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Nom : MARTIN Prénom : Serge Coordonnées : 35, chemin de l’arc 14000 CAEN Téléphone : 02 31 28 06 46 Mail : [email protected] Bibliographie récente (4 dernières années) : Ouvrages depuis 2004 : [Direction, introduction et contribution] Émile Benveniste : vivre langage, coll. « Résonance générale, essais pour la poétique », L’Atelier du Grand Tétras, 2009. [avec Marie-Claire Martin] Quelle littérature pour la jeunesse ?, coll. « 50 questions », Klincksieck, 2009. [Direction, introduction et contribution] Ghérasim Luca passionnément, coll. « Triages », Saint- Benoît-du-Sault, éd. Tarabuste, 2005. [Direction, introduction avec Gérard Dessons et Pascal Michon et contribution] Henri Meschonnic, la pensée et le poème, Paris, In’Press, 2005. Langage et relation, Anthropologie de l’amour, coll. « Anthropologie du monde occidental », Paris, L’Harmattan, 2005.

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� Nom : MARTIN Prénom : Serge

Coordonnées : 35, chemin de l’arc 14000 CAEN Téléphone : 02 31 28 06 46 Mail : [email protected]

� Bibliographie récente (4 dernières années) : Ouvrages depuis 2004 :

[Direction, introduction et contribution] Émile Benveniste : vivre langage, coll. « Résonance générale, essais pour la poétique », L’Atelier du Grand Tétras, 2009.

[avec Marie-Claire Martin] Quelle littérature pour la jeunesse ?, coll. « 50 questions », Klincksieck, 2009.

[Direction, introduction et contribution] Ghérasim Luca passionnément, coll. « Triages », Saint-Benoît-du-Sault, éd. Tarabuste, 2005.

[Direction, introduction avec Gérard Dessons et Pascal Michon et contribution] Henri Meschonnic, la pensée et le poème, Paris, In’Press, 2005.

Langage et relation, Anthropologie de l’amour, coll. « Anthropologie du monde occidental », Paris, L’Harmattan, 2005.

Émile Benveniste pour vivre langage, coll. « Résonance générale. Essais pour la poétique », Mont-de-Laval, L’Atelier du grand tétras, 2009.

« Partant de Benveniste… en 1970 et en 2009 (Entretien avec Henri Meschonnic) » dans S. Martin (dir.), Émile Benveniste pour vivre langage, Mont-de-Laval, L’Atelier du grand tétras, 2009, p. 105-109.

Articles ou contributions à des ouvrages collectifs : 2007

« Réticence, retenue : le travail d’écoute du poème-relation » dans J. Michel et M. Braester (dir.), La Réticence dans des écritures poétiques et romanesque contemporaines, Actes du colloque international (Haïfa, mars 2007), Paris, Bucarest, Jérusalem : éd. EST, Samuel Tastet éditeur, 2007, p. 13-24.

(dir.) Nu(e) n° 37 (« Jacques Ancet »), Nice : éd. association des amis de la revue Nu(e), 2007.

2008

(avec Jérôme Roger), introduction et direction, Le Français aujourd’hui, n° 160 (« La critique pour quoi faire ? »), Armand Colin, mars 2008, p. 3-9. « La littérature de jeunesse : inventer sa critique en zone critique » dans Le Français aujourd’hui, n° 160 (« La critique pour quoi faire ? »), Armand Colin, mars 2008, p. 31-42.

« Les enfants de Le Clézio : des corps-langage fabuleux » dans Cahiers Robinson n° 23 (« Le Clézio aux lisières de l’enfance »), UFR Lettres et arts, Université d’Artois, mars 2008, p. 77-88.

« Quelle danse pour le langage ? Quel langage pour la danse ? Vers Tadeusz Kantor » dans Théâtre/Public n° 189 (« Théâtre/Oracle » dirigé par Henri Meschonnic), Association Théâtre/Public, Gennevilliers : juin 2008, p. 68-74.

« La traduction comme poème-relation avec Henri Meschonnic » dans B. Bonhomme et M. Symington (éds.), Le Rêve et la ruse dans la traduction de poésie, Paris : Honoré Champion, 2008, p. 131-143.

« Engagés, les poèmes-relations de Bernard Noël » dans F. Scotto (dir), Bernard Noël : le corps du verbe, Colloque de Cerisy, Lyon : ENS Éditions, 2008, p. 69-82.

« Les albums, un problème pour la vie et la théorie du langage » dans Christiane Pintado, Florence Gaiotti et Bernadette Poulou (dir.), Modernités n° 28 (« L’album contemporain pour la jeunesse : nouvelles formes, nouveaux lecteurs ? »), Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, novembre 2008.

« Henri Meschonnic et Bernard Vargaftig : le poème relation de vie après l’extermination des juifs d’Europe » dans A. Schulte Nordholt (dir.), Témoignages de l’après-Auschwitz dans la littérature juive-française d’aujourd’hui.Enfants de survivants et survivants-enfants, Cahiers du CRIN (Cahiers de recherche des instituts néerlandais de langue et de littérature française), Nimègue : Rodopi, décembre 2008, p. 137-150.

2009

« Voisiner en poète : avec Henry Bauchau habité d’altérité » dans Catherine Mayaux et Myriam Watthee-Delmotte (éds.), Henry Bauchau : écrire pour habiter le monde, coll. « L’Imaginaire du texte », Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 2009, p. 63-72.

