vicq d'azyr et la révolution française. [vicq d'azyr and the french

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Vicq d'Azyr et la Révolution française* par Jean-Jacques PEUMERY ** "Nihil est intellectu quod non prius fuerit in sensu " On peut être un savant, un natura- liste, un médecin de haute valeur, et craindre la répression sanglante d'une révolution, jusqu'à en mourir de peur. Félix Vicq d'Azyr en est un exemple ; il a pourtant laissé une oeuvre littéraire et scientifique des plus riches, et la France lui doit l'institution de la pre- mière société de médecine. Sa carrière Félix Vicq d'Azyr naquit le 23 avril 1748, à Valognes, dans l'actuel dépar- tement de la Manche, de Félix Vicq, docteur de la Faculté de Montpellier, qui exerçait la médecine à Valognes, et de Catherine Le Chevalier, son épouse. Il fit ses études primaires au collège de sa ville natale, puis étudia la philosophie à Caen. Il songea d'abord à l'état ecclésiastique, sans pour autant abandonner les lettres, qu'il affectionnait particulièrement ; mais, cédant au désir de ses parents, il se rendit finalement à Paris, pour s'inscrire à la Faculté de méde- cine en 1765. * Comité de lecture du 25 novembre 2000 de la Société française d'Histoire de la Médecine (texte lu par le Dr Alain Ségal). ** Résidence Jean de Vienne, 392 av. Maréchal de Lattre de Tassigny, 62100 Calais. HISTOIRE DES SCIENCES MÉDICALES - TOME XXXV - №3 - 2001 263

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Page 1: Vicq d'Azyr et la Révolution française. [Vicq d'Azyr and the French

Vicq d'Azyr et la Révolution française*

par Jean-Jacques PEUMERY **

"Nihil est intellectu quod non prius

fuerit in sensu "

On peut être un savant, un natura­

liste, un médecin de haute valeur, et

craindre la répression sanglante d'une

révolution, jusqu'à en mourir de peur.

Félix Vicq d'Azyr en est un exemple ;

il a pourtant laissé une œuvre littéraire

et scientifique des plus riches, et la

France lui doit l'institution de la pre­

mière société de médecine.

Sa carrière

Félix Vicq d'Azyr naquit le 23 avril

1748, à Valognes, dans l'actuel dépar­

tement de la Manche, de Félix Vicq,

docteur de la Faculté de Montpellier,

qui exerçait la médecine à Valognes,

et de Catherine Le Chevalier, son

épouse. Il fit ses études primaires au

collège de sa ville natale, puis étudia

la philosophie à Caen. Il songea

d'abord à l'état ecclésiastique, sans

pour autant abandonner les lettres, qu'il affectionnait particulièrement ; mais, cédant au

désir de ses parents, il se rendit finalement à Paris, pour s'inscrire à la Faculté de méde­

cine en 1765.

* Comité de lecture du 25 novembre 2000 de la Société française d'Histoire de la Médecine (texte lu par le Dr Alain Ségal).

** Résidence Jean de Vienne, 392 av. Maréchal de Lattre de Tassigny, 62100 Calais.

HISTOIRE DES SCIENCES MÉDICALES - T O M E X X X V - № 3 - 2001 263

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Les cours d'Antoine Petit qu'il suivit lui donnèrent un goût particulier pour l'anato­

mie, dont il devait s'occuper par la suite avec tant de succès. La médecine s'offrait à lui

comme une science qui présente la nature sous l'aspect le plus utile.

En 1772, il entrait en licence à la Faculté de Paris. Dès lors, il put entreprendre ses

travaux personnels.

Dès 1773, il ouvrait un cours de vacances, gratuit et complet, d'anatomie humaine et

comparée à l'amphithéâtre des écoles de médecine. Mais à la rentrée universitaire,

comme les professeurs de la Faculté devaient enseigner aux mêmes heures que lui, on

lui proposa de changer ses horaires ; sur son refus, il se fit éconduire de l'amphithéâtre.

Antoine Petit, dont il était devenu l'ami, le choisit comme remplaçant dans sa chaire

d'anatomie du Jardin des Plantes. Une fois de plus, il fut déçu : Buffon avait fait nom­

mer Portai à ce poste. Sans perdre courage, Félix Vicq d'Azyr entreprit de donner chez

lui des cours privés et payants, et cette entreprise fut couronnée de succès.

