viscosités pragmatiques

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VISCOSITÉS PRAGMATIQUES Daniel Bougnoux Association Médium | Médium 2013/2 - N° 35 pages 163 à 177 ISSN 1771-3757 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-medium-2013-2-page-163.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Bougnoux Daniel, « Viscosités pragmatiques », Médium, 2013/2 N° 35, p. 163-177. DOI : 10.3917/mediu.035.0163 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Association Médium. © Association Médium. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - University of Victoria - - 142.104.240.194 - 18/04/2013 15h35. © Association Médium Document téléchargé depuis www.cairn.info - University of Victoria - - 142.104.240.194 - 18/04/2013 15h35. © Association Médium

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Page 1: Viscosités pragmatiques

VISCOSITÉS PRAGMATIQUES Daniel Bougnoux Association Médium | Médium 2013/2 - N° 35pages 163 à 177

ISSN 1771-3757

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-medium-2013-2-page-163.htm

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Bougnoux Daniel, « Viscosités pragmatiques »,

Médium, 2013/2 N° 35, p. 163-177. DOI : 10.3917/mediu.035.0163

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Association Médium.

© Association Médium. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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les anneaux d’une chaîne, non pas comme les coureurs de Lutèce qui se passent le flambeau. Nous nous tenons bien autrement. Un même esprit fluide court de générations en générations. Celui qui ne sentirait rien, qui s’isolerait dans la vie du monde, celui-là, s’il le pouvait, se réduirait à bien peu de chose. »

De ce fluide transgénérationnel, irrécusable quoique difficile à saisir, de cet impossible isolement dans un moment et un lieu d’exception, un médiologue, au moment d’évaluer les ruptures culturelles en cours, devrait tenir, me semble-t-il, le plus grand compte. Même si ce sont autant de pierres dans son jardin… Non solum in memoriam sed etiam in spem.

réGis debraY, retraité. Derniers livres  : Modernes Catacombes, Gallimard, 2013, et Le Bel Âge, Flammarion, 2013.

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Apocalypse now Régis DeBRay

Viscosités pragmatiquesDaniel Bougnoux

Le flot des innovations ou des marchandises nous pousse en avant pour trouver du nouveau ; cette course impitoyable a pourtant sa butée dans nos relations pragmatiques, qui valorisent un temps lent et long,

et changent l’obstacle de l’archaïsme en gage de succès. L’effet jogging des médiologues demande à être explicité.

J’aimerais ouvrir cette réflexion à partir d’une distinction que j’ai souvent martelée, mais qui ne va pas sans difficultés, celle

qui oppose les relations techniques, qui relient le sujet à l’objet, aux relations pragmatiques, qui relient les sujets entre eux. Les premières sont banalement descendantes : en droit (sinon toujours en fait), le sujet domine l’objet et peut donc programmer ses usages, ou anticiper son fonctionnement. Ma voiture (possessif significatif), mon ordinateur ou la perceuse avec laquelle je me propose d’opérer le béton ou le bois sont censés obéir à ma commande, et ma transcendance de sujet n’exige pas, face à ces artefacts, de négociation ni de conditions particulières – sinon, évidemment, celle d’être un opérateur compétent.

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La compétence pragmatique semble bien différente, car l’autre sujet n’a pas (sauf dans des hiérarchies dures – militaires, ouvrières, éducatives à l’ancienne ou disciplinaires) la complaisance de se laisser manipuler ni instrumentaliser, et m’oppose généralement sa propre clôture, quelle que soit notre ouverture réciproque ; dans ces relations, horizontales plus que verticales, la transcendance se négocie, et chaque sujet s’éprouve potentiellement destitué de sa souveraineté : il ne fait plus (un objet, selon le schème de l’Homo faber), mais doit faire avec (les autres sujets), dans un contexte d’incertitude foncière. C’est ainsi, pour prendre l’exemple de la relation pragmatique par excellence, qu’une conversation ne se programme pas (elle serait, dans ce cas, un interrogatoire de police), et tient son charme de ne savoir pour chacun anticiper son dernier mot, ni même la prochaine réponse. Les sujets, dans leur tréfonds, demeurent opaques les uns aux autres, et c’est précisément cela qui définit leur condition de sujet : avoir des secrets, habiter un mode irréductiblement propre, entrer dans des relations d’interprétation toujours aléatoires, observer l’observation qu’on porte sur eux et y réagir par une gamme de comportements relativement imprévisibles. À l’acmé des conduites pragmatiques, nous pourrions mentionner la relation amoureuse, dont on sait (il suffit de l’avoir éprouvée une fois) qu’elle échappe par principe à toute anticipation, ou volonté de maîtrise. On ne « fait » pas l’amour comme on fait une table.

Nos relations pragmatiques demeurent opaques, mais elles sont encore réfléchissantes-réverbérantes, ou curieusement circulaires ;

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non seulement chaque sujet, nous l’avons dit, observe la façon dont l’autre l’observe (à la différence d’une observation scientifique ou technique), mais chacun a tendance à mettre son comportement en résonance avec l’autre : selon que A aimera ou détestera B, B aura tendance à aimer ou à détester A ; si j’embarrasse quelqu’un, son embarras risque de me revenir en boomerang et de m’embarrasser, etc. Les relations de confiance, de défiance, d’estime ou de mépris sont mimétiques, et tournent dans un cercle. La communication n’est donc pas une science – ni une technique, quoi qu’en disent quelques spin doctors prompts à vanter leurs services – dans la mesure où elle n’opère jamais à la façon du marteau sur le clou. Corollairement, nous ne dirons pas que le marteau « communique » sa force au clou, et nous réserverons ce verbe aux actions de l’homme (ou du sujet animal en général) agissant sur l’homme par le détour des signes, autrement dit au moyen de relations d’interprétation, toujours ouvertes et par définition sujettes à caution. Il n’y a de communication, et de transmission, que là où le destinataire du message (qui n’est pas un clou) garde le choix de la réponse. On ne sait pas, par principe, comment le public réagira au lancement d’une campagne de publicité, d’un candidat politique, d’un film à gros budget ou d’un escompté prix Goncourt (dont le jury n’est pas manipulable) ; ni, bien sûr, une jeune personne à une déclaration d’amour. Il ne faut pas rêver dans ces domaines d’action droite, efficace à tous coups – en bref, technique. Au bilan, le propre d’une communication, entreprise pragmatique, c’est de pouvoir toujours foirer.

