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Université de Bourgogne
Faculté de Sciences économiques et de gestion
Privatisation et architecture organisationnelle : une contribution à la
théorie de la gouvernance à partir d’une approche comparative
des formes organisationnelles publiques et privées
Thèse en vue de l’obtention du Doctorat en Sciences de Gestion
présentée et soutenue par
Céline Chatelin
14 décembre 2001 JURY Directeur de thèse : Gérard Charreaux Professeur de sciences de gestion à l’Université de Bourgogne Rapporteur : Nathalie Mourgues Professeur de sciences de gestion à l’Université de Paris XII Rapporteur : Georges Gallais-Hammono Professeur de sciences de gestion à l’université d’Orléans Suffragant : Philippe Desbrières Professeur de sciences de gestion à l’Université de Bourgogne Suffragant : Jean-Michel Glachant
Professeur de science économique à l’Université de Paris XI
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RESUME
La privatisation est un phénomène complexe qui concerne l’économie, un secteur ou plus spécifiquement l’entreprise. Elle a fait l’objet de nombreuses recherches depuis plus de trente ans. Cette persistance du sujet dans les travaux de recherche en économie et plus récemment en sciences de gestion reflète l’ambiguïté des résultats empiriques sur la relation fondamentale entre nature de la propriété (publique ou privée) et performance organisationnelle. L’interrogation des effets de la privatisation sur la performance reste donc irrésolue malgré l’importance éloquente du nombre de travaux empiriques et théoriques sur le sujet. Une revue critique des analyses traditionnelles fondées sur les caractéristiques intrinsèques de la propriété publique/privée conclut à la nécessité de renouveler l’approche de la privatisation d’entreprise. A partir d’une analyse contractuelle et comparative des entreprises privées et publiques, nous proposons une interprétation alternative de la privatisation.
En privilégiant une approche partenariale approfondie du fonctionnement
organisationnel, nous reposons la question des liens entre privatisation et performance. Comment la privatisation influe-t-elle sur l’architecture de l’organisation, au niveau du processus décisionnel et du système de gouvernance partenariale ? En corollaire, quels sont les effets de cette dynamique organisationnelle sur la valeur appropriable par différents partenaires ? Le modèle organisationnel de la privatisation est construit à partir du cadre de la théorie positive de l’agence et plus spécifiquement en optant pour le champ de la théorie émergente de la gouvernance partenariale. La question des processus organisationnels induits par la privatisation suggère une stratégie de recherche fondée principalement sur les aspects qualitatifs des faits étudiés.
Cette problématique trouve ainsi plusieurs éléments de réponse à travers deux études de
cas : la privatisation d’Air France qui figure parmi les quatre premiers acteurs mondiaux du transport aérien et la privatisation de DSM, géant néerlandais sur le secteur de la chimie fine. Le processus organisationnel très progressif que recouvre la privatisation dans les deux cas et ses implications sur le processus de création et de répartition de la valeur illustrent le pouvoir explicatif de la théorie de la gouvernance partenariale.
Qu’il s’agisse du système de gouvernance publique, privée, nationale ou européenne, la
théorie de la gouvernance partenariale offre un cadre d’analyse particulièrement riche de la dynamique et de l’évolution organisationnelles. Elle ouvre ainsi plusieurs champs de recherche sur l’organisation, ses différents niveaux d’efficience et sur les institutions. Mots clés : approche comparative, architecture organisationnelle, efficience, étude de cas, gouvernance partenariale, privatisation.
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Sommaire
Introduction ---------------------------------------------------------------------------------------------------------9 Première partie : La privatisation : théories et faits ---------------------------------------------------------------- 24
Chapitre 1 : Le débat traditionnel sur le lien entre propriété et performance --------------------------- 28 Section 1 : Le concept de privatisation : un phénomène organisationnel à plusieurs facettes -------------29 Section 2 : Un lien positif entre privatisation et performance : la propriété comme variable intermédiaire
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------46 Section 3 : Illustrations empiriques : des conclusions hétérogènes---------------------------------------------58 Section 4 : Forces de marché et comportement managérial : une remise en cause de la propriété comme
facteur discriminant -------------------------------------------------------------------------------------77 Section 5 : Synthèse et extension : une remise en question de l’interprétation théorique ------------------81 Conclusion du chapitre 1 ----------------------------------------------------------------------------------------------80
Chapitre 2 : Analyse comparative des formes organisationnelles publiques et privées : contributions des approches contractuelles ----------------------------------------------------------------------- 83
Section 1 : Contribution de la théorie des contrats incomplets--------------------------------------------------86 Section 2 : Contributions de l’approche principal-agent ------------------------------------------------------- 103 Section 3 : Contribution de la théorie des coûts de transaction ----------------------------------------------- 110 Section 4 : Synthèse et extension des apports des différents prismes théoriques des approches
contractuelles------------------------------------------------------------------------------------------- 119 Conclusion du chapitre 2 -------------------------------------------------------------------------------------------- 124
Conclusion de la première partie ---------------------------------------------------------------------------------125 Deuxième partie : Privatisation et processus décisionnel : l’analyse dynamique du gouvernement
d'entreprise----------------------------------------------------------------------------------------127 Chapitre 3 : Privatisation et gouvernement d'entreprise : le champ de l’architecture
organisationnelle-------------------------------------------------------------------------------------130 Section 1 : Des origines au statut actuel de la théorie positive de l'agence---------------------------------- 131 Section 2 : Architecture organisationnelle et gouvernement d'entreprise : vers une théorie de la
gouvernance partenariale----------------------------------------------------------------------------- 149 Section 3 : Privatisation et gouvernance partenariale : l’intégration de la dynamique organisationnelle
dans la problématique de l’efficience -------------------------------------------------------------- 159 Conclusion du chapitre 3 -------------------------------------------------------------------------------------------- 161
Chapitre 4 : Analyse de la privatisation à partir de la théorie de la gouvernance partenariale : une relecture du lien entre propriété et performance----------------------------------------------163
Section 1 : Une ré-interprétation de la privatisation au regard de la TPA----------------------------------- 165 Section 2 : Privatisation, un changement d’architecture organisationnelle : première série de
propositions -------------------------------------------------------------------------------------------- 168 Section 3 : Dynamique du système de gouvernance et efficience organisationnelle ---------------------- 192 Conclusion du chapitre 4 -------------------------------------------------------------------------------------------- 201
Conclusion de la deuxième partie --------------------------------------------------------------------------------203 Troisième partie : Privatisation et processus décisionnel : une intégration de la dynamique de la
gouvernance à travers deux études de cas----------------------------------------------------206 Chapitre 5 : Privatisation, processus décisionnel et gouvernement d’entreprise : Réflexion
méthodologique --------------------------------------------------------------------------------------209 Section 1 : Problématique fondée sur les processus organisationnels et choix du positionnement
méthodologique---------------------------------------------------------------------------------------- 211 Section 2 : Investigation empirique et sécurité scientifique : les particularités de l’étude de cas ------- 219 Section 3 : Conduite de la recherche qualitative sur la privatisation d’Air France et de DSM ---------- 226 Conclusion du chapitre 5 -------------------------------------------------------------------------------------------- 243
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Chapitre 6 : La privatisation d’Air France et de DSM, deux illustrations de l’interdépendance entre processus décisionnel, système de gouvernance et efficience organisationnelle en France et aux Pays-Bas --------------------------------------------------------------------------------------245
Section 1 : La privatisation partielle d’Air France : un processus organisationnel sur 6 ans------------- 247 Section 2 : La privatisation graduelle de DSM : analyse du lien entre processus décisionnel et GE : mise
en évidence de la dynamique organisationnelle -------------------------------------------------- 284 Section 3 : Portée explicative du modèle et apports des deux études de cas -------------------------------- 305 Conclusion du chapitre 6 -------------------------------------------------------------------------------------------- 314
Conclusion de la troisième partie---------------------------------------------------------------------------------316 Conclusion générale ----------------------------------------------------------------------------------------------------317 Bibliographie ------------------------------------------------------------------------------------------------------329 Liste des tableaux, schémas et graphiques --------------------------------------------------------------------------343 Table des matières ------------------------------------------------------------------------------------------------------345
Annexes ------------------------------------------------------------------------------------------------------348 Liste des annexes ------------------------------------------------------------------------------------------------------349
Volume 2 : Tableau des codes centraux et des données réduites
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L’Université n’entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans les thèses : ces opinions
doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.
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REMERCIEMENTS
A l’issue de ce travail de recherche, nous souhaitons remercier différentes personnes qui ont de
facto un statut de parties prenantes à ce travail.
Nous remercions ainsi l’ensemble des personnes interrogées dans le cadre de notre investigation
empirique pour le temps qu’elles ont accepté de nous accorder et pour les impressions dont elles
nous ont fait part concernant Air France et DSM. Dans la mesure où certaines d’entre elles ont
souhaité conserver l’anonymat, nous les remercions collectivement. Nos remerciements vont
également à Monsieur Lesobres qui a engagé plusieurs contacts avec certains cadres dirigeants
d’Air France que nous remercions ici. Nos remerciements se dirigent aussi particulièrement vers
Monsieur Van der Grinten pour son témoignage sur une longue période du développement de
DSM. Nous tenons également à remercier Monsieur Groenewegen qui a accepté de nous accueillir
au sein de son équipe et qui nous a aussi permis de rencontrer plusieurs responsables de DSM.
Nous tenons à le remercier tout particulièrement pour ses précieuses remarques concernant notre
travail et pour son invitation au XXème Congrès européen organisé par The Association for
Institutional and Political Economy qu’il préside.
Ce travail résulte aussi d’un encadrement précieux de la part de notre directeur. Pour cette
gouvernance particulière de thèse, nous tenons à remercier Monsieur Charreaux qui a su nous
guider, parfois nous freiner utilement au cours de nos investigations ainsi que pour sa disponibilité
et pour les nombreuses discussions qui ont contribué à l’évolution de ce travail. Ainsi, nous lui
devons notre intérêt et notre conviction pour une grille de lecture sur les organisations fondée sur la
gouvernance partenariale. Dans cette perspective, nous remercions l’ensemble des membres de
l’équipe de recherche dijonnaise en sciences de gestion qui, au cours des séminaires internes ou de
discussions plus informelles, ont produit la critique nécessaire au mûrissement de notre recherche.
Nous tenons aussi à remercier certains doctorants pour les échanges mutuels qui ont contribué, à
leur manière, à l’avancement de ce travail. Nous remerciements s’adressent également à Madame
Heckel pour son soutien logistique auprès des doctorants et plus particulièrement dans le cadre du
déroulement de notre propre recherche.
Enfin, nous remercions les membres du jury qui par leur expertise, contribuent de manière
essentielle à la gouvernance de ce travail. Ainsi, nous remercions, Madame Mourgues, Monsieur
Desbrières, Monsieur Gallais-Hammono, et Monsieur Glachant d’avoir accepté d’évaluer notre
recherche, participant ainsi à l’achèvement de son processus.
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A toute ma famille,A toute ma famille,A toute ma famille,A toute ma famille, à Cem, spécialement,à Cem, spécialement,à Cem, spécialement,à Cem, spécialement,
à mes parents, mon frère, Marà mes parents, mon frère, Marà mes parents, mon frère, Marà mes parents, mon frère, Marieieieie----Jo, Clémence et Suna, symboliquement,Jo, Clémence et Suna, symboliquement,Jo, Clémence et Suna, symboliquement,Jo, Clémence et Suna, symboliquement, à mes grands parents, naturellement.à mes grands parents, naturellement.à mes grands parents, naturellement.à mes grands parents, naturellement.
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D’habitude le corbeau je le hais, D’habitude le corbeau je le hais, D’habitude le corbeau je le hais, D’habitude le corbeau je le hais, Mais tout de même… ce matinMais tout de même… ce matinMais tout de même… ce matinMais tout de même… ce matin
sur la neige sur la neige sur la neige sur la neige
Matsuo Bashô, Cent cinq haïkaï.Matsuo Bashô, Cent cinq haïkaï.Matsuo Bashô, Cent cinq haïkaï.Matsuo Bashô, Cent cinq haïkaï. (1644(1644(1644(1644----1694)1694)1694)1694)
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Introduction
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La privatisation représente un important phénomène de l’histoire économique du XXème
siècle, tant au niveau national, en France par exemple, qu’au niveau mondial. Très
controversée depuis plus de vingt ans, la privatisation a suscité de fortes réactions
idéologiques et partisanes. Le débat scientifique, quant à lui, cherche à comprendre les
enjeux macroéconomiques et microéconomiques de ce changement crucial pour
l’entreprise, pour une nation voire pour l’organisation économique mondiale. Cet
événement organisationnel a participé largement à l’histoire et à l’architecture économique
globale qui prévaut aujourd’hui. La question de la privatisation constitue donc un sujet
essentiel, notamment du fonctionnement de l’entreprise, comme en témoigne le dossier
spécial de L’Academy of Management Review, en juillet 2000. Dans leur article introductif
« Privatization and entrepreneurial transformation: emerging issues and future research
agenda », Zahra et al. (2000) précisent que l’objectif est de « contribuer à notre
compréhension des effets potentiels de la privatisation sur la transformation
organisationnelle » et plus précisément, « comment une firme est organisée, gouvernée,
gérée, autant que la manière dont elle s’adapte aux réalités concurrentielles d’une
économie de marché » (p. 510, notre propre traduction, désormais NT)1. Les auteurs
soulignent donc l’intérêt crucial que recouvre la privatisation dans la connaissance de la
dynamique stratégique (au sens large de création de valeur) de la firme. Pourquoi la privatisation peut-elle faire l’objet d’une recherche, en particulier en
sciences de gestion ? A cette question, l’on peut invoquer tout d’abord plusieurs arguments
d’ordre factuel. Un bref regard sur la presse économique de ces vingt dernières années
suffit pour comprendre l’ampleur du phénomène. En outre, le nombre élevé de travaux,
qu’ils soient de recensement, d’analyse macro-économique ou théorique reflète également
la dimension historique et mondiale de la privatisation. Ainsi, à une première vague de
privatisation timide, ponctuelle et locale au début des années 1960 (dont la cession partielle
du capital de Wolkswagen par le gouvernement Adenauer), ont succédé deux autres vagues
dont l’ampleur a été grandissante. Entre 1980 et 1991, la vente d’entreprises publiques à
des investisseurs privés a avoisiné 250 milliards de dollars, touchant plus de cent pays sur
l’ensemble des continents. Le Chili (dès 1974), la Nouvelle Zélande (dès 1986), la Russie
(dès 1990), le Royaume-Uni (dès 1980 avec la privatisation de British Aerospace) sont
quelques exemples de pays à avoir entamé une politique de privatisation souvent très
1 « […] to contribute to our understanding of the potential effects of privatization on organizational transformation […] how a firm is organized, governed, managed as it adjusts to the competitive realities of a market economy ». Italique des auteurs.
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ambitieuse. Sur cette même période, ce sont près de 9000 entreprises qui sont concernées
par la privatisation, sans compter les milliers de petites entreprises des économies
émergentes cédées à travers le monde. Sur la période 1988-1999, Boutchkova et
Megginson (2000, p. 43) observent un total de recettes issues des programmes de
privatisation d’environ mille milliards de dollars, dont les deux tiers proviennent des
privatisations par offre publique de vente. Ce mouvement représente pour beaucoup de
pays, notamment d’Europe occidentale, un pourcentage important du volume de
transactions boursières, contribuant ainsi fortement au développement du marché boursier2,
en France par exemple. Outre la part significative jouée par la privatisation dans l’évolution des économies
nationales et de leurs rapports, le second intérêt de poser la question de la privatisation
renvoie, à notre avis, aux origines de la philosophie grecque, première phase de l’histoire
de la pensée économique. L’analyse de celles-ci, relatée par Denis (1980), suffit à
comprendre l’attention que l’on peut porter à un phénomène aussi contemporain que la
privatisation (p.54) : « Le problème fondamental qui a fait sans doute naître la philosophie grecque, c’est le
problème du devenir et du changement. Pourquoi les choses se transforment-elles ? En quoi
consiste leur transformation ? Héraclite répondait que tout change sans raison, ce qui était
renoncer à toute explication. La réponse des physiciens était que l’on peut expliquer le monde
par la transformation d’une matière première (l’eau ou l’air) et par le choc d’une matière sur
une autre c’est-à-dire par une conception que nous appellerions aujourd’hui « transformiste » et
« mécaniste » du monde. Pour échapper au scepticisme des héraclitéens comme au
matérialisme des « physiciens », Platon avait construit son système des deux mondes : le
monde immuable des idées et le monde changeant des être naturels qui imite le premier ».
En suivant la même démarche, la question de la privatisation peut, en premier lieu, se
poser dans les simples termes suivants : Pourquoi privatiser ? L’analyse relève alors d’une
argumentation idéologique liée aux objectifs de privatiser. Ses principaux éléments,
largement invoqués dans bon nombre de travaux, sont associés globalement à deux
catégories d’objectifs dont le poids varie selon les pays.
2 Boutchkova et Megginson (2000) soulignent la part significative jouée par les programmes nationaux des privatisations dans le développement des marchés des capitaux tant en termes de liquidité que du point de vue du nombre d’investisseurs. Ainsi, la capitalisation boursière nationale a été stimulée par les privatisations des plus grandes entreprises. De plus, les auteurs relèvent que sur les 34 offres publiques les plus importantes de l’histoire du 20ème siècle (qui dépassent les 5 milliards de dollars), 25 étaient des privatisations.
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Premièrement, le choix de privatiser peut relever de motivations macro-économiques au
sens large, souvent associées à des contraintes budgétaires. Sans exhaustivité, ces
motivations portent sur le recentrage du domaine d’activité du secteur public, sur le
développement du capitalisme populaire (argument souvent rattaché aux motivations du
gouvernement de M. Thatcher lors du vaste programme de privatisation britannique) et,
d’une manière générale, sur le développement du marché financier par attraction de
capitaux nationaux et étrangers, et enfin, sur la recherche plus ou moins avouée de recettes
susceptibles, selon les périodes et les pays, de réduire les pressions fiscales ou le déficit
public. Ainsi, en France, la première vague de privatisation entamée en 1986 a engendré un
produit de 77 milliards de francs dont les deux tiers ont servi au remboursement de la dette
publique (Bizaguet, 1992, p. 94). On peut noter, toutefois, que globalement, et peut être
contrairement aux idées reçues, le cas français entre 1982 (entamant la troisième vague de
nationalisation) et 1988 (clôturant la première vague de privatisation) illustre l’impact
neutre de ces opérations sur la gestion du portefeuille public. En effet, comme le souligne
Bizaguet (Op. cit., p. 95), le coût lié aux acquisitions de départ (augmentation de capital,
subventions, emprunts contractés) semble avoir été compensé par le produit des ventes et
par les dividendes perçus. Soit « un résultat pratiquement équilibré sans gain, ni perte! ».
La seconde catégorie d’objectifs qui alimentent les controverses sur la question
initiale regroupe des motivations d’ordre microéconomique. Il s’agit principalement à
travers la privatisation, d’améliorer la performance des entreprises et/ou de favoriser leur
développement, à l’international notamment. Dans cette perspective, la privatisation est un
objet d’étude très controversé, bien que les réponses semblent plutôt unanimes à l’heure
actuelle compte tenu du succès que traduit l’ampleur du phénomène.
En second lieu, parallèlement à cette argumentation idéologique, privatiser une
entreprise pose le problème de la nature publique ou privée de la propriété dans la
réalisation de la performance d’une organisation. Cette approche rejoint plus globalement
le débat scientifique sur les facteurs explicatifs de l’efficience organisationnelle. Alors que
la privatisation a une origine déjà ancienne, le débat scientifique sur le sujet persiste
aujourd’hui. Qu’il s’agisse de l’évaluation de l’efficacité des privatisations ou de leur
extension à des services publics, la question de la privatisation reste en effet posée. Le
débat scientifique sur la relation entre la privatisation et la performance est construit sur
plusieurs approches théoriques plus ou moins concurrentes dont les confrontations
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empiriques ont abouti (y compris pour les plus récentes) à des résultats ambigus. Comment
alors expliquer l’importance des vagues de privatisation si ce n’est par une recherche
d’efficience plus grande ?
Le débat traditionnel sur le lien entre propriété et performance
A l’origine, ces travaux renvoient au débat sur la relation fondamentale entre propriété
et performance de l’entreprise. L’approche traditionnelle de la privatisation a ainsi
commencé dans un contexte où la propriété publique fait l’objet d’une controverse à la fin
des années soixante. Les premiers travaux sont alors fondés sur l’hypothèse d’efficience
inférieure du système de propriété publique par rapport au système de propriété privée.
Complétée par les apports de la théorie du Public Choice centrée sur les objectifs
politiques d’appropriation de rente, cette analyse de la propriété a conduit à un nombre
éloquent de travaux empiriques centrés sur la comparaison de performance des deux types
d’entreprises. Bien qu’une majorité d’entre eux convergent vers l’hypothèse de supériorité
de la propriété privée, la controverse demeure puisque certains travaux aboutissent à des
différences non significatives de performance et d’autres présentent des résultats
contradictoires. Ainsi, les résultats de ces études sont peu significatifs jusqu’à l’étude de
Boardman et Vining (1989) qui donne clairement l’avantage à la propriété privée à partir
d’un large échantillon international et multisectoriel.
Pendant cette controverse, les premières vagues de privatisation sont lancées, au Chili et
en Grande Bretagne notamment. La problématique de départ prolonge alors l’hypothèse
initiale. En ce sens, si la propriété publique est effectivement sous-efficiente par rapport à
la propriété privée, alors la privatisation devrait conduire à une performance supérieure de
l’entreprise. Cette hypothèse complémentaire de l’accroissement de performance induit par
la privatisation réoriente la problématique empirique sur une analyse des performances
avant et après la privatisation des entreprises concernées par ce mouvement. Dans cette
nouvelle perspective, les premiers travaux comme l’étude internationale multisectorielle de
Megginson et al. (1994), présentent des résultats favorables à la thèse traditionnelle de la
propriété. Cependant, une analyse de l’évolution méthodologique d’investigation
empirique montre un perfectionnement des modèles d’analyse de performance des
entreprises privatisées (Villalonga, 2000 ; Alexandre et Charreaux, 2001). Ces études
privilégient une approche plus dynamique de la performance. Leurs résultats nuancent les
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conclusions des précédents travaux. Ainsi, l’accroissement de performance des entreprises
privatisées ne serait pas aussi significatif. Cet accroissement serait par ailleurs observé
avant même la cession du capital à des agents privés. En outre, le contexte dans lequel sont
effectuées les privatisations est susceptible d’influencer les effets de celles-ci sur la
performance, comme par exemple, le cycle économique ou le développement du marché
des capitaux.
Cette évolution méthodologique et les résultats qu’elle propose laisse entière la
problématique initiale. Une troisième approche de la privatisation plus complémentaire
qu’antinomique suggère la prise en compte des forces de marché comme facteur essentiel
de la performance organisationnelle quelle que soit finalement la nature de la propriété.
Ainsi, les comparaisons de performance des entreprises publiques et des entreprises privées
en milieu concurrentiel conduisent à des résultats parfois favorables à l’entreprise publique
ou à des différences non significatives entre les deux formes organisationnelles
concurrentes. L’analyse de Boardman et Vining (Op. Cit.), pourtant fondée sur des
entreprises concurrentielles, est alors remise en question.
Les arguments théoriques avancés dans ces différentes approches du lien entre
privatisation et performance se réfèrent à certaines caractéristiques d’efficience exogènes
de la propriété publique et de la propriété privée. Pour comprendre les effets du passage de
l’une à l’autre, il convient donc d’examiner en profondeur leurs composantes respectives.
Dans cet esprit, les théories contractuelles fondées sur l’analyse des sources de coûts
propres à l’organisation, sont susceptibles de fournir une grille de lecture des différents
facteurs explicatifs de l’efficience organisationnelle. Cette approche théorique fondée sur
une comparaison des caractéristiques organisationnelles publiques et privées devrait par
conséquent éclairer la réflexion sur le lien entre propriété et performance et par extension,
sur les effets de la privatisation sur cette dernière. Une revue des contributions de la théorie
des droits de propriété (notamment dans ses premiers fondements), de l’approche
principal-agent et d’une analyse des coûts de transaction proposée par Williamson (1999)
conduit en définitive à des résultats théoriques semblables aux résultats empiriques. Si de
nombreuses conclusions théoriques sont favorables à la propriété privée, d’autres
approches de la propriété, notamment endogènes, comme la théorie des contrats
incomplets par exemple (version récente de la théorie des droits de propriété), privilégient
l’hypothèse de neutralité de la propriété en matière d’efficience. En ce sens, une analyse
comparative poussée des deux types organisationnels à travers les différents prismes
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théoriques contractuels permet de comprendre pourquoi les résultats empiriques sont si
hétérogènes. Mais, s’ils constatent d’un point de vue théorique l’ambiguïté de la propriété
comme source d’efficience, ces différentes perspectives ne permettent pas d’expliquer les
processus par lesquels la privatisation est susceptible d’en modifier les composantes. Cette
analyse a toutefois le mérite de souligner la nécessité de prendre en compte simultanément
ces différentes composantes organisationnelles.
Cette synthèse de la littérature souligne l’hétérogénéité des conclusions empiriques et
théoriques sur le rapport de la privatisation à la performance organisationnelle. Cette
hétérogénéité paraît découler en fait de la manière de poser la question de la privatisation.
Quel que soit finalement, l’angle de vue choisi, à la question du « pourquoi privatiser »
semble se substituer la question du changement organisationnel induit par la privatisation.
La première ayant permis de mettre en lumière l’importance de la seconde pour pouvoir
apporter une réponse approfondie à la question centrale du lien entre privatisation et
performance organisationnelle.
D’un débat sur les propriétés exogènes de la firme à un débat sur les propriétés
endogènes de son architecture organisationnelle : la pertinence d’une théorie de la
gouvernance partenariale
Cette nouvelle orientation de la réflexion sur la privatisation rejoint en définitive la
question essentielle des processus organisationnels sur lesquels reposent le fonctionnement
et le développement de la firme qu’elle soit publique ou privée. Autrement dit, la
performance de l’entreprise s’envisage comme le résultat d’un processus de création de
valeur et de sa répartition entre différents partenaires. En conséquence, dans le cadre d’une
réflexion scientifique sur le fonctionnement des organisations, la privatisation d’entreprise
soulève une interrogation relative aux mécanismes qui contribuent en dynamique, à
l’efficience de la firme. Notamment, le problème organisationnel auquel la privatisation
renvoie est celui de ses effets sur le processus décisionnel et sur les mécanismes qui
l’encadrent dans le but de protéger les intérêts des différents partenaires. C’est en effet à
partir de ces modes de gouvernance que chaque partenaire (actionnaire, dirigeant, salariés,
clients ou fournisseurs principalement) est susceptible d’influencer le processus
décisionnel au niveau de la création de valeur et/ou au niveau de sa répartition.
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Poser la question de la privatisation consite donc en une interrogation sur les
changements qu’elle provoque au niveau de l’architecture organisationnelle, c'est-à-dire
simultanément aux niveaux de la répartition des droits décisionnels et de la gouvernance
organisationnelle sur laquelle repose le système de coordination, d’évaluation de la
performance et de rétribution. A l’origine, la question soulevée rejoint, à juste titre, celle
du débat idéologique sur les raisons de privatiser. Toutefois, les réponses apportées et les
limites constatées suggèrent une analyse plus focalisée sur le comportement réel de la
firme à l’égard de la performance. En quoi consistent la privatisation et la
transformation organisationnelle qu’elle engendre ? Quels en sont les effets sur
l’efficience de la coopération entre les différents partenaires impliqués en interne et
en externe (vis-à-vis des concurrents en particulier) ? C’est précisément dans cette
perspective que cette recherche a été menée.
La problématique qui guide notre recherche soulève ainsi la question des liens entre la
privatisation et le processus de création de valeur partenariale. Dans cette perspective, les
conclusions des approches traditionnelles suggèrent un examen approfondi du rôle central
joué par les processus organisationnels inducteurs de performance. A partir de leurs
enseignements, notre recherche propose un renouvellement de l’analyse en vue d’apporter
une réponse aux problèmes d’efficience soulevés par la question de la privatisation.
L’objet de cette recherche est celui de la dynamique organisationnelle dans le contexte du
changement particulier induit par la privatisation. Dès lors, ce travail repose sur une
analyse organisationnelle du changement qui consiste à comprendre la manière dont la
privatisation affecte le comportement interactif des variables de performance
organisationnelle. Ainsi, ce travail de recherche vise à démontrer la portée explicative du
champ de recherche sur l’architecture organisationnelle3 et, en particulier, celui de la
théorie positive de l'agence sur laquelle est construite la théorie de la gouvernance
partenariale.
Notre objectif est de répondre aux insuffisances que nous avons constatées à travers
notre synthèse critique de la littérature, en orientant l’analyse de la privatisation sur le
3 L’architecture organisationnelle est une combinaison d’un système de répartition de droits décisionnels et du système de coordination et de contrôle. Elle est spécifique à chaque firme. Comme nous le montrerons dans le cas particulier de la privatisation, elle structure le processus de création et de répartition de la valeur organisationnelle.
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fonctionnement de l’organisation. La démarche que nous avons choisie consiste à
démontrer en quoi l’exploitation que nous faisons de la théorie de la gouvernance
partenariale permet de répondre aux questions soulevées par les conclusions des travaux
existants. Dans cet esprit, la portée de cette recherche réside dans le dépassement de
l’analyse centrée, au départ, sur le débat concernant le lien entre propriété et performance.
La firme en tant que centre contractuel regroupe un ensemble de partenaires impliqués
dans une coopération destinée à créer une valeur partenariale appropriable par chacun. A
partir de cette représentation élargie de la firme, et non pas centrée principalement sur la
relation actionnaires-dirigeant, la théorie positive de l’agence propose une analyse du
comportement de création de valeur sur la base d’un système de gouvernance centré sur le
dirigeant. Fondée sur le concept du processus décisionnel4, la théorie de la gouvernance
partenariale permet de prendre en compte les autres partenaires pour l’analyse de
l’architecture du processus décisionnel au centre duquel se trouve le dirigeant. Ce dernier
est ainsi considéré comme au centre des relations de la firme avec les autres parties
prenantes.
Dans ce contexte, l’approche comparative des formes organisationnelles publiques et
privées permet de réaliser un examen des processus par lesquels la privatisation induit un
changement organisationnel à l’égard des facteurs inducteurs de performance. Cette
analyse comparative propose une lecture des mécanismes de gouvernance qui encadrent le
comportement décisionnel du dirigeant et des autres partenaires ayant un intérêt à
surveiller ce dernier. Il s’agit ainsi d’explorer les effets de la privatisation sur le processus
décisionnel, sur les mécanismes qui l’encadrent et sur les implications de ces modifications
de l’architecture organisationnelle sur la valeur appropriable par chaque membre de la
coopération. Dans cet esprit, la privatisation semble agir sur la structure de propriété en
favorisant une décentralisation des étapes du processus décisionnel. En ce sens, nous
proposons une redéfinition de la privatisation fondée sur les processus organisationnels.
L’abandon partiel ou total des pouvoirs décisionnels de l’Etat propriétaire au profit
d’agents privés se traduit par une modification de l’architecture organisationnelle et, en
particulier, des mécanismes visant à contrôler les variables de performance. Ce
changement organisationnel se traduit par des mécanismes de surveillance et d’incitation
4 Le processus décisionnel repose sur un ensemble d’actions (initiative, ratification, mise en œuvre et surveillance) relatives à une décision de création de valeur, comme l’investissement, ou de répartition de valeur, comme le financement.
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plus efficaces dans l’accompagnement des objectifs de performance ainsi qu’en amont,
dans leur définition. Ainsi, la répartition de la valeur créée entre les différents partenaires
évolue au profit d’une participation effective de certains d’entre eux, au processus de
création de la valeur. La position des actionnaires en général et celle des salariés en
particulier (dont le dirigeant) sont théoriquement modifiées par le processus de
privatisation. La position des clients et des fournisseurs l’est tout autant, en particulier
lorsque la privatisation est accompagnée de la dérégulation sectorielle ou vient en
accompagnement de celle-ci.
Pour résumer, notre modèle organisationnel de la privatisation propose de substituer à la
relation unique entre propriété et performance développée dans les travaux antérieurs, trois
niveaux d’analyse. Les deux premiers niveaux portent sur l’examen des effets complexes
de la privatisation sur le processus décisionnel et sur la gouvernance organisationnelle. Le
troisième niveau d’analyse envisage au regard de la théorie de la gouvernance partenariale,
les modifications de cette architecture organisationnelle sur la capacité de chaque
partenaire à influencer le processus décisionnel et la valeur que chacun est susceptible de
s’approprier. Nous présentons ci-dessous les niveaux intermédiaires que notre recherche se
propose d’investir relativement à la relation entre propriété et performance :
Privatisation, propriété et performance : l’architecture organisationnelle
comme interface de l’analyse
Système de gouvernance organisationnelle
II
Privatisation Efficience organisationnelle
Processus décisionnelI
Partenaires de la
coopération III
Architecture organisationnelle
19
Quelle stratégie de recherche empirique sur la dynamique des processus
organisationnels sous-jacente à la privatisation ?
En construisant notre modèle de la privatisation à partir d’un renouvellement du cadre
conceptuel des liens entre propriété et performance nous cherchons une réponse à
l’ambiguïté des résultats obtenus dans les travaux antérieurs. A cette réorientation de la
problématique théorique s’ajoute celle du choix d’investigation empirique. En effet,
l’évolution méthodologique dans la littérature empirique met en exergue l’intérêt d’une
prise en compte de variables plus qualitatives dans la compréhension des effets
organisationnels de la privatisation sur la performance de l’entreprise. Toutefois, la plupart
des travaux restent fondés sur une représentation statistique même si le développement des
études ponctuelles reflète aussi cette évolution du traitement empirique. En outre, notre
problématique portant sur des aspects principalement qualitatifs de la dynamique
organisationnelle, notre investigation empirique s’oriente par conséquent vers une
approche qualitative du phénomène. Elle sugère une analyse approfondie du changement
organisationnel. Dans cette perspective, notre démarche consiste à identifier les évolutions
conjointes du processus décisionnel et de la gouvernance ainsi que les conséquences de ces
modifications organisationnelles au niveau des partenaires de l’entreprise. Afin d’apprécier
la plausibilité des liens théoriques qui privilégient essentiellement des phénomènes
organisationnels difficilement quantifiables, nous nous sommes orientés vers l’étude de
cas. Une telle approche repose sur une analyse d’entretiens et de supports textuels comme
les rapports annuels, la presse ou les ouvrages consacrés à l’entreprise. L’étude de cas est
ainsi susceptible de fournir un matériau empirique qualitatif nous permettant d’une part, de
décrire les concepts d’autre part, d’en contrôler les relations sous-jacentes. Ainsi, toute
modification du processus décisionnel qui s’accompagnerait de manière complémentaire,
d’une évolution de la gouvernance est alors associée à la dynamique de l’architecture de
l’organisation au cours de son processus de privatisation. La stratégie de recherche doit
répondre par conséquent, à certains principes méthodologiques particuliers relatifs aux
biais d’interprétation des données qualitatives. L’exposé de la démarche d’investigation, de
la collecte au traitement, peut ainsi contribuer à renforcer la validité de la démarche et du
contrôle de plausibilité de notre modèle. Enfin, une telle approche nécessite de définir une
période d’analyse. La période souvent retenue dans la littérature est limitée à 7 ans autour
de l’année de cession par l’actionnaire public. Elle paraît insuffisante compte tenu du
processus organisationnel progressif entamé bien avant cette année d’ouverture du capital.
20
En conséquence, nous fixons une période d’analyse de 10 ans avec la possibilité de
remonter plus loin si la disponibilité et la pertinence des données justifient une extension
de cette fenêtre.
Dans cette perspective méthodologique, nous avons choisi deux cas de privatisation de
sorte que les liens observés soient accentués. La privatisation d’Air France illustre un cas
fort de l’évolution de l’architecture organisationnelle. L’entreprise au bord de la faillite en
1993, connaît un nouveau départ suite à une recapitalisation qui marque le commencement
de sa privatisation progressive. La privatisation du transporteur aérien permet ainsi
d’évaluer la cohérence de notre modèle. En outre, une première réplication de celui-ci a pu
être menée dans un contexte très différent. Il s’agit de la privatisation de DSM, entreprise
néerlandaise intervenant sur le secteur de la chimie fine et des matériaux plastiques. Si la
France fait partie des pays à avoir engagé un programme relativement ambitieux de
privatisation, en revanche les Pays-Bas ont été plus modérés de par le nombre limité
d’entreprises publiques. DSM, à l’origine créée dans le cadre de la concession par les
pouvoirs publics de l’activité d’extraction minière illustre un cas de privatisation d’autant
plus marqué qu’elle s’est produite dans un pays peu enclin à la propriété publique. Ce
deuxième cas fort de privatisation permet de renouveler le contrôle de correspondance du
modèle avec les faits.
Ainsi, à l’issue de ces deux études nous devrions pouvoir apprécier la portée de notre
modèle de la privatisation et la pertinence du cadre conceptuel de la théorie de la
gouvernance pour la compréhension de la dynamique organisationnelle. Toutefois, la
stratégie de recherche choisie ne permet pas de statuer sur la « généralisabilité » de ce
travail. Dans la mesure où notre sélection empirique est motivée par la confrontation de la
plausibilité de notre modèle à quelques cas prononcés de privatisation, nous renonçons par
conséquent à un processus de validation lié à l’induction statistique. Ainsi, notre travail
s’inscrit dans l’optique de la « généralisabilité » analytique5 du cadre conceptuel de la
théorie de la gouvernance partenariale. Dans cet esprit, le contrôle de plausibilité de notre
modèle consiste en une appréciation de la correspondance de nos propositions théoriques
avec les faits. Mais ce contrôle de correspondance vise aussi implicitement une évaluation
de l’acceptabilité des hypothèses sous-jacentes liées au cadre conceptuel (Boudon, 1999).
5 Yin (1994).
21
En conséquence, il s’agit d’apprécier la plausibilité des arguments de la théorie de la
gouvernance partenariale relatifs au comportement des différents partenaires à l’égard du
processus décisionnel. Finalement, nous devrions nous prononcer d’une part, sur le
caractère convaincant de notre explication des liens entre privatisation et performance
d’autre part, sur la plausibilité de la théorie de la gouvernance partenariale en tant que
théorie explicative du processus organisationnel de création et de répartition de la valeur
partenariale.
La théorie de la gouvernance dans l’analyse de l’adaptation de l’organisation à un
environnement changeant
A partir de la théorie de la gouvernance, cette lecture du changement organisationnel
engagé lors de la privatisation doit permettre de produire à sa mesure, certains éléments de
contribution au développement de cette approche du fonctionnement organisationnel. Cette
recherche suggère la nécessité de prendre en compte la capacité de chaque partie
coopérante à participer effectivement au processus décisionnel et, par conséquent, à
bénéficier des mécanismes de gouvernance. Dans la mesure où ceux-ci encadrent plus ou
moins directement le comportement décisionnel du dirigeant, celui-ci demeure
incontestablement au centre de la firme mais en complète interaction avec les autres parties
prenantes à condition que celles-ci soient actives. Ainsi, si notre recherche ne remet pas en
cause la privatisation, elle est susceptible toutefois de remettre en cause la conception de la
firme publique. Dans le cadre de ce travail nous adressons donc trois questions
essentielles :
Tout d’abord, en référence à l’analyse de Denis (Op. cit.) sur les origines de la
philosophie grecque, notre travail doit permettre d’apporter une réponse claire à la question
de la sous-efficience de la propriété publique. Cette recherche se propose donc de fournir
une explication relative à une idée souvent reçue selon laquelle la firme publique est par
nature, une forme moins efficiente que son homologue privée.
� Ainsi, les entreprises publiques sont-elles toutes vouées à être privatisées ?
Comment expliquer par ailleurs, l’observation fréquente des restructurations réalisées
avant la cession du capital à des agents privés ? Globalement, la privatisation
conduit-elle systématiquement à un accroissement de performance ?
22
Deuxièmement, cette recherche suggère certains éléments de réflexion sur les
particularités des firmes publiques en matière de gouvernance et de comportement à
l’égard de ses propres critères de performance.
� Quelles sont les caractéristiques de gouvernance de l’entreprise publique ?
Troisièmement, notre lecture de la privatisation à partir de la théorie de la gouvernance
partenariale soulève la question de la pertinence de cette grille de lecture dans la
compréhension de la dynamique organisationnelle, de son développement et de ses
relations avec l’environnement.
� En ce sens, quelle est la portée explicative de la théorie de la gouvernance
partenariale vis-à-vis du comportement des organisations et des règles du jeu dans
lesquelles elles évoluent ?
Les trois principales étapes de notre recherche
Notre recherche propose donc à partir d’une revue succincte des théories exploitées
(Partie 1), une lecture de la privatisation au regard de la théorie de la gouvernance en vue
de comprendre les processus organisationnels induits par la privatisation en matière de
création et de répartition de la valeur partenariale (Partie 2). Une mise à l’épreuve de ces
liens théoriques en vue d’un contrôle de leur plausibilité est consacrée à l’étude de deux
cas de privatisation, le deuxième permettant une première réplication théorique de notre
modèle organisationnel de la privatisation (Partie 3).
Cette approche de la privatisation constitue un phénomène particulièrement intéressant
dans le domaine des sciences de gestion dans la mesure où elle partage avec lui, le même
objet de recherche, celui des organisations. De plus, l’approche de la privatisation rejoint la
préoccupation centrale des sciences de gestion. La question posée dans ce domaine de
recherche est double. D’une part, comment fonctionne l’organisation ? D’autre part, quels
sont les facteurs explicatifs de sa performance ? En ce sens, les théories des organisations
néo-institutionnelles permettent d’aborder la privatisation sous l’angle comparatif des
formes organisationnelles publiques et privées en s’attachant à l’analyse de leurs
caractéristiques propres. Ainsi, l’approche traditionnelle du lien entre privatisation et
performance, fondée sur la nature exogène de la propriété et des forces de marché (chapitre
1) conduit à reformuler l’analyse de la privatisation, compte tenu des conclusions
23
hétérogènes. Dans cette perspective, le chapitre 2 envisage une approche comparative des
deux formes organisationnelles à partir des diverses théories (principal-agent, contrats
incomplets, théorie des coûts de transaction) qui rejoignent et enrichissent l’argumentation
initiale du débat sur la privatisation. L’objet de ce chapitre est donc de démontrer l’intérêt
d’intégrer les différents niveaux organisationnels qui contribuent au fonctionnement de la
firme en matière de création de valeur et de sa répartition à l’égard des partenaires qui la
constituent. Il permet ainsi de mettre en lumière l’intérêt d’une grille de lecture qui puisse
prendre en compte simultanément les différentes dimensions du comportement
organisationnel à l’égard de la performance d’un point de vue contractuel. Une synthèse du
positionnement de la théorie positive de l’agence et de son champ spécifique de la
gouvernance nous conduit à proposer une grille de lecture intégratrice fondée sur une
vision partenariale de la gouvernance (chapitre 3). Sur la base des résultats de l’analyse
comparative des formes organisationnelles publiques et privées, ce cadre théorique met en
lumière la nécessité de modéliser les processus organisationnels qui permettent de
répondre aux questions posées sur le fonctionnement de l’organisation. Sur cette base
conceptuelle fournie par la théorie de la gouvernance partenariale, nous présentons un
modèle organisationnel de la privatisation (chapitre 4). Dans la poursuite de notre
recherche, nous exposons les choix méthodologiques et les outils que nous avons construits
pour leur mise en œuvre dans le cadre d’une stratégie de recherche par étude de cas
(chapitre 5). Une fois notre stratégie de recherche exposée, nous présentons les résultats de
cette investigation empirique ainsi que la plausibilité et la portée explicative de notre
modèle organisationnel de la privatisation (chapitre 6). Une conclusion générale sur les
principaux résultats théoriques, méthodologiques et empiriques de ce travail propose les
perspectives de cette recherche et plus particulièrement les voies de développement du
cadre conceptuel d’une théorie de la gouvernance partenariale.
24
Première partie
La privatisation : théories et faits
25
La privatisation en tant que phénomène organisationnel majeur de ces vingt dernières
années a suscité de nombreuses réactions dans le milieu scientifique. Ce phénomène
participe de manière significative à la question de l’identification des facteurs explicatifs
de la performance de l’entreprise6. La privatisation est-elle nécessaire ? Dans l’affirmative,
quelles en sont les raisons ?
Deux courants principaux proposent certains éléments de réponse. Le premier privilégie
un examen de la nature de la propriété publique et de la propriété privée afin d’envisager
leur relation respective avec la performance organisationnelle. Le second courant envisage,
quant à lui, les forces de marché et les structures incitatives qui lui sont propres. Au-delà
des effets de la propriété sur la performance organisationnelle, ce second courant analyse
les effets induits par les mécanismes de marché sur celle-ci. Ces deux perspectives des
facteurs explicatifs de la performance organisationnelle sont ainsi résumées par Nellis lors
d’un forum sur les politiques publiques pour le développement du secteur privé7 (1992) : « La théorie économique néoclassique suggère que la relation entre propriété et performance est très
ténue; l’efficience est vue comme fonction des structures de marché et d’incitation. En théorie, il y a peu
de différence entre une firme privée ou publique tant qu'elle opère sur un marché concurrentiel ou
contestable sans barrière à l'entrée ou, tout aussi important, sans barrière à la sortie. Le propriétaire
ordonne au dirigeant de suivre les signaux fournis par le marché et lui donne l'autonomie de le faire. Le
dirigeant est récompensé ou sanctionné sur la base de la performance. La réalité montre que la théorie
s'applique en fait sous deux conditions cruciales : premièrement, les conditions nécessaires, dans leur
ensemble, sont rarement satisfaites. Et deuxièmement, même si elles sont satisfaites, elles ne tendent à
l'être que sur une courte période; on ne peut assurer que les conditions nécessaires perdurent » (NT).
6 Le lecteur pourra se référer à la revue historique de Couret (1987) et, dans son prolongement, à celle de Amann (1999) sur l’origine de la propriété qui, par la suite, a influencé la pensée économique et le débat sur la performance (Smith, 1776). Simplement, remarquons que les auteurs identifient les premières origines européennes de la théorie des droits de propriété. Dès le XIVème siècle, les premières manifestations du concept de propriété apparaissent dans la pensée nominaliste du philosophe anglais Guillaume d’Ockham. Par la suite, ce concept a fortement influencé les théoriciens de la firme et de son comportement, notamment les théoriciens nord américains, au XXème siècle. (Amann 1999, p. 16-17). 7 La banque mondiale, sur son site www.worldbank.org, propose un forum ouvert sur le thème de la Politique publique pour le secteur privé (Public Policy for Private Sector ) afin d’encourager le débat d’idées sur les politiques publiques visant à développer le secteur privé et financier. La note 7 de Nellis (1992) fait partie des échanges réalisés dans ce cadre : « Neoclassical economic theory suggests that the relationship between ownership and performance is very tenuous; efficiency is seen as a function of market and incentive structures. In theory it makes little difference whether a firm is privately or publicly owned as long as: it operates in a competitive or contestable market without barriers to entry or, just as important, barriers to exit. The owner instructs management to follow the signals provided by the market and gives it the autonomy to do so. Management is rewarded and sanctioned on the basis of performance. Evidence shows that the theory does indeed apply in practice with two crucial qualifications: first, the full set of necessary conditions is only rarely met. And second, even when it is met, it tends to stay met for only a while; the necessary conditions cannot be made to endure ».
26
La structure du marché, la nature de la relation entre propriétaire et dirigeant ainsi que
le système de récompenses managériales sont ainsi avancés comme les variables
essentielles de la performance. Leur combinaison, loin d’être définitive et figée, repose à la
fois sur la structure de propriété et sur les forces de marché. Ces deux facteurs semblent
donc influer significativement sur l’efficience organisationnelle.
Dans la perspective de ce débat général sur les facteurs de performance, cette première
partie traite de la problématique des effets de la privatisation sur la performance de
l’entreprise telle qu’elle ressort de la littérature. Les deux chapitres suivants sont ainsi
consacrés à notre lecture des travaux théoriques et empiriques relatifs aux variables de
performance dans le contexte de la privatisation. Cette première partie tente de répondre à
la question suivante : comment la privatisation agit-elle sur les sources d’efficience de
l’entreprise ? Il ressort deux points essentiels de notre lecture. Premièrement,
l’identification des contours de la privatisation recouvre de multiples aspects qui peuvent
concerner non seulement l’organisation, mais aussi le secteur ou l’économie. Mais une fois
le consensus établi sur le concept général de la privatisation, la littérature propose deux
courants d’analyse relatifs pour le premier aux caractéristiques de la propriété publique et
privée et pour le second, aux effets des forces de marché sur la performance
organisationnelle. Le chapitre 1 est ainsi consacré à l’approche économique traditionnelle
des variables principales de performance dans le cadre de la privatisation. Deuxièmement,
l’ambiguïté des réponses apportées, notamment par les travaux empiriques ne permet pas
de statuer définitivement sur les effets de la privatisation sur la performance. Nous avons
alors orienté notre réflexion vers une approche plus approfondie des caractéristiques
organisationnelles à partir des différentes lectures contractuelles de l’organisation. Ainsi le
chapitre 2 est consacré à une approche comparative des deux formes organisationnelles
publique et privée, afin d’explorer en détail les différentes facettes de la performance de
chaque firme. Cette deuxième lecture de la privatisation propose un approfondissement de
la problématique initiale sur laquelle reposent implicitement les travaux abordés dans le
premier chapitre. Cette approche comparative permet de répondre en partie à l’ambiguïté
des effets de la privatisation sur la performance organisationnelle. En effet, elle permet de
comprendre l’existence de formes organisationnelles efficientes alternatives. En ce sens,
une application des théories contractuelles aux deux types d’organisation conclut au fait
que l’efficience des firmes existantes est relative. Cette efficience doit être comparée à un
ensemble de choix organisationnels possibles. Il apparaît alors que l’entreprise publique
27
peut constituer une forme organisationnelle efficiente comparativement à une forme
d’organisation privée.
A l’issue de cette synthèse critique de la littérature, ces deux apports essentiels justifient
la controverse ancienne et non résolue sur la privatisation. Ils soulignent les liens
complexes entre ce phénomène organisationnel largement répandu et la performance de la
firme. Toutefois, les réponses ambiguës suggèrent une approche plus systémique du
fonctionnement organisationnel. Celle-ci semble en effet nécessaire pour aborder ces liens.
En ce sens, en concluant à la complexité de ces liens mis en jeu, les chapitres suivant
montrent en quoi l’approche traditionnelle de la privatisation se heurte à une limite
théorique essentielle. En effet, ses fondements conceptuels paraissent insuffisants pour
comprendre le fonctionnement organisationnel duquel résulte la performance. Afin de
comprendre les processus qui y contribuent, l’analyse des effets de la privatisation sur la
performance nécessite donc un renouvellement de la problématique. En particulier, un
cadre théorique qui intégrerait les phénomènes d’interaction entre de multiples variables de
performance devrait permettre de modéliser les processus réels par lesquels la privatisation
transforme en profondeur l’organisation.
28
Chapitre 1
Le débat traditionnel sur le lien entre propriété et performance
J’envisage chaque espèce comme une entité contingente de l’histoire,J’envisage chaque espèce comme une entité contingente de l’histoire,J’envisage chaque espèce comme une entité contingente de l’histoire,J’envisage chaque espèce comme une entité contingente de l’histoire, dont l’avenir est imprévisible.dont l’avenir est imprévisible.dont l’avenir est imprévisible.dont l’avenir est imprévisible.
S. J Gould, Essai n°8, p. 137S. J Gould, Essai n°8, p. 137S. J Gould, Essai n°8, p. 137S. J Gould, Essai n°8, p. 137
29
L’ampleur des travaux relatifs plus ou moins directement à la privatisation témoigne
depuis plusieurs années, du débat controversé et largement répandu de la performance des
entreprises et des systèmes économiques. Sur la base de l’approche de la performance telle
que l’envisage Nellis, la structure de propriété et les forces de marché représentent deux
facteurs explicatifs de l’efficience organisationnelle. Dans le contexte particulier de la
privatisation, le débat porte sur l’analyse des incidences de celle-ci sur les facteurs
explicatifs de la performance. Nous envisageons dans la première section, le concept de
privatisation qui, loin d’être uniforme, pose, à sa manière, la question de l’organisation. Le
lien supposé entre nature de la propriété et performance est analysé dans la section 2. La
section 3 est consacrée à une illustration de cette approche et à une analyse de ses limites.
Ce développement est fondé sur une revue historique des travaux empiriques et de leur
évolution méthodologique. Cette analyse soulève plusieurs questions relatives aux liens
construits par la théorie de l’approche traditionnelle de la privatisation. L’incidence des
forces de marché sur la performance fait ensuite l’objet de la section 4. La section 5 est
consacrée aux apports et extensions de ces deux approches de la performance
organisationnelle qui soulèvent la question cruciale de ses facteurs explicatifs dans le cas
particulier de la privatisation.
Section 1 : Le concept de privatisation : un phénomène organisationnel à plusieurs
facettes
Comme nous l’avons évoqué précédemment, la privatisation n’est pas un phénomène
uniforme. Les différentes acceptions du concept de privatisation dépendent principalement
de son objet. En effet, selon que l’on parle de la privatisation de l’économie, du secteur ou
de l’entreprise, la signification et les formes de privatisation sont différentes. Notre
recherche s’intéresse à la dernière forme de privatisation mais il nous paraît important
d’évoquer les diverses acceptions afin de cerner les différents cas observables de
privatisation et de délimiter ainsi notre objet d’étude (1.1). En outre, la conceptualisation
de la privatisation d’entreprise est une manière de poser la question de l’organisation et de
l’interprétation que l’on peut faire de la firme (1.2). Enfin, la privatisation d’entreprise
recouvre plusieurs formes concrètes dont les effets organisationnels sont a priori
différents. Dans ce contexte multiforme, il convient pour l’analyse, de proposer une
définition générique de celle-ci (1.3).
30
1.1. La privatisation : différentes perspectives
Afin de définir le terme de privatisation, il nous paraît intéressant de nous arrêter sur les
trois variantes observables de la privatisation. Elles sont souvent associées à des contextes
nationaux particuliers ainsi qu’à la nature des services ou des biens concernés.
La première variante de la privatisation, celle de l’économie, se réfère notamment aux
pays en transition, dont le système économique repose, à l’origine, sur une économie
socialiste. Le programme de privatisation de l’économie, dit « de masse », par exemple en
Pologne, en Russie ou en République Tchèque, a tout d’abord consisté à autoriser la
propriété privée puis à l’encourager8. Ainsi, la Pologne a créé un ministère des
changements de propriété9, responsable du processus de privatisation sous la tutelle du
conseil des ministres et du parlement polonais. Parmi ses différentes missions, dont la
principale est l’exécution du transfert de propriété, cet organe, via ses quatorze
départements, est chargé d’organiser des séminaires afin de promouvoir l’initiative privée
et de diffuser des informations sur la privatisation aux interlocuteurs intéressés (Guislain
1995, p. 187). Cet aspect global de la privatisation a fait l’objet de multiples travaux.
Ceux-ci examinent les changements institutionnels induits par le processus de privatisation
(ou devant l’accompagner), en particulier dans les économies émergentes. Ainsi, Shleifer
(1997) observe la réforme timide des institutions russes comparativement à des pays
comme la Chine ou la Pologne. L’étude menée par Perotti et Van Oijen (2001) démontre
comment la gestion politique d’un programme de privatisation peut avoir des effets très
significatifs en matière de développement du marché des capitaux. Dans le même sens,
Milhaupt (1999) démontre, dans le cadre de l’unification de la Corée, le rôle central joué
par la législation dans l’accompagnement des privatisations et de leurs effets. Ainsi,
comme le résume l’auteur « le simple passage de la propriété des mains de l’Etat aux
mains privées dans un vacuum institutionnel ne garantit pas une adéquation et un
développement spontanés de la gouvernance d’entreprise et des mécanismes de
surveillance10 . […] la poursuite d’une réforme du droit des sociétés et du marché des
capitaux de la Corée du Sud est un élément décisif de toute stratégie de privatisation bien
8 Dans son ouvrage intitulé « La privatisation en Europe de l’Est », Dembinski (1995) analyse les caractéristiques du contexte social dans lequel l’homo systemicus est devenu progressivement homo oeconomicus (notamment les chapitres 2 et 3). 9 La loi du 13 juillet 1990 prévoit la création du poste de ministre des changements de propriété. 10 « simply moving ownership from State to private hands in an institutional vacuum does not insure that adequate corporate governance and supervisory mechanisms will develop spontaneously. […] continued reform of South Korean corporate and securities laws is a crucial component of any well-devised privatization strategy ».
31
pensée » (NT). En définitive, ce premier cas de privatisation témoigne de l’importance
jouée par les institutions dans l’étendue et les choix de privatisation (Hemming et
Unnithan, 1996 ; Bortolotti et al., 1998). En ce sens, la privatisation s’inscrit dans un large
cadre de réformes structurelles et, pour certains pays, participe à la stabilisation et au
développement économique (Lüders, 1996).
Une autre lecture de cette première variante de la privatisation permet d’esquisser deux
grandes familles de pays. La première famille regroupe les pays qui ont pu mettre en place
de vastes programmes de privatisation en s’appuyant sur des structures institutionnelles
déjà bien développées comme la France ou le Royaume-Uni par exemple. Pour cette
catégorie de pays, la privatisation a eu un impact sur le développement de ces institutions
existantes, comme en témoignent les résultats de Boutchkova et Megginson (2000), relatifs
à l’impact des privatisations sur l’expansion du marché des capitaux. Cependant, la
privatisation a eu un impact moindre sur les caractéristiques institutionnelles nationales de
ces pays, comparativement à la seconde famille. En effet, cette dernière regroupe les pays
dont les institutions, notamment légales, ont subi d’importantes évolutions principalement
en raison de leur propre privatisation. La lecture institutionnelle de la privatisation au
Brésil proposée par Goldstein (1999) reflète l’intensité variable de ces changements
comme le souligne cette conclusion (p. 704) : « le pays (le Brésil) apparaît comme un cas
intermédiaire entre les « réformateurs révolutionnaires » comme le Chili11 ou la Nouvelle
Zélande et des pays comme l’Argentine et le Mexique où les ventes rapidement conclues
ont précédé à tort la consolidation des institutions » (NT)12. Ainsi, comme le soulignent
Bortolotti et al. (Op. cit.), l’intensité des privatisations varie selon les spécificités
institutionnelles nationales. En ce sens, certains pays pratiquent (ou ont pratiqué) des
privatisations d’envergure moindre que les précédents cas, limitées à un secteur (cas de
privatisation de monopole public accompagnée ou précédée d’une dérégulation) ou
limitées aux entreprises. Il s’agit alors des deux autres variantes de la privatisation.
11 Parmi les réformes essentielles du fonctionnement institutionnel chilien qui ont accompagné le programme de privatisation, citons la modification du système de retraite par répartition. Les actions des entreprises privatisées chiliennes ont constitué la base des instruments d’investissement nécessaires pour créer un système de retraite (compte de retraite individuel de capitalisation) gérés par des fonds privés. Comme le souligne Lüders (1996, p.198), parmi ces fonds de retraite privés, deux des plus importants ont été, au départ, détenus par des groupes étrangers. 12 « […] the country emerges as an intermediary case between the “revolutionary reformers” like Chile and New Zealand and countries like Argentina and Mexico, where the cart of fast sell-offs was put before the horse of institutional strengthening”.
32
Le second type de privatisation touche un secteur entier. Certains pays comme la
Nouvelle-Zélande, la Roumanie, le Sri Lanka, l’Argentine, le Mexique, l’Italie, ou le
Royaume Uni ont entrepris des restructurations certes importantes, mais limitées en
général à un secteur, en accompagnement de la privatisation de leurs entreprises publiques.
Ce type de privatisation concerne donc un aspect plus réduit de l’économie,
comparativement au premier cas. Ainsi, la privatisation d’entreprise a conduit à la
modification de certains secteurs, notamment celui de l’énergie. Ce type de privatisation a
été précédé, par exemple, d’une « démonopolisation » telle que l’ont pratiquée la France,
l’Argentine ou le Royaume-Uni, respectivement dans le cas des privatisations de France
Télécom, de la compagnie pétrolière YPF, et des compagnies d’électricité et de l’eau13.
Cette catégorie particulière de privatisation renferme en définitive les privatisations
d’entreprises appartenant à secteur monopolistique domestique qui souvent s’accompagne
de la dérégulation sectorielle. On rencontre souvent dans la littérature une assimilation des
deux termes que nous préférons distinguer ici, les logiques étant différentes comme cette
recherche le démontre indirectement.
Enfin, la troisième acception générique de la privatisation est celle de l’entreprise. Elle
constitue l’objet central de cette recherche. Notons que dans certains contextes
institutionnels, elle peut s’inscrire dans un programme plus large de privatisation tels que
ceux envisagés précédemment. Cette acception au sens strict, par opposition aux sens
précédents, plus larges donnés à la privatisation, suppose le passage d’une entreprise
publique à une entreprise privée. Cette perspective met en jeu deux formes
organisationnelles. Le point de départ de l’analyse consiste en ce passage d’un état
organisationnel public à un autre état organisationnel, privé. Par conséquent, la
conceptualisation de la privatisation nécessite, au préalable, une définition de chacun de
ces états organisationnels et d’abord, d’une manière plus générale, de ce que l’on entend
par organisation.
13 Par exemple, le programme britannique de privatisation des compagnies d’électricité et de l’eau prévoyait préalablement à la privatisation, un morcellement des secteurs concernés. Le programme argentin relatif à la privatisation de YPF en 1993, s’inscrivait quant à lui, dans un programme plus large de dérégulation de l’industrie. Ces restructurations ont conduit le nouveau PDG de la société pétrolière, installé en 1990 par le gouvernement, à céder plus du tiers des actifs du groupe à des sociétés concurrentes. (Guislain, Op. cit., p. 112)
33
1.2. La privatisation de l’entreprise : quelle interprétation de la firme ?
L’entreprise-organisation, tout comme le concept de privatisation, a été l’objet de
nombreuses interrogations. Les théories de la firme ont revu sous différents angles, cet
objet d’analyse, notamment depuis la décennie quatre vingt. La vision plurielle de
l’organisation est sans doute ce que l’on peut retenir des travaux récents qui l’ont replacée
au centre de la réflexion. Plusieurs ouvrages incarnent la pensée contemporaine de
l’organisation, en particulier de la firme, reconstruite à l’image de « l’hologramme »
comme le résume le titre de l’ouvrage de Morgan (1986), « Images of Organization ». La
méthode d’analyse que l’auteur propose consiste en une « métaphorisation » des
organisations qui « sont en général complexes, ambiguës et remplies de paradoxes », afin
« d’apprendre à composer avec cette complexité » (p. 8).
Cette approche renouvelée de la firme est une réponse à l’image restrictive qu’en
donnait la théorie néoclassique. Dans leur ouvrage intitulé « les nouvelles théories de
l’entreprise », Coriat et Weinstein [1995] consacrent une revue des différentes analyses
économiques de la firme en abordant les courants dominants actuels qui visent à
reconstruire la représentation de la firme longtemps « pensée comme un organisme réflexe,
plutôt que comme un acteur véritable » (p. 5). La relecture de la firme que les auteurs
proposent reprend les approches néoclassiques standards et standards élargies ainsi que les
approches hétérodoxes. Les auteurs reprennent tout d’abord, la conception néoclassique de
la firme, considérée comme la firme « point », fondée sur le modèle walrasien du
paradigme dominant de la théorie des prix et de l’allocation des ressources. Puis, dans la
perspective des théories contractuelles, la firme est réinterprétée comme un arrangement
institutionnel alternatif au marché qui revient aux travaux de Williamson, fondateur de la
nouvelle économie institutionnelle sur la base des travaux novateurs de Berle et Means
(1932) et Coase (1937). La firme prend alors une nouvelle signification, fondée sur une
approche contractuelle de la coopération entre acteurs. Cette conception de la firme est
alors le point de départ de l’analyse de sa structure et de son fonctionnement dans la
perspective de la théorie des droits de propriété et, dans son prolongement, la théorie
positive de l'agence. Les courants hétérodoxes, quant à eux, proposent une approche
évolutionniste de la firme, par opposition à la perspective de statique comparative des
précédentes approches. Egalement fondés sur le principe de sélection naturelle, ces
courants considèrent les aptitudes des organisations en matière d’adaptation sur le long
terme dans le cadre des apprentissages individuels et collectifs, et la construction de
34
routines (Nelson et Winter, 1982). Les travaux d’Aoki (1990), fondés sur l’échange
d’informations et les mécanismes de coordination au sein de la firme japonaise, tentent
d’expliquer les innovations organisationnelles, créatrices de capacités d’apprentissage et
donc d’adaptation à un environnement instable. Enfin, les auteurs consacrent une lecture
finale à la théorie de la régulation qui rompt avec l’individualisme méthodologique,
considérant le lien entre microéconomie et macroéconomie. La firme est ici considérée
comme « l’expression d’un système juridique déterminé par un ensemble de règles qui lui
sont extérieures » (p. 185). Malgré leurs limites, ces différentes théories témoignent de la
tentative de réconciliation entre une vision réduite de la firme et la complexité qu’elle
recouvre, en explorant, chacune à leur manière, les liens entre le fonctionnement interne et
l’environnement de la firme.
Au regard de ces multiples modélisations de la firme, le trait caractéristique commun
repose sur le rôle actif de l’entreprise en tant qu’organisation. Milgrom et Roberts (1997)
en proposent une définition très générale. Selon ces auteurs, « les organisations
économiques sont des entités créées par des individus qui agissent en interaction en vue
d’atteindre des buts économiques, individuels et collectifs » (p. 28). En outre, notre
objectif repose sur l’explication de la structure et du fonctionnement de la firme dans le
contexte de sa privatisation. Nous retiendrons, parmi les interprétations théoriques
multiples de la firme, celle sur laquelle reposent les théories contractuelles et notamment la
théorie positive de l'agence, à l’origine du champ théorique du gouvernement d'entreprise
(Cf. infra chapitre 2 et suiv.). En effet, comme nous l’avons développé dans l’introduction
générale, la question de recherche que nous posons porte sur les modifications de
l’environnement contractuel de la firme, induites par la privatisation et les effets de ces
changements sur son architecture organisationnelle. Cet objectif reposant sur une
application de la grille de lecture de la théorie positive de l'agence, nous retiendrons en
conséquence la définition de la firme proposée par Jensen et Meckling (1976), sur laquelle,
d’une manière plus générale, sont fondées les théories contractuelles des organisations.
« La firme [est] une fiction légale qui sert de lieu de réalisation d’un processus complexe
d’équilibre entre les objectifs complexes d’individus (dont certains « peuvent » représenter
d’autres organisations) à l’intérieur d’un cadre de relations contractuelles ».
35
A partir de cette perspective contractuelle de la firme, notre problématique pose la
question des traits distinctifs des firmes publiques et privées qui représentent les deux états
organisationnels impliqués dans le phénomène de privatisation.
Comme Glachant (1994) le démontre dans son analyse économique approfondie des
entreprises publiques, le terme « publique » recouvre des réalités multiples et hétérogènes,
allant de l’entreprise contrôlée par l’Etat, à de simples participations dans d’autres
entreprises, nationales ou étrangères (on parle alors de nationalisations silencieuses), en
passant par « le clivage commode entre deux situations de marché (secteur public
concurrentiel, secteur public monopolistique) »14. Bien qu’il n’existe aucune définition
officielle de l’entreprise publique, plusieurs esquisses permettent d’en définir les traits
caractéristiques. Une première tentative est celle d’un projet de loi déposé par le
gouvernement français devant l’Assemblée Nationale en 1948 (Bizaguet, 1992, p. 8). Ce
projet finalement avorté, proposait une esquisse de l’entreprise publique en distinguant la
situation de marché ou hors marché de l’entreprise publique mais sans la définir. Ainsi, ce
projet identifiait deux catégories :
- les entreprises publiques qui gèrent un service public d’intérêt général, un quasi-
monopole de droit ou de fait. Celles-ci ne peuvent être déclarées en liquidation
judiciaire ;
- les entreprises publiques soumises à la concurrence ou qui peuvent l’être.
En outre, le Traité de Rome, dans son article 90 sur la concurrence, ne fait que
mentionner l’entreprise publique15. Comme le relève Bizaguet, une première définition
européenne de la firme publique apparaît dans les années soixante avec la création de
l’association des entreprises publiques de l’Union européenne. Ainsi, selon le Centre
Européen de l’entreprise Publique (CEEP), celle-ci se définit comme « toute entreprise
dans laquelle l’Etat, les collectivités ou établissements publics, les autres entreprises
publiques, sont propriétaires séparément ou ensemble, directement ou indirectement d’une
part de capital dont l’importance soit, excède la moitié du capital de l’entreprise soit, tout
en restant minoritaire dans le capital, permettent du seul fait de son existence ou en se
conjuguant avec des droits spécifiques, à la puissance publique de disposer d’un pouvoir
effectif dans l’entreprise ».
14 Glachant (1994), p. 12 et aussi p. 21. 15 L’article 90 alinéa 1 du Traité de Rome stipule que « les Etats membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux exclusifs, n’édictent, ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du présent Traité… ».
36
Dans le prolongement de cette définition, une directive européenne datant du 25 juin
1980 précise que l’entreprise publique est « une entreprise sur laquelle les pouvoirs publics
peuvent exercer une influence dominante du fait de la participation financière ou des règles
qui la régissent ».
Ces délimitations « officielles » du contour de l’entreprise publique permettent d’en
dégager les caractéristiques distinctives, notamment par rapport à son homologue privée.
Au premier abord, il apparaît, au sein de cet ensemble très composite de la réalité publique,
un trait universel, attaché à la détention du patrimoine (public) par des personnes publiques
(ou représentantes des pouvoirs publics telles que les tutelles ministérielles). Sur la base de
ce constat juridique, l’entreprise publique se caractérise par un rôle actif de l’Etat qui, par
un contrôle de droit, peut influer significativement sur la gestion stratégique de la firme.
Cette approche permet donc d’envisager des entreprises publiques au sein desquelles
peuvent coexister des actionnaires privés et l’actionnaire public. Toutefois, est entreprise
publique, celle au sein de laquelle ce dernier exerce un pouvoir dominant, c’est-à-dire
conserve le droit de contrôle sur la composition du capital et la nomination du dirigeant.
Cette définition générale de l’entreprise publique permet ainsi de prendre en compte la
diversité des natures économiques des entreprises publiques telle que la reflète la typologie
proposée par Glachant (Op. cit.). L’auteur identifie quatre types d’entreprise publique en
fonction du degré d’autonomie de gestion et de l’intensité dérogatoire des modalités
organisationnelles et institutionnelles (relatives par exemple, aux formes d’intervention des
tutelles publiques et aux relations intra-public au niveau desquelles sont définies les
orientations stratégiques et, où peuvent être arbitrés les conflits). Ainsi, l’auteur distingue
(par ordre décroissant d’autonomie de gestion et par ordre croissant d’intensité
dérogatoire) l’entreprise managériale à capitaux publics (en particulier, résultant de
certaines nationalisations, non réglementées du milieu des années 80, comme l’ex Rhône-
Poulenc par exemple), la Public Corporation (l’ex Régie Renault), la grande entreprise
nationale (comme EDF ou l’ex PTT), ainsi que l’unité administrative de production16. La
construction de cette grille analytique conduit Glachant à observer au-delà de
16 Nous renvoyons le lecteur aux schémas récapitulatifs de l’étude du positionnement de vingt entreprises françaises sur les deux dimensions de cette typologie proposée par Glachant, p. 75 (pour la dimension relative au degré d’autonomie de gestion) et p. 109 (pour la dimension relative aux modalités organisationnelles et institutionnelles), repris dans l’annexe 1.
37
l’hétérogénéité des firmes publiques, les jeux d’adaptation de ces entités depuis les années
soixante (p. 148 et suivantes)17.
Symétriquement, l’entreprise privée peut se définir comme une entreprise sur laquelle
des agents privés exercent une influence dominante en matière de contrôle sur le
développement stratégique. A la manière de la démarche proposée par Glachant, on peut
envisager une typologie des entreprises privées. Dans une optique comparative des deux
types organisationnels publics et privés, cette typologie doit pouvoir prendre en compte
cette notion d’influence dominante du propriétaire sur laquelle la définition de chaque
entité est construite. Dans cette perspective, la prise en compte de la séparation
fonctionnelle entre les pouvoirs de gestion et de contrôle exercés par les propriétaires et/ou
les dirigeants est essentielle. Une application de cette distinction proposée à l’origine par
Fama et Jensen (1983a) a été menée par Charreaux et Pitol-Belin (1985a et b) afin
d’examiner le rôle et le fonctionnement du conseil d’administration français. Cette étude a
permis d’identifier trois groupes d’entreprises privées : l’entreprise managériale (à capital
diffus), l’entreprise à actionnariat concentré (la société contrôlée) et l’entreprise
familiale18. Nous verrons dans les chapitres suivants dans quelle mesure il est possible de
rapprocher les deux typologies sus mentionnées, l’objectif ici étant de cerner chaque corps
organisationnel.
En tant que passage d’un état organisationnel à l’autre, la privatisation d’entreprise
s’inscrit par conséquent dans un contexte organisationnel dynamique. D’après les
précédents développements, elle est susceptible de modifier l’influence exercée par les
pouvoirs publics au profit d’agents privés. En outre, la privatisation d’entreprise pouvant
revêtir différentes formes et, pour une même forme, différentes techniques, cette
modification du pouvoir de l’Etat sur le développement de la firme peut a priori se traduire
de manière différente, selon les cas de privatisation.
1.3. D’un concept multiforme à une définition générique de la privatisation
Le concept de privatisation est à l’image du nombre important de travaux qui lui sont
consacrés. La privatisation a fait l’objet de plusieurs interprétations qui privilégient une ou
17 Voir le schéma 3 qui modélise la typologie du secteur public en quatre niveaux et le schéma 4, qui met à l’épreuve ce modèle d’analyse dans 45 cas français au sein de cette typologie (p.147-149) en annexe 1. 18 L’annexe 6.6. de Charreaux et Pitol-Belin en résume les principales dimensions dans le cas français. Cf. p. 192, in Charreaux éd. (1997), voir annexe 2.
38
plusieurs dimensions de ce phénomène telles que sa forme, les techniques de mise en
œuvre et/ou le degré de privatisation. Les développements suivants sont consacrés aux
diverses lectures de ce terme, rencontrées dans la littérature. Ils soulignent le continuum
auquel chaque perspective se rattache pour proposer finalement une définition générique
de la privatisation. Une première lecture qui reflète plutôt la vision européenne aborde la
privatisation sous deux angles complémentaires, celui des objectifs et celui du transfert de
propriété (1.3.1.). L’interprétation anglo-saxonne de la privatisation insiste davantage sur
les aspects de contrôle et de participation au financement par les pouvoirs publics (1.3.2.).
La troisième lecture reflète, à travers les diverses modalités de changement de propriété,
les dimensions communes des précédentes approches.
1.3.1. Une lecture par les objectifs et le transfert de propriété
Le rapport de «Thiemeyer» nous paraît refléter la complexité que recouvre ce concept
de privatisation. En 1984, à l’issue du Congrès international de l’économie publique
sociale et coopérative à Florence, portant sur le thème de la privatisation, Thiemeyer19
publie un rapport de synthèse dans lequel il recense quinze usages différents du terme
privatisation. L’auteur souligne ainsi les perceptions multiples de ce phénomène, souvent
attachées à la nationalité des intervenants scientifiques. Les conclusions de son rapport font
état de deux variantes principales de la privatisation, notamment la vision germanique et la
vision française. Pour la première, la priorité est donnée au transfert de droit de propriété
au secteur privé. La seconde met davantage l’accent sur la modification des objectifs de
l’entreprise publique (Thiemeyer 1986, p. 142). Parmi ces multiples perceptions de ce que
recouvre la privatisation, certaines sont également reprises, voire complétées par d’autres
auteurs qui privilégient parfois plusieurs acceptions. Le tableau suivant reprend les sens
très différents donnés à la privatisation d’entreprise ainsi que les variantes proposées par
Thiemeyer auxquelles ces différentes acceptions sont susceptibles d’être rattachées.
19 Président de la Commission scientifique du Centre international de recherche et d’information sur l’économie publique, sociale et coopérative (CIRIEC).
39
Tableau 1 : Privatisation : un concept multiforme
Terminologie de la privatisation Transfert de droits
Modification des objectifs
Transfert d’un patrimoine public au secteur privé/ de la propriété et/ou du contrôle publics à la propriété et contrôle privés (Bance et Monnier 1996, Bös 1991, Boycko et al. 1996, Caves 1990, Hafsi et al.1992, Hanke 1987, Megginson et al. 1994, Thiemeyer 1986, Vickers et Yarrow 1991, Villalonga 2000)
X
Jeu de redistribution de rentes/ abandon crédible de rentes informationnelles aux entreprises privées (Laffont 1996, Schmidt 1990, Perotti 1995)
X
Transfert de certaines activités ou fonctions publiques au secteur privé (Clarkson 1989, Thiemeyer 1986,)
X
Démantèlement des monopoles d’Etat (Hafsi et al. 1992, Clarkson 1989, Thiemeyer 1986)
X
Réduction unilatérale du secteur des services publics en fonction de la nature et de l’importance de ceux-ci (Clarkson 1989, Thiemeyer 1986)
X
Passage à des formes juridiques relevant de droit privé (Thiemeyer 1986) X X Privatisation des ressources publiques = utilisation gratuite par les entreprises privées à but lucratif des forces productives, moyens de production, services et savoir-faire publics (coopération dans des filiales mixtes) (Thiemeyer 1986)
X X
Privatisation des revenus publics = mise à disposition du capital public en vue de créer des avantages régionaux (ex : mise à disposition de terrain à des conditions préférentielles) (Clarkson 1989, Thiemeyer 1986)
X X
Passage à une gestion privée orientée vers le bénéfice (Thiemeyer 1986) X Elargissement au niveau de l’autonomie de gestion des entreprises publiques (Thiemeyer 1986)
X
Débureaucratisation - assouplissement et adaptabilité de la gestion (Thiemeyer 1986)
X
Décentralisation, délégation de pouvoirs en matière de prise de décision, de planification et action / Stratégie de réduction des inefficiences publiques (Bance et Monnier 1996, Boycko et al. 1996, Caves 1990, Thiemeyer 1986)
X
Alignement des conditions dans lesquelles opèrent les entreprises publiques sur celles des entreprises privées (Thiemeyer 1986)
X
Promotion de la concurrence par des procédés de marché (Caves 1990, Clarkson 1989, Thiemeyer 1986, Yarrow 1986)
X
Adaptation des salaires, des conditions de travail et d’emploi aux conditions du secteur privé (Thiemeyer 1986)
X
Dénationalisation des entreprises publiques dans le cadre de la déréglementation et de la globalisation des économies (sens différent de la désétatisation) (Thiemeyer 1986)
X
Cet éventail de définitions de la privatisation permet de mettre en exergue les deux
dimensions relevées par Thiemeyer, le changement au niveau des droits et/ou des objectifs.
D’un bout à l’autre du spectre, on peut ainsi identifier la privatisation comme un transfert
complet ou partiel de l’actif public au domaine privé d’un côté, et une modification des
modes de gestion des ressources publiques et qui demeurent comme telles de l’autre. A la
première extrémité du spectre de la privatisation se trouve la cession d’actifs publics à des
agents privés (la cession de gré à gré par exemple). Au centre du spectre se trouve
l’exploitation des ressources publiques par ces mêmes agents comme par exemple, la
40
concession. Celle-ci représente une forme hybride de la privatisation qui se traduit par
l’existence d’entreprise dite « mixte ». Enfin, à l’autre extrémité du spectre, se trouve
l’entreprise publique et l’instauration de modes de gestion plus décentralisée en son sein.
Ces différentes tentatives (qualifié de « zapping managérial »20) consistent à passer à la
mise en place de cercles de qualité (dans les années soixante dix) ou de centres de
responsabilités (dans les années quatre-vingt dix) dans les entreprises publiques21.
Dans une autre perspective, Clarkson (1989) propose une typologie particulière de la
privatisation dans le contexte américain des biens et services publics. Son analyse met
l’accent sur une variable différente mais non moins liée à celles précédemment examinées
qui, en définitive, la sous-tendent.
1.3.2. Le lien entre degré de privatisation et degré de contrôle
Clarkson recense les différentes formes de privatisation qu’il définit, d’une manière
générale, comme « les méthodes et stratégies de transfert de production ou d’offre de
services publics du gouvernement au secteur privé, au niveau national ou local »22 (NT).
L’auteur distingue neuf types de privatisation de la production de biens et de l’offre de
services publics. Nous proposons une retranscription de la typologie de l’auteur dans le
tableau suivant.
20 Terme employé par Gibert et Thoenig (1993) in Guyon (1997) p. 147. 21 Guyon (1997) propose une analyse critique de l’évolution de la frontière public-privé à travers plusieurs cas de « managérialisation du service public » plus ou moins réussie. 22 “Privatization [is] defines as methods and strategies designed to transfer the production or provision of public services from government to the private sector, at the state and local level”. Clarkson, (1989, p. 143).
41
Tableau 2 : Typologie des privatisations, adaptée de Clarkson, (1989, p. 144-150).
Types de privatisation Dans le cas des biens et services publics
Secteurs d’activité principalement concernés
Contractualisation :Sous-traitance du service par les pouvoirs publics auprès d’une entreprise privée
Service liés à l’environnement, transport, santé et culture
Franchise : Octroi exclusif ou non du droit à fournir un service public particulier par le gouvernement à une firme privée dans une zone géographique délimitée
Santé, services individuels, culture, transports publics, travaux publics, parcs de loisirs
Subvention publique : aides (financière, matérielle…) aux firmes privées ou individus
Service aux personnes âgées, services individuels, culture
Coupons d’achat de service public : alloués aux citoyens afin de bénéficier d’un service public offert par des firmes privées concurrentes
Option de privatisation peu développée aux Etats-Unis, davantage en Pologne par exemple sur différents secteurs
Volontariat : Recrutement par le gouvernement de personnes volontaires (non rémunérées) chargées de l’offre de service public
Culture, parcs de loisirs, services aux personnes handicapées et âgées
Autogestion des besoins individuels au niveau local incitée par le gouvernement
Santé et services individuels
Incitation fiscale, régulation/ dérégulation par les pouvoirs publics : Développement de l’offre de services publics par les firmes privées, en régulant/dérégulant le marché ou en limitant la taxation des services offerts
Santé (hormis les soins minimaux), gestion des hôpitaux et transport ambulancier
Cotisation individuelle : fonction des services consommés par les bénéficiaires ainsi qu’en fonction de leur situation (cas des non résidents)
Transport, service d’ordures ménagères, services médicaux d’urgence, dépannage, surveillance
Cessation d’activité de service public par le gouvernement, au profit d’entreprises privées
Services de santé, individuels, sécurité publique, transports, travaux publics
Parmi ces diverses formes de privatisation, l’étude menée par Clarkson, conclut à une
prédominance, aux Etats-Unis, de la privatisation par contractualisation et franchise ainsi
que par la dérégulation de certains secteurs comme par exemple au sein des Etats, la
dérégulation des services d’urgence23. Le même constat peut être fait au Royaume Uni,
notamment dans le cas des privatisations des secteurs de l’électricité, du gaz, de la
distribution d’eau ou encore du secteur des télécommunications. Dans un programme plus
vaste de réformes économiques, certains pays d’Amérique latine ont procédé de la même
manière24.
En outre, l’auteur envisage pour chaque type de privatisation le degré de contrôle exercé
ou non par le gouvernement. Un rapprochement avec la participation gouvernementale au
financement de l’activité révèle que la contractualisation, la franchise, le système des
cotisations individuelles ou de coupons confèrent aux pouvoirs publics une influence (tant
en matière de contrôle que de participation au financement) plus importante et plus directe
sur les firmes privées (ou les individus) que dans les cas alternatifs de privatisation des
23 Cf. Clarkson [ 1989], p. 155 24 Cf. l’exemple de la compagnie pétrolière argentine YPF, p. 18.
42
activités précitées. Nous proposons dans le tableau suivant une synthèse des relations entre
la forme de privatisation, le contrôle exercé par le gouvernement (direct ou indirect, et son
intensité25), et sa participation au financement de l’activité concernée.
Tableau 3 : Les formes de privatisation et l’influence des pouvoirs publics, le cas américain,
adapté de Clarkson, (1989, p. 143-194). Formes de
privatisation Degré/Nature du contrôle public Nature du financement public
Contractualisation
+++ / direct et indirect définit le nombre et les services que doit offrir la firme contractante /possibilité de contracter avec plusieurs firmes privées (concurrence)
Taxes, redevances
Franchise + ou - / direct
peut évaluer la performance ex post (prix, qualité du service) en fonction du service en franchise
-
Subvention
- mode de privatisation choisi lorsque l’activité est difficile à définir et à mesurer (anticipation de la demande, contrôle qualité)
Subvention financière, en équipement et
personnel, terrain et facilité de financement
Coupons d’achat de service public
+++ / direct et indirect limiter le coût de prise en charge par les pouvoirs publics, incite ainsi les individus à recourir aux services couverts entièrement par les coupons et les firmes privées concurrentes à offrir des prix compétitifs
Remboursement des coupons forfaitaires
aux firmes privées qui les reçoivent des
individus en échange de services
Volontariat - sanction éventuelle si abus par les personnes volontaires -
Autogestion - -
Incitation fiscale, Régulation ou Dérégulation
- contrôle par la loi (abolition de licence obligatoire dans certains secteurs - ex : taxi - pour favoriser la concurrence ou réglementation pour limiter celle-ci
-
Cotisation individuelle
+ / direct fixation variable des cotisations en fonction de la demande,
de la situation des individus, de la localité
-
Cessation d’activité au profit d’entreprises privées
- le choix des firmes à but lucratif ou caritatives dépend de la
nature du service
-
L’analyse de Clarkson souligne d’une part, la variété des formes de privatisation
d’entreprise, d’autre part, pour chaque cas, la nature et l’intensité du rôle des pouvoirs
publics. En ce sens, elle rejoint les conclusions de Thiemeyer relatives à la double
dimension du concept de privatisation c’est-à-dire le transfert de droits qu’elle caractérise
et le changement d’objectif(s) associé(s) à la nature et à l’intensité du contrôle des pouvoirs
publics. Ainsi, le passage de la firme publique à la firme privée peut conduire, dans les cas
25 +++ contrôle très élevé, + contrôle élevé, - contrôle faible ou néant
43
les plus « faibles » de privatisation, à un contrôle encore très important des pouvoirs
publics sur la gestion de l’offre de services ou sur la production de biens, notamment dans
le cas de la contractualisation. A contrario, dans les cas les plus « forts » de privatisation,
notamment le cas de cessation d’activité par le gouvernement au profit de firmes privées,
l’influence des pouvoirs publics se réduit au minimum ou devient nulle.
Dans ce dernier cas, très particulier, de la neutralisation quasi complète des pouvoirs de
l’Etat, là encore des formes variées d’une telle privatisation sont observables. Il est alors
possible d’en donner une définition plus restrictive qui privilégie davantage l’aspect de
mise en œuvre. Toutefois, cette approche particulière de la privatisation, par les techniques
de mise en œuvre, permet de définir le continuum auquel chaque perspective se rattache.
Elle conduit ainsi à une définition finalement générique de ce phénomène organisationnel.
1.3.3. La diversité des modalités de changement de propriété : vers un continuum
En référence aux développements précédents, la privatisation au sens « fort » du terme
recouvre diverses techniques qui font ressortir l’ensemble des variables mises en évidence
par les précédentes lectures du concept. Denis-Judicis et Petit (1998, p. 9) envisagent la
privatisation comme « une opération de cession d’actifs publics (c’est-à-dire une vente au
profit des salariés ou bien des investisseurs nationaux ou étrangers), d’une part
(privatisation partielle), ou de la totalité d’une entreprise publique, d'autre part
(privatisation totale) ». Depuis ces vingt dernières années, à travers le monde, ce cas de
privatisation par vente d’entreprises d’Etat a atteint 400 milliards de dollars. Parmi les plus
célèbres, citons deux des plus importantes au monde, celle de Nippon Telephone and
Telegraph (NTT) en 198726 et Telebras, compagnie brésilienne des télécommunications en
juillet 199827, vendues respectivement pour 77 milliards (en trois tranches) et 20 milliards
de dollars.
Dans ce contexte particulier, deux techniques de vente peuvent être pratiquées
distinctement ou de manière complémentaire. D’une part, la privatisation de l’entreprise
peut se faire par voie boursière. Elle est généralement réalisée par offre publique de vente
mais d’autres procédés existent tels que l’offre publique d’échange, l’augmentation de
capital accompagnée d’une renonciation de l’actionnaire public à son droit préférentiel de
26 Megginson, Nash et Van Radenborgh (1994), relèvent que la capitalisation boursière de NTT à son plus haut niveau à la fin de l’année 1987, a atteint plus d’un tiers de trillion de dollars (p. 416). 27 MTF, L’AGEFI, n°101, Octobre 1998.
44
souscription ou la mise en bourse d’une partie du capital ou de filiales d’entreprises
publiques28. D’autre part, la privatisation peut s’effectuer hors marché. Elle consiste en une
opération de cession de gré à gré à un prix déterminé d’une partie ou de la totalité du
capital à un ou plusieurs investisseurs sélectionnés. Cette technique de vente d’une
entreprise d’Etat est couramment pratiquée dans les pays en développement, d’Europe de
l’Est et, plus exceptionnellement, dans les pays industrialisés. Elle répond à des contextes
institutionnels et d’entreprise très particuliers qui conduisent le cédant public à opter pour
cette procédure qui, pourtant, est sujette à de fortes critiques, notamment d’absence de
transparence.
La spécificité de cette technique de vente repose sur la volonté de prendre en compte
d’autres critères que les seuls aspects financiers de l’entreprise à céder. En particulier,
concernant les pays en développement ou de l’Est, en raison de la situation économique
très dégradée des entreprises et du développement limité du marché financier, le faible
nombre d’acheteurs potentiels et les risques encourus limitent la réussite d’une OPV. La
sélection hors marché d’un ou plusieurs investisseurs présente des chances de réussite plus
grandes dans la mesure où le choix des investisseurs par l’Etat est guidé par leur capacité à
pouvoir restaurer la situation financière de l’entreprise concernée. En outre, dans les pays
industrialisés, cette procédure, parfois appliquée dans un contexte identique, est utilisée
plus fréquemment dans le cadre de la poursuite d’une stratégie industrielle et/ ou nationale
par l’Etat. En France, par exemple, la négociation avec certains repreneurs a permis de
mettre en place un cahier des charges prévoyant le maintien de certaines activités, ou la
conservation des titres par les repreneurs pendant une période déterminée afin de stabiliser
le contrôle. Un autre objectif, attaché à cette technique, est celui de la volonté
gouvernementale d’orienter le développement industriel national en favorisant les
synergies entre entreprises. Cette procédure est à l’origine de la spécificité française des
noyaux durs d’actionnaires partenaires. Ces derniers, appelés aussi groupes d’actionnaires
stables ou partenaires (GAP), résultent de la négociation hors marché entre le
28 L’OPV peut être à prix fixe ou avec constitution de livre d’ordre. En France par exemple, la première vague de privatisation en 1986 et 1987 a été organisée sous la première forme. La deuxième vague (à partir de 1993), quant à elle, a consisté à favoriser l’ajustement des prix à la demande de titres par application de l’offre à prix ajustable, en deux phases, le pré-placement (pour les personnes physiques et la construction du livre d’ordre - book-building - pour le placement auprès des institutionnels français et étrangers) et la vente. La BNP a été la première entreprise française a être introduite en bourse par la procédure du pré-placement, en octobre 1993 et plus récemment la privatisation de France Télécom a suivi la même procédure en fixant une fourchette de prix indicative pour le pré-placement de 170 francs à 190 francs, aucun titre n’étant coté lors de la mise en bourse du groupe des télécommunications.
45
gouvernement et les investisseurs sélectionnés29, comme cela a été récemment le cas lors
de la préparation de la banque Hervet à sa privatisation. Cette technique du GAP a
toutefois dépassé nos frontières. On la retrouve notamment en Espagne où parmi les
actionnaires et partenaires industriels stables d’Iberia, privatisée partiellement en 1999,
figurent Altadis, Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, ou encore British Airway (Le Monde,
20-03-01).
Enfin, la procédure hors marché peut aussi concerner le rachat de l’entreprise publique
par ses salariés. Peu pratiquée, cette technique de vente de l’entreprise publique a été
choisie, notamment au Royaume Uni dans le cadre de la privatisation de National Freight
Consortium en 1982. L’Institut de Développement Industriel est la seule entreprise
française à avoir été rachetée par ses salariés sous forme de LBO, dans le cadre de la mise
en œuvre de sa privatisation en 1987.
En définitive, parmi les multiples formes et techniques de mise en œuvre de la
privatisation d’entreprise, la vente partielle ou totale de celle-ci sur le marché boursier ou
de gré à gré constitue une des opérations de privatisation les plus couramment pratiquées.
Celle-ci a contribué fortement au développement des marchés financiers nationaux et à leur
globalisation30. Cette perspective de la privatisation insiste davantage que ne le fait
Clarkson dans le contexte américain, sur le lien entre le passage de l’entreprise publique à
l’entreprise privée et la structure de propriété. Plus qu’un simple transfert des seuls droits
de production ou d’offre de services des pouvoirs publics aux acteurs privés, la
privatisation d’une entreprise publique, dans sa forme la plus absolue (la vente à des
acteurs privés) se définit comme « un transfert partiel ou total des actifs ou des fonctions
de service, de la propriété ou du contrôle publics vers la propriété ou le contrôle privés »
(Hanke, 1987). En outre, cette dernière interprétation concilie les diverses acceptions de la
privatisation, notamment celles recensées par Thiemeyer, dans la mesure où celle-ci
29 Citons à titre d’illustration, le cas Elf Aquitaine dont les actionnaires de référence, en février 1994 sont la BNP, AXA-UAP, Crédit Agricole, UBS et Albert Frère. En outre, le groupe pétrolier est lui même membre du noyau dur de plusieurs entreprises privatisées, comme la BNP et Renault. (Cf. A. Goldstein 1996, p. 1327 et X. Denis-Judicis et J.P. Petit 1998, p. 73, pour une synthèse du cas français). Le pacte d’actionnaires, signé lors de la privatisation a pris fin le 14 février 1999. Dès lors, les membres du groupe d’actionnaires partenaires (correspondant à 3,8% du capital) sont déliés de leur droit de préemption réciproque. (les Echos, 15 et 16 janvier 1999). 30 X. Denis-Judicis et J.P. Petit soulignent la « forte augmentation des transactions sur valeurs françaises en Bourse de Paris » au cours de la période qui a entamé le second programme de privatisation en France. Le volume moyen des transactions quotidiennes a augmenté de plus de 42% entre 1992 (2,6 milliards de francs) et 1993 (3,7 milliards de francs). L’ouverture du capital de France télécom en octobre 1997, s’est traduite par 3,8 millions d’actionnaires individuels, record également établi par Paribas en 1987 (p. 72-73).
46
intègre simultanément le changement de propriété des actifs et le changement des objectifs
attachés à la nature des contrôles. En ce sens, la privatisation d’entreprise, d’une manière
générale, constitue une transformation organisationnelle avec pour origine une
modification de la propriété au sens large. Notre champ d’investigation portant sur la
privatisation au sens fort du terme (la vente d’entreprise publique), dans ce chapitre, nous
retiendrons comme définition de la privatisation celle proposée par Bös (1991) qui
considère la privatisation comme « le transfert partiel ou total de l’entreprise, de la
propriété publique à la propriété privée ».
Telle que nous venons de l’appréhender, la privatisation pose donc la question de la
structure organisationnelle publique et de sa remise en question. Dans le développement
qui suit nous abordons l’argumentation théorique traditionnelle construite sur les
caractéristiques stricto sensu de la propriété, en particulier de la propriété publique.
L’objectif de cette section est d’appréhender les principales caractéristiques de la propriété
publique et, de là, l’analyse fondatrice du débat sur la relation privatisation/performance.
Le développement suivant porte ainsi sur les effets de la privatisation sur la structure de
propriété publique et leur impact sur la performance. En réponse aux constats empiriques
fondés globalement sur cette première approche, le chapitre 2 abordera les réponses
théoriques complémentaires à cette hypothèse centrale de l’approche traditionnelle du lien
entre propriété et performance.
Section 2 : Un lien positif entre privatisation et performance : la propriété comme
variable intermédiaire
Comme les développements précédents l’ont démontré, le concept de privatisation
recouvre diverses réalités. Toutefois, la définition que nous en avons retenue rejoint celle
sur laquelle la plupart des travaux sont fondés. Cette perspective générique de la
privatisation est associée à la problématique des relations entre propriété et performance.
En effet, qu’il s’agisse des conclusions des travaux empiriques ou du discours des
partisans de la privatisation d’entreprise, force est de constater le lien généralement positif
entre privatisation et performance de la firme (cf. infra section 3). La neutralité de la
propriété (propriété publique ou propriété privée) en termes d’efficience semble, a priori,
être réfutée à la fois par l’observation de terrain ainsi que par les approches théoriques
traditionnelles sous-jacentes. Celles-ci envisagent le lien entre privatisation et performance
47
et, plus spécifiquement, entre la nature de la propriété et l’efficience organisationnelle. Ce
dernier lien est à la base du débat abordé par ce premier chapitre sur le rôle de la propriété
dans la performance. Les fondements de l’analyse des droits de propriété sont au cœur de
cette problématique vers laquelle convergent les diverses composantes de l’approche
contractuelle de la firme.
Ainsi, à partir des apports initiaux de la théorie des droits de propriété31, nous
aborderons un premier angle d’analyse. Son objet relève des implications de la
privatisation sur la structure de propriété publique en termes d’efficience (2.1). Une
seconde perspective, fondée sur les objectifs liés au type de propriété permet
d’appréhender les effets positifs de la privatisation par rapport à la recherche de rente
individuelle qui paraît, a priori, plus coûteuse au sein des firmes publiques
comparativement à leurs homologues privées (2.2). Ce deuxième angle d’analyse combine
les apports premiers de la théorie des droits de propriété et certains aspects développés par
la théorie du Public Choice. Chacune de ces perspectives, dans leur paradigme respectif, le
principe d’efficience pour l’une, la recherche de rente pour l’autre, tente d’expliquer
pourquoi la privatisation améliore la performance de la firme.
2.1. Propriété publique et privatisation
La section précédente a permis de cerner le concept multiforme de la privatisation que
l’on peut dès lors, envisager comme un phénomène organisationnel particulier. La
définition que nous en avons retenue met l’accent sur la modification de la propriété de la
firme dans sa nature et dans sa structure, par son transfert du public au privé. En ce sens,
comme nous l’avons évoqué auparavant, l’analyse du concept de privatisation est une
manière particulière de poser la question de la forme organisationnelle et, dans ce cas
précis, de sa propriété. Afin de comprendre les liens entre privatisation et performance, il
est donc nécessaire d’envisager dans un premier temps ce que l’on entend par propriété de
l’entreprise à l’appui des apports théoriques qui la sous-tendent. La définition de la
propriété ainsi cernée permettra, dans un deuxième temps, d’analyser les arguments relatifs
aux effets de la privatisation sur la propriété publique ainsi que les conséquences de ces
modifications de la propriété sur l’efficience de la firme, tels que les ont abordés plusieurs
31 Nous aborderons dans le chapitre 2, la branche plus récente de la TDP qui, avec d’autres approches théoriques complémentaires, notamment avec la théorie des coûts de transaction a permis d’approfondir la question de la performance organisationnelle telle que la privatisation la pose au regard de la nature de la propriété.
48
auteurs. A l’origine du débat sur la privatisation, cette problématique est envisagée à partir
d’une approche traditionnelle exogène de la théorie des droits de propriété (désormais
TDP). Nous allons envisager dans cette section les apports initiaux de cette approche.
D’une manière générale, le propriétaire d’un actif est celui qui a le droit ou le pouvoir
d’en disposer c’est-à-dire de consommer, d’échanger ou d’obtenir un revenu de cet actif
détenu (Barzel, 1997). La TDP se propose, à l’origine, d’analyser les formes de propriété
privée, communale, collective, publique, mutuelle (Furubotn et Pejovitch, 1972) et
d’expliquer l’incidence d’un système de droits de propriété donné sur le comportement
individuel ainsi que sur le fonctionnement et l’efficience d’un système économique (Coase,
1960, Demsetz, 1966). Contrairement à d’autres théories, elle n’est pas attribuée à un
auteur particulier32. La TDP, fortement liée à l’histoire de l’homme, est d’abord une théorie
générale des relations sociales et des institutions (Coriat et Weinstein 1995, p. 80) qui s’est
construite à travers l’histoire à partir de points de rupture, notamment au niveau
institutionnel33. On distingue ainsi les «droits économiques» (economic property rights)
des «droits légaux» (legal property rights), tels que les textes de loi, les normes ou la
constitution d’un pays. Barzel (1997, p. 3) définit d’ailleurs les premiers comme «les fins
[…] alors que les [seconds] sont les moyens pour parvenir à ces fins». Cette théorie est
construite sur la base d’apports de juristes et d’économistes dont les contributions font de
cette théorie une approche multidisciplinaire de la propriété (Amann, 1999). Dans le cadre
des sciences de gestion, sa contribution importante aux théories de la firme peut être
associée, au départ, aux travaux de Berle et Means (1932). En effet, ces auteurs ont porté
leur attention sur la révolution en marche des entreprises managériales (quasi public
corporation) caractérisée par la séparation des propriétaires de la firme et de ses managers.
Dans la lignée de ces auteurs, les travaux qui ont suivi ont porté leur attention sur les
conséquences d’une telle séparation en matière d’efficience, relativement aux coûts
32 Notre développement précédent sur la conception renouvelée de la firme témoigne des différentes approches qui sont rattachées nominativement à certains auteurs pour leurs travaux. Plus généralement les théories économiques, modernes ou non sont très souvent associées à des auteurs bien particuliers tel que A. Smith et la théorie libérale de l’économie. 33 Une explication de l’essor économique qu’a connu l’Angleterre, où est née la révolution industrielle, se trouve notamment dans l’ouvrage de North et Thomas (1973), The Rise of the Western World : A New Economic History. La volonté politique du parlement d’inciter et de développer les inventions en matière industrielle s’est traduite par l’abolition du droit monarchique sur la distribution des privilèges d’exploitation industrielle et commerciale. Ce changement institutionnel a permis d’instaurer un « monopole de l’inventeur » qui dès lors est propriétaire de son invention, détenant à ce titre les droits d’en disposer et d’appropriation exclusive des gains qu’il peut retirer de son utilisation (B. Amann, 1999 p. 13 et 14).
49
organisationnels générés par une telle séparation des droits de propriété au sens
économique34.
Cette théorie explicative de la propriété propose une approche des relations
interindividuelles fondées sur un échange libre de droits de propriété dans un univers
d’incomplétude informationnelle et où la rationalité des agents est limitée35. Les droits de
propriété sur un actif correspondent à «la capacité d’un individu de pouvoir consommer le
bien (ou les services attachés à ce bien) directement ou de le consommer indirectement à
travers l’échange» (Barzel, 1997, p. 3). Selon cette approche, les individus échangent les
droits qu’ils détiennent dans l’objectif de maximiser leur utilité individuelle (composée
d’arguments monétaires et/ou non monétaires), en minimisant en outre, les coûts
contractuels liés à l’échange et compte tenu des contraintes institutionnelles. Ainsi, une
forme organisationnelle efficiente est celle pour laquelle la structure de propriété (issue de
la manière dont ces droits sont définis et répartis) permet de minimiser l’ensemble des
coûts de transactions qui sont issus de l’ensemble des relations de la firme avec ses
partenaires (Hansmann, 1988, p. 273 et suiv.). En conséquence, un système de droits de
propriété efficient permet au(x) détenteur(s) de ces droits de les utiliser le plus
efficacement. Un tel système de propriété dépend de la capacité de chaque cocontractant à
minimiser les coûts contractuels dans un contexte d’incertitude. Or, le comportement de
ces participants est influencé par deux attributs essentiels qui sont rattachés aux droits de
propriété : leur exclusivité et leur cessibilité (Furubotn et Pejovitch, Op. cit.). Selon
l’approche exogène des droits de propriété, dans un contexte d’incomplétude des contrats,
leur délimitation (ou degré d’atténuation) détermine l’efficience de la propriété. En effet, la
transférabilité des droits permet à son détenteur de procéder à des arbitrages
(cession/acquisition) afin de les valoriser au mieux (en particulier en cas de changement de
circonstance imprévu). Ainsi, lorsqu’un individu ne peut pas céder son droit de propriété
sur un actif qu’il n’est pas (ou n’est plus) à même d’exploiter au mieux (par manque de
compétences, de temps relatifs à son usage, par exemple), alors ce propriétaire ne peut
bénéficier de l’échange de ce droit (sous valorisé) au profit d’un droit pour lequel il est à
34 En effet, cette révolution de fait a provoqué une révolution chez les théoriciens de la firme. Cette effervescence qui a nourri l’économie des contrats, fait l’objet, depuis quelques années, d’un exercice de synthèse comme en témoigne le volume 26 du Journal of Law and Economics, de juin 1983 ou plus récemment, le numéro spécial de la Revue d’économie industrielle sur « [l’]économie des contrats : bilan et perspectives », n°92, 2000. 35 Nous reprendrons dans le chapitre suivant les hypothèses fondatrices de cette théorie ainsi que des autres théories contractuelles, l’objectif, ici, étant de reprendre les arguments initiaux de sous-efficience des droits de propriété publique.
50
même de se spécialiser (dans une activité où il peut tirer de l’usage de l’actif nouvellement
détenu, une valeur supérieure à celle qu’il aurait pu obtenir de l’exploitation du droit
précédent) (Alchian, 1965). Cette caractéristique permet de comprendre la fonction sociale
du droit de propriété. La cessibilité d’un droit conditionne l’allocation optimale des
ressources et de leur usage entre les individus et influe par conséquent sur l’efficience du
système économique (Amann, p. 21-22). Celle-ci dépend par ailleurs du second attribut des
droits de propriété, l’exclusivité. Elle se définit par rapport aux gains ou aux pertes
assumés par le détenteur d’un droit exclusif. Ces créances ou dettes «nettes» peuvent être
monétaires ou relatives aux variations d’utilité de l’individu concerné par les décisions qui
affectent l’actif détenu36. Cet attribut incite le propriétaire, à condition que ce dernier soit
bien identifié ou autrement dit que l’exclusivité soit totale, à protéger (par la mise en place
ou le support de certains mécanismes de contrôle ex ante ou ex post) et à valoriser ses
droits en rapport avec sa propre utilité. Lorsque l’exclusivité relative à la
« consommation » d’un actif est mal définie ou partielle (ce qui est le cas dans un univers
d’information imparfaite), alors l’usage de cet actif génère des externalités supportées
socialement et non plus par celui qui les a «provoquées» (Demsetz, 1967; Coase, 1960). En
ce sens, ce dernier n’est pas le responsable exclusif des pertes (ni des gains) générées par
l’actif associé à ce droit. Ainsi, le comportement de maximisation de la valeur d’un actif et
des droits de propriété sur celui-ci dépend de leur nature (transférable et exclusive).
Sur le plan conceptuel, il existe dans le débat actuel deux conceptions concurrentes du
lien entre propriété et performance (Charreaux, 1991). La première considère la structure
de propriété (allocation de droits de propriété) comme une variable explicative
fondamentale de la performance alors que la seconde privilégie sa neutralité. La première
perspective se décline en deux thèses différentes. L’une d’elles, initialement développée
par Berle et Means, privilégie la convergence des intérêts entre les propriétaires et les
dirigeants. L’hypothèse sous-jacente est fondée sur l’idée que l’objectif du dirigeant
propriétaire converge vers celui des autres actionnaires alors que le dirigeant non
propriétaire aura tendance à réaliser des objectifs qui divergent de la maximisation de la
valeur actionnariale. Dans cette perspective, la propriété est un facteur explicatif de la
36 L’exemple typique est celui de l’actionnaire, détenteur de titres. En tant que propriétaire, il assume les conséquences des décisions de gestion qui peuvent être positives ou négatives. Un gain monétaire évident est celui qui est associé au dividende ou à la plus value potentielle sur le titre. Un exemple récent de perte résiduelle en partie non monétaire, susceptible d’affecter l’utilité de l’actionnaire, est celui des conséquences écologiques du naufrage de l’Erika. Cet incident peut en effet représenter, pour l’actionnaire de Total Fina (Elf), une perte résiduelle selon les attributs de sa fonction d’utilité.
51
performance et, notamment de la sous performance des firmes dont la structure de
propriété n’intègre pas le dirigeant. La seconde thèse, moins contrastée, défend l’hypothèse
d’enracinement du dirigeant. Si celui-ci est propriétaire, il peut être en position dominante
au sein de la structure de propriété et de ce fait, il peut privilégier une politique contraire
aux intérêts des autres propriétaires, qui peut alors conduire à une performance
« actionnariale » inférieure. C’est dans cette optique que Morck, Shleifer et Vishny (1988)
concluent à la prédominance de l’une des deux thèses sur l’autre, selon le périmètre de
propriété du dirigeant.
La deuxième conception, endogène, privilégie quant à elle, la neutralité de la propriété.
Cette perspective revient à Demsetz (1983) qui considère que les conditions
environnementales influent sur la structure de propriété. En ce sens, la liaison entre la
performance et le type de propriété n’a alors de sens que si cette dernière est considérée par
rapport aux contraintes internes et externes à la firme. La propriété alors sélectionnée est
celle qui paraît la plus efficiente compte tenu des contraintes environnementales. Dans
l’approche endogène, ce n’est donc pas la variable propriété qui détermine le niveau
d’efficience de la firme, l’une et l'autre étant déterminée simultanément. Ces conclusions
divergentes sur la même problématique trouvent peut être un terrain d’entente dans
l’analyse que propose Charreaux (1991). En intégrant les limites des premières approches,
notamment sur la notion de performance et sur la nature du lien entre les deux variables,
Charreaux conclut à la plausibilité de la thèse de la neutralité et de la thèse de la
convergence d’intérêt, dans le cas français, l’une prévalant sur l’autre selon
respectivement, les critères de performance actionnariale et de valeur économique de la
firme. Ainsi, selon les critères de performance considérés, les deux conceptions du lien
entre propriété et performance (lien positif ou neutralité) paraissent fondées d’après les
faits.
Toutefois, ces analyses sont consacrées aux entreprises privées, dont les structures de
propriété varient d’une entreprise à l’autre. Or, dans le cadre de notre recherche, la
question qui se pose est celle du lien entre nature de la propriété (publique ou privée) et
performance. Dans cette perspective, le développement suivant envisage les apports
possibles de ces précédents travaux au cas particulier de la privatisation.
Dans le cadre spécifique de la privatisation, l’analyse traditionnelle de la propriété et les
observations empiriques (comme nous l’exposerons dans la section 4) semblent
52
généralement37 converger vers l’hypothèse du rôle effectif de la propriété dans la
réalisation de la performance. L’hypothèse centrale est la suivante : le système de propriété
publique étant sous-efficient, la privatisation améliore donc la performance de la firme.
Ainsi, le changement de nature de la propriété au profit de la propriété privée est
susceptible d’influer positivement sur la performance de la firme. A l’appui des apports
initiaux de la TDP, l’argument théorique avancé repose sur les effets positifs du
changement de propriété sur la minimisation des coûts organisationnels. Dans le cadre de
l’approche du lien positif entre propriété/performance, la modification de la nature de la
propriété induite par la privatisation implique plusieurs conséquences en termes de
minimisation de ces coûts. Ces implications sont attachées à la nature des droits de
propriété publique.
Comme le développement précédent le souligne, l’efficience d’un système de propriété
repose en partie sur la transférabilité des titres. Or la propriété publique se distingue de la
propriété privée par l’absence de cet attribut. En effet, le propriétaire public ne peut céder
spontanément et librement ses titres sauf à prévoir une autorisation par voie législative et
donc dans le cas exceptionnel de privatisation38. En ce sens, le comportement du
propriétaire public se distingue de celui du propriétaire privé. Ce dernier, à l’inverse du
premier, peut dans la forme de propriété privée la plus pure39, céder librement ses titres si
la cession représente le choix le plus efficace de valorisation de ses droits ou exercer, via le
marché des capitaux, un contrôle sur le comportement du dirigeant. Dans le cas particulier
des grandes sociétés, le propriétaire public ne peut donc pas s’appuyer sur le marché
financier qui constitue un moyen de protéger et de valoriser ses droits de propriété,
notamment par la cession et la diversification des titres de son portefeuille. A cet égard,
Vickers et Yarrow (1991) décrivent la logique sous-jacente liée à la nature de la propriété.
L’existence d’un marché financier (dont l’efficience peut être plus ou moins forte) incite le
propriétaire à protéger les droits qu’il détient, notamment par les informations fournies par
ce mécanisme de marché (révélateur d’informations). Le prix d’échange des actions révèle
37 Nous verrons dans la section 4 que certains auteurs privilégient une perspective plus proche de la thèse de la neutralité qui prend en compte les contraintes internes et surtout externes (liées aux pressions du marché des biens et services). 38 Ainsi, les droits absolus (ou légaux) « neutralisent » les qualités de transférabilité des droits économiques dans le contexte de la propriété publique. L’article 34 alinéa 9 de la Consitution française prévoit que « la loi fixe les règles concernant les nationalisations d’entreprises et les transferts de propriété d’entreprise du secteur public au secteur privé ». Plus particulièrement, deux lois en France ont organisé les privatisations, celle de 6 août 1986 et du 19 juillet 1993. 39 Notons en effet, que le degré de transférabilité des titres varie selon les formes de propriété privée. Plus élevé dans les sociétés managériales, il est réduit dans les sociétés familiales ou selon la nature des titres, en particulier lorsqu’ils sont attachés à l’obligation de conservation sur une période donnée.
53
en effet les informations concernant les décisions du management. Les actionnaires
peuvent, via ce mécanisme spontané de contrôle, encadrer à moindres coûts, le
comportement du dirigeant comparativement au propriétaire public dépourvu d’un tel
mécanisme de contrôle, toutes choses égales par ailleurs. Vickers et Yarrow (Op. cit.)
identifient ainsi un premier effet positif de la privatisation en termes de minimisation des
coûts de contrôle par le propriétaire sur le dirigeant, en particulier par l’introduction du
rôle du marché des capitaux : « La privatisation modifie les moyens de contrôle.
Notamment, les pressions exercées par le marché sont rétablies» (NT, p.115) 40. De plus,
associé à un marché financier actif, le mécanisme disciplinaire de prise de contrôle par une
autre firme en cas de mauvaise performance est absent du dispositif des droits de propriété
publique non transférables. Enfin, si l’on considère les citoyens comme les réels
propriétaires publics (comme dans le cas de la firme socialiste, Simon et Tezenas du
Montcel, 1977), contrairement aux actionnaires privés, ceux-ci ne peuvent librement et
spontanément céder à l’acquéreur potentiel leurs titres de propriété publique (Caves, 1990).
En ce sens, ils ne peuvent procéder à un arbitrage réel nécessaire à la valorisation de leur
droit. Une alternative possible est celle du droit de vote en tant que citoyen. Toutefois, par
opposition au droit cessible des actionnaires privés, le droit de vote n’est pas spontanément
« exerçable » dans la mesure où, d’une part, il est corrélé aux échéances électorales,
d’autre part, son pouvoir réel est limité en raison du nombre d’électeurs. Dans cette
perspective, Caves souligne que les risques éventuels de comportement de free-riding par
certains citoyens, limitent le pouvoir attaché à ce droit tout comme celui des actionnaires
dans la firme managériale.
En outre, l’exclusivité attachée à un système de droits de propriété efficient est absente
de la propriété publique dans la mesure où les détenteurs de droits publics, entendus
comme l’Etat (les gouvernants) ou les collectivités publiques, n’assument pas directement
la prise de risque associée à l’exercice de ces droits (perte ou gain). L’incitation des
propriétaires à valoriser ces droits et à encadrer le comportement des managers paraît donc
moins forte que celle des actionnaires privés (Vickers et Yarrow, Op. cit.). De plus, comme
le fait Caves (1990) en reprenant l’analyse de Peltzman (1971), si les citoyens
contribuables sont censés incarner les propriétaires publics alors, chacun, individuellement,
assume les gains ou les pertes réalisés par la firme publique. La transférabilité des titres
n’étant pas attachée à ce type de propriété, ces derniers sont confrontés aux mêmes
40 « Privatization alters the means of monitoring behavior. In particular, capital market pressures may be brought to bear ».
54
impuissances, analysées précédemment, en matière de contrôle du comportement des
hommes politiques élus et a fortiori des dirigeants publics. Ainsi, la nature faiblement
incitative des droits de propriété des citoyens limite leur effort de contrôle de l’usage des
ressources ainsi que leur valorisation. De plus, assimilés à un actionnariat diffus,
l’ensemble des citoyens pour chaque entreprise publique étant particulièrement important,
la part de risque assumée par chacun est relativement faible.
On retrouve ainsi des conclusions analogues à celles issues de l’application de la TDP à
un actionnariat privé diffus. Appliquée à la firme publique, elle présente cependant des
nuances importantes bien que dans les deux cas, les conclusions soient relativement
convergentes avec la thèse de la convergence. Notamment, l'assimilation de la firme
publique à la firme managériale est restrictif. En réalité l’Etat (ministère ou collectivités),
plus que les citoyens, est en position d’exercer ses droits en tant que propriétaire public,
conformément à la définition retenue de la firme publique. Ainsi, en accentuant les traits,
l’entreprise publique peut être considérée à la fois comme managériale et à actionnariat
dominant, selon que l’on considère les citoyens ou les pouvoirs publics notamment
ministériels, comme les réels propriétaires. Cette ambiguïté souligne l’importance d’une
définition de la propriété fondée sur le pouvoir décisionnel résiduel et sur le pouvoir
d’appropriation de la rente résiduelle. Elle se caractérise par une propriété aux attributs de
transférabilité et d’exclusivité fortement atténués, comparativement à la propriété privée et
à la firme managériale. Au-delà de l’analogie avec la firme privée, cette approche de la
propriété publique conclut par conséquent, à une sous-efficience de la propriété publique
comparativement à la propriété privée. De plus, la performance des entreprises publiques
dépend des objectifs de ses propriétaires. En ce sens, l’efficacité économique ne constitue
qu’un des attributs de leur utilité. Contrairement à celle des actionnaires privés41, celle-ci
n’est ni homogène ni exclusivement déterminée par la performance « actionnariale » des
entreprises dont l’Etat et/ou les citoyens sont propriétaires. Au regard de cette approche à
partir des fondements de la TDP, la sous-efficience de la propriété publique trouve ses
origines dans l’ambivalence du statut de propriétaire et dans l’atténuation des droits
publics. On peut, de manière volontairement provoquante, associer à la sous-efficience de
41 De même que le degré de transférabilité de la propriété privé est variable, le degré d’homogénéité de la fonction d’utilité des actionnaires privés varie également, notamment en fonction de la structure concentrée ou diffuse de l’actionnariat. Il apparaît toutefois qu’à forme comparable, la firme publique soit à la marge, caractérisée par des objectifs dont la contradiction peut davantage nuire à l’objectif de productivité qui domine dans la firme privée. Nous aborderons ce point dans les développements suivants.
55
la propriété publique des tendances schizophréniques en raison de cette ambivalence qui
ressort, par ailleurs, de la structure cumulative de ses objectifs.
En définitive, la privatisation, notamment par OPV, réduit l’atténuation des droits de
propriété en instaurant d’une part le caractère cessible des titres, d’autre part, en
augmentant le pouvoir d’action des citoyens lorsque ceux-ci souscrivent librement, à
l’opération de vente. Ainsi, la modification de la nature des droits de propriété
s’accompagne parallèlement d’un changement du comportement des propriétaires plus
incités à protéger et à valoriser leurs droits. Au regard de cette analyse, le transfert de
propriété et de contrôle des agents publics vers les agents privés semble octroyer aux droits
de propriété concernés, les qualités d’exclusivité et de transférabilité, nécessaires à
l’efficience d’un système de propriété en univers d’incomplétude contractuelle.
Un second argument théorique abonde dans le sens de la thèse de la non-neutralité de la
propriété. Celui-ci privilégie une perspective différente, relative aux objectifs publics et
privés dans le cadre de la recherche de rente personnelle développée par la théorie du
Public Choice. Bien que de paradigme différent du précédent développement (efficacité),
certains éléments de cette approche apportent une explication complémentaire à la
première. En envisageant notamment la nature des objectifs attachés à chaque type de
propriété (publique et privée) les deux perspectives identifient les effets positifs du
changement d’objectifs sur l’efficience de la firme privatisée.
2.2. Propriété publique et nature des objectifs
Liée à la nature des droits de propriété publique, la nature des objectifs est également
avancée comme facteur explicatif du lien positif entre privatisation et performance. Ce
second argument est notamment développé par la TDP ainsi que par la théorie du Public
Choice.
Comme l’analyse précédente le souligne, la modélisation du comportement des
propriétaires, qu’ils soient publics ou privés, est fondée sur la maximisation de leur
fonction d’utilité. En outre, la délimitation des droits de propriété influence les moyens de
protection de leur droits de propriété et donc les moyens permettant d’atteindre leurs
objectifs personnels. Dans cette perspective, Vickers et Yarrow (1988) identifient les
attributs de l’utilité de chaque type de propriétaire. Ainsi, les détenteurs de droits de
propriété publique, notamment un ministère ou le gouvernement en général, sont censés
56
chercher maximiser le bien-être social et « leur programme personnel ». Ce dernier est
défini par les auteurs comme « une diversité d’éléments : une politique redistributionnelle
en faveur de certains groupes d’intérêt, des niveaux élevés de salaires et d’emploi au sein
d’entreprises ou de secteurs particuliers, un soutien politique et autre » (NT, p. 113)42. Les
propriétaires d’une firme privée cherchent, quant à eux, à maximiser le profit défini
comme « un composant du bien-être social mais qui peut aussi induire des effets externes
sur ce bien-être en raison des activités de la firme. Ceux-ci comprennent les effets sur le
surplus du consommateur si la firme a un pouvoir de marché, des effets induits par les
distorsions du marché, effets redistributionnels et autres » (p. 113)43.
A partir de ces interprétations des objectifs, conventionnellement admises, deux
implications positives de la privatisation sont examinées. D’une part, en transférant la
propriété publique à la propriété privée, la privatisation est susceptible d’orienter les
objectifs de la firme vers la maximisation du profit, a fortiori lorsque l’entreprise intervient
sur un secteur concurrentiel44. Cette modification des objectifs corrélée à celle de la
propriété impliquerait, selon Laffont et Tirole (1991) une réduction de la part des
surinvestissements entrepris par les dirigeants des entreprises publiques, qui répondent à
l’origine à la composante sociale des objectifs publics. Cette expropriation des
investissements de l’entreprise publique à d’autres fins que celle de sa performance, serait
donc réduite par la privatisation dans la mesure où, selon les auteurs, « les actionnaires
comme les dirigeants, tirent leur rémunération des profits élevés45 » (NT, p. 85). La prise
de risque, assumée directement par les premiers, semble par conséquent influencer
significativement la poursuite de la minimisation des coûts organisationnels. En revanche,
dans le cas de la firme publique, les objectifs multiples, dont certains divergent de la
maximisation du profit (qui n’en est qu’une des composantes), atténuent l’efficience d’un
système de propriété publique dont la responsabilité à l’égard des risques encourus est mal
définie ou diluée, selon la perspective de la propriété envisagée. Sur ce point, Troesken
(1997) propose une analyse des sources de la propriété publique. A partir d’une approche
42 « The personal agenda could consist of a variety of elements : redistribution to favoured interest groups, high wage and employment levels in particular enterprises or sectors, patronage and so on ». 43 « Profit is a component of social welfare, but there might also be external effects on welfare from the activities of the firm. These include effects on consumer surplus if the firm has market power, effects due to input market distortion, distributional effects, and so on ». 44 Nous envisageons dans la section 4 dans quelle mesure la compétition joue un rôle au moins aussi important que la privatisation, sinon plus dans l’efficacité des firmes quelle que soit la nature de la propriété. 45 « This expropriation is less likely to take place under private ownership because the shareholders, like managers, derive their monetary rewards from high profits ».
57
historique du secteur du gaz, l’auteur conclut à une convergence du degré d’incomplétude
contractuelle (qui conditionne la délimitation des attributs des droits) et de l’existence
d’entreprises publiques.
D’autre part, la deuxième interprétation est relative au fondement politique de ces
objectifs. A l’appui des apports de la théorie du Public Choice, Boycko, Shleifer et Vishny
(1996) analysent le comportement des hommes politiques, considérés comme les
propriétaires publics. Orienté vers la recherche de rente personnelle que les auteurs
qualifient de « bénéfice politique potentiel » (potential political benefit), leur
comportement consisterait en une poursuite d’objectifs visant à maximiser leur soutien
politique. En ce sens, les propriétaires publics substitueraient aux objectifs d’efficience les
objectifs politiques dans la perspective d’accroître leur clientèle électorale, notamment les
employés et les syndicats (Donahue, 1989). A cet égard, le modèle du comportement des
hommes politiques, face au choix de privatiser ou non l’entreprise publique que proposent
Shleifer et Vishny (1994) est significatif de l’analyse des coûts induits par la nature des
objectifs publics. Selon les auteurs, le choix de privatiser ou non dépend de l’arbitrage
politique entre les coûts liés aux subventions aux entreprises publiques et les bénéfices
politiques associés à la réduction de l’impôt consécutive à la privatisation. Celle-ci est
préférable si la réduction d’impôt et la clientèle qui la soutient sont plus importantes que le
coût des subventions publiques et les bénéfices électoraux liés à la clientèle favorable au
maintien de la firme dans le giron de l’Etat. Dans la même perspective, Clark et Cull
(1997) concluent que l’option de privatisation sera exercée si les coûts politiques du
maintien de la propriété publique sont supérieurs à ses avantages. La privatisation
constitue, dans cette perspective, un moyen de résoudre les inefficiences publiques en
neutralisant les objectifs politiques au profit des objectifs d’efficience relatifs aux
propriétaires privés.
Au regard de cette analyse, l’approche théorique du lien entre propriété et performance,
transposée aux firmes publiques, conduit à deux conclusions interdépendantes. En premier
lieu, la privatisation, modifierait la nature des droits de propriété (transférabilité et
exclusivité) dont la configuration définit la firme et son efficience. Elle contribuerait ainsi,
à accroître la performance de la firme car la nature complexe et parfois contradictoire des
objectifs publics des détenteurs de ces droits, serait abandonnée au profit d’objectifs
économiques plus précis. En second lieu, réactivés par la privatisation, les attributs
58
essentiels de la propriété caractériseraient un système de propriété plus efficient et, par
conséquent, une gestion de la firme (telle que nous l’avons définie) plus performante. Cette
approche théorique de la problématique privatisation/performance qui semble conduire à
une relation positive entre les deux variables trouve, dans les études empiriques, des
illustrations plutôt convergentes, envisagées dans la section suivante.
Section 3 : Illustrations empiriques : des conclusions hétérogènes
Comme l’indique l’introduction de cette recherche, il existe un nombre éloquent
d’études, directement ou indirectement centrées sur le mouvement de privatisation. Les
premiers travaux remontent au milieu des années 1960. Depuis, leur nombre n’a cessé de
croître. D’ailleurs, plusieurs études, des plus anciennes jusqu’aux plus récentes, sont
construites sur une revue très étendue de la littérature empirique (Bennett et Johnson,
1979 ; Borcherding et al. 1982 ; De Alessi, 1980 ; Millward et Parker, 1983 ; Boardman et
Vining, 1989 ; McFetridge, 1997 ; Villalonga, 2000). Cette profusion s’accompagne d’une
évolution de la recherche empirique sur ce thème, notamment en raison des controverses
que celui-ci suscite.
Loin de prétendre à l’exhaustivité, le développement suivant propose une synthèse
critique de la littérature empirique sur la base des travaux les plus récents et pour certains
d’entre sur la base de la revue qu’ils proposent. Notre choix est guidé par le chemin qu’ont
pris ces travaux, dont la problématique a évolué dans le temps. Comme le démontre cette
section, l’apparition progressive de nouvelles approches empiriques exprime les tentatives
de réponses faites face aux limites théoriques et méthodologiques progressivement
observées. Notre revue de littérature fait apparaître un « saut » empirique lié à une
évolution de la manière dont la problématique est traitée. Le premier corps de travaux,
parallèle au lancement du programme de privatisation, aborde celle-ci indirectement, à
partir d’une comparaison de performance des entreprises publiques et privées (3.1). Sur la
base de ces résultats, le second corps de travaux envisage la privatisation à partir d’études
longitudinales. Celles-ci portent sur des échantillons de taille très variée, parfois relevant
plutôt de l’étude de cas, notamment dans les travaux les plus récents. Cette seconde
approche vise une comparaison du niveau de performance des entreprises avant, puis après
leur privatisation, principalement par offre publique de vente (3.2).
59
3.1. Performances comparées des organisations publiques et privées
L’examen empirique de la performance comparée des deux formes organisationnelles
publiques et privées est conduit de manière à tester l’hypothèse issue de l’analyse de
l’efficience de la propriété. En référence aux développements précédents, cette hypothèse
stipule que l’entreprise publique, en raison des caractéristiques de sa propriété, devrait être
moins performante que l’entreprise privée. En ce sens, la privatisation aurait un effet
positif sur la performance des entreprises concernées puisqu’elle en modifierait la propriété
et ses caractéristiques. Les nombreux articles traitant cette problématique présentent des
résultats très contradictoires (3.1.1). A cette hétérogénéité des conclusions, plusieurs
auteurs associent certaines limites méthodologiques. De là, il apparaît finalement que le
test de l’hypothèse d’efficience de la propriété s’avère plutôt significatif (3.1.2).
3.1.1. Comparaison de performance dans les deux types organisationnels : diversité
et non significativité des tests de la propriété
Plusieurs études font apparaître de manière très claire la contradiction des résultats du
test de l’hypothèse de la propriété (Boardman et Vining, 1989 ; McFetridge, 1997 ;
Villalonga, 2000). L’article de Boardman et Vining (1989), publié après les vingt
premières années de la mise en œuvre des programmes nationaux de privatisation, est très
représentatif de ce premier corps de travaux. D’une certaine manière, il en constitue une
synthèse. Sur la base d’une importante revue de littérature réalisée par les auteurs (tableau
1), il apparaît que les conclusions empiriques de l’époque apportent peu d’arguments en
faveur de l’analyse théorique de la propriété. Boardman et Vining (Op. cit.) répertorient
plus de cinquante études, notamment nord-américaines, comparant la performance
d’entreprises publiques et privées de secteurs variés tels que la distribution d’électricité, le
secteur aérien, ou les services de santé (p. 6). Cette synthèse des travaux couvrant la
période [1966 - 1986] révèle que soixante pour-cent d’entre eux présentent des résultats en
convergence avec l’hypothèse de supériorité de performance des entreprises privées.
Toutefois, onze pour-cent d’entre eux présentent des conclusions inverses. Le tiers restant
ne se prononce pas sur la supériorité de l’une des formes organisationnelles sur l’autre.
Face à un premier résultat plutôt favorable à l’analyse de la propriété, le doute subsiste
finalement. La revue empirique menée par Villalonga en 200046 présente une structure
équivalente et tout aussi troublante (tableau 2). Le groupe dominant d’études (104 études
46 L’auteur s’appuie sur la synthèse des travaux empiriques effectuée par Pestieau et Tulkens (1993).
60
précisément relevées par l’auteur) qui conclut en faveur de la propriété privée coexiste
avec les deux autres groupes de travaux, l’un ne présentant aucune différence de
performance (35 articles), l’autre rejetant l’hypothèse testée initialement (14 études). En
outre, comme le souligne cet auteur, les conclusions de certaines études font l’objet
d’interprétations variées, soumises à la subjectivité de leur lecteur47.
Les travaux qui acceptent l’hypothèse du lien positif entre la propriété privée et la
performance utilisent des données très variées. Une analyse critique de ce groupe d’études
met en évidence la diversité des champs d’investigation et des mesures de la
performance utilisées. Chaque étude vise ainsi à répliquer le test de la propriété dans
différents contextes et sous différents angles de mesure de performance. En ce sens, ces
travaux tentent de généraliser la TDP. Leur champ d’investigation portent sur des
entreprises internationales appartenant à des secteurs industriels différents (Boardman et
Vining, 1989), d’autres portent sur un seul secteur comme par exemple le transport aérien
(Ehrlich et al., 1994) ou sur un seul pays. Pour ce dernier, citons par exemple l’étude de
Funkhouser et Mac Avoy (1979) qui conclut que les coûts opérationnels des entreprises
publiques indonésiennes sont plus élevés et leur niveau de profit plus faibles. Plus
récemment, l’étude de Majumdar (1996) sur données sectorielles des entreprises indiennes
entre 1973-1989, fait apparaître un classement des scores d’efficience moyenne par type
organisationnel en faveur de la propriété privée. Par ordre croissant d’efficience, les
entreprises nationales sont suivies des entreprises publiques locales puis des entreprises
privées.
A contrario, un autre groupe d’études reflète le constat général de toutes les revues de
littérature empirique sur le sujet. Fondés sur des mesures de performance communes aux
précédents travaux, les résultats contradictoires de ces études soulignent les interactions
entre nature de la propriété et structure de marché, dont les effets spécifiques sont
difficilement mesurables. Les secteurs principalement concernés par ces études sont le
transport aérien (Forsyth et Hocking, 1980 ; Millward et Parker, 1983 ; Ashworth et
Forsyth, 1984) et ferroviaire (Caves et Christensen, 1980), le secteur de la santé (Becker et
Sloan, 1985), les services des eaux (Bhattacharyya et al., 1995) et de l’électricité (Peters,
47 Par exemple, l’étude de Hirsch (1965) portant sur le ramassage des déchets ménagers apparaît dans les trois groupes d’études, selon la classification faite par les auteurs qui s’y réfèrent. Cf. note de bas de page 6 in Villalonga (Op. cit.).
61
1993, Pollitt 1995). Plusieurs études rejettent l’hypothèse de la nature de la propriété
comme facteur explicatif de la performance, soit parce qu’elles présentent des résultats
favorables à l’entreprise publique, soit parce que les résultats sont non significatifs48.
L’étude de Caves et Christensen (Op. cit.) se place, par exemple, plutôt dans le second cas.
Sur la période [1956-1975], les auteurs ont identifié une croissance plus élevée du niveau
de productivité de l’entreprise canadienne publique de transport ferré comparativement à
son homologue privée qui, pourtant, demeure plus productive. Cette croissance supérieure
de productivité a permis à l’entreprise publique de dépasser le niveau de productivité de sa
rivale, à partir de 1967, année de la promulgation du National Transport Act prévoyant un
renforcement de la concurrence intra-modale. Caves et Christensen (Op. cit.) en concluent
que la nature de la propriété joue un rôle moins important que la structure même du
marché. Dans la même perspective, Boyd en 1986 souligne le biais des études qui
concernent les industries régulées car elles traitent conjointement de la propriété et des
effets de la régulation sur la performance. En ce sens, ce type d’études ne permet pas d’isoler chaque phénomène sur la variable
expliquée (la performance), limitant ainsi l’analyse du lien initial. A cet égard, McFetridge
(p. 23) note que les conclusions de Bhattacharya et al. (Op. cit.)49 soulèvent la question de
l’impact probable joué par la régulation sur le niveau de performance moindre des
entreprises privées. D’une autre manière, l’analyse de Borcherding et al. (1982) rejoint
celle de Caves et Christensen (Op. cit.) en soulignant l’absence de différentiel de coût
unitaire entre les entreprises publiques et privées lorsque le niveau de compétition est
suffisant. Par ailleurs, l’analyse internationale de performance d’entreprises de chauffage
(toutes énergies confondues) réalisée par Pollitt (Op. cit.) est assez ambiguë, comme le
relève McFetridge (Op. cit., p. 25). En effet, sur un échantillon d’entreprises l’auteur
48 A cet égard, le dossier de La Tribune du 8-12-2000, « L’Europe se libéralise pour enrayer le déclin du rail » pose la question des effets attendus de la libéralisation du marché pour les compagnies nationales, notamment à travers ses différents articles dont celui relatif à « l’échec de la privatisation du rail britannique » qui a accompagné sa libéralisation. Cet article analyse les conséquences de la dérégulation du monopole public de transport ferroviaire British Rail, menée par le gouvernement de J. Major en 1994. La création de Rail Track, aujourd’hui bénéficiaire, et la concession par franchise des 25 lignes régionales à plus de dix sociétés privées se traduit, selon le journal, par « une machine à diluer les responsabilités ». En outre, les arguments avancés par M. Boiteux (Président d’honneur d’EDF) et C. Henri (Professeur à l’Ecole Polytechnique) sur le thème « services publics et concurrence » constituent des éléments de réponse à la question cruciale soulevée ici : « la concurrence est-elle condamnée à être tour à tour Docteur Jekyll et Mister Hyde ? » p. 12, Gérer et comprendre (série des Annales des Mines), septembre 1998, n° 53. 49 A trois reprises (revue de littérature, analyse d’un échantillon d’entreprises puis changement de méthode statistique), Bhattacharya et al. (Op. cit.) ont analysé la performance des entreprises américaines publiques et privées (régulées) du service des eaux. A chaque fois, les auteurs concluent à l’inefficience relative des entreprises privées dont le coût unitaire variable est supérieur relativement aux firmes publiques.
62
conclut d’abord à une différence non significative de performance entre les deux groupes
de firmes, les variables de facteur d’utilisation (fonctionnant en cas de forte demande ou en
continu) de technologie et de pays étant prise en compte. Toutefois, sur un échantillon plus
homogène d’entreprises de chauffage fonctionnant uniquement en continu, la comparaison
de performance est en faveur des entreprises privées. La sous-performance des firmes
publiques est associée par l’auteur à une interférence politique en matière d’investissement
technologique qui serait plus coûteux, le choix étant porté sur une utilisation intensive
d’une technologie exploitant des matières premières plus coûteuses que celles choisies par
les firmes privées.
En définitive, qu’il s’agisse des revues de littérature, des études favorables à la propriété
privée ou des études plutôt neutres, il apparaît que le débat reste entier même si une
majorité d’études convergent, dans leur conclusion, vers l’hypothèse défendue par la TDP.
3.1.2. L’accréditation de la thèse de la propriété
Selon Boardman et Vining (Op. cit.), ce constat, loin de réfuter l’hypothèse première
leur permet, après une analyse des limites inhérentes aux travaux existants, de proposer
une alternative empirique plutôt convaincante. Leur démarche et leurs résultats n’ont pas
été sans incidence sur la poursuite des travaux sur la privatisation. En effet, la prise en
compte des limites qu’ils considèrent comme étant à l’origine de la diversité des résultats
leur permet sans équivoque d’accréditer la thèse de la propriété.
Les auteurs soulignent deux limites des travaux centrés sur la comparaison des
performances publiques et privées. L’une porte sur la pertinence des mesures de
performance, compte tenu des objectifs spécifiques à chaque type organisationnel. L’autre
est relative à la cohérence des mesures de performance utilisées avec la structure
concurrentielle ou non de l’environnement. Concernant cette dernière, comme le
développement précédent l’a démontré, les études comparatives de performance, au départ
limitées au contexte nord américain, portent sur des secteurs pour la plupart duopolistiques
et/ou régulés (comme par exemple l’étude de Caves et Christensen (Op. cit.) sur le
transport ferroviaire canadien). En ce sens, le lien testé généralement entre nature de la
propriété et performance est limité à certaines structures de marché. Il est par conséquent
difficile de généraliser les résultats obtenus, notamment dans des contextes concurrentiels.
Comme le relèvent Boardman et Vining (Op. cit.), « bien que ces études apportent certains
63
éléments de preuve du lien entre propriété et performance, nous devons reconnaître les
limites d’une généralisation à partir de ces contextes aussi restreints » (NT)50. Les auteurs
rejoignent ici les conclusions de Boyd (Op. cit.) envisagées dans le développement
précédent, relatives aux effets combinés de la régulation et de la propriété sur la
performance. Ainsi, pour pouvoir conclure globalement sur la performance de la firme
publique et de la firme privée, Boardman et Vining (Op. cit.) suggèrent de répliquer le test
de la propriété sur des échantillons d’entreprises internationales qui interviennent sur
divers secteurs concurrentiels.
La seconde critique adressée par les auteurs porte sur la pertinence des mesures de
performance utilisées par rapport à de telles structures de marché. En référence à l’analyse
qui précède, les indicateurs de performance utilisés sont variés. Certaines études font appel
à des ratios de productivité des facteurs de production (Caves et Christensen, Op. cit.).
D’autres travaux comparent les niveaux de coûts opérationnels (Borcherding, Op. cit.).
Enfin, certaines études utilisent simultanément les deux types de mesure (Funkhouser et
Mac Avoy, Op. cit. ; Ehrlich et al. Op. cit.). Ces indicateurs de performance, fondés sur les
critères de rentabilité (productivité et profitabilité) permettent de prendre en compte
l’efficacité technique et l’efficacité allocative qui n’ont de sens qu’en milieu
concurrentiel51. Or la plupart des analyses existantes concerne des entreprises de secteurs
régulés. En conséquence, de telles mesures utilisées pour comparer la performance de
l’entreprise publique et de l’entreprise privée en situation de monopole, de duopole ou en
secteur régulé, limitent la pertinence de ces analyses et tempèrent les conclusions des
études et des revues de littérature.
Enfin, si l’on considère que la performance de l’entreprise publique dépend d’objectifs
économiques et socio-politiques, la seule mesure de la performance au sens productif et
allocatif du terme ne permet pas, selon Boardman et Vining (Op. cit.), de rendre compte de
la réelle efficience (ou inefficience) de la firme publique. A l’instar des travaux de
Leibenstein (1975), les auteurs suggèrent de prendre en compte un facteur qui puisse
rendre compte de la part de la spécificité organisationnelle dans le niveau de performance
50 « While these studies can provide some evidence on the relationship between ownership and performance, the limitations of generalizing from such a restricted context must be recognized ». Boardman et Vining, (Op. cit., p. 7). 51 A ce propos rappelons que selon la théorie néoclassique, si le marché n’est pas entravé par des réglementations, il alloue de manière optimale les facteurs de production entre firmes et secteurs ainsi qu’au sein de la firme.
64
de chaque firme52. Ainsi, une comparaison valable de performance des deux types
d’entreprises doit se faire sur la base d’indicateurs d’efficacité allocative et productive qui
rendent compte de la manière dont chaque firme utilise et alloue ses ressources, par rapport
à ses concurrents.
Ainsi, l’analyse comparative fondée, d’une part, sur des entreprises non véritablement
concurrentielles, d’autre part, sur des mesures de performance partielles et non cohérentes
avec la structure de marché sous-jacente, expliquerait selon Boardman et Vining (Op. cit.),
les résultats hétérogènes constatés dans les diverses revues empiriques. La prise en compte
de ces limites méthodologiques devrait, par conséquent, conduire à une significativité plus
marquée du test de la relation nature de la propriété et performance. C’est dans cette
perspective que se positionne l’étude de ces auteurs.
En réponse à l’hétérogénéité de ces résultats, Boardman et Vining (Op. cit.)
reconduisent le test initial du lien entre nature de la propriété et performance sur un
échantillon de plusieurs centaines de firmes industrielles multinationales non américaines.
Parmi ces entreprises, plus de quatre-vingt pour-cent sont privées, douze pour-cent sont
publiques et quatre pour-cent sont des firmes semi-publiques, détenues conjointement par
des actionnaires privés et publics, comme par exemple Wolkswagen. Leur modèle cherche
à expliquer le niveau de performance par la nature de la propriété publique ou semi-
publique, la firme privée étant le benchmark. A l’appui de variables de contrôle de la
position concurrentielle des firmes, du degré de concentration sectorielle au sein de
chacune des vingt-deux industries représentées dans l’échantillon, ainsi que des différences
nationales de pratiques comptables, les auteurs concluent à une supériorité significative des
firmes privées sur les deux autres types d’entreprises, tant en matière de rentabilité que de
productivité53. Les premières présentent en effet un niveau moyen de rentabilité des
capitaux propres supérieur de 12 % à celui de l’entreprise publique. Dans une moindre
proportion, le taux de rotation des actifs ainsi que le taux de marge économique moyens de
la firme publique sont inférieurs à ceux de l’entreprise privée (respectivement 1,7% et
52 Afin de capter deux aspects du facteur X contribuant à la performance globale, Boardman et Vining (Op. cit.) utilisent celui de productivité des employés et de rotation de l’actif (ventes/Effectif ; ventes/Total de l’actif). 53 Le critère d’efficience allocative est approximé par les auteurs par la rentabilité. « In competitive markets, profitability measures can be used as indicators of allocative efficiency because normatively appropriate deviations from profit maximization (that is, deviations that increase aggregate social welfare) will be minimal » (p. 9). Quatre niveaux de rentabilité sont analysés dans l’étude : rentabilité des capitaux propres (ROE), rentabilité économique (ROA), taux de marge économique, résultat net. Le second critère de mesure de performance est celui de productivité des employés et des actifs (Cf. note 38 de bas de page).
65
2,2% de moins). La position inférieure des entreprises semi-publiques est encore plus
marquée en termes de rentabilité. De même, le niveau de productivité des firmes privées
dépasse significativement celui des firmes publiques et semi-publiques. Si la position de
l’entreprise mixte, en termes de rentabilité moyenne, est inférieure à celle de l’entreprise
publique, en revanche, le niveau moyen de productivité de l’entreprise semi-publique est
supérieur (p. 18).
Au-delà de leur convergence avec l’hypothèse faite sur l’efficience de la propriété, ces
résultats soulignent aussi l’idée qu’une privatisation partielle ne suffit pas à générer des
économies de coûts. Elle peut même engager des coûts plus importants que la forme
publique pure. En conséquence, d’un point de vue prescriptif, l’analyse des auteurs conduit
à la conclusion (également partagée par Ehrlich et al., Op. cit.) selon laquelle la
privatisation aurait des effets significatifs sur la performance, si et seulement si, cette
privatisation est totale. D’ailleurs, Boardman et Vining concluent leur analyse dans les
termes suivants54 (Op. cit., p. 26) : « Une privatisation partielle par laquelle un gouvernement conserve un pourcentage du capital,
[…] ne paraît pas être la meilleure stratégie pour les gouvernements qui souhaitent ne plus
recourir à l’entreprise publique. […] Certaines structures de propriété conjointe sont
génératrices de conflits entre actionnaires publics et privés, conduisant à un degré élevé de
« dissonance cognitive » managériale. D’autres structures de propriété permettent au
management d’avoir une autonomie managériale plus grande dans les entreprises mixtes que
dans les entreprises publiques. En résumé, la privatisation partielle peut être pire, en particulier
en termes de profitabilité, qu’une privatisation totale ou qu’un maintien de la propriété
publique. » ( NT, guillemets des auteurs)
A la suite de ce premier article, Vining et Boardman (1992) ont réitéré ce test sur un
échantillon d’entreprises canadiennes et aboutissent à la même conclusion concernant
l’efficience plus grande associée à la propriété privée. Toutefois, ils observent un niveau de
rentabilité de l’entreprise mixte plus élevé que celui de l’entreprise publique. Ce dernier
résultat, moins sévère à l’égard de la propriété publique, laisse donc ouvert le débat sur le
degré de privatisation.
54 « …partial privatization where a government retains some percentage of equity, […], may not be the best strategy for governments wishing to move away from reliance on SOEs [State-owned-enterprises]. […] Some patterns of joint ownership appear to generate conflict between public and private shareholders, leading to a high degree of “managerial cognitive dissonance”. Other ownership patterns allow management to obtain greater managerial autonomy in MEs [mixed enterprises] than in SOEs. In summary, partial privatization may be worse, especially in terms of profitability, than complete privatization or continued state ownership ».
66
Enfin, comme le relèvent les auteurs, la performance inférieure des entreprises
publiques pourrait s’expliquer par le fait qu’il s’agit d’entreprises nationalisées pour cause
de risque important de faillite, ce que l’on a pu effectivement observer lors de la
reconstruction des économies après la seconde guerre mondiale ainsi que dans les années
1980 en France. Un tel argument supposerait donc que la nationalisation soit une manière
de permettre à la firme privée de retrouver des niveaux de performance perdus. La
propriété publique serait donc une source d’efficience supérieure. Cette conclusion serait
alors opposée à celle que donnent les résultats obtenus si les entreprises de l’échantillon
entraient dans cette catégorie de firmes publiques. Or, les auteurs précisent que les
entreprises publiques ou semi-publiques de leur échantillon n’ont pas fait l’objet d’une
nationalisation pour mauvaise performance.
Les résultats de cette étude transversale permettent, en définitive, de corroborer de
manière plus significative que les travaux précédents, l’hypothèse selon laquelle la
propriété privée serait, en univers concurrentiel, plus efficiente que la propriété publique.
C’est sur la base de cette dernière conclusion, que la plupart des travaux qui ont suivi ont
emprunté une voie d’approche plus directe de la privatisation55.
En ce sens, les études de Boardman et Vining (Op. cit.) sont conclusives de ce premier
corps de travaux. En établissant l’hypothèse de supériorité de la propriété privée, elle ouvre
ainsi une nouvelle voie d’investigation du phénomène. Depuis 1989, privilégiant une
approche longitudinale de la privatisation, la majorité des travaux s’oriente vers le test de
l’accroissement de performance induit par la privatisation.
3.2. Privatisation et performance : évolution méthodologique, un retour sur le
questionnement théorique
La problématique initiale fondée sur la question des sources d’efficience de la propriété
publique et de la propriété privée demeure à la base de cette seconde approche
méthodologique. Mais son analyse devient celle des effets positifs de la privatisation sur la
performance des entreprises publiques. Comme le note Villalonga (2000, p. 50), « la
validité et la variété des études dans cette catégorie contraste fortement avec la
55 Toutefois, certains travaux postérieurs à celui de Boardman et Vining poursuivent l’étude comparative de performance entre les deux types organisationnels. Sur la base d’indicateurs de performance complémentaires, ils aboutissent à des conclusions très similaires, comme l’étude récente de Dewenter et Malatesta (2001). Outre les indicateurs de rentabilité et de productivité, leur étude intègre aussi un aspect de la politique de financement, via les niveaux d’endettement.
67
précédente » (NT)56. En effet, si cette dernière privilégie globalement les études
transversales, ce deuxième corps de travaux se distingue par la diversité des approches
méthodologiques. Plusieurs revues de littérature empirique sur le lien entre privatisation et
performance mettent en exergue deux approches (Megginson et Netter, 2000 ; McFetridge,
1997; Villalonga, 2000). La première approche analyse le lien privatisation-performance
au niveau d’un pays ou d’un secteur particulier (Parker et Martin, 1995 pour le Royaume-
Uni ; La Porta et López-de-Silanes, 1999 pour le Mexique ; D’Souza, 1998 pour le secteur
des télécommunications). Ce premier groupe de travaux repose sur des échantillons de
taille limitée. Certaines études s’apparentent davantage à l’étude de cas, comme celles
effectuées par Galal et al., 1994. La deuxième approche consiste à analyser cette
problématique sur plusieurs pays et secteurs simultanément (Megginson et al., 1994).
Outre cette différenciation d’ordre méthodologique comparativement aux premiers
travaux, une autre caractéristique spécifique nous paraît importante. Cette nouvelle
perspective du lien entre nature de la propriété et performance peut être scindée, du point
de vue de la mesure de performance, en deux approches méthodologiques distinctes.
Celles-ci retracent la sophistication croissante des études transversales traitant de la
relation privatisation-performance. L’une d’elles repose sur une approche statique de
l’effet de la privatisation sur le niveau de performance (3.2.1). L’autre démarche privilégie
une analyse dynamique de cette relation (3.2.2). Comme le démontre l’analyse suivante,
ces méthodes différentes d’approche aboutissent à des résultats tout aussi hétérogènes que
ceux obtenus dans le premier groupe de travaux, même si la tendance globale est celle des
effets positifs de la privatisation. En ce sens, ils expriment également un doute sur la
significativité du test de la propriété tel que le suggère la théorie.
3.2.1. Privatisation et performance : l’approche statique
Cette première approche, la plus fréquemment choisie à notre connaissance, consiste à
comparer le niveau de performance sur deux périodes, celle qui précède l’année de
privatisation et celle qui la suit57. Parmi les études construites sur des échantillons
représentatifs, celle de Megginson et al. (1994) reflète symboliquement cette démarche
reproduite par la suite (D’Souza, 1998 ; D’Souza et Megginson, 1999 ; Boubakri et Cosset,
56 « The availability and variety of studies in this category sharply contrast with the previous one ». 57 Parmi ces études, celles qui traitent des échantillons de taille suffisante reposent en général sur des tests de différence de moyenne et de médiane avant et après la privatisation sur des périodes de sept ans pour la plupart des études [-3 ans ; +3 ans entourant l’année de privatisation] sous contrôle de l’inflation.
68
1998)58. Sur un échantillon international d’une soixantaine de firmes représentatives de
trente deux secteurs d’activité, les auteurs concluent à un effet positif de la privatisation sur
plusieurs indicateurs de performance y compris sur des variables plus indirectes associées à
la politique financière. Les auteurs notent une amélioration de la profitabilité, notamment
du taux de marge nette59 dont la variation est la plus significative, et de la rentabilité des
actifs60 dans une moindre proportion (p. 425). Concernant la rentabilité financière
(Rentabilité des capitaux propres) la variation positive n’est pas significative. A peine plus
de la moitié des firmes de l’échantillon est concerné par un accroissement du taux de
rentabilité des capitaux propres (cf. tableau 3 p. 426). Parallèlement, la politique financière
se caractérise par une politique de dividende plus généreuse (+ 22%) vis-à-vis de laquelle
70% des firmes de l’échantillon présentent significativement une hausse du montant des
dividendes distribués. En outre, la politique financière se caractérise également par une
politique d’investissement plus intense (Investissement/ventes et investissement/Actif61).
Enfin, les auteurs constatent un désendettement significatif, en particulier concernant la
partie long terme de la structure de la dette (pour 70% des firmes, p. 439-440).
D’une manière générale, cette étude est construite sur plusieurs ratios pour une même
variable d’approximation de la performance (par exemple, la rentabilité économique est
mesurée par ROA et ROS). Or, pour une même variable d’approximation, les niveaux de
significativité des ratios correspondants sont hétérogènes. Ainsi, l’observation de ces
indicateurs de performance met en exergue des variations qui ne révèlent pas de
changements réels liés à la privatisation, tout du moins sur l’échantillon. Notons en
particulier, les effets peu significatifs de la privatisation sur la performance actionnariale -
approximée par le taux de rentabilité des capitaux propres. De même, l’évolution de
l’intensité capitalistique des entreprises privatisées ne paraît pas plus convaincante62. On
remarque finalement sur la période de sept ans, une certaine cohérence entre ces variations
58 Sur la base des indicateurs utilisés par Megginson et al. (Op. cit.), ces différents auteurs concluent à des variations similaires, respectivement pour 17 entreprises des télécommunications privatisées par OPV entre 1981-1994, pour 78 entreprises de pays développés et en développement, privatisées entre 1990-1994 et pour 79 entreprises de pays émergents entre 1980-1992. 59 Résultat net/Ventes ou Return on Sales (ROS) 60 Résultat net/Actif ou Return on Assets (ROA) 61 Respectivement Capital expenditure to sales et Capital expenditure to Assets. Les auteurs observent une hausse significative de la part des investissements dans les ventes. Les résultats sont non significatifs pour la seconde mesure. 62 De même, les auteurs relèvent une hausse non significative du niveau d’emploi et remarquent qu’en secteurs dérégulés, la pression du marché semble imposer des contraintes plus fortes sur la maîtrise de coûts, notamment sur le facteur travail (p. 439).
69
et l’évolution de la rentabilité financière observée. En effet, la non-significativité de celle-
ci se retrouve dans les variations de la politique financière et de la rentabilité économique
qui ne sont pas plus représentatives.
Toutefois, certaines études, notamment celles relatives aux privatisations dans les pays
en transition, font apparaître des variations positives plus prononcées (Boubakri et
Cosset63, Op. cit.). Cette spécificité réside selon La Porta et López-de-Silanes (1999) dans
les niveaux plus faibles de performance des entreprises publiques. En ce sens, la
privatisation de ces entreprises a des effets positifs plus marqués. Certains auteurs ont
cherché à expliquer ces variations. Par exemple, La Porta et López-de-Silanes posent la
question des facteurs susceptibles d’expliquer la hausse de la rentabilité économique (taux
de marge notamment) généralement observée après la privatisation. Dans leur étude de
plus de deux cents firmes mexicaines privatisées entre 1983 et 1991, la part du résultat
opérationnel sur les ventes augmente significativement de 24% après la privatisation.
Parmi les facteurs susceptibles d’expliquer cette variation, les auteurs en identifient deux.
Les gains de productivité ainsi qu’une politique de licenciement rigoureuse semblent
expliquer respectivement 64% et 31% de la variation du taux de marge opérationnelle. La
part d’une hausse des prix de vente (qui, a priori, peut suivre une privatisation et provoquer
de ce fait une hausse mécanique de la marge) ne jouerait que très faiblement selon les
auteurs. Sur la base de questionnaires aux cadres salariés, ceux-ci relèvent que les gains de
productivité seraient principalement dus à une amélioration des processus de production et
de la qualité des produits (d’où une hausse du chiffre d’affaires), ainsi qu’à un changement
de l’équipe dirigeante, et à une hausse des rémunérations pour les salariés non licenciés. En
revanche, l’accès supposé plus ouvert au marché des capitaux et les incitations plus
grandes associées à la privatisation sont, selon les personnes interrogées, des facteurs plus
marginaux. En conclusion, les auteurs considèrent que les pertes sociales (associées à la
hausse relative des prix et aux licenciements) sont largement couvertes (respectivement par
63 Sur un échantillon de 79 entreprises de pays en voie de développement, les auteurs observent les mêmes niveaux de significativité concernant, notamment la rentabilité économique et financière. Les variations sont néanmoins plus prononcées que celles observées par Megginson et al. En outre, les auteurs notent des variations plus fortes pour les entreprises appartenant à des pays dont le revenu par habitant est dans la tranche supérieure. Toutefois, les ratios de performance ajustés aux effets de marché présentent des variations non significatives. Ce dernier résultat pose la question de la part spécifique jouée par la privatisation dans le niveau de performance, relativement à l’impact des changements macro-économiques souvent encadrés par un programme d’ajustement structurel prévu par le Fonds monétaire International ou la Banque mondiale, par exemple, la libéralisation des échanges ou la modification du système de règlement (p. 1083-1084).
70
la hausse des bénéfices imposables liée à la privatisation et par les fonds perçus par le
gouvernement au titre de la vente et de la fiscalité - p. 1237).
Cette conclusion favorable aux effets nets positifs de la privatisation sur la performance
productive et allocative de la firme (en particulier dans les pays en transition) est à
relativiser compte tenu des résultats de Frydman et al. (1999). Leur étude, comparant les
entreprises publiques et privatisées de République Tchèque, de Hongrie et de Pologne,
démontre que la question des caractéristiques de la propriété privée induite par la
privatisation (actionnaires internes - dirigeants et employés - contre actionnaires externes)
importe tout autant que l’abandon de la propriété publique de même que le choix des
mesures de performance (accroissement de la performance ou réduction des coûts). En ce
sens, l’étude des privatisations des pays en transition permet, selon nous, d’accentuer à la
fois les variations attendues ainsi que les biais méthodologiques et théoriques des travaux
sur la privatisation. Selon Frydman et al. (Op. cit.), celle-ci semble avoir des effets positifs
sur la productivité des entreprises d’Europe centrale détenues principalement par des
actionnaires externes. Les auteurs concluent que « les effets de la privatisation sur la
performance organisationnelle, bien qu’ils soient souvent bénéfiques, ne sont pas
automatiques ou uniformes selon les catégories d’entreprises ou selon les mesures de
performance [dans les contextes d’économies en transition]64 » (p. 1186).
En définitive, ces études présentent des résultats plutôt atténués par rapport à leurs
fondements théoriques et plus nuancés que les conclusions de certains auteurs, souvent en
raison de l’agrégation de leurs résultats et des mesures combinées de la performance
(Megginson et al., Op. cit.). Dans la mesure où ces données sont transversales, les résultats
soulignent davantage les tendances, telles que les font ressortir les auteurs. Eu égard à ces
conclusions, il apparaît que le lien entre privatisation et performance est plus ténu que ne le
prédit la théorie. En écho à cette dernière remarque, d’autres travaux abordent, en statique,
l’effet de la privatisation sur la performance mais de manière plus qualitative. Cette
distinction méthodologique devrait a priori, grâce à l’étude de cas, permettre de capter
certains phénomènes que les études précédentes, par nature, ne peuvent révéler. En ce
sens, les travaux plus qualitatifs devraient proposer des conclusions complémentaires
susceptibles de renforcer les tendances observées ou de remettre en question leurs
64 « […] the effects of privatization on corporate performance, while often quite powerful, are not automatic or uniform across different types of firms or different performance measures. »
71
fondements théoriques. Comme le développement suivant le suggère, les résultats
construits sur cette autre approche méthodologique suscitent certaines interrogations, déjà
implicites dans les travaux transversaux, relatives à la problématique initiale.
Parmi cette catégorie de travaux, certains privilégient une démarche intermédiaire, entre
la pure étude de cas et une approche plus transversale (Galal et al., 1994). D’autres sont
construits sur un nombre restreint de monographies (Eckel et al., 1994 ; Parker, 1994).
D’une manière générale, ils présentent des conclusions plutôt convergentes avec les
tendances observées précédemment. Toutefois un regard plus approfondi sur certains de
leurs résultats tempère selon nous, les conclusions généralement admises. Parmi ces
travaux, la synthèse proposée par Galal et al. (Op. cit.) nous paraît intéressante notamment
en raison de sa position méthodologique intermédiaire. Editée en 1994 dans le cadre d’une
conférence de la Banque mondiale (Galal et Shirley, 1994) leur étude porte sur douze cas
d’entreprises de quatre pays différents. Dans la majorité de ces cas étudiés, les auteurs
observent une amélioration de la performance agrégée après la privatisation. Sous cet
angle, ce constat converge vers l’hypothèse de la propriété. Néanmoins, ces conclusions
méritent d’être tempérées. Tout d’abord, elles ne sont pas généralisables, puisqu’il s’agit
d’études de cas donc statistiquement non-représentatives. Ensuite, selon les mesures de
performance, leur étude conduit à des résultats mitigés qui rejoignent les conclusions des
travaux plus transversaux. En corollaire, replacée dans l’ensemble des travaux fondés sur
l’analyse statique, leur étude suggère de nouvelles voies d’investigation en réponse aux
résultats existants. De là, il nous paraît intéressant d’une part, de reprendre leur approche,
plutôt originale par rapport à la majorité des études, d’autre part, à l’appui d’autres travaux
de même nature, de souligner les éléments principaux de ces résultats. Nous conclurons
finalement sur la portée de l’approche statique du lien entre performance et privatisation.
Galal et al. (Op. cit.) observent des effets agrégés positifs de la privatisation sur
l’ensemble de la société (Welfare net gains) sur onze des douze cas. Leur démarche est
construite sur une comparaison de la performance observée après la privatisation à la
performance théorique de ces entreprises si celles-ci étaient encore publiques. Si
globalement la privatisation produit des gains nets, ses effets à l’égard des différents
partenaires envisagés conduisent à des conclusions divergentes, rejoignant les conclusions
de certaines études plus transversales examinées précédemment. En effet, le résultat paraît
favorable aux employés aussi bien au Royaume-Uni qu’au Chili et au Mexique,
72
notamment en matière de rémunération. Mais selon les pays et les entreprises considérés,
certains des partenaires de l’entreprise ne bénéficient pas systématiquement de la
privatisation (les consommateurs, le gouvernement et parfois les actionnaires,
respectivement par rapport à l’évolution des prix d’offre et de la rentabilité, notamment en
raison des erreurs d’investissements faites par les nouveaux propriétaires, dans le cas de
Mexicana Airlines). Enfin, l’un des auteurs constate que la privatisation n’a pas eu d’effet
réel sur la performance de deux entreprises chiliennes du secteur de l’électricité, déjà
performantes avant leur privatisation65. En définitive, si globalement pour chaque
entreprise, les auteurs relèvent des gains nets positifs (notamment de productivité), seule la
privatisation de British Telecom semble avoir influer positivement sur la performance pour
chacun des partenaires66.
De manière plus nuancée, Parker (1994), observe sur les dix années qui ont suivi la
privatisation de British Telecom, un accroissement de la qualité du service au sens large,
une augmentation de la profitabilité et de la productivité des employés. Néanmoins,
l’auteur relève une baisse de l’intensité capitalistique et du niveau d’effectif même si le
salaire moyen ne paraît pas avoir été affecté par la privatisation. En outre, Parker note
l’importance jouée par les vertus incitatives à la performance associées aux marchés des
biens et services et des capitaux. Par conséquent, cette perspective relativise le rôle
spécifique de la privatisation dans la détermination du niveau de performance. Enfin, la
spécificité de l’analyse de Parker réside, selon nous, essentiellement dans le
développement qu’il propose concernant l’évolution de la structure interne. En ce sens,
l’auteur dépasse la simple analyse des effets de la privatisation sur la performance pour
envisager les effets plus qualitatifs de celle-ci au niveau du fonctionnement de la firme.
Par ailleurs, sous cet angle partenarial de la performance, Eckel et al. (1994) ont mesuré
les conséquences de la privatisation de British Airways et Air Canada sur les tarifs de vol,
sur la rémunération des cadres dirigeants et sur le cours des titres de leurs concurrents.
Selon les auteurs, ce dernier indicateur est plus à même de traduire l’efficacité économique
(economic efficiency) c’est-à-dire le degré de compétitivité de la firme. La baisse des tarifs
65 Cette dernière conclusion rejoint d’ailleurs, celle avancée par certains auteurs qui ont comparé la performance des entreprises publiques et privées (Cf. sous-section 3.1). 66 A l’exception de la hausse des tarifs, la privatisation de Téléfonas de Mexico peut également être la deuxième des douze entreprises étudiées, à avoir eu des effets positifs pour une majorité des partenaires considérés par les auteurs. Les actionnaires, les employés et le gouvernement semblent avoir effectivement tiré leur épingle du jeu.
73
et des cours boursiers des concurrents (-14% après la privatisation de British Aiways) ainsi
qu’une rémunération partiellement dépendante de la performance, témoignent de la
plausibilité de l’hypothèse d’accroissement de performance induit par l’introduction de la
propriété privée67, en particulier lorsque celle-ci se traduit par une large ouverture du
capital au marché. En ce sens, leur étude est en convergence avec les tendances mise en
évidence dans les travaux précédemment étudiés qu’il s’agisse finalement des études
transversales ou des études de cas.
Trois enseignements peuvent être tirés de cette synthèse de cas et des résultats similaires
des études transversales. Premièrement, l’analyse de la performance dans le cadre de la
privatisation suggère de prendre en compte différents partenaires. Ceci implique que la
mesure agrégée de la performance atténue la richesse de l’analyse du lien entre
privatisation et performance puisque, tout comme dans les analyses transversales, les sens
de variation concernent différemment les partenaires. Deuxièmement, la principale
critique, souvent faite à l’égard de ces divers travaux, est relative aux biais des données
comptables soumises à d’éventuels habillages. Pour répondre à cette limite d’autant plus
importante lorsque les études sont internationales, l’étude de Eckel et al. (Op. cit.) permet,
à partir de mesures moins « bruitées » de la performance, d’aboutir à des conclusions tout
aussi favorables, donnant une certaine crédibilité à l’hypothèse de départ, bien qu’il
s’agisse de monographies. Troisièmement, la significativité relative que nous avons relevée
des résultats plus transversaux peut être due au caractère statique des approches de la
performance, dont les fenêtres d’analyse sont par ailleurs relativement étroites (cf. sous-
section précédente). En outre, dans la mesure où ce type d’analyse (transversale) porte sur
une période donnée, certains aléas susceptibles d’apparaître (comme d’importants
changements macroéconomiques ou sectoriels) sont difficilement captés par les travaux
transversaux susmentionnés. De telles approches contournent la prise en compte des effets
progressifs et qualitatifs de la privatisation, légèrement perçus par les études de cas
(comme celle de Parker, Op. cit.) et peut être aussi par les études des privatisations dans les
pays en transition (notamment en raison des caractéristiques macroéconomiques68). De
plus, comme l’a démontré le développement précédent, les analyses sur les niveaux de
67 Précisons que les auteurs développent une deuxième problématique qui met l’accent sur la spécificité du marché des biens et services dans la détermination du niveau de performance de ces firmes. Nous aborderons cette perspective dans la prochaine section. 68 Cf. les résultats de Boubakri et Cosset (1998) cités dans la sous-section précédente.
74
performance présentent fréquemment des conclusions à partir de moyennes ou de données
agrégées, réduisant ainsi leur portée. Ce constat global explique peut être pourquoi, dans
les travaux les plus récents, les approches transversales ont pris une orientation
méthodologique plus sophistiquée.
3.2.2. L’approche dynamique du lien entre privatisation et performance
Comme le développement introductif de cette section le précisait, le regard critique
porté sur la littérature empirique nous a conduit à identifier une progression dans les
approches empiriques. Au-delà de la diversité des mesures de performance (comptables ou
de marché), du choix pour l’approche transversale ou l’étude de cas, les résultats envisagés
précédemment ont, à notre avis, initié une nouvelle voie d’approche empirique qui s’est
nécessairement accompagnée d’une évolution des fondements théoriques. En raison des
limites invoquées plus haut, l’examen des effets supposés positifs de la privatisation sur la
performance de la firme nécessite de prendre en compte l’évolution des variables
environnementales et de fonctionnement de la firme susceptibles d’influencer le niveau de
performance. Cette perspective permet de rendre compte de l’évolution progressive de la
performance puisqu’elle privilégie une comparaison de l’intensité des variations et non
plus des variations elles-mêmes. L’approche dynamique permet en définitive de répondre
aux observations faites sur le rôle joué effectivement par la privatisation et celui propre à
d’autres phénomènes tels que la dérégulation.
Dans cette optique, les premiers travaux ont substitué une mesure dynamique de la
performance aux mesures traditionnelles, en particulier en portant l’attention sur le taux de
croissance de la productivité (Button et Weyman-Jones, 1994 ; Ehrlich et al., 1994 ; Parker
et Martin, 1995 ; Price et Weyman-Jones, 1996). L’étude sectorielle de Ehrlich et al. (Op.
cit.) sur une vingtaine d’entreprises du transport aérien sur la période [1973-1983], met en
exergue des taux de croissance de productivité des entreprises publiques plus faibles ainsi
que des effets de changement de propriété non significatifs sur le court terme. Ainsi, selon
les auteurs, la privatisation, à condition qu’elle soit totale, ne paraît générer des gains de
performance que sur des horizons plus longs. Cette conclusion apporte une réponse
possible à la faiblesse des résultats obtenus entre autres par Megginson et al. (1994) qui ont
choisi une période d’investigation (3 ans) relativement courte après l’année de
privatisation.
75
Elle rejoint par ailleurs la question posée par Boardman et Vining (1989) sur le
caractère hybride de la propriété en termes de performance. A partir de cette même mesure
de performance, les conclusions qui ressortent de l’étude de Parker et Martin sont tout
aussi prudentes. En effet, comme le constate McFetridge (p. 28-29) la privatisation de
Jaguar, par exemple, a conduit à une chute forte du taux de croissance de la productivité
(du facteur travail) du constructeur. Globalement, entre 1981 et 1988, les auteurs observent
un taux de croissance annuel moyen de 5% pour les onze entreprises britanniques avant
leur privatisation contre 2,8% après, même si, pour une majorité des entreprises étudiées,
la croissance de la productivité est plus rapide après la privatisation. Par ailleurs, l’étude de
Price et Weyman-Jones montre que la privatisation peut être précédée d’une amélioration
de la performance (doublement du taux de croissance de la productivité) ; observation faite
dans le contexte de l’industrie du gaz au Royaume Uni qui a fait l’objet d’une
démonopolisation en 1982 et d’une régulation des prix. De telles conclusions font ressortir à nouveau l’hétérogénéité des résultats des analyses
qui posent la question des effets de la privatisation sur la performance. On remarque à
nouveau une corrélation entre les résultats mitigés et les impacts possibles des variables
environnementales. Comme le soulignent Boles de Boer et Evans (1996), dans le cadre de
la dérégulation en 1989 du secteur des télécommunications néo-zélandais et de la
privatisation de Telecom New Zealand en 1990, « l’environnement compétitif doit avoir
joué sur les gains de productivité » (NT, p. 34)69. En outre, les études les plus récentes comme celle de Villalonga (2000) sont construites
sur des modèles économétriques visant à prendre en compte simultanément les effets de la
privatisation en statique, sur les deux périodes classiques (avant et après l’année de
privatisation) et dynamiques, sur la période totale. Les conclusions de Villalonga sont à
l’image de son étude qui, d’une certaine manière, résume et complète l’ensemble des
approches pratiquées jusque là. En effet, après contrôle des variables taille (susceptible de
constituer un frein au changement) et cycle économique, l’auteur envisage le test de trois
hypothèses sur un échantillon de 24 entreprises espagnoles. La première hypothèse reprend
le lien positif entre privatisation et performance. La deuxième hypothèse, fondée sur une
approche distincte de celle de la propriété considère les facteurs politiques (choix de
l’entreprise) et organisationnels (comportements de nouveaux actionnaires et dirigeants)
69« the competitive environment may have contributed to productivity gains ».
76
susceptibles d’influencer les effets de la privatisation sur la performance. Enfin, la
troisième hypothèse suppose que les effets de la privatisation sont progressifs et, par
conséquent, qu’ils dépendent de la période choisie. La première hypothèse qui reprend la
problématique initiale de tous ces travaux n’est pas corroborée par les résultats de l’auteur.
En revanche, le test des deux autres hypothèses, plus éloignées du cadre théorique initial,
est significatif. Ainsi, d’après l’accroissement de performance testé en statique et en
dynamique (respectivement à partir des différences de moyennes de rentabilité économique
et du taux de croissance sur les deux périodes), le passage à la propriété privée n’influe pas
positivement sur la performance, de manière systématique. Comme le commente l’auteur
(p. 62), « l’effet de la privatisation s’est traduit par des augmentations significatives de
performance dans à peu près autant de cas que ceux pour lesquels ces effets se sont traduits
par une baisse significative » (NT)70. Cependant, Villalonga observe que l’accroissement
de performance observé dans certains cas s’explique par des facteurs politiques et
organisationnels (table 6). Ainsi, la privatisation en période de croissance ou lorsqu’elle
fait appel à des investisseurs étrangers, est plus avantageuse en termes de rentabilité, et a
fortiori pour les entreprises de grande taille. De plus, l’effet positif de la privatisation sur la
performance organisationnelle n’apparaît significatif qu’après la septième année
consécutive à la privatisation. Cette dernière conclusion souligne la période transitionnelle
(de six ans dans son étude) vécue par les entreprises privatisées. Enfin, l’auteur observe un
accroissement significatif de performance trois ans avant l’année de privatisation. Cette
dernière observation, combinée au rejet de la première hypothèse testée par Villalonga,
remet en question la nature de la propriété comme seule variable explicative de l’efficience
organisationnelle. Les résultats obtenus sur les facteurs politiques et organisationnels
distincts de la propriété vont également dans ce sens.
Dans une perspective similaire, Alexandre et Charreaux (2001) observent dans le
contexte français (sur un échantillon de 19 entreprises privatisées) un accroissement non
significatif de la performance qui en outre, lorsqu’il a lieu est observé antérieurement à la
privatisation. Les auteurs concluent « [qu’] outre les problèmes de pertinence et de
fiabilité des mesures de performance, ces études sont confrontées à de multiples difficultés
liées à la complexité du processus de privatisation, à sa dimension temporelle qui dépasse
souvent les horizons retenus et à son caractère contingent, par rapport au contexte
70 « the effect of privatization has led to significant increases in efficiency in about as many cases as it has led to significant decreases ».
77
économico-politique ou réglementaire ». Comme le suggèrent ces auteurs, le recours aux
études cliniques semble s’imposer pour comprendre la dynamique sous-jacente à la
privatisation. Ces études plus récentes révèlent finalement la nécessité de prendre en
compte les processus adaptatifs internes au niveau des composantes de l’architecture de la
firme, notamment du système de gouvernance.
En définitive, l’approche dynamique du lien entre la privatisation et la performance
apporte des conclusions plus précises sur l’effet spécifique de la propriété. Finalement, en
écho à l’analyse théorique de la propriété (section 2), celle-ci, prise isolément, semble
jouer un rôle relatif, comparativement aux combinaisons potentielles de la propriété avec
certaines autres variables, de nature environnementale liées à l’organisation (structure et
comportement des acteurs après la privatisation) ou aux forces de marché (concurrence et
dérégulation).
Section 4 : Forces de marché et comportement managérial : une remise en cause de
la propriété comme facteur discriminant
Le développement précédent nous a permis de faire ressortir la portée limitée de la thèse
de la propriété dans l’analyse des effets de la privatisation sur la performance
organisationnelle. En ce sens, les différentiels de performance entre les firmes publiques et
privées, lorsqu’ils existent, pourraient s’expliquer par d’autres variables que la seule nature
de la propriété. Ainsi, la privatisation ne serait pas systématiquement justifiée, ou tout du
moins, les accroissements de performance pourraient être liés à d’autres logiques que celle
du changement de propriétaires. Les illustrations empiriques précédentes (notamment
celles appartenant au premier corps de travaux) sous-entendent une approche
complémentaire fondée sur l’influence des mécanismes de marché sur le comportement
des dirigeants qu’ils soient publics ou privés. Cette orientation du débat sur la privatisation
a initié une réflexion sur la question de la dérégulation des secteurs de service public
parallèlement à la privatisation de leurs acteurs71. Parmi les huit leçons des privatisations
passées, mentionnées par un numéro du bulletin de la recherche de la politique de la
Banque mondiale, quatre d’entre elles se réfèrent plus ou moins explicitement aux effets du
71 Harvard Business Review, mai-juin 1993 « Why Privatization Is Not Enough », K.R. MacDonald, p. 41-49 ; Harvard Business Review, janvier-février 1996 « Electric Utilities : The Argument for Radical Deregulation » de Navarro, p.112-125.
78
marché dans l’accompagnement des programmes de privatisation (Annexe 3). A cet égard,
nous pouvons constater que les privatisations les plus récentes, par exemple en France,
concernent aujourd’hui les entreprises de secteurs récemment dérégulés (France Télécom
dans le secteur des télécommunications, Air France dans le secteur du transport aérien), ou
en cours de réflexion (secteurs des chemins ferroviaires ou de distribution d’électricité - La
Tribune, 1er mars 2001). Le développement suivant envisage l’argumentation théorique fondée sur le même
principe explicatif que la thèse de la propriété (celui de l’efficacité) (4.1). Cette approche
nous apporte plusieurs enseignements quant à l’analyse du lien entre privatisation et
performance (4.2).
4.1. Structure du marché et mécanisme incitatif à la performance
Principalement développée dans la littérature de l’économie industrielle, la thèse des
forces de marché72 défend l’idée selon laquelle le différentiel de performance
organisationnelle dépend de la structure du marché. Ainsi, une firme qui intervient sur un
marché concurrentiel sera plus efficace que la même firme en situation de monopole. Le
principe sous-jacent est celui de la sélection naturelle qui stipule que les organisations
efficaces sont celles qui survivent à terme. Ainsi, en milieu concurrentiel, l’impératif
d ‘efficacité (technique) est une condition de survie pour les firmes, les entreprises les
moins compétitives étant condamnées à terme, à disparaître soit par éviction soit par
intégration.
En ce sens, l’existence de la concurrence confère au marché un pouvoir incitatif sur le
comportement maximisateur des décideurs. Dans un tel contexte, les dirigeants sont
contraints de réduire au mieux les coûts opérationnels, notamment dans le cadre d’une
recherche d’avantage concurrentiel en système de volume et, plus généralement, de
répondre à l’impératif d'efficacité technique. Traduit par les prix de marché, cet impératif
s’explique par la capacité de comparer les différentes offres et la performance de chaque
72 Issue du modèle néoclassique de l’équilibre général, la théorie de l’économie du bien-être stipule que « l’allocation concurrentielle des biens est une allocation efficace. A l’équilibre concurrentiel les prix fournissent aux consommateurs et aux firmes toutes les informations dont ils ont besoin pour agir », à condition que ces agents maximisent respectivement leur utilité et leur profit (Milgrom et Roberts, 1997 ; p. 115).
79
firme (Vickers et Yarrow, 1991, p. 116). Il constitue la menace73 essentielle d’éviction
exercée par tout marché concurrentiel. C’est cette « capacité informative » qui confère au
marché des biens et services un rôle de mécanisme incitatif sur le comportement des
dirigeants, quelle que soit la nature publique ou privée de la propriété. Ainsi, les conditions
de marché apparaissent comme essentielles dans le processus qui conduit à un certain
niveau de performance de la firme. Cette conclusion rejoint celle de Demsetz (Op. cit.)
déjà évoquée lors du questionnement sur la propriété et en particulier sur la thèse de sa
neutralité74. En ce sens, le contexte de marché semble influer davantage sur le
comportement managérial à l’égard de la performance que la nature même de la propriété
(Vickers et Yarrow, 1988, p. 39 et suivantes ; Kay 1993 ; Gathon et Pestieau, 1996). Ainsi,
les caractéristiques du marché dans lequel se réalise la privatisation de la firme, doivent
être prises en compte dans l’analyse de la relation entre la privatisation et la performance
organisationnelle.
4.2. Privatisation, structure de marché et performance
Cette prise en compte de la variable de marché dans l’analyse de la privatisation conduit
à l’hypothèse selon laquelle la performance inférieure de la firme publique
comparativement à son homologue privée provient en réalité de son « immunité » à l’égard
de la discipline du marché, notamment celui des biens et services (Anderson et al, 1997, p.
1637). Trois interprétations sont alors possibles quant aux résultats attendus de cette thèse,
en particulier dans le contexte des effets de la privatisation sur la performance.
Tout d’abord, la comparaison de performance, en milieu concurrentiel, de l’entreprise
publique et de son homologue privée, devrait conduire à des résultats rejetant l’hypothèse
de différence de performance75 d’une part, de supériorité de performance de la firme privée
d’autre part. En référence à l’analyse précédente des travaux empiriques sur le sujet, les
conclusions sont variées reflétant celles relatives à la thèse de la propriété. En effet, si
Caves et Christensen (Op. cit.) observent un rattrapage de l’entreprise publique canadienne
73 Cette menace est d’autant plus forte que le marché est contestable, c’est-à-dire où les barrières à l’entrée sont faibles. Ainsi, la concurrence potentielle liée à ces éventuels entrants exerce, au-delà des prix du marché, une pression certaine sur les acteurs existants, à condition que le marché soit réellement contestable (Vickers et Yarrow, 1988, p. 54-61). 74 Cf. supra section 2. 75 Résultat observé en particulier par Borcherding (Op. cit.), cf supra paragraphe 3.1.1.
80
de transport ferroviaire sur son homologue privé76, la robustesse des résultats de l’étude de
Boardman et Vining, (Op. cit.) conduit à rejeter l’hypothèse des forces de marché au profit
de la première77.
La deuxième interprétation de l’approche des forces de marché repose plus directement
sur les effets de la privatisation sur la performance. Deux perspectives, observées
empiriquement sont envisageables. La première concerne l’absence de variation de la
performance des entreprises publiques concurrentielles après leur privatisation, comme
l’observent Galal et al. (Op. cit.) sur deux entreprises chiliennes d’électricité. En outre, la
seconde perspective privilégie un lien positif entre la privatisation des entreprises
combinée à la dérégulation sectorielle et leur performance (Catelin et Chatelin, 2001).
Selon cette dernière hypothèse, la dérégulation devrait conduire à un accroissement de
performance significatif, en raison de « la rupture du monopole informationnel sur les
conditions sectorielles »78.
Enfin, remarquons que dans la perspective des forces de marché, si la privatisation
conduit à une amélioration de performance des entreprises déjà concurrentielles, comme
l’ont observé Megginson et al. (Op. cit.), Villalonga (Op. cit.), Alexandre et Charreaux
(Op. cit.), alors la thèse envisagée ici tombe. Toutefois, il est possible que la modification
de la propriété implique de nouvelles configurations de l’architecture organisationnelle
dans un contexte concurrentiel. En ce sens, aucune étude, à notre connaissance n’a pu
réellement examiner cet aspect. L’ouverture d’une nouvelle démarche se reflète d’ailleurs
dans la conclusion finale de Megginson et al., (Op. cit.): « Nous ne pouvons pas expliquer
ces changements à partir de nos données. Nous pouvons seulement montrer que, quelle
qu’en soit la raison, les entreprises privatisées bénéficient d’une meilleure performance
opérationnelle et financière en même temps que d’un niveau d’emploi stable». (NT, p.
448)79 (nos propres italiques). Dans le même sens, l’évolution méthodologique examinée
dans la section 3 suggère d’une certaine façon la même voie de recherche. On comprend
76 Notamment dans la perspective de l’intensification de la concurrence et après la promulgation du National Transport Act en 1967, cf. supra paragraphe 3.1.1. 77 Les mêmes conclusions peuvent être avancées quant aux comparaisons de performance des deux types organisationnels en milieu régulé, comme Boardman et Vining, (Op. cit.) l’ont démontré à travers leur revue de littérature. 78 « […] competitive forces break the « monopoly of information » about industry conditions […].» (guillemets des auteurs), Vickers et Yarrow (1988, p. 51). 79 « we are unable to document these changes with our data. We can only show that for whatever reason, newly privatized firms benefit from improved operating and financial performance while maintaining total employment ».
81
dès lors que les travaux comparatifs et longitudinaux, fondés sur les deux thèses
traditionnelles de la propriété et des forces concurrentielles conduisent à des résultats aussi
hétérogènes.
En conclusion de cette section, au vu des arguments qui précèdent, la thèse de la
propriété et celle des forces de marché sont deux approches complémentaires comme le
résument Loveman et Goodman dans l’approche normative de la privatisation (1992, p.
13) : « les deux critères de base d’une bonne privatisation [se trouvent] là où la
concurrence et les mécanismes organisationnels garantissent que les managers font ce que
les propriétaires veulent qu’ils fassent. » En définitive, le débat sur la privatisation reste
ouvert. Il est construit sur des arguments théoriques qui donnent autant de légitimité à la
propriété qu’aux vertus des mécanismes de marché dans la compréhension de la relation
entre la privatisation et la performance organisationnelle. Ainsi, les apports essentiels de
ces approches ressortent à travers les limites auxquelles ils sont confrontés. Le regard
critique porté sur les approches théoriques, ainsi que sur l’évolution des approches
empiriques, nous conduit finalement à une nécessaire remise en question de la manière de
poser la problématique de départ.
Section 5 : Synthèse et extension : une remise en question de l’interprétation
théorique
L’analyse précédente nous a permis de faire une revue des deux principaux corps de
travaux sur la privatisation, construits sur la base de deux théories traditionnelles de la
firme. Le premier porte sur une analyse comparative des performances publiques et
privées. Le second est relatif à une approche longitudinale du lien entre la privatisation et
la performance. Trois conclusions ressortent de l’analyse de ces deux groupes de travaux.
Premièrement, ces études ont permis de mettre en évidence la confirmation de
l’hétérogénéité des résultats obtenus par ces multiples études, quelles que soient la
méthode de mesure de performance et l’approche théorique retenues. Ainsi, bien qu’elle ne
soit pas réfutée par les travaux transversaux, la thèse de la supériorité de la propriété
privée, n’est pas non plus totalement corroborée, notamment en raison des nuances qui
ressortent des études plus qualitatives. De là, l’évolution méthodologique observée
précédemment semble exprimer la volonté de dépasser progressivement les limites d’ordre
82
méthodologique, susceptibles d’être à l’origine des résultats obtenus. A cet égard, bien
qu’il existe quelques revues de littérature empirique, aucune à notre connaissance n’a
proposé une classification fondée sur cette progression.
Le tableau suivant propose une classification fondée sur les résultats des études,
empruntée pour partie aux revues empiriques existantes, en ajoutant parallèlement la nature
méthodologique de ces travaux, tant en termes de mesure de performance qu’en termes
qualitatif/quantitatif. Cette synthèse permet de montrer comment, à l’opposé des attentes
initiales, cet élargissement des approches méthodologiques confirme finalement
l’hétérogénéité des résultats. L’ambiguïté soulevée par les études de cas s’observe à
nouveau dans les études plus transversales, malgré l’évolution de l’approche de la
performance, appréhendée davantage en dynamique dans les travaux plus récents.
D’ailleurs, en référence aux précédents développements, au vu des conclusions de ces
derniers travaux, l’approche dynamique de la privatisation permet d’enrichir les résultats
des études qui les ont précédés. Enfin, cette synthèse montre aussi comment les dernières
options méthodologiques qui proposent une approche renouvelée de la performance,
constituent une tentative d’identification des variables susceptibles d’expliquer cette
ambiguïté. Enfin, en dépit de cette dernière, les travaux présentent des résultats
globalement favorables à la thèse de la propriété tout en soulignant l’existence très
probable d’interaction avec d’autres variables dans la relation privatisation et performance.
Tableau 4 : Revue de littérature sur les études longitudinales de la privatisation, l’évolution méthodologique
R
ésultats obtenus A
pproche de la performance
Auteurs
& cham
p d’investigation B
aisse ou stagnation de la perform
ance après P A
ccroissement
de Performance après P
Statique D
ynamique
Partenaires
Etudes de cas G
alal et al., 1994 12 firm
es dans 4 pays Entreprises
électricité chiliennes
performantes avant Privatisation, effet
négatif sur certains partenaires selon cas
Majorité des cas,
Performance après P > perform
ance théorique publique
r
Em
ployés, clients,
gouvernement,
actionnaires Parker et M
artin, 1995 11 firm
es anglaises Stagnation pour une partie des firm
es A
mélioration de perform
ance pour 50% firm
es après
P, m
ais aussi
pour certaines
firmes
amélioration de perform
ance seulement avant P
r
A
ctionnaires, clients, em
ployés
Ram
amurti et al., 1997
Ferrocarilla Argentinos (transport ferroviaire)
Baisse niveau em
ploi H
ausse de la productivité et de la qualité des services
(et gam
me),
meilleure
affectation des
dépenses d’investissement
r
C
lients, cadres
dirigeants, employés
Eckel et al., 1997 British Airways et Air Canada
H
ausse du niveau concurrentiel, baisse prix du m
arché (pour BA
seulement)
r
Etudes transversales M
egginson et al., 1994 61 firm
es, 18 pays, 32 secteurs
Hausse
des V
entes, rentabilité,
niveau investissem
ent, dividende,
désendettement,
turnover des administrateurs
r
Em
ployés, actionnaires
D’souza et M
egginson, 1998 85 firm
es / 28 pays industrialisés
Baisse niveau em
ploi H
ausse des
Ventes,
rentabilité, niveau
investissement
r
Em
ployés, actionnaires
Boubakri et C
osset, 1998 79 firm
es, 21 PVD
Idem
Megginson et al., (1994)
r
Em
ployés, actionnaires
Dew
enter et Malatesta, 2001
63 firmes
H
ausse de Rentabilité, productivité em
ployés sur C
T et LT, désendettement
Hausse résultat opérationnel avant P, rentabilité
anormale des titres significativem
ent positive sur le LT
r
A
ctionnaires
Villalonga, 2000
22 firmes espagnoles
Baisse
significative de
performance
pour 50% des firm
es (m
odèle 1, statique)
significativité pour 50% des firm
es (statique), dépend de la période considérée (étendue et conjoncture) et des caractéristiques politiques et organisationnelles (m
odèle 2) significativité pour 25%
des firmes (dynam
ique)
r
r
Actionnaires
Alexandre et C
harreaux, 2001 19 firm
es françaises N
on significativité
des variations
de rentabilité,
emploi,
de politique
de dividendes, am
élioration avant la P
5 indicateurs de performance sur 20 présentent des
variations significatives (productivité, désendettem
ent, dividende…) m
ais en réalité variations antérieures à la P (m
odèle 1) significativité pour 25%
des firmes
rôle des variables de gouvernance
r
r
Actionnaires
78
Deuxièmement, cette synthèse vise à mettre en exergue une seconde conclusion relative
à la portée de ces études et aux questions méthodologiques auxquelles celle-ci renvoie. En
effet, ce tableau reprend les deux approches empiriques possibles lorsque l’on cherche à
étudier la portée explicative et/ou prédictive d’une question théorique. Ainsi, l’étude de cas
constitue une démarche qui permet d’analyser en profondeur les mécanismes mis en jeu
par un phénomène étudié. En ce sens, elle permet de capter des éléments qualitatifs ainsi
que les interactions complexes entre diverses variables alors que les travaux plus
transversaux visent à identifier les tendances générales à partir de tests de significativité.
Le tableau proposé met ainsi en exergue le lien entre la remise en question, par les études
de cas, des conclusions propres aux études transversales et la significativité relative des
résultats de ces dernières. En outre, les études qualitatives ont permis de soulever des
questions que l’on retrouve dans les travaux transversaux plus élaborés qui tentent de
prendre en compte l’aspect progressif de la privatisation sur les variables de performance.
En ce sens, ces derniers travaux plus sophistiqués peuvent s’interpréter comme une
recherche d’indicateurs plus pertinents de mesure des effets de la privatisation afin de
pouvoir corroborer finalement la thèse de la propriété. En dépit de cet effort
méthodologique, l’ambiguïté des résultats demeure mais cette progression de l’approche
empirique permet de mieux comprendre l’hétérogénéité des conclusions qui ressort d’une
manière générale dans les différents types de travaux. Le schéma ci-dessous propose un
résumé des différentes approches empiriques sur la privatisation fondées sur
l’argumentation théorique de la propriété et/ou sur celle des forces concurrentielles.
Schéma 1 : Privatisation et performance : l’évolution de la problématique des travaux sur
le test de la propriété
…1980’s 1990’s
Comparaison performance publique/privée
Comparaison Performance
avant/après privatisation
Boardman et Vining, (1989)… Dewenter et Malatesta, (2001)…
Villalonga (2000)… Galal et al., (1994)Parker, (1994)…
79
Troisièmement, de manière corollaire, le doute persistant relatif aux conclusions des
tests de la thèse de la nature de la propriété renvoie à la problématique initiale. Sans le
remettre totalement en cause, la synthèse des conclusions empiriques suggère que le cadre
théorique de départ est insuffisant, dans la mesure où il ne permet pas de tenir compte des
processus mis en jeu par la privatisation. C’est dans cette perspective que se positionne le
second courant relatif aux forces de marché (et à leurs implications sur le comportement
managérial), considérées alors comme la variable alternative de la performance des
entreprises. En effet, dès les premiers travaux sur la privatisation, la question de la logique
de dérégulation distincte de la privatisation est posée et jusque là, trouve une réponse assez
diffuse sur l’influence respective de chacune d’elles sur la performance de la firme. En
d’autres termes, dans la mesure où la privatisation semble avoir des effets plus marqués
lors qu’elle s’accompagne d’une dérégulation, la propriété comme facteur explicatif
exclusif de la performance semble être remise en question, notamment au profit des forces
de marché. Par conséquent, cette approche remet en cause le cadre théorique initial. Plus
précisément, si le lien positif entre privatisation et performance est globalement admis, les
cas particuliers soulignent la nécessité de tenir compte des interactions organisationnelles
avec l’environnement en considérant d’autres variables. Comme le suggère Villalonga (Op.
cit.), « la privatisation a d’autres implications, politiques et organisationnelles, qui
affectent probablement l’efficience de la firme, soit positivement soit négativement, et de
là, renforcent ou contrecarrent l’effet spécifique du changement de propriété » (NT, p.51,
italique de l’auteur)80. Il apparaît donc que l’approche par la TDP, trop restrictive en elle
même pour identifier l’interaction des facteurs de performance organisationnelle, soit
enrichie par d’autres approches susceptibles d’expliquer la complexité des mécanismes mis
en jeu lors de la privatisation. Ce constat global justifie par conséquent, une approche plus
endogène de la propriété susceptible d’expliquer comment la propriété publique peut dans
certains cas, apparaître comme une forme d’organisation efficiente.
80 « Privatization has other implications, political and organizational, that are likely to affect the firm’s efficiency, either positively or negatively, and therefore, reinforce or counteract the effect of the change in ownership per se ».
80
Conclusion du chapitre 1
Ce premier chapitre nous a permis de relever les principaux arguments relatifs au débat
sur le lien entre privatisation et performance afin d’isoler les variables concernées par la
privatisation. Ce débat est loin d’être clos compte tenu de la diversité des résultats
empiriques. Toutefois, cette analyse de l’argumentation traditionnelle conduit à deux
observations, comme le souligne le schéma suivant.
Schéma 2 : La problématique de la privatisation dans la littérature et ouverture
Débat Privatisation et Performance
Les contours de la privatisation
(section 1)
La privatisation de l’entreprise…
… La performance et
la propriété
… La performance et
les forces de marché
Performance comparée des propriétés
publiques et privées
Performance avant/après Privatisation
Vertu incitative et
comportement managérial
Implication organisationnelle
(Prémices de l’approche systémique du
fonctionnement organisationnel)
Ambiguïté des résultats empiriques
Propriété et Mécanisme de Marché, implication conjointe sur le
fonctionnement et sur la performance organisationnelle
Caractéristiques organisationnelles publiques et privées
Retour sur les arguments théoriques complémentaires aux premiers fondements
de la TDP
81
Celui-ci reprend en effet la problématique de la privatisation telle qu’elle ressort du
débat scientifique traditionnel en vue de faire ressortir deux enseignements relatifs à la
portée explicative de ces approches traditionnelles de la privatisation.
Tout d’abord, la réflexion est construite sur deux thèses qui paraissent en définitive plus
complémentaires qu’antinomiques. D’un coté, la thèse de la propriété soutient un lien
positif entre la privatisation et la performance organisationnelle. De l’autre coté, la thèse
des forces de marché considère celles-ci comme la variable explicative alternative de la
performance des organisations quelle que soit la nature de leur propriété. L'ambiguïté des
résultats empiriques, constatée tant dans les travaux comparatifs des deux types
organisationnels que dans les travaux longitudinaux ou plus qualitatifs sur les entreprises
privatisées, abonde dans le sens d’une complémentarité des deux approches. En effet, la
revue des travaux empiriques démontre qu’en milieu concurrentiel, les deux types
organisationnels peuvent présenter des niveaux de performance équivalents. En ce sens, la
propriété importe moins que l’existence des forces de marché (Caves et Christensen, Op.
cit.). En outre, la privatisation peut conduire à des améliorations significatives de
performance (Megginson et al, Op. cit.) bien qu’en dynamique les tendances soient moins
prononcées (Villalonga, Op. cit. ; Alexandre et Charreaux, Op. cit.). Enfin, la privatisation
d’entreprises concurrentielles semble contribuer à l’accroissement de leur performance
(Eckel et al, Op. cit.). Ainsi, les facteurs explicatifs de cette dernière reposent sur une
combinaison de deux logiques (force de marché et changement de propriété). Finalement,
ce constat global libère le débat du seul procès de la propriété publique puisque selon
l’entreprise, les effets de la privatisation sur la performance varient.
La deuxième observation est celle de la complexité des processus mis en jeu lors de la
privatisation. En effet, l'ambiguïté des résultats relatifs à la question des effets de la
privatisation sur la performance des entreprises rejoint en définitive la réflexion plus
générale sur les déterminants de la performance. Le problème organisationnel est, en effet,
celui des facteurs explicatifs de l’efficience de la firme et, plus précisément, de leur
articulation. En conséquence, les résultats empiriques ont permis d’illustrer la complexité
des effets de la privatisation sur la performance organisationnelle, sans rejeter l’hypothèse
de la propriété. Au vu des arguments précédents, les deux théories fondatrices qui sous-
tendent cette hypothèse nous enseignent finalement que la privatisation d’une organisation
82
induit un processus complexe de transformation et d’interactions des variables
organisationnelles.
De là, il nous paraît essentiel d’analyser le fonctionnement des deux formes
organisationnelles afin d’appréhender plus précisément les variables qui participent à la
performance et la manière dont la privatisation peut influer sur leur comportement. Le
chapitre suivant est consacré à l’approfondissement de ces aspects qui ont suscité des
arguments théoriques complémentaires à ces théories et sur lesquels sont fondés, plus ou
moins directement, les travaux empiriques examinés ici.
83
Chapitre 2
Analyse comparative des formes organisationnelles publiques et
privées : contributions des approches contractuelles
RiRiRiRien n’est plus dangereux qu’une vision dogmatique; rien n’est plus contraignant, plus opposé à en n’est plus dangereux qu’une vision dogmatique; rien n’est plus contraignant, plus opposé à en n’est plus dangereux qu’une vision dogmatique; rien n’est plus contraignant, plus opposé à en n’est plus dangereux qu’une vision dogmatique; rien n’est plus contraignant, plus opposé à l’innovation, plus contraire à l’acceptation de la nouveauté.l’innovation, plus contraire à l’acceptation de la nouveauté.l’innovation, plus contraire à l’acceptation de la nouveauté.l’innovation, plus contraire à l’acceptation de la nouveauté.
D’un autre coté, une vision riche est le chemin le plus direct qui mène à la découverte de nouveaux D’un autre coté, une vision riche est le chemin le plus direct qui mène à la découverte de nouveaux D’un autre coté, une vision riche est le chemin le plus direct qui mène à la découverte de nouveaux D’un autre coté, une vision riche est le chemin le plus direct qui mène à la découverte de nouveaux concepts, et le plus bel aiguillon pour effectuer des relations : en d’autres termesconcepts, et le plus bel aiguillon pour effectuer des relations : en d’autres termesconcepts, et le plus bel aiguillon pour effectuer des relations : en d’autres termesconcepts, et le plus bel aiguillon pour effectuer des relations : en d’autres termes
c’est le meilleur ressort possible pour opérer une abduction au sens de Peirce. c’est le meilleur ressort possible pour opérer une abduction au sens de Peirce. c’est le meilleur ressort possible pour opérer une abduction au sens de Peirce. c’est le meilleur ressort possible pour opérer une abduction au sens de Peirce.
S. J Gould, Essai n°8, p. 127.S. J Gould, Essai n°8, p. 127.S. J Gould, Essai n°8, p. 127.S. J Gould, Essai n°8, p. 127.
84
Le chapitre précédent, relatif au débat traditionnel sur le lien entre propriété et
performance a permis de mettre en lumière l’importance d’une analyse centrée sur les
réactions organisationnelles (en matière d’efficience) dans le contexte de la privatisation. A
l’issue de cette première analyse, la question de la nature de la propriété et de ses vertus à
l’égard de la performance reste posée. Selon le principe d’efficacité qui, rappelons-le,
stipule que les formes organisationnelles efficaces sont celles qui survivent à terme,
l’organisation publique, présentant des sources d’inefficience supérieure comparativement
à son homologue privée, est donc vouée à disparaître. Or, force est de constater la
persistance de ce type organisationnel81 et son rôle économique82 en dépit de la réalisation
des vastes programmes de privatisation observés. Par conséquent, il apparaît probable que
l’analyse initiale des caractéristiques de la firme publique soit incomplète. De plus, le
chapitre précédent a permis de démontrer l'ambiguïté des résultats empiriques et, ce
faisant, la corroboration partielle, et non totale, de la thèse de la non-neutralité de la nature
de la propriété.
Ainsi, la propriété (selon sa nature, publique ou privée) mais aussi d’autres variables,
internes (relatives aux comportements des parties prenantes au sein de la firme) et externes
(comme, par exemple, les forces actives du marché des biens) sont susceptibles
d’intervenir dans le niveau de performance organisationnelle. En ce sens, d’après cette
première réflexion, la privatisation n’est pas simplement une question de changement de
nature de la propriété, parfois combinée à la dérégulation du marché. Elle semble produire
des réactions organisationnelles plus complexes issues de ces deux types de modifications
à laquelle on l’associe. L’analyse positive du lien entre privatisation et performance
organisationnelle nécessite, par conséquent, une approche plus qualitative de la réponse de
la firme à ce changement de propriété. Cette approche doit permettre de prendre en compte
81Depuis la création des banques publiques dans la Grèce antique. 82 Un regard objectif porté sur les nationalisations françaises notamment (d’après guerre ou dans les années 80), témoigne aussi de l’efficacité de la forme organisationnelle publique dans certains contextes conjoncturels. Ainsi comme le constate Bancel (1995) qu’il s’agisse des motifs d’interventionnisme étatique tels que « la recherche d’une meilleure efficacité ou la rationalisation de l’appareil productif national » (p. 23) ou du bilan des nationalisations de 1982. Selon l’auteur, un tel bilan ne peut nier ni l’aide publique à « certaines sociétés en difficulté à sortir de la crise (Rhône-Poulenc, Renault, etc.) », ni l’amélioration des résultats des entreprises sous contrôle de l’Etat sur cette période, ou « la réorganisation de l’appareil industriel français ». « De nombreuses entreprises publiques sont ainsi devenues, dans les années qui ont suivi leur nationalisation, des groupes de niveau mondial (Usinor Sacilor, Péchiney, etc.) ». (p. 27). Voir aussi Bizaguet, (1992, p.36 et suivantes, p. 49-63) notamment chapitres 4, 5 et 6 sur l’impact du secteur public en France et en Europe entre 1973 et 1989.
85
les niveaux organisationnels susceptibles d’être touchés, dans leur fonctionnement, par la
privatisation.
A partir de cet enseignement qui ressort de la précédente analyse, la question que nous
posons ici est celle des propriétés respectives de la forme organisationnelle publique et de
son homologue privée. De la même manière qu’en chimie par exemple, nous proposons
donc d’appréhender les contours de chaque corps organisationnel, à le définir, par ses
qualités propres en matière d’efficience, afin de comprendre le passage de l’un à l’autre.
Ainsi, le développement suivant propose une analyse comparative de l'organisation
publique et de l’organisation privée à travers différents prismes théoriques. L’objectif est
de faire une revue succincte des différentes approches de la firme, complémentaires aux
deux perspectives initiales envisagées précédemment, pour pouvoir appréhender ensuite, la
manière dont la privatisation est susceptible de modifier le comportement de la firme à
l’égard de la performance. Cette seconde étape d’analyse de notre problématique est donc
une étape préalable pour pouvoir répondre à la question reformulée implicitement à l’issue
du premier chapitre : comment la privatisation agit-elle sur les variables de performance
organisationnelle ?
L’argumentation centrale, testée dans les travaux empiriques déjà mentionnés, relève en
fait, de l’analyse approfondie des conditions et des difficultés que rencontre toute
coopération, qu’elle soit publique ou privée, entre individus motivés par des objectifs
individuels et collectifs, en milieu incertain et instable. Cet angle d’analyse est celui des
théories de l’organisation qui visent à examiner le problème organisationnel tel que C.
Barnard l’avait déjà expérimenté puis théorisé au cours de la première moitié du siècle
dernier. Comme le relèvent Levitt et March (1990), la préoccupation majeure des
théoriciens de la firme provient de la distinction telle que l’a proposée Barnard (1938)
entre les systèmes conflictuels et coopératifs. Le problème organisationnel consiste alors à
transformer le premier, formé d’un groupe d’individus en relation d’échange mais dont les
objectifs sont différents en un groupe d’individus agissant rationnellement au nom d’un
objectif commun, qui caractérisent le système coopératif83.
Au-delà de l’analyse des attributs de la propriété publique et privée, il convient par
conséquent, d’identifier plus globalement, les sources de coûts de chaque forme
d’organisation des interactions individuelles. Comme la section 2 du chapitre précédent l’a
83 Levitt et March (1990), p. 12.
86
démontré, l’approche première du lien entre propriété et performance a été développée à
partir des fondements de la théorie des droits de propriété. Or, l’objet de celle-ci repose sur
la configuration des droits de propriété qui, en réalité, font l’objet de transactions entre
individus aux intérêts propres. Ainsi, l’analyse des sources de coûts de l’architecture
organisationnelle publique et privée s’oriente naturellement, vers les approches
contractuelles complémentaires. Nous proposons de cette manière, une lecture comparée
des caractéristiques de chaque forme organisationnelle à partir des apports essentiels des
trois axes principaux de l’approche contractuelle de la firme: la branche récente de la
théorie des droits de propriété, celle des contrats incomplets (section 1), l’approche des
conflits à partir de la relation principal-agent (section 2) et la théorie des coûts de
transaction (section 3) 84 .
L’objectif de ce chapitre consiste donc, à travers ces lectures différentes du
fonctionnement de la firme, en un approfondissement de notre compréhension du
fonctionnement de la firme publique et de la firme privée (telles que nous les avons
définies au départ). La section 4 est consacrée à une synthèse de ces diverses lectures qui
visent à comparer, selon l’unité d’analyse, le fonctionnement de l’entreprise publique et de
sa consœur privée pour pouvoir, par la suite, appréhender plus qualitativement, la question
de l’influence de la privatisation sur le fonctionnement organisationnel.
Section 1 : Contribution de la théorie des contrats incomplets
Deux raisons motivent notre choix de présenter en premier lieu les apports de la théorie
des contrats incomplets (désormais TCI). Tout d’abord, cette approche contractuelle de la
firme se rattache directement aux fondements premiers de la TDP puisqu’elle est
actuellement assimilée à sa forme moderne. Celle-ci se concentre, rappelons-le, sur les
caractéristiques d’efficience des droits de propriété économiques telles que l’envisage
l’argumentation centrale du lien positif entre privatisation et performance (chapitre 1).
84 Une délimitation nette de chaque perspective théorique contractuelle paraît impossible dans la mesure où elles s’empruntent mutuellement certaines hypothèses. Notons à ce sujet, que la littérature sur la problématique qui nous concerne ici n’a pas traité simultanément ces différentes lectures, à notre connaissance. Ainsi, ce chapitre a pour modeste ambition d’appréhender la firme sous chacun de ces angles. Le lecteur ne sera donc pas surpris de rencontrer régulièrement certaines références théoriques de l’une ou l’autre perspective, déjà mentionnée.
87
Nous verrons en quoi elle se distingue de l’approche originelle de la TDP et l’enrichit
significativement. Ensuite, comme l’un de ses auteurs de référence le mentionne, c’est une
approche contractuelle qui partage les hypothèses des approches complémentaires de la
firme en tant qu’arrangement contractuel, celle des coûts de transaction et l’approche
principal-agent (Hart, 1990, p. 164-165). En ce sens, nous pouvons considérer que la TCI
est un consensus intéressant puisque ses apports peuvent être étendus aux autres
perspectives contractuelles de l’organisation. Nous allons, par conséquent, présenter ces
hypothèses communes (1.1) en précisant que les hypothèses plus spécifiques aux autres
perspectives seront réservées aux sections qui les concernent. Ensuite, dans l’esprit de ce
chapitre, nous aborderons la lecture théorique des contrats incomplets qui caractérisent la
firme privée et son extension à la firme publique (1.2).
1.1. Hypothèses fondatrices et modèle des contrats incomplets
D’un point de vue épistémologique, « tout modèle est relié à un aspect de la réalité par
l’assertion d’une correspondance en général conditionnelle et incomplète, souvent
analogique » (Salmon, 2001, p. 387). Par exemple, comme nous l’avons abordé dans le
précédent chapitre, les théories de l’organisation abordent celle-ci à partir d’hypothèses
permettant de s’en faire une représentation simplifiée, grâce à certains outils analytiques85.
Dans le cas précis des théories contractuelles, l’entreprise est analysée à partir de la notion
de contrat, support de la coopération entre individus dont le comportement est modélisé à
partir de certaines hypothèses scientifiques. Les contrats représentent ainsi l’outil
analytique permettant de comprendre l’existence, les frontières et/ou le fonctionnement de
l’organisation. L’emploi de cet outil analytique des relations internes et externes à
l’organisation, par l’ensemble des approches contractuelles, est subordonné à certaines
hypothèses simplificatrices nécessaires à la mise en correspondance du modèle avec la
réalité de l’objet d’analyse. En ce sens, toute coopération entre acteurs, au sein, en dehors
ou avec la firme, est analysée sous l’angle d’une coordination entre partenaires qui
s’engagent à certains comportements réciproques. Le contrat en tant que dispositif de
coordination renvoie alors à la notion d’incomplétude contractuelle. Celle-ci est
directement liée aux hypothèses comportementales des individus au sein de la firme et du
contexte environnemental dans lequel ceux-ci évoluent.
85 Un cas extrême de représentation de la réalité organisationnelle est la firme point, analysée à partir de sa fonction de production.
88
A l’origine, la TDP s’inscrit, comme nous l’avons déjà abordé, dans ce contexte
d’incomplétude. Dans son prolongement, la TCI, comme son nom l’indique, est donc
construite essentiellement sur cette caractéristique des contrats qui gèrent l’échange des
actifs entre individus et, plus largement, leur coordination.
Comme les autres interprétations alternatives de l’organisation, la TCI suppose86 une
rationalité limitée des agents économiques qui prennent part à la firme. En ce sens, les
individus agissent de manière responsable, délibérée et intentionnelle lors d’une
coopération, en particulier au sein de la firme, dans la limite de leur capacité cognitive et
des informations disponibles. A cette hypothèse comportementale s’ajoute une hypothèse
relative à l’environnement dans lequel les individus agissent. En effet, cet environnement
se caractérise par une information imparfaite, coûteuse à acquérir ou à transmettre. Ce
système contraint donc le comportement individuel lors de la coopération avec d’autres
partenaires au sein de la firme en raison des coûts transactionnels associés à la rédaction
des contrats ainsi qu’à leur renégociation éventuelle (Hart et Moore ; 1990, p. 1122). Les
contrats sont donc naturellement incomplets. De plus, les individus sont des agents
économiques qui maximisent leur fonction d’utilité, motivés par leur intérêt propre. Leurs
préférences, associées à des arguments monétaires (profit, salaire, etc.) et non monétaires
(réputation, loisir, conditions de travail, etc.) sont révélées par un comportement sur le
marché. A tout contrat incomplet correspond, par conséquent, une coopération imparfaite
qui limite d’emblée son efficacité, notamment en raison des problèmes de motivation
(Milgrom et Roberts, 1997, p. 172 et suivantes).
Ce cadre théorique général des approches contractuelles s’inscrit plus largement dans
une démarche visant à comprendre les critères de choix économiques qui motivent les
individus dans leur rapport aux autres - et compte tenu des contraintes précitées. En ce
sens, l’analyse positive des organisations est conduite à partir d’une hypothèse centrale, la
recherche d’efficacité de la coopération. Cette vision a priori de l’organisation est à
l’origine du principe explicatif de l’efficacité. Selon ce principe, « si les personnes sont
vraiment capables de négocier des accords, de mettre en œuvre et de faire appliquer leurs
décisions, alors le résultat de l’activité économique tendra à être efficace (au moins pour
86 Nous nous rallions ici, aux propos des tenants de l’économie des coûts de transaction sur la critique de l’hypothèse originelle de rationalité savagienne de la TCI. Dans la mesure où ce débat est en fait au cœur de la justification de l’incomplétude contractuelle, il nous paraît important d’y consacrer quelques lignes. Compte tenu du modèle de la TCI, qui considère que les agents ont une capacité limitée à vérifier certaines variables du contrat ex post, il est préférable de retenir une hypothèse de rationalité limitée sur laquelle sont construites par ailleurs, les autres approches contractuelles, comme la TCT ou la théorie de l’agence. Nous renvoyons le lecteur à l’article de Brousseau et Glachant (2000, p. 31) qui aborde succinctement ce débat.
89
les parties prenantes à la négociation) » (Milgrom et Roberts, 1997, p.34). Ce principe
permet ainsi de poser les bases d’une analyse explicative des choix organisationnels. La
lecture contractuelle de l’organisation et de la firme en particulier, s’inscrit dans cette
démarche. Ainsi, les organisations existantes sont considérées comme efficaces (ou
efficientes) parce qu’elles permettent aux individus de mettre en oeuvre les moyens
optimaux pour maximiser leur bien être, comparativement aux alternatives possibles. Il
s’agit alors d’expliquer ces choix dans le cadre du paradigme de l’efficacité. S’inspirant du
principe de sélection naturelle, celui-ci permet de considérer que les formes
organisationnelles efficaces sont celles qui survivent à terme. Dans le cadre théorique des
approches contractuelles, il s’agit d’analyser la manière dont les organisations minimisent
les coûts générés par la coopération interindividuelle. La firme est représentée comme un
nœud de contrats87 dont les caractéristiques conditionnent le niveau de performance. A
partir de cette interprétation de l’organisation, chaque perspective contractuelle se
distingue par son objet d’analyse sur la base d’une problématique commune. Il s’agit en
effet, d’identifier les facteurs explicatifs de l’efficience organisationnelle, donc de la
capacité de la firme à minimiser les coûts de coordination, ou comme le suggère Charreaux
(1999, p. 98) « dans une formulation plus positive, à maximiser les gains issus de la
coopération ». Ainsi, comme nous l’aborderons dans les prochaines sections, l’approche
principal-agent se consacre aux divergences d’intérêts entre les partenaires, alors que la
théorie des coûts de transaction consacre l’analyse aux caractéristiques des actifs échangés
par les individus. La TDP et dans son prolongement, la TCI qui nous intéresse ici,
privilégient quant à elles, l’échange de droits de propriété. La thèse défendue dans cette
perspective est celle selon laquelle le niveau d’efficience de la firme, caractérisée par sa
structure de propriété, dépend de l’allocation de ces droits et de leurs caractéristiques.
L’approche de la firme à partir de la théorie des droits de propriété, a conduit
progressivement à deux branches d’analyse. En référence au développement du chapitre
précédent, la TDP, dans ses premiers fondements, a privilégié une approche exogène de
l’efficience de la firme. Dans cette perspective, certaines formes de propriété, sont plus
efficientes que d’autres par nature. Cette première branche de la TDP a constitué dans le
débat sur la privatisation, son principal argument de plaidoirie sur la base d’une analyse
des attributs de la propriété comme déterminants de l’efficience organisationnelle.
87 Cf. dans le chapitre 1, sous- section 112 relative à la synthèse des interprétations récentes de l’organisation parmi lesquelles nous avons retenu la définition proposée par Jensen et Meckling (1976), reprise ici.
90
La seconde branche de la TDP est construite sur une approche endogène de la propriété.
On peut associer cette perspective différente de la relation entre propriété et efficience
organisationnelle, notamment aux travaux de Demsetz88, en réponse aux inquiétudes
soulevées par Berle et Means, concernant les implications du développement de la société
managériale. Selon ces derniers, la séparation entre propriété et décision génère des
conflits d’intérêts entre les actionnaires et le dirigeant non propriétaire, conduisant ainsi à
une dégradation de la fonction sociale de la propriété privée89. Il s’ensuivrait une perte de
contrôle du propriétaire sur ses ressources au profit du dirigeant et, par conséquent, une
perte d’efficience dans leur utilisation optimale. Une structure de propriété construite sur la
séparation de la propriété et de la direction réduirait ainsi l’incitation du dirigeant à
maximiser le profit qui, en milieu concurrentiel, est un gage d’allocation optimale des
ressources, et ce faisant, un gage de la valeur pour le propriétaire.
A cette menace que constituerait la séparation et la diffusion de la propriété, Demsetz
(1983) répond que dans un cas (où le dirigeant serait propriétaire) comme dans l’autre (où
il ne le serait pas), la coordination au sein de chaque firme génère des coûts qui peuvent
être équivalents. Ainsi, dans le cas d’une pleine propriété, il s’agit des appropriations
personnelles de richesse par le dirigeant propriétaire via la recherche de consommation
d’avantages en nature (on the job consumption). Selon l’auteur, le propriétaire dirigeant
peut chercher à maximiser sa fonction d’utilité et pas simplement le profit, dans la limite
des contraintes fixées par l’existence de la concurrence (p. 378). Dans le second cas d’un
dirigeant professionnel auquel fait appel le propriétaire, si les appropriations de richesse
par le dirigeant sont réduites, comparativement au précédent cas, cette baisse de coût est
cependant compensée par le coût de contrôle des comportements éventuellement déviants
du dirigeant par le propriétaire. En ce sens, qu’il s’agisse de « ces forces opposées » (de
coût) générées par la spécialisation de la fonction de propriété et de direction ou des
appropriations personnelles par le dirigeant propriétaire, la structure de propriété influe
moins sur le niveau d’efficience que sur la manière dont les ressources sont utilisées.
88 Notamment son article de 1983. 89 Nous renvoyons le lecteur à la section 2 du chapitre précédent pour un rappel sur la fonction sociale du droits de propriété.
91
L’auteur conclut ainsi en faveur de la neutralité de la propriété : « la structure de
propriété qui émerge est une conséquence endogène d’une sélection concurrentielle par
laquelle sont pesés les avantages et les désavantages de coûts afin de trouver un équilibre
organisationnel » (Demsetz, 1983, NT, p. 384)90.
L’approche endogène de la propriété est donc centrée sur le choix d’allocation des
droits « spécialisés » de propriété, définis comme le droit du propriétaire (ownership of the
corporation) et le droit de direction (managerial control)91. Cette séparabilité des droits de
propriété, fondamentale dans l’approche endogène de la TDP, confère à la structure de
propriété un statut de variable expliquée, simultanément à l’efficience organisationnelle.
C’est pourquoi la structure de propriété dans cette seconde branche de la TDP est qualifiée,
à l’instar de son auteur, de réponse endogène du processus de maximisation, c’est-à-dire
conduisant à l’équilibre organisationnel (Demsetz, Op. cit., p. 377).
Sur la base de cette deuxième branche de la TDP, la TCI défend l’idée (inspirée du
modèle d’Alchian et Demsetz (1972) sur la production en équipe et le contrôle par le
propriétaire), selon laquelle les individus ne peuvent rédiger des contrats complets
(Grossman et Hart, 1986; Hart et Moore, 1990). En ce sens, l’établissement de tous les
états possibles du monde et les décisions d’investissement réciproque sont coûteuses à
spécifier au moment du contrat. Les partenaires à une transaction ne peuvent donc pas
spécifier contractuellement, tous les engagements courants et futurs en matière
d’investissement à réaliser par chaque partie. Aucun partenaire, au moment de l’accord
contractuel, ne possède une information parfaite sur les résultats de la coopération. Cette
incomplétude soumet le contrat à renégociation ultérieure. Celle-ci porte sur la répartition
de la rente créée à l’issue des investissements effectivement réalisés compte tenu des
facteurs contingents survenus entre le moment de réalisation de l’investissement et la
négociation de la rente qui en est issue. Dans ce contexte d’imperfection des contrats, la
thèse de la TCI stipule qu’il est alors plus incitatif pour les parties prenantes de s’engager
et de respecter un accord initial en prévoyant ex ante (avant réalisation des
investissements) celui qui, parmi les contractants, supportera les risques en cas de
changement de circonstance imprévu ainsi que les gains ou les pertes résiduelles, après
90 « The structure of ownership that emerges is an endogenous outcome of competitive selection in which various cost advantages and disadvantages are balanced to arrive at an equilibrium organization of the firm ». 91 Demsetz, p. 383.
92
rémunération des facteurs de production, de sorte que la coopération ait lieu, que les
engagements soient tenus et les gains nets issus de la coopération maximisés92. En ce sens,
le créancier résiduel assume le risque résiduel (lié aux changements imprévus de
circonstance) et accepte contractuellement les droits au gains résiduels (Fama et Jensen,
1983a, p. 302). Hart (1990) définit ainsi la propriété sur un actif comme « le droit de
choisir les aspects manquants concernant l’usage de cet actif » (NT, p. 160)93 c’est-à-dire
non prévus contractuellement. Dans le cadre d’une analyse de la propriété de la firme,
Hansmann définit les propriétaires dans les termes suivants (1988, p. 269-270, NT) 94 :
« Les propriétaires de la firme, tel qu’on l’entend conventionnellement et qui sera utilisé
ici, sont ceux qui partagent deux droits formels : le droit de gérer la firme et le droit de
s’approprier les gains résiduels. […] gérer peut utilement être interprété comme le pouvoir
exercé précisément sur les aspects de la politique de la firme, qui en raison des coûts de
transaction élevés ou de la rationalité limitée, ne peuvent être spécifiés ex ante dans le
contrat, mais davantage laissés à la discrétion de ceux à qui revient ce pouvoir de
décision. »
Ainsi, au sein du nœud contractuel que représente la firme, le propriétaire détient
simultanément le droit de décision résiduel et le droit à l’appropriation des gains résiduels
(qui dispose de l’allocation des résultat nets dont l’affectation n’est pas prévue ex ante).
Cette analyse précise ainsi, le contenu du droit du propriétaire au sens donné par Demsetz
92 Cette thèse mêle certains aspects de l’approche principal-agent d’une part, notamment concernant les effets incitatifs des contrats, d’autre part, la spécificité des investissements mis en jeu dans la coopération développée par la théorie des coûts de transaction. Sans investir le terrain de ces deux approches complémentaires de l’analyse de la firme, quelques précisions doivent être apportées pour distinguer ce qui relève de l’une ou de l’autre et dans quelle mesure elles sont aussi étroitement liées. Sur la base de la TCT, la TCI considère que, compte tenu de l’incomplétude contractuelle, la partie qui s’engage à réaliser un investissement non redéployable dans une autre coopération (l’investissement perd alors sa valeur si l’usage de l’actif est non conforme à l’usage prévu initialement, c’est le cas par exemple, d’un investissement par une des parties dans une machine qui ne peut être utilisée que dans le cadre de l’activité d’échange), peut être menacée d’un désavantage à l’issue de son investissement si certains événements nécessitent une modification du contrat initial, défavorable pour elle. Ce risque qualifié de hold-up peut freiner le détenteur de cet actif à investir dans la coopération ou à respecter ses engagements (cas de Fisher Body et de GM, Hart, 1990, p. 161). Un tel contexte coopératif permet d’illustrer la portée de la TCI, qui permet ainsi de comprendre que la réalisation d’une coopération efficace pour ses parties prenantes est influencée par la répartition des droits résiduels de contrôle sur les actifs, donc par la structure de propriété. En outre, celle-ci permet également de faire le lien avec l’approche principal-agent selon laquelle, le contrat entre ces deux parties nécessite la mise en place de mécanismes incitatifs de convergence d’intérêt, soulignant donc les fonctions incitatives que peuvent exercer les droits contractuels sur leurs détenteurs. 93 « the right to choose these missing aspects of usage ». 94 « A firm’s owners, as the term is conventionally used and as it will be used here, are those persons who share two formal rights : the right to control the firm and the right to appropriate the firm’s residual earnings. […] control can usefully be thought of as authority over precisely those aspects of firm policy that, because of high transaction costs or bounded rationality, cannot be specified ex ante in a contract, but rather must be left to the discretion of those to whom the authority is granted ».
93
(1983). En outre, Hansmann précise que dans cette perspective de la propriété, une firme
peut ne pas avoir de propriétaire, notamment les firmes à but non lucratif. La
caractéristique essentielle de cette forme organisationnelle repose sur le fait que les
personnes qui exercent l’autorité formelle sur les décisions résiduelles sont exclues du droit
d’appropriation des créances résiduelles. Hart (Op. cit.) résume ainsi l’aspect fondamental
de la propriété de la firme : « Dans un monde de coûts de transaction et de contrats
incomplets, les droits décisionnels résiduels ex post sont importants car à travers leur
influence sur l’usage de l’actif, ils affectent le pouvoir de négociation ex post et la
répartition du surplus réalisé dans le cadre de la relation » (NT, p.161) 95.
Par conséquent, dans un contexte d’incertitude contractuelle, la propriété se caractérise
par un ensemble de droits résiduels dont la conjonction confère en définitive à son
détenteur, un pouvoir ex post dans le cadre de ses relations avec d’autres individus. La
propriété se définit en conséquence à partir de ces deux dimensions, le droit de décision
résiduel et le droit d’appropriation des gains ou des pertes résiduels. Dans cette
perspective, une séparation de ces deux droits résiduels peut conduire à une atténuation de
la propriété, puisque le détenteur d’un droit de contrôle résiduel, sans le droit
d’appropriation des gains résiduels, n’est pas incité à valoriser efficacement le premier
(Hart, 1990). Cette analyse rejoint sous un angle différent, la notion d’exclusivité et la
fonction incitative qui lui est associée telle qu’en fait la lecture exogène de la propriété.
L’allocation des droits résiduels de contrôle (de prendre les décisions résiduelles) dépend
ainsi de la sensibilité des agents face aux incitations marginales à investir ou non dans un
actif. En ce sens, un agent est incité à investir dans un actif spécifique si cet investissement
lui assure une valorisation de son droit de décision résiduel (Hart, 1998).
Dans ce cadre analytique, l’objectif principal de la TCI est d’expliquer les
caractéristiques des formes organisationnelles (intégration, sous-traitance) existantes à
partir de l’incomplétude des contrats sur lesquels elles reposent et des caractéristiques des
transactions sous-jacentes (Grossman et Hart, 1986 ; Hart et Moore, 1990). La thèse de la
TCI peut se résumer dans les termes suivants : en univers d'incomplétude contractuelle,
l’allocation de droits de propriété résiduels (et donc du pouvoir de négociation ex post )
95 « In a world of transaction costs and incomplete contracts, ex post residual rights of control are important because, through their influence on asset usage, they affect ex post bargaining power and the division of ex post surplus in a relationship. »
94
influe sur l’incitation des partenaires à investir efficacement et sur la répartition du surplus
résiduel.
A l’issue de cette synthèse, on constate que la TCI, construite sur les axes principaux de
la TDP, permet de l’enrichir. L’approche exogène représentative des premiers apports de la
TDP, identifie les sources d’inefficience potentielle liées aux attributs d’exclusivité et de
transférabilité, auxquels sont associées les fonctions d’incitation et de diffusion des droits
de propriété. L’analyse endogène de la propriété permet quant à elle, d’envisager, à partir
de la séparabilité des droits, l’existence de formes de propriété sélectionnées efficacement
compte tenu des caractéristiques environnementales (marché, technologie, compétences
managériales). Sur la base de ces apports, et notamment de la notion de droit du
propriétaire, la TCI considère que l’incomplétude contractuelle conditionne l’efficience
d’un droit de propriété sur un actif. Le propriétaire est alors celui qui a la possibilité de
décider de son usage en toute circonstance non prévue par la loi ou contractuellement
(droit de cession et droit d’utilisation), d’autre part, de s’approprier les gains (ou les pertes)
associés à la possession de cet actif, lorsque leur allocation n’est pas contractuellement
prévue.
En résumé, la propriété se caractérise par la réunion d’un droit de décision résiduel et
d’un droit d’appropriation des gains ou des pertes résiduels. L’efficience de la propriété
dépend du caractère incitatif de ces droits dont la nature (exclusivité et aliénabilité)
conditionne le comportement maximisateur de leurs détenteurs.
Ainsi, si l’approche exogène de la propriété conclut en faveur d’une atténuation des
droits de propriété publique, (comparativement aux attributs issus des droits de propriété
privée), la TCI privilégie quant à elle, sur la base d’une approche endogène, l’importance
d’une combinaison des droits résiduels du propriétaire dans le déroulement d’une
coopération. Sous cet angle, a priori, la propriété publique peut être une forme
organisationnelle efficiente comparativement aux autres formes possibles. L’approche
endogène de la TDP semble donc relancer le débat des caractéristiques organisationnelles
publiques trop vite condamnées par les premiers fondements de la TDP, comparativement
aux firmes privées. Le développement suivant est consacré aux caractéristiques de chaque
forme organisationnelle telles que l’on peut les envisager à la lecture de cette grille
théorique.
95
1.2. Structure de propriété et sources de coûts
La question posée ici, relève des apports de la TCI à la lecture de la propriété publique.
En ce sens, quelle sont les caractéristiques de la structure de propriété dans l’entreprise
publique et dans l’entreprise privée, au sens de la TCI ? Peut-on identifier diverses sources
de coûts d’intensité différente au sein de chaque type organisationnel ? Deux points
doivent être abordés. Le premier concerne les caractéristiques stricto sensu de la structure
de propriété publique, d’après la TCI. Le second traite des conséquences de cette
particularité publique sur son efficience.
Comme le chapitre précédent a permis de le cerner, la privatisation de l’entreprise, par
le transfert partiel ou total qu’elle génère, remet en question la propriété publique. Au
regard de la définition que nous avons retenue de l’entreprise publique, selon laquelle les
pouvoirs publics exercent une influence dominante sur la stratégie et sur la nomination des
dirigeants, la structure de propriété publique paraît très complexe. En référence au
développement précédent, une application de la TCI à celle-ci conduit à définir la propriété
publique de la manière suivante. Le propriétaire de la firme étant celui qui détient les droits
résiduels de contrôle (de la décision en cas d’imprévu) et d’appropriation des gains, alors
la propriété publique est celle pour laquelle les pouvoirs publics détiennent ces droits
résiduels, exerçables en cas de circonstances imprévues. Cette lecture générale pose
toutefois un problème d’identification du réel propriétaire quel que soit en fait le type
d’organisation.
Ainsi en posant la question des intérêts que la firme doit servir, Milgrom et Roberts
(1997) observent que dans la réalité les requérants résiduels sont nombreux. Les décisions
de l’organisation peuvent en effet, affecter à des degrés divers, les partenaires en relations
contractuelles mais aussi, des parties prenantes plus indirectement96. D’un point de vue
théorique, les approches contractuelles envisagées dans ce chapitre privilégient
généralement une conception de la propriété réduite, notamment dans l’organisation
privée, à celle de l’actionnaire. Dans le présent développement, nous retiendrons cette
96 Milgrom et Roberts envisagent notamment les bénéficiaires ou les victimes d’externalités produites par l’organisation (p. 412).
96
vision théorique de la firme afin d’analyser sur des bases relativement plus simples de
l’organisation, les spécificités de chaque type organisationnel97.
Ce choix méthodologique étant précisé, cette notion, relativement plus claire dans le
contexte privé (le propriétaire est assimilé à l’actionnaire, notamment dominant) est plus
ambiguë dans le contexte public. En référence au développement relatif à l’entreprise
publique, envisagé dans le chapitre précédent, deux interprétations de la propriété publique
peuvent être envisagées au regard de l’incomplétude contractuelle. L’Etat ou les
collectivités publiques peuvent être considérés comme propriétaire de l’entreprise publique
dans la mesure où d’une part, ils absorbent globalement les gains ou les pertes résiduels,
d’autre part, ils exercent une influence importante sur la gestion de la firme, notamment au
niveau de la nomination des dirigeants. Cependant, cette analyse peut également être
transposée à celle des citoyens, qui en tant que contribuables, perçoivent les créances ou
absorbent in fine les dettes résiduelles et nomment eux mêmes les responsables politiques.
Conformément à la définition retenue de l’entreprise publique, ce que l’on peut retenir
de la précédente analyse est que le propriétaire de cette dernière exerce, via ses droits de
propriété, une influence dominante d’une part, sur les décisions résiduelles, notamment
stratégiques, d’autre part, sur l’appropriation des gains résiduels ou sur l’absorption des
pertes résiduelles au sens large. Comme le souligne Charreaux (1997d, p. 39),
« relativement à cette perspective, les différents types d’entreprises publiques n’expriment
que des variations mineures, notamment quant à la latitude discrétionnaire consentie aux
dirigeants ».
Si l’on retient comme propriétaire public98, les pouvoirs publics représentés par l’Etat et
ses Ministères (voire les collectivités) alors, l’allocation des droits résiduels paraît moins
évidente que dans le cas de la propriété privée. En effet, l’allocation du droit d’assomption
du risque résiduel et de décision résiduelle peut mettre en jeu plusieurs ministères
concernés par l’entreprise publique (de tutelle économique, technique et de cogestion),
97 Cette étape intermédiaire d’une analyse plus épurée nous permettra dans les chapitres ultérieurs, sur la base de ces premiers apports, d’examiner en quoi une conception plus élargie permet d’approfondir l’analyse du fonctionnement organisationnel en contrepartie d’une modélisation plus complexe. D’un point de vue méthodologique, cette simplification volontaire du modèle, en laissant ouverte la critique, permet de produire un premier résultat scientifique. Celui-ci doit être interprété comme une approximation de la réalité, elle même résultante de la critique faite dans le précédent chapitre. 98 Une analyse appliquée au citoyen vu comme le propriétaire public renforcerait ces conclusions. Dans le souci de ne pas rendre l’analyse encore plus complexe, nous n’envisagerons que la structure de propriété publique « réduite » à celle qui considère l’Etat entendu comme le Président et ses ministères.
97
« diluant » ainsi la portée incitative de ces droits de propriété. Il semble en être de même en
ce qui concerne l’appropriation des gains et des pertes résiduelles (que leur valeur soit
monétaire, politique ou de prestige). La responsabilité est fortement diluée puisque bien
qu’assumée par le Trésor Public, elle demeure partagée concrètement par tous les citoyens
ou de manière plus restrictive, en ce qui concerne les gains monétaires, par les entreprises
publiques déficitaires99. Cette interprétation de la propriété publique paraît acceptable tant
dans le cas d’une entreprise publique de type administration d’Etat (comme l’ancien PTT)
que de type EPIC (La Poste ou, avant 1991, France Télécom) ou société de capitaux
(comme Air France), telles que nous les avons envisagées dans le précédent chapitre. Là
encore, quelle que soit la forme juridique de la firme, cette allocation de la propriété ne
présente que des « variations mineures », en ce qui concerne l’action des ministères et/ou
du Président qui peuvent à des degrés variables, décider la politique tarifaire, exiger la
reprise d’entreprises en difficulté (nationalisation plus ou moins déguisées) ou le maintien
d’activités non rentables dans le portefeuille public en fonction des contingences socio-
économiques.
En reprenant la typologie de Glachant, présentée dans le chapitre 1, nous pouvons
identifier les localisations possibles du droit de décision résiduelle en fonction des types
d’entreprise publique tels que l’auteur les identifie 100. Ainsi, le droit de décision résiduelle
peut se localiser au niveau des tutelles (réglementaire, d’instrumentalisation ou de
cogestion). Ce locus se rapproche alors de l’unité administrative, de l’entreprise nationale
ou de la Public Corporation101, selon que progressivement ces tutelles réduisent l’étendue
de leur contrôle conjoint et/ou spécifique. Ainsi parmi les trois catégories précédentes,
l’extension du contrôle est d’autant plus large dans l’unité administrative pour laquelle
plusieurs tutelles sont impliquées dans la plupart des décisions, de la gestion à la définition
des règles du jeu dans lesquelles évoluent les entreprises (publiques et privées). En effet,
dans le cas extrême des tutelles additionnelles, le droit de décision résiduelle porte sur :
99 Par exemple, l’apport direct de capitaux d’une entreprise publique à l’autre s’est traduit pour le Crédit Lyonnais par un apport de un milliard et demi de francs par la Caisse des Dépôts, ou encore pour Air France, par l’apport de la BNP à hauteur de 1,25 milliard de francs d’obligations remboursables en actions (Bizaguet, Op. cit., p. 100-101). 100 Rappelons que cette typologie de l’entreprise publique est construite à partir du degré d’autonomie de gestion au sein de l’entreprise publique et de l’intensité d’intervention publique au niveau institutionnel ou organisationnel. 101 Terminologie de l’auteur, correspondant à la société privée à capitaux public.
98
- l’intervention directe dans la gestion (approbation du budget, du bilan, des
investissements et des emprunts, des prises de participation et des passations de
marché de la « tutelle administrative » ou « de cogestion directe »)
- mais aussi sur la réglementation et le contrôle des normes professionnelles (« tutelle
technique »102) dans lesquelles s’inscrit l’entité publique
- et enfin sur la politique économique d'ensemble du gouvernement (« tutelle
économique »).
Enfin, ce droit de propriété public peut se localiser très partiellement sur certains
« aspects sensibles de la haute stratégie du groupe (grandes acquisitions ou cessions,
alliances prenant corps dans les capitaux propres ou dans des montages financiers
d’ampleur exceptionnelle, etc.) » (Glachant, Op. cit., p. 110-111 et annexe 4). A cet
extrême, cette allocation du droit résiduel peut alors être rapprochée de l’entreprise
managériale à capitaux publics (quatrième type public). La formule des contrats de plan
qui gouvernent les relations entre les entreprises publiques et les pouvoirs publics illustre
ces divers degrés d’intervention puisque ces contrats entre agent et principaux publics font
souvent l’objet de ratification conjointes par les anciens ministères de l’industrie des
finances et de l’économie. La création de ces contrats de plans103, destinés à accroître
l’autonomie de gestion des entreprises publiques, témoigne aussi de l’importance des
pouvoirs publics dans la prise de décision. Comme le relève Marquis (2001) « avec pour
objectif de développer une politique par laquelle l’Etat pouvait obliger les entreprises à
mettre en œuvre les objectifs de la politique de l’Etat sans inhiber l’initiative managériale,
la Commission Nora proposait au gouvernement d’adopter un système de contrats de plan
où l’Etat et les entreprises publiques nationalisées devaient entériner leurs droits et
responsabilités » (NT). Le schéma suivant illustre le degré d’extension du droit résiduel
public selon les types organisationnels. Plus on se rapproche du centre du schéma plus
l’exercice du droit de décision résiduelle est étendu.
102 qui peut concerner les branches d’activité dont également les entreprises privées, Glachant (Op. cit., p. 63 et suivantes, et p. 110). 103 Les contrats de plan ont été mis en place sur les recommandations du rapport Nora (1967) qui a fait suite à l’évaluation par une commission gouvernementale, des rapports de l’Etat avec les entreprises publiques. Nous renvoyons le lecteur à l’annexe 4 relative aux relations d’EDF avec les pouvoirs publics (telles qu’elles sont relatées dans la rubrique « EDF et l’Etat » du site électronique de l’entreprise publique) ainsi qu’un bref historique de la SNCF que nous avons repris sur autre site.
99
Schéma 3 : Degré d’extension du droit de décision résiduel public (DDRP) à partir de la
typologie des entreprises publiques proposées par Glachant (1994, p. 147)
En définitive, ce pouvoir public ex post au sens de Hart, se caractérise par une allocation
du droit de décision résiduel à plusieurs entités. Or, en référence à l’analyse des attributs de
la propriété, le démembrement d’un droit (limitant le caractère exclusif) atténue l’incitation
de chaque détenteur à le valoriser. Ou, tout du moins, il peut générer des conflits (dont on
analysera dans la prochaine section les particularités). Il semble que cette structure de
propriété peut a priori réduire l’incitation des pouvoirs publics à exercer efficacement ce
droit. Ceci peut apporter éventuellement quelques éclairages sur les commentaires d’un
rapport de 1964 concernant la « filialisation sauvage de la Régie Renault » (de type public
iEntreprise managériale à capitaux publics
hPublic Corporation
nEntreprise Nationale EPIC
n Unité administrative Etablissement public et subdivision administrative
Tutelle administrative
Tutelle technique économique et de cogestion
Tutelle technique économique partielle
Extension du DDRP
Droit de veto sur les «hautes décisions
stratégiques
+
++
100
corporation, dans la typologie de Glachant). Celui-ci relève, au sujet des prises de
participation et de création de filiales, « [qu’il] est anormal que l’Etat, à qui appartient la
Régie, ne conserve pas le pouvoir de fixer jusqu’où et par quels moyens doit s’exercer son
activité »104. Cette analyse semble converger sous un angle différent, vers la thèse d’une
atténuation des droits de propriété publique envisagée dans l’approche exogène de la TDP.
Comparativement, dans la firme privée, considérée à partir d’une structure équivalente
(grande entreprise de type groupe avec unité de production), caractérisée par une
séparation dirigeant / propriétaire (unique ou tout du moins concentré), le propriétaire
détient les droits d’assomption du risque, de décision et d’appropriation des gains
résiduels, en référence à la description faite par Hansmann (Op. cit.). Le tableau suivant
résume les caractéristiques spécifiques de chaque type organisationnel au regard de la TCI.
Tableau 5 : Caractéristiques comparées de la propriété publique et privée105 : une
interprétation au regard de la TCI
Lors de la privatisation, cette propriété publique devient au moins partiellement privée.
En ce sens, les propriétaires publics transfèrent tout ou partie de leurs droits de propriété à
des acteurs privés. Dans le cadre de l’analyse du lien entre privatisation et performance, la
question posée est celle des conséquences de la modification de la propriété publique sur
l’efficience organisationnelle, autrement dit du lien entre propriété et performance. La
deuxième analyse est donc consacrée aux relations de la propriété publique ainsi définie
avec l’efficience, comparativement à la structure privée.
104Glachant (Op. cit., p. 96). 105 Conformément à notre remarque méthodologique en début de cette sous-section 1.2, nous retenons comme caractéristiques de la firme privée, celles de la firme théorique, généralement retenue dans le cadre contractuel des théories des organisations où l’actionnaire est considéré comme le créancier résiduel.
Droit d’assomption durisque résiduel Droit de décision résiduelle
Propriété privée Propriété publique
Actionnaire/propriétaire
Actionnaire au CA
Ministères et Trésor
Ministères, Président
Droit d’appropriation des gains et pertes résiduels
Actionnaire/propriétaire Collectivité, autres entreprises publiques déficitaires via les
ministères
101
Une application de l’approche exogène de la propriété publique telle qu’elle vient d’être
définie met l’accent sur l’analyse des caractéristiques de ces droits résiduels. Il ressort de la
particularité publique un démembrement (le partage) plus ou moins prononcé du droit
décisionnel résiduel entre divers individus voire entre entités ministérielles (Cf. supra
schéma 3). Cette dilution du droit de propriété conduit en théorie à une dilution de
l’incitation à valoriser un droit partagé par plusieurs entités. En conséquence, il semble que
la propriété publique demeure moins efficiente que la propriété privée compte tenu de cet
effet dilutif, le degré d’efficience moindre variant avec le degré de démembrement de ces
droits. De plus, un regard sur la non-cessibilité spontanée de ce droit de propriété (c’est-à-
dire sans appel à d’autres forces que celles du marché de cession des titres) vient renforcer
la précédente conclusion. Ce premier examen du lien entre la propriété publique (lue par la
TCI) et l’efficience, tend vers une conclusion convergente avec celle de l’analyse plus
générale de la TDP.
Cependant, la synthèse des travaux empiriques a permis de montrer toute l'ambiguïté de
ce lien, puisque les résultats des comparaisons entre les deux types organisationnels ne
permettent pas véritablement de conclure en faveur de l’un ou l’autre106. De même,
l’approche longitudinale des entreprises privatisées, bien que globalement convergente
vers l’hypothèse de supériorité de la propriété privée, présente des nuances d’interprétation
quant aux liens explicatifs, rejoignant ainsi l’approche plus endogène de la propriété107
telle qu’elle ressort de la réflexion de Demsetz (Op. cit.). Cette hétérogénéité suggère
l’intérêt d’une approche endogène de la propriété.
Dans une telle approche, la structure de propriété résulte du choix optimal d’allouer le
droit de décision résiduelle à celui qui est le plus sensible aux variations des termes du
contrat, d’où l’apparition de choix organisationnel comme l’intégration108. Sur ce point,
Troesken (1997) propose une analyse des sources de la propriété publique. A partir d’une
approche historique du secteur du gaz, l’auteur conclut à une convergence du degré
d’incomplétude contractuelle et de l’existence d’entreprises publiques. D’un point de vue
normatif, on conclut par conséquent que la propriété publique est une forme plus efficiente
de propriété lorsque l’incomplétude est forte et, par conséquent, que la délimitation des
droits concernant l’activité est floue. En ce sens, les caractéristiques de la propriété
106 Si l’étude transversale de Boardman et Vining (1989) soutient la thèse de l’approche exogène de la propriété, les études de cas laissent plus dubitatif. (Cf. Section 4, chapitre 1) 107 cf. notre synthèse des études de Villalonga (2000) et de Alexandre et Charreaux (2001) dans le chapitre 1. 108 Grossman et Hart (Op. cit.)
102
publique (atténuation plus forte que celle des droits de propriété privée) constituent une
réponse efficace d’allocation de ressources lorsque l’échange est caractérisé par une forte
incertitude. On constate que cette perspective aboutit à une conclusion très différente de
celle présentée par l’approche exogène de la TDP selon laquelle, rappelons le, la propriété
publique est moins efficiente que la propriété privée en raison de l’atténuation des droits.
La propriété publique peut s’interpréter dans ce sens, comme une forme efficiente de
propriété, compte tenu des contingences. Il peut ainsi être préférable d’allouer le droit de
décision résiduelle aux pouvoirs publics pour éviter que ceux-ci (et l’intérêt public qu’ils
défendent) ne soient expropriés en cas de changement de circonstance imprévue. D’une
certaine manière, pour ne pas être lésé, l’intérêt public peut conduire à une internalisation
publique de la propriété qui se traduit par une intégration. Ainsi, une interprétation
endogène de la propriété publique permet de comprendre certains phénomènes. En
particulier, la création d’entreprise publique, la nationalisation ainsi que le discours de
ceux qui l’ont initiée peuvent être lus comme des internalisations publiques résultant des
contextes conjoncturels de leur apparition109.
Plus indirectement, certains auteurs ont proposé une analyse normative de la
privatisation à partir de l’incomplétude des contrats. Certains enseignements peuvent en
être tirés pour approfondir l’analyse de l’entreprise publique comparativement à son
homologue privée. La réflexion théorique de Schmidt (1996b, p. 570) est symbolique de
cette approche prescriptive de la TCI. L’auteur constate que « la théorie économique
rencontre encore des difficultés à prédire les circonstances dans lesquelles les firmes
109 Une analyse des trois vagues de nationalisations françaises (1936, 1945-46, 1982) - bien que de « justifications assez dissemblables » comme le suggère Bizaguet (Op. cit., p. 21) - fait apparaître, au regard des arguments politiques relevés par l’auteur, que le choix de nationaliser s’explique de manière récursive, par la nécessité de préserver l’intérêt national selon les contingences (qui elles, sont assez dissemblables sur ces trois périodes). Notons au passage que ce dernier aspect permet également d’expliquer que les vagues de nationalisation comme celles de privatisation, ne sont pas forcément corrélées aux préférences doctrinales des politiques au pouvoir. Ainsi, la première vague de nationalisation ou de création d’entreprise publique sous le front populaire, s’est faite dans un contexte de menace de conflit international (nationalisation des entreprises du secteur de la construction aéronautique, création de la SNCF). La seconde vague, partie intégrante du programme du Général De Gaulle, consécutive au conflit de 1939-45; a eu pour motivation principale la reconstruction de l’économie nationale, son développement et sa célèbre indépendance énergétique, d’où les nationalisations bancaires (banques de dépôt, telle que le Crédit Lyonnais) celles des Charbonnages ou de l’électricité. Enfin, les nationalisations de 1981 ont été motivées par le contexte de crise de l’époque. Entendons alors dans le discours du candidat à la Présidentielle, F. Mitterrand, la volonté d’internaliser la propriété de certaines entreprises afin de réduire les risques d’appauvrissement de l’économie tout entière. La nationalisation était alors « l’instrument d’action efficace dans la stratégie anticrise ». (Bizaguet, Op. cit., privatisation. 23)
103
privatisées peuvent être plus performantes que les entreprises publiques » (NT)110. En
réponse à ce constat, l’auteur (p. 571) développe l’hypothèse selon laquelle, un
accroissement de performance lié à la privatisation signifie que la forme organisationnelle
privée est plus efficiente que son ascendante publique. Par déduction, les contrats
incomplets dans le contexte de la dernière, présentent des « anomalies » qui sont réduites
par la privatisation. Plus précisément, la privatisation se traduit par un contrat incomplet
entre le dirigeant et le(s) propriétaires privé(s), dont les vertus incitatives à réaliser les
investissements réciproques sont plus fortes que celles du « contrat incomplet public ».
Dans ces modèles, l’analyse est centrée sur les effets de l’incomplétude contractuelle sur
les conflits d’intérêts entre deux parties au contrat, notamment le dirigeant et le
propriétaire. Cette hypothèse rejoint plus précisément une des approches complémentaires
de la TCI, l’approche principal-agent.
Section 2 : Contributions de l’approche principal-agent
La section précédente a démontré l’influence de l’incomplétude contractuelle sur les
conditions de réalisation d’une coopération interindividuelle. Cet angle d’analyse a ainsi
permis de caractériser la structure de propriété publique et privée et de soulever la question
des forces incitatives de chacune. C’est dans cette perspective particulière de la
coordination bilatérale que s’inscrit l’approche principal-agent puisqu’elle est rattachée à la
théorie des incitations. L’objet de ce chapitre étant d’éclairer notre compréhension des
deux types organisationnels pour mieux appréhender le lien entre privatisation et
performance, il convient de reprendre les composants théoriques essentiels de cette lecture
complémentaire de l’organisation.
2.1. Les hypothèses essentielles du modèle d’agence
Le modèle principal-agent trouve des applications multiples mais son origine semble
provenir d’une réflexion de H. Simon relative à la relation d’emploi (Gérard-Varet,
2001)111. Transposé au contexte de la firme, le modèle impose une vision de l’organisation
de type managérial c’est-à-dire centrée sur les relations conflictuelles entre le propriétaire
110 « […] economic theory still finds it difficult to predict under what circumstances privatized firms will outperform SOE's ». 111 Un regard de synthèse proposé par L.A. Gérard-Varet dans le « Dictionnaire des Sciences Economiques » permet de rendre compte des origines et de l’enrichissement de cette approche très formalisée, à travers les travaux de nombreux auteurs (PUF, 2001, p. 722-727).
104
de la firme et le dirigeant. Cet angle d’analyse des caractéristiques organisationnelles
permet de focaliser l’attention sur deux aspects : la relation dite d’agence, entre le dirigeant
(l’agent) et ses mandants (le principal ou les multiprincipaux) et les problèmes de
discipline managériale associée à cette relation. L’agence consiste en une délégation du
premier par le second pour gérer la firme dans l’intérêt exclusif du propriétaire.
L’existence d’intérêts divergents entre les deux individus, conduit nécessairement à des
conflits quant aux choix d’allocation de ressources (investissement et financement). La
relation de subordination consiste alors à contraindre le dirigeant à gérer dans l’intérêt de
l’actionnaire. Le principal objectif de cette approche est de modéliser le comportement
interactif de deux contractants, en situation d’asymétrie informationnelle (contrairement à
la TCI), afin de déterminer les mécanismes incitatifs optimaux qui conduisent le dirigeant à
agir dans l’intérêt des actionnaires. Le problème organisationnel est celui de la mise en
convergence optimale des intérêts de l’agent avec ceux du principal en vue de maximiser
l’utilité de ce dernier. D’un point de vue normatif, l’efficacité de la relation d’autorité
détermine alors le niveau d’incitation de l’agent nécessaire à maximiser la valeur
actionnariale. Celle-ci devient le critère d’efficience de la coopération et, par extension, le
critère de performance de la firme. D’un point de vue positif, le principe d’efficacité
permet d’envisager les sources de coûts susceptibles d’atténuer l’efficacité de la
coordination et d’analyser les mécanismes susceptibles de les réduire.
Deux sources fondamentales de coûts d’agence sont à l’origine de l’arbitrage complexe
dont résulte le contrat final. D’une part, l’idiosyncrasie de chaque partie prenante à la
relation explique la divergence d’intérêts et les conflits potentiels qu’elle peut générer lors
d’une relation de subordination. Ainsi, en est-il de l’employeur qui cherche à obtenir un
effort maximal de son employé alors que celui-ci préférera éventuellement réaliser un
effort minimal. D’autre part, mais non moins liée, la situation d’information asymétrique
dans laquelle l’agent et le principal évoluent induit des risques d’opportunisme de la part
de l’un ou de l’autre, susceptibles de léser l’intérêt de l’une des parties. Cette asymétrie
informationnelle signifie que les actions entreprises ne sont ni observables ni vérifiables
complètement. Elle engendre donc des rentes informationnelles. Une asymétrie
d’information, existante lors de l'élaboration du contrat, génère un risque de sélection
adverse (ou opportunisme précontractuel). Si l’une des parties détient une information
privée, susceptible d’affecter la part de la valeur créée revenant à celui qui ne bénéficie pas
de cet avantage informationnel, il existe alors un risque potentiel pour ce dernier d’être
105
finalement lésé. A cette incertitude initiale s’ajoute un deuxième type d’asymétrie
informationnelle. La vérifiabilité incomplète des actions entreprises par l’une des parties
génère un risque d’opportunisme ex post dit d’aléa moral de la part de celui qui bénéficie
de cette asymétrie (en particulier l’agent dont l’effort n’est pas vérifiable).
Ces deux sources de coûts conduisent le principal et l’agent à définir un contrat dont les
termes font en sorte qu’il est de l’intérêt de chaque partie (en fonction de leur degré
d’aversion pour le risque) de remplir ses engagements. Un système coopératif au sens de
Barnard (Op. cit.) résulte de cet arrangement contractuel. Celui-ci génère des coûts
d’incitation, de contrôle et de révélation d’information sur les comportements réalisés. En
effet, selon cette approche, le principal doit assumer une dépense minimale nécessaire pour
mettre en place des mécanismes qui conduisent l’agent à l’action attendue. Cette perte de
valeur pour le mandataire peut résider par exemple, dans la fixation d’une partie variable
de la rémunération de l’agent indexée sur la performance réalisée. De là, le marché
financier peut être interprété comme un mécanisme révélateur de la qualité de gestion du
dirigeant, via le cours des titres quand ceux-ci sont cotés. Une affectation au dirigeant,
d’actions ou d’options sur actions est alors censée contribuer à la convergence des intérêts
de l’agent et du mandant. Par conséquent, la coopération résulte d’un sacrifice consenti par
l’actionnaire pour que l’efficacité de la relation soit maximisée. Ainsi, une coordination
efficace repose sur la mise en place de mécanismes tels que l’agent soit efficacement incité
à gérer dans l’intérêt du principal.
L’optimum est atteint lorsque le bénéfice net (net des coûts induits par la coordination)
est maximisé, autrement dit lorsque les coûts liés à la relation d’agence sont minimisés. En
ce sens et pour paraphraser Milgrom et Roberts (1997, p. 395), « les arrangements privés
auront tendance à être efficaces pour les agents engagés dans la transaction, pourvu que les
contraintes de motivation soient déterminées à l’aide d’informations connues ». Ainsi
compte tenu de l’impossibilité d’observer complètement et directement les activités de
l’agent (dont les intérêts sont différents), le principal doit mettre en place une structure
incitative optimale. Dans ce chapitre, notre travail portant sur l’identification des
composants de chaque corps organisationnel, cette grille théorique suggère la question
suivante : Quelles sont les caractéristiques de la relation d’agence et des termes du contrat
incitatif dans chaque type organisationnel ?
106
2.2. Conflits d’intérêts et sources de coûts dans les deux types organisationnels
Plusieurs modèles combinant112 les apports de la TCI et de l’approche principal-agent
ont été construits en vue d’identifier les sources de coûts de chaque type de propriété et
éventuellement pour certains, de se prononcer sur la supériorité de l’un sur l’autre 113.
Ainsi, le modèle de Laffont et Tirole (1991) est construit sur une comparaison de deux
formes d’arrangement institutionnel de la relation d’agence, l’entreprise publique et
l’entreprise privée régulée par une instance autonome. Les auteurs analysent les coûts
spécifiques à chaque forme organisationnelle, en termes de caractéristiques incitatives et
disciplinaires à l’égard du dirigeant. Leur hypothèse est la suivante : il existe des sources
de coûts spécifiques différentes dans chaque forme organisationnelle, l’une ne prévalant
pas systématiquement sur l’autre.
Dans l’entreprise publique, la source de coût provient des risques d’expropriation élevés
auxquels est confronté le dirigeant en raison de la réalisation d’objectifs multiples des
propriétaires publics dans l’exercice de leur droit décisionnel résiduel. En effet, comme
nous l’avons déjà traité en chapitre 1, la fonction objectif des pouvoirs publics est
composée non exclusivement de la maximisation du profit, de la gestion des externalités
négatives, des politiques sectorielles, de l’indépendance nationale, de la gestion de
l’investissement et de l’emploi en période de récession mais aussi de la gestion des groupes
d’intérêt. Ainsi, l’investissement qu’envisage de faire le dirigeant en vue d’améliorer le
niveau de profit de l’entreprise publique peut être, une fois réalisé, réalloué par les
pouvoirs publics à des fins sociales sans que le dirigeant en soit rémunéré pour autant. Les
auteurs en concluent que « même si cette réallocation est socialement optimale ex post, elle
réduit la motivation du dirigeant à réaliser cet investissement et conduit à une situation où
la propriété privée (au sein de laquelle les dirigeants sont motivés par des schémas
incitatifs, et les actionnaires n’ont aucun raison d’intervenir ex post pour limiter le profit)
112 Notons que cette démarche pourrait poser un problème de cohérence théorique dans la mesure où cette combinaison fait référence à des approches dont certaines hypothèses sont contradictoires. Rappelons que la TCI (Grossman et Hart, Op. cit.) repose, tout comme l’approche principal-agent, sur l’incomplétude contractuelle mais à l’inverse de celle-ci, considère que les parties prenantes sont en situation de symétrie informationnelle. Selon nous, il s’agit moins d’une incohérence que d’une nuance qui distingue les deux modèles. Conscient de cette divergence, l’analyse n’en demeure pas moins riche puisque l’approche principal-agent ne s’appuie que sur la notion de droit résiduel de décision du propriétaire identifié comme le principal. En ce sens, cette combinaison constitue pour nous un enrichissement d’une approche plus générale contractuelle de l’organisation comme nous l’aborderons dans le chapitre 3. 113 Ces modèles s’intéressent à la régulation d’entreprise monopolistique afin d’évaluer la pertinence d’une régulation de la firme privée par une instance autonome. Malgré leur application restrictive, ces modèles sont riches d’enseignement.
107
est supérieure même si elle peut faire ex post, un usage socialement dommageable des
actifs » (Laffont et Tirole, Op. cit., p. 90-91).
Toutefois, ces mêmes auteurs notent également que le bénéfice retiré de la propriété
publique réside dans le fait que le gouvernement peut imposer à la firme des ajustements
socialement désirables en cas de circonstance imprévue, alors que ces ajustements doivent
être négociés avec la firme privée, générant des inefficiences en cas d’asymétries
informationnelles entre les deux parties (actionnaires de la firme privée et les pouvoirs
publics ou l’instance de régulation dont les objectifs peuvent être multiples). Cette dernière
analyse permet d’expliquer selon les auteurs, pourquoi la firme régulée peut ne pas être un
arrangement alternatif plus efficient que la propriété publique pure. La raison en est que
« chaque principal (actionnaires privés d’une part, et instance de régulation d’autre part)
n’internalise pas les effets de son contrat sur l’autre principal et procure socialement des
incitations trop faibles aux dirigeants de la firme ».
Ce « modèle multiprincipaux »114 de la relation d’agence proposé par Laffont et Tirole
est particulièrement intéressant dans la mesure où l’on peut le transposer à l’entreprise
publique telle que la TCI a permis de la décrire. Ainsi, une source d’inefficience publique
réside dans le fait que, comparativement à une firme privée de même structure (c’est-à-dire
un actionnaire propriétaire principal distinct du dirigeant), la firme publique se caractérise
par une superposition de relations d’agence (tutelles ministérielles) qui génèrent à chacun
de leur niveau, des asymétries informationnelles. Elles réduisent par conséquent les
incitations de l’agent à valoriser les ressources dont il a la gestion déléguée. A ce constat
spécifique à l’entreprise publique, vient s’ajouter l’analyse précédente des risques
d’expropriation qui finalement, sont d’autant plus élevés que la fonction objectif du
principal est composite et que les relations d’agence intermédiaires sont nombreuses. On
pourrait alors conclure en définitive en faveur de l’hypothèse de supériorité de la firme
privée. Les problèmes de risque d’expropriation des investissements du dirigeant existent
dans la firme privée comme dans la firme publique. Mais, à forme organisationnelle
comparable, ils paraissent d’intensité plus forte dans la seconde compte tenu du contexte
spécifique lié à la structure de propriété publique multiple. Le modèle de Laffont et Tirole
114 Inspiré de la théorie des jeux, ce modèle stipule que la complémentarité de deux principaux (actionnaires privés et instances de régulation, ou principaux publics) à l’égard d’un même agent conduit à un effet cumulatif de désincitation de l’agent. voir aussi Laffont (1996, p. 1244).
108
suggère une hypothèse sous-jacente. En raison de la plus forte congruence des objectifs des
deux parties au contrat privé, la privatisation permettrait de réduire au moins en partie, la
faiblesse des incitations caractéristique de la propriété publique.
Dans une perspective encore plus marquée, Schmidt (1996a et b) considère que les
pouvoirs publics contrôlent le niveau de production ex post, via notamment, des
subventions correctrices d’inefficacité allocative. En tant que propriétaires au sens de la
TCI, ils détiennent ainsi une rente informationnelle sur l’activité de production. Selon
l’auteur, cette structure informationnelle de la relation d’agence publique exerce un effet
dissuasif sur le dirigeant. Notamment, celui-ci est moins incité à réaliser des
investissements susceptibles d’accroître l’efficacité productive. Un second effet désincitatif
associé à cette « symétrie supposée » de l’information, porte sur le niveau de production
qui pourrait en milieu d’asymétrie informationnelle, être motivé par l’appropriation
personnelle de la richesse créée (positivement corrélée au niveau de production). L’auteur
en conclut que la propriété publique, caractérisée par une asymétrie informationnelle
limitée et une contrainte budgétaire lâche, limite globalement le comportement managérial
à réduire les coûts de production (Schmidt, 1996a, p.3). Sur la base d’un modèle simple de
privatisation d’une entreprise conduisant son dirigeant à être le nouveau propriétaire privé,
Schmidt (1996b) suggère l’hypothèse suivante : la privatisation en permettant l’abandon de
rente informationnelle par les pouvoirs publics (et donc le système de subvention)
conduirait à une contrainte budgétaire plus forte sur le dirigeant (d’autant plus s’il est le
propriétaire). La privatisation induirait par conséquent, une incitation plus forte du
dirigeant, à l’égard de l’efficacité productive. De plus, en tant que propriétaire, le risque
d’expropriation étant nul, ses effets dissuasifs à réaliser des investissements spécifiques en
vue de consommation personnelle sont annulés. Si toutefois le dirigeant n’est pas
propriétaire de la firme privatisée, il bénéficie tout de même d’une asymétrie
informationnelle plus forte que dans le contexte public, limitant le contrôle par les
actionnaires privés sur ses consommations personnelles. Selon l’auteur, les incitations plus
fortes demeurent dans le cas de la firme privée managériale alors qu’elles sont fortement
atténuées dans la firme publique.
Sur une base argumentaire différente, Shapiro et Willig (1990) aboutissent à une
conclusion similaire. Les auteurs considèrent que le propriétaire public détient un droit
d’accès à l’information interne qui lui permet de réaliser son agenda personnel, l’hypothèse
109
étant celle d’un comportement malveillant des pouvoirs publics. De là, la privatisation via
une régulation par une instance autonome sur la firme privée accentuerait l’asymétrie
informationnelle envers le dirigeant ce qui limiterait par conséquent, la poursuite des
intérêts propres de l’instance régulatrice et renforcerait la motivation du dirigeant à
l’efficacité productive.
Enfin, l’analyse de Bös et Peters (1991), très restrictive quant aux hypothèses, permet
de compléter cette analyse des relations d’agence. En convergence avec les précédentes
analyses, les auteurs proposent une conclusion favorable à la firme privée. Toutefois, leur
spécification de la relation d’agence publique est totalement opposée. Il nous paraît
intéressant de l’envisager dans la mesure où leur modèle privilégie davantage la position
défavorable du principal en matière informationnelle. Selon les auteurs, la relation
d’agence entre le propriétaire public et le dirigeant est caractérisée par un principal en
situation d’asymétrie informationnelle plus désavantageuse que le principal de la firme
privée. Le principal public exerce donc un contrôle moins efficace que le principal privé.
Leur modèle défend l’hypothèse d’une efficience moindre des mécanismes incitatifs
publics, construits à partir d’information biaisée (Bös, 1991. p. 40). La firme privée en
revanche, est formée d’un principal mieux informé dans la mesure où d’une part, il
s’appuie sur un contrôle externe efficace, d’autre part, le critère essentiel voire unique de
performance est le profit. Le principal public quant à lui, peut construire ses modes de
contrôle sur d’autres critères de performance. Ainsi, la relation d’agence publique se
caractérise par des mécanismes de contrôle de l’agent moins efficients que ceux mis en
œuvre dans la relation d’agence privée.
Dans cette perspective, Vickers et Yarrow (1991) considèrent que la privatisation
modifie la portée des mécanismes de contrôle sur le dirigeant. Notamment, en référence au
développement du chapitre précédent, la privatisation instaure de nouveaux modes de
contrôle qui incitent davantage le principal à exercer son droit de contrôle (cessibilité des
titres sur un marché actif, révélateur d’information sur le comportement du dirigeant).
Cette dernière perspective souligne la défaillance des modes de contrôle de l’agent public
comparativement à ceux auxquels est confronté l’agent privé, notamment parce que ces
derniers bénéficient de complémentarité en matière de résorption de l’asymétrie
informationnelle entre le principal et son agent. Cette analyse permet finalement d’établir
un certain consensus entre les divers modèles d’analyse qui toutefois restent limités au cas
110
d’entreprises en situation de monopole. Ainsi, la relation d’agence publique paraît
confrontée à des coûts plus élevés de mise en convergence des intérêts du principal et de
l’agent. L’un et l’autre peuvent être victimes de l’asymétrie informationnelle, au même
titre que dans la relation d’agence privée, mais semble-t-il dans des proportions plus
grandes.
En définitive, ces différents modèles suggèrent un lien actif entre l’allocation des droits
de propriété et la performance organisationnelle. Le maillon intermédiaire de cette relation
met en jeu les caractéristiques de la structure informationnelle de la propriété. Il en résulte
un degré d’asymétrie informationnelle entre le principal et l’agent, spécifique à chaque
forme de propriété. Cette structure informationnelle influe sur l’efficacité de la relation
d’agence en agissant sur l’incitation de l’agent et/ou du principal à remplir efficacement
ses engagements contractuels. Les caractéristiques des relations d’agence publique et
privée semblent par conséquent, avoir un impact significatif sur le niveau d’incitation de
chaque partie prenante à la relation. Toutefois, comme le souligne Schmidt (1996b, p. 579)
et comme le suggère la précédente revue des modèles d’analyse, les structures
informationnelles sont considérées comme exogènes. Or, afin de comprendre quelles sont
les structures informationnelles de chaque type organisationnel, il paraît important
d’envisager cette variable de manière endogène comme « une fonction de la structure de
gouvernance sous-jacente ». Cette dernière remarque renvoie à la théorie des coûts de
transaction. Quels enseignements complémentaires l’analyse des transactions peut-elle
apporter à l’identification des caractéristiques de chaque arrangement contractuel ?
Section 3 : Contribution de la théorie des coûts de transaction
L’analyse contractuelle de la firme publique ou privée serait incomplète si elle
n’abordait pas la perspective transactionnelle. En effet, l’examen des caractéristiques
organisationnelles à partir de l’échange de droits de propriété (comme la TDP et la TCI le
privilégient) et des relations conflictuelles (traitées par l’approche principal-agent) suggère
une troisième unité d’analyse. Fondamentalement liée aux deux précédentes, il s’agit de la
transaction. Williamson (2000, p. 59) rappelle la définition de la transaction donnée par
Commons (1932, p. 4) selon lequel, « l’unité d’activité ultime… doit contenir en elle-
même les trois principes de conflit, réciprocité et ordre. Cette unité est une transaction »
111
(NT)115. Cette définition centrale de la TCT constitue d’une certaine manière une
intégration des deux précédentes approches. En effet, comme le développement suivant le
démontre, la transaction regroupe la notion de conflits interindividuels, de lien de
dépendance mutuel et la nécessaire coordination des parties prenantes à la relation.
3.1. Les hypothèses essentielles du modèle
A l’origine, cette approche a été développée suite au questionnement de R. Coase
(1937) sur l’existence de la firme, distincte du marché. Cette forme alternative
d’organisation des transactions s’explique en raison de l’imperfection du marché dans la
réalisation de certains échanges. En ce sens, la firme constitue une forme d’organisation
parfois plus efficace que le marché parce qu’elle permet de réduire les coûts
transactionnels. Cette thèse centrale de la théorie des coûts de transaction repose sur les
mêmes hypothèses comportementales de rationalité limitée des individus qui agissent
nécessairement dans un contexte d’incomplétude contractuelle. Cependant, l’analyse s’est
progressivement différenciée, notamment avec les travaux de Williamson, par l’importance
qu’elle accorde au comportement opportuniste des individus susceptibles d’exploiter un
avantage informationnel à des fins personnelles, soit ex ante, soit ex post. En ce sens,
l’accent est mis sur le comportement calculatoire de l’agent doté d’une rationalité limitée
calculatrice.
Plus précisément, l’auteur que l’on rattache à ce modèle de l’organisation est
Williamson. Celui-ci a développé une branche entière de l’approche contractuelle en
concevant la firme comme un mode alternatif d’organisation des transactions, parallèle au
marché (Williamson , 1985). Le modèle théorique repose sur l’hypothèse suivante : compte
tenu des risques d’opportunisme associés à l’incomplétude contractuelle (elle même
résultant de la rationalité limitée des individus), l’échange spontané d’actifs, via le marché,
génère des coûts de transaction (de coordination et de motivation). En référence au
principe explicatif d’efficacité, cette hypothèse permet de considérer l’organisation comme
un mode économique de gestion de certaines transactions. Elle s’inscrit très clairement
dans le sillon de l’approche contractuelle en ce qu’elle considère le problème de
contractualisation en termes d’économie de coûts de transactions. Dans sa contribution à la
115 « the ultimate unit of activity … must contain in itself the three principles of conflict, mutuality, and order. This unit is a transaction .»
112
synthèse des apports et des développements futurs des approches contractuelles116,
Williamson rappelle le fondement de la TCT (p. 59), soulignant par ailleurs l’ancrage dans
la perspective de l’individualisme méthodologique : « les agents, prévoyant cherchent à
réduire l’opportunisme contractuel en concevant des structures de gouvernance adaptées »
(NT)117. L’hypothèse d’opportunisme est essentielle à la TCT pour l’analyse des choix de
gouvernance fondés sur la prise en compte de la recherche potentielle d’intérêt personnel et
de sa minimisation. Ainsi, une transaction impliquant des actifs fortement spécifiques rend
leur apporteur vulnérable à l’opportunisme de l’autre partie (Williamson, 1985). En ce
sens, l’impossibilité pour l’apporteur d’un actif spécifique de sortir de la transaction sans
coût élevé donne à l’autre contractant la possibilité de s’approprier ex post une part de la
quasi rente. Ce risque de prise en otage (hold up) par l’agent opportuniste constitue une
menace d’expropriation forte de l’investissement de l’autre partie. Par conséquent, une
transaction susceptible de créer de la valeur au profit de chaque contractant peut ne pas être
engagée en raison de la prise en otage potentielle. L’auteur définit alors la structure de
gouvernance comme « le moyen de coordination d’une relation au sein de laquelle des
conflits potentiels sont susceptibles de conduire les agents à renoncer aux opportunités de
réalisation de gains mutuels » (Williamson, 2000, p. 60 et Williamson, 1999, p. 312,
NT)118. En définitive, une structure de gouvernance résulte d’une contractualisation
particulière des risques d’opportunisme associés à l’incomplétude contractuelle.
La thèse de Williamson consiste à envisager l’alignement des transactions à une
structure de gouvernance particulière, de sorte qu’il en résulte une économie de coûts. Le
point nodal de la TCT est ainsi posé : il s’agit de concentrer l’analyse sur les alternatives
possibles de gouvernance, c’est-à-dire en référence au critère de remédiabilité. Le seul à
pouvoir véritablement « nous mettre en contact fécond avec les problèmes réels »119
(Williamson, 1999, p. 316). Le principe d’efficience auquel il renvoie est le suivant : une
organisation existante est présumée efficiente s’il n’existe aucune autre alternative possible
permettant de réaliser des gains nets. Dans cet esprit, le choix pour une forme de
coordination « économisatrice » de coûts peut balayer un large spectre de modes de
116 Revue d’économie industrielle, numéro spécial, n°92, 2000, p. 55-66. 117 « human actors with conscious foresight will takes steps to mitigate contractual hazards by crafting responsive governance structures. » 118 « the means by which order is accomplished in a relation in which potential conflict threatens to upset or undo opportunities to realize mutual gains. » 119 « [… the remediableness criterion, with its continuous focus on alternative feasible modes,] bring us into more productive contact with the real issues. »
113
contractualisation. Les modes de gouvernance identifiés par l’auteur se distinguent
essentiellement par le degré de spécificité de la transaction (Williamson, 1985, p. 99 et
suivantes). Un schéma à deux technologies de gouvernance possibles est construit. Plus le
niveau de garantie nécessaire des investissements est élevé, plus la technologie a un
caractère spécial. Elle suppose alors une adaptation coopérative. A l’inverse, elle a un
caractère plus général lorsque les investissements sont standards, nécessitant dans ce cas
une adaptation autonome. Ainsi, le marché représente le mode le plus spontané et
impersonnel adapté aux transactions occasionnelles, pour lesquelles la possibilité de sortie
en cas de comportement déviant, est facile. A l’opposé, la hiérarchie (firmes, régulation,
administration publique) constitue un mode de gouvernance de type discrétionnaire, qui
permet de gouverner les transactions idiosyncrasiques. Dans ce contexte transactionnel, les
agents sont en lien de dépendance plus durable, nécessitant par conséquent des contrats
plus personnalisés. Ceux-ci doivent permettre en effet, de contrôler le comportement de
chaque partie dans un contexte où l’incertitude comportementale et la spécificité des actifs
en jeu influent fortement sur le degré de risque d’opportunisme de chaque contractant120.
C’est ainsi, que la firme, comme ensemble de contrats, est conçue sur la base d’un
ensemble de mécanismes de gouvernance permettant de contrôler les intérêts de chaque
partie prenante (p. 315 et suivantes).
Ce chapitre étant consacré à l’identification approfondie des caractéristiques
organisationnelles publique et privée, la TCT est donc susceptible de l’enrichir.
Notamment, la lecture de la TCT consiste à mettre en relation les différentes formes
publiques et les caractéristiques transactionnelles supposées correspondre à une
déclinaison adaptée de structures de gouvernance de type public.
3.2. Attributs des transactions et mode de gouvernance efficace : la neutralité de la
propriété
Une lecture transactionnelle de la firme publique et privée consiste à poser l’hypothèse
de départ suivante. Ces modes de gouvernance répondent à certains contextes
transactionnels face auxquels, chacun permet une minimisation des coûts de transaction
que l’activité génère. Autrement dit, la gouvernance publique ou privée permet une
120 Williamson, Op. cit., p. 107.
114
contractualisation idiosyncratique des menaces potentielles liées à l’incertitude
comportementale propre à certaines activités.
Dans cette perspective, Troesken (1997, p. 12) reprend l’analyse de Levy et Spiller
(1994) selon lesquels la propriété publique peut constituer une réponse efficiente à la
menace que peut constituer la régulation d’une activité impliquant des actifs fortement
spécifiques. En ce sens, la propriété publique s’explique par le fait qu’un agent privé,
intéressé au départ par une activité de ce type, y renonce finalement par crainte d’être
exproprié d’une partie de son investissement, notamment par le régulateur. Une application
au secteur du gaz aux Etats-Unis conduit Troesken à l’hypothèse suivante : par crainte d’un
comportement opportuniste de la part des pouvoirs publics fédéraux ou municipaux, un
producteur privé de gaz renoncera à l’activité notamment en raison de la menace
potentielle d’une politique tarifaire coûteuse qui lui serait imposée à des fins
électoralistes121.
En ce sens, le degré de sécurisation des droits de propriété sur les actifs mis en jeu
(niveau de garanties) détermine le mode de gouvernance public ou privé le plus adapté.
Ainsi, comme le suggère le critère de remédiabilité, pour une même activité plusieurs
modes de gouvernance peuvent coexister en raison des contextes de réalisation de celle-ci.
Les résultats de l’auteur sont assez convaincants puisque sur un échantillon de 1274
compagnies de gaz (toutes propriétés confondues), Troesken observe une tendance à la
propriété municipale dans les villes où la régulation tarifaire est assurée par le conseil
municipal à l’inverse des compagnies dont le marché est régulé par les commissions
fédérales (qui expriment un degré moindre d’opportunisme « électoraliste »)122. Les
résultats sont en convergence avec l’analyse williamsonnienne de la régulation. Considérée
comme un moyen d’assister les consommateurs et les employés en redressant la condition
d’asymétrie informationnelle, la régulation peut être utilisée pour promouvoir des objectifs
redistributionnels ou idéologiques. La régulation peut ainsi être fortement politisée
(Williamson, Op. cit., p. 320).
En outre, la diversité des formes organisationnelles publiques (en France par exemple
où coexistent l’administration d’Etat, l’établissement public industriel et commercial, ou la
121 Ou une participation coûteuse à la corruption des hommes politiques. 122 Notons que l’auteur observe également une corrélation entre la propriété publique et la taille réduite du marché.
115
société anonyme à capitaux publics)123, témoigne a priori de l’existence de caractéristiques
variées des transactions que celles-ci gouvernent. La lecture de l’entreprise publique à
partir de la TCT consiste en effet à considérer le dispositif public comme un mode de
gouvernance particulier, pertinent dans certains contextes transactionnels (Williamson,
1999). En ce sens, ce dispositif résulte d’une intervention sélective du gouvernement. Cette
lecture nous conduit alors à supposer que celui-ci ne privatisera que dans le cas où il juge
que la performance peut être améliorée (réalisation d’une économie de coûts de
transaction) par des décisions prises dans le contexte de la propriété privée. C’est dans cet
esprit qu’est construit le modèle normatif de Sappington et Stiglitz (1987) concernant le
choix optimal de production d’un bien entre une gouvernance publique ou privée. Ce choix
est fondé sur l’arbitrage des coûts de transaction induits par la complexité du bien à
produire, l’incertitude environnementale et le niveau comparé de coût d’intervention
publique directe ou en cas de délégation de la production à un agent privé. Bien que les
auteurs considèrent la privatisation comme un choix naturel pour la production (allocation
pareto-efficiente des ressources, p. 569), la gouvernance publique peut être moins coûteuse
qu’un recours à la régulation en raison de l’incomplétude des contrats et des coûts de
transaction (le coût de monitoring de l’agent privé peut excéder le coût de monitoring
interne). Ainsi concluent les auteurs (p. 581) : « Le choix entre les deux modes
d’organisation définit simplement les coûts de transaction d’une intervention future dans
les relations de délégation et de là, influence la probabilité d’une telle intervention »
(NT)124.
Le mode public ou privé d’internalisation des externalités dépend des caractéristiques
des activités porteuses de ces externalités. D’une certaine manière, l’analyse de la nature
des biens (actif marchand, semi marchand et sous tutelle) que propose Glachant (Op. cit, p.
58) peut être lue au regard de cette approche. En référence à notre schéma 3 de ce chapitre
(relatif à la relation entre l’extension du droit de décision résiduelle et le type d’entreprise
publique), le degré d’internalisation125 semble positivement corrélé au degré non marchand
du bien. L’auteur observe en effet que les activités qui mettent en jeu des biens non
marchands sont gouvernées par des entités publiques de type unité administrative. Nous
123 Nous renvoyons le lecteur au paragraphe 1.2 du chapitre 1 pour la lecture des traits distinctifs de la réalité publique et aussi, dans ce chapitre, notre interprétation à la lecture de la TCI, de la typologie de Glachant (Op. cit.). 124 « The choice between modes of organization simply defines the transaction costs of future intervention into these delegated relationships, and there by influences the likelihood of such intervention. » 125 entendu comme l’extension de l’exercice du droit de décision résiduelle.
116
avons démontré qu’au sein de celles-ci, l’intensité décisionnelle (résiduelle) publique en
incertitude, paraît la plus forte, d’où un degré élevé d’internalisation par les pouvoirs
publics. En définitive, l’analyse des attributs de la transaction semble renvoyer directement
à la nature du bien.
Au regard de l’analyse de Glachant (Op. cit, p. 34-36) sur la nature des biens, il est
possible, par analogie, de mettre en correspondance ces différents types de biens et les
types de transaction. De là, le degré d’internalisation du contrôle résiduel public (au sens
de Hart, Op. cit.) peut être rapproché de cette typologie. Dans cette perspective, les biens
sous tutelle publique et non marchands126 peuvent être interprétés comme des biens pour
lesquels les externalités sociales sont très importantes. En ce sens, leur offre peut conduire
à des effets sur le bien-être collectif (de par la nature des biens). Si l’on admet que
l’existence de ces externalités fortes induit un risque d’opportunisme élevé, alors la
spécificité de ces biens est très importante. La gouvernance publique de telles activités
sous la forme de tutelle de service public (SNCF, RATP127), paraît économisatrice de coûts
sociaux au sens large. L’action politique peut en effet permettre une gestion collective des
externalités à moindre coût pour les individus, d’autant plus en marché monopolistique
(par exemple, en détenant un droit de décision résiduelle sur la péréquation des tarifs et des
charges collectives). De même, la gestion de biens semi-marchands et marchands peut
appeler un mode de gouvernance « semi-public » en raison des externalités associées,
d’importance moindre que les précédentes (comme la COGEMA, France Télécom ou Air
France dans le schéma de Glachant). En conséquence, une gouvernance publique fortement
marquée par l’action politique paraît convenir aux transactions ayant des caractéristiques
bien précises. D’une part, elles mettent en jeu des biens dont la jouissance est collective128.
D’autre part, elles se caractérisent par une incertitude comportementale de l’offreur dont
les conséquences ont un impact sociopolitique fort ex post. La gouvernance publique
moins marquée sociopolitiquement semble adaptée aux transactions plus standard.
126 Caractérisés par Glachant comme « technologiquement collectifs » ou tout du moins ayant de fortes externalités. 127 Cf. Glachant (Op. cit.), schéma n°1, p. 75. 128 Un bien collectif se définit comme un bien non exclusif, avec obligation - service régalien - ou nécessité de les consommer. Dans ce dernier cas, il s’agit d’un bien technologiquement collectif. Sa gestion et son utilisation se caractérise par des externalités positives et négatives collectives, indivisibles. D. Gaumont, in Dictionnaire des sciences économiques, p. 65-68.
117
Dans cette perspective, Williamson considère que l’organisation interne est un mode de
gouvernance de dernier ressort (1999, p. 315). « Essayons les marchés, les formes hybrides
et recourons à la firme seulement lorsque toutes les autres alternatives sont épuisées »
(NT)129. En ce sens, la firme publique peut être envisagée comme un mode de gouvernance
extrême parmi les formes internes de gouvernance. On y recourt lorsque les transactions
exigent ex post, une adaptation coopérative sociopolitique forte. Une illustration est donnée
par l’analyse que propose Williamson des transactions régaliennes du secteur public et,
spécifiquement, les affaires étrangères. Selon l’auteur, cette activité suppose tout d’abord,
un investissement fortement spécifique : « connaissance profonde des protocoles et des
procédures pour la conduite des affaires étrangères » (NT, p. 322)130. Elle est donc soumise
à un risque d’opportunisme élevé en cas de rupture de la transaction. Outre cette
spécificité, qui ne la distingue pas d’une autre transaction gouvernée de manière privée,
cette activité exige, pour une réalisation efficace de la transaction, une forte probité à
l’égard de tous les partenaires impliqués (et notamment le Président). Williamson définit
cet attribut particulier comme « la loyauté et la rectitude avec lesquelles les affaires
étrangères sont menées »131. Ce contexte transactionnel implique des mécanismes de
gouvernance susceptibles de contrôler les risques de déloyauté. Or, en référence aux
travaux de Weber (1947) sur l’idéal bureaucratique, Williamson conclut que les
mécanismes incitatifs, caractéristiques de la gouvernance interne privée, sont susceptibles
de conduire un agent à être déloyal, à l’inverse des contrôles administratifs construits sur
des règles et des procédures officielles (p. 325). Les coûts ex post de transaction impliquant
des attitudes « moins économiques » sont a priori plus élevés dans le contexte de
gouvernance privée. On en déduit donc que la firme publique représente une technologie
alternative, à laquelle certes, on recourt en tout dernier ressort, mais qui constitue une
réponse efficiente dans certains contextes transactionnels très particuliers. Ce mode de
gouvernance publique permet de canaliser les comportements susceptibles d’aller à
l’encontre d’engagements à forte connotation politique c’est-à-dire dont l’autorité répond à
des considérations qui dépassent (sans l’exclure totalement) le seul intérêt économique.
Même si elle n’est pas explicite à ce sujet, cette perspective n’exclut pas les
mouvements de va et vient selon les contingences qui peuvent affecter l’activité. L’analyse
129 « Try markets, try hybrids and have recourse to the firm only when all else fails ». 130 « deep knowledge of the protocols and procedures for the conduct of foreign affairs .» 131 « the loyalty and rectitude with which the foreign affairs are discharged », Williamson (Op. cit., p. 325).
118
de Marquis (Op. cit.), relative aux relations d’EDF avec le gouvernement français
témoigne de cette relation étroite, complexe et dynamique entre l’internalisation publique
et les caractéristiques d’une activité. En voici une illustration à partir des descriptions faites
par l’auteur des caractéristiques des contrats de plans successifs (1984, 1989, 1993): « les
contrats de plan ont évolué vers une décentralisation de la prise de décision managériale.
[…] cette délégation a été rendue possible par le fait que ces contrats ont été conclus au
cours d’une période d’investissements non substantiels dans le secteur. Pour la plupart,
l’énergie hydroélectrique et nucléaire avait déjà été installée, il n’était donc pas nécessaire
pour le gouvernement de maintenir un contrôle fort » (NT)132. Au regard de cette
description, il apparaît que le degré d’internalisation publique de la structure d’EDF varie
avec le degré de sécurisation politico-économique du secteur de l’énergie. Cette évolution
s’est d’ailleurs traduite par un passage d’entreprise nationale vers une public corporation
au sens de Glachant (Op. cit.)133.
Sur la base de cette analyse globale de la bureaucratie publique, il nous semble
intéressant de souligner la conjecture d’ordre qualitatif qui ressort de l’analyse de
Williamson. Elle vient s’ajouter à la thèse classique de l’analyse transactionnelle de
l’auteur. Son modèle stipule globalement que plus le degré d’opportunisme (menace d’un
comportement déviant par rapport à l’accord initial) est élevé, plus il est nécessaire (d’un
point de vue d’économie de coûts) de mettre en place des garanties allant à l’extrême
jusqu’à l’internalisation de la propriété. Mais plus cet opportunisme génère un risque autre
que simplement économique, plus il semble nécessaire de mettre en place des mécanismes
garantissant d’autres motivations que simplement d’ordre économique. Ainsi, lorsque
l’internalisation de la propriété repose sur des considérations sociopolitiques autres que
celles relatives aux attitudes économiques généralement admises, ou complémentaires
(comme l’intégrité) alors les modes de gouvernance publique semblent réduire les
déviances potentielles motivées par des critères économiques. En référence à l’exposé de
Joffre (1999, p. 163) relatifs aux critiques faites à l’égard de la TCT, la relation entre le
132 « the contrats de plan have evolved since that time in such a way as to decentralized decision-making. […] this devolution was made possible by the fact that [they] were concluded during a period of time in which there were no new substantial investment in the industry. For the most part, capacity in hydroelectric and nuclear power had already been installed and so it was not necessary for the government to assert heavy handed control. This decentralized approach may reverse itself to a certain extend beginning in 2005 when the market will require a great new wave of investments .»
133 Le groupe EDF est né de la nationalisation de plusieurs centaines de sociétés de transport, de distribution et de production. Depuis son statut d’EPIC en 1946, EDF est devenu un groupe international avec depuis 1992, la création de la holding EDF international.
119
comportement opportuniste et les mécanismes de contrôle semble beaucoup plus complexe
comme le soulève le modèle de Goshal et Moran (1996). L’analyse précédente de
Williamson constitue d’une certaine manière, une réponse à la critique essentielle adressée
à l’importance excessive que l’auteur peut accorder à l’opportunisme.
En définitive, d’après le critère de remédiabilité, la nature et l’intensité sociopolitique134
de certaines activités semblent induire des formes de gouvernance publique. Tout comme
l’approche endogène de la TCI, cette lecture transactionnelle tend vers la neutralité de la
propriété. Cette analyse laisse entendre que les formes hybrides de gouvernance publique
(ou privée!)135 sont une réponse efficiente à l’organisation des activités mixtes (comme les
télécommunications par exemple). Toutefois, cette analyse ne nous renseigne guère sur la
manière dont ces contrôles s’effectuent (et leur objet) au sein d’une forme de gouvernance
donnée. L’accent est mis davantage sur la domination publique ou privée d’un droit de
décision résiduelle rejoignant par conséquent les définitions que nous avions retenues des
deux corps organisationnels. Finalement, en écho aux limites reconnues par les auteurs, les
frontières de la firme et du marché sont aussi peu nettes que celles entre les technologies de
gouvernance les plus internalisantes. Encore une fois, la distinction relève plus du degré
que de la nature.
A partir de ces différentes lectures théoriques de la firme, le développement suivant est
consacré à leurs apports et limites afin d’envisager les extensions théoriques possibles que
ces lectures suggèrent. Notre objectif est de poursuivre l’approfondissement de notre
compréhension des liens entre un phénomène organisationnel complexe, la privatisation, et
les processus mis en jeu dans la formation de la rente organisationnelle.
Section 4 : Synthèse et extension des apports des différents prismes théoriques des
approches contractuelles
Nous avons pu observer une hétérogénéité importante des résultats empiriques,
concernant tout autant les firmes publiques et privées que leur contexte de marché. Les 134 Les caractéristiques sociologiques d’une transaction sont susceptibles d’influer sur l’attitude opportuniste d’un individu, comme le suggère l’aspect probité d’une participation à la gestion des affaires étrangères dans le modèle de Williamson. Bien qu’exposée comme une critique de la TCT, l’approche plus globale de Goshal et Moran (Op. cit.), sur les facteurs d’influence de l’attitude opportuniste semble trouver ici un certain écho. 135 où se mêlent les deux types de pouvoir décisionnel résiduel, comme dans le cas de la régulation par exemple ou dans le cas de sociétés à capitaux partiellement publics.
120
réponses théoriques envisagées par les précédentes approches sur les caractéristiques de
chaque type organisationnel, suggèrent l’existence d’une certaine concurrence entre les
modes organisationnels publics et privés. Les approches contractuelles envisagent la
discrimination entre ces deux modes d’organisation des ressources, à partir de la capacité
de chacun à minimiser les coûts organisationnels136. En revanche, ces conclusions restent
muettes quant à la manière dont les ressources sont combinées. Ces approches
contractuelles fondées sur le principe de minimisation des coûts organisationnels, doivent
être replacées dans un contexte de sélection naturelle. Cette recherche d’économie est
conduite afin de mettre en place une forme d’organisation qui permette de collecter,
d’exploiter et de créer des ressources de manière durable ou soutenable (Barnay, 1991)137.
De plus, elles privilégient une approche de la performance limitée à la valeur actionnariale.
Or, comme nous l’avons précisé dans le précédent chapitre, différents apporteurs de
ressources sont susceptibles d’être concernés par les décisions de la firme et par sa
privatisation. Cette dernière remarque remet en cause la prise en compte traditionnelle des
apporteurs de ressources et, d’une certaine manière, la représentation même de la firme.
Nous allons envisager les apports de chaque perspective avant de considérer à travers leurs
limites, les extensions théoriques possibles qu’elles suggèrent à notre problématique de
recherche sur la relation entre privatisation et performance organisationnelle.
4.1. Comparaison des formes organisationnelles : la nécessité d’un cadre théorique
intégrateur
L’analyse comparative des formes organisationnelles publique et privée a produit
plusieurs enseignements. Avant d’explorer les complémentarités de chacune de ces
lectures, nous proposons de reprendre leurs apports respectifs résumés dans le tableau
suivant.
136 Ces coûts prennent des contenus différents selon la perspective contractuelle choisie. Les coûts d’agence paraissent plus englobants que les coûts de transaction bien que les deux types de coûts se réfèrent aux dépenses générées pour coordonner au mieux la coopération et au coût d’opportunité sous-jacent. 137 La différence entre un avantage durable et soutenable réside dans le caractère non acquis du second, notamment en raison des perturbations potentielles significatives de l’environnement, comme par exemple un saut technologique (Joffre, Op. cit., p. 218-219).
121
Tableau 6 : Synopse des caractéristiques organisationnelles publiques et privées, à partir
de différents prismes théoriques contractuels
Prisme
théorique Entreprise publique Entreprise privée thèse
TDP exogène
Non transférabilité des titres, Exclusivité et Partitionabilité floues
Transférabilité, Exclusivité et Partitionabilité mieux délimitées
La privatisation augmente l’efficience de la structure de propriété
TCI Approche exogène
DDR « dilué » DGPR désincitatif
DDR plus précis DGPR plus incitatif
La privatisation renforce l’incitation à valoriser les droits de propriété
TCI Approche endogène
Incomplétude contractuelle forte Incomplétude contractuelle moindre
La privatisation n’est pas toujours une réponse efficace
Approche PA
Relation d’agence multiple composite, Rente informationnelle publique, Risques d’expropriation plus élevés du dirigeant (agendas et objectifs sociaux), => dilution forte des incitations du dirigeant Principal public en asymétrie informationnelle => Contrôles des activités managériales moins efficaces
Relation d’agence moins composite, AI agent principal favorise l’incitation du dirigeant à efficacité productive pour consommation personnelle, Risque d’expropriation moindre => Dilution moins forte des incitations du dirigeant Principal privé en asymétrie informationnelle moindre => Contrôles complémentaires des activités managériales plus efficaces
La privatisation atténue les sources d’inefficience liées à la relation d’agence traditionnelle car elle réduit les rentes informationnelles (des pouvoirs publics, et/ou du dirigeant) et par suite, les risques d’expropriation de chaque partie
TCT
Technologie extrême de gouvernance (de tout dernier ressort) pour transaction à forte implication sociopolitique
Technologie de dernier ressort économisatrice de coûts de transaction par rapport au marché
La privatisation n’est pas une réponse toujours efficiente bien qu’elle le soit pour de nombreuses transactions
Légende : DDR : droit de décision résiduelle DGPR : droit d’appropriation des gains ou des pertes résiduelles TDP : théorie des droits de propriété PA : approche principal-agent TCT : théorie des coûts de transaction AI : asymétrie informationnelle
A l’appui de ce tableau synoptique, on observe que l’analyse de la structure de la
propriété publique au regard de la notion de droit de décision résiduelle a mis en évidence
la pluralité des structures de propriété publique en termes d’intensité de pouvoir
décisionnel. La transposition de l’approche exogène de la TDP a permis de démontrer
l’atténuation des propriété d’efficience, attachée à la nature de ces droits. Elle limite ainsi
l’incitation des pouvoirs publics à les valoriser. Cette lecture de la TCI a permis de poser la
122
question des incitations des propriétaires à contrôler le comportement managérial. La
réponse plutôt unanime offerte par l’approche principal-agent met en avant l’intensité plus
forte des sources d’inefficience. Liées à la relation d’agence publique, elle se manifeste par
la désincitation de chaque partie à respecter ses engagements à moindre coûts en raison des
risques d’expropriation du dirigeant ou des pouvoirs publics, plus forts que dans le
contexte privé compte tenu des caractéristiques supposées de la structure informationnelle.
La TCT a permis de relativiser l’hypothèse d’efficience supérieure d’une forme de
gouvernance sur l’autre en insistant sur la réponse organisationnelle aux caractéristiques de
l’activité concernée. En ce sens, cette lecture de la firme permet de comprendre les
ruptures historiques de certaines entreprises, d’abord privées, puis nationalisées, puis au
sein de leur statut d’entreprise publique, leur déplacement vers différents degrés
d’autonomie.
La précédente analyse comparative des deux formes organisationnelles a mis l’accent
sur la notion de détention de l’information, d’incomplétude contractuelle qui conditionne la
précédente. Ces différentes variables organisationnelles renforcent chacune à leur manière,
l’incitation à réaliser un investissement. Leur point commun réside dans les flux
informationnels (ou de connaissances, s’agissant des ressources stratégiques) liés à toute
coopération.
Rapportée à notre problématique de recherche, cette complémentarité des différentes
visions de la firme suggère de reconsidérer l’examen organisationnel. En effet, le problème
fondamental d’une structure de propriété semble a priori davantage lié à la manière dont
l’organisation valorise l’information qu’elle collecte, via ses ressources, et qu’elle génère,
via leur utilisation dans la coopération entre individus. Dans ce contexte organisationnel,
ceux-ci sont détenteurs ex ante et producteurs d’informations, contrôlés et rémunérés sur la
base de plusieurs types d’informations. Cette approche suggère par conséquent, une
extension de la relation principal agent à l’ensemble des partenaires apporteurs de
ressources. Le problème organisationnel consiste donc à savoir comment se fait une telle
coordination entre agents détenteurs d’informations et de connaissances plus ou moins
spécifiques à la firme? De plus, l’accent mis sur l’opportunisme dans la TCT semble jouer
un rôle moindre que cette variable informationnelle comme le suggère finalement l’analyse
123
de la bureaucratie publique138. Enfin, la prise en compte des avantages potentiels procurés
par la combinaison de ressources au sein d’une même firme suggère un renouvellement de
la lecture de la propriété. En ce sens, la firme est un centre de ressources dont la
valorisation et l’agencement est gouvernée par un nœud de contrats. En référence au
principe explicatif des théories contractuelles, cette relecture intégratrice de la firme pose
la question des mécanismes par lesquels la valorisation des ressources est maximisée.
Ces différentes lectures de l’organisation ont finalement permis de comprendre en quoi
une firme publique se différencie d’une entreprise privée, qu’il s’agisse du locus du droit
de décision résiduelle ou des attributs de l’activité et de sa structure de gouvernance. Ces
approches nécessitent cependant une mise en commun de leur interprétation de la firme
afin d’appréhender son fonctionnement et sa performance. En convergence avec nos
conclusions sur l’évolution des traitements empiriques de la privatisation, cet examen
comparatif suggère une exploration plus qualitative des interactions entre ces différentes
composantes organisationnelles. Dans cette perspective, un cadre intégrateur de ces
différentes lectures pourrait offrir un potentiel explicatif qui permette de comprendre de
manière plus approfondie le fonctionnement global de l’organisation.
4.2. Le problème informationnel au centre de l’efficience organisationnelle : vers
une théorie de l’architecture organisationnelle
La nature exogène de la variable information dans les modèles mêlant TCI et PA pose la
question de la réponse endogène de la structure de propriété au problème informationnel.
En ce sens, à l’issue de la lecture de la relation d’agence publique et privée, une question
essentielle demeure : de quelle manière sont prises les décisions au sein de chaque firme ?
Quid du lien entre mobilisation des ressources et processus de décision ? Ces questions
convergent vers une problématique qui relie deux aspects de l’organisation: l’allocation
des droits décisionnels, tant en matière de contrôle que de décisions relatives à l’usage des
ressources et la recherche de création de valeur optimale compte tenu des coûts de
coordination liés à la localisation de l’information. De plus, une prise en compte des
partenaires contractuels de la firme paraît plus proche de la réalité organisationnelle. En
effet, elle caractérise de manière plus réaliste, la nature des problèmes informationnels qui
138 Cette conclusion ressort selon nous, de manière implicite, dans l’analyse de Williamson relative à la gouvernance des affaires étrangères.
124
animent la firme et sa recherche d’économie de coûts. En conséquence, ces remarques
mettent l’accent sur une vision élargie de la firme qui prend en compte plusieurs éléments
de son architecture organisationnelle. En référence à la description donnée par Milgrom et
Roberts (1997, p. 29) l’architecture organisationnelle s’entend par rapport aux
caractéristiques des flux de ressources et d’information, aux relations d’autorité et de
contrôle, aux moyens par lesquels les nouvelles idées et connaissances sont générées et
diffusées et par lesquels les objectifs et les comportements individuels sont alignés.
Finalement, l’analyse de la firme et notre problématique sur la privatisation semblent
devoir trouver un renouvellement à partir d’une reconsidération des facteurs explicatifs de
la performance entendue dès lors, comme résultante d’un processus de création de valeur
partenariale.
Conclusion du chapitre 2
En définitive, à l’image de celle apportée par les études de terrain, la réponse théorique
à la question des effets de la privatisation sur la performance n’est pas sans équivoque. Une
convergence existe quand même puisque tant l’approche théorique que la confrontation
empirique donnent une préférence globale à la propriété privée. Ainsi, d’une manière très
générale, il semble que la privatisation conduise à un accroissement de performance. La
rigueur scientifique ne peut donc se contenter d’une réponse aussi globalisante, ayant en
mémoire les exceptions multiples observées et, peut être davantage, les considérations
théoriques plus endogènes de la propriété, des structures de gouvernance et des capacités
créatives liées à l’agencement des ressources. Orientée sur l’analyse des réactions des
corps organisationnels à la privatisation, notre démarche doit nous conduire à revisiter la
modélisation des liens complexes entre ces deux concepts. Autrement dit, à l’apport
principal de ce chapitre qui a permis de mieux comprendre l’existence de ces deux états
organisationnels est associée sa limite principale relative à la réaction produite par le
passage de l’un à l’autre.
125
Conclusion de la première partie
Cette première partie a eu pour objectif d’aborder de manière critique les apports des
travaux réalisés sur la privatisation dans le cadre d’une problématique sur la relation entre
ce phénomène particulier et la performance organisationnelle. Cette première approche a
mis en évidence l’hétérogénéité des liens examinés, consacrée par le premier chapitre.
Suggéré par celui-ci, et analysé dans le chapitre 2, il apparaît que le problème
organisationnel soulevé par la privatisation, repose plus sur l’interaction des variables
examinées dans la littérature que sur les variables elles-mêmes. De là, notre synthèse des
théories sur la privatisation montre la nécessité d’un renouvellement du cadre théorique sur
la base des apports de la littérature, afin d’appréhender la réalité organisationnelle telle que
la privatisation la met en question.
En ce sens, cette revue de la littérature a permis, à partir d’une délimitation du concept
multidimensionnel de privatisation, de faire une première synthèse des principaux
arguments qui ont nourri le débat sur la privatisation et ses effets sur la performance. Cette
revue des fondements de la problématique sur la privatisation retrace les réponses
apportées à la question des raisons de privatiser. Compte tenu des conclusions hétérogènes
apportées par l’analyse exogène de la propriété et des forces de marché nous avons proposé
un renouvellement de la problématique initiale. L’accent mis sur les liens entre propriété et
performance dans le débat originel, impose en effet une analyse approfondie de chaque
dimension de la performance dans les deux types organisationnels publics et privés. Dans
cet esprit, avant d’aborder la manière dont la privatisation est susceptible d’agir sur les
variables organisationnelles impliquées dans la formation de la performance, nous avons
privilégié un examen des caractéristiques organisationnelles publiques et privées d’après la
lecture des thèses qui les modélisent. Notre travail de recherche s’est donc orienté sur une
analyse comparative des formes organisationnelles à partir des approches contractuelles
qui se consacrent à la firme.
Cet examen critique de la réflexion controversée sur la privatisation a permis de montrer
que l'ambiguïté des résultats empiriques peut s’expliquer par l’importance des interactions
entre plusieurs variables organisationnelles plus que par le seul changement de leurs
caractéristiques propres. En ce sens, la nature de la propriété est susceptible d’avoir des
implications complexes sur le comportement des parties prenantes à l’égard de la
126
performance. De même, l’environnement semble appeler des formes organisationnelles
particulières susceptibles d’évoluer avec lui. On comprend alors d’une part, l’existence des
entreprises publiques, d’autre part, l’importance d’un examen approfondi des effets de la
privatisation sur le comportement organisationnel. Au regard de cet examen, la
privatisation semble donc induire un changement de combinaison des variables de
performance, plus que de leur état respectif indépendamment les unes des autres. En ce
sens, l’analyse doit pouvoir prendre en compte les modifications comportementales de la
firme vis-à-vis du processus de création de valeur lors de sa privatisation.
Ces lectures partielles de la firme nous ont enseigné principalement la nécessité d’une
grille de lecture qui puisse intégrer les processus organisationnels qui sont finalement mis
en jeu par la privatisation et la dérégulation qui peut parfois l’accompagner. Les théories
contractuelles envisagées précédemment s’inscrivent dans le paradigme de l’efficience.
Elles sont donc susceptibles de représenter les constituants d’un cadre d’analyse
intégrateur qui permet de renouveler l’analyse du lien entre privatisation et performance.
Comme le souligne Glachant (1994, p. 53) « les différences public-privé s'avéreraient donc
moins tranchées que ce que l’on avait pu dire, et consisteraient davantage dans des
différentiels d’intensité que dans des spécificités radicales ». En conséquence, un cadre
théorique offrant une analyse encore plus qualitative du fonctionnement de la firme semble
s’imposer pour comprendre la « chimie » organisationnelle en matière d’efficience. Ce
cadre d’analyse doit simultanément considérer chaque facette organisationnelle et non à
travers des perspectives partielles ou alternatives, telle que les théories précédentes les
abordent de manière plus ou moins indépendante mais non moins enrichissante.
A l’issue de cette dernière remarque, la synthèse que nous avons proposée des travaux
sur la privatisation, démontre en définitive l’intérêt scientifique d’une analyse des
processus organisationnels comme réponse endogène d’une recherche d’équilibre ou
d’efficience. En ce sens, la question de la privatisation est celle des effets de la
privatisation sur l’architecture organisationnelle. Elle sollicite par conséquent une théorie
apte à capter les variables des processus sur lesquels repose le fonctionnement
organisationnel.
127
Deuxième partie
Privatisation et processus décisionnel :
l’analyse dynamique du gouvernement d'entreprise
128
Dans le premier chapitre, nous avons pu constater l'ambiguïté des effets de la
privatisation sur la performance de la firme. En réponse à ce constat, le chapitre 2 a
proposé diverses lectures théoriques de l’entreprise publique et de l’entreprise privée en
vue d’approfondir l’analyse des sources de coûts de chacune. Dans le prolongement du
premier chapitre plus général, nous avons donc cherché à extraire de la littérature les
apports fondamentaux concernant la problématique du lien entre privatisation et
performance. A l’issue de cette revue, l’ambiguïté tant théorique qu’empirique relative aux
effets de la privatisation sur la performance demeure. L’analyse comparative présente des
arguments théoriques favorables à la firme privée mais parfois aussi favorables à la firme
publique, selon l’angle de vue choisi.
La lecture comparée des formes organisationnelles sous différents angles, nous a permis
de détecter une faiblesse théorique susceptible d’être à l’origine du constat précédent. En
effet, en référence aux travaux existants, cette lecture comparée a permis de caractériser les
deux types organisationnels pour chaque facette de l’organisation. Mais, elle n’a pas
permis de prendre en compte la complémentarité de ces divers aspects organisationnels.
Or, le fonctionnement de l’entreprise résulte davantage des interactions entre ces diverses
variables organisationnelles que de leur simple juxtaposition. Cette limite essentielle nous
conduit naturellement à réinterpréter les apports des approches théoriques précédentes sous
un angle plus systémique de la firme. C’est ainsi que se positionne la théorie positive de
l'agence (désormais TPA). Elle cherche à comprendre le fonctionnement de l’organisation
à partir des relations complexes entre les variables multiples analysées dans les précédentes
approches contractuelles. En combinant les apports de chaque branche théorique, la TPA
est susceptible d’en dépasser les limites et de proposer ainsi une lecture renouvelée des
effets de la privatisation sur la performance organisationnelle.
Dans cet esprit, cette seconde partie a pour objectif de proposer une lecture globale du
fonctionnement de l’organisation dans le cadre de sa privatisation. Cette seconde étape de
notre recherche consiste à construire un modèle explicatif des liens complexes entre la
privatisation et la performance de la firme. Dans cette perspective, le chapitre 3 consacre
la lecture que propose la théorie positive de l’agence des interactions des différentes
composantes organisationnelles. De là, le chapitre 4 conclut notre réflexion théorique par
le développement d’un modèle des liens complexes entre la privatisation et la performance
partenariale. A l’image du cadre théorique intégrateur sur lequel il s’appuie, ce modèle
129
propose deux niveaux d’analyse de notre problématique de recherche, celui des effets de la
privatisation sur l’architecture organisationnelle et celui de ces modifications
organisationnelles de la privatisation sur la performance partenariale.
130
Chapitre 3
Privatisation et gouvernement d'entreprise : le champ de l’architecture
organisationnelle
La stabilité est la norme évolutive en vLa stabilité est la norme évolutive en vLa stabilité est la norme évolutive en vLa stabilité est la norme évolutive en vigueur la plupart du temps,igueur la plupart du temps,igueur la plupart du temps,igueur la plupart du temps, tandis que le changement évolutif est un phénomène assez rapide,tandis que le changement évolutif est un phénomène assez rapide,tandis que le changement évolutif est un phénomène assez rapide,tandis que le changement évolutif est un phénomène assez rapide,
ponctuant la tranquillité et faisant passer les nouveaux systèmes en de nouveaux étatsponctuant la tranquillité et faisant passer les nouveaux systèmes en de nouveaux étatsponctuant la tranquillité et faisant passer les nouveaux systèmes en de nouveaux étatsponctuant la tranquillité et faisant passer les nouveaux systèmes en de nouveaux états
S. J Gould, Essai n°8, p. 137.S. J Gould, Essai n°8, p. 137.S. J Gould, Essai n°8, p. 137.S. J Gould, Essai n°8, p. 137.
131
Les théories contractuelles fondées sur la notion de contrat ont provoqué une
réorientation de l’analyse économique. Celle-ci a largement contribué à celle de la
privatisation comme en témoigne la première partie de notre recherche. Les angles
spécifiques de ces approches contractuelles de la firme ont permis d’identifier les
différentes variables qui composent les relations entre les agents économiques et, de là,
l’efficience économique de leur coopération. Ainsi, l’efficience économique d’une
organisation peut se définir au regard de la capacité de ses partenaires à économiser dans
leur coopération, les coûts contractuels organisationnels. Selon la perspective choisie, il
s’agit alors des coûts d’agence ou plus globalement des coûts de transaction. La théorie des
contrats incomplets, en prolongement de la théorie des droits de propriété, et sur la base de
la théorie des incitations et de la théorie des coûts de transaction met en lumière
l’importance du créancier résiduel dans l’allocation optimale des droits de propriété.
L’approche principal-agent rend compte, quant à elle, de l’influence des schémas
révélateurs d’information et incitatifs sur le niveau d’efficience de la relation contractuelle
(Brousseau et Glachant, 2000). Enfin, la théorie des coûts de transaction développée par
Williamson insiste sur l’intérêt de la spécificité de l’actif mis en jeu pour
l’accomplissement optimal de l’échange.
Nous allons envisager dans quelle mesure la TPA peut représenter une approche
intégratrice des différentes perspectives contractuelles de la firme (section 1). Nous
aborderons ensuite la théorie de la gouvernance qui constitue un des champs de cette
théorie (section 2). Nous nous intéresserons enfin à la portée explicative de cette théorie
susceptible d’approfondir notre compréhension des effets de la privatisation sur la
performance de la firme.
Section 1 : Des origines au statut actuel de la théorie positive de l'agence
La TPA peut être considérée comme une tentative de mise en correspondance unifiée
des différentes perspectives contractuelles de l’organisation. Ses hypothèses sont en effet
construites sur les fondements de l’approche contractuelle telle que nous l’avons presentée
dans le chapitre précédent. Nous proposons d’abord, une lecture des liens établis par la
TPA entre les diverses hypothèses contractuelles (1.1) pour développer ensuite son
originalité à travers les extensions qu’elle propose par rapport à ses courants fondateurs
(1.2).
132
1.1. Les fondements contractuels
Associée à l’article fondateur de Jensen et Meckling (1976) repris dans la synthèse
récente de Jensen (1998), la TPA a connu d’importants développements, notamment par
rapport à sa lecture initiale de la firme. Afin d’aborder son positionnement actuel, il nous
paraît nécessaire de reprendre les bases fondamentales qui lui confèrent aujourd’hui une
portée explicative essentielle dans la compréhension du fonctionnement des organisations.
Au départ, l’approche explicative de la firme focalise son attention sur les relations entre le
dirigeant et ses actionnaires, dans la suite logique de la séparation de la propriété et du
contrôle, évoquée dans notre travail à plusieurs reprises, comme une révolution importante
de la théorie de la firme.
Si son outil analytique est l’existence de conflits d’intérêts dans les relations
interindividuelles (en écho à l’approche principal-agent), ceux-ci sont analysés à l’image
de la TDP, puisque les relations d’agence sont interprétées sur la base de l’échange de
droits de propriété et des conséquences comportementales des propriétaires et des
dirigeants (Jensen et Meckling, 1976, in Jensen, 1998, p. 53)139. Cette théorie reste fidèle à
l’hypothèse de rationalité limitée des individus même si elle bénéficie de certains
enrichissements abordés dans la sous-section suivante. Comme dans la TCI,
l’incomplétude contractuelle et l’observabilité partielle des comportements des parties
prenantes jouent un rôle central. Elle confère ainsi un rôle essentiel à l’allocation des droits
de propriété et donc au contrôle du comportement managérial, par les actionnaires
(créanciers résiduels). Les coûts d’agence sont alors ceux d’établissement et d’exécution
des termes du contrat. Les coûts explicites sont liés à la mise en place de mécanismes de
surveillance et de révélation d’information (dédouanement) par les partenaires de la
relation d’agence. Les coûts implicites de cette coopération sont relatifs à l’imperfection de
ces mécanismes dans leur rôle d’alignement des intérêts de chacun. Fondée sur ce facteur
explicatif central de divergence d’intérêts, la TPA considère plus particulièrement cette
divergence d’intérêts résiduelle comme une source importante de coût puisqu’elle génère
une perte résiduelle pour celui qui subit l’imperfection des mécanismes de contrôle. Cette
lecture de la relation d’agence traditionnelle souligne ainsi le rôle du dirigeant et de sa
latitude discrétionnaire à l’égard des choix d’investissement, dans le cadre de la poursuite
de ses intérêts propres. Elle permet alors une analyse des modes de contrôle des ressources 139 Nous aborderons dans le paragraphe suivant l’originalité de la TPA dans cette lecture de la propriété à l’égard du processus décisionnel.
133
créées par la firme. Elle a contribué par exemple, au développement de la théorie du free
cash flow proposée par Jensen (1986). Son modèle est relatif au rôle disciplinaire du
financement par endettement à l’égard de la liberté résiduelle managériale dans
l’affectation de l’excédent d’autofinancement organisationnel.
Le problème organisationnel aux yeux de la TPA rejoint naturellement celui des
différentes approches contractuelles. En effet, elle considère que l’efficience de la firme
dépend de la minimisation des coûts organisationnels, considérés ici comme les coûts
d’agence totaux (implicites et explicites). A cet égard, la TPA rejoint la TCT, par le critère
d’efficience qu’elle retient, sous-tendu par celui de remédiabilité. En effet, le postulat
fondamental de la TPA, comme celui de la TCT, repose sur l’existence de formes
organisationnelles en concurrence. En référence au principe de sélection naturelle, la survie
d’une entreprise dépend de sa capacité à s’adapter en cherchant la minimisation de ces
coûts d’agence. Il n’y a donc pas de forme organisationnelle universelle, permettant
d’atteindre un optimum de premier rang. Comme le souligne Charreaux (1999), les formes
existantes sont alors celles qui représentent, parmi les choix possibles, un choix efficient de
second degré à un moment donné (Charreaux qualifie également ce critère « d’efficience
externe », p. 104). Dans la terminologie de la TCT, cette perspective est celle du choix
organisationnel le plus adapté parmi les possibles. De même que les différentes branches
contractuelles, la TPA s’inscrit dans cette perspective d’analyse statique comparative des
formes organisationnelles efficientes au second degré. Mais elle se distingue d’une certaine
manière, par la prise en compte complémentaire d’un critère d’efficience de troisième
degré. Celui-ci oriente l’analyse sur l’équilibre organisationnel que représente la firme
pour ses parties prenantes. Ce critère privilégie « l’efficience interne » (Charreaux, Op. cit.,
p. 104). En ce sens, la TPA propose une lecture de la firme comme résultante d’une
coordination interindividuelle efficiente pour les contractants. Comme le relève Charreaux
(Op. cit., p. 109), « nous sommes dans le design organisationnel et un lien de causalité
directe entre la forme organisationnelle adoptée et la performance est supposé ».
L’originalité de la TPA semble résider dans cette combinaison des deux niveaux
d’analyse du problème adaptatif organisationnel. En effet, la TPA aborde le processus de
sélection de la forme organisationnelle efficiente de deux manières, soit par disparition de
la forme existante soit par adaptation. Selon Charreaux (Op. cit., p111), « alors que la
disparition implique une éviction du marché, l’adaptation correspond à une mutation qui
134
est décidée au premier niveau (efficience interne) ». Ces deux destins organisationnels
mettent en cause le comportement spécifique de l’organisation (à travers sa capacité
adaptative) et les contraintes externes de marché elles mêmes influencées par le cadre
institutionnel. La sélection sur le long terme des formes organisationnelles efficientes de
second ordre, n’empêche pas l’existence simultanée de divers équilibres organisationnels
internes sur le court terme qui progressivement disparaissent ou s’adaptent. En ce sens,
l’objectif de la TPA est d’expliquer comment les arrangements qui structurent la firme (ou
toute organisation) constituent une réponse endogène de la recherche d’efficience dans les
deux sens du terme. Plus encore, et pour ce faire, la TPA se démarque par l’importance
qu’elle accorde à certaines variables comportementales, informationnelles et
décisionnelles. Ignorées ou considérées comme exogènes dans la plupart des autres
approches contractuelles elles prennent un statut endogène qui confère à la TPA son
originalité et son développement vers des champs de recherche plus transversaux.
En définitive, la TPA propose un pont entre les facteurs d’émergence des formes
organisationnelles alternatives (efficience de la coordination interne dans un
environnement donné) et les facteurs de sélection et d’évolution des formes
organisationnelles (efficience externe influencée par le rôle sélectif des marchés). Selon
nous, la TPA est ainsi susceptible de créer un lien entre les divers arguments invoqués
jusque là dans le débat sur la privatisation, notamment en prenant en compte les forces de
marché et la complexité des interactions internes organisationnelles.
1.2. Extensions et développement d’une théorie du fonctionnement organisationnel
La référence inévitable lorsque l’on aborde la TPA aujourd’hui est celle de l’ouvrage de
Jensen (1998) qui regroupe les articles successifs fondateurs de cette théorie intégratrice de
divers courants140. Cet ouvrage témoigne ainsi de l’évolution de cette théorie de
l’organisation. Comme le suggèrent les quelques extraits conclusifs suivants de Jensen et
Meckling (1976), depuis l’origine, la TPA interprète l’organisation comme un système
social d’équilibre complexe, à la recherche de son efficience propre et relative,
influençable par les contraintes environnementales.
140 Dorénavant, nos références aux articles fondateurs mentionneront les pages correspondantes à ces articles tels qu’ils sont insérés dans l’ouvrage de synthèse de Jensen (1998).
135
« La firme managériale est une invention sociale extraordinaire […], un ensemble
complexe de relations contractuelles qui délimite les droits de parties impliquées […]. Le
niveau des coûts d’agence dépend, entre autres, du cadre légal et de l'ingéniosité humaine
dans la modélisation des contrats. Le système législatif et la sophistication des contrats
concernant l’entreprise moderne sont les produits d’un processus historique au cours
duquel les individus ont eu de fortes motivations à minimiser les coûts d’agence. […] La
firme a survécu jusqu’à aujourd’hui, au test des formes alternatives au marché » (p. 101-
102).
Au-delà des prescriptions relatives par exemple, à la structure optimale de financement,
la version explicative proposée par la TPA est centrée sur l’analyse du fonctionnement de
la firme. Elle s’intéresse tout autant à l’émergence des formes organisationnelles qu’à leur
changement. Cette théorie de l’organisation cherche à expliciter d’une part, les causes
d’inefficience interne, liées aux mécanismes intentionnels de coordination et de contrôle,
d’autre part, les mécanismes de sélection par les marchés, des formes efficientes sur le long
terme (Charreaux, 1999). Cette approche globale des propriétés de survie de l’organisation
résulte d’une série d’extensions des problématiques contractuelles. En référence à
l’ouvrage de synthèse141 de Jensen (1998), son développement actuel repose sur un
raisonnement qui privilégie les interactions complexes entre les variables
comportementales individuelles (mises en valeur par les modèles du comportement
humain) et les structures plus collectives, comme le marché et les systèmes coopératifs.
1.2.1. Enrichissement de l’hypothèse comportementale : vers une analyse
dynamique
La première extension essentielle, relative au contenu de l’hypothèse comportementale
de l’approche contractuelle, donne à la TPA une dimension plus dynamique dans l’analyse
de la firme. En effet, en considérant l’individu calculateur (par rapport à sa fonction
d’utilité) dans la limite de ses capacités cognitives et de son encastrement social, la TPA
141 Le schéma introductif proposé par l’auteur nous paraît représentatif des contours de la TPA. Il traduit en effet, la volonté de mise en correspondance par la TPA, des modèles économiques explicatifs du marché et des modèles comportementaux produits par les sciences humaines. A cet égard, Charreaux (2000) propose une interprétation de la TPA qui permet une mise au point sur sa place dans l’économie des contrats ainsi que sur sa portée explicative essentielle dans le domaine des sciences de gestion.
136
intègre également les capacités créatives de l’individu et par suite adaptatives142. Par
rapport aux autres perspectives contractuelles, la TPA privilégie un cadre d’analyse
dynamique plus que statique en insistant sur les caractéristiques adaptatives des individus.
La question qui est alors posée par la TPA est celle des mécanismes par lesquels les
interactions interindividuelles contribuent aux propriétés adaptatives de l’organisation.
1.2.2. Connaissance et processus décisionnel : l’interface entre les approches
contractuelles
La seconde extension concerne simultanément les divers socles théoriques contractuels
de la TPA en introduisant une variable centrale, celle de la connaissance. Cette seconde
extension, complémentaire à la première, crée un lien entre les approches contractuelles sur
lesquelles repose la TPA. En ce sens, la TPA est susceptible de contribuer à
l’approfondissement de l’analyse que nous avons proposée dans le chapitre 2, en
prolongement des premiers arguments de la littérature relatifs à la problématique de la
privatisation.
Ce développement spécifique à la TPA rend centrale la motivation première de la
coopération interindividuelle. Comme nous l’avons déjà abordé, l’approche contractuelle
envisage l’efficience de la firme à partir de la recherche d’une économie de coûts.
Autrement dit, la coopération s’instaure en raison des gains mutuels qu’elle procure.
Charreaux (1999, p. 116) les définit comme les « atouts que confère la mise en commun
des savoirs et des compétences d’individus qui permet, notamment, à l’organisation de
s’adapter et [qui] est au fondement même de ses éventuels avantages concurrentiels ».
Parallèlement, la survie et le développement de la coopération sont liés à sa capacité à
développer un avantage concurrentiel. Dans cette perspective, l’avantage d’une
organisation sur une autre dépend de l’agencement de ses ressources stratégiques. La TPA,
en plaçant au centre de l’analyse du fonctionnement de la firme, la variable fondamentale
de la connaissance spécifique (par opposition la connaissance générale) s’intéresse
142 Remarquons ici que les premiers écrits (voir notamment dans les extraits que nous avons relevés de Jensen et Meckling (1976) en ce début de sous-section 1.2, comme par exemple, la qualification « d’invention sociale » ou « d’ingéniosité humaine ») mentionnent déjà cet aspect adaptatif et créatif capté par la TPA. Cette vision plus dynamique de l’organisation est développée par la suite par ces mêmes auteurs en 1994, sous le modèle du comportement humain REMM puis étendu dans le Pain Avoidance Model. Alors que le premier insiste sur les capacités d’adaptation, le second porte une limite à ces capacités d’apprentissage. Charreaux (Op. cit.) propose d’associer cette limite aux coûts psychologiques subis lors d’une situation d’apprentissage, et que l’individu cherche à minimiser, dans le cadre de son comportement rationnel.
137
directement aux capacités de la firme à valoriser ses savoirs et ses compétences dans le
cadre de la création de valeur par rapport à ses concurrents. L’article de Jensen et Meckling en 1992 construit sur l’impact de cette variable sur la
performance de la firme, constitue selon nous, une articulation fondamentale entre les
diverses théories contractuelles envisagées jusqu’ici. En effet, à l’appui de la réflexion de
Hayek sur l’utilisation optimale de la connaissance par une société (1945), les deux auteurs
combinent implicitement les apports de la TDP, de la TCI et les implications de la relation
d’agence sur la coordination organisationnelle et sur son efficience. Tout d’abord, en
reprenant les fondements de la TDP, Jensen et Meckling considèrent que l’organisation, à
l’inverse d’un marché efficient, ne permet pas une allocation optimale spontanée des droits
de propriété entendus comme l’usage d’une ressource et sa cession (p. 103-104). En effet,
aliénable sur le marché, un droit de décision sur l’usage d’une ressource au sein de la firme
n’est plus cessible par celui qui exerce le droit d’usage. Cette conclusion rejoint
implicitement la lecture par la TCI, de la séparation entre propriétaire et dirigeant.
Effectivement, le dirigeant, au sein de la firme managériale, prend les décisions d’usage
d’une ressource mais ne détient pas le droit résiduel, notamment celui de cession de cette
ressource. Cette absence d’aliénabilité par l’utilisateur d’une ressource empêche par
conséquent, une allocation automatique143 optimale de ce droit décisionnel c’est-à-dire
d’allouer spontanément ce droit d’usage au profit de celui qui peut valoriser au mieux la
prise de décision. De là, l’allocation optimale des droits de décision est guidée par la
maximisation de la valeur de ces droits. En ce sens, les droits décisionnels sont affectés à
ceux qui sont à même de prendre la décision qui contribue au mieux à l’objectif
organisationnel et donc aux gains mutuels (p. 106). Cette thèse cruciale de la TPA confère un statut essentiel de ressource stratégique à la
connaissance spécifique définie par les auteurs comme la connaissance nécessaire à la prise
de décision et coûteuse à transférer. En ce sens, elle rejoint naturellement les compétences,
l’expérience et les capacités adaptatives individuelles qui nourrissent l’hypothèse
comportementale de la théorie. Ainsi, une décision qui nécessite des compétences et des
connaissances pointues difficilement transmissibles et par conséquent, coûteuses à
transmettre (a fortiori lorsque ces connaissances sont diffuses, détenues par une multitude
d’agents), devra être prise (donc son droit devra être alloué à) par celui qui détient cette
143 comme elle est supposée se produire via le système des prix sur un marché efficient (Charreaux, 2000).
138
connaissance que l’on peut qualifier de stratégique par rapport au processus de décision.
Ainsi, l’existence des organisations et leur adaptation organisationnelle trouvent leur
origine dans les gains procurés par la capacité à valoriser conjointement des connaissances
stratégiques comparativement à une utilisation séparée.
Ensuite, cette rationalisation de la connaissance144 est au cœur de l’analyse de la co-
localisation optimale de la responsabilité décisionnelle et de la connaissance
idiosyncratique. La TPA permet ainsi de transposer la lecture de l’approche principal-agent
à tous les niveaux hiérarchiques de l’organisation. En effet, la délégation de certaines
décisions par le dirigeant à différents centres décisionnaires engendre par nature, une
asymétrie informationnelle ex ante compte tenu des connaissances détenues par les parties
impliquées et ex post, en raison des informations produites dans le cadre de l’activité. Les
mécanismes de surveillance et la mesure de performance traités par l’approche normative
de l’agence au niveau de la seule relation dirigeant actionnaire, constituent le problème
organisationnel majeur de la TPA. Comme les auteurs le soulignent « en l’absence
d’aliénabilité, les organisations doivent résoudre à la fois les problèmes d’allocation de ces
droits et les problèmes de contrôle (de ces décisions) par des systèmes et des procédures
alternatives » (NT et nos propres parenthèses, p. 104145). Jensen et Meckling (1992)
considèrent que le problème organisationnel consiste à mettre en place un ensemble de
règles du jeu organisationnel qui permettent une organisation du processus de décision.
La TPA introduit ainsi une variable centrale conjointement à celle de la connaissance. Il
s’agit du processus décisionnel. Celui-ci organise la partition des droits décisionnels au
sein de l’organisation et crée un système de contrôle (mesure et évaluation) qui établit
d’une part, les mesures de performance locale, d’autre part, leurs conséquences en matière
de sanction et de récompense.
144 Jensen et Meckling reprennent la qualification de Demsetz (1988) « conservation of expenditure on knowledge ». (p. 113) 145 « In the absence of alienability, organizations must solve both the rights assignment and control problems by alternative systems and procedures ».
139
Ce système définit ainsi les incitations à la performance (Jensen et Meckling, Op. cit., p.
118). Sur la base de l’article de Fama et Jensen (1983a)146, cette architecture de la décision
permet de distinguer deux fonctions décisionnelles et les droits qu’elles recouvrent
(p. 177) :
- la fonction de gestion des décisions (decision management rights) à laquelle sont
associés le droit d’initiative (proposition sur l’utilisation des ressources et sur les
modes de contractualisation) et le droit de mise en œuvre des décisions prises,
- la fonction de contrôle des décisions (decision control rights) qui regroupe le droit
de prise de décision finale et le droit de contrôle de la décision (évaluation et
sanction de la performance).
Remarquons que ces derniers rejoignent et enrichissent la notion de residual control
right développée par la TCI. En effet, à l’origine de cette séparation des deux fonctions
décisionnelles susmentionnées, l’argument de Fama et Jensen (Op. cit., p. 178) relève de la
séparation de la fonction d’assomption du risque (risk bearing function) assumée par le
détenteur des droits de contrôle et de la fonction de gestion assumée par le management.
Cette séparation fonctionnelle, courante dans la firme managériale et dans d’autres types
organisationnels, est à l’origine des divergences d’intérêts et des conflits potentiels entre
les parties prenantes au processus décisionnel. En conséquence, cette séparation
(risque/décision) engendre « des structures contractuelles [qui] séparent la ratification et
l’évaluation des décisions de l’initiative et de la mise en œuvre de ces décisions » (NT147,
Fama et Jensen, Op. cit., p. 302). Selon les auteurs, cette structure décisionnelle est
optimale dans les organisations dites « complexes » c’est-à-dire au sein desquelles les
connaissances spécifiques sont diffuses. En ce sens, l’optimisation du processus
décisionnel (c’est-à-dire la minimisation des coûts engendrés par une mauvaise décision)
conduit à diffuser la fonction de gestion des décisions. Par ailleurs, une organisation
complexe peut aussi impliquer un nombre important de créanciers résiduels (l’exemple
classique est celui de la société cotée à actionnariat diffus). Dans ce cas, les auteurs
considèrent que l’optimisation du processus décisionnel consiste à réduire les coûts de
contrôle en délégant la fonction de contrôle (diffuse par nature) à des agents spécialisés
dans cette fonction (p. 182). Cette allocation du droit de contrôle des décisions implique de
146 Leurs deux articles sont repris dans Jensen (1998). 147 « [the contract structures of all these organizations] separate the ratification and monitoring of decisions from initiation and implementation of the decisions ».
140
ce fait, une séparation entre la fonction d’assomption du risque et la fonction de contrôle.
Dans le contexte d’une organisation complexe, les auteurs concluent en faveur d’une
architecture décisionnelle fortement décentralisée tant en matière de gestion qu’en matière
de contrôle.
Ainsi, l’optimum décisionnel consiste en une séparation des fonctions de gestion et de
contrôle, respectivement co-localisées avec les informations nécessaires à leur exercice
optimal d’initiative et de mise en œuvre d’un coté, de ratification et de contrôle de l’autre.
Les systèmes décisionnels complexes présentent alors des caractéristiques génériques
communes. Fama et Jensen (Op. cit.) repèrent trois mécanismes de diffusion et de
séparation (ou de spécialisation) de la gestion et du contrôle des décisions au sein des
firmes complexes :
- la hiérarchie formelle où les niveaux supérieurs contrôlent les niveaux inférieurs
auxquels sont alloués les droits d’initiative et de mise en œuvre (p. 184). Leur
coordination est renforcée par « les règles du jeu organisationnelles par exemple, les
systèmes budgétaires et comptables, qui supervisent et contraignent les
comportements décisionnels des individus et spécifient les critères de performance
qui déterminent eux-mêmes, les systèmes de récompenses » (NT, p. 184148).
- Les systèmes de surveillance mutuelle, moins formels que les modes de
coordination précédents, sont générés par les interactions interindividuelles. En
produisant des informations de manière plus implicite (que la comptabilité par
exemple), ces échanges informels soutiennent le processus de contrôle. De plus, ils
constituent un marché interne du travail qui incite chaque membre à développer son
capital humain.
- Le conseil d’administration qui traditionnellement, exerce la fonction de contrôle149
des dirigeants. Il contribue ainsi à la garantie de la séparation fonctionnelle au
niveau hiérarchique le plus élevé, nécessaire à l’optimisation du processus
décisionnel de l’organisation complexe.
148 « organizational rules of the game, for example, accounting and budgeting systems, that monitor and constrain the decision behavior of agents and specify the performance criteria that determine rewards. » 149 Nous verrons dans les développements qui suivent une interprétation différente.
141
1.2.3. Une théorie de l’agence élargie à l’ensemble des partenaires
De la précédente analyse nous pouvons identifier une troisième extension par la TPA de
l’approche contractuelle, notamment relative à la relation principal-agent. Dès l’article de
Fama et Jensen (1983a), la TPA accorde un rôle fondamental au processus décisionnel.
Elle pose très directement la question des parties prenantes à un processus dont la finalité
est de créer de la valeur à partir d’une utilisation optimale des ressources apportées et de
répartir cette rente organisationnelle. Qu’il s’agisse d’une approche de l’efficience interne
ou externe, l’examen du fonctionnement organisationnel à partir de la co-localisation
connaissances/responsabilité décisionnelle implique un élargissement de la notion de
créanciers résiduels, apporteurs de ressources soumises aux contingences. La définition du
créancier résiduel donnée par les auteurs laisse implicitement ouverte son interprétation,
bien que les auteurs l’associent dans leur analyse à l’actionnaire (p. 176). En effet, le risque
résiduel est défini comme « le risque d’une différence entre les flux stochastiques de
ressources et la rétribution promise aux agents »150. Le créancier résiduel est celui qui
contracte ce risque c’est-à-dire qui détient « le droit d’appropriation des flux nets » issus de
la réalisation des engagements du contrat. En ce sens, la fonction du créancier résiduel est
exercée par celui dont l’utilité est affectée par la partie non contractualisable des décisions
prises et mises en œuvre.
Nous rejoignons ici Charreaux qui propose de substituer à la fonction d’assomption du
risque résiduel la fonction d’assomption d’incertitude résiduelle151. Dans le cadre de la
firme, chaque contrat engendre des décisions susceptibles d’influer sur l’incertitude
résiduelle pour chaque contractant. Les décisions au sein de l’organisation ont donc des
conséquences sur l’ensemble des contractants qui peuvent être simultanément agent et
principal, notamment le dirigeant.
De là, dans le cadre d’une analyse de l’efficience interne, l’analyse de la diffusion des
droits décisionnels de Fama et Jensen (Op. cit.) étend implicitement la relation principal-
agent à l’ensemble des salariés de l’organisation. Elle peut être transposée par exemple, à
la relation du dirigeant et de ses cadres directs, mais aussi de ceux-ci aux niveaux
intermédiaires et inférieurs.
150 « the risk of the difference between stochastic inflows of resources and promised payments to agents. » 151 Charreaux (1999), p. 121.
142
Ces relations dyadiques152 (Charreaux, 1999) implicites chez Fama et Jensen (Op. cit.)
et Jensen et Meckling (1976) traduisent cet élargissement de l’analyse de l’efficience de la
relation principal-agent classique au profit d’une analyse de l’efficience interne
organisationnelle. Celle-ci prend en compte l’ensemble des cocontractants de la
coopération et plus largement toutes les parties prenantes au partage de la fonction
d’assomption de l’incertitude résiduelle. Ainsi, celui qui assume et partage volontairement
ou non cette fonction d’assomption de l’incomplétude des contrats est celui qui exerce et
participe à la fonction de contrôle des décisions. Nous proposons une lecture qui rejoint
celle proposée par Fama et Jensen (Op. cit.) en rendant plus explicite l’approche élargie
des créanciers résiduels. La fonction de contrôle des décisions assumée par ces derniers est
plus vraisemblablement diffusée entre les individus contractants, susceptibles de l’exercer
dans l’intérêt organisationnel et les individus non contractants susceptibles de l’exercer via
des soutiens institutionnels, parce que les décisions organisationnelles ont affecté leur
bien-être. Dans le cadre d’une analyse de l’efficience externe, impliquant le rôle sélectif
joué par les marchés concurrentiels, les relations de la firme avec ses clients, ses
fournisseurs et les autres apporteurs de ressources financières, ou encore l’Etat doivent
alors être prises en compte dans l’analyse du processus décisionnel et de son optimisation.
En ce sens, la métaphore de la firme comme un nœud de contrats, combinée aux
concepts liés au processus décisionnel permet à la TPA d’élargir la notion d’efficience et
par suite du critère de performance organisationnelle qui passe de celui de valeur
actionnariale à celui de valeur partenariale. Au regard de la précédente analyse, les
relations contractuelles impliquent différents types d’apporteurs, détenteurs de droits
décisionnels, de gestion et/ou de contrôle qui participent ainsi au processus décisionnel de
création et de répartition de la valeur organisationnelle. Hill et Jones (1992) ont développé
cette perspective partenariale du nœud contractuel153. Ces auteurs ont ainsi proposé une
théorie élargie ou généralisée de l’agence à partir d’une réinterprétation de la relation
d’agence traditionnelle. De leur analyse peuvent être tirés trois enseignements qui
152 Cette lecture privilégie un lien plus coopératif que hiérarchique entre deux parties à la relation. La TPA se distingue ainsi de l’approche normative de l’agence dans la mesure où elle préfère la motivation mutuelle comme fondement de la coopération à l’asymétrie (autorité) sur laquelle est fondée la relation principal-agent. Sur ce point, Charreaux (1999, p. 82 et suivantes) démontre la portée explicative de ce positionnement conceptuel propre à la TPA ainsi que le cadre intégrateur qu’elle représente par la proximité que ce positionnement entraîne avec les autres approches contractuelles. 153 Déjà contenue chez Jensen et Meckling (1976).
143
bénéficient à la TPA dans la mesure où ils approfondissent certains de ses fondements
implicites.
Premièrement, en considérant la firme comme un ensemble de contrats liant différents
apporteurs de ressources ayant une revendication légitime sur la firme (p. 133)154, Hill et
Jones (Op. cit.) considèrent le rôle central d’interface joué par le dirigeant. Les différents
apporteurs de ressources (actionnaires, banques, dirigeants, employés, clients, fournisseurs,
collectivités locales et le public en général) sont tous en relation avec le management.
Cette structure d’échange confère à ce partenaire central (ou groupe de partenaires, si l’on
intègre les membres de l’équipe dirigeante) un contrôle direct sur le processus décisionnel
(direct control, p. 134). Ainsi, à la relation principal-agent se substitue une relation
partenaires-agent. La relation d’autorité chère à la première, est remplacée par une relation
de coopération entre l’agent (le dirigeant) et les autres partenaires.
Le deuxième apport réside dans l’existence de différentiels de pouvoirs entre les parties,
provoqué par les inefficiences de marché. En ce sens, dans la théorie traditionnelle de
l’agence, le contrat entre principal et agent émerge des forces de marché puisque sous
l’hypothèse d’efficience, chaque partie peut librement sortir de la relation. En revanche,
l’approche partenariale de Hill et Jones (Op. cit.) rejette cette hypothèse, considérant qu’il
peut exister des coûts de sortie élevés pour certains partenaires en raison de l’absence
d’alternatives offertes par le marché. En ce sens, une innovation ou un changement macro-
environnemental peut engendrer un pouvoir de marché de la firme sur de ses partenaires,
un fournisseur par exemple. Ces inefficiences engendrent des transferts de pouvoir dans la
relation au profit de certains partenaires. Comme le soulignent les auteurs « ceci est
important puisque les différentiels de pouvoir peuvent affecter matériellement le contenu
des contrats d'agence et les mécanismes qui les gouvernent » (NT, p. 135155). Ces frictions
de marché engendrent des processus d’ajustement des différentiels de pouvoirs jusqu’à un
nouvel équilibre. Cette approche permet ainsi d’endogénéiser l’existence d’équilibres
internes multiples (efficience de troisième degré) pendant ces phases d’ajustement.
Toutefois, ces changements sont susceptibles de produire de nouvelles conditions de
marché, elles mêmes susceptibles d’éliminer les formes organisationnelles les moins
154 Cette approche partenariale est développée par Donaldson et Preston (1995, p. 67) qui définissent les partenaires (stakeholders) comme les personnes ou les groupes ayant des intérêts légitimes dans l’activité de l’organisation qui de ce fait doit les intégrer dans la politique générale de prise de décision. 155 "This is important, since power differentials can materially affect both the content of principal-agent contracts and the structure of governance mechanisms policing those contracts".
144
efficientes. Selon les auteurs, ces équilibres internes multiples finissent par tendre à terme,
vers l’équilibre de deuxième degré (p. 137). Cette prise en compte des relations de pouvoir
ne remet pas en cause la recherche d’une économie de coûts lors de la coopération.
Relativement à cette situation inégale entre les acteurs, Charreaux (1999, p. 84-85) précise
que l’ancrage de la TPA (et des théories contractuelles en général) dans le paradigme de
l’efficience, permet d’intégrer la recherche éventuelle de pouvoir, comme un des éléments
du calcul rationnel des acteurs. Ceux-ci restent motivés par l’optimisation sous contraintes,
des gains de la coopération. Influencée par les ressources qu’il détient (notamment
l’information), la position favorable d’un acteur dans la négociation produit des
différentiels de pouvoirs susceptibles de créer des conflits ex post. La rationalité des
individus permet d’anticiper en partie ces coûts potentiels via le contrat et les mécanismes
de gouvernance de la relation de dépendance mutuelle. Charreaux rappelle ainsi le point
nodal de l’approche contractuelle en général et de la TPA en particulier. « Le principe
explicatif des mécanismes organisationnels […] est, et reste, le « principe d’efficience ».
[Les théories contractuelles] se séparent fondamentalement des théories qui retiennent
comme facteur explicatif principal des formes organisationnelles l’acquisition de pouvoir »
(p. 86).
Troisièmement, au même titre qu’une relation d’agence classique, ces relations de
dépendance potentielle entre la firme et les apporteurs de ressources sont gouvernées par
des contrats qui prévoient les mécanismes de gouvernance optimaux. En ce sens, plusieurs
types de mécanismes peuvent venir en soutien de la coopération dans la mesure où ils
contribuent à aligner les intérêts des parties et à réduire la perte d’utilité des partenaires156.
Les mécanismes incitatifs (comme la rémunération basée sur la performance) et les
mécanismes de « mutualisation » de la dépendance via le dédouanement (tel que la clause
de garantie de qualité) contribuent à aligner ex ante les intérêts de chaque partie. Les
mécanismes de surveillance (institution spécialisée comme les syndicats), et de
renforcement des engagements (législation, menace crédible via les marchés de biens et
services, de capitaux), servent la fonction de surveillance. Ces divers mécanismes de
gouvernance sont qualifiés par les auteurs de structures institutionnelles qui permettent le
renforcement des termes implicites des contrats (p. 140). Cette approche partenariale et la
156 Cette perte d’utilité correspond aux coûts générés par les ressources utilisées pour la mise en place de structures disciplinaires et aux pertes résiduelles d’utilité engendrées par l’imperfection des ces structures dans l’alignement des intérêts des cocontractants (Hill et Jones, 1992, p. 138). Comme le souligne Charreaux (1997, p. 443), la notion de coûts d’agence est élargie par Hill et Jones (1992) au profit de coûts contractuels.
145
place centrale qu’elle accorde au dirigeant pose la question des propriétés
organisationnelles de création de valeur qui est à l’origine de toute analyse contractuelle de
l’organisation.
1.3. L’intérêt théorique d’une approche partenariale de l’organisation
Au regard de l’analyse qui précède, le processus de création et de répartition de la
valeur organisationnelle peut se définir comme l’articulation des fonctions décisionnelles
(de gestion et de contrôle des décisions) dont l’exercice conduit à la création d’une rente
organisationnelle. Cette rente d’efficacité correspond au gain généré par la coopération qui
excède la rémunération d’opportunité c’est-à-dire la rémunération requise pour établir cette
coopération157. De plus, le principe d’efficacité permet d’envisager le processus
décisionnel comme un agencement efficace des droits décisionnels attachés à ces fonctions
de sorte que la rente soit maximisée. Le rôle du dirigeant est d’arbitrer entre les intérêts
conflictuels en vue d’atteindre une solution coopérative. La position d’interface du
dirigeant lui confère un droit sur l’allocation de ces étapes du processus décisionnel et par
conséquent, un rôle central dans la création de valeur. Dans l’approche contractuelle
traditionnelle, cette rente organisationnelle correspond au surplus de valeur créée par la
firme, après rémunération des facteurs de production. Elle revient au créancier résiduel et
est donc affectée aux actionnaires. En revanche, Charreaux et Desbrières (1998) proposent
une interprétation alternative de la valeur organisationnelle en considérant au départ une
diffusion des créanciers résiduels au sein de la coopération. En ce sens, chaque partenaire
est susceptible de participer au processus décisionnel soit à travers une fonction de
contrôle, soit à travers une fonction de gestion des décision. Compte tenu de la définition
du processus décisionnel, la valeur partenariale se substitue alors à la valeur actionnariale.
Mais au-delà de cette simple question de terminologie, ces auteurs proposent une analyse
du processus de création et de répartition de la valeur partenariale qui « conduit à une
remise en cause fondamentale de la problématique financière traditionnelle » (Charreaux et
Desbrières, Op. cit., p. 67). En effet, la valeur créée pour la firme est définie par les auteurs
comme la différence entre les flux sécrétés par la firme (le prix d’opportunité, notamment
les ventes) et les flux consommés par la firme (représentés par le total des coûts
d’opportunité c’est-à-dire les prix requis par chaque apporteur de ressource pour
157 Voir notamment, Milgrom et Roberts (1997, p. 350) et Charreaux et Desbrières (1998, p. 64).
146
poursuivre la transaction)158. La valeur partenariale quant à elle, correspond à « la
différence entre les ventes évaluées au prix d’opportunité et la somme des coûts
d’opportunité pour les différents apporteurs de ressources ». Elle correspond par
conséquent, à la somme des variations d’utilité perçues par chaque partenaire, y compris la
firme en tant que telle, à l’issue de l’accord159. Selon ces mêmes auteurs, la répartition de
cette valeur entre les partenaires au prix explicite, peut conduire à une valeur résiduelle
laissée à la discrétion du dirigeant. Ce « slack » managerial permet au médiateur d’arbitrer
stratégiquement entre les divers intérêts de la coopération, dans le cadre de sa stratégie
personnelle. En outre, sa position centrale lui permet d’agir sur l’ampleur de cet excédent.
Ce fonds de négociation correspond par conséquent à la latitude dont dispose le dirigeant
pour maintenir et développer la coopération tout en maximisant sa propre utilité
(Charreaux et Desbrières, 1998).
Le dossier spécial de l’Academy of Management Review (2000) illustre l’importance de
cette prise en compte des divers partenaires de la firme par le dirigeant dans le processus
décisionnel et la performance organisationnelle. En particulier, Berman et al (1999) testent
deux modèles concurrents160, explicatifs des implications des relations partenariales de la
firme sur la stratégie et la performance organisationnelle. Les auteurs concluent à la valeur
instrumentale de la gestion des partenaires de la firme dans la définition de sa stratégie au
détriment du modèle alternatif de la valeur d’engagement moral du dirigeant. D’autres
articles de ce numéro spécial insistent sur la structure de marché (régulation, dérégulation)
158 Charreaux et Desbrières (1998, p. 62) reprennent au départ la définition de l’approche traditionnelle selon laquelle, la rente actionnariale est égale à la différence entre le résultat de la firme et le coût d’opportunité requis par l’actionnaire (soit le coût des fonds propres). 159 En référence à l’illustration de Charreaux et Desbrières (1998, p. 61), la valeur créée entre la firme, son unique fournisseur et son unique client est égale à la somme des variations d’utilité de chaque partenaire. Ainsi, pour le fournisseur, la valeur créée est égale à la différence entre le prix minimum requis ex ante (par exemple, 100) et le prix explicite accepté (200) soit +100; la valeur destinée au client est égale à la différence entre la vente réalisée par la firme au prix explicite de 900 accordé au client et le prix maximum requis ex ante par le client (1000), soit +100. Enfin la valeur pour la firme correspond aux flux nets générés par la coopération c’est-à-dire la différence entre les flux générés en aval de la chaîne de valeur (900) et les flux générés en amont (200) soit 700. La valeur totale du partenariat correspond à la somme de ces variations d’utilité produite par la coopération soit (100+100+700). 160 Sur la base des travaux de Freeman (1984), Berman et al. (1999) identifient deux modèles de la gestion partenariale de la firme. Ces auteurs distinguent deux formes possibles de gestion des partenaires à partir de la définition proposée par Freeman (1984, p. 46) selon lequel un partenaire est « un groupe ou un individu qui peut être affecté ou qui est affecté par la réalisation des objectifs de l’organisation ». La première forme de gestion des partenaires consiste à envisager leur rôle déterminant dans la performance de la firme, comme par exemple la clientèle et l’accroissement de la part de marché. La gestion partenariale a alors une valeur instrumentale d’achèvement de la stratégie. La seconde forme de gestion consiste en un engagement moral qu’aurait le dirigeant à l’égard des partenaires. Cet engagement moral le conduirait à définir la stratégie en fonction de ses conséquences sur le bien-être de ces derniers (p. 491-495).
147
et la participation de certains partenaires (fournisseurs, employés) au processus décisionnel
à travers certains mécanismes comme par exemple le conseil d’administration (Luoma et
Goodstein, 1999) ou sur l’arbitrage en termes de choix stratégiques et d’horizon de
performance, entre les intérêts des clients et ceux des actionnaires (Ogden et Watson,
1999). Enfin, les conclusions de Charreaux (1991) sur l’importance de l’optique choisie
concernant la mesure de la valeur (actionnariale ou économique) comme critère de
performance de la firme soulignent indirectement l’intérêt d’une vision partenariale dans
l’analyse du lien entre propriété et performance. En effet, si la thèse de la neutralité de la
propriété est corroborée dans le premier cas, elle est rejetée dans le cas d’une analyse des
liens entre la structure de propriété et la performance économique au profit de la thèse de
convergence d’intérêts. Outre les limites concernant les mesures de la variable
performance, cette conclusion suggère qu’une prise en compte de l’ensemble des
partenaires conduit à une lecture différente de la relation d’agence.
Cette lecture centrée sur la valeur partenariale insiste sur la non-séparabilité des
décisions de création et de répartition de la valeur organisationnelle. La contribution de
chaque partenaire à la création de valeur influence leur position dans le partage de la valeur
créée. Cette lecture insiste de ce fait sur le degré de participation effective des parties
prenantes dans le processus décisionnel tant au niveau de la fonction de gestion des
décisions que de la fonction de contrôle. Comme le soulignent Charreaux et Desbrières
(1998), leur rapport de force dans le processus de création et de répartition de la valeur
organisationnelle dépend de la contrainte qu’ils peuvent exercer sur le comportement du
dirigeant. En ce sens, le processus de création de valeur est susceptible d’être encadré par
diverses modalités d’exercice des fonctions décisionnelles par les différents parties
prenantes.
L’intérêt d’une analyse de la valeur partenariale réside dans l’importance accordée aux
implications du rôle des différents partenaires sur la stratégie organisationnelle de création
de son avantage comparatif. Dans la mesure où l’actionnaire partage son statut de créancier
résiduel avec d’autres apporteurs de ressources, la structure de financement devient la
structure des ressources. Les composantes de son coût d’opportunité (notamment celui du
capital humain) conditionnent le niveau de valeur créée. Cette conclusion générale qui
ressort de l’analyse de Charreaux et Desbrières (1998) conduit à tempérer l’analyse
traditionnelle de création de valeur actionnariale. En référence à la critique portée par ces
148
auteurs sur cette analyse, un choix d’investissement risqué, favorable aux actionnaires,
peut augmenter la valeur partenariale dont la répartition peut prioritairement se faire au
profit des autres partenaires. Mais, dans la lignée de l’approche traditionnelle financière,
cette approche élargie insiste sur le rôle central du dirigeant et ce faisant, sur la nécessité
pour les différents partenaires, d’encadrer son comportement via les mécanismes qui
permettent l’exercice des fonctions décisionnelles.
Cette combinaison des différents variables de l’organisation (divergence d’intérêts,
connaissance spécifique, processus décisionnel, droit sur les créances résiduelles, et
système de gouvernance de la coopération) constitue une grille de lecture plus intégratrice
des différents aspects du fonctionnement de la firme. Dans cet esprit, Brickley et al (1997)
propose une lecture de l’organisation à partir de trois piliers interdépendants constitutifs de
l’architecture organisationnelle (désormais AO)161. Ces composantes recouvrent les
variables centrales de la TPA. Il s’agit de l’allocation des droits décisionnels, du système
d’évaluation de la performance et du système de récompenses. En outre, l’analyse de
Brickley (Op. cit., p. 26) démontre l’importance du renforcement mutuel de ces
composantes de l’AO. L’efficience de l’organisation est ainsi influencée par la cohérence
de ces trois dimensions. La TPA propose une analyse endogène de la répartition des droits
décisionnels en fonction de la localisation des connaissances nécessaires à la prise de
décision, puisqu’elle suppose un arbitrage entre les coûts (d’agence) générés par une
allocation décentralisée des droits décisionnels et les gains qui sont procurés par cette co-
localisation. En ce sens, la TPA est une théorie de l’AO dont l’efficience est lue à partir
d’une analyse de l’économie de coûts de la coopération. Comme le propose Charreaux
(1999, p. 132), « s’il fallait […] caractériser brièvement la TPA, nous dirions qu’il s’agit
d’une théorie des formes organisationnelles, fondée sur l’hypothèse que les individus
cherchent à profiter au mieux des gains de la coopération, notamment de la production et
de l’utilisation de la connaissance spécifique ».
Il ressort, de cette approche intégratrice de l’organisation, une leçon essentielle quand à
l’intérêt scientifique d’une analyse partenariale de la performance. Comme en témoigne la
réflexion de Charreaux et Desbrières (1998, p. 83) sur l’approche partenariale, « [celle-ci]
permet de revisiter le problème de la création et du partage de la valeur dans une
perspective enrichie qui ne se limite pas aux seuls actionnaires ». L’analyse de 161 Ces trois aspects sont déjà évoqués par Jensen (1983).
149
l’efficience organisationnelle pose par conséquent la question de l’efficacité des
mécanismes qui soutiennent les fonctions décisionnelles attachées au processus
décisionnel. La performance organisationnelle s’interprète alors comme la résultante de ce
processus décisionnel, en matière de choix d’investissement (créateur de valeur
organisationnelle) et de répartition des fruits de celui-ci entre divers participants à la
recherche commune d’avantages distinctifs (dans la combinaison des ressources) par
rapport aux concurrents. La TPA met l’accent sur l’examen de l’interdépendance des droits
décisionnels (gestion et contrôle) qui concourent à la rente partenariale, motivation
originelle de la coopération interindividuelle. A partir de son objet central, celui de
l’allocation des droits décisionnels et des mécanismes de coordination et de contrôle des
comportements et des interactions individuelles, cette théorie propose plusieurs champs de
recherche (Charreaux, 2000). En référence à l’analyse de Charreaux (1999, p.115 et
suivantes) sur l’évolution de la TPA, en ouvrant le champ d’analyse de l’AO, La TPA
propose une investigation centrée sur le comportement financier de l’organisation à partir
d’une analyse de la gouvernance organisationnelle et de son efficacité à l’égard de
l’ensemble des partenaires. La théorie de la gouvernance prend ainsi sa source dans
l’exploration de certaines dimensions de l’AO qui concernent plus spécifiquement le
dirigeant.
Section 2 : Architecture organisationnelle et gouvernement d'entreprise : vers une
théorie de la gouvernance partenariale
Le développement précédent a permis de démontrer le statut intégrateur de la TPA en
tant que théorie élargie de l’agence. Dès lors, l’AO peut s’interpréter comme une extension
de la relation d’agence initiale à l’ensemble des partenaires, dont les liens sont plus de
nature coopérative que de nature hiérarchique. Sur les traces de la TPA, la théorie de la
gouvernance a privilégié au départ162, une réflexion centrée sur les mécanismes de contrôle
du dirigeant par les actionnaires, en écho à l’analyse de la relation d’agence traditionnelle.
Cette approche financière traditionnelle de la gouvernance, développée notamment par
162 Très éloigné de notre propos ici, remarquons simplement à l’instar de la réflexion historique de Pagden (1998, p. 16) que la notion de gouvernance remonte au XVIIème siècle lors des tentatives de résorption des conflits entre les Etats d’Europe suite au colonialisme d’outre mer. A partir de cette approche historique, l’auteur rappelle que la gouvernance renvoie à la quête d’un ordre mondial ou de "voisinage global" qui se rapproche naturellement d’une lecture sur l’organisation.
150
Shleifer et Vishny163 considère la gouvernance comme les mécanismes par lesquels les
intérêts de l’agent sont alignés sur ceux du principal. Cette première lecture a pris une
orientation plus large en même temps que la TPA s’est intéressée aux autres relations du
dirigeant avec les différentes parties prenantes ayant un intérêt à participer à la
coopération164. Nous proposons un premier développement (2.1) sur les contours de la
théorie de la gouvernance que nous proposons de qualifier de partenariale pour aborder
ensuite, son articulation au sein de la théorie de l’AO (2.2). Nous concluons cette section
par la problématique qu’elle soulève dans le cadre de notre recherche sur la privatisation et
la performance organisationnelle (2.3).
2.1. Le gouvernement d'entreprise dans l’approche partenariale de l’organisation
Sur la base du cadre théorique de la TPA, la théorie de la gouvernance partenariale
(désormais TGP) considère l’organisation comme un système contractuel coopératif où
interagissent différents partenaires dont les intérêts divergent. Supposant l’existence de
conflits entre ces cocontractants au centre desquels agit le dirigeant, la TGP propose une
analyse du fonctionnement organisationnel à partir des mécanismes de gouvernance sur
lesquels s’appuient contractuellement ou non, les parties prenantes pour discipliner le
comportement décisionnel de l’agent dirigeant.
Selon le principe explicatif d’efficacité (et du critère de remédiabilité), les mécanismes
de gouvernance s’expliquent par la recherche d’une économie de coûts contractuels par les
différents partenaires. Elle est entreprise en raison de leur motivation à réaliser, maintenir
et/ou développer une coopération créatrice de richesse. A travers différents mécanismes, et
pour chaque contrat entre un partenaire et le dirigeant, le gouvernement d'entreprise
(désormais GE), permet ex ante d’aligner les intérêts sous contraintes cognitives et
d’incertitude. De manière complémentaire, le GE permet de résoudre les conflits survenus
ex post, non contractuellement prévus, tels que la TCI a pu les mettre en valeur.
Progressivement, les travaux en gouvernance ont identifié plusieurs types de mécanismes
163 Voir notamment leur synthèse critique des travaux sur la théorie de la gouvernance (1997). En référence aux problèmes d’agence causés par la séparation propriété-décision et l’incomplétude contractuelle, pour ces auteurs, la question fondamentale que pose le GE est celle relative aux moyens qui garantissent aux apporteurs de capitaux une rentabilité de leur investissement mis à disposition du dirigeant. 164 Cet intérêt participatif peut être direct ou non, selon que les individus sont contractuellement concernés par l’activité de la firme ou simplement lorsque leur utilité est affectée par elle sans qu’ils soient en relation contractuelle volontaire.
151
préventifs et curatifs des conflits d’intérêts entre le dirigeant et les autres partenaires
(Charreaux, 1997b, p. 423 et suivantes).
Deux typologies ressortent de ces travaux. La première à laquelle se rattache Jensen
(1983), utilise comme critère discriminant l’internalité165 de la discipline sur le dirigeant.
Elle permet de distinguer les mécanismes internes à l’organisation des mécanismes
externes. Dans cette optique Jensen (1993, p. 850) constate « [qu’]il existe seulement
quatre forces de contrôle effectif dans l’organisation pour résoudre les problèmes qui
résultent de la divergence entre les décisions des dirigeants et celles considérées comme
optimales d’un point de vue social » (NT166). Au système de contrôle interne au sommet
duquel se trouve le conseil d’administration, s’ajoutent les mécanismes externes tels que le
marché des capitaux, le système légal, politique et réglementaire et les marchés des biens
et services et du travail. Charreaux (1997b, p. 424) propose de rajouter à cette typologie les
mécanismes associés aux relations bancaires dont le rôle est davantage marqué dans le
contexte germano-nippon et latin que dans le contexte anglo-saxon167. Les mécanismes de
contrôle interne regroupent l’intervention des assemblées des actionnaires, la surveillance
mutuelle des dirigeants ainsi que les contrôles formels et informels entre employés.
Toutefois, cette première typologie s’éloigne de la problématique de la théorie élargie
de l’agence dans laquelle s’inscrit la TGP. Comme le remarque Charreaux (1997b, p. 425)
« [la vision contractuelle de la firme] en interdisant une définition précise des frontières de
la firme, notion dont elle nie même l’existence, ne permet pas en toute rigueur de
distinguer les mécanismes internes et externes ». Dans quelle mesure en effet, le comité
d’audit peut-il être considéré comme un organe de gouvernance externe, sa composition
étant une caractéristique de la firme ? Selon l’auteur, une typologie alternative du GE doit
être plus fidèle à l’interrogation soulevée par la TPA qui cherche moins à identifier les
frontières de la firme qu’à examiner les spécificités relatives de son comportement
adaptatif dans l’environnement. La typologie des mécanismes disciplinaires du
comportement du dirigeant doit faire apparaître la nature de leur influence sur les décisions
et sur la manière dont cette influence s’exerce. D’une part, l’influence directe sur les
165 Charreaux (1997b, p. 425) définit l’internalité comme "le pouvoir hiérarchique du dirigeant qui fixe les frontières de la firme". 166 « There are only four control forces operating on the corporation to resolve the problems caused by divergence between managers’ decisions and those that are optimal from society’s standpoint ». 167 L’annexe 5 reprend le tableau comparatif des systèmes de GE orientés marché et réseaux proposé par Charreaux (1997b, p. 465) parmi les études sur la comparaisons internationales des GE.
152
décisions prises par le dirigeant s’exerce par les mécanismes spécifiques à la firme. En
revanche, les mécanismes qui exercent une influence indirecte sur l’organisation parce
qu’ils concernent un ou plusieurs groupes d’organisations sont qualifiés par l’auteur de
mécanismes non spécifiques. D’autre part, cette influence vise à adapter le niveau
disciplinaire au comportement du dirigeant. Comme le relève Williamson (1991, p. 278)
dans son analyse comparative des structures de gouvernance (marché, formes hybrides,
hiérarchie), « le problème central de l’organisation du système économique est
l’adaptation » (NT168). Selon l’auteur, la nature adaptative des structures de gouvernance
permet de distinguer deux formes polaires. Le marché est une structure de gouvernance qui
privilégie une adaptation autonome, spontanée, comme le suggère la thèse de Hayek
(1945). A l’opposé, la hiérarchie est une structure de gouvernance dont l’adaptation passe
par le contrôle et la coordination administrative, comme par exemple à l'extrémité du
spectre, la bureaucratie publique. Cette forme alternative de gouvernance rejoint davantage
la thèse de Barnard (1938)169. Cette distinction insiste donc sur le caractère plus ou moins
intentionnel de la capacité adaptative de ces structures de gouvernance dans le cadre d’une
économie de coûts de transaction en univers instable. Cette perspective est transposée par
Charreaux (1997b) à l’analyse des mécanismes de GE afin d’en approfondir l’analyse. Les
mécanismes de gouvernance visent à réduire les coûts d’agence ou plus généralement les
coûts transactionnels170, de manière spontanée ou intentionnelle. Le regard critique de
Jensen (1993, p. 852 et suivantes) sur la défaillance des systèmes de contrôle internes de
grandes entreprises américaines constitue une illustration de l’importance de ces
mécanismes pour la survie des entreprises, dans la définition de leur stratégie. Cette
deuxième typologie permet d’envisager le GE comme un ensemble de mécanismes qui
encadrent le comportement décisionnel du dirigeant, de manière plus ou moins spécifique à
la firme et plus ou moins intentionnelle.
Charreaux (1997b) suggère ainsi une typologie de ces modes de gouvernance en
fonction de leurs degrés d’intentionalité et de spécificité171. Dans cet esprit, la TGP
consiste à expliquer le processus de création de valeur partenariale à partir des mécanismes
168 « the central problem of economic organization is adaptation ». 169 Williamson répond ainsi à la question qu’il pose dans son article et plus généralement dans le cadre de la TCT, « Si le miracle du marché est égalé par le miracle de l’organisation interne, alors en quoi l’un peut il être plus efficace que l’autre? » (NT, 1991, p. 278). 170 En référence à l’analyse de Hill et Jones (1992) traitée dans la section précédente. 171 L’annexe 6 reprend le tableau proposé par Charreaux (1997, p. 427) relatif à la typologie des mécanismes de gouvernance des entreprises.
153
centrés sur le dirigeant, dans une perspective d’efficacité contrainte par les institutions.
Dans cette optique partenariale, Charreaux définit le GE dans les termes suivants : « le GE
recouvre l’ensemble des mécanismes organisationnels qui ont pour effet de délimiter les
pouvoirs et d’influencer les décisions des dirigeants, autrement dit, qui gouvernent leur
conduite et définissent leur espace discrétionnaire »172. Cette lecture du GE partenarial
soulève la question des liens entre les mécanismes disciplinaires et le processus décisionnel
au centre duquel se trouve le dirigeant. Plus largement, quel est le positionnement du GE
dans la théorie de l’AO ?
2.2. Processus décisionnel : l’interface entre architecture organisationnelle et
gouvernement d'entreprise
En référence aux développements précédents, l’AO a pour focale la cohérence entre la
répartition des droits décisionnels et le système de coordination et de contrôle. La
gouvernance, quant à elle, est centrée sur les mécanismes qui encadrent le comportement
du dirigeant. En ce sens, le processus décisionnel étant structuré autour de l’allocation des
droits de gestion et de contrôle des décisions, les modes de GE sont susceptibles
d’intervenir à chaque étape du processus décisionnel tel que Fama et Jensen (1983 a et b)
l’ont défini et par conséquent, à l’égard de tout partenaire impliqué dans ce processus
décisionnel.
Dans cette optique, Charreaux (1997b, p. 431) propose une analyse du fonctionnement
du GE, à partir d’une association entre les fonctions décisionnelles (de gestion et de
contrôle des décisions) et les modalités d’action de la gouvernance. Concernant la fonction
de gestion de la décision, elle s’exerce par l’initiative et la mise en œuvre des décisions par
le dirigeant. Plusieurs mécanismes sont susceptibles de limiter les choix décisionnels du
dirigeant et sa marge de manœuvre lors de leur exécution. La fonction de gestion des
décisions peut ainsi être soutenue par des mécanismes spécifiques à la firme comme le
conseil d’administration (dans le cadre de l’élaboration par le dirigeant, de projets
stratégiques soumis aux actionnaires) ou la culture d’entreprise. La mise en œuvre des
décisions peut être encadrée a priori par les règles comptables et budgétaires qui
contribuent à délimiter la marge de manœuvre du dirigeant dans l’exécution de ces
172 En introduction de l’ouvrage général collectif « Le Gouvernement d’entreprise, Corporate Governance - Théories et Faits ». Charreaux éd. (1997).
154
décisions. Des mécanismes non spécifiques peuvent également intervenir dans la
délimitation de cette latitude managériale en matière d’élaboration ou d’exécution des
projets, comme l’influence que peuvent exercer les marchés dans la définition des options
stratégiques ou les contraintes légales. La fonction de contrôle qui combine ratification
(choix final) et surveillance de la décision, est susceptible d’être exercée à l’appui de
mécanismes plus ou moins spécifiques. Ils permettent a priori, à l’ensemble des parties
prenantes d’orienter le choix final et/ou la mesure de performance du dirigeant, selon leur
accès plus ou moins direct à celui-ci, lors des décisions, comme par exemple, les
influences plus ou moins directes par les groupes de pression, les marchés des capitaux,
des biens et services, politique ou social173.
Ces différents modes d’encadrement du comportement du dirigeant via le processus
décisionnel s’exercent de manière plus ou moins directe et explicite, dans le cadre d’une
transaction particulière de la firme, ou via son environnement légal. Ainsi, les différentes
parties prenantes, en relation volontaire ou non avec la firme, peuvent influencer les
décisions directement ou indirectement, via différents mécanismes comme :
- les mécanismes intentionnels spécifiques : le conseil d’administration pour
l’actionnaire dominant par exemple,
- les mécanismes spontanés non spécifiques tels que le marché des biens et services,
les médias et/ou le marché social pour les citoyens,
- combinés éventuellement à des mécanismes intentionnels non spécifiques comme
par exemple, les associations de consommateurs pour les clients et autres groupes de
pression.
En plus de ces influences plus ou moins directes sur le comportement du dirigeant, les
partenaires de la firme qui sont en relation contractuelle avec elle, bénéficient des termes
des contrats pour influer de manière plus contraignante les choix du dirigeant. Les
modalités de la coopération définies de manière plus ou moins explicite leur permettent de
recourir à des mécanismes comme :
- les mécanismes intentionnels spécifiques en soutien des relations contractuelles
explicites, tels que les conditions et modalités de rémunération et de sortie de
chaque cocontractant par exemple ;
173 Le marché du capital social retenu dans la typologie de Charreaux fait référence aux attributs sociaux attachés aux relations sociales tels que Coleman (1988) les envisagent. Il s’agit du capital confiance et de l’information produits dans le cadre des réseaux ainsi que des normes éthiques propres à ses réseaux. Ce marché du capital social exerce a priori une influence plus ou moins directe sur le comportement du dirigeant, tant au niveau de ses choix de gestion qu’au niveau de son évaluation (Charreaux, 1997, p. 428).
155
- les mécanismes spontanés spécifiques qui définissent davantage les relations
contractuelles implicites comme les réseaux de confiance entre cadres dirigeants par
exemple.
Enfin, ces différents modes de gouvernance se combinent aux modes disciplinaires
ayant force légale dont bénéficient les parties prenantes qu’elles soient en relation
contractuelle ou non avec la firme. Il s’agit des mécanismes suivants :
- les mécanismes intentionnels non spécifiques tels que le cadre légal et réglementaire
comme le droit du travail et les règles sous-jacentes aux relations de travail
(procédure et indemnités de licenciement en cas de sortie de la transaction par
exemple), la réglementation de certaines activités via des autorités indépendantes
(comme l’autorité de régulation des télécommunications, l’ART en France) ou les
règles supra nationales relatives par exemple à la concurrence ;
- les mécanismes intentionnels spécifiques qui découlent du cadre réglementaire et
légal ci dessus (notamment prévus par la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés
commerciales). Le plus célèbre au sein de la société anonyme est le conseil
d’administration qui réglementairement174 et statutairement, exerce la fonction de
ratification de certains types de décision (recrutement, révocation du dirigeant, type
d’opération financière) ou l’assemblée générale qui délibère et statue sur les
comptes annuels et l'assemblée extraordinaire des actionnaires qui est seule habilitée
à modifier les statuts175.
Le tableau suivant reprend les différents types de mécanismes d’après la typologie de
Charreaux (1997b, p. 427). Nous l’adaptons cependant par rapport à la nature
réglementaire, contractuelle ou d’influence de ces mécanismes. Nous distinguons ainsi les
mécanismes spécifiques et non spécifiques à la firme, intentionnels ou spontanés, en
fonction de ces trois natures possibles, sachant qu’elles sont complémentaires voire
substituables selon les contextes organisationnels.
174 L’article 98 de la loi française sur les sociétés commerciales stipule que « le conseil d’administration est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société; il les exerce dans la limite de l’objet social et sous réserve de ceux expressément attribués par la loi aux assemblées des actionnaires ». 175 A ce propos, notons à l’instar de Milgrom et Roberts (1997, p. 410) que les actionnaires via le conseil d’administration, détiennent un droit plutôt bien défini contractuellement de sorte que la partie résiduelle qui justifie traditionnellement leur statut privilégié de créancier résiduel est minime. Toutefois, les décisions de la firme pouvant affecter (négativement ou positivement) la richesse de cette catégorie particulière de partenaires, (incidence particulièrement bien mesurée comparativement à d’autre partenaires), ils demeurent un des créanciers résiduels importants dans l’analyse du processus décisionnel.
156
Tableau 7 : Nature de la gouvernance et typologie des mécanismes de GE, adapté de
Charreaux (1997b, p. 427)
Nature de la gouvernance
Mécanismes spécifiques intentionnels spontanés
Mécanismes non spécifiques intentionnels spontanés
Réglementaire
- Assemblées des actionnaires - Conseil d’administration ou biconseil - Syndicat « maison » - Comité d’entreprise
- Environnement légal/réglementaire - Syndicats nationaux - Auditeurs légaux - Associations de consommateurs…
Contractuelle
- Rémunération - Structure formelle - Auditeurs internes
- Surveillance mutuelle entre dirigeants - Culture d’entreprise - réputation auprès des salariés - Réseaux de confiance informels
Marchés : - des biens/services - financier - du travail - de la formation - politique - du capital social
Influence des parties prenantes
Environnement sociétal et médiatique
La force contraignante de ces différents mécanismes est d’autant plus grande qu’elle est
encastrée dans les règles du jeu institutionnelles pour lesquelles la force légale prévaut.
Ainsi, comme le suppose Charreaux (1997b, p. 433) ces mécanismes disciplinaires ont un
pouvoir contraignant croissant. Les plus actifs sont la gouvernance réglementaire et
institutionnelle, puis ses traductions explicites et implicites au niveau des relations
contractuelles et éventuellement les influences directes et indirectes exercées par les parties
prenantes affectées par les décisions de l’organisation sans nécessairement être en relation
contractuelle avec elle. Notons cependant, que tous ces mécanismes n’agissent pas
systématiquement pour toutes les organisations. La gouvernance est une caractéristique de
l’organisation dans le sens où, au départ, elle émane de la configuration des relations
contractuelles avec ses partenaires. La gouvernance institutionnelle permet en outre
d’identifier à l’échelle nationale des particularités comme Wirtz (2000) le démontre dans
sa thèse sur le GE et la politique de financement en France et en Allemagne.
Ces mécanismes qui encadrent le comportement du dirigeant résultent de l’allocation
des droits décisionnels entre les partenaires. Ils sont ainsi susceptibles d’influer sur les
décisions prises par le dirigeant, selon les modes d’action susmentionnés. En conséquence,
le GE représente un ensemble de mécanismes complémentaires et/ou substituables qui
encadrent le processus décisionnel et par suite le comportement de l’agent dirigeant. Le GE
constitue une dimension centrale de l’AO puisqu’il reflète la combinaison d’un aspect de
157
l’allocation des droits décisionnels et d’un aspect du système de contrôle et d’évaluation,
relatifs au dirigeant.
Sur la base du schéma de Jensen (1998, p. 3) relatif aux blocs constitutifs de la TPA et du
schéma de Brickley et al (1997, p. 27) relatif aux déterminants des liens entre architecture,
stratégie et valeur de la firme, nous proposons à travers le schéma suivant, une lecture des
contours de la TPA et du positionnement de la TGP dont elle est issue. Dans le
prolongement de la définition de Charreaux (1997b) retenue précédemment, le GE est alors
envisagé comme une réponse endogène du processus décisionnel, constitutif du niveau
central de l’AO.
Schéma 4 : La théorie de la gouvernance, un champ spécifique de la TPA comme théorie
de l’architecture organisationnelle (AO)
Environnement externe « structures de gouvernance institutionnelles » ou GE non
spécifiques
Marchés...
Cadre légal et réglementaire
Clients Fournisseurs
Concurrents
Firme Organisation
Droits décisionnels/ connaissances
Gestion décisions
Contrôle décisions
Système d’évaluation de la performance
Système de récompenses/
sanctions
1
2 3
Actionnaires
Dirigeant
Salariés
GE GE
Biens & services
Capitaux
Travail
Etat
Groupes d'intérêts (syndicats, associations)
Professions réglementées Audits légaux
Banques
mécanismes non spécifiques
mécanismes spécifiques
mécanismes spécifiques
AO
158
Ce schéma met en évidence, la représentation de l’organisation comme centre de
contrats entre divers partenaires. Ces contrats bilatéraux avec le dirigeant, à l’interface de
toutes les transactions définissent l’allocation des droits décisionnels de sorte que les coûts
contractuels soient minimisés. Le processus décisionnel au centre duquel agit le dirigeant
est à l’origine de l’AO. Celle-ci combine la répartition des droits décisionnels et les
systèmes de contrôle et d’évaluation de la performance. Au centre de cette AO intervient le
dirigeant, comme interface des différents partenaires. Les structures de gouvernance
institutionnelles au sens de Hill et Jones (Op. cit.) en tant que mécanismes non spécifiques
de gouvernance contribuent à la définition de l’AO. Notamment, les différents marchés au
sein desquels la firme contracte avec plusieurs partenaires (salariés, clients, fournisseurs,
investisseurs financiers principalement), les groupes d’intérêts (syndicats nationaux,
organisations professionnelles) et le cadre réglementaire et légal dans lequel sont encastrés
les transactions (et leurs effets sur les parties prenantes) sont susceptibles d’influer sur le
processus décisionnel, défini comme l’articulation des fonctions décisionnelles de gestion
et de contrôle des décisions. En son centre, le dirigeant est chargé de définir une politique
organisationnelle qui combine les intérêts multiples en vue de développer la coopération
entre les différents partenaires.
La divergence d’intérêts entre les parties est source de conflits potentiels, lesquels sont
partiellement encadrés via les mécanismes spécifiques et non spécifiques à la firme176.
Chaque partie prenante au processus décisionnel bénéficie spontanément ou de manière
intentionnelle de différents mécanismes disciplinaires dont la combinaison forme le GE. Le
dirigeant, au centre du nœud contractuel est encadré par ce GE via l’allocation des droits
décisionnels entre les parties prenantes. La liberté d’action laissée par l’impossibilité du
GE d’encadrer parfaitement le comportement décisionnel du dirigeant définit son espace
discrétionnaire, nécessaire à la gestion du slack organisationnel177 dans le cadre de sa
stratégie de mise en consensus des intérêts des diverses parties prenantes. La création de
valeur partenariale résulte ainsi de la variation d’utilité perçue par chaque partenaire au
sein de l’AO. Cette valeur partenariale dépend de l’efficacité de la gouvernance à encadrer
le processus décisionnel et le comportement managerial.
176 Cf. Charreaux (1998) 177 Cf. Charreaux et Desbrières (1998).
159
Cette lecture de la TGP dans la perspective de notre recherche sur les relations de la
privatisation et la performance permet de reformuler la problématique initiale développée
dans la littérature. Notamment, la TGP permet de distinguer deux niveaux d’analyse.
D’une part, en focalisant sur la répartition des droits décisionnels, la TGP permet
d’envisager les liens entre privatisation et AO, notamment son axe central, le GE. D’autre
part, la problématique centrale de la TGP soulève la question des effets de cette dynamique
organisationnelle sur la valeur partenariale.
Section 3 : Privatisation et gouvernance partenariale : l’intégration de la
dynamique organisationnelle dans la problématique de l’efficience
Cette approche de la TGP fait ressortir deux enseignements intéressants pour notre
problématique de recherche sur la relation entre privatisation et performance. La
privatisation telle que nous l’avons définie en première partie, semble engager un ensemble
de modifications environnementales et organisationnelles. De plus, cette dynamique
organisationnelle suggère une analyse intermédiaire quant aux effets organisationnels de la
privatisation sur le processus de création et de répartition de la valeur organisationnelle.
3.1. Privatisation : déséquilibre institutionnel et processus adaptatif de
l’organisation
Ce regard partenarial de l’AO permet d’envisager, dans les termes de Hill et Jones
(1992), la privatisation comme un déséquilibre. Ce déséquilibre est de nature
institutionnelle, puisque la privatisation est traduite par des textes législatifs. En référence
au principe d’efficacité, ce phénomène d’instabilité est donc susceptible de conduire à un
processus d’adaptation de l’organisation. L’élargissement de l’approche contractuelle de la
firme met l’accent sur le pouvoir des parties prenantes sur le processus décisionnel en
termes de contrôle du comportement du dirigeant. Le déséquilibre induit par la
privatisation est donc susceptible de modifier les rapports des parties prenantes au
processus décisionnel, notamment au niveau des fonctions de contrôle et des mécanismes
de gouvernance qui soutiennent leur exercice optimal. De manière complémentaire, la
position centrale du dirigeant dans son rôle de médiateur (Hill et Jones, Op. cit., p. 145) au
sein du nœud de contrats est susceptible d’être touchée par la privatisation. Notamment, en
déséquilibrant la configuration partenariale (introduction de partenaires privés dans le
160
capital par exemple) la privatisation engendre un déséquilibre qui peut être favorable au
dirigeant, dans le cadre de sa stratégie personnelle face aux opportunités de dépendance de
certains partenaires à son égard. Ce déséquilibre, éventuellement renforcé par une
libéralisation sectorielle peut a priori influencer la structure contractuelle de la firme qui
encadre la mobilisation des diverses ressources apportées.
3.2. Dynamique du GE et privatisation : l’analyse du processus de création et de
répartition de la valeur partenariale
Théoriquement, la modification de l’AO modifie les choix d’allocation de ressources et
de rémunération en fonction des rapports de pouvoir sur le processus décisionnel. En outre,
elle peut induire un changement du niveau de minimisation des coûts d’agence ou plus
largement des coûts contractuels. Ceux-ci dépendent du rôle actif des mécanismes de
gouvernance, issus de leur modification et de leur combinaison lors de la privatisation. Le
transfert d’actifs de la sphère publique à la sphère privée semble donc agir sur la capacité
de la firme à minimiser les coûts organisationnels et en particulier le coût résiduel c’est-à-
dire les coûts nets engendrés par la divergence d’intérêts non maîtrisée par la gouvernance.
Dans cet esprit, la privatisation conduit à une modification de l’AO.
L’évolution du design organisationnel, en particulier du GE est alors susceptible de
conduire à une modification du processus de création de valeur, via une re-configuration
du processus décisionnel. En ce sens, la privatisation modifie a priori, la formation de la
valeur partenariale et sa répartition entre les partenaires. La lecture de la privatisation à
partir de la TGP soulève ainsi une double question. D’une part, comment la privatisation se
traduit-elle au niveau du processus décisionnel et du GE ? Quelles sont alors les
conséquences de cette évolution du centre de l’AO sur le processus de création et de
répartition de la valeur organisationnelle ? Autrement dit, comparativement à l’approche
développée dans la littérature, notre recherche propose une perspective renouvelée de la
privatisation. Notre objectif est, rappelons-le, d’approfondir les implications plus ou moins
explicites de la privatisation sur l’architecture de la firme. A l’appui de ce développement,
nous reposons la question des effets de la privatisation sur la valeur partenariale à partir
d’une analyse du fonctionnement organisationnel fondée cette dimension de l’AO, le
processus décisionnel et son expression en termes de GE ?
161
Le schéma suivant propose une lecture de la problématique relative aux liens entre
privatisation et performance, telle que la TGP permet de la renouveler. Celle-ci constitue
ainsi un cadre théorique intégrateur des différentes approches proposées dans la littérature
sur la privatisation et ses conséquences organisationnelles sur la performance.
Schéma 5 : Privatisation et processus décisionnel, une lecture de la dynamique organisationnelle à travers la théorie de la gouvernance partenariale
Conclusion du chapitre 3
L’ambiguïté des résultats empiriques sur la relation traditionnelle entre
privatisation/propriété/performance suggère un retour sur l’analyse théorique. Notre
synthèse du cadre conceptuel de la TPA souligne la pertinence de la grille théorique de la
gouvernance pour améliorer notre compréhension des processus organisationnels sous-
jacents à la privatisation. Dans cet esprit, l’intégration des différents prismes contractuels
de l’organisation au sein d’un même cadre analytique permet de reconsidérer les liens entre
privatisation/propriété/performance sous l’angle de l’AO. Cette lecture du fonctionnement
de la firme permet d’intégrer la dynamique organisationnelle au niveau du processus
décisionnel et du système de gouvernance partenariale. En ce sens, une analyse de la
privatisation à partir de la TGP est susceptible d’approfondir les mécanismes qui
interviennent dans le processus de création et de répartition de la valeur organisationnelle
lors de la privatisation. Une telle analyse est donc susceptible d’apporter certaines
Privatisation Architecture organisationnelle
Processus de création /
répartition de la valeur
Performancepartenariale
Système de répartition des droits décisionnels
Performance partenariale
Fournisseurs
Système de coordination et de contrôle
Actionnaires Salariés
Banques
Clients
GE dirigeant
I
II III
162
explications à l’ambiguïté constatée au niveau des résultats empiriques. Cette lecture
contractuelle de la privatisation nous conduit dans le chapitre suivant, au développement
d’un modèle explicatif des relations complexes entre la privatisation et la performance
organisationnelle. Le chapitre 4 est ainsi consacré à différents groupes de propositions
théoriques produites à partir d’une lecture de ce phénomène organisationnel, sous l’angle
de la théorie de l’AO et plus spécifiquement de la TGP.
163
Chapitre 4
Analyse de la privatisation à partir de la théorie de la gouvernance partenariale : une
relecture du lien entre propriété et performance
La science est une activité marquée par la dimension personnelle tout autant que l’art,La science est une activité marquée par la dimension personnelle tout autant que l’art,La science est une activité marquée par la dimension personnelle tout autant que l’art,La science est une activité marquée par la dimension personnelle tout autant que l’art, même si sa récompmême si sa récompmême si sa récompmême si sa récompense majeure est la vérité plutôt que la beauté.ense majeure est la vérité plutôt que la beauté.ense majeure est la vérité plutôt que la beauté.ense majeure est la vérité plutôt que la beauté.
S. J Gould, Essai n°8, p. 127.S. J Gould, Essai n°8, p. 127.S. J Gould, Essai n°8, p. 127.S. J Gould, Essai n°8, p. 127.
164
Dans le cadre de notre recherche sur le lien entre privatisation et performance, la lecture
précédente du positionnement théorique de la TPA et de son champ de la gouvernance,
suggère un examen des effets de la privatisation sur le processus décisionnel dans ces
différentes dimensions interdépendantes (répartition des droits décisionnels et
caractéristiques des systèmes de coordination et de contrôle). Notre question de recherche
relève dès lors, des effets de la privatisation sur ces mécanismes constitutifs du système par
lequel la firme et plus précisément son dirigeant, sont dirigés et contrôlés par rapport à
l’objectif de création d’un avantage compétitif durable. En référence aux questions
soulevées dans le chapitre précédent par la TPA, nous proposons une réinterprétation de la
privatisation au regard de la théorie de l’AO (section 1). Cette nouvelle lecture nous
conduit à envisager deux niveaux d’analyse afin de modéliser les liens théoriques suggérés
par notre problématique de recherche178. D’une part, la privatisation en tant que transfert
de la propriété (au sens large) au profit d’agents privés est susceptible de modifier l’AO
(section 2). A partir de la relecture de la définition de la privatisation, une première série de
propositions présente les implications organisationnelles de la privatisation notamment sur
le processus décisionnel et le système de GE. Cette première série de propositions est donc
relative aux effets de la privatisation sur la dimension centrale de l’architecture
organisationnelle. D’autre part, en référence au cadre théorique de la TGP, cette
dynamique organisationnelle dans le contexte particulier de la privatisation, influe
théoriquement sur le processus de création et de répartition de valeur organisationnelle
(section 3). Une seconde série de propositions théoriques permet de compléter notre
analyse explicative des effets de la privatisation sur le niveau de performance partenariale.
Ce deuxième groupe de propositions est consacré aux implications de la modification de
l’AO sur la performance aux yeux de différents partenaires.
Avant d’aborder le développement de notre modèle explicatif, précisons le choix
méthodologique pour lequel nous avons opté dans le cadre de l’élaboration de notre
modèle. Afin d’accentuer les liens théoriques nous choisissons de retenir les
caractéristiques les plus marquées des différentes variables concernant la problématique de
la privatisation (entreprise publique, entreprise privée, etc.). Aussi, il peut apparaître dans
les développements qui suivent des accentuations volontaires de certains traits de
l’organisation qui n’éludent cependant pas la portée et l’intérêt du modèle, bien au
178 Une première version de notre modèle appliqué à la privatisation de France Télécom apparaît dans Catelin et Chatelin (2001).
165
contraire. Nous rejoignons ici Williamson (1999, p. 321) selon lequel « les cas extrêmes
sont choisis pour l’analyse, précisément parce qu’ils permettent souvent de découvrir « les
aspects essentiels de la situation » qui ne sont pas patents lorsque sont examinées des
transactions plus banales » (NT)179.
Section 1 : Une ré-interprétation de la privatisation au regard de la TPA
Comme nous l’avons montré en première partie, les travaux abordés dans la littérature
ainsi que les différents lectures contractuelles de l’organisation laissent ouverte finalement
la question des effets de la privatisation sur la performance de la firme. Ce chapitre a pour
objectif une relecture de ces liens à partir de la TPA qui tente d’intégrer les apports de la
littérature contractuelle. Comme le suggère notre développement précédent sur cette
théorie du fonctionnement organisationnel (chapitre 3), nous consacrons cette première
section à la lecture de la privatisation au regard de cette théorie de l’architecture de
l’organisation. Ainsi, avant d’aborder les liens soulevés par notre question de recherche, le
développement suivant porte sur l’enrichissement du concept de privatisation dans la
perspective proposée par la TPA.
En référence aux développements de la première partie de notre travail, relatifs aux
contours de la privatisation, dans sa forme la plus forte c’est-à-dire l’OPV, la privatisation
est une ouverture partielle ou totale du capital de l’entreprise publique aux actionnaires
privés. Notre champ d’investigation se limitera à ce cas de privatisation. Deux raisons
motivent ce choix. La prise en compte des différentes formes de privatisation
complexifierait l’analyse. Son pouvoir explicatif perdrait alors de sa substance. En
revanche, ce choix n’exclut pas une réplication du modèle et son adaptation à des contextes
de privatisation variés. C’est d’ailleurs une ouverture nécessaire à l’évaluation de sa propre
plausibilité. De plus, le cas retenu intègre la totalité des modifications possibles du
processus décisionnel induites par la privatisation. A l’instar de la remarque
méthodologique de Williamson (Op. Cit), elle constitue donc un cas extrême de la
modification du processus décisionnel. Son analyse permet en ce sens d’accentuer les
changements organisationnels.
179 « extreme instances are chosen for study precisely because they often help to uncover « essentials of the situation » that are not evident when more mundane transactions are examined » (guillemets de l’auteur).
166
Au sens légal du terme, la privatisation constitue un double changement de la propriété
de l’entreprise. Tout d’abord, la privatisation au sens fort, modifie la nature de la propriété,
via son transfert à des acteurs privés. En ce sens, la privatisation implique un passage de la
propriété du domaine public au domaine privé. En outre, elle agit sur sa structure, via la
composition qui résulte du premier changement. Comme nous l’avons abordé en première
partie, la privatisation, notamment dans les pays occidentaux, s’est souvent traduite par la
constitution d’un noyau dur ou groupe d’actionnaires partenaires (GAP) ainsi que par
certaines restrictions quant au pourcentage de détention du capital par des investisseurs
étrangers ou quant à l’existence ou non d’une golden share, comme l’a introduite le
programme des privatisations au Royaume Uni ou en France. Cette vision juridique de la
propriété est à l’origine de la problématique traditionnelle de la performance. La
privatisation envisagée comme un changement de propriété au sens juridique implique une
analyse dichotomique de la performance. Cette lecture de la privatisation suggère en effet
une analyse des facteurs de performance spécifiques à la propriété publique et à la
propriété privée. Elle a ainsi nourri une partie des travaux théoriques et empiriques relatif
au débat traditionnel entre propriété et performance, comme en témoigne la première partie
de cette recherche. Cependant, en orientant l’analyse sur les sources d’inefficience liées à
la nature publique ou privée de la propriété et au comportement de chaque type de
propriétaire, cette perspective de la privatisation a limité la compréhension des effets de la
privatisation sur la performance.
Toutefois, une orientation économique de cette problématique a privilégié une analyse
comparative des formes organisationnelles publiques et privées qui a mis en évidence une
conception économique de la propriété fondée sur les droits décisionnels. Ainsi, la TCI a
permis de caractériser les deux types d’entreprise à partir des spécificités du droit résiduel
de contrôle. Ce droit fait référence à la décision, en univers d’incomplétude contractuelle,
de l’usage de la ressource à laquelle ce droit renvoie. Le propriétaire d’une ressource est
alors celui qui détient le pouvoir de décider de l’utilisation de cette ressource en cas
d’événement imprévu. La propriété s’entend alors comme une fonction d’assomption du
risque contractuel et de contrôle qui, selon le principe d’efficacité, est allouée à celui qui
est le mieux à même de l’exercer, autrement dit celui qui est le plus exposé à l’incertitude
contractuelle résiduelle. Ainsi, l’approche endogène de la propriété conclut de manière
moins prononcée à l’inefficience supérieure de la propriété publique. Elle a permis de
souligner l’intérêt d’une prise en compte des interactions des différentes variables
167
constitutives de chaque forme économique (chapitre 2), élargissant de ce fait la première
perspective de la privatisation.
Dans le prolongement de cette analyse comparative à partir des différents prismes
théoriques contractuels, la TPA suggère un examen du processus décisionnel qui combine
les droits de gestion et de contrôle des décisions et la structure des connaissances
spécifiques pour leur juste valorisation. Comme nous l’avons examiné dans le précédent
chapitre, cette perspective souligne l’importance d’une double colocalisation qui, dans
certains contextes organisationnels, se traduit par une séparation fonctionnelle du
processus décisionnel. Une organisation efficiente, c’est-à-dire qui minimise ses coûts
d’agence, se caractérise d’un coté, par une colocalisation du droit de gestion de la décision
et de l’information nécessaire à la prise de décision, et de l’autre coté, par une
colocalisation du droit de contrôle et de l’information nécessaire à son exercice optimal.
Ainsi en est-il des organisations ouvertes efficientes, au sein desquelles, selon Fama et
Jensen (1983), la diffusion de l’information spécifique entre de nombreux agents
(organisation complexe) s’accompagne d’une double séparation. La séparation des
fonctions d’assomption du risque et de contrôle de la décision (capital diffus) est combinée
à la séparation de la fonction de gestion allouée aux détenteurs de l’information nécessaire
à une gestion optimale et de la fonction de contrôle de ces mêmes décisions (firme
managériale). A l’inverse, une organisation fermée se caractérise par une concentration des
fonctions de contrôle, d’assomption du risque et de gestion dans les mêmes mains
(l’entreprise familiale, par exemple). Enfin, comme nous l’avons déjà examiné, une
extension de leur analyse permet de distinguer une forme intermédiaire. La firme contrôlée
se distingue des deux précédentes par une séparation faible des fonctions de propriété et de
contrôle (actionnaire dominant au sein d’un actionnariat large) et, au sens large, une
séparation réduite des fonctions de décision et de contrôle, le dirigeant étant fortement
dépendant de l’actionnaire dominant (Charreaux et Pitol-Belin, 1985a).
Cette analyse, transposable à tous les niveaux de l’organisation, implique la prise en
compte de plusieurs partenaires susceptibles d’être affectés par l’incertitude résiduelle liée
aux décisions de la firme. En ce sens, au regard de la TPA, la privatisation est susceptible
de modifier la prise de décision et les rapports des différentes parties prenantes à ce
processus décisionnel.
168
Dès lors, la privatisation définie au départ de notre réflexion, comme le transfert d’actifs
détenus par des agents publics vers des agents privés peut être interprétée d’une manière
différente. En effet, le changement juridique de propriété se traduit par un passage de la
propriété publique à la propriété privée au sens économique du terme. Il soulève la
question du changement des caractéristiques du processus décisionnel, central dans l’AO.
En ce sens, la privatisation peut être redéfinie comme une réallocation des étapes du
processus décisionnel au profit d’agent privés, en fonction de la localisation de
l’information spécifique (tant en matière de contrôle que de gestion de la décision) et des
agents assumant le risque résiduel. Cette interprétation de la privatisation suggère par
conséquent, un abandon partiel ou total des fonctions de décision et de contrôle par les
pouvoirs publics. Autrement dit, la privatisation d’entreprise consiste pour le propriétaire
public, à céder à d’autres agents, non publics, les fonctions décisionnelles initialement
réparties au sein des pouvoirs publics. Afin de comprendre de quelle manière la
privatisation ainsi redéfinie, modifie ce processus décisionnel, il convient d’examiner au
regard de la TPA, les caractéristiques de ce processus de décision public. Cet aspect central
de l’AO publique, une fois identifié et soumis à une analyse de la privatisation telle que
nous venons de la redéfinir, devrait conduire à l’identification d’un processus décisionnel
privatisé. L’ensemble de cette démarche d’analyse est conduite à l’appui des apports de
l’analyse comparative contractuelle et de la théorie de l’AO.
Section 2 : Privatisation, un changement d’architecture organisationnelle :
première série de propositions
L’objectif de ce développement est de démontrer, à partir d’une lecture de l’AO quels
sont les effets de la privatisation sur les caractéristiques centrales de l’organisation, telles
que nous les avons envisagées au regard de la TPA. Nous proposons à partir de l’analyse
précédente un premier bloc constitutif du modèle des liens complexes entre privatisation et
performance partenariale. La portée de cette première modélisation est double. D’une part,
nous proposons une première réponse aux questions soulevées par notre synthèse de la
littérature. En ce sens, nous tentons d’élaborer une explication des processus
organisationnels mis en jeu lors d’une privatisation avant de pouvoir statuer sur les effets
de cette dernière sur la performance180. D’autre part, en exploitant la grille de lecture de la
TPA et plus spécifiquement de la TGP, nous cherchons à mettre à l’épreuve cette théorie 180 que nous aborderons en troisième section.
169
par l’enrichissement qu’elle est susceptible d’apporter à la problématique complexe,
soulevée par la privatisation.
Dans la mesure où la dimension centrale de l’architecture d’une organisation repose sur
le processus décisionnel, nous examinons à l’appui des développements précédents les
mécanismes par lesquels la privatisation en modifie les composantes (2.1). En outre, les
développements précédents ont insisté sur la nécessité de prendre en compte le
fonctionnement systémique de l’organisation pour approfondir notre compréhension du
fonctionnement organisationnel. Nous proposons donc une analyse des implications
précédentes relatives au processus décisionnel sur le système de GE (2.2). Pour clore ce
premier bloc de notre modèle, nous examinons l’impact de la privatisation sur le
comportement du dirigeant, acteur central de la TGP (2.3).
2.1. Privatisation et système de propriété : la dynamique du processus décisionnel
En référence aux analyses présentées dans les chapitres 2 et 3, le processus décisionnel
public peut être examiné à partir de deux dimensions liées. D’une part, la propriété
publique peut être définie à partir du droit de décision résiduelle public (DDRP). D’autre
part, le processus décisionnel attaché à la propriété publique organise les droits
décisionnels de gestion et de contrôle. Comme nous l’avons montré dans le chapitre
précédent, le droit de contrôle et le droit de décision résiduelle sont liés.
Le DDRP181 associé à la fonction d’assomption de l’incertitude résiduelle présente des
caractéristiques variables selon le type d’entreprise publique concernée. En référence au
tableau synoptique 6 des caractéristiques organisationnelles publiques et privées, cette
fonction d’assomption de l’incertitude est exercée par différentes entités. Dans l’acception
la plus large de l’entreprise publique, rappelons que cette fonction d’incertitude qui fonde
la propriété est considérée comme étant exercée par les citoyens182. Toutefois, si l’on
admet que les pouvoirs publics sont les délégués de ces derniers, le processus décisionnel
public dans sa forme la plus prononcée se caractérise par un DDRP d’autant plus étendu
que la structure publique est fortement marquée par le contrôle des décisions par
différentes instances des pouvoirs publics (tutelles de cogestion, d’instrumentalisation et
réglementaires). Autrement dit, la fonction de contrôle des décisions qui regroupe la
181 développé dans le schéma n°3 du chapitre 2. 182 Cf. Chapitre 1.
170
ratification et la surveillance implique d’autant plus d’acteurs publics que le DDRP
concerne de nombreux types de décisions (technique, économique et financière). En
conséquence, le processus décisionnel public se caractérise par une fonction de contrôle
des décisions très diluée dans la forme la plus forte d’entreprise publique, la tutelle
administrative. La séparation propriété/contrôle paraît aussi forte au sens large, si les
citoyens sont considérés comme les détenteurs des DDRP, déléguant la fonction de
contrôle aux pouvoirs publics, qu’au sens plus strict des pouvoirs publics propriétaires et
contrôleurs multiples.
En outre, l’analyse de Glachant (1994, p. 110 et suivantes) des formes d’entreprise, des
relations de travail et de tutelle permet de montrer que le formalisme du contrôle paraît
d’autant plus fort que le DDRP est étendu et la fonction de contrôle diluée. Par exemple,
dans le cas le plus restreint du DDRP, les relations de la société anonyme de capitaux
(holding) avec ses tutelles sont « contenu[es] dans un cadre très léger, resserré et non
formalisé » (p. 111). A l’inverse, les structures publiques pour lesquelles le DDRP est très
étendu (unité administrative et EPIC) développent des relations avec leurs tutelles
largement soutenues par le « cadre juridique et réglementaire des relations salariales sous
la forme dite de statut » (p. 110). Enfin, la situation intermédiaire est celle des entreprises
publiques de statut privé, mais à actionnariat public. Ces « maisons mère unité de
production, subdivisée en établissements » (ex Régie Renault) ont des relations très
hétérogènes avec leurs tutelles comme l’observe Glachant (Op. Cit). Certains accords
débouchent, comme pour les entreprises à statut « sur des procédures très élaborées […] et
une substantielle codification […] des relations de travail dans les différents
établissements ». Toutefois, ces cas intermédiaires relèvent aussi des accords de branches
(donc applicables également aux entreprises privées) et certains d’entre eux « conserve[nt]
une possibilité de renégocier ou de dénoncer le contrat si besoin » (p. 112).
Ce spectre de la fonction de contrôle public reflète la superposition des relations
d’agence publique déjà évoquées ainsi que les sources de coûts liées aux objectifs
multiples et contradictoires et aux risques d’expropriation des efforts du dirigeant.
171
Ainsi, en référence à la distinction de Glachant entre les tutelles courantes et la tutelle
haute183, la fonction de contrôle public s’exerce via le cahier des charges (tutelle
technique), la fixation des rémunérations (au sein du cabinet du Premier Ministre), des
prix, le choix des investissements et des modes de financement (Ministère des Finances),
les options stratégiques, économiques et industrielles ainsi que l’arbitrage des conflits dont
le dernier ressort revient au Premier Ministre et au Président. Le DDRP et le droit aux
pertes ou aux gains résiduels paraissent particulièrement démembrés au sein de la propriété
publique (Charreaux, 1997d, p. 43). Dans cet esprit, comme le rappelle le tableau 5 du
chapitre 2, à forme comparable, la propriété publique paraît plus diffuse que la propriété
privée. En effet, dans la mesure où l’entreprise publique se caractérise par une influence
majeure des pouvoirs publics, la propriété privée comparable est celle où les actionnaires
privés exercent une influence majeure sur les décisions donc, dominent le conseil
d’administration. Cette lecture rappelle les caractéristiques de la firme contrôlée dans la
typologie des organisations privées telle qu’elle est développée dans la TPA. De là, la
propriété privée se caractérise par une fonction de contrôle concentrée au niveau de
l’actionnaire dominant ou groupe d’actionnaires dominants, alors qu’elle est davantage
partagée au sein de l’organisation publique.
Si l’on considère la forme organisationnelle publique comme faisant partie des
organisations dites complexes au sens de Fama et Jensen (1983), cette comparaison des
deux types de processus décisionnel fait apparaître une organisation publique (dans sa
forme la plus forte) dont la fonction de contrôle, à l’image de la fonction d’assomption du
résidu d’incertitude est plus diluée que dans une organisation aussi complexe mais
privée184. En référence à l’analyse de Milgrom et Roberts (1997, p. 155), la centralisation
de la fonction de contrôle des décisions (ratification et surveillance) qui reflète une prise de
décisions au niveau supérieur, imposées ensuite aux membres de l’organisation,
183 Les deux tutelles courantes regroupent la tutelle technique, propre au secteur d’activité ou au produit et la tutelle économique et financière qui ratifient et surveillent les effets macroéconomiques. « La tutelle haute constitue le niveau obligé de gestion des problèmes les plus élevés, […] de la définition générale des règles du jeu régissant le secteur public […] à l’examen de certaines options stratégiques ». Notons à l’instar de l’observation de l’auteur qu’aux contrôles formels (commissions et organismes officiels) et formalisés (règles et procédures) des tutelles courantes, s’opposent les contrôles informels et non formalisés de la tutelle haute (Glachant, 1994, p. 125-127). 184 Même si en France, la spécificité du marché des dirigeants (grands corps et ENA) a pu contribuer, à certains moments, au rôle dominant de contrôle des pouvoirs publics tant au sein des entreprises auxquelles ils sont légitimement liés qu’au sein des entreprises privées, répliquant de ce fait la dilution spécifique de la fonction de contrôle public et les conflits intra publics entre entités participantes.
172
notamment au dirigeant, paraît plus forte et plus complexe185 dans le contexte public que
dans le contexte privé.
S’agissant de la fonction publique de gestion des décisions, dans une organisation
complexe, elle est théoriquement exercée par le dirigeant et déléguée à différents niveaux
de l’organisation en fonction du locus informationnel. Comme le souligne Glachant (1994,
p. 133) « si les sommets de l’Etat gardent l’autorité formelle186 […] permettant a priori
d’ordonner ou de commander, ce sont toujours les entreprises qui détiennent les savoir
faire et qui gèrent les processus de mise en œuvre ». Une telle approche privilégie une
séparation nette entre propriété et décision. Cependant, les caractéristiques de la fonction
de contrôle public montrent en réalité une prise de participation variable des pouvoirs
publics dans la fonction de gestion, notamment au niveau de l’initiative des décisions au
sein de la forme organisationnelle publique. Les pouvoirs publics sont en effet susceptibles
de jouer un rôle centralisateur des décisions tel qu’il est défendu dans la littérature (Caves,
1990). Dans les termes de Glachant (Op. Cit, p. 131), cette prise de participation est
qualifiée de soumission à la tutelle haute, ou de subordination à la tutelle courante, limitant
alors la séparation des fonctions de décision et de contrôle et par conséquent, la
décentralisation interne. Mais les entreprises publiques caractérisées par cette atténuation
de la séparation fonctionnelle coexistent avec d’autres entreprises au sein desquelles le
droit de gestion, tant dans l’initiative que dans la mise en œuvre, est alloué au dirigeant et à
ses niveaux hiérarchiques inférieurs. Dans ce contexte, « à la forme d’autogestion de la
tutelle courante par l’entreprise publique, correspondrait au niveau haut, la modalité de
l’autonomie stratégique de l’entreprise publique »187. Enfin, à cette complexité du
fonctionnement décisionnel public viennent s’ajouter les faits qui démontrent l’existence
de structures centralisées qui pourtant en interne, font preuve d’une grande capacité
d’initiative stratégique. De plus, leurs prérogatives peuvent faire l’objet d’une évolution
selon les contextes politiques et la conjoncture. Cette diversité des processus décisionnels
publics se traduit par des structures organisationnelles internes plus ou moins centralisées.
Glachant (Op. Cit, p. 115) repère trois types de coordination interne dans les entreprises
publiques françaises. Nous les présentons dans le schéma suivant, en fonction du degré de
centralisation interne correspondant à chaque structure.
185 La centralisation est dite complexe dans la mesure où elle met en jeu plusieurs instances de contrôle sur différents types de décision. 186 Par opposition à l’autorité réelle, c’est à dire effectivement exercée (Aghion et Tirole, 1998). 187 Glachant (Op. Cit, p. 131).
173
Schéma 6 : Architecture de la fonction de gestion des décisions au sein de la hiérarchie
publique, adapté de Glachant (1994, p. 115 et suivantes)
Cette lecture plus transversale du fonctionnement de l’entreprise montre, comme nous
l’avions déjà examiné en partie dans la perspective de la TCI, que le processus décisionnel
public comparativement à celui de l’entreprise privée, est fortement centralisé au niveau
des différentes instances publiques et également dans les cas les plus marqués, au niveau
interne. A partir d’une analyse plus approfondie de la propriété publique orientée sur le
processus décisionnel, la TPA permet d’identifier les variations quant à l’intensité de
contrôle par les pouvoirs publics et de participation à la gestion de l’entreprise publique.
Ce processus décisionnel se caractérise par un partage de la fonction de contrôle entre les
différents principaux identifiés par l’approche principal-agent et par une implication
variable de ces pouvoirs publics dans la gestion. Dans sa forme la plus forte, le processus
décisionnel public privilégie une séparation faible du contrôle et des décisions tout comme
une organisation privée avec un actionnaire dominant.
Toutefois, les caractéristiques des fonctions d’assomption de l’incertitude résiduelle188,
de contrôle et de gestion des décisions dans le contexte public déterminent un processus
décisionnel plus centralisé au niveau des détenteurs des droits de décision résiduelle
188 ainsi que le droit de décision résiduelle et le droit au gain et perte résiduels auxquels ils se rattachent.
Direction centrale et directions
opérationnelles non séparées mais unités
opérationnelles décentralisées avec formalisation non
codifiées des procédures
SA/ maison mère unité de direction et établissements
Structure fonctionnelle coordination centralisée
reposant sur des procédures très formalisées
EPIC
Direction centrale spécialisée dans la gestion de la structure de corps
opérationnelle. Les directions opérationnelles
sont autonomes (procédures formalisées mais non
codifiées)
SA groupe et filiales
Degré de centralisation interne de la fonction de gestion des décisions Faible Elevé
174
(nettement plus dilués) que dans le contexte privé de la firme contrôlée. Le tableau suivant
reprend les principales dimensions du processus décisionnel au regard de la TPA et leurs
caractéristiques au sein des deux formes organisationnelles comparables.
Tableau 8 : Caractéristiques du processus décisionnel public et du processus décisionnel
privé comparable Processus décisionnel public Processus décisionnel privé Structure actionnariale Actionnaire unique ou dominant
public délégué des citoyens EPIC/SA mère / SA groupe
Actionnaire dominant privé au sein d’un actionnariat diffus / SA groupe
Fonction d’assomption de l’incertitude résiduelle contractuelle
Dilué à différents niveaux des pouvoirs publics
Dilué au sens strict, Concentré au sens large
DDR Dilué (tutelles, commissions) concentré DAGPR Dilué (Ministère/ citoyens
concernant les pertes) Dilué au sens strict, Concentré au sens large
Fonction de contrôle des décisions - par rapport au dirigeant - au sein de la hiérarchie
- Centralisée mais partagée entre diverses entités internes (conseil d’administration) et externes (tutelles ministérielles multiples) - Centralisée (degré variable)
- Concentré en une instance interne principale, le conseil d’administration - Décentralisée
Fonction de gestion de la décision
Centralisée (degré variable) Décentralisée
Séparation propriété/contrôle Forte au sens strict (citoyens propriétaires) Faible au sens large mais dilution du contrôle et non exclusivité de la propriété au sein des pouvoirs publics
Forte au sens strict (forte diffusion des titres) Faible au sens large (actionnaire dominant)
Séparation décision/contrôle Faible (intervention étendue) Moins faible (intervention réduite aux décisions stratégiques)
Dans ce contexte, la privatisation en tant que cession des fonctions décisionnelles peut
conduire à différentes modifications de la répartition des droits décisionnels. Selon la
forme de la privatisation, la séparation fonctionnelle des droits de décision et de contrôle
peut être plus ou moins prononcée. Dans le cas que nous avons choisi de retenir, et pour
accentuer les traits de ces modifications, la privatisation par offre publique de vente est
censée réallouer ces droits décisionnels par le transfert de la fonction d’assomption de
l’incertitude résiduelle - et donc de contrôle des décisions - de l’Etat vers des actionnaires
privés, en particulier au GAP lorsqu’il est constitué. La société contrôlée privée fait
apparaître une séparation fonctionnelle propriété/contrôle faible mais plus nette que celle
de l’entreprise publique et une séparation décision/contrôle limitée mais plus prononcée
toutefois que celle qui caractérise la firme publique. En revanche, dans le cas d’une
privatisation plus atténuée, par exemple la concession, la réallocation des droits
175
décisionnels se traduit par un abandon de certaines prérogatives de gestion par les pouvoirs
publics au profit d’acteurs privés. Ainsi peut-on interpréter les différents cas de
privatisation tels que les a relevés Clarkson (1989)189.
Dans ce sens, nous définirons la privatisation comme un processus qui peut, au
minimum conduire à un transfert de tout ou partie de la fonction de décision à des agents
privés et au maximum, transférer intégralement les fonctions de décision et de contrôle à
différents acteurs non publics, en privilégiant une séparation fonctionnelle plus nette
comparativement au contexte public.
D’après la TPA, comme le souligne Charreaux (1999) « la solution du problème
organisationnel consiste à trouver les moyens les moins coûteux pour mettre la
connaissance pertinente à la disposition des décideurs ». En ce sens, si la privatisation
répond au principe d’efficience alors la privatisation d’une entreprise complexe implique
une décentralisation du processus décisionnel au profit d’agents privés, dans la mesure où
elle conduit à l’abandon d’une structure publique centralisée pour une structure privatisée
où les fonctions décisionnelles (contrôle et décision) sont colocalisées au niveau des
centres susceptibles de les exercer au mieux. De plus, si la privatisation concerne un
monopole public, elle est généralement accompagnée (précédée ou suivie) d’une
dérégulation sectorielle. Les forces de marché qui en découlent caractérisent le principe de
sélection naturelle. La survie de la firme dépend des avantages qu’elle peut avoir sur ses
concurrents autrement dit, de sa capacité à créer plus de valeur. Selon la TPA, celle-ci
dépend de la capacité de la firme à allouer de manière optimale les droits décisionnels,
autrement dit à exploiter au mieux les connaissances nécessaires à la prise de décision la
plus créatrice de valeur pour la firme. La privatisation et la dérégulation, dans un contexte
organisationnel complexe sont susceptibles de favoriser la séparation fonctionnelle
décision/contrôle. D’où la proposition suivante :
Proposition 1 :
La privatisation en tant que processus de réallocation des droits de propriété conduit à une
séparation fonctionnelle (contrôle et décision) plus nette qui implique une décentralisation
de tout ou partie des étapes du processus décisionnel (contrôle et décision) au profit des
189 Cf. notre tableau récapitulatif n°3 dans le premier chapitre, section 1.
176
états-majors et de ses différents niveaux, en fonction du degré de spécificité des décisions à
prendre, a fortiori en cas de dérégulation.
La théorie de l’AO stipule que la localisation de l’information spécifique influence
l’allocation des droits décisionnels. Par conséquent, lors de la privatisation, la
décentralisation du processus décisionnel, par abandon de tout ou partie des fonctions de
contrôle et/ou de gestion par les pouvoirs publics, peut concerner différents types de
décisions au sein de l’organisation complexe. Concernant les décisions stratégiques, elles
naissent entre autres, des connaissances relatives aux perspectives possibles de
développement organisationnel, aux capacités financières de la société. Elles font appel
aux compétences des cadres supérieurs possédant une vision globale de la firme. Dans le
cadre d’une organisation complexe, la recherche d’efficience se traduit par la séparation
fonctionnelle décision/contrôle au niveau supérieur en déléguant au dirigeant la fonction de
gestion des décisions, la fonction de contrôle étant exercée à ce niveau par les actionnaires,
comme l’illustre la société managériale. De plus, les niveaux inférieurs sont au contact
direct du marché, en particulier des besoins de la clientèle. Les besoins opérationnels
émergent à ces niveaux organisationnels, où les connaissances spécifiques sont nécessaires
aux choix d’investissements opérationnels. Nous en déduisons les deux propositions
suivantes :
Proposition 1a :
Lors de la privatisation, l’abandon de la fonction de contrôle par les pouvoirs publics, au
profit des actionnaires dominants implique une décentralisation des décisions stratégiques
au profit de l’équipe managériale.
Proposition 1b :
L’abandon de la fonction de contrôle par les pouvoirs publics lors de la privatisation
implique une séparation fonctionnelle plus prononcée au sein de la firme privée qui se
traduit par une décentralisation de l’initiative et de la ratification des décisions
opérationnelles aux niveaux intermédiaires et inférieurs.
En définitive, le processus de réallocation des droits de propriété induit par la
privatisation affecte le système de répartition des fonctions décisionnelles. Or l’AO se
définit comme la combinaison du système de répartition de ces droits et du système de
coordination et de contrôle. Par conséquent, dans une perspective dynamique la
privatisation est aussi susceptible d’influer sur le système d’évaluation et de contrôle de la
177
performance. Le développement suivant examine les implications de cette réallocation des
droits sur les mécanismes de gouvernance. En référence au chapitre 3, ceux-ci encadrent le
comportement décisionnel du dirigeant qui exerce avec la privatisation, les fonctions de
gestion des décisions stratégiques et de contrôle des décisions plus opérationnelles.
2.2. Adaptation du système de coordination et de contrôle
D’après la TPA, la répartition des droits décisionnels et le système de coordination et de
contrôle sont les deux composantes de l’AO. Plus particulièrement, le système de
coordination et de contrôle dépend de la diffusion des fonctions de ratification et de
surveillance par lesquelles s’exercent les droits de contrôle. L’exposé du chapitre précédent
présentait les mécanismes génériques de diffusion et de spécialisation des fonctions de
gestion et de contrôle au sein des organisations complexes. Il s’agit du contrôle
hiérarchique, du conseil d’administration et de la surveillance mutuelle (Fama et Jensen,
1983, a et b). Par conséquent, la réallocation des droits décisionnels engendrée par la
privatisation devrait se traduire par une modification du système de coordination et de
contrôle, notamment à l’égard de l’acteur central, le dirigeant. La séparation fonctionnelle
des droits décisionnels liée à la privatisation soulève ici la question du changement des
mécanismes disciplinaires du comportement décisionnel du dirigeant. Autrement dit,
comment la modification du processus décisionnel induite par la privatisation se traduit-
elle au niveau du GE ?
Les travaux sur la gouvernance ont permis d’identifier deux grandes tendances en
matière de gouvernance des entreprises dans le monde, la gouvernance de marché qui
caractérise les entreprises anglo-saxonnes et la gouvernance de réseaux qui regroupent les
modèles allemand, japonais et latin (Moerland, 1995). Le critère distinctif essentiel de ces
deux tendances repose sur la séparation fonctionnelle, plus prononcée dans la première
catégorie. Ainsi, s’opposent la gouvernance des entreprises ouvertes et la gouvernance des
entreprises plus fermées mais néanmoins complexes au sens de Fama et Jensen (1983). En
référence au tableau comparatif proposé par Charreaux (1997b, p. 465), comme son nom
l’indique, le système de gouvernance orienté marché (SGM) se caractérise par un rôle
essentiel des mécanismes de marché, notamment les marchés des capitaux et de prise de
contrôle. Dans la mesure où le capital de la firme est plus diffus, ce type de GE favorise
plutôt un encadrement ex post du comportement décisionnel du dirigeant, à partir des
178
informations fournies par le marché. En facilitant les possibilités de sortie du contrat190, via
le marché, ce contrôle externe est censé engendrer des relations plutôt courtermistes191 des
actionnaires avec la firme (Franks et Mayer, 1997, p. 44) et une politique d’investissement
plus flexible et plus favorable au financement de l’innovation, la prise de risque étant
spécifique à la firme et diversifiable pour les actionnaires. En outre, en privilégiant un
contrôle a posteriori de la performance, le SGM oriente les mécanismes de contrôle ex ante
vers des critères de performance actionnariale. Les systèmes de rémunération, sont ainsi
fondés sur le contrôle des résultats et des cours boursiers via l’attribution d’options d’achat
d’action et/ou d’actions qui incitent leur bénéficiaire à privilégier la performance
actionnariale (Desbrières, 1997).
En revanche, le système de gouvernance orienté réseaux (SGR) se caractérise par un
rôle dominant des mécanismes disciplinaires spécifiques, notamment le conseil
d’administration192. Basé sur des relations de long terme propres aux organisations
fermées, ce système de régulation favorise plutôt un encadrement ex ante, notamment par
un contrôle fort des actionnaires principaux dont les créanciers, voire les salariés s’ils sont
représentés au sein du conseil d’administration ou dans la structure duale du conseil de
surveillance-directoire. Les possibilités de sortie étant plus difficiles en raison des
participations croisées, le contrôle plus stable favorise la coopération interne193 et
l’investissement à long terme. Cette conception de la coordination interne associée à la
faible séparation fonctionnelle privilégie un processus décisionnel orienté vers la
performance partenariale. En définitive, le système de gouvernance orienté marché semble
privilégier une performance de court terme et des investissements sous optimaux mais plus
flexibles comparativement au système de gouvernance orienté réseaux qui a priori
consacre un contrôle plus stable mais plus rigide de la politique de création de valeur en
conséquence plus longtermiste. Dans la perspective de notre problématique, l’analyse des
conséquences de la privatisation sur le GE soulève la question suivante . Dans ce cadre
bipolaire de gouvernance, vers quel modèle tend la gouvernance de l’entreprise privatisée ?
190 L’exit au sens de Hirschman qui traduit le vote par les pieds (1970). 191 Bien que l’existence d’investisseurs institutionnels contribue à la mobilité du capital donc au contrôle par le marché, ce stakeholder particulier peut toutefois privilégier un contrôle plus longtermiste au même titre qu’un actionnaire dominant et en même temps, la prise de risque par le dirigeant compte tenu de la diversification possible du portefeuille de l’investisseur institutionnel (Firth, 1995, p. 168 ; Milgrom et Roberts, 1997, p. 614). 192 Nous renvoyons le lecteur au tableau n°7 du chapitre précédent, relatif à la typologie des mécanismes de gouvernance. 193 Notamment entre actionnaires et prêteurs entre lesquels les conflits sont internalisés, via la prise de parole, à l’opposé du système de gouvernance orienté marché (Moerland, 1995).
179
La privatisation dans sa forme la plus forte, engendre plusieurs conséquences sur les
mécanismes de gouvernance de l’entreprise. Un premier effet est lié à la séparation
fonctionnelle décision/contrôle. Abordée précédemment, celle-ci régénère les mécanismes
de marché. Combinée à l’introduction en bourse du capital, la séparation fonctionnelle est
plus prononcée comparativement à celle que nous avons décrite dans le contexte public et
s’accompagne de la cessibilité des titres. Un deuxième effet combiné est lié au
développement du capitalisme populaire et de l’actionnariat salarié. En créant des droits de
propriété cessibles au profit de nombreux porteurs, la privatisation contribue au
développement du marché en augmentant la liquidité des titres. La privatisation réintroduit
ou développe le rôle informationnel du marché des capitaux. Elle permet ainsi l’utilisation
d’un critère de performance boursière. En revanche, le troisième effet de la privatisation
paraît plus favorable aux mécanismes spécifiques à la firme. La constitution d’un groupe
d’actionnaires partenaires favorise un contrôle stable, par un réseau d’administrateurs
(groupes industriels et bancaires). En ce sens, il limite les affrontements entre équipes
dirigeantes pour le contrôle des ressources des entreprises, limitant par conséquent, le rôle
disciplinaire de ce marché (via les prises de contrôle) d’autant plus que la taille de
l’entreprise privatisée est grande. De plus, bien que la privatisation constitue un abandon
du contrôle par les pouvoirs publics, elle peut s’accompagner d’un droit de veto au profit
de l’Etat194. En ce sens, la privatisation transforme l’entreprise publique fermée au sens de
Fama et Jensen, en une entreprise plus ouverte (en intensité) en ouvrant la fonction de
contrôle au marché des capitaux mais complétée par des mécanismes spécifiques
favorisant la stabilité des réseaux.
194 Cf. chapitre 1.
180
Tableau 9 : Les caractéristiques générales du système de gouvernance de l’entreprise
privatisée dans la forme la plus forte de privatisation, l’OPV.
Dimensions de la gouvernance SGM Système de gouvernance orienté
marché
SGR Système de gouvernance orienté
réseaux Séparation fonctionnelle : organisation « moins » fermée
X
Cessibilité des titres sur le marché des capitaux
X
Capital diffus pour une grande partie (exit)
X
Actionnariat salarié dont le dirigeant : Critère de performance boursière
X
GAP : contrôle stable (voice) X Représentation des salariés actionnaires
X
Réseaux d’administrateurs et contrôle potentiel par l’Etat
X
Rôle moindre du marché des prises de contrôle
X
Proposition 2 :
En activant ou en réactivant certains mécanismes disciplinaires de marché et en modifiant
les mécanismes spécifiques de l’entreprise publique, la privatisation génère un système de
gouvernance mixte.
Plus précisément, il convient d’analyser la manière dont la privatisation, en générant un
système de gouvernance mixte influe sur les mécanismes spécifiques qui concernent
directement le comportement décisionnel des principaux dirigeants. Notamment, quels sont
les effets de ces différentes modifications sur le rôle d’évaluation du conseil
d’administration et sur la hiérarchie formelle tels que les ont identifiés Fama et Jensen
(1983) ?
Dans la théorie de la gouvernance et dans sa branche la plus ancienne relative à la
relation d’agence entre actionnaires et dirigeant195, le conseil d’administration est
interprété comme l’organe essentiel de contrôle de la convergence des intérêts entre les
actionnaires et l’agent dirigeant. En effet, comme nous l’avons déjà développé, la diffusion
du capital entre de multiples actionnaires limite l’exercice de la fonction de contrôle par
195 A l’origine, cette analyse est consacrée aux sociétés managériales, objet initial de l’analyse contractuelle des organisations, dont le capital diffus génère des sources coûteuses de conflits d’agence.
181
tous les actionnaires. Cette diffusion du capital nécessite la mise en place d’un organe de
contrôle du dirigeant dont les membres représentent l’actionnariat. Le conseil
d’administration est ainsi conçu comme un outil de délégation du contrôle des dirigeants
par la communauté des actionnaires. A priori, son rôle de contrôle est d’autant plus fort
que la séparation fonctionnelle est prononcée, autrement dit que la séparation des organes
de décision (la direction) et de contrôle (conseil d’administration) est importante. En outre,
la composition de cet organe, liée à la structure actionnariale (capital diffus, société
contrôlée ou familiale) est susceptible de renforcer ou d’atténuer l’exercice de la fonction
disciplinaire à l’égard des principaux dirigeants. La présence d’administrateurs externes
qualifiés au sein des firmes ouvertes peut renforcer l’efficacité du contrôle par cet organe.
En effet, le risque de collusion entre dirigeants au sein du conseil d’administration dépend
de la position stratégique des administrateurs en matière d’information (Fama, 1980). En
revanche, en étendant l’analyse de Fama au contexte de la firme contrôlée, Charreaux et
Pitol-Belin (1985a) supposent que la séparation propriété-contrôle et propriété-décision
étant faible, le conseil d’administration est dominé par l’actionnaire ou le groupe
d’actionnaires qui prédomine dans la structure actionnariale et présente moins
d’administrateurs externes. Ainsi, à l’inverse d’actionnaires personnes physiques qui
diversifient leur portefeuille (donc moins motivés par un contrôle effectif sur la politique
menée par le dirigeant), l’actionnaire dominant (souvent une firme) est a priori plus
impliqué dans la stratégie de la firme qu’il contrôle. Les auteurs196 observent que les
conseils d’administration des entreprises françaises exercent plutôt un contrôle ex post et
entérinent les initiatives des dirigeants qui élaborent eux-mêmes les axes stratégiques, les
budgets, l’allocation des ressources et le choix des cadres supérieurs. En outre, le conseil
d’administration de l’entreprise contrôlée se rapproche de celui de l’entreprise familiale.
Le contrôle exercé par cet organe est faible en raison de la confusion des fonctions
décisionnelles au niveau du dirigeant dans l’entreprise familiale, et au niveau des
actionnaires dominants et du dirigeant dans la firme contrôlée.
Au regard de ces résultats théoriques et empiriques, le rôle et la composition du conseil
d’administration varient selon la structure décisionnelle (séparation ou confusion des
fonctions de contrôle et de décision). Cet organe semble jouer un rôle de contrôle
relativement faible lorsque le propriétaire s’investit dans la fonction décisionnelle. En
référence à notre première analyse sur la séparation fonctionnelle dans l’entreprise
196 Charreaux et Pitol-Belin (1985a et b).
182
publique et privée, le conseil d’administration paraît jouer un rôle faible dans les deux
contextes en raison de la séparation fonctionnelle décision-contrôle limitée. Toutefois, une
lecture plus précise des caractéristiques de chaque forme de séparation fonctionnelle
montre que le rôle du conseil d’administration public paraît plus faible dans la mesure où
les décisions, notamment stratégiques, sont prises et entérinées en amont. Le conseil
d’administration public se distingue par divers centres décisionnels publics, parfois
informels et par la représentation tripartite de plusieurs partenaires, notamment en France.
Ces administrateurs sont des représentants de l’Etat, des représentants nommés par les
salariés et des personnes qualifiées nommées par les pouvoirs publics. Cette spécificité du
conseil d’administration public en France peut expliquer la prise de décision en dehors de
l’organe. En effet, en cas de conflits, les instances politiques peuvent jouer le rôle d’arbitre.
Le règlement des conflits se fait alors au sein des cabinets ministériels dans le cadre de
réunions informelles. De plus, la nomination du dirigeant par les pouvoirs publics confère
aux représentants de l’Etat au sein du conseil d’administration, plus un rôle de soutien au
dirigeant que disciplinaire. Cette fonction essentielle du conseil d’administration est
fortement réduite, d’autant plus que le mandat du dirigeant est davantage corrélé aux
échéances électorales qu’aux décisions de révocation par ses employeurs. Enfin, les droits
publics de décision résiduelle et d’appropriation aux gains et pertes résiduels (très dilués),
sont susceptibles de limiter l’incitation à exercer un contrôle strict via le conseil
d’administration. A l’inverse dans le contexte privé, la participation des actionnaires
dominants est essentielle pour leur stratégie dans la mesure où les droits résiduels sont
concentrés à leur niveau197. En ce sens, le conseil d’administration public paraît encore
plus jouer le rôle d’une chambre d’enregistrement que le conseil d’administration d’une
firme privée contrôlée. Ce constat que produit la théorie permet d’expliquer l’existence de
contrôles parallèles multiples via les commissions et les différentes tutelles, a fortiori
lorsque cet organe n’existe pas (cas des unités administratives). Ces différentes instances
de contrôle peuvent être interprétées comme des mécanismes substitutifs ou du moins
fortement complémentaires au conseil d’administration public, soulignant de ce fait son
rôle de contrôle très limité.
Lors de la privatisation, la séparation fonctionnelle plus marquée comparativement à la
firme publique et la décentralisation du processus décisionnel au profit du dirigeant sont
susceptibles de modifier le rôle de cet organe. L’ouverture du capital à des actionnaires
197 Concentration au sens large (cf. tableau n°8).
183
privés et le rôle complémentaire informationnel du marché des capitaux confèrent à
l’entreprise privatisée une structure plus ouverte. Toutefois, la constitution d’un GAP
limite la séparation décision-contrôle (et en amont propriété-décision) comparativement à
une firme managériale. Mais la décentralisation de la fonction décisionnelle au profit de
l’équipe managériale accentue la séparation fonctionnelle décision-contrôle,
comparativement à la structure fermée publique.
Proposition 2a :
En renforçant la séparation fonctionnelle décision-contrôle au profit de l’équipe dirigeante,
la privatisation modifie la nature du rôle de contrôle du conseil d’administration. Sa
fonction de contrôle, limitée dans l’entreprise publique, repose après la privatisation sur
l’exercice effectif de la fonction d’approbation réelle des décisions.
Concernant le contrôle hiérarchique sur lequel s’appuie le dirigeant pour la mise en
œuvre des décisions au sein de la firme, la privatisation est également censée en modifier
les caractéristiques. En référence au chapitre précédent, la TPA considère le contrôle
hiérarchique comme le mécanisme spécifique essentiel de coordination interne de la
fonction de gestion des décisions entre le dirigeant et ses niveaux hiérarchiques inférieurs.
Son architecture dépend de celle du processus décisionnel. Par ailleurs, elle est soutenue
par les règles du jeu organisationnelles que représente le système budgétaire et comptable.
D’après le développement de la section précédente, le processus décisionnel public est
fortement centralisé, limitant la délégation de la fonction de contrôle au profit du dirigeant
et de ses niveaux intermédiaires et inférieurs. Si l’on retient la forme publique la plus
accentuée, le système comptable et budgétaire public repose essentiellement sur le contrôle
du respect des budgets définis en amont, sans incitation ni sanction particulière. Dans ce
cas extrême, la contrainte budgétaire peut être faible compte tenu de la garantie que
représente l’Etat, via les concours publics d’équilibre. En conséquence, dans sa forme la
plus forte le contrôle hiérarchique public paraît très centralisé et formalisé.
Comme le stipule la proposition 1, lors de la privatisation, la décentralisation du
processus décisionnel au profit du dirigeant et de ses niveaux intermédiaires et inférieurs se
traduit par une délégation des fonctions de gestion et de décisions opérationnelles aux
niveaux hiérarchiques détenteurs d’information spécifique. Donc, selon le principe
d’efficacité, la privatisation nécessite une adaptation des mécanismes de coordination et de
184
contrôle au sein de l’organisation en cohérence avec l’AO. La décentralisation de la
séparation fonctionnelle au sein de l’organisation se traduit par une allocation de la
fonction de contrôle des décisions à différents niveaux hiérarchiques. Ainsi, la diffusion du
droit de décision résiduelle et du droit au gain et perte résiduels favorisent l’incitation à la
performance. En référence aux apports de la TPA, la décentralisation des fonctions
décisionnelles et des droits correspondants implique la mise en place de mécanismes
d’incitation et d’évaluation de la performance à chaque niveau de délégation. De plus, dans
sa forme la plus forte, la privatisation peut conduire à un changement juridique lors de
l’introduction d’actionnaires privés dans la structure publique. L’activation du marché
financier, via l’introduction en bourse et le changement juridique éventuel, impliquent le
passage de règles comptables publiques à un système comptable privé. Couplée à cette
adaptation à l’ouverture au marché financier, la délégation décisionnelle permet la mise en
place de critères de performance comptable comme les plans d’intéressement par exemple,
et des critères de performance boursière, notamment par la participation des salariés au
capital. Ces différents mécanismes incitent à la performance collective et individuelle. Ils
modifient notamment le système de rémunération en introduisant une partie variable
dépendante de la performance réalisée, au niveau collectif et/ou individuel.
Proposition 2b :
Avec la privatisation, la décentralisation des décisions opérationnelles aux niveaux
intermédiaires et inférieurs modifie la nature du contrôle hiérarchique qui est orienté sur
les performances comptables voire sur la performance boursière. Il est par conséquent plus
incitatif.
L’évolution de l’AO induite par la privatisation, et plus particulièrement celle du GE
révèlent une modification des contraintes qui pèsent sur le comportement décisionnel du
dirigeant. En référence au schéma 5 du chapitre 3, la privatisation est donc susceptible de
modifier le comportement du dirigeant en matière de création de valeur et par conséquent
le développement stratégique de la firme198. Cette précédente analyse soulève la question
des contraintes incitatives associées au système de gouvernance privatisée sur le
comportement managérial, central dans développement organisationnel.
198 Symétriquement, la nationalisation d’une entreprise est susceptible d’influer sur le processus décisionnel et sur le système de gouvernance, donc sur les contraintes de latitude du dirigeant quant aux choix stratégiques. A priori, ceux-ci sont essentiellement guidés par les pouvoirs publics, en fonction de leurs propres agendas (reconstruction, résorption de crise sectorielle, contrôle de l’inflation, etc.).
185
2.3. Privatisation et dirigeant : les contraintes incitatives sur la création de valeur
Dès ses premiers fondements, notamment l’approche principal-agent, la TPA soulève la
question de l’influence des modes d’évaluation et de récompenses sur la prise de décision
par un acteur. En ce sens, les mécanismes de coordination et de contrôle qu’ils soient
spontanés ou intentionnels 199, via les contraintes qu’ils exercent, sont censés encadrer le
comportement décisionnel. Mais la gouvernance est aussi susceptible d’orienter le
décideur, notamment le dirigeant vers une stratégie d’évitement et de neutralisation de ces
contrôles en agissant sur eux. Ce courant d’analyse qui développe la causalité inverse entre
gouvernance et comportement décisionnel propose une analyse de la stratégie
d’enracinement du dirigeant soit comme moyen d’appropriation de rente (Shleifer et
Vishny, 1989) soit comme moyen de protection de son capital humain (Castanias et Helfat,
1992) dans le cadre de la prise de décision. Ainsi, la problématique centrale de la TGP
focalise l’attention sur le système qui gouverne l’action décisionnelle du dirigeant en
définissant son espace discrétionnaire (Charreaux, 1996).
Cette perspective a produit un nombre important de travaux relatifs, notamment à
l’analyse des mécanismes intentionnels, à l’appui des mécanismes plus spontanés, sur les
choix stratégiques (au sens large, d’investissement, de financement)200. Dans cet esprit, la
modélisation précédente du lien entre privatisation et processus décisionnel est fondée sur
les modifications de celui-ci au niveau des principaux mécanismes spécifiques
intentionnels de gouvernance en relation directe avec l’acteur central de l’organisation. En
référence à cette première analyse, la question sous-jacente relève des implications de cette
dynamique du GE sur l’espace discrétionnaire du dirigeant, comparativement au contexte
décisionnel public. Autrement dit, comment la privatisation, en modifiant les mécanismes
disciplinaires qui encadrent l’action du dirigeant influe-t-elle sur son espace discrétionnaire
sur lequel repose le processus de création de valeur ?
Dans les théories contractuelles de l’organisation, l’action du dirigeant porte sur les
choix d’investissement et de financement, soumis d’après l’observation, au contrôle a
199 Leur complémentarité et leur substituabilité en font un système de coordination et de contrôle. Ainsi, le conseil d’administration s’appuie en partie sur les supports de la hiérarchie formelle, elle même complétée par la surveillance mutuelle entre agents. Le contrôle et la coordination exercés par les marchés financier, des biens et services, du travail ou politique se combinent aux précédents ainsi qu’aux environnements légaux, culturels, médiatiques, etc. 200 Une vue transversale est celle de l’ouvrage collectif de Charreaux éd. (1997).
186
posteriori des apporteurs de fonds201 ainsi qu’à des mécanismes incitatifs de type
rémunération indexée sur la performance actionnariale. La TGP stipule que ce processus
de création de valeur par le dirigeant est contraint par les mécanismes sur lesquels
s’appuient les différents partenaires pour protéger leurs intérêts. Selon la TPA, rappelons
que l’imperfection de ces mécanismes est à l’origine du coût résiduel d’agence qui exprime
l’alignement imparfait des intérêts du dirigeant avec ceux des différents partenaires. Dans
ce contexte, l’efficience organisationnelle consiste à minimiser en particulier cette
composante des coûts d’agence via le système de gouvernance.
En référence aux différents fondements contractuels, la théorie de la gouvernance
envisage cette latitude managériale comme la capacité de choix du dirigeant non contrôlée
par le système de gouvernance202. Deux perspectives de la latitude managériale permettent
de comprendre le fonctionnement du GE.
La première considère l’espace discrétionnaire comme une source de coût supportée
notamment par les actionnaires. En ce sens, il permet au dirigeant de sécuriser son emploi
en neutralisant les mécanismes de gouvernance via les choix d’investissements et de
financement. A l’appui de la littérature, Charreaux (1996) relève trois formes
interdépendantes de stratégie d’enracinement auxquelles recourt le dirigeant afin d’extraire
de la rente organisationnelle créée une partie croissante à son profit. Premièrement, le
dirigeant peut opter pour des investissements spécifiques à ses compétences qui dissuadent
les actionnaires de le remplacer. La valeur de ces investissements idiosyncratiques étant
dépendante du dirigeant, son remplacement implique une perte de valeur de ces actifs que
supporteraient les actionnaires. Cette forme de prise en otage des actionnaires par le
dirigeant lui permet alors des transferts de richesse à moindre risque (Shleifer et Vishny,
1989). Deuxièmement, de manière complémentaire ou additionnelle, le dirigeant peut
privilégier des investissements susceptibles d’accroître son avantage informationnel sur les
201 Rappelons à ce sujet qu’en dehors de certaines décisions prévues légalement, le conseil d’administration statue ex post sur la plupart des choix managériaux, comme l’ont observé notamment Charreaux et Pitol-Belin (1985a et b). 202 Notons à ce propos une nuance d’interprétation entre la TPA et la TCT. Dans cette dernière, Williamson (1985, p. 335) propose « une conception de la firme où les opportunités d’un pouvoir discrétionnaire des dirigeants sont exprimées comme une fonction des instruments de contrôle ». La latitude managériale constitue le terrain de jeu de l’opportunisme managérial. Dans la TPA, la latitude managériale est moins fondée sur l’opportunisme en tant que comportement déviant, destructeur de valeur que sur l’asymétrie informationnelle résiduelle (liée à l’incomplétude contractuelle et à l’imperfection des mécanismes de gouvernance). En tant que telle, elle ne concourt pas nécessairement à un comportement déviant défavorable à la création de valeur partenariale comme le suggère la synthèse du développement qui suit.
187
autres partenaires, favorable à un transfert de richesse à son profit (Stiglitz et Edlin, 1992).
Comme le relève Charreaux (1996, p. 54) « les rentes sécrétées et leur appropriation
dépendent alors de la visibilités des actifs générés ». Troisièmement, la politique
d’investissement reposant sur les apporteurs de ressources, le dirigeant peut être incité à
augmenter (réduire) son contrôle (sa dépendance) sur les ressources stratégiques,
financières ou humaines203. Ainsi, en libérant le dirigeant du droit de contrôle des
actionnaires (recours à une augmentation de capital) ou des obligations restrictives du
service de la dette (clauses et remboursement d’emprunt), l’autofinancement réduit les
modes de contrôle assignés aux précédents types de financement. L’autofinancement libre
qui conduit les tenants de l’agence à voir dans l’endettement une discipline essentielle du
dirigeant, permet à celui-ci d’élargir sa marge de manœuvre en fonction de l’étendue de
son contrôle sur les ressources financières (Jensen, 1986). Une analyse parallèle du
contrôle sur les ressources humaines conduit à interpréter les relations informelles (via le
comportement des individus en matière de services informels au sein des réseaux204)
comme un moyen pour le dirigeant de contrôler l’information et le comportement de
certains partenaires essentiels dans les mécanismes de gouvernance et par conséquent, en
sa faveur. Dans cette perspective, Charreaux (Op. Cit, p. 55) considère que « cette capacité
à accéder de façon privilégiée à des ressources stratégiques constitue un élément important
du capital managérial ».
203 L’étude de Paquerot (1997) reflète principalement ces deux dernières formes d’enracinement. L’auteur propose une analyse des actions stratégiques du dirigeant sur certaines composantes des mécanismes de GE, via une politique de nomination des administrateurs, favorable à la constitution d’une rente informationnelle support de l’appropriation de richesse par le dirigeant. Notamment, l’auteur montre que la gestion du cumul des mandats de direction et d’administrateurs par le dirigeant permet la création d’un réseau au sein duquel la disposition des ressources et l’élaboration de contrats implicites favorisent son contrôle sur les ressources et, de là, son enracinement. L’auteur montre enfin les effets cumulatifs négatifs de cette forme générale d’enracinement sur la performance de la firme. 204 Breton et Wintrobe (1982) développent un modèle du comportement sélectif des individus en relation de travail, fondé sur la nature de l’organisation formelle qui peut conduire l’individu à choisir un comportement efficient ou inefficient. Celle-ci renferme des forces qui permettent de déformer, de diffuser et d’exécuter plus ou moins rapidement les décisions. En ce sens, la structure formelle offre une marge de manœuvre à chaque individu dans la réalisation de sa tâche qui peut conduire à un comportement efficient ou inefficient à l’égard du supérieur. Selon les auteurs, la sélection d’un comportement efficient en matière de distorsion, de diffusion (perte) d’information et de vitesse d’exécution traduit une vente (rémunération) de services informels au supérieur hiérarchique dans le but de soutenir celui-ci dans ces décisions. Dans les termes de la théorie de l’agence, il y a effort choisi de l’agent dans l’intérêt du principal. A l’inverse, un comportement inefficient de l’agent consiste à délivrer ces services informels dans le but de « saboter les objectifs des supérieurs » et d’encourager les objectifs personnels des agents (p. 41). L’agent choisi l’effort dans son propre but contraire à l’intérêt du principal. Cette analyse rejoint l’outil analytique central de la TPA, l’existence de conflits potentiels et l’objet central de la TGP, les modes de coordination et de contrôle. Ce modèle transposable au comportement du dirigeant dans ses relations avec les différents partenaires (salariés, actionnaires, créanciers etc.) permet d’envisager son action sur les mécanismes de rétribution des efforts des partenaires dont il souhaite un soutien dans sa stratégie personnelle d’enracinement inefficiente ou efficiente.
188
Au regard de cette première interprétation théorique de l’enracinement, en univers
d’incomplétude contractuelle, la fonction de gestion des décisions d’investissement
combinées aux décisions de financement permet au dirigeant d’élargir son espace
discrétionnaire par différents moyens (spécificité, visibilité informationnelle et contrôle des
ressources) qui concourent à son enracinement au sein de la firme dans un objectif de
recherche de rente. De là, la neutralisation des mécanismes de révocation et de contrôle de
sa performance lui permet de privilégier une politique d’investissement sous-optimale
favorable au transfert de richesse à son profit. Toutefois, en référence au principe explicatif
fondamental de la TPA, la coopération entre les différents partenaires est motivée au départ
par l’espérance de gains mutuels liés à la coopération. Au même titre que les autres parties
prenantes, la participation du dirigeant à la coopération repose sur les intérêts que cette
coopération est susceptible de lui apporter compte tenu des gains attendus par les autres
partenaires. En ce sens, d’autres motivations attribuées au dirigeant concourent à une
stratégie d’enracinement.
La deuxième lecture de l’enracinement considère à l’inverse de la précédente, les
risques d’expropriation auxquels est soumis le dirigeant dans le cadre des quasi-rentes
générées par ses investissements en capacités managériales. Cette perspective rejoint la
structure dyadique des relations partenariales privilégiées dans la TPA. Dans cet esprit, la
stratégie d’enracinement vise à atténuer le rôle du système de gouvernance, non pas dans
l’optique d’exproprier les autres partenaires à des fins d’enrichissement personnel mais
dans l’optique de se protéger contre certains mécanismes susceptibles d’exproprier ses
propres efforts de gestion de la coopération205. Dans ce contexte, la stratégie
d’enracinement est menée afin de préserver ses capacités managériales, nécessaires à la
création de valeur pour l’ensemble des partenaires en s’assurant du retour sur
investissement qu’il peut en espérer. En ce sens, l’action sur le GE vise à élargir sa
capacité à s’approprier les rentes qui sont censées rémunérer ses compétences en matière
de création de valeur organisationnelle. Un telle stratégie d’enracinement est alors créatrice
205 Cette interprétation inverse le rôle disciplinaire traditionnellement alloué à certains mécanismes et donc les conclusions à l’égard de la performance. Par exemple le conseil d’administration permet au dirigeant, via son siège, de se prémunir contre des décisions susceptibles « [d’exposer la relation d’emploi] à un risque excessif » (Williamson, 1985, p. 333). De même, la prise de contrôle n’est plus interprétée comme un moyen d’exercer une menace sur le dirigeant de la cible en raison de sa sous performance, mais comme une menace d’expropriation du dirigeant de la cible par la direction de la société prédatrice en raison de sa bonne performance (Castanias et Helfat, 1992). Ainsi, selon l’angle de vue, la menace exercée par la prise de contrôle dissuade le dirigeant dans le premier cas, de pratiquer une politique de sous investissement coûteuse à des fins personnelles, dans le second cas, de pratiquer une politique d’investissement rentable.
189
de valeur pour l’ensemble de la coalition. Enfin, dans une vision partenariale de
l’organisation, l’incertitude résiduelle et la position centrale du dirigeant confèrent un
statut particulier à sa latitude managériale. Dans le cadre de la répartition de la valeur
partenariale206, le résidu non affecté (le slack managérial) résulte et contribue à la stratégie
d’enracinement, dans la mesure où ce fonds de négociation joue un rôle essentiel dans la
gestion des relations du dirigeant avec chaque partenaire (Charreaux et Desbrières, 1998).
Comme le remarque Charreaux (1996, p. 60) « un système de gouvernement est efficace
s’il permet de maximiser la création de valeur tout en évitant la spoliation d’une catégorie
de stakeholders ». En référence aux différents degrés d’efficience envisagés par la TPA,
cela suppose qu’il peut exister plusieurs formes alternatives de GE susceptibles d’atteindre
l’efficience de troisième degré (ou efficience interne). Autrement dit, en convergence avec
l’approche endogène de la propriété, la TGP considère l’existence de formes alternatives
de GE comme une réponse endogène de différents types de coopération. Dans cette
perspective, le système de gouvernance publique peut représenter une forme efficiente (au
troisième degré) d’encadrement du processus décisionnel caractérisée par une certaine
latitude managériale. Dans le cadre de notre problématique, la question repose alors sur les
effets d’une privatisation sur cette marge de manœuvre, comparativement au contexte
public.
L’examen du contexte organisationnel public a montré l’importance des pouvoirs
publics sur la prise de décision, notamment stratégique. A l’appui de notre synthèse de la
littérature, cet examen a montré que les propriétaires publics font face à un ensemble
d’objectifs multiples, parfois contradictoires et susceptibles d’exproprier l’effort du
dirigeant au profit d’une politique redistributionnelle en faveur d’une entreprise déficitaire
ou en raison des contraintes budgétaires, via les ponctions de l’Etat sur l’entreprise
bénéficiaire, comme cela a été le cas pour le Crédit Lyonnais par exemple (Charreaux,
1997d). Ce contexte de gouvernance publique privilégie une forte centralisation des
décisions et un système de contrôle complexe qui réduit par ailleurs les incitations
monétaires. La latitude managériale publique semble a priori fortement réduite, tant sur les
moyens de l’exercer (processus décisionnel centralisé qui limite l’étendue de l’action du
dirigeant) que sur la motivation à la développer. D’un côté, on peut objecter à l’incitation
naturelle du dirigeant à s’enraciner le fait que son mandat est davantage corrélé aux
206 Dans le chapitre précédent, à l’instar de Charreaux et Desbrières (1998), nous avions défini la valeur partenariale comme la somme des variations d’utilité perçues par chaque partenaire.
190
échéances électorales qu’à ses compétences et à sa performance (Charreaux, 1997, p. 46).
En ce sens, le motif d’enracinement dans le contexte public paraît limité. Cependant, il
n’exclut pas la recherche d’une latitude managériale dans la mesure où tout du moins en
France, le particularisme du marché des dirigeants207 peut inciter le dirigeant public à
valoriser son capital managérial par son passage à la direction d’entreprise publique. Cette
motivation est susceptible de conduire le dirigeant à élargir sa marge de manœuvre,
notamment à l’appui de réseaux nécessaires à une stratégie d’avantage informationnel et de
contrôle des ressources. Toutefois, cette latitude paraît réduite dans la mesure où les
pouvoirs publics conservent une influence dominante sur certaines décisions. La latitude
managériale est donc susceptible d’être plus large dans les entreprises privées.
Paradoxalement, cette architecture centralisatrice semble favorable à la constitution de
rente informationnelle par le dirigeant, donc à une certaine latitude quant à l’influence qu’il
peut exercer sur la sélection des investissements. En effet, le soutien politique au dirigeant,
le rôle réduit de contrôle du conseil d’administration ainsi que le partage ou la diffusion du
pouvoir décisionnel à différents niveaux des instances publiques, de même que le rôle
informationnel et disciplinaire limité des marchés favorisent a priori l’asymétrie
informationnelle au profit du dirigeant. En ce sens, hormis les décisions de politique
économique décidées au sein des pouvoirs publics et pour lesquelles le dirigeant n’a aucun
pouvoir réel d’influence, celui-ci peut en revanche, influer sur les choix qui sont
indépendants de l’expertise et/ou de la préoccupation des instances publiques. Cette marge
de manœuvre est liée historiquement à la volonté d’accroître l’autonomie de gestion des
dirigeants d’entreprise publique encadrée toutefois par les contrats de plan et leurs
déclinaisons successives208. Comme le souligne Bureau (1997, p. 71), « l’accent est mis
aujourd’hui sur la notion de mandat de gestion donné aux présidents d’entreprises
publiques, notamment à l’occasion de leur nomination ». Dans ce contexte public, le
dirigeant bénéfice d’un espace discrétionnaire qui lui permet de négocier avec certains
groupes de partenaires, soit dans le cadre de la mise en œuvre de décisions publiques soit
dans le cadre de sa stratégie personnelle d’enracinement.
207 Charreaux (1997, p. 46) soulève la question du rôle actif mais segmenté que semble a priori jouer le marché des dirigeants français, en raison de l’importance des sphères politiques dans le devenir des hauts dirigeants formés essentiellement dans quelques grands centres dont sont issus les acteurs (souvent les mêmes) des instances politiques et des entreprises publiques et privées. 208 Comme nous l’avons déjà abordé (annexe 4), cette volonté de responsabiliser plus efficacement les dirigeants a été entamée par la commission Nora puis suivie en 1983 par la loi sur la démocratisation du secteur public.
191
Dans ce dernier cas, bien que la gouvernance publique réduise le recours aux incitations
monétaires par rapport aux objectifs de performance209, le dirigeant public peut chercher à
neutraliser en partie, le centralisme décisionnel public via les échanges informels par
exemple, auprès des représentants des salariés au conseil d’administration, élargissant de
ce fait sa faible autonomie de gestion initiale par un contrôle informel sur cette ressource
stratégique. Toutefois, cette latitude paraît limitée dans la mesure où les pouvoirs publics
sont susceptibles de négocier directement ces créances implicites, notamment par la
ratification d’une politique d’emploi satisfaisante pour conserver le soutien du groupe
d’intérêt concerné210. En outre, l’appartenance à un réseau d’anciens élèves aujourd’hui
dirigeants d’entreprises et membres de certains conseils d’administration, permet au
dirigeant de développer des activités stratégiques hors du champ d’action public avec le
soutien de ce réseau211. Cette capacité à effectuer des choix hors du contrôle public est
susceptible d’être plus grande si le dirigeant peut générer un autofinancement qui le rend
plus indépendant du contrôle financier public. Cette perspective avec ses propres
originalités est similaire à celle traditionnellement analysée dans le contexte privé. Bien
que divers degrés de latitude managériale semblent coexister dans le contexte
organisationnel public, le système de gouvernance centralisateur paraît limiter l’incitation à
l’enracinement et la possibilité d’accroître l’espace discrétionnaire compte tenu de
l’intervention forte des pouvoirs publics dans de nombreuses initiatives et ratifications
décisionnelles. Lors de la privatisation, la décentralisation du processus décisionnel au profit de
l’équipe managériale semble centrale dans la mesure où elle se traduit par une capacité
plus large d’intervention dans la décision. En ce sens, l’initiative est essentielle dans
l’orientation et l’influence que peut exercer le dirigeant vis-à-vis du conseil
d’administration et dans l’élargissement de sa marge discrétionnaire. Cette décentralisation
s’accompagne avec la privatisation, d’une incitation plus forte à poursuivre une stratégie
d’enracinement, son mandat étant moins corrélé aux échéances électorales qu’aux
209 Le système centralisateur favorise les activités d’influence qui consistent à influer sur les décideurs en vue d’une appropriation de rente par les groupes d’intérêts (Milgrom et Roberts, 1997, p. 350 et suivantes). Ainsi, dans une perspective de minimisation de coûts, d’un point de vue normatif, les mécanismes de rétribution les plus en cohérence avec le système décisionnel centralisateur, doivent reposer sur des critères objectifs de type, promotion et grille de rémunération à l’ancienneté. Il apparaît en conséquence, que le recours limité aux incitations monétaires en système centralisé soit limité. Toutefois, à l’instar de Breton et Wintrobe (1982), la rétribution de services informels au sein de la hiérarchie est susceptible de compenser la faiblesse des incitations monétaires liées à la structure formelle publique par les forces propres à la structure informelle. 210 Rappelons ici que l’analyse porte sur la forme la plus forte de l’entreprise publique. 211 notamment par diversification ou internationalisation via la création de filiales et sous filiales privées.
192
performances réalisées et au système de contrôle sur lequel elles repose. De plus, le recours
aux réseaux dans le développement de sa marge discrétionnaire paraît facilité au sein d’un
système de gouvernance mixte où les relations de long terme semblent favorisées par la
privatisation. Enfin, l’activation du marché financier permet un élargissement des choix de
financement, comparativement à l’éventail de choix du dirigeant public. Cet élargissement
des choix le rend moins dépendant structurellement des créanciers qui par ailleurs peuvent
faire partie du réseau d’échange.
Proposition 3 :
Avec la privatisation, la structure de propriété plus ouverte associée à un système de
gouvernance mixte accroît la marge discrétionnaire du dirigeant en matière de choix de
financement et d’investissement.
En référence à la TGP, le rôle du GE est de protéger les intérêts des différents
partenaires par une allocation spontanée ou intentionnelle des droits attachés à la fonction
de contrôle sur le processus de création et de répartition de valeur organisationnelle. En ce
sens, la performance partenariale dépend de l’efficacité du système de gouvernance. La
modélisation précédente de cette dynamique organisationnelle suggère ainsi une analyse de
l’orientation des choix du dirigeant dans un nouvel environnement d’évaluation. Celui-ci
combine certains aspects de la gouvernance de marché et de la gouvernance de réseau qui
semblent élargir son espace discrétionnaire, comparativement au contexte de gouvernance
publique. La question posée dans le prolongement de cette première analyse est la
suivante : quels sont les effets du système de gouvernance mixte induit par la privatisation
sur le comportement managérial de création de valeur ?
Section 3 : Dynamique du système de gouvernance et efficience organisationnelle
Au regard de l’analyse qui précède, la privatisation en modifiant le GE est susceptible
d’influer sur le niveau de valeur appropriable par les différents partenaires, d’autant plus
que la latitude managériale est élargie donc susceptible de permettre une marge de
négociation plus grande avec certains partenaires, comparativement à la situation publique.
Nous allons envisager dans cette seconde étape de notre modèle les conséquences
théoriques possibles de cette dynamique organisationnelle induite par la privatisation sur la
performance organisationnelle. Ce développement s’adresse ainsi à la question soulevée
193
par notre problématique de la relation entre privatisation et performance. Comment la
privatisation en modifiant la capacité de chaque partenaire à s’approprier une partie de la
rente, via le GE, influe-t-elle sur le processus de création et de répartition de la valeur
partenariale ? Nous proposons une analyse de cette relation du point de vue des
actionnaires, des salariés (également actionnaires) dont le dirigeant, des clients et des
fournisseurs que nous considérons comme les partenaires privilégiés de l’organisation dans
la mesure où ils représentent les principaux acteurs en relation contractuelle libre avec la
firme.
3.1. Privatisation, GE et politique financière : le point de vue des actionnaires
apporteurs de fonds
Le développement précédent a mis en évidence les principales caractéristiques de la
gouvernance publique, en particulier à l’égard de la relation d’agence entre dirigeant et
pouvoirs publics. La centralisation décisionnelle semble limiter la marge de manœuvre du
dirigeant mais l’efficacité réduite des contrôles semble octroyer au dirigeant une possibilité
d’orienter une partie des choix de création de valeur susceptible d’être appropriée par les
pouvoirs publics. Ainsi, la gouvernance publique laisse au dirigeant la possibilité
d’influencer les choix stratégiques de diversification et/ou d’internationalisation. Dans la
limite de son espace discrétionnaire, le dirigeant public est d’autant plus stimulé que les
risques de faillite bien que potentiels exercent une faible menace. L’Etat offre de manière
implicite une garantie et, dans certains cas, assure aussi un soutien politique privilégié à ce
type de stratégie, comme il peut l’exercer auprès des entreprises privées212. En ce sens, le
rôle disciplinaire de la dette paraît plus réduit dans le contexte de gouvernance publique,
tout comme celui du marché financier. De plus, la corrélation forte du mandat du dirigeant
public et des échéances électorales contribue au développement d’une stratégie de
surinvestissements qui, dans certains cas, peut être favorable à l’ensemble des partenaires
(investissements lourds d’infrastructure favorables au développement et à la qualité du
service public par exemple) ou défavorables lorsque le coût est trop élevé par rapport au
bénéfice produit, et donc supporté par l’ensemble des propriétaires réels, détenteurs du
droit aux créances et pertes résiduelles.
212 Ainsi, l’internationalisation et la diversification peuvent être présentées comme des choix à portée politique en période de récession (diversification des risques et équilibre des comptes) tout comme en période de croissance, de dérégulation ou d’innovation technologique qui supposent la saisie d’opportunités de marché, comme la dérégulation du secteur du gaz l’illustre aujourd’hui.
194
Lors de la privatisation, le système de gouvernance mixte introduit (ou réintroduit) le
rôle informationnel du marché financier et le contrôle plus strict des actionnaires
dominants dans une perspective de long terme213. L’abandon par les pouvoirs publics du
contrôle décisionnel est susceptible de s’accompagner notamment de la suppression des
formules de compensation de contraintes de service public ou de concours d’équilibre (qui
traduisent l’assomption de l’incertitude et des résultats nets du propriétaire public). La
privatisation est donc censée accroître la menace associée au risque de défaillance et de
faillite, comparativement au statut de l’entreprise publique. En activant la discipline de la
dette et du marché financier, elle est donc susceptible d’une part, de réduire l’incitation
managériale à développer des projets risqués comparativement au contexte public, d’autre
part, de favoriser une politique d’investissement plutôt court termiste en raison de
l’introduction de contrôle financier exercé par le marché financier214. Toutes choses égales
par ailleurs, la privatisation pourrait donc s’avérer défavorable à une politique
d’investissement optimale, notamment par la renonciation à des investissements bénéfiques
à long terme215.
Toutefois, la présence d’actionnaires partenaires, notamment financiers au sein du
conseil d’administration est susceptible d’orienter l’évaluation du comportement
managérial sur la base de critères de contrôle stratégiques plus favorables à une politique
d’investissement de long terme et de niveau de risque conforme aux intérêts actionnariaux.
Cette incitation à privilégier un horizon plutôt long termiste paraît d’autant plus forte
lorsque la privatisation s’accompagne d’une association du dirigeant et des salariés au
capital de l’entreprise via une indexation de la rémunération sur les performances
boursières.
La combinaison du rôle disciplinaire de la dette, du marché financier et du rôle des
actionnaires dominants privés et du système de rémunération plus incitatif est donc 213 Remarquons ici que l’entreprise publique peut émettre des titres sur le marché financier (certificats d’investissement, obligations). Toutefois la valeur informationnelle de ces titres et le pouvoir de contrôle par le marché paraissent limités, comparativement au contexte de l’entreprise privée, compte tenu de la nature publique de l’entreprise (titres sans droit de vote). 214 Typique du système de gouvernance de marché, le contrôle financier repose sur des critères objectifs de performance comme les résultats comptables et boursiers à l’inverse des contrôles stratégiques qui privilégient des critères plus qualitatifs et subjectifs. Ils intègrent des indicateurs d’objectifs sur le long terme, ponctués de références de court terme, sectorielles et concurrentielles. Ainsi, Godard (1997) observe la corrélation entre la prédominance d’administrateurs externes, les modes de contrôle financier et le choix stratégique de diversification. 215 Cela suppose que le marché exerce une pression en faveur d’une politique d’investissement plus court termiste comparativement au contexte public ce qui ne signifie donc pas que le marché soit exclusivement court termiste.
195
susceptible de réduire certaines sources de coûts qui accompagnent la politique
d’investissement au sein de l’organisation publique (autonomie réduite, objectifs multiples,
coût de neutralisation partielle de la centralisation décisionnelle par une politique de
surinvestissement). Cette combinaison s’accompagne en outre d’une définition plus claire
des objectifs des principaux propriétaires comparativement aux propriétaires publics qui
les cumulent216. Par ailleurs, le rôle informationnel du marché financier complète la
valorisation du capital humain managérial qui tout du moins en France passe en particulier
par les réseaux des grandes écoles. Dans la période qui suit la privatisation, notamment par
OPV, le dirigeant est incité à effectuer des choix financiers sanctionnés favorablement par
le marché et à entreprendre une activité de dédouanement à l’égard de l’ensemble de la
communauté actionnariale.
En référence à l’analyse de la TPA sur le système de coordination et de contrôle, la
délégation du processus décisionnel au profit de l’équipe managériale induite par la
privatisation est soutenue par un système de contrôle de la performance qui permet aux
différents types d’actionnaires d’exercer un ensemble de contrôles complémentaires plus
efficaces de la politique menée par le dirigeant. Dans cette perspective, lors d’une
privatisation partielle, l’Etat actionnaire délègue en définitive une partie du contrôle aux
actionnaires privés. Ce contrôle concerne les objectifs d’investissements propres au
développement de la firme. Le contrôle par les pouvoirs publics se limite alors aux
objectifs de service public ou plus politiques, traduisant ainsi une réelle délégation de la
politique générale de l’entreprise au dirigeant. En ce sens, l’AO consécutive à la
privatisation paraît plus favorable à la création de valeur actionnariale par le dirigeant.
Proposition 4 :
Le système de gouvernance mixte associé à la privatisation incite davantage le dirigeant à
accroître la valeur appropriable par les actionnaires, comparativement aux incitations
associées au système de gouvernance publique.
En outre, la modification du système de contrôle devrait engendrer une modification de
sa politique de financement. La privatisation permet un accès plus ouvert au marché
216 Comme le relève Jones (1991), « quand on demande aux dirigeants des entreprises publiques comment améliorer leur efficacité, ils répondent : « nous donner des objectifs clairs, l’autonomie pour les poursuivre et nous juger sur nos résultats ».
196
financier. Elle offre ainsi un choix plus large de modes de financement, comparativement
aux possibilités propres au contexte public de recourir davantage à l’endettement bancaire.
Toutefois, la présence d’actionnaires partenaires financiers, et donc le contrôle par la
banque partenaire devrait conduire à privilégier l’endettement. Par ailleurs, ce choix de
ressources peut être perçu comme un signal positif par le marché en raison de la présence
d’un partenaire financier au sein du GAP, auquel est déléguée d’une certaine manière la
fonction de contrôle. De plus, dans le contexte de l’Europe occidentale, lors de sa
privatisation, l’entreprise présente une situation financière saine afin d’attirer les
investisseurs nationaux et étrangers, laissant ouverte la possibilité du recours à
l’endettement pour le financement d’opérations d’investissement. Enfin, l’endettement
constitue une forme de contrôle du comportement du dirigeant qui, par ailleurs, peut
constituer pour lui, une forme de dédouanement. L’endettement peut aussi contribuer à la
valorisation de son capital humain pendant cette période d’ouverture à la communauté
financière.
Proposition 5 :
La structure de propriété et le système de gouvernance mixte associé à la privatisation
incitent le dirigeant à recourir davantage au financement par endettement que par appel au
marché malgré l’accès plus facile à ce dernier.
3.2. Privatisation, GE et politique financière : le point de vue des salariés
Le principal mode de contrôle des intérêts des salariés modifié par la privatisation
recouvre le contrôle hiérarchique au sein duquel est définie une partie de leur système de
rémunération, notamment la partie variable, dépendante des mesures comptables et
boursières de la performance217.
L’analyse du lien entre privatisation et processus décisionnel a mis en évidence la
décentralisation de la fonction de décision aux niveaux hiérarchiques où est localisée la
connaissance spécifique. Les mécanismes internes de contrôle du comportement des
salariés consécutifs à la privatisation sont fondés sur l’incitation à la performance. Le
contrôle hiérarchique consécutif à la privatisation, en tant que mécanisme d’évaluation de
217 Le salaire fixe est fonction des attributs du travail, de l’investissement en capital humain et des caractéristiques organisationnelles. Nous supposons que la privatisation n’influe pas significativement sur cette dimension du système de rémunération comparativement aux deux autres, dépendantes de la performance mesurée comptablement et en valeur de marché.
197
la performance notamment sur des critères comptables, permet de valoriser
l’investissement en capital humain. Dans l’entreprise publique, ce même mécanisme
d’évaluation limite, comme nous l’avons démontré précédemment, les incitations à la
valorisation de ce capital. Les détenteurs de compétences spécifiques sont ainsi plus incités
à les valoriser, par la prise de décision dans le sens des critères de performance,
comparativement à leur position dans la firme publique. De plus, comme le souligne
Desbrières (1997), à l’appui de différents travaux, la surveillance mutuelle complémentaire
au contrôle hiérarchique fondée sur des mesures comptables de performance, réduit les
actions individuelles de passager clandestin et favorise la collaboration horizontale et
verticale. En ce sens, comme le stipule notre proposition 2b, la décentralisation du
processus décisionnel au sein de la hiérarchie est fondée sur un système d’évaluation de la
performance sur critères comptables qui paraît a priori plus incitatif que dans la forme
forte de l’entreprise publique. Ce système d’évaluation et de récompense est donc
susceptible d’augmenter la responsabilité des centres décisionnaires et leur participation au
processus de décision ainsi que le niveau d’incitation des salariés à la performance,
notamment à la productivité.
En outre, l’actionnariat salarié représente un mode incitatif nouveau pour la plupart des
salariés des entreprises privatisées218. Ce mécanisme interne de mise en convergence des
intérêts des salariés dont le dirigeant, avec celui des actionnaires, constitue une autre forme
de participation financière susceptible de résoudre les conflits entre propriétaires et
salariés. Desbrières (1997, p. 366) considère que la participation est particulièrement
incitative dans la mesure où elle fixe « contractuellement la contrepartie, d’une part, des
effort déployés par les dirigeants et les employés pour maximiser la richesse des
actionnaires, d’autre part, de l’investissement non diversifiable de leur capital humain dans
l’entreprise ». La spécificité du capital humain contribue à la partie non diversifiable de
l’investissement du salarié mais elle est associée à une prise de décision effective lors de la
décentralisation. En ce sens, comme le relève Desbrières (Op. Cit, p. 374) dans sa synthèse
des travaux sur les formules d’actionnariat, ce mécanisme incitatif à la création de valeur
actionnariale est d’autant plus incitatif que la séparation fonctionnelle dirigeant-
218 Remarquons ici à l’instar de Couret et Hirigoyen (1990, p. 15) que l’actionnariat salarié n’est pas l’exclusivité du secteur privé puisque dans le secteur public, la Régie Nationale des Usines Renault, par exemple a associé à son capital 73500 salariés en 1975. Toutefois, la non-cessibilité des titres en dehors du champ de l’organisation publique a entraîné la formation d’un marché interne qui a conduit à l’échec de cette formule. Notons également, les formules de transfert d’actions gratuites au profit du personnel des banques et compagnies d’assurance par la loi du 4 janvier 1973.
198
actionnaires est forte. En ce sens, ce mécanisme est incitatif pour les salariés susceptibles
d’intervenir sur les décisions valorisée par le marché. Il est susceptible de conduire les
décideurs à privilégier des opportunités d’investissements risqués, à forte croissance, par
endettement. Si les risques de conflits avec les prêteurs augmentent avec de telles formules
(transfert de richesse lié à la prise de risque supplémentaire), le système de gouvernance
mixte lié à la privatisation paraît les limiter, notamment en raison d’un contrôle de
l’actionnariat dominant au sein duquel peut figurer une banque partenaire.
Les mécanismes internes de rémunération basés sur la performance comptable (système
de bonus), ou boursière (allocation d’actions au dirigeant voire aux salariés) supposés
incitatifs, sont également inexistants au sein de l’entreprise publique, les mécanismes de
marchés étant nécessaires à leur fonctionnement. Après la privatisation, la valeur
appropriable par le salarié, en tant que partenaire de la firme dépend de sa rémunération
basée en partie sur des critères comptables et boursiers et sur le niveau de spécificité de ses
compétences. D’où la proposition suivante :
Proposition 6 :
La privatisation via le système de gouvernance mixte (rémunération indexée sur la
performance comptable et/ou boursière) permet aux salariés actionnaires d’accroître le
niveau de la valeur qu’ils peuvent s’approprier, a fortiori pour les salariés-actionnaires au
capital humain fortement spécifique à la firme.
Concernant plus particulièrement le dirigeant, l’accroissement de sa marge
discrétionnaire sur les choix d’investissement et de financement, combinée à un système de
rémunération plus incitatif qui privilégie la spécificité du capital humain est susceptible de
modifier le niveau de la rente managériale.
Proposition 7 :
Avec la privatisation, le système de gouvernance mixte permet au dirigeant d’accroître le
niveau de valeur managériale qu’il peut s’approprier.
199
3.3. Privatisation et valeur partenariale : le point de vue des clients et des
fournisseurs
Comment la privatisation modifie-t-elle le comportement des clients vis-à-vis du
processus décisionnel et du niveau de la valeur appropriable par cette catégorie de
stakeholders ? Leur droit sur la création de la valeur est-il influencé par le changement
organisationnel ?
Dans le cas d’une privatisation de monopole public, l’ouverture à la concurrence
accompagne généralement ce type de privatisation (cas des télécommunications). La
dérégulation du marché des biens ou des services instaure une concurrence nouvelle pour
le monopole initial. Celle-ci leur offre un droit d’accès aux ressources beaucoup plus large
que dans la situation de monopole public, ce qui leur donne un pouvoir de négociation plus
important. L’impératif d’efficacité productive s’impose au dirigeant du monopole et
représente de ce fait un mode externe d’incitation et de contrôle de sa gestion. Les clients
peuvent en effet sanctionner la firme en décidant de rompre leur contrat avec elle, les coûts
de sortie étant faibles en raison du nombre d’acteurs entrants sur un marché dérégulé.
Ce déséquilibre de rapports de force associé à la privatisation d’un monopole public
explique le passage du qualificatif d’usagers à celui de client. En effet, la pression
concurrentielle exige un minimum d’efficacité productive et constitue en cela un mode
externe de contrôle de la performance du dirigeant (à la disposition des clients), les moins
performants étant éliminés (Milgrom et Roberts, op. Cit.). L’apparition de la compétition
confère aux clients un droit de contrôle sur la création de valeur par la firme qui doit
s’adapter à cette nouvelle donne.
En revanche, dans l’entreprise publique appartenant à un secteur concurrentiel, le
marché des biens et services exerce une pression sur le dirigeant. La survie de la firme
contraint le dirigeant à accroître sa part de marché et à développer des relations de long
terme avec ses clients. Toutefois, le dirigeant est moins incité à arbitrer de façon optimale
entre les risques et la rentabilité des investissements puisqu’il est garanti par l’Etat (le cas
du Crédit Lyonnais illustre cette spécificité de l’entreprise publique, Cf. Charreaux, Op.
cit.). La privatisation ne semble donc pas modifier l’intensité du contrôle par le marché des
200
biens et services. Ainsi, avant et après la privatisation le dirigeant paraît soumis au même
niveau de contrôle exercé par les clients.
En outre, lors de la privatisation, parmi les clients de la firme, certains peuvent devenir
actionnaires. En conséquence, leur droit de contrôle via le marché est complété par leur
droit de contrôle sur la création de valeur en tant qu’actionnaire. Ce statut lié à la
privatisation leur permet de bénéficier d’informations internes. Ils peuvent exercer leur
droit de vote et agir ainsi sur le processus décisionnel en matière de création de valeur,
d’autant plus s’ils appartiennent au groupe d’actionnaires partenaires. En effet, cette
position peut leur octroyer un siège au conseil d’administration, lequel devient pour les
clients concernés un mode de contrôle effectif sur les décisions prises. Enfin, la
décentralisation des droits décisionnels au niveau local suppose une prise de décision
optimale dans la mesure où les décideurs détiennent les informations pertinentes (principe
de co-localisation), à l’appui du système d’évaluation de la performance. D’où l’hypothèse
suivante :
Proposition 8 :
La décentralisation du processus décisionnel induite par la privatisation combinée aux
mécanismes d’évaluation sous-jacents accroît le niveau de valeur appropriable par les
clients, a fortiori si ces derniers sont membres du GAP et/ou si la privatisation
s’accompagne de la dérégulation sectorielle.
Concernant les fournisseurs et l’incidence de la privatisation sur leur droit à la création
de valeur, il convient de faire la même distinction entre entreprise publique monopolistique
et entreprise concurrentielle. Le marché des biens et services ne joue pas le même rôle dans
les deux cas de privatisation. Dans le premier cas, la dérégulation associée au changement
organisationnel contraint le dirigeant au même impératif de productivité, ce qui implique
une minimisation des coûts et notamment par la recherche de fournisseurs les plus offrants.
L’incitation pour le dirigeant est moins forte au sein de la firme publique ce qui le conduit
lors de la privatisation à rompre éventuellement les contrats avec les fournisseurs si les
conditions initiales de la transaction sont moins avantageuses au profit d’une transaction
plus efficace avec d’autres acteurs. Le droit des fournisseurs à la création de valeur peut
donc être spolié lors de la privatisation d’un monopole public.
201
Dans le cas de la privatisation d’une entreprise publique concurrentielle, la
minimisation des coûts est contrainte par l’impératif d’efficacité productive. Toutefois, les
incitations du dirigeant de la firme publique sont moins fortes que dans la firme privée. Les
risques de spoliation des fournisseurs existent dans une moindre mesure lors d’une
privatisation de ce type.
Enfin, si le fournisseur prend une part au capital de la firme privatisée, les risques de
spoliation peuvent être minimisés par l’acquisition du droit de contrôle associé au statut
d’actionnaire. Ce mode d’exercice du contrôle de la transaction par le fournisseur est plus
prégnant s’il appartient au groupe d’actionnaires partenaires. Les informations internes
fournies au niveau du conseil d’administration renforcent l’exercice de son droit à la
création de valeur et donc permettent au fournisseur actionnaire de contrôler le niveau de
valeur qu’il peut s’approprier.
Proposition 9 :
La décentralisation du processus décisionnel induite par la privatisation combinée aux
mécanismes d’évaluation sous-jacents engendre une réduction du niveau de valeur
appropriable par les fournisseurs, a fortiori lors de la privatisation d’un monopole public.
Toutefois, le niveau de valeur appropriable par le fournisseur peut augmenter si ce dernier
est membre du groupe d’actionnaires partenaires.
Conclusion du chapitre 4
Au regard de notre modèle, il semble donc que la privatisation agisse à deux niveaux
organisationnels. D’une part, la privatisation modifie l’AO, notamment par une adaptation
des différentes composantes du GE associée à un changement de la répartition des droits
décisionnels. D’autre part, en corollaire, cette dynamique organisationnelle provoquée par
un changement institutionnel essentiel pour l’organisation (d’un point de vue juridique et
économique), semble modifier le droit de chaque partie prenante à l’appropriation d’une
partie de la rente créée. En modifiant l’AO, la privatisation semble accroître le niveau de
création de valeur partenariale à l’appui d’un système de GE mixte. Celui-ci semble
combiner les effets incitatifs à la création de valeur partenariale par rapport à laquelle le
niveau d’appropriabilité par les différents partenaires varie comparativement au contexte
public. En ce sens, la rente créée après privatisation semble plus importante en raison de la
202
combinaison particulière des mécanismes de GE. Toutefois, notre modèle permet de
nuancer cette conclusion générale selon les caractéristiques des composantes
institutionnelles qui « contraignent219 » les composantes réglementaires et contractuelles220
nationales et propres à chaque cas de privatisation.
219 Roberts et Greenwood (1997) par exemple proposent un modèle de l’efficience contrainte selon lequel, l’adaptation des formes organisationnelles donc les changements des firmes s’inscrivent dans un processus de choix encastré dans un ensemble de contraintes institutionnelles. 220 En référence à notre tableau n°7 du chapitre 3 relatif à la nature de la gouvernance et à la typologie des mécanismes de GE.
203
Conclusion de la deuxième partie
En définitive, l’analyse comparative des formes organisationnelles abordée en première
partie, constitue une articulation entre les limites de la littérature et la relecture que nous
avons proposée de la privatisation. Cette articulation, centrale, a permis de remonter aux
origines d’une grille théorique intégratrice de ces divers apports théoriques de la littérature.
Elle représente d’une certaine manière une refomulation de la problématique de départ sur
le lien entre privatisation et performance. La problématique essentielle abordée dans la
littérature privilégie comme hypothèse centrale, la supériorité du système de propriété
privée sur le système de propriété publique. Inscrite dans cette perspective, l’analyse
comparative des formes organisationnelles a conduit à reposer la question de la
privatisation dans les termes suivants : en tant que processus d’évolution organisationnelle
de la propriété, la privatisation influe sur le processus décisionnel de création et de
répartition de la valeur partenariale de manière variable sur les différents partenaires.
Cette nouvelle approche de la privatisation est construite sur la base d’une lecture de la
firme telle que la propose la TPA. Ce cadre théorique a permis une lecture renouvelée de la
relation entre privatisation et performance que nous pouvons résumer en trois points.
Premièrement, à l’appui de ces théories fondatrices, la TPA a permis de concevoir la
privatisation comme un processus de décentralisation de la propriété publique qui, dans sa
forme la plus forte, se conclut par un abandon très significatif de la participation des
pouvoirs publics au processus décisionnel. La privatisation constitue ainsi une
modification de leur position. De partenaire essentiel au processus décisionnel ils
deviennent une des parties prenantes exerçant une influence plus ou moins directe,
contractuelle, qui se limite essentiellement à un contrôle légal et institutionnel.
Deuxièmement, cette modification essentielle de l’architecture organisationnelle se traduit
par une adaptation du GE qui semble combiner certaines caractéristiques incitatives du
SGM (système de gouvernance orienté marché) et du SGR (système de gouvernance
orienté réseaux). Troisièmement, cette dynamique du GE implique un changement large
des rapports de chaque partie prenante au processus décisionnel de création de la valeur
organisationnelle et de sa répartition. L’approche contractuelle de la privatisation souligne
la décentralisation graduelle du processus décisionnel combinée à une adaptation du
système de gouvernance et du processus de création et de répartition de la valeur
actionnariale et salariale. D’un modèle centralisé, le gouvernement d'entreprise s’oriente
204
après la privatisation vers un modèle fondé sur des mécanismes de marché et sur des
mécanismes internes complémentaires susceptibles de valoriser les compétences et
d’accroître l’incitation à la performance.
En ce sens, la TPA a permis de démontrer le rôle essentiel du GE dans l’efficience
organisationnelle de second ordre, en tant que capacité de la firme à minimiser sous
contraintes, ses coûts d’agence via un ensemble de mécanismes qui encadrent le
comportement du dirigeant dans le processus de création et de répartition de la valeur
organisationnelle. Ainsi, notre lecture de la privatisation à partir de la théorie partenariale
de la gouvernance propose une vision de la gouvernance comme l’ensemble des
mécanismes par lesquels les parties prenantes à l’organisation protègent leurs intérêts
propres c’est-à-dire par lesquels elles participent au processus décisionnel de création de
valeur au centre duquel se trouve le dirigeant. Les modalités de cette participation varient
notamment en raison des facteurs institutionnels qui définissent les règles du jeu
organisationnel. En ce sens, la gouvernance est directement influencée par les institutions
desquelles découlent les schémas mentaux des parties prenantes à l’organisation221.
Cette approche théorique, construite sur une synthèse critique des travaux sur la
privatisation et sur un renouvellement de l’analyse à partir de la TGP, nous conduit à la
conclusion finale relative au stade de développement de la TGP. Comme le suggèrent les
diverses voies d’investigation théorique et empirique sur la gouvernance, la TGP est une
théorie en cours de construction. Il reste par conséquent, des zones théoriques non
explorées, à approfondir. Mais, comme toute théorie en devenir, si elle doit faire ses
preuves, c’est aussi à force de retour sur ses propres interprétations de la réalité, comme le
suggère Jensen (1983) et la lecture qu’en a proposé Wirtz (2000) dans sa thèse sur la
gouvernance.
Dans cette même perspective, nous proposons maintenant une mise à l’épreuve du modèle
que nous avons présenté à l’appui d’une lecture de la privatisation par la TGP. Cette
confrontation est conduite à partir de deux études de cas d’entreprises privatisées. La
deuxième étude permet une première réplication du modèle. Nous rejoignons ainsi de
221 Nous renvoyons le lecteur à la thèse de P. Wirtz, (2000) relative au développement de cette branche de la théorie explicative de la gouvernance.
205
nombreux travaux récents sur la gouvernance. Ceux-ci suggèrent en même temps que la
construction de cette théorie générale de la firme, une orientation empirique susceptible de
prendre en compte les aspects qualitatifs du fonctionnement de l’organisation, et
notamment les influences interdépendantes de variables qualitatives comme le contexte de
privatisation, de secteur sur le GE. De là, dans la finalité de toute démarche scientifique,
ces mêmes modalités d’investigation qualitatives suggèrent une mise à l’épreuve du
modèle, à partir de différentes études, afin de statuer sur la plausibilité de la TGP en
particulier.
Dès lors, notre travail de recherche consiste à expérimenter notre modèle sur le terrain
autrement dit, à le confronter aux réalités auxquelles il s’adresse. La troisième partie est
consacrée au positionnement méthodologique qu’impose le traitement qualitatif de la
problématique de la relation entre privatisation et performance organisationnelle avant
d’aborder les résultats d’une mise à l’épreuve de la plausibilité de notre modèle.
206
Troisième partie
Privatisation et processus décisionnel :
une intégration de la dynamique de la gouvernance
à travers deux études de cas
207
Dans la première partie de ce travail, nous avons analysé les controverses théoriques et
empiriques concernant les effets de la privatisation sur la performance. A partir de cette
observation, notre objectif vise l’explication des processus réels induits au sein de
l’organisation par ce phénomène si répandu. Le développement théorique précédent est
ainsi fondé sur une analyse générale de la privatisation à partir des apports de la littérature
puis sur une lecture approfondie de la privatisation au regard de la TGP. Face à la nécessité
de comprendre comment la privatisation agit sur l’AO, nous avons proposé dans le chapitre
4, une modélisation de la dynamique organisationnelle dans le contexte de la privatisation.
Notre modèle suggère une exploration de la relation complexe entre la privatisation et le
processus décisionnel à différents niveaux de l’architecture d’une ou plusieurs firmes
concernées par la privatisation. Pour se prononcer sur sa portée explicative, le
développement précédent conclut ainsi à la nécessaire confrontation des liens théoriques
proposés, d’une part entre la privatisation et les différentes composantes de l’AO, d’autre
part entre cette dynamique organisationnelle et « l’appropriabilité » de la valeur par
plusieurs partenaires.
Ainsi, un premier aboutissement du processus scientifique que nous avons mené
jusqu’ici doit consister comme le suggère notre modèle, à observer au sein des entreprises
privatisées, une modification de la répartition des droits décisionnels, induite par la
privatisation, un changement sous-jacent du GE et du niveau de valeur partenariale
appropriable.
Dans cette perspective, cette troisième partie de notre travail rejoint la dimension
empirique de la démarche scientifique générale. Dans la logique positiviste, nous nous
intéressons dès lors à la confrontation de notre modèle aux faits réels. Cette étape du
processus scientifique nous conduit naturellement dans cette dernière partie, à poser la
question de la plausibilité des propositions générales présentées précédemment. Le
chapitre 5 aborde une réflexion méthodologique préalable sur le choix d’investigation
empirique par rapport au modèle théorique. Nous développons ici les arguments sur
lesquels est fondée notre stratégie d’accès au réel en rapport avec notre objectif de
recherche. Nous explicitons de cette manière le choix du mode opératoire pour lequel nous
avons opté, afin de rapprocher une question de recherche fondée sur l’étude des processus
organisationnels et son test de cohérence à partir d’une recherche qualitative. Le chapitre
6 expose les résultats de nos observations à travers deux cas de privatisation. Le premier
208
cas concerne la privatisation d’Air France dont le secteur a fait l’objet d’une dérégulation il
y a quelques années. Il s’agit ici de tester la plausibilité de notre modèle. Le second cas
concerne la privatisation de DSM, entreprise hollandaise intervenant sur le secteur de la
chimie222.
222 Cette étude a été menée au cours d’un séjour de recherche à l’université d’Erasmus au sein du département d’économie institutionnelle de J. Groenewegen.
209
Chapitre 5
Privatisation, processus décisionnel et gouvernement d’entreprise :
Réflexion méthodologique
Sur le plan méthodologique, […]Sur le plan méthodologique, […]Sur le plan méthodologique, […]Sur le plan méthodologique, […] les hypothèses controversées reçoivent leur meilleure confirmation lorsque les hypothèses controversées reçoivent leur meilleure confirmation lorsque les hypothèses controversées reçoivent leur meilleure confirmation lorsque les hypothèses controversées reçoivent leur meilleure confirmation lorsque
différents types de différents types de différents types de différents types de travaux entièrement indépendants arrivent au même résultat. travaux entièrement indépendants arrivent au même résultat. travaux entièrement indépendants arrivent au même résultat. travaux entièrement indépendants arrivent au même résultat.
S. J Gould, Essai n°8, p. 142S. J Gould, Essai n°8, p. 142S. J Gould, Essai n°8, p. 142S. J Gould, Essai n°8, p. 142
210
L’objet de ce chapitre consiste en une réflexion préalable sur le choix des méthodes de
confrontation de notre modèle à la réalité. Ce choix instrumental s’inscrit plus largement
dans une réflexion sur le positionnement épistémologique de la démarche scientifique.
Comme le stipule le principe méthodologique proposé par Popper (1991, p. 519), « les
théories satisfaisantes doivent, en principe, transcender les exemples empiriques qui leur
ont donné naissance ». L’observation tient alors un rôle décisif puisqu’elle constitue le
siège de l’expérience, laquelle permet de falsifier ou non une conjecture. Ainsi, à partir
d’un phénomène réel, la tâche scientifique consiste en de multiples interactions entre
théories et faits223. Développé entre autres par la réflexion épistémologique poppérienne, le
processus scientifique consiste en un enchaînement d’observations, d’explication du
phénomène observé, de prédictions et de leur test sur d’autres situations réelles. Dans le
cadre de notre propre réflexion, nous avons cherché à expliquer les processus par lesquels
la privatisation modifie l’AO et les conséquences de ces changements organisationnels sur
le niveau de valeur appropriable par le différents partenaires. L’étape suivante du
processus de notre recherche consiste en une confrontation de notre modélisation des liens
complexes entre privatisation et fonctionnement organisationnel à une ou plusieurs
situations réelles.
Si l’observation est décisive dans le déroulement et l’aboutissement du processus
scientifique, la manière de la conduire l’est tout autant. La question qui se pose alors est
celle du choix de l’approche instrumentale du phénomène étudié, des moyens de recueil et
d’analyse des données afin d’articuler de manière pertinente et rigoureuse les concepts et
leurs liens avec les faits. Plus précisément, cette question relève de l’objectif de la
modélisation et de ses modes opératoires dans le cadre d’une confrontation au terrain. Le
choix du positionnement méthodologique par rapport à la problématique de recherche
nécessite par conséquent, quelques explications (section 1). Nous proposons ensuite une
223 Précisons qu’il existe plusieurs approches scientifiques de la connaissance. Elles dépendent entre autres, de la nature de la recherche, descriptive, explicative et/ou prédictive et des objectifs associés. Leur pluralité n’implique pas systématiquement une rivalité entre elles, comme le prétend Wacheux (1992). Leur spécificité réside dans l’approche instrumentale de l’observation (déductive, inductive, analytique, clinique, expérimentale ou statistique) qui demeure essentielle à l’accumulation de la connaissance (Wacheux, Op. cit., p. 50 et suivantes). Toutes néanmoins, procèdent d’un va et vient entre représentations théoriques et observations. Ainsi, d’un bout à l’autre du spectre de la conception du savoir, on peut distinguer l’abductivisme qui dérive la théorie à partir de l’observation et le falsificationisme pour lequel une théorie réfutable guide l’observation. Ces conceptions de la formation de la connaissance ont permis en outre, de développer différentes perspectives de la science sous forme de programmes de recherche de Lakatos et de paradigmes scientifiques - dont le passage de l’un à l’autre témoigne d’un progrès scientifique selon Kuhn - (Chalmers, 1987).
211
réflexion sur les critères de validité scientifique qui conditionnent la rigueur de
l’observation lors de l’analyse des données (section 2). Enfin, nous présentons une
transcription de la démarche méthodologique que nous avons effectuée pour articuler notre
modélisation des effets de la privatisation sur le fonctionnement organisationnel avec deux
cas de privatisation (section 3).
Section 1 : Problématique fondée sur les processus organisationnels et choix du
positionnement méthodologique
La question méthodologique renvoie au choix pertinent de la méthode d’investigation
empirique par rapport au problème examiné. L’adéquation entre l’approche instrumentale
et l’objet de la question de recherche détermine en effet le type de connaissance à laquelle
on souhaite parvenir lors d’une confrontation d’une grille théorique avec les faits. La
nature de la problématique étudiée est par conséquent essentielle dans le choix d’une
méthode de test. En particulier, lorsqu’elle se concentre sur l’examen des mécanismes
sous-jacents à un phénomène, la problématique fait appel à une approche qualitative du
terrain. En ce sens, l’étude de cas constitue une stratégie de recherche particulièrement
adaptée à la compréhension de phénomènes complexes susceptibles de s’étaler dans le
temps. Notre modélisation de la relation entre la privatisation et la performance relève de
cette problématique. Elle fait suite au renouvellement nécessaire de la question de la
privatisation soulevée par l’évolution méthodologique que nous avons observée dans la
littérature. Nous montrons ainsi le potentiel méthodologique de l’étude de cas et sa
pertinence dans le développement de la compréhension du phénomène complexe que
recouvre la privatisation (1.1). Restitué au sein de la démarche scientifique générale, notre
choix méthodologique est motivé par la portée explicative de notre modèle. Nous
proposons une analyse de sa fonction scientifique dans la conduite de notre recherche, tant
au niveau de la problématique de la privatisation qu’au niveau du positionnement
épistémologique de la TGP.
1.1. Approche instrumentale qualitative et étude de cas : le choix d’une stratégie de
recherche
Comme l’illustre notre synthèse des travaux empiriques sur la privatisation, plusieurs
approches instrumentales sont susceptibles de traiter une même problématique. En
212
référence aux deux premiers chapitres, le lien entre privatisation et performance a été traité
majoritairement à partir d’études transversales qu’il s’agissent des études comparatives de
performance publique/privée ou avant/après privatisation. Ainsi, l’approche instrumentale
du lien entre privatisation et performance s’est traduit au départ, par un choix pour un
échantillonnage statistique représentatif d’une population224. Toutefois, l’évolution
méthodologique a consisté en une orientation de l’analyse vers des études plus ponctuelles
même si les mesures employées restent encore largement quantitatives225.
Dans la première approche, l’objectif est le repérage de régularités à partir de données
standardisées essentiellement quantitatives. Ainsi, à partir d’une compilation de données
comptables et financières (comme par exemple, la rentabilité des fonds propres, la
rentabilité des actifs, la croissance du chiffre d’affaires, le taux d’endettement, etc.), les
études transversales ont permis de repérer les effets positifs (plus ou moins significatifs) de
la privatisation sur plusieurs dimensions de la performance en statique ou en dynamique.
Dans la seconde approche, l’objectif de la modélisation est d’étudier en profondeur un
phénomène, un processus à partir d’un échantillonnage qualitatif portant sur un ou
plusieurs cas ponctuels. Si Popper (Op. cit., p. 520) souligne « l’exigence de devoir
remplacer autant que possible les énoncés qualitatifs par des énoncés quantitatifs » afin
d’accroître la testabilité d’une théorie, l’auteur remarque aussi que ces procédés de mesure
ont été assez tardifs dans certaines sciences et non utilisés par toutes.
Ainsi, certaines problématiques226, qui reposent sur des conjectures essentiellement
qualitatives, fondées sur des observations difficilement quantifiables, contraignent
fortement le choix de leur instrumentalisation au profit d’une démarche qualitative. Une
première instrumentalisation de notre modèle organisationnel de la privatisation pourrait a
priori être conduite à partir de l’élaboration d’un questionnaire. Celui-ci (présenté en
annexe11) doit permettre de collecter, sur un échantillon représentatif d’une population
d’entreprises privatisées, un ensemble de données qualitatives pour les trois niveaux
224 Comme l’étude internationale de Megginson et al. (1994) sur les variations de performance avant et après privatisation, ou celle présentée par Alexandre et Charreaux (2001) relative à un échantillon d’entreprises privatisées françaises. 225 Comme par exemple, l’étude de Parker (1994) relative à British Telecom, ou celle de Galal et al. (1994) sur 12 entreprises de quatre nationalités différentes. 226 notamment celles développées par le champ organisationnel, dont celui de la TPA et ses différents axes de recherche (gouvernance et performance organisationnelle, nature du comportement humain, systèmes de coordination, d’évaluation de la performance et gestion des ressources humaines, nature de la technologie et AO).
213
d’analyse de notre modèle (processus décisionnel, système de gouvernance
organisationnelle et valeur appropriable). Cette première voie d’investigation empirique
qualitative que nous avions engagée au départ, rencontre cependant plusieurs limites
d’ordre technique et d’ordre épistémologique. D’un point de vue technique, le
questionnaire que nous avons élaboré était destiné à une population européenne. Or,
l’histoire des privatisations, en particulier dans les pays de l’Union européenne, a constitué
un obstacle important à la poursuite de cette démarche. En effet, les premières
privatisations sont déjà anciennes (comme celle de British Petroleum entre autres, dont la
première cession date de 1977, finalisée en 1987). De plus, les personnes de la direction
susceptibles d’être interrogées sont soumises pour les cas de privatisation les plus anciens,
à des biais importants de mémoire ou ont poursuivi leur carrière dans d’autres entreprises.
Ces deux facteurs combinés au nombre limité de privatisations européennes (environ 70
cas) et à leur hétérogénéité ont contraint le taux extrêmement faible des réponses. Un autre
obstacle à cette démarche par questionnaire est lié à l’importance (dissuasive pour le
répondant) du nombre de questions nécessaires pour tester correctement notre modèle. Au-
delà de ces considérations techniques qui ne nous ont pas permis de mener à terme cette
approche empirique, le statut épistémologique de notre recherche permet d’appréhender
plus fondamentalement les limites d’une investigation par questionnaire. En effet, cette
méthode d’investigation qui privilégie les données qualitatives et la taille de l’échantillon,
peut s’interpréter comme une approche à l’intersection des travaux statistiques et des
études plus ponctuelles. La représentativité statistique à laquelle elle permet de répondre ne
permet pas toutefois, d’accéder réellement à une connaissance approfondie des
mécanismes organisationnels sous-jacents. Pour ce faire, il serait nécessaire d’élaborer un
questionnaire très détaillé qui limite alors, comme nous l’avons expérimenté, la probabilité
d’obtenir un taux de réponses significatif pour poursuivre l’investigation. Bien que cette
démarche présente plusieurs faiblesses, nous avons choisi de l’exposer ici d’une part, parce
qu’elle fait partie du déroulement de notre processus de recherche, d’autre part, parce
qu’en l’appliquant, elle nous a permis de mesurer concrètement la portée de cette démarche
et la pertinence de l’étude de cas dans l’analyse de la dynamique organisationnelle.
Dans cette perspective, l’étude d’un ou plusieurs cas représente une deuxième
instrumentalisation plus pertinente de notre recherche qualitative. Plus globalement,
comme le relève Eisenhardt (1989, p. 534-535), l’étude de cas est une stratégie de
recherche qui a pour objet la compréhension des processus liés à un phénomène. Yin
214
(1994, p. 13) précise que l’étude de cas est une investigation empirique d’un phénomène
contemporain et de son contexte de développement. En ce sens, l’étude de cas est une
stratégie de recherche adaptée lorsque le phénomène et son contexte sont difficilement
séparables.
Plus qu’une simple méthode de collecte de données ou un design de recherche
seulement, l’étude de cas participe d’une recherche pour laquelle les frontières entre le
phénomène et son contexte ne sont pas clairement définies. En quelque sorte, elle est à
l’image de la théorie de l’AO pour laquelle les frontières de la firme sont moins
importantes que la question des processus et de sa dynamique organisationnels. Ainsi,
l’étude d’un ou plusieurs cas peut être préférable parce qu’elle permet de produire des
informations plus pertinentes pour la mesure de certains concepts, que ne le permet un
échantillonnage statistique. L’objectif d’une telle démarche peut être la description, le test
d’une théorie ou sa construction227 à partir d’une question de recherche centrée sur les
processus sous jacents au phénomène étudié.
Dans le cadre de la recherche sur la relation entre privatisation et performance, notre
observation relative à l’ambiguïté des résultats empiriques, à l’évolution méthodologique
des traitements et finalement au renouvellement nécessaire de la problématique sur la
privatisation va dans ce sens. En effet, une synthèse sur plus de vingt ans, des études
transversales représentatives d’une population d’entreprises privatisées fait apparaître une
approche statistique de la relation privatisation/performance de plus en plus élaborée.
Comme les études récentes de Villalonga (2000) ou Alexandre et Charreaux (2001)
l’illustrent, cet enrichissement méthodologique vise à prendre en compte des variables
complémentaires (comme le contexte de récession ou de croissance à l’appui de variables
muettes) à celle directement impliquée dans la relation (notamment la performance).
Comme le précisent leurs auteurs, ces études ont pour objectif d’approfondir l’analyse des
processus susceptibles d’intervenir implicitement dans la relation initiale. L’orientation
vers des études ponctuelles d’entreprises privatisées renforce l’hypothèse explicitement
formulée par Megginson et al. (1994). Selon cette hypothèse, si la privatisation semble
effectivement contribuer à un accroissement de performance, la question des mécanismes 227 Ce dernier objectif associé à la démarche qualitative s’inscrit alors plus globalement dans une logique abductiviste de production de connaissance conduite par une recherche qualitative. D’ailleurs, comme le reflète son titre, l’article de l’auteur relève de ce type de recherche qui vise la construction d’une théorie à partir de l’observation. A ce titre, Yin (1994, p. 14) remarque que l’étude de cas se différencie de la recherche qualitative. Contrairement à cette dernière, l’étude de cas s’appuie généralement sur un modèle théorique alors qu’une des conditions à satisfaire dans une recherche qualitative est d’éviter tout engagement préalable dans un modèle.
215
par lesquels la privatisation agit n’est pas traitée par les études transversales. En particulier,
celles-ci ne peuvent fournir que très partiellement228, des réponses à l’observation des
restructurations qui précèdent la cession et à la question théorique sous-jacente des facteurs
explicatifs de la dynamique organisationnelle liée à la privatisation. Les études de cas
s’imposent alors comme l’approche instrumentale la plus pertinente pour expliciter les
liens intermédiaires entre privatisation et performance. En référence à la conclusion du
chapitre 2, ces études suggèrent un approfondissement des liens théoriques et par
conséquent, un retour sur la théorie initiale, comme le suggèrent les chapitres 3 et 4.
Ce constat relatif au renouvellement de la problématique de la privatisation en rapport
avec l’évolution méthodologique des travaux empiriques, illustre le processus scientifique
plus global de construction de la connaissance à partir d’un fait observé. L’adéquation
entre l’objet de la recherche et la problématique de terrain dans le processus de production
de connaissance renvoie à la question de la fonction scientifique du choix méthodologique
dans la conduite d’une recherche.
1.2. Processus scientifique et nature de la connaissance
Comme nous l’évoquions dans l’introduction de ce chapitre, quelle que soit la manière
(inductive pure ou déductive) de la réaliser, la tâche scientifique repose sur un processus de
va et vient entre explications (ou prédictions) théoriques et faits. En ce sens, la démarche
scientifique repose sur la construction de concepts et de leurs relations en rapport avec les
faits réels. En référence à la citation de Popper, le développement de la théorie provient
alors du dépassement qu’elle permet par rapport aux faits dont elle provient. Une lecture de
cette démarche globale, transposée dans le champ de recherche plus spécifique des
organisations, notamment celui de la TPA, a été proposée par Wirtz229 (2000, p. 173) sur la
base du questionnement méthodologique soulevé par Jensen (1983). Ce dernier considère
que la production de connaissances suit un processus séquentiel et dynamique. Il nous
paraît intéressant de reprendre la vision du processus scientifique présentée par Jensen,
notamment dans le contexte de la TPA (1983, p. 336-337).
228 pour les plus récentes d’entre elles. 229 L’auteur propose une lecture du processus scientifique en quatre phases (formulation de la problématique par tautologies et observations partielles, génération d’une théorie explicative, test et rétroaction par élimination ou amélioration).
216
« Au risque d’être trop simplificateur, le processus idéal consiste en une utilisation des
définitions de l’agence, de la tautologie de la minimisation des coûts […] et d’un sous-
ensemble de structures contractuelles réelles afin de développer des propositions sur les
aspects importants de l’environnement et de la technologie de contrôle et de mise en œuvre -
autrement dit, afin d’en déduire une théorie qui soit concordante avec ces contrats. En cas de
succès, cet effort procure un cadre qui peut être manipulé pour produire des propositions
positives supplémentaires non-évidentes, c’est-à-dire des hypothèses. La confrontation de ces
propositions avec des données non utilisées auparavant ou non connues constitue un test de la
théorie. Si ces données ne concordent pas de manière substantielle avec les prédictions, la
théorie est alors révisée ou remplacée par une alternative et le processus continue. Voici le
processus scientifique »(NT230).
Ainsi, la construction théorique est graduelle, composée d’une période exploratoire (I)
et d’une période confirmatoire (II). En ce sens, elle consiste en une confrontation des
différents blocs constitutifs d’une théorie en développement, à deux périodes de tests sur
des faits observables distincts d’une période à l’autre. Les résultats de ces tests successifs
influencent la cohérence et la concordance des différentes composantes d’une théorie.
D’une part, un premier test concerne la cohérence globale231 des fondements de la théorie
émergente avec une première observation des faits. Ce test de cohérence porte ainsi sur les
tautologies et définitions sur lesquelles est fondé le cadre analytique de la théorie naissante.
Dans cette perspective, Jensen considère que la TPA résulte entre autres, de la tautologie
suivante : « le comportement coopératif entre les êtres humains est envisagé comme un
problème de contractualisation entre des individus aux intérêts propres et divergents »
(NT232). Les coûts d’agence sont alors définis comme la somme des coûts liés à cette
contractualisation. Une seconde tautologie complémentaire, faisant appel au principe de
sélection naturelle renvoie à la problématique générale de la TPA. Ainsi, l’organisation qui
230 « At the risk of oversimplifying, the ideal process proceeds by using the agency definitions and the cost-minimizing tautology […] and a subset of the observed contract structures to develop propositions about the important aspects of the environment and the monitoring and bonding technology – that is, to derive a theory that is consistent with those contracts. If successful, that effort provides a structure that can be manipulated to derive additional non-obvious positive propositions, i.e., hypotheses. Confronting these propositions with previously unknown or unused data provides a test of the theory. If the data are substantially inconsistent with the predictions, the theory is then revisited or replaced with a new alternative and the process continues. This is the scientific process ». 231 Wirtz (2000) suggère, à l’appui de Boudon (1999) de considérer ce premier test comme un test de plausibilité, visant à évaluer simultanément, la cohérence des définitions produites avec les faits observés et l’acceptabilité de leurs hypothèses implicites sur des faits non observables, notamment liés au comportement de l’individu dans les sciences sociales. 232 « Cooperative behavior between human beings is viewed as a contracting problem among self-interested individuals with divergent interests » (Jensen, 1983, p. 332). A cette tautologie, l’auteur ajoute celles de la sélection naturelle et de l’existence du phénomène de concurrence, y compris au niveau des formes d’organisation (p. 332).
217
perdure minimise ses coûts d’agence. D’autre part, le second test vise l’enrichissement de
la construction théorique, en soumettant les propositions construites après le premier test, à
une deuxième série d’observations. Ce test de concordance des propositions avec la réalité
permet alors, de valider ou de revoir certains blocs de la théorie.
Selon ce processus, dans une perspective similaire à Popper, une amélioration des
connaissances dépend de cette rétroaction des observations sur la formulation de la théorie.
Ainsi, la construction d’une théorie consiste en une mise à l’épreuve de ses concepts
fondateurs et de sa problématique, et des propositions qui en sont dérivées. Cette mise à
l’épreuve permet une corroboration partielle ou totale de la théorie qui peut conduire à une
révision de tout ou partie de ses blocs constitutifs. Bien que le processus soit continu, nous
pouvons situer la TPA dans cette seconde phase de développement, celle de la production
de propositions toujours plus améliorées sur le fonctionnement des organisations. Ainsi,
comme le souligne Jensen (p. 336), il convient de « traiter les résultats des précédentes
études plus comme un ensemble d’hypothèses relativement non testées que comme une
théorie correctement testée qui perdurerait » (NT233). Au sein de ce programme de
recherche, la TGP peut être interprétée comme un des blocs constitutifs de la TPA dont le
stade de développement nous paraît plus récent. Suite à l’écart observé dans les études sur
la gouvernance, entre le modèle initial et les spécificités nationales notamment, la TGP
résulte à notre avis, d’un retour sur les définitions propres à la problématique de la
gouvernance actionnariale. Nous positionnons la TGP dans la première phase du processus
scientifique, soit le stade d’émergence d’une théorie partiellement éprouvée. A l’instar de
la lecture proposée par Wirtz (Op. cit., p. 173) du processus scientifique selon Jensen, nous
présentons un schéma du processus scientifique dans le contexte particulier du champ de
recherche des organisations. Ainsi, en positionnant la TPA et la TGP dans une approche du
processus scientifique centrée sur deux stades de la construction théorique, le schéma
suivant reprend les fondements théoriques sur lesquels repose notre propre modèle.
233 « […] to treat the results of the early studies as more like a set of relatively non-tested hypotheses than a well-tested and surviving theory ».
218
Schéma 7 : Stade exploratoire (I) et stade confirmatoire (II) du processus scientifique et
positionnement de la TPA et TGP
(I) (II)
Ainsi, si le choix méthodologique d’investigation empirique est essentiel dans le
processus scientifique c’est précisément parce que l’observation qui en découle détermine
le type de connaissance à laquelle la démarche scientifique permet d’accéder. Autrement
dit, l’interaction entre théorie et faits sur laquelle repose le processus scientifique, peut
conduire à une production de connaissance dont la nature peut varier selon les choix
méthodologiques, l’objet de la recherche et leur adéquation. Dans cet esprit, la question de
la privatisation peut conduire à une connaissance généralisable sur les effets de la
privatisation sur la performance ou à une connaissance acceptable et cohérente donc
plausible, sur les processus par lesquels la privatisation modifie effectivement la
performance234. La privatisation, considérée comme un phénomène majeur de l’histoire
économique mondiale a suscité un vif intérêt sur les facteurs de performance des deux
types de propriété qu’elle met en jeu. Une explication théorique fondée sur les premiers
apports de la théorie des droits de propriété, et la théorie du Public Choice a conduit à des
arguments favorables à l’hypothèse de la propriété comme facteur de performance. Mais le
manque de significativité de certains résultats235, et l’évolution méthodologique que nous
avons mis en évidence témoignent des écarts constatés entre les prédictions théoriques et
les observations.
En ce sens, notre problématique de recherche résulte d’une révision de la problématique
de la privatisation développée dans la littérature. L’origine de notre travail se situe donc au
niveau de la phase confirmatoire dont sont issus les travaux et tests de concordance
analysés en première partie. Le développement de notre question de recherche s’inscrit
234 selon respectivement que l’on choisi d’observer les conséquences sur la performance sur un échantillon représentatif ou la dynamique sous jacente dans quelques cas. 235 La non-significativité porte sur des résultats liés notamment à l’accroissement de performance après privatisation ou à la différence de performances des entreprises publiques et privées.
Révision globaleTGP
Observation des faits Observation des faits
Tautologies
Définitions
Contrôle de plausibilité
Propositions théoriques
Contrôle de concordance
Révision partielle
TPA
219
quant à lui, dans la phase exploratoire. Il consiste en une contribution au développement de
la TGP à partir de la construction d’une série de propositions relatives aux processus
organisationnels induits par la privatisation sur la base du cadre analytique existant de la
TGP. En soumettant notre modèle au contrôle de plausibilité sur deux cas de privatisation,
nous espérons obtenir des résultats favorables à l’enrichissement de ce cadre analytique.
Soit parce qu’ils présenteront une certaine cohérence des propositions avec les faits, soit
parce qu’ils conduiront à revoir les propositions elles mêmes ou certains de leurs
fondements et par conséquent, le cadre de la TGP.
Pour résumer, cette vision du processus scientifique repose sur un processus de
génération, par un fait observé, d’une théorie visant à l’expliquer et du test de celle-ci par
d’autres faits. La concordance de la prédiction avec la situation observée conduit à un
retour sur la plausibilité de ses fondements ou à une révision de ses propositions. C’est
dans cette phase d’exploration de la démarche scientifique que s’inscrit notre propre
réflexion sur les processus induits par la privatisation à différents niveaux de l’architecture
de l’organisation. La validité des résultats de cette recherche et par conséquent, sa portée
dépendent de la qualité scientifique de cette démarche. En raison des particularités de notre
choix méthodologique, nous consacrons la section suivante à quelques remarques sur les
précautions méthodologiques qu’impose le contrôle de plausibilité par l’étude de cas.
Section 2 : Investigation empirique et sécurité scientifique : les particularités de
l’étude de cas
L’adéquation d’une question de recherche, fondée ici, sur les processus d’évolution
organisationnelle, avec la problématique de terrain (notamment l’étude de cas) constitue
une condition nécessaire à la démarche scientifique. Toutefois, la réflexion sur la fonction
scientifique du choix méthodologique pour parvenir à une connaissance objective236 doit se
poursuivre à travers la construction et l’exploitation d’outils qui permettent d’exposer
l’analyse à la critique de la communauté scientifique. Dès lors, la réflexion
méthodologique consiste, à s’assurer de la réfutabilité des propositions théoriques par
rapport à l’objet étudié. Ainsi, le choix d’une méthode d’investigation de terrain doit
conduire à la mise à disposition du lecteur, du matériel empirique exploité afin de
permettre à ce dernier d’exprimer un jugement indépendant sur la conduite du contrôle 236 Pour reprendre le titre de l’ouvrage de Popper (1979).
220
effectué (contrôle de plausibilité ou de concordance). Ainsi, la sécurité scientifique d’une
recherche repose essentiellement sur la qualité de la logique argumentaire théorique et
empirique présentée par le chercheur.
Lorsqu’une investigation empirique repose sur des données quantitatives soumises au
traitement par inférence statistique, la qualité de la recherche empirique est par nature,
relativement maximisée. En effet, la sécurité scientifique de l’analyse et des conclusions
émises est potentiellement garantie puisque l’investigation et ses résultats reposent sur des
données et sur un outil de traitement qui limitent les biais de collecte et d’interprétation.
Dans le contexte particulier d’une investigation par étude de cas, la démarche repose
majoritairement sur des données qualitatives abondantes (2.1). Leur nature confère
certaines faiblesses à la méthode de l’étude de cas. L’analyse qualitative des données
sollicite en effet, un effort important d’interprétation afin de lier les observations aux
propositions. En ce sens, l’étude de cas expose le chercheur à un risque de subjectivité au
cours du processus d’investigation empirique. Le choix d’une telle méthode nécessite de la
part du chercheur, quelques précautions afin d’assurer la validité des résultats que cette
méthode permet d’obtenir. En contrepartie de ce traitement qualitatif qui permet d’entrer
au cœur des processus, il est donc nécessaire de retranscrire la démarche suivie de la
collecte des données jusqu’aux conclusions afin d’assurer la validité de l’étude (2.2). Dans
cette optique de « mise en risque » du travail, la définition et l’application d’un guide
(protocole) de recherche permet d’exposer à la critique, le modèle logique mis en œuvre
pour passer des observations aux propositions puis aux résultats. Le design de recherche
permet ainsi, au lecteur de remonter des résultats vers les preuves empiriques et au
chercheur, d’assurer une mise à l’épreuve sincère de ses schémas explicatifs.
2.1. Nature des données et objet du problème étudié
Dans la section précédente, nous avons montré que l’étude de cas constitue une stratégie
de recherche empirique adaptée à des questionnements sur les interactions plus ou moins
implicites liées à un phénomène. Son opérationalisation consiste tout d’abord à
sélectionner un cas pertinent c'est à dire qui présente un potentiel illustratif intéressant.
Dans une approche transversale, le critère de choix des données repose sur la construction
d’un échantillon qui soit représentatif de la population étudiée. En revanche, dans une
approche qualitative, l’analyse approfondie de quelques cas seulement renonce par nature
au critère de représentativité statistique au profit d’un autre critère de représentativité des
221
faits qu’on cherche à explorer. Ainsi, la sélection se fait en recherchant le(s) cas pour
lesquels les processus que l’on cherche à expliquer sont les plus marqués. La stratégie
consiste donc à identifier les cas réels les plus « transparents » qui concernent notre
problématique, selon une ou (si possible) plusieurs de ses dimensions. En ce sens, il s’agit
également d’un critère de représentativité mais cette représentativité est de nature
théorique plus que statistique (Eisenhardt, 1989, p. 537)237.
Le cas sélectionné doit permettre également d’accéder à de multiples sources de
données (entretiens, documents, questionnaires, observations, etc.). Toutefois, rappelons
que la pertinence de l’étude de cas pour la problématique de terrain de certaines questions
de recherche réside dans l’aptitude de ces données à traduire des concepts et des
propositions théoriques non quantifiables. Dans le cadre de notre problématique de
recherche, nous avons proposé de définir la privatisation comme un processus de
décentralisation des droits décisionnels. La mesure de ce concept et des liens proposés par
le modèle suggère une investigation empirique dans le sens d’une collecte de données
qualitatives. Ainsi, la traduction empirique du processus de privatisation et de ses effets sur
le processus décisionnel est susceptible d’être menée à partir d’entretiens et de documents
textuels relatifs à la structure décisionnelle de l’entreprise et à son changement. La
combinaison de différentes méthodes de collecte de données permet ainsi de mettre en
relation les explications théoriques ne pouvant faire l’objet d’une mesure numérique et les
faits observés. Dans le cadre d’une analyse des relations complexes d’un phénomène, les
données qualitatives permettent d’identifier l’origine d’un processus et son déroulement. A
partir de multiples indices, elles permettent ainsi d’établir un ou plusieurs liens entre la
naissance d’un phénomène et ses stades d’évolution. En ce sens, l’analyse qualitative
permet de mettre en évidence les relations examinées et leurs causes (Miles et Huberman,
1991, p. 31). Les données qualitatives fournissent le matériel empirique du contrôle
d’acceptabilité et de cohérence de ces relations par nature complexes. Notons en revanche,
qu’une réplication de cette démarche à d’autres cas participerait au contrôle de
concordance propre à la phase confirmatoire d’une théorie. Ici, une exploration des effets
de la privatisation sur la performance peut être conduite à partir de notre modèle des liens
intermédiaires entre la décentralisation décisionnelle, la dynamique des mécanismes de
gouvernance et le niveau de valeur partenariale appropriable qui en découle. Rappelons
237 Yin (1994, p. 45-48) développe également cet aspect de la représentativité dans le cadre plus spécifique de la réplication de l’étude de cas que nous aborderons dans la sous-section suivante.
222
d’ailleurs, que notre propre travail concerne la phase exploratoire dans le processus
scientifique et vise ainsi à produire une connaissance acceptable de ces liens.
D’une manière générale, la liaison établie entre les données qualitatives et les
explications théoriques des processus permettent un examen de la manière dont les
différents composants d’un phénomène s’organisent dans le temps. L’étude de cas se
traduit par conséquent, par une mise en relation ordonnée des faits observés, sur un horizon
pertinent par rapport au problème étudié.
Cette richesse d’informations produites lors d’une étude de cas génère en contrepartie
des problèmes de sélection et d’interprétation rigoureuse des données. L’approche
empirique qualitative soumet le chercheur à un effort soutenu de rigueur scientifique afin
d’exploiter le plus fidèlement possible le matériel factuel. En ce sens, l’analyse de données
qualitatives peut être perçue comme « une approche quasi-magique, […] sous prétexte
qu’elle est idiosyncratique, incommensurable et artistique… » (NT, Miles et Huberman,
Op. cit., p. 33). En conséquence, l’investigation empirique qui privilégie les données
qualitatives pose la question de la validité de la construction et de l’exploitation de ce
matériel empirique notamment lors d’une étude de cas. La qualité de celle-ci dépend en
définitive des mesures de protection mises en place lors de l’élaboration de la stratégie de
recherche.
2.2. Logique argumentaire du design de recherche : la validité empirique et la
plausibilité théorique
Dans leur recueil de nouvelles méthodes propres à l’analyse de données qualitatives,
Miles et Huberman (Op. cit., p. 28) rappellent un problème essentiel auquel est confronté
tout chercheur souhaitant pratiquer une telle analyse. Les auteurs constatent ainsi une
faiblesse à laquelle l’étude de cas n’échappe pas, « l’absence relative de canons, de règles
de décisions et de procédures admises et même de toute heuristique commune pour
l’analyse de données qualitatives » (NT). De là, les auteurs proposent une démarche
méthodologique de sorte que l’analyse qualitative puisse assurer au processus analytique
une structure et une formalisation susceptibles de rendre la démarche explicite et donc
crédible238. En référence à ces auteurs, la démarche d’analyse correspond à une stratégie
analytique en trois composantes (réduction des données, représentation des relations
238 Nous présenterons dans la section suivante l’application de cette démarche d’analyse aux deux études de cas que nous avons conduites.
223
empiriques et déduction des résultats)239. Dans le contexte spécifique de l’étude de cas,
cette stratégie contribue à garantir la validité du matériel empirique et de son exploitation
(validité interne). Sa qualité influe sur la validité du test de plausibilité de la théorie.
La validité interne des données dépend du degré de confiance en nos données. Leur
recoupement à partir de différentes sources accroît ce degré de confiance et par
conséquent, la solidité de notre matériel empirique. Cette triangulation des sources limite
l’incertitude des données recueillies et assure un certain niveau d’exhaustivité. Mais elle
nous expose aussi à une abondance d’informations. L’analyse consiste par conséquent, à
réduire les données collectées. Cette procédure de sélection des informations est
généralement240 encadrée par les propositions théoriques. En effet, ces dernières
constituent un filtre essentiel pour mettre en relations les liens conceptuels et les faits
expliqués. En premier lieu, ce filtre consiste à définir et à attribuer un code par catégorie
théorique (concepts et niveaux de relations) du cadre conceptuel. En second lieu,
l’application du filtre consiste à codifier le corpus textuel issu de la collecte. Cette phase de
réduction des données permet ainsi d’établir les relations empiriques de la grille théorique,
en même temps qu’elle approfondit la pertinence des données. La séparation entre la base
de données brutes et la base de données réduites répond plus essentiellement au souci de
maintenir la chaîne de preuves, de sorte que les liens faits par le chercheur entre les
propositions et les observations soient repérables par un observateur indépendant. Comme
le souligne Yin, Op. cit., p. 95) « de cette manière, une base de données d’étude de cas
augmente sensiblement la robustesse de l’étude de cas tout entière »(NT241). En
conséquence, cette procédure de réduction des données marque une étape cruciale du
processus de test de plausibilité de la théorie.
De là, ce repérage des catégories théoriques au niveau des données doit faire l’objet
d’une représentation à partir d’outils adaptés dont l’éventail est notamment présenté dans
l’ouvrage de Miles et Huberman (Op. cit.)242. En organisant les données codifiées, ce
repérage aide à l’identification des inférences théoriques à partir des modalités empiriques.
239 Rappelons que cette conception stratégique de la démarche d’analyse qualitative est aussi partagée par Yin qui consacre le propos essentiel de son ouvrage à la démarche stratégique que représente l’étude de cas. 240 Comme le précise Yin (1994, p. 103-105), une stratégie analytique de description des données peut être une alternative lorsqu’il n’existe pas de propositions théoriques initialement. 241 « In this manner, a case study database markedly increases the reliability of the entire case study ». 242 Selon les préoccupations du chercheur, les données codifiées peuvent être ensuite rassemblées par thèmes au sein de différents types de matrices (chronologique, explicative, etc.) ou tableaux de synthèse.
224
Cette représentation constitue la base d’interprétation des flux de causalité examinés. A
titre d’exemple, une question de recherche qui porte sur les processus doit conduire à
l’identification et à la représentation des différentes étapes de ce(s) processus et des
niveaux d’analyse théorique correspondants. Ainsi, un schéma processuel constitue un
outil qui nous paraît pertinent pour représenter les étapes de la privatisation aux différents
niveaux de l’AO et leur agencement dans le temps. Cette seconde phase de l’analyse
qualitative permet la déduction logique des résultats de l’investigation. Il convient en effet,
d’apprécier la cohérence entre les propositions et les relations empiriques décrites dans la
précédente phase, ainsi que l’acceptabilité de la grille théorique sous-jacente. Cette
troisième composante de la stratégie d’analyse qualitative représente la phase finale du test
de plausibilité. Nous proposons une lecture de ce processus de test de plausibilité à partir
du schéma suivant.
Schéma 8 : Le processus du test de plausibilité d’une théorie émergente dans le processus scientifique
Cette mise en liens des données empiriques avec les propositions et la grille théorique
suit une séquence logique qui forme le design global de la recherche (Yin, 1994, p. 19-20).
Il se reflète dans l’élaboration d’un protocole de recherche qui entame toute démarche
d’investigation empirique rigoureuse243. Ainsi, le design de recherche commence
nécessairement par une préparation du travail empirique. La constitution d’un guide peut
aider le chercheur tout au long de l’investigation. Pour Yin (1994, p. 65), l’élaboration
d’un protocole permet de préparer la conduite de l’étude de cas en spécifiant notamment
les objectifs généraux de l’investigation, les sources potentielles d’informations, les
questions qui conduiront la collecte de données (réduisant ainsi les risques de collecte
243 Nous pourrions le qualifier de guide pratique de la démarche d’investigation, tant théorique qu’empirique, les deux étant interdépendants.
…tautologie définitions…
Réduction des données
codification concepts /liens
codification données brutes
propositions
terrain
données brutes
Analyse sur données réduites
description des liens
empiriques
déduction logique /questions de
recherche
Résultat de
plausibilité
225
inopportune) ainsi que la configuration générale du compte rendu à venir de l’étude. Celle-
ci permet d’anticiper les thèmes du rapport final en prévoyant aussi les sources qui
pourront s’y référer au cours de l’étude. Cette phase pratique nous paraît essentielle,
notamment parce que ce protocole permet de préparer les entretiens. Il peut même être
construit à ce moment et évolue au cours du temps, à mesure que les données sont
collectées et progressivement traitées. Compte tenu de la multitude d’informations que
permet d’obtenir une étude de cas, toutes, aussi intéressantes soient-elles, ne relèvent pas
nécessairement ou significativement de la problématique. Le protocole constitue en ce sens
une table d’orientation, comme celui que nous avons mis en place et régulièrement
consulté et adapté au cours de l’investigation (Annexe 7 : structure globale de notre
protocole).
En définitive, ce processus rigoureux d’investigation caractérise les différentes
composantes du processus de la recherche. Au cours de celui-ci interagissent les questions
de recherche et la grille théorique, le cas étudié, la liaison logique entre données et
propositions et les critères d’interprétation des résultats. Le design de la recherche permet
de relater la mise en liens entre le terrain et son explication théorique. Construite sur des
procédures formalisées, l’analyse qualitative favorise alors la transparence des liaisons
établies. Comme nous le relevions au début de ce développement, cette démarche
méthodologique globale permet de renforcer la validité de ce type données. En définitive,
la sécurité scientifique dans le contexte de l’étude de cas peut être potentiellement assurée
par cette traçabilité du processus analytique.
Enfin, l’attention particulière portée à la rigueur de la démarche d’investigation par
étude de cas a deux implications méthodologiques plus larges. Ces implications
complémentaires sont relatives notamment au devenir de la théorie émergente testée dans
le processus scientifique dont relève également l’étude de cas. Tout d’abord, la logique
argumentaire explicite de la démarche d’analyse qualitative constitue une base fiable pour
l’exposer à des réplications futures par le chercheur lui-même ou par d’autres. Dans le
cadre de la poursuite du processus scientifique de la grille théorique, la séquence
exploratoire à laquelle se rattache l’étude de cas doit permettre une généralisation de ses
résultats. Ainsi, le développement du cadre conceptuel peut se poursuivre à travers une
amélioration de sa validité externe, par confirmation ou amélioration de sa cohérence
interne (Yin, 1994). Dans cet esprit, la remarque du biologiste Gould (2000, p. 195) trouve
226
ici une certaine résonance à la suite de Popper (1979) : « Les données permettent de se
prononcer sur les théories, mais ces dernières font surgir aussi les données »244. A ce titre,
nous pourrions ajouter à la remarque faite par Wirtz (2000, p. 184245) que la démarche
méthodologique de l’étude de cas offre un potentiel de « généralisation analytique par
opposition à la généralisation statistique » en cherchant une représentativité théorique par
opposition à la représentativité statistique. En corollaire, la sécurité scientifique du
processus analytique associé à l’étude de cas (validité des données et exposé explicite des
étapes du processus de contrôle de plausibilité) implique également une exposition
nécessaire à la critique de sorte que la théorie puisse effectivement évoluer afin de faire
« surgir » d’autres données.
En ce sens, le design de recherche est à la fois l’expression de la mise à l’épreuve de la
théorie et le support de la mise en risque de ce même travail face à la critique. Il repose sur
l’utilisation et le développement par le chercheur, d’outils d’analyse et d’instruments de
maintien de la chaîne de preuves de sorte que sa réplication et celle du cadre conceptuel
testé soit possible. A partir de ce cadre méthodologique général propre à l’étude de cas,
nous présentons dans la section suivante notre propre design de recherche. C’est à partir de
cette séquence logique d’investigation empirique que nous avons réalisé deux contrôles de
plausibilité du modèle des relations de la privatisation avec l’AO.
Section 3 : Conduite de la recherche qualitative sur la privatisation d’Air France et
de DSM
L’exposé de notre propre démarche d’investigation qualitative répond aux deux
questions essentielles traitées par le questionnement méthodologique précédent. En
référence à ce dernier, deux points doivent être abordés pour répondre aux exigences de
sécurité scientifique lorsqu’on aborde la phase de test d’une théorie au cours de son
processus d’élaboration et de développement. Ces exigences relèvent des modalités du
contrôle de plausibilité d’un cadre théorique qui s’intéresse notamment aux processus
organisationnels et de sa validité. La première question à laquelle nous répondons ici est
donc celle des raisons méthodologiques qui ont motivé notre choix pour l’étude de cas et
244 Ainsi, comme le relève l’évolution méthodologique du test de la théorie de la propriété, celle-ci conduit à analyser de nouvelles variables. Leur traduction empirique nécessite le recours à un nouveau type de données, notamment qualitatives et rattachées aux processus organisationnels impliqués lors de la privatisation. 245 dans les termes de Yin (1994).
227
en particulier pour l’étude d’Air France et de DSM (3.1). La seconde question traitée est
relative à la procédure que nous avons engagée pour mettre en œuvre l’examen de
cohérence des liens entre privatisation, processus décisionnel, GE et valeur partenariale.
Elle concerne l’élaboration du matériel empirique (base de données brutes) (3.2) et son
exploitation (base de données réduites et méthodes d’analyse) (3.3).
3.1. Air France et DSM, un potentiel illustratif intéressant pour l’examen
empirique de notre modèle
Comme notre section précédente l’a démontré, le choix de l’étude de cas est en fait un
choix stratégique de recherche. Ce choix résulte d’une mise en adéquation entre la
problématique et la nature des connaissances à laquelle nous souhaitons parvenir sur le
terrain. Or, notre question de recherche sur la privatisation et l’AO nous conduit à nous
interroger sur les caractéristiques de la privatisation et les mécanismes mis en jeu au sein
de l’entreprise. Elle s’inscrit dans le cadre d’une appréciation du pouvoir explicatif de la
TPA et de la TGP pour comprendre la dynamique organisationnelle dans le contexte
spécifique de la privatisation. Plus précisément, notre recherche tente de mettre en relation
l’origine de la privatisation (qui reste à identifier246) et ses stades d’évolution au niveau
organisationnel. Son examen empirique relève ainsi de l’observation de faits difficilement
chiffrables, relatifs aux processus organisationnels, donc de nature majoritairement
qualitative. Dans cet esprit, la connaissance à laquelle nous pouvons prétendre accéder est
conforme à notre questionnement sur la privatisation, à l’issue de l’ambiguïté des résultats
empiriques que nous avons analysés dans la littérature. Comme nous le signalions dans la
section précédente, nous espérons, à travers l’exploration de cette question des processus
organisationnels dans le contexte de la privatisation, tester nos propositions théoriques. En
ce sens, nous espérons parvenir à une connaissance acceptable des processus
organisationnels qui caractérisent le déroulement de la privatisation à partir d’un contrôle
de cohérence avec les faits. Dans cette perspective, l’investigation empirique nécessite un
choix méthodologique pour une approche qualitative de la relation empirique de nos
propositions dans le contexte d’une entreprise particulière.
246 Comme le suggère notre modèle, la privatisation semble dépasser la simple mise sur le marché des titres de propriété publique et dissimule a priori un processus complexe au niveau de la dynamique organisationnelle.
228
En définitive, la méthode de l’étude de cas telle que nous l’avons exposée plus haut
s’impose comme une alternative méthodologique pertinente par rapport aux travaux
existants et au renouvellement de la problématique tel que nous l’avons présenté dans la
partie précédente. Ainsi, à l’issue de l’étude d’un ou plusieurs cas, nous pourrons
logiquement apporter quelques éléments de réponse à la question posée par notre modèle.
Est-ce que la privatisation consiste dans les faits, à décentraliser les étapes du processus
décisionnel en même temps qu’elle favorise un système de gouvernance mixte plus ou
moins favorable aux différents partenaires, mais qui, d’après la TPA, devrait conduire à
une efficience de second degré plus grande247 ? Toutefois, pour que cette connaissance soit
objective, il est nécessaire de procéder à une sélection pertinente des cas et de définir
ensuite, un design de recherche à partir duquel nous pourrons explorer les liens proposés.
La sélection d’un objet d’analyse doit répondre avant tout au critère de représentativité
propre à l’étude de cas. Comme nous le relevions dans la sous-section 2.1,
l’échantillonnage théorique consiste à identifier le(s) cas le(s) plus probants, dont les
caractéristiques laissent transparaître les processus théoriques248. En ce sens, notre cadre
conceptuel oriente le choix du cas à étudier. A ce titre, rappelons que notre cadre théorique
sous-entend une forme organisationnelle publique théorique extrême. Il nous conduit par
conséquent à repérer les entreprises privatisées pour lesquelles l’AO publique a conduit à
de fortes modifications lors du processus de privatisation. Ainsi, dans le contexte français,
les deux vagues de privatisation (en 1983 puis 1993) ont respectivement touché les
entreprises nationalisées dans les années quatre vingt et les monopoles. Dans la mesure où
nous cherchons à repérer les changements de son AO, il paraît plus prometteur pour le test
de plausibilité de retenir dans la mesure du possible, une entreprise publique fortement
marquée par l’influence des pouvoirs publics sur sa gestion. Le choix d’une entreprise
privatisée doit être guidé, à l’image de la représentation théorique que nous avons choisie
de l’entreprise publique, par l’ampleur de la dynamique organisationnelle sous-jacente à la
privatisation. Or cette ampleur semble a priori plus forte dans le cas d’une entreprise
publique par nature (dont la vocation participe de l’intérêt national) que dans le cas d’une
entreprise nationalisée dont la vocation est indépendante de l’intérêt public. Mais cette
distinction dans le cas français reste relativement floue en raison de l’interventionnisme
247 Précisons que notre modèle concerne les organisations complexes. 248 Eisenhardt (1989, p. 537) parle de cas extrêmes dont les processus analysés sont « observables de manière très transparente » (« choose cases such as extreme situations and polar types in which the process of interest is transparently observable »).
229
important des pouvoirs publics notamment depuis la seconde guerre mondiale et la crise
pétrolière de 1973249. Ainsi, certaines entreprises d’origine privée ont été nationalisées au
cours d’une de ces deux périodes, voyant l’Etat jouer un rôle important dans le processus
décisionnel (SNCF, Air France, Usinor). Cependant, ce contexte français particulier laisse
la possibilité de voir dans les entreprises privatisées un certain éventail de choix pour notre
étude notamment grâce à d’autres critères de sélection susceptibles de l’affiner.
Si le cas à étudier doit offrir un potentiel illustratif intéressant en soulignant les
processus mis en jeu lors de la privatisation, il doit aussi pouvoir intégrer le rôle des forces
de marché dans la dynamique organisationnelle, en parallèle à la logique de la
privatisation. Notre choix doit par conséquent s’orienter vers une entreprise publique au
sens fort qui en outre a pu connaître une dérégulation sectorielle. Ainsi, les entreprises en
situation de monopole ayant fait l’objet d’une ouverture du capital250 sont susceptibles de
mettre en exergue les liens entre privatisation, système de gouvernance - dont le rôle
spécifique des forces de marché - et la valeur partenariale.
Enfin, à ces deux critères de représentativité théorique, ajoutons à la sélection du cas à
étudier le critère temporel. En effet, l’étude des processus organisationnels sous entend une
période d’étude suffisamment longue pour apprécier l’intégralité du déroulement de
privatisation et suffisamment récente pour pouvoir capter les changements le plus
fidèlement possible à leur réalisation, minimisant ainsi les biais de mémoire ou en évitant
l’absence de sources qualitatives pour la période concernée. Il convient donc d’arbitrer
entre le caractère à la fois récent et avancé du processus de privatisation sous contrainte
des deux premiers critères de représentativité théorique. Compte tenu de ce cadre de sélection de l’étude de cas, nous nous sommes intéressé à la
privatisation d’Air France dont les spécificités ont permis de répondre, de manière assez
surprenante aux critères de représentativité théorique et au critère temporel. En effet, par
rapport au critère de représentativité théorique, la compagnie aérienne, née de la fusion de
quatre compagnies privées de l’aviation civile en 1933251, en même temps que se
249 Précisons à ce sujet que cette spécificité française remonte au 17ème siècle, sous l’influence de Colbert dans de nombreux domaines de l’activité économique nationale. 250 Rappelons que l’ouverture du capital est la forme la plus forte de privatisation. C’est celle-ci que nous avons retenu pour l’élaboration de notre modèle théorique. 251 A l’initiative du Ministre de l’Air de l’époque, dans un contexte de crise internationale économique et diplomatique, cette fusion répondait à la nécessité de créer une compagnie d’aviation civile nationale, susceptible d’être réquisitionnée par l’Etat. Air France est alors une société privée détenue à 25% par l’Etat, 40% par l’ancienne compagnie Air Orient, dont le président devient celui d’Air France en même temps qu’il est gouverneur général d’Indochine, 20% pour l’ancienne Air Union, 8% et 7% pour respectivement, la SGTA et la CIDNA (Autier et al., 2001, p. 16-17)
230
développe le secteur du transport aérien252, devient progressivement une véritable
entreprise publique dans un contexte de guerre. La société devient par décret en 1935,
« société d’économie mixte, subventionnée soumise au contrôle de l’Etat » puis
réquisitionnée pendant la seconde guerre mondiale par les différents pouvoirs successifs en
place. En 1941, une nouvelle loi sur le statut de l’aviation marchande transforme la
compagnie en concession, finalisée en 1942 par une convention entre l’Etat et Air France.
C’est sous le gouvernement provisoire du Général De Gaulle que la compagnie devient
entreprise publique, par l’ordonnance du 26 juin 1945. Toutes les actions sont transférées à
l’Etat français à l’exception de 3% du capital détenu par l’Etat tchécoslovaque. Ainsi ce
cas, dont les premières années ont été particulièrement agitées, illustre de manière originale
la naissance d’une entreprise publique, de nouveau opérationnelle après la seconde guerre
mondiale, en 1946. Incarnant « les ailes de la France »253, ce cas souligne l’importance de
L’Etat dans le développement de la compagnie nationale à travers une succession de
contrats de plan254 et encore très récemment, avec la recapitalisation de 20 milliards de
francs, en 1994, la deuxième du secteur public français, après celle du Crédit Lyonnais.
L’ouverture partielle du capital en 1999 confère à la société le statut de numéro 1 national
de l’actionnariat salarié, avec 11% du capital détenu. Outre, le caractère public marqué de
l’entreprise, le développement s’est fait dans un contexte sectoriel également en phase de
démarrage. Progressivement, la concurrence devient très réglementée tant au niveau des
passages dans l’espace aérien national255 qu’au niveau de la régulation des prix, des
fréquences et des capacités de vols, des normes techniques et de la régulation du trafic
aérien256. La dérégulation du secteur du transport aérien européen entamée en 1987, puis
finalisée en 1997, vient modifier les règles du jeu de la compagnie dans un environnement
international de plus en plus concurrentiel.
252 Entre 1918 et 1922, ce sont plus d’une quinzaine d’entreprises de transport aérien qui sont créées en France, conduisant l’Etat français à réguler le secteur sur son sol, via le ministère de la guerre, par la création d’un service de navigation aérienne. Ce secteur, en plein essor dans les années vingt, nécessite en moyenne un taux de subvention publique de 75% des ressources, faisant de ce secteur une industrie lourde. 253 Citation de F. Reichenbach à B. Allali : « tout cela est magnifique, très français. Finalement Air France, ce sont les ailes de la France ». (Attali, 1994, p. 31) 254 Le premier est signé en 1978, les suivants sont entre autres, les plans de retour à l’équilibre (PRE et PRE2, en 1992 et 1993). 255 La Convention de Paris en 1919 définit la souveraineté nationale de chaque Etat sur son espace aérien. 256 La Convention de Chicago en 1944 harmonise les aspects juridiques et techniques du transport aérien international. L’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI) encadre les normes internationales et l’échange entre pays de droits de trafic. Créée en 1919, l’association internationale des transporteurs (IATA, International Air Transport Association) est l’institution professionnelle au sein de laquelle les compagnies négocient collectivement les capacités, les fréquences et les tarifs avec l’accord des Etats.
231
Concernant le critère temporel du choix du cas, il convient de définir une période
pertinente pour l’identification des étapes centrales du processus de privatisation et de ses
manifestations au niveau de l’organisation. Comme nous le relevions dans la première
partie, une des limites des analyses empiriques existantes257, réside dans l’étroitesse de la
période retenue pour l’analyse, en général de six ans (trois ans avant la cession des titres et
trois ans après). D’après le contexte historique du cas étudié, une période d’investigation
qui couvre essentiellement les 10 exercices258 qui ont précédé l’ouverture du capital nous
paraît suffisante, de sorte que l’on puisse observer une part représentative de la dynamique
organisationnelle qui précède cette cession partielle. La fenêtre d’analyse est donc [1990-
2001]. En effet, la prise en compte des quatre années de crise qui précèdent la
recapitalisation par l’Etat peut permettre une appréciation de son rôle au moment crucial,
lors de l’exercice 93/94, de la relance de l’entreprise et de l’évolution de son AO à partir de
cette renaissance d’Air France. Mais, la triangulation de certaines données bien antérieures
nous permet d’élargir cette période. Cette latitude nous a semblé indispensable, compte
tenu de l’histoire de l’entreprise et notamment de ses débuts. De cette manière nous
cherchons à identifier les indices susceptibles de nous informer sur les phases clés du
processus décisionnel d’Air France depuis ses débuts et les caractéristiques conjointes de
sa gouvernance. Cette stratégie d’extension de la période d’analyse nous est permise en
raison de la disponibilité de certaines données, comme nous le verrons dans la prochaine
sous-section.
Si notre modèle de la relation entre privatisation et AO est plausible, nous devrions
observer dans le cas d’Air France une évolution du processus décisionnel et des rapports de
la compagnie avec l’Etat. Ces éléments de l’AO devraient être de plus en plus favorables à
une décentralisation, simultanément à une restructuration du SGE et dans un contexte de
dérégulation sectorielle au niveau européen. Ce processus organisationnel devrait alors se
finaliser notamment au moment de l’ouverture du capital, conduisant à une évolution du
niveau de valeur appropriable par les différents partenaires dont les salariés, le dirigeant et
les clients devraient notablement bénéficier, à l’inverse des fournisseurs, compte tenu de la
dérégulation au niveau européen.
257 Outre le fait qu’elles soient quantitatives alors que la question des processus organisationnels doit être appréhendée pour aborder le problème de la performance des entreprises privatisées. 258 Dans le secteur du transport aérien, la norme fixe l’exercice comptable du 1er avril N au 31 mars N+1 afin de se caler sur les vagues touristiques. Air France redéfinit sa période d’exercice calée à l’origine sur l’année civile, à compter d’avril 1995. Ainsi l’exercice 1994-1995 court sur 15 mois de sorte que l’exercice 1995-1996 court du 01/04/1995 au 31/03/1996.
232
Enfin, notons qu’à l’occasion d’un stage de recherche à l’Université Erasmus, au sein
du département de J. Groenewegen, nous avons eu l’opportunité de mettre en œuvre une
première réplication de notre modèle, à partir d’un cas de privatisation néerlandais. Ainsi,
une analyse complémentaire de la privatisation de DSM, nous a permis de tester à nouveau
la cohérence de notre modèle des liens entre privatisation et AO. Une application des
mêmes méthodes d’analyse que dans le cas d’Air France a pu être répliquée de sorte que le
contrôle de concordance de notre modèle soit fidèle à la procédure de test initial. La
pertinence de ce cas réside au niveau de sa représentativité théorique dans le contexte
national d’origine. Contrairement au contexte des privatisations françaises, les Pays Bas
ont une politique nettement plus restreinte en matière de privatisation. Ainsi, à celle de
l’entreprise chimique reconvertie après le déclin du secteur minier, s’ajoute la privatisation
de KLM, entreprise du transport aérien et les services postaux. N’ayant pu étudier la
privatisation de l’entreprise concurrente d’Air France259, KLM, nous nous sommes dirigé
vers l’entreprise publique du secteur de la chimie qui présente un passé public
particulièrement intéressant.
Créée au début du siècle par les pouvoirs publics néerlandais, l’entreprise publique
States Mines intervient sur les secteur d’extraction minière sur le sol national. Le stade de
maturité du secteur conduit les Mines d’Etat à se diversifier au profit croissant du secteur
du gaz jusque dans les années soixante, avec la volonté politique de confier à l’entreprise la
tâche publique de distribution du gaz dans le sud du pays. C’est en 1967 que l’entreprise
change d’appellation en même temps que de statut juridique puisque States Mines devient
Dutch States Mines N.V., l’équivalent d’une société anonyme privilégiant la cogestion via
une structure directoire et conseil de surveillance. Dès lors, les rapports entre les pouvoirs
publics à la Hague et la direction changent progressivement au profit de cette dernière
parallèlement à une orientation de l’activité vers le secteur concurrentiel de la chimie.
Trente ans après ce nouveau départ, l’ouverture du capital par vagues successives en 1989
puis 1996, amorce la phase finale de la transformation de l’entreprise publique en
entreprise privée telle que nous l’avons définie. Ce bref historique des étapes principales de
l’évolution de l’entreprise néerlandaise répond aux aspects essentiels de notre cadre
conceptuel tant au niveau du stade initial de la forme publique qu’au niveau du rôle des
259 Cette mise à l’épreuve dans le même contexte sectoriel aurait permis une première réplication dans les meilleures conditions pour contrôler à secteur comparable, la concordance de nos propositions. Toutefois, la plausibilité de notre modèle doit être appréciée par l’étude de cas quel que soit le secteur d’activité. En ce sens, DSM offre une opportunité dans cette démarche de réplication.
233
forces de marché dans le développement de la firme. DSM N.V. dans le contexte
néerlandais constitue un cas critique de privatisation d’entreprise publique. Compte tenu des spécificités historiques de DSM et de la disponibilité des données260,
l’horizon temporel retenu pour étudier les processus organisationnels induits par la
privatisation est assez large. La fenêtre [1967 à 1998] intègre essentiellement le
changement juridique et les deux années d’ouverture du capital. Cette fenêtre d’analyse
centrale suit cependant une stratégie d’extension de la période analysée, comparable à la
stratégie que nous avons menée pour Air France. Ce cas, dont la privatisation est historiquement plus ancienne que la compagnie
française, illustre de nouveau, la nécessaire interaction entre le terrain et la définition ex
ante de la période d’analyse induite par le cadre conceptuel. Ainsi, comme nous le
développons dans la section suivante, la collecte des données nous a permis d’étendre la
période d’analyse dans les deux cas afin de rendre compte plus précisément, des processus
réels liés à la privatisation de ces deux cas. Le chapitre 6 est consacré à leur analyse et aux
résultats de ces deux phases de contrôle de plausibilité et de concordance de la grille
théorique du processus scientifique. Pour résumer, notre sélection s’est orientée sur deux cas marqués de privatisation. Nous
avons privilégié deux entreprises initialement publiques plutôt que nationalisées261 dont les
caractéristiques permettent d’accentuer les relations théoriques, de sorte que d’après notre
modèle, leur processus décisionnel et leur système de gouvernance soient remis en cause
par la privatisation. Le premier cas français, retrace les processus organisationnels mis en
jeu par la privatisation d’Air France. Il offre le matériel empirique du test de cohérence de
notre modèle des liens entre privatisation, et AO. L’autre cas, DSM a marqué l’histoire du
secteur public néerlandais. Il offre un matériel empirique constitué dans le respect du
design de recherche précédent afin d’apprécier de nouveau la plausibilité de nos
propositions262. Ce cas de privatisation permet ainsi une première réplication de la
démarche analytique qualitative pour le test de concordance de notre modèle.
260 L’obstacle de la langue a contraint notre sélection des sources écrites. Les premiers rapports disponibles en anglais apparaissent en 1986. En revanche, l’entretien mené avec un ancien cadre dirigeant dont l’intégralité de la carrière s’est faite au sein de l’entreprise, nous a permis de recueillir des informations antérieures significatives par rapport au changement juridique de la société. 261 Si Air France a effectivement été nationalisée en 1946, son histoire telle que nous l’avons décrite (notamment ses relations avec l’Etat depuis cette année) permet de la considérer comme une entreprise publique dès l’origine. 262 Nous exposerons les méthodes d’analyse des données de chacun de ces cas dans la sous-section 3.3.
234
3.2. La base de données brutes
En conformité avec la sélection des cas, décrite précédemment, la collecte des données
a été guidée par l’objectif analytique de mettre à l’épreuve de manière identique, deux cas
extrêmes de privatisation. Ainsi, la constitution de ces deux bases de données brutes doit
permettre après retraitement263, de tester notre cadre conceptuel et de répliquer son test de
cohérence.
Dans cette optique, la constitution des deux bases de données nécessite le repérage
d’informations empiriques sur le processus global de privatisation. Celui-ci requiert la
connaissance de données relatives aux différentes relations examinées par notre modèle. Il
s’agit de nous documenter sur les caractéristiques du processus décisionnel, des différentes
composantes du système de gouvernance et des relations de chaque firme avec ses
partenaires. En ce sens, nous devons caractériser ces différentes dimensions pour chaque
firme, en distinguant leurs spécificités publiques et les changements qui conduisent à des
caractéristiques « privatisées ». Afin d’analyser ces trois niveaux théoriques dans chaque
cas, nous devons constituer trois groupes de données relatifs aux trois niveaux d’analyse de
notre modèle. Ainsi, notre documentation sur ces trois groupes de données factuelles doit
nous permettre d’identifier pour chaque cas, l’origine de la privatisation et ses étapes
successives de déroulement. Cette information suppose que nous identifions au niveau du
processus décisionnel, du système de gouvernance et des relations partenariales, leurs
caractéristiques dans le contexte de l’entreprise publique afin de pouvoir repérer le
changement organisationnel au profit d’une organisation privatisée. Les données à
recueillir sont donc essentiellement de nature qualitative.
Afin d’accéder à ces trois groupes de connaissance empirique nous nous sommes
documentés auprès de deux types de sources, internes et externes à chaque entreprise.
Cette stratégie de collecte est susceptible d’assurer la triangulation des données puisque ces
dernières sont produites en partie par le cas étudié mais aussi par des instances externes
(presse, ouvrages), suffisamment indépendantes par rapport au cas lui-même. Dans le
développement suivant nous abordons la procédure de collecte de données brutes sur Air
France puis sur DSM.
Dans le cadre de la préparation du test de plausibilité de notre modèle à partir du cas Air
France quatre sources d’informations nous ont permis de constituer une base de données
263 Cette phase du design de notre recherche est traitée dans la prochaine sous-section.
235
relativement fiable par recoupement des sources. Dans la mesure où Air France est une
figure emblématique qui a fait l’objet de certaines controverses, plusieurs ouvrages ont été
publiés à son sujet. Ils constituent des témoignages approfondis de la vie de la société de
sorte qu’ils sont à l’origine d’une part importante de notre matériel qualitatif. La
compagnie aérienne a ainsi fait l’objet d’une analyse approfondie de son histoire
notamment à travers quatre ouvrages. Le premier est un récit de B. Attali (1994) ancien
président de la société, de 1988 à 1993, jusqu’au moment du conflit social lorsque
l’entreprise est au bord de la faillite. L’interprétation des événements par l’un des hommes
clé de l’histoire d’Air France nous a permis d’apprécier les différentes phases d’évolution
du groupe au moment où la dérégulation sectorielle s’intensifie et la modernisation de
l’entreprise doit affronter les conflits sociaux. Le second ouvrage, dont L. Belhassine
(1997) est l’auteur, fournit un ensemble données empiriques du point de vue de cet ancien
père fondateur et dirigeant d’une compagnie concurrente, Air Liberté. Sa position
extérieure à l’entreprise étudiée apporte certaines précisions quant à la place privilégiée de
la compagnie nationale sur le territoire et ses « relations incestueuses [avec] l’Etat »264. Le
troisième ouvrage est issu d’une enquête auprès de quatre vingt quinze personnes,
membres de l’entreprise, ou des services de l’Etat, clients ou fournisseurs. Cette enquête
qui remonte jusqu’en 1988, alors que la compagnie est dirigée par B. Attali a été menée par
F. Bouaziz (1998), journaliste spécialisé dans le transport aérien. Cette enquête fournit
plusieurs illustrations des différents niveaux d’analyse de notre modèle à partir de la vision
des partenaires d’Air France dans leurs relations avec elle. Enfin, le quatrième ouvrage,
publié par Autier et al. (2001), à partir duquel nous avons construit notre base de données
brutes représente une analyse de synthèse de l’histoire d’Air France265. Il retrace en effet,
les différents points de rupture de son évolution, depuis ses origines jusqu’à « sa
refondation »266, à partir de l’année 1993, lors de la démission de B. Attali remplacé alors
par C. Blanc en octobre, lui même remplacé en 1997 par J.C. Spinetta. Les auteurs
universitaires, présentent de nombreux témoignages des différents acteurs de l’entreprise
ainsi que des données sectorielles qui permettent de contextualiser la dynamique
organisationnelle d’Air France jusqu’à la clôture de son exercice 1999/2000. Ces différents
264 L’ouvrage de L. Belhassine s’intitule « le ciel confisqué, les relations incestueuses d’Air France et de l’Etat » (1997). 265 C’est principalement à partir de cette source que nous avons élargi parfois notre période d’analyse, lorsque l’événement retenu permettait d’approfondir notre connaissance des processus examinés. 266 L’ouvrage de Autier et al. (2001) a pour titre « Air France, des années héroïques à la refondation ».
236
ouvrages contiennent un nombre très important d’informations que nous avons pu recouper
et ainsi intégrer à notre base de données.
En complément, nous avons obtenu les rapports annuels des exercices 96/97, 97/98,
98/99 et 99/00. Ceux-ci correspondent à la période d’entrée en fonction du dernier
président d’Air France, dont la tâche consiste à conduire l’entreprise redressée jusqu’à
l’ouverture du capital. Nous avons ainsi complété la base de données qualitatives à partir
des commentaires de J.C. Spinetta sur l’activité et les perspectives de la privatisation. De
plus, une revue de presse sur la période [1990-2001] à partir des quotidiens Les Echos, La
Tribune, et Le Monde nous a permis de constituer267 un dossier de presse sur les années clé
qui ont précédé la cession partielle, notamment :
- 1991 (crise sociale et économique),
- 1993/1994 (recapitalisation et redressement),
- 1997 (fusion d’air Inter et d’Air France et achèvement de la dérégulation en
Europe),
- 1999 (cession partielle par l’Etat français directement et indirectement de 22% du
capital, le 10/02/99),
- et 2000/2001 (l’après cession partielle).
Les comptes-rendus des assemblées générales des exercices 98/99, et 99/00
respectivement consécutive à l’ouverture du capital et au premier exercice qui l’a suivie,
ont également été intégrés à notre base de données brutes.
Enfin, nous avons pu mener deux entretiens, l’un auprès du chef adjoint du Bureau des
Transport et de l’Urbanisme rattaché au Service des Participations du Ministère de
l’Economie des Finances et de l’Industrie, l’autre auprès d’un cadre intermédiaire d’Air
France qui a souhaité gardé l’anonymat. Pour le premier entretien, si l’obligation de
réserve à laquelle est tenue la personne interrogée a limité notre entrevue à des questions
relativement générales, nous avons pu toutefois, recueillir quelques données confirmatoires
sur certains aspects des relations de l’entreprise avec son actionnaire public. Concernant
l’entretien semi-directif centré268 avec le cadre intermédiaire d’Air France, la personne
267 Après une revue des titres d’articles sur le site Internet des archives de La Tribune et du journal Le Monde ainsi qu’à partir d’une base CD-Rom du journal Les Echos, nous avons retenu les évènements clés repérés par ailleurs auprès des autres sources pour constituer un dossier de presse pertinent par rapport aux processus que nous souhaitons examiner. 268 Nous avons suggéré les thèmes que nous souhaitions aborder par rapport à notre problématique à partir de questions ouvertes de sorte que les personnes interrogées ne soient pas influencées.
237
ayant participé à la préparation de l’ouverture du capital269, nous avons pu recueillir des
informations supplémentaires sur les contraintes et opportunités perçues par rapport à cet
événement.
Pour conclure sur l’élaboration de la base de données d’Air France, quatre sources
(ouvrages d’analyse, presse, rapports annuels, entretiens) ont permis de constituer une base
de données essentiellement qualitative. Compte tenu du recoupement des informations
recueillies et de leur transversalité par rapport au cas, nous pouvons considérer que la
validité interne et l’exhaustivité de ces données brutes sont assurées. Par ailleurs, ces
mêmes sources contiennent de nombreuses données chiffrées relatives au secteur et à la
politique financière de l’entreprise. Nous avons pu ainsi compléter notre connaissance des
éléments empiriques en relation avec les deuxième et troisième niveaux d’analyse de notre
modèle. Rappelons que ces deux niveaux d’analyse concernent les manifestations du
processus de privatisation au niveau de l’AO et les conséquences de cette dernière sur la
valeur appropriable par les partenaires retenus.
Dans le cadre de la réplication de notre cadre théorique à partir de l’étude de la
privatisation de DSM, nous avons pu rencontrer trois personnes de l’entreprise. Deux
d’entre elles dont nous respectons l’anonymat, sont entrées en fonction après le
changement juridique de 1967. En revanche elles ont assisté à l’ouverture du capital en
1989 puis 1996. Monsieur Van der Grinten, quant à lui, a effectué l’intégralité de sa
carrière au sein de DSM, avant d’intervenir à l’Université de Maastricht, où il enseigne la
stratégie et le développement de l’entreprise. Il a notamment exercé la fonction d’ingénieur
de recherche avant d’intégrer le département des processus de contrôle et d’optimisation.
Puis, sa promotion au département de la planification et du développement le conduit à en
devenir le directeur jusqu’à sa retraite270. Notre rencontre avec lui a été particulièrement
riche. L’essentiel des informations relatives aux stades d’évolution de DSM, notamment
jusqu’au changement juridique de l’entreprise271 provient de cette rencontre. De par son
cursus, son témoignage sur le processus de privatisation a été fondamental pour la
constitution de notre base de données. Une source complémentaire sur la période
[1986/1998] provient des rapports annuels dont la version anglaise n’existe que depuis
269 Cette personne a aussi participé à la privatisation de Bull. 270 60 ans dans la loi néerlandaise. 271 qui d’après notre étude a été un des événements majeurs du processus de privatisation de DSM.
238
1986. Enfin, une revue de presse272 sur la période [1995-2000] qui concerne la seconde
cession en 1996, nous a permis de compléter notre base de données.
Pour conclure sur l’élaboration de la base de données de DSM, les entretiens et les
rapports annuels ainsi qu’une revue de presse constituent les sources de notre base de
données essentiellement qualitative. Certaines données financières ont cependant été
repérées au niveau des rapports annuels d’activité pour pouvoir tester la cohérence de
certaines relations aux deux derniers niveaux d’analyse théorique précédemment cités.
Comparativement à l’étude d’Air France, cette base de données est structurellement moins
fournie, notamment en raison de l’éloignement dans le temps de la majeure partie du
processus de privatisation. Ainsi, le nombre limité des sources contraint le degré de
triangulation des données retenues. En référence à Miles et Huberman (1991), certaines de
ces données d’entrée nécessitent un traitement particulier dans la mesure où elles n’ont pu
faire l’objet d’une triangulation des sources273. Afin de répondre à cette exigence
méthodologique de validité interne des données, lors de la réduction de la base de données
brutes, nous les distinguerons par un astérisque. De cette manière, au moment de l’analyse
et de l’interprétation des résultats, nous attribuerons à ces données un signe de
significativité particulier pour pondérer leur degré d’explication.
La construction de nos deux bases de données brutes est l’étape préliminaire à leur
réduction et à leur analyse abordés dans la sous-section suivante. Au cours de ce traitement
nous espérons d’une part, identifier les phases du processus de privatisation et les
changements organisationnels auxquels elles renvoient, notamment au niveau du processus
décisionnel et du système de gouvernance. D’autre part, nous espérons repérer leurs effets
sur les relations de la firme avec ses différents partenaires ainsi que des indices quantitatifs
susceptibles d’illustrer le niveau de valeur appropriable par certains stakeholders.
272 Source française en raison de l’obstacle de la langue. 273 Cette précaution méthodologique dans notre design de recherche vise à informer le lecteur que le recoupement de certaines données n’a pu être effectué. Précisons que cette indication ne remet pas en cause la sincérité des témoignages sans lesquels nous n’aurions pu obtenir les données qualitatives les plus anciennes relatives au processus décisionnel. En ce sens, si la collecte de données a subi la contrainte des spécificités de la privatisation de DSM et en partie de la langue, l’entretien central avec un membre de la direction qui a vécu l’intégralité du processus de privatisation, nous paraît être une opportunité rare qui renferme un potentiel d’informations qualitatives relativement grand. Le chapitre suivant illustre notre propos.
239
3.3. L’exploitation du matériel empirique : méthode de traitement de la base de
données réduites
La majeure partie de nos deux bases de données brutes est qualitative, en adéquation
avec notre cadre conceptuel fondé sur les processus organisationnels. Un premier
retraitement, nécessaire à la mise en lien de nos propositions théoriques et des éléments
empiriques consiste à réduire nos données brutes. La procédure de réduction de données
que nous avons définie repose tout d’abord sur une retranscription des entretiens réalisés à
partir de nos enregistrements et prises de notes afin d’homogénéiser la base de données
textuelles. Ensuite, en nous inspirant de l’étude empirique de Wirtz274 (2000), nous avons
procédé à une analyse de contenu de l’ensemble des données brutes fournies par nos
sources internes et externes. Afin d’assurer un traitement rigoureux, nous avons construit
un lexique des codes correspondants aux variables de notre modèle, de sorte que cette
seconde étape soit formalisée. Ces codes doivent permettre une identification structurée
des passages clés des données textuelles en relation avec le(s) concept(s) au(x)quel(s) ils
renvoient. Dans cet objectif, à la suite de la codification théorique, nous avons défini un
principe d’affectation des codes aux indices empiriques. La table d’affectation qui résulte
de cette démarche de codification s’insère dans notre guide de recherche.
Pratiquement, la lecture des différents supports empiriques s’est accompagnée d’une
mise en évidence des contenus par une annotation en marge du code associé, à chaque fois
que l’indice textuel renvoie au critère d’affectation du code. A titre d’exemple, toute
information relative à l’une des étapes « j » du processus décisionnel (initiative, mise en
œuvre, ratification et surveillance) qui traduit un processus centralisé ou décentralisé est
émargée respectivement par les codes CENTj ou DECj. De plus, dans la mesure où notre
modèle tient compte des niveaux hiérarchiques, leur principe d’attribution est élargi. Ainsi
ces codes sont attribués à toute information relative au processus décisionnel (PD) au
niveau de la direction générale (PDsup) ou des niveaux intermédiaires et inférieurs (PDinf).
La codification du processus décisionnel centralisé ou décentralisé selon le niveau
hiérarchique « n » concerné consiste respectivement à affecter, au cours de la lecture, les
codes suivants : PDnCENTj et PDnDECj aux informations décisionnelles selon leur
modalité. Le lexique des codes utilisés pour la réduction de données est retranscrit dans le
274 L’auteur propose un protocole d’analyse qui consiste à partir d’une analyse formatée du corpus textuel, en une réduction des données brutes puis en une représentation graphique de leur relations avec les concepts.
240
tableau suivant. Nous mentionnons le concept associé à chaque code et la nature de
l’information à laquelle correspond le concept.
Tableau 10 : Lexique des codes d’analyse de contenu et de réduction des données : notre table d’affectation
Concept code Affectation
Processus décisionnel
PD - PDsupCENTj- PDsupDECj - - PDinfCENTj - PDinfDECj
Information sur l’une des étapes du processus décisionnel qui caractérise :
- au niveau supérieur, un processus centralisé ou décentralisé,
- au niveau intermédiaire et inférieur un processus centralisé ou décentralisé
Système de
gouvernance organisationnelle
SGO - SGM - SGR
Information relative aux mécanismes spécifiques à la firme (CA, contrôle hiérarchique) et aux mécanismes non spécifiques (marchés…) qui caractérisent le type de gouvernance marché et le type de gouvernance réseau
Latitude
managériale Lat-M Information relative à toute décision prise par le dirigeant,
sans consultation préalable, qui peut aller en faveur ou à l’encontre d’une des parties prenantes, dont l’actionnaire.
Valeur partenariale
appropriable VAP
- VAA - VAB - VAC - VAD - VAF - VAS
Information relative aux décisions de création et /ou de répartition de valeur au profit d’un des partenaires (ou groupe) :
- Actionnaire, - Banque, - Client, - Dirigeant, - Fournisseur, - Salarié
En outre, lors de cette phase de réduction des données, notre guide de recherche a été
également complété par le tableau suivant qui reprend les relations théoriques de notre
modèle à partir des codes que nous avons fixés. Ce tableau nous a guidé dans l’affectation
des codes aux données textuelles, pour ne retenir que les informations pertinentes par
rapport à nos questions de recherche, que ces informations convergent vers le sens établi
par nos propositions ou qu’elles s’en éloignent275. A l’instar de la phase de représentation
des liaisons empiriques proposée par Miles et Huberman (1991), ce tableau peut constituer
une phase de représentation théorique préalable à la phase de représentation empirique.
275 Rappelons que le guide, élaboré au moment de la préparation de l’investigation empirique (et que Yin appelle le protocole de recherche), est une aide importante pour la conduite de celle-ci, comme nous le signalions dans la section précédente. Ici, cette étape de l’analyse des données nous a conduit à compléter notre guide par un tableau récapitulatif des relations à examiner. En particulier, nous avons eu recours à ce tableau lorsque nous devions séparer les causes et les effets à observer, selon le niveau d’analyse théorique. Par exemple, nous devions nous assurer qu’une information relative à la valeur appropriable par les clients soit retenue si elle était reliée à une information relative au processus décisionnel et/ou à une information touchant aux mécanismes de gouvernance, conformément à la proposition 8 de notre modèle.
241
Tableau 11 : Mise en relations des codes d’après notre cadre conceptuel : une représentation simplifiée de nos propositions
propositions représentation théorique simplifiée
P1
- P1(a)
- P1(b)
Privatisation : PD-CENTj => PD-DECj
- