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Préface

« Les strates d’une ville sont à l’image des strates d’une vie, elles sont le terreau,les sédiments de l’avenir. »

Depuis 1999, les Archives municipales de Nantes proposent d’accompagner les habitants et lesassociations dans leurs projets relatifs à l’histoire des quartiers. Soutien aux recherches sur docu-ments, collectes de témoignages et mise en valeur de ces sources font partie de ce nouveauservice proposé par l’établissement. Des actions ont déjà été conduites dans le quartier du BreilMalville, sur l’Ile de Nantes, à Doulon...

C’est dans le cadre de cette mission qu’une série de témoignages a été collectée auprès d’ungroupe d’habitants du Vieux Malakoff. Il s’agissait de saisir la vie et la mémoire du quartier àtravers deux points de vue : une évocation du parcours individuel dans le quartier et un regard sursa vie collective. Comment les habitants ont vécu dans le quartier, comment ont-ils perçu sesévènements, ses transformations ?

En complément de ce recueil de paroles, des recherches iconographiques ont été entreprises.Les Archives municipales conservent plus de 350 photographies du quartier prises entre les années30 et les années 80 et produites par le service de la topographie. C’est donc une sélection de cesclichés qui est présentée dans cet ouvrage au regard des propos des habitants.

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A travers cette démarche, il s’agit de mettre en avantla mémoire collective, de « capter les jalonsdu temps qui passe et les bornes d’un espace qui se transforme », d’insérer cette mémoire danscelle de la ville. Il s’agit en outre de mobiliser les habitants autour d’un projet sur la mémoire etl’avenir d’un lieu. En effet, actuellement, le quartier fait l’objet d’un vaste programme de restruc-turation urbaine et sociale dans le cadre du Grand Projet de Ville Malakoff / Pré-Gauchet.

Cette action est aussi l’occasion pour les Archives de sortir de leur tour d’ivoire en montrant con-crètement qu’elles sont un lieu d’information et de documentation sur la ville pour tous…

« Vieux Malakoff : Un quartier, des mémoires » raconte l’histoire et la vie de ce quartier-village isoléau cœur de la ville, encerclé par l’eau et les voies ferrées. La parole des habitants nous restituel’ambiance villageoise du quartier avant la guerre, ses joies, ses coups durs comme les inonda-tions mais surtout les bombardements de 1944 qui marquent une rupture. Le quartier se transformealors avec la reconstruction des années 50 puis avec l’édification de la ZUP Malakoff au débutdes années 70.

Malakoff, vieux Malakoff, quai Malakoff… trois noms pour rappeler les transformations de l’an-cienne prairie de Mauves, de ce vaste quartier en devenir.

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Remerciements

Pour leur gentillesse, leur générosité et leur patience, les Archives municipales remercient cha-leureusement les habitants qui ont accepté d’accorder leurs témoignages :

Monsieur et Madame BernierMonsieur BraudMonsieur BrugierMonsieur et Madame CarsenatMonsieur Cattoni MarioMonsieur et Madame Cattoni Raymond-RenéMonsieur et Madame CharonMonsieur CocquioMadame FaucherMonsieur LerayMadame NormandMonsieur RobertMadame RondeauMadame VergonjadeMonsieur VergonjadeMadame Vouzellaud

Cet ouvrage est dédié à Enrico Cocquio qui nous a quitté au cours de l’été 2000

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Les Archives municipales remercient également tous les partenaires qui ont contribué à la con-crétisation du projet « Vieux Malakoff, un quartier des mémoires » :

La préfecture de Loire Atlantique dans le cadre du Grand Projet de Ville Malakoff / Pré Guachet

Les services de la ville de Nantes :L’équipe de quartier Saint-Donatien/MalakoffLa Direction Générale à la CultureMission générale CITELe Centre d’EditionLe service de la Communication externeL’atelier municipal

Le lieu unique

Remerciements particuliers à Fabienne Letertre, Astrid Gingembre, Laurent Billaud, LaurentGuinel, Pierre Gralepois.

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Un quartier village ................................................................................................................... 9

La campagne ........................................................................................................................ 13Les jardins ............................................................................................................................ 15Une tenue maraîchère ..................................................................................................... 16« Marguerite des prés » .................................................................................................... 18Madame Tinguy, la marchande de lait ........................................................................ 20

L’eau ....................................................................................................................................... 21Les inondations ................................................................................................................... 23Les bateaux-lavoirs ............................................................................................................ 24Les guinguettes .................................................................................................................. 27

Les commerces, les marchands ambulants et les cafés .................................................. 29Les entreprises du quartier ................................................................................................... 33Les Italiens .............................................................................................................................. 37

Les Cattoni .......................................................................................................................... 39Delphine Cattoni ............................................................................................................... 41Les Italiens ........................................................................................................................... 42

L’enfance ............................................................................................................................... 44Les loisirs ............................................................................................................................... 45La piscine ............................................................................................................................ 48Les patronages ................................................................................................................... 49L’école ................................................................................................................................. 50La fête de la jeunesse ....................................................................................................... 51

Le stade Malakoff ................................................................................................................. 53La guerre ................................................................................................................................ 57

L’occupation du stade Malakoff par les Anglais ......................................................... 58L’occupation ...................................................................................................................... 59Les bombardements ......................................................................................................... 63

Le quartier après la guerre ................................................................................................... 65La construction de la cité Malakoff .................................................................................... 74Ta

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Un quartier village« Comme le quai Malakoff était un petit quartier, un peu excentré de tout, on avait donc ten-

dance à se connaître facilement. »

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Le quai Malakoff en 1934

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« Mes grands-parents, mes arrières- grands- parents ont toujours vécu dans le quartier, ils sont mortslà. Moi, je suis née dans le quartier en 1915. On habitait tous ensemble. Mes arrières grands-parentsse sont installés quai de Lourmel et ils ont eu tous leurs enfants là. A cette époque, on vivait tous ense connaissant. On voyait toujours les mêmes gens. »

« En dehors du quartier, je connaissais pas beaucoup de monde parce que ma primejeunesse, c’était le quai Malakoff. »

«Avant le quartier était plus restreint et donc on se retrouvait plus ou moins aux mêmes heuresavec des gens qui faisaient leurs courses. On se disait un petit bonjour sans pour autant aller les unschez les autres mais on se disait un petit mot, on se parlait quand même. Tandis que maintenant,je rencontre des anciens habitants, des personnes que j’ai connues dans les grandes surfacesdonc c’est un champ plus large. Il n’y a plus ces commerces de proximité qui faisaient...qui fai-saient l’âme d’un quartier quand même. C’était l’épicière du coin qui parlait aux uns et auxautres, elle connaissait toutes les histoires du quartier.»

« Il y avait beaucoup d’employés du chemin de fer qui habitaient dans le quartier. Il y avait un monsieur qui habitait dans notre maison et qui était conducteur de train, et

bien quand il arrivait avec son train, il cornait, comme ça, sa femme savait qu’il étaitarrivé !»

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L’usine LU et le quartier de la prairie de Mauves vers 1930

« Sur le quai Malakoff, il y avait beaucoup de femmes qui travaillaient chez « Lulu ».Alors « Lulu », c’était le cornard, c’était le signal pour les gens qui rentraient vers uneheure, une heure et demie, et la manufacture, c’était la cloche. On sentait le gâteauou le tabac, ça dépendait du vent, on avait la météo comme ça ! »

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La campagne

« Dans la prairie, il y avait une ferme et du bétail. Je vous assure que le chemin que j’em-pruntais pour rejoindre la Loire, au printemps c’était la joie. Ca sentait l’aubépine tout le

long, c’était champêtre. »

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La Prairie de Mauves et le pont de Vendée en 1946

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Les jardins« Mon grand-père avait des prairies et il les louait. Il y avait des vaches là-dedans à unmoment donné. Ces prairies qu’il louait, il les a transformées en jardins ouvriers et ça setrouvait à la pointe du chemin du Pont de l’Arche qui arrive sur la Loire. »

« Les locataires venaient payer à la grand-mère. Le grand-père avait pas mal de terrains. Ilen avait acheté à la gare, il a été exproprié. Ca ne devait pas valoir bien cher à ce mo-ment-là les terrains. »

« Mon grand-père avait un jardin ouvrier dans une petite avenue qui est au bout de la ruede Cornulier. Il n’avait qu’un bras mais il jardinait. Il y avait beaucoup de personnes dans lequartier qui jardinaient. C’était pour soi le jardinage, ce n’était pas pour vendre sur lemarché. »

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Une tenue maraîchère« J’ai appris le métier de sténo-dactylo et puis j’ai travaillé cinq ans dans un bureau rue dela Marne puis rue Voltaire. Après, je suis revenue chez mes parents parce que ma mère nepouvait plus assumer l’exploitation agricole alors je suis venue la remplacer jusqu’à monmariage. Je suis restée sur l’exploitation agricole jusqu’en 1964, date de notre expropria-tion. »

