirectwww.sciencedirect.com
OPINION
Y a-t-il encore des indications de lafibroscopie pour l’intubation difficile ?
Is fiber-optic bronchoscopy-guided tracheal intubation stillrecommended?
Étienne Gayata,∗,b,c
a Département d’anesthésie-réanimation, hôpitaux universitaires Saint Louis,Lariboisière, 2, rue Ambroise-Paré, 75010 Paris, Franceb Inserm UMR-942, 75010 Paris, Francec Université Paris Diderot, 75013 Paris, France
MOTS-CLÉSIntubation difficile ;Fibroscopie ;Voies aériennessupérieures ;Glottiscopes
Résumé La nécessité d’utiliser la fibroscopie pour l’intubation difficile est un événementrelativement rare. Toutefois, cette technique doit être connue et maîtrisée par l’ensemble desanesthésistes-réanimateurs car elle constitue la solution optimale en cas d’intubation difficile,en particulier si celle-ci est prévisible. En dehors des situations où l’indication de la fibrosco-pie est formelle (comme l’instabilité du rachis cervical, la cellulite cervicale, les antécédentsd’intubation difficile), un certain nombre d’alternatives à la fibroscopie ont été développées. LeFastrachTM est la solution recommandée par la conférence d’experts 2006 de la Société francaised’anesthésie-réanimation. Toutefois, la vidéolaryngoscopie plus récemment développée et misesur le marché semble être une alternative à la fibroscopie particulièrement attractive.© 2013 Publié par Elsevier Masson SAS.
KEYWORDSFiber-optic
Summary Awake fiber-optic intubation is useful when difficult intubation is anticipated. It isa valuable technique that achieves safe airway management of patients with anticipated dif-
intubation;Difficult airway
ficult tracheal intubation. It should be skilled by most anesthesiologists. Fibreoptic intubationis recommended in some specific settings (unstable cervical spine or necrotizing cervical fas-
case
management; ciitis for instance). In other Glottiscopes although FastrachTM is commonly© 2013 Published by Elsevier Ma
∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected]
1279-7960/$ — see front matter © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS.http://dx.doi.org/10.1016/j.pratan.2013.10.007
s, alternative techniques should be considered. Among these,
promoted, videolaryngoscopy is certainly very promising.sson SAS.
3 É. Gayat
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Tableau 1 Facteurs prédictifs d’intubation difficile.
Critère prédictif Grade derecommandation
Antécédent d’intubation difficile Grade CClasse de Mallampati > 2 Grade CDistance thyromentonière < 6 cm Grade COuverture de bouche < 3,5 cm Grade CLimitation de la mobilité
mandibulaire (test de morsurede lèvre)
Grade E
Limitation de la mobilité durachis cervical
Grade E
IMC > 35 kg/m2 Grade DSyndrome d’apnées obstructives
du sommeil avec tour de cou> 45,6 cm
Grade D
Pathologie cervicofaciale(cellulite cervicale,épiglottite)
Grade D
Pré-éclampsie Grade ETraumatisme cervicofacial Grade EPrésence de brûlures de la face Grade E
IMC : indice de masse corporelle.
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Tableau 2 Indications formelles à l’intubation parfibroscopie.
Antécédent d’intubation difficile ayant nécessité lafibroscopie
Antécédent de ventilation au masque impossibleIntubation difficile prévisible associée à
Une contre-indication à la succinylcholineUn risque important d’inhalationUne impossibilité d’accéder à la région cervicale
10
ntroduction
’intubation sous contrôle de la fibroscopie trachéobron-hique est relativement rare. Toutefois, cette techniqueoit être maîtrisée par l’ensemble des anesthésistes-éanimateurs car elle est parfois indispensable et constitueans les situations les plus difficiles de gestion des voiesériennes, une solution de recours.
L’intubation par fibroscopie permet une visualisationirecte des cordes focales par voie orale ou transnasalerâce à un endoscope souple et la mise en place d’une sonde’intubation dans la trachée sous contrôle directe de la vue1]. L’apprentissage de cette technique est rapide, nécessitene bonne connaissance de l’anatomie des voies aériennesupérieures et doit être maintenu tout au long de l’exercicerofessionnel des médecins anesthésistes-réanimateurs. Laréparation des patients à l’intubation sous fibroscopie,uand celle-ci est prévue, est primordiale, elle comprendne information des patients, une anesthésie locale ou loco-égionale et une sédation pendant la procédure ; toutefois,et aspect n’est pas l’objet de cette mise au point et neera donc pas abordé.
Il existe différentes définitions de l’intubation difficile.e groupe de travail de l’American Society of Anesthesio-ogy définit l’intubation difficile comme une situation où’anesthésiste rencontre des difficultés pour la ventilationu masque ou pour la ventilation via un dispositif supra-lottique ou pour l’intubation trachéale ou pour les trois [2].’intubation difficile est aussi classiquement définie commea survenue d’un des trois événements suivant :
nécessité de réaliser plus de deux laryngoscopies ;nécessité d’utiliser une aide à l’intubation par laryngo-scopie (mandrins) ou ;nécessité d’utiliser un dispositif alternatif à la laryngo-scopie directe (Fastrach, vidéolaryngoscopie).
lgorithmes de prise en charge de’intubation difficile
n distingue classiquement deux situations : l’intubationifficile prévue et l’intubation difficile non prévue. Dans leremier cas, l’évaluation préopératoire du patient a conduit
identifier un ou plusieurs facteurs prédictifs d’intubationifficile. Une conférence d’experts organisée par la Sociétérancaise d’anesthésie-réanimation (Sfar) en 2006 résumees facteurs prédictifs (Tableau 1) [3].
L’objectif des algorithmes de prise en charge de’intubation difficile est la maîtrise et l’anticipation duisque. Il faut prioritairement mettre tout en œuvre pournticiper une situation critique. Dans ce cadre, face à unentubation difficile prévue, il n’est pas recommandé de pra-iquer une laryngoscopie pour évaluer la difficulté réellee l’intubation sans avoir planifié une stratégie de prise enharge (grade E). De même, le recours à l’anesthésie loco-égionale doit être envisagé et peut être privilégie mais il’économise pas le fait de prévoir une alternative en cas
’échec, le contrôle des voies aériennes en cas de difficulté’oxygénation et le report de l’intervention si les condi-ions requises à la réalisation d’une sédation ne sont paséunies.Dans ce contexte, l’indication privilégiée de la fibro-copie est l’intubation difficile prévue. En cas d’intubationifficile non prévue, la fibroscopie est une solution deecours en cas d’échec des autres techniques, en particulieru Fastrach® (Fig. 1). Le Fastrach® est un masque laryngé
armé » qui permet la ventilation sans intubation et/ou’intubation à l’aveugle avec une sonde armée à travers unasque laryngé.Bien que basées sur des avis d’experts, il existe un certain
ombre d’indications formelles à l’utilisation de la fibro-copie pour l’intubation difficile, situations dans lesquelleses alternatives à la fibroscopie ne doivent être envisagéesu’en cas d’échec de celle-ci et d’impossibilité de reportere geste chirurgical. Ces indications formelles sont résuméesans le Tableau 2.
Rachis cervical instableCellulite cervicale avec diminution de calibre des voies
aériennes supérieures
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Figure 1. Place de la fibroscopie dans les algorithmes de prise en charge de l’intubation difficile proposée par la conférence d’experts2006 de la Société francaise d’anesthésie et de réanimation. On distingue classiquement deux situations : une situation où la ventilationau masque est possible (A) et une situation où la ventilation au masque n’est pas possible (B). La place privilégiée de la fibroscopie pourl’intubation difficile est la situation correspondant à une intubation difficile prévue avec ventilation au masque possible. Dans les autressituations (en particulier pour l’intubation difficile non prévue), la fibroscopie est à considérer comme solution de sauvetage en cas d’échec
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des autres techniques.
Alternatives à la fibroscopie pourl’intubation difficileMême si elle est la méthode de référence, de nombreusesalternatives à la fibroscopie ont été développées et peuvent
parfois être envisagées en première intention pour la priseen charge d’une intubation difficile.Les différents dispositifs alternatifs à la fibroscopiedisponibles sont brièvement décrits dans le Tableau 3.
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a vidéolaryngoscopie pourrait constituer dans un certainombre de situations une bonne alternative à la fibrosco-ie. La vidéolaryngoscopie a montré son efficacité chez lesatients obèses morbides, les patients ayant un score deormack élevé, chez les patients ayant un rachis cervical
mmobilisé. L’indication privilégiée de la vidéolaryngoscopie
st l’intubation difficile prévue chez un patient ventilableu masque et ne présentant pas une des indications for-elles à la fibroscopie décrites dans le Tableau 2, d’une312 É. Gayat
Tableau 3 Indications formelles à l’intubation par fibroscopie.
Nom du dispositif Principe
Mandrin, guide Le mandrin est introduit dans la trachée sous laryngoscopie directe, la sonded’intubation trachéale est ensuite glissée sur le mandrin. Son utilisation estsystématique aux États-Unis en première intention lors d’une intubationdifficile prévisibleOn peut utiliser un guide creux qui permet l’oxygénation concomitante
FastrachTM Masque laryngé « armé » qui permet la ventilation sans intubation et/oul’intubation à l’aveugle avec une sonde armée à travers le masque
Guide lumineux (TrachlightTM) Recherche de la trachée par transillumination du passage glottique. Puis,cathétérisation de la trachée sur le guide
Cricothyroïdotomie Permet l’abord trachéal en perforant la membrane crico-thyroïdienne à l’aided’un dispositif semblable à un cathlon. Le Quicktrach® permet l’abord selon latechnique de Seldinger
Abord translaryngé Le cathéter de Ravussin utilisé avec un système de jet-ventilation permet uneventilation de sauvetage
Vidéolaryngoscopie Laryngoscope équipée d’un système optique permettant de visualiser les voiesaériennes au travers d’une fibre optique située au bout de la lame delaryngoscope (technique la plus récemment développée)
LMA-CTrach Dispositif de type FastrachTM associé à un système de vidéolaryngoscopie
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art, et l’intubation difficile non prévue après échec de laaryngoscopie traditionnelle, d’autre part. La vidéolaryngo-copie est une technique d’apprentissage rapide. Commeecommandé par la conférence d’experts de la Sfar en006 (période à laquelle la vidéolaryngoscopie n’était pasncore disponible sur le marché), il convient que chaqueentre crée son propre algorithme de prise en charge de’intubation difficile en fonction du matériel disponible et duiveau d’apprentissage des utilisateurs potentiels. Il semblevident que cette technique doit avoir toute sa place danses algorithmes.
Quelques études se sont attachées à comparer’efficacité de ces techniques alternatives, en parti-ulier de la vidéolaryngoscopie, à la fibroscopie pour’intubation difficile. Ainsi, Rosenstock et al. ont conduit unssai clinique randomisé comparant la fibroscopie vigile à laidéolaryngoscopie vigile chez des patients présentant desritères d’intubation difficile prévisible [4]. Les patientsecevaient une sédation par rémifentanil. Le dispositife vidéolaryngoscopie utilisé était le système McGrath®
Aircraft Medical, Edinburgh, Royaume-Uni). Le résultatrincipal de cette étude conduite chez 84 patients étaitn taux comparable de succès dans les deux bras, avecn temps moyen de réalisation également comparable etes scores de douleurs et d’inconfort identiques dans leseux bras. Notons que les patients étaient ventilables auasque et qu’aucun patient ne présentait une indication
ormelle à l’intubation sous fibroscopie telle que définiear le Tableau 2.
as particulier de la cellulite cervicale
e terme de cellulite cervicale regroupe des entités ana-omopathologiques variées allant d’une atteinte du derme
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uperficiel jusqu’aux muscles. La dermohypodermite bacté-ienne avec atteinte nécrosante de l’aponévrose et parfoises muscles sous-jacents (aussi appelée fasciite nécro-ante) est la forme la plus grave et celle qui conduit àne hospitalisation en réanimation. La vascularisation duissu sous-cutané est le siège de thromboses qui diminuentocalement le flux sanguin, favorisant la multiplication desactéries anaérobies. De ce fait, l’extension de l’infectionst très rapide justifiant le caractère urgent d’une prise enharge adaptée [5]. Deux facteurs rendent indispensables leecours à la fibroscopie en cas de cellulite cervicale exten-ive : le trismus et l’existence de collection de pus réduisante calibre des voies aériennes. Il est indispensable avant derendre en charge ce type de patient au bloc opératoire deegarder attentivement le scanner cervical avec injection deroduit de contraste. L’existence d’une thrombose jugulairessociée augmente l’œdème des voies aériennes supérieurest rend l’intubation encore plus difficile. Le scanner per-et également de détecter une latéro-déviation du larynx
t/ou de la trachée, et conduit à anticiper les difficultésui pourra être rencontrées lors de la fibroscopie. La Fig. 2st une illustration des modifications des voies aériennesupérieures observables lors d’une cellulite cervicale grave.
