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Vers de nouvelles pistes de partenariat médico-administratif 1 Rapport final déposé à l’Association québécoise d’établissements de santé et de services sociaux Ann Langley, HEC Montréal Nicolas Van Schendel, HEC Montréal Émilie Gibeau, HEC Montréal Jean-Louis Denis, ENAP Marie-Pascale Pomey, Université de Montréal Novembre 2014 1 La réalisation de cette étude a été rendue possible grâce à la contribution financière de l’Association québécoise d’établissements de santé et de services sociaux du Québec, en collaboration avec la Fédération des médecins spécialistes du Québec, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, et les quatre établissements qui ont participé à l’étude pilote.

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Vers de nouvelles pistes de partenariat médico-administratif1

Rapport final déposé à l’Association québécoise d’établissements

de santé et de services sociaux

Ann Langley, HEC Montréal Nicolas Van Schendel, HEC Montréal

Émilie Gibeau, HEC Montréal Jean-Louis Denis, ENAP

Marie-Pascale Pomey, Université de Montréal

Novembre 2014

1 La réalisation de cette étude a été rendue possible grâce à la contribution financière de l’Association québécoise

d’établissements de santé et de services sociaux du Québec, en collaboration avec la Fédération des médecins spécialistes du Québec, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, et les quatre établissements qui ont participé à l’étude pilote.

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Table des matières

Sommaire exécutif ............................................................................................................................. 4

1. Introduction ................................................................................................................................. 13

1.1 Déroulement du projet et méthodologie ......................................................................................... 14

2. Portrait des quatre établissements pilotes .................................................................................... 16

2.1. Éléments de contexte pouvant influencer la mise en place des pistes de partenariat ................... 17

3. Les objectifs et avantages perçus de la participation des médecins ................................................ 19

3.1. Promouvoir le leadership et l’engagement médical ....................................................................... 19

3.2. Améliorer la performance en regard de la clientèle ....................................................................... 20

3.3. Favoriser la cohésion et la complémentarité .................................................................................. 21

3.4. Objectifs et avantages perçus : Synthèse et implications ............................................................... 22

4. Les pistes de partenariat adoptées ................................................................................................ 23

4.1. Piste 1 : La cogestion médico-administrative ................................................................................. 23

4.2. Pistes 2 et 3 : La participation des cogestionnaires médicaux aux comités de gestion .................. 26

4.3. Pistes 4 et 5 : Rapprochement CA-CMDP et développement d’une cellule de réflexion ............... 28

4.4. Les pistes de partenariat adoptées : Synthèse et implications ....................................................... 29

5. Le processus de mise en œuvre ..................................................................................................... 31

5.1. Les éléments facilitateurs ............................................................................................................... 31

5.2. Les obstacles rencontrés ................................................................................................................. 34

5.3. Les stratégies de mise en place et d’accompagnement ................................................................. 40

5.4. Le processus de mise en œuvre : Synthèse et implications ............................................................ 43

6. La participation et l’engagement médical et la qualité des relations médico-administratives .......... 47

6.1. La participation et l’engagement médical ....................................................................................... 47

6.2. La qualité des relations médico-administratives ............................................................................ 50

6.3. La participation et la qualité des relations médico-administratives : Synthèse et implications..... 56

7. Rôles des membres du tandem en situation de cogestion .............................................................. 57

7.1. Les rôles attendus ou observés des tandems de gestionnaires ...................................................... 57

7.2. Les conditions de l’actualisation conjointe des rôles ...................................................................... 61

7.3. L’agencement des rôles : une typologie des relations entre cogestionnaires ................................ 64

7.4. Rôles des tandems de cogestion : Synthèse et implications

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8. Retombées organisationnelles du partenariat médico-administratif .............................................. 70

8.1. Vie des programmes-clientèles ou secteurs de service .................................................................. 70

8.2. L’intégration verticale et horizontale .............................................................................................. 73

8.3. Retombés organisationnels : Synthèse et implications .................................................................. 78

9. Les dossiers traceurs .................................................................................................................... 79

9.1. Les dossiers traceurs au CH Universitaire ....................................................................................... 79

9.2. Les dossiers traceurs au CSSS Semi-rural ........................................................................................ 82

9.3. Les dossiers traceurs au CSSS de 1ière ligne ..................................................................................... 85

9.4. Les dossiers traceurs : Synthèse et implications ............................................................................. 87

10. Bilan et perspectives .................................................................................................................. 79

10.1. Gains pour les organisations et pour les acteurs .......................................................................... 88

10.2 Perspectives d’avenir ..................................................................................................................... 90

10.3. Les constats généraux de la recherche : Synthèse et implications ................................................ 91

ANNEXE 1 : Échelles de mesure ........................................................................................................ 95

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Sommaire Exécutif

1. Introduction En 2011, l’Association québécoise d’établissements de santé et de services sociaux (AQESSS) a mis en place quatre projets pilotes pour expérimenter et évaluer des pistes de collaboration médico-administratives dans le réseau de la santé et des services sociaux au Québec. Les pistes proposées comprennent (1) la mise en place de la cogestion médico-administrative de programmes-clientèles, comme préalable à un meilleur partenariat médico-administratif; (2) la création d’un comité de coordination pour l’ensemble des programmes; (3) la participation des cogestionnaires médicaux de programmes au comité de direction; (4) une meilleure collaboration entre le Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP) et le Conseil d’administration par différents moyens; et (5) la création d’une cellule de réflexion et d’orientation stratégique qui comprendrait le Directeur général (DG), le Président du CA, le Président du CMDP et le Directeur des services professionnels (DSP).

Le présent rapport vise à rendre compte des expériences vécues par les quatre établissements pilotes choisis par l’AQESSS au cours des deux dernières années d’expérimentation en mettant l’accent sur les éléments suivants : (a) les enjeux associés à la mise en place des pistes (ex : les éléments facilitateurs, les conditions de succès, les difficultés rencontrées), et (b) les impacts du nouveau modèle. Les données utilisées proviennnent d’entretiens avec les équipes de direction et les tandems de cogestionnaires, des observations de réunion et d’un sondage auprès des médecins et des cadres cliniques des établissements.

2. Présentation des quatre établissements pilotes Les quatre organisations ayant accepté de participer au projet pilote (appelés ici le CH Universtaire, le CSSS Régional, le CSSS Semi-rural et le CSSS de 1ière ligne) ont des profils très différents et représentent la gamme des formes organisationnelles dans le réseau de la santé et des services sociaux au Québec. Elles sont également à des stades différents de mise en œuvre d’une mode de gouvernance médico-administrative impliquant la cogestion. Entre autres, le CH Universitaire détient une longueur d’avance en matière de partenariat médico-administratif et cet établissement a été choisi justement comme point de comparaison par rapport aux autres établissements qui ont mis en œuvre les pistes de partenariat plus récemment.

3. Les objectifs et avantages perçus de la participation des médecins à la gestion des établissements

Selon les données recueillies, les objectifs et avantages perçus du partenariat médico-administratif sont multiples, mais tournent autour de la mobilisation des médecins comme acteurs-clés dans la définition des soins et services en fonction de leur expertise, leur capacité d’influence et leur légitimité auprès des collègues et de la population. De cette façon, on espère pouvoir mieux concilier les perspectives managériales (axées sur l’utilisation efficace des ressources disponibles pour le bénéfice de la clientèle au sens large), avec les perspectives médicales (axées sur les meilleurs soins possibles pour des patients spécifiques pris en charge).

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Il est important de noter que la volonté de conciliation des perspectives managériales et médicales est exigeante de part et d’autre et n’est pas toujours facile à assumer. Les médecins qui prennent un poste de cogestion se retrouvent confrontés à la nécessité de trouver un modus vivendi avec la partie administrative et cela ne se fait pas en restant uniquement dans une posture de « demandeur ». De façon tout à fait symétrique, une équipe de direction qui souhaite impliquer ses médecins dans la gestion ne peut pas rester dans une posture de refus systématique ou d’indifférence aux préoccupations médicales et cliniques.

En somme, la cogestion médico-administrative ainsi que les autres formes de partenariat médico-administratif proposées ici ne peuvent durer si la participation médicale est vue comme une simple opération de cooptation. Le choix d’un médecin de participer à la cogestion, tout comme le choix d’une direction générale d’établissement d’adopter ce mode de gouvernance, constitue donc un pari courageux qui repose sur la confiance mutuelle et la volonté sincère et partagée d’amélioration de la collaboration médico-administrative autour d’objectifs communs: notamment ceux touchant à l’amélioration de l’offre de service pour le bénéfice de la clientèle.

4. Les pistes de partenariat adoptées Nous constatons que trois des quatre organisations ont mis en place une structure de cogestion au niveau des programmes-clientèles d’une forme proche de celle préconisée par l’AQESSS. De plus, ces trois organisations ont développé des dispositifs de gouvernance au niveau du comité de direction et du comité de coordination clinique qui correspondent à toutes fins pratiques à ce qui a été prévu par l’AQESSS, avec des variantes pour tenir compte des conditions locales. Même le CH Universitaire qui avait déjà une structure de cogestion avant le début du projet a fait des avancés dans les deux dernières années en réaménageant le comité exécutif inter-programmes (CEIP) pour constituer un véritable lieu de rencontre entre les cogestionnaires chefs de programme et les codirecteurs de la direction interdisciplinaire des services cliniques (DSP et DSI).

La situation concernant la mise en place des pistes proposées par l’AQESSS est plus mitigée pour le CSSS de 1ière ligne. La désignation de cogestionnaires médicaux à différents niveaux a eu lieu, mais elle a eu peu de suites au niveau des directions de services cliniques, et les médecins n’ont pas été sollicités pour participer à des comités de gestion. Il semble normal que le besoin de cogestion médicale soit moins évident dans une organisation de première ligne. Néanmoins, les deux autres CSSS de l’échantillon ont des composantes importantes de première ligne et ils ont choisi de se doter de cogestionnaires médicaux pour couvrir ces secteurs en les impliquant de façon claire dans les comités stratégiques. Le CSSS Régional a par ailleurs dû retarder la mise en place de sa structure jusqu’en été 2013, ce qui n’a pas permis d’accumuler un historique très long pour les besoins de la présente étude.

Dans l’ensemble, les expériences des quatre établissements suggèrent surtout qu’il ne faut pas sous-estimer le temps et les efforts nécessaires pour mettre en place une structure de partenariat médico-administratif comme celle proposée par l’AQESSS pour qu’elle vive pleinement et pour qu’elle donne des résultats escomptés. Il n’est pas anecdotique que les deux organisations les plus avancées dans leur démarche en 2014 (le CH Universitaire et le CSSS

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Semi-rural) y ont investi depuis plus longtemps, débutant leur projet avant l’amorce de l’étude pilote. En somme, le processus de transformation vers un partenariat médico-administratif réel est long et exige un effort concerté. Dans les prochaines sections, nous évoquerons en plus de détails les éléments facilitateurs et les obstacles à surmonter.

5. Le processus de mise en œuvre Le processus de mise en œuvre des pistes de partenariat a été vécu de façon variable d’un établissement à l’autre. Nous voyons en fait que le CH Universitaire et le CSSS Semi-rural ont non seulement débuté le processus en meilleure position (climat de confiance et de collaboration plus propice; mise en œuvre des pistes déjà amorcée), mais ils ont investi de façon nettement plus concertée dans les démarches d’encadrement et de coaching ou de formation pendant la période étudiée. De plus, bien que cela soit moins nécessaire au CH Universitaire, des efforts importants ont été consacrés à la légitimation de la nouvelle gouvernance au CSSS Semi-rural et au CSSS Régional afin d’assurer son démarrage et sa poursuite. Les efforts au CSSS de 1ière ligne dans ce sens ont été plus discrets et dispersés.

Sur la base de ces constats, et pour d’autres organisations qui souhaiteraient mettre en place les pistes de partenariat médico-administrative, nous suggérons donc que la mise en place d’une structure d’encadrement pour orienter ces initiatives de partenariat et pour assurer leur pérennité (telle que le comité d’implantation de la cogestion au CSSS Semi-rural ou l’effort concerté des codirecteurs de la Direction interdisciplinaire des services cliniques au CH Universitaire) facilite de façon très évidente leur développement et/ou leur consolidation.

Les efforts de légitimation, d’encadrement et de formation ou de coaching peuvent notamment aider à surmonter des obstacles à la mise en place des formes de partenariat, surtout si la direction des organisations en est consciente. L’expérience des quatre organisations offre des exemples d’initiatives dans ce sens. Nous présentons quelques unes de ces expériences ici.

Pour surmonter les obstacles fonctionnels : Gérer le temps et promouvoir les compétences pertinentes chez les cogestionnaires médicaux De façon évidente, les organisations qui tentent de mettre en œuvre une forme de cogestion devront (a) ajuster leurs instances de gouvernance pour optimiser l’utilisation du temps des cogestionnaires médicaux; et (b) trouver des moyens pour encourager et développer les compétences nécessaires pour jouer les rôles de cogestionnaires.

Par exemple, avec ses trois instances de gouvernance au niveau stratégique qui s’alternent, le CSSS Semi-rural tente de s’ajuster aux contraintes de temps des directeurs médicaux. Puisque l’ordre du jour du comité de direction clinique est aménagé pour inclure seulement des sujets de type clinique et stratégique, la participation des directeurs médicaux s’est rehaussée avec le temps à la fois en termes de présence physique et en termes de qualité des interventions. Le CH Universitaire pour sa part a tenté d’améliorer la participation en fixant des règles sur les jours et heures de tenue de réunion pour permettre à tous de mieux planifier leurs horaires. Bien sûr, ces arrangements ne règlent pas tous les problèmes de manque de temps. La cogestion médico-administrative reste une formule où les cadres clinico-administratifs

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supportent le poids du travail quotidien. Il est donc d’autant plus important que les tandems de cogestionnaires trouvent des moyens efficaces de communiquer et qu’ils établissent des plages horaires régulières pour traiter des dossiers stratégiques.

Pour ce qui est du développement des compétences, l’approche adoptée par le CSSS Semi-rural semble très intéressante. Plutôt que d’envoyer des médecins suivre des cours théoriques de gestion qui n’auraient pas nécessairement eu une pertinence directe, les dispositifs mis en place sont clairement enracinés dans le milieu. Les tandems de cogestionnaires ont pu bénéficier d’un programme de mentorat qui permet des échanges sur les défis et difficultés vécues. Ils débutent également un programme de codéveloppement où l’ensemble des tandems se rencontre de façon régulière spécifiquement pour ce type d’échange en groupe.

Pour surmonter les obstacles structurels : Clarifier les rôles via la formalisation et la socialisation, et ajuster la sélection des cogestionnaires médicaux à leur mandat De façon répétée, les répondants nous ont mentionné le besoin de clarification des rôles de cogestion et ce dans toutes les organisations. Bien sûr, les écrits peuvent être importants et les dispositifs d’encadrement de la cogestion (comme un comité d’implantation de la gouvernance) peuvent permettre d’investir dans ce type d’activité et de repenser le partage des responsabilités. Cependant, les données suggèrent également que l’apprentissage des rôles sera d’autant plus efficace s’il se fait de façon naturelle via une forme de socialisation.

Par exemple, au CH Universitaire, les tandems de cogestionnaires relèvent hiérarchiquement d’un autre tandem : celui de la Direction interdisciplinaire des services cliniques composé du directeur des services professionnels (DSP) avec la directrice des soins infirmiers (DSI). Les efforts investis conjointement par les membres de ce tandem de niveau hiérarchique supérieur pour modéliser les comportements de collaboration préconisés à d’autres niveaux ont été fortement porteurs pour l’ensemble des autres cogestionnaires de programme. À travers des réunions en comité regroupant l’ensemble des tandems, tous ont été amenés à observer (sinon s’approprier) des façons de faire représentées par ce duo de toute évidence extrêmement complémentaire et efficace. Deuxièmement, au CSSS Semi-rural, la mise en place du comité d’implantation de la cogestion ainsi que les grandes réunions de légitimation et des rencontres de codéveloppement ont permis de socialiser les participants aux changements culturels et structurels associés au nouveaux rôles en plus de développer des stratégies de communication pour faire valoir les nouvelles approches au sein de l’organisation en général.

De plus, les données suggèrent que le choix des personnes pour occuper des postes de cogestion et l’ampleur du mandat qu’on leur donne pourraient devenir des enjeux importants. Par exemple, le choix d’un jeune pour occuper une position de cogestion pourrait assurer un plus grand dynamisme et un possible détachement des « vieilles chicanes ». Cependant, ces personnes auront peut-être plus de difficultés à exercer leur autorité et à soutenir leur crédibilité avec des collègues de secteurs différents, en comparaison avec une personne possédant plus d’expérience et de connaissances du milieu. Dans notre échantillon, nous avons rencontré des personnes à la fois en début et en fin de carrière qui occupaient des postes de cogestion médicale. Nous ne pouvons conclure de façon définitive quel stade de carrière serait

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préférable. La jeunesse peut certainement exercer un attrait auprès des administrateurs qui souhaitent mobiliser et coopter un collaborateur qui n’est pas teinté par le passé, mais une telle personne aura besoin de beaucoup d’appui et d’encouragement, surtout si le mandat est large. Ces considérations sont importantes et devrait faire partie des décisions.

Pour surmonter les obstacles culturels : Fournir des espaces de réflexion et offrir aux cogestionnaires médicaux des occasions de faire leur preuve Il devient évident qu’un changement de structure organisationnelle qui vise la mise en place d’une forme de cogestion médico-administrative exige non seulement un changement de comportement chez les personnes les plus directement concernées, mais également des changements de comportements à travers toute l’organisation. Cela ne peut pas se faire sans un effort concerté de tous les gestionnaires pour communiquer la nouvelle donne, et pour agir eux-mêmes en conséquence. Pour ce faire, idéalement les autres instances médicales à l’intérieur de l’organisation (Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens; chefs de départements; DSP) doivent être impliquées et les cadres supérieurs doivent assumer les changements de comportements qui s’imposent. Les activités comme les rencontres de lancement ou de mise à niveau organisées par le CSSS Semi-rural peuvent être des occasions de réflexion et d’échange sur ce type de question. Les programmes de co-développement peuvent aussi permettre aux cogestionnaires de faire valoir leurs préoccupations.

Par rapport à l’enjeu culturel, comme nous avons vu, les directeurs des services professionnels (DSP) sont dans une position particulièrement cruciale. Ils doivent laisser l’espace aux nouveaux directeurs médicaux sans pour autant se soustraire aux obligations que leur confère la loi. Dans les organisations étudiées, l’appui d’autres médecins gestionnaires a été accueilli avec enthousiasme par les DSP. Cependant, cet appui demande une réflexivité constante pour éviter de retomber dans de vieilles habitudes qui pourraient miner les nouveaux alliés à d’autres niveaux. En fait, pour surmonter la méfiance de collègues qui peuvent les voir comme étant «passés de l’autre bord », les cogestionnaires médicaux ont besoin d’un support élevé à la fois de la part de leurs cogestionnaires clinico-administratifs et de la direction.

6. La participation et l’engagement médical et la qualité des relations médico-administratives

La mise en œuvre des pistes de partenariat médico-administratif devrait générer une plus forte participation des médecins à la prise de décision, un engagement plus élevé, et une qualité des relations médico-administratives supérieure. Les résultats observés par rapport à ces rubriques sont variables d’un établissement à l’autre en fonction des investissements déjà réalisés, avec le CH Universitaire et le CSSS Semi-rural en avance sur les deux autres sites. De plus, l’évolution entre les temps 1 et 2 est généralement limitée, bien que la qualité des relations semble avoir progressée au CH Universitaire et au CSSS Régional, avec des données ambiguës pour le CSSS Semi-rural (amélioration pas confirmée dans les données quantitatives).

Pour ce qui est de la volonté de participation, l’obstacle relié au temps disponible des médecins y est certainement pour quelque chose et toute intervention qui permettrait de mieux gérer ce temps (comme celles mentionnées ci-dessus) serait utile. Pour ce qui est de l’identification des

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médecins à l’établissement et la qualité des relations en général, des dossiers controversés et des rebondissements négatifs ponctuels peuvent facilement ébranler la confiance et la collaboration lorsqu’elles sont fragiles. Les consolider est un travail de longue haleine où les pistes de partenariat peuvent être porteuses, mais n’offrent pas de solutions instantanées.

7. Rôles des membres du tandem en situation de cogestion La première piste de partenariat proposée par l’AQESSS était la cogestion médico-administrative des programmes-clientèles comme préalable à un meilleur partenariat médico-administratif. Bien sûr, si la cogestion existe sur papier, mais qu’elle n’est pas fondée sur des relations de collaboration dans les faits, elle aura de la difficulté à atteindre les résultats visés. Dans cette étude, nous avons distingué différentes formes de partenariat : une forme verticale (type A) où un des deux acteurs (soit le médecin dans le type A1 ou le gestionnaire clinico-administratif dans le type A2) joue un rôle prédominant, une forme horizontale (type B) ou les deux membres du tandem se répartissent les différents rôles et tâches (type B1) ou exercent un leadership conjoint (type B2), et finalement une forme dysfonctionnelle (type C) où le partage ne se fait tout simplement pas de façon efficace et concertée. On pourrait penser qu’une cogestion de type horizontal aura à long terme plus de chances de conduire à un véritable partenariat médico-administratif à travers l’établissement qu’une cogestion de type vertical, même si le type vertical offre une progression significative par rapport à la situation des «deux solitudes » qui sépare les mondes médicaux et administratifs. . Les résultats de notre étude suggèrent que la compréhension des rôles de cogestion n’est pas toujours parfaitement partagée entre les cogestionnaires, et que les modèles de partenariat effectivement mis en œuvre varient d’un établissement à l’autre. En fait, l’évolution vers un mode de fonctionnement horizontal (types B1 et B2) est plus marquée au CH Universitaire et au CSSS Semi-rural. Des modes de fonctionnement verticaux sont toujours présents au CSSS Semi-rural et au CSSS de 1ière ligne. Pour le CSSS Régional, il est trop tôt pour se prononcer sur l’évolution des rôles. Les partenaires sont toujours en train de s’ajuster mutuellement. Si le CH Universitaire et le CSSS Semi-rural ont pu faire évoluer la compréhension des rôles de cogestion et leur actualisation en forme horizontale, c’est en partie dû aux efforts importants d’accompagnement évoqués ci-dessus qui comprennent l’encadrement du processus de mise en œuvre, ainsi que des dispositifs organisés de formation et de coaching.

8. Les retombées organisationnelles du partenariat médico-administratif Si elles jouent bien leur rôle, les pistes de partenariat médico-administratif devraient générer des changements non seulement au niveau du partage des rôles et des relations entre les membres des tandems, mais également à trois niveaux organisationnels : au sein des programmes eux-mêmes, au niveau de la décision stratégique et opérationnelle (intégration verticale) et au niveau de la capacité de traiter des problématiques transversales (intégration horizontale). On constate un effort concerté notamment chez le CH Universitaire et le CSSS Semi-rural pour faire descendre la gouvernance médico-administrative à l’intérieur des programmes-clientèles, pour intégrer les différents niveaux afin d’assurer une influence médicale sur les décisions

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stratégiques et opérationnelles, et pour promouvoir une certaine transversalité entre les programmes. De plus, il est intéressant de noter que depuis la mise ne place des pistes de partenariat au temps 1, les perceptions de l’influence des médecins sur les dossiers stratégiques et opérationnels ont augmentées au CSSS Régional selon les données quantitatives. Les dossiers traceurs examinés dans la prochaine section permettent de voir de plus près comment le partenariat se manifeste concrètement dans les situations précises.

9. Les dossiers traceurs Au début du projet de recherche, nous avons demandé aux établissements d’identifier trois dossiers « traceurs » au sein de leurs organisations qui selon eux permettraient d’évaluer les retombées concrètes des pistes de partenariat médico-administratif aux niveaux « stratégiques», « tactiques » et « opérationnels ». Le retard dans la mise en œuvre des pistes de partenariat au CSSS Régional n’a pas permis de faire le suivi des dossiers traceurs pour cette organisation. Cependant, nous en avons fait l’évaluation pour les trois autres établissements. Dans l’ensemble, l’analyse des dossiers traceurs dans ces établissements montrent les défis associés à la valorisation des pistes de partenariat médico-administratif. Même si certains dossiers représentent des réussites claires, dans plusieurs autres dossiers vus préalablement comme pouvant révéler les bénéfices de telles formes de partenariat, les attentes concernant la contribution des tandems de cogestionnaires n’ont pas été atteintes. Cependant, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de collaboration médicale. On voit bien que le partenariat médico-administratif n’est pas restreint à la cogestion, et passe par des voies multiples comme dans plusieurs des dossiers présentés (ex. le traitement de la violence à l’urgence au CH Universitaire, la consultation entourant la planification stratégique au CSSS Semi-rural, et le comité des ordonnances collectives au CSSS de 1ière ligne.)

10. Conclusion : les constats généraux de la recherche La recherche a examiné le potentiel des pistes de partenariat proposées par l’AQESSS avec deux types de lunettes. D’une part, nous avons comparé trois établissements où le partenariat était en voie de développement avec une organisation dans laquelle le partenariat était déjà bien établi. D’autre part, nous avons suivi pendant deux ans les quatre organisations alors qu’elles développaient ou mettaient en œuvre leur démarche. Nous résumons ici les constats généraux importants qui en découlent. La nécessité de mesures de légitimation, d’encadrement et d’accompagnement pour appuyer les changements structurels Parmi les constats généraux les plus importants qui ressortent de l’étude, notons que les deux organisations qui (a) avaient les meilleures conditions de départ au niveau de la collaboration et l’engagement médical et (b) avaient également investi tout au long de la recherche de façon plus concertée dans les mesures de légitimation, d’encadrement, et de coaching et formation ont obtenu de meilleurs résultats et ont réalisé plus de progrès à plusieurs niveaux au temps 2. On note aussi l’importance pour les organisations de bien évaluer leur contexte, et ajuster leurs attentes et leurs interventions en fonction de leur situation; et avant tout, on note l’importance primordiale d’appuyer les changements structurels avec des démarches formelles et concertées

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visant à consolider leur impact. Comme les expériences du CSSS de 1ière ligne démontrent, si la structure n’est pas appuyée de façon systématique par ce type de mesure, elle risque de laisser les principaux intéressés dans les situations de perplexité ou d’indifférence. Si les nominations de « cogestionnaires » ne sont pas suivies par des moyens pour structurer et intégrer leur rôle à l’intérieur de l’organisation, les effets peuvent même être négatifs pour les relations avec le corps médical. Il s’agit donc d’une initiative qui ne peut pas être prise à la légère. Les facteurs institutionnels qui affectent la mise en œuvre des pistes Même si la recherche révèle des bénéfices potentiels des pistes de partenariat proposées par l’AQESSS, elle fait voir également une multitude de difficultés lors de leur mise en œuvre et de leur actualisation. Certaines des difficultés sont tributaires des situations particulières des quatre organisations et cet aspect a fait l’objet d’une discussion élaborée à la Section 5 du présent rapport. D’autres, par contre, relèvent directement ou indirectement du contexte institutionnel plus général dans lesquels baignent toutes les organisations de santé. On se réfère ici aux règlements et structures qui encadrent le fonctionnement des établissements de santé et de services sociaux. Avant de revenir sur l’action des établissements eux-mêmes, il est important de mentionner les facteurs importants. Premièrement, le mode de rémunération des médecins et leur statut de travailleur autonome influencent, bien sûr, la capacité de susciter de l’engagement organisationnel et limite le temps que les médecins dans les postes de cogestionnaires médicaux de programme-clientèle peuvent, de façon réaliste, consacrer à la gestion. Trois des quatre organisations ont trouvé des solutions à ce problème en offrant une forme de rémunération pour les heures consacrées à la gestion, mais la disponibilité de temps reste une contrainte importante. Deuxièmement, la loi reconnaît les rôles de chefs de département clinique, de directeur des services professionnels et du conseil des médecins, dentistes et pharmaciens, mais ne reconnaît pas les directeurs médicaux de programme. La structure par programme se superpose donc à la structure départementale, et la légitimité du cogestionnaire médical de programme ainsi que son positionnement par rapport aux autres acteurs médicaux restent souvent ambigus et à construire par rapport aux autres rôles. Cette situation rend nécessairement plus complexe la mise en œuvre des pistes de partenariat, et ne facilite pas toujours l’adaptation. Le CH Universitaire a choisi par ailleurs de fusionner les rôles de directeur médical de programme et de chef de département dans plusieurs cas, mais cela crée d’autres ambiguïtés et ce n’est pas une solution réaliste dans le cas des autres établissements où les programmes regroupent plusieurs départements. Les contraintes institutionnelles ne semblent pas être appelées à changer dans un avenir rapproché, mais il est important de reconnaître leur importance si on souhaite promouvoir des formes de partenariat médico-administratif fondés sur les pistes proposées par l’AQESSS à une échelle plus large.

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L’importance des facteurs culturels dans la mise en œuvre des pistes de partenariat Les données nous montrent que la mise en œuvre des pistes de partenariat appelle une transformation culturelle autant que structurelle. Cette transformation exige non seulement un changement de comportement chez les cogestionnaires médicaux qui acceptent de relever le défi de telles fonctions, mais également un changement de comportement de tous les acteurs qui les entourent en commençant par les cogestionnaires clinico-administratifs et les autres cadres supérieurs, et tout particulièrement les directeurs des services professionnels. Comme nous l’avons mentionné à la Section 5, les DSP peuvent très facilement miner sans le vouloir la crédibilité et la portée de l’action des cogestionnaires médicaux, et ce risque nous a été mentionné dans tous les établissements. Cela revient à l’idée de la nécessité d’encadrer la démarche de mise en œuvre non seulement pour les nouveaux acteurs mais aussi pour les autres membres du comité de direction, et même à d’autres niveaux. Le partenariat médico-administratif au-delà des pistes Les données tirées de l’étude nous montrent également que différentes formes de partenariat médico-administratif sont bien présentes dans les organisations à des degrés divers, mais ils ne s’incarnent pas toujours dans les pistes proposées par l’AQESSS. Par exemple, nous voyons que les médecins participent souvent à la gestion directement ou indirectement à des niveaux opérationnels (ex. comme chefs de service médicaux en cogestion ou pas). De plus, différents comités sollicitent leur participation (comités autour du plan d’intervention clinique au CH Universitaire, et le comité des ordonnances collectives au CSSS de 1ière ligne). Finalement, la collaboration médico-administrative au niveau plus stratégique peut passer par des consultations plus informelles et par des rencontres élargies comme celles utilisées par le CSSS Semi-rural pour concevoir leur plan stratégique. Bien sûr, les pistes proposées par l’AQESSS systématisent le partenariat de façon plus formelle, mais dans bien des cas, les autres voies identifiées resteront essentielles. Vers de nouvelles pistes de partenariat médico-administratif : Un cheminement continu plutôt qu’une cible achevée En terminant, nous voudrons souligner un point central qui transparaît à travers l’ensemble de ce rapport. Les pistes de partenariat proposées représentent un dispositif structurel qui s’insère dans un contexte caractérisé par de multiples autres éléments importants (ex. les contraintes institutionnelles, les incitatifs en place, la culture organisationnelle, etc.) qui marquent nécessairement le processus de construction de la gouvernance médico-administrative qu’on le veuille ou non. Tout projet de ce genre doit rendre compte du nécessaire processus d’ajustement et d’évolution dans le temps. Les établissements étudiés se situent à différents endroits sur le chemin, mais même les plus avancés sont toujours en cheminement : dans le meilleur des mondes, les avancées et les revers rencontrés en chemin formeront la base des apprentissages et des ajustements futurs, et cela ne peut en être autrement.