« Ma mère et moi faisions la centrale au Champ de Mars, la nuit. C’était vendu pourles Nantais. C’étaient les petits commerçants, les petits épiciers qui venaient ache-ter pour revendre dans leurs boutiques. Par contre l’osier que l’on produisait étaitacheté par les maraîchers Nantais qui faisaient des paniers. Maintenant ce sont descageots mais avant les maraîchers faisaient des paniers pour les légumes, des gran-des balles. Ca faisait 1m par 60 cm de large. C’était fait en osier et les maraîchersmettaient toute leur production dedans. Une balle, c’est un mot usuel du coin. »

« Comme mes parents cultivaient l’osier, ils prenaient du personnel pour les aider mais moiaussi, je faisais partie du personnel. Alors pour les vacances de Pâques, c’était le momentde décortiquer l’osier, c’est à dire d’enlever la peau de l’osier pour le faire devenir blanc.Alors il y avait tout un chantier pendant un mois et mon père me mettait près du peloir,j’avais 14-15 ans, il y a 45 ans de ça. On en faisait des milliers de brins par jour, alors on avaitmal aux mains, on avait mal au dos. Personne ne voulait le faire, c’était trop lassant, çan’en finissait pas. Moi, je faisais des brins plus petits que mon crayon, alors ce n’était pasavantageux, ils s’écrasaient. Mon père me disait : « Je ne veux pas qu’ils s’écrasent ! Prendston temps mais je ne veux pas qu’ils s’écrasent ! ». Il fallait prendre son temps mais il fallaitquand même du rendement ! Voilà, c’étaient mes loisirs de vacances de Pâques. »

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« Mes parents avaient cette grande maison au Chemin du pont del’Arche. Et après ils se sont installés Prairie de Mauves. Alors, ils ontcultivé l’osier, ils ont cultivé les fleurs, les arbres fruitiers, les légu-mes...»

Une ferme sur la Prairie de Mauves après le pont Résal en 1946

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Marguerite « des prés »« Alors Marguerite « des prés », elle était superbe! Je crois, enfin pour moi, ça toujours été lafille d’un armateur mais rien de sûr. Elle venait voir ma mère, ma mère parlait beaucoupaux gens. Elle avait toujours une fleur, c’est pour ça qu’on l’appelait Marguerite « després ». Elle était toujours habillée folklo et elle avait toujours une fleur. Elle était très gentillemais alors... les gars, surtout... « Marguerite ! Tu nous fais voir tes fesses ! ». Vous voyez le stylede l’époque ! Mais c’était gentil. Elle ne faisait rien, elle habitait dans une cabane quin’était pas loin de la voie ferrée. Ce n’était pas construit, il n’y avait pas la poste à l’épo-que... Alors elle devait être quelque part dans ce coin-là. On a été dans sa cabane maiscomme ce n’était pas construit et qu’il y avait plein de broussailles, je ne revois pas trèsbien mais en tout cas elle habitait dans ce coin-là. Elle devait aller ramasser des chosesdans des poubelles, c’était une clocharde. Tout le monde la connaissait. »

« Mes parents connaissaient bien Marguerite « des prés ». Je me souviens, tous lesans à Noël, elle venait boire son café à la maison. Tous les ans, elle venait, ellerentrait dans la cuisine et mon père lui servait un grand bol de café noir. Elle nemettait jamais le sucre parce qu’elle avait les mains sales, elle demandait à mesparents de lui mettre le sucre. »

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Terrain en friche derrière le quai Malakoff en 1937

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Madame Tinguy« Je me souviens très bien de Madame Tinguy qui était au bout de la rue du Pré Gauchet. Ellevendait tous les soirs le lait frais qu’elle avait tiré. Elle le vendait aux gens du quartier, ce qui étaittrès précieux pendant la guerre parce que nous n’avons pas manqué de lait. Tous les soirs, onallait avec nos bidons chercher le lait, il y avait toujours plein de monde et ça parlait. Les enfantsne prenaient pas trop la parole parce que les enfants n’avaient pas trop l’habitude de prendre laparole à cette époque. »

« Nous avons surtout des souvenirs d’elle quand nous étions enfants. On était tous ses en-fants... Elle avait beaucoup d’autorité, c’était une femme très autoritaire, elle en imposait.On aurait jamais osé dire le contraire si elle nous disait de poser le bidon à un endroit et pasà un autre. Tout le monde la connaissait dans le quartier. On habitait tout près. On allait tousles soirs ou tous les matins chercher le lait. Elle faisait un peu brute, elle était un peu spécialede caractère. Ses vaches étaient dans la prairie de Mauves à côté de la rue Pré Gauchet,les prairies s’étendaient jusqu’au chemin du Pont de l’Arche »

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L’eau

« Je suis née en pleine crue, la plus grande de 1936 et le docteur qui est venu me mettre aumonde a été obligé d’emprunter une barqueparce que la maison

était entourée d’eau ce jour-là. »

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Le quartier inondé à l’angle de la rue de Cornulier et du quai Malakoff en 1936

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Les inondations« Les inondations, ce n’était pas drôle et puis c’était long après, tout était humide. Et puisalors les gens... les gens ça faisait un drôle d’effet de voir les autres venir en badauds. »

« Tous les ans, nous étions inondés. Maintenant les inondations ce n’est plus ce que ça a été,il n’y en a plus avec tous les travaux qui ont été effectués. Mais avant, il y avait 3, 4, 5 cruestous les hivers, alors il fallait monter les meubles sur des cales et mes parents faisaient çaplusieurs fois par hiver. Non seulement il fallait faire ça mais ils perdaient leur récolte aussi etil n’y avait que l’osier qui se portait bien et les arbres fruitiers. »

« Nous, on avait une cave sous la maison et tous les ans, il y avait de l’eau. Alors, on mon-tait le charbon dans la chambre parce qu’on se chauffait avec une cuisinière à charbon,bien sûr. Le charbon, il était automatiquement stocké dans la chambre. Dans notre mai-son, l’eau n’est jamais rentrée parce qu’il y avait trois marches. Dans la cour au niveau dela cave, il y avait au moins deux mètres d’eau. Nos pères qui étaient maçons avaient desparpaings. Alors ils les mettaient avec des planches et on marchait sur les dessus pour allerfaire les courses. »

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Les bateaux-lavoirs« Dès que l’on traversait le pont de la Moutonnerie, le Seil de Mauves était par-là, il s’enallait où se trouve la gare sud maintenant. Il y avait sur le Seil de Mauves, trois bateaux-lavoirs. Je les ai connus, ma mère allait faire sa journée de lessive. C’était vers 1929. Audébut, ma mère n’allait faire que sa lessive et ensuite mon père qui travaillait aux Chan-tiers de la Loire a été accidenté et il ne pouvait plus travailler. Ma mère a donc fait deslessives pour d’autres personnes. Elle devait y aller trois fois par semaine. »

« Ensuite, le Seil a été comblé mais je ne sais plus en quelle année mais c’était avant laguerre. Les trois bateaux qui se trouvaient sur le Seil ont donc été halés au bord de la Loireau bout du quai Malakoff. Sur le bord de la Loire, c’était un chemin avec une berge quidescendait vers les bateaux. Sur cette berge, les propriétaires des bateaux avaient installédes poteaux avec des fils pour faire égoutter le linge. »

« Au bateau, les blanchisseuses trouvaient tout ce qu’il fallait. Il y avait les gargotes quifaisaient partie du bateau, c’était fait spécialement dans la masse du bateau. En dessous,il y avait le foyer. Les gargotes, c’était là où l’on mettait le linge à bouillir. Mais avant defaire bouillir le linge, il était trempé dans l’eau chaude avec des cristaux de soude. Il yavait donc les gargotes, le banc à laver qui donnait sur la Loire qui n’était pas polluée àl’époque. Ca sentait les algues, ça sentait bon quoi, il y avait des poissons... Il y avait desseaux pour prendre l’eau dans la Loire, il y avait des grands bâtons pour retirer le linge quiétait très chaud. »

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« Je me souviens que le midi après l’école, je passais par le pont de la Moutonneriepour aller déjeuner avec ma mère sur le bateau. Elle faisait cuire des pommes de terredans la cendre et avec un morceau de pâté, j’étais ravie ! »

Les bateaux-lavoirs sur la Loire en bordure du quai Malakoff en 1939

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« Chaque blanchisseuse avait son battoir. » appelaient ça un badra. Le propriétaire dubateau fournissait tout ce qui manquait : les cristaux de soude, la lessive, des petits rondinsde bois pour le feu, des boules de bleu pour blanchir le linge, de l’eau de Javel. Il y avaitune dizaine de bancs. Au milieu, il y avait une cabine et, de chaque côté, il y avait cinqgargotes, il y avait donc de la place pour dix personnes. Ce n’était pas toujours plein, lesblanchisseuses avaient leur jour. »