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La compétence pragmatique semble bien différente, car l’autre sujet n’a pas (sauf dans des hiérarchies dures – militaires, ouvrières, éducatives à l’ancienne ou disciplinaires) la complaisance de se laisser manipuler ni instrumentaliser, et m’oppose généralement sa propre clôture, quelle que soit notre ouverture réciproque ; dans ces relations, horizontales plus que verticales, la transcendance se négocie, et chaque sujet s’éprouve potentiellement destitué de sa souveraineté : il ne fait plus (un objet, selon le schème de l’Homo faber), mais doit faire avec (les autres sujets), dans un contexte d’incertitude foncière. C’est ainsi, pour prendre l’exemple de la relation pragmatique par excellence, qu’une conversation ne se programme pas (elle serait, dans ce cas, un interrogatoire de police), et tient son charme de ne savoir pour chacun anticiper son dernier mot, ni même la prochaine réponse. Les sujets, dans leur tréfonds, demeurent opaques les uns aux autres, et c’est précisément cela qui définit leur condition de sujet : avoir des secrets, habiter un mode irréductiblement propre, entrer dans des relations d’interprétation toujours aléatoires, observer l’observation qu’on porte sur eux et y réagir par une gamme de comportements relativement imprévisibles. À l’acmé des conduites pragmatiques, nous pourrions mentionner la relation amoureuse, dont on sait (il suffit de l’avoir éprouvée une fois) qu’elle échappe par principe à toute anticipation, ou volonté de maîtrise. On ne « fait » pas l’amour comme on fait une table.

Nos relations pragmatiques demeurent opaques, mais elles sont encore réfléchissantes-réverbérantes, ou curieusement circulaires ;

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non seulement chaque sujet, nous l’avons dit, observe la façon dont l’autre l’observe (à la différence d’une observation scientifique ou technique), mais chacun a tendance à mettre son comportement en résonance avec l’autre : selon que A aimera ou détestera B, B aura tendance à aimer ou à détester A ; si j’embarrasse quelqu’un, son embarras risque de me revenir en boomerang et de m’embarrasser, etc. Les relations de confiance, de défiance, d’estime ou de mépris sont mimétiques, et tournent dans un cercle. La communication n’est donc pas une science – ni une technique, quoi qu’en disent quelques spin doctors prompts à vanter leurs services – dans la mesure où elle n’opère jamais à la façon du marteau sur le clou. Corollairement, nous ne dirons pas que le marteau « communique » sa force au clou, et nous réserverons ce verbe aux actions de l’homme (ou du sujet animal en général) agissant sur l’homme par le détour des signes, autrement dit au moyen de relations d’interprétation, toujours ouvertes et par définition sujettes à caution. Il n’y a de communication, et de transmission, que là où le destinataire du message (qui n’est pas un clou) garde le choix de la réponse. On ne sait pas, par principe, comment le public réagira au lancement d’une campagne de publicité, d’un candidat politique, d’un film à gros budget ou d’un escompté prix Goncourt (dont le jury n’est pas manipulable) ; ni, bien sûr, une jeune personne à une déclaration d’amour. Il ne faut pas rêver dans ces domaines d’action droite, efficace à tous coups – en bref, technique. Au bilan, le propre d’une communication, entreprise pragmatique, c’est de pouvoir toujours foirer.

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Pourquoi rappeler ces axiomes que j’ai tendance, bien vainement peut-être si j’en crois l’image employée supra, à marteler ? Parce que si les relations techniques ont une histoire, ou, pour mieux dire, si elles constituent par excellence le marqueur de notre historicité, nos relations pragmatiques et leurs évolutions suivent un cours ou un temps beaucoup plus flou. La netteté avec laquelle nous ressentons un passage, une rupture ou un saut historiques doit beaucoup à leur techno- ou média-dépendance ; notre histoire est largement celle de nos objets, ou de nos connaissances scientifiques et/ou compétences techniques. Il serait en revanche avisé de chercher, sur le versant pragmatique de nos activités, une relative stagnation ou permanence de nos conduites.

On n’a pas plus tôt formulé ce découpage – à mon avis fécond et qu’il convient de mieux documenter – que les objections de principe affluent : notre distinction, toute polaire et conceptuelle, se heurte dans les faits à l’enchevêtrement des deux termes, et à la complexité des relations réelles. De fait, il semble difficile de trouver un cas de relation technique pure, et on se heurte vite, dans ce domaine, aux forces de frottement inhérentes aux partages et à la transmission des usages. C’est dans un monde d’ingénieur idéaliste, qui se rêve fluide et sans coefficients de frottement, que les transferts technologiques, par exemple, escomptent une efficacité qu’on peine à retrouver à l’arrivée : la mise à disposition d’ordinateurs aux élèves des écoles, l’implantation d’un hôpital ou d’un aéroport modernes dans un pays d’Afrique, la courbe extrapolant le rendement d’une

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innovation technique selon les cercles concentriques de sa diffusion, etc., pêchent toujours par l’oubli ou par la sous-estimation du temps d’apprentissage ou de l’acquisition de la nouvelle culture induite par cette technologie. Les coûts proprement pragmatiques de la formation, de l’usage, voire éventuellement de la mauvaise volonté des destinataires ou du sabotage, entrent mal dans les calculs des planificateurs, pour la bonne raison que la relation pragmatique ne se calcule pas. Les innovateurs escomptent une efficacité du nouvel outil qu’on trouve rarement au rendez-vous de l’histoire, d’où plusieurs déconvenues commerciales et / ou scientifico-techniques, par oubli (presque inhérent ou consubstantiel à la vision technocratique) des viscosités pragmatiques.