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1. Introduction

En 2011, l’Association québécoise d’établissements de santé et de services sociaux (AQESSSS) a mis en place quatre projets pilotes pour expérimenter et évaluer des pistes de collaboration médico-administratives dans le réseau de la santé et des services sociaux au Québec. Les pistes proposées sont :

Piste 1 : La cogestion médico-administrative de programmes-clientèles, comme préalable à un meilleur partenariat médico-administratif

Piste 2 : La mise en place d’un comité de coordination pour l’ensemble des programmes; Piste 3 : La participation des cogestionnaires médicaux de programmes au comité de

direction; Piste 4 : Une meilleure collaboration entre le Conseil des médecins, dentistes et

pharmaciens (CMDP) et le Conseil d’administration (CA) via, entre autres, des rencontres biannuelles des exécutifs et la création d’un comité du CA sur les affaires cliniques;

Piste 5 : Une cellule de réflexion et d’orientation stratégique qui comprendrait le Directeur général (DG), le Président du CA, le Président du CMDP et le Directeur des services professionnels (DSP);

C’est dans ce contexte que le Pôle Santé et notre équipe de recherche ont été sollicités pour étudier le processus de mise-en-œuvre de ces pistes dans les établissements choisis (un centre hospitalier universitaire et trois centres de santé et de services sociaux [CSSS]) et de fournir une appréciation de la capacité de ces pistes à améliorer les processus de prise de décision et de collaboration médico-administrative.

La gouvernance médicale est un thème d’actualité dans de nombreux systèmes de santé. Les questions se rapportant à l’intégration des médecins à l’organisation, au développement du leadership de la profession médicale et des modèles de gouvernance pour une plus grande performance des organisations de santé font l’objet de nombreuses initiatives et analyses (Ham & Dickinson, 2008; AMRC & NIII, 2008; Baker, Denis, Pomey et al., 2010 Burns & Muller, 2008). La profession médicale est réputée exercer une influence importante de par son expertise et son statut sur l’utilisation des ressources. L’expérience récente de nombreux systèmes de santé montre l’importance d’associer étroitement les professionnels dont les médecins aux efforts de transformation et d’amélioration (Crosson, 2003; Levenson, Dewar & al., 2008; Ovretveit , Bate, Cleary & al., 2002; West, 2006). La gouvernance médicale apparaît comme une voie prometteuse pour réconcilier les impératifs organisationnels et professionnels tout en favorisant une participation active de la profession médicale. Le modèle proposé pour renouveler la gouvernance médicale au Québec offre une occasion unique de mieux comprendre les conditions propices à la mise en place d’une collaboration médico-administrative dans une perspective d’amélioration des soins et services.

Le présent rapport vise à rendre compte des expériences vécues par les quatre établissements pilotes choisis par l’AQESSS au cours des deux dernières années d’expérimentation en mettant l’accent sur les éléments suivants : (a) les enjeux associés à la mise en place des pistes (ex : les

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éléments facilitateurs, les conditions de succès, les difficultés rencontrées), et (b) les impacts du nouveau modèle sur la participation des médecins aux processus de prise de décision ainsi que sur la perception des administrateurs et des médecins concernant la qualité de la collaboration médico-administrative, sur l’évolution des rôles et les responsabilités et les compétences, sur la vie des programmes-clientèles et sur le niveau d’intégration verticale et horizontale. Finalement, nous examinons les implications des résultats pour d’autres établissements qui souhaiteraient mettre en place des dispositifs de gouvernance médico-administrative similaires.

1.1. Déroulement du projet et méthodologie

Le projet de recherche s’est déroulé selon quatre phases. Premièrement, l’équipe de recherche a produit une revue de littérature intitulée « Modèles et enjeux du partenariat médico-administratif: État des connaissances » qui a été présentée à l’automne 2011 et publiée en ligne par l’AQESSS en février 2012. Cette revue présente d’abord le contexte et les enjeux derrière la volonté d’assurer une meilleure collaboration médico-administrative. Deuxièmement, elle passe en revue différents modèles structurels de collaboration mis en place aux États-Unis, en Europe et au Canada. Troisièmement, elle présente les conclusions tirées de la littérature sur le vécu quotidien des médecins dans les postes de gestion en soulignant leurs rôles de traducteur, de négociateur et de conciliateur qui leur confèrent une influence importante tant dans le monde de la gestion que dans celui de la médecine. Finalement, elle aborde les stratégies suggérées par la littérature pour développer le leadership médical, en mettant l’accent sur les dispositifs de formation ainsi que sur l’importance des incitatifs extrinsèques et intrinsèques.

La deuxième phase du projet (« Observation Temps 1 ») implique la cueillette de données intensive dans les quatre sites pilotes, processus réalisé de janvier à octobre 2012. Cette collecte de données comprend des entretiens, des observations, et un sondage par questionnaire auprès des médecins et des gestionnaires des quatre établissements. Lors de cette phase, nous avons mis l’accent sur le processus de mise en œuvre des pistes, ainsi que sur les éléments facilitateurs de la démarche et les difficultés rencontrées. Cette première analyse nous a permis également d’identifier les indicateurs qui seraient utilisés plus tard dans le projet pour analyser l’évolution des expériences. Un rapport intérimaire a été présenté à l’AQESSS et aux partenaires de l’étude en novembre 2012.

La phase trois s’est déroulée de novembre 2012 à juillet 2013. Il s’agissait pendant cette période intérimaire de suivre régulièrement l’avancement du projet en assistant aux plus importantes réunions de gestion dans les quatre établissements.

Finalement, la phase quatre (« Observation Temps 2 ») a consisté en une reprise des entrevues auprès des mêmes interlocuteurs qu’au Temps 1 afin de discuter avec eux de l’évolution de la collaboration médico-administrative au cours des 18 mois du projet et de ses retombées. Cette phase comprend également une seconde administration du sondage par questionnaire qui a eu lieu en octobre 2013, soit un an après la première consultation.

Le Tableau 1 présente un portrait global des données recueillies dans les quatre établissements pilotes (appelés ici le CH Universitaire, le CSSS Régional, le CSSS Semi-rural, et le CSSS de 1ière

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ligne). Les personnes interviewées comprennent les membres de l’équipe de direction et des cogestionnaires médicaux et clinico-administratifs travaillant en tandem. Dans chaque établissement, nous avons également rencontré les présidents de CMDP et les présidents du Conseil d’administration. Les entretiens ont été transcrits et codés avec le logiciel N’Vivo.

Tableau 1 : Données recueillies dans les quatre sites pilotes

Entretiens (nombre Temps

1 et 2)

Observations Questionnaires (nombre Temps 1 et 2)

CH Universitaire T1 :27 T2 : 22

-Comité de direction -Comité exécutif inter-programmes -Bureau stratégique

T1 : 175 (64 gestion; 43 md-gestion; 68 md) T2: 181 (56 gestion; 43 md-gestion; 82 md)

CSSS Régional T1: 11 T2: 19

-Comité de direction -Comité de coordination -Comité consultatif 2025 -Exécutif du CMDP - Table des chefs

T1: 142 (106 gestion; 15 md-gestion; 21 md T2: 164 (98 gestion; 22 md-gestion; 44 md)

CSSS Semi-rural T1: 27 T2: 18

-Comité de direction -Comité de direction clinique -Comité de pilotage de la cogestion -Exécutif et annuel du CMDP -Table des chefs -Séances de formation en cogestion

T1 : 69 (37 gestion; 13 md-gestion ; 19 md) T2: 47 (26 gestion; 7 md-gestion; 14 md)

CSSS de 1ière ligne T1 : 25 T2 : 18

-Comité de direction DGAAUCSP -Comité de gouvernance clinique -Exécutif du CMDP -Comité des ordonnances collectives

T1: 71 (40 gestion; 11 md-gestion; 20 md) T2: 78 (46 gestion; 16 md-gestion; 16 md)

TOTAL T1 : 90 T2 : 77

T1 : 457 T2 : 470

Afin d’apprécier l’impact concret des pistes proposées par l’AQESSS sur les processus de prise de décision à différents niveaux, nous avons demandé aux établissements dès le début du projet d’identifier des « dossiers traceurs » qui nous permettraient de rendre compte de cet impact par rapport à des enjeux spécifiques à la fois aux niveaux stratégique, tactique et opérationnel. Cependant, au cours du projet de recherche, nous avons constaté que certains des dossiers traceurs proposés n’étaient pas aussi révélateurs que prévus initialement. Nous avons donc développé un ensemble d’indicateurs plus généraux qui sont également analysés dans ce rapport.

Suivant cette brève introduction, la Section 2 du rapport introduit les quatre organisations participant à l’étude pilote. La Section 3 identifie les objectifs et avantages perçus du partenariat dans les établissements pilotes, et la Section 4 présente les pistes de partenariat médico-administratifs mis en œuvre entre 2011 et 2013 en relation avec les propositions de l’AQESSS. La Section 5 décrit le processus de mise en œuvre ainsi que les éléments facilitateurs et les obstacles. Les Sections 6 et 7 sont consacrées aux résultats obtenus. La Section 8 conclut sur les apprentissages et perspectives d’avenir.

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2. Portrait des quatre établissements pilotes

Les quatre organisations ayant accepté de participer au projet pilote ont des profils très différents et représentent la gamme des formes organisationnelles dans le réseau de la santé et des services sociaux au Québec (voir le Tableau 2). Elles sont également à des stades différents de mise en œuvre d’une mode de gouvernance médico-administrative impliquant la cogestion.

Tableau 2 : Profils des quatre établissements pilote

CH Universitaire CSSS Régional CSSS Semi-rural CSSS de 1ière ligne

Courte durée 713 lits 2 hôpitaux

595 lits 3 hôpitaux

104 lits 1 hôpital

4 UMF Pas d’hôpital

Hébergement Aucun 596 lits 4 centres

d’hébergement

217 lits 3 centres

d’hébergement

1 341 lits 8 centres

d’hébergement

CLSC Aucun 3 CLSC 3 CLSC 7 CLSC

Employés 5 915 5 336 1 189 3 500

Médecins 622 463 ~ 100 235

Enseignement/ recherche

Cœur de la mission Présent Peu présent Présence aux UMF En développement

Historique de partenariat médico-administratif

Programmes-clientèle en cogestion depuis

2006

Mise en œuvre de codirections de

programmes en juin 2013

Programmes-clientèle en cogestion depuis

2010

Création de structure de cogestion depuis

Novembre 2011

La première organisation qu’on appellera ici le « CH Universitaire » est un centre hospitalier universitaire qui a adopté formellement une organisation par programme-clientèle il y a huit ans, mais qui a souhaité profiter du projet pilote pour faire avancer de façon plus concertée son approche de cogestion médico-administrative. Cette organisation a été choisie pour servir de point de repère par rapport aux trois autres organisations qui avaient une maturité moins grande en matière de partenariat médico-administratif au début du projet.

La deuxième organisation, appelé ici le « CSSS Régional » est un grand centre de santé et de services sociaux (~ 5 000 employés) qui comprend une gamme complète de services hospitaliers, de longue durée et de première ligne. Ce CSSS est en 2014 au tout début de son expérience avec les pistes de partenariat : pour plusieurs raisons, ses premières nominations de cogestionnaires médicaux ont été retardées jusqu’en juin 2013 (voir le Tableau 3 ci-dessous).

La troisième organisation, le « CSSS Semi-rural » est une plus petite organisation (~1 000 employés). Elle dispose d’un hôpital de courte durée d’environ 100 lits, et d’une gamme de services de première et de deuxième ligne. Elle expérimente la formule de cogestion depuis quatre ans, appuyée dans ses démarches par une Fondation privée.

Finalement, le CSSS de 1ère Ligne ne possède pas d’hôpital, mais offre une gamme très importante de services de première ligne et d’hébergement. Il a également un volet d’enseignement universitaire. En fonction de sa mission, cette organisation a une structure

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médicale plus légère que les trois autres organisations. Ses initiatives en cogestion datent de la fin de 2011. Cette organisation a choisie spécifiquement dans le but d’examiner la pertinence des pistes proposées par l’AQESSS pour les CSSS ne disposant pas d’hôpital de courte durée.

2.1. Éléments de contexte pouvant influencer la mise en place des pistes de

partenariat médico-administratif dans les quatre établissements

Avant d’aborder en plus de détails la mise en œuvre des pistes de partenariat médico-administratif dans les quatre établissements, il est important de souligner un certain nombre de facteurs contextuels spécifiques qui ont pu influencer la progression de la démarche dans chacun des établissements. Ces facteurs spécifiques sont résumés dans le Tableau 3. Les facteurs les plus importants sont notés en caractères gras.

Tableau 3 : Éléments du contexte pouvant influencer la mise en place des pistes de partenariat médico-administratif dans les quatre établissements

Éléments positifs Éléments plus difficiles

CH Universitaire -Historique de partenariat médico-administratif bien établi -Milieu universitaire avec un plan de pratique favorisant un certain investissement des médecins en recherche et en gestion

-Aligner la structure par département (universitaire et hospitalière) et la structure par programme

CSSS Régional -Plan d’organisation avec définition des rôles de cogestion (directeurs médicaux et clinico-administratifs) disponible dès janvier 2012

-Historique de relations difficiles entre la direction et les médecins -Retard dans la nomination du DG -Contraintes budgétaires retardant la nomination des directeurs médicaux

CSSS Semi-rural -Investissement dès 2010 et encore en 2013 pour la mise en place de la cogestion appuyé par une Fondation (comité de pilotage, formation, coaching, etc.)

-Situation tendue en santé mentale – absence de chef de département - Situation tendue en chirurgie avec l’arrivée de nouveaux spécialistes

CSSS de 1ière ligne -Collaboration médico-administrative plus établie dans le secteur universitaire

-Nombre de médecins travaillant au CSSS limité dans plusieurs secteurs -Tensions d’ordre culturel reliées au transfert des UMF des hôpitaux universitaires vers le CSSS

Pour ce qui est du CH Universitaire, il est clair que la tradition universitaire (qui comprend un plan de pratique favorisant l’investissement des médecins en recherche et en gestion) ainsi qu’un historique de partenariat médico-administratif bien établi place cette organisation en avance sur les trois autres. Parallèlement, les tensions historiques entre certains secteurs médicaux et la direction des établissements ont pu retarder ou ralentir la mise en place des dispostifs de partenariat dans les autres établissements, et notamment au CSSS Régional et dans les secteurs de santé mentale et de chirurgie au CSSS Semi-rural. Le CSSS Semi-rural disposait par ailleurs d’un puissant atout dans la forme de l’appui d’une Fondation privée

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(Tableau 3) qui a accepté d’accompagner l’organisation dans ses efforts pour améliorer le partenariat médico-administratif avec un apport financier à des programmes de formation, ainsi qu’un suivi continu de la démarche depuis 2010 (Rondeau & Parent, 2012). Finalement, pour ce qui est du CSSS de 1ière ligne, le nombre relativement faible de médecins travaillant à temps plein au sein de l’établissement a certainement constitué un frein à la démarche.

En résumé, nous notons qu’il est important de bien évaluer le contexte spécifique dans lequel s’inséreront des nouvelles pistes de partenariat médico-administratif lorsqu’on propose de mettre en œuvre une telle démarche. Dans le cas de cette étude, nous nous sommes assurés de l’appui formel du CA, du CMDP, et de l’équipe de direction à l’amorce du projet. Néanmoins, certains éléments ponctuels ont pu rendre la démarche plus ardue dans certains secteurs.

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3. Les objectifs et avantages perçus de la participation des médecins à la gestion des établissements

Pourquoi impliquer les médecins dans la gestion? Et pourquoi un médecin accepterait-il d’y participer? Dans cette section, nous résumons les principaux objectifs et avantages perçus par les répondants rencontrés (membres de la direction et médecins cogestionnaires) et exprimés également dans la documentation produite par les établissements. Les éléments mentionnés se ressemblent généralement d’un établissement à l’autre. Les motivations des directions d’établissement sont également reflétées dans celles des médecins cogestionnaires eux-mêmes, avec certaines nuances. Le Tableau 4 fournit d’autres citations d’entretien et d’extraits de documents qui confirment l’importance accordée à ces dimensions.

3.1. Promouvoir le leadership et l’engagement médical

« Il y a une volonté d’avoir des médecins cliniciens qui sont impliqués dans tous les niveaux de gestion et qui vont être capables d’influencer les décisions, de partager les décisions, puis d’être imputables de ces décisions-là et de les supporter sur le terrain aussi »

La citation ci-dessus exprime un point de vue partagé par l’ensemble des directions des établissements pilotes. Il est en effet entendu qu’à travers leur expertise clinique et leur influence auprès de leurs collègues, les médecins qui acceptent les postes de gestion peuvent jouer un rôle de premier plan dans la prise de décision stratégique et dans la mise en œuvre de ces décisions. Les avantages associés à ce type de leadership sont perçus comme évidents étant donné le rôle central des médecins dans les activités cliniques et dans l’orientation des ressources.

« On ne peut pas prendre des décisions sans que la majorité de ceux qui consomment nos ressources ne soient autour de la table. (…) Les médecins peuvent nous aider à prendre les bonnes décisions ».

Cette ouverture à l’influence médicale réjouit plusieurs médecins cogestionnaires rencontrés et constitue en soi une motivation à leur participation.

« Moi, ce que je voyais là, c’était enfin, on peut être assis avec les vrais décideurs puis, on n’est pas sur la troisième ligne. (…) Moi ce qui m’a attiré beaucoup là-dedans, c’est vraiment ça, enfin on a une porte pour nos messages, et on n’a pas à aller frapper à 15 endroits. ».

« Il y a des médecins qui vont faire de l’administration pour faire passer ou développer un projet qui leur tient à cœur. (…) Tandis qu’il y en a d’autres, bien, qui ne rentreront pas, tu sais, avec un projet en particulier. Ils vont en avoir des projets, mais ce n’est pas le point majeur. »

Il est clair, par ailleurs, que le leadership médical n’est pas une fin en soi, mais une voie vers l’amélioration de la performance et de la qualité des soins et services.

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Tableau 4 : Objectifs et avantages perçus de la participation des médecins à la gestion des établissements (données complémentaires tirés de documents et d’entretiens)

Promouvoir le leadership médical

Améliorer la performance en regard de la clientèle

Favoriser la cohésion et la complémentarité

CH Universitaire

- Les représentants – du corps médical désirent travailler avec l’administration (..). Et maintenant c’est encore plus clair du fait qu’on a fait des modifications pour leur permettre d’avoir une influence sur des décisions stratégiques.

-Si on est capable de regarder la même cible, puis à mon sens, oui - c’est-à-dire que les médecins veulent le bien de leurs patients, puis l’hôpital veut le bien de ses patients, on est capable de travailler plus la logique managériale.

- La cogestion «cela permet de travailler de façon concertée dans la perspective de répondre aux besoins des patients. » - En impliquant les médecins, ceux-ci comprennent mieux les enjeux derrière les décisions

CSSS Régional

- Redéfinir le leadership et la gouvernance médicale; - Contribution significative du corps médical dans la gestion de l’établissement (extrait d’un document sur la gouvernance, 2013)

-Améliorer l’accessibilité, la continuité, la qualité et la sécurité des services. -Améliorer l’efficience et la performance; (extrait d’un document sur la gouvernance, 2013)

-Un meilleur arrimage clinique et médical (document sur la gouvernance, 2013 - Pour placer le patient au centre, il faut mettre en place une stratégie de cogestion. Je ne peux pas travailler sans les médecins et les médecins ne peuvent pas travailler sans moi.

CSSS Semi-Rural

-Les médecins contribuent fortement à la définition des orientations cliniques et à l’imputabilité des résultats (Élément 2 de la « Vision »de la cogestion)

-La philosophie de soins et de services renforcés (Élément 1 de la « Vision ») Les processus, la qualité et l’efficacité sont optimisés (Élément 3 de la « Vision »)

- La collaboration et l’interdisciplinarité sont optimales (Élément 5 de la « Vision de la cogestion ») - La cogestion permet aux médecins et aux gestionnaires de connaître leurs réalités respectives.

CSSS 1ère ligne

-Susciter le développement d’un leadership médical, un pouvoir d’influence et non un pouvoir d’autorité

- Moi j'y crois vraiment, dans ce partage de prise de décisions et puis d’orientations pour répondre le mieux possible à nos usagers.

- Cohérence, cohésion. Le fait de travailler en collaboration. Bien en tout cas, dans plusieurs programmes, je pense que c’est ça que ça va donner.

3.2. Améliorer la performance en regard de la clientèle

« L’objectif de la cogestion, ce n’est pas de gérer, c’est de s’assurer qu’on répond aux besoins de la clientèle, qu’on donne un meilleur service et qu’on planifie le développement »

L’apport des médecins est valorisé en particulier parce qu’il permet de placer les considérations cliniques au cœur de la décision. On s’attend à ce que l’organisation par programme-clientèle et la participation des médecins à leur gestion en collaboration avec les cogestionnaires clinico-

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administratifs favorise l’amélioration de la qualité et de la performance. La présence médicale au niveau des décisions stratégiques est perçue comme permettant de centrer les décisions autour cet objectif commun.

« Les médecins ont une connaissance intime du terrain, de la pratique. [Cela permet] d’aller beaucoup plus loin dans le développement de notre organisation de service. »

La volonté de s’assurer que les préoccupations cliniques qui concernent la clientèle soit au centre des décisions est également une motivation importante des cogestionnaires médicaux rencontrés :

« Je me vois comme étant là pour apporter la perspective de tous les gens sur le terrain pas juste le médical, pas juste la pensée médicale, mais la pensée clinique de tout le monde. »

« Ma principale motivation, (…) c’est davantage l’offre de service aux patients que les intérêts des médecins ou des employés de l’hôpital. (…) Il s’agit de définir les orientations de soins d’un hôpital, en concertation avec ce qui est possible, avec l’administration (…) et puis avec la volonté des gens. »

3.3. Favoriser la cohésion et la complémentarité

La dernière citation ci-dessus révèle en filigrane un autre objectif clé à toutes les démarches de partenariat médico-administratif : la volonté de concilier de façon plus constructive et harmonieuse les logiques managériales et cliniques qui sont souvent perçues comme étant en tension.

« Si tout le monde portait les mêmes lunettes pour étudier les problématiques ou les projets, probablement qu’on aurait moins de pertes, et d’énergie et de ressources. Et c’est ça, le but de la cogestion. »

Il s’agit donc non seulement d’amener les préoccupations cliniques à l’attention et à la compréhension des gestionnaires…

« [Il faut] amener les directions à se soucier des activités médicales qui ont cours dans leur programme, à se soucier de la présence médicale dans les décisions qu’ils prennent. »

…mais également d’amener les contraintes administratives à l’attention et à la compréhension des médecins :

«Cela permet aux médecins d’être au fait des contraintes auxquelles doivent faire face les gestionnaires et donc, de développer un autre regard ».

Cet objectif de conciliation est reconnu par plusieurs médecins cogestionnaires :

« Les gestionnaires pensent que les médecins veulent toujours bloquer, sont très intéressés seulement à leurs propres intérêts (…). Et les médecins pensent que les gestionnaires sont juste

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déconnectés de la réalité clinique et prennent des décisions sans les consulter. Les deux ont tort, alors je pense que j’ai un rôle, justement, [qui est de] faire le pont entre ces deux cultures. »

En somme, dans leurs efforts pour faire avancer les dossiers cliniques, les médecins cogestionnaires seront amenés en contrepartie à prendre connaissance des contraintes administratives et budgétaires. La cogestion ainsi que d’autres formes de partenariat médico-administratif peuvent alors permettre de développer la cohésion et la complémentarité et faire le pont entre les deux logiques.

3.4. Objectifs et avantages perçus : Synthèse et implications

En résumé, les objectifs et avantages perçus du partenariat médico-administratif sont multiples, mais ils tournent essentiellement autour de la mobilisation des médecins comme acteurs-clés dans la définition des soins et services en fonction de leur expertise, leur capacité d’influence et leur légitimité auprès des collègues et de la population. De cette façon, on espère pouvoir mieux concilier les perspectives managériales (axées sur l’utilisation efficace des ressources disponibles pour le bénéfice de la clientèle au sens large) avec les perspectives médicales (axées sur les meilleurs soins possibles pour des patients spécifiques pris en charge).

Il est important de noter que la volonté de conciliation des perspectives managériales et médicales est exigeante de part et d’autres et n’est pas toujours facile à assumer. Comme un médecin cogestionnaire le fait remarquer par rapport aux perspectives traditionnellement opposées de la gestion et du monde médical: « C'était bien facile de rester dans les vieilles positions, de ne pas s’impliquer, puis de dire c'est tout le temps la faute de l’autre ». Les médecins qui prennent un poste de cogestion se retrouvent confrontés à la nécessité de trouver un modus vivendi avec la partie administrative et cela ne se fait pas en restant uniquement dans une posture de « demandeur ». De façon tout à fait symétrique, une équipe de direction qui souhaite impliquer ses médecins dans la gestion ne peut pas rester dans une posture de refus systématique ou d’indifférence aux préoccupations médicales et cliniques.

En somme, la cogestion médico-administrative ainsi que les autres formes de partenariat médico-administratif proposées ici ne peuvent durer si la participation médicale est vue comme une simple opération de cooptation. Le choix d’un médecin de participer à la cogestion, tout comme le choix d’une direction générale d’établissement d’adopter ce mode de gouvernance, constitue donc un pari courageux qui repose sur la confiance mutuelle et la volonté sincère et partagée d’amélioration de la collaboration médico-administrative autour d’objectifs communs : notamment ceux touchant à l’amélioration de l’offre de service pour le bénéfice de la clientèle.

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4. Les pistes de partenariat adoptées

Dans cette section, nous décrivons les différentes structures formelles de partenariat médico-administratif adoptées par les établissements, en les mettant en relation avec les pistes de l’AQESSS. Comme nous le verrons, les modèles de partenariat adoptés ont certains traits communs, mais également plusieurs différences en fonction du contexte local et historique. La Figure 1 offre une représentation schématique des organigrammes des différents établissements en décembre 2013. Il faut noter que pendant la période de l’étude de 2011 à 2013, plusieurs développements ont eu lieu.

Nous présentons les structures de partenariat en trois temps : la première sous-section concerne la cogestion médico-administrative, la seconde concerne les comités de direction et de coordination des programmes, et la troisième concerne les autres dispositifs de rapprochement entre les médecins et la direction au niveau stratégique.

4.1. Piste 1 : La cogestion médico-administrative

Pour l’AQESSS, la cogestion médico-administrative au niveau des programmes-clientèles est un élément fondamental sur lequel repose toutes les autres pistes de partenariat. Effectivement, tous les établissements ont mis en place une forme de cogestion. Toutefois, les modèles varient d’un établissement à l’autre en termes du positionnement dans l’organigramme (Figure 1), en termes de la maturité des expériences, et en termes d’élaboration de la formule à des niveaux opérationnels.

CH Universitaire : Dix chefferies de programmes-clientèles en cogestion relevant d’une direction interdisciplinaire des services cliniques également en cogestion Au CH Universitaire, 11 programmes-clientèles ont été définis dont 10 en cogestion. Cela comprend huit secteurs de soins cliniques et deux secteurs de services diagnostiques. Les tandems responsables de programmes-clientèles ont le titre de « chef » (un chef médical est jumelé avec un chef clinico-administratif) et les programmes-clientèles relèvent hiérarchiquement de la « Direction interdisciplinaire des services cliniques » (DISC), elle-même organisée en cogestion avec un « directeur médical » (le DSP) et un « directeur clinico-administratif » (la DSI) (voir la Figure 1). Les chefs médicaux allouent de 20% à 80% de leur temps aux fonctions administratives. Cependant, plusieurs cumulent ces fonctions avec ceux de chef de département clinique et/ou de chef de département universitaire. Outre la cogestion au niveau des chefs de programmes-clientèles, le CH Universitaire prône également la mise en place de structures de cogestion à des niveaux opérationnels à l’intérieur des programmes-clientèles, mais la formule adoptée varie beaucoup d’un programme à l’autre.

CSSS Régional : Quatre nouvelles directions de « réseaux » en cogestion Le nouveau modèle de gouvernance mis en place au CSSS Régional en 2013 comporte la cogestion pour les quatre « réseaux de services » (famille et communauté; services à domicile et de l’hébergement; services communautaires et hospitaliers de santé physique; santé mentale et des services psychosociaux) et pour l’enseignement médical avec des tandems

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composés de « directeurs médicaux » et de « directeurs médico-administratifs ». L’établissement a convenu d’un nombre d’heures rémunérées pour les directeurs médicaux variant de 10 heures à 24 heures par semaine en fonction de l’ampleur des réseaux. À noter que les tandems de réseau du CSSS Régional ont des responsabilités très larges compte tenu de la taille de l’établissement (voir le Tableau 2). Puisque les tandems sont en opération depuis moins d’un an, il est clair qu’ils sont en période de rodage au moment d’écrire ce rapport. La cogestion à des niveaux inférieurs de l’organisation n’a pas été formalisée.

CSSS Semi-rural : Quatre directions de programmes-clientèles en cogestion; structure de cogestion élaborée à des niveaux opérationnels Le CSSS Semi-rural s’est doté d’une structure de cogestion au niveau des programmes-clientèles en 2010. Tout comme le CSSS Régional, les tandems responsables des quatre programmes-clientèles (santé physique et services hospitaliers; santé mentale; perte d’autonomie liée au vieillissement; famille-enfance-jeunesse et santé publique) ont des titres de « directeur médical » et de « directeur clinico-administratif ». Les directeurs médicaux reçoivent une rémunération équivalente à quatre heures par semaine pour les fonctions de cogestion. Pour le programme de santé mentale, à cause de différends avec les membres du département de psychiatrie, le rôle de directeur médical est assumé par le directeur des services professionnels.

Le CSSS Semi-rural a aussi élaboré une structure de cogestion au niveau des services à l’intérieur des programmes avec quinze tandems définis dans l’organigramme. Ces tandems, tout comme les tandems au niveau des programmes-clientèle, ont pu bénéficier d’un programme de mentorat offert par une entreprise externe.

CSSS de 1ière ligne : Cogestion partielle et limitée au niveau des directions cliniques; structure de cogestion plus établie pour les UMF et services médicaux spécialisés Le CSSS de 1ière ligne a développé une structure de cogestion en 2011. Cependant, cette structure n’a jamais été aussi formalisée que dans les autres établissements. Parmi les quatre directions cliniques (cadres supérieurs) représentées dans l’organigramme, trois ont été jumelées avec un médecin (un chef de département clinique ou un chef de service). Cependant, lors de la dernière collecte de données en 2013, le bilan global de ces jumelages était mitigé, le consensus étant que peu de choses avaient changé suite à la mise en place de la formule. En fait, les postes de cogestionnaires médicaux au niveau des directions cliniques ne sont pas présentés dans l’organigramme officiel de l’établissement et les titulaires n’ont pas reçu de rémunération spécifique autre que celle déjà prévue pour les tâches administratives. La structure de cogestion proposée en 2011 comprenait par ailleurs plusieurs autres jumelages à des niveaux des services cliniques spécifiques, notamment pour les quatre unités de médecine familiale, pour le service de médecine spécialisée et pour la gériatrie. Ces collaborations à des niveaux opérationnels ont évolué de façon positive dans plusieurs cas.

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Figure 1 : Organigrammes schématiques des organisations pilotes (2013)2

CH Universitaire (2013)

CSSS Régional (2013)

CSSS Semi-rural (2013)

CSSS de 1ière ligne (2013)

2 Les membres de comité de direction sont indiqués en bleu. Les ronds jaunes indiquent la participation à un

comité de coordination clinique ou l’équivalent. Parfois d’autres personnes (ex. des directeurs adjoints se rejoignent à ces comités de coordination clinique).