« Le bateau appartenait à une personne qui louait les emplacements. Je me souviens dema mère qui payait sa note à la fin de la journée, il y avait un supplément si elle étendait dulinge. Elle allait au bateau avec une brouette de linge et quand elle repartait le soir, c’étaitune journée bien remplie. Pour moi, enfant, c’était une promenade mais plus grande, j’allaischercher ma mère pour l’aider à remonter le linge. Ce n’était pas évident surtout l’hiverquand ces personnes revenaient après leur journée, l’onglée au bout des doigts, faire tout letrajet... je parle ici en mémoire de toutes ces femmes... c’était dur ! »

« Sur le bateau, c’était assez convivial. C’est là que les femmes déchargeaient tous leurssoucis ou parlaient de leurs joies. Il y en a qui avait des naissances à fêter, des commu-nions, tout ce qui pouvait réjouir la famille. Des fois, c’étaient les maladies... enfin chacunse déchargeait. C’était l’occasion de bavarder, de raconter des histoires un petit peucrues qui faisaient rire tout le monde. C’était un lieu pour les femmes. »

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Les guinguettes« Avant la construction des cités, c’étaient des jardins. Je me souviens, on venait se promeneravec mes parents le dimanche. La sortie des Nantais, c’était de se promener le long de la Loire.On marchait là où il y a la route maintenant, et en contrebas, il y avait tous les jardins. Il y avait troisguinguettes, il y en a même une qui est devenue une boîte de nuit. Il y avait une route qui partaitde Robinson pour rejoindre le pont de la Moutonnerie. »

« Ce sont mes grands-parents qui avaient le restaurant Robinson. Grand-mère était restéeveuve et c’est elle qui faisait la cuisine. Après ce sont mes parents qui ont pris la suite durestaurant mais c’est toujours grand-mère quand même qui faisait le beurre blanc, mamanrecevait les gens. J’avais 14-15 ans quand ça marchait à plein. Il y avait du monde plein laterrasse et il fallait prendre du renfort de personnel le dimanche. Mes parents ont beaucouptravaillé. »

« C’était très fréquenté le dimanche, il y avait une jolie terrasse qui donnait sur la Loire, il y avait desmarronniers. C’était un endroit de ballade, proche du centre-ville, les gens venaient à pied. C’estla voiture qui a tout changé. »

« Je me souviens après la guerre quand mon beau-père ne faisait plus le restaurant, c’étaitla marchande de galettes à la place. Et avec mon beau-père, on allait chercher des bou-teilles de cidre et on vendait peut-être deux cents bouteilles dans l’après-midi. »

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Le restaurant Robinson sur la Prairie de Mauves en 1946

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Les commerces,les marchands ambulants et

les cafés

« Comme commerces, il y avait les cafés. Il y avait le café Jean, le café du Boulevard, le cafédu Parc des Sports. De l’autre côté il y avait le café du Chaland qui passe, le café des Boulis-tes... J’en oublie, il y en avait beaucoup. En tout cas, parmi ceux qu’il y avait avant la guerre,

il y a au moins ceux-là qui sont restés. »

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« Alors, pendant la guerre, il y avait le café Raguenot qui était vers la Colonie San Francisco,c’était celui qui était le plus loin. Il a été détruit pendant les bombardements. Celui qui a subsistéjusqu’à l’expropriation, c’est le café Monplaisir. Par ordre, il y avait donc le café Raguenot, ensuiteRobinson, et le café Jean. Robinson faisait restaurant tandis que les autres faisaient café. Il y avaitbeaucoup de pêcheurs professionnels qui fréquentaient les cafés du quartier. »

« Il y avait beaucoup d’épiceries, il y en avait au moins deux dans la rue de Cornulier, avecl’Epargne de l’Ouest et les Docks de l’Ouest. En tout cas, aujourd’hui, tout a disparu, il n’y aque quelques cafés qui sont restés comme le café du Boulevard. Autrement le café duChaland qui passe a été abattu. »

« Madame Sureau avait une épicerie rue de Cornulier, c’était une dame qui était veuve avec sonfils. Elle avait beaucoup de patience avec les enfants, elle ne s’impatientait jamais quand onmettait du temps à choisir nos bonbons. J’en garde un très bon souvenir. Elle a tenu son épiceriejusqu’aux bombardements. Je ne sais pas du tout ce qu’elle est devenue. »

« Madame Piard, c’était une toute petite dame, minuscule. Je sais que sur ces vieux jourscomme elle avait une toute petite retraite, elle vendait des galettes. Si vous aviez été unefois cliente, vous étiez sûr que toutes les semaines elle vous apportait votre petit paquetde galettes. Avant elle tenait les Docks de l’Ouest, c’était vers 1932. Il y avait au moinscinq épiceries dans le quartier et avant la guerre, il y avait une boulangerie, rue deCornulier. »

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Le café du Boulevard et les Docks de l’Ouest, rue de Cornulier en 1946

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« Mademoiselle Pedron habitait quai Malakoff. Elle avait une toute petite maison au fond d’unjardin et c’est là que se trouvait son salon d’essayage. Comme tous les commerçants du quartier,elle était très connue. Tout le monde passait par là parce qu’il n’y avait pas de magasins où l’ontrouvait des chaussures et des vêtements tout faits. Il fallait se les faire faire, c’était du sur mesure.Par exemple à Pâques, beaucoup de dames avaient un chapeau, enfin une toilette, c’était MellePedron qui les fabriquait. »

« Le père Luçon, c’était le marchand de poisson du quartier. Il était poissonnier ambulant. Ilest arrivé en 1954 à Malakoff. Pendant la guerre, c’était le père Moula qui passait, il faisaittrès peur parce qu’il faisait un peu clochard. Il avait une petite charrette avec un chien. Ildisait : « Je suis le père Moula, voulez-vous des moules, des moula! ». Il ne vendait pas quedes moules, il avait aussi de la raie et il disait : « De la raie, de la raie de mes fesses qui n’apas d’arêtes! ». Ce monsieur n’est pas resté très longtemps dans le quartier, seulement pen-dant la guerre. Le père Luçon est venu après avec un petit bourricot et une charrette. Lesgens du quartier se rencontraient autour de sa charrette. »

« Un dimanche, on était à la messe et l’abbé Brunelière faisait son sermon et il disait : « Mes frèresqu’est ce qu’il nous manque dans notre vie quotidienne, chercher, qu’est ce qu’il nous man-que ? ». Et tout à coup le père Luçon qui était à la porte à attendre les gens à la sortie de la messeavec son petit cheval et sa petite charrette, il avait ses huîtres dans sa petite voiture, pendant quetout le monde cherchait, tout à coup on entend : « DES HUITRES!, DES HUITRES ! », il arrivait au bonmoment quoi ! »

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Les entreprises du quartier

« En 1936, la grève nationale a eu un retentissement sur le quartier. La société Ménard etHérou - Charpente métallique et serrurerie - employait environ une centaine d’ouvriers et ilsont fait la grève sur le tas. Il y avait des accordéons. Pour moi tout gamin, c’était un amuse-

ment, j’allais voir ça et puis je vais vous dire, c’est là que j’ai apprisl’Internationale. »

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« Avant la guerre, il y avait la fonderie Lemer et Brisson, l’usine de plomb, c’était une des plusvieilles entreprises du quartier. Il y avait Ménard et Hérou aussi qui était installée juste à côté des« Compagnons actuels du devoir, » actuels, rue de Lourmel. »

« Avant la guerre, il y avait une entreprise de plomberie qui était dirigée par Monsieur Elouers.Ils ont toujours été rue de Cornulier. Ils n’avaient pas beaucoup d’ouvriers, c’était une petiteentreprise. Il y avait l’entreprise de charpente métallique, Ménard et Hérou. Les locaux exis-tent toujours, ils sont occupés par l’entreprise de menuiserie Jallais, rue du Pré Gauchet »

« Il y avait l’entreprise Bonté qui fabriquait des bonbons, des berlingots... Pinson existait aussi. Sinonil y avait la droguerie Blanclœil, la famille Bouillé qui cultivait de l’osier et l’épicerie en gros deGaillard et Briand sur le quai Malakoff. Après la guerre, il y avait Devin et Lemarchand. C’était uneentreprise de travaux publics, enfin de canalisations, dans les années 50. Les payes étaient distri-buées au café du Parc des Sports »

« En 1936, chez Ménard, les ouvriers occupaient l’usine. Ils se réunissaient dans la cour etchantaient l’Internationale. Notre maison était de l’autre côté de la rue et ma sœur étaitatteinte d’une scarlatine cet été-là et devait garder la chambre. Elle l’avait apprise parcœur mais à sept ans, elle reprenait : « C’est la lune finale ! », ce qui pour elle, avait sansdoute plus de sens. »