Entiché des idées philosophiques de Locke et de Condillac, il enseignait à ses élèves

que l'être humain est comparable à une statue "organisée intérieurement comme nous".

Il démontait virtuellement l'organisme, viscère par viscère, en étudiait séparément la

structure et le fonctionnement, puis remontait le tout à la manière d'un habile horloger.

Cette technique l'incita à entreprendre une étude comparative entre l'anatomie de

l'homme et celle des animaux ; il fut ainsi le promoteur de l'anatomie comparée, et

l'observation attentive des "quatre extrémités de l'homme et des quadrupèdes" (1) lui

permit de reconnaître l'influence de l'adaptation fonctionnelle, principe qui devait

devenir la théorie de la transformation des êtres organisés, soutenue par Lamarck en

1800.

Malheureusement, son remarquable enseignement fut interrompu par des problèmes

de santé. Il eut une abondante hémoptysie qui fit craindre pour ses jours, signant une

tuberculose pulmonaire sans doute au début de son évolution.

Son retour forcé au pays natal lui permit d'entreprendre de curieuses recherches sur

l'anatomie des poissons. Il établit une classification de ces vertébrés aquatiques en se

fondant sur les caractères anatomiques généraux qui leur sont propres ; il fait remarquer

les rapports qu'ils ont entre eux, et ce qu'ils ont de commun avec les reptiles, les

oiseaux et les quadrupèdes. Les deux mémoires qu'il consacra à ces études furent pré­

sentés à l'Académie royale des sciences.

Et le 13 mars 1774, l'Académie des sciences le recevait au nombre de ses membres.

Il avait à peine vingt-six ans !

Dès sa réception à l'Académie des sciences, il noua des relations d'amitié avec

Condorcet, qui en était le secrétaire perpétuel.

Vicq d'Azyr avait été reçu docteur en médecine, le 27 janvier 1774, et avait choisi

comme sujet d'une de ses thèses, l'étude du mécanisme de la boîte crânienne qui tend à

amortir les chocs et les percussions en les absorbant. (2)

L'année suivante, une épizootie atteignant les bêtes à cornes désola le midi de la

France. Turgot, alors ministre d'Etat, demanda à l'Académie un médecin et un physi­

cien capables d'enrayer le fléau. L'Académie chargea Vicq d'Azyr de cette double

fonction. Arrivé sur place, Vicq d'Azyr eut le courage de prendre la seule mesure pré­

ventive efficace : l'abattage impitoyable de tous les animaux malades, et même de ceux

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qui avaient été simplement exposés à l'infection - ce qui provoqua la colère des éle­

veurs, malgré les indemnités qu'ils reçurent.

Vicq d'Azyr était alors docteur régent de la Faculté de médecine de Paris, et celle-ci

l'avait nommé professeur d'anatomie humaine et comparée.

Pour honorer l'Académie des sciences, il présenta, en trois mémoires, une étude sur

les muscles des oiseaux, en les comparant à ceux de l'homme, ouvrage qu'il compléte­

ra, en 1778, par un quatrième traité dans lequel il décrira l'organe de l'ouïe des oiseaux,

comparé ici encore à celui de l'homme.

La diversité de ses travaux est infinie ; elle va des dissections de plusieurs espèces de

singes aux recherches sur la structure et la position des testicules chez le fœtus.

De retour à Paris en 1776, Félix Vicq d'Azyr fit paraître un ouvrage sur les épizoo-

ties, les moyens de les reconnaître et de les combattre.

Malgré les services rendus à son pays, Vicq d'Azyr n'eut pas droit à la reconnaissan­

ce qu'il eût méritée. On lui reprocha de n'avoir agi que dans son propre intérêt ; et ces

propos obscurs de la jalousie furent à leur comble lorsqu'il fut nommé "commissaire

général pour les épidémies".

La même année, sous l'égide de Turgot, Félix Vicq d'Azyr fondait avec Joseph-

Marie-François de Lassone, médecin de Louis XVI et de Marie-Antoinette, la Société

royale de médecine, qui fut rendue officielle par l'arrêt du Conseil d'Etat du 29 avril

1776. Lassone en était le président ; Vicq d'Azyr en devint le secrétaire perpétuel par

lettres patentes du 29 octobre 1778. (3).