Direction générale

DGA DSPAM

Tandems: Directions réseau x 4

Directeur médical

Directeur clinico-

administratif

Directions administratives

Direction générale

DSP DSI

Tandems: Directions de programme clientèle x 4

Directeur médical

Directeur clinico-

administratif

Directions administratives

Tandem: DISC

Direction générale

DSP DSI

Tandems Programmes-clientèles x 11

Chef medical

Chef clinico-administratif

Directions administratives

Direction inter- disciplinaire des

services cliniques (D

7 chefs de département cliniques (dont 6 sont chefs médicaux de programme) se retrouvent sur le comité de direction. Le Président du CMDP y siège également

N.B. Trois variantes du comité de direction siègent en alternance : le comité de direction (sans les directeurs médicaux), le comité de direction clinique (sans les directeurs administratifs) et le comité de direction conjoint avec tous les participants)

DSIPP

Direction générale

DGAAUCSP (medical)

DSIPP

Directions de Services

Cliniques x 4

Directeurs

Cogestionnaires médicaux (3

directions sur 4)

Directions administratives

DGAAAQ (administratif)

Directeur de l’enseignement médical et de la

médecine familiale

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4.2. Pistes 2 et 3 : La participation de cogestionnaires médicaux aux comités de

gestion

Deux pistes de partenariat ont été formulées par l’AQESSS pour ce qui est de la participation des médecins cogestionnaires de programmes-clientèles aux comités de gestion :

Piste 2 : La mise en place d’un comité de coordination pour l’ensemble des programmes;

Piste 3 : La participation des cogestionnaires médicaux de programmes au comité de direction

Nous considérerons ces deux pistes conjointement puisque la distinction entre les différents niveaux de comité est parfois difficile à faire. La Figure 1 montre par des codes couleurs le portrait des participations (comité de direction en bleu; comité de coordination ou l’équivalent indiqué par un rond jaune). Nous passons en revue ici la situation et son évolution dans les quatre établissements. CH Universitaire : Développement du comité exécutif inter-programmes; participation de sept chefs de département clinique et le Président du CMDP au comité de direction Le comité exécutif inter-programmes (CEIP) qui regroupe l’ensemble des chefs médicaux et les chefs clinico-administratifs de programmes avec le tandem composé du DSP et du DSI (les codirecteurs de la Direction interdisciplinaire des services cliniques) est devenu une instance de décision importante au CH Universitaire depuis 2011. Il s’agit d’un lieu majeur de coordination des services cliniques avec des réunions bimensuelles. Le dynamisme du comité (en termes de présence médicale et en termes de contenu) s’est accentué pendant la période étudiée. Plusieurs des répondants interrogés ont indiqué que le nouveau CEIP semblait avoir redonné, sous l’impulsion des deux co-directeurs, un certain dynamisme aux tandems des cogestionnaires de programmes:

«Je prends le CEIP, (…) je vous dirais que, oui, ça a changé. Ça montre que la direction s’implique puis veut que ça avance, puis veut faire vivre justement des tandems clinico-administratifs à cette instance-là.»

Pour sa part, le comité de direction ne regroupe pas d’office les cogestionnaires de programme. Toutefois, sept médecins y participent à titre de « chef de département clinique » et le Président du CMDP y est également présent. Il s’agit d’une structure de gouvernance qui existe depuis plus de dix ans. Puisque six chefs de département clinique sont également chefs de programmes-clientèles, il y a tout de même un chevauchement significatif avec le comité exécutif inter-programme du côté médical. Cependant, les chefs clinico-administratifs ne sont pas présents. Récemment, le CH Universitaire a commencé à s’interroger sur la forme que devrait prendre le comité de direction dans l’avenir et l’alignement entre les deux comités étant donné l’importance qu’a pris le CEIP au niveau des services cliniques. Bien sûr, la participation de tous les tandems au comité de direction créerait un comité avec plus d’une trentaine de personnes, ce qui ne serait pas réaliste.

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CSSS Régional : Participation des cogestionnaires médicaux de réseaux au comité de direction et au comité de coordination Dès leur arrivée en poste, les nouveaux cogestionnaires médicaux ont été invités à participer à la fois au comité de direction regroupant l’ensemble des directeurs de l’établissement et au « comité de coordination », un comité plus opérationnel regroupant les directeurs adjoints avec les directeurs pour analyser des projets spécifiques. Au moment où nous avons terminé la collecte de données, il a été convenu que compte tenu de leurs contraintes de temps, les directeurs médicaux continueraient à assister au comité de direction, mais ne seraient pas nécessairement présents au comité de coordination sauf en cas de besoin spécifique en fonction des projets discutés. Les directeurs clinico-administratifs seraient par ailleurs présents aux deux comités. Sans doute, les modes de gouvernance et la nature des différents comités seront appelés à évoluer avec le temps.

À noter qu’un autre élément de la structure des comités au CSSS Régional a soulevé des questionnements vers la fin du projet de recherche : la participation des directeurs médicaux à la table des chefs de département. Bien que cette participation soit toujours souhaitée par les directeurs médicaux et par la directrice des services professionnels et affaires médicales, les chefs de département n’ont pas voulu les accueillir du moins dans un premier temps, suggérant un certain malaise avec les nouveaux rôles.

CSSS Semi-rural : Évolution vers un comité de direction à formes multiples (comité de direction; comité de direction clinique; comité de direction conjoint) Lorsque nous avons débuté le projet de recherche en 2011, les directeurs médicaux de programmes n’étaient pas invités au comité de direction. Cependant, durant l’année, un nouveau comité – le comité de direction clinique – a été créé regroupant les codirecteurs de programmes-clientèles, le Directeur général, le DSP et la DSI. Ce comité correspond essentiellement au « comité de coordination » proposé par l’AQESSS (piste 2), bien que la participation du directeur général lui donne une importance particulière. Selon un directeur médical, il ne fait par ailleurs aucun doute que :

«La mise en place des rencontres du comité de direction clinique a un peu changé la dynamique [car] il y a plus de discussion maintenant avec les médecins pour les prises de décision en lien avec le domaine médical.»

Avec le temps, il est devenu évident également qu’il fallait créer des occasions pour permettre l’ensemble des directeurs administratifs et cliniques de se rencontrer autour d’une même table. Dans la dernière année, il s’est créé alors un « comité de direction conjoint » qui siège en alternance avec le comité de direction et le comité de direction clinique. Outre ces comités, les directeurs médicaux participent également à la table des chefs de départements. Finalement, le CSSS Semi-rural s’est doté d’une structure originale qui n’existe pas dans les autres établissements : le comité de pilotage, qui a servi de mécanisme d’accompagnement de la démarche de mise en place de la cogestion avec le concours d’un animateur externe. Le comité s’est transformé en 2013 en comité d’implantation de la cogestion pour assurer le suivi

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de la cogestion en proposant des dispositifs de formation, de sélection, et d’animation des tandems. Les membres comprennent le directeur général, le DSP, la directrice des ressources humaines, deux directeurs médicaux, deux cogestionnaires médico-administratifs et un représentant de l’Éxécutif du CMDP. CSSS de 1ière ligne : Absence de participation des cogestionnaires médicaux aux comités de régie et de gouvernance clinique Le CSSS de 1ière ligne n’a pas ouvert le « comité de régie » (équivalent au comité de direction) à la participation des cogestionnaires médicaux pendant la période de l’étude. La direction de l’établissement nous a indiqué que la pertinence d’une telle participation n’était pas évidente étant donné les contraintes de temps des médecins et le peu d’intérêt porté aux dossiers de type administratif. Comme dans tous les établissements, un médecin participe néanmoins d’office au comité de régie, soit le directeur général adjoint des affaires universitaires et cliniques et des services professionnels (DGAAUCSP). À la fin de 2013, la structure organisationnelle a été modifiée pour faire participer un deuxième médecin au comité de régie à titre de directeur de l’enseignement médical et de la médecine familiale. Ce directeur chapeaute les quatre unités de médecine familiale (UMF) leur donnant une place plus importante et plus autonome dans la structure organisationnelle (elles relevaient auparavant de la direction des services courants). Au début de la période de l’étude, l’établissement s’est aussi doté d’un « comité de gouvernance clinique » pour assurer d’une meilleure analyse des dossiers cliniques. Au moment de sa création, il avait été convenu que les cogestionnaires médicaux seraient invités à participer à ce comité « au besoin ». Cependant, il semble que le besoin s’est rarement fait sentir. Comme nous mentionne un répondant :

« On sait que c’est important de travailler avec des médecins, mais je pense qu’il faut avoir la préoccupation d’avoir les bons acteurs aux bonnes places aussi. Puis les médecins, c’est ce qu’ils nous disent. Si on les invite pour venir là, ils ne reviendront plus. Quand on invite un médecin, il ne faut pas l’inviter pour quelque chose qui ne l’intéresse pas. »

En somme, les comités de direction et de gouvernance clinique n’ont pas servi de réels instruments de partenariat dans cet établissement, faute d’intérêt ressenti. Il faudrait mentionner par ailleurs, qu’une autre initiative parallèle réalisée en 2011, celle de la réanimation de la « table des chefs » (qui ne s’était pas réuni depuis 2005) a néanmoins permis d’amorcer des rencontres productives entre médecins chefs de département et le DSP, sans pour autant regrouper médecins et administrateurs autour de la même table.

4.3. Pistes 4 et 5 : Rapprochement CA-CMDP et développement d’une cellule de réflexion (DG-DSP-CA-CMDP) au niveau stratégique

Les dernières pistes soulevées par l’AQESSS étaient :

Piste 4 : Une meilleure collaboration entre le Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP) et le Conseil d’administration (CA) via, entre autres, des

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rencontres biannuelles des exécutifs et la création d’un comité du CA sur les affaires cliniques;

Piste 5 : Une cellule de réflexion et d’orientation stratégique qui comprendrait le Directeur général (DG), le Président du CA, le Président du CMDP et le Directeur des services professionnels (DSP);

Dans l’ensemble, ces pistes n’ont pas suscité d’intérêt marqué par les directions des établissements pilote, non pas parce qu’elles n’y voyaient pas l’importance des liens entre le CA et le CMDP ni l’intérêt d’une concertation entre les acteurs stratégiques de l’organisation, mais parce que les dispositifs déjà en place leur semblaient généralement suffisants pour atteindre les objectifs visés au stade où ils se retrouvaient au début de la démarche. En ce qui concerne le rapprochement entre le CA et le CMDP, plusieurs personnes ont souligné la représentation statutaire du CMDP au CA. Pour ce qui est de la piste 5 concernant la création d’une cellule de réflexion regroupant le DG, le DSP, le Président du CA et le Président du CMDP, la réaction suivante est illustrative :

« Je pense qu’il faut qu’on ait des liaisons avec l’exécutif [du CMDP], mais je ne pense pas qu’un petit comité à quatre comme cela va être de portée stratégique. Il y a d’autres, personnes importantes. Je vois cela beaucoup plus avec les cogestionnaires, les tandems avec le président de l’exécutif, et le DSP. »

Les directions de tous les établissements ont par ailleurs souligné les multiples occasions de discussion et de rapprochement déjà présentes dans leur structure et dans leurs pratiques existantes. Par exemple, au CH Universitaire, la présence du Président du CMDP au comité de direction et au CA comble en partie les besoins exprimés dans le cadre de ces pistes. Aux CSSS Régional et au CSSS Semi-rural, des efforts importants ont été mis en place afin d’impliquer l’Exécutif du CMDP dans la mise en place de la cogestion (avec des succès variables comme nous le verrons plus tard). Plusieurs ont mentionné aussi la priorité qui devait être accordée à la mise en place et le rodage de la cogestion médico-administrative comme telle, avant d’investir dans d’autres formes de structures de partenariat.

4.4. Les pistes de partenariat adoptées : Synthèse et implications

L’analyse ci-dessus visait à faire le bilan des pistes de partenariat structurelles effectivement mis en œuvre dans les quatre établissements pilotes avant d’aborder les éléments facilitateurs et les obstacles rencontrés, ainsi que les résultats obtenus.

Nous constatons que trois des quatre organisations ont mis en place une structure de cogestion au niveau des programmes-clientèles d’une forme proche de celle préconisée par l’AQESSS. De plus, ces trois organisations ont développé des dispositifs de gouvernance au niveau du comité de direction et du comité de coordination clinique qui correspondent à toutes fins pratiques à ce qui a été prévu par l’AQESSS, avec des variantes pour tenir compte des conditions locales. Même le CH Universitaire qui avait déjà une structure de cogestion avant le début du projet a fait des avancés dans les deux dernières années en réaménageant le comité exécutif inter-

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programmes (CEIP) pour constituer un véritable lieu de rencontre entre les cogestionnaires chefs de programme et les codirecteurs de la direction interdisciplinaire des services cliniques.

La situation est plus mitigée en ce qui concerne le CSSS de 1ière ligne. La désignation de cogestionnaires médicaux à différents niveaux a eu lieu, mais elle a eu peu de suites au niveau des directions de services cliniques, et les médecins n’ont pas été sollicités pour participer à des comités de gestion. Il semble normal que le besoin de cogestion médicale soit moins évident dans une organisation de première ligne. Néanmoins, les deux autres CSSS de l’échantillon ont des composantes importantes de première ligne et ils ont choisi de se doter de cogestionnaires médicaux pour couvrir ces secteurs en les impliquant de façon claire dans les comités stratégiques. Le CSSS Régional a par ailleurs dû retarder la mise en place de sa structure jusqu’en été 2013, ce qui n’a pas permis d’accumuler un historique très long pour les besoins de la présente étude.

Dans l’ensemble, ces expériences suggèrent surtout qu’il ne faut pas sous-estimer le temps et les efforts nécessaires pour mettre en place une structure de partenariat médico-administratif comme celle proposée par l’AQESSS pour qu’elle vive pleinement et pour qu’elle donne des résultats escomptés. Il n’est pas anecdotique que les deux organisations les plus avancées dans leur démarche en 2014 (le CH Universitaire et le CSSS Semi-rural) y ont investi depuis plus longtemps, débutant leur projet avant le l’amorce de l’étude pilote. En somme, le processus de transformation vers un partenariat médico-administratif réel est long et exige un effort concerté. Dans les prochaines sections, nous évoquerons plus en détails les éléments facilitateurs et les obstacles à surmonter.

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5. Le processus de mise en œuvre

Cette section du rapport fait état des efforts mis de l’avant pour implanter les pistes de partenariat et les faire vivre au sein des établissements pilotes. Nous identifions d’abord les éléments facilitateurs ainsi que les obstacles rencontrés et nous évaluons par la suite les stratégies de mise en place et d’accompagnement.

5.1. Les éléments facilitateurs

5.1.1. Une culture qui prédispose

Tel qu’indiqué dans la Section 1, certains établissements ont amorcé le projet avec une longueur d’avance en ce qui concerne la culture de collaboration médico-administrative. Ces différences de départ sont reflétées dans les données qualitatives d’entretiens, mais également dans le sondage au temps 1, notamment dans les réponses aux énoncés concernant l’engagement des médecins envers l’établissement et ceux concernant le climat de confiance et de collaboration entre médecins et gestionnaires. Quelques-uns des énoncés les plus révélateurs sont présentés dans le Tableau 5.

Ce sont le CH Universitaire et le CSSS Semi-rural qui sont les plus avantagés au niveau de la culture préalable, mais pour des raisons un peu différentes. Pour le CH Universitaire, l’historique de partenariat dans cet établissement est significatif, supporté par un plan de pratique qui favorise l’investissement des médecins en gestion. Dans les entretiens, la nécessité d’un tel partenariat semble généralement prise pour acquis. Comme le mentionne un chef de programme : « J’ai l’impression qu’il y a un désir de véritablement impliquer [les médecins] qui ont des postes de responsabilités dans la gestion réelle, que ça soit du niveau facultaire, ou au niveau hospitalier. » Pour le CSSS Semi-rural, la taille relativement petite et le caractère communautaire de l’établissement rendent plus facile la collaboration : « Il y a quand même une culture de collaboration, étant donné la petitesse de l’endroit », même si les relations sont moins favorables dans certains secteurs controversés comme la psychiatrie et la chirurgie. Les données quantitatives pour ces deux établissements démontrent à la fois un engagement médical plus élevé et un climat de confiance et de collaboration généralement mieux perçus que dans les deux autres organisations, tout en laissant place à l’amélioration, et justifiant les efforts récents pour rehausser les dispositifs de partenariat.

Par contre, la faiblesse du climat de départ au CSSS Régional est évidente dans les données du sondage au temps 1 (voir le Tableau 6) où seulement 11,8% des médecins et 34% des gestionnaires ayant répondu au questionnaire sont au moins partiellement en accord avec l’énoncé « Il y a un haut niveau de confiance et de coopération entre le corps médical et l’administration de l’établissement. » Le passé récent de l’établissement (ex : difficultés suivant la fusion de multiples établissements autonomes et insatisfactions des médecins avec les orientations de la direction générale antérieure) en est l’explication principale. Le faible taux de réponse des médecins au questionnaire au temps 1 est également un élément révélateur.

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Toutefois, parmi les médecins qui ont répondu au questionnaire, on note un niveau d’engagement tout de même très positif.

Tableau 5 : Données du sondage au temps 1 (octobre 2012) concernant l’engagement organisationnel et le climat de confiance et de collaboration

ÉNONCÉS REFLÉTANT L’ENGAGEMENT ORGANISATIONNEL DES MÉDECINS

CH Universitaire

CSSS Régional

CSSS Semi-rural

CSSS de 1ière

ligne

-Je suis prêt à mettre des efforts au delà de ce qui est normalement attendu afin de contribuer au succès de [cet établissement]

86,5% 80,0% 90,6% 54,8%

-Je me sens très concerné par le succès à long terme [de cet établissement]

85,6% 74,3% 93,8% 54,5%

-Je participe volontiers à des comités afin d’améliorer la gestion [de cet établissement]

73,9% 62,9% 71,9% 58,1%

-Je participe volontiers à des comités afin d’améliorer les services médicaux [de cet établissement]

89.1% 77,1% 93,8% 71,0%

Nombre de médecins ayant répondu Taux de réponse au questionnaire par les médecins

111 20%

36 8%

33 37%

31 22%

N.B. Les chiffres représentent le % cumulatif de répondants indiquant qu’ils sont « totalement », « assez » ou « un peu » en accord avec l’énoncé. Les chiffres comprennent les médecins gestionnaires et non gestionnaires.

ÉNONCÉS REFLÉTANT LE CLIMAT DE CONFIANCE ET DE COLLABORATION

CH Universitaire

CSSS Régional

CSSS Semi-rural

CSSS de 1ière

ligne

-La communication entre les médecins et l’administration se fait ouvertement et sans restriction

md : 49,5% adm : 56,3%

md : 23,5% adm : 43,7%

md : 58,1% adm : 61,8%

md : 51,6% adm : 61,5%

-Il y a un haut niveau de confiance et de coopération entre le corps médical et l’administration de l’établissement

md : 49,1% adm : 46,9%

md : 11,8% adm : 34,0%

md : 43,3% adm : 44,1%

md : 41,9% adm : 53,8%

-L’administration et les médecins sont fondamentalement en accord sur les objectifs globaux de l’établissement

md : 54,7% adm : 77,4%

md : 26,5% adm : 36,9%

md : 38,7% adm : 50,0%

md : 43,3% adm : 47,4%

-Les gestionnaires ont confiance dans le leadership clinique

md : 50,0% adm : 78,1%

md : 47,1% adm : 78,8%

md : 45,2% adm : 88,2%

md : 45,2% adm : 82,1%

-Les médecins ont confiance dans le leadership administratif

md : 41,0% adm : 48,8%

md : 14,7% adm : 33,6%

md : 38,7% adm : 44,1%

md : 35,5% adm : 57,9%

Nombre de médecins ayant répondu Nombre de gestionnaires (non md) ayant répondu

md : 111 adm : 64

md : 36 adm : 106

md : 33 adm : 36

md : 31 adm : 40

N.B. Les chiffres représentent le % cumulatif de répondants indiquant qu’ils sont « totalement », « assez » ou « un peu » en accord avec l’énonce. md = médecin; adm = gestionnaires non médecin

Pour ce qui est du CSSS de 1ière ligne, les données qualitatives au temps 1 suggèrent une ouverture au partenariat. Comme remarque un médecin gestionnaire : « Avec la philosophie de cogestion, on est de plus en plus impliqués (…) je pense que les gens ici sont bien intentionnés. On a quand même une équipe de direction qui est ouverte. » En lien avec ce commentaire, les données quantitatives du Tableau 5 révèlent un niveau de collaboration et de confiance proches de ceux observés au CH Universitaire et au CSSS Semi-rural. Toutefois, selon les chiffres, l’engagement des médecins envers l’organisation et sa gestion est nettement plus

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faible qu’ailleurs, reflétant sans doute le caractère plus dispersé du corps médical dans un établissement de première ligne.

Dans une section ultérieure, nous fournirons quelques indices concernant l’évolution du climat de confiance et de l’engagement suivant la mise en place des pistes de partenariat.

5.1.2 Les bonnes personnes à la bonne place

Outre la culture de départ, un deuxième élément qui peut influencer le succès de la mise en œuvre des pistes de partenariat est relié aux personnes en place. Les répondants dans tous les établissements ont relevé l’importance des éléments de compétence et de personnalité qui peuvent faire toute la différence dans la capacité de faire évoluer le partenariat médico-administratif.

« Dans les éléments facilitateurs, il faut qu’il y ait une direction générale puis des directeurs qui soient prêts à travailler avec des tandems médico-administratifs. Je pense que c’est une des conditions qui a facilité le terrain ici et c’est propre à certains individus. (…) C’est important d’avoir les bonnes personnes.»

«Moi je veux avoir quelqu’un qui est capable d’avoir une vision globale. Puis qui a intérêt à rassembler [les médecins].»

«C'est surtout les acteurs qui sont pas aux bonnes places. Si on avait les acteurs, les bons acteurs, les rôles seraient clairs. On est capable d’asseoir les gens, mais quand les gens ne sont pas motivés, c’est là, la vraie difficulté.»

«Ça prend des gens avec de bonnes habiletés, des habiletés de leadership et de communication pour rapprocher ces deux solitudes».

«Je maintiens qu’on a des personnalités pour cogérer, puis il y a des personnalités pour faire de l’obstruction; je pense qu’il faut être sélectif sur ces postes-là.»

Bien sûr, les éléments de personnalité ne sont pas nécessairement faciles à gérer ou à prévoir, ce qui ajoute une complexité additionnelle à la mise en œuvre des modèles de cogestion. Cela se manifeste notamment au niveau de la compatibilité des personnes et de leur capacité à collaborer de façon constructive. La participation du cogestionnaire au processus de sélection peut être un moyen de favoriser la compatibilité (ex. utilisée récemment par le CSSS Régional pour la sélection des nouveaux directeurs médicaux par exemple), mais cela n’a pas toujours été possible dans les établissements, notamment lorsque le poste de directeur médical est relié (comme au CH Universitaire) à la chefferie de département où les exigences sont différentes.

Une autre façon d’intervenir sur le potentiel des personnes à bien fonctionner en cogestion est de miser sur la formation et le coaching pour rehausser les compétences associées à la collaboration. Cela nous amène aux stratégies effectivement mises en place pour promouvoir et accompagner la mise en œuvre.

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5. 2. Les obstacles rencontrés

Malgré les éléments facilitateurs notés ci-dessus, plusieurs facteurs ont constitué des obstacles ou des freins à la mise en œuvre des nouvelles formes de partenariat. Le Tableau 6 fait état des obstacles d’ordre fonctionnel, structurel et culturel observés. Ces obstacles se manifestent dans toutes les organisations de façon plus ou moins intense selon les sites. 5.2.1. Les obstacles d’ordre fonctionnel : le temps et les compétences

Le temps La toute première contrainte à laquelle se confronte les établissements qui souhaitent mettre en place une forme de partenariat médico-administratif est tout simplement celle de la disponibilité des médecins compte tenu de leurs responsabilités cliniques qui restent importantes. Les médecins cogestionnaires participant à notre étude ont été mandatés et rémunérés pour consacrer un nombre variable d’heures par semaine à la gestion allant de quatre heures pour les directeurs médicaux au CSSS Semi-rural, de dix à vingt-quatre heures pour les directeurs médicaux du CSSS Régional, et un nombre d’heures représentant de 20% à 70% de leur horaire de travail pour le CH Universitaire (où les personnes combinant les postes de chef de programme avec d’autres fonctions pouvaient se consacrer plus fortement à la gestion). Au CSSS de 1ière ligne, si aucune rémunération spécifique n’a été prévue pour les rôles de cogestionnaires médicaux, des ententes établissent néanmoins des codes de rémunération pour la participation aux réunions et aux activités administratives. Quelque soit le nombre d’heures, le partage du temps des médecins avec les activités cliniques peut s’avérer problématique.

« On me demande du temps partiel, mais si je compte le nombre d’heures je suis à temps complet. C’est-à-dire que ce temps, où est-ce qu’il est? Bien, il est à la maison, donc c’est aux dépens de la maison. J’ai vu que depuis trois mois je pense que je n’ai pas fait une sortie avec mes enfants. »

« La difficulté comme médecin dans ce travail-là, c'est le temps qu'on a à mettre. La rémunération pour le moment, c'est quatre heures par semaine. Un taux horaire aussi qui est beaucoup moins que qu'est-ce qu'on fait dans une clinique normale. (…) Vous me demandez c'est quoi la description de tâches, je commence par dire qu’elle est difficile à assumer, parce qu’on n’a pas beaucoup de temps à mettre, alors que le gestionnaire administratif, il fait cinquante, soixante heures dans une semaine dans ce programme-là. »

Comme ces citations le montrent (voir aussi le Tableau 6), le manque de temps disponible fait que la relation entre le cogestionnaire médical et le cogestionnaire clinico-administratif n’est certainement pas sur une base d’égalité en termes d’investissement : les médecins doivent sélectionner des champs et des sujets d’intervention pour être efficace.

La limite de disponibilité influe également sur la capacité des médecins-gestionnaires à participer à des réunions, même celles des comités de type stratégique pour l’organisation. Toutes les organisations à l’étude cherchaient des moyens d’organiser leurs organes de gouvernance pour optimiser l’utilisation et la productivité du temps médical.

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Les compétences Bien évidemment, la majorité des médecins n’a pas été formée en gestion, et pour plusieurs, cela devient un frein à la participation efficace à la prise de décision :

« Je suis assez sceptique sur nos compétences dans ce domaine. (…) Je suis d’une famille de médecins, et je peux vous dire que ce ne sont pas les meilleurs gestionnaires. (…) La formation ne nous prédestine pas du tout à ce type de travail, du tout, du tout. »

« Ce n’est pas parce que tu es médecin que tu sais comment ça marche. Puis la même chose pour le cogestionnaire, il faut qu’y ait une formation. »

Nous avons constaté en fait, un peu à notre surprise, que dans certains cas, lors des observations de comités de direction, plusieurs médecins étaient plutôt silencieux et hésitaient à donner leur avis sur des sujets à l’ordre du jour. En d’autres termes, la présence physique n’était pas suffisante pour assurer une véritable participation. Parfois, le silence pourrait être dû à un manque d’intérêt pour certains sujets, mais il semble également être tributaire d’un sentiment d’inconfort avec le langage, parfois hermétique, de la gestion dans le réseau de la santé, bourré d’acronymes, de règles et de canaux d’influence qui peuvent sembler mystérieux (agences, ministères, etc.). Les compétences manquantes sont souvent très locales et très terre-à-terre. Un médecin nous mentionne par exemple :

« La compétence de gestion que présentement…, celle qui me manque présentement, que je vois que je pourrais interagir davantage avec les gens dans mon entourage…, et qui est un aspect important, c’est les salaires. (…) pour bien comprendre quand je parle avec les employés, des chefs de service, qu’est-ce que ça implique. »

En fait, peut-être plus que la connaissance théorique en gestion, les médecins-gestionnaires semblent réclamer une meilleure compréhension de la nature et des frontières de leur rôle et une connaissance contextualisée des règles du jeu administratives qui leur permettraient d’intervenir plus habilement. Étant donné la nouveauté de cette forme de structure, plusieurs sentent également le besoin de partager les expériences de directeur médical avec d’autres, soit à l’intérieur de l’organisation ou ailleurs:

« On a besoin d’une communauté de pratiques pour être capable d’échanger, voir qu’est-ce qui fonctionne, c’est quoi les obstacles, comment est-ce qu’on peut développer un sens d’appartenance à tout ça. Puis en bout de ligne, d’être capable de partager la même vision de, où on veut aller puis comment on veut aller. »

5.2.2. Les obstacles d’ordre structurel : l’ambiguïté et l’étendue des rôles L’ambiguïté des rôles

« Le premier défi c’est que chacun comprenne son rôle et ses responsabilités. »

Les organisations participant à l’étude ont souvent développé des plans d’organisation, et ont préparé des documents décrivant les rôles et les responsabilités des cogestionnaires médicaux et clinico-administratifs. Ces écrits ont néanmoins tendance à englober plusieurs ambiguïtés qui

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laissent place à la confusion et à l’incompréhension. Cela est particulièrement vrai pour les cogestionnaires médicaux puisque certains rôles sont bien sûr partagés avec le responsable clinico-administratif, d’autres avec les chefs de département et de services cliniques, et même certains avec le directeur des services professionnels. Au CH Universitaire, une autre source de confusion apparaît lorsque les activités cliniques d’un médecin ou d’un chef de service médical se retrouvent réparties entre plusieurs programmes-clientèles différents. Il n’est pas surprenant alors de retrouver des cogestionnaires qui se questionnent sur la portée effective de leurs rôles et responsabilités, surtout lorsqu’ils se rendent compte que leur propre compréhension n’est peut-être pas partagée :

« Je trouve qu’il y a un petit peu de confusions de rôles. Je pense que c’est ça qui rend difficile l’application parfois de ce genre de cogestion, et même des programmes. »

« Au niveau des chefs de départements, il va falloir qu’on en discute, mais les chefs de départements vont devoir aussi avoir de l’information sur c’est quoi le rôle du directeur médical. »

En même temps, on constate que tout ne peut pas être défini et écrit d’avance. Par exemple, le partage de rôles entre cogestionnaires d’un même programme pourrait prendre une variété de formes acceptables sans que ce soit nécessairement problématique.

« C’est comme un mariage là. Quand tu te maries, tu ne définis pas les rôles. Puis un moment donné, tu te rends compte, c’est toi qui sors les vidanges puis c’est l’autre qui prépare le repas, tu laves la vaisselle. C’est un peu ça [la cogestion]. »

« Je sais qu’on avait fait une liste de tous les rôles et responsabilités d’un directeur médical. Mais principalement mon rôle, je pense que je me suis attribué en tout cas-là, c’est d’offrir une tribune aux médecins, d’aller, les mobiliser dans le fond à l’atteinte des objectifs de notre programme. En gros là, c’est pas mal le mandat que je me suis donné. Je pense que le rôle [écrit] est peut-être plus large que ça, mai je me suis donné ce rôle-là. »

La dernière citation laisse entendre non seulement une certaine confusion des rôles, mais aussi une étendue de rôles qui peut parfois dépasser les capacités des médecins cogestionnaires. Cela nous amène au deuxième élément d’ordre structurel.

L’étendue des rôles Les médecins cogestionnaires sont nommés explicitement pour contribuer à la gestion et l’orientation d’un programme-clientèle, et leur force de frappe dépend clairement de leur expertise clinique dans ce secteur. Pourtant, le caractère spécialisé de la médecine ne permet pas aux médecins-gestionnaires d’avoir des expertises de pointe dans tous les domaines spécifiques sur lesquels ils risquent d’avoir des responsabilités à titre de cogestionnaires de programme. Cela pose certains défis, relevés dans les différentes organisations notamment dans le cas de programmes-clientèles de taille importants (voir le Tableau 6)

« Pour ce directeur médical, les rôles sont encore mélangés. Il a beaucoup de services en-dessous de lui, beaucoup de départements et de services. Donc, je pense que c’est le secteur le plus vulnérable parce les gens vont avoir tendance, s’ils ne sont pas d’accord avec le directeur médical, de rebondir dans le bureau du DSP. »

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Tableau 6 : Les obstacles rencontrés lors de la mise en œuvre du partenariat médico-administratif dans les quatre établissements

Facteurs d’ordre fonctionnel

Facteurs d’ordre structurel Facteurs d’ordre culturel

CH Universitaire

Le temps - Les premiers six mois, cela a été très difficile de trouver du temps pour m’approprier les dossiers puis d’avoir du temps avec mon cogestionnaire. Les compétences -[Il faudrait] rendre plus accessible certains concepts de gestion

L’ambiguïté des rôles - Le fait d’avoir maintenu des structures départementales, et avoir créé des structures de programme, ça rend les gens confus. L’étendue des rôles -Quand on a un groupe de médecins dont les activités sont dans plusieurs programmes, là ils sont obligés de cogner à une porte, à l’autre, à l’autre.