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L’entreprise Charon« Mon grand-père tenait un café place du Bouffay qui existe toujours et ensuite il s’estinstallé... En fait, c’est toute une histoire... J’ai entendu parler qu’il avait essayé de vendredes pommes de terre pour faire autre chose que le café. Puis, il s’est aperçu que dans lesautres cafés, les tenanciers recevaient le vin, le porto... en fûts et ils ne savaient pas quoien faire. Alors, il a eu l’idée de racheter les fûts aux autres cafetiers et il a commencé à lesvendre dans le pays du Muscadet parce que tout le Muscadet était vendu en fûts perdus.C’est comme ça qu’il a commencé. Comme il avait son commerce place du Bouffay etson appartement rue Henri IV, qui était son bureau en quelque sorte, il a donc cherché unterrain qui n’était pas trop loin et le quartier Malakoff était celui qui était le plus près. A cemoment-là, c’est à dire avant la première guerre, le quartier c’était une prairie. C’estcomme ça qu’il a quitté le café pour se lancer dans les fûts uniquement. Voilà l’origine del’entreprise... »

« C’était une affaire de demi-gros, mon grand-père et mon père ne fabriquaientpas. En général, ils achetaient des fûts au Havre, dans le Nord, à Bordeaux et mêmeà Marseille quelquefois. Ils remettaient en état les fûts qui étaient abîmés et ils lesrevendaient à des tonneliers de Bretagne, d’Anjou et de Vendée. Ils revendaient àdes détaillants et non à des particuliers. »

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L’entreprise Charon, quai Malakoff en 1946

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« Après la guerre, le fût de bois a décliné, l’entreprise a donc été ralentie. On a fait desjerricans, vous savez les fûts en fer... Il y avait tout un tas de jerricans à l’époque avec lesAméricains, ils recevaient tout dans des fûts en fer. Et nous, nous avons reconditionné cesfûts en fer pour les fournir aux cultivateurs qui achetaient des tracteurs puisqu’ils avaientbesoin de trois fûts pour faire une réserve de gaz – oil. Après, comme ça ne marchait plus,on s’est mis à faire des citernes. Au départ, à la campagne, on se contentait d’un fût maispetit à petit, ils ont eu besoin de stocker plus grand. De fil en aiguille, je me suis orienté dansla chaudronnerie, dans la construction de citernes plus précisément... il y a donc un fildirecteur puisque c’était toujours des contenants! »

« A partir de ce moment, l’entreprise sur le quai Malakoff, c’est devenu trop petit. Pour fairedes citernes, on faisait des grosses citernes, il nous fallait beaucoup d’espace. Nous n’avi-ons pas assez de courant également. Nous aurions toujours pu installer des transfos maisc’est surtout le terrain et les bâtiments qui ne convenaient plus, c’étaient des bâtimentsassez importants mais plus suffisants... Quand on a commencé à construire des citernes, audépart ça allait puisque c’étaient des petites contenances mais rapidement on nous a de-mandé des 20 litres, des 40 litres... C’est devenu impossible de rester à Malakoff. On a ter-miné par faire des 100 000 litres, il fallait absolument déménager. On recevait des camionsde taules, 20 tonnes parfois, il fallait les décharger à la main, c’était devenu complètementarchaïque. Il a donc fallu trouver une solution pour pouvoir poursuivre la fabrication. Nousavons donc déménagé l’entreprise en 1967 et changé de domicile en 1973. »

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Les Italiens

« Quand ma mère est venue en France, elle ne parlait pas un mot de français. Alors elle a ap-pris comme ça et puis après, nous, on est allé à l’école. »

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Les Cattoni« Mon père est parti d’Italie pour chercher du travail. Il a fait un premier chantier en Suisse puis après unautre dans le Nord. Il est arrivé à Nantes en 1927 parce qu’il a eu un chantier au moment de la constructionde la cité de l’Hermitage. On a habité de 1927 à 1932, avenue Georges Bizot et en 1932, mon père aconstruit rue de Cornulier et il a monté une entreprise de maçonnerie. Toute la famille est venue, même lesouvriers. »

« C’étaient des immigrés qui venaient travailler dans l’entreprise, ça faisait un peu comme une tribu.Des baraques ont été construites, après c’est le bureau qui a été construit. Dans l’enceinte de l’entre-prise, il y avait une cuisine, ils mangeaient là le soir, je ne sais pas combien il y en avait, vingt-cinqpeut-être. Petit à petit, les femmes, les familles sont venues. »

« Au début, il y avait une vingtaine d’ouvriers, ce n’était pas encore la grosse boîte comme à la fin où il yavait à peu près une cinquantaine d’ouvriers. »

« Mon père était contremaître chez Cattoni et la maison Cattoni a eu des contremaîtres extraordinai-res qui ont vraiment fait le bonheur de l’entreprise parce qu’ils étaient vraiment là pour faire marcherle chantier. Alors, c’était boulot, boulot, boulot ! Ils commandaient tout le monde. Je pense doncque mon père est venu à Nantes parce qu’il connaissait les Cattoni. »

« Les Cattoni étaient originaires de Rodero, c’est dans la province de Côme. Mon père habitait à Varesequi a l’époque était encore dans la province de Côme, c’est à 12 km de Rodero. Ils ne se connaissaientpas, mon père a vraisemblablement connu les Cattoni par l’intermédiaire de son frère qui était déjà àNantes. Les Italiens qui se sont installés quai Malakoff venaient de la même région car beaucoup étaientdes neveux de la famille Cattoni. La plupart des Italiens qu’il y avait à cette époque-là, c’étaient des gensde connaissance, après il y en a d’autres qui sont arrivés. »

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L’entreprise Cattoni, rue de Cornulier en 1946

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Delphine Cattoni« Delphine Cattoni, c’était la première fille de Joseph Cattoni, celui qui a créé l’entreprise.Elle donnait des soins aux habitants du quartier, elle faisait des piqûres. Déjà sa tante maisaussi sa mère faisaient la même chose. C’étaient des gens très, très croyants… et à l’épo-que, il n’ y avait pas de bonnes sœurs qui passaient dans le quartier. »

« Delphine c’était une personnalité du quartier. Si vous voulez, c’était une très bonnepersonne qui était toujours en train de s’occuper des Italiens. Dès qu’il y avait quel-qu’un de malade, elle venait. Elle ne faisait pas de bruit mais tout le monde connais-sait Delphine et quand il y avait un service à demander, c’est à Delphine que l’onpouvait demander. Elle ne s’occupait pas que des Italiens d’ailleurs. Elle était vrai-ment très gentille, très dévouée... Elle a toujours été comme ça, même très jeune.»

« Ma belle-soeur, Delphine était très connue dans le quartier, mais ma belle-mère étaitaussi une personne très, très bonne. Elle allait faire des piqûres aux nomades, parce qu’àmoment-là quand je suis arrivée à Malakoff en 1954, il y avait des nomades sur ce que l’onappelle le Pré Gauchet. Ma belle-mère allait leur faire des piqûres, ils ne lui auraient pasfait de mal, rien du tout, ils étaient tellement contents qu’elle aille rendre service. »

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Les Italiens« Il y avait bien une cinquantaine d’Italiens avec les femmes et les enfants. En fait, il y avaitdeux sortes d’Italiens. Il y a ceux qui venaient travailler, qui restaient là 4-5 ans et qui s’enallaient. Et puis il y a ceux qui ont fait souche, qui ont fait venir leur femme et puis qui ontvécu là. Rien que la famille Cattoni ils étaient nombreux, les frères et sœurs, les cousins...ilsétaient bien une vingtaine. »

« Au début, les Italiens restaient dans leur coin, les gens du quartier les connaissaient maissans plus. Ceux qui étaient célibataires et qui habitaient dans les baraques, ils vivaient dansla cour, ils allaient dans les bistrots du coin et c’est tout. Les gens se sont mélangés plus tard.Vers 1934-1935, les Italiens ont commencé à bricoler, à faire des petits travaux dans lequartier... Ils se sont fait connaître comme ça. Ils se faisaient payer, bien sûr et ils ont com-mencé a en parler entre eux, une petite bricole par-ci, une autre par-là. Après il y a eu lesmariages, il y en a eu deux ou trois. »

« Les Italiennes aussi travaillaient dans le quartier. Je connaissais bien la Binda. Elle s’appe-lait la Binda parce que Monsieur Collerio, son mari, venait d’un village italien qui s’appelleCitimi et ce village, c’était le village de naissance du coureur cycliste Italien Alfredo Binda.C’étaient des copains d’école et il parlait toujours de son copain... Mon copain Binda afait çi, mon copain Binda a fait ça... Alors tout le monde a fini par l’appeler Binda. Lui,c’était le Binda, elle, c’était la Binda et le petit, c’était le Bindini! »