Toute relation technique se trouve donc enchâssée tôt ou tard dans un tuf, un humus ou un foncier relationnel humain où ce ne sont plus les règles de la techno-science qui dominent. Inversement, il est facile d’argumenter que nos relations pragmatiques les plus fortes ou intimes se trouvent régulièrement « médiatisées » par un ou plusieurs facteurs techniques. Les exemples que nous avons pris de la conversation, ou de l’interaction amoureuse, ne sortent pas indemnes aujourd’hui, ni inchangés, du recours aux nouveaux outils : les échanges téléphoniques, un chat, un courriel, un tweet ou la téléconférence n’obéissent pas tout à fait aux règles du face-à-face ; et l’on sait les avantages et les déconvenues que la drague amoureuse ou les modalités de la rencontre, de l’infidélité, de la jalousie ou de la rupture doivent à ces nouveaux outils.

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Pourquoi rappeler ces axiomes que j’ai tendance, bien vainement peut-être si j’en crois l’image employée supra, à marteler ? Parce que si les relations techniques ont une histoire, ou, pour mieux dire, si elles constituent par excellence le marqueur de notre historicité, nos relations pragmatiques et leurs évolutions suivent un cours ou un temps beaucoup plus flou. La netteté avec laquelle nous ressentons un passage, une rupture ou un saut historiques doit beaucoup à leur techno- ou média-dépendance ; notre histoire est largement celle de nos objets, ou de nos connaissances scientifiques et/ou compétences techniques. Il serait en revanche avisé de chercher, sur le versant pragmatique de nos activités, une relative stagnation ou permanence de nos conduites.

On n’a pas plus tôt formulé ce découpage – à mon avis fécond et qu’il convient de mieux documenter – que les objections de principe affluent : notre distinction, toute polaire et conceptuelle, se heurte dans les faits à l’enchevêtrement des deux termes, et à la complexité des relations réelles. De fait, il semble difficile de trouver un cas de relation technique pure, et on se heurte vite, dans ce domaine, aux forces de frottement inhérentes aux partages et à la transmission des usages. C’est dans un monde d’ingénieur idéaliste, qui se rêve fluide et sans coefficients de frottement, que les transferts technologiques, par exemple, escomptent une efficacité qu’on peine à retrouver à l’arrivée : la mise à disposition d’ordinateurs aux élèves des écoles, l’implantation d’un hôpital ou d’un aéroport modernes dans un pays d’Afrique, la courbe extrapolant le rendement d’une

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innovation technique selon les cercles concentriques de sa diffusion, etc., pêchent toujours par l’oubli ou par la sous-estimation du temps d’apprentissage ou de l’acquisition de la nouvelle culture induite par cette technologie. Les coûts proprement pragmatiques de la formation, de l’usage, voire éventuellement de la mauvaise volonté des destinataires ou du sabotage, entrent mal dans les calculs des planificateurs, pour la bonne raison que la relation pragmatique ne se calcule pas. Les innovateurs escomptent une efficacité du nouvel outil qu’on trouve rarement au rendez-vous de l’histoire, d’où plusieurs déconvenues commerciales et / ou scientifico-techniques, par oubli (presque inhérent ou consubstantiel à la vision technocratique) des viscosités pragmatiques.

Toute relation technique se trouve donc enchâssée tôt ou tard dans un tuf, un humus ou un foncier relationnel humain où ce ne sont plus les règles de la techno-science qui dominent. Inversement, il est facile d’argumenter que nos relations pragmatiques les plus fortes ou intimes se trouvent régulièrement « médiatisées » par un ou plusieurs facteurs techniques. Les exemples que nous avons pris de la conversation, ou de l’interaction amoureuse, ne sortent pas indemnes aujourd’hui, ni inchangés, du recours aux nouveaux outils : les échanges téléphoniques, un chat, un courriel, un tweet ou la téléconférence n’obéissent pas tout à fait aux règles du face-à-face ; et l’on sait les avantages et les déconvenues que la drague amoureuse ou les modalités de la rencontre, de l’infidélité, de la jalousie ou de la rupture doivent à ces nouveaux outils.

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Les sociologues des « nouvelles technologies » (ainsi nommées par pléonasme) se délectent donc à nous décrire les mille et une innovations, ou inflexions dans les usages, apportées à des pratiques qu’on dirait ancestrales par le e-love, le e-learning, la e-politique ou en général la e-relation… (On remplacera à volonté « e » par « cyber » dans cette dernière phrase.) Nos relations pragmatiques les plus statiques ou apparemment éternelles empruntent le passage forcé de médiums qui ont vite fait de les reverser dans le cours de l’histoire.

Je crois pourtant à l’utilité de ma distinction de départ, que ne démentent pas, il me semble, la complexité bien réelle ni l’enchevêtrement des faits et des usages. Notre question dans ce numéro pose celle du temps et du changement, techno-historique d’un côté, sociétal, psychologique ou intime à l’autre bout du spectre. Nous y postulons, comme nous jetterions une pierre dans notre propre jardin ou enclos médiologique, que 1/ certes, tout bouge, toutes choses sont entraînées dans le flot grondant du temps, mais que 2/ il convient d’accorder des vitesses distinctes ou relatives aux écoulements et aux divers flux. Et que si par hypothèse nous repérons dans le pôle techno-scientifique de nos activités le moteur ou marqueur dominant du mouvement, nous chercherons du côté de nos relations pragmatiques des facteurs inverses de frein ou de stabilisation. Notre énonciation devient paradoxale dans la mesure où la thèse (le soupçon) médiologique a consisté jusqu’ici, peu ou prou, à insinuer ou à souligner dans toute activité sa média-

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dépendance ; nous nous interrogeons à présent sur ce qui ne risque pas de changer quelles que soient nos injections ou nos initiatives techno-médiatiques au sens large – quels que soient nos outils.