Les habitudes - Les médecins peuvent s’accommoder d’un mandat de gestion tant que ça ne dépasse pas le cadre de leur réalité clinique: c’est à ça qu’on se bute actuellement. La méfiance envers la gestion -Certains secteurs collaborent moins. C’est lié à l’expérience passée qui fait que le niveau de confiance en l’organisation est moins présent.

CSSS Régional

Le temps -On me demande du temps partiel, mais si je compte le nombre d’heures je suis à temps complet. Les compétences -Il faudrait qu’on me glisse une puce dans mon cerveau pour dire voici comment ça marche la gestion, voici les principes de gérer une réunion, gérer un suivi, un plan de travail.

L’ambiguïté des rôles -Il reste un flou, selon moi, en termes de l’imputabilité puis de la responsabilité ultime. L’étendue des rôles - Pour ce directeur médical, les rôles sont encore mélangés. Il a beaucoup de services en dessous de lui, beaucoup de départements et de services.

Les habitudes -Même certains directeurs administratifs ne laissent pas grand place [aux directeurs médicaux] (…) La méfiance envers la gestion - Il y a encore beaucoup de méfiance de la part des chefs de département. (…) Pour certains, il y a eu des mots assez durs à l’endroit des directeurs médicaux.

CSSS Semi-Rural

Le temps - Oui, l’intérêt y est, c’est sûr que ça m’intéresse, mais je n’ai pas le temps. Les compétences - La formation ne nous prédestine pas du tout à ce type de travail, du tout, du tout.

L’ambiguïté des rôles - La ligne n’est pas claire entre quelle est la responsabilité [du directeur médical] et qu’elle est la responsabilité du DSP, la responsabilité du CMDP. L’étendue des rôles Ce qui est difficile, c’est de représenter un assez large groupe de médecins, seul à une table.

Les habitudes - On n’a pas suffisamment ce réflexe-là [de consulter la partie médicale]. La méfiance envers la gestion - Le défi majeur, là, c'est vraiment ça, le lien de confiance à établir.

CSSS 1ère ligne

Le temps - C’est souvent un problème d’impliquer les médecins dans une démarche qui va leur demander du temps Les compétences - Nos médecins, ils partent de loin. La formation en gestion, la gestion des ressources humaines, les conventions collectives. Je pense qu’ils auraient besoin, de comprendre notre vécu par rapport à ces contraintes-là.

L’ambiguïté des rôles - Mon rôle, je ne le comprenais pas, de cogestionnaire. Ce n’était vraiment pas clair pour moi. L’étendue des rôles - Ma crainte [par rapport à l’implication des médecins] c’est qu’on est éclaté, que les gens sont assez dispersés

Les habitudes - Le principal défi c’est de réussir à ce que les médecins comprennent bien les questions de leadership dans le sens d’établir comment on contribue à l’organisation La méfiance envers la gestion - [Il y a une attitude de] méfiance. Il y a une manque de confiance des médecins – une perception de ne pas être reconnue.

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Entre autres, il n’est pas nécessairement aisé pour un omnipraticien de jouer le rôle de directeur médical dans un secteur qui inclut de nombreux spécialistes (ex. santé physique ou famille-enfance-jeunesse). La marche de légitimité pourrait être plus haute et la tentation des spécialistes de référer directement à un niveau supérieur (ex. directeur des services professionnels comme indiqué dans la citation ci-dessus) sera d’autant plus forte. De façon similaire, dans un programme cardio-pulmonaire, il ne sera pas nécessairement évident pour un gestionnaire de programme de gérer le mélange de cardiologues, de chirurgiens cardiaques et thoraciques et de pneumologues qui parfois relèvent de départements différents. En somme, la légitimité associée au fait d’être médecin est relative lorsque les cogestionnaires médicaux sont amenés à devoir gérer les activités de spécialistes dans les champs cliniques qu’ils maîtrisent moins bien, et l’étendue des rôles et responsabilités peut poser certains problèmes.

5.2.3. Obstacles d’ordre culturel : les habitudes et la méfiance envers la gestion

Les habitudes Lorsqu’une organisation met en place une forme de gouvernance médico-administrative qui implique la création de nouveaux rôles, cela exige des changements de comportements non seulement chez ceux qui occupent ces rôles mais aussi chez tous ceux avec qui ils interagissent. D’une part, les nouveaux cogestionnaires médicaux pourraient ne pas nécessairement saisir la nécessité de se sortir simplement d’un rôle de « demandeur » : une crainte qui peut susciter la résistance chez d’autres :

« Le défi, c’est que l’environnement n’est pas hostile, il est peut-être un peu sceptique. (..) Avoir accès au pouvoir pour avoir les bébelles que je veux, ce n’est pas ça la cogestion! »

En même temps, les collaborateurs des cogestionnaires médicaux peuvent consciemment ou inconsciemment miner le potentiel de la cogestion médico-administrative en reproduisant leurs pratiques antérieures d’interaction avec les autres, ne laissant pas de place au développement d’un rôle important pour le cogestionnaire médical. L’inertie culturelle minant l’appropriation des nouveaux rôles peut se manifester partout, mais s’avère spécialement problématique à deux endroits : (a) chez les cogestionnaires médico-administratifs qui ne réussissent pas à ouvrir leur jeu suffisamment aux médecins cogestionnaires; et (b) chez le directeur des services professionnels, le cadre supérieur auquel les médecins des établissements ont l’habitude de se référer. Nous constatons, en fait, à partir des données, que l’arrivée d’un médecin-cogestionnaire qui vise à exercer une influence importante pourrait être plutôt difficile pour un cadre qui jusqu’à ce moment-là a occupé plus de terrain en termes de dossiers et de décisions. À la fois les médecins et les cogestionnaires clinico-administratifs reconnaissent que le développement des relations de cogestion exige un apprentissage et un apprivoisement mutuel.

« J’ai eu un changement de [cogestionnaire médical] l’année passée. Ça a été un grand changement parce que c’est quelqu’un qui est très déterminé à faire avancer ses choses puis ça m’a demandé de m’ajuster beaucoup. (…) Je ne suis pas sûre que pour les médecins, c’est très

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clairement défini qu’est-ce qu’on attend d’eux dans la cogestion. Qui fait quoi? Ça fait qu’on est en période d’ajustement. »

Pour ce qui est du positionnement vis-à-vis le directeur des services professionnels, le problème d’ajustement culturel a été porté à notre attention dans la majorité des organisations. Ayant toujours vu ce cadre supérieur comme le point de repère ultime pour des questions médicales, les médecins et en particulier les chefs de départements ont souvent le réflexe naturel de s’y référer pour tout problème particulier.

« C’est un petit peu une difficulté aussi, dans le sens où les programmes clientèles ne sont pas encore ancrés dans la mentalité, dans la culture plutôt des médecins, puis, on va avoir tendance à monter directement au sein de la direction des services professionnels ou de la direction des soins infirmiers. »

Parfois, les directeurs des services professionnels peuvent accepter instinctivement de répondre à ce genre d’appel sans référer leurs interlocuteurs aux cogestionnaires médicaux de programme, créant ainsi une duplication des efforts et minant par le fait même l’importance des nouveaux rôles. Sans intention malveillante, il peut être très difficile d’ajuster des comportements qui sont enracinés depuis longtemps dans la culture organisationnelle. La méfiance envers la gestion Nous avons évoqué l’importance de la confiance entre le corps médical et la direction en général comme élément facilitateur potentiel ci-dessus. Ici, nous attirons l’attention sur un autre aspect de cette problématique qui touche plus particulièrement les cogestionnaires médicaux : le défi de maintenir la confiance et la légitimité simultanément avec leurs collègues gestionnaires et avec leurs collègues médecins. Plusieurs médecins-gestionnaires ont soulevé le courage que cela demande lorsqu’il s’agit de se ranger publiquement du côté des gestionnaires, ce qui n’est pas nécessairement une façon de préserver la confiance de ses collègues:

« Je pense qu’il faut accepter le fait qu’on est exposé [comme médecin gestionnaire] à un risque d’isolement social plus important. Parce que, je pense que c’est illusoire de vouloir passer son temps à expliquer que oui, on veut défendre les intérêts des docteurs, et que oui, on est associé aux décisions mais que non, on ne le fait pas exprès s’ils ne sont pas satisfaits. (…) Ça fait du bien de pouvoir dire que c’est la faute de la direction. (…) Donc, s’il y avait quelque chose à acquérir pour un directeur médical c’est sans doute une certaine forme de… je ne sais pas quel terme employer… de résilience, peut-être. » « Quand je suis au CMDP, je suis médecin mais j’ai aussi mon rôle de directeur. Puis il faudrait que je prenne plus cette place-là. Ça, c’est le côté où moi je trouve, j’ai une responsabilité. Je trouve ça difficile de la faire parce qu’il y a certains conflits ou il y a certains sujets qui sont très chauds puis c’est difficile d’aller se faire pointer du doigt dans la réunion quand tout le monde est en colère [contre l’administration]. »

Comme ces citations le suggère, le risque est réel pour un médecin que l‘entrée dans un rôle de gestion nuise à sa crédibilité, et éventuellement à la possibilité d’avoir de l’influence auprès des collègues. La méfiance ou l’absence de confiance entre les médecins et la direction de

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l’organisation peut freiner l’enthousiasme de plusieurs médecins qui autrement auraient voulu tenter l’expérience de gestion, et peut effectivement nuire à leur efficacité une fois en poste.

5.3. Les stratégies de mise en place et d’accompagnement

Quelque soit le point de départ et compte tenu des obstacles mentionnés ci-dessus, il est clair que la mise en place des pistes de partenariat requiert des efforts concertés pour les faire accepter et pour les faire vivre au sein des organisations. Dans l’analyse des établissements pilotes, nous avons identifié trois formes d’intervention associées à la mise en œuvre des pistes qui nous sont apparu critiques pour la réussite de ces initiatives à partir des expériences vécues par les quatre établissements: (1) la légitimation des modèles de partenariat; (2) l’encadrement; (3) le coaching et la formation. Le Tableau 7 illustre les initiatives mises en place sous chacun de ces rubriques dans les quatre sites.

La légitimation des modèles de partenariat réfère à des efforts pour définir, promouvoir et faire accepter les nouvelles formes de gouvernance au sein des établissements. L’encadrement renvoie au principe d’une approche structurée visant à définir à la fois des orientations et un cadre méthodologique ou opérationnel à l’implantation d’un système de gouvernance médico-administrative. La formation de comités d’implantation, le développement et l’utilisation d’outils, et l’accompagnement statutaire d’individus en situation de cogestion constituent de tels exemples d’encadrement. Essentiellement, il s’agit de s’assurer que la responsabilité de la mise en œuvre des pistes de partenariat est prise en charge de façon soutenue par des individus ou groupes dans l’organisation. Quant au coaching et à la formation, ils représentent des formes spécifiques de soutien au développement des compétences; ces mesures découlant généralement de l’établissement de stratégies d’encadrement. Pour le CH Universitaire, la légitimité des modèles de partenariat médico-administratif est établie depuis longtemps et n’a pas exigé d’efforts particuliers pendant la période étudiée. Toutefois, la lecture du Tableau 7 montre que le CH universitaire se distingue encore une fois des autres établissements, tant par le type d’encadrement, déjà intégré au fonctionnement des programmes (accompagnement statutaire des tandems), que par la mise en place d’une stratégie de formation en leadership transformationnel impliquant entre autres, en amont, le développement d’une «cartographie des compétences». Ces avancées participent de la consolidation du modèle de partenariat médico-administrative dans cet établissement et lui permet de surmonter certains des obstacles mentionnés ci-dessus. On en attribue généralement le mérite aux principaux accompagnateurs de cette démarche : les codirecteurs de la direction interdisciplinaire des services cliniques (DISC) qui ont non seulement soutenu de façon claire la démarche mais qui ont également servi de « modèles » de la cogestion réussie:

«La plus grande consolidation, c’est dans l’animation des processus qui concernent le niveau des [co]directeurs. Ça, c’est clair que ce qu’ils ont mis en place … bien les bottines suivent les babines!»

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Tableau 7 : Stratégies de légitimation et d’accompagnement

Légitimation des modèles de partenariat

Encadrement de la gouvernance

Coaching ou formation

CH Universitaire

- Le modèle de partenariat est pris pour acquis dans l’organisation - Insertion de la cogestion comme priorité dans le nouveau plan stratégique

-Codirecteurs de la DISC encadrent les tandems lors de statutaires et des rencontres du CEIP -Développement d’un programme d’accueil à l’intention des nouveaux chefs médicaux -Utilisation progressive par les tandems de la « carte de performance »

-Développement d’une «cartographie des compétences» en cours -Coaching par une ressource extérieure du tandem directeur et de l’un des 10 tandems de programmes -Plan de formation selon modèle LEADS en préparation pour les programmes-clientèles

CSSS Régional

-Formalisation du nouveau mode de gouvernance dans la documentation -Acceptation par le CMDP -Rencontre des médecins avec un consultant au T2 (plus ou moins réussi)

-Encadrement du point de vue de la mise en place essentiellement gestion du changement par la direction de l’établissement

-Aucun coaching entrepris au temps 2, mais envisagé

CSSS Semi-Rural

-Documentation produite et diffusée par le comité de pilotage - Réunion de lancement de la cogestion en juin 2011 avec la Fondation -Renouvellement dans une rencontre en juin 2013

-Comité de pilotage (devenu le comité d’implantation de la cogestion) décide des interventions à faire pour promouvoir la cogestion, -Programme de sensibilisation des nouveaux médecins.

-Coaching et formation fournis aux nouveaux tandems; -Démarche de co-développement en cours, réunissant les codirecteurs de programmes avec un coach: également une occasion d’échange pour les directeurs médicaux

CSSS 1ère ligne

-Formalisation des positions de cogestion, mais peu de suites.

-Groupe de rencontre destiné à l’ensemble des médecins gestionnaires (chefs de département, directeur médicaux ou chef de service, exécutif du CMDP) pour faire le point sur la gouvernance médico-administrative deux rencontres au Temps 1, sans suite.

-Aucune forme de coaching -Il existe une offre de soutien en collaboration interprofessionnelle qui pourrait concerner les cogestionnaires

Malgré une historique d’implantation beaucoup plus récente, le CSSS Semi-rural semble lui aussi se positionner avantageusement du point de vue de l’évolution des mesures de légitimation et d’accompagnement et de leur appréciation par les personnes concernées. L’appui d’une fondation privée a contribué significativement à ce résultat. Par exemple, au niveau de la légitimation, l’établissement a pu mobiliser un grand nombre de médecins incluant les chefs de département et le président du CMDP à un événement de lancement de la

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cogestion tenu en juin 2011 et financé par la Fondation. Lors de cet événement, des consultants et formateurs ont présenté le modèle, et des tandems qui avaient une expérience initiale ont pu témoigner de ses bénéfices. Deux ans plus tard, une autre réunion a été tenue avec les membres de la Fondation, les cogestionnaires et les consultants pour renouveler l’engagement envers le modèle. L’encadrement en ce cas est principalement assuré par un comité d’implantation de la cogestion que plusieurs considèrent nécessaire en vue d’assurer la pérennité du modèle de gestion. De plus un travail d’accompagnement est également réalisé par certains des tandems directeurs de programmes auprès de leurs cadres pour qu’ils se rapprochent de leurs cogestionnaires médicaux. Quant au volet formation-coaching, la présence d’un coach animant une démarche de codéveloppement avec les codirecteurs de programmes semble avoir eu un impact positif auprès de ces derniers :

« Je pense que toutes les directions-là vont se rapprocher [grâce à ça]. On va connaître un peu plus les problématiques de chaque direction, puis le fait de se supporter mutuellement entre codirecteurs et aussi entre directions, je pense que ça va être très, très profitable. »

Malgré ces avancés, en 2013, la direction de l’établissement ressent toujours le besoin de renforcer la légitimité du modèle auprès du CMDP. Pour ce faire, un membre de l’Exécutif du CMDP participe dorénavant au comité d’implantation de la cogestion.

Le CSSS Régional quant à lui a investi des efforts importants pour concevoir son modèle et le légitimer auprès de directeurs cliniques et les médecins («le principal défi c’était entre autres de s’assurer que les directeurs cliniques y voient un avantage»). L’encadrement à ce jour a surtout été mené par l’équipe de direction, et notamment par le directeur général, le directeur général adjoint et la directrice des services professionnels et des affaires médicales. Malgré l’acceptation formelle initiale du CMDP, il semble que l’appui des médecins reste toujours à renforcer depuis la nomination des directeurs médicaux, étant donné de nombreux changements au niveau de l’Exécutif du CMDP:

« Au niveau du CMDP, (…) autant qu’ils étaient favorable aux directeurs médicaux, je dirais que là, ils reculent un peu en disant « ça coûte cher, je ne vois pas qu’est-ce qu’ils vont faire. »

Autre indice d’un besoin continu de légitimation: les chefs de départements cliniques n’ont pas encore accepté que les directeurs médicaux puissent assister aux réunions de la table des chefs. Au moment de terminer la collecte de données, aucun effort n’a pu être consacré à la mise en place de mécanismes de formation ou de coaching. Toutefois, cela commençait à être envisagé :

« Là, on va regarder comment ça se passe pour eux [les cogestionnaires], qu’est-ce qu’ils ont besoin, puis on va essayer de bâtir un accompagnement un peu plus à la carte en fonction de ce qu’ils ont vécu [jusqu’à présent.] »

Au CSSS de 1ière ligne, la formalisation de la cogestion a été bien reçue initialement par le corps médical. Cependant, l’encadrement s’est limité au rôle joué par le DSP adjoint dans la mise en œuvre logistique puis dans l’animation de la Table des chefs de département, ainsi que d’un groupe de réflexion sur la gouvernance médico-administrative destiné à l’ensemble des médecins gestionnaires (chefs de département, directeur médicaux ou chef de service, exécutif

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du CMDP). Ce groupe ne s’est cependant rencontré qu’à deux reprises au début du processus. Une troisième rencontre était projetée qui cette fois devait réunir ces mêmes médecins et l’ensemble des cadres gestionnaires impliqués dans la cogestion. Cette dernière n’a toutefois jamais eu lieu pour des raisons qui tiennent à un problème de communication dans l’organisation de ces rencontres. Par ailleurs, rien n’a été entrepris en termes de formation ou de coaching, sinon la possibilité de mettre à contribution éventuellement les ressources de l’établissement en matière de formation à la collaboration interprofessionnelle. L’absence de suivi dans les mécanismes d’encadrement et d’accompagnement s’est avérée problématique dans cette organisation. De l’avis même d’un responsable au niveau stratégique :

« On a de la difficulté à formaliser les actions nécessaires pour donner un message que c’est vraiment important cette chose-là. On reconnaît l’importance de l’impact, mais on ne sait pas comment. On est mal pris dans le comment, puis qui pilote tout ça. »

Un autre responsable va dans le même sens :

« Moi j’ai regardé ça aller, puis je n’ai pas vu qu’il y avait une évolution, je n’ai pas senti qu’il y avait un cadre qui était vraiment proposé. [On a juste voulu] donner l’occasion aux médecins de s’exprimer. En fait, c’est plus ça que j’ai senti. »

5.4. Le processus de mise en œuvre : Synthèse et implications

Dans la section précédente, nous avons montré que deux des établissements (le CH Universitaire et le CSSS Semi-rural) sont plus avancés que les deux autres dans la mise en œuvre des pistes proposées. Le CSSS Régional a connu des retards dans la mise en œuvre des pistes, mais semble maintenant en bonne voie suite au recrutement des directeurs médicaux et la mise en place d’un nouveau plan d’organisation. Finalement, le CSSS de 1ière ligne n’a pas pu formaliser sa démarche au-delà d’une affectation initiale des rôles de cogestion à des personnes déjà présentes dans l’organisation. Les analyses dans la présente section permettent de mieux comprendre ces écarts.

Nous voyons en fait que le CH Universitaire et le CSSS Semi-rural ont non seulement débuté le processus en meilleure position (climat de confiance et de collaboration plus propice; mise en œuvre des pistes déjà amorcée), mais ils ont investi de façon nettement plus concertée dans les démarches d’encadrement et de coaching ou de formation pendant la période étudiée. De plus, bien que cela soit moins nécessaire au CH Universitaire, des efforts importants ont été consacrés à la légitimation de la nouvelle gouvernance au CSSS Semi-rural et au CSSS Régional afin d’assurer son démarrage et/ou sa poursuite. Les efforts consacrés en ce sens au CSSS de 1ière ligne ont été plus discrets et dispersés.

Sur la base de ces constats, et pour d’autres organisations qui souhaiteraient mettre en place les pistes de partenariat médico-administrative, nous suggérons donc que la mise en place d’une structure d’encadrement pour orienter ces initiatives et pour assurer leur pérennité (telle que le comité d’implantation de la cogestion au CSSS Semi-rural ou l’effort concerté des codirecteurs de la Direction interdisciplinaire des services cliniques au CH Universitaire) facilite de façon très évidente leur développement et/ou leur consolidation.

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Les efforts de légitimation, d’encadrement et de formation ou de coaching peuvent notamment aider à surmonter des obstacles à la mise en place des formes de partenariat que nous avons évoqués ci-dessus, surtout si la direction des organisations en est consciente. L’expérience des quatre organisations offre des exemples concrets d’initiatives en ce sens.

5.4.1. Pour surmonter les obstacles fonctionnels : gérer le temps et promouvoir les compétences pertinentes De façon évidente, les organisations qui tentent de mettre en œuvre une forme de cogestion devront (a) ajuster leurs instances de gouvernance pour optimiser l’utilisation du temps des cogestionnaires médicaux; et (b) trouver des moyens pour développer et diffuser les compétences nécessaires pour jouer les rôles de cogestionnaires.

Par exemple, avec ses trois instances de gouvernance au niveau stratégique qui s’alternent, le CSSS Semi-rural tente de s’ajuster aux contraintes de temps des directeurs médicaux. Puisque l’ordre du jour du comité de direction clinique est aménagé pour inclure seulement des sujets de type clinique et stratégique, la participation des directeurs médicaux s’est rehaussée avec le temps à la fois en termes de présence physique et en termes de qualité des interventions. Le CH Univesitaire pour sa part a tenté d’améliorer la participation en fixant des règles sur les jours et heures de tenue de réunion pour permettre à tous de mieux planifier leurs horaires. Bien sûr, ces arrangements ne règlent pas tous les problèmes de manque de temps. La cogestion médico-administrative reste une formule où les cadres clinico-administratifs supportent le poids du travail quotidien. Il est donc d’autant plus important que les tandems de cogestionnaires trouvent des moyens efficaces de communiquer et qu’ils établissent des plages horaires régulières pour traiter des dossiers stratégiques.

Pour ce qui est du développement des compétences, l’approche adoptée par le CSSS Semi-rural semble très intéressante. Plutôt que d’envoyer des médecins suivre des cours théoriques de gestion qui n’auraient pas nécessairement une pertinence directe, les dispositifs mis en place sont clairement enracinés dans le milieu. Les tandems de cogestionnaires ont pu bénéficier d’un programme de mentorat qui permet des échanges sur les défis et difficultés vécues. Ils débutent également un programme de codéveloppement où l’ensemble des tandems se rencontre de façon régulière spécifiquement pour ce type d’échange en groupe.

5.4.2. Pour surmonter les obstacles structurels : Clarifier les rôles via la formalisation et la socialisation; ajuster la sélection des cogestionnaires médicaux à leur mandat De façon répétée, les répondants nous ont mentionné le besoin de clarification des rôles de cogestion et ce dans toutes les organisations. Bien sûr, les écrits peuvent être importants et les dispositifs d’encadrement de la cogestion (comme un comité d’implantation de la gouvernance) peuvent permettre d’investir dans ce type d’activité et de repenser le partage des responsabilités. Cependant, les données suggèrent également que l’apprentissage des rôles sera d’autant plus efficace s’il se fait de façon naturelle via une forme de socialisation.

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Par exemple, au CH Universitaire, comme nous avons mentionné, les tandems de cogestionnaires relèvent hiérarchiquement d’un autre tandem : celui de la DISC composé du directeur des services professionnels (DSP) avec la directrice des soins infirmiers (DSI). Les efforts investis conjointement par les membres de ce tandem de niveau hiérarchique supérieur pour modéliser les comportements de collaboration préconisés à d’autres niveaux ont été fortement porteurs pour l’ensemble des autres cogestionnaires de programme. À travers des réunions en comité regroupant l’ensemble des tandems, tous ont été amenés à observer (sinon à s’approprier) des façons de faire représentées par ce duo de toute évidence extrêmement complémentaire et efficace. Bien sûr, il n’est pas donné à tous de pouvoir illustrer un modèle comme celui-ci, mais dans ce cas, cela semble avoir donné de bons résultats. Deuxièmement, au CSSS Semi-rural, la mise en place du comité d’implantation de la cogestion ainsi que les grandes réunions de légitimation et des rencontres de codéveloppement ont permis de socialiser les participants aux changements culturels et structurels associés au nouveaux rôles en plus de développer des stratégies de communication pour faire valoir les nouvelles approches au sein de l’organisation en général. En ce qui concerne la problématique de l’étendue des postes de cogestion médicale, le choix des personnes pour occuper des postes de cogestion et l’ampleur du mandat qu’on leur donne pourraient devenir des enjeux importants. Par exemple, le choix d’un jeune pour occuper une position de cogestion pourrait assurer un plus grand dynamisme et un possible détachement des « vieilles chicanes ». Cependant, ces personnes auront peut-être plus de difficulté à exercer leur autorité et à soutenir leur crédibilité avec des collègues de secteurs différents, en comparaison d’une personne possédant plus d’expérience et de connaissances du milieu. Dans notre échantillon, nous avons rencontré des personnes à la fois en début et en fin de carrière qui occupaient des postes de cogestion médicale. Nous ne pouvons conclure de façon définitive quel stade de carrière serait préférable. La jeunesse peut certainement exercer un attrait auprès des administrateurs qui souhaitent mobiliser et coopter un collaborateur qui n’est pas teinté par le passé, mais une telle personne aura besoin de beaucoup d’appui et d’encouragement, surtout si le mandat est large. Ces considérations sont importantes et devrait faire partie des décisions. 5.3.3. Pour surmonter les obstacles culturels : Fournir des espaces de réflexion et offrir l’occasion aux cogestionnaires médicaux de faire leurs preuves Il devient évident qu’un changement de structure organisationnelle qui vise la mise en place d’une forme de cogestion médico-administrative exige non seulement un changement de comportements chez les personnes les plus directement concernées, mais également des changements de comportements à travers toute l’organisation. Cela ne peut pas se faire sans un effort concerté de tous les gestionnaires pour communiquer la nouvelle donne, et pour agir eux-mêmes en conséquence. Pour ce faire, idéalement les autres instances médicales à l’intérieur de l’organisation (Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens; chefs de départements) doivent être impliquées et les cadres supérieurs doivent assumer les changements de comportements qui s’imposent. Les activités comme les rencontres de lancement ou de mise à niveau organisées par le CSSS Semi-rural peuvent être des occasions de

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réflexion et d’échange sur ce type de question. Les programmes de co-développement peuvent aussi permettre aux cogestionnaires de faire valoir leurs préoccupations. Par rapport à l’enjeu culturel, comme nous l’avons vu, les directeurs des services professionnels (DSP) sont dans une position particulièrement cruciale. Ils doivent laisser l’espace aux nouveaux directeurs médicaux sans pour autant se soustraire aux obligations que leur confère la loi. Dans les organisations étudiées, l’appui d’autres médecins gestionnaires a été accueilli avec enthousiasme par les DSP. Cependant, cet appui demande une réflexivité constante pour éviter de retomber dans de vieilles habitudes qui pourraient miner les nouveaux alliés à d’autres niveaux. Paradoxalement, les cadres supérieurs comme les directeurs des services professionnels doivent parfois laisser aux autres le crédit des bons coups afin de consolider l’apport médical aux processus de prise de décision à plus long terme. Comme un médecin gestionnaire nous a dit, « Si on n’a pas de crédit, notre rôle n’a pas beaucoup d’intérêt. » En fait, pour surmonter la méfiance de collègues qui peuvent les voir comme étant « passé de l’autre bord », les cogestionnaires médicaux ont besoin d’un support élevé à la fois de la part de leurs cogestionnaires clinico-administratifs mais aussi de la direction. Si l’on souhaite que la formule de cogestion médico-administrative réussisse, elle doit donner des bénéfices visibles et reconnaissables par les cliniciens. Les cogestionnaires médicaux doivent donc être reconnus pour leurs contributions à ces réussites pour maintenir leur crédibilité auprès de leurs collègues et pour faire valoir le modèle de cogestion sur le long terme. Dans les organisations étudiées, le modèle de partenariat reste tout de même toujours en devenir. Même dans les organisations les plus avancées en la matière, il requiert un soutien constant pour surmonter les défis que nous avons mentionnés. Dans les prochaines sections, nous évaluerons l’évolution de la gouvernance administrative mise en œuvre dans les quatre établissements selon une série de traceurs identifiés lors de la phase initiale du projet de recherche : a) la participation médicale et la qualité des relations médico-administratives; b) les rôles et responsabilités en situation de cogestion; c) la vie médico-administrative au sein des programmes ou secteurs de service; et l’intégration verticale et horizontale des instances ou des secteurs de l’organisation; d) l’influence de la gouvernance médico-administrative sur une série de « dossiers traceurs » spécifiques.

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6. La participation et l’engagement médical et la qualité des relations médico-administratives

Dans cette section, nous évaluons l’évolution de la gouvernance médico-administrative dans les quatre établissements au cours des deux années de l’étude, en considérant deux indicateurs généraux importants pour apprécier la pertinence des pistes de partenariat: 1) la participation des médecins à la prise de décision et l’engagement des médecins envers l’organisation; et (2) la qualité des relations entre le corps médical et le corps administratif.

6.1. La participation et l’engagement médical

Les pistes de partenariat médico-administratif visent entre autres à promouvoir le leadership et l’engagement médical par une plus grande participation à la gestion (voir la Section 3). Compte tenu des contraintes de temps et de compétence que nous avons évoquées dans la Section 5, la participation médicale est un enjeu important, et ne va pas nécessairement de soi. Nous évaluons l’évolution de cette participation à deux niveaux au cours de l’étude: la participation effective et souhaitée aux comités dans les quatre établissements pilotes; et l’évolution de l’engagement des médecins telle que manifestée dans les réponses au sondage. 6.1.1. La participation effective ou souhaitée aux comités

Nos constats concernant la participation effective des médecins aux comités de gestion reposent d’une part sur nos propres observations de ces comités et d’autre part sur les commentaires recueillis en entretien. Pour le CH Universitaire, selon nos observations, la participation effective des médecins est soutenue à la fois au comité de direction chez les membres chefs de département et au comité exécutif inter-programmes (CEIP) pour les chefs médicaux de programmes-clientèles (peu d’absences et interventions régulières). Le réaménagement du CEIP (qui regroupe uniquement les tandems de cogestionnaires chef de programme avec les codirecteurs de la direction interdisciplinaire des services cliniques) a été bénéfique dans ce sens. Entre le temps 1 et le temps 2, la participation au CEIP tend à devenir plus décisionnelle: il y a une plus grande implication des médecins et la qualité de leurs interventions (ex. par rapport au système de gestion de la performance) semble plus soutenue. Il y a également une plus grande régularité de leur présence. L‘entrée en scène de nouveaux médecins gestionnaires a possiblement rehausser l’assiduité et la qualité de la participation. Pour le CSSS Régional, il est difficile d’évaluer la régularité de la participation au comité de direction car la mise en place de la nouvelle gouvernance est trop récente. Il est clair par contre que la nouvelle gouvernance s’insère au sein d’une culture historique de non-participation - «un genre de désengagement, désistement des médecins pour le travail médico-administratif» selon un cadre supérieur. Par ailleurs, l’arrivée en poste des nouveaux directeurs médicaux a peut-être suscité un plus grand intérêt chez les chefs de département qui voient l’importance de faire valoir leurs points de vue: « Je dirais par contre au niveau de la table des chefs, c’est la meilleure table des chefs qu’on n’a jamais eue… depuis qu’il y a des directeurs médicaux ».