La Société royale de médecine était primitivement destinée à l'étude des épidémies

et des épizooties. Vicq d'Azyr ne voulant pas se charger seul de la Commission généra­

le pour les épidémies, s'adjoignit six jeunes confrères de la Faculté de Paris, et, pour

consultants, six des médecins les plus célèbres de la capitale. Adoptée par le ministère,

cette confrérie prit le titre modeste de Société pour les épizooties.

Les questions qui avaient été posées aux médecins de province avaient suscité en

réponse des mémoires de très bonne qualité. Mais la société ne se borna pas aux seules

observations des épizooties ; bientôt, tout ce qui pouvait intéresser la santé publique

devint l'objet des recherches de cette petite académie : la qualité de l'air et celle des

eaux minérales, les remèdes nouveaux, l'état sanitaire des lieux...

Tous les médecins furent invités à communiquer les fruits de leur expérience, et

comme toutes les branches médicales et para-médicales étaient représentées le nombre

des associés augmenta et fut progressivement porté à quarante-deux.

Lorsque la Société de médecine fut entièrement fondée, les médecins les plus distin­

gués et les savants les plus éminents de France et d'Europe furent au nombre de ses

associés ou de ses correspondants ; mais quand elle prit sa place parmi les académies

les plus célèbres, Vicq d'Azyr n'échappa pas aux traits les plus blessants et les plus

satiriques dirigés contre lui.

Pourtant, la nature l'avait doté d'un physique agréable, d'une taille avantageuse et

d'un visage intéressant. Sa parole était douce ; son maintien réservé. Il sut toujours

habilement tirer parti des circonstances, et ne se compromit jamais. Deux grandes pas­

sions le dominaient : celle de s'instruire, et celle de se distinguer. Aucune difficulté ne

le rebutait, les recherches les plus minutieuses ne lassaient pas sa patience.

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En 1779, il épousait Mlle Lenoir, qui était la nièce de Daubenton, son ancien maître

en anatomie comparée et en histoire naturelle. Malheureusement, sa jeune femme mou­

rait dix-huit mois plus tard, emportée par la phtisie galopante, sans doute contractée par

contamination conjugale sur un terrain vierge de toute agression bacillaire. Peu de

temps après, il perdait son enfant.

Ces tristes événements le marquèrent pour la vie ; il ne se remaria jamais.

En sa qualité de secrétaire perpétuel de la Société de médecine, Vicq d'Azyr avait

des correspondants dans toutes les villes de l'Europe. Il prononçait les éloges des

membres disparus. Plus de cinquante de ses collègues reçurent ainsi cet hommage. Ses

"Eloges historiques" sont écrits dans une langue très pure, avec une grande élévation

de pensée, où se joignent "l'érudition la plus variée, la philosophie la plus profonde, à

l'éloquence la plus soutenue".

Ses succès dans cette branche de la littérature le mettaient au rang des écrivains les

plus distingués, tout en lui conférant la célébrité nationale.

En 1787, il posait sa candidature au quarantième fauteuil de l'Académie française

qui ne lui fut pas attribué ; mais cet échec ne devait être que momentané, et, le 11

décembre 1788, Félix Vicq d'Azyr, docteur en médecine, membre de l'Académie des

sciences, et parfait galant homme, entrait à l'Académie française, au fauteuil n°l, à la

place de Buffon, décédé le 10 avril 1788 ; il prononça pour discours de réception

l'éloge de son prédécesseur.

Sa "grande peur"

Au début de l'été 1789, on pressentait l'imminence d'une guerre civile. Et le 14

juillet 1789, on apprenait "que la Bastille est prise, que le gouverneur est décapité, que

le prévôt des marchands est pris et également décapité... Les têtes sont portées en

triomphe à travers la ville. La prise de la Bastille est une des choses les plus extraordi­

naires que je connaisse", écrit Gouverneur Morris dans son "Journal". (4).

Malgré le désordre public, la vie mondaine continuait à Paris.

Vicq d'Azyr se lia d'amitié avec Gouverneur Morris, qui était le ministre plénipoten­

tiaire des Etats-Unis en France, et qui séjourna à Paris de janvier 1789 à août 1794. Ils

se rencontraient généralement chez M m e de Flahaut, l'amie "coquette, et des plus

volages", du ministre américain - c'est ainsi qu'il la désignait ! Mais leur conversation

roulait sur la politique. Vicq d'Azyr défendait le roi et la reine avec une ferveur judi­

cieusement partagée par Morris. Leurs "penchants aristocratiques" et leurs relations

mondaines avaient fait se rapprocher le médecin français et le ministre américain, (voir

note p.268)

En 1790, il proposait à la Société royale de médecine un projet de réforme des études

médicales, fondé sur un enseignement plus complet de l'anatomie. Les écoles de méde­

cine devaient posséder des "cabinets anatomiques" permettant des dissections.

Les multiples obligations professionnelles et le mode de vie de Vicq d'Azyr ne pou­

vaient qu'altérer sa santé précaire.

Les exécutions sommaires - autant de crimes de la Terreur - le décourageaient pro­

fondément. L'angoisse l'étreignait lorsqu'il apprenait la mort sur l'échafaud d'un de ses

amis ; et la décapitation du roi, le 21 janvier 1793, l'éprouva particulièrement.

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Devenu le Premier médecin de Marie-Antoinette en 1789, après la mort de Lassone

en 1788, Vicq d'Azyr qui avait montré tant de courage au chevet des malades, ainsi que

devant les attaques de la Faculté contre les décisions de la Société royale, connut la

peur ; il attendait son tour dans l'anxiété.

Pris de panique, il écrivit, au début de 1793, au président de la commission des

Salpêtres du Muséum, une lettre se terminant ainsi : "... la foudre révolutionnaire qui

est en vos mains, et que dirige habilement votre génie, continuera de renverser les

trônes, fera tomber les têtes superbes qui voudraient s'élever au-dessus du niveau que

vous avez tracé ; elle établira l'égalité politique et l'égalité morale qui sont les bases de

notre liberté sainte" (5). Les termes de cette lettre expriment bien son terrible désarroi.

C'est alors que parut le décret de la Convention du 8 août 1793, qui mettait fin à la

Société royale de médecine, et en même temps prononçait la dissolution de toutes les

académies et sociétés littéraires. Il faudra attendre l'ordonnance royale de 1820, sous

Louis XVIII, pour voir réapparaître la Société royale sous le nom d'Académie de méde­

cine.

Ayant eu connaissance de ce décret, Vicq d'Azyr demanda officiellement un poste

de médecin des hôpitaux militaires de la République. Sa demande parvint au Conseil de

Santé, le 13 août 1793, et fut agréée avec la mention "inscrit, bon à employer".

Le 20 prairial an II (8 juin 1794), eut lieu la fête de l'Etre suprême. Le peuple se

pressait en foule aux Tuileries, les bras chargés de fleurs, avant de se rendre au Champ-

de-Mars. Vicq d'Azyr marchait avec le bataillon de sa section, sous un soleil de plomb,

dans le cortège officiel en tête duquel s'avançait Robespierre.

Epuisé de fatigue par l'interminable cérémonie, Vicq d'Azyr, déjà malade, fit un

dernier effort, le lendemain, pour aller visiter les pauvres de sa section, qui étaient

confiés à ses soins, et suivre la fabrication de salpêtre, dont il avait la direction ; il fut

atteint, quelques jours plus tard, d'une "affection aiguë de poitrine" (6), qui était, en

réalité, une poussée aiguë de la tuberculose pulmonaire qu'il traînait depuis des années.

Il mourut le 20 juin 1794. Il avait quarante-six ans !

Dans son délire, il ne cessait de parler de la guillotine et croyait entendre ses anciens

amis, Bailly, Lavoisier, et tant d'autres, l'appeler sur l'échafaud. Cette "grande peur"

qu'il a éprouvée a, sans aucun doute, hâté sa fin, en frappant un organisme affaibli à la

phase terminale d'une maladie chronique de longue durée.

L'hypothèse d'un suicide par absorption de poison, comme ce fut le cas de son ami

Condorcet, a été émise, mais ne semble pas devoir être retenue : ses propres écrits, et

ceux qui ont été faits sur lui, donnent à penser qu'il n'était pas un sujet tenté par le sui­

cide. Il en est de même de son appartenance à la Franc-Maçonnerie, dont faisaient par­

tie Lassone et Condorcet, qui expliquerait l'absence d'embûches sur le chemin de sa

carrière fulgurante ; mais là encore le fait n'a pas été prouvé (7).

Son œuvre

En 1786, paraissait son "Traité d'anatomie et de physiologie avec planches colo­

riées représentant au naturel les organes de l'homme et des animaux", édité à Paris.

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Jacques-Louis M o r e a u d e la Sarthe, m é d e c i n , sous-bibliothécaire d e l'Ecole d e

m é d e c i n e d e Paris, fit paraître u n e édition p o s t h u m e , en 1 8 0 5 , des Oeuvres d e Félix

V i c q d'Azyr.

L'ensemble f o r m e 6 v o l u m e s in-8° auxquels est joint u n grand atlas sur l'anatomie

d u cerveau et des nerfs. (8). L e s trois premiers v o l u m e s contiennent ses célèbres

"Eloges historiques" ; les trois derniers sont destinés à ses travaux personnels sur l'ana­

tomie générale et la physiologie, et sur l'anatomie c o m p a r é e . M o r e a u d e la Sarthe a

rédigé l'éloge de Félix V i c q d'Azyr, suivi d e notes ; il le présente sous trois aspects :

c o m m e anatomiste, c o m m e m é d e c i n , et c o m m e historien des sciences et des arts. Selon

lui, il était : "profondément sensible, philanthrope par excellence, b o n et sincère a m i ,

poussant la reconnaissance jusqu'au culte, et le désir d'obliger jusqu'au zèle le plus

actif ; et, à p r o p o s d e sa " g r a n d e peur", il ajoute : " C e s Tarquins m o d e r n e s , ces

farouches niveleurs, e n voulaient à toutes les têtes élevées ; c o m m e n t V i c q d ' A z y r

n'aurait-il pas craint pour la sienne ?". (9).

V i c q d'Azyr rédigea le "Dictionnaire anatomique" d e l'Encyclopédie méthodique,

inspirée d e l'"Enclycopédie" d e Diderot, dont les v o l u m e s parurent entre 1 7 8 2 et 1 8 3 2

chez le libraire P a n c k o u c k e ; il écrivit plusieurs articles pour le Dictionnaire des scien­

ces médicales publié par P a n c k o u c k e . S o n œ u v r e m o n u m e n t a l e est restée inachevée.

N o u s n e saurions passer sous silence u n e traduction d u traité italien d e Scipion

Pattioli sur les lieux et les dangers des sépultures (1778). C e t ouvrage a été présenté au

public c o m m e u n e traduction d u traité italien ; cependant V i c q d'Azyr doit être regardé

c o m m e l'auteur d e cette production qu'il a remaniée et complétée, d'une manière telle

q u e le texte intégral n'a presque été pour lui q u e le canevas d'un nouvel ouvrage ; il

m e t en relief la toxicité d e l'air méphitique, ce qui fait dire q u e les cimetières doivent

être situés hors des villes.

Ainsi se termina la trop brève, m a i s féconde carrière d e Félix V i c q d'Azyr, qui fut

u n maître en anatomie c o m p a r é e , le successeur d e Buffon à l'Académie française, le

fondateur effectif d e la Société royale d e médecine, future A c a d é m i e .

S a fin tragique n e fait qu'ajouter d e la valeur à son œ u v r e imposante.

N O T E

Gouverneur Morris avait été victime, en 1780, d'un accident de voiture et avait dû subir

l'amputation de la j a m b e gauche. Les Français l'avaient s u r n o m m é "jambe de bois" et le

croyaient un héros de la récente guerre de l'Indépendance américaine. Malgré son infirmité, il

menait une vie très active... et était resté un grand séducteur.

B I B L I O G R A P H I E

(1) L A F I S S E : Eloge de Vicq d'Azyr - lu à la deuxième séance publique de la Société de Médecine,

le 2 2 brumaire an V I (12 novembre 1797) - Bibliothèque interuniversitaire de Médecine de

Paris, Cote 90945, n°3, p. 1-27.

(2) B A R B I L L I O N : Vicq d'Azyr (1748-1794) - Paris Médical, 16 octobre 1926, n°42 - (Variétés)

p. 309-311.

(3) P E C K E R André : La Société royale de Médecine, in "La Médecine à Paris, du XlIIe au X X e

siècle". Paris, Edition Hervas, 1984 - p. 231.

(4) P A R I S E T E. : Journal de Gouverneur Morris, pendant les années 1789, 1790, 1791 et 1792

1 volume, V B - 3 8 8 pages in-8°. Paris, Plon-Nourrit, 1901.

