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Submitted on 24 May 2007
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Vivre et survivre dans une Aire dEnvironnementProtg : le cas dune petite paysannerie de lAPA (Area
de Protecao Ambiental) de Guaraquecaba, Parana,Brsil
Catherine Dumora
To cite this version:Catherine Dumora. Vivre et survivre dans une Aire dEnvironnement Protg : le cas dune petitepaysannerie de lAPA (Area de Protecao Ambiental) de Guaraquecaba, Parana, Brsil. Anthropologiesociale et ethnologie. Universit Victor Segalen - Bordeaux II, 2006. Franais.
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00149169https://hal.archives-ouvertes.fr -
Universit Victor Segalen Bordeaux 2
Anne 2006 Thse n1369
THSE
pour le
DOCTORAT DE L'UNIVERSIT DE BORDEAUX 2
Mention : Ethnologie, option Anthropologie Sociale et Culturelle
Prsente et soutenue publiquement
Le 8 Dcembre 2006
Par DUMORA, Catherine
Ne le 06 Dcembre 1973 ARCACHON
Titre de la Thse
Vivre et survivre dans une Aire d'Environnement Protg :
Le cas d'une petite paysannerie de l'APA (rea de Proteo Ambiental)
de Guaraqueaba, Paran, Brsil
Membres du Jury
Mme FERREIRA, Angela Duarte Damasceno, Professeur l'Universit Fdrale du Paran.
Mr BOURDIER, Frdric, Docteur, Charg de Recherche l'IRD.
Mme CANDAU, Jacqueline, Docteur, Charg de Recherche au CEMAGREF.
Mr RAYNAUT, Claude, Directeur de Recherche au CNRS. Directeur de Thse.
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Universit Victor Segalen Bordeaux 2
Anne 2006 Thse n1369
THSE
pour le
DOCTORAT DE L'UNIVERSIT DE BORDEAUX 2
Mention : Ethnologie, option Anthropologie Sociale et Culturelle
Prsente et soutenue publiquement
Le 8 Dcembre 2006
Par DUMORA, Catherine
Ne le 06 Dcembre 1973 ARCACHON
Titre de la Thse
Vivre et survivre dans une Aire d'Environnement Protg :
Le cas d'une petite paysannerie de l'APA (rea de Proteo Ambiental)
de Guaraqueaba, Paran, Brsil
Membres du Jury
Mme FERREIRA, Angela Duarte Damasceno, Professeur l'Universit Fdrale du Paran.
Mr BOURDIER, Frdric, Docteur, Charg de Recherche l'IRD.
Mme CANDAU, Jacqueline, Docteur, Charg de Recherche au CEMAGREF.
Mr RAYNAUT, Claude, Directeur de Recherche au CNRS. Directeur de Thse.
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A Edna, sempre comigo, Minha companheira de campo, Minha amiga, Meu anjinho. Aos Batuvanos, Para construir um mundo melhor, Respeitando o homem, o lavrador, a sua roa que sustenta a famlia, A sua dignidade.
No novo tempo, apesar dos castigos Estamos crescidos, estamos atentos, estamos mais vivos
Pra nos socorrer, pra nos socorrer, pra nos socorrer No novo tempo, apesar dos perigos
Da fora mais bruta, da noite que assusta, estamos na luta Pra sobreviver, pra sobreviver, pra sobreviver
Pra que nossa esperana seja mais que a vingana
Seja sempre um caminho que se deixa de herana
No novo tempo, apesar dos castigos De toda fadiga, de toda injustia, estamos na briga
Pra nos socorrer, pra nos socorrer, pra nos socorrer No novo tempo, apesar dos perigos
De todos os pecados, de todos enganos, estamos marcados Pra sobreviver, pra sobreviver, pra sobreviver
Pra que nossa esperana seja mais que a vingana
Seja sempre um caminho que se deixa de herana
No novo tempo, apesar dos castigos Estamos em cena, estamos nas ruas, quebrando as algemas
Pra nos socorrer, pra nos socorrer, pra nos socorrer No novo tempo, apesar dos perigos
A gente se encontra cantando na praa, fazendo pirraa Pra sobreviver, pra sobreviver, pra sobreviver
Novo tempo
Ivan Lins & Vitor Martins
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REMERCIEMENTS
Mes remerciements vont tout particulirement Mr Claude Raynaut, qui m'a accompagne durant ce long chemin, qui m'a forme au terrain et l'analyse. Il reste encore du chemin faire mais vous m'avez mise sur la voie, je vous en suis trs reconnaissante. Votre comptence, vos remarques, votre accompagnement et votre investissement m'ont permis d'avancer grand pas dans ma formation. J'aperois clairement mes limites mais pourtant le chemin que vous m'avez fait parcourir m'a permis de progresser et d'amliorer considrablement mon approche anthropologique. J'ai l'impression de venir de loin, je sais galement que je n'ai pas toujours t la hauteur de vos attentes, cependant je sais galement que vous percevez mon cheminement avec beaucoup de discernement. Merci pour tout ce que vous m'avez donn. Je n'oublierai jamais ces moments partags Curitiba, les changes, la vie quotidienne, c'tait une priode merveilleuse; Batuva, sur le terrain, les conseils pratiques, et la caipirinha de trop chez Barbosa face la baie, o je vous ai fauss compagnie car le bateau tanguait de trop dans ma tte; au barreado savour Morretes et aux discussions quotidiennes. Merci Bernadette Raynaut galement pour son accueil et pour les petits moments partags dans le salon de l'appartement Curitiba, votre humour et aux rires changs, au fameux dessert mousse de maracuja, que toute bonne matresse de maison sait nous offrir avec tant d'affection. Bernadette votre accueil si chaleureux chez vous et Condat sur Trincou, merci pour tous ces petits moments de bonheur.
Je suis trs reconnaissante Angela D.D. Ferreira, pour son accompagnement tout au long de mon parcours, pour ses conseils mthodologiques, thoriques, son coute et son aide logistique. Angela,"a me dos seus orientandos", toujours l en toute circonstance pour nous couter, nous recevoir et nous aider qu'il s'agisse du travail, de la vie quotidienne, de la sant, des tats d'me, elle est toujours d'un grand soutien, merci pour ta guidance et ton amiti. Merci l'accueil chaleureux, aux runions autour du caf et des gteaux de l'aprs-midi dans ta jolie maison o l'on se sent si bien. Un grand merci Paulo, pour son accueil, son aide pratique et ses merveilleux churrascos avec une bonne bire bien gele.
Je remercie la Rgion Aquitaine, et tout particulirement son Prsident Alain Rousset, pour l'appui financier dont j'ai bnfici au travers d'une allocation de recherche, durant les trois premires annes de la thse, me permettant de raliser le terrain dans les meilleures conditions.
Merci au Doutorado MADE, qui m'a accueillie comme doctorante part entire au sein de la promotion IV. Je tiens remercier tout spcialement Magda Zanoni, pionnire et fondatrice du Doctorat, galement initiatrice du programme de recherche men Guaraqueaba et des projets de dveloppement qui y ont t concrtiss. Son dynamisme et son enthousiasme dbordant m'ont permis de mener bien cette recherche. Merci aux enseignants et plus particulirement Alfio Brandenburg et Dimas Floriani, pour les changes durant les sminaires et en dehors du cadre universitaire, partageant leurs expriences et leurs vcus. A mes collgues et amis de la promotion, avec qui j'ai partag ces trois ans au Brsil, entre mes alles et venues du terrain : Jefferson Rocha, Cristina Teixeira, Zilna Domingues, Manuy Chang et Guadalupe Dias Vieira, ma collgue et amie gographe et cordon bleu hors pair, avec qui j'ai pass les premiers mois de terrain parcourir l'ensemble du municipe, et dont l'amiti a travers les difficults, les tensions du terrain, et l'ocan. Enfin je tiens remercier Cassia et Iolanda, pour leur accueil, et leur disponibilit, et tous les autres professeurs dont Professeur Naldy pour son aide au dbut de mon terrain.
Parmi les collgues, compagnons de route et amis, je tiens tout particulirement remercier et runir mes meilleures penses Edna Francisco, nous avons partag un mme terrain, une mme passion pour l'tude et la comprhension du mode de vie des petits
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agriculteurs familiaux de la valle, nous avons partag la mme maison, et les changes thoriques, mthodologiques ont t des moments de plaisir intense. Os "nossos insights" Edna, vo ficar para sempre na minha memoria, et puis nos doutes, nos dsirs sur la vie, sur l'amour, sur l'avenir Sempre falei para voc vive, vive plenamente a tua vida, tu tem direito a ser feliz, aproveite a tua vida, eu lembro ainda essa frase que voc me retorno depois "A gente merece ser feliz, amada como a gente quer e precisa ser amada, respeitada". se eu souber o que ia acontecer eu ia dizer mais ainda : no minha querida voc no era egosta bem pelo contrario, voc muito generosa, s o teu sorriso dava tanta coisa, tua doura, simplicidade, tua escuta pelo outro. No voc no era mandona, controladora, voc sabia o que voc no queria, e um pouco o que voc queria, eles no souberam te entender e enxergar essa menina que estava dentro de ti, uma criana cheia de alegria, de vida, de paixo para conhecer o mundo, os outros. A Edna, como eu sinto saudade, como voc era importante para mim, companheira, amiga, confidente, a gente se identificou bastante, nervosinhas s vezes mas querendo tanto viver e descobrir coisas novas. Agora voc me acompanha sempre, ou quase, voc meu anjo. No nada acadmico, terico, metodolgico, mas esses ltimos tempos, quantas vezes te pedi ajuda para eu conseguir escrever melhor, ter os insights, mais puxa ainda no estou ouvindo as vozes dos anjos, e parece que na verdade voc est aqui para me dar fora; mas para me ajudar a escrever ai outra coisa, o problema meu, meu cargo, minha tarefa... Obrigada por tudo querida, foi um prazer imenso ter te conhecido e partilhado um pouco esses momentos, fofos, meu anjo. Anjos vivem no cu mesmo, no vivem na terra, assim que eu explico e que eu consigo me conformar com a sua perda.