Comme pour toute intubation par fibroscopie, la prépara-ion et la mise en condition du patient sont très importantes.l est clairement démontré qu’une sédation ou une analgésiessociée à une anesthésie locale ou locorégionale amélioree confort du patient et les paramètres hémodynamiques.outefois, il est primordial de maintenir la ventilation spon-anée du patient, en particulier dans cette situation. Enffet, même si le patient est eupnéique à l’état basal, une
édation trop profonde pourrait conduire à une hypotoniees muscles des voies aériennes, en particulier une chutee la langue, qui conduira à un arrêt respiratoire et lelus souvent à une situation où la ventilation au masqueY a-t-il encore des indications de la fibroscopie pour l’intubation
Figure 2. Scanner avec injection de produit de contraste d’unpatient atteint de cellulite cervicale extensive d’origine amyg-dalienne. Coupe sagittale montrant le rétrécissement des voiesaériennes secondaire à l’œdème et la présence de collection depus. Il est ainsi très fortement conseillé de visualiser le scan-
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ner cervical avant d’intuber un patient souffrant de cellulitecervicale.
est impossible. Cette situation dramatique nécessite sou-vent le recours à une prise en charge invasive pouvant allerjusqu’à la trachéotomie de sauvetage, souvent associée àdes complications chirurgicales, d’une part, (plaie des nerfsrécurrents) et médicales, d’autre part, (encéphalopathie encas d’anoxie cérébrale prolongée).
Conclusion
Alors que de nombreuses techniques alternatives à la fibro-scopie sont disponibles pour la gestion d’une intubationdifficile, la maîtrise de l’intubation sous fibroscopie parl’ensemble des médecines anesthésistes-réanimateurs estprimordiale et nécessite une mise à jour régulière desconnaissances théoriques et pratiques. En effet, la fibrosco-pie peut s’avérer la seule alternative aux techniques inva-sives dans un nombre non négligeable de situations. Parmi
les dispositifs alternatifs à la fibroscopie, la vidéolaryngo-scopie ont le plus fort potentiel et ont fait l’objet d’étudescomparatives avec la fibroscopie montrant une équivalenceentre les deux approches dans certaines situations.[
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POINTS ESSENTIELS
• En cas d’intubation par fibroscopie, le maintiend’une ventilation spontanée est primordial.
• La recherche en préopératoire de critères prédictifsd’intubation difficile est primordiale pour anticiperla prise en charge du contrôle des voies aériennes.
• L’existence d’une instabilité cervicale, d’unantécédent d’intubation difficile, d’une ventilationau masque impossible et certaines de pathologiescervicales (en particulier la cellulite cervicale)sont des indications formelles à l’intubation sousfibroscopie.
• Parmi les solutions alternatives, la vidéo-laryngoscopie semble être la solution la plusprometteuse.
• Chaque service doit adapter les algorithmes de priseen charge de l’intubation difficile en fonction dessolutions techniques qui sont disponibles.
• En cas d’échec d’une intubation, il faut envisagerquand c’est possible de réveiller le patient et dereporter la chirurgie.
éclaration d’intérêts
’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-ion avec cet article.
éférences
1] Stackhouse RA. Fiberoptic airway management. Anesth Clin NAm 2002;20(4):933—51.
2] Gil K. Fiber-optic intubation: tips from the ASA workshop. Anes-thesiol News Guide Airway Manag 2009;35(8):91—8.
3] Société francaise d’anesthésie réanimation (Sfar). Conférenced’experts sur l’intubation difficile 2006. Paris: Sfar; 2006 [Dispo-nible en ligne à l’adresse: www.sfar.org/article/149/intubation-difficile-ce-2006].
4] Rosenstock CV, Thogersen B, Afshari A, Christensen AL, EriksenC, Gatke MR. Awake fiberoptic or awake video laryngoscopictracheal intubation in patients with anticipated difficult air-way management: a randomized clinical trial. Anesthesiology
2012;116(6):1210—6.5] Weiss A, Nelson P, Movahed R, Clarkson E, Dym H. Necrotizingfasciitis: review of the literature and case report. J Oral MaxillofSurg 2011;69(11):2786—94.