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Au CSSS Semi-rural, il y a une participation régulière au comité de direction clinique chez certains médecins, mais moins chez d’autres: «Au début ça a bien fonctionné, mais je pense qu’y a du rattrapage à faire en lien avec la présence, l’assiduité des médecins.». Par contre, ceux qui participent «en redemandent». Dans nos observations, nous avons remarqué une plus grande assiduité pour un des programmes suivant l’arrivée d’un nouveau directeur médical qui lui accordait une plus grande priorité. L’aménagement de la gouvernance pour s’assurer de centrer les comités impliquant les médecins sur les sujets d’intérêt clinique a été reçu positivement. Au CSSS de 1ière ligne, comme nous l’avons indiqué, les modes de gouvernance mis en place n’ont pas laissé une grande ouverture à la participation des médecins dans les comités de gestion. Depuis le temps 1, la participation s’est donc limitée à la table des chefs de département, au comité des ordonnances collectives, au comité de l’enseignement médical et à l’exécutif du CMDP. Il n’y a eu aucune intervention systématique de l’établissement pour encourager la participation. Certains médecins ont indiqué une ouverture à une plus grande participation, mais insistent sur le besoin de la structurer pour que ce soit ciblé et efficace :

« Ça prend des mesures structurantes pour faire en sorte que ce soit quelque chose d’incontournable et qui ciblent toujours les points où c’est important d’impliquer le médecin clinicien et non pas juste de l’inviter systématiquement dans toutes les réunions administratives où les trois-quarts du temps il regarde au plafond parce que c’est des trucs qui ne le concernent pas. »

6.1.2. Les indicateurs généraux de l’engagement médical et de la volonté de participation

Les données quantitatives obtenues par questionnaire aux temps 1 et 2 mettent les résultats tirés des entretiens en perspective avec un échantillon plus large de répondants que simplement les cogestionnaires médicaux. Nous avons créé deux échelles pertinentes à partir de ces données, une qui mesure « l’identification à l’établissement » (7 items) qui reflète l’engagement médical et l’autre qui mesure « la volonté de participer » (5 items) – voir l’Annexe 1. En comparant les données du temps 2 avec celles du temps 1, nous n’avons remarqué aucune évolution statistiquement significative de ces indicateurs entre les deux moments pour le même établissement. Il faut noter que les deux moments de mesure n’avaient que 12 mois de différence, et que les changements de gouvernance prendraient peut-être plus de temps pour enregistrer des effets vraiment significatifs. Cependant, il existe des différences claires entre les établissements, différences qui étaient déjà reflétées dans le Tableau 5 (Section 5), mais également dans les Figures 2 et 3 qui comparent le niveau des indicateurs d’identification à l’établissement et la volonté de participation au temps 2 pour les différents établissements. Nous voyons que du côté des médecins (incluant les médecins gestionnaires), l’identification à l’établissement et la volonté de participation sont moins élevées chez le CSSS Régional et le CSSS de 1ière ligne comparés au CU Universitaire et au CSSS Semi-rural, avec des chiffres nettement plus faibles aux CSSS de 1ière ligne. Cela confirme les tendances que nous avons notées auparavant. Les résultats sont aussi conformes aux efforts mis de l’avant à ce jour concernant le partenariat médico-administatif dans les différents sites.

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Figure 2 : Identification à l’établissement au temps 23

Figure 3 : Volonté de participation au temps 2

3 A noter que le faible taux de réponse chez des médecins peut affecter la fiabilité des résultats pour ce groupe.

Cependant, il est probable que les médecins affichant une forte identification et volonté de participer auraient répondu de façon plus assidue au questionnaire. Donc, nous croyons que les résultats reflètent plutôt une limite supérieure par rapport aux indicateurs d’identification et de volonté de participer pour les médecins.

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6.2. La qualité des relations médico-administratives Nous avons noté à la Section 3 qu’un des objectifs du partenariat médico-administratif est de favoriser la cohésion et la complémentarité. Pour rendre compte des progrès à ce niveau, nous avons donc examiné l’évolution de la qualité des relations médico-administratives dans l’établissement entre le temps 1 et le temps 2 de la collecte de données. La qualité des relations peut être évaluée en termes généraux par des indices de confiance, de collaboration et de communication, mais aussi de façon plus particulière en fonction de postures particulières qu’auraient les représentants du corps médical envers l’administration.

6.2.1. Évaluation générale de la qualité des relations médico-administratives

Les caractéristiques visées par la qualité des relations entre médecins et administrateurs, touchent généralement aux thèmes de la collaboration, de la confiance et de la communication. Le Tableau 8 résume pour chaque établissement l’évolution de cet indicateur, telle que révélée dans les entretiens auprès des cadres supérieurs et des tandems de cogestionnaires. Selon ces données, la qualité des relations entre le corps médical et le corps administratif au niveau des programmes:

aurait évolué positivement dans deux établissements – le CH Universitaire (consolidation et amélioration) et le CSSS Semi-rural (amélioration);

serait restée à peu près au même niveau en ce qui concerne le CSSS de 1ère ligne;

serait en train de se construire du côté du CSSS Régional. Les données quantitatives obtenues par questionnaire aux temps 1 et 2 relatives aux relations médico-administratives mettent les résultats tirés des entretiens en perspective avec un échantillon plus large de répondants. Le questionnaire a été adressé à tous les médecins actifs de l’établissement ainsi que tous les cadres supérieurs et cadres intermédiaires cliniques. À partir des données du sondage, nous avons construit un indice global de la qualité des relations médico-administratives composé de 25 énoncés (voir l’Annexe 1). Cet indice s’avère significativement plus élevé au temps 2 par rapport au temps 1 au CH Universitaire et au CSSS Régional (niveau de signification statistique de 5%; test t), avec aucun changement significatif noté au CSSS Semi-rural et au CSSS de 1ière ligne. Il faut traiter ces résultats avec prudence étant donné la taille relativement faible des échantillons et le temps relativement court entre les deux moments de mesure (un an). Néanmoins, cela tend à confirmer une certaine amélioration au CH Universitaire et le début de la construction de meilleures relations au CSSS Régional.

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Tableau 8 : Évolution de la qualité des relations médico-administratives entre les temps 1 et 2 selon les données d’entretien

Témoignages sur l’évolution de la qualité des relations médico-administratives

CH Universitaire

• Relations jugées très bonnes, voire excellente; certaines améliorations notées. • Le climat de collaboration s’est accentué au sein de la DISC, grâce à la «manière d’amener

les choses» de la direction (expliquer, s’entendre sur les objectifs). • Par contre, dans certains secteurs, encore difficile au niveau du terrain: «l’administration y

est encore vue comme un ennemi.» • « Malgré tous les enjeux et malgré les dossiers difficiles, c’est un corps médical où les

représentants désirent travailler avec l’administration, donc on n’est vraiment pas dans une zone conflictuelle, on est vraiment dans une zone collaborative.»

• « Moi, je pense que ça avance dans le bon sens. Il y a pas d’opposition majeure ente le côté médical et le côté administratif.»

CSSS Régional

• Relations jugées difficiles avec un certain optimisme pour l’avenir • Le constat initial demeure: les relations sont à reconstruire, «il y a [toujours] beaucoup de

méfiance de la part des médecins envers les gestionnaires.» • Mais relations «meilleures que ce qu’elles étaient (…) Dans ma direction en tout cas, il y a

énormément de bonne volonté.»

CSSS Semi-Rural

• Relations jugées en amélioration par l’administration, notamment dans les secteurs de la chirurgie et de la psychiatrie où il y avait des tensions historiques : «Il y avait des secteurs préoccupants ; maintenant on a des débuts de dialogue.»

• Cependant, malgré ces progrès, il reste des sources de méfiance et d’incompréhension • « Je pense qu’on a évolué au niveau de la compréhension du besoin médical. (…) Au niveau

stratégique, oui, je pense que [les médecins] s’approprient un peu plus le volet administratif, mais au niveau terrain ce n’est pas tout à fait là encore.»

CSSS de 1ère ligne

• La situation est demeurée sensiblement la même avec des variations selon les secteurs • Au temps 1, pas de guerres entre médecins et administration en général, mais collaboration

timide et à géométrie variable: la gouvernance médico-administrative était vue comme pouvant avoir une fonction d'intégration des médecins - qui sont par tradition des travailleurs autonome - à une structure aussi grosse que celle du CSSS

• La relation entre médecins du secteur UMF et direction s’est améliorée du fait de la fonction exercée par le DSP-adj. et directeur de l’enseignement.

Pour offrir un portrait plus nuancé de la situation au temps 2, les Figures 4, 5 et 6 montrent les données quantitatives pour trois énoncés spécifiques. Ce portrait nous amène à faire deux constats additionnels :

Même s’il y a eu une évolution encourageante dans certains des établissements par rapport au temps 1, il reste toujours une place importante pour l’amélioration.

Dans tous les établissements sauf le CH Universitaire, il y a un écart de perception marquée entre les gestionnaires non médecin, les médecins occupant un poste de gestion (incluant DSP, chefs de programme, chefs de département et de services), et les médecins non gestionnaires.

Dans l’ensemble, nos données suggèrent que les initiatives pour améliorer les relations médico-administratives par le renouvellement de la gouvernance peuvent certainement être porteuses mais qu’elles ne donnent pas de résultats instantanés.

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Figure 4 : Données du questionnaire au temps 2 : Énoncé – « La communication entre les médecins et l’administration se fait avec ouvertement et sans restriction

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Figure 5 : Données du questionnaire au temps 2 : Énoncé – « Il y a un haut niveau de confiance et de coopération entre le corps médical et l’administration de l’établissement

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Figure 6 : Données du questionnaire au temps 2 :

Énoncé – « L’administration et les médecins sont fondamentalement en accord sur les objectifs globaux de l’établissement »

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6.2.2. Posture des médecins: de « demandeurs » à « imputables »

Au-delà de la qualité des relations en termes généraux, la cohésion et la complémentarité passent, entre autres, par une meilleure compréhension des enjeux organisationnels par les médecins. Dans toutes les organisations, des répondants à la fois du côté des gestionnaires et du côté des médecins ont évoqué la posture traditionnelle du médecin au sein de l’établissement comme étant une de revendication ou de « médecin demandeur ». Ceux qui se trouvent aux premières loges de la mise en œuvre des pistes de partenariat ont souvent exprimé le vœu que ce paradigme du « médecin demandeur » évoluerait vers un paradigme du « médecin imputable », notamment chez les médecins occupant des postes de gestion. Cependant, il est clair que cela ne se fait pas facilement étant donné la pression que subissent les médecins cogestionnaires de la part de leurs collègues et leur besoin de maintenir leur légitimité:

«Même si on a des médecins qui sont capable de dire « non, on n’est pas des médecins demandeurs devant l’administration de l’hôpital», [le problème] c’est d’accepter de partager l’imputabilité des décisions qu’on prend. Souvent, certains médecins en position de gestion acceptent de collaborer, mais quand ils voient qu’il y a une difficulté, ils se sentent pris en sandwich entre leur groupe et l’organisation.»

«On est là pour concilier les nécessités budgétaires de l’hôpital avec la meilleure qualité d’offre de soins possible, et ça ne passe pas nécessairement par l’accession aux demandes répétées des médecins. (…) Je pense qu’il y a une forme d’incompréhension là-dessus parce que, on s’attendrait à ce qu’un médecin représente uniquement les intérêts d’un médecin, probablement. Peut-être. Je ne sais pas. Donc si le docteur ne représente pas les intérêts des médecins qui sont en-dessous, bien on ne va pas s’adresser à lui parce que c’est un renégat.»

Le paradigme du médecin demandeur semble encore bien présent dans les établissements au moment de terminer la recherche, bien qu’à des degrés variables. Bien présent au CSSS Régional selon les répondants («Viens surtout pas déranger leur quotidien ou leur suggérer de faire autrement.»), il paraît pour certains plus visible chez les médecins spécialistes que les généralistes dans le cas du CSSS semi-rural :

«Ce n’est pas facile avec les médecins spécialistes. Il faut [toujours qu’on s’adapte] à leurs besoins : « je dois voir des patients alors mettez des ressources pis ça finit là » (…) Les généralistes, ils comprennent plus, je pense la réalité administrative, les limites qu’on a.»

Au CSSS de 1ère ligne, le manque de ressources dont se plaignent les médecins dans tous les secteurs, et notamment en UMF, engendre parfois des frustrations qui peuvent laisser transparaître une orientation revendicatrice que certains administrateurs associeront volontiers à la posture traditionnelle du médecin demandeur. Mais comme le sous-entend un médecin gestionnaire, il y a une réalité des besoins que les médecins n’ont pas d’autres choix que d’exprimer: «[Il ne faut pas croire] qu’on est juste des revendicateurs, mais le CSSS doit quand même fournir les ressources dont on a besoin.» Les médecins sur la ligne de front sont bien sûr souvent les premiers à voir les besoins, et ce dans tous les établissements.

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Quant au CH universitaire, il est sans doute celui où le cheminement vers plus d’imputabilité de la part des médecins a progressé plus significativement depuis le temps 1 avec un effort soutenu pour encadrer les décisions dans le comité exécutif inter-programme (CEIP).

«Au comité exécutif interprogramme, avec les chefs de programmes-clientèles, on voit depuis quelques mois, effectivement, le virage que toute l’organisation voulaient prendre, [à savoir] que les médecins gestionnaires soient partie prenante des décisions, mais aussi responsables des impacts de ces décisions-là. On partage, ce n’est pas du rubber stamping de quelque chose que la direction nous a proposé et après si ça tourne mal : « Ah, c’est pas de notre faute ». Je trouve que le mouvement évolue dans le sens du partage des décisions, vraiment, de la part de ces médecins gestionnaires-là.» (médecin gestionnaire, CH universitaire)

Cependant, ces progrès demeurent relatifs d’après un autre médecin gestionnaire qui évalue de son côté à «40% le travail accompli vers une imputabilité totale»; un objectif dont l’atteinte complète lui apparaît de toute façon improbable étant donné le statut de travailleur autonome des médecins. En somme, selon les personnes interviewées, les pistes de partenariat médico-administratif mises en œuvre auraient un potentiel de moduler les postures des médecins face à l’organisation, mais cela ne se fait pas facilement ni sans revers. Comme on pouvait s’y attendre, le CH Universitaire reste nettement plus avancé que les autres organisations en fonction de sa maturité au niveau du partenariat médico-administratif. Nous reviendrons sur ce thème dans la prochaine section, lorsque nous considérerons de façon plus spécifique les rôles des partenaires en situation de cogestion.

6.3. La participation et la qualité des relations médico-administratives : Synthèse et implications

La mise en œuvre des pistes de partenariat médico-administratif devrait générer une plus forte participation des médecins à la prise de décision, un engagement plus élevé, et une qualité des relations médico-administratives supérieure. Comme nous l’avons vu, les résultats observés sont variables d’un établissement à l’autre en fonction des investissements déjà réalisés, avec le CH Universitaire et le CSSS Semi-rural en avance des deux autres sites. De plus, l’évolution entre les temps 1 et 2 est généralement limitée, bien que la qualité des relations semble avoir progressée au CH Universitaire et au CSSS Régional, avec des données ambiguës pour le CSSS Semi-rural (amélioration pas confirmée dans les données quantitatives). Pour ce qui est de la volonté de participation, l’obstacle relié au temps disponible des médecins y est certainement pour quelque chose et toute intervention qui permettrait de mieux gérer ce temps, comme celles mentionnées à la Section 3, serait utile. Pour ce qui de l’identification des médecins à l’établissement et la qualité des relations en général, des dossiers controversés et des rebondissements négatifs ponctuels peuvent facilement ébranler la confiance et la collaboration lorsqu’elles sont fragiles. Les consolider est un travail de longue haleine où les pistes de partenariat peuvent être porteuses, mais n’offrent pas de solution instantanée.

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7. Rôles des membres du tandem en situation de cogestion

Dans cette section, nous examinerons de façon plus fine le phénomène de la cogestion qui demeure la piste de partenariat la plus universellement appliquée dans les établissements sous étude), en prêtant une attention particulière sur les rôles attendus ou observés chez les cogestionnaires, ainsi que sur la façon dont ils conçoivent et actualisent leur relations. Les façons de fonctionner en tandem peuvent avoir un impact très important sur la capacité d’intégrer les perspectives médicales et clinico-administratives au sein de l’établissement et sous-tendent les autres pistes.

7.1 Les rôles attendus ou observés

Les données d’entretien recueillies aux temps 1 et temps 2 sur les questions de définition de rôles attendus ou jugés nécessaires en cogestion témoignent d’une certaine stabilité et d’uniformité à travers le temps, avec certaines variations entre les établissements. Quant à l’actualisation et à l’agencement de ces mêmes rôles dans la pratique quotidienne discutés dans les sous-sections subséquentes, leur appréciation découle de ce que nous ont livré les acteurs concernés de leur vision des choses, mais aussi de leur perception du déroulement de l’expérience de cogestion. Des différences entre les établissements sont ici aussi ressorties, notamment au niveau des types de relations entre cogestionnaires. Les rôles observés ou attendus des cogestionnaires médecins et administrateurs agissant en tandem relèvent de trois catégories : la médiation entre la direction et les équipes sur le terrain, la conception et la planification, et la gestion des aspects fonctionnels de leur secteur.

7.1.1. Un rôle de médiation : faire le pont entre l’administration et les médecins

Au niveau des programmes clientèles ou de certains secteurs de service, il est généralement admis que les gestionnaires clinico-administratifs ou les coordonnateurs de programme se posent en intermédiaires entre la direction générale de l’établissement ou les directions cliniques dont ils dépendent, et le personnel ou l’équipe médicale sur le terrain.

«Je suis les yeux et la voix de mes directeurs d’en haut, donc j’ai un message et une planification stratégique à faire passer.» (Cadre gestionnaire)

«Le rôle [de mon cogestionnaire] c’est certain que lui il représente beaucoup l’administration. (…) Il est là comme pour faire le pont et dire « ben voici nos contraintes et voici ce qu’on peut faire, voici ce qu’on doit faire, voici une solution possible.». (Médecin gestionnaire)

«Je suis un peu comme la courroie de transmission entre, [d’une part], la direction médicale de l’UMF et, [d’autre part], la direction des services de santé généraux en plus des autres directions (tous les services conseil ou de support et aussi la direction des soins infirmiers).» (Cadre gestionnaire)

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Du côté des médecins, les perceptions quant à ce rôle semblent se concevoir à deux niveaux. En premier lieu, elles se limiteraient selon certains à une double fonction de courroie de transmission entre l’administration et les médecins, et de représentation des intérêts du corps médical auprès de la direction. Cette conception, que l’on retrouve dans tous les établissements est bien reflétée au CSSS de 1ère ligne :

«C’est sûr qu’un chef de service [médical], il assure le lien entre ses collègues et l’administration, pour essayer que ce soit plus fluide, pour que justement la collaboration des deux amène des choses intéressantes en bout de ligne pour la clientèle. (…) Comme chef de service, je me vois comme représentant de mes collègues du service ici. C’est moi qui assure le lien entre le groupe médical et l’administration locale ici [qui est représentée par mon cogestionnaire].»

«Je ne me considère pas un administrateur comme tel, mais comme un représentant des médecins face à la direction, pour transporter la vision et le message de mes membres, dans les situations qui me sont présentées ou qu’on va présenter nous autres mêmes parce qu’on souhaite des changements.»

Un autre chef médical associé au secteur UMF perçoit une tension entre sa propre vision de ce que devrait être son rôle à titre de responsable et celle de l’établissement:

«Je me verrais comme [responsable] pour ce qui se passe dans mon UMF. Mais actuellement, je considère que le CSSS ne me voit pas comme ça. Il me voit comme le contact, justement, pour les docteurs et que le reste, c’est [à ma cogestionnaire à s’en occuper].»

Cette perception n’est cependant pas partagée par tous les responsables médicaux de ce secteur qui semblent davantage se rattacher à une autre conception du rôle de médiation.

Selon cette conception, davantage appliquée au CH Universitaire et déjà en certains cas au CSSS Semi-rural, ce rôle toucherait principalement à la capacité de communication des médecins auprès de leurs pairs en vue de l’amélioration, non seulement des liens avec l’administration (faire le pont entre les deux cultures), mais aussi de l’efficacité de la gestion des affaires cliniques.

«Mon rôle, je pense que je me suis attribué en tout cas-là, c’est de faciliter la communication avec les médecins, donc d’offrir une tribune aux médecins, de nous rencontrer en gestion, de les mobiliser, d’aller, les mobiliser dans le fond à l’atteinte des objectifs de notre programme.»

Dans le cas du CSSS régional, cette représentation du rôle de facilitateur ou d’entremetteur joué par le médecin gestionnaire traduit davantage des attentes qu’elle n’illustre une réalité :

«Au lieu de [gérer l’organisation des services à la population] uniquement avec une connaissance et une expertise administrative et clinique, on veut également la faire avec une expertise médicale. Alors il y a un apport du point de vue médical dans cette organisation de comment offrir le service, quels sont les besoins, les attentes de la population. Ça, c’est le côté intrant. Le côté extrant du directeur médical que je commence à constater mais qui va prendre plus de temps, c’est de transmettre à l’équipe médicale, en passant par les chefs de département, quel est le

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fonctionnement administratif d’un CSSS, quels sont nos enjeux, nos difficultés, (…) ce qui va permettre au groupe médical de mieux comprendre nos choix. Choix qui vont être améliorés parce que dans l’intrant maintenant, on aura la perspective médicale.»

Cette seconde conception du rôle de médiation attendu des médecins et déjà fonctionnelle en certains cas à des degrés divers, constitue un préalable à l’exercice d’un second rôle déterminant pour le fonctionnement de la cogestion.

7.1.2. Un rôle tactique-stratégique : concevoir et planifier

Le rôle tactique-stratégique, qui renvoie à la capacité de concevoir et de planifier, exige normalement pour ce faire une connaissance du fonctionnement organisationnel, ainsi qu’une bonne compréhension des structures administratives du système de santé.

Ce rôle du tandem est généralement assumé par les cadres gestionnaires de programmes. L’un d’eux en fait la description suivante :

«Mon rôle c’est de voir à développer une vision stratégique de mes programmes dans l’établissement. Donc beaucoup en lien avec notre réseau local, nos partenaires externes, nos partenaires internes. De m’assurer qu’on chemine en fonction des orientations du ministère et celles de l’établissement. Et en même temps, de chercher à innover parce qu’on n’est jamais dans des conditions idéales de développement.»

Jusqu’à un certain point et dans au moins trois des établissements visés, ce rôle est également rempli par certains médecins gestionnaires, en complément de leur rôle de médiation. Il s’exerce le plus souvent strictement en lien avec les affaires médicales, mais peut être partagé dans le cas de certains dossiers: «les plans d’action, l’organisation des services, les partenariats externe pour des corridors de services spécifiques, ça on n’a pas le choix de le travailler ensemble.» (Cadre gestionnaire).

En règle générale, on peut dire des médecins gestionnaires qui exercent effectivement le rôle tactique-stratégique qu’ils le font à des degrés différents. La vision organisationnelle est probablement ce qui les départage le plus dans l’exercice de ce rôle. C’est en tout cas ce que laissent entendre les propos suivants d’un cadre impliqué dans la gestion des affaires cliniques au CHU universitaire :

«Certains [directeurs médicaux] sont capables de vraiment monter au niveau organisationnel, de sortir du cadre du programme-clientèle et de vraiment se positionner au niveau organisationnel. Mais il n’y en a pas beaucoup. Sur les 10 [directeurs médicaux de programmes], il y en a peut-être deux ou trois qui sont capables de vraiment monter à un niveau organisationnel. La majorité reste au niveau des programmes et on a besoin de pousser beaucoup pour amener une vision organisationnelle.»

Selon un cadre supérieur du CSSS Semi-rural, les quatre directeurs médicaux de programmes de l’établissement sont «tous des gens qui ont des belles lectures de l’organisation; par exemple, le

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Dr X il a une très bonne lecture des forces et faiblesses de l’organisation et des moyens qu’on doit mettre de l’avant.» Il ne fait pour lui aucun doute que le directeur médical de programme-clientèle «doit être un décideur au niveau clinique, mais aussi au niveau des orientations stratégiques de l’organisation.» L’un des médecins gestionnaires de cet établissement perçoit quant à lui son rôle de la manière suivante :

«Ma principale motivation, c’est davantage l’offre de service aux patients que les intérêts des médecins (…). Et je visualise ça davantage comme un travail [où] il s’agit de définir les orientations de soins d’un hôpital, en concertation avec l’administration, avec les orientations de l’Agence et du Ministère et puis avec la volonté des gens.»

Ce rôle est par ailleurs pleinement assumé au CSSS de 1ère ligne par les médecins gestionnaires du secteur UMF qui sont responsables de la pratique médicale mais aussi de l’application du programme d’enseignement en médecine familiale. Comme le souligne l’un d’eux, «mon rôle c’est d’expliquer et de définir où on s’en va, de transmettre c’est quoi qui va arriver dans la prochaine année.»

7.1.3. Un rôle opérationnel : assurer le bon fonctionnement

Le rôle opérationnel concerne essentiellement la gestion des budgets et des ressources humaines, celle du climat de travail ou de tout autre aspect fonctionnel. En général, ce rôle est assumé presque exclusivement par les cadres gestionnaires (directeurs administratifs, chefs clinico-administratifs, coordonnateurs), mais les médecins peuvent être appelés à gérer leurs propres équipes (climat de travail) et n’être que consultés sur les autres questions : «Je vais prendre par exemple le budget, je le répartis mais il vient l’entériner aussi quelque part, Il a un certain rôle de «rubber stamping». (Cadre gestionnaire).

Si cette règle vaut pour l’ensemble des établissements, des variations sont néanmoins observées. Au CH Universitaire, malgré la persistance des anciens patterns, la tendance en aura clairement été une au cours de la période de transformation du statut de responsabilité quasi-exclusive de ce rôle vers une plus grande appropriation par le cogestionnaire médical :

«L’organisation a une vision [selon laquelle] le cogestionnaire médical doit se rapprocher plus de la poutine quotidienne : exemple, le budget , une meilleure compréhension du budget. Quand on va avoir des statutaires, il va falloir qu’on échange au point de vue des écarts budgétaires. Il va falloir que le chef médical soit non seulement au courant des décisions prises, mais aussi qu’il soit capable de l’expliquer.» (Cadre gestionnaire)

Le CSSS de 1ère ligne fait voir à ce chapitre des différences notables entre le secteur UMF et les autres secteurs, dans la mesure où les directeurs médicaux en UMF, de par la position qu’ils occupent, ont toujours cherché à être mieux informés et à avoir un meilleur contrôle sur les aspects fonctionnels de leurs centres. La démarche amorcée au temps 2 de redéfinition de la gouvernance et de clarification des rôles dans ce secteur devait notamment veiller à préciser les conditions du partage des responsabilités à ce niveau.

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7.2. Les conditions de l’actualisation conjointe des rôles

Au-delà des représentations relatives aux rôles observés ou attendus chez les cogestionnaires, cette section vise à déterminer les conditions de leur actualisation ou de leur mise en œuvre en situation de cogestion, et aussi à circonscrire les manières dont ils s’agencent les uns par rapport aux autres en pareil contexte.

Les conditions entourant le partage des rôles sont de deux types : le premier procède d’un constat objectif, celui de l’asymétrie des positions et de son incidence possible sur l’actualisation des rôles; le second, de nature plus subjective, rend compte des attitudes attendues des médecins ou cadres en regard de ces mêmes rôles, ainsi que de prédispositions personnelles ou de compétences particulières susceptibles d’en faciliter l’exercice.

7.2.1. L’asymétrie des positions : une contrainte objective à l’actualisation

L’asymétrie exprime un déséquilibre entre les positions occupées par les cogestionnaires des programmes-clientèles ou au sein des secteurs de services. Sa réalité tient essentiellement à deux facteurs : 1) une différence de statut (c’est-à-dire employé de l’organisation vs. travailleur autonome) entre cadres et médecins gestionnaires; et 2) une disponibilité inégale en termes de temps consacré au travail de cogestion.

La différence de statut entre travailleurs autonomes (les cogestionnaires médicaux) et employés (cogestionnaires clinico-adminsitratifs) ne semble pas être appelée à changer. La manière de s’en accommoder ou d’adapter la cogestion aux contraintes posées par ce déséquilibre est sensiblement la même d’un établissement à l’autre. En règle générale, alors que les cadres obtiennent leur poste par voie de concours et pour le long terme, les médecins sont de leur côté nommés pour des mandats à durée limitée. De plus, et sauf pour le CSSS de 1ère ligne, une rémunération spéciale est allouée aux médecins qui sont conviés à exercer ce rôle.

La différence de statut s’exprime en second lieu dans le pouvoir que confère à l’un ou l’autre des cogestionnaires le cumul des rôles et responsabilités qui lui sont structurellement dévolus, et dont l’actualisation exclusive, en particulier lorsqu’il s’agit du cumul des rôles tactique-stratégique et opérationnel, détermine une position plus avantageuse en regard de la prise de décision. Cet avantage, plus ou moins prononcé selon les tandems, est généralement détenu par les chefs clinico-administratifs de programmes clientèles ou par des responsables administratifs de directions cliniques, mais il peut arriver que les chefs médicaux de programmes, par exemple, en soient eux aussi porteurs, notamment lorsque d’autres responsabilités les appellent. Ainsi, dans le cas du CH Universitaire, certains chefs médicaux de programmes cumulent également des fonctions à titre de chef de département, ce qui leur a permis, d’ajouter à leur pouvoir d’influence au sein des tandems.

«[Mon cogestionnaire médical il est aussi chef de département, et donc] il est sur le comité de direction, alors que moi je n’y suis pas, ça fait qu’il a une influence que moi je n’ai pas, et il y a des

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décisions qui se prennent que peut-être je dois subir parce que ça a été pris au comité de direction. Ça fait qu’à ce niveau-là je dirais peut-être moins, mais si c’est au niveau du programme, c’est égal.» (Cadre gestionnaire)

Un autre cas de figure est celui du CSSS de 1ère ligne, dont le secteur UMF est traditionnellement sous la responsabilité de directeurs médicaux exerçant un rôle tactique-stratégique particulièrement développé en lien avec la mission d’enseignement, ce qui leur donne un pouvoir que leurs cogestionnaires clincico-administratifs sont davantage en position de soutenir au moyen de leur rôle opérationnel et de médiation (courroie de transmission de la direction de l’établissement), et non de partager. Cette situation était celle qui prévalait au temps 2, au moment où s’est amorcée la réflexion sur la gouvernance de ce secteur.