Si les acteurs et les partisans du mouvement se recrutent, nous venons de le dire, dans la techno-science, il convient de leur ajouter les marchands, les préposés aux nouvelles et au monde de l’information en général, pas mal d’artistes et d’une façon générale les politiques, c’est-à-dire tous ceux qui ont recours, à un moment de leur argumentaire, à l’adjectif « nouveau », voire « révolutionnaire ». Car la phraséologie ou le slogan du révolutionnaire, en nos temps postmodernes, ont migré des milieux traditionnellement de gauche à la présentation d’une voiture Citroën dévalant la Grande Muraille de Chine, et le mot se dit non moins couramment d’un four à micro-ondes, d’un rasoir jetable, de la dernière prestation de Jeff Koons ou du programme de François Hollande… L’emprise médiatique, la culture de l’information en général – relayée par celle de l’informatique, du numérique et des (nouveaux) outils – n’ont pas peu fait dans les dernières décennies pour identifier la culture à la culture du changement : être cultivé, c’est se tenir – comme on le dit sans y penser – au courant. Le syntagme « continuité culturelle » utilisé dans le titre même de notre numéro peut donc faire difficulté, sinon oxymore.

Or, un pôle ou môle de résistance s’est toujours organisé, et manifesté, face aux champions ou aux vaillants de la culture du

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Les sociologues des « nouvelles technologies » (ainsi nommées par pléonasme) se délectent donc à nous décrire les mille et une innovations, ou inflexions dans les usages, apportées à des pratiques qu’on dirait ancestrales par le e-love, le e-learning, la e-politique ou en général la e-relation… (On remplacera à volonté « e » par « cyber » dans cette dernière phrase.) Nos relations pragmatiques les plus statiques ou apparemment éternelles empruntent le passage forcé de médiums qui ont vite fait de les reverser dans le cours de l’histoire.

Je crois pourtant à l’utilité de ma distinction de départ, que ne démentent pas, il me semble, la complexité bien réelle ni l’enchevêtrement des faits et des usages. Notre question dans ce numéro pose celle du temps et du changement, techno-historique d’un côté, sociétal, psychologique ou intime à l’autre bout du spectre. Nous y postulons, comme nous jetterions une pierre dans notre propre jardin ou enclos médiologique, que 1/ certes, tout bouge, toutes choses sont entraînées dans le flot grondant du temps, mais que 2/ il convient d’accorder des vitesses distinctes ou relatives aux écoulements et aux divers flux. Et que si par hypothèse nous repérons dans le pôle techno-scientifique de nos activités le moteur ou marqueur dominant du mouvement, nous chercherons du côté de nos relations pragmatiques des facteurs inverses de frein ou de stabilisation. Notre énonciation devient paradoxale dans la mesure où la thèse (le soupçon) médiologique a consisté jusqu’ici, peu ou prou, à insinuer ou à souligner dans toute activité sa média-

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dépendance ; nous nous interrogeons à présent sur ce qui ne risque pas de changer quelles que soient nos injections ou nos initiatives techno-médiatiques au sens large – quels que soient nos outils.

Si les acteurs et les partisans du mouvement se recrutent, nous venons de le dire, dans la techno-science, il convient de leur ajouter les marchands, les préposés aux nouvelles et au monde de l’information en général, pas mal d’artistes et d’une façon générale les politiques, c’est-à-dire tous ceux qui ont recours, à un moment de leur argumentaire, à l’adjectif « nouveau », voire « révolutionnaire ». Car la phraséologie ou le slogan du révolutionnaire, en nos temps postmodernes, ont migré des milieux traditionnellement de gauche à la présentation d’une voiture Citroën dévalant la Grande Muraille de Chine, et le mot se dit non moins couramment d’un four à micro-ondes, d’un rasoir jetable, de la dernière prestation de Jeff Koons ou du programme de François Hollande… L’emprise médiatique, la culture de l’information en général – relayée par celle de l’informatique, du numérique et des (nouveaux) outils – n’ont pas peu fait dans les dernières décennies pour identifier la culture à la culture du changement : être cultivé, c’est se tenir – comme on le dit sans y penser – au courant. Le syntagme « continuité culturelle » utilisé dans le titre même de notre numéro peut donc faire difficulté, sinon oxymore.

Or, un pôle ou môle de résistance s’est toujours organisé, et manifesté, face aux champions ou aux vaillants de la culture du

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mouvement (du mouv, comme on dit, pour aller plus vite, à Radio France), et cette mouvance du moindre mouvement a son attracteur, ou son modèle plus ou moins déclaré, du côté de ce qu’on appellera bêtement la nature, terme traditionnellement opposé à – ou du moins distingué de – celui de culture. La nature bouge sans doute, mais à une vitesse tellement plus lente que nos villes, que la forme de nos voitures et que notre environnement technologique !…

Le paysage que j’ai sous les yeux en écrivant ces lignes, les pentes de Serre-Chevalier sous la neige, s’est trouvé au cours du dernier siècle équipé de téléskis, de restaurants d’altitude, de centres de loisirs et d’une urbanisation foisonnante dans la vallée, qui fait dire bien sûr à ses vieux habitants que « la montagne n’est plus ce qu’elle était »… L’immobilité ou l’éternité de la nature rêvées par chacun enferment donc un sophisme facile à réfuter. Pourtant, les mélèzes et les cerisiers qui flambent autour de chez moi à l’automne, les bouquetins qu’il m’arrive de croiser dans les randonnées, la majesté des glaciers ou l’émerveillement des sources débloquées par la neige au printemps, quand les marmottes sortent en sifflant de leurs trous…, tout ce qu’on vient chercher ici en marge et par compensation de la ville a sans doute été un pareil objet d’émotion et d’émerveillement pour les chasseurs-cueilleurs du néolithique, qui parcouraient déjà ces montagnes. Et le ciel nocturne, si brillant et distinct à cette altitude, n’a pas fondamentalement changé, même si nous avons plaisir à y distinguer le clignotement d’un satellite ou d’un avion de ligne quand nous observons les étoiles à l’œil nu.