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« Il y avait Aldo Dalsoler, c’était un employé de Cattoni qui était très costaud. Je me souviens, unjour je suis allé boire un verre avec lui au café du Chaland qui passe. Quand on est rentré dans lecafé, il y avait un type au comptoir qui avait trop bu et qui n’arrêtait pas de parler et la patronnen’était pas trop rassurée. Mais quand elle a vu Aldo arrivé, ça l’a rassurée. Comme le type ne lafermait pas, Aldo lui dit : « Dis- donc, tu vas la fermer, sinon tu vas voir ce qui va t’arriver ». Commele gars n’arrêtait pas, il l’a chopé par le cou et il l’a balancé sur le trottoir. Le gars s’est étalé sur 3,4 mètres , je revois encore l’image, je me rappellerai tout le temps de ça. Aldo, il avait une sacréeréputation ! »

« Je me souviens quand les Italiens allaient au bal sur le boulevard Dalby. Au départ, ilsétaient comme les autres, ils faisaient un peu la pagaille. Et comme le patron était intelli-gent, il a pris ceux qui faisaient la pagaille comme videurs. C’est comme ça que Aldo estdevenu videur et du jour au lendemain les bagarres, c’était terminé. En plus, il connaissaitbien les autres, alors c’était plus facile. »

« Je connaissais tous les enfants Cattoni. Je connaissais quand même des petits français du quar-tier parce que nous allions à l’école rue Maryland. Il n’y avait pas de racisme à l’école, le racismea commencé pendant la guerre mais c’était plus avec les adultes qu’avec les enfants. »

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L’enfance

« Quand on était enfant, on allait courir sur la Prairie de Mauves, il y avait une ferme. Parcontre on n’allait pas vers le pont de la Vendée, c’était un univers où l’on allait très rarementparce que c’était loin pour nous. C’était vraiment la prairie, on allait chercher des clochet-

tes. »

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Les loisirs« Pendant la Première guerre, les Américains étaient souvent dans les cafés du quartier. Jeme rappelle qu’une fois ils m’ont fait chanter. D’ailleurs, ils pensaient que j’étais une petiteréfugiée du Nord parce que j’étais blonde. Je me rappelle que le premier avion qui aatterri à Nantes c’était sur la Prairie de Mauves. Ils sont restés pendant et après la guerre.Je me rappelle, ils avaient leurs tentes sur la prairie. Nous, les enfants quand on les voyaiton disait : « Chwing, chwing » parce qu’on voulait du chewing-gum. Ils nous donnaient duchocolat. C’était des hommes qui avaient leur famille là-bas alors quand ils voyaient desenfants… »

« Avant la construction du stade en 36, c’était un terrain vague. Il y avait des terrains desable, on jouait là-dessus. On ne jouait pas en dehors du quartier. On avait grand quandmême derrière, la Prairie de Mauves, c’était important. »

« Nous, les gosses, on était libre. L’après-midi entière, on était parti, on s’en allait jusqu’àSaint-Sébastien en passant par le pont de la Vendée, le pont de chemin de fer qui étaitmarqué interdit mais il nous est bien arrivé deux, trois fois, d’aller à Saint-Sébastien, per-sonne ne disait rien. On était libre, on ne craignait rien. Autrement, dans le fond de notreavenue, il y avait les jardins de nos parents et il y avait les prés. Les prés avec le foin, lesmeules de foin, on jouait à cache-cache, les paysans nous gueulaient dessus parce qu’onfaisait un petit trou dans la meule, on mettait un rideau devant nous pour nous cacher. Iln’y avait pas de limites, la seule limite c’était la voie de chemin de fer pour ne pas aller surNantes. »

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Le quai de Lourmel et le canal de la gare en 1932

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Le quai Malakoff remblayé, emplacement du futur stade en 1933

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La piscine« L’été, il était possible de se baigner dans le canal Saint-Félix, au pied de l’écluse. Deuxsociétés de natation étaient à disposition. L’ASON, côté Malakoff, le Neptune, côté Ferdi-nand Favre. Nous étions attachés par une ceinture de toile à la taille et suspendus par unecorde au bout d’une perche fixe en fer. Un vieux maître - nageur nous apprenait les mou--vements de la brasse. Il surveillait bien son petit monde. Je le revois jeter à l’eau sansenlever sa casquette pour secourir ma sœur qui faisait ses premières brasses seule et qu’ungarçon taquin avait affolée en passant devant elle à la nage. Pendant les étés de guerre,jusqu’en 1943, nous étions ainsi occupés chaque après-midi et nous sommes devenus desfervents de la natation. »

« Il y avait la piscine qui était la piscine de Nantes. Elle était à côté du Palais des Congrès,dans le canal Saint-Félix à côté de l’écluse. J’avais un oncle qui apprenait à nager, on allaitvoir les gens qui se baignaient mais nous, on ne s’y est jamais baigné, on était trop petitencore. Il y avait souvent des noyés dans le canal Saint-Félix et on courrait souvent voirquand on entendait les pompiers... on était sadique ! »

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Les patronages« Le jeudi, on allait à Saint-Christophe au « patro », il y avait la gym à Monsieur Lachich quiavait été champion de France, d’ailleurs. Il passait Charlie Chaplin, on en a vu des « CharlieChaplin », qu’est-ce que c’était drôle. A ce moment-là, il y avait des patronages danstous les quartiers, c’était l’Eglise qui organisait l’animation. »

« Nous allions au patronage à Saint-Clément, c’était rue du Maréchal Joffre. On rentraitdans un couloir, on filait très profond et au bout il y avait une cour avec une butte et unsapin, je m’en rappelle. Ca devait être des sœurs au démarrage qui nous faisaient le patro-nage. Il y avait du bricolage, des sorties, des chants. Dans l’année, on avait des sorties à lacampagne, c’était d’ailleurs très plaisant. J’aimais beaucoup les patronages. J’avais septou huit ans, c’était à la fin des années 30. »

« J’ai connu le quai Malakoff avec le patronage car avec l’école Sainte-Croix, on venait jouer àl’emplacement de la chapelle, là où il y a la mosquée maintenant mais avant ce n’était que dusable. Tous les enfants du patronage venaient jouer là, derrière le quai Malakoff. »

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L’école« J’allais à l’école boulevard Stalingrad, elle existe toujours d’ailleurs. Il n’y avait pas d’écoledans le quartier. Moi, je partais de bonne heure vers sept heures parce que maman medéposait en allant travailler. Ma mère travaillait à la Manufacture des Tabacs et l’écoletouchait l’usine. La concierge de la Manu ouvrait sa conciergerie et gardait tous les en-fants des mamans qui travaillaient à la Manu en attendant l’ouverture de l’école. Avantd’aller à l’école, on avait droit à notre petit pain et notre chocolat. »

« Au démarrage, je suis allée à la Manu, comment ça s’appelle déjà ? Mais comme enItalie, j’avais une tante qui était soeur supérieure d’un couvent et bien quand elle a su quej’allais dans le public, c’était la catastrophe ! On m’a alors envoyée à Sainte-Marie dans lequartier Saint-Clément. »

« J’ai commencé l’école à 5 ans dans l’école près du Jardin des Plantes. J’empruntaiscomme parcours la Prairie de Mauves, le Chemin du pont de l’Arche, je passais sous lepont de la Moutonnerie où il y avait des gens, maintenant on leur fait la chasse à ces gens-là, mais à l’époque on ne leur faisait guère la chasse à ces gens-là : les détraqués sexuels.Sous le pont de la Moutonnerie, ils se cachaient dans les arches et quand ils voyaient lesenfants c’est là qu’ils commençaient leur cinéma. Mon dieu ! Ce que j’ai eu peur ! Etaprès, j’empruntais le boulevard Sébastopol, la rue Frédéric Caillaud et après j’étais ren-due. Cela faisait trois kilomètres environ. »

« On allait à l’école rue Maryland, on traversait la gare, on longeait le boulevard Sébastopolet l’été on passait par la Prairie de Mauves. J’ai du commencer à aller à l’école vers quatreou cinq ans vers 1937 donc. L’école des garçons était bien séparée de l’école des filles. »

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La fête de la jeunesse« Il n’y avait pas que du foot dans le stade Malakoff même si c’était son activité principalemais après la guerre, vous souvenez-vous des fêtes de jeunesse. Ca se passait au mois demai, une fois par an et c’était organisé par la FAL, la Fédération des Amicales Laïques. Enfait, c’était la fête des écoles. Le défilé partait de Talensac avec les enfants et les institu-teurs et puis on entrait dans le stade et alors là, il y avait la fête de la jeunesse qui duraitjusqu’à six heures du soir. Ca avait lieu une fois par an, c’était grandiose. Ca s’est perpétuéaprès la guerre pendant vingt ans. Il y avait des jeux, de la musique, on faisait des mouve-ments d’ensemble, c’était très synchronisé, c’était très bien... En fait, c’était la fête desécoles laïques et il y avait des milliers d’enfants parce que c’étaient toutes les écoles deNantes. En 1948, le chant qu’ils avaient tous appris, c’était « Ensemble, tout semble plusbeau », c’était leur slogan en quelque sorte. »