Un grand merci Eleusis et Nilson, Laura et Luiz, Filo et Mana, Arilson et Graziela, Tatiana et Duda, Joo, Gerson et Adriana, Clo, Clao, Ci, Xuxu, Janise, Jaci et Jaime, Vera et Fabio, Izolda, Dina, Claudia, Anglica et Esau. Aux habitants de Batuva, de Rio Verde et de Guaraqueaba, qui m'ont ouvert leur porte, m'ont accueillie, m'ont offert le gte et le couvert, m'ont supporte Et tout particulirement Maria Antnia Da Silva Borges qui je souhaite un bon rtablissement : Querida Maria Antnia, voc esta no meu corao sempre, junto com Edna vocs eram minhas confidentes, companheira de campo e minhas amigas queridas a quem sempre penso mesmo longe, mesmo sem noticias, sonho em nossos encontros futuro, na alegria de te rever, sonho no que eu faria para voc se eu fosse rica, ou sem ser rica se eu tiver muito dinheiro. Porque no tem jeito para sair das condies difceis da vida material precisa de dinheiro. Querida Maria Antnia, logo, logo eu venho te ver.
A Dona Maria Soares Dias, minha av querida, adorei passar tanto tempo com voc, ouvir voc me contar a vida no Batuva, o historia do lugar, a historia do trabalho, do servio como voc fala "ela quer entender o servio da gente", da roa, do tempo de antes como se fazia nas regras, e do tempo de hoje que se perdeu o jeito certo de fazer. Dona Maria a senhora linda, maravilhosa, eu amo voc e toda sua famlia to acolhedora. No meu corao eu fao parte da sua famlia. Obrigada a famlia Dias (no vou enumerar os nomes seno no vou acabar e posso esquecer), A Mario e Maica, Servino e Marina, Tinha e Muchinha, Ivanira minha querida, Xica minha querida vizinha, Niuza e Haroldo, Dirceu, Nica e os filhos, Diones, Junior, Ngo, os trs gatos do Batuva que me ajudaram muito (Oups desculpa no tem que dizer), vocs me agentaram, parabns, indo l no centro, l na roa : mas o que, que essa mulher est querendo, se convidando toda hora para comer, sempre eu chegava bem na hora do almoo, do caf e eu comia aqueles pratos gostosos, sem vergonha que eu sou.... Muito obrigada a vocs. A Pedro e Delfina, e toda a famlia adorei tambm passar esses tempos com vocs. A Leonel e Maria Olinda, eu gostaria mesmo ter ficado mais tempos com vocs, ao Abilio e Maria, por todas essas conversas interessantes.
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A Eva, Nelson, e os filhos tambm para me agentar tanto, "ich" como eu gostei da comida da Eva, de tudo que ele tinha para me ensinar, sobre a vida, o quintal, cuidar das coisas. A Nica e aos seus filhos, eu j falei, bom mais um pouco, para ter me acolhido, me der at o seu quarto para dormir, a todos esses momentos partilhados. Eu no esqueo o Benedito, muito obrigada pela ajuda pelo acolhimento, eu agradeo muito, voc muito generoso e foi muito generoso comigo.
A meus vizinhos do Batuva, a Zoraide, querida, que sempre vinha perguntar se estava tudo bem, e a querida Priscila, que vinha me trazer uns presentes, me ajudar no meu trabalho, fofinha, linda, a Cristiane, Alessandra e Osias, mais tmido e muito fofo tambm. A Dona Alzira e Seu Deco, para as noites de conversas na frente do fogo a lenha, no acolhimento na sua casa em Canania. Vocs so maravilhosos, muita fora e sade para vocs.
A Cuatinha e Doracino, muitos beijos, e fora, eu penso em vocs. A Sidnei e Marcia, com quem me identifiquei muito, o casal jovem, tranqilo. Adorei
conversar com vocs, vocs so lindos. A Dona Olga, Durvalina, seu Arzemiro, obrigada pelas conversas, pelo acolhimento tambm, muita fora, sade, e paz. Penso muito em vocs. Obrigada tambm a Neuzi pelo carinho, a Irzo, Pedrina, Sidinilson pelos papos.
A Diniz e Leozilda, pelas conversas ricas que eu tive com vocs, pela historia to bem contada, pelo carinho. A Eloi e Leonete tambm pelo chimarro partilhado na varanda, pelos papos e pelo leite e os queijos gostosos.
Em fim aos meus compadres, Ozenir e Isabel, tantas saudades, obrigada pelo carinho, obrigada por me ter dado a oportunidade de entrar na famlia de forma to linda, era muito emocionante, beijos aos baixinhos, meu afilhado, Alessandro e Ariel "Dida". Enfin mes amis en France et au Brsil, et un grand merci ma famille pour leur soutien, la confiance, la force qu'ils m'ont donne. Un grand merci Nathalie Dem et Marianne Brient pour leur relecture et les corrections finales, ainsi que pour leur rconfort tout particulirement dans les derniers moments de l'aventure. Merci Annick Tijou-Traor, Isabelle Gobatto et Rachel Besson, pour leur aide et leur soutien dans la dernire ligne de la rdaction, pour leur coute et leurs conseils. Au laboratoire ADES-SSD, je tiens encore remercier Frdric Thion, Charles Cheung, Maryse Gaimard et Guy Di Mo, pour leur aide la ralisation de la thse.
A Denise et Pierre qui ont toujours eu leurs meilleures penses qui m'ont accompagnes, pour ma russite, qui ont accueilli Duda comme un petit-fils, avec beaucoup de tendresse et de respect.
A ma petite maman enfin, qui m'a toujours soutenue dans cette aventure, qui m'a fait confiance, m'a coute dans les moments difficiles de doute, ma confidente de toujours.
Enfin mes anges : Edna et Pap Tieno. Et Duda, merci de m'avoir supporte, aide, encourage, d'avoir valoris mon travail
chaque instant. Ton soutien chaque jour m'a permis de tenir le cap.
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SOMMAIRE INTRODUCTION 1
CHAPITRE 1 : LE PARAN : UNE GOGRAPHIE CONTRASTE, UNE ACCLRATION RCENTE DE L'HISTOIRE 44
1. LE CADRE GOGRAPHIQUE 45 a) Le clivage entre la rgion littorale et les hautes plaines 45 b) Un climat contrast 48 c) Le vestige d'une fort disparue 49 2. LES GRANDES TAPES DU PEUPLEMENT 53 a) Un littoral trs tt dcouvert 53 b) La naissance de l'Etat du Paran 59 c) Le temps des grands flux migratoires 60 3. QUELQUES REPRES DANS L'HISTOIRE CONOMIQUE ET AGRICOLE DU
PARAN 66 a) Le rve phmre de l'or 66 b) La fort, source diversifie de richesses 67 c) Une position centrale sur les voies de circulation du btail 67 d) L're du bois et du caf : La transformation radicale d'un paysage 69 e) L'essor d'une grande agriculture industrielle 70 4. LES ENJEUX CONTEMPORAINS DANS LE MONDE RURAL 73 a) Les politiques publiques dans le domaine agricoles 73 b) Les politiques publiques sociales compensatoires 79 c) La question foncire : une problmatique centrale au Brsil 80 d) La dfense de la Mata Atlntica : naissance de l'enjeu environnemental 88 e) La dfinition des Aires Protges au Brsil : de l'absence la participation des populations locales 99
CHAPITRE 2 : GUARAQUEABA : UNE REALIT GOGRAPHIQUE SINGULIRE AU SEIN DU LITTORAL DU PARAN 104
1. LE LITTORAL DU PARAN : HTROGNIT DE L'ESPACE RGIONAL ET POLARISATIONS CONOMIQUES 104
a) Un milieu naturel diversifi 105 b) La polarisation maritime : facteur structurant de l'conomie locale 107 c) La population du littoral : des racines anciennes, une volution rcente 112 d) Exemplarit de Guaraqueaba 116 2. LE MUNICIPE DE GUARAQUEABA : UNE RALITE GOGRAPHIQUE
DIVERSIFIE 117 a) Une topographie mouvemente 118 b) Une fort aux facis htrognes 122 c) Un espace cloisonn 125 d) Une occupation humaine clate, des quipements collectifs prcaires 127 e) Une socit rurale diffrencie 134
CHAPITRE 3 : GUARAQUEABA : ENTRE OUBLI ET EXCS D'INTRT : UNE HISTOIRE MOUVEMENTE 141
1. 1730-1888 : LA MISE EN PLACE D'UNE SOCIT AGRAIRE DIFFRENCIE (ESCLAVAGISTES ET PAYSANNERIE) 142
2. 1888-1930 : LES BOULEVERSEMENTS D'UNE SOCIT AGRAIRE ET SON RAPPORT AU MILIEU NATUREL 147
3. 1930-1960 : CRISE ET CHANGEMENTS DANS LES MODES D'EXLOITATION DU MILIEU COMME RPONSE A LA CRISE 153
4. 1960-1980 : REGAIN D'INTRT POUR UNE RGION EN DCLIN, GRAVES MENACES SOCIALES ET ENVIRONNEMENTALES 158
5. 1980-2000 : MERGENCE ET DVELOPPEMENT DE LA QUESTION ENVIRONNEMENTALE 164
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CHAPITRE 4 : LA SOCIT RURALE DE GUARAQUEABA ET SA DIVERSIT 180 1. LA POPULATION DES COMMUNAUTS AGRICOLES DE GUARAQUEABA :
CARACTRISTIQUES GNRALES 181 a) Les donnes dmographiques 183
(1) La distribution par sexe et par ge 184 (2) Composition et structure des mnages 186 (3) La mobilit de la population 187
b) Les caractristiques socio-conomiques 189 c) Les agriculteurs et leurs activits productives 197 2. UN PROFIL DIVERSIFI DE LA POPULATION RSIDENTE DES DIFFRENTES
COMMUNAUTS RURALES DE GUARAQUEABA 203
CHAPITRE 5 : BATUVA ET SA VALLE : UN CONDENSE DE L'HISTOIRE RCENTE DE GUARAQUEABA 219
1. LA VALLE DU RIO GUARAQUEABA, POINT FOCAL DES CONFLITS D'USAGE DE LA FORT 222
a) L'avant-garde d'une offensive de plus grande ampleur 227 b) Mainmise sur la valle 228 2. LES ENJEUX DE LA PROTECTION, L'ARRT DONN A L'EXPANSION ET LE
RENFORCEMENT DU CONTRLE POLICIER 238 3. LA PRIODE CONTEMPORAINE : INTRTS SCIENTIFIQUES ET PROJETS DE
DVELOPPEMENT 248
CHAPITRE 6 : BATUVA ET LA VALLE : CADRE DE VIE ET PEUPLEMENT 252 1. PREMIER REGARD SUR LA VALLE DU RIO GUARAQUEABA 252 2. UNE POPULATION AGRICOLE SOLIDEMENT ANCRE DANS SON ESPACE DE
VIE 259 3. LE PEUPLEMENT DE LA VALLE : UNE HISTOIRE DE FAMILLES 267 a) Amrico Pontes : figure de l'anctre fondateur 268 b) Un peuplement par vagues successives 271
CHAPITRE 7 : LES RELATIONS FAMILIALES, LMENT STRUCTURANT DE LA VIE SOCIALE 286
1. L'INSCRIPTION DANS L'ESPACE ET LE CONTRLE DU FONCIER 288 2. LES RELATIONS DE FILIATION. JUSQU'A QUEL POINT PEUT-ON PARLER DE
LIGNAGES PATRILINAIRES ? 297 3. LE RSEAU COMPLEXE DES ALLIANCES MATRIMONIALES 305
