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" Vision Brésil n° 34, mai 2012 : Un portrait du Brésil Bonjour, L’Institut Brésilien d’Etudes Statistiques (IBGE) vient de divulguer les résultats du recensement général de la population 2010. On en connaissait déjà quelques éléments, mais l’exposé complet des résultats permet une comparaison édifiante avec l’exercice précédent, effectué en 2000 : le nombre de nouveaux- nés qui meurent avant l’âge d’un an a diminué de façon drastique, le revenu réel des ménages a nettement augmenté mais 70% des brésiliens vivent encore avec moins de 400 ! par mois alors que les riches ne sont que 0,9% de la société. L’inégalité reste très marquée. Ce numéro 34 de Vision Brésil de mai 2012 est consacrée à l’analyse de ces résultats qui permettent de tracer un portrait complet de ce que signifie le concept de “nouveau Brésil émergent”. Beaucoup d’atouts, mais aussi bien des contradictions. Bonne lecture, faites connaître Vision Brésil autour de vous. !!! Ce mois, mai 2012 : 2000-2010 un portrait du Brésil - 1 Des indicateurs encourageants

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Page 1: Vision Brésil n° 34des résultats permet une comparaison édifiante avec l’exercice précédent, effectué en 2000 : le nombre de nouveaux-nés qui meurent avant l’âge d’un

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Vision Brésil n° 34, mai 2012 :

Un portrait du Brésil Bonjour,

L’Institut Brésilien d’Etudes Statistiques (IBGE) vient de

divulguer les résultats du recensement général de la

population 2010. On en connaissait déjà quelques

éléments, mais l’exposé complet des résultats permet une

comparaison édifiante avec l’exercice précédent, effectué en

2000 : le nombre de nouveaux-nés qui meurent avant l’âge

d’un an a diminué de façon drastique, le revenu réel des

ménages a nettement augmenté mais 70% des brésiliens vivent encore avec moins de 400 ! par mois alors que les riches ne sont que 0,9% de la société. L’inégalité reste très

marquée. Ce numéro 34 de Vision Brésil de mai 2012 est consacrée à l’analyse de ces résultats qui permettent de tracer un portrait complet de ce que signifie le concept de

“nouveau Brésil émergent”. Beaucoup d’atouts, mais aussi bien des contradictions. Bonne lecture, faites connaître Vision Brésil autour de vous.

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Ce mois, mai 2012 : 2000-2010 un portrait du Brésil - 1 Des indicateurs encourageants

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C’est la grande victoire du pays et l’élément fort de ce recensement général 2010 de la

population brésilienne : en 2000, 30 enfants sur 1’000 mourraient avant d’atteindre l’âge d’un an. En 2010, ils n’étaient plus que 15,6 sur 1’000.Le Brésil a dépassé avant la

date prévue de 2015, l’objectif du millénaire qui était justement de réduire de moitié la mortalité infantile. Conséquence de cette percée sanitaire et de l’amélioration générale

du niveau de vie, la fertilité a chuté pratiquement dans les mêmes proportions : 1,9 enfant par femme en 2010, contre 2,4 en 2000.

Illustration de cette nouvelle réalité : Sandra Maria de Souza, 50 ans, tenancière de bar dans un quartier pauvre de Recife au Nord-Est. Elle a eu 11 enfants, seuls 4 d’entre eux sont encore en vie. Mais à eux quatre, ils ont donné à Sandra Maria 10 petits-enfants, tous en parfaite santé.

Un défi démographique

C’est dans la région Nord-Est que la mortalité infantile a le plus chuté, moins 56%, et même moins 90%

depuis les années 1930. Malgré tout, le Brésil reste un pays où les bébés meurent encore trop. 15 décès pour mille naissances, c’est 3 fois plus qu’en Europe, au Japon ou à Cuba. « Pour arriver à un taux de mortalité infantile inférieur à 10, explique l’ancien Ministre de la Santé de Lula, José Gomes Temporão, il faut que le système public de santé améliore sa politique d’accompagnement prénatal et d’encadrement durant les 30 premiers jours de vie du nouveau-né ».

Autre enseignement de ce recensement : avec 1,9 enfant par femme, le pays est passé sous la barre du taux de fécondité nécessaire à assurer la reproduction naturelle de sa population, un taux fixé par les démographes à 2,1 enfants par femme. A ce rythme, la population va diminuer à partir de 2040, et le Brésil connaîtra les problèmes du vieillissement qui affectent les pays développés. « Il faut mettre en place une politique de sécurité sociale à la hauteur de ce défi, relève le rapport de l’IBGE, afin de faire face à l’augmentation des coûts des retraites et des soins de santé aux personnes âgées ». Une politique qui doit être pensée longtemps à l’avance, ce qui est pas encore le cas aujourd’hui.

Plus d’emplois, mieux payés

« 2000-2010, c’est la décennie de l’emploi formel, commente Vandeli Guerra chercheur à l’IBGE. Plus de gens ont accédé au marché légal de l’emploi et la situation économique des familles s’est améliorée ». Parmi les 61 millions de salariés du secteur privé, 64% bénéficient maintenant d’un contrat de travail en bonne et due forme. Ils n’étaient que 55% en 2000. Si

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on ajoute les fonctionnaires et les militaires, c’est 71% de la population laborieuse qui est au bénéfice d’un empli formel.

« Une avancée due à la croissance économique, à une meilleure scolarisation et à une distribution de rente plus égalitaire », poursuit Vandeli Guerra. Le revenu moyen du travail de l’ensemble des personnes occupées est passé de 1’275R$ à 1’345R$ par personne et par mois entre 2000 et 2010, soit une augmentation réelle

de 5,5%. Cela correspond à une augmentation du pouvoir d’achat des ménages de 15,5% en 10 ans.

Des inégalités qui demeurent

C’est d’abord la rente des femmes qui s’est améliorée, les femmes qui, parce qu’elles sont mieux scolarisée que les hommes, ont vu leur rémunération augmenter 3 fois plus que celle de ces deniers. Cette amélioration salariale se traduit par une hausse du confort de vie. Cela se marque dans l’équipement des foyers : le poste de télévision y est certes généralisé depuis bien avant 2000, mais en 2010, la présence d’internet, du lave-linge et du téléphone est devenu la règle dans 57 millions de ménages, soit plus d’un tiers des logements du pays. En 2000, on était encore à 10% en ce qui concerne les ordinateurs connectés à internet.

Reste que 12% des familles ne disposent toujours pas du téléphone, et que dans le Nord-Est, 20% des foyers n’ont pas encore l’eau courante. Le salaire moyen est tiré vers le bas par un nombre importants de personnes qui vivent avec un revenu inférieur à 1’000R$ par mois (475 CHF / 400 !). Ils sont 70% dans ce cas. Et les « riches » (plus de 10’000R$ par mois, soit 4’750 CHF ou 4’000 euros) ne forment que 0,9% de la population.

« Il n’y a pas de quoi pavoiser se désole Flavio Comim chercheur au PNUD, le

Programme des Nations Unies pour le Développement. Les différence de richesse entre les

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régions sont criantes, le Brésil rural et le Brésil urbain sont deux pays totalement distincts ». Marcelo Neri, économiste à la Fondation Getulio Vargas nuance : « les inégalités sont encore fortes, mais elles ont beaucoup diminué durant ces 10 dernières années. Et les 2/3 de cette réduction proviennent de l’amélioration des revenus du travail ».

Retour des émigrés

Cette situation de plein emploi attire ceux qui sont allé chercher fortune ailleurs à la fin du siècle dernier. Avec un taux de chômage de moins de 6%, le marché du travail se tend au Brésil, surtout en ce qui concerne les professions qualifiées. Ceci au moment où la crise internationale multiplie les licenciements ailleurs. Résultat, 174’000 brésiliens de l’extérieur sont rentrés au pays en 2010, contre 87’000 en 2000. Plus du double.

C’est le cas de Carlos Lourenço. Ses parents avaient émigrés du Portugal au Brésil dans les années 1960. Lui, né à Rio de Janeiro, est reparti au Portugal au début des années 1990, à la recherche de son avenir, tout de suite après avoir obtenu son diplôme d’analyste en informatique. En 2005, l’entreprise de Lisbonne qui l’employait le licencie. Très vite, il retrouve un emploi à São Paulo où il est maintenant installé et a fondé sa propre entreprise.