Quant au second facteur d’asymétrie, il concerne le temps moins important que les médecins cogestionnaires peuvent effectivement consacrer à la gestion comparativement à leurs collègues administrateurs, étant donné le maintien de leurs activités cliniques jugées primordiales à l’exercice efficient de leurs rôles, notamment de médiation. Une telle contrainte n’est généralement pas sans conséquence au sein des tandems, car l'agencement des rôles en regard de la prise de décision ne peut logiquement fonctionner en toute égalité. Tel est en tout cas l’avis d’un cadre supérieur au CH Universitaire, qui voit une différence à cet égard entre le tandem directeur de la DISC et ceux des programmes clientèles. Selon lui, il y aurait égalité au niveau des décisions touchant aux orientations stratégiques, mais pas au niveau opérationnel :

«La raison c’est le temps, ou l’investissement si vous voulez. C’est peut-être possible, mais sur 10 ans, pas sur deux, trois ans. Ce n’est pas possible parce que ça demande beaucoup d’investissements de part et d’autre pour arriver à un niveau d’intégration comparable à [celui du tandem directeur]. La réalité des programmes-clientèles c’est que nos médecins travaillent une journée à deux journées en gestion. Les orientations stratégiques sont gérées par les deux, et le chef clinico gère tout le reste. Ça fait que c’est une division des tâches qui est un peu différente.» ()

Sur le long terme, cette situation pourrait donc être modifiée possiblement au moyen de diverses mesures visant, entre autres, à faciliter la disponibilité des médecins et à soutenir leur appropriation des aspects plus opérationnels de la gestion de programme.

7.2.2. Prédispositions et compétences de cogestion : les moyens subjectifs d’une actualisation conjointe et efficiente des rôles

Si l’asymétrie des positions est surtout tributaire des dimensions structurelles, les acteurs concernés par la cogestion ont quant à eux témoigné de la nécessité qu’il y avait pour eux-mêmes, ou pour leurs collègues cadres ou médecins, de mieux faire valoir certaines attitudes ou prédispositions et aussi de développer certaines compétences propres au contexte de la cogestion. Ces données, qui ressortent des entretiens réalisés aux temps 1 et temps 2, ne traduisent aucune évolution particulière, sinon l’idée qu’un travail pouvait être en cours sur certains aspects à chacun des deux moments.

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Les prédispositions ou volontés dont il est question font avant tout référence à un effort de collaboration à consolider au sein des tandems. Du côté des médecins, on invoque l’engagement nécessaire à cet égard et leur volonté de développer une vision clientèle avec leurs cogestionnaires. Selon certains, la volonté de collaboration se manifesterait plus facilement chez les jeunes médecins qui «ne sont pas dans cette mentalité-là de corporatisme, ils sont dans une vision d’organiser les soins le mieux possible pour les patients.» (Cadre supérieur, CH Universitaire). Du côté des cadres, l’effort de collaboration tiendrait essentiellement à un changement d’approche à opérer par rapport à un mode de gestion traditionnel et plus axé vers le contrôle. En effet, les propos à leur sujet ou tenus par eux-mêmes font généralement état de la difficulté encore éprouvée à s’adapter à la cogestion, surtout au temps 1 et sauf pour le CH Universitaire, et aussi d’une certaine réticence à l’idée de partager leur pouvoir.

Les attitudes ou volontés mises à l’œuvre dans l’effort de collaboration se reflètent dans la manière dont les cogestionnaires définissent eux-mêmes la qualité de leur lien, notamment sous l’angle de la confiance et du respect mutuel. Une autre attitude souvent mentionnée est celle de l’ouverture dont doit faire preuve chacun des partenaires. La disponibilité au travail en équipe est encore un autre exemple : comme le souligne l’un des répondants «on ne va pas en tandem si on veut être une star.»

Outre ces prédispositions nécessaires à une actualisation conjointe et efficiente des rôles, est également évoquée l’existence d’affinités personnelles entre les cogestionnaires, que traduisent fréquemment dans les propos entendus les notions de complicité et de complémentarité de caractère ou de traits personnels (v.g. pragmatisme, dynamisme, etc.). Bien que soit attestée par plusieurs l’importance de telles prédispositions, l’on convient généralement qu’elles ne sont pas garantes à elles seules d’un fonctionnement efficient des tandems. Des compétences sont également requises.

Les compétences qui sont les plus évoquées ont principalement trait au leadership. Son importance chez les médecins est particulièrement soulignée:

«Les compétences de leadership du chef médical pour amener un changement à l’intérieur des équipes professionnelles, c’est majeur. Il y a beaucoup de choses là-dedans en termes de capacité de communication, d’interaction… Pour moi, c’est plus important que tout le reste.» (Médecin gestionnaire)

Les capacités de communication et autres habiletés relationnelles ressortent par ailleurs plus spécifiquement en tant que compétences types du fonctionnement en cogestion. Elles comprennent les éléments suivants :

Capacité de travail en équipe, en concertation : mettre sur la table les rôles de chacun, amener le partenaire à réaliser ou à accomplir certaines choses.

Capacité de réflexivité : retour sur les conditions du fonctionnement à deux, savoir se parler, faire des bilans.

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Capacité à définir des objectifs communs : développer un même discours par rapport à certaines orientations et, en particulier, celles relatives aux besoins des patients.

Capacité d’arrimage des profils respectifs: vers une «expertise mixte ou croisée» dans le respect des rôles et responsabilités de chacun - l'exercice de la complémentarité.

7.3. L’agencement des rôles: une typologie des relations entre cogestionnaires

Les conditions de l’actualisation des rôles en situation de cogestion impliquent, comme nous l’avons vu, une asymétrie de positionnement par rapport à la prise de décision et, conséquemment, par une manière d’agencer les rôles ou de les répartir répondant essentiellement à un modèle hiérarchique. Un tel modèle peut prendre des formes différentes selon que sont mises à contribution ou non des prédispositions ou compétences spécifiques. Mais il peut également faire place à un modèle plus égalitaire d’agencement des rôles si les facteurs de l’asymétrie sont mieux contrôlés et que sont systématiquement encouragés l’adoption de positions d’ouverture et de collaboration, ainsi que le développement de compétences propres au fonctionnement en tandem.

Les données recueillies permettent d’établir une typologie des relations entre cogestionnaires suivant cette distinction entre deux modèles de répartition des rôles que nous appellerons cogestion verticale et cogestion horizontale. Dans le premier cas, on parlera d’une relation entre un directeur ou patron et son assistant («celui qui soutient, qui fait le rôle d’expert-conseil»); dans le second, il s’agira dans le meilleur des scénarios d’une relation entre deux directeurs «portant le même discours et ayant les mêmes attentes».

7.3.1. Type A : La cogestion verticale : un directeur et son assistant

La cogestion verticale se décline suivant deux types de lien hiérarchique qui se caractérisent par l’alternance des fonctions de médecin et de cadre dans les rôles du directeur ou de l’assistant. Le directeur, généralement, cumule les rôles de médiation et tactique-stratégique, tandis que l’assistant est surtout confiné, en théorie, ou bien à un rôle opérationnel ou bien à un rôle de médiation. Rien n’est fait en ce cas pour modifier l’asymétrie des positions ou pour favoriser le développement d’approches ou de compétences particulières.

Type A1 : Le médecin patron et le cadre de soutien Dans ce type de relation, le cadre est perçu par le médecin, et se comporte effectivement dans les faits en tant que soutien administratif se limitant à un rôle opérationnel, mais agissant également, en principe, en tant qu’intermédiaire entre la direction et le corps médical.

Ce type de relation peut être tributaire d’une asymétrie de position favorisant objectivement le médecin, en raison par exemple de l’affiliation récente à l’établissement d’une structure d’enseignement médical, comme c’est le cas du secteur UMF au CSSS de 1ère ligne. Ce modèle s’apparente, selon les propres mots d’un directeur médical de ce secteur, à celui du Directeur d’école entouré d’assistants qui sont là en soutien à son administration et à la réalisation de sa mission: «celui qui applique le programme, c’est le directeur de l’école. Bien c’est un peu le

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même principe, le directeur médical ici c’est comme le directeur d’école.» Dans ce contexte, le cadre représente en quelque sorte l’assistant en chef.

Ce type de relation peut également parfois être tributaire de la position d’un directeur médical qui, en dépit d’une structure établie de cogestion, tend à faire jouer au détriment de son cogestionnaire un pouvoir d’influence que lui confère traditionnellement la place occupée par les médecins au sein de l’établissement. Un tel cas de figure, mentionné dans l’un des établissements, semble se manifester de manière ponctuelle et dans des conditions qui ont appelé à la vigilance de la direction concernée.

Type A2 : Le cadre patron (directeur) et le médecin consultant La situation est ici inversée par rapport au type précédent de relation. Il s’agit d’un cas de figure un peu plus fréquent et que l’on retrouve avec quelques variantes dans pratiquement tous les établissements, et en particulier au CSSS de 1ère ligne.

Ce type de relation serait tributaire d’une asymétrie de position favorisant objectivement le cadre, dans la mesure où il est l’administrateur désigné par l’établissement et où le médecin ne cherche pas à s’impliquer ou n’est pas encouragé à le faire. Dans ce contexte, la perspective du cadre à l’égard de son cogestionnaire peut être résumé par l’énoncé suivant: «Je te consulte, mais je ne vais pas nécessairement faire ce que tu me dis.» Il s’agit d’une relation «où le médecin a encore un rôle de soutien par rapport au chef clinico, point, un rôle d’expert-conseil, et il se sent pas nécessairement plus investi que ça.» (cadre supérieur, CH Universitaire).

Dans le contexte de cette relation, le cadre gestionnaire assume parfaitement les trois types de rôles et se voit comme étant le seul à diriger. Le médecin, de son côté, accepte parfaitement cette situation, son rôle de cogestionnaire se limitant strictement à celui de représentant des médecins (médiation) :

«Je ne me considère pas un administrateur comme tel, mais comme un représentant des médecins face à la direction. (…) Je me sens plus comme un simple collaborateur que cogestionnaire comme tel.» ()

Sauf pour un tandem du CSSS de 1ère ligne, dans lequel le chef médical semble avoir pris une plus grande place, il n’y aurait pas eu pour les autres entre les temps 1 et temps 2 d’évolution significative vers un modèle de cogestion plus égalitaire.

7.3.2. Type B : La cogestion horizontale : des partenaires égaux

La cogestion horizontale se caractérise par la relative symétrie des positions occupées par les cogestionnaires en raison d’une répartition plus équilibrée des rôles et d’un poids équivalent donné à chacun des partenaires dans la gestion des programmes ou secteurs ainsi que dans la prise de décision. Les partenaires de la cogestion horizontale démontrent généralement certaines affinités personnelles, font preuve d’ouverture, ont le sens du travail d’équipe et

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savent se donner des objectifs communs. Cette forme de cogestion implique par ailleurs des compétences minimales de leadership de la part des deux cogestionnaires.

Sous ce dernier rapport, deux types de relation peuvent néanmoins être distingués : une relation fondée sur le principe d’un « leadership différencié », et une autre, sur celui d’un « leadership partagé ».

Type B1 : Un leadership différencié et un fonctionnement concerté La délimitation des rôles ou champs d’expertise et la concertation des points de vue caractérisent ce type de relation. Deux variantes sont à distinguer relativement à l’exercice du leadership: 1) prédominant chez le cadre; et 2) prédominant chez le médecin.

La première variante représente une évolution par rapport à la cogestion verticale de type A2. Déjà au temps 1, on la retrouve dans tous les établissements et elle caractérise sensiblement les mêmes tandems au temps 2. Le cadre ou chef clinico-administratif n’est plus ici seul à diriger ou à coordonner les destinées du programme ou secteur, puisque le chef médical exerce clairement un leadership dans son rôle de médiation auprès des médecins et qu’il participe à la prise de décision sur des dossiers tactiques-stratégiques ou opérationnels. Par ailleurs, chacun des partenaires s’informe des dossiers de l’autre, mais n’intervient lui-même que dans ceux qui sont sous sa responsabilité. En fait, la prédominance du leadership chez le cadre tiendrait surtout à sa vision de l’organisation (rôle tactique-stratégique plus développé):

«On va chacun être au courant des différents dossiers, même moi je suis au courant des dossiers médicaux, on se permet d’échanger puis, après ça, chacun dans ses responsabilités spécifiques va intervenir. (…) On prend beaucoup de décisions ensemble, (…) [mais parfois c’est moi qui vais orienter, je vais l’amener] à voir plus large, à regarder les impacts.» (Cadre gestionnaire, CH Universitaire)

Cette influence prédominante est par ailleurs attestée par le directeur médical de ce tandem lorsqu’il affirme que son cogestionnaire «fait toute la job » :

«Il est capable de monter un plan d’affaires, ou un projet, avec l’implication aussi des ressources humaines, les coûts qui sont reliés à ça. Moi je trouve qu’il fait toute la job, là.»

Fait intéressant, le tandem dont est décrit le fonctionnement dans ces deux extraits aurait connu une certaine évolution entre temps 1 et temps 2, grâce notamment au développement d’un outil relié aux stratégies d’encadrement de l’établissement :

«Cela nous a permis d’ouvrir un peu plus nos œillères, de regarder les questions sous un autre angle. Donc ça, dans ce sens-là, ça a probablement évolué au cours de la dernière année.» (Cadre gestionnaire)

Cette évolution vers plus de cohésion n’a pas pour autant signifié au T2 le passage à une relation de type leadership partagé.

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La deuxième variante représente une évolution par rapport à la cogestion verticale de type A1. Elle exprime sensiblement le même genre de fonctionnement que dans le cas de la première variante, mais à l’inverse, la prédominance du leadership revient cette fois au chef médical. Cette variante s’observe notamment dans l’une des UMF du CSSS de 1ère ligne. De par sa fonction, le directeur médical a la responsabilité de la mission enseignement, mais sa cogestionnaire a aussi des responsabilités qui ne la confinent pas à un simple rôle de soutien :

«Moi si j’ai une demande de l’université, je n’ai pas le choix de dire que c’est ça, on est obligé [d’agir de telle ou telle façon], mais… moi je me sens égalitaire dans nos rôles, je veux dire, chacun n’a pas les mêmes responsabilités.»

Type B2 : Un leadership partagé et un fonctionnement intégré Le second type de relation propre à la cogestion horizontale se fonde sur le principe d’un leadership partagé par les cogestionnaires sur divers dossiers ainsi que par un fonctionnement intégré de type direction unique à deux têtes. Les maîtres-mots ici sont croisement des perspectives et cohésion. Les cogestionnaires ne s’expriment plus à titre individuel mais au nom du tandem. Les deux exercent conjointement le rôle tactique-stratégique et, de manière complémentaire, les rôles opérationnel et de médiation.

Plusieurs tandems du CH Universitaire et du CSSS Semi-rural correspondent à des degrés variables à ce type de relation. Il serait plus juste de dire que plusieurs montrent des caractéristiques indiquant qu’un travail en ce sens est en cours, notamment dans le cas du CSSS Semi-rural. Au CH Universitaire, par contre, certains tandems semblaient au temps 2 avoir réalisé une bonne partie de ce travail, voire même dans un cas, en être arrivé à un niveau élevé de fonctionnement intégré :

«On est rendu à un niveau, que j’y sois ou que je n’y sois pas, ou qu’elle y soit ou qu’elle n’y soit pas dans une réunion importante, notre confiance mutuelle est tellement grande que ça fait peu de différence.» (Médecin gestionnaire)

«S’il part en vacances, moi je gère ses dossiers et inversement, si je suis partie, il est capable de naviguer tout seul, je dirais qu’il y a un grand pas qui a été fait de ce côté-là [depuis le temps 1].» (Cadre gestionnaire, même tandem que citation précédente)

7.3.3. Des relations dysfonctionnelles : une incompréhension partagée des rôles

Les différents types de tandems examinés jusqu’à présent ont en commun d’être fonctionnels et donc d’accomplir minimalement ce pour quoi ils ont été constitués, indépendamment de leurs configurations particulières. Entre les temps 1 et temps 2, certains tandems se sont néanmoins avérés carrément dysfonctionnels et n’ont donc pas pu être classé selon un type ou un autre de relation. Deux cas de dysfonctionnement ont ainsi été observés au CSSS de 1ère ligne et bien qu’il soit trop tôt pour tirer des conclusions définitives, un troisième tandem semblait montrer quelques signes inquiétants au CSSS Régional dans la foulée de sa récente mise en place.

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Suivant les cas observés, les critères de dysfonctionnement des tandems peuvent se résumer à trois : 1) une fermeture à l’égard des rôles attendus d’une des parties ou des deux; 2) un bris de communication ou un ensemble de malentendus survenus en cours du développement de la relation; et 3) des conflits de personnalités.

7. 4. Rôles des tandems de cogestion : Synthèse et implications

La première piste de partenariat proposée par l’AQESSS était la cogestion médico-administrative des programmes-clientèles comme préalable à un meilleur partenariat médico-administratif. Bien sûr, si la cogestion existe sur papier, mais elle n’est pas fondée sur des relations de collaboration dans les faits, elle aura de la difficulté à atteindre les résultats visés. On pourrait penser qu’une cogestion de type horizontal ou le partage des rôles est équilibré aura à long terme plus de chances de conduire à un véritable partenariat médico-administratif à travers l’établissement qu’une cogestion de type vertical, même si le type vertical offre un progrès significatif par rapport à une situation de « deux solitudes » entre les mondes médicaux et administratifs.

Les résultats de notre étude suggèrent que la compréhension des rôles de cogestion n’est pas toujours parfaitement partagée entre les cogestionnaires, et que les modèles de partenariat effectivement mis en œuvre varient d’un établissement à l’autre.

Tel que démontrent les données présentées dans le Tableau 9, l’évolution vers un mode de fonctionnement horizontal (types B1 et B2) est plus marquée au CH Universitaire et au CSSS Semi-rural. Des modes de fonctionnement verticaux sont toujours présents au CSSS Semi-rural ainsi qu’au CSSS de 1ière ligne. Dans ce dernier établissement, seulement deux cas de fonctionnement horizontal ont été observés et ce pour les services sur le terrain (deuxième niveau de l’organigramme) et non pas pour les directions cliniques (niveau des cadres supérieurs). Pour le CSSS Régional, il est trop tôt pour se prononcer sur l’évolution des rôles. Les partenaires sont toujours en train de s’ajuster mutuellement.

Si CH Universitaire et le CSSS Semi-rural ont pu faire évoluer la compréhension des rôles de cogestion et leur actualisation en forme horizontale, c’est en partie dû aux efforts importants d’accompagnement évoqués dans la Section 5 qui comprennent l’encadrement du processus de mise en œuvre, ainsi que des dispositifs organisés de formation et de coaching.

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Tableau 9 : Évolution des rôles de cogestion et leur compréhension dans les quatre sites

Témoignages concernant l’évolution des rôles de cogestion et leur compréhension dans les quatre établissements

CH Universitaire

• Depuis le temps 1, une meilleure compréhension du fonctionnement de la cogestion s'est développée; on considère qu’il reste maintenant à mettre en place des mécanismes de pérennisation (programme de formation et coaching, etc.).

• Fonctionnement principalement caractérisé au temps 2 par une cogestion horizontale de type Leadership différencié et fonctionnement concerté ; un second type de relation ayant évolué depuis temps 1, le Leadership partagé et fonctionnement intégré, demeure à consolider et, éventuellement, à étendre à d’autres programmes.

• La compréhension des rôles au sein des tandems serait «encore beaucoup laissée aux individus eux-mêmes. « Ça n’a pas été formalisé exactement ce que c’est que le rôle du chef médical par rapport au chef clinico, ça reste encore dans l’implicite.»

CSSS Régional

• Le fonctionnement en cogestion est un processus qui débute: les directeurs médicaux doivent «s’approprier leur rôle dans l’action» et développer leur crédibilité.

CSSS Semi-Rural

• Depuis le temps 1, la compréhension du fonctionnement de la cogestion a progressé, notamment du côté des tandems directeurs de programme, mais ça reste un défi de rendre la cogestion plus fonctionnelle au niveau des équipes de terrain.

• Modèles de cogestion prédominant : Leadership différencié et fonctionnement concerté, mais cogestion verticale de type Cadre directeur – Médecin consultant également présente.

• Les rôles des cogestionnaires ont été prédéfinis, mais leur compréhension mutuelle reste à développer (démarche en cours via le programme de codéveloppement).

CSSS de 1ère ligne

• Dans tous les secteurs, la compréhension des rôles et des règles de fonctionnement est encore exclusivement laissée aux individus formant les tandems Le fonctionnement est à géométrie variable selon les secteurs: dans deux cas, il s’est amélioré depuis le temps 1 et les cogestionnaires en reconnaissent l’utilité; deux autres sont devenus inopérants.

• Modèles de cogestion représentés: les deux types de cogestion verticale ainsi que la cogestion horizontale de type Leadership différencié et fonctionnement concerté.

• Processus de révision de la gouvernance en UMF amorcé au T2: outre d’en arriver à déterminer «ce que comprend la cogestion», l’un des objectifs est de «préciser la compréhension du rôle des cogestionnaires»; cette préoccupation s’applique également aux autres secteurs: «on remet ça sur la table, le besoin de clarifier le rôle qu’on s’attend d’un médecin en gestion médico-administrative, ça fait partie des projets de la prochaine année.» (Cadre supérieur)

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8. Retombées organisationnelles du partenariat médico-administratif

Si elles jouent bien leur rôle, les pistes de partenariat médico-administratif devraient générer des changements non seulement au niveau du partage des rôles et des relations entre les membres des tandems, mais également à trois niveaux organisationnels : au sein des programmes eux-mêmes, au niveau de la décision stratégique et opérationnelle (intégration verticale) et au niveau de la capacité de traiter des problématiques transversales (intégration horizontale). Dans cette section nous examinons tour à tour comment les pistes de partenariat ont produit des effets à ces différents niveaux.

8.1. Vie des programmes-clientèles ou secteurs de service

Au temps 1, des établissements se sont montrés préoccupés à des degrés variables par l’idée de faire vivre la cogestion à l’intérieur des programmes-clientèles, des directions ou secteurs de service, soit en d’autres termes, par l’idée d’étendre la gouvernance médico-administrative à l’ensemble de leurs programmes ou secteurs. L’évolution de la vie interne des programmes peut être examinée sous deux angles : 1) l’organisation interne de la gouvernance médico-administrative; et 2) l’influence des tandems et l’impact particulier du leadership médical.

8.1.1. L’organisation interne

L’organisation interne concerne les structures mises en place ou déjà existantes ainsi que les modes de fonctionnement des tandems eux-mêmes et de leurs équipes. Elle se réfère par exemple à la tenue de statutaires pour les tandems, aux rencontres planifiées entre les cogestionnaires et leurs équipes respectives, ainsi qu’à celles des comités de gestion ou à toute structure regroupant l’ensemble des responsables médicaux et administratifs des programmes ou secteurs (exécutifs intra-programmes). Cette organisation varie bien sûr, non seulement entre les établissements, mais aussi entre les programmes ou secteurs de chacun. Exception sera faite ici dans l’appréciation de cette organisation de la situation du CSSS Régional dont les structures internes et le fonctionnement des quatre directions cliniques se mettaient en place au temps 2. À noter par ailleurs que deux établissements possèdent des structures de programmes à plusieurs niveaux de cogestion. Ce principe était en effet appliqué au temps 1 dans les quatre programmes du CSSS Semi-rural, et était en voie de s’étendre à tous les programmes-clientèles du CH Universitaire.

Le fonctionnement des tandems, soit entre les cogestionnaires mais aussi avec leurs équipes respectives, obéit plus ou moins aux mêmes règles d’un établissement à l’autre et ne s’est pas modifié avec le temps. Par exemple, les tandems directeurs de programmes au CSSS Semi-rural ont maintenu au même rythme la fréquence de leurs réunions statutaires, ainsi que leurs rencontres avec les chefs de service et les autres cogestionnaires de leurs programmes :

«Alors on a des statutaires mensuels qui durent environ deux heures. On communique par courriel, beaucoup, parfois par téléphone, et on essaie d’être tous les deux présents lorsqu’il y a des

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rencontres avec les chefs de département ou les chefs infirmiers lorsqu’il y a des décisions à prendre. (Médecin gestionnaire 1)

«On a des statutaires aux six semaines. On a aussi des rencontres de tandems là, avec nos cogestionnaires de chaque service, de temps en temps, pas aussi souvent qu’on le souhaiterait.» (Médecin gestionnaire 2)

En ce qui concerne le CH Universitaire, aux statutaires que tiennent régulièrement entre eux les cogestionnaires de programmes-clientèles s’ajoutent les rencontres qu’ils ont la plupart du temps ensemble avec leurs équipes respectives ainsi que leurs réunions régulières avec le tandem directeur de la Direction des services cliniques (DISC).

Cette relative uniformité du fonctionnement médico-administratif entre les programmes ne se retrouve nullement au CSSS de 1ère ligne, chacun des principaux secteurs de service – hébergement et services gériatriques, UMF et secteur communautaire – ayant eu à composer avec ses propres réalités et aussi avec le niveau d’implication des médecins. Dans l’un de ces secteurs par exemple, les rencontres entre cogestionnaires entre temps 1 et temps 2 ont toujours eu lieu au besoin, jamais sur une base statutaire. Par ailleurs, l'organisation de la gouvernance médico-administrative du secteur UMF est demeurée jusqu’au temps 2 spécifique à chacune des quatre unités, sans jamais être optimale pour l’ensemble du secteur.

À noter que certains chefs clinico-adminstratifs ou cadre gestionnaires de programmes ou secteurs de service ne jugent pas toujours utile d’inviter les cogestionnaires médicaux à leurs rencontres statutaires avec les membres de leurs propres équipes, et vice versa. Cette éventualité, au temps 2, n’était cependant pas exclue :

«Je me dis peut-être qu’il y aurait quelque chose à améliorer, à voir comment on pourrait inclure [mon cogestionnaire médical] sans vraiment qu’il vienne perdre son temps. (…) Je pourrais au moins vérifier avec lui l’intérêt de se joindre aux rencontres du personnel.» (Cadre gestionnaire, CSSS de 1ière ligne)

«Ça pourrait être bien intéressant si [mon cogestionnaire clinico-administratif] venait à notre rencontre du service de médecine hospitalière, ça serait tout à fait pertinent.» (Médecin gestionnaire, CH Universitaire)

De tous les établissements, c’est sans doute pour le CH Universitaire que l’évolution de cette organisation interne aura été la plus marquée, moins quant aux modes usuels de communication ou d’échange entre cogestionnaires (statutaires) ou entre ces derniers et leurs équipes, que dans la mise en place progressive d’exécutifs intra-programmes. Le but de cette mise en place structurelle, dont la consigne à été donnée entre les deux collectes de données, était de suppléer au manque de cohésion dans le fonctionnement de certains programmes: « Un exécutif intraprogramme c’est un moyen qu’on se donne. Maintenant [au temps 2], il faut l’habiter, il faut l’animer. Et là, on est dans cette étape-là.» (Cadre supérieur 1)

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Au temps 2, le diagnostic était néanmoins mitigé quant à la capacité ou à la volonté de certains programmes à s’organiser en ce sens :

«Ça ne vit pas autant que ça devrait vivre dans certains programmes. (…) Une des exigences d’un tel comité exécutif c’est de s’assurer que tous les services ou départements soient représentés. (…) Mais il y en a deux tout de suite qui me viennent en tête où ça existe sur papier, mais pour le moment il ne se passe rien.» (Cadre supérieur 2).

D’autres par contre, qui avaient déjà une structure comparable, ont poursuivi de manière plus systématique leur démarche de consolidation :

«Dans mon programme, il y a des choses très bénéfiques [qui se produisent]. Par exemple, il y a des dyades dans certains services qui étaient totalement inefficaces, voire antithétiques, vraiment, et qui maintenant marchent très bien. Et on voit sur le terrain l’amélioration des choses.» (Médecin gestionnaire).

8.1.2. L’influence des tandems et leadership médical Le fonctionnement des tandems peut avoir un impact différent sur la vie des programmes ou secteurs de service selon que la relation de cogestion est de type vertical ou horizontal. Toute chose étant égale par ailleurs, on peut supposer que les tandems qui fonctionnent selon le modèle de la cogestion horizontale exercent une influence positive auprès des équipes sur le terrain, dans la mesure où ce type de relation implique généralement une bonne entente entre les partenaires et un minimum de cohérence dans les positions exprimées à deux.

«Pour moi, tu es capable de faire vivre de façon positive [ton service] dans la mesure où les gens sentent que ça se tient en haut. Qu’il y a une cohésion [entre les cogestionnaires]. S’il y a de la dissension, si les gens sentent des tensions, je pense que ça devient difficile.» (Cadre gestionnaire, CSSS de 1ière ligne)

«On travaille de mieux en mieux ensemble. Et les gens l’observent et nous le déclarent. (…) Le tandem, il fait une différence, et on se présente de plus en plus en duo à différentes instances.» (Cadre gestionnaire 1, CH Universitaire)

«Quand on arrive tous les deux là, ça a un certain impact. On le voit dans les commentaires que donnent les gens. Ils sont contents, ils ont besoin de nous voir sur le terrain, puis de voir qu’on prend en considération ce qu’ils nous disent. (…) Et puis quand un médecin s’adresse à ses pairs, et qu’il a le même discours que l’administration, parce qu’on a bien réfléchi ensemble avant à ce qu’on allait donner comme information, puis qu’ils voient qu’on est cohérents les deux, ça a un impact majeur.» (Cadre gestionnaire 2, CH Universitaire)

Dans un établissement comme le CH Universitaire, l’influence des tandems peut varier d’un programme à l’autre, mais la gestion en tandem, à laquelle on se réfère parfois en tant que modèle «papa-maman», a fini par s’imposer et des progrès ont même été réalisés entre le temps 1 et le temps 2. Il peut encore arriver, cependant, que le chef médical n’ait pas la même reconnaissance que le chef clinico auprès des équipes. Cela tiendrait en partie à la confusion

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qui semble toujours régner entre le rôle de chef de département et celui de directeur médical de programme :

«Eux autres, les médecins du programme, ils me voient comme le chef du département, mais ils ne me voient pas comme chef de programme. [Même chose pour le personnel] c’est le chef clinico qui demeure la référence pour le programme.»

Un autre facteur serait le style de leadership de la part du chef médical auprès de ses équipes, en lien avec le rôle de médiation donc, et ce malgré des compétences susceptibles d’être mises en valeur dans l’actualisation du rôle stratégique par exemple.

Dans les autres établissements, et sauf pour quelques cas, on évalue encore mal l’influence des tandems en tant qu’entités. Il semble néanmoins possible de l’apprécier sous l’angle du leadership exercé par les médecins en tant que cogestionnaires. Ainsi, observe-t-on au CSSS Semi-rural un leadership marqué de la part de l’un des cogestionnaires médicaux de programmes, dont on reconnaît l’implication et la capacité d’influencer ses collègues au sein du programme. Par contre, pour l’ensemble des programmes, il semble que la crédibilité de la gestion par tandem ainsi que des rôles médicaux auprès des équipes sur le terrain demeure encore en développement.

Au CSSS de 1ère ligne, il semble que la gestion par tandem ait été davantage reconnue et appréciée par les équipes dans deux cas, dont un dans le secteur UMF caractérisé par un leadership médical lié à la fonction même de directeur. En revanche, l’influence médicale est demeurée relativement limitée dans les secteurs de l’hébergement et du communautaire (secteurs en pénurie de médecins).

Enfin, au CSSS Régional, les directeurs médicaux semblent avoir acquis dès le départ une légitimité et une crédibilité, non seulement aux yeux de leurs cogestionnaires, mais aussi par rapport à tout le volet administratif au sein de leurs directions. Du côté médical par contre, la crédibilité reste encore à construire.