CHAPITRE 8 : LES DIVERSES FACETTES DE LA SOCIABILIT 317 1. LA SOCIABILIT DANS LES PRATIQUES AGRICOLES 319 a) Le mutiro et ses modifications 319 b) L'change de jour de travail 322 c) L'change de semences 326 2. LA SOCIABILIT AU QUOTIDIEN 328 a) La sociabilit autour de la maison, de l'alimentation et du jardin potager 329 b) La sociabilit autour des moulins farine et des fours de cuivre 336 c) Les lieux de rencontre 341 d) Solidarit et mobilit des familles 3. LA SOCIABILIT AU SEIN DES GLISES 347 4. LES FORMES D'ORGANISATION FACE AUX ENJEUX CONTEMPORAINS 358 a) L'association des habitants et des producteurs du hameau 359 b) Le conseil de l'APA 372
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CHAPITRE 9 : LES FORMES D'APPROPRIATION DES RESSOURCES ET LES ACTIVITS LIES A L'AUTOSUBSISTANCE 375
1. LES FORMES D'APPROPRIATION FONCIRE 378 2. LES CONDITIONS D'EXPLOITATION DES RESSOURCES 389 a) Les cultures vivrires 389
(1) La culture du riz 391 (2) La culture du haricot 400 (3) La culture du manioc 405
b) Les jardins de case ou jardins potagers, vergers et simples 406 c) La pche et la chasse 413
CHAPITRE 10 : LES ACTIVITS GNRATRICES DE REVENUS 430 1. AUTOUR DE L'EXPLOITATION AGRICOLE 431 a) La banane 432 b) Le manioc 439 c) La culture du palmier 442 d) Les autres productions agricoles qui font l'objet d'une commercialisation 449 e) Les travaux agricoles rmunrs 454 f) Les sources de revenu lies l'levage 457 2. LA COLLECTE EN FORT ET LA CUEILLETTE 462 a) La collecte du cur de palmier 462 b) L'exploitation du bois 468 3. LES EMPLOIS SALARIS 474 4. LES RETRAITES, PENSIONS ET LES BOURSES 475 5. LES AUTRES ACTIVITS DE COMMERCE 476 6. LES TYPES DE SITUATIONS RENCONTRES 477
CHAPITRE 11 : L'EXISTENCE AU QUOTIDIEN, PERSPECTIVES D'AVENIR ET STRATGIES SOCIALES 489
1. CONSOMMATION ALIMENTAIRE : PRODUCTION-ACHAT 490 a) Les denres de bases pouvant faire l'objet d'une production agricole 491 b) Les denres non produites sur place 522 c) Rpartition des denres consommes produites et achetes 526 2. LES AUTRES DPENSES : L'HABILLEMENT, L'HYGINE, L'NERGIE, LES
OUTILS, LE TRANSPORT 532 3. REPRSENTATIONS ET STRATGIES POUR L'AVENIR 542
CONCLUSION 553
BIBLIOGRAPHIE 566
LISTE DES TABLEAUX 578
LISTES DES FIGURES 580
GLOSSAIRE 582
ANNEXES 583
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INTRODUCTION
Le dveloppement durable est devenu au cours des vingt dernires annes une notion
familire qui est rgulirement rapporte dans l'actualit journalistique, dans les programmes
politiques ainsi que dans les discours des organismes internationaux de dveloppement. Elle
nourrit en France et l'tranger les discussions sur l'avenir de l'humanit et de la plante. Elle
est brandie par les acteurs les plus divers comme une rponse aux erreurs du dveloppement
conomique nolibral, aux impacts sur l'environnement et l'puisement des ressources
naturelles. On repre cependant le caractre quivoque de cette notion si diffuse aujourd'hui
qu'elle en perd toute signification pour devenir trs souvent un prtexte, un slogan, ou plus
largement "un consensus politique tactique entre acteurs aux ides opposes" (HUFTY,
2006 : 163).
C'est autour de l'emblmatique Rapport Brundtland (1987), largement repris lors de la
confrence sur l'environnement et le dveloppement de Rio en 1992, que la dfinition et les
objectifs de cette notion sont tablis :
"Le dveloppement durable est un dveloppement qui rpond aux besoins du prsent sans compromettre la capacit des gnrations futures de rpondre aux leurs. Deux concepts sont inhrents cette notion :
- Le concept de "besoins", et plus particulirement des besoins essentiels des plus dmunis, qui il convient d'accorder la plus grande priorit, et
- L'ide des limitations que l'tat de nos techniques et de notre organisation sociale impose la capacit de l'environnement rpondre aux besoins actuels et venir." (Ibid, 1988 pour la traduction franaise : 51)
Une des priorits est donne aux besoins des plus dmunis et la capacit de
l'environnement rpondre aux besoins contemporains et pour les gnrations futures.
Dans les pays du Sud, mergents ou en dveloppement, la protection
environnementale par la cration d'aires protges, conduit l'utilisation du concept de
dveloppement durable afin d'assurer la permanence des populations locales trs souvent
prsentes dans les zones protger, ou soumises la planification de telles aires.
Comment se traduit alors concrtement le dveloppement durable pour les populations
qui habitent depuis des gnrations dans des espaces nouvellement patrimonialiss, ou dans
des aires protges cres depuis une vingtaine d'annes ?
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L'tude des relations que les socits entretiennent avec le milieu o se droule leur
existence et dont elles tirent leur subsistance constitue un des thmes rcurrents de
l'anthropologie. Dans la continuit de l'tude de l'interface socit-nature, l'anthropologie peut
contribuer la rflexion autour du concept de dveloppement durable, dans la perspective de
la protection de l'environnement, et de la permanence des populations locales.
Il existe une multiplicit de dfinitions du dveloppement durable depuis la premire
laboration du concept par Brundtland (Ibid, 1987). Pour tre pertinent et permettre de faire
progresser le dbat, un travail de thse en anthropologie ne peut pas prtendre embrasser
toutes ces dfinitions. Il doit partir de l'une d'elles et tudier, partir d'une ralit concrte, ses
implications pour les diffrents acteurs auxquels elle s'applique. Celle sur laquelle je souhaite
travailler met l'accent sur la fragilit de certains cosystmes qui, par leur biodiversit, sont
des lments d'un patrimoine commun de l'humanit. Autour de ce constat, se dveloppent
des images de "nature-mre" qu'il faut dfendre, d'quilibre perdu retrouver, et celles-ci
inspirent des stratgies de dveloppement durable qui privilgient la protection des espaces
naturels, souvent aux dpens des groupes humains qui tirent leur existence de ces espaces
(RAYNAUT et Al., 2000).
L'objectif de ce travail est de contribuer, avec les outils de la discipline et sur des
objets de recherche qui entrent dans son champ d'analyse, une rflexion sur une situation
concrte dans laquelle diffrents acteurs publics et privs, se rclament de la notion de
dveloppement durable pour appliquer une politique de protection d'un milieu naturel fragile,
bouleversant ainsi en profondeur les relations que les populations locales entretiennent avec
les cosystmes dont ils tirent de longue date les moyens de leur survie. A partir du rsultat de
recherches de terrain, il s'agit donc de contribuer une rflexion d'ensemble sur la notion de
"dveloppement durable" et, plus largement, aux discussions sur l'apport de l'anthropologie
l'tude des relations socits/nature.
Cette recherche s'inscrit dans le cadre d'un programme interdisciplinaire men par le
Doctorat Meio Ambiente et Desenvolvimento de l'Universit Fdrale du Paran (UFPR,
Brsil) en collaboration avec l'quipe de recherche "Socits, Sant, Dveloppement" de
l'UMR CNRS ADES-SSD/Bordeaux 2. Ce programme, entam en 1999, porte sur le thme
"Dveloppement durable et protection de la nature : Histoire des changements sociaux et des
transformations de lusage des ressources naturelles au XX sicle dans la rgion littorale
nord du Paran". L'objectif de ce programme est d'tudier les dynamiques d'volution des
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formes d'occupation et d'exploitation du dernier vestige important de la Mata Atlntica
(cosystme en voie de disparition et class de ce fait comme Patrimoine de l'Humanit par
l'UNESCO) et danalyser les implications de la politique qui est applique localement au nom
des principes du "dveloppement durable". Dans ce cadre, la recherche spcifique en
anthropologie consiste dcrire et analyser les savoirs et les modes d'usage des ressources
naturelles, ainsi que les stratgies de reproduction matrielle et sociale de la population
paysanne implante dans la Mata Atlntica du littoral du Paran.
Une des lignes du programme de recherche men par le Doctorat Environnement et
Dveloppement (MADE), Chaire UNESCO du dveloppement durable, dans le cadre de sa
4me promotion, traite plus particulirement : des Systmes sociaux, techniques et naturels en
Zones Rurales, sur le thme : Dveloppement durable et prservation de la nature en Zones
d'Environnement Protg : Permanence et changement dans les domaines sociaux et naturels,
le cas du littoral nord du Paran (Programme du littoral nord) . Le choix s'est port sur l'aire
protge APA (Area de Proteo Ambiental) de Guaraqueaba et l'attention toute particulire
l'tude de l'agriculture familiale.
La rgion se caractrise par la prsence d'un des derniers vestiges de la fort atlantique
du Brsil qui abrite une socit constitue majoritairement de petits agriculteurs et de
pcheurs qui rencontrent de srieuses difficults socio-conomiques. L'aire protge APA se
trouve face un dilemme dans la conciliation entre la protection environnementale et le
dveloppement durable.
Cr en 1993, le programme du Doctorat Environnement et Dveloppement de l'UFPR
se consacre particulirement la formation doctorale. Il a pour objectif gnral de former des
professionnels qualifis pour identifier, analyser et valuer les problmes environnementaux
rsultant du processus de transformations conomiques et sociales, et de promouvoir
l'interaction de professionnels dj spcialiss (titulaires d'un master dans diverses disciplines)
et dj engags sur des thmatiques de l'environnement et du dveloppement. Les principes
qui inspirent cette formation ont t exposs dans plusieurs textes de rfrence (RAYNAUT et
Al., 2002 : 25-34; ZANONI, RAYNAUT, 1994 : 143-165; ZANONI, RAYNAUT,
MENDOCA, 2005).
Nous allons les rsumer ci-dessous pour camper le cadre thorique et mthodologique
dans lequel sinscrit cette thse.
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PROBLEMATIQUE GNRALE
La problmatique environnement/dveloppement se rvle tre d'une grande actualit
dans le contexte brsilien.
Aujourd'hui, alors que simposent la notion et l'action au nom des "droits des peuples
indignes", la population paysanne du littoral du Paran doit tre prise en compte. Une
recherche anthropologique axe sur cette socit nous apparat ncessaire tant en ce qui
concerne une meilleure connaissance de cette population, de son rapport au monde et la
nature environnante, quen ce qui concerne la comprhension globale des enjeux qui se tissent
dans ce contexte singulier.
Avant de prsenter la problmatique de ma recherche mene dans le cadre du doctorat,
il convient pralablement d'expliciter la problmatique du programme de recherche
interdisciplinaire au sein de laquelle est intgre mon tude.
L'interdisciplinarit, qui s'est dveloppe depuis plus d'une trentaine d'anne,
particulirement sur les questions de l'environnement, est de plus en plus sollicite dans les
recherches scientifiques. Pourtant le cheminement dans la pratique du projet interdisciplinaire
n'a pas t sans embche pour dpasser les frontires des disciplines entre les sciences de la
nature et les sciences sociales, tel que l'explique JOLLIVET en 1992 dans "les passeurs de
frontires". L'exigence de l'approche interdisciplinaire dans l'tude des relations
socits/nature repose sur une dmarche scientifique et mthodologique et sur une pratique de
recherche dont les modalits et les moyens ne sont pas uniformiss et qu'il s'agit de construire
en fonction de l'objet d'tude, d'une problmatique ainsi qu'en fonction des personnes
engages dans la recherche interdisciplinaire (RAYNAUT et Al., 2002). L'interdisciplinarit
ne signifie pas en finir avec les disciplines, c'est au contraire une pdagogie d'enseignement,
une pratique o chaque discipline a sa place et sa spcificit venant enrichir la rflexion dans
l'interaction avec les autres disciplines.
La pratique de l'interdisciplinarit telle qu'elle est mene au doctorat MADE se
construit progressivement :
"Identifier la question exacte laquelle chaque discipline puisse rpondre avec ses comptences spcifiques () organiser la recherche interdisciplinaire en dfinissant la faon travers laquelle vont s'articuler les diffrents travaux des spcialistes, les cadres de rfrences communs (en termes d'chantillons, d'chelles d'analyse, de temporalit) grce auxquels ils peuvent se runir et confronter les rsultats, que chacun a obtenu dans son champ (ou terrain) et par ses mthodes spcifiques. Il est souhaitable, et normalement possible, qu'au moins une opration commune runisse les diffrents chercheurs autour d'un travail de collecte de donnes." (RAYNAUT, 1996 : 26)
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La construction d'un programme interdisciplinaire telle qu'elle est mene au doctorat
MADE s'inspire de programmes de recherche mens en Afrique par Claude RAYNAUT dans
les annes quatre-vingt. Elle s'appuie tout d'abord sur une aire gographique commune
comme point de dpart du travail collectif sur "l'tude d'une ralit concrte, formant un
mme univers de rfrence". Ce point de dpart est primordial pour la cohrence des
observations faites par les diffrents chercheurs ainsi que dans la relation entre les objets
tudis. Cependant comme le souligne C. RAYNAUT, "une rflexion thorique gnrale sur
l'interdisciplinarit n'est pas ncessairement territorialise". Dans le cadre d'un programme
de recherche, le dfi scientifique consiste identifier, mesurer, les relations entre plusieurs
variables normalement utilises par des disciplines diffrentes partir d'une aire gographique
commune, en tant que pratique concrte d'interdisciplinarit (Ibid : 26). Il ne suffit pas, pour
autant, de runir plusieurs disciplines sur une aire gographique commune, il est ncessaire de
mettre en place une mthodologie permettant de construire une problmatique commune et
des programmes de recherche en lien avec les problmes locaux, servant de cadre
d'articulation pour les diffrents travaux de thses (Ibid). Afin d'y parvenir, la premire tape
consiste raliser un diagnostic initial par la collecte de donnes afin d'identifier les
problmes et l'existence de situations de tensions entre dveloppement et environnement. A
partir de l, une rflexion s'organise autour des relations entre les systmes sociaux et les
systmes naturels, dans une perspective d'tude des dynamiques sociales et biologiques, qui
s'intgre dans le cadre de la formation doctorale. Ce diagnostic sert ensuite de base la
conception et la formulation des programmes de recherche, l'laboration d'une
problmatique gnrale ainsi qu' la formulation des projets de thse de chaque tudiant en
fonction de sa discipline et de ses aspirations.
Il s'ensuit la construction d'un schma d'interactions entre les problmes formuls et
l'articulation des projets de recherche, chaque tudiant visualisant ainsi, au sein des diffrents
aspects du programme, son angle d'approche dans le programme commun ; travers
notamment les apports de sa propre recherche, comme les contributions des autres recherches
individuelles. Paralllement, ces travaux de thse, et tout au long de la formation doctorale,
des recherches collectives sont menes plusieurs niveaux : historiques, collectes de donnes,
description de la socit et de la population, fournissant ainsi un cadre de rfrence commun
tous les travaux (Ibid). Les rsultats de ces travaux collectifs sont ensuite rinsrs dans les
thses individuelles selon les sujets abords, permettant alors la confrontation et l'articulation
des diffrentes informations. Enfin, des sminaires rguliers sont raliss afin de prsenter
l'avance des recherches personnelles, de mettre en commun des rsultats et des analyses,
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changer des ides, des analyses, pour que chacun puisse rutiliser les informations et les
analyses dans sa propre recherche, enrichissant le travail individuel par des angles croiss et
multiples, par des approfondissements.
Les sminaires de la 4me promotion ont permis d'tablir une discussion thorique et
mthodologique partir de recherches bibliographiques, de donnes rcoltes collectivement,
d'entretiens. Le travail interdisciplinaire ainsi produit a consist laborer une problmatique
gnrale, et servir d'instrument pour la ralisation des thses individuelles.
Le thme gnral du programme de recherche sur le rural se centre sur l'tude des
dynamiques des transformations sociales, techniques et conomiques de la petite agriculture
familiale, questionnant les perspectives de sa permanence comme ralit sociale et culturelle
et comme forme de production. L'analyse de ces dynamiques doit prendre en considration
l'volution de la relation avec l'environnement ainsi que les articulations avec le contexte
conomique et sociopolitique plus large. Deux tudes de cas ont t dveloppes par la suite :
l'une dans la Rgion Mtropolitaine de Curitiba et l'autre dans l'Aire d'Environnement
Protge (APA) de Guaraqueaba.
Les recherches empiriques cherchent contribuer une rflexion critique sur la notion
de dveloppement durable applique dans le cadre spcifique de l'articulation entre des
politiques de protection de la nature et des politiques de dveloppement. L'objectif
mthodologique tente partir d'une tude de cas illustrative (APA de Guaraqueaba) de
construire un modle d'analyse applicable des situations diverses.
La question de la durabilit doit tre aborde partir d'une analyse des interrelations
entre les dynamiques sociales et les dynamiques environnementales. Il existe une relation
dialectique entre la reproduction et le changement. Chaque systme (naturel et social) cherche
maintenir une certaine permanence dans ses proprits fondamentales, en mme temps qu'il
se transforme constamment : soit en fonction de ses propres contradictions internes, soit en
fonction d'impacts et d'influences externes. La dimension de la temporalit, l'articulation entre
l'histoire sociale et l'histoire naturelle, constitue alors un important rvlateur dynamique entre
social et naturel. Le "local" et le "global" sont ici troitement lis. On ne peut pas comprendre
une ralit locale sans tenir compte des facteurs lis l'univers social, conomique, et
politique plus ample, et vice versa.
Il s'agissait alors de dfinir un cadre de questionnement commun qui oriente la
recherche de complmentarit entre les travaux individuels et qui permette d'identifier les
recherches communes raliser, s'inscrivant dans la continuit de la problmatique gnrale
du programme du littoral, des travaux dj dvelopps par les promotions prcdentes,
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comme des rsultats et instruments de travail dj raliss lors des recherches antrieures
(recensement sociodmographique, analyse d'images satellites, cartographie) et enfin d'ouvrir
l'quipe de recherche des participations et contributions extrieures.
La problmatique gnrale commune s'organise ainsi autour de quelques questions
labores au cours des sminaires de recherche de l'quipe :
- Quels sont les changements et les permanences d'ordre culturel, social, technique et
conomique qui ont marqu les conditions de vie des petits agriculteurs familiaux au
cours du XX sicle, en lien l'usage des ressources naturelles ?
- Paralllement, quels sont les changements et les permanences qui ont marqu la
configuration des milieux physico-naturels durant la mme priode ?
- Quels ont t les divers acteurs sociaux (institutionnels, privs, locaux, externes, etc.)
qui ont dvelopp des actions en lien avec l'usage des ressources naturelles ? Quelles
ont t leurs stratgies ? Comment s'est exprime l'action des petits agriculteurs
familiaux avec celles des autres acteurs ?
- Dans quelle mesure les stratgies des diffrents acteurs peuvent-elles tre analyses
comme un ensemble rassemblant diverses dimensions matrielles et immatrielles :
adaptation aux possibilits et aux restrictions environnementales, ajustements
techniques lis l'articulation au march, objectifs de reproduction matrielle et
sociale, dimensions culturelles : reprsentations, savoirs, valeurs et modles culturels ?
- Quelles ont t les interactions entre les permanences et les changements associs
l'action des diffrents acteurs sociaux, les volutions observes dans l'environnement
local : changements induits par l'usage humain, dynamiques naturelles de
rcupration, restrictions dans l'usage cres par les changements environnementaux ?
Comment ces interactions s'articulent dans l'organisation d'un territoire ?
- En quoi les changements dans l'histoire locale des relations avec l'environnement
peuvent-ils tre mis en lien avec des facteurs, des influences, des pressions provenant
de sphres d'actions plus globales : politiques publiques, actions d'acteurs externes,
volution du march rgional, national, international ?
A partir de ce cadre de questionnements autour des changements et des permanences tant
sociaux qu'environnementaux, on cherche repenser la notion de durabilit de la petite
agriculture familiale et penser ses volutions futures.
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C'est partir de cette problmatique gnrale que les projets individuels et les travaux
collectifs ont t construits.
Ainsi se rpartissent les recherches individuelles au sein du doctorat :
- Jefferson ROCHA, conomiste a tudi plus particulirement les logiques des
politiques de dveloppement rural dveloppes dans l'APA.
- Man Yu CHANG, galement conomiste, s'est concentre sur l'tude des
dimensions politiques, socioconomiques et cologiques des projets de puits de
carbone mis en place par l'ONG SPVS (Socit de Recherche sur la Vie Sauvage
et l'Education l'Environnement).
- Zilna DOMINGUES, ingnieur forestier, a travaill sur l'histoire du couvert
vgtal et forestier.
- Cristina TEIXEIRA, sociologue, a tudi la construction sociale de la protection
environnementale, les reprsentations des acteurs politiques.
Dans le cadre de recherches menes par d'autres tudiants en master et en doctorat
l'extrieur du doctorat MADE :
- Jane CHEREM, anthropologue, a men une tude sur la mmoire de la population
locale, en tudiant une communaut rurale : histoire de vie, lgendes, etc., dans le
cadre de son DEA.
- Edna FRANCISCO, sociologue, a tudi l'agriculture familiale sous l'angle des
stratgies de reproduction de leur mode de vie, dans une communaut rurale,
galement pour son DEA.
- Claudia SAMPAIO, agronome, s'est concentre sur l'tude des stratgies de
reproduction de l'agriculture familiale, dans le cadre de sa thse en Ingnierie
Agricole.
- Priscilla LAULAN, biogographe, a travaill sur l'volution des modes d'usages et
la transformation du couvert forestier, pour son DEA.
- Eduardo BRITTO SANTOS, sociologue, a men une tude sur le thme de la
reproduction sociale de l'agriculture familiale dans un hameau rural.
Je serai amene, tout au long de cette tude, faire rfrence ces diffrents travaux
mens au sein du programme de recherche interdisciplinaire. L'articulation des travaux de
thses individuelles, de masters et des recherches collectives (histoire agraire, des conflits
fonciers, etc.) est reprsente dans le schma suivant :
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FIGURE 0 : CADRE TOPOLOGIQUE D'ARTICULATION ENTRE LES RECHERCHES
Source : RAYNAUT, 2001. Sminaire Doctorat MADE, UFPR.
SYSTEME SOCIAL LOCAL
Grandes volutions du systme agraire local :
changements conomiques, changements
techniques, nouveaux intervenants
Analyse des bases familiales du fonctionnement des
communauts paysannes locales : volution des rseaux de parent
comme cadre de sociabilit. Analyse des stratgies de
reproduction sociale et matrielle des agriculteurs familiaux
Stratgies conomiques des acteurs externes (tat, agents privs, ONG). Impact sur les
grands dterminants de la situation locale : valorisation des
ressources naturelles, foncier, filires commerciales
Analyse des dynamiques volutives du systme
forestier local - effets de processus internes et
rponses des interventions externes.
tude des phnomnes de rsilience.
Confrontation de cette image dynamique aux
dcoupages imposs par les lois de protection
environnementale
tude de la dynamique des reprsentations,
savoirs et pratiques
touchant la fort
tude des conflits entre acteurs locaux et acteurs extrieurs en relation au
contrle, l'utilisation ou la gestion des espaces
forestiers.
tude de l'articulation entre les stratgies politiques et
conomiques globales lies la cration de "puits de
carbones" (chelles nationales et internationales)
et les dynamiques engendres par leur
application dans le cadre de l'APA.
Description et cartographie de la
variabilit stationnelle du systme fort
SYSTEME NATUREL LOCAL
ACTEURS EN INTERVENANTS EXTERIEURS
ACTEURS EN INTERVENANTS EXTERIEURS
Stratgies d'ajustement techniques appliques
par les agriculteurs locaux en rponse
diverses contraintes : volution du march,
volution dmographique,
mesures de protection environnementale
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PROBLMATIQUE DE LA RECHERCHE ANTHROPOLOGIQUE
Dans cette problmatique gnrale, lanthropologie sinterroge plus particulirement
sur les conditions d'existence de la population soumise une logique verticale de protection
de son espace de vie, par l'imposition de restrictions svres et l'absence de participation
locale au processus de prservation.
La mise en place d'aires protges, au sein desquelles rside une population,
saccompagne le plus souvent aujourdhui de la rfrence la notion de dveloppement
durable, avec lobjectif de concilier protection de l'environnement et maintien des populations
locales.
Lintrt de cette recherche porte sur la problmatique de la permanence des
populations locales en Zone dEnvironnement Protg. La situation dune population dans son
environnement doit se penser en termes dinterrelations entre un milieu social et son
environnement. Cest donc la socit elle-mme quil faut comprendre avec ses dynamiques
de reproduction sociale, physique et matrielle dans une relation avec le milieu dont elle tire
totalement ou en partie les moyens de cette reproduction. Limposition de rgles et de
restrictions dans lusage des ressources naturelles rclame, de la part des socits concernes,
des ajustements, des changements, qui sont les conditions mmes de leur permanence.
Le travail anthropologique cherche prsenter les dynamiques locales (pratiques et
savoirs, histoire, aspirations, perspectives davenir) afin d'apporter les connaissances sur la
ralit locale et de contribuer la rflexion sur la problmatique gnrale autour des questions
du dveloppement durable. Comme tout autre travail scientifique, la recherche de
l'anthropologue est un travail de construction de la connaissance. Dans le cadre de notre
discipline cest un travail :
"de dcouverte et dinterprtation de ralits sociales et culturelles, de faits et de pratiques jusque-l inconnus ou mconnus par des personnes trangres ces ralits et ces cultures." (GODELIER, 2004 : 194-195).
Au cur de la dynamique locale, on s'interroge sur la reproduction sociale et
matrielle, sur les stratgies de reproduction dans des contextes diversifis et
complmentaires qu'ils soient historiques, gographiques, conomiques, politiques et sociaux.
Dans les pays du Tiers Monde en gnral et au Brsil en particulier, les populations
prsentes dans les aires environnementales protges se situent le plus souvent la priphrie
politique, conomique et culturelle de ltat auquel elles appartiennent, leur systme de
production nest que faiblement articul lconomie de march dominante, leurs techniques
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de production font pas ou trs peu appel un outillage moderne, et elles demeurent attaches
des styles de vie et des modles socioculturels bien des gards diffrents de ceux qui
dominent la socit globale. Quil sagisse de petits agriculteurs, dleveurs ou mme de
chasseurs-cueilleurs comme certains indiens, ce sont des populations dont les formes
dorganisation sociale et les pratiques techniques ont rsist au mouvement de transformation
et dhomognisation qui a affect la socit globale dans son ensemble. Pour les qualifier, on
fait gnralement appel la notion de tradition , on les dsigne alors comme populations
traditionnelles : appellation qui nest pas sans liens avec une vision volutionniste de
lhistoire des socits humaines et qui en fait en quelque sorte des vestiges dtat de socits
pr-modernes . Ce nest pas par hasard que le conservationnisme environnemental,
lorsquil est inspir par lide dun retour une nature originelle critiquant avec force les
consquences environnementales dsastreuses de la modernit valorise souvent
simultanment limage de populations traditionnelles qui avaient su trouver un rapport
harmonieux avec leur milieu : ne le perturbant pas dans la mesure o elles-mmes ne
changeaient pas. DIEGUES, pour le Brsil a analys en profondeur ce double mythe de la
Nature intouche et celui de la tradition (DIEGUES, 1998 ; DIEGUES, 1999).
Comme nous le verrons, la population qui rside au sein de laire protge de
Guaraqueaba na pas chapp ce phnomne de traditionalisation au moment mme o
la fort dans laquelle elle vivait se voyait attribuer une valeur de relique. Nous verrons
galement les contradictions que cela a gnr en termes de politiques et de pratiques
concrtes de gestion dune aire protge. Cela mamnera minterroger sur le concept de
population traditionnelle utilis dans le discours sur la protection environnementale, et
comment il est peru et vcu localement ? Il en va de mme pour les notions de communaut,
de paysannerie et d'agriculture familiale qui font rsonance ou non localement dun point de
vue social, dmographique, dorganisation sociale et matrielle. Il s'agit d'identifier s'il y a
adquation avec le rel ou s'il s'agit l encore de catgories poses de manire verticale pour
clore un dbat, cantonner les gens et leurs pratiques dans une image pr-tablie. C'est autour
des notions de changement et de permanence que peut tre mene la rflexion, sur comment
se caractrise la population. Une question centrale dans notre recherche est celle de savoir ce
que lon entend sous les termes de communaut rurale ainsi que de population traditionnelle.
Ces termes sont en effet largement employs pour parler de ces populations rurales, de ces
entits sociales et ils apparaissent obsoltes, inadquats dans une certaine mesure. Il me faut
donc les expliquer, analyser lusage qui en a t fait par les intellectuels et les populations
elles-mmes, ainsi que dans la mise en place de laire protge.
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Paralllement, le contexte local permet de rentrer dans le dbat sur la paysannerie,
l'agriculture familiale et le dveloppement rural par le biais des stratgies de reproduction
matrielle et sociale.
Cadre gnral
Lun des questionnements centraux de lanthropologie porte sur les relations que la
socit entretient avec la nature. Dans leur rapport la nature, comment les individus et les
familles russissent se reproduire, localement, matriellement et socialement et comment ils
envisagent leur avenir ?
La problmatique centrale de la prsente recherche concerne donc les conditions
dexistence et les possibilits de permanence de populations locales au sein dune Aire
dEnvironnement Protg. En dautres termes, et au-del de la relation socit/nature, il sagit
de sinterroger, partir dune situation concrte, sur la difficile conciliation entre
durabilit environnementale et durabilit sociale.
Enfin, quelques notions sont mobilises de faon rcurrente pour interprter la ralit
sociale locale : en particulier celle de culture et didentit caiaras et aussi celle de
comunidade qui dsignerait non seulement une proximit de voisinage mais aussi un forme de
sociabilit particulire.
Sur des bases empiriques, la recherche anthropologique tente d'apporter une rflexion
sur les notions de communaut rurale, population traditionnelle, agriculture familiale,
conciliation ou contradiction entre prservation de l'environnement et dveloppement durable.
