mesdissertations.files.wordpress.com …  · web viewl’excipit de bel-ami. introduction. le...

6
L’excipit de Bel-Ami Introduction Le passage que nous allons étudier est tiré du dernier chapitre et constitue l’excipit de l’œuvre. Georges Duroy, jeune ambitieux désargenté, venu à Paris pour faire fortune parvient à ses fins en se servant des femmes sur lesquelles il exerce un grand ascendant. Il a rompu pour la énième fois avec sa maîtresse, Mme de Marelle, et épouse la richissime Suzanne Walter, fille du directeur du journal où il travaille. Le mariage a lieu à l’église de la Madeleine en présence d’une grande foule. Si la scène ne représente pas un réel dénouement, elle est l'apothéose du parcours initiatique de Duroy et s'achève sur une ouverture. Problématiques possibles : En quoi cet incipit répond-il à l’incipit ? En quoi constitue-t-il une apothéose ? Quel portrait du héros nous donne Maupassant dans cet excipit ? I. Une réponse à l’incipit La mise en perspective des deux extraits montre que Bel-Ami est un roman de l’arrivisme. Début : 28 juin 1880 Fin : 20 octobre 1883 Bel-Ami est proche de la Madeleine dans les deux passages. Dans l’excipit il sort triomphalement de cette église mondaine, ce qui symbolise son changement de statut social. Quand l’action commence, il est seul et en proie à des problèmes d’argent. Ici, il est entouré de monde, « donnant le bras à sa femme » (l. 7-8), qui lui permet d’accéder à une richesse colossale. Il avait une démarche de militaire, mais trois ans après il est

Upload: truongdung

Post on 13-Feb-2018

216 views

Category:

Documents


1 download

TRANSCRIPT

Page 1: mesdissertations.files.wordpress.com …  · Web viewL’excipit de Bel-Ami. Introduction. Le passage que nous allons étudier est tiré du dernier chapitre et constitue l’excipit

L’excipit de Bel-Ami

Introduction

Le passage que nous allons étudier est tiré du dernier chapitre et constitue l’excipit de l’œuvre. Georges Duroy, jeune ambitieux désargenté, venu à Paris pour faire fortune parvient à ses fins en se servant des femmes sur lesquelles il exerce un grand ascendant. Il a rompu pour la énième fois avec sa maîtresse, Mme de Marelle, et épouse la richissime Suzanne Walter, fille du directeur du journal où il travaille. Le mariage a lieu à l’église de la Madeleine en présence d’une grande foule.Si la scène ne représente pas un réel dénouement, elle est l'apothéose du parcours initiatique de Duroy et s'achève sur une ouverture.

Problématiques possibles :En quoi cet incipit répond-il à l’incipit ?En quoi constitue-t-il une apothéose ?Quel portrait du héros nous donne Maupassant dans cet excipit ?

I. Une réponse à l’incipit

La mise en perspective des deux extraits montre que Bel-Ami est un roman de l’arrivisme.Début : 28 juin 1880 Fin : 20 octobre 1883Bel-Ami est proche de la Madeleine dans les deux passages. Dans l’excipit il sort triomphalement de cette église mondaine, ce qui symbolise son changement de statut social.Quand l’action commence, il est seul et en proie à des problèmes d’argent. Ici, il est entouré de monde, « donnant le bras à sa femme » (l. 7-8), qui lui permet d’accéder à une richesse colossale.Il avait une démarche de militaire, mais trois ans après il est arrivé, sûr de lui, fier, il marche d’un pas lent et élégant : « Il allait lentement, d’un pas calme » (l. 37-38), « Il descendit avec lenteur les marches » (l. 50). Dans les deux cas, il marche devant des gens assis : au premier chapitre, il passe devant les cafés parisiens, et au final, il traverse l’église « pleine de monde, car chacun avait regagné sa place, afin de les voir passer ensemble » (l. 36-37).A la fin, il est regardé, envié, jalousé, admiré, alors qu’au départ c’est lui qui regardait d’un œil envieux les bourgeois et les consommateurs dans les cafés.Il était agressif, avait des envies de meurtre. Ici, il est serein : « Il se sentait en ce moment […] plein de reconnaissance pour la divinité » (l. 2-3). Au départ, il a un regard vif, attentif à tout son entourage, mais lorsqu’il sort de la Madeleine au dernier chapitre, il n’est focalisé que sur sa personne : « Il ne voyait personne. Il ne pensait qu’à lui. » (l. 41), « il ne les voyait point » (l. 51).