8.2. Intégration verticale et horizontale La vie des programmes ou secteurs de service nous amène à considérer un autre vecteur de l’analyse qui touche l’ensemble de l’organisation, notamment aux dimensions de l’intégration structurelle que sont la verticalité et l’horizontalité. L’intégration verticale concerne le rapprochement des niveaux de gouvernance (stratégique, tactique, opérationnel) sous l’angle particulier de l’apport médical à la prise de décision. L’intégration horizontale renvoie à l’ensemble des dispositifs transversaux de gouvernance impliquant une participation médicale.

8.2.1. Pouvoir de décision et rapprochement des niveaux de gouvernance

Tandis que la dernière section traitait de l’influence des tandems au sein des programmes ou secteurs de service comme tels, ici nous examinons l’influence perçue des médecins

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cogestionnaires dans l’organisation dans son ensemble, et notamment la structuration du lien entre la direction générale et le terrain à différents niveaux de gouvernance, chaque niveau étant l’occasion d’interroger le sens de la participation médicale à la prise de décision et, ce faisant, de viser un «rapprochement entre la direction et le monde, (…) un applatissement de la structure.» (Cadre supérieur, CSSS de 1ère ligne). Cette dimension n’est évidemment pas étrangère aux deux pistes de partenariat de l’AQESSS prônant la participation des cogestionnaires médicaux de programmes aux comités de gestion des établissements – soit les comités de coordination clinique et comités de direction (section 4.2.). Nous ne reviendrons donc pas sur les formes de cette participation, mais traiterons plutôt de la nature de l’influence médicale souhaitée à ce niveau de gouvernance et aussi, à un niveau plus opérationnel. Pour le CH Universitaire, selon les données qualitatives, cette recherche de cohérence entre les niveaux représente clairement un enjeu de développement de la gouvernance médico-administrative. À cet égard, davantage de pouvoir d’influence et de décision depuis le temps 1 semble avoir été accordé aux tandems médico-administratifs dans le cadre de leur participation au CEIP, ce qui aurait eu pour effet de favoriser le rapprochement entre la direction (niveau stratégique) et les programmes-clientèles (niveau tactique) :

«Le comité de direction c’est un endroit plus restreint, plus stratégique (…) Mais là où on fait les choses, c’est quand même vraiment le CEIP. Je pense que le CEIP a vraiment pris de l’importance et je crois qu’il en prendra de plus en plus.» (Médecin gestionnaire 1)

«Sur les grandes décisions, les gros dossiers qu’on va financer, les achats de matériel, etc., bien, c’est comme un objectif que ça revienne plus au CEIP et que ce soit l’ensemble des programmes qui prenne une décision.» (Médecin gestionnaire 2)

Une autre illustration de cet effort d’intégration verticale tient à l’objectif de faire descendre le plus bas possible dans la hiérarchie cette «idée-phare» de la gouvernance médico-administrative qu’est le tandem ou la dyade. En effet, selon un cadre supérieur, qui se fait l’écho de plusieurs autres personnes rencontrées, la cogestion devrait idéalement pouvoir fonctionner «à tous les paliers, y compris jusque sur le terrain, les chefs de service, etc.». Certaines interrogations demeurent néanmoins sur le sens que peut avoir la cogestion à un niveau opérationnel :

«Plus on descend dans la hiérarchie, plus les médecins deviennent davantage des cliniciens et un peu moins des gestionnaires, et ça complexifie cette notion de cogestion. Jusqu’où on va dans la cogestion? Ça veut dire quoi prendre des décisions? (…) Si on veut donner plus de pouvoir aux [médecins] sur le terrain, peut-être que c’est la solution. [Il ne faut pas les voir] comme gestionnaires, mais comme des cliniciens qui ont un pouvoir de décision sur des éléments qui sont essentiels pour la trajectoire patient.» (Cadre supérieur)

Il n’en demeure pas moins que ce processus semble bien enclenché et qu’il aurait même progressé depuis le temps 1 :

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«On a réussi [au niveau de l’organisation] à imposer l’idée de la dyade à différents paliers puis les paliers l’imposent, ou en montre à tout le moins les bénéfices aux paliers juste en dessous.» (Médecin gestionnaire 3)

«La cogestion va bien [dans notre programme]. Pas juste nous à notre niveau, mais au niveau opérationnel aussi. Dans le sens ou les chefs de service (…) se rencontrent, parlent, discutent régulièrement.» (Médecin gestionnaire 4)

En somme, au temps 2, une démarche systématique d’intégration verticale des niveaux de gouvernance médico-administrative était en cours au CH Universitaire, notamment au moyen d’une approche LEAN et d’un encadrement visant entre autres le développement des compétences et l’utilisation d’une carte de performance adaptée aux trois niveaux de la prise de décision (stratégique, tactique et opérationnel).

Chacun des quatre programmes clientèles du CSSS Semi-rural fonctionne également suivant au moins deux niveaux distincts de gestion par tandem, ayant ainsi établi minimalement depuis le temps 1 les conditions d’un rapprochement entre le terrain et la direction générale du point de vue de la structuration de la gouvernance médico-administrative. L’influence médicale jouerait cependant très peu au niveau opérationnel. Quant au pouvoir décisionnel des tandems directeurs de programmes, il demeure bien relatif :

«On s’est positionnés sur des questions qui concernent l’ensemble de [l’établissement], mais finalement, le pouvoir décisionnel ne semble pas nous appartenir véritablement.» (Médecin gestionnaire).

Par contre, la présence dynamique des directeurs médicaux de programmes sur le Comité de direction clinique incite certains à croire que leur influence au niveau de la prise de décision stratégique serait devenue bien réelle au sein de l’établissement.

Quoique beaucoup plus récemment, le CSSS Régional a lui aussi intégré ses quatre directeurs médicaux sur le Comité de direction, en plus du DSP qui s’y trouvait déjà. Un seul constat prévaut pour le moment chez certains cadres et c’est celui de la valeur ajoutée de cette participation dans le sens qui était attendu. Quant aux directions cliniques, elles ne comportent qu’un seul niveau de gestion par tandem; il n’est donc pas question pour le moment, de «faire descendre la cogestion» en vue d’un rapprochement entre la direction générale et le terrain.

Finalement, le CSSS de 1ère ligne se démarque des trois autres établissements en ce que les seuls médecins présents au comité de régie et au comité de gouvernance clinique sont le DGA-DSP et le DEMMF-DSP-adjoint. Il ne s’agit donc pas d’une intégration au niveau stratégique des cogestionnaires médicaux de programmes ou de secteurs de service. Les raisons de ce défaut d’intégration tiennent notamment aux contraintes de temps et à l’intérêt mitigé exprimé par les médecins eux-mêmes (voir section 4.2.), mais le contexte et les exigences pourraient être appelés à changer. Comme le soulignait au temps 2 le directeur médical d’une UMF : «Si on nous respecte comme cogestionnaire, il va falloir qu’on ait une place dans certains comités décisionnels.»

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Pour compléter l’analyse de l’intégration verticale et l’influence des médecins sur la prise de décision à différents niveaux, nous avons créé deux indicateurs à partir des données quantitatives du questionnaire : « l’influence des médecins sur les dossiers stratégiques » (composé de 6 items – voir l’Annexe 1) et « l’influence des médecins sur les dossiers opérationnels » (6 items). Entre le temps 1 et le temps 2, la perception de l’influence des médecins sur les dossiers stratégiques a augmenté de façon significative au CSSS Régional (niveau de signification de 10%) et au CSSS de 1ière ligne (niveau de signification de 5%). La perception de l’influence des médecins sur les dossiers opérationnels a augmenté au CH Universitaire et au CSSS Régional (niveau de 5%). L’évolution au CSSS Régional est encourageante, et sans doute tributaire de la nomination récente des directeurs médicaux avant la collecte de données au temps 2.

Pour mettre ces données en perspective, nous présentons aux Figures 7 et 8 les données concernant la perception de ces influences dans les quatre établissements au temps 2. Comme les données le démontrent, l’influence médicale est toujours perçue par les médecins eux-mêmes comme étant plus importante au CH Universitaire et moins importante au CSSS de 1 ière ligne, même si des améliorations globales ont été notées au CSSS Régional et au CSSS de 1ière ligne. De façon particulièrement frappante, la perception des gestionnaires non médecin concernant l’influence médicale est significativement plus élevée que la perception des médecins eux-mêmes (médecins gestionnaires ou non), et ce de façon uniforme dans tous les établissements. Surtout en ce qui concerne les dossiers opérationnels, les écarts de perception sont tout de même moins importants au CH Universitaire, suggérant encore une fois un plus grand rapprochement entre les médecins et la direction.

Figure 7 : Perception de l’influence des médecins sur les dossiers stratégiques au temps 2

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Figure 7 : Perception de l’influence des médecins sur les dossiers opérationnels au temps 2

8.2.2. Dispositifs ou approches transversales de gouvernance médico-administrative Comme nous avons indiqué ci-dessus, le développement de programmes-clientèles et de secteurs de service sous la responsabilité de tandems de cogestionnaires devrait permettre de mieux assurer la coordination et la qualité des activités à l’intérieur du programme tout en assurant des liens entre la direction et les équipes sur le terrain. Il ne faut pas par ailleurs que les programmes deviennent des nouveaux « silos », surtout lorsqu’il y a des chevauchements de clientèle ou lorsque certains médecins se trouvent à travailler avec différents programmes-clientèles. Les dispositifs pour assurer une forme de transversalité sont aussi importants. Nous avons déjà évoqué plusieurs de ces dispositifs dans la Section 4 qui concerne les pistes de partenariat alors que nous avons discuté des différents comités de gestion au niveau stratégique. Nous résumons ici la forme que prennent actuellement les relations transversales dans les quatre établissements. Pour le CH Universitaire, le comité exécutif inter-programme (CEIP) a définitivement favorisé une meilleure cohésion entre les programmes. Comme le mentionne un chef médical :

« Je pense qu’il y a des progrès parce qu’il n’y avait pas [avant] de structure qui permettait de faire autrement [que de travailler en silo]. Donc, quand on n’a pas de structure et qu’on travaille en silos, bon, bien, le truc le plus clair c’est qu’on travaille chacun pour soi et on va tirer la couverture, on va aller frapper à des portes, etc. Donc ça, j’ai l’impression que le CEIP, la nouvelle version du CEIP…, a vraiment un rôle opérationnel clair, de décisions opérationnelles. »

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Outre les bienfaits de ce comité, certains dossiers, dont des dossiers traceurs mentionnés à la Section 9, exigent le travail transversal et seront traités dans cette section. Finalement, un autre enjeu mentionné par des directeurs administratifs est de savoir s’ils peuvent directement contacter le cogestionnaire médical de programme pour transiger avec lui, et ensuite savoir que le message se passera aussi au cogestionnaire clinico-administratif du même programme.

« On n’est pas encore parfait, mais on sent des expériences qui se mettent en place, on sent que des fois quand je parle au médecin, ça va se parler à l’autre. De là à dire que c’est tout parfait, je vous dirais que non. »

Pour le CSSS Régional, il est trop tôt pour penser aux questions de transversalité, la priorité étant de mettre en place les codirections de réseaux. Cependant, il est clair que les directeurs se rencontrent au comité de direction et partagent leurs préoccupations.

Pour le CSSS Semi-rural, différents dispositifs dont le comité de direction clinique, le comité de direction conjoint et le comité de pilotage favorisent la transversalité. Tout comme pour le CH Universitaire, les dossiers traceurs permettent aussi de voir une forme de collaboration se développer entre les programmes-clientèles (voir la Section 9) qui est favorisée, entre autres, par leur rencontre au comité de pilotage (plus tard le comité d’implantation de la cogestion).

Finalement, au CSSS de 1ière ligne, les comités de gestion au niveau stratégique n’incluent pas les médecins, et donc l’intégration horizontale entre les différentes directions semble peu présente du moins au niveau médical. La création de la Table des chefs a néanmoins permis une plus grande connaissance des réalités du CSSS parmi des collègues: «Ce qui est intéressant avec cette table-là c’est que, justement, on voit les directeurs des autres programmes puis là on entend parler [de leur réalité]. » Certains dossiers traceurs (tels que celui des ordonnances collectives) ont également suscité une collaboration médicale entre différents secteurs.

8.3. Retombées organisationnelles: Synthèse et implications

Dans cette section, nous avons examiné les retombés des pistes de partenariat au niveau de la vie des programmes ou secteurs de services, et aux niveaux de l’intégration verticale (influence des médecins à différents niveaux de l’organisation) et de l’intégration horizontale (la transversalité entre les programmes et services). On constate un effort concerté, notamment au CH Universitaire et au CSSS Semi-rural, pour faire descendre la gouvernance médico-administrative à l’intérieur des programmes-clientèles, pour intégrer les différents niveaux afin d’assurer une influence médicale sur les décisions stratégiques et opérationnelles, et pour promouvoir une certaine transversalité entre les programmes. Ces efforts semblent importants pour retirer les meilleurs bénéfices possibles des pistes de partenariat. Les changements de structure au sommet ne garantissent pas à eux seuls l’évolution du partenariat médico-administratif à tous les niveaux de l’organisation. Les dossiers traceurs examinés dans la prochaine section permettent de voir de plus près comment le partenariat se manifeste concrètement pour des préoccupations précises.

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9. Les dossiers traceurs Au début du projet de recherche, nous avons demandé aux établissements d’identifier trois dossiers « traceurs » au sein de leurs organisations qui selon eux permettraient d’évaluer les retombées concretes des pistes de partenariat médico-administratif aux niveaux « stratégiques », « tactiques » et « opérationnels ». Les dossiers traceurs sélectionnés sont illustrés au Tableau 10. Au cours de la cueillette de données, nous avons par ailleurs constaté que certains des dossiers traceurs proposés n’étaient pas aussi révélateurs que prévus initialement. De plus, le retard dans la mise en œuvre des pistes de partenariat au CSSS Régional n’a pas permis de faire le suivi des dossiers traceurs choisis par cette organisation.

Tableau 10 : Les dossiers traceurs proposés initialement par les quatre sites pilotes

CH Universitaire CSSS Régional CSSS Semi-rural CSSS de 1ère ligne

Dossier stratégique

La création d’une Direction des ressources humaines et de l’enseignement (DRHE)

Virage Accessibilité

Développement d’une approche adaptée pour la personne âgée à l’urgence et en médecine général

Développement d’un Institut universitaire centrée sur l’enseignement et la recherche en première ligne

Dossier tactique

Le développement de l’architecture détaillée d’un plan d’intervention clinique informatisé (PIC)

Déplacements de services du milieu hospitalier vers la communauté

Démarche d’amélioration de la qualité et du climat de travail en médecine

Développer l’offre de service pour personnes en perte d’autonomie liée au vieillissement

Dossier opérationnel (niveau des services)

La résolution de problèmes reliés à la violence à l’urgence

Accessibilité à l’investigation (à l’Urgence particulièrement)

Optimisation du bloc opératoire

Les ordonnances collectives

Dans l’analyse qui suit, nous passons en revue les constats concernant les dossiers traceurs choisis pour toutes les organisations sauf le CSSS Régional en tirant les enseignements qui s’imposent. À partir de l’ensemble des données collectées, nous identifions également quelques exemples d’autres situations où le partenariat médico-administratif aurait été mis en évidence. Nous analysons tour à tour les dossiers de chacune des organisations en expliquant l’enjeu du dossier, son lien avec la gouvernance médico-administrative, son déroulement et ses résultats ainsi que les apprentissages qui en découlent

9.1. Les dossiers traceurs au CH Universitaire

9.1.1. Dossier « stratégique » : La création d’une Direction des ressources humaines et de l’enseignement (DRHE)

Enjeu : Par la création d’une nouvelle direction, il s’agissait de mieux intégrer les missions d’enseignement médical avec les missions d’enseignement pour d’autres secteurs cliniques (infirmières, autres professionnels) qui auparavant n’étaient pas bien coordonnées.

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Liens avec la gouvernance médico-administrative : Il s’agit en soi d’une initiative qui visait à réaliser une meilleure intégration entre les composantes médicales, cliniques et administratives de l’organisation. Pour ce faire, l’adjointe au DSP (un médecin) a agi comme conseillère et intermédiaire entre la direction des ressources humaines et la faculté de médecine pour démarrer le projet. Un autre chef médical de programme a aussi participé aux travaux. On mentionne également au temps 1 le souhait de s’assurer que la mission de l’enseignement soit bien reconnue comme faisant partie de la responsabilité des programmes : « Il va falloir dans la gouvernance médico-administrative de ces programmes que les objectifs d’enseignement et les préoccupations de qualité de l’enseignement soient perçus comme étant un de leur rôle».

Déroulement et résultats : La direction des ressources humaines et de l’enseignement est fonctionnelle en 2013. L’évaluation de son intervention est positive : « Je dirais qu’au-dessus de 80% de ce qu’on voulait s’approprier comme responsabilité à la DRHE (qui, avant, était assumé par un médecin et le directeur d’enseignement), c’est acquis. ». Par rapport au lien avec les programmes, on note que « C’est un travail de très, très longue haleine, mais ça aussi ça va mieux. Il y a plus de programmes-clientèles (…) qui vont résoudre des problématiques en lien avec l’enseignement et la recherche en comprenant que ça fait partie de leurs tâches. »

Appréciation : Ce dossier est en soi un projet de collaboration médico-administrative qui s’inscrit en continuité avec l’historique de partenariat du CH Universitaire. La collaboration entre la DISC et la partie administrative (DRH) a permis de concrétiser le projet de façon satisfaisante. Les liens avec les programmes-clientèles est toutefois toujours en construction.

9.1.2. Dossier « tactique » : Le développement de l’architecture détaillée d’un plan d’intervention clinique informatisé (PIC)

Enjeu : Il s’agit de l’informatisation d’un nouveau modèle de pratique selon une vision globale et structurante tenant compte d’un contexte d’interdisciplinarité et répondant aux besoins des cliniciens. Le dossier clinique informatisé (DCI) précédent avait été bâti de façon fragmentée en fonction des besoins spécifiques des différentes spécialités ou des programmes-clientèles ; il a progressé en silo, sans trop d’uniformisation, sans alignement sur une vision de continuum. Il s’agissait de corriger le tir avec le nouveau modèle.

Liens avec la gouvernance médico-administrative : Il s’agit d’établir le lien entre les programmes-clientèles afin de s’assurer d’une vision transversale dans le but, ultimement, de maintenir ou d’améliorer la chaîne de valeurs en fonction de la trajectoire patient. Le projet de développement du plan d’intervention clinique est subdivisé en plusieurs sous-projets pour différents secteurs qui exigent la coordination entre les équipes cliniques (incluant médecins et autres professionnels), et les services d’informatique. De plus, le plan implique le partage des systèmes développés à un niveau régional – une complexité de plus. Plusieurs médecins (incluant cogestionnaires de programmes clientèles et des médecins à des niveaux plus opérationnels) doivent en principe s’impliquer dans le projet.

Déroulement et résultats : La coordination du projet s’est fait grâce à la collaboration entre un professionnel (non médecin) de la DISC et un professionnel de la direction des ressources informatiques et techniques. Depuis la relance du projet à l’automne 2012 (suivant le

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remplacement d’un des responsables), des sous-projets ont été développés. Différents comités ont été mobilisés : un comité directeur qui inclue un directeur médical de programme et d’autres directeurs administratifs et des codirecteurs de la DISC; « un comité d’architecture » qui comprend deux médecins ainsi que d’autres professionnels pour discuter de la forme macroscopique du PIC; des comités opérationnels pour chaque sous-projet impliquant aussi des médecins. La participation des chefs de programme médicaux n’a pas été centrale par ailleurs: « Moi les tandems, je ne les vois pas. (…) Le travail est beaucoup plus avec le chef clinico qui lui va faire le lien avec son tandem [cogestionnaire] médical. »

Appréciation : Ce dossier a suscité une implication médicale significative. Il s’agit d’un bon exemple de travail en partenariat médico-administratif. Malgré tout, les chefs médicaux des programmes-clientèles ne semblent pas être au premier plan dans ce processus puisque le travail se fait beaucoup plus à un niveau opérationnel, et avec les chefs clinico-administratifs.

9.1.3. Dossier « opérationnel » : Résolution de problèmes reliés à la violence à l’urgence

Enjeu : Les employés à l’urgence subissent de plus en plus de violence de la part de la clientèle.

Liens avec la gouvernance médico-administrative : Il y a une préoccupation de résoudre ce problème en travaillant en partenariat :

«C’est important que médecins et gestionnaires s’assoient ensemble pour trouver des solutions. (...) On entend souvent d’un côté que ce sont les cliniciens qui ne gèrent pas bien ce genre crises, on les accuse même de les susciter par leur attitude. Puis de l’autre côté, il y a des gens sur le terrain, médecins, infirmières et préposés qui disent qu’on ne leur donne pas l’environnement et les ressources nécessaires.»

Déroulement et résultats : Un comité de travail a été créé sous la responsabilité d’une représentante DRHE. Le comité a produit un plan d’action qui a été suivi. Cela comprenait la création de sous-groupes de travail, dont un sur la formation du personnel et un autre sur la conception d’un algorithme d’intervention. Ce sous-comité regroupait entre autres deux médecins (dont l’un des cogestionnaires du programme médecine générale et urgence), un chef du service de l’urgence, une infirmière, un représentant de la sécurité, une représentante de la DRHE et la Directrice de la qualité, de la planification, de l’évaluation et de la performance (DQPEP). La contribution des médecins est jugée très importante dans ce processus.

Appréciation : Pour les participants, ce dossier constitue un exemple d’un travail interdisciplinaire et transversal réussi. Par la suite, les programmes de médecine générale et urgence et de santé mentale ont amorcé une collaboration pour développer un algorithme concernant les flux de patients entre l’urgence générale et l’urgence psychiatrique.

9.1.4. Résumé : Gouvernance médico-administrative et dossiers traceurs au CH Universitaire

Les trois dossiers traceurs choisis par le CH Universitaire montrent que le partenariat médico-administratif s’est très bien établi dans cette organisation à différents niveaux et qu’il donne des résultats intéressants. Par contre, le rôle particulier des cogestionnaires de programmes-clientèles (piste 1 de l’AQESSS) et l’impact de la participation des médecins cogestionnaires aux

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comités de niveau stratégique (pistes 2 et 3 de l’AQESSS) ne transparaît pas nécessairement de façon marquée dans le déroulement de ces dossiers en particulier.

La valeur potentielle de la cogestion et de la participation des cogestionnaires aux comités nous est apparue plus évidente lors de la discussion de différents dossiers au CEIP entre l’ensemble des chefs de programme. Entre autres, l’évaluation du dossier du robot Da Vinci réalisé par les deux cogestionnaires du programme de soins chirurgicaux en utilisant la « carte de performance » et la discussion en comité qui en a suivi a montré comment un outil formel pouvait permettre de rehausser le niveau de la discussion, et faire participer à la fois les parties médicales et clinico-administratifs à la prise de décision stratégique.

9.2. Les dossiers traceurs au CSSS Semi-rural

9.2.1. Dossier « stratégique » : Développement d’une approche adaptée pour la personne âgée à l’urgence et en médecine général

Enjeu : Il s’agit de mettre en place une approche adaptée pour la personne âgée inspirée d’un cadre de référence fourni par le ministère de la santé et des services sociaux.

Liens avec la gouvernance médico-administrative : Deux programmes-clientèles (le programme de santé physique et le programme de perte d’autonomie liée au vieillissement) sont impliqués dans le lancement de l’approche, ce qui exige une certaine coordination transversale. L’appui des médecins au projet est perçu comme important.

Déroulement et résultats : Un « comité stratégique » regroupant les deux tandems de cogestionnaires a été créé pour suivre ce dossier qui a par la suite été transféré au comité de direction clinique. Deux comités opérationnels assurent la conception et la mise en oeuvre de la démarche. La participation de la directrice médicale du programme de santé physique (également chef de service de la médecine hospitalière) a été perçue comme très aidante :

« Souvent par le passé, si on voulait implanter un changement, les médecins n’étaient pas mis à partie. À ce moment-là les intervenants allaient voir les médecins, disaient « voyons donc, cela n’a pas d’allure, ta ta ta ta ta » - donc, là le médecin prenait souvent la part de l’intervenant qui était réfractaire au changement et c'était difficile à faire passer. (…) Maintenant, le gros avantage c'est qu'ils sont partie prenante des décisions. Et [la directrice médicale] c'est un vendeur, c'est clair qu'elle a une crédibilité auprès de ses pairs, puis elle est capable de [les mobiliser]. »

Le dossier a aussi fait l’objet de discussions lors d’une séance animée par un consultant au comité de pilotage pour illustrer les enjeux d’un fonctionnement en cogestion. La participation de la directrice médicale a été moins intense en 2013 compte tenu d’un congé de maternité, mais elle a été remplacée sur les comités par un autre médecin. On note que l’engagement médical dans le dossier est toujours positif : « C’est sûr que – incluant pour l’approche adaptée – cela évolue l’implication médicale…».

Appréciation : Dans l’organisation, ce dossier est cité en modèle des bénéfices réalisables par une approche de cogestion médico-administrative au niveau clinique. Sa dimension dite « stratégique » semble un peu moins évidente.

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9.2.2. Dossier « tactique » : Organisation du travail en médecine et démarche d’amélioration du climat de travail

Enjeu : Le chef de service de médecine hospitalière (également directrice médicale du programme de santé physique) et son cogestionnaire (le chef de l’unité de médecine) ont constaté qu’il serait difficile d’implanter l’approche adaptée de la personne âgée sans un rehaussement de la qualité de l’environnement de travail sur l’unité de médecine : « Ce qu'on s'est rendu compte, c'est qu'on irait jamais plus loin dans l’approche adapté à la personne âgée si on ne changeait pas, s'il n’y avait pas quelque chose qui se passait sur le département de médecine. Parce que la qualité était grandement déficiente. Je ne parle pas juste de la qualité aux patients; je parle de la qualité des relations de travail entre les infirmières. »

Liens avec la gouvernance médico-administrative : Le dossier a été mené en cogestion par le chef de service de médecine hospitalière et le chef de l’unité de médecine. Il s’agit donc d’une démarche réalisée en partenariat au niveau des services.

Déroulement et résultats : Les cogestionnaires ont convaincue la direction d’investir dans une démarche Kaizen pour améliorer la qualité sur l’unité de médecine. Cette démarche a eu lieu en 2013 avec le concours d’une ressource externe. Compte tenu de son congé de maternité, la directrice médicale a été remplacée sur le comité par un autre médecin. Le dossier de l’approche à la personne âgée a été intégré au comité sur la réorganisation en médecine.

Appreciation : Encore une fois, il s’agit d’un dossier cité en exemple d’une réussite de la cogestion médico-administrative au niveau clinique. De multiples initiatives pour régler les problèmes sur l’unité avaient échoué par le passé mais sans intégrer les perspectives médicales avec les perspectives des autres professionnels. Le diagnostic de la directrice médicale est la suivante : « Si tu n’as pas les deux côtés, les deux paons qui travaillent ensemble, bien ça ne peut pas fonctionner. » Il faut noter que ce dossier-ci et celui qui précède sont intimement liés et impliquent les mêmes personnes clés. Ce tandem est perçu comme particulièrement efficace dans ses interventions.

9.2.3. Dossier « opérationnel » : Optimisation du bloc opératoire

Enjeu : Face à des problèmes perçus au bloc opératoire, un « comité du bloc » a été créé. On souhaite mobiliser ce comité pour améliorer la performance du bloc (« on veut voir vraiment l’impact de ce comité-là sur la performance et sur l’organisation au sein du bloc, et l’amélioration de la qualité et de la sécurité au sein du bloc. »)

Lien avec la gouvernance médico-administrative : Le comité de pilotage a proposé l’optimisation du bloc opératoire comme première démarche pour l’équipe de cogestion au bloc opératoire entre le chef du module chirurgie et le chef de département de chirurgie.

Déroulement et résultats : L’exécutif du bloc opératoire a siégé et les cogestionnaires ont suivi des sessions de mentorat, mais le climat des relations entre la direction et les chirurgiens n’a jamais été propice à une véritable démarche d’optimisation. Entre autres, l’annonce de l’arrivée de nouveaux spécialistes au département a été très mal reçue par les chirurgiens et a perturbé

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les possibilités de collaboration. La directrice médicale de la santé physique a été impliquée dans les tentatives de travail collaboratif. Cependant, les discussions avec les chirurgiens ont souvent passé plutôt par le directeur des services professionnels. Le remplacement du chef du module chirurgie a permis d’améliorer les relations. Cependant au moment de terminer le projet, les tensions entre la direction et les membres du département de chirurgie persistaient.

Appréciation : À l’opposé du dossier précédent, celui-ci montre les difficultés qui peuvent survenir dans une situation où pour différentes raisons (ici, un désaccord fondamental sur une question d’importance pour les médecins), il existe un manque de confiance important entre les cogestionnaires et/ou entre la direction et les médecins du secteur. Le dossier fournit également un exemple des complexités entourant le partage des rôles entre le chef de département clinique, le directeur médical et le directeur des services professionnels.

9.2.3 Dossier « stratégique » supplémentaire : La planification stratégique

Étant donné le peu de progrès dans le dossier de la chirurgie à cause d’un contexte difficile, et étant donné le caractère peu « stratégique » des dossiers traceurs originellement choisis, nous avons convenu d’ajouter un dossier supplémentaire au temps 2 : celui de la planification stratégique de l’établissement.

Enjeu : L’établissement souhaite renouveler son plan stratégique pour les années 2012-2015. Il y a eu des critiques concernant le niveau de participation des médecins dans le plan précédent.

Lien avec la gouvernance médico-administrative : On souhaite que les directeurs médicaux prennent part au processus de planification stratégique pour refléter la perspective médicale au sein de leur programme : « Prochainement, on s’en va dans une démarche de planification stratégique. Pour moi, ça serait que les directeurs médicaux, vraiment, soient partie prenante, comme les directeurs le seront dans le remue-méninge. (…) Il y a de la continuité pour eux dans le rôle qu’ils assument auprès de leurs pairs et tout ça. »

Déroulement et résultats : Malgré la volonté de la direction d’impliquer les médecins dans la démarche de planification stratégique et les efforts dans ce sens, le déroulement du processus de planification stratégique a rencontré des difficultés à deux niveaux. D’une part, pour des raisons différentes (congé de maternité; vacances; absence), aucun des trois directeurs médicaux n’a pu participer aux réunions critiques où les orientations stratégiques ont été développées en équipe de direction, même s’ils ont eu connaissance du contenu par la suite et qu’ils l’ont approuvé. D’autre part, même si la direction a organisé plusieurs rencontres (focus groups) pour permettre aux médecins de l’établissement de donner leurs avis sur les orientations stratégiques, ces réunions (que nous avons observé à quatre reprises) ont été surtout marquées par des critiques et revendications envers la direction: « J’ai constaté que le monde est venu ventiler. (…) Tout le monde a parlé plus pour soi-même que pour l’organisation. »

Appréciation : Le processus de planification stratégique a permis aux médecins de l’établissement de donner leur opinion sur les orientations stratégiques. Cependant, cela n’a pas nécessairement suscité le degré d’adhésion souhaité. Le processus de consultation a révélé

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plutôt un certain écart de confiance entre les médecins et la direction dans des secteurs spécifiques. La faible participation et implication des directeurs médicaux dans la démarche aux moments critiques est également une source de déception étant donné un des buts de la gouvernance médico-administrative : c’est-à-dire de promouvoir le leadership médical via la participation dans des décisions stratégiques.