Un niveau de vie qui s’améliore

Ce mouvement de retour au pays s’explique par la stabilité économique que connaît le Brésil depuis 10 ans, mais aussi par l’émergence d’une nouvelle classe moyenne, la « classe C » comme on l’appelle ici, qui a contribué à réorienter le marché intérieur vers des produits courants plus accessibles aux consommateurs bénéficiant de revenus modestes. Ainsi, même si la rémunération est parfois plus basse au Brésil qu’en Europe ou aux Etats-Unis, l’aventure du retour au pays vaut la

peine d’être tentée.

Cette attraction du Brésil vaut aussi pour les non nationaux. Ils étaient 143’000 à immigrer en 2000, 268’000 en 2010. L’amélioration de la situation dans les Etats du Nord-Est et la demande provenant des grandes plaines agro-industrielles du Centre-Ouest ont aussi poussé nombre de personnes à quitter les grandes métropoles du Sud comme São Paulo et Rio de Janeiro pour rentrer dans leurs régions d’origine.

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Transport et éducation, les mal-aimés du progrès

Différents domaines se sont cependant dégradés depuis 2000. C’est le cas notamment des transports urbains. 75% des brésiliens vivent en ville, en majorité dans les mégalopoles de São Paulo (18 millions d’habitants), Rio de Janeiro (12 millions), Brasilia (5 millions), Salvador (3 millions) et Recife (2,5 millions). Résultat, le temps de déplacement entre le domicile et le travail pèse lourd sur leur quotidien : 11% d’entre eux, soit 7 millions de personnes passent plus d’une heure par jour dans le trafic, un chiffre qui monte à 23% à Rio de Janeiro. Dans cette cité, il faut parfois plus de 2 heures pour atteindre le centre depuis certains quartiers de la périphérie.

Eduardo da Silva, vendeur dans un magasin de la Zone Nord de Rio quitte son domicile de Japeri à 4h30 du matin pour rejoindre la gare qui est à 20 minutes à pied de chez lui. Il doit ensuite prendre 2 bus depuis la station centrale de Rio pour atteindre son lieu de travail. En tout 3 heures de trajet à l’aller, la même chose au retour. « Le problème c’est qu’au Brésil, on a développé des transports publics de grande capacité comme le métro et d’autre

de petite capacité comme les bus sans penser à les intégrer les uns aux autres » analyse Fernando MacDowell, de la Faculté d’Ingénierie de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro.

Une situation qui explique les difficultés que connaît le pays pour mettre en place aujourd’hui les infrastructures nécessaires aux grands événements sportifs à venir comme la Coupe du Monde de Football 2014 et les Jeux Olympiques de Rio de Janeiro 2016. Dans les deux cas, ce ne sont pas tellement les équipements sportifs qui posent problème, mais la fluidité des moyens d’accès aux villes et aux lieux des compétitions.

Education à la traîne…

Même constat en ce qui concerne l’éducation : il y a plus de brésiliens qui se forment dans l’enseignement supérieur, c’est positif, mais près de la moitié de la population ne termine pas l’école primaire, un lourd handicap. « Un héritage du passé, estime Wanda Engel, qui dirige l’Institut Unibanco. A l’époque industrielle, au siècle dernier, les entreprises n’avaient pas

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besoin de personnel instruit. Ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, dans le monde du travail, l’enseignement moyen équivaut à ce qu’était l’enseignement fondamental à l’époque. Or seule 35% de la population accède au degré secondaire. En Corée c’est 100%.»

« Le pays avance, mais à un rythme lent, estime Daniel Cara, coordinateur de la Campagne Nationale pour le Droit à l’Education. Les progrès sont insuffisants pour répondre aux défis

d’une population brésilienne qui va vieillir à partir de 2030. A ce moment, nous aurons une majorité de travailleurs en âge adulte, avec une formation scolaire insuffisante ».

!!!

Ce mois en bref, mai 2012

Commission pour la Vérité ; Rio+20, hôtels hors de prix ; le Québec s’invite au Brésil ;

le poids du pain de Sucre ; nouveau musée de la langue portugaise.

6 mois après la promulgation de la

loi, la Présidente Dilma Rousseff a enfin installé officiellement la

Commission pour la Vérité, chargée d’enquêter sur les violations des

droits de l’homme au Brésil. Parmi les 7 membres qui la composent,

Rosa Maria Cardoso da Cunha, qui fût l’avocate de Dilma Rousseff

lorsque cette dernière a été emprisonnée par la dictature

militaire. Le mandat de la Commission pour la Vérité est

précis : découvrir la vérité et non punir les coupables. La loi d’Amnistie de 1977 interdit en effet d’intenter une action en

justice contre quiconque est accusé de crimes contre les libertés commis durant cette période.

« Ce n’est pas un problème, affirme José Carlos Dias, ancien ministre de la Justice, car désigner les responsables, c’est déjà une forme de punition. L’information peut punir ». José Carlos Dias insiste sur le fait que le travail de la Commission doit concerner autant les exactions du régime militaire que celles commises par « l’autre côté », celui de la guérilla armée. Un point de vue qui est loin de faire l’unanimité dans la Commission. Pour Rosa Maria Cardoso da Cunha, « il n’y a pas deux côté en cause. L’autre côté a déjà été assassiné ».

L’ancien Secrétaire aux Droits Humains Paulo Sergio Pinheiro partage cet avis : « l’objectif est clair, il concerne les faits et les circonstances des violations des droits de l’homme entre 1946 et 1988, des violations qui ont pour nom torture, disparitions forcées et assassinats, cela

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ne concerne que les autorités en place à cette époque ». De leur côté, l’association des officiers à la retraite dénonce le fait que la Commission n’enquête pas sur « les souffrances des familles de militaires victimes des attentats perpétrés par la lutte armée » et annonce qu’elle va surveiller de près les travaux de la Commission pour la Vérité.

Pour sa part, le Directeur pour l’Amérique Latine de l’organisation Human Right Watch José Miguel

Vivanco espère que ce travail de mémoire permettra une révision de la loi d’amnistie : « le Brésil commence à étudier son passé avec beaucoup de retard sur ses voisins du sous-continent, l’Argentine, le Chili, l’Uruguay et le Pérou. J’espère que la pression de l’opinion publique amènera les instances judiciaires à mettre en question la loi d’amnistie et, à terme, à condamner les coupables ».

Rio+20, hôtels hors de prix

Trop, c’est trop ! On savait que les tarifs des hôtels avaient pris l’ascenseur pour la Conférence environnementale Rio+20 de juin prochain, mais lorsque la Ministre de l’Environnement du Brésil a annoncé qu’elle allait être obligée de demander l’hospitalité à une amie pour se loger à Rio de Janeiro pendant les discussions, les autorités ont décidé de mettre le holà. D’autant que quelques jours auparavant, deux délégations parlementaires, celle de l’Union européenne et celle de la Hollande ont annoncé renoncer à se rendre à la Conférence à cause du prix exorbitant des hôtels.

En prévision de cet événement, le gouvernement avait bloqué en novembre déjà l’ensemble des chambres des établissements 4 et 5 étoiles afin de les mettre à disposition des différentes délégations. Forts de cette sécurité, les hôteliers et les agences de voyage ont fait flamber leurs tarifs et se sont octroyé des « commissions de service allant jusqu’à 33% du prix des chambres. Ainsi, une nuit dans un 5 étoiles de Rio, entre le 13 et le 22 juin, peut atteindre la somme faramineuse de 2 000 dollars. C’est pratiquement le double du prix du Waldorf Astoria de New-York et la réservation est conditionnée à une permanence de 3 à 10 jours. Les autorités brésiliennes ont donc renégocié ces prix avec les représentants de l’ABIH, l’Association Brésilienne de l’Industrie Hôtelière. Laquelle a accepté de rembourser

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les « commissions de service » et de renoncer à l’obligation d’acheter un séjour de plusieurs jours. Les prix devraient chuter de 35 à 65% !

Le Québec s’invite au Brésil

Le premier ministre du Québec, Jean Charest, a effectué sa première visite officielle au Brésil, mi-avril, à la tête d’une mission économique. Le gouvernement québécois veut intensifier les relations commerciales entre les deux nations : ” Le Brésil fait partie des

pays prioritaires avec lesquels le

Québec souhaite développer des

partenariats ». Les exportations du Québec vers le Brésil ont doublé depuis 2008, atteignant 855 millions de dollars canadiens (CAN) en 2010. Cela représente 35% des exportations totales du Canada vers le Brésil. Le Québec est donc la province canadienne la plus active sur le marché brésilien. 6 000 citoyens canadiens vivent au Brésil, dont 15% à 20% sont des québécois francophones.

Les principaux domaines d’échange entre les deux pays sont l’aérospatiale, le génie civil, les infrastructures, les technologies de l’information et des communications, et surtout l’énergie (hydroélectricité, énergie verte et renouvelable) et les mines. Pour assurer son développement, le Québec s’est en effet tourné vers ses territoires du nord, situés au-delà du 49ème parallèle, une région à fort potentiel minier et hydroélectrique (70% de la capacité hydroélectrique). Après deux années de

préparation, le gouvernement québécois a élaboré le projet Plan Nord (http://www.plannord.gouv.qc.ca/index.asp) qui prévoit un développement économiquement et socialement durable de cette région. ” Les Brésiliens semblent très intéressés par le Plan

Nord, d’autant que le Brésil partage avec le Québec une réalité similaire : de grands espaces

non développés qui regorgent de ressources de toutes sortes », a expliqué le Premier Ministre.

Le poids du pain de Sucre

Carte postale de Rio de Janeiro, le Pain de Sucre est un rocher haut de 395. On connaît désormais aussi son poids : 580 millions de tonnes, soit l’équivalent de toute la récolte de canne à sucre du Brésil pendant un an et demi. C’est l’Ecole des Ingénieurs cartographes de l’Institut Militaire qui s’est chargée du calcul.

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Un nouveau musée de la langue portugaise

Un nouveau musée de la langue portugaise voit le jour, le second au Brésil après celui de São Paulo. Il a été érigé dans les locaux de l’ancien Lycée de Maranhão à São Luis, capitale de cet Etat du Nord-Est et patrimoine de l’humanité pour les bâtiments coloniaux de sa vieille-ville. Le musée de la langue portugaise de São Luis « ne sera pas une filiale de

celui de São Paulo, mais une institution sœur indépendante » affirme Ricardo Piquet, directeur de la Fondation Vale qui est à l’origine du projet, même si son curateur, Jarbas Mantovanini a dirigé le musée de São Paulo.

!!!

Social, mai 2012 : 2000-2010, un portrait du Brésil - 2 Existe-t-il une nouvelle classe moyenne?

L’émergence d’une « nouvelle classe moyenne » est devenu l’étendard médiatique de la croissance brésilienne. La politique de redistribution pratiquée par le gouvernement

depuis 10 ans aurait profondément bouleversé la pyramide sociale. Une nouvelle classe, dite « classe C », composée d’individus dont le revenu mensuel va de 1’310R$ à 1’950R$

(620CHF à 925CHF / 515! à 770!), constituerait désormais la majorité de la population du pays. S’agit-il vraiment de la naissance d’une nouvelle classe moyenne ? Ou bien le

phénomène n’est-il que l’expression d’une amélioration de la situation des plus pauvres,

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sans autre changement dans les structures sociales ? Les analystes sont divisés sur la

question.

La question n’est pas sans conséquence sur les politiques publiques à adopter pour les 10 prochaines années : faut-il plutôt stimuler la croissance de la consommation intérieure pour satisfaire la demande de ces « nouveaux-moins-pauvres », et donc dégager des bénéfices permettant de perpétuer la politique d’assistance aux plus défavorisés ou investir dans la formation de ces nouveaux acteurs sociaux afin de les rendre plus compétitifs face aux défis du marché du travail ?

La vraie classe moyenne, ce sont les riches !

Premier constat, si en 2011, la classe C a été championne de la consommation au Brésil, il n’en sera pas de même en 2012. Les projections de l’IPC Maps, une banque de donnée qui analyse le comportement des consommateurs dans plus de 5’000 agglomérations brésiliennes, montrent que cette année, ce sera la « classe B » qui répondra pour plus de 50% des ventes. Les dépenses de la « classe C » reculeront de 10% pour ne plus représenter que 26% de la consommation totale.

« La classe B (revenu compris entre 3’175R$ et 6’140R$ (1’550CHF et 2’900CHF / 1’250! et 2’450!) est la véritable classe moyenne brésilienne, assène Jesse Souza, professeur de sociologie à l’Université Fédérale de Juiz de Fora. Elle détient, en commun avec les plus riches de la classe A, le contrôle sur une ressource qui échappe encore aux couches sociales inférieures : le capital culturel, qu’il soit technique comme dans le cas des

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ingénieurs, avocats ou économistes ou littéraire, pour ce qui est des journalistes, des professeurs, etc. »

Ce capital culturel se transmet de génération en génération selon Jesse Souza, par le « privilège de la naissance », donc aussi l’accès à l’éducation, auquel ceux qu’il appelle les « batailleurs » des classes populaires n’ont pas naturellement accès. Ces « batailleurs » selon la définition de Jesse Souza, sont justement ceux qui ont accédé à une plus grande aisance de vie grâce aux politiques d’Etat de redistribution sociale des richesses de la croissance.

« Pour compenser cette absence de privilèges dû à la naissance, ils vont réaliser un énorme effort personnel pour conserver leur statut, acceptant des doubles journées de travail et des emploi sous-payés afin de maintenir leur niveau de consommation matériel. Ce n’est pas spécifique au Brésil, on constate le même phénomène en Inde et en Chine. Il s’agit d’une nouvelle catégorie de travailleurs, pas de l’émergence d’une nouvelle classe moyenne. »

Malgré la croissance, les pauvres sont encore là

La confusion est d’autant plus dérangeante pour Jesse Souza qu’elle camoufle une « inégalité invisible » qui se cache derrière les discours sur les bénéfices de la croissance : « il reste un socle immuable de très pauvres, jamais perçus comme appartenant à une classe sociale émergente, pour qui le futur se résume à l’urgence de la survie au jour le jour et qui explique notre retard social face aux pays avancés ».

Marcio Pochmann, directeur de l’Institut de Recherche et d’Etudes Appliquées (IPEA) partage avec Jesse Souza l’idée qu’il n’y a pas eu émergence d’une nouvelle couche moyenne au Brésil ces 10 dernières années : « l’ascension économique d’une parcelle significative de la population brésilienne ne traduit pas l’émergence d’une nouvelle classe sociale et encore moins celle de l’apparition d’une « classe moyenne ».

Les politiques publiques de redistribution de la rente ont certes permis la création de 20 millions de postes de travail, mais il s’agit à 94% de postes dans les services, dont la rémunération est inférieure à 1,5 salaire minimum. Cela ne permet pas à ces personnes d’atteindre le niveau minimum d’épargne qui caractérise les classes moyennes ».

Une nouvelle strate économique plus qu’une classe sociale en devenir

Pour Marcio Pochmann, définir une classe sociale par son seul pouvoir d’achat est une illusion dangereuse et simplificatrice. « Ce que nous voyons aujourd’hui au Brésil, c’est une ascension de ceux qui composent de la base de la pyramide sociale, grâce à la politique

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d’augmentation de la valeur de référence du salaire minimum et toute amélioration du revenu se traduit par une hausse de la consommation. »

Pour que ces bénéficiaires directs des politiques publiques de redistribution des revenus de la croissance deviennent une nouvelle classe moyenne, il leur faudrait pouvoir accéder à des emplois typiques de la classe moyenne, des professions spécialisées qui supposent une formation scolaire et technique correspondante. On en est loin, estime Marcio Pochmann. « Il faut procéder à des investissements massifs dans le domaine de l’éducation pour que ces travailleurs émergents puissent accéder

un jour à de tels emplois ».

Ne pas confondre avec la classe moyenne des pays avancés

Marcelo Neri, chef du Centre des Politiques Sociales de la Fondation Getulio Vargas concède que des efforts considérables doivent être consentis dans le domaine de l’éducation pour consolider les transformations sociales en cours, mais il estime, lui, qu’il y a bel et bien émergence d’une nouvelle classe moyenne. Une classe moyenne « économique plutôt que sociale » nuance-t-il, mais néanmoins caractéristique de l’évolution de la société brésilienne.

« La classe moyenne brésilienne n’est ni la classe moyenne américaine, ni la classe moyenne européenne. On ne peut donc pas prendre ces pays comme référence. Il faut se rappeler que derrière le 0,1% des plus pauvres des Etats-Unis, il y a 60% de la population mondiale qui est encore plus pauvre ». L’indicateur principal de l’apparition d’une nouvelle classe moyenne au Brésil, pour Marcelo Neri, tient dans le fait de la généralisation des emplois formels à la base de la pyramide sociale. « Le grand symbole de la nouvelle classe moyenne brésilienne, c’est le contrat de travail avec la sécurité sociale qui l’accompagne. »

Un enjeu pour les politiques publiques

Cette discussion n’est pas qu’académique et les autorités l’accompagnent de près, qui doivent définir les politiques publiques qu’elles vont mettre en place d’ici 2020, pour faire face à l’évolution de la société brésilienne. Il y a bien sûr, en premier lieu, les défis de l’éradication de la pauvreté absolue et du vieillissement, tout le monde est d’accord là dessus, mais il faut aussi déterminer où vont aller les autres priorités.