Page 2: mesdissertations.files.wordpress.com …  · Web viewL’excipit de Bel-Ami. Introduction. Le passage que nous allons étudier est tiré du dernier chapitre et constitue l’excipit

La politique est présente au début avec Forestier qui dirige la politique à La Vie Française, et matérialisée ici avec la chambre des députés. Mais Forestier n’était qu’un petit représentant de la vie politique, un journaliste qui n’écrit même pas ses articles, alors que le Palais-Bourbon est grandiose, et est accessible à Duroy : « Il lui sembla qu’il allait faire un bond du portique de la Madeleine au portique du Palais-Bourbon. » (l. 48-49).Le thème des femmes aussi : dans l’incipit il est à la recherche de l’amour. A la fin, il est comblé sur le plan social avec sa femme, mais aussi avec Clotilde, qui après s’être fait battre, lui pardonne, ce qui lui offre un triomphe total. Le roman commence avec la femme et l’argent, la caissière, et se termine avec la femme et le plaisir, Mme de Marelle « au sortir du lit » (l. 55). Pour Bel-Ami, la femme est la source de toutes les satisfactions. Le roman se termine sur le mot « lit », ce qui résume la vie de Duroy et rappelle aussi celle de Maupassant, friand des relations d’alcôves.Le héros est au début sujet à des besoins physiques : on est en été, il a chaud, malgré la nuit, et meurt de soif. Dans l’excipit, le soleil est éclatant, on est en automne, et il sent sur sa peau des « de longs frissons, ces frissons froids que donnent les immenses bonheurs » (l. 40). Il a atteint un point culminant de satisfaction.

II. L’apothéose de Duroy

L’apothéose était dans l’antiquité romaine une cérémonie rituelle de déification des empereurs après leur mort. On retrouve un cadre quelque peu romain suggéré par l’architecture avec le « portique » (l. 48 et 49), le caractère politico-religieux typique de l’antiquité, et par l’emploi du terme « triomphe » (l. avant la l. 1), en référence au triomphe romain, cérémonie au cours de laquelle un général vainqueur défilait dans Rome à la tête de ses troupes. Georges « se croyait un roi qu’un peuple venait acclamer » (l. 10-11).« Il se sentait en ce moment presque croyant, presque religieux » (l. 2-3) → l’adverbe « presque », répété 2 fois, révèle que ce côté religieux n’est qu’une apparence. Il remercie une divinité hypothétique : « sans savoir au juste à qui il s’adressait » (l. 5). On n’est plus dans le domaine de la religion. Duroy est d’ailleurs parvenu à ses fins par des manœuvres totalement immorales et qui vont à l’encontre des valeurs religieuses.Dans cet extrait, le lien politique/religion s’établit à la sortie de l’église : « Puis, relevant les yeux, il découvrit là-bas, derrière la place de la Concorde, la Chambre des députés. » (l. 46-47). Bel-Ami se trouve dans l’ « axe du pouvoir », caractéristique de l’architecture antique. Le mariage avec Suzanne va lui permettre de devenir député, de joindre le pouvoir politique à celui de l’argent.Cet excipit consacre « le triomphe du baron Georges Du Roy » (l. avant la l. 1). Tel un général romain victorieux, il est entouré par la foule : il passe « entre deux haies de spectateurs » (l. 51) dans l’église « pleine de monde » (l. 36). Le trouble de Bel-Ami amplifie le nombre des invités : « la foule coulait devant lui comme un fleuve » (l. 32-33). Il a le sentiment de devenir quelqu’un de célèbre : « Lorsqu’il parvint sur le seuil, il aperçut la foule amassée, une foule

Page 3: mesdissertations.files.wordpress.com …  · Web viewL’excipit de Bel-Ami. Introduction. Le passage que nous allons étudier est tiré du dernier chapitre et constitue l’excipit

noire, bruissante, venue là pour lui, pour lui Georges Du Roy. » (l. 42 à 44). La reprise de la tournure « pour lui » montre, avec un point de vue interne, sa mégalomanie. Le « peuple de Paris » (l. 44) est à l’image du peuple romain, pour qui le triomphe est un spectacle, d’où les verbes « voir » (l. 37), « contemplait » (l. 44), et le terme « assistants » (l. 9 et 34). Les prisonniers qui suivaient les généraux romains sont symbolisés ici par les femmes victimes de Georges Duroy : la vieille maîtresse, Mme Walter, contrainte d’assister à cet événement, et Mme de Marelle. Cette dernière assiste à la cérémonie et vient s’offrir à lui : « il sentit l’appel discret de ses doigts de femme, la douce pression qui pardonne et reprend » (l. 23-24). Elle est en fait venue pour qu’il la récupère, ce qu’explicite le narrateur : « comme pour dire : ‘‘Je t’aime toujours, je suis à toi !’’ » (l. 25-26). Il est ainsi comblé car c’est la seule pour qui il éprouve réellement des sentiments (ce qui explique sa récurrence tout au long du roman) : « Leurs yeux se rencontrèrent, souriants, brillants, plein d’amour. » (l. 28-29). Cela rend le héros plus humain.

III. L’ironie du narrateur

Le narrateur vise à la fois la société et son personnage, malgré, ou justement à cause de sa nouvelle situation. Il y a une dérision de la religion dont les rites cautionnent l’arrivisme de Duroy. Son dieu véritable est l’argent → contraire de la religion.Le public admire un homme qui a fait fortune sans se soucier de la manière dont il y est arrivé.L’église qui le couronne de succès fait référence au nom de sa première épouse.Champ lexical de l’érotisme dans une église : « baisers » (l. 15), « caresses » (l. 16), « goût de ses lèvres » (l. 17), « le désir brusque » (l. 18), « charmante maîtresse » (l. 20), « je suis à toi » (l. 26) et surtout le mot final : « lit ». C’est d’autant plus inattendu que les pensées du héros ne vont pas à sa jeune épouse mais à sa maîtresse, qui lui pardonne tout.Georges Duroy présente aussi un côté ridicule dans son attitude : il marche « d’un pas calme » mais en réalité il est « affolé » (l. 10), il sert mécaniquement des mains, « balbutiait des mots qui ne signifiaient rien » (l. 11-12). Le héros est arrivé à cette réussite en monnayant ses charges, comme une courtisane. Au chapitre 6 de la première partie, il remarque d’ailleurs « qu’il y avait quelque chose de commun entre eux, un lien de nature, qu’ils étaient de même race, de même âme, et que son succès aurait des procédés audacieux de même ordre ».

Conclusion

La comparaison entre l’incipit et l’excipit permet au lecteur de mesurer le chemin parcouru par Duroy en moins de trois ans et demi. A la scène de violence intime du début du chapitre, s’oppose le spectaculaire de ce grand mariage. Le dénouement qui nous montre le héros

Page 4: mesdissertations.files.wordpress.com …  · Web viewL’excipit de Bel-Ami. Introduction. Le passage que nous allons étudier est tiré du dernier chapitre et constitue l’excipit

dans toute sa gloire est ouvert : quelle sera la carrière politique de Bel-Ami ? Et sa carrière amoureuse ? L’ascension de ce « gredin » (terme de Maupassant) qui doit sa réussite à la corruption du milieu où il évolue prouve le pessimisme de l’auteur. Il semble que tout ne soit que faux semblant, que l’on ne puisse croire en rien. Bel-Ami n’est pas un héros au sens traditionnel du terme, mais plutôt un antihéros profondément immoral.

Termes à connaître

apothéose : partie finale brillante, remarquable, d’une œuvre (spectacle notamment)

alcôve : enfoncement aménagé dans un mur pour un usage particulier, notamment le placement d'un lit

mégalomanie : désir excessif de puissance et de gloire