valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en...

21
DOSSIER JOANNE HAMET Université de Bordeaux, IRGO, EA4190 ; IAE FRANTZ MAURER KEDGE Business School & Université de Bordeaux, IRGO, EA4190 Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en sciences de gestion Les auteurs mesurent dans cet article la diffusion dun des modèles nanciers les plus utilisés au sein de la communauté nancière, le modèle dévaluation des actifs nanciers (MEDAF). À partir du modèle de diffusion de Bass (1969), ils montrent que le MEDAF a mis près de 30 ans à être reconnu dans la presse managériale, alors quil sest diffusé rapidement dans le monde académique. Ce résultat suggère que la valorisation de la recherche comporte une importante dimension temporelle. DOI: 10.3166/rfg.2019.00366 © 2019 Lavoisier

Upload: others

Post on 04-Jun-2020

4 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en ...rfg.lavoisier.edpsciences.org/articles/lvrfg/pdf/2019/07/rfg00366.pdf · DOSSIER JOANNE HAMET Université de Bordeaux, IRGO,

DOI: 10

DO S S I E R

JOANNE HAMETUniversité de Bordeaux, IRGO, EA4190 ; IAE

FRANTZ MAURER

KEDGE Business School & Université de Bordeaux,IRGO, EA4190

Valeur intrinsèque etvaleur temps de larecherche en sciencesde gestion

Les auteurs mesurent dans cet article la diffusion d’un desmodèles financiers les plus utilisés au sein de la communautéfinancière, lemodèle d’évaluation des actifs financiers (MEDAF).À partir dumodèle de diffusion de Bass (1969), ils montrent quele MEDAF a mis près de 30 ans à être reconnu dans la pressemanagériale, alors qu’il s’est diffusé rapidement dans le mondeacadémique. Ce résultat suggère que la valorisation de larecherche comporte une importante dimension temporelle.

.3166/rfg.2019.00366 © 2019 Lavoisier

Page 2: Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en ...rfg.lavoisier.edpsciences.org/articles/lvrfg/pdf/2019/07/rfg00366.pdf · DOSSIER JOANNE HAMET Université de Bordeaux, IRGO,

104 Revue française de gestion – N° 284/2019

“Advisors can create the best portfoliosin the world, but they won’t really matterif the clients don’t stay in them.”

(H. Markowitz cité par B. Clark, 2013).

Dans un contexte de ressourceslimitées pour le financement desactivités scientifiques, la question

de la valeur de la recherche devientprimordiale. Les notions de valeur et devalorisation sont cependant ambiguës, ettous les acteurs ne leur donnent pas la mêmeimportance, ni la même définition. Valoriserla recherche peut ainsi signifier la mettre envaleur, la diffuser par le biais de publica-tions auprès de différents publics ; mais celapeut également désigner la commercialisa-tion de la recherche par le biais d’activitésde conseil, d’entrepreneuriat, ou de brevets.La recherche en sciences de gestion, enparticulier, est née au service de l’ensei-gnement et de la pratique du management(Hatchuel, 2012). Sa diffusion au sein desmilieux d’affaires devrait donc être natu-relle. Pourtant, de nombreux chercheurs ensciences de gestion interrogent l’utilité ou lapertinence des travaux dans leur proprediscipline (on peut citer, de façon nonexhaustive, Porter et McKibbin, 1988 ;Hambrick, 1994 ; Bartunek, 2003 ; Rous-seau, 2006 ; Rynes et al., 2007 ; Bartunek etRynes, 2010).Tartari et Breschi (2012) rappellent que lacollaboration avec les milieux socio-écono-miques reste un choix discrétionnaire deschercheurs, même si les pressions dans lesens d’une collaboration accrue sont nom-breuses. L’indépendance des chercheurs, et

1. Selon la définition donnée de la valorisation par le Haut Consupérieur français : https://www.hceres.fr/fr/evaluation-des-e

la libre diffusion des résultats de larecherche publique, sont deux importantescaractéristiques des milieux scientifiques,qui peuvent agir comme des freins à lacommercialisation des travaux de recherche(Tartari et al., 2012 ; Vicari, 2013). Dans lecas particulier des chercheurs en entrepre-neuriat, St-Pierre et Reboud (2018) mon-trent que l’objectif de commercialisation desrésultats se situe loin derrière celui que larecherche ait un impact sur le travail despraticiens. Ce dernier objectif peut êtreconsidéré comme une valorisation symbo-lique des résultats, désignée par Perkmannet al. (2013) par l’expression « engagementacadémique ».Nicolai (2004) souligne que le rayonnementscientifique n’est pas une conséquencenaturelle de la recherche ; il implique, dela part du chercheur, de son unité derecherche ou de son université, ou encorede la revue dans laquelle il publie, un effortde valorisation, au sens « d’activités etd’initiatives susceptibles d’augmenter l’im-pact de la recherche sur l’environnementsocial, économique et culturel »1. Un autrephénomène pourrait alors expliquer la faiblevalorisation commerciale de la recherchedans certaines disciplines ; en effet, lessciences humaines et sociales (SHS) seprêtent peu aux brevets et concentrent peul’attention des services universitaires devalorisation de la recherche et de transfert detechnologies (Tartari et al., 2012), laissantlargement la valorisation de la recherche à lacharge des chercheurs eux-mêmes. Cettesituation pourrait conduire les chercheursen SHS à privilégier, davantage que dansd’autres disciplines, des formes de

seil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignementntites-de-recherche

Page 3: Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en ...rfg.lavoisier.edpsciences.org/articles/lvrfg/pdf/2019/07/rfg00366.pdf · DOSSIER JOANNE HAMET Université de Bordeaux, IRGO,

Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en gestion 105

valorisation non commerciales, parfoismêmes réduites à la diffusion des travauxau sein de la communauté scientifique.Cette préférence pour une valorisation de larecherche limitée au monde académique seretrouve dans l’évaluation des laboratoireset instituts de recherche, et des chercheurseux-mêmes. Bien que l’importance durayonnement au-delà de la sphère acadé-mique soit fréquemment mise en avant, lefinancement de la recherche reste indexéprincipalement sur le nombre et le niveaudes publications scientifiques (Guillon,2013). Les revues scientifiques prônent,certes, une attention à l’utilité managérialede la recherche, mais cette attention serésume fréquemment à une simple mentionformelle des « implications for practice »,sous forme de recommandations le plussouvent de nature conceptuelle ou symbo-lique, avec des mentions comme « êtreattentif à », « former », « apprendre »(Astley et Zammuto, 1992 ; Bartunek etRynes, 2010 ; Nicolai et Seidl, 2010). Lescritères de sélection des revues les plusrenommées ont même été soupçonnés d’êtreincompatibles avec l’utilité pratique de larecherche. Pour Barthélemy (2012), lafaible influence de la recherche en gestion,tant sur les pratiques des entreprises que surl’enseignement du management, viendraitainsi de sa domination par le critère derigueur scientifique, au détriment du critèred’utilité, alors que la pratique serait quant àelle régie par le bon sens, le « folkwisdom ». Les chercheurs seraient pour laplupart incapables de maintenir une ambi-dextrie (Markides, 2007) entre pertinence etrigueur scientifique, ou entre savoir et utilité(Laufer, 2007). Cette situation pousserait lesjeunes chercheurs à abandonner le critèred’utilité au profit du critère de rigueur

scientifique en début de carrière, un choixinverse s’effectuant par la suite ; et mêmelorsqu’un chercheur s’illustre à la fois dansle monde académique et dans l’universmanagérial, comme ce fut le cas de MichaëlPorter, la question se pose de savoir s’ilvalorise réellement ses apports scientifi-ques, ou s’il capitalise sur sa renomméepersonnelle dans un « tour de force schizo-phrénique » (Nicolai, 2004).Le risque que les exigences de scientificitéconduisent à produire que des articlespeu pertinents pour la pratique, rédigésdans un jargon peu accessible aux prati-ciens, ou se cantonnant, par souci d’or-thodoxie méthodologique, à ne traiter quede relations de causalité entre des variablesquantifiables, ne doit pas pour autantamener à négliger le risque opposé. Huff(2000) alerte ainsi l’Academy of Manage-ment sur le fait qu’« un enthousiasmeexcessif pour la pertinence immédiate desrecherches pourrait condamner les ensei-gnants-chercheurs à poursuivre des travauxcourt-termistes d’importance minusculeplutôt que de contribuer à l’évolution despratiques ».Par analogie avec un produit financier, unrésultat scientifique pourrait être valorisé (ausens cette fois d’évalué) comme une optionfinancière. Le résultat d’une recherche donneen effet l’opportunité, mais non l’obligation,de l’exploiter dans la prise de décision enentreprise. Sa valeur serait alors, par analogieavec la valorisation des options financières,dépendante de sa valeur intrinsèque (i.e. lacréation de valeur qu’il permettrait dansl’entreprise s’il était appliqué) et de sa valeurtemps (dépendant essentiellement de sadurée de validité et des aléas pesant sur savaleur). Reconnaître uniquement la valeurintrinsèque des produits de la recherche, en