Si l’enrichissement des plus pauvres continue à être le moteur de la croissance stimulée par

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développement du marché intérieur, il faut alors renforcer les stratégies de redistribution sociale des bénéfices de cette croissance. Si au contraire, la rente de la population tend à se stabiliser, c’est dans la formation d’une main d’œuvre compétitive, capable de répondre aux demandes de l’industrie d’exportation qu’il faut investir. Deux chemins qui divergent à un certain moment, les ressources de l’Etat ne pouvant pas satisfaire les deux priorités en même temps.

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De l’autre côté du miroir : le Maranhão poche de misère

« Puisqu’il n’est pas possible de

surmonter la misère, autant s’en servir pour survivre ». Fort de cette

maxime, Junior Rachid s’est lancé dans le seul commerce qui fait recette

à Coroatá, une petite bourgade du centre du Maranhão, à 276km de la

capitale de l’Etat, São Luis, dans le Nord-Est. Il s’est acheté un autocar

vieux de 22 ans et transporte clandestinement des ouvriers

saisonniers vers les plantations de canne à sucre du Sud-Est et du

Centre-Ouest du pays.

« A chaque voyage, j’emmène 50 personnes pleines d’espoir et je les ramène pleines de désillusions ». C’est un des portraits de cette immense pauvreté qui frappe encore une grande partie du Brésil rural. A Coroatá, 3 agences de voyage du même genre disputent à Junior Rachid le marché des « touristes de la misère ». Toutes font miroiter aux désœuvrés des espoirs de richesse qui ne se concrétisent jamais.

500’000 à 1 million de personnes émigrent ainsi de façon saisonnière dans l’ensemble du Maranhão. Un Etat formé en bonne partie par de grandes propriétés terriennes presque à l’abandon, parcourues par un bétail rachitique, et de maigres parcelles d’agriculture vivrière. Seules quelques plantations de palmiers « babaçu » dont on extrait péniblement une huile difficile à commercialiser apportent un maigre revenu dans ces campagnes désolées.

Monopole de la terre égale misère

Marcelo Sampaio, professeur au Centre des Sciences Humaines de l’Université Fédérale de São Luis revient sur les causes de cette misère qui n’en finit plus : « dans les années 1960, le Gouverneur de l’Etat José

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Sarney (il sera élu Président du Brésil en 1985 et est aujourd’hui à la tête du Sénat, voir Vision Brésil n°24, mai 2011 : Impunité, trafic d’influence et favoritisme, le retour des mauvais côtés de la politique brésilienne), promulgue la Loi des Terres. Sous prétexte de moderniser le Maranhão, il introduit dans la région les grands latifundios, financés avec l’argent public de la SUDENE, la Surintendance de Développement du Nord-Est.

Afin de profiter des largesses de l’Etat en matière d’exemption fiscale, les propriétaires de ces grands domaines y introduisent un élevage extensif de piètre qualité. Le but n’est pas de rentabiliser l’exploitation, mais de toucher les subventions de la SUDENE. Ce monopole improductif sur la terre s’est perpétué jusqu’à aujourd’hui ».

Avec des conséquences dramatique sur les indicateurs sociaux : selon le recensement 2010, 72% des habitants de plus de 10 ans de la région de Coroatá n’ont pas terminé l’école primaire. D’après la Commission Pastorale de la Terre, plus de la moitié des 60’000 habitants de la ville sont au bénéfice de l’assistance, à travers le régime des retraites rurales ou celui de la Bourse Famille. Un subside insuffisant pour satisfaire les aspirations des jeunes de la région, qui, faute de perspective d’emploi, recourent aux services de Junior Rachid et

de son bus pour aller couper la canne dans le Sud-Est ou le Centre-Ouest.

Une errance sans fin

« Quand je réussis à couper 300 mètres de canne par jour là-bas, je touche 1’200R$ à la fin du mois. Ici, il aucun travail ne paye cela ». Antonio Carlos Gomes, 31 ans, a déjà fait 2 fois l’aller et retour pour Uberaba dans le Minas Gérais et Guaribas dans l’Etat de São Paulo. En 2006 et 2009. Marié et analphabète, père de 2 enfants, il vit aujourd’hui des maigres ressources de son potager. Il aimerait bien repartir travailler au Sud, mais il n’a pas encore réussi à amasser les 170R$ que coûtent le voyage.

Il n’est pas sûr non plus qu’il puisse trouver un emploi aussi facilement que lors de son dernier déplacement. La mécanisation croissante de la récolte de la canne à sucre a fait fléchir la demande en main d’œuvre, et le durcissement de la répression contre le travail esclave a raréfié la présence des recruteurs pour le Sud à Coroatá.

Désormais, ceux qui partent ne savent pas nécessairement où ils vont, ni quel à quel travail ils sont assignés. C’est ainsi que lors d’un récent voyage, le bus de Junior Rachid et ses 40 passagers, qui devaient se rendre dans les champs de canne de l’Etat de São Paulo, ont été

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détournés à la dernière minute vers Macaé, dans le nord de l’Etat de Rio de Janeiro. Ils sont venus y renforcer 300 hommes occupés sur un chantier d’Etat du programme « Minha Casa, Minha Vida » de construction de maisons subventionnées pour les catégories les plus pauvres de la population. L’histoire ne dit pas combien de ces « chargés de travaux » étaient au bénéfice d’un contrat de travail en bonne et due forme. Aucun des passagers du bus de Junior Rachid en tout cas n’en bénéficiait.

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Social en bref, mai 2012

Droit à la terre pour les indiens ; préférence raciale dans les universités ;

travail esclave légitimé ? Fin des privilèges syndicaux ?

Les indiens Pataxós Hã-

Hã-Hãe viennent de remporter une victoire au

Tribunal Suprême Fédéral : les droits de

propriétés des occupants non indiens des terres

situées à l’intérieur de leur réserve Caramuru-

Catarina-Paraguasu, au sud de la Bahia, ont été

abolis. Les fazenderos installés sur les lieux vont devoir partir. Il a fallu 30 ans de lutte (l’origine du conflit

remonte aux années 1980) pour arracher cette décision. Les sages du Tribunal Suprême ont finalement admis que « la terre est pour un indien plus qu’un bien matériel, qu’elle

fait partie de leur âme ».

Cette reconnaissance juridique d’une valeur culturelle d’un bien est inédite au Brésil. Elle risque de déclencher une cascade d’autres revendications indigènes du même type. Déjà dans le Mato Grosso do Sul, plusieurs fazendas situées à l’intérieur d’une réserve indigène viennent d’être occupée par des tribus indiennes qui les considèrent comme siennes.

La multiplication de ces conflits s’explique aussi par un retour général à la terre des peuples indigènes. Selon le recensement général de 2010, les deux tiers d’entre eux vivent désormais en zone rurale, contre 52% seulement en 2000. La population indienne vivant en ville a diminué de 17%. « L’immigration de retour », liée à la croissance économique et au développement des régions de l’intérieur du Brésil est un des facteurs qui explique ce phénomène, mais le réveil de la conscience indigène compte aussi pour beaucoup dans ce retour sur les terres de leurs ancêtres.

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Préférence raciale dans les universités

La préférence raciale pour l’entrée à l’Université est désormais légale au Brésil. Le Tribunal Fédéral Suprême vient de le décider, suite à une plainte déposée contre l’Université de Brasilia, accusée de violer la Constitution parce qu’elle pratique une telle politique de préférence raciale. Les juges suprêmes ont prononcé ce verdict à l’unanimité, sanctionnant le fait qu’il existe bel et bien une forme de discrimination raciale à l’égard des noirs au Brésil, et que « l’égalité ne se construit pas par inertie, mais par le biais de l’action ».

Cette vision des choses n’est pas partagée par tous dans le monde académique. Yvonne Maggie, par exemple, chercheuse en anthropologie à l’Université Fédérale de Rio de Janeiro s’y oppose farouchement : « je vais respecter la décision du STF, mais je crois qu’elle inaugure une règle d’Etat qui divise les citoyens selon leur race. Cela est contraire à la Constitution qui prône l’égalité entre tous, une des plus grande conquête de l’humanité dans le domaine des droits de l’homme ».

D’autres voix demandent que cette préférence soit étendue aux couches défavorisées de la population et qu’on réserve aussi des places à l’université pour les pauvres quelque soit leur race. Les quotas pour les noirs dans les Hautes Ecoles existent depuis 2003. Ils se sont peu à peu généralisés. Actuellement, 70 des 98 universités publiques du pays les ont adoptés. Au total, 22,6% des places sont réservées aux étudiants noirs. Les noirs représentent 51% de la population totale du pays.

Travail esclave légitimé ?

Le gouvernement a soumis au Parlement un projet de loi visant à durcir le combat contre le travail esclave. Le texte propose l’expropriation pure et simple des entreprises prisent en flagrant délit. C’était sans compter avec le lobby des propriétaires terriens au Congrès, qui ont fait capoter la chose en première lecture. Fort de cette victoire, les « ruralistes » exigent maintenant une redéfinition de ce qu’est le travail esclave.

Actuellement, la loi retient quatre critères pour définir cette pratique dégradante : la

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coercition, la privation de liberté de circuler, un nombre d’heures de travail exhaustif et des conditions d’emploi dégradantes. Moreira Mendes, porte-parole des « ruralistes » à la Chambre Basse explique que son groupe veut supprimer de la définition du travail esclave les deux derniers critères (travail exhaustif et emploi dégradant), car « ils permettent une interprétation subjective et abusive des faits par les autorités de surveillance ».

Alors que la discussion s’éternise au Parlement, les autorités continuent à « libérer » des employés victimes de travail esclave un peu partout : 90 d’entre eux ont été découvert récemment sur un chantier de construction du programme social de construction de logements populaires « Minha Casa, Minha Vida », financé par le Gouvernement Fédéral et la banque publique Caixa Economica.

Fin des privilèges syndicaux ?

Il a fallu plusieurs semaines à la Présidente Dilma Rousseff pour qu’elle réussisse à désigner, en la personne de Brizola Neto, son nouveau Ministre du Travail. Il va remplacer Carlos Lupi,

contraint à la démission pour corruption en décembre dernier. La difficulté venait du fait que la Présidente voulait nommer quelqu’un émanant du monde syndical, lequel était très divisée sur le nom à choisir. Enjeu, la défense ou la remise en cause du pactole grâce auquel les leaders syndicaux assurent l’existence de leurs institutions et la leur propre.

2,4 milliards de R$ (1,13 milliards de CHF /950 millions d’!) par an sont en effet prélevé par l’Etat, sous forme de contribution obligatoire des entreprises, et redistribuée aux

syndicats qui en ont ensuite le contrôle exclusif. Les patrons qui payent et les salariés qui cotisent n’ont pas leur mot à dire ! Cette curieuse mesure est inscrite dans la Constitution de 1988. Il faudrait l’accord de 2/3 des Chambres pour l’abolir. C’est une majorité impossible à atteindre sur ce sujet.

Cette directive avait été adoptée au lendemain de la dictature militaire, pour garantir une liberté d’existence, alors encore balbutiante, aux syndicats. Son effet pervers a été leur pulvérisation. Le Ministère du Travail légalise chaque année 1’200 nouvelles entités syndicales qui toutes réclament leur part du gâteau. Les syndicats sont aujourd’hui 20’000 au Brésil, pour 41 millions de travailleurs qui contribuent à l’impôt syndical.

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Le jeune Ministre Brizola Neto, petit-fils de Leonel Brizola, une des grandes figures de la résistance contre le régime militaire, veut lui, limiter le nombre de syndicats et abolir l’obligation de la cotisation. L’idée plaît à la Présidente, mais, on s’en doute, à aucune des centrales syndicales du pays, qui pourtant appuient la majorité gouvernementale en place. La croisade du nouveau Ministre du Travail sera longue et ardue.

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Economie, mai 2012 : 2000-2010, portrait du Brésil - 3 L’émergence de l’Etat S.A.

L’affaire est emblématique.

L’entreprise de construction Delta est accusée de servir de

couverture à un schéma mafieux pour blanchir l’argent de loteries

clandestines et financer des pots de vins à des politiciens.

Problème, Delta est le principal opérateur des grands travaux du

Programme d’Accélération de la Croissance, le PAC, lancé par le

gouvernement en 2007.

Empêtrée dans cet imbroglio politico-juridique, Delta n’obtient plus de crédit des

banques, l’entreprise est au bord de la faillite. Un désastre pour le gouvernement si cela se concrétise et des retards importants pour les aménagements en cours en vue de la

Coupe du Monde de Football de 2014 et des J.O. de 2016. Plusieurs et non des moindres sont à la charge de Delta.

La parade vient d’être trouvée : Delta sera absorbée par le holding JBS, premier producteur mondial de viande, dont les activités ne cessent de se diversifier. L’ancien Président de la Banque Centrale Henrique Meirelles, qui siège au Conseil d’Administration de JBS est pressenti pur prendre la direction de Delta.

Détail qui a son importance : la Banque Nationale de Développement Economique et Sociale, un organe public, contrôle 31% du capital de JBS. Les caisses de pension de la fonction publique Previ, Petro et Funcep sont d’autres importants actionnaires de JBS. La famille Batista, fondatrice de l’entreprise, – qui n’était à l’origine qu’un abattoir dans le Minas Gerais -, ne détient que 44% des parts de la holding.

Une bonne affaire et une grande faveur

« JBS va faire une grande faveur au gouvernement et une très bonne affaire, après avoir fait de très bonnes affaires grâce à l’aide du gouvernement » persifle Miriam Leitão, journaliste

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économique au quotidien Globo. C’est en effet grâce à l’entrée dans son capital de la BNDES que la Holding JB est devenue en 2009 la première entreprise mondiale de conditionnement de viande. C’est encore grâce à un prêt de 2,7 milliards de R$ (1,4 milliards de US$) de la BNDES que JB Holding construit aujourd’hui dans le Mato Grosso do Sul, la plus grande fabrique de

cellulose du monde, Eldorado Celulose e Papel. C’est enfin grâce à l’aval la BNDES que JB Holding s’apprête à devenir un des principaux constructeurs des infrastructures pour la Coupe du Monde de 2014 et les J.O. de 2016, à travers l’absorption de Delta.

Cette histoire illustre à la perfection la stratégie économique suivie par le gouvernement Lula depuis 2003 et reprise aujourd’hui par Dilma Rousseff : choisir des entreprises phares dans des secteurs clés pour en faire des « champions nationaux de la croissance », et les investir massivement pour en contrôler le développement, quand il ne s’agit pas tout simplement de créer des entreprises d’Etat ou d’amplifier leurs activités.

A côté de JBS, on compte en effet au sein de ces « champions nationaux » le géant du fer Vale (une multinationale privatisée en 1997 mais dont l’Etat, associé aux fonds de pension des caisse de retraites des fonctionnaires, détient une part importante des actions), ou Petrobras, la multinationale publique du secteur pétrolier et ses subsidiaires. Ou encore les « dérivés » de la Banque du Brésil, BB Money Transfers, BB Turismo, BB Seguros e Participações, BB USA holding Co, etc.

Capitalisme de camarades

En tout, d’après la revue Epoca qui a mené l’enquête, 675 entreprises brésiliennes sont aujourd’hui sous l’emprise du gouvernement. 276 sont directement dans les mains des pouvoirs publics, qui détiennent par ailleurs des parts minoritaires dans 399 autres. Ce contrôle s’exerce par le biais du Trésor National (65

entreprises), de participations directes ou indirectes d’autres entreprises d’Etat (580 entreprises) ou de participations directes ou indirectes des fonds de pensions publics. Le chiffre d’affaire cumulé des ces établissements sous influence représente 30% du PIB et équivaut à deux fois le total des ventes des 50 plus grandes entreprises privées du pays.

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Fabio Kanzuc, économiste à l’Université de São Paulo surnomme ce « capitalisme de copinage » de « capitalisme de camarades » et considère qu’il est néfaste pour le pays. « Cela rappelle les pires années de la dictature, durant la décade 1970. La BNDES, en privilégiant ces champions, pénalise les petites et moyennes entreprises qui sont le tissu de la croissance nationale. Enfin, le contrôle des pouvoirs publics sur la marche de ces géants permet de placer en toute discrétion ses amis politiques là où il faut, quand il le faut, sans le moindre souci des critères d’efficience. »

Luiz Crysostomo de Oliveira, ancien responsable des privatisation à la BNDES, abonde : Lula et Dilma veulent mettre en place un Etat économiquement fort. On a déjà connu ça dans les années 1950. Mais le contexte était alors différent. A cette époque, le Brésil ne parvenait pas à

attirer les capitaux extérieurs. Il fallait donc que l’Etat s’implique dans le développement. Aujourd’hui la situation est totalement différente : les investisseurs sont au rendez-vous, il faut donner de l’espace au secteur privé qui est plus dynamique que les pouvoirs publics ».