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Ces remarques peuvent paraître naïves – on se fait vite taxer de naïf dès qu’on oublie le facteur médio –, mais je les trouve assez fortes : quel que soit notre degré de militance médiologique, il faut avouer que la nature (ou, comme écrit Aragon dans Le Paysan de Paris, « le sentiment de la nature ») constitue une objection permanente adressée à la culture technique ; entraînés que nous sommes, volens nolens, par le charroi ou le flot historique, nous ressentons le désir d’un face-à-face immobile, voire d’une relation d’éternité. « Nature » est le mot qui résume cette attirance d’un substrat, d’un fond ou d’un foncier sous tous nos mouvements, et il arrive que la relation amoureuse médiatise notre relation à la nature, laquelle médiatise ou exprime en retour l’émoi amoureux, le plus souvent naïvement, parfois lyriquement ou poétiquement, comme Breton célébrant la fée Mélusine, ou la femme tour à tour animale ou enfant « parce que le temps sur elle n’a pas de prise »… S’il est facile de détester le machisme surréaliste, ou de brocarder le néoromantisme exprimé à satiété par le fondateur du mouvement, on peut aussi reconnaître dans la recherche de ce point fixe, ou d’intemporalité, une stratégie bienvenue de résistance aux slogans du machinisme et de la techno-science amplifiés tous les jours par les journalistes et les marchands.

C’est ici, aiguillonnés par une injonction majeure venue du surréalisme, que nous aimerions introduire la problématique du désir. Car le désir, certes, comme le souligne Régis Debray, postule le changement, donc un certain futur plus ou moins révolutionnaire

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mouvement (du mouv, comme on dit, pour aller plus vite, à Radio France), et cette mouvance du moindre mouvement a son attracteur, ou son modèle plus ou moins déclaré, du côté de ce qu’on appellera bêtement la nature, terme traditionnellement opposé à – ou du moins distingué de – celui de culture. La nature bouge sans doute, mais à une vitesse tellement plus lente que nos villes, que la forme de nos voitures et que notre environnement technologique !…

Le paysage que j’ai sous les yeux en écrivant ces lignes, les pentes de Serre-Chevalier sous la neige, s’est trouvé au cours du dernier siècle équipé de téléskis, de restaurants d’altitude, de centres de loisirs et d’une urbanisation foisonnante dans la vallée, qui fait dire bien sûr à ses vieux habitants que « la montagne n’est plus ce qu’elle était »… L’immobilité ou l’éternité de la nature rêvées par chacun enferment donc un sophisme facile à réfuter. Pourtant, les mélèzes et les cerisiers qui flambent autour de chez moi à l’automne, les bouquetins qu’il m’arrive de croiser dans les randonnées, la majesté des glaciers ou l’émerveillement des sources débloquées par la neige au printemps, quand les marmottes sortent en sifflant de leurs trous…, tout ce qu’on vient chercher ici en marge et par compensation de la ville a sans doute été un pareil objet d’émotion et d’émerveillement pour les chasseurs-cueilleurs du néolithique, qui parcouraient déjà ces montagnes. Et le ciel nocturne, si brillant et distinct à cette altitude, n’a pas fondamentalement changé, même si nous avons plaisir à y distinguer le clignotement d’un satellite ou d’un avion de ligne quand nous observons les étoiles à l’œil nu.

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Ces remarques peuvent paraître naïves – on se fait vite taxer de naïf dès qu’on oublie le facteur médio –, mais je les trouve assez fortes : quel que soit notre degré de militance médiologique, il faut avouer que la nature (ou, comme écrit Aragon dans Le Paysan de Paris, « le sentiment de la nature ») constitue une objection permanente adressée à la culture technique ; entraînés que nous sommes, volens nolens, par le charroi ou le flot historique, nous ressentons le désir d’un face-à-face immobile, voire d’une relation d’éternité. « Nature » est le mot qui résume cette attirance d’un substrat, d’un fond ou d’un foncier sous tous nos mouvements, et il arrive que la relation amoureuse médiatise notre relation à la nature, laquelle médiatise ou exprime en retour l’émoi amoureux, le plus souvent naïvement, parfois lyriquement ou poétiquement, comme Breton célébrant la fée Mélusine, ou la femme tour à tour animale ou enfant « parce que le temps sur elle n’a pas de prise »… S’il est facile de détester le machisme surréaliste, ou de brocarder le néoromantisme exprimé à satiété par le fondateur du mouvement, on peut aussi reconnaître dans la recherche de ce point fixe, ou d’intemporalité, une stratégie bienvenue de résistance aux slogans du machinisme et de la techno-science amplifiés tous les jours par les journalistes et les marchands.