Page 4: Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en ...rfg.lavoisier.edpsciences.org/articles/lvrfg/pdf/2019/07/rfg00366.pdf · DOSSIER JOANNE HAMET Université de Bordeaux, IRGO,

106 Revue française de gestion – N° 284/2019

ignorant la valeur temps, pourrait conduire àdévaloriser significativement la productionscientifique.Certaines découvertes significatives ensciences économiques ou en sciences degestion ont en effet mis un temps considé-rable à « percer », que ce soit au sein dumonde académique ou au sein des pratiquesmanagériales. Si on prend le cas de lafinance de marché, les travaux de LouisBachelier, qui a soutenu sa thèse demathématiques en 1900 à la Sorbonne sousla direction d’Henri Poincaré, aujourd’huiconsidérés comme les fondations desmathématiques financières, ont été sous-estimés pendant de nombreuses annéesavant d’être cités après la crise financièrede 1929, puis redécouverts dans les années1950, notamment par Jimmy Savage qui enfit part à Paul Samuelson. Ce dernier fut trèsinfluencé par Bachelier dans ses travaux surla dynamique des marchés, pour lesquels ilobtint le prix de la Banque de Suède enl’honneur d’Alfred Nobel en 19702. De lamême façon, les travaux d’Harry Marko-witz sur la diversification des portefeuilles,qui lui ont valu à son tour le prix de laBanque de Suède en 1990, n’ont été intégrésdans les pratiques des gérants de fonds queplusieurs dizaines d’années après leurpublication.Dans cet article, nous nous proposons demesurer le processus de diffusion d’unmodèle théorique dans la population, àpartir de ses citations dans la presse nonacadémique. Dans la première section, nousnous intéressons au mécanisme de l’appro-priation d’un modèle scientifique à la fois au

2. Des idées Capitales, P.L. Bernstein (1992). Il n’existe pasBanque de Suède « en l’honneur d’Alfred Nobel ». Par souci dpour désigner ce prix.

sein de la communauté académique, et parles praticiens. Nous utilisons pour cela lecadre d’analyse de Luhmann (2005) basésur la théorie des systèmes, ainsi que lemodèle de diffusion de Bass (1969). Ladeuxième section applique ce processus dediffusion, ainsi que les questions qui endécoulent, à la finance, et justifie le choix ducas du modèle d’évaluation des actifsfinanciers (MEDAF) analysé dans la suite.La troisième partie détaille la méthodologiede l’étude empirique, la quatrième lesrésultats obtenus et la cinquième partierésume les principales conclusions et limitesdu travail.

I – UNE POROSITÉ AMBIVALENTEENTRE RECHERCHE ETPRATIQUES

1. De la symbiose à la guerre tribale

Les sciences de gestion sont supposées êtreun domaine dans lequel recherche, ensei-gnement et pratique bénéficient d’unesymbiose évidente. Dans cette vision« idéale » de la recherche, celle-ci vise àla production d’outils ou de techniquesappliquées en entreprise (comme c’est le caspour la « recherche ingénierique » décritepar Chanal et al., 2015), et/ou la pertinencedes décisions s’appuie sur le résultatd’études et d’analyses scientifiquementsolides, comme c’est le cas pour l’« evi-dence-based management », préconisé parRousseau et Boudreau (2011). Van De Venet Johnson (2006) notent qu’il s’agit d’unpoint commun à toutes les disciplines

de prix Nobel d’économie, mais un prix décerné par lae simplicité nous ici utilisons parfois le terme « Nobel »

Page 5: Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en ...rfg.lavoisier.edpsciences.org/articles/lvrfg/pdf/2019/07/rfg00366.pdf · DOSSIER JOANNE HAMET Université de Bordeaux, IRGO,

Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en gestion 107

professionnelles, comme l’ingénierie, lamédecine, l’agriculture, ou l’éducation,dont l’objet de recherche est de développerdes connaissances transférables en compé-tences. Contrastant cependant avec cettevision idéale d’une fusion de la rechercheacadémique, de l’enseignement et de lapratique de la gestion, de nombreux travauxpubliés dans des revues scientifiques depremier plan peinent à exposer ou justifierl’utilité pratique de leurs conclusions(Pearce et Huang, 2012), et de nombreuxouvrages managériaux négligent les apportsde la recherche. Pearce (2004) avoue avoirdû s’appuyer sur le « folk wisdom » plutôtque sur la recherche scientifique pourenseigner à un public de cadres expérimen-tés. Rousseau (2006) relève que les diri-geants eux-mêmes ont tendance à se fierdavantage à leur expérience personnelle ouau benchmarking qu’à des preuves scienti-fiques pour prendre leurs décisions. Nicolai(2004) suggère, en prenant comme casd’étude les travaux et la carrière de MichaelPorter, que le modèle implicite d’un flux deconnaissances scientifique « coulant » versla pratique relève de la « science-fictionappliquée », et que l’acquisition d’unedouble réputation à la fois dans le systèmeacadémique et auprès des entreprises relè-verait davantage d’une relation schizophrèneentre recherche et conseil que d’une réelleapplication pratique de la recherche.La proposition de favoriser la symbioseentre recherche et pratiques managérialespar la collaboration entre chercheurs etpraticiens ne fait pas non plus l’unanimitéau sein de la communauté scientifique.Kimberly (2007) alerte sur les risques pesantsur la qualité de la recherche en managementdans le casd’uneconfusionde rôles, oud’uneambiguïté pour un académique, entre son rôle

de chercheur et un rôle de consultant. Kieseret Leiner (2009) vont plus loin en suggérantque la volonté de réduire le « researchpractice gap » par la collaboration entreentreprises et instituts de recherche est aussipertinente que d’envisager que des agentspublics collaborent avec les réalisateurs defilms pour favoriser l’exportation du secteurcinématographique ou que des leadersreligieux collaborent avec des universitésen biologie sur la théorie de l’évolution.Selon ces auteurs, rejoints en cela par Tartariet al. (2012), une collaboration étroite eststructurellement impossible dans la mesureoù les critères de qualité des deux systèmesconcernés sont fondamentalement différents.Gulati (2007) qualifie même l’oppositionentre rigueur et pertinence de la recherche de« guerre tribale ». Empson (2013) identifieégalement, à partir de méthodes auto-ethnographiques, le conflit d’identité intensequ’un enseignant-chercheur peut expérimen-ter en cherchant à combler le fossé entrerecherche et pratique.

2. Recherche et pratique : deuxsystèmes largement indépendants

Kieser et Leiner (2009) analysent lesrelations entre recherche et managementen s’appuyant sur la théorie des systèmes deLuhmann (2005). Ce dernier propose demodéliser la société dans son ensemble,mais également des constructions socialesque sont la communauté scientifique ouencore les organisations, comme des systè-mes de communication auto-référentiels.Tout système social peut ainsi être repré-senté selon Luhmann comme un réseau decommunications, chacun ayant élu un typede communication qui lui est propre et quiest pertinent pour ce groupe social. Cette

Page 6: Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en ...rfg.lavoisier.edpsciences.org/articles/lvrfg/pdf/2019/07/rfg00366.pdf · DOSSIER JOANNE HAMET Université de Bordeaux, IRGO,