Un modèle intermédiaire de développement ?

Réponse de Murillo Barella, du Département de Coordination et de Gouvernance des Entreprises d’Etat au Ministère de la Planification : « il est vrai que l’Etat doit maigrir, mais il ne peut pas être complètement absent de la scène économique. Le capitalisme brésilien a des retards qu’il faut corriger. Je dirais que le modèle que nous suivons actuellement est un intermédiaire entre l’Etat entrepreneur et l’Etat régulateur. »

Les chiffres sont cependant précis, la stratégie actuelle va nettement dans le sens du renforcement de l’Etat entrepreneur : il y avait 252 entreprises publiques à la fin du régime militaire en 1985, il en restait 107 à l’investiture de Lula pour son premier mandat en 2002, elles étaient 147 à la fin 2011. La BNDES a dépensé 60 milliards de R$ en prise de participation dans les entreprises en 2002, et 168 milliards en 2009, presque 3 fois plus.

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Economie en bref, mai 2012

Baisse du réal et chute des taux d’intérêt ; un Brésil plein de gaz ; La

LATAM est née ; marée rouge dans les ports

Retournement de situation: après avoir touché

le plancher en début d’année, le dollar américain atteint des sommets face à la

monnaie brésilienne, 2 R$ pour 1 US$. Et les banques baissent leur taux d’intérêt, sur

l’injonction de Dilma Rousseff qui a déclenché ce mouvement, annonçant dans son allocution

du 1°mai (une des rares occasions où la Présidente adresse un discours à la Nation),

qu’elle voulait un Brésil dont les taux soient compatible avec le marché international. Ordre

a été donné à la Banque du Brésil et à la Caixa Economica, deux institutions financières

publiques de s’exécuter et de baisser le coût des crédits aux consommateurs. Ce coup de pied dans la fourmilière a pour but de relancer la consommation intérieure qui

s’essouffle, pour assurer l’objectif de croissance du PIB 2012, fixé aux environs de 4%.

Les banques privées ont été contraintes de faire le ménage et de baisser leur spread. Le spread, c’est la différence entre ce que coûte l’argent emprunté par un établissement financier et celui qu’il fait payer à ses clients lorsqu’il octroie un crédit. Au Brésil, le spread se situe autour de 30 points. Les consommateurs ont payé 194 milliards de R$ d’intérêt en 2011, soit 3’600R$ par personne en moyenne (1’700 CHF / 1’400 !). C’est trop estiment les autorités.

Les banques justifient ce tarif en expliquant que l’Etat ponctionne une bonne partie du spread sous forme de garanties pour assurer la stabilité du système bancaire. L’explication ne convainc pas la revue américaine « The Economist » : 30 points de spread, c’est abusif, le spread moyen en Amérique latine est de 5 points et dans les pays les plus avancés il est même inférieur.

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Avant même de réussir à stimuler la consommation, cette baisse des taux s’est traduit par une baisse une R$ face au dollar. Cela va certes favoriser les exportations, mais à contrario, la dette extérieure des entreprises brésiliennes, qui est en calculée en dollar, a augmenté d’environ 18 milliards de R$ (8,5 milliards de CHF /7,1 milliards d’!) en moins d’une semaine ! A quoi s’est ajouté un exode massif des capitaux spéculatifs.

Selon l’indice MSCI de la banque Morgan Stanley, les investisseurs ont retiré 869 millions de US$ des fonds d’actions du pays depuis le début de l’année, ramenant le niveau des investissements étrangers en bourse à ce qu’il était en 2006. Les autorités et surtout les industriels s’inquiètent maintenant du comportement en dents de scie du change. En janvier, le dollar américain coûtait moins de 1,70 R$, aujourd’hui il est à 2 R$, cela rend difficile la planification des activités sur le moyen et long terme.

Un Brésil plein de gaz

C’est la nouvelle frontière énergétique du pays. Le Brésil renferme de gigantesques réserves de gaz dont 96% ne sont pas exploitées. Jusqu’à présent en effet, seul le gaz associé au pétrole off shore était extrait. Le gaz terrestre n’a jamais été considéré comme un potentiel intéressant. Or des études géologiques menées par l’ANP, l’Agence Nationale du Pétrole, ont révélé que la production brésilienne pouvait augmenter de 360% dans ce

domaine d’ici 2025 et que le pays pourrait être autosuffisant d’ici 5 ans.

La production de ce gaz terrestre deviendrait rentable grâce aux nouvelles technologies mises au point ces dernières années, qui ont largement fait baisser les coûts d’exploitation. Ce serait aussi une énergie moins polluante que le pétrole et le charbon, une « énergie de transition vers une matrice complètement propre d’ici 2050 » affirme Ricardo Baltelo coordinateur de la Campagne pour les énergies renouvelables de Greenpeace, qui soutient l’idée.

Reste un détail, qui a son importance ! La plupart des réserves de gaz brésilien sont concentrées dans des couches de roches feuilletées. C’est l’équivalent du gaz de schiste dont l’extraction fait polémique, notamment aux Etats-Unis car il contamine les nappes phréatiques. En Europe, la France a même renoncé à exploiter ce gaz de schiste sur son territoire à cause des risques que cela comportait…

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La LATAM est née

Presque deux ans après l’annonce du projet de fusion entre la compagnie aérienne brésilienne TAM et la chilienne LAM, la LATAM voit le jour. C’est la plus grande compagnie aérienne d’Amérique latine et une des plus importante du monde. Les actionnaires ont un mois pour échanger les titres TAM contre des titres LAN, au cours de 1 « TAM » pour 0,9 « LAN », qui deviendra ensuite une action « LATAM ». Personne ne conteste l’intérêt économique de l’opération, les synergies prévues doivent

entraîner 700 millions de US$ d’économie par an pour les 2 compagnies. Les coûts opérationnels de la LAN chilienne sont exemplairement bas, ce qui devrait aider la TAM, dont les dépenses d’exploitation sont nettement plus élevées, à améliorer sa rentabilité, même si les deux compagnies vont continuer à voler sous leurs bannières respectives.

Les analystes financiers eux, ne débordent pas d’enthousiasme : « le secteur aérien dans son ensemble n’est pas un investissement très rentable, explique-t-on au cabinet XP Investissement de São Paulo. A cause de la volatilité des prix du carburant et de la guerre des tarifs, les marges sont faibles ». Pour exemple, au premier semestre 2012, le bénéfice de la TAM a reculé de 20,5% en comparaison avec les chiffres du 1er semestre 2011.

La TAM dessert 49 destinations au Brésil et 19 dans le reste du monde, surtout en Amérique latine et aux Etats-Unis avec une flotte de 156 avions. Elle emploie 29’768 salariés. La LAN possède 150 appareils dont 14 avions cargo et vole vers une centaine de destinations dans le monde entier. Ses employés sont au nombre de 21’838.

Marée rouge dans les ports

4 mois pour se faire livrer une commande postale depuis l’étranger ! La grogne monte chez les usagers, qui lancent une pétition contre « l’inefficacité de la Recette Fédérale du Brésil ». Déjà plus de 700 signatures ont été récoltées. A l’origine de ces retards, l’opération « Marée rouge » dans les ports et les aéroports pour lutter contre la contrebande. Les fonctionnaires des douanes ont décidé de renforcer les contrôles, du coup les embouteillages de colis et de bagages se multiplient.

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Il n’y a pas que des consommateurs frustrés qui protestent, les entreprises aussi, pour qui le retard des commandes désorganise toute la production. L’an dernier, c’est plus de 4,78 millions d’envois de marchandise qui ont été faits depuis l’étranger vers le Brésil par voie postale. La majorité concerne des achats par internet. Commandé sur la toile, les produits coûtent en moyenne 60% moins cher qu’en magasin, à condition de ne pas devoir payer les droits de douane. En est exempté chaque achat effectué pour son usage personnel dont la valeur est inférieure à 50 US$. On imagine le festival de trucs et de combines pour bénéficier de cette faveur, et on comprend pourquoi autant de paquets postaux transitent par la Recette Fédérale.

« Marée rouge » a débuté le 19 mars et les contrôles vont se poursuivre indéfiniment. Les livraisons vont donc continuer à prendre du retard. Suffisamment peut-être pour décourager les acheteurs et les ramener vers les étals du pays. On murmure en tout cas que ce serait le « vrai objectif » de l’opération. Une forme de protectionnisme déguisé qui ne dit pas son nom…

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Environnement, mai 2012 : 2000-2010, un portrait du Brésil - 4

Le climat étouffé par les villes

Encore une année climatique folle au Brésil, la troisième en 3 ans. 33 villes d’Amazonie dont Manaus sont en état d’urgence depuis plusieurs semaines, à cause d’une crue sans

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précédent du Rio Negro et de ses affluents : 29 mètres, du jamais vu depuis 1903, date de

la première année de mesure. Et il n’arrête pas de pleuvoir. Le pic devrait être atteint mi juin seulement.