« La prose pleine de proses de Bernanos ou l’invention d’une voix-relation » dans Laure Himy (dir.), Questions de style (« Vous avez dit prose ? »), Presses Universitaires de Caen, 2009, revue électronique à l’adresse : http://www.unicaen.fr/services/puc/revues/thl/questionsdestyle/print.php?dossier=dossier6&file=08martin.xml

« Le Clézio dans Les Cahiers du chemin (1967-1977) de Georges Lambrichs : chemins vers une anthropologie poétique avec des poèmes-relations » dans Les Cahiers le Clézio n° 2 (« Formes brèves », dir. : Claude Cavallero, Bruno Thibault), Éditions Complicité, 2009.

« Un poème dessiné : ‘Les carnets du chemin’ de Le Clézio » dans Thierry Léger, Isabelle Roussel-Gillet et Marina Salles, Le Clézio à la croisée des arts et des cultures, Presses universitaires d’Artois, 2009.

2010

(dir.) La Poésie à plusieurs voix. Rencontres avec trente poètes d’aujourd’hui, préface de Jean-Pierre Siméon, coll. « Le Français aujourd’hui », Paris : Armand Colin, 2010, 264 p.

« Henri Meschonnic traducteur du Livre de Jonas : une relation de voix » dans Graphè n° 19 (« Le Livre de Jonas »), Arras : Artois Presses Université, 1er trimestre 2010, p. 201-216.

« Henri Meschonnic avec Les Cahiers du chemin » dans La Revue des revues. Histoire et actualité des revues, n° 43, Paris : Entrevues, printemps 2010, p. 26-47.

« L’espace de la relation dans les œuvres de Lecaye, Nadja et Solotareff » dans Le Français aujourd’hui n° 168 (« Continuités et ruptures dans l’enseignement de la littérature »), mars 2010, Paris : Armand Colin, p. 115-123.

(dir. avec Francis Marcoin, Fabrice Thumerel), Les Cahiers Robinson n° 27 (« A l’école Prévert »), Arras : Artois Presses Université, avril 2010.

« Prévert : les poèmes contre la Poésie pour tout (re)tourner en enfance », dans Les Cahiers Robinson n° 27 (« A l’école Prévert »), Arras : Artois Presses Université, 2010, p. 17-28.

« "Les carnets du chemin" : un album du commencement continu de la voix et de la vie » dans Thierry Léger, Isabelle Roussel-Gillet et Marina Salles, Le Clézio, passeur des arts et des cultures, Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2010, p. 103-115.

(dir.) Penser le langage Penser l’enseignement Avec Henri Meschonnic, coll. « Résonance générale : les essais pour la poétique », Mont-de-Laval : L’Atelier du grand tétras, 2010.

« Où en est la didactique du français ? » dans S. Martin (dir), Penser le langage Penser l’enseignement Avec Henri Meschonnic, coll. « Résonance générale : les essais pour la poétique », Mont-de-Laval : L’Atelier du grand tétras, 2010, p. 37-46.

(dir.) Le Français aujourd’hui n° 169 (« Enseigner la poésie avec les poèmes »), Paris : Armand Colin, juin 2010.

« Les poèmes au cœur de l’enseignement du français », dans Le Français aujourd’hui n° 169 (« Enseigner la poésie avec les poèmes »), Paris : Armand Colin, juin 2010, p. 3-14.

« Romain Fustier et Amandine Marambert ou les poèmes d’à-côté », dans Le Français aujourd’hui n° 169 (« Enseigner la poésie avec les poèmes »), Paris : Armand Colin, juin 2010, p. 109-120.

« Écouter l’indicible avec les poèmes de Ghérasim Luca » dans Interférences n° 4 (« Indicible et littérarité »), Louvain : Université Catholique de Louvain (Belgique), Mai 2010, p. 233-246.

« Le poème engage la relation contre la célébration avec Henri Meschonnic » dans Jacqueline Michel et Annette Shahar (éd.), Relation du poème à son temps. Interrogations contemporaines, coll. « Littératures de langue française », Bern, : Peter Lang, 2010, p. 103-118.

2011

« voix comme sujet-relation. De la transmission des modèles de langue aux relations de voix », Modernités n° 37 (« Sens de la langue, sens du langage. Poésie, grammaire, traduction »), Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, mai 2011, p. 127-138.

« Jacques Ancet : la voix-relation » dans Sandrine Bedouret-Larraburu et Jean-Yves Pouilloux (dir.), Jacques Ancet ou la voix traversée, Mont-de-Laval, L'atelier du grand tétras, « Résonance générale Essais pour la poétique », 2011, p. 33-44.

« La littérature, la poésie : la voix, le sujet », Triages n° 23, Saint-Benoît-du-Sault, Tarabuste éditions, 2011, p. 147-152.

« Les gestes parlés de James Sacré au Maroc : un brouillon continué » pour le colloque « Écrivains et intellectuels français face au monde arabe » dans Catherine Mayaux (dir.), Écrivains et intellectuels français face au monde arabe, Paris, Honoré Champion, 2011, p. 73-85.

« Alain Helissen ou l’allumette du poème contre la goulangue », Le Français aujourd’hui n° 173, Paris, Armand Colin, juin 2011, p. 124-130.

« Il y a la littérature engagée et les œuvres qui engagent », dans Britta Benert et Philippe Clermont (éds.), Contre l’innocence. Esthétique de l’engagement en littérature de jeunesse, Frankfurt am Main, Peter Lang, « Kinder- und Jugendkultur, - literatur und – medien Theorie-Geschichte-Didaktik », 2011, p. 37-51.