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( 5 ) L E M A Y P. : La grande peur de Vicq d'Azyr - L e Progrès médical, n ° 1 9 , 1 0 octobre 1 9 4 9 ,

p. 4 4 5 - 4 4 6 .

( 6 ) C A B A N I S P.J.G. : Eloge de Vicq d'azyr, in Oeuvres complètes. Paris, 1 8 2 5 , V , p. 1 7 9 - 2 1 6 .

( 7 ) T H I L L A U D Pierre : Vicq d'Azyr (1748-1794) - Anatomie d'une élection. Histoire des Sciences

médicales, tome X X , n°3, 1 9 8 6 , p. 2 2 9 - 2 3 6 .

( 8 ) Oeuvres de Vicq d'Azyr recueillies et publiées par Jacques-Louis Moreau de la Sarthe ... avec

atlas grandeur in-4°. Paris, L . Duprat-Duverger, A n XIII, 1 8 0 5 . 6 volumes in-8°.

( 9 ) M O R E A U J.L. : Eloge de Félix Vicq d'Azyr, suivi d'un précis des travaux anatomiques et phy­

siologiques de ce célèbre médecin, présenté à l'Institut - Bibliothèque interuniversitaire de

Médecine de Paris, cote 9 0 9 4 5 , n°4, p. 1 - 5 6 (an V I de la République).

I N T E R V E N T I O N : D r Franck B O U R D Y

N o t e sur V i c q d ' A z y r et les vétérinaires

Félix V i c q d'Azyr a e u tout au long d e sa carrière plusieurs occasions d'entrer dans

l'histoire d e la m é d e c i n e vétérinaire.

1. C o m m e le rappelle M o n s i e u r P e u m e r y , il intervient très activement lors d e l'épi-

zootie d e 1 7 7 4 d u S u d - O u e s t d e la France. Cette épizootie qui affecte les "bêtes à

c o r n e " part d e la région d e B a y o n n e e n m a i 1 7 7 4 et s'étend d e façon très rapide à

l'ensemble d u S u d - O u e s t d e la France, malgré l'application des mesures prévues par

l'arrêté d u 31 janvier 1771 renforçant celui d e 1 7 4 6 et l'appel à diverses personnalités

scientifiques (dont les élèves d e l'École R o y a l e Vétérinaire d e L y o n correspondant avec

C l a u d e Bourgelat, fondateur d e l'enseignement vétérinaire). Suite à la d e m a n d e d e

Turgot auprès d e l'Académie des Sciences, V i c q d'Azyr est n o m m é le 2 5 n o v e m b r e

1 7 7 4 commissaire et e n v o y é sur place. L ' A c a d é m i e a défini le travail de V i c q d'Azyr

dans d e u x m é m o i r e s intitulés "Recherches à faire sur les maladies épizootiques qui

régnent à présent dans les provinces méridionales d e la France" et "Recherches à faire

par M . V i c q d'Azyr dans les provinces méridionales d e la France sur la maladie d u

bétail". V i c q d'Azyr aura d e u x facettes dans cette période. D ' u n e part, grâce à l'appli­

cation systématique d'une m é t h o d e drastique (isolement des paroisses infectées, abatta­

g e des a n i m a u x malades, désinfection des lieux contaminés, indemnisation des pay­

sans) avec le recours à la force publique et la collaboration d e scientifiques locaux, il

parvient en quelques m o i s à assainir le sud-ouest et à anéantir le fléau en d é c e m b r e

1776. M a i s d'autre part, il m è n e u n e véritable étude scientifique d e la maladie, la carac­

térisant par ses s y m p t ô m e s et ses lésions (souvenons-nous qu'il est anatomiste d e for­

mation), par son m o d e d'inoculation et d e contagion, par la recherche illusoire d'un

traitement, en utilisant souvent u n e m é t h o d e expérimentale. L ' e n s e m b l e d e l'action d e

V i c q d'Azyr lors d e cette épizootie est décrit d e manière remarquable dans la thèse d e

Doctorat Vétérinaire d e M a d a m e Cécile Cavrot (La participation d'un académicien,

F. V i c q d'Azyr, à la résolution de l'épizootie d e 1 7 7 4 , Nantes, 1 9 9 9 ) à laquelle n o u s

renvoyons pour plus d e détails.