A 2’000km de là, le sertão du Nord-Est connaît la pire sécheresse de ces cinquante dernières années. Il n’a pas plu depuis 80 jours dans une cinquantaine de villages et il

n’y pleuvra pas avant plusieurs mois car de mai à novembre, c’est la saison sèche dans cette région. La faute au ciel ou aux gens ?

Aux deux répondent les spécialistes, cela dépend du point de vue qu’on adopte. Il y a une nette accentuation des extrêmes climatiques au Brésil ces dernières années, cela peut-être passager ou dénoter un effet du réchauffement à plus long terme. Mais il y a surtout une urbanisation désordonnée dont la conséquence est une multiplication des victimes de ces

désordres climatiques.

Sécheresses et inondations main dans la

main

Prenons l’Amazonie : 2009 et 2012, inondations et crues ; 2005 et 2010, sécheresse persistante. Prenons le Nord-Est : depuis 3 ans, des pluies catastrophiques noient la zone littorale alors que le sertão n’a pratiquement pas vu une goutte d’eau. En 2008 et 2009 par contre, ce même sertão a connu des inondations à répétition ! Prenons le Sud et

le Sud-Est enfin, pluies et glissements de terrain meurtriers à Angra dos Reis et Rio de Janeiro en 2009 ; inondations dans l’Etat de Santa Catarina en 2010 ; à nouveau pluies et glissements de terrain dans les montagnes de l’arrière pays de Rio de Janeiro dévastées par un orage cataclysmique en 2011, 900 morts ; sécheresse persistante dans le Rio Grande do Sul en 2012.

« Indéniablement le climat se modifie, affirme Carlos Nobre, climatologiste responsable des programmes de recherche au Ministère des Sciences et Technologie et cela va affecter plus particulièrement les population des Etats du Sud et du Nord-Est ». Non pas à cause des caprices du ciel, mais de la concentration anarchique de l’habitat.

Le gros des risques climatique dans les villes

30 millions de personnes vivent aujourd’hui dans des zones à risques, sujettes à des glissements de terrain ou des inondations. Si rien ne change, 42 millions de brésiliens seront dans cette situation en 2030. Les chiffres proviennent d’une étude sur les catastrophes naturelles menée par la compagnie de réassurance SwissRé.

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Ces prédictions sont confirmées par une étude de l’Institut National d’Etudes Spatiales, l’INPE, qui a croisé les modèles climatiques avec l’IDH, l’indicateur de développement humain des principales villes brésiliennes. La conclusion est claire : c’est dans ces agglomérats urbains que les populations sont les plus vulnérables au changement climatique. « En cas de persistance du réchauffement, les habitants des quartiers pauvres de São Paulo, Rio de Janeiro, Belo Horizonte et Manaus seront les premiers menacés.

Ensuite ce seront les campagnes du Nord-Est. Comme cette hypothèse du réchauffement semble la plus plausible, il est urgent d’agir » commente l’écologiste David Lapola, professeur à l’Université de Rio Claro et responsable de cette étude.

Des secours qui reviennent 10 fois plus chers que la prévention

Entre 2004 et 2010, les autorités ont investi 280 millions de US$ dans des ouvrages de prévention et dépensé 2,6 milliards de US$ pour porter secours aux populations victimes de catastrophes climatiques. Le rapport entre les deux chiffres est éloquent ! « Le grand problème, analyse Claudia Garcia de Melo, la représentante de SwissRé pour le Brésil, c’est qu’aujourd’hui, on agit après la tragédie, mais on ne fait rien pour la prévenir. Ce qui reviendrait pourtant beaucoup moins cher ». C’est dans les périphéries des villes que le coût humain des catastrophes est le plus lourd parce que l’habitat y est souvent précaire et que les autorités ne contrôlent pas la prolifération des constructions sauvages. Or la population brésilienne vit à 75% dans les villes !

De l’eau, beaucoup d’eau, trop d’eau, mais toujours au mauvais endroit

On retrouve cette absence de « culture de la prévention » dans les régions rurales du sertão nordestin. Là, la sécheresse a commencé en 2011. Elle touche maintenant 26 millions de personnes et menace de se prolonger pour plusieurs mois parce qu’on entre dans la saison sèche. Le gouvernement a investi 2,7 milliards de R$ (1,3 milliards de CHF /1 milliard d’!) dans un programme d’urgence intitulé

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« bourse sécheresse » pour aider les petits agriculteurs à passer le cap, mais pas grand chose pour retenir l’eau.

« Le plus incroyable, s’indigne João Suassuna, agronome à la Fondation Joaquim Nabuco de Recife, c’est qu’il ne manque pas d’eau dans la région. Le Nord-Est possède 37 milliards de m3 stockés dans 70’000 lacs de retenue. C’est le plus grand volume d’eau au monde dans une région semi-aride. Ce qui fait défaut ici, c’est une politique cohérente pour utiliser ce potentiel à bon escient et éviter que l’eau ne s’évapore dans les périodes de grand ensoleillement. »

Prévisions de crues en Amazonie

Pour ce qui est de l’Amazonie, l’adaptation au changement climatique risque d’être plus compliquée. « Les météorologues sont aujourd’hui capables de prévoir les grandes crues des fleuves de la région, mais si les extrêmes qu’on voit aujourd’hui continuent à se manifester, cela ne sera pas suffisant pour éviter des catastrophes. Manaus, par exemple a été construite pour résister à une crue de 30 mètres, pas plus ! Il faudra peut-être songer à retirer les populations des iguarapés le long desquels elles vivent car ces lieux ne

seront plus assez sûrs ».

Les igarapés, ce sont des bras de rivière qui s’enfoncent dans la forêt et abritent une riche faune marine. Ce sont les lieux privilégiés d’habitat des populations riveraines de l’Amazonie. Si leurs habitants doivent les quitter, ils n’auront d’autre ressource que de venir grossir les périphéries des villes de la région, des villes qui connaissent elles aussi des inondations dans leurs quartiers périphériques.

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Environnement en bref, mai 2012

Nouveau code forestier, voté mais pas encore sur les rails; révision du programme nucléaire ; l’électricité de Belo Monte ; sauvez le dauphin franciscain!

La Chambre des Députés a infligé un camouflet au Gouvernement en votant le texte du nouveau code forestier dans une version en contradiction avec celle qui avait été adoptée

au Sénat l’an dernier. La nouvelle formulation représente une victoire pour les « ruralistes ». Elle supprime notamment l’obligation de reboiser ce qui été défriché au

bord des rivières de plus de 15 mètres de large. Une disposition considérée comme une

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amnistie de fait au déboisement illégal.

La Présidente Dilma Rousseff a déjà fait savoir qu’elle mettrait son veto à cet article 62 et qu’elle publierait dans la foulée une mesure provisoire pour combler le vide juridique. Ce faisant, elle honorera un engagement pris durant sa campagne électorale de faire avancer la cause de la protection des forêts. On suppute qu’elle rendra public sa décision à l’occasion de la Conférence environnementale Rio+20, afin de gommer l’effet négatif de ce vote pour l’opinion publique internationale.

La Présidente est maintenant mise sous pression par les écologistes afin qu’elle oppose son veto à d’autres dispositions de la loi : les défenseurs de l’environnement n’acceptent pas que les zones de mangroves ne soient plus considérées comme réserves à protéger, ni l’autorisation donnée d’implanter des « activités d’agriculture et d’élevage sur les sommet des montages ». Selon eux, cela ouvre la voie à la généralisation de l’élevage sur les crêtes des monts et des collines, un facteur d’accélération de l’érosion.

Mis bout à bout, toutes ces demandes ressemblent fort à une remise sur le métier complète du nouveau code forestier, ce qui permettrait de reprendre la discussion sur d’autres bases, ce que souhaitent les écologistes.

Révision du programme nucléaire

Le Brésil n’a pas été aussi loquace que les pays européens sur l’avenir de sa politique nucléaire au lendemain de la catastrophe de Fukushima. Il est vrai que pour le moment seules 2 tranches d’une centrale nucléaire fonctionne dans le pays, Angra 1 et Angra 2, à Angra dos Reis, dans l’Etat de Rio de Janeiro. Une 3ème tranche, Angra 3, est en construction.