C’est ici, aiguillonnés par une injonction majeure venue du surréalisme, que nous aimerions introduire la problématique du désir. Car le désir, certes, comme le souligne Régis Debray, postule le changement, donc un certain futur plus ou moins révolutionnaire

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(« Plus jamais ça ! »), un rythme d’événements et l’horizon d’un chambardement. Mais on n’a pas plus tôt avancé cette thèse qu’il faut la nuancer ou la complexifier par son antithèse, non nous ne désirons pas à tous coups le changement, il arrive massivement que notre désir regarde au contraire en arrière ou rétrospectivement, vers l’enfance qui d’une certaine façon ne passe pas – à proportion que nous demeurons désirants. « Zeitlos », disait Freud de l’inconscient, le temps sur lui non plus n’a pas de prise… Non plus que nos outils, nos médias et nos machinations, sans efficace sur une certaine couche primaire en nous, obtuse, rêveuse ou têtue, qui demeure étrangère au temps historique parce qu’elle s’organise et végète fort en deçà. Il faut donc bien distinguer, à côté du désir de nouveauté ou de révolution, la permanence d’un désir régressif, nostalgique, qui veut la répétition ou le retour en boucle du même – autre sens, on le sait, du mot révolution.

Dirons-nous, à cette étape du raisonnement, que nous vivons banalement écartelés entre deux postulations, du changement et de l’immobilité, dont nous avons un égal besoin pour simplement entretenir notre être ? Que le vivant ne veut rien tant que se reproduire à l’identique – aucune vache n’engendrera un phoque, ni l’ours un oursin ? Qu’une stabilité minimale de nos perceptions garantit nos constructions logiques ou intellectuelles, comme la minimale continuité d’un foyer conditionne l’épanouissement d’un enfant ? Que le mouvement technique et historique nécessite, pour être simplement perçu et évalué, un fond de permanence ou

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une identité sous-jacente ? Et donc, pour parler chinois, que ce stable foncier constitue le yin de ce yang ? Ces raisons logiques, psychologiques ou biologiques paraissent également fortes, mais un peu trop générales pour être développées ici. Essayons de resserrer notre problématique autour d’une notion familière au médiologue, mais peut-être insuffisamment explorée par lui, l’effet jogging. Cette métaphore sportive demande à être conceptualisée, donc étendue hors de sa sphère. Nous voulons dire par elle que du côté de l’expérience ou de l’exercice sportif, mais aussi esthétique, contemplatif, érotique, sentimental, ou encore « spirituel » (par exemple, la prière ou le rituel), l’individu se ressource à des invariants, qui lui sont d’autant plus nécessaires qu’il se trouve exposé sur d’autres scènes aux tourbillons de l’histoire. Toute innovation porterait dans ses flancs sa contre-postulation : plus on roule en automobile dans les vallées et plus on excursionne à travers des GR et des parcs préservés, en altitude, loin de la fureur et du bruit engendrés par la techno-science, les médias et le monde de la marchandise. Ces invariants, pour rester au plus près de l’effet jogging, concerneraient donc l’expérience de la fatigue et de l’effort, de la souffrance, de l’amour ou de la beauté. Il y a certes des façons émergentes d’aimer, comme il y a des beautés inédites, ou des corps sportifs assistés ou augmentés par les prothèses ou le dopage, et peut-être y a-t-il une histoire à écrire de la souffrance, comme il existe une histoire et une géographie du beau, mais il semble non moins probable que nos ancêtres du néolithique n’avaient pas une perception (une expérience) très différente de la

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(« Plus jamais ça ! »), un rythme d’événements et l’horizon d’un chambardement. Mais on n’a pas plus tôt avancé cette thèse qu’il faut la nuancer ou la complexifier par son antithèse, non nous ne désirons pas à tous coups le changement, il arrive massivement que notre désir regarde au contraire en arrière ou rétrospectivement, vers l’enfance qui d’une certaine façon ne passe pas – à proportion que nous demeurons désirants. « Zeitlos », disait Freud de l’inconscient, le temps sur lui non plus n’a pas de prise… Non plus que nos outils, nos médias et nos machinations, sans efficace sur une certaine couche primaire en nous, obtuse, rêveuse ou têtue, qui demeure étrangère au temps historique parce qu’elle s’organise et végète fort en deçà. Il faut donc bien distinguer, à côté du désir de nouveauté ou de révolution, la permanence d’un désir régressif, nostalgique, qui veut la répétition ou le retour en boucle du même – autre sens, on le sait, du mot révolution.

Dirons-nous, à cette étape du raisonnement, que nous vivons banalement écartelés entre deux postulations, du changement et de l’immobilité, dont nous avons un égal besoin pour simplement entretenir notre être ? Que le vivant ne veut rien tant que se reproduire à l’identique – aucune vache n’engendrera un phoque, ni l’ours un oursin ? Qu’une stabilité minimale de nos perceptions garantit nos constructions logiques ou intellectuelles, comme la minimale continuité d’un foyer conditionne l’épanouissement d’un enfant ? Que le mouvement technique et historique nécessite, pour être simplement perçu et évalué, un fond de permanence ou

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une identité sous-jacente ? Et donc, pour parler chinois, que ce stable foncier constitue le yin de ce yang ? Ces raisons logiques, psychologiques ou biologiques paraissent également fortes, mais un peu trop générales pour être développées ici. Essayons de resserrer notre problématique autour d’une notion familière au médiologue, mais peut-être insuffisamment explorée par lui, l’effet jogging. Cette métaphore sportive demande à être conceptualisée, donc étendue hors de sa sphère. Nous voulons dire par elle que du côté de l’expérience ou de l’exercice sportif, mais aussi esthétique, contemplatif, érotique, sentimental, ou encore « spirituel » (par exemple, la prière ou le rituel), l’individu se ressource à des invariants, qui lui sont d’autant plus nécessaires qu’il se trouve exposé sur d’autres scènes aux tourbillons de l’histoire. Toute innovation porterait dans ses flancs sa contre-postulation : plus on roule en automobile dans les vallées et plus on excursionne à travers des GR et des parcs préservés, en altitude, loin de la fureur et du bruit engendrés par la techno-science, les médias et le monde de la marchandise. Ces invariants, pour rester au plus près de l’effet jogging, concerneraient donc l’expérience de la fatigue et de l’effort, de la souffrance, de l’amour ou de la beauté. Il y a certes des façons émergentes d’aimer, comme il y a des beautés inédites, ou des corps sportifs assistés ou augmentés par les prothèses ou le dopage, et peut-être y a-t-il une histoire à écrire de la souffrance, comme il existe une histoire et une géographie du beau, mais il semble non moins probable que nos ancêtres du néolithique n’avaient pas une perception (une expérience) très différente de la