� Un article représentatif de mes recherches : Le Clézio et Les Cahiers du chemin (1967-1977) Serge Martin, Université de Caen-Basse-Normandie, LASLAR, EA 4256

« C’est à elle, Elvira, que j’adresse cet éloge – à elle que je dédie ce Prix que l’Académie de Suède me remet. À elle, et à tous ces écrivains avec qui – ou parfois contre qui j’ai vécu. » J.-M.G. Le Clézio, Discours au Nobel (7 décembre 2008)

Le premier livre de J.M.G. Le Clézio est édité le 10 décembre 1963 dans la collection « Le Chemin » aux éditions Gallimard devenant par la suite un de ses fleuronsi. Le simple envoi postal du manuscrit du Procès verbalii vient ainsi augmenter une collection créée par Georges Lambrichs en 1959. Il est remarquable que ce livre fut publié par son éditeur avec l’essentiel de la lettre qui avait accompagné son envoi manuscrit en guise de préface, sans que toutefois le destinataire n’apparaisse, s’adressant ainsi à tout lecteuriii . Ce qui montre à l’envi le rôle de passeur, « entre auteur et lecteur », du directeur de la collection. Lambrichs déclarait : « On ne pressent pas Beckett. On ne décrète pas l’apparition de le Clézio. Un beau jour, leur manuscrit arrive sur votre bureau. Vous y êtes sensible. C’est là votre métier, votre seul mériteiv ». Les Cahiers du chemin : vers une relation éditoriale Ainsi s’est engagée une relation éditoriale considérable, poursuivie et approfondie par la collaboration de Le Clézio aux Cahiers du chemin lancés peu de temps après par Lambrichs. On peut dire que le succès remporté par le premier roman de Le Clézio, suite au prix Renaudot, n’est pas pour rien dans le lancement de la revue. Il faut dire que Lambrichs n’avait pu encore vraiment lancer la revue qu’il appelait de ses vœux dans cette maison où l’espace revuistique était, quant à la littérature, totalement occupé par la vieille NRF si ce n’est par l’imposant Jean Paulhan même si la revue était depuis 1968 dirigée par Marcel Arland. C’est d’ailleurs cette même NRF que Lambrichs dirigera après avoir mis fin à son expérience des Cahiers, certes en poursuivant avec nombre de ses auteurs mais dans le cadre précontraint de la NRF… C’est qu’avec Les Cahiers du chemin, une aventure intellectuelle à ce jour peu considérée a été engagée comme forme originale de réponse aux injonctions de l’époque entretenues par les revues d’avant-garde comme Tel Quel depuis 1963 ou Change à partir de 1968, les deux soutenues par les éditions du Seuil. En cela, Lambrichs et ses auteurs venaient défaire de telles postures par une revendication simple, rappelée par l’animateur des Cahiers du chemin qui tient à cette anecdote :

1963 est une année charnière pour la collection ; le 18 octobre 1962, Lambrichs recevait une lettre d'un jeune Niçois, âgé de 22 ans et n'ayant jamais été publié, précédant l'envoi d'un manuscrit : « Pourriez-vous me dire dans quelle mesure la collection "Le Chemin" serait approprié à mon cas, celui de jeune auteur n'ayant encore jamais rien publié. Certains m'ont affirmé que cette collection était exclusivement réservée au "Nouveau Romanv" ; mais est-ce à dire aux seuls élèves de la théorie du "Nouveau Roman" dont M. Robbe-Grillet est le Maître, ou le terme de "Nouveau Roman" est-il pris ici dans un sens un peu plus large, moins théorique. » Réponse de Lambrichs : « Je lirai volontiers et tout de suite votre roman. Quant à la collection "Le Chemin", je pense que l'autonomie de chaque titre publié rejette l'idée, à mes yeux, d'une chasse gardée tant pour les maîtres que pour les pions. » On ne peut être plus clair… Le jeune auteur avait pour nom Jean Marie Gustave Le Clézio ; le roman était Le Procès-verbal, dont le succès fut immédiat, perçu comme une révélation, et qui reçut en 1963 le prix Renaudot. Il donnera douze autres ouvrages au « Chemin », dont L'Extase matérielle, Le Livre des fuites, Désert…vi

Les 19 contributions de Le Cléziovii à 17 des 30 numéros des Cahiers du chemin vont correspondre à une période importante de la vie de l’auteur et elles montrent l’inflexion contemporaine de l’œuvre. En effet, les 283 pages de la revue qu’elles occupent confirment l’intérêt grandissant de Le Clézio pour ce qu’on peut appeler « la marge » qui n’est pas la marginalité comme posture et qu’illustreraient dans des manières certes singulières les écrivains qui s’affichent à la même époque dans tel ou tel mouvement avant-gardiste voire dans telle ou telle chapelle littéraire. C’est en effet la recherche, comme dit Claude Cavallero, d’« une expression des marges en principe créatif » que Le Clézio construit hors de toute maîtrise et dont il précise l’orientation comme son « goût pour l’altérité, la différenceviii ». Ce goût, s’il prend certainement naissance dans la biographie la plus originelle de l’écrivain, devient le moteur de

l’écriture dans ces années que couvre la participation concomitante aux Cahiers de Lambrichs. Depuis l’Extase matérielle (1967) et son service militaire qui s’achève à Mexico en passant par Le Livre des fuites (1969) et ses séjours multiples chez les indiens Emberas et Waunanas en Amérique centrale jusqu’à ses Voyages de l’autre côté (1975) et sa traduction des Prophéties de Chilam Balam (1976), non seulement Le Clézio s’est marié avec Jémia et est devenu père d’Amy, mais il a soutenu sa thèse d’histoire et surtout il a clairement orienté son œuvre littéraire sur « Les Carnets du chemin » (23, 27-44ix) qui ne cesseront alors de répondre à cette expérience vitale vécue auprès d’Elvira, la conteuse indienne évoquée encore une fois récemment dans le discours de réception du prix Nobel de littérature, et que résumerait avec force ce commentaire écrit une petite dizaine d’années après les dix années de collaboration au Cahiers du Chemin :