2. E n 1 7 8 0 , à la m o r t d e Bourgelat, l'Ecole d'Alfort fait appel à des enseignants

extérieurs prestigieux, tel D a u b e n t o n . V i c q d'Azyr est n o m m é responsable d e la chaire

d'anatomie c o m p a r é e . Il accède ainsi à la prestigieuse collection d u Cabinet d u R o i

dont u n pâle reflet est encore visible sous la f o r m e d u M u s é e Fragonard d e cette Ecole.

Il y poursuit ses recherches en anatomie c o m p a r é e et e n particulier sur le système ner­

veux. Faute d e crédits suffisants, ces enseignants sont renvoyés en 1788.

2 6 9

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3. A u sein d e la Société R o y a l e d e M é d e c i n e dont il est Secrétaire, V i c q d'Azyr n'a

pas oublié son expérience d e l'épizootie d e 1774. L a vocation première d e cette nouvel­

le Société est d o n c l'étude, en particulier épidémiologique, des épidémies et des épizoo-

ties, en s'appuyant sur les scientifiques locaux.

4. Enfin, pendant la période révolutionnaire, V i c q d'Azyr fait partie d u C o m i t é d e

Santé qui proposa d'inclure les écoles vétérinaires dans les facultés d e m é d e c i n e , car

"toutes les branches d e la m é d e c i n e s'éclairent l'une l'autre, se perfectionnent à la

fois". C e projet n e fût pas suivi d'effet.

I N T E R V E N T I O N : D r Alain L E L L O U C H

C e dernier rappelle f é m i n e n t e contribution d e V i c q d ' A z y r d a n s le d o m a i n e d e

l'enseignement d e la m é d e c i n e et plus particulièrement celui d e l'histoire d e la m é d e c i ­

n e défendu avec passion. E n 1 7 9 0 , dans son Nouveau Plan de constitution pour la

Médecine en France, il écrivait : " Q u i pourra m i e u x indiquer la m é t h o d e d'étudier la

M é d e c i n e q u e le professeur d'Histoire ... Q u ' o n n'objecte pas q u e ... l'histoire d e la

m é d e c i n e n'offre(nt) point de connaissances essentielles à ceux qui se destinent à ...

notre Art ... dans u n enseignement public ... complet, il n e faut pas seulement pourvoir

à l'instruction d e ceux qui ne portent point leurs vues au delà d u nécessaire ... il faut

encore préparer aux esprits plus actifs u n e m o i s s o n plus abondante ... q u e le professeur

d'Histoire d e la M é d e c i n e ... deviendrait, pour les élèves, u n Conducteur utile ..."

RÉSUMÉ

Né le 23 avril 1748, à Valognes, en Normandie, Félix Vicq d'Azyr fut à la fois un

grand médecin, un naturaliste talentueux et un eminent homme de lettres. Membre de

l'Académie des sciences en 1774. il fonda, en 1776, la Société royale de médecine,

future Académie, dont il fut le secrétaire perpétuel. Il fut le promoteur de VAnatomic

comparée. Successeur de Buff on à l'Académie française en 1788, il devint le Premier

médecin de la reine Marie-Antoinette en 1789. Dès lors, ses "penchants aristocra­

tiques" attirèrent sur lui l'attention du Tribunal révolutionnaire. Déjà malade, les exé­

cutions sommaires de ses amis le terrorisaient. Il échappa à la guillotine, mais la

tuberculose le tua, le 20 juin 1794. Il a laissé une œuvre immense, particulièrement en

anatomie et en physiologie, et ses "Eloges historiques ".

SUMMARY

Vicq d'Azyr and the French Revolution

Born in April 23th, 1748, at Valognes, in Normandy, Félix Vicq d'Azyr was at once

a great doctor, a talented naturalist and a distinguished man of letters. Member of the

"Académie des sciences " in 1774, he founded, in 1776, the "Société royale de médeci­

ne " in Paris, future "Académie ", whose he was the permanent secretary. He is the ori­

ginator of the comparative anatomy. The successor to Buff on at the "Académie françai­

se" in 1788, he became Principal Doctor to the Queen Marie-Antoinette in 1789. From

that time, his aristocratic tendencies drew revolutionary court's attention to him.

Already sick, summary executions of his friends terrified him. He escaped Guillotine,

but tuberculosis killed him, on June the 20th, 1794. He left a great work, specially in

anatomy and physiology, and a lot of historical eulogies.

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