9.2.4. Résumé : Gouvernance médico-administrative et dossiers traceurs au CSSS Semi-rural

Les deux premiers dossiers traceurs analysés au CSSS Semi-rural montrent la grande valeur ajoutée de la cogestion dans les situations où il est possible d’établir une forme de complicité et de confiance entre les cogestionnaires médicaux et clinico-administratifs. En contrepartie, le troisième dossier révèle les difficultés qui peuvent émerger lorsque cette confiance est absente. L’analyse du dossier de la planification stratégique confirme l’importance des relations de confiance. En même temps, elle suggère un besoin d’adapter les approches de planification stratégique pour donner plus de place aux tandems de cogestionnaires (et notamment les directeurs médicaux) si on souhaite réellement faire valoir le partenariat médico-administratif. Dans le cas de cette organisation, les raisons derrière l’absence des directeurs médicaux étaient compréhensibles. Cependant, cela révèle également la nécessité de trouver des façons de mieux gérer le temps des médecins cogestionnaires pour qu’ils puissent contribuer au maximum là où leur valeur au niveau de la gestion stratégique serait la plus nécessaire.

9.3. Les dossiers traceurs au CSSS de 1ière ligne

9.3.1. Dossier « stratégique » : Développement d’un Institut universitaire centré sur l’enseignement et la recherche en première ligne

Enjeu : Le CSSS est déjà un centre affilié universitaire (depuis 1998), mais la création d’un institut de première ligne viendrait consacrer sa mission d’enseignement et de recherche, en favorisant : (a) le transfert de connaissance et la recherche en contexte de services de première ligne; (b) l’intégration du volet social et du volet santé.

Liens avec la gouvernance médico-administrative : Puisqu’une mission universitaire repose beaucoup sur les forces vives en enseignement et en recherche à l’intérieur de l’établissement, il est important de mobiliser tout particulièrement des médecins professeurs et chercheurs (dont par exemple des médecins œuvrant dans les unités de médecine familiale) : «La participation de nos médecins ça devient fondamental pour leur contribution à une vision de l’établissement qui n’est pas basée sur de vieilles prémisses.»

Déroulement et résultats : L’établissement a créé une direction de l’enseignement médical aux côtés d’une direction scientifique de la recherche (préexistante) assurant le lien avec le milieu universitaire (quatre facultés : médecine, sciences infirmières, pharmacie et sciences sociales). Une politique de l’enseignement et une politique institutionnelle de recherche ont été développées et l’établissement a préparé une demande formelle pour la reconnaissance comme institut universitaire de 1ière ligne. En parallèle, pour rehausser la visibilité du volet universitaire, l’établissement a modifié sa structure organisationnelle à la fin de 2013 pour que les quatre UMF relèvent du directeur de l’enseignement sous la direction générale plutôt que

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sous la direction des services de santé généraux. Le travail pour préparer la demande d’Institut universitaire a été développé par la direction de l’enseignement et la DGAAUSP, sans nécessairement une grande participation des autres médecins de l’établissement. Bien que la nouvelle structure donne clairement plus de place aux UMF, la réception du projet de l’Institut est mixte : certaines craintes sont exprimées de devoir assumer plus de responsabilités sans les ressources pour les accompagner. Une consultation médicale plus large est prévue dans l’avenir.

Appréciation : Il s’agit d’un projet mené clairement par le DGAAUSP en collaboration avec un gestionnaire des services professionnels non médical relevant de la DGAAUSP. Cependant, le rôle de la gouvernance médico-administrative à d’autres niveaux semble limité.

9.3.2. Dossier « tactique » : L’offre de service en SAPA (soutien à l’autonomie des personnes âgées)

Enjeu : L’ensemble de l’offre de service en SAPA couvre les trois secteurs suivants : services gériatriques spécialisés, hébergement et soutien à domicile (SAD). On souhaite trouver des mécanismes de collaboration et de conciliation entre les trois secteurs, ainsi que développer la collaboration avec d’autres établissements de la région.

Liens avec la gouvernance médico-administrative : Il y aurait un enjeu très clair de gouvernance médico-administrative puisque la création d’une forme d’instance transversale entre les secteurs impliquerait la participation de trois médecins et de trois gestionnaires et des liens à construire entre les trois directions (soins à domicile, services de santé généraux et hébergement) et deux départements cliniques (gériatrie et médecine communautaire)

Déroulement et résultats : Il y a eu des discussions très préliminaires, mais peu de suites à cause soit d’un manque d’intérêt ou des préoccupations budgétaires. Néanmoins, à la direction du SAD, on note : « Je suis en train de piloter une révision, je vous dirais, des rôles, des fonctionnements en service social - nous, SAD, avec l’hébergement et les services gériatriques (…) C’est le même client qu’on se partage, qui passe partout. Alors on est en train de faire une expérience (…) si on fait un succès, on va continuer avec d’autres professions. » Par contre, il n’y a pas eu de rencontre des tandems de gestionnaires et de médecins pour discuter de ce sujet.

Appréciation : Le traitement de cette problématique de transversalité entre différents secteurs autour des personnes âgées aurait pu bénéficier d’une implication médico-administrative, mais cela ne semblait pas finalement être une priorité pour l’établissement.

9.3.3. Dossier « opérationnel » : Les ordonnances collectives

Enjeu : Le processus de formalisation des ordonnances collectives prend trop de temps: «Un dossier d’ordonnance collective, actuellement [hiver 2012] c’est traité de façon segmentée ou par composante; tout le monde fait bien son travail, mais le résultat systémique, c’est que ça prend deux ans à faire cheminer.» En particulier, l’approbation des ordonnances collectives par le CMDP semble exiger de multiples allers-retours pour des corrections.

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Liens avec la gouvernance médico-administrative : Il s’agit d’une problématique qui exige la collaboration interprofessionnelle entre médecins, infirmières, pharmaciens et autres professionnels. Il semble évident alors qu’une collaboration entre les différents responsables en amont de l’approbation finale par les instances officielles (ex. CMDP) devrait permettre de l’accélérer et de légitimer le processus.

« Normalement les ordonnances collectives vont se développer maintenant, en collaboration sur le terrain entre les deux cogestionnaires. Par exemple, si au soutien à domicile, ils veulent une ordonnance collective sur tel sujet, ça va se parler entre la direction et le médecin, ça va être validé aussi avec le chef de département.»

Déroulement et résultats : Le comité des ordonnances collectives (regroupant médecins, infirmières et pharmaciens avec la direction des soins infirmiers et le directeur de l’enseignement médical) a développé une nouvelle « trajectoire » qui exige la consultation et la signature préalable de la demande d’ordonnance collective par le chef de département clinique avant le dépôt au comité des ordonnances collectives et l’approbation éventuelle par l’Exécutif du CMDP. La trajectoire se met en place. Cependant, il reste toujours quelques délais occasionnés par des corrections au niveau du CMDP. On tente de résoudre les problèmes en s’assurant des dépôts de dossiers précoces et une consultation préalable.

Appreciation : Le processus de développement des ordonnances collectives se clarifie avec le temps, même s’il reste certaines tensions entre le comité et l’Exécutif du CMDP. On note une collaboration des cogestionnaires dans certains secteurs mais moins dans d’autres.

9.3.4. Résumé : Gouvernance médico-administrative et dossiers traceurs au CSSS de 1ière ligne

Deux des trois dossiers traceurs analysés au CSSS de 1ière ligne montrent un certain progrès. Le troisième (concernant le SAPA) n’a pas donné de résultats. Pour les deux premiers dossiers, le partenariat médico-administratif a contribué certainement à leur avancement, bien que le rôle des cogestionnaires de programme comme tel ne transparaisse pas. Il s’agit plutôt de collaboration à d’autres niveaux.

9.4. Les dossiers traceurs : Synthèse et implications

Dans l’ensemble, l’analyse des dossiers traceurs dans les trois établissements montre les défis associés à la valorisation des pistes de partenariat médico-administratif, et ce dans tous les établissements. Même si certains dossiers représentent des réussites claires, dans plusieurs autres dossiers vus préalablement comme pouvant révéler les bénéfices de telles formes de partenariat, les attentes concernant la contribution des tandems de cogestionnaires n’ont pas été atteintes. Cependant, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de collaboration médicale. On voit bien que le partenariat médico-administratif n’est pas restreint à la cogestion, et passe par des voies multiples comme dans plusieurs des dossiers présentés. Toutefois, il est décevant de voir que les pistes de partenariat explicitement proposés par l’AQESSS (dont la cogestion) n’ont pas joué un plus grand rôle, du moins pas directement.

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10. Bilan et perspectives

Dans les sections précédentes, nous avons décrit la façon dont les quatre établissements pilotes ont intégré les pistes de partenariat proposées par l’AQESSS au sein de leur organisation en examinant successivement les objectifs visés, les obstacles rencontrés, le processus de mise en œuvre, et les résultats obtenus en termes de participation médicale, de qualité des relations médico-administratives, des rôles assumés en contexte de cogestion, ainsi que des résultats organisationnels comme la vie des programmes, et l’intégration verticale et horizontale. Nous avons également examiné le déroulement des « dossiers traceurs » choisis par les organisations pour rendre compte de l’impact spécifique des pistes de partenariat sur leurs activités aux niveaux stratégiques, tactiques et opérationnelles.

Comme nous avons vu, les quatre organisations se situent à des stades différents de leur démarche d’intégration des pistes, avec une approche de partenariat très bien établie au CH Universitaire, un processus bien enclenché mais toujours en développement au CSSS Semi-rural, une mise en œuvre très récente au CSSS Régional, et une démarche essentiellement inachevée au CSSS de 1ière ligne. Les résultats obtenus à tous les niveaux reflètent ces stades de développement. Dans cette section, nous faisons le bilan de ces expériences, en examinant d’abord les gains et les perspectives à venir pour les quatre établissements pilotes. Par la suite, nous tentons de tirer des enseignements généraux de l’étude pour d’autres organisations qui souhaiteraient investir dans un effort d’amélioration du partenariat médico-administratif.

10.1. Gains pour les organisations et pour les acteurs

La mise en œuvre des pistes de partenariat au sein des établissements pilotes n’est pas un processus simple, et nous avons évoqué certains de ces défis dans les pages précédentes. Par ailleurs, il est important de souligner que l’évaluation globale des personnes rencontrées dans trois organisations sur quatre est plutôt positive. Aucune des trois ne souhaite l’abandonner, et même au CSSS de 1ière ligne, certains secteurs de service ont connu une expérience positive.

Au CH Universitaire, le partenariat fait partie des mœurs de l’organisation depuis longtemps. Nous avons trouvé peu de personnes qui n’y voyaient pas d’avantages. De plus, même si cette organisation a été choisie pour servir de point de repère et de comparaison avec les trois autres établissements, elle n’est pas restée sur place en matière de partenariat médico-administratif pendant la durée de l’étude. Au contraire, on note plusieurs avancées :

«Dans la dernière année c’est devenu pas mal plus clair [ce que ça apporte la cogestion et la participation des médecins en général]. (…) C’est une condition gagnante, on le voit, on est capable de le démontrer. (…) Un des gains que je trouve majeur, c’est un meilleur focus sur le

clinique» (Cadre supérieur)

Pour les cogestionnaires eux-mêmes, on note également une évaluation positive, à la fois du côté des cogestionnaires clinico-administratifs et médicaux :

«Moi, la cogestion, ça me permet d’aller plus loin avec l’ensemble des médecins, c’est un peu plus difficile quand on est seul gestionnaire.» (Cadre gestionnaire)

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«Quand t’es médecin et que tu fais tes choses, il y a juste ce que tu fais toi comme médecin qui va [compter]. Tandis que là, ça me donne vraiment une vision beaucoup plus globale là de tout le continuum de soins.» (Médecin gestionnaire)

Au CSSS Régional, la nouvelle gouvernance vient d’être lancée et nous avons vu que la réception auprès des médecins du CMDP reste prudente et mitigée à ce jour. Toutefois, à la fois les cadres supérieurs et les nouveaux directeurs médicaux expriment de l’optimisme pour l’avenir. Pour la direction, il s’agit d’une façon de changer la culture de gestion et de favoriser la cohésion et la confiance qui ont été cruellement manquantes dans les dernières années comme le démontrent les données que nous avons présentées auparavant :

«Du côté médical, on est en train de changer pour dire « ils ont un rôle à jouer, non seulement les chefs de département mais les médecins ont des responsabilités face à l’établissement et face à population. (…) La présence des directeurs médicaux, c’est ça qu’elle me facilite.» (Cadre supérieur)

«Je pense que je contribue, je pense que je vaux l’argent qu’ils dépensent pour me payer et je pense qu’à moyen terme, même court terme, ça va porter fruit cette histoire-là. Et moi je pense que si les médecins ne s’impliquent pas au niveau de l’administration un petit peu plus, c’est voué à l’inefficience.» (Médecin gestionnaire)

Au CSSS Semi-rural, l’engagement de la direction envers les pistes de partenariat et en particulier la cogestion est soutenu et significatif. Malgré certains revers liés à des secteurs particuliers comme la chirurgie et la psychiatrie, l’évaluation globale est positive chez les cadres supérieurs et les directeurs eux-mêmes qui y voient une façon d’assurer à long terme l’amélioration de la qualité des relations médico-administratives:

«La plus-value que je vois dans la cogestion, ça a été au niveau terrain, je dis toujours horizontal, vertical. Mais je pense le vertical quand même, c’est un point gagnant » (Cadre supérieur)

«Pour [ce dossier], c’est comme développer un nouveau service, (…) et je trouve ça vraiment précieux d’avoir un cogestionnaire médical pour discuter de ces questions-là.» (Cadre gestionnaire).

Finalement, même au CSSS de 1ière ligne où la mise en place des pistes de partenariat a été très limitée à l’échelle de l’organisation, les bénéfices de la cogestion ont été remarqués, surtout dans certains secteurs d’UMF.

«Ce que ça a donné la cogestion pour les médecins, c’est que ça les a rendu plus sensibles à la réalité du financement d’un établissement comme le nôtre.» (Cadre supérieur)

«Ce qui a changé beaucoup avec la cogestion, c’est toute l’implication au niveau régional, avant on n’était pas invités aux tribunes, mettons à l’Agence, aux différents comités. (…) À l’interne, ça a légitimé encore plus notre rôle, auprès des gens (…) [et dans mon secteur], il n’y a pas de décision qui est prise sans qu’on soit consulté.» (Médecin gestionnaire)

En somme, les objectifs visés par les pistes de partenariat restent de l’actualité, et les expériences des établissements pilotes suggèrent que les efforts dans ce sens peuvent donner des résultats porteurs. Cependant, les efforts ne s’arrêtent pas là, et doivent se poursuivre.

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10.2. Perspectives d’avenir

Comme nous l’avons remarqué ci-dessus, même des organisations qui ont, comme le CH Universitaire, une tradition bien établie de partenariat sentent l’obligation de faire évoluer leurs modes de gouvernance avec le temps. Un des constats importants de cette étude est que la mise en place des pistes de partenariat est un processus de longue haleine qui requiert nécessairement des ajustements en continu. Dans ce qui suit, nous mettons en lumière les perspectives d’avenir dans les quatre établissements incluant les réaménagements éventuels des modes de gouvernance.

Pour le CH Universitaire, le succès et l’influence grandissante du comité exécutif inter-programme (CEIP) comme instance de gouvernance a suscité des interrogations sérieuses concernant son agencement avec le comité de direction. Plusieurs personnes nous ont indiqué le besoin de repenser le rôle et la participation aux différents comités dans un avenir rapproché. De plus, le développement d’un système de gestion de la performance au niveau du comité de direction suscite un besoin d’identification des trajectoires patients qui pourrait amener une certaine restructuration des programmes-clientèles et une révision de leurs mécanismes de gouvernance médico-administratives :

« Alors le comité de direction, c’est certain qu’au cours de l’année 13-14 il va devoir évoluer. (…) C’est un impact direct de l’introduction dans le comité exécutif inter-programme d’une responsabilisation accrue entre le clinico et le médico. Et avec l’ensemble des directions de l’hôpital, on a évolué dans un modèle où on vise l’amélioration de la trajectoire patient, où on vise que chaque direction contribue à cette amélioration-là de la trajectoire patient. Encore là, (..) on est en réflexion » (Cadre supérieur).

Bien sûr, pour le CSSS Régional, il reste beaucoup à faire. Les tandems de codirecteurs de réseaux devront s’apprivoiser et clarifier leurs rôles mutuels. Le positionnement des directeurs médicaux par rapport aux chefs de département cliniques et par rapport au directeur des professionnels et affaires médicales reste aussi à clarifier. Il y aura possiblement des ajustements aux instances de gouvernance au niveau stratégique. Les pistes de partenariat sont en place. Il s’agit maintenant de les faire vivre pleinement. Au moment où on avait terminé la collecte de données, on notait la nécessité d’offrir plus d’encadrement et de coaching aux directeurs médicaux pour les aider à mieux assumer leurs rôles :

« Notre grande lacune, c’est clair que l’on n’accompagne pas suffisamment nos directeurs médicaux dans le coaching, dans de la formation. On travaille là-dessus [actuellement]. »

Au CSSS Semi-rural, au moment de terminer la collecte de données, aucun nouveau réaménagement de la gouvernance n’était prévu. Depuis l’ajout d’une variante au comité de direction clinique (le comité conjoint), le modèle semble maintenant être en place. Toutefois, suite au renouvellement de l’appui de la Fondation, on poursuit les initiatives d’encadrement et de coaching avec six mesures spécifiques : des ateliers d’intéressement à la gestion et au modèle de la cogestion; des ateliers thématiques pour des médecins jouant un rôle de leadership; des programmes de coaching et de codéveloppement pour les directeurs médicaux et clinico-administratifs; et un programme de consolidation de l’accueil et de l’intégration des

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nouveaux médecins au CSSS. On espère que ces démarches permettront de mieux intégrer la culture de partenariat médico-administratif au sein de l’établissement :

« On veut travailler pas juste le soutien à nos directeurs puis à nos dyades. On veut aller chercher plus les médecins aussi puis les soutenir, ne serait-ce que dans la présidence d’un comité, la participation à un comité de travail par une de nos six mesures. Mieux accueillir les médecins, déjà leur parler de notre univers de cogestion. Il faut les intéresser, dès qu’ils arrivent. Il faut les amener à comprendre dès qu’ils arrivent. Alors, il y a des efforts qui vont être faits de ce côté-là. »

Pour le CSSS de 1ère ligne, les intentions futures tournent autour du renforcement des secteurs spécifiques plutôt que la mise en place d’une stratégie de partenariat médico-administratif à l’intérieur de l’établissement. Entre autres, le secteur des UMF constitue un enjeu prioritaire dans le contexte du développement de la mission universitaire et du projet d’Institut de 1ère ligne («doit être le fer de lance de notre offre de service»). Les travaux de redéfinition de la gouverne de ce secteur ont été amorcés au temps 2 et concernent la structure de cogestion et les rôles des intervenants («tout est sur la table»). En même temps, le plan d’organisation a été modifié, et les UMF ont cessé de dépendre de la Directions des services généraux et sont maintenant rattachée à la Direction de l’enseignement médical et de la médecine familiale (nouvelle dénomination). En deuxième lieu, dans le secteur communautaire, la gouvernance devra être révisée à moyen terme en fonction de deux pôles: a) à l’interne, un regroupement médical sous la Direction des services de santé généraux; et b) «un noyau externe de support avec l’ensemble de nos GMF». En fait, la direction de cette organisation voit le potentiel de la collaboration médico-administrative à l’avenir plus en lien avec les réseaux de cliniques externes sur le territoire qu’à l’interne :

« Considérant la nature de l’organisation, qui est un important CSSS, mais sans structure hospitalière intégrée, (…) c’est sûr qu’une grande partie de l’offre de service de proximité médicale, médico-clinique, se donne à l’extérieur des murs de l’organisation. Donc ça repose forcément sur du partenariat dans un premier chef, du partenariat avec les autres établissements du réseau qui donne des services plus spécialisés, notamment les centres hospitaliers et aussi, dans une mesure encore plus grande, avec l’ensemble du réseau clinique »

En somme, les établissements qui mettent en œuvre les pistes de partenariat médico-administratifs se retrouvent toujours en apprentissage. Les ajustements de la gouvernance doivent se poursuivre, même chez les établissements qui ont une longueur d’avance.

10.3. Les constats généraux de la recherche : Synthèse et implications

La recherche a examiné le potentiel des pistes de partenariat proposées par l’AQESSS avec deux types de lunettes. D’une part, nous avons comparé trois établissements où le partenariat était en voie de développement avec une organisation dans laquelle le partenariat était déjà bien établi. D’autre part, nous avons suivi les quatre organisations pour deux années à mesure qu’elles développaient ou mettaient en œuvre leur démarche. Nous résumons ici les constats généraux importants qui en découlent.

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10.3.1. La nécessité de mesures de légitimation, d’encadrement et d’accompagnement pour appuyer les changements structurels Parmi les constats généraux les plus importants qui ressortent de l’étude, nous notons que les deux organisations qui : a) avaient les meilleures conditions de départ au niveau de la collaboration et l’engagement médical et b) avaient également investi tout au long de la recherche de façon plus concertée dans les mesures de légitimation, d’encadrement, et de coaching et formation ont obtenu de meilleurs résultats et ont réalisé plus de progrès à plusieurs niveaux au temps 2. On note l’importance pour les organisations de bien évaluer leur contexte, et ajuster leurs attentes et leurs interventions en fonction de leur situation; et avant tout, on note l’importance primordiale d’appuyer les changements structurels avec des démarches formelles et concertées visant à consolider leur impact. Comme les expériences du CSSS de 1ière ligne le démontrent, si la structure n’est pas appuyée de façon systématique par ce type de mesure, elle risque de laisser les principaux intéressés dans les situations de perplexité ou d’indifférence. Si les nominations de « cogestionnaires » ne sont pas suivies par des moyens pour structurer et intégrer leur rôle de façon sérieuse à l’intérieur de l’organisation, les effets peuvent même être négatifs pour les relations avec le corps médical. Il s’agit donc d’une initiative qui ne peut pas être prise à la légère. 10.3.2. Les facteurs institutionnels qui affectent la mise en œuvre des pistes Même si la recherche révèle des bénéfices potentiels des pistes de partenariat proposées par l’AQESSS, elle fait voir également une multitude de difficultés lors de leur mise en œuvre et actualisation. Certaines des difficultés sont tributaires des situations particulières des quatre organisations et cet aspect a fait l’objet d’une discussion élaborée à la Section 5 du présent rapport. D’autres, par contre, relèvent directement ou indirectement du contexte institutionnel plus général dans lesquels toutes les organisations de santé baignent. On réfère ici aux règlements et structures qui encadrent le fonctionnement des établissements de santé et de services sociaux. Avant de revenir sur l’action des établissements eux-mêmes, il est important de mentionner les facteurs importants. Premièrement, le mode de rémunération des médecins et leur statut de travailleur autonome influencent, bien sûr, la capacité de susciter de l’engagement organisationnel et limite le temps que les médecins dans les postes de cogestionnaires médicaux de programme-clientèle peuvent, de façon réaliste, consacrer à la gestion. Trois des quatre organisations ont trouvé des solutions à ce problème en offrant une forme de rémunération pour les heures consacrées à la gestion, mais la disponibilité de temps reste une contrainte importante. Deuxièmement, la loi reconnaît les rôles de chefs de département clinique, de directeur des services professionnels et du conseil des médecins, dentistes et pharmaciens, mais ne reconnaît pas les directeurs médicaux de programme. La structure par programme se superpose donc par dessus la structure départementale, et la légitimité du cogestionnaire médical de programme ainsi que son positionnement par rapport aux autres acteurs médicaux restent souvent ambiguë et à construire par rapport aux autres rôles. Cette situation rend nécessairement plus

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complexe la mise en œuvre des pistes de partenariat, et ne facilite pas toujours l’adaptation. Le CH Universitaire a choisi par ailleurs de fusionner les rôles de directeur médical de programme et de chef de département dans plusieurs cas, mais cela crée d’autres ambiguïtés et ce n’est pas une solution réaliste dans le cas des autres établissements où les programmes regroupent plusieurs départements. Les contraintes institutionnelles ne semblent pas être appelées à changer dans un avenir rapproché, mais il est important de reconnaître leur importance si on souhaite promouvoir des formes de partenariat médico-administratif fondés sur les pistes proposées par l’AQESSS à une échelle plus large. 10.3.3. L’importance des facteurs culturels dans la mise en œuvre des pistes de partenariat

Les données nous montrent que la mise en œuvre des pistes de partenariat appelle une transformation culturelle autant que structurelle. Cette transformation exige non seulement un changement de comportements chez les cogestionnaires médicaux qui acceptent de relever le défi de telles fonctions mais également un changement de comportements de tous les acteurs qui les entourent en commençant par les cogestionnaires clinico-administratifs et les autres cadres supérieurs, et tout particulièrement les directeurs des services professionnels. Comme nous l’avons mentionné à la Section 5, les DSP peuvent très facilement miner sans le vouloir la crédibilité et la portée de l’action des cogestionnaires médicaux, et nous en avons recueilli des exemples dans tous les établissements. Cela revient à l’idée de la nécessité d’encadrer la démarche de mise en œuvre non seulement pour les nouveaux acteurs mais aussi pour les autres membres du comité de direction. 10.3.4. Le partenariat médico-administratif au-delà des pistes Les données tirées de l’étude nous montrent également que différentes formes de partenariat médico-administratif sont bien présentes dans les organisations à des degrés divers, mais ils ne s’incarnent pas toujours dans les pistes proposées par l’AQESSS. Par exemple, nous voyons que les médecins participent souvent à la gestion directement ou indirectement à des niveaux opérationnels (ex. comme chefs de service médicaux en cogestion ou pas). De plus, différents comités sollicitent leur participation (comités autour du PIC au CH Universitaire, et le comité des ordonnances collectives au CSSS de 1ière ligne). Finalement, la collaboration médico-administrative au niveau plus stratégique peut passer par des consultations plus informelles et par des rencontres élargies comme celles utilisées par le CSSS Semi-rural pour concevoir leur plan stratégique. Bien sûr, les pistes proposées par l’AQESSS systématisent le partenariat de façon plus formelle, mais dans bien des cas, les autres voies identifiées resteront essentielles. 10.3.5. Vers de nouvelles pistes de partenariat médico-administratif : Un cheminement continu plutôt qu’une cible achevée En terminant, nous voudrions souligner un point central qui transparaît à travers l’ensemble de ce rapport. Les pistes de partenariat proposées représentent un dispositif structurel qui s’insère

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dans un contexte caractérisé par de multiples autres éléments importants (ex. les contraintes institutionnelles, les incitatifs en place, la culture organisationnelle, etc.) qui marquent nécessairement le processus de construction de la gouvernance médico-administrative qu’on le veuille ou non. Tout projet de ce genre doit rendre compte du nécessaire processus d’ajustement et d’évolution dans le temps. Les établissements étudiés se situent à différents endroits sur le chemin, mais même les plus avancés sont toujours en cheminement : dans le meilleur des mondes, les avancées et les revers rencontrés en chemin formeront la base des apprentissages et des ajustements futurs, et cela ne peut en être autrement.

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ANNEXE 1 : Échelles de mesure Cette annexe fait état des cinq échelles utilisées dans ce rapport pour rendre compte des résultats du sondage. A. Échelle : « Identification à l’établissement » L’échelle est composée de la moyenne des 7 items ci-dessous mesurés sur une échelle de 1 à 7 (1= totalement en désaccord; 7 = totalement en accord); Cronbach alpha = 0,905 1. Lorsque quelqu'un critique [cet établissement], je le reçois comme une insulte personnelle 2. Je suis très intéressé par ce que les autres pensent [de cet établissement] 3. Lorsque je parle [de cet établissement], je dis habituellement «nous» plutôt que «ils» 4. Les réussites de [cet établissement] sont aussi les miennes 5. Lorsque que quelqu'un louange [cet établissement], je le reçois comme un compliment personnel 6. J'agis habituellement comme un membre à part entière de [cet établissement] 7. Si une histoire rapportée dans les media devait critiquer [cet établissement], je serais embarrassé

B. Échelle : « Volonté de participation » L’échelle est composée de la moyenne des 5 items ci-dessous mesurés sur une échelle de 1 à 7 (1= totalement en désaccord; 7 = totalement en accord); Cronbach alpha = 0,829 1. Je suis prêt à mettre des efforts au delà de ce qui est normalement attendu afin de contribuer au succès de

[cet établissement] 2. Je participe volontiers à des comités afin d’améliorer la gestion [de cet établissement] 3. Je participe volontiers à des comités afin d’améliorer les services médicaux [de cet établissement] 4. Lorsque j’en ai l’occasion, je participe volontiers à des comités afin de renforcer la viabilité financière [de cet

établissement] 5. Je me sens très concerné par le succès à long terme [de cet établissement]

C : Échelle : « Qualité des relations médico-administratives » L’échelle est composée de la moyenne des 25 items ci-dessous mesurés sur une échelle de 1 à 7 (1= totalement en désaccord; 7 = totalement en accord); Cronbach alpha = 0,964 1. La communication entre les médecins et l'administration se fait ouvertement et sans restriction 2. Les canaux de communication informels entre les médecins et l'administration sont largement utilisés 3. Les canaux de communication formels (comités, groupes de travail, CA de l'établissement) sont largement

utilisés 4. II y a un haut niveau de confiance et de coopération entre le corps médical et l'administration de

l'établissement 5. L'administration de l’établissement est généralement réceptive aux demandes des médecins pour le soutien

en personnel 6. Les conflits entre les médecins et l'administration sont généralement traités de manière constructive 7. Le partage du pouvoir et de l'influence entre les membres du CA, l'administration de l'établissement et le

corps médical est approprié 8. L'administration et les médecins sont fondamentalement en accord sur les objectifs globaux de rétablissement 9. Les médecins et les gestionnaires de rétablissement travaillent en équipe de manière efficace 10. L'attitude des gestionnaires de rétablissement envers les médecins peut être décrite comme aidante et

transparente 11. L'administration de rétablissement est animée davantage par les priorités cliniques que financières

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12. Gestionnaires et médecins partagent la même préoccupation pour les besoins des patients 13. Les médecins considèrent la prise de décision administrative comme équitable 14. Les médecins appuient généralement les décisions prises par les gestionnaires 15. L'amélioration continue de la qualité se fait grâce au partenariat et au travail d'équipe 16. Les gestionnaires ont confiance dans le leadership clinique 17. Les médecins ont confiance dans le leadership administratif 18. Les médecins s'impliquent trop peu dans la gestion et la gouvernance de cet établissement 19. L'administration de cet établissement démontre beaucoup de respect envers les médecins et leurs opinions 20. L'administration considère les médecins comme partenaires dans le développement et la viabilité future de

cet établissement 21. Les médecins considèrent l'administration comme partenaire à part égale dans le développement et la

viabilité future de leurs pratiques 22. Cet établissement laisse aux médecins suffisamment d'autonomie pour qu'ils exercent la médecine de

manière efficace 23. L'administration de cet établissement partage les informations financières pertinentes avec les médecins 24. Les gestionnaires de cet établissement sont convaincus de ce qu'ils disent et disent ce qu'ils pensent 25. Cet établissement bénéficie d'un leadership médical fort

D : Échelle : « Influence des médecins sur les dossiers stratégiques » L’échelle est composée de la moyenne des 6 items ci-dessous mesurés sur une échelle de 1 à 7 (1= aucune influence des médecins; 7 = influence totale des médecins); Cronbach alpha = 0,847 1. Grands projets d’investissement 2. Décisions du Conseil d^administration 3. Objectifs stratégiques à long terme 4. Développement de programmes cliniques 5. Élaboration de politiques et gouvernance 6. Ententes de gestion avec d’autres établissements de santé ou cliniques médicales

E : Échelle : « Influence des médecins sur les dossiers opérationnels » L’échelle est composée de la moyenne des 6 items ci-dessous mesurés sur une échelle de 1 à 7 (1= aucune influence des médecins; 7 = influence totale des médecins); Cronbach alpha = 0,824 1. Politiques de contrôle des coûts 2. Gestion de la qualité ou amélioration continue de la qualité 3. Revue d’utilisation des ressources 4. Projets d’optimisation de type « lean » ou « six sigma » 5. Politiques de gestion des risques 6. Gestion opérationnelle au quotidien

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