108 Revue française de gestion – N° 284/2019

spécialisation permet à chaque systèmed’améliorer son efficience dans la gestiondes échanges, mais rend la communicationentre systèmes plus difficile.Les entreprises et les organisations reposentainsi sur une forme de communicationspécifique, qui peut être qualifiée dedécision-communication. Les décisionssont naturellement associées à de l’incerti-tude portant sur leurs conséquences. Dansun souci d’efficience, les organisationscherchent à réduire cette incertitude enutilisant chaque décision comme prémissepour les suivantes. Autrement dit, lorsqu’unedécisiondoit être prise dans une organisation,les choix précédents sont considérés commeun point stable de référence et leur pertinencen’est plus discutée. Ce type de processusfavorise l’action et permet aux organisationsde traiter des ensembles de décisioncomplexes.Le système de communication scientifiquese distingue du système managérial dans lamesure où la rigueur scientifique impliquede considérer systématiquement toutes lesalternatives et de respecter l’incertitude sansla réduire arbitrairement. C’est la raisonpour laquelle les « implications for prac-tice » sont généralement rédigées de façonextrêmement prudente, alors que les prati-ciens préfèrent des prescriptions tranchées(Bartunek et Rynes, 2010). Ceci pourraitexpliquer la préférence des praticiens pourles sociétés de conseil, au détriment desorganismes de recherche (Brennan etAnkers, 2004). L’appartenance à des logi-ques de communication différentes rend peuefficace la collaboration entre les systèmesscientifique et managérial. Ces dernierspeuvent en revanche s’irriter ou se

3. Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseig

provoquer mutuellement, afin d’induire untraitement spécifique de l’information et uneréponse de l’autre système. Ainsi, uneévolution profonde des pratiques managé-riales peut entraîner la création d’unnouveau courant de recherche, ou, inverse-ment, une nouvelle théorie ou un nouveloutil de gestion peut être adopté par lemonde professionnel.

3. Rôle de la diffusion de la rechercheauprès des praticiens

En cohérence avec Carton et Mouricou(2017) qui montrent que le manque dediffusion de la recherche est considéré par lalittérature comme l’un des principaux freinsà son utilisation pratique, Hamet et Maurer(2017) font le postulat que le lien detransmission entre la connaissance produitepar la recherche et les pratiques desentreprises pourrait être la diffusion desrésultats scientifiques par la presse profes-sionnelle spécialisée. Ils montrent cepen-dant que d’après cette mesure, la visibilitéde la recherche (anglophone) en sciences degestion est très modeste, et limitée auxtravaux publiés dans les revues de premierplan (« World elite journals »), correspon-dant à la catégorie 1* de la Fondationnationale pour l’enseignement de la gestiondes entreprises (Fnege) ou du Centrenational de la recherche scientifique(CNRS). Ainsi, un article de recherchepublié dans une revue anglophone decatégorie A HCERES3 (autrement dit,classée 1 ou 2 par le CNRS ou la Fnege)a en moyenne 10 % de chances d’être citédans la presse managériale. Pour les revuesles plus prestigieuses dans leur discipline,

nement supérieur.

Page 7: Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en ...rfg.lavoisier.edpsciences.org/articles/lvrfg/pdf/2019/07/rfg00366.pdf · DOSSIER JOANNE HAMET Université de Bordeaux, IRGO,

Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en gestion 109

celles qui sont classées 1* et 1 par le CNRSet la Fnege, cette probabilité atteint 24,6 %.Il semblerait donc que la presse managérialeeffectue une sélection en citant davantageles revues les plus prestigieuses.Ce comportement peut se rapprocher ducomportement d’innovation et d’acquisitionde connaissance des entreprises. Comme lenote Abrahamson (1996), « Norms ofmanagerial rationality and progress createthe need for a flow of managementtechniques that organizational stakeholdersbelieve are rational, at the forefront ofmanagement progress, and that managerscan adopt in order to appear in conformitywith these norms. » Les dirigeants seraientalors en perpétuelle recherche de nouvellesconnaissances, mais feraient également faceà un arbitrage entre progrès et stabilité. Eneffet, en raison des coûts associés auxchangements, les dirigeants ne peuvent sepermettre de suivre toutes les « modes »managériales et doivent sélectionner cellesqui promettent la meilleure création devaleur. Disposant pour faire ce choix d’unerationalité limitée (Barnard et Simon, 1947),dans le sens qu’ils ne peuvent pas anticipertoutes les conséquences de toutes lesdécisions possibles basées sur les nouvellesconnaissances, les dirigeants doivent utiliserdes critères de sélection, qu’il s’agisse de larenommée de l’émetteur de la connaissance,de sa diffusion par les universités, par lapresse ou par des cabinets de conseil, ou deson adoption par les concurrents de l’en-treprise. Comme le suggèrent Hamet etMichel (2018), le système scientifique pour-rait effectuer, par le principe de recherchecumulative et de construction de courants derecherche, une première sélection des élé-ments de recherche les plus pertinents, cesderniers étant alors transmis à la communauté

des entrepreneurs et dirigeants, soit par lebiais de l’enseignement, soit par le biais de ladiffusion d’information.Dans cette logique, la diffusion des résultatsde la recherche aux praticiens pourrait êtreun élément intéressant pour mesurer lavalorisation de la recherche. En effet, lesdonnées d’adoption d’un nouveau conceptou modèle par les praticiens sont rarementdirectement observables. La diffusion desrésultats de la recherche par le chercheur lui-même est fréquemment évaluée, cependantcette diffusion ne garantit pas l’adhésion etl’adoption. Le relais de travaux par la pressepourrait alors représenter une mesure inter-médiaire plus « objective » que la diffusiondirecte par le chercheur (c’est-à-dire plusindépendante de l’intervention du chercheurayant produit la connaissance).

II – PERFORMATIVITÉ DE LARECHERCHE EN FINANCE

La recherche en finance de marché a ceci departiculier qu’elle est née tout autant descientifiques utilisant le marché commedomaine d’application (on peut ainsi citerla thèse en mathématiques de LouisBachelier, soutenue en 1900 à La Sorbonne,qui a jeté les bases de la modélisationmathématique des marchés financiers) ou depraticiens cherchant à comprendre ouaméliorer leur activité, comme AlfredCowles, fondateur de la revue Econome-trica, qui s’est intéressé à la mesure de laperformance des analystes financiers aprèsavoir géré la fortune familiale avant etpendant la crise de 1929 (Bernstein, 2008).Cette discipline est également l’une decelles où la question de la performativité etde la nocivité potentielle de la recherches’est posée avec le plus d’acuité, notamment

Page 8: Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en ...rfg.lavoisier.edpsciences.org/articles/lvrfg/pdf/2019/07/rfg00366.pdf · DOSSIER JOANNE HAMET Université de Bordeaux, IRGO,

110 Revue française de gestion – N° 284/2019

suite aux scandales financiers du début desannées 2000, et à la crise financière de 2007(Delacour et al., 2011 ; Karyotis et al.,2016). La performativité de la recherche enfinance de marché est facilitée par sacapacité à produire des outils de prise dedécision (Cabantous et Gond, 2011), et àfavoriser des comportements « rationnels »chez les acteurs. MacKenzie (2006) montreainsi comment la théorie financière, bienque reposant sur des hypothèses notoire-ment simplificatrices, a pu modifier lecomportement des acteurs de marché etdonc le comportement du marché lui-même,pour le rendre plus conforme à la théorie.Au sein de la recherche en finance demarché, deux modèles de valorisation sontparticulièrement célèbres : il s’agit dumodèle d’évaluation des actifs financiers(MEDAF, ou Capital Asset Pricing Model –CAPM), permettant d’estimer les rentabi-lités attendues pour un investissement encapital dans une entreprise, et de la formulede Black et Scholes (1973) pour l’évalua-tion d’une option financière. Ces modèlesreposent sur un concept nouveau àl’époque : celui de l’efficience des marchésfinanciers, dont découle l’impossibilité,pour un gérant de fonds, de réaliser uneperformance durablement supérieure à celled’un portefeuille diversifié géré de façonpassive. Le MEDAF a également ceci departiculier qu’il ne s’agit pas d’une produc-tion individuelle, mais d’un modèle qui a étédéveloppé indépendamment et presquesimultanément par plusieurs chercheurs. Ilest ainsi attribué à Sharpe (1964), Lintner(1965) et Mossin (1966)4. Une versionalternative du MEDAF a été développée

