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Les effets politiques et socio-économiques du petit âge glaciaire. La grande famine de 1693-1694 « Quoy que les contributions eussent ruiné le païs, néanmoins on en avait encore sortie, quoy qu’avec bien de la peine ; mais le dernier des malheurs c’est que la moisson ensuivante fut entièrement manquée, et qui fut cause que le grain fut d’un grandissime prix. Et, comme le pauvre peuple était épuisé tant par les fréquentes demandes de Sa Majesté que par ces contributions exhorbitantes, ils devinrent dans une telle pauvreté qu’on la peut appeler famine. Heureux ceux qui pouvaient avoir un havot de seigle pour mesler avec de l’avoine, des poix, des fèves pour en faire du pain et en manger la moitié de leur soul. Je parle des deux tiers du village, s’il n’y en a pas davantage. […] On n’entendait parler pendant ce temps que de voleurs, que de meurtres, que de personnes mortes de faim (récit du paroissien mort d’inanition le 21 avril 1694). Il n’y a que celui-là qui est mort sitôt, faute de pain ; mais plusieurs autres et icy et aux autres villages en sont aussi morts un peu à la fois ; car on a vu cette année partout une grande mortalité (43 décès à Rumegies en 1693 et 26 l’année suivante). Dans notre paroisse seule, il est mort cette année plus de personnes qu’il n’en meurt en plusieurs années ; encore plus de personnes riches que de pauvres. On l’attribue et à la famine et à la peur qu’on a eu des ennemis lorsqu’ils ont forcés les lignes. On était vraiment las d’être au monde. Les gens de bien avait le cœur percé de voir la misère du pauvre peuple, un pauvre peuple sans argent et le havot de bled au prix de neuf à dix livres sur la fin de l’année, les pois, les fèves et l’avoine à proportion ; et encore que la récolte de mars (les grains semés au 1

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Les effets politiques et socio-économiques du petit âge glaciaire.

La grande famine de 1693-1694

« Quoy que les contributions eussent ruiné le païs, néanmoins on en avait encore sortie, quoy qu’avec bien de la peine ; mais le dernier des malheurs c’est que la moisson ensuivante fut entièrement manquée, et qui fut cause que le grain fut d’un grandissime prix. Et, comme le pauvre peuple était épuisé tant par les fréquentes demandes de Sa Majesté que par ces contributions exhorbitantes, ils devinrent dans une telle pauvreté qu’on la peut appeler famine. Heureux ceux qui pouvaient avoir un havot de seigle pour mesler avec de l’avoine, des poix, des fèves pour en faire du pain et en manger la moitié de leur soul. Je parle des deux tiers du village, s’il n’y en a pas davantage.

[…] On n’entendait parler pendant ce temps que de voleurs, que de meurtres, que de personnes mortes de faim (récit du paroissien mort d’inanition le 21 avril 1694). Il n’y a que celui-là qui est mort sitôt, faute de pain ; mais plusieurs autres et icy et aux autres villages en sont aussi morts un peu à la fois ; car on a vu cette année partout une grande mortalité (43 décès à Rumegies en 1693 et 26 l’année suivante). Dans notre paroisse seule, il est mort cette année plus de personnes qu’il n’en meurt en plusieurs années ; encore plus de personnes riches que de pauvres. On l’attribue et à la famine et à la peur qu’on a eu des ennemis lorsqu’ils ont forcés les lignes.

On était vraiment las d’être au monde.

Les gens de bien avait le cœur percé de voir la misère du pauvre peuple, un pauvre peuple sans argent et le havot de bled au prix de neuf à dix livres sur la fin de l’année, les pois, les fèves et l’avoine à proportion ; et encore que la récolte de mars (les grains semés au printemps : orge, avoine, escourgeon, riz, millet, panic, épeautre, sarrasin) fusse très abondante, l’avoine valait encore une pistole la rasière de Tournay.

Cette année fut le tombeau de presque tous les ménagers qui n’avaient point de grain à vendre. Mais ce fut l’enrichissement des grands censiers qui pour la plupart avaient encore de vieux grains et qui ont fait des sommes immenses de leurs grains, qui rapportaient des charges d’argent quand ils allaient en ville avec une charretée de grain. »

Journal d'un curé de campagne au 17ème siècle

On n’a jamais vu de mémoire d’homme une année plus cruelle ni plus malheureuse que l’année 1709 ; il fit un froid si rigoureux à diverses reprises, qui dura du 10 ou 11 du mois d’octobre 1708 jusqu’au mois de février 1709, qu’il y eut plusieurs personnes qui moururent et surtout celles qui étaient avancées en âge ; toute la récolte du blé périt, et presque tous ceux qui avaient semé ressemèrent les terres qui n’en furent pas plus abondantes, parce que, comme j’ai déjà dit , le froid vint à plusieurs reprises ; la seconde récolte se vit autant incommodée du froid que la première […]. Et tout le peuple s’étant trouvé dans une grande disette1 du blé, les menus grains […] se vendirent à prix excessif […]. La rigueur de la saison ne s’étendit pas seulement sur les blés mais encore sur toutes sortes d’arbres : nos oliviers qui nous donnaient la meilleure rente2 de l’année cessèrent et moururent jusqu’à la racine.