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nôtre du mal de dents, ou des douleurs de l’accouchement, de même qu’ils contemplaient au-dessus de leurs têtes à peu près la même voûte étoilée que nous. L’effet jogging autrement dit, traiterait du retour à un invariant du corps s’éprouvant lui-même, immédiatement (sans prothèses, médias ni outils interposés) ; une théorisation de cet effet devrait donc s’attacher à mieux circonscrire que nous ne pouvons le faire ici la sphère de ces expériences immédiates, ou peu sensibles aux médias en général. Ne conviendrait-il pas sur ce point de distinguer, et d’articuler, médium et média ? La nature est par excellence un médium (un milieu) dans lequel nous vivons (fût-ce à notre insu) immergés ; bien loin d’en être maîtres et possesseurs selon l’ambitieuse promesse cartésienne qui ouvre l’âge moderne, c’est-à-dire de pouvoir la faire ou la refaire, nous prenons graduellement conscience (une conscience écologique) que nous ne pourrons jamais, en ce qui la concerne, que faire avec. L’outil ou le média appellent notre maîtrise là où la logique du médium – un mot à prendre à tous les sens du terme – travaille à nous dessaisir.

*

Dans cette traversée à sauts et à gambades d’un trop vaste sujet, isolons pour finir trois points, qui mériteraient évidemment une meilleure considération. La célèbre maxime du prince Salinas dans Le Guépard de Lampedusa, d’abord, « il faut que tout change pour que rien ne change », comment au fond l’interpréter ? Cynisme aristocratique face aux menées « révolutionnaires » des troupes de

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Garibaldi ? Assurance désabusée d’un vieil homme qui croit bien connaître sa terre, « ses » paysans, leur religion et en général le jeu des relations pragmatiques, envies, jalousies, concupiscence, passions toujours recommencées et appétits humains trop humains ? Regard sur les affaires humaines (ta pragmata) porté depuis Sirius où étoiles et planètes obéissent à des cycles immuables ? Ou, de la part de Lampedusa, coup d’œil acéré sur l’envers des promesses progressistes, et sur les gesticulations de braillards réformateurs qui referont tout comme avant ? L’auteur nous aurait dans ce cas mis en garde contre les insuffisances de la volonté dans l’histoire, et il aurait salutairement anticipé l’ironie des programmes socialistes et de ces utopies qui ont tellement trahi… Nous rapprocherions volontiers ce mot célèbre d’une injonction parente, mise par un autre sorcier de Sicile, Pirandello, dans la bouche de son personnage des Géants de la montagne, le magicien Cotrone, au moment où celui-ci apostrophe les comédiens fourbus venus le visiter dans sa grotte : « Si nous avons été une fois enfants, ne pouvons-nous l’être toujours ? » Admirable et poignante formule, si proche du zeitlos freudien, ou de cette remarque de Régis Debray dans Critique de la raison politique, ou l’inconscient religieux, où il note comme en passant que, en nous, « l’archaïque n’est pas le révolu, mais le sous-jacent »… Ces trois citations semblent profondes car elles pointent ou dénudent une profondeur des affaires humaines, à cet étage où elles échappent au temps des événements qui retiennent généralement notre regard – une certaine viscosité de l’enfance à travers le développement historique, à laquelle nous n’avons pas fini de rêver.

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nôtre du mal de dents, ou des douleurs de l’accouchement, de même qu’ils contemplaient au-dessus de leurs têtes à peu près la même voûte étoilée que nous. L’effet jogging autrement dit, traiterait du retour à un invariant du corps s’éprouvant lui-même, immédiatement (sans prothèses, médias ni outils interposés) ; une théorisation de cet effet devrait donc s’attacher à mieux circonscrire que nous ne pouvons le faire ici la sphère de ces expériences immédiates, ou peu sensibles aux médias en général. Ne conviendrait-il pas sur ce point de distinguer, et d’articuler, médium et média ? La nature est par excellence un médium (un milieu) dans lequel nous vivons (fût-ce à notre insu) immergés ; bien loin d’en être maîtres et possesseurs selon l’ambitieuse promesse cartésienne qui ouvre l’âge moderne, c’est-à-dire de pouvoir la faire ou la refaire, nous prenons graduellement conscience (une conscience écologique) que nous ne pourrons jamais, en ce qui la concerne, que faire avec. L’outil ou le média appellent notre maîtrise là où la logique du médium – un mot à prendre à tous les sens du terme – travaille à nous dessaisir.