4. Une excellente présentation du CAPM peut être trouvée d5. Interview de William Sharpe pour Sensible Investing, 26

quelques années plus tard par Black (1972).William Sharpe, Harry Markowitz (sondirecteur de thèse) et Merton Miller, co-auteur avec Franco Modigliani du troisièmeapport significatif à la finance théorique, ontreçu conjointement le prix de la banque deSuède pour leur contribution à l’économiefinancière en 1990.Fama et French (1997) concèdent quel’estimation des capitaux propres par leMEDAF est « désespérément imprécise ».Malgré leurs critiques et le fait qu’ils onteux-mêmes produit un modèle d’évaluationà trois facteurs alternatif au MEDAF (Famaet French, 1993), ces mêmes auteursreconnaissent néanmoins le MEDAFcomme un tour de force théorique (Famaet French, 2004). Il s’agit d’ailleurs du seulmodèle de valorisation d’actions existantqui soit basé sur un raisonnement théoriquesolide, et Fama et French (2004) affirmentcontinuer à l’enseigner à leurs étudiants,sans manquer toutefois de les alerter sur lesproblèmes empiriques de ce modèle.Le grand intérêt du MEDAF pour notretravail de recherche est qu’il s’agit d’unmodèle théorique aboutissant à une équationsimple, peu ambiguë quant à son utilisation.L’équation du MEDAF indique que l’espé-rance de rentabilité d’une action devraitcorrespondre à la somme de la rentabilitéd’un actif sans risque et d’une prime derisque, elle-même dépendant du niveau decorrélation des rentabilités de l’actionévaluée avec le marché boursier. Ainsique William Sharpe le décrit lui-même « leseul risque rémunéré est celui que votreportefeuille aille mal lorsque l’économie vamal »5. Du fait de la simplicité de l’équation

ans l’article de Fama et French (2004).septembre 2012.

Page 9: Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en ...rfg.lavoisier.edpsciences.org/articles/lvrfg/pdf/2019/07/rfg00366.pdf · DOSSIER JOANNE HAMET Université de Bordeaux, IRGO,

Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en gestion 111

du MEDAF, le risque que le modèle ne soitdéformé ou « lost in translation » dans sonutilisation pratique est faible. Point nonnégligeable pour une recherche par mots-clés, il est toujours désigné sous le mêmenom, et seul ce modèle (et ses dérivés lesplus proches) sont désignés sous le terme« Capital Asset Pricing Model ». Parailleurs, le MEDAF est largement utiliséen pratique, en particulier pour estimer lecoût des capitaux propres afin d’évaluer uneentreprise lors d’une opération financière,ou pour évaluer une décisiond’investissement6.Dans la suite de ce travail, la diffusion duMEDAF dans les milieux financiers est

METHODO

Les données sont extraites de la base Factiva sur

de la période d’observation ne répond à aucune

année disponible dans Factiva). Le panel A du ta

des données. Les citations du MEDAF sont re

disponibles dans Factiva7. Les citations dans l

sources suivantes de la base Factiva : 1) communi

Newswires Reuters, 4) principales publications g

Journal & toutes les sources. Ces cinq sources r

ainsi que les sites web, les blogs et les vidéos d

langues disponibles. Afin de mettre en éviden

nombre de citations est ensuite dénombré pou

Amérique du Nord (États-Unis et Canada), et Eu

l’Est, Europe de l’Ouest, Pays de l’Union europ

6. Voir, par exemple : https://www.mazars.fr/Accueil/ExperC/Cout-des-capitaux-propres ; http://www.revue-banque.festimer-cout-capital-les-principaux-enjeux-theo ; https://wwwtaux-propres-2582967. Afrique, Amérique centrale, Amérique du Nord, AmériquAsie/Pacifique, Australie/Océanie, Bassin méditerranéen, Eu

analysée via la mesure des citations de cemodèle dans la presse managériale.

III – ANALYSE EMPIRIQUE

L’analyse de la diffusion du MEDAF, horsdu champ académique, repose sur le nombrede mentions de l’expression exacte « Capi-tal Asset Pricing Model » dans la presseprofessionnelle anglophone. Il ne s’agitdonc pas ici d’établir si le MEDAF a étéutilisé en pratique, mais d’observer à quellevitesse et avec quelle intensité l’un desmodèles de finance le plus appliqué s’estdiffusé dans la communauté financière.

1. Données et méthodologie

LOGIE

la période 01/01/1980-31/10/2018. Le choix

stratégie particulière (1980 est la première

bleau 1 présente les résultats de l’extraction

censées pour toutes les régions du monde

a presse professionnelle sont extraites des

qués de presse, 2) Newswires Dow Jones, 3)

énérales et d’affaires, et 5) The Wall Street

egroupent les articles papier et numérique,

édiés au monde des affaires dans toutes les

ce d’éventuelles différences entre pays, le

r une sélection de zones géographiques :

rope (États des Balkans, Europe centrale de

éenne, Pays nordiques).

tises/Financial-Advisory-Services/Glossaire-Definition/r/banque-investissement-marches-gestion-actifs/article/.lesechos.fr/finance-marches/vernimmen/cout-des-capi-

e du Sud, Amérique latine, Antarctique, Antilles, Asie,rope, Pays de la CEI, Proches et Moyen-Orient.

Page 10: Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en ...rfg.lavoisier.edpsciences.org/articles/lvrfg/pdf/2019/07/rfg00366.pdf · DOSSIER JOANNE HAMET Université de Bordeaux, IRGO,

Enfin, dans le but d’établir une comparaison avec une source académique, l’analyse est

dupliquée à partir du nombre de citations du MEDAF dans le Journal of Finance, revue phare

de la recherche académique en finance. Nous avons retenu le Journal of Finance (JOF par la

suite) pour trois raisons. En premier lieu, c’est dans cette revue que William Sharpe publia en

1964 son article fondateur. Ensuite, c’est la revue de l’Association américaine de finance.

Enfin, l’Impact factor du JOF est le plus élevé parmi les revues spécialisées en finance classées

par le Financial Times. Bien que les données soient disponibles depuis 1968 sur le site du JOF,

la même période d’observation 1980-2018 est utilisée pour que la comparaison reste cohérente.

Tableau 1 – La diffusion du CAPM selon le modèle de Bass (1969)

Zones géographiques (sources professionnelles)

Période : 1980-2018 Touteszonesa

Amériquedu Nord Europe

Journalof Finance

Panel A. Nombre de citations du CAPM

N 1 442 564 645 455

Max/année 108/2014 52/2009 48/2017 40/2002

Min 0 0 0 0

Moyenne 37,0 14,5 16,5 11,7

1990(prix « Nobel » W. Sharpe)

24 7 2 7

Panel B. Estimation du modèle de Bass

Coefficient d’innovation (p) 0,0007155*** 0,0001246 0,0002895*** 0,0185***

Coefficient d’imitation (q) 0,1472*** 0,2134*** 0,1756*** 0,1192***

Marché potentiel estimé (m) 2 329.13*** 751,44*** 1027,85*** 589,9***

Erreur standard résiduelle 7,944 6,469 3,399 9,029

Pic de diffusion (t*) 36 34,86 36,42 13,52

Année du pic 2015 2013 2015 1992

***p< 0,001, **p< 0,01, *p< 0,05.Note. Le coefficient d’innovation p est aussi appelé « paramètre d’influence externe ». L’effet d’innovationreflète le nombre d’adoptions dues à des influences externes au système social. q est le coefficient d’imitationou « paramètre d’influence interne ». L’effet d’imitation est proportionnel au nombre d’adoptions antérieurescumulées. Le pic de diffusion t*= ln(q/p)/(p + q) indique l’année où le nombre maximum d’adoptants estatteint selon le modèle.a. « Toutes zones » représente l’ensemble des zones géographiques (voir note 7).

112 Revue française de gestion – N° 284/2019

Page 11: Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en ...rfg.lavoisier.edpsciences.org/articles/lvrfg/pdf/2019/07/rfg00366.pdf · DOSSIER JOANNE HAMET Université de Bordeaux, IRGO,

Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en gestion 113

2. Le modèle de diffusion de Bass(1969)

Depuis sa publication dans ManagementScience en 1969, le modèle de diffusion deFrank Bass a été utilisé intensivement horsde son domaine d’origine, le marketing.Prévu pour modéliser et prévoir la diffusionde nouveaux produits (biens de consomma-tion durable), il s’est révélé utile et fiabledans des secteurs industriels aussi diversque l’énergie photovoltaïque ou l’industriepharmaceutique. Il s’est aussi montréparticulièrement efficace dans le secteurtertiaire comme, par exemple, les banquesen ligne (Hogan et al., 2003) ou latéléphonie mobile (Krishnan et al., 2000).Ces applications hors champ soulignent lecaractère universel du modèle de Bass, cequi explique en grande partie son succèsaussi bien parmi les chercheurs que lespraticiens ces cinquante dernières années.Dans cet article, nous proposons uneapplication originale du modèle de Bass àla diffusion du CAPM dans la presse et dansla littérature scientifique.Le modèle de diffusion de Bass repose surune hypothèse à la fois simple et intuitive.La probabilité que quelqu’un adopte uneinnovation (il peut s’agir d’un produit, d’unservice ou, dans notre cas, d’un modèled’évaluation) dépend de deux facteurs. Lepremier, noté p, traduit la propension

8. Pour une lecture critique des hypothèses du modèle de diff(2015).9. Dans un premier temps, les paramètres p, q etm sont estimésvaleurs obtenues sont ensuite utilisées comme valeurs initia(version 0.2.7) de Schaer et Kourentzes (2018). Cette approcconvergence de l’algorithme de Gauss-Newton lorsque les v10. Le lecteur intéressé par une présentation exhaustive du mobassbasement.org.qui présente les origines et le principe du mdérivation mathématique.

intrinsèque de chaque utilisateur à adopterune innovation (influence externe). Lesecond, noté q, reflète la contagion socialeà l’œuvre dans le processus d’adoption(influence interne). Ce paramètre est fonc-tion du nombre de personnes ayant déjàadopté l’innovation en question au sein dumarché potentiel (m)8. Nous appliquons icile modèle de Bass non à l’adoption effectivedu MEDAF par les praticiens, mais à sacitation dans la presse spécialisée.Conformément à la pratique la plus répan-due dans la littérature, nous estimons lesparamètres du modèle de Bass à l’aide d’unmodèle de régression non linéaire (Sriniva-san et Mason, 1986)9. Le modèle s’exprimede la façon suivante :

jz tð Þ ¼m1� e� pþqð Þt

1þ qp e

� pþqð Þt þ e tð Þ ð1Þ

où jz tð Þ est la donnée observée, à savoirle nombre cumulé de citations du MEDAFau temps t, je tð Þ est un processus stochas-tique qui représente le terme résiduel, etles inconnues p, q et m sont les paramètresà estimer10.

IV – RÉSULTATS

Cette section présente et discute les résultatsde l’estimation du modèle de Bass (1969)appliqué à la diffusion du MEDAF dans lesmilieux professionnels.

usion de Bass, le lecteur peut se reporter à Kumar et al.

avec la fonction nls (nonlinear least-squares) de R. Lesles dans la fonction diffusion du package R diffusionhe en deux étapes permet de réduire les problèmes dealeurs initiales sont mal choisies (Baty et al., 2015).dèle de Bass (1969) peut consulter le site : http://www.odèle de Bass et propose une approche didactique de sa

Page 12: Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en ...rfg.lavoisier.edpsciences.org/articles/lvrfg/pdf/2019/07/rfg00366.pdf · DOSSIER JOANNE HAMET Université de Bordeaux, IRGO,

114 Revue française de gestion – N° 284/2019

1. Lente diffusion du CAPM dans lesmilieux professionnels

Les coefficients p et q (tableau 1, panel B)renseignent sur la vitesse de diffusion duMEDAF dans la presse professionnelle.Une valeur élevée de l’effet d’innovation (p)traduit un taux d’adoption très fort lespremiers temps mais qui s’essouffle rapi-dement. Une valeur élevée de l’effetd’imitation (q) indique au contraire unprocessus de diffusion lent au départ, quimonte en puissance de façon durable aprèsun certain temps. La faiblesse de l’effetd’innovation (p) comparé à l’effet d’imita-tion (q) montre que le MEDAF s’estpropagé essentiellement par contagioninterne dans la presse managériale. C’esten effet le nombre de citations dans la pressequi induit de nouvelles citations. L’écartimportant entre les effets d’innovation etd’imitation dans le tableau 1 traduit lalenteur du processus de diffusion duMEDAF à l’extérieur du milieu acadé-mique. L’année du pic de diffusion(tableau 1) confirme que l’adoption duMEDAF n’est entrée dans sa phase de déclinque très récemment. Toutes zones géogra-phiques confondues, le MEDAF aura mis enmoyenne un peu plus de trente-six ans pouratteindre sonpicde diffusiondans le domainede la finance non académique.La figure 1 propose une projection à dix ansdes mentions du MEDAF par la presseprofessionnelle en Europe11. Elle est réali-sée à partir des résultats de l’estimation dumodèle de Bass du tableau 1.La figure 1 montre que les citations duMEDAF dans la presse sont presque

11. Les courbes de diffusion de Bass pour les autres zones géosont disponibles sur demande auprès des auteurs.

exclusivement liées à un phénomène d’imi-tation, l’effet d’innovation étant très faible.La courbe « Innovateurs » qui rend comptede l’effet d’innovation sur la figure 1 estproche de zéro, ce qui traduit un impactmarginal dans la diffusion du MEDAF. Parconséquent, les deux courbes « Imitateurs »et « Adoption » se confondent sur toute lapériode observée. C’est donc bien l’effetd’imitation (le paramètre p dans le tableau 1)qui explique principalement la diffusion duMEDAF, et non l’effet d’innovation (para-mètre q dans le tableau 1). On peut vérifierdans le tableau 1 que la valeur de p est trèssupérieure à celle de q.On observe sur la figure 1 que la diffusiondu MEDAF s’accélère à partir de la période20, et continue d’augmenter jusqu’à attein-dre un point d’inflexion entre les périodes36 et 37, autrement dit entre 2015 et 2016.Après la période 37 le nombre de citationsdu MEDAF dans la presse commence àdécroître. Le marché potentiel estimé sur lapériode 1980-2018 par le modèle de Bass àl’aide de l’équation (1), qui correspond iciau nombre total de citations du CAPM(paramètre m dans le panel B du tableau 1),excède le nombre de citations du MEDAFdans la presse professionnelle extraites de labase Factiva (N dans le panel A dutableau 1). Cette différence peut s’interpré-ter comme un déficit de diffusion. End’autres termes, le MEDAF aurait pu êtredavantage diffusé dans la presse qu’il ne l’aété. Raison pour laquelle il nous a paruintéressant de dupliquer l’analyse avec unesource académique indiscutable, afin d’ob-server si le MEDAF a mis autant de temps àse diffuser dans son milieu d’origine.

graphiques du tableau 1 ne sont pas reproduites ici. Elles

Page 13: Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en ...rfg.lavoisier.edpsciences.org/articles/lvrfg/pdf/2019/07/rfg00366.pdf · DOSSIER JOANNE HAMET Université de Bordeaux, IRGO,

Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en gestion 115

Les résultats du panel B dans le tableau 1montrent que la diffusion du MEDAF dansle Journal of Finance est similaire à ce qui aété observé dans la presse professionnelle :l’effet d’imitation (q) domine. Cependant, lepic de diffusion du MEDAF survient en1992 dans le JOF, alors qu’il faut attendre2013 au plus tôt dans le milieu profession-nel, soit vingt-et-un ans plus tard. Autredifférence notable avec les résultats pré-cédents, la diffusion du MEDAF estdominée par l’effet d’innovation en débutde période (figure 2). La courbe « Innova-teurs » se situe en effet au-dessus de lacourbe « Imitateurs » en tout début depériode, pour ensuite décroître. C’est doncd’abord la propension intrinsèque deschercheurs à adopter une innovation quiexplique la diffusion du MEDAF dans leJOF. Dans un second temps, c’est un effetde contagion (courbe « Imitateurs » sur lafigure 2) qui prend le relais. Autrement dit,ce sont les enseignants-chercheurs qui ontdéjà abordé le MEDAF dans le cadre de leurrecherche qui vont contribuer à sa propaga-tion. Logiquement, on observe que plus letemps passe (matérialisé par le nombrecroissant de périodes sur l’abscisse de lafigure 2), plus l’effet d’imitation contribue àla diffusion du MEDAF dans le Journal ofFinance. Les deux courbes « Imitateurs » et« Adoption » se rapprochent donc sensi-blement à partir de la période 30.Généralement, l’effet d’imitation est supé-rieur à l’effet d’innovation (Sultan et al.,1990). Il n’est donc pas surprenant que leprocessus s’inverse rapidement, un peuavant 1989 (période 10 sur la figure 2). Sice n’était la non-significativité statistique del’effet d’innovation pour l’Amérique duNord (tableau 1), tout porterait à croire quela propension des académiques à adopter un

nouveau concept est beaucoup plus forteque celle des praticiens.