Jean-Henri Haguenot, Livre de raison, année 1709.

1. Manque

2. Revenu

En juillet 1788, la sécheresse est marquée par un déficit pluviométrique de l’ordre de 40% dans le nord de la France et dépasse les 80% dans le Sud-Est. Dès juin, les récoltes sont annoncées comme médiocres […] (20 à 30% de moins que la normale selon les régions)/ Il faut remonter à 1774 pour retrouver un tel déficit, qui avait alors été à l’origine de la « guerre des farines », une révolte consécutive à la hausse du prix du pain survenue au printemps 1775. Le 13 juillet 1788, un orage particulièrement violent traverse la France. Mais le plus difficile reste à venir. Le temps glacial qui s’installe sur le pays dès le 25 novembre 1788 se prolongera jusqu’à la mi-janvier 1789. […]La surmortalité de janvier 1789 est estimée à 10 000 morts. Le prix du pain s’envole et 58 émeutes frumentaires ont lieu en 1788, 239 sur les seuls quatre premiers mois de 1789 […]. L’orage de 1788, et plus globalement les conditions météorologiques de 1788-1789, a joué un rôle de « gâchette » dans le déclenchement de la Révolution française, même si les origines en sont beaucoup plus profondes. En France en 1788, le contexte politique est tendu. Louis XVI s’est résolu à convoquer les états généraux le 5 juillet 1788, sans annoncer cependant de date précise. Il n’identifie pas le risque de pénurie alimentaire […]. Il faut attendre la nomination officielle de Necker, le 25 août 1788, pour que l’exportation des grains soit interdite et qu’un circuit d’importation depuis les Etats-Unis soit mis en place. […] La question des impôts à payer après les récoltes détruites par l’orage du 13 juillet ou le gel de l’hiver et celle de la cherté du pain reviennent presque systématiquement dans les cahiers de doléances du tiers état. Les émeutes gagnent toute la France, en ville comme à la campagne. Elles se radicalisent. Le petit peuple devient révolutionnaire.

Entretien avec Emmanuel Le Roy Ladurie, « 13/07/1788 : un orage prérévolutionnaire »

Météo France, juillet 2018

La Grande famine en Irlande (1845-1852) provoquée par le mildiou (maladie due à un champignon) qui se développe à la faveur d’un été particulièrement humide et venteux. Cette maladie a dévasté la récolte de pommes de terre.

« D’Aguesseau sauve la France pendant la famine de 1709.

A la tête d’une commission spécialisée, Henri François d’Aguesseau, seigneur de Fresnes (1668-1751) et procureur au Parlement de Paris, apparut comme l’un des premiers à prendre conscience de la gravité de la situation. Il prit des mesures d’urgence veillant à l’alimentation des plus pauvres et à la santé des populations.

Gravure du peintre italien Guiseppe Maria Mitelli (1634-1718)

Suite à de mauvaises récoltes de blé, certaines régions françaises souffrent d’une véritable famine, tandis que d’autres, mieux approvisionnées, sont épargnées. En 1774, Turgot provoque une flambée des prix du pain et une disette généralisée en libéralisant le commerce des grains. C’est l’agitation sur les lieux de distribution des farines, et la révolte gronde contre les commerçants spéculateurs. Une vague d’émeutes, appelée la « guerre des farines », a lieu dans la moitié nord du royaume en avril et mai 1775 : pillages, attaques de dépôts et de boulangeries, entrave des axes fluviaux et routiers. Marchands et fermiers sont généralement visés, mais aussi les représentants directs du pouvoir, meuniers affairistes ou conseillers aux parlements. Signe avant-coureur de la Révolution, ces émeutes seront finalement enrayées par l’intervention massive des soldats du roi. L’ordre est rétabli par un contrôle des prix du blé et par l’organisation d’un approvisionnement des provinces en difficulté.

https://gallica.bnf.fr/essentiels/repere/guerre-farines-1775

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