*

Dans cette traversée à sauts et à gambades d’un trop vaste sujet, isolons pour finir trois points, qui mériteraient évidemment une meilleure considération. La célèbre maxime du prince Salinas dans Le Guépard de Lampedusa, d’abord, « il faut que tout change pour que rien ne change », comment au fond l’interpréter ? Cynisme aristocratique face aux menées « révolutionnaires » des troupes de

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Garibaldi ? Assurance désabusée d’un vieil homme qui croit bien connaître sa terre, « ses » paysans, leur religion et en général le jeu des relations pragmatiques, envies, jalousies, concupiscence, passions toujours recommencées et appétits humains trop humains ? Regard sur les affaires humaines (ta pragmata) porté depuis Sirius où étoiles et planètes obéissent à des cycles immuables ? Ou, de la part de Lampedusa, coup d’œil acéré sur l’envers des promesses progressistes, et sur les gesticulations de braillards réformateurs qui referont tout comme avant ? L’auteur nous aurait dans ce cas mis en garde contre les insuffisances de la volonté dans l’histoire, et il aurait salutairement anticipé l’ironie des programmes socialistes et de ces utopies qui ont tellement trahi… Nous rapprocherions volontiers ce mot célèbre d’une injonction parente, mise par un autre sorcier de Sicile, Pirandello, dans la bouche de son personnage des Géants de la montagne, le magicien Cotrone, au moment où celui-ci apostrophe les comédiens fourbus venus le visiter dans sa grotte : « Si nous avons été une fois enfants, ne pouvons-nous l’être toujours ? » Admirable et poignante formule, si proche du zeitlos freudien, ou de cette remarque de Régis Debray dans Critique de la raison politique, ou l’inconscient religieux, où il note comme en passant que, en nous, « l’archaïque n’est pas le révolu, mais le sous-jacent »… Ces trois citations semblent profondes car elles pointent ou dénudent une profondeur des affaires humaines, à cet étage où elles échappent au temps des événements qui retiennent généralement notre regard – une certaine viscosité de l’enfance à travers le développement historique, à laquelle nous n’avons pas fini de rêver.

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Une deuxième curiosité concernerait la paire fameuse du cure et du care, mise en évidence notamment par Winnicott, et plus précisément la sphère pragmatique du care, dont vient de s’emparer une abondante littérature. Rappelons donc qu’il semble intéressant de bien distinguer, en médecine, la cure des soins, même si évidemment l’une ne va pas sans les autres. Le pôle cure semble en effet fortement corrélé à des appareils de pointe, à des technologies performantes (bloc opératoire, pharmacie…) et, pour les professions afférentes, à des diplômes et des revenus élevés, tandis que le pôle du care (les infirmières) touche davantage à une sphère intersubjective à évolution lente, et à des tâches plus floues : reconnaître le patient comme un sujet, donc le respecter et entretenir à ses côtés une relation de soutien (atténuation de la douleur, environnement humain de la chambre, attention soutenue à ses expressions, etc.). Tous ces préceptes qui font la bonne soignante semblent d’une nature relativement intemporelle ; on ne soignait pas à Rome sous Jules César comme aujourd’hui à Pompidou ou à Cochin, mais les soins prodigués aux bébés, ou les paroles murmurées aux mourants, y sont-ils fondamentalement différents ? La relation clinique (étymologiquement « au malade allongé ») est une interaction totale, technique et pragmatique, où une part éthique, irréductible à la technique, ne cesse de veiller.

Notre troisième curiosité ne sera in fine que brièvement mentionnée, elle touche à l’esthétique, et à la prétention spontanée des artistes à penser leur activité, leur faire, sur un mode technique

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et historique. Le temps, pourtant, ne déclasse pas les œuvres, quelle que soient la rhétorique des avant-gardes et la prétention de certains à se proclamer plus « révolutionnaires » que d’autres. Comment penser en art l’enchevêtrement paradoxal de la rupture et de la continuité ? Les soins palliatifs, disions-nous à l’instant, n’ont guère dû tellement changer de Jules César à nous ; comment expliquer que d’Eschyle ou de Sophocle à nous de même, s’imposent également Les Perses ou Œdipe roi ? Les affects nés de la guerre, de l’exil, du deuil, le désir et l’effroi du sexe ou de la mort, mais aussi le sentiment de notre vulnérabilité, de notre fraternité, et nos élans altruistes, seraient-ils, comme l’inconscient, zeitlos ? Viscosité de la tragédie, et intemporalité de ces œuvres qui s’étirent si bien à travers les générations…

daniel bouGnoux, philosophe, est professeur émérite à l’université Stendhal de Grenoble III, et collaborateur de la revue Médium. Dernier livre paru : Aragon, la confusion des genres ,Gallimard, 2013.

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Une deuxième curiosité concernerait la paire fameuse du cure et du care, mise en évidence notamment par Winnicott, et plus précisément la sphère pragmatique du care, dont vient de s’emparer une abondante littérature. Rappelons donc qu’il semble intéressant de bien distinguer, en médecine, la cure des soins, même si évidemment l’une ne va pas sans les autres. Le pôle cure semble en effet fortement corrélé à des appareils de pointe, à des technologies performantes (bloc opératoire, pharmacie…) et, pour les professions afférentes, à des diplômes et des revenus élevés, tandis que le pôle du care (les infirmières) touche davantage à une sphère intersubjective à évolution lente, et à des tâches plus floues : reconnaître le patient comme un sujet, donc le respecter et entretenir à ses côtés une relation de soutien (atténuation de la douleur, environnement humain de la chambre, attention soutenue à ses expressions, etc.). Tous ces préceptes qui font la bonne soignante semblent d’une nature relativement intemporelle ; on ne soignait pas à Rome sous Jules César comme aujourd’hui à Pompidou ou à Cochin, mais les soins prodigués aux bébés, ou les paroles murmurées aux mourants, y sont-ils fondamentalement différents ? La relation clinique (étymologiquement « au malade allongé ») est une interaction totale, technique et pragmatique, où une part éthique, irréductible à la technique, ne cesse de veiller.

Notre troisième curiosité ne sera in fine que brièvement mentionnée, elle touche à l’esthétique, et à la prétention spontanée des artistes à penser leur activité, leur faire, sur un mode technique

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daniel bouGnoux, philosophe, est professeur émérite à l’université Stendhal de Grenoble III, et collaborateur de la revue Médium. Dernier livre paru : Aragon, la confusion des genres ,Gallimard, 2013.

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