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La fête de la jeunesse en 1958

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Le stade Malakoff

« J’aimais bien cette ambiance de match, à part l’odeur des saucisses qui n’était pas trèsagréable. »

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Le stade Malakoff, construction de la tribune des premières en 1937

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« Je me rappelle vaguement de la construction. Par contre, je me rappelle de la fête d’inaugura-tion, tous les commerces du quartier étaient décorés. Les soirs de matchs, c’était tellement bruyantqu’il fallait ou s’en aller ou aller aux matchs... Moi, j’allais aux matchs. Après les matchs, il y avaitde l’ambiance, on allait au café du Parc de sports. »

« Quand, le stade a été construit, mon mari qui était fou de rugby allait voir les matchs ledimanche et moi, je mettais mon fils à Guignol qui était sur les cours. Quand les guignolssortaient, je m’en allais chercher mon mari au stade. Le stade Malakoff, c’était une affaireformidable, il y avait des cafés tout autour. »

« Par contre ce que l’on peut tous se rappeler puisque que nous habitions avenue du Progrès,c’est que quand il y avait des matchs, et bien le dimanche il ne fallait pas compter sortir. Il y avaitdes matchs le dimanche après-midi et le soir en semaine. La veille, il valait mieux prévoir de sortirsa voiture si l’on voulait partir. »

« Après la guerre, quand le FCN est monté en 1ère division, les premiers stands de fritesautour du stade ont commencé à apparaître. Ca donnait un air de kermesse les jours dematchs. On était d’ailleurs obligé de fermer la fenêtre parce que sinon on avait toutes lesodeurs de fritures. En tout cas, j’allais voir des matchs, on était juste en face ! »

« Nous, on habitait l’avenue juste en face du stade et tous les hommes à la mi-temps sortaientbien vite faire leur besoin le long de l’avenue du Progrès. Et j’aime mieux vous dire que la mèreValino quand elle voyait ça, elle ouvrait sa porte et c’était du balai pour tout le monde. Une fois,c’est une autre habitante de l’avenue du Progrès qui leur a jeté un seau d’eau. Le lendemain, lesmurs étaient marqués, c’était vraiment un fardeau. Il y en a même qui rentraient dans la cour desparticuliers. Alors sur la rue, ce n’était pas bien grave mais entrer chez les gens, il ne fallait quandmême pas exagérer ! C’était épouvantable ! »

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« Nous habitions au premier étage dansune maison en face du stade et quand ilsont abattu l’ancienne tribune d’honneurpour agrandir, j’avais tous mes amis quivenaient chez nous pour voir les matchs.Avant nous allions souvent au stade avecmon beau-père... »

Le stade Malakoff, la tribune des premières en 1946

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La guerre

« Pendant la guerre, il y avait des Allemands qui étaient à la Duchesse Anne. Nous, on avaitune cave et comme il y avait un trou entre notre cave et l’hôtel, on s’est chauffé avec leur

charbon. Au départ, on avait rien vu, c’est un voisin qui s’est aperçu de ça alors on a piqué lecharbon des Allemands. Ils ne s’en sont jamais aperçus. A ce moment-là, c’était un peu le

même quartier Malakoff et la Duchesse Anne parce que c’étaient des ouvriers qui habitaientlà. »

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L’occupation du stade Malakoff par les Anglais« La grande histoire du stade c’est quand les Anglais l’ont occupé en 1939. Ils sont partisen catimini en 1940. Ils étaient installés en dessous des tribunes. Ils sont partis quand lesAllemands étaient à Dunkerque. Quand ils ont vu que ça ne marchait pas, ils sont partistrès vite. Ils sont partis en l’espace de rien du tout et on a entendu des gens dire qu’il yavait du matériel, des choses à voir dans le stade. Tout le monde a accouru et nous,quand on est arrivé, c’était déjà vidé en grande partie... Tout avait été abandonné, ilsn’avaient rien rembarqué... Nous, on a récupéré des bouquins de l’intendance Il y a desgens qui ont récupéré des quantités de cigarettes... Pendant quelque temps, les habitantsdu quai Malakoff ont vécu avec des cigarettes en réserve. »

« Je me rappelle d’une anecdote, il y avait les Anglais à ce moment-là qui étaient dans lestade de Malakoff. Et avec les gosses du quartier, on avait récupéré des casquettes d’offi-ciers Anglais et on jouait avec ça, des fois en sortant dans la rue. Et un jour, on est sorti justele jour où les Allemands sont arrivés, je m’en rappellerais toujours. Nos mères sont venuesnous chercher en criant : « Voulez-vous rentrez ! » Pour nous, on voyait seulement des sol-dats défilés. Ca devait être en 1941. ”

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L’occupation« J’ai connu la guerre jusqu’en 1943. Je me souviens très bien des premiers Allemands quej’ai vus. C’était en juin, il n’y avait pas d’école parce que l’on savait que les Allemandsarrivaient. Avec ma soeur et mon cousin, nous étions partis nous promener du côté duchemin qui longeait le gué Robert, c’était assez désert par là, il n’y avait pas grand monde.On a vu les premiers Allemands là, ils étaient sur un side-car. »

« Un jour, on a vu plein de soldats Allemands qui allaient vers la Prairie de Mauves, vers lepont Rézal. Il y avait un avion français qui s’était fait abattre. Je ne sais pas ce qu’il était venufaire là, peut-être qu’il venait voir où étaient les Allemands. Ils sont également allés sur lesvoies de chemin de fer où il y avait des wagons avec des militaires Français qui étaientconsignés là. Il y avait des Français, des Marocains… qui attendaient d’être faits prisonniers.Pendant plus de deux ou trois heures, ça défilait. Il y avait des soldats qui se cachaient dansles couloirs, il y en a qui ne se sont pas constitués prisonniers. Je me souviens, il y en a un quiavait un poste de radio, je ne sais pas où il avait trouvé ça, mais il l’avait déposé dans unemaison du quartier et il est venu le chercher après la guerre. »

« La Kommandantur était place Louis XVI au 117ème corps d’armée. Il y avait des Allemands, despatrouilles mais sur le quai Malakoff, on ne voyait pas grand monde. Dans la vie courante, ça nenous empêchait pas d’aller à l’école. En fait le gros problème, c’étaient les restrictions. Il fallaitdes tickets partout, il fallait faire la queue partout. Mon père, à ce moment-là, était prisonnier,c’était difficile, les conditions de vie étaient difficiles... Mais on ne se rappelle pas avoir eu vrai-ment peur, même au moment des bombardements à Nantes, personne n’est allé dans les cavesparce que tout le monde écoutait la radio anglaise qui disait que l’Allemagne avait été bombar-dée, que Lorient était très bombardée. »

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« En ce qui concerne la vie quotidienne, le plus marquant, c’étaient les cartes d’alimentationmais les gens se débrouillaient. Je me souviens que mon père allait à la campagne à vélo et ilramenait du pain, du vin… En général, les gens connaissaient des paysans à la campagne. Quandils n’en connaissaient pas, ils allaient faire un tour, une fois, deux fois et puis après ils se connais-saient. Ils ramenaient du beurre, toutes sortes de produits frais. C’était sans doute plus cher que lanormale mais c’était du au moment. »

« Pendant la guerre, mes parents en tant que maraîchers n’ont pas été réquisitionnés. Monpère était prisonnier en Allemagne et c’était mon grand-père qui allait faire les Halles avecma mère, sa bru. Ils partaient à 2h du matin et comme il y avait le couvre-feu sur Nantes,personne n’avait le droit de circuler à moins d’avoir un laissez-passer. Alors mon grand-pèreavait été à la Kommandantur, place Louis XVI. Il avait expliqué son cas et comme il étaitimmatriculé à la Mutualité agricole, ils avaient bien vu que mon grand-père disait vrai et ilslui ont donné un laissez-passer permanent pour aller la nuit vendre ses légumes. Alors, il yallait avec son cheval et sa charrette. Nous vendions à domicile aux habitants du quartiermais nous le faisions déjà avant la guerre, ça a toujours été. »

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« A propos de la guerre, je voudrais évoquer le couvre-feu… Alors, nous c’était une avenue en culde sac parce que dans le fond de l’avenue ça descendait et il y avait les jardins. A huit heures dusoir ou neuf heures, je ne sais plus, il fallait être rentré et quand il faisait un beau soleil, surtout aumois de juillet, dur, dur ! Alors, moi, j’étais tout le temps dehors et un soir j’étais partis voir mescamarades, Janine et Henri Legal. Comme ils habitaient près de chez nous, un soir qu’ils étaient àleur fenêtre, je suis allée les voir. En face, il y avait des jeunes gens qui étaient en train de bavarder,il y avait un couple d’amoureux. Tout d’un coup, on entend la patrouille, elle se pointe au bout dela rue et elle nous a aperçus. Les voilà qui viennent en courant, les jeunes en face, ils sont montésdans les étages. Moi, je suis rentrée vite fait dans le couloir pour me cacher, j’étais toute blottie etune trouille ! Alors, j’entendais les Boches qui parlaient et puis plus rien. Alors je suis vite rentréechez moi. Mais les jeunes, ils les ont emmenés à la Kommandantur et ils les ont gardés toute la nuitcirer les bottes des Boches. Enfin bon, ce n’était pas grand chose, ils en sont restés là. »