2. L’imitation à l’origine de la diffusiondu MEDAF dans les milieuxprofessionnels

La théorie des organisations, et plusspécifiquement l’étude des comportementsorganisationnels, a montré que nombre derésistances sont à l’œuvre dans les entre-prises lorsqu’il s’agit d’adopter une innova-tion. Ces résistances organisationnelles ontpu retarder la diffusion du MEDAF en leursein au point d’annihiler l’effet d’innova-tion, à tout le moins statistiquement parlant.Bernstein (2008) révèle ainsi que leMEDAF n’a pas été accueilli très favora-blement par la communauté financière :« lorsque le bêta a été porté à la connais-sance des professionnels de la gestion deportefeuille, ils ont d’abord manifesté de laconfusion, puis du dégoût, ensuite del’irritation, et enfin un scepticisme total ».Il est vrai que les conclusions du MEDAFconduisent à soupçonner que les talents desgestionnaires de portefeuille ont peu d’im-pact sur la rentabilité de leurs investisse-ments et que ces derniers ne peuvent pasthéoriquement « battre le marché » dura-blement, c’est-à-dire faire mieux sur le longterme qu’un simple portefeuille de titresbien diversifié et passivement géré. Le faitqu’il aille contre les intérêts d’une profes-sion a pu avoir un impact significatif sur sondélai d’acceptation. MacKenzie (2006)rapporte que le MEDAF n’a été adopté enpratique qu’après la crise financière desannées 1970, d’abord comme un indica-teur externe de performance, puis direc-tement pour le développement de fondsindiciels.

Page 14: Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en ...rfg.lavoisier.edpsciences.org/articles/lvrfg/pdf/2019/07/rfg00366.pdf · DOSSIER JOANNE HAMET Université de Bordeaux, IRGO,

Figure 2 – Projection à 10 ans de la diffusion du MEDAF dans le JoF (1980-2018)

Note. Sur les figures 1 et 2 les points représentent le nombre annuel de citations du MEDAF extrait dessources principales de la base Factiva sur la période 1980-2018 (voir note méthodologie). Ce sont lesvaleurs historiques du paramètre m dans le modèle (1). Les valeurs de m estimées à l’aide du modèlesont représentées par la courbe Adoption. Les valeurs de p (effet d’innovation) estimées par le modèle(1) sont représentées par la courbe Innovateurs. Les valeurs de q (effet d’imitation) estimées par lemodèle (1) sont représentées par la courbe Imitateurs. Les valeurs annuelles des paramètres m, p, et qsont estimées sur la période observées.

Figure 1 – Projection à 10 ans de la diffusion du MEDAF en Europe (1980-2018)

116 Revue française de gestion – N° 284/2019

Page 15: Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en ...rfg.lavoisier.edpsciences.org/articles/lvrfg/pdf/2019/07/rfg00366.pdf · DOSSIER JOANNE HAMET Université de Bordeaux, IRGO,

Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en gestion 117

Les canaux de communication jouent unrôle important dans la diffusion d’uneinnovation. C’est par eux qu’elle va sepropager et se diffuser au sein d’un systèmesocial (Mahajan et al., 1995). Le coefficientd’imitation du modèle de Bass capte lesphénomènes de bouche-à-oreille et decontagion sociale. Autrement dit, les mem-bres d’un système social sont d’autant plusperméables à une innovation qu’elle a étéadoptée par un grand nombre de membresde ce système. Les membres d’un systèmesocial sont en effet un élément central duprocessus de diffusion d’une innovation(Rogers, 2003). Parmi les facteurs explica-tifs de la diffusion du MEDAF, il estdifficile de ne pas envisager le prix de labanque de Suède en l’honneur d’AlfredNobel d’économie décerné à WilliamSharpe en 1990. L’effet notoriété d’unetelle récompense rejaillit en effet bien au-delà de la sphère académique. Aussi avons-nous dupliqué l’analyse précédente sur lapériode 1990-2018 dans le but d’identifierun éventuel effet « Nobel ». Les résultatsconfirment ceux obtenus initialement12. Leprix de la Banque de Suède n’aurait doncpas eu d’influence particulière sur ladiffusion du MEDAF dans les milieuxprofessionnels. Sans recourir au modèlede diffusion de Bass, le panel A du tableau 1abonde en ce sens. Le nombre de citationsdu MEDAF dans la presse professionnelleen 1990 est très en-deçà du nombre maximalenregistré (max/année) et de la moyenneannuelle des citations (moyenne), quelleque soit la zone géographique considérée.Observer le même schéma avec le Journalof Finance interroge davantage. On pouvait

12. Les résultats et les graphiques associés ne sont pas reproduauteurs.

s’attendre à un effet « Nobel » prééminent,ce qui n’est manifestement pas le cas.

DISCUSSION ET CONCLUSION

La valorisation des résultats scientifiques estmultidimensionnelle et ambiguë : elle peutdésigner le rayonnement de la recherche,qu’il soit scientifique, académique, ouencore managérial. Elle peut désignerl’utilisation effective des résultats, c’est-à-dire les changements de méthode ou decomportement des acteurs induits par larecherche. Elle peut enfin, désigner lamonétisation et la commercialisation desproduits de la recherche.Dans cet article, nous nous intéressons à unedimension particulière de la valorisation quiest le rayonnement de la recherche auprèsdes praticiens. Nous mettons en évidence lalenteur du processus de diffusion d’unmodèle fondamental de finance, le MEDAF,dans la communauté financière. Ce modèle,publié en 1962, s’est diffusé progressive-ment d’abord au sein de la communautéscientifique (il atteint son pic de citationsdans le JOF en 1992) puis dans la presse nonscientifique, où il atteint son apogéeseulement entre 2013 et 2016. Cette étudede cas révèle la difficulté à mesurer lavalorisation de la recherche, au sens dediffusion et d’appropriation de ses résultatspar les praticiens, dans la mesure où cettevalorisation peut s’étaler sur une période detemps longue, à l’échelle de la carrière d’unchercheur.Comme toute recherche, ce travail n’est pasexempt de limites. L’interprétation desrésultats repose tout d’abord sur l’hypothèse

its ici, mais ils sont disponibles sur demande auprès des

Page 16: Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en ...rfg.lavoisier.edpsciences.org/articles/lvrfg/pdf/2019/07/rfg00366.pdf · DOSSIER JOANNE HAMET Université de Bordeaux, IRGO,

118 Revue française de gestion – N° 284/2019

que les citations du MEDAF peuvent êtreutilisées comme proxy de l’adoption duMEDAF dans la communauté managériale.En effet, les citations du MEDAF peuventsurvenir à l’occasion d’une présentation dumodèle aux lecteurs, ou relater des casconcrets d’utilisation de l’équation duMEDAF. En utilisant la mention duMEDAF dans la presse managériale pourreprésenter son adoption, nous faisonscependant une approximation. La mise encontact avec une innovation par la presse, etl’acquisition d’information par ce biais, neconstituent que les toutes premières étapesdu processus d’adoption d’une innovation(Rogers, 2003). D’autres canaux de diffu-sion ont également pu influencer l’utilisa-tion du MEDAF. Sharpe publia son articlefondateur sur le MEDAF dans le Journal ofFinance, la revue de l’Association améri-caine de finance. Partant, on peut imaginerque le MEDAF s’est diffusé dans lesuniversités américaines, notamment à tra-vers les programmesMBA. Les diplômés deces formations occupent ou occuperont àcourt terme des postes à responsabilité dansdes firmes multinationales. En d’autrestermes, ils sont vraisemblablement desvecteurs puissants de diffusion du MEDAFdans le monde professionnel. Les associa-tions d’anciens élèves des universités etécoles de commerce, ou encore un réseauprofessionnel de directeurs financiers, sontautant de systèmes sociaux de référence. Lacommunication interpersonnelle – l’un desvecteurs de diffusion identifiés par Rogers(2003) – au sein de ces systèmes sociauxconnus pour être organisés et actifs est