Problmatique dtaille pour y parvenir
Afin de rpondre au questionnement gnral, je construis une approche par paliers
successifs, rendue possible par la participation une quipe pluridisciplinaire, et qui permet
de centrer progressivement le regard sur le cas tudi tout en apportant des lments
gographiques, historiques, conomiques, sociopolitiques, replaant l'objet de recherche dans
le contexte plus large o il prend son sens et qui lui donnent sa valeur illustrative.
Dans quels contextes historique, gographique, conomique, sociopolitique se situent
la socit que l'on cherche tudier ?
On cherche au travers des contextes plus gnraux comprendre les caractristiques
sociales et historiques de la population du municipe (unit administrative au Brsil
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correspondant une commune). Une description gnrale du milieu paysan du municipe et
des diffrences qui le traversent, va permettre de prciser la place du cas illustratif choisi pour
le regard rapproch. Puis, on s'interroge plus particulirement au cas prcis d'une valle et
d'un hameau, sur son peuplement. Les relations familiales et sociales permettent de voir
comment il s'est constitu, et comment il s'organise. Il s'agit galement de retracer les
circonstances sociales et politiques particulires qui ont conduit la cration de lAPA.
Ainsi, nous serons amens poser la question de savoir sur quelles bases la socit
rurale s'organise ? Quels sont les liens sociaux qui sy tissent ? Quels sont les processus
didentification qui y mergent ? Quelles sont les stratgies de reproduction matrielle et
sociale qui sy dessinent et des ressources quelles mobilisent ?
Cest donc cette socit elle-mme quil faut comprendre avec ses dynamiques de
reproduction sociale, physique et matrielle dans une relation avec lenvironnement, et cela
dans une perspective de tensions entre les permanences et changements, quelles soient
dordre historique, social, politique, et/ou cologique. En mme temps quelle sappuie sur
des fondements historiques prennes, que lon appellera "tradition" ou pratiques
"traditionnelles", toute socit connat des changements afin de pouvoir se reproduire et se
perptuer.
Dans le questionnement gnral sur les relations que la socit entretient avec la nature
il faut tout d'abord et de faon prcise tudier lorganisation sociale locale, avant d'en venir
aux conditions dans lesquelles les familles sefforcent dassurer leur reproduction matrielle
et sociale, court et moyen terme, dans un contexte dsormais marqu par les mesures de
protection de lenvironnement et de restrictions dusage des ressources naturelles.
On cherche tudier les relations familiales (gnalogies, alliances matrimoniales,
trajectoire familiale, histoire de vie, transmission), lment structurant de la sphre sociale et
politico-conomique, les structures sociales, ainsi que les autres formes d'interaction
(contacts, rencontres, rseaux, liens, rapprochements, organisation sociale du travail, entraide,
changes) qui se caractrisent par la sociabilit. C'est toute la dynamique de reproduction
sociale qui entre dans les stratgies de reproduction matrielle et sociale.
Enfin, et plus prcisment, on s'interroge sur les modes de relations de la population
rurale avec la nature, relations qui ont une histoire et qui se reconstruisent aujourd'hui en
fonction des contraintes cres par les exigences de protection environnementale.
On cherchera tudier ainsi lusage, lexploitation des ressources naturelles dans
laspect technique au travers des pratiques de production (agriculture, levage, cueillette,
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chasse, horticulture), des techniques de transformation (mode de prparation, conservation,
consommation). On sefforcera cette occasion didentifier les connaissances sur les
ressources naturelles, et les modes de reprsentations derrire ces savoirs, distinguant ainsi les
savoirs oprationnels et les reprsentations.
Le questionnement sur lusage des ressources naturelles doit se faire dans sa
contemporanit mais galement dans sa dimension historique, prenant en compte les
changements de pratiques en fonction des contextes.
En tenant compte de la dimension historique, mon questionnement se centre sur la
faon dont, dans ses usages des ressources naturelles, la socit rurale locale sest adapte aux
nouvelles ralits qui simposaient elle, oprant les changements ncessaires pour assurer sa
propre survie.
Quels sont les savoirs et les pratiques que les populations rurales dveloppent pour
assurer leur subsistance et rpondre leurs besoins de base ? Quels sont leurs moyens et leur
marge de manuvre concrtement pour perdurer localement ?
Dans le cadre de la rglementation environnementale, comment se positionnent-elles
et en quoi sont-elles ou non contraintes d'avoir recours des pratiques illicites ? Quelle est la
part de ponction/prlvement sur l'environnement, le degr d'autoproduction et de ce qui vient
de l'extrieur, qui passe par le march, dans leur reproduction matrielle et sociale ? Enfin, on
cherche non seulement connatre ce que les familles tirent de l'environnement pour gnrer
des revenus, mais galement les autres sources de revenus qui ne reposent pas sur l'utilisation
des ressources naturelles.
Comment, et quel degr, la population parvient-elle, dans ce contexte, rsoudre les
problmes qui se posent elle au jour le jour, dans la vie quotidienne, pour se nourrir, se
soigner, entretenir leur espace domestique, shabiller, rpondre au petites ncessits de la vie
de tous les jours, et surtout, pour beaucoup, prendre soin de leurs enfants dans les meilleurs
conditions possibles. Autrement dit, comment parvient-elle rpondre aux dfis auxquels elle
est confronte, tout simplement pour continuer vivre la vie quotidienne de ces mnages ?
On s'interroge sur les stratgies mises en uvre par ces petits agriculteurs pour satisfaire leurs
besoins immdiats ainsi que pour assurer leur avenir et celui de leurs enfants, en particulier
par lducation.
Plus gnralement, quelles sont leurs stratgies pour fonctionner sur le plan social, et
matriel ? Et, quelles sont leurs perspectives d'avenir, comment l'envisagent-ils ?
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CADRE THEORIQUE
Dtour sur l'interface socits-nature dans l'approche anthropologique : historique et contemporanit de la thmatique
La nature qui prexiste lhomme, et dont il fait partie, a dans une majeure partie de la
surface du globe, et des degrs variables, t anthropise. Lhomme a de tous temps
entretenu des rapports troits avec son milieu do il puise sa subsistance, et au travers duquel
il lexplique et se situe. En ce sens, les hommes dfinissent la nature par le regard qu'ils
posent sur elle ; et ils la transforment par leurs activits. Pour GODELIER :
"Le milieu naturel n'est jamais une variable compltement indpendante de l'homme, ni un facteur constant. C'est une ralit que l'homme transforme plus ou moins par ses diverses manires d'agir sur la nature, de s'en approprier les ressources. Mais, quoi qu'il en soit, dans tous les cas, un cosystme est une totalit qui ne se reproduit qu' l'intrieur de certaines limites et qui impose l'homme diverses sries de contraintes matrielles spcifiques." (GODELIER, 1984 : 44)
Alors que l'homme pose son regard sur la nature environnante, la pense et la
transforme, de mme il en subit en retour les contraintes. Toutefois, face des contraintes
similaires, chaque socit va construire des interprtations et des pratiques diffrentes. On est
donc bien dans le cadre dune interaction, dune mise en contrainte rciproque. Les
reprsentations par rapport la nature sont diverses dun groupe lautre et chacun construit
dans sa reprsentation toute une conception, un savoir, une logique et un intrt propre qui
faonne sa perception, son tre au monde et son lien avec le milieu naturel. Des rapports et
des reprsentations de la nature dans diffrentes socits dcoulent des enjeux, des
dynamiques et des stratgies sociales et matrielles.
Les recherches telles que celles de Serge BAHUCHET et de Philippe DESCOLA, par
leurs tudes respectives sur une population prcise et sur son rapport au milieu naturel
environnant, nous donnent voir la fois des rapports et des interactions singuliers entre une
socit et son milieu naturel, de mme que les reprsentations, les conceptions et les
connaissances quelle cre son propos. Les hommes ont constamment entretenu avec la
nature environnante des rapports singuliers. Ils ont ainsi construit tant dans la pense que dans
la pratique des reprsentations particulires, ainsi chaque socit ou groupe humain est
dpositaire de cette relation singulire.
Comme le souligne Jacques BARRAU, ds la philosophie grecque on trouve les
fondements de la pense occidentale et la mise en place de la distinction et de la sparation
entre lhomme et la nature. Le dualisme homme/nature voit ainsi le jour pour perdurer jusqu
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aujourdhui. En marge de cette pense, naissante dans un premier temps, dominante par la
suite, a perdur et sest dveloppe lide du lien troit entre lhomme et la nature dans les
pratiques et les savoirs locaux dits "populaires" des populations (BARRAU, 1991). Pourtant,
dans lhistoire de la pense et de la philosophie occidentale, la nature a recouvert, englob des
aspects plus ou moins diffrents, incluant ou non lhomme, plaant ce dernier des positions
diffrentes. Autant de reprsentations et de dfinitions qui ont largement construit
limaginaire social dont nous sommes encore les dpositaires. Roy ELLEN nous apporte dans
lintroduction de louvrage collectif "Redefining Nature", une prsentation claire et largie du
concept de nature :
"Dans les notions Occidentales, la nature est plus manifestement reconnaissable comme ce qui est "l-bas", ce qui nest pas nous-mme et "qui peut prendre soin, soccuper delle-mme". Nous trouvons la mme ide, dune manire autrement frappante, dans beaucoup dautres traditions culturelles diffrentes." (ELLEN, 1996 : 7)
Ce contenu peut varier dune culture lautre. Communment en Occident limage de
la nature est la fort, les montagnes, la nature sauvage "wilderness" en anglais ou nature
vierge, selon les auteurs (LARRERE, 1997 : 85-98). Catherine et Raphal LARRERE nous
clairent sur le cheminement du concept de nature :
"Sil y a une liaison si troite entre notre vision (essentiellement informe par la science) de la nature et le rapport thique que nous entretenons avec elle, cest que connatre la nature, cest dabord se situer par rapport elle. Schmatiquement, on peut tre dedans, ou dehors. Quand on est dedans, on peut se placer au centre, ou pas. On peut donc dfinir trois positions diffrentes : celle qui place lhomme, microcosme dans le macrocosme, au centre de la nature, en position dobservation. Celle qui met lhomme lextrieur de la nature, en position dexprimentation et de matrise. Celle qui rinscrit lhomme dans la nature, sans position privilgie, et qui le considre comme un "compagnon-voyageur des autres espces dans lodysse de lvolution". Ces trois visions sont apparues successivement. La premire est typiquement grecque. La seconde est incontestablement moderne : elle spare le sujet et lobjet, ouvrant la possibilit dune matrise exprimentale et technique. La troisime, enfin, est la plus rcente : elle insiste sur notre appartenance la nature, elle y insre la relation de connaissance aussi bien que la technique." (LARRERE, 1997 : 18-19)
Chacune de ces positions a prdomin en son temps, il ne reste pas moins quune ide
fondamentale a tenu le centre des reprsentations pendant longtemps : lopposition entre
lhomme et la nature ou la dichotomie nature-culture. Tout un enchevtrement de logiques et
de pratiques a dcoul de cette dichotomie. La philosophie, la religion vont faonner la
construction de cette sparation entre lhomme et la nature, communment distinct dans le
dualisme nature-culture. Cest partir de cette opposition entre lhomme et la nature que vont
se construire aussi les sciences dun ct (sciences naturelles, physique, astronomie) et les
lettres de lautre (philosophie puis la sociologie et lanthropologie). On connat la difficult
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encore aujourdhui du passage et du travail en commun entre les sciences dites dures et les
sciences sociales. Ainsi, cette dichotomie cre a fond tout un mode et tout un monde de
penses, a structur et est la base de la pense occidentale et de son dcoupage cognitif.