C’est cela je crois, qui m’impressionnait le plus, c’était cette façon de conter, sans souci du temps, sans nécessité d’écriture ni de rien qui retienne… Quand j’écris,… il me semble que c’est cela qui revient, ce temps d’un langage absolument libre, multiforme ; c’est cela que je voudrais inscrire sur du papier, si seulement c’était possiblex.

Lambrichs confie stratégiquement à Le Clézio l’ouverture de la rubrique « les hommes de parolesxi » (1, 85-91). Lequel l’ouvre en tentant de répondre à une question redoutable : « Comment j’écris ? ». C’est très exactement autant d’essais de réponses à cette question qu’offrent les textes publiés par le Clézio dans les Cahiers. Très difficile de classer ces textesxii et, par exemple, de séparer ceux qui relèveraient d’une « création » de ceux qu’on attribuerait à une « réflexion », car tous participent à ce qu’on peut appeler les « Carnets du cheminxiii » comme l’indique Le Clézio lui-même dans le titre de l’un d’entre eux, non sans un clin d’œil certain à Lambrichs et à ses Cahiers. En fait, toutes ces contributions sont, dans leur mouvement, engagées « jusque de l’autre côté de la terre, vite comme la lumière et lentement comme un piéton » (23, 27). Le Clézio semble faire allusion à la rapidité qu’exige toute contribution à une revue et à la lenteur d’une œuvre toujours en cours et donc en chemin. Mais l’essentiel pour Le Clézio, dans ce texte comme dans tous les autres, c’est de maintenir cette reprise infinie que sa clausule relance pour ne jamais en finir, pour toujours continuer le chemin :

Alors on commence le chemin, le vieux chemin entre les rocs, bondissant, montant, descendant, tournoyant le long de la falaise, griffé par les arbustes, aveuglé par la lumière de la mer, et tout cela, et tout cela, qui va où ? qui va loin, qui ne va nulle part, qui va jusque de l’autre côté de la terre, lentement comme un piéton et vite comme la lumière. (23, 43-44)

Car Le Clézio « va loin » dans ses « carnets du chemin ». Non seulement il part de Louis Wolfson (10), d’Isidore Ducasse (13), d’Antonin Artaud (19), de Claude Lévi-Strauss (21), de Henri Michaux (25), ou encore de Raymond Queneau (29) qu’il met dans ses bagages comme autant de viatiques vers l’ailleurs, mais il part sans savoir où. Comme écrit Marina Salles : « Le Clézio a mis ses pas dans ceux du ‘magicien’ Michaux, en phase avec sa volonté d’échapper aux limites de la culture occidentale, d’explorer, à l’intérieur et à l’extérieur, des voies inconnuesxiv ». Mais ce détour est d’abord et avant tout une considération de la force anthropologique du poème, comme de la nécessaire attention au langage en anthropologie, et par conséquent il engage une critique en actes de l’anthropologie et de la littérature, de leur séparation et de leur instrumentalisation respective. En ce sens, Le Clézio participe par d’autres moyens d’une « anthropologie historique du langagexv ». « Carnets du chemin » vers une anthropologie poétique Le Clézio écrit des « relationsxvi » ainsi qu’il le dit en dédicaçant « Vers les icebergs » à Henri Michaux (25, 61). Non seulement des « voyages » ou des « fuites » mais ce qu’avec Le Clézio j’aimerais ici appeler des « poèmes-relations ». En effet, ces textes inventent non seulement une aventure relationnelle avec l’inconnu, l’ailleurs, le toujours autre, mais ils cherchent également un « mode de dire » qui soit un mode de « faire rapport » dans et par le langage, par les chemins du langage qui inventent un « sujet-relation » toujours en chemin. Or ce sujet est polarisé (25, 68). C’est un sujet porté par une voix, « la voix

du poème » (25, 63). Elle l’emporte et le libère : « Non cela ne m’appartient pas. Le langage vient d’ailleurs. Je vois encore, au centre de l’espace, le point brillant de l’origine, et je sais que la voix vient de là. Le langage n’appartient à personne. Il est le règne de la liberté, de l’espace » (25, 68). Et cela n’est pas sans risques et sans intermittences puisque « la voix apparaît, disparaît, comme elle veut » (25, 69). Aussi, faut-il commencer par sortir Le Clézio du cliché répété à satiété par un heideggérianisme consensuel, le cliché d’un « habiter le mondexvii ». Puisque c’est « la parole du poème » qui « nous habite depuis si longtemps » (25, 65), ou comme le disait également Kateb Yacine : l’artiste « est habité par un vertige étoiléxviii ». « Cette voix, ce poème », affirme Le Clézio, « c’est aussi la plus belle, la seule aventure » (25, 67) : « Nous errons, nous errons » comme l’indique l’incipit de « vers les icebergs » (25, 61) qui, par cette reprise, montre une physique du langage comme traversée ou comme passage : « Celui qui a commencé à parler maintenant, dans le poème, ouvre l’étendue de l’océan, sous le ciel, trace le cercle de l’horizon, et nous partons, nous avançons, nous traversons son domaine… » (15, 63). Il faut ensuite observer combien Le Clézio est à contre-courant des discours de l’époque sur l’achèvement si ce n’est l’impossibilité du poème. Par exemple quand il cherche, dans le prolongement de Raymond Queneauxix, une tenue du langage et de la morale au sens d’une « sagesse qui serait celle du commencement de la vie » (29, 10). Ou quand il invite « à ce difficile travail, parce que justement la poésie n’est pas achevée, et que nous devons participer à sa création » (ibid.). Le Clézio ne compose pas des jeux de mots pour faire tourner une rhétorique car, pour lui, la poésie de Queneau, toute « expérimentale », exige des « échappées » (29,11). C’est ce que presque tous les textes des Cahiers tentent de réaliser, chacun dans des voies et avec des voix nouvelles. Même si c’est toujours avec quelque « frisson » parce qu’« il y a des pays dont on ne revient pas » (18, 55). Ce « frisson » est ambivalent puisqu’il est à la fois source de peur et de bonheur. Mais c’est, à proprement parler, « quand cela arrivera au ventre, en faisant mal à l’aine, à la manière d’un vertige » que le « frisson » nous tient. Dans les pages hallucinées du « Jardin aux serpents », par exemple, Le Clézio affirme en conclusion : « Les serpents c’est nous » (18, 63). Cette clausule de la fiction théoriquexx, située « sur la route du sommeil » (18, 52), indique qu’on approche alors du « pays des visions » que le texte sur « Le Génie Datura » (17) évoque dans une mise en page quasiment schizophrène. Comme le précise Nicolas Pien, Le Clézio note sur la page de gauche « le récit objectif des réactions de son corps à l’absorption de la datura » et sur la page de droite « les visions qui l’assaillent simultanémentxxi ». Certes Le Clézio n’a pas repris ce texte en volume, comme s’il voulait à la fois pointer son importance dans le renversement qui s’opère depuis sa rencontre avec le monde amérindien au Mexique, et signaler qu’un tel renversement n’est pas rendu possible par la seule expérience des drogues mais qu’il est avant tout le renouvellement de l’expérience d’un bouleversement langagier que « l’écriture-vie » a engagé dans l’œuvre depuis son début certainement. En cela il ne s’agit pas à proprement parler d’une expérience « physiquexxii » mais tout autant d’une expérience spirituelle à condition effectivement de ne plus séparer l’une et l’autre et de considérer cette physique du langage à l’œuvrexxiii . C’est en ce sens que Le Clézio écrit à propos d’Artaud :

Les gestes de la vie ne sont plus en dehors des gestes de l’écriture. Ils ne précèdent pas, ne suivent pas la création. Ils coïncident absolument avec elle […]. L’écriture est réelle, aussi réelle que l’homme qui l’écrit, que la société où vit cet homme, que les éléments de l’univers. Il n’y a pas de pensée. Il n’y a pas d’« expérience ». Il y a cette unique trame, aux fils étroitement noués, sans place pour le vide. (19, 54).

Une fois de plus, Le Clézio nous restitue Artaud à contre-époque, puisque pour lui, « aucune vie n’a été aussi délibérément consacrée à la vie, on ne voit pas, dans la littérature et dans les arts d’autre exemple d’une telle concentration de force » (19, 57). Loin de la célébration mortifère d’une « inconstance », c’est « la sauvagerie » qui exige « la dépossession, en vue de la maîtrise » (19, 62), c’est-à-dire « une identité sans limites du possédé » (19, 64) : merveilleuse formule pour qui vise non une œuvre achevée, un produit culturel, mais avant tout et pour toujours « un conduit de passage » (ibid.). C’est à ce point que j’aimerais évoquer le compte rendu de L’Homme nu de Claude Lévi-Strauss (21), ce quatrième et dernier tome des Mythologiquesxxiv qui montre la réversibilité extraordinaire de l’esprit et du corps, des activités et structures de l’un et de l’autre. Le Clézio n’hésite pas à « apparenter » l’œuvre de l’anthropologue à celles « de Proust, de Mallarmé, de Khalil Ghibran » et plus loin « de Faulkner » (21, 172), tout simplement parce qu’elle épouse au mieux ce qu’elle donne à entendre : « Claude Lévi-Strauss doit suivre la route qui le dirige, devenir l’écho des échos, un lieu de passage, à la fois personnel puisque tout entier habité par l’effort en vue de l’harmonie finale, et anonyme parce que refusant la tentation de l’imaginaire » (21, 178). Cette note de lecture – mais il s’agit bien plus d’un essai qui, lisant Lévi-Strauss

au plus près, se lit dans le même mouvement – est un appel à sortir l’anthropologue du structuralisme puisque, in fine, Le Clézio demande de suivre ce « grand magicien sensible et humble », entre autres dans ce livre, « vers un autre domaine, qui n’est plus seulement celui de la science » : « la Poésie » (21, 184). Ce texte montre par son leitmotiv ce que Henri Meschonnic appelle un « penser Humboldt » qui est le travail de l’interaction (Wechselwirkungxxv) entre la « force poétique » et la « rigueur scientifique » (21, 173). Et c’est aussi, comme le note Le Clézio à propos de Wolfsonxxvi, « un livre, le livre par excellence », qui n’établit « aucune distance entre ce qu’il dit et celui qui l’a écrit » (10, 151). Le Clézio ne cesse de travailler au continu du poétique et de l’anthropologique, du didactique et de l’imaginaire : « Ne serait-il pas vain et dangereux, de vouloir aujourd’hui envisager la frontière qui sépare l’œuvre d’art du document scientifique ? » (10, 150). Il ne s’agit pas ici de l’évocation d’une quelconque interdisciplinarité dont on sait qu’elle fait la mode de l’époque, conduisant d’ailleurs plus à l’éclectisme qu’à la critique réciproque, mais bien du « drame du passage du langage » (10, 141). Les « carnets du Chemin » de Le Clézio constitueraient ainsi autant de petites épopées de ce drame. Le « passage du langage » demande par conséquent une attention à la physique du langage comme drame : une poétique dramaturgique. Le Clézio est mis en chemin – et j’omets volontairement le réflexif (« se mettre en chemin ») car il s’agit bien d’une opération de « dépossession » si elle est, et pourqu’elle le soit, de subjectivation, de « passage » de sujet. De la première à la dernière contribution aux Cahiers de Lambrichs, Le Clézio ne cesse de chercher ces/ses « passages » dans et par le langage. Au point de voir dans les écritures exposéesxxvii, et au-delà dans tout le cosmos et ses moindres détails, un livre à recopier. L’expression « Les visages sont lisibles » (30, 71) fait pendant aux « signes » que laissent les nuages et qu’« on aimerait écrire » dans « le livre des signes » (30, 84). Ce sont ces réversibilités qui ouvrent alors tous ces essais au dialogisme fondamental d’une anthropologie du langage : « C’est quelque chose comme le désir immédiat de la communication, quelque chose qui ressemble à l’origine du langage » (30, 73). Ni plus ni moins que la « communion phatique » qu’évoquait Malinowskixxviii . Cette oralité de l’écriture porte les essais de Le Clézio : reprises anaphoriques à valeur d’attaque et/ou de chant sous le texte ; phrases nominales qui mettent le syntagme à hauteur d’un « déverbal » puisqu’elles viennent creuser cette lancée d’un « je cherche les visages où brille cette lumière, je les aime » qui va alors accumuler et se démultiplier puisque « la véritable beauté du visage est dans la vie qu’on voit, qu’on sent, dans l’espace qui s’ouvre » (30, 75). La quête « d’un visage unique » ne contredit absolument pas la multiplicité, l’intense infinitude du regard qui rencontre, la force magique et insondable de l’écriture qui appelle. D’où également cette oralité d’une écriture qui s’adresse (« dites-moi », 30, 81), s’interroge, se relance par l’interjection, se répond (« Oui, ce serait bien de vivre sur un nuage », 30, 83) et engage un répons (« Nuage, grand nuage, glisse très lentement » 30, 82) au plus près d’un racontagexxix « vers ce pays d’où l’on ne revient pas » (30, 86). Une organique et une érotique y organisent la physique du langage bien plus qu’une analytique ontologique (voir exemplairement « Naissance de la pensée » qui répond à La Nausée de Sartre et peut-être à toute phénoménologiexxx) : elles engagent une anthropologie poétique comme anthropologie du langage dans l’aventure du poème. Ce continu « Visages-Nuages » qui vient comme signer les « carnets du Chemin » de Le Clézio, c’est précisément l’oralité d’un « poème-relation », toujours en cours, que Lambrichs a su merveilleusement accueillir dans sa revue de 1967 à 1977 auprès d’autres écrivains. C’est enfin la voix d’Elvira dans et par l’écriture de Le Clézio. i. Le Clézio est le 17e auteur publié dans la collection de G. Lambrichs qui a publié 278 ouvrages dont le dernier titre, Lettre suit de Pierre Alechinsky en 1992 vient comme montrer l’inachèvement du « Chemin » à la mort de son directeur. En nombre de titres, Le Clézio est le deuxième auteur de la collection. Avec 13 titres au total, il est dépassé par Michel Butor qui en totalise 14 et précède Henri Meschonnic pour 11. Dans les dix meilleures ventes de la collection, il est le premier chronologiquement retenu pour Le Procès verbal en 1963 et apparaît quatre fois dans ce palmarès pour Désert (1980) en deuxième position derrière La Dentellière de Pascal Lainé qui a eu le Goncourt en 1974, puis pour Le Procès-verbal en quatrième position et enfin pour Printemps et autres saisons (1989) en cinquième position et pour La Ronde et autres faits divers (1982) en neuvième position. Bref, c’est l’auteur Lambrichs par excellence… Voir le site Gallimard à l’adresse : http://www.gallimard.fr/collections/fiche_chemin.htm. ii. Ce travail fait partie d’un travail de recherche en cours concernant la revue Les Cahiers du chemin (1967-1977), son directeur Georges Lambrichs et ses auteurs dont Le Clézio. Je ne peux dans le cadre de cet article rendre compte précisément de toutes les contributions de Le Clézio, et en particulier de leurs liens avec les publications en ouvrages. Je me contente de montrer leur élan dans l’époque dont le contexte est également ici à peine évoqué, sachant qu’un tel élan est encore aujourd’hui vif. L’intempestif n’a pas d’époque autre que le présent toujours au présent ; ce que l’histoire littéraire peut

difficilement admettre. iii. J.M.G. Le Clézio, Le Procès-verbal, Paris, Gallimard, « Le Chemin », 1963, p. 9-10 (en italiques). Où l’on apprend que Le Clézio ne se sert que « d’un doigt de chaque main » pour taper à la machine… iv. Voir le site Gallimard déjà cité. v. Note de S. M. : il faut savoir que Lambrichs avait auparavant travaillé aux éditions de Minuit de 1947 à 1959. Il est normal que Le Clézio ait cru que « Le Chemin » fut dans le prolongement des publications estampillées « Nouveau Roman ». La réponse de Lambrichs montre clairement ce qu’il en fut et pourquoi cette rencontre est capitale, y compris, pour qu’on en finisse de considérer les auteurs du dit « Nouveau Roman » comme les « pions »… d’une histoire littéraire qui fait fi des œuvres, de « l’autonomie de chaque titre ». vi. Voir le site Gallimard déjà cité. vii. Voici la liste des 19 contributions de Le Clézio aux Cahiers du chemin, éditions Gallimard (je signale, dans l’ordre, le numéro de la revue, la date et le titre de la contribution de Le Clézio) : n° 1 (15-10-1967) : « Comment j’écris » ; n° 5 (15-01-1969) : « Itinéraire de Tokyo à Moscou, via Yokohama, Nakhodka, Khabarovsk, Irkoutsk, Tcheliabinsk » ; n° 7 (15-10-1969) : « Les visages sans âme » ; n° 9 (15-04/15-07 1970) : « Naissance de la pensée » ; n° 10 (15-10-1970) : « La mer noire » et « Louis Wolfson : Le Schizo et les langues » ; n° 12 (15-04-1971) : « Les cris des crapauds » ; n° 13 (15-10-1971) : « Le langage des Maîtres » et « Isidore Ducasse : Les poésies à venir » ; n° 15 (15-04-1972) : « La peur électrique »; n° 17 (15-01-1973) : « Le génie Datura » ; n° 18 (15-04-1973) : « Le jardin aux serpents » ; n° 19 (15-10-1973) : « L’envoûté » ; n° 21 (15-04-1974) : « Claude Lévi-Strauss : L’Homme nu » ; n° 23 (15-01-1975) : « Les carnets du chemin » ; n° 25 (15-10-1975) : « Vers les icebergs » ; n° 28 (15-10-1976) : « Les bergers » ; n° 29 (15-01-1977) : « Queneau, l’homme étonné » ; n° 30 (15-04-1977) : « Visages-Nuages ». viii. Claude Cavallero, « Les marges et l’origine. Entretien avec J.-M. G. Le Clézio » dans Europe n° 957-958, janvier-février 2009, p. 29-38. Cet entretien reprend celui publié la première fois dans Europe n° 765-766, janvier-février 1993. ix. Dorénavant, j’indique seulement le n° de la revue suivi des pages ou de la page si nécessaire. Pour les références précises, voir la note 6. x. J.-M. G. Le Clézio, « Plus qu’un choix esthétique », La Quinzaine littéraire, n° 436, 16-31 mars 1985, p. 6. Ce passage significativement cité par Bruno Thibault dans sa contribution (« ‘Comme sur le seuil d’un monde nouveau’, J.-M.G. Le Clézio et l’écriture du chamanisme ») au numéro récent d’Europe (op. cit., p. 121) xi. Le Clézio y est suivi par Pierre Klossovski (« Fragment d’une lettre à Michel Butor »), F.A. Burguet (« Nouvelle lettre à Elia ») et Jean-Pierre Attal (« A G. L. »). Cette rubrique ne perdurera dans les Cahiers du chemin que pour les trois premiers numéros. Toutefois, on peut considérer qu’un tel intitulé constitue bel et bien ce qui oriente toute la revue qui par la suite se répartira en une première partie proposant des textes qu’on dit « de création » et une rubrique (« Autrement dit ») proposant des notes de lecture ou plutôt des textes partant de livres. xii. La remarque ne concernerait d’ailleurs pas seulement ces contributions à la revue de Lambrichs mais l’œuvre dans son ensemble comme le signalait Jean Onimus à l’orée de son étude, Pour lire Le Clézio (Paris, P.U.F., 1994) : « l’œuvre s’est développée dans une alternance de romans, de recueils de nouvelles, d’essais ; mais ces vielles catégories éclatent au contact de textes inclassables, proches du conte, du journal et de la poésie, dont la fraîcheur sauvage ne cesse d’étonner » (p. 7). Ceci dit nous ne partageons pas le point de vue conclusif du critique qui tente de rapporter l’œuvre de Le Clézio à la catégorie de « postmoderne » (p. 8) où Onimus confond « moderne » et modernisme. De même, s’il souligne avec justesse les qualités du « conteur », il y aurait plus à déconfondre qu’à rapprocher, ainsi que le fait Onimus, Le Clézio des « principes mis en évidence par les savants découvreurs de la narratologie » (p. 189) ! Sur ce sujet, voir notre contribution aux Cahiers Robinson n° 23 (« Le Clézio aux lisières de l’enfance »), Arras, 2008, p. 77-88. xiii. Voir ma contribution (« Écrire/dessiner ‘les Carnets du chemin’ ») dans Isabelle Roussel-Gillet, Marina Salles et Thierry Léger (dir), Le Clézio à la croisée des arts et des cultures, à paraître. xiv. Marina Salles, Le Clézio, notre contemporain, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006, p. 274. xv. Je reprends ici le sous-titre donné par Henri Meschonnic à Critique du rythme (Lagrasse, Verdier, 1982) dont Le Clézio fut bien malgré lui le lecteur aux éditions Gallimard. Je préciserai ailleurs la rencontre de ces deux œuvres dans le cadre des Cahiers de Lambrichs : il me semble qu’elle fait partie de ce continent invisible de notre vie intellectuelle, si l’on veut bien considérer non un « dialogue » qui n’eut pas lieu ou qui fut plutôt de l’ordre d’une incompréhension réciproque, mais une relation que Lambrichs sut organiser dans et par les faits littéraires et donc éthiques et politiques, qu’une revue, parfois, seule permet et engage. xvi. Lisant ces « carnets du Chemin », je ne peux m’empêcher de penser aux « Essais » de Montaigne qui sont autant de relations de pensée et d’écriture visant ce défi : « je suis moy-mesme la matiere de mon livre ». Le même défi pour Le Clézio certainement. xvii. La formule d’Hölderlin (Dichterisch wohnet der Mensch : « L’humain habite le monde en poète ») a été reprise par Heidegger avec comme effet à sa suite de stériliser la poésie en croyant l’illimiter (voir Henri Meschonnic, Le Langage Heidegger, Paris, P.U.F, 1990, p. 362). xviii. Kateb Yacine, « L’artiste habité (le polygone et le dédale) » (entretien avec Jacques Berque et Jean Duvignaud, Afrique action, Tunis, 26 juin 1961), Le Poète comme un boxeur, Entretiens 1958-1989, Paris, Seuil, 1994, p. 176-177. xix. On apercevrait ainsi un tout autre héritage que celui de l’actuel OULIPO… xx. Sur cette notion de « fiction théorique », voir l’entretien d’Eva Corredor avec Maurice Roche (« Théorie de la fiction et ‘fiction théorique’ ») dans The French Review, vol. LIV, n° 4, mars 1981, p. 538 et suivantes. xxi. Nicolas Pien, Le Clézio, la quête de l’accord originel, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 163. Voir également sur cette question de « l’écriture du chamanisme » l’article de Bruno Thibault (cité en note 9). xxii. N. Pien, Le Clézio, la quête de l’accord originel, op. cit., p. 164. xxiii . Je ne comprends pas l’opposition que fait Jacqueline Dutton dans son ouvrage, Le Chercheur d’or et d’ailleurs, L’Utopie de J.M.G. Le Clézio (Paris, L’Harmattan, 2003, p. 151), entre « Artaud et Michaux qui se sont laissés sombrer dans l’enfer de la toxicomanie » et le « rôle bénéfique » de la drogue dans l’œuvre de le Clézio ! Il me semble qu’au contraire, il y a le désir

chez Le Clézio de prendre le relais de ces recherches de l’« autre côté » en les assurant toujours plus par l’exigence du continu de la vie et de la littérature, du langage. xxiv. Claude Lévi-Strauss, Mythologiques, t. IV : L'Homme nu, Paris, Plon, 1971. xxv. Sur cette conceptualisation décisive de Wilhelm von Humboldt à Henri Meschonnic, je me permets de renvoyer à Langage et relation, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 48 et suivantes. xxvi. Louis Wolfson, Le Schizo et les langues, Paris, Gallimard, 1970 – G. Deleuze préface ce livre. xxvii. Voir sur cette question : Béatrice Fraenkel, « Les écritures exposées », Linx n° 31, Centre de recherche linguistique de Paris X-Nanterre, 1994, p. 99-110. Il s’agit de ces écrits toujours visibles et pas toujours lisibles qui, par exemple dans l’Antiquité, constituent l’espace public en lieu de mémoire. On peut bien évidemment étendre cette perspective à l’ensemble des visibilités scripturaires urbaines de nos sociétés auxquelles Le Clézio est souvent attentif. xxviii . C’est surtout à Émile Benveniste qu’on doit d’avoir souligné la portée considérable de cette observation de Bronislaw Malinowski dans un article publié en 1923. Voir Problèmes de linguistique générale, 2, Paris, Gallimard, 1974, p. 86-88. xxix. Sur cette notion, je me permets de renvoyer à Quelle littérature pour la jeunesse ?, Paris, Klincksieck, 2009, p. 98-101. xxx. Voir Thierry Léger, « La Nausée en procès ou l’intertextualité chez Le Clézio » dans Sophie Jollin-Bertocchi et Bruno Thibault (dir.), Lectures d’une œuvre, J.-M.G. Le Clézio, Nantes, éditions du temps, 2004, p. 95-103. S’il y a « réécriture de La Nausée de Sartre » dans Le Procès-verbal (p. 96), il s’agit bien d’une réécriture critique si ce n’est d’une écriture critique qui renvoie plus à la force de l’inaccompli de toute fable qu’aux manipulations narratives ou même à « une hésitation permanente face à tout énoncé » comme l’envisage Genette évoqué par Léger (p. 102). Aucune sortie du langage donc, mais le poème de l’infini du langage, de l’infini de la relation dans et par le langage. Toute la différence entre Sartre et Le Clézio, entre une phénoménologie et une poétique de la vie jusque dans le silence, qui est peut-être ce qu’il y a de plus fort au cœur du langage et de toute parole, que Le Clézio ne cesse d’écouter.