13. Le conflit entre analystes ou gérants de portefeuille etBernstein (Des Idées Capitales, 2008) qui cite notamment Samincline toward the hypothesis that most portfolio decision makGreek, or help produce the annual GNP by serving as corpo

certainement importante. En outre, chaquemembre étant un pair des autres, il représentequelqu’un de potentiellement imitable, sanscompter la présence probable de leadersd’opinion au sein de ces systèmes sociaux.Autant de facteurs qui ont sans doute amplifiéle processus de diffusion du MEDAF parimitation dans les milieux professionnels.A contrario, le nombre de citations dumodèle ne donne pas d’indication sur lecontexte dans lequel ledit modèle est cité.Le MEDAF a fait l’objet de nombreuxdébats et critiques dans la communautéscientifique, mais le nombre de citations nepermet pas de déterminer si celles-ci sontpositives ou ont pour objet de le dénigrer.Les particularités du modèle ont puégalement soit faciliter, soit ralentir sonadoption dans la pratique. Ce modèle est àla fois explicatif (en tant qu’il décrit lecomportement des rentabilités des titres àl’équilibre) et prescriptif (en tant qu’ildonne une règle applicable de valorisationet de choix de portefeuille), ce qui a pu êtreun facteur facilitant son adoption, lecaractère prescriptif d’une recherche per-mettant davantage sa diffusion (Saint-Onge et al., 2016). Par contraste, commenous l’avons vu plus haut, le MEDAF n’apas été accueilli favorablement par lesgestionnaires de portefeuille dans lamesure où son hypothèse clé, l’efficiencedu marché, contribuait à nier leur exper-tise13. Cette particularité peut expliquer lalenteur de la diffusion dumodèle au sein de lacommunauté financière, alors qu’il s’estdiffusé plus rapidement dans la communautéacadémique.

théoriciens de l’efficience des marchés est décrit paruelson (1974) : « a respect for evidence compels me toers should go out of business – take up plumbing, teachrate executives ».

Page 17: Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en ...rfg.lavoisier.edpsciences.org/articles/lvrfg/pdf/2019/07/rfg00366.pdf · DOSSIER JOANNE HAMET Université de Bordeaux, IRGO,

Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en gestion 119

La diffusion du modèle dans la communautéacadémique, enfin, n’est mesurée qu’à partird’une seule revue de finance, le Journal ofFinance (JOF). D’autres revues auraient puêtre intégrées dans l’analyse. En particulier,le MEDAF a fait l’objet de nombreux testsempiriques qui ont pu être publiés dans desrevues de même rang, comme le Journal ofFinancial Economics (JFE). Sur la période1980-2018, le MEDAF est cité 358 foisdans le JFE contre 455 dans le JOF (voirtableau 1). Le nombre moyen de citationssur la période est égal à 9,2 pour le JFEcontre 11,7 pour le JOF. Par contre, les picsde citation dans ces deux revues diffèrentsensiblement. Le MEDAF est cité 40 foisdans le JOF en 2002, et 24 fois dans le JFEen 2018. Un pic de citations aussi tardif dansle JFE est surprenant. Compte tenu del’importance du facteur temps dans lemodèle de Bass, nos résultats pourraientêtre modifiés par l’utilisation du Journal ofFinancial Economics en lieu et place duJournal of Finance.Une autre limite à souligner est le caractèreparticulier de ce modèle dans la sphère dessciences de gestion. Bien qu’il constituel’un des modèles fondateurs en finance, ce

modèle utilise une méthodologie tirée dessciences économiques. Le MEDAF estutilisé essentiellement pour valoriser uneentreprise, lors d’une entrée au capital d’unfonds de private equity par exemple ou àl’occasion d’une introduction en Bourse. Ilest donc indéniablement un outil de gestion.Pour autant, son développement n’est pasissu d’une recherche dont l’objet initialserait l’entreprise, comme c’est le cas de lamajorité des recherches en sciences degestion (Verstraete, 2007). L’objet desrecherches ayant abouti au MEDAF,comme à la formule de Black et Scholes(1973), était en effet le marché, et ce n’estqu’en seconde intention que ces modèlesont été adaptés à la prise de décision enentreprise.Nos résultats offrent cependant un exemplede la lenteur potentielle d’un processus dediffusion, pour un résultat scientifique ayantmodifié significativement les conceptions etpratiques des professionnels, comme ce futle cas du MEDAF. Ils conduisent à réfléchirsur la pertinence de mesures « immédia-tes » de la valeur d’un produit de recherche,et sur l’importance de la valeur temps dansce domaine.

BIBLIOGRAPHIE

Abrahamson E. (1996). “Management fashion”, Academy of Management Review, vol. 21,no 1, p. 254-285.

Astley W.G. et Zammuto R.F. (1992). “Organization science, managerial practice, andlanguage games”, Organization Science, vol. 3, no 4, p. 443-460.

Barnard C. et Simon H.A. (1947). Administrative Behavior: A Study of Decision-makingProcesses in Administrative Organization, Macmillan, New York.

Barthélemy J. (2012). « Pour une recherche en gestion conciliant rigueur et pertinence »,Revue française de gestion, vol. 38, no 228/229, p. 270-283.

Bartunek J.M. (2003). “A dream for the academy”, Academy of Management Review, vol. 28,no 2, p. 198-203.

Page 18: Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en ...rfg.lavoisier.edpsciences.org/articles/lvrfg/pdf/2019/07/rfg00366.pdf · DOSSIER JOANNE HAMET Université de Bordeaux, IRGO,

120 Revue française de gestion – N° 284/2019

Bartunek J.M. et Rynes S.L. (2010). “The construction and contributions of “Implications forPractice”: What’s in them and what might they offer?”, Academy of Management Learning& Education, vol. 9, no 1, p. 100-117.

Bass F.M. (1969). “A new product growth for model consumer durables”, Managementscience, vol. 15, no 5, p. 215-227.

Baty F., Ritz C., Charles S., Brutsche M., Flandrois J.P. et Delignette-Muller M.L. (2015).“A toolbox for nonlinear regression in R: The package nlstools”, Journal of StatisticalSoftware, vol. 66, n°5, p. 1-21.

Bernstein P.L. (2008).Des idées Capitales : les origines improbables du Wall Street moderne,PUF.

Black F. (1972). “Capital market equilibrium with restricted borrowing”, Journal of Business,vol. 45, no 3, p. 444-454

Black F. et Scholes M. (1973). “The pricing of options and corporate liabilities”, Journal ofPolitical Economy, vol. 81, no 3, p. 637-654.

Brennan R. et Ankers P. (2004). “In search of relevance: Is there an academic-practitionerdivide in business-to-business marketing?”, Marketing Intelligence & Planning, vol. 22,no 5, p. 511-519.

Cabantous L. et Gond J-P., (2011). “Rational decision making as performative praxis: Explainingrationality’s Eternel Retour”, Organization Science, vol. 22, no 3, mai-juin, p. 573-586.

Carton G. et Mouricou P. (2017). « À quoi sert la recherche en management ? Une analysesystématique de la littérature anglo-saxonne sur le débat rigueur-pertinence », M@n@ge-ment, vol. 20, no 2, p. 166-203.

Chanal V., Lesca H. et Martinet A.-C. (2015). « Vers une ingénierie de la recherche ensciences de gestion », Revue française de gestion, vol. 41, no 253, p. 213-229.

Clark B. (2013). “My Conversation with Harry Markowitz: MPT and behavioral economics.The father of modern portfolio theory can still educate and surprise, as in our conversation onhow MPT can, and should, work with behavioral finance”, ThinkAdvisor, mai, https://www.thinkadvisor.com/2013/05/02/my-conversation-with-harry-markowitz-mpt-and-behav/

Delacour H., Fouilloux J. et Liarte S. (2011). « Toutes les recherches doivent-elles êtremenées ? », Revue française de gestion, vol. 37, no 216, p. 75-92.

Empson L. (2013). “My affair with the “Other”: Identity journeys across the research-practicedivide », Journal Of Management Inquiry, vol. 22, no 2, p. 229-248.

Fama E.F. et French K.R. (1993). “Common risk factors in the returns on stocks and bonds”,Journal of Financial Economics, vol. 33, no 1, p. 3-56.

Fama E.F. et French K.R. (1997). “Industry costs of equity”, Journal of Financial Economics,vol. 43, no 2, p. 153-193.

Fama E.F. et French K.R. (2004). “The capital asset pricing model: Theory and evidence”,Journal of Economic Perspectives, vol. 18, no 3, Summer, p. 25-46.