Ce sera la dernière, promettent maintenant les autorités. Après cela, le Brésil

renoncera à développer la filière nucléaire et tablera sur sa matrice énergétique hydraulique. La décision divise déjà les écologistes : d’un côté ils applaudissent l’abandon des usines atomiques, de l’autre, ils s’inquiètent du fait que d’ici 2021, l’énergie nucléaire devrait être remplacée par des sources hydro-électriques. Donc des barrages à grande capacité. La majorité des projets envisagés dans ce domaine, une vingtaine en tout sont concentrés sur les rivières d’Amazonie.

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L’électricité de Belo Monte

C’est la confirmation de ce qu’on savait déjà, 70% des 11’000 mégawatts que va produire l’usine hydro-électrique de Belo Monte, en construction sur le Rio Xingu, ne desservira pas l’Amazonie. Mauricio Tolmasquim, Président de l’Entreprise de Recherches Energétiques (EPE) vient en effet de dévoiler les plans de construction de deux lignes électriques à très haute tension de respectivement 2’575 km et 2’050 km, qui transportera 70% de l’électricité produite à Belo Monte jusque dans les Etats de Minas Gerais et de Rio de Janeiro. La construction de ces deux lignes en courant continu de 800kV (kilovolts) reviendra à 8 milliards de R$ (3,8 milliards de CHF /3,1 milliards d’!).

Mauricio Tolmasquim défendra son projet au forum sur l’économie verte de Rio +20, en argumentant que le Brésil ne doit pas remettre en cause la construction d’usines hydro-électriques nécessaires à la poursuite de son développement, « car cela permet au pays d’émettre 100 fois moins de gaz à effet de serre que la Chine ».

A Rio de Janeiro, le Président de l’Entreprise de Recherches Energétiques a peut-être aussi rendez-vous avec la contestation. Un grand rassemblement des peuples indigènes viendra lui donner la réplique, dans l’espace consacré au « Sommet des Peuples, sur les conséquences sociales des changements climatiques », installé dans le parc de Flamengo au centre ville. La construction des grands barrages en Amazonie sera au centre des débats.

Sauvez le dauphin franciscain

C’est un dauphin discret, plutôt petit, qui aime vivre dans les eaux tranquilles et déteste l’agitation. C’est pourquoi on ne le croise pas facilement le long des côtes brésiliennes. Le dauphin franciscain ou dauphin de la Plata, appelé « toninha » en portugais, est en fait membre de la famille des dauphins de rivière, au même titre que le dauphin rose de l’Amazone. Mais il est le seul à vivre dans des estuaires aux eaux salées plutôt que d’habiter les eaux douces

des fleuves.

L’espèce est aujourd’hui menacée par l’activité humaine et notamment le trafic maritime le long des côtes, qui perturbe gravement son équilibre quotidien. Une importante colonie a trouvé refuge dans une baie tranquille de l’Etat de Santa Catarina, la baie de Babitonga où une équipe de chercheurs scrute ses habitudes au moyen d’une surveillance par satellite. Le relatif isolement de l’endroit permet en effet d’étudier les spécificités génétiques de cette espèce, afin de contribuer à sa préservation.

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Cet ultime refuge est aujourd’hui en danger, un projet de port commercial à l’intérieur de la baie de Babitonga est à l’étude. A l’occasion de Rio +20 et en collaboration avec le WWF brésilien, une campagne a été lancée pour sauver les « toninhas » de la baie de Babitonga et récolter des fonds pour renforcer l’équipe de recherche qui les étudie sur place. (www.querovertoninha.com.br)

!!!

Débat d’idée mai 2012, 2000-2010 un portrait du Brésil - 5

Une nouvelle pensée de droite

Cela fait 10 ans, depuis l’élection de Lula

en 2002, que la gauche est au pouvoir au Brésil. La gauche et sa pensée dite

progressiste, ses théoriciens du « politiquement correct », qui ont réduit

le débat d’idées à peu de chose, un débat dont pourtant cette gauche était le

moteur lorsqu’elle était dans l’opposition. Aujourd’hui, la droite

classique a peine à exister. Même lors des élections présidentielles de 2010,

l’opposition au Parti des Travailleurs se définissait comme une force de « centre-gauche ».

Mais une poignée d’intellectuels qui se réclament d’une idéologie néo-conservatrice est en train de relever le nez et alimente les rubriques de commentaire des principaux

quotidiens du pays. Ces nouveaux tenant de la pensée ultra-libérale se distinguent cependant plus par leurs attaques contre le pouvoir en place que par leurs idées

alternatives.

Au sein de ces « mousquetaires de la nouvelle droite », on trouve le philosophe Denis Lerrer Rosenfield, professeur à l’Université Fédérale du Rio Grande do Sul, un grand pourfendeur du MST, le Mouvement des Sans-Terre, et de tous les bénéficiaires de la réforme agraire, indiens, noirs descendants d’esclaves et défenseurs des réserves écologiques. Au nom de la protection de la propriété privée : « Si être

de droite au Brésil, c’est défendre la liberté

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individuelle et la propriété, alors oui, je suis de droite et j’en suis fier ».

Des intellectuels trop complaisants

A ses côté, le sociologue Demetrio Magnoli, qui s’attaque au « politiquement correct » des élites de la gauche au pouvoir : « les intellectuels dits

progressistes sont tous proche du

gouvernement. Ils lui ont signé un chèque

en blanc. Comme ils sont d’accord sur

tout, il n’y a plus de débat. C’est donc

nécessaire que nous jouions les fausses

notes pour réveiller ce chœur de

satisfaits ». L’historien Marco Antonio Villa est encore plus provocateur : « avec la démocratisation, les intellectuels de gauche ont

quitté la scène. Ils se satisfont des prébendes de l’Etat et ils n’ont plus d’argument pour

alimenter le débat. »

C’est dans cet état d’esprit acide qu’un autre philosophe, Luiz Felipe Pondé vient de publier un « guide politiquement incorrect de la philosophie » dont il annonce d’emblée la couleur : « ce livre a

pour intention d’être désagréable à l’égard

d’un certain type de personnes. Si vous

faites partie de ces gens, prenez note que je

suis votre fidèle et dévoué ennemi ».

Dans son pamphlet, Luiz

Felipe Pondé cultive l’irrévérence à l’égard des minorités choyées par les démocrates de gauche. C’est ainsi qu’il pourfend les féministes en défendant la prostitution (« La prostitution est la

première et la plus sublime vocation de la femme »), nie aux homosexuels le droit à l’existence (« Je ne connais pas

d’homosexuels. Mes amis disent en connaître, mais ils me font voir

des personnes qui ont comme moi deux yeux, deux mains, deux

jambes. La seule différence, c’est que ces personnes refusent de faire

partie de l’unique genre qui m’intéresse, le genre humain »).

Mort aux quotas !

Le domaine de prédilection de ces néo-conservateurs ou « néocons », comme ils se désignent eux-mêmes, ce sont les quotas sociaux. Les quotas pour les noirs dans les universités, les quotas pour les femmes dans l’administration, les quotas pour les pauvres dans la fonction publique. « Depuis quand est-il politiquement

incorrect de considérer que les noirs sont des personnes égales aux

autres ? Depuis quand est-il devenu politiquement correct de les

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discriminer ? »

Sus à la gauche !

La gauche politique au pouvoir reste bien sûr la cible privilégiée de leurs provocations, souvent assez gratuites d’ailleurs : « le Viagra

a fait plus pour l’humanité que 200 ans de

marxisme » (Luiz Felipe Pondé) ; « les

gauchistes comme les paternalistes, sont

arrogants et autoritaires. Ils considèrent les

autres comme des pièces d’un jeu d’échec

qu’ils peuvent déplacer à leur guise » (Rodrigo Constantino, économiste). Cependant, les

opposants à la majorité au pouvoir n’ont pas non plus leurs faveurs : « dans un pays où

l’opposition a renoncé au devoir de débattre des idées, le PT s’est assuré le grand privilège

de faire du mensonge sa routine » (Demetrio Magnoli).

A la différence des néo-conservateurs américains cependant, ces agitateurs de la droite brésilienne restent isolés dans leur sphère de provocation. Aucun parti, aucune figure politique ne relayent leurs idées au Parlement. Ils ne suscitent pas non plus l’adhésion d’une frange de la population, comme c’est le cas pour les néo-nazis en Europe. Et surtout, ils ne constituent pas un courant de pensée unique. C’est plutôt une addition d’individus qui animent avec un certain succès le débat médiatique, une somme de provocation, mais ne forme pas encore l’embryon d’une idéologie alternative à la gauche bien-pensante.

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