La dmarche anthropologique a pour objectif danalyser et de rendre compte des
reprsentations, des constructions culturelles par le biais de ltude du langage, des pratiques
et des savoirs. Ainsi, comme le souligne GUILLE-ESCURET :
"Un regard sur ltendue des socits en rfrence aux outils et aux mots a pour premier effet quon cesse de voir priori en elles des isolats, des entits indpendantes, ou des systmes plus ou moins ferms : lvidence de leur cohrence quasi solide, aperue par lentremise dimpressions et dintuitions idologiques, sestompe, leur histoire merge et rvle des rapports puissants avec dautres cultures et dautres milieux, passs ou prsents." (GUILLE-ESCURET, 1989 : 115)
Cest avec Claude LEVI-STRAUSS quune thorie sur ce quil nomme la "science du
concret" se met en place notamment dans son ouvrage "La Pense Sauvage" en 1962. Il
sintresse aux savoirs populaires, cette science du concret qui, partir de lobservation
minutieuse du monde environnant, analyse, classe, ordonne, pense, construit et agit. Cest au
travers des mythes, des rites, des croyances, du langage, des techniques, des pratiques et des
autres faits culturels quelle prend sens et se donne voir. Le dcoupage conceptuel, variant
dune socit lautre, dune langue lautre, souligne lintrt dtudier ces dcoupages dans
la langue et selon la classification, la taxinomie et lordre indigne ; de l on atteint les
connaissances prcises, les proccupations et les usages autochtones. Il donne de nombreux
exemples partir des donnes ethnographiques de terrain de divers auteurs comme de
HANDY en Polynsie, CONKLIN chez les Hanuno des Philippines, etc. Il en retire que la
connaissance prexiste lutilit ou lintrt. Pour lui, cette science nest pas de lordre de la
pratique mais de lintellect, avant de rpondre des besoins. De plus, ce savoir se transmet,
sacquiert de gnration en gnration par la filiation. La connaissance peut-tre la fois
objective et subjective, de mme qutre le rsultat du rapport concret de lhomme son
milieu tant intellectuel quaffectif. C. LEVI-STRAUSS montre ainsi son intrt pour
lethnobotanique, lethnozoologie et pour les savoirs populaires relatifs la nature
environnante.
Maurice GODELIER par la suite thorisera lapproche cologique en anthropologie
assez significativement dans son ouvrage "Lidel et le matriel" paru en 1984. Il privilgie
ltude des conditions de reproduction des socits, afin de situer les socits et leurs histoires
dans la nature. Selon lui, la nature est une ralit que lhomme transforme plus ou moins par
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ses actions sur elle, et par lappropriation des ressources. Dans sa manire de sapproprier la
nature, lhomme invente, met en place des moyens matriels et idels. Il isole ainsi des
lments du milieu quil exploite et utilise. Pour cela, il labore des rapports sociaux de
production, des rapports conomiques. GODELIER sinspire ici de MARX dans sa dmarche
thorique, il met laccent sur les changements et la construction permanente des rapports dans
lhistoire des socits.
"La frontire entre la nature et la culture, la distinction entre le matriel et lidel tendent dailleurs seffacer lorsquon analyse la partie de la nature qui est directement soumise lhomme, produite ou reproduite par lui (animaux et plantes domestiques, outils, armes, vtements). Cette nature extrieure lhomme nest pas extrieure la culture, la socit, lhistoire. Elle est la part de la nature transforme par laction et donc par la pense de lhomme. Elle est ralit matrielle et en mme temps idelle, ou du moins elle doit son existence laction consciente de lhomme sur la nature, action qui ne peut exister ni se reproduire sans quintervienne ds le dpart non seulement la conscience, mais la pense dans toute sa ralit, consciente et inconsciente, individuelle et collective, historique et non historique. Cette part de la nature est nature approprie, humanise, devenue socit : lhistoire inscrite dans la nature." (GODELIER 1984 : 13-14)
Il centre son propos sur les aspects matriels et idels du rapport de lhomme la nature :
"Lorsque nous avons analys laspect le plus matriel des ralits sociales, les forces productives dont une socit dispose pour agir sur la nature qui lentoure, nous avons constat quelles contenaient deux composantes intimement mles, une part matrielle (les outils, lhomme lui-mme ) et une part idelle (reprsentation de la nature, rgles de fabrication et d'usage des outils, etc.). Ces reprsentations sont indispensables la production et la mise en uvre des moyens matriels." (Ibid : 197). Enfin, plus clairement lidel : "est la pense dans toutes ses fonctions, prsente et agissante dans toutes les activits de lhomme, lequel nexiste quen socit. Lidel ne soppose pas au matriel, puisque penser cest mettre en mouvement la matire, le cerveau : lide est une ralit mais une ralit non sensible. Lidel est donc ce que fait la pense, et sa diversit correspond celle des fonctions de la pense." (Ibid : 199)
Par la suite, Jacques BARRAU a labor de faon la fois thorique et sur des bases
empiriques de terrains tout un discours sur le rapport homme-nature et sur les ethnosciences.
On lui doit surtout un apport important sur la considration croissante des savoirs populaires
locaux, et sur lexpos de ces ethnosciences quil dfinit comme tant ces savoirs populaires,
ou "folkscience", ou "science du concret". Il sengage fortement dans limportance que
lanthropologie a jouer dans la comprhension, la connaissance, la valorisation de ces
savoirs et de ces reprsentations de lenvironnement (BARRAU, 1992 : 1293).
Les relations la nature sont des constructions culturelles qui varient dune socit
lautre, selon les niveaux diffrents de discours et dans des temps diffrents. Concrtement,
ces variations culturelles se donnent voir travers les engagements pratiques des
populations de mme que par leurs cognitions. Cest dire travers les sentiments et les
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sensations ; lintellectualisation et la construction des savoirs, de la connaissance ; la
cosmogonie et ltre au monde ; lordre, les classifications, les taxinomies et les
catgorisations indignes ; les savoir-faire et les usages ; les rituels et le sens de lordre
Tout cela est largement imbriqu, li les uns aux autres et les divisions cognitives doivent tre
celles de la pense autochtone mme. Pourtant, en anthropologie, des dcoupages ont t
raliss afin de faciliter et permettre les recherches et les prsentations acadmiques.
Chaque socit scrte et dveloppe une relation avec le milieu naturel quelle pense et
transforme, classe et dont elle labore des savoirs. Les reprsentations, lidel sont lis aux
savoirs et aux pratiques. La faon singulire chaque culture de penser la nature gnre une
faon toute aussi singulire dtre au monde et dagir sur lui.
Ainsi, les socits mettent en place une construction symbolique de la nature, de son
existence, de son sens et de lexistence humaine en son sein.
La nature existe en dehors du regard de lhomme comme une entit physique et relle.
L'anthropologie s'intresse spcifiquement au regard de lhomme sur la nature. Quand il pose
son regard sur elle, il opre une socialisation de la nature, cest dire que celle-ci entre dans
la sphre sociale de lhomme partir du moment o lhomme entre en contact avec elle. En
mme temps que lhomme pose son regard sur la nature, il la pense et la transforme de mme
que celle-ci va gnrer des contraintes, des penses lies ce quelle est, mais qui seront
toujours singulires dune socit lautre, mme pour celles vivant dans le mme milieu. La
nature et la socit sont largement imbriques, lies dans toutes les socits. Cest cette part
idelle et cratrice de lhomme par rapport la nature qui construit toute une dynamique
sociale complexe, particulire. De l, la socit labore une rationalit singulire (qui peut
paratre irrationnelle au regard extrieur). La pense faonne ainsi le monde, ses limites, et les
ralits sociales. A partir de l, certains anthropologues, selon leur choix, vont privilgier ou
mettre laccent, dans leur expos et leur analyse, sur la part symbolique ou sur la part
matrielle du rapport la nature, ou sur les deux troitement lies. De plus, de nombreux
auteurs saccordent dire que la conception de la nature rvle la conception des rapports
sociaux. LEVI-STRAUSS soulignait en 1962 :
" il a fallu, nen doutons pas, une attitude desprit vritablement scientifique, une curiosit assidue et toujours en veil, un apptit de connatre pour le plaisir de connatre, car une petite fraction seulement des observations et des expriences (dont il faut bien supposer quelles taient inspires, dabord et surtout, par le got du savoir) pouvaient donner des rsultats pratiques, et immdiatement utilisables." (Ibid : 28)
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Des sicles dobservations et dexprimentations ont permis aux diverses socits de
fonder une conception particulire de la nature, de la socit ainsi que des multitudes de
savoirs empiriques singuliers. Toutes les socits laborent une large pistm, cest dire un
ensemble de connaissances (conception du monde, sciences, philosophie), sur la nature et
leurs relations avec elle, qui changent au rythme des modifications sociales et culturelles. De
mme, elles emploient, utilisent la nature des niveaux divers de la socit, des fins et selon
des modifications varies. Tous ces savoirs, savoir-faire et usages sont le rsultat de longues
observations et connaissances empiriques. Lhomme fabrique partir de la nature les moyens
dassurer sa subsistance et sa cohsion sociale.
J'ai, pour la prsentation, et comme il est l encore communment admis en
anthropologie, procd une division des utilisations et des techniques lies la nature.
Gardons lesprit que cela permet une comprhension globale et que dans les faits tout nest
pas si parcell, fragment comme lexpos semble le prtendre. On distingue donc :
- Les savoirs, les utilisations et techniques lis la nature que nous appelons
domestiques : alimentation, habitation, vtements, outils domestiques ;
- Les savoirs, les techniques et utilisations dacquisition ou dappropriation directe de la
nature : chasse, pche, cueillettes et outils fabriqus et utiliss ;
- Les savoirs, connaissances, savoir-faire et techniques de production : agricultures,
levages et les outils utiliss ;
- Les savoirs, connaissances, techniques, savoir-faire et utilisations de la nature au
niveau des mdecines indignes (ou ethnomdecine, ethnopharmacologie); et les
autres ethnosciences cest dire lethnobotanique (ou les savoirs populaires,
folkscience, sur la flore, les plantes, le vgtal), lethnozoologie (ou les savoirs
populaires, folkscience, sur les animaux) ;
- Les rites et la totalit des techniques utilises prcdemment cits.
On constate une diversit de connections, de corrlations, de liens entre les paroles, les
discours, les outils, les gestes, les savoirs et lensemble des rapports sociaux au sujet du
rapport de lhomme la nature dans diffrentes socits. Et, cette diversit rvle une certaine
universalit savoir que chacune et toutes les socits ont dvelopp, cr des savoirs, des
penses, des pratiques et des techniques en lien direct avec la nature environnante. Cette
diversit, variabilit des rapports des cultures avec leur environnement, rsulte du fait que
chaque culture dfinit, construit son propre rapport la nature. De plus, dans chacun des
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domaines que ce soit penser, nommer, classer et utiliser la nature, il ne faut pas oublier le rle
important de la transmission : transmission des savoirs et des techniques de mme que de
ltre au monde, du sens et de lordre donn lexistence humaine, la nature environnante.
Les gnrations se succdent, les savoirs et les pratiques se transmettent et se transforment,
ainsi que lordre et le sens, lidel et le matriel.
Au del des tudes anthropologiques prcdemment abordes, les socits ont t
confrontes des changements structurels. A prsent, au regard des changements oprs
depuis quelques dcennies, les donnes et les enjeux ont modifi en quelque sorte tant les
rapports de ces socits leur milieu que lintrt et les nouvelles approches
anthropologiques. On ne peut plus tudier les socits comme des totalits autonomes, la
faon de la monographie, de mme quavec les divisions ralises pendant longtemps en
anthropologie, qui nous avons vu, sont tombes en dsutude. En effet, les socits ne sont
pas figes, elles changent, se transforment et ces mouvances contribuent des r-
interprtations, des r-appropriations de la part des populations et des socits, de leurs
reprsentations et de leurs pratiques en ce qui concerne leur environnement naturel.
Les socits ne sont pas non plus fermes sur elles-mmes, vivant en totale autarcie, et
il y a des interrelations entre elles et lextrieur cest dire les autres socits, la socit
globale, une rgion, un tat, etc. De plus, la quasi-totalit des socits est aujourdhui en lien
avec lconomie de march, de prs ou de loin ; les socits aussi petites et aussi recules
soient-elles rentrent dans cette dynamique gnrale et gnralise. Par ailleurs, actuellement
des bilans se font dans le milieu scientifique sur les dcennies de projets daide au
dveloppement et sur le dveloppement durable. Ceux-ci ont largement t axs sur un
dveloppement conomique des socits des pays en voie de dveloppement et des pays du
tiers-monde. Le souci tait le rendement, la production au niveau des nouvelles rponses
agraires apportes par des occidentaux. On a voulu intgrer ces socits au mouvement
global, mondial, occidental, dans la perspective du train occidental dj lanc sur les rails du
nolibralisme, de lindustrialisation et de la productivit comme tant la norme et lvolution
positive. Les rponses au dveloppement soccupaient de diffrents aspects comme
l'agronomique, le biologique, etc. Les bilans font tat de nombreux checs et de russites, et
tendent montrer que la logique occidentale, simplement dplace dans une logique
diffrente est irrmdiablement voue lchec. Les conceptions, les reprsentations
loignes ne saccordent que dans un long dialogue et une coute mutuelle qui font souvent
dfaut, le positivisme lemportant dans un monologue daction daide sans soccuper des
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structures sociales et des logiques locales symboliques et matrielles. Les socits sont
effectivement lances aussi sur les rails et sont lies au mouvement global. Les nouvelles
approches de dveloppement durable et de recherche sur le dveloppement se multiplient en
tentant non seulement dapporter des rponses et des solutions pratiques toutes prtes aux
populations mais galement en tenant compte des reprsentations, des savoirs et des usages
locaux. Ces reprsentations, savoirs et savoir-faire ont t dans les premiers programmes de
dveloppement trop souvent occults. Selon Marc AUGE, lanthropologie est ncessaire :
"Parce que la question du sens social est partout explicitement pose ou implicitement prsente. Elle est possible pour autant que sa tradition de rflexion autocritique lui permet de sadapter aux changements de lhistoire et aux changements dchelle qui lui correspondent." (AUGE, 1997 : 177)
Il nous invite : "prendre en considration les modalits nouvelles de symbolisation luvre
dans lensemble plantaire." (Ibid : 177). Enfin, il souligne que : "sadapter au changement dchelle, ce nest pas cesser de privilgier lobservation de petites units mais prendre en considration les mondes qui les traversent, les dbordent et, ce faisant, ne cessent de les constituer et de les reconstituer." (Ibid : 178)
Les socits qui nous intressent particulirement sont celles qui ont un rapport troit
leur milieu naturel environnant. On peut nommer ces socits, ces populations comme tant
paysannes. Comme le relve J.P. Olivier de SARDAN :
"Peu danthropologues appellent paysannes les populations quils tudient. Pourtant, on peut considrer que la majorit de celles-ci relve de la paysannerie et non des socits primitives. On admet gnralement que le monde paysan se caractrise par une autonomie relative face des formes dorganisations socio-conomiques dominantes qui lui sont extrieures (socits fodales, tributaires, tatiques, coloniales, capitalistes, socialistes, etc.)" (SARDAN, 1991 : 565)
La paysannerie est une socit localement situe qui est intgre un systme plus
large, le plus souvent une rgion, un tat. Nous dirons brivement quelle se caractrise par un
groupe domestique au centre du fonctionnement, des relations dinterconnaissances et
dentraide, etc. Pour le moment, cest le rapport que la paysannerie entretient gnralement
avec lextrieur qui nous importe et les reprsentations par rapport lenvironnement qui se
superposent pour crer des rapports singuliers de pouvoir, denjeux par rapport au territoire,
au sol, aux ressources naturelles. Les socits rurales au Nord comme au Sud disposent de ces
mmes caractristiques, spcificits et entretiennent des changes avec lextrieur, les socits
extrieures, les voisins, et les tats dominants.
Dans ce contexte, il est commun en sciences humaines de parler des relations entre la
sphre locale et la sphre globale. Nous pouvons dire que ce principe dual local/global est
effectivement une catgorie analytique qui est efficace lorsquon voque les relations dune
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population locale avec la socit plus large, globale quest la nation par exemple, et donc
quelle est utilisable dans notre expos. Ensuite, lutilisation de cette dualit est dans chaque
cas singulire. Loin de sopposer forcment, ces deux sphres coexistent, tablissent des
rapports, sont en relation, interagissent, et au niveau du rapport la nature les exemples
dinteractions sont nombreux. Faute de mieux cette dualit est utilise afin dillustrer notre
propos. Les socits paysannes sont en lien, en rapport avec les socits englobantes, les tats,
les nations ; et ces rapports se modifient, changent au cours de leur histoire.
"La connexion avec lconomie-monde (F. Braudel) implique que le prlvement passe dsormais par des mcanismes conomiques (problme de lchange ingal). Le mystre du fonctionnement dune conomie paysanne dans le contexte du capitalisme [] rside dans le fait suivant : lirruption de lconomie montaire, larticulation avec le march mondial, la domination dappareils tatiques bureaucratiques sont autant dlments auxquels aucune socit agraire nchappe dans le monde, or le fonctionnement interne des conomies paysannes continue manifestement de ntre pas command par la seule recherche du profit et ne peut tre vritablement matris par les institutions politico-conomiques nationales." (Ibid : 566)
Concrtement, les populations paysannes contemporaines le plus souvent associent
la fois une production dautosubsistance et une production pour la vente sur le march, de
mme que parfois des activits salaries. Dans la ralit des faits, il y a une diversit de
contextes de paysannerie qui entretiennent des rapports complexes avec la socit globale,
lconomie de march et le systme capitaliste. Mais surtout, et c'est ce qui intresse
lanthropologue, les relations ne sont pas tant de lordre du niveau local au niveau global,
mais elles se situent plutt dans un rapport local/local. Tout dabord, car cest l que se jouent
les relations et les enjeux concrtement, soit par les relations de deux socits au sein dune
mme rgion, soit lorsque le pouvoir vient au contact de la population locale, ngocie,
impose, dirige Et ici, la nature fait lobjet de reprsentations diverses et diffrentes, de
reconnaissance didentit au niveau de la population locale de mme quau niveau des autres
chelles rgionales, nationales De mme, la nature est au centre denjeux, de
reprsentations qui se confrontent, de stratgies et dintrts multiples et opposs.
Pierre GRENAND sest intress aux rapports qui existent entre les tats-Nations et
les populations forestires qui vivent, habitent sur leur territoire. Il constate que les situations
sont diffrencies sur les trois continents concerns par les forts denses humides : Afrique
forestire, Asie forestire et Amrique du Sud forestire. Il note des diffrences entre des
peuples politiquement dominants et dautres politiquement domins, des enjeux macro-
conomiques dans des situations no-coloniales et des affrontements moins importants
certains endroits. Enfin, il accentue son propos sur le fait que lattitude gnrale des tats-
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nations par rapport aux populations indignes forestires occupant leur territoire est similaire
presque partout savoir :
"Alors que la recherche scientifique est aujourdhui quasi unanime parler de leur excellente adaptation au milieu naturel et de la viabilit de leur agriculture, lessartage est partout violemment combattu. Accus dtre non productif, mangeur de terre et destructeur de fort, on lui oppose une agriculture permanente sense devenir la panace au nom dune inluctabilit du progrs tout fait fantasmatique. Cette agriculture quon leur demande dadopter nest pas seulement faite de plantes de subsistance, mais encore de cultures de rente destines lexportation, telles le caf, le cacao, le coton Comprenons bien que ladoption exclusive de ce type dagriculture na jamais signifi autre chose que la pauprisation de ceux qui la pratiquent, devenus incapables de se nourrir et dpendants des cours dun march mondial dont ils ignorent les mcanismes." (GRENAND, 1997 : 34)
Tout cela reflte et illustre lhgmonie croissante dun modle unique, dune logique
unique de pense, et daction en direction du dveloppement conomique. Cette vision
positiviste et volutionniste est encore et plus que jamais caractristique du monde
ind