En 1943, j’étais jeune mais il y a des choses qui marquent. Je me souviendrai tout le tempsd’une personne qui était sans doute un brave homme mais un jour où je faisais la queuechez Madame Piard, l’épicière, c’était à mon tour et lui est arrivé, il m’a pris par l’épaule etil m’a dit : « Toi, le petit macaroni, t’as le temps d’attendre ! ». Il est passé devant moi alorsque c’était un type qui n’avait jamais dit quoique ce soit, qui avait toujours été poli avecmes parents. Avec un enfant, c’est tellement plus facile ! J’aime mieux vous dire que mêmeà dix ans, ça reste ! »

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Le quai Malakoff et la Prairie de Mauves bombardés en 1944

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Les bombardements« Nous avons subi les bombardements, pas ceux de 1943, parce qu’en 1943 c’était la ville, nousc’était en 1944. Alors le premier bombardement qui est tombé sur la Prairie de Mauves, c’était le28 mai à une heure du matin. Alors là, notre exploitation a été labourée de fond en comble. Lamaison a été bien ébranlée mais elle était encore habitable, par contre l’exploitation avait eu cejour-là, je ne sais pas, peut-être une dizaine de trous de bombes à enfouir une maison de deuxétages. Après ça a été les 6 et 7 juin en pleine matinée, alors là, le quai Malakoff a vraiment pris.Les bombardements visaient la gare de Nantes et la ligne de chemin de fer qui partait sur Pornic,ça n’a pas du tout été atteint, ils ont tout eu sauf la ligne et la gare. »

« Au dernier bombardement du 15 juin 1944, en pleine matinée, c’est là que mon grand-père a été tué dans son exploitation, on ne l’a jamais retrouvé si ce n’est que quelquesossements, quelques bribes de vêtements. Et là, le quai Malakoff a encore repris un coup surla figure. A ce moment, nous étions réfugiés à la Chapelle Basse Mer. Et maman est venue le16 juin à Nantes avec sa bicyclette avec Monsieur Alleti pour retrouver mon grand-pèreparce qu’elle s’était dit qu’il était certainement tué, on avait su qu’il y avait eu des bombar-dements. Elle a retrouvé sa bicyclette, son déjeuner, ses souliers et son veston. Alors on lui adit, vous allez aller au musée des Beaux-Arts, c’est là que tous les corps du quai Malakoff ontété rapatriés et mon grand-père n’y était pas. »

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« On est resté toute l’année 44 à la Chapelle Basse-Mer. Mon père était prisonnier de guerre enAllemagne pendant ce temps-là et quand il est revenu le 17 mai 1945, et bien il a pu constatertous les dégâts et la maison. Il n’y avait plus que les quatre murs parce qu’elle avait encorerattrapé le 15 juin. Nous avons réussi à faire réparer quand même deux pièces et nous sommesrevenus dans notre maison Prairie de Mauves. Mon père s’est remis au travail pour remettre sonexploitation. »

« Il y a un monsieur, Monsieur Guillette qui habitait à côté du café Robinson. Au bombarde-ment du 15 juin, il a eu peur dans sa maison et il a été se réfugier dans la maison de Monsieuret Madame Grondy. Mais c’est la maison de Monsieur et Madame Grondy qui a été rasée ;il a été tué dans cette maison. La sienne n’a rien eu et elle existe toujours. »

« Il y a eu le feu au moment des bombardements sur le quai de Lourmel, tout a été brûlé. Mamère disait qu’elle avait vu flamber sa maison. Elle travaillait à la Manu et au moment du bom-bardement , ils se sont mis aux fenêtres et ils ont vu tout le quai flambé. Il est resté la maisonForgue, la maison à côté de là où sont les Compagnons maintenant. »

« Après les bombardements, tout le monde est parti se réfugier en dehors de Nantes. Il y atrès peu d’irréductibles qui sont restés. »

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Le quartier après la guerre

« Quand on est revenu dans le quartier après la guerre, nous avions un peu grandi, on estparti enfant et on est revenu adolescent. Avant la guerre, on jouait beaucoup dans le quartieravec les autres enfants. Quand on est revenu, j’avais 18 ans et il y avait soit le monde du tra-vail ou les études. On a pas retrouvé l’ambiance village du quartier. On se parlait mais c’était

différent. »

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« La reconstruction a duré onze ans et s’est faite en plusieurs étapes. Comme le quartierétait inondable, il a fallu remblayer avant de reconstruire, c’est pour ça qu’il a fallu atten-dre les années 50 pour que la reconstruction soit finie. »

« Tout n’a pas été reconstruit. Du fait qu’il n’y avait plus de quoi se loger, les gens se sontrestreints, au lieu d’avoir quatre pièces il n’y en avait plus que deux, on partageait. Mais il ya quand même des gens qui ne sont jamais revenus. Après le pont Résal, par exemple, là oùnous habitions, il y avait une très grande maison qui a été rasée après la guerre et les gensne sont pas revenus puisqu’il n’avait pas de maison. »

« La reconstruction a quand même modifié le quartier parce qu’il y a eu de nouveauxarrivants, des gens que l’on ne connaissait pas. La reconstruction a commencé de la garejusqu’au stade et c’est là que les nouveaux habitants se sont installés. Parmi ceux qui ontperdu leur logement, il y a eu les propriétaires qui ont eu des dommages de guerre, ils onteu le droit d’avoir un ou deux appartements dans les nouveaux immeubles. Les locatairesqui ont perdu leurs logements ont pu revenir se loger dans les nouveaux appartements.J’en connais qui sont revenus. Ils habitaient près du stade Malakoff et après la guerre ilsont habité dans les nouveaux immeubles qui existent toujours, entre le stade Malakoff et lagare. Quant aux commerçants, il y en a des nouveaux qui se sont installés dans les nou-veaux immeubles. Autrement place Cornulier, ceux qui n’ont pas subi les bombardements,les commerces sont restés même si les commerçants n’étaient pas les mêmes. Les bom-bardements ont été une rupture dans la vie du quartier mais petit à petit la vie a repris soncours. Du stade Malakoff jusqu’au pont Résal, il y a eu des maisons individuelles qui ont étéreconstruites. »

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« En 52, ce n’était pas reconstruitet nous avons été parmi les pre-miers habitants à revenir. Lesgrands immeubles ont été cons-truits vers 1955. Vous savez àl’époque faire des immeublescomme ça ce n’était pascomme maintenant, ça mettaitau moins deux ans, c’était partranche et en plus il y avait toutela longueur du quartier à recons-truire... »

La reconstruction du quartier, angle de la rue de Cornulier et du quai Malakoff en 1946

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« En 1952, on s’est marié mais avec la crise du logement, nous avons habité 3 mois ici, 3 mois là...On s’est logé progressivement puisqu’au départ on n’avait pas de pièce du tout, puis une demi-pièce après un deux-pièces. On est revenu quai Malakoff en 1955 quand on a pu, avec la recons-truction, avoir un petit logement au n°27 derrière les tribunes. C’est un logement qui existe toujoursd’ailleurs. Mes parents habitaient encore quai Malakoff. Si nous sommes revenus dans le quartierc’est parce que nous avons pu avoir un logement dans le quartier. Comme c’était un immeublequi appartenait au grand-père, avec la reconstruction on a eu droit à un logement. Il y a eu unepriorité donnée aux anciens locataires mais les enfants et les petits-enfants avaient droit aussi àl’attribution d’un logement, c’est comme ça que l’on est revenu dans le quartier. »

« Dans l’ensemble, on a pas été les premiers à pouvoir retrouver un logement mais on nedevait pas être les derniers non plus. En tout cas, c’est plus facile à démolir qu’à reconstruire.Il fallait beaucoup aller au Ministère de la Reconstruction, il fallait beaucoup s’en occuper...Comme ma mère n’avait pas le temps, elle nous envoyait, nous qui avions 14-15 ans, faireles démarches. Tout a fini par s’arranger. »

« Quand nous sommes revenus, le quartier avait changé. Nous avons retrouvé certains ancienshabitants mais la guerre a quand même été une rupture parce que ça n’avait plus le mêmecaractère. Ce n’était plus le caractère des maisons ouvrières, ce n’était plus tout à fait la mêmechose. Toute la partie de Malakoff a été détruite, ça donc été reconstruit différemment, c’étaitfatal et ce n’était pas les mêmes gens. Certains habitants ne sont pas revenus. Certains commer-çants sont revenus comme le boucher, la boulangère, les épiceries aussi mais pas avec les mê-mes gens. Je crois qu’il y avait moins d’habitants dans le quartier après la guerre. Pour les petitesentreprises, il y a les Cattoni qui étaient encore là parce que leur maison avait résisté, ils sont doncrevenus assez vite dans le quartier. »

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La rue de Cornulier en reconstruction en 1946

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« On est arrivé avec mes parents en 1956 pour habiter au n°37 de la rue de Cornulier car l’appar-tement rue de Crucy était trop petit pour les neuf enfants ! C’était une maison construite par laville de Nantes après la guerre et qui correspond aux dernières maisons qu’il y a sur la rue deCornulier, les quatre maisons qui sont en pierres apparentes. »

« On a jamais eu vraiment de relations avec les habitants des nouveaux immeubles commecelui de Sabrasat. Moi, je l’appelle comme ça parce que c’est le bureau d’étude Sabrasatqui a construit l’immeuble. Monsieur Sabrasat qui était un maître-d’œuvre très connu a re-construit tout ce bâtiment mais ces nouveaux logements ne correspondaient pas du tout auniveau de vie de ceux qui habitaient le quartier auparavant. Avant c’étaient des construc-tions plus ou moins sauvages. Ce sont de nouveaux habitants qui sont venus s’installer, desgens qui avaient perdu leur logement. On a quand même connu quelques personnes maispas grand monde. Je pense que maintenant les gens de l’immeuble Sabraza doivent faireune unité avec ceux du vieux quartier. »

« Dans le grand immeuble, c’étaient plutôt des gens qui étaient assez fiers. Les gens qui habitaientlà, c’étaient des gens qui avaient un certain revenu. C’étaient des appartements qui étaientchers. Moi, j’en voyais quelques-uns, ceux qui allaient le dimanche à la messe à la Saint-Christo-phe. Quand il y avait la kermesse, ils venaient aussi… »

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« Il y avait une coupure entre le vieux Malakoff, comme on l’appelait et le nouveau,celui qui a été construit après la guerre mais le dimanche on se retrouvait tous à lamesse à la chapelle Saint-Christophe. Toutes les familles qui habitaient dans le quartierse retrouvaient là. »

Construction des nouveaux immeubles «Sabrazat» sur le quai Malakoff vers 1955

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La chapelle Saint-Christophe« C’est l’entreprise Cattoni qui a construit la chapelle Saint-Christophe en 1960. Maintenant, c’estune mosquée. C’est une chapelle qui dépendait de la paroisse Saint-Clément mais ce n’était pasvraiment une église. Il n’y avait pas de mariage ni de baptême. Après, il y a eu l’église qui a étéconstruite en même temps que les tours, l’église Saint-Marc de Malakoff et maintenant c’est uneparoisse qui dépend du diocèse mais qui n’a plus rien à voir avec Saint-Clément. »

« La petite chapelle qui est maintenant une mosquée, c’était quand même un lieu de ren-contre avec les habitants du quartier. Surtout qu’il y avait une petite kermesse tous les ans.C’est le vicaire qui, tous les ans, organisait une kermesse ce qui permettait aux gens duquartier, même ceux qui ne fréquentaient pas la chapelle, de se retrouver. »

« Tant que la chapelle a été dans le Vieux Malakoff, il y avait une équipe... une équipeparoissiale si l’on veut, avec les Cattoni, il y avait beaucoup d’Italiens qui étaient intégrés.Alors, on connaissait beaucoup de monde comme ça. Quand il y avait la petite kermesseparoissiale dans le petit jardin à côté de la chapelle, on se retrouvait tous là.Quand c’estparti là-bas dans les cités, il y en a qui ont continué à venir mais petit à petit il y en a qui sontallés à la cathédrale. L’équipe s’est dispersée. La chapelle est restée vide pendant quel-ques temps et c’est la municipalité de Chénard qui l’a donnée aux musulmans. »

« A l’Amicale, on avait demandé à avoir la chapelle Saint Christophe pour faire l’entraînement de judo et du tennis de table. »

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« Il y avait un monde fou le dimanche à la messe, la chapelle était pleine. Aprèsla messe, on se rencontrait tous. D’ailleurs, à ce moment dans le quartier, il y avaiténormément de jeunes. »

L’ancienne chapelle Saint-Christophe devenue mosquée / 1999

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La construction de la citéMalakoff

« Il y avait une coupure entre l’ancien et le nouveau Malakoff. Maintenant le nouveau, c’estla cité. »

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« J’ai bien connu la construction de la cité. Ca a commencé vers 1968, c’était même la prome-nade du dimanche quand on ne voulait pas aller trop loin. On allait voir les travaux avec tout lesable qu’ils avaient amené et puis les pilotis qu’ils ont enfoncés à dix, quinze mètres dans le solparce que les tours sont construites dans le sable ! C’était quand même une curiosité à voir. »

« J’ai connu la construction de la cité car nous habitions encore dans le quartier et commenous étions pratiquants, nous avons fréquenté l’église Saint-Marc. On a donc vu tout seconstruire, on a vu le sable qui était pris en Loire. Les gens s’y intéressaient, l’évolution destravaux était suivie avec intérêt. »

« Au départ tout le monde était satisfait par la construction de la cité. Ils pensaient mêmeque ça allait apporter une sorte d’essor au quartier mais de toute façon, il y avait cettevoie ferrée qui enclavait le quartier. Le quartier a toujours été difficile d’accès. La cité estsur un kilomètre entre les deux ponts et elle est entre la Loire d’un côté et la voie ferrée del’autre. Dans les premiers temps de la cité, il y avait une entrée près du pont de la Vendéequi permettait de rentrer directement par la rue de Corse. »

« On ne connaissait pas beaucoup les gens qui habitaient dans les tours parce que c’étaitun peu loin quand même et puis je pense que comme c’étaient des HLM, ce n’était pas louéde la même façon. Ce n’était pas loué par des « on dit », ce sont des gens qui faisaient unedemande. On aurait pu connaître par Saint-Marc mais on est parti assez vite. Je sais quemon grand-père avait des jardins là où il y a les tours. En tout cas, c’était un autre quartier. »

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Les premières pierres de la ZUP Malakoff après le remblaiement du site de la Prairie de Mauves en 1967

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Construction de la ZUP Malakoff en 1968

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« Il y a eu quelques habitants du Vieux Malakoff qui sont allés habiter dans la cité parce quec’était moins cher et plus grand, il y avait plus de confort que dans certains appartements du quaiMalakoff. Et puis dès que la première école a été ouverte, mes filles sont allées à l’école HenriBergson. Mon aînée allait à la maternelle de la rue Emile Péhant, c’était quand même plus loin. ABergson, c’était quand même nettement moins loin et il n’y avait pas le Champ de Mars à traver-ser. Au départ, ils ne voulaient pas que les enfants du Vieux Malakoff viennent là. Comme il n’yavait qu’une école, ils réservaient les places aux habitants des tours. J’ai quand même réussi àfaire rentrer ma fille dans le primaire et la plus petite a pu rentrer en maternelle. »

« Personnellement, je fréquentais beaucoup le nouveau Malakoff avec les enfants, les pa-rents d’élèves et puis l’Amicale laïque parce que pour faire faire du sport à mes gosses, jeles avais inscrites à l’Amicale laïque. Elles ont commencé par faire du basket et puis on m’aembauché à l’Amicale pour m’occuper de cette section. »

« L’Amicale laïque de Malakoff a été créée en 1971 quand les cités ont commencé à être habi-tées parce qu’avec toute la ribambelle de gosses qu’il y avait... Dans les années 70, il n’y avaitrien, pas d’air de jeux, même pas un tas de sable. Ce sont les gens qui fréquentaient l’écolelaïque Henri Bergson qui ont créé l’Amicale avec une activité foot. En plus, comme il y avait lestade Saupin dans le quartier, tout le monde voulait faire du foot. Il y avait une bonne équipe debénévoles pour s’occuper de l’entraînement. Ensuite , il y a eu une section de basket pour lesfilles. Il y avait aussi une équipe pour apprendre à nager à la piscine de la Roche. C’était uneamicale importante. »

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Le vieux et le nouveau Malakoff en 1983

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Recueil et transcription des témoignagesNathalie Barré / Archives municipales de Nantes

Recherche iconographiqueNathalie Barré / Archives municipales de Nantes

Conception et réalisationArchives municipales de NantesFabienne Letertre / Equipe de quartier Saint-Donatien / MalakoffLaurent Billaud / Equipe de quartier Zola /Dervallières

ImpressionCentre d’édition de la ville de Nantes

Cette publication accompagne l’exposition présentée au Lieu Unique du 11 au 22 septembre 2002

© Archives municipales de Nantes / septembre 2002 réédition / janvier 2005

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