Page 19: Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en ...rfg.lavoisier.edpsciences.org/articles/lvrfg/pdf/2019/07/rfg00366.pdf · DOSSIER JOANNE HAMET Université de Bordeaux, IRGO,

Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en gestion 121

Guillon B. (2013). « Un premier bilan relatif à la mesure régulière de la recherche universitairefrançaise par les revues scientifiques francophones : 2007-2011 », Recherches en sciencesde gestion, no 94, p. 179-195.

Gulati R. (2007). “Tent poles, tribalism, and boundary spanning: The rigor-relevance debate inmanagement research”, Academy of Management Journal, vol. 50, no 4, p. 775-782.

Hambrick D. (1994). “What if the Academy actually mattered?”, Academy of ManagementReview, vol. 19, p. 11-16

Hamet J. et Maurer F. (2017). “Is management research visible outside the academiccommunity?”, M@n@gement, vol. 20, no 5, p. 492-516.

Hamet J. et Michel S. (2018). “Rigor, relevance, and the knowledge “market””, EuropeanBusiness Review, vol. 30, no 2, p. 183-201.

Hatchuel A. (2012) « Quel horizon pour les sciences de gestion ? Vers une théorie de l’actionindividuelle et collective », Les Nouvelles Fondations des sciences de gestion, A. David,A. Hatchuel, R. Laufer, Presses des Mines, coll. « Économie et gestion », Paris.

Hogan J.E., Lemon K.N. et Libai B. (2003). “What is the true value of a lost customer?”,Journal of Service Research, vol. 5, no 3, p. 196-208.

Huff A.S. (2000). “Changes in organizational knowledge production”, Academy ofManagement Review, vol. 25, no 2, p. 288-293.

Karyotis C., Dupré D., Alijani S. et Raufflet E. (2016). « Une nécessaire refonte desenseignements et de la recherche en finance », Revue des sciences de gestion, no 277,p. 57-63.

Kieser A. et Leiner L. (2009). “Why the rigour-relevance gap in management research isunbridgeable”, Journal of Management Studies, vol. 46, p. 516-533.

Kimberly J.R. (2007). “Shifting boundaries: doing research and having impact in the world ofbusiness education”, Journal of Management Inquiry, vol. 16, p. 138-145

Krishnan T.V., Bass F.M. et Kumar V. (2000). “Impact of a late entrant on the diffusion of anew product/service”, Journal of Marketing Research, vol. 37, no 2, p. 269-278.

Kumar A., Shankar R. et Momaya K.S. (2015). “The Bass Diffusion Model does not explaindiffusion”, 33rd International Conference of the System Dynamics Society.

Laufer R. (2007). « Pourquoi les chercheurs français en management interviennent-ils si peudans le débat public ? », Revue française de gestion, vol. 33, no 178-179, p. 211-218.

Lintner J. (1965). “The valuation of risk assets and the selection of risky investments in stockportfolios and capital budgets”, Review of Economics and Statistics, vol. 47, n° 1, p. 13-37.

Luhmann N. (2005). “The concept of autopoiesis”, Niklas Luhmann and OrganizationStudies, Seidl D. and Becker K.H. (Eds), Liber & Copenhagen Business School Press,Kristianstad, p. 54-63.

MacKenzie D. (2006). An Engine, Not a Camera, MIT Press, Cambridge, MA.

Page 20: Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en ...rfg.lavoisier.edpsciences.org/articles/lvrfg/pdf/2019/07/rfg00366.pdf · DOSSIER JOANNE HAMET Université de Bordeaux, IRGO,

122 Revue française de gestion – N° 284/2019

Mahajan V., Muller E. et Bass F.M. (1995). “Diffusion of new products: Empiricalgeneralizations and managerial uses”, Marketing Science, vol. 14, no 3 (supp), p. 79-88.

Markides C. (2007). “In search of ambidextrous professors”, Academy of ManagementJournal, vol. 50, p. 762-768.

Mossin J. (1966). “Equilibrium in a capital asset market”, Econometrica, vol. 34, no 4,p. 768-783.

Nicolai A.T. (2004). “The bridge to the “Real World”: Applied science or a ‘Schizophrenictour de force’?”, Journal of Management Studies, vol. 41, no 6, p. 951-976.

Nicolai A. et Seidl D. (2010). “That’s relevant! Different forms of practical relevance inmanagement science”, Organization Studies, vol. 31, no 9-10, p. 1257-1285.

Pearce J.L. (2004). “Presidential address: What do we know and how do we really know it?”,Academy of Management Review, vol. 29, p. 1-5.

Pearce J. et Huang L. (2012). “The decreasing value of our research to managementeducation”, Academy of Management Learning & Education, vol. 11, n° 2, p. 263-271.

Perkmann M., Tartari V., McKelvey M., Autio E., Broström A., D’Este P., Fini R., Geuna A.,Grimaldi R., Hugues A., Krabel S., Kitson M., Llerena P., Lissoni F., Salter A. et Sobrero M.(2013). “Academic engagement and commercialisation: A review of the literature onuniversity-industry relations”, Research Policy, vol. 42, no 2, p. 423-442.

Porter L. et McKibbin L. (1988). Management Education and Development: Drift or ThrustInto the 21st Century?, McGraw-Hill, New York.

Rousseau D. (2006). “Is there such a thing as ‘evidence-based management’?”, Academy OfManagement Review, vol. 31, n° 2, p. 256-269.

Rousseau D.M. et Boudreau J.W. (2011). “Sticky findings: Research evidence practitionersfind useful”, Useful Research 25 Years Later, E.E. Lawler & S.A. Mohrman (Eds.), BerrettKoehler, San Francisco, p. 269-288.

Rogers E.M. (2003). The Diffusion of Innovation, 5th edition, Free Press, NY.

Rynes S.L., Giluk T.L. et Brown K.G. (2007). “The very separate world of academic andpractitioner periodicals in human resource management: Implications for evidence-basedmanagement”, Academy of Management Journal, vol. 50, no 5, p. 987-1008.

Samuelson P.A. (1974). “Challenge to judgment”, Journal of Portfolio Management, vol. 1,p. 17-19.

Saint-Onge S., Alis D., Wolf J. et Rosenberg T. (2016). “Comment améliorer la pertinence dela recherche en gestion ?”, Recherches en Sciences de Gestion, vol. 113, n° 2, p. 167-195.

Schaer O. et Kourentzes N. (2018). “Forecast the diffusion of new products”, Package R.téléchageable à: https://github.com/mamut86/diffusion

Sharpe W.F. (1964). “Capital asset prices: A theory of market equilibrium under conditions ofrisk”, The Journal of Finance, vol. 19, no 3, p. 425-442.

Page 21: Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en ...rfg.lavoisier.edpsciences.org/articles/lvrfg/pdf/2019/07/rfg00366.pdf · DOSSIER JOANNE HAMET Université de Bordeaux, IRGO,

Valeur intrinsèque et valeur temps de la recherche en gestion 123

Srinivasan V. et Mason C.H. (1986). “Nonlinear least squares estimation of new productdiffusion models”, Marketing Science, vol. 5, no 2, p. 169-178.

St-Pierre J. et Reboud S. (2018). « Mobilisation des connaissances. Qu’en disent leschercheurs en PME et entrepreneuriat, Rubrique sur la mobilisation des connaissances »,Revue internationale PME, vol. 31, no 1, p. 13-21.

Sultan F., Farley J.U. et Lehmann D.R. (1990). “A meta-analysis of applications of diffusionmodels”, Journal of Marketing Research, vol. 27, no 1, p. 70-77.

Tartari V. et Breschi S. (2012). “Set them free: scientists’ evaluations of the benefits and costsof university-industry research collaboration”, Industrial and Corporate Change, vol. 21,no 5, p. 1117-1147.

Tartari V., Salter A. et D’Este P. (2012). “Crossing the Rubicon: Exploring the factors thatshape academics’ perceptions of the barriers to working with industry”, Cambridge Journalof Economics, vol. 36, p. 655-677.

Van De Ven A.H. et Johnson P.E. (2006). “Knowledge for theory and practice”, Academy ofManagement Review, vol. 31, no 4, p. 802-821.

Verstraete T. (2007). “A la recherche des sciences de gestion”, Revue française de gestion,vol. 33, no 178-179, p. 91-105.

Vicari S. (2013). “Is the problem only ours? A question of relevance in management research”,European Management Review, vol. 10, no 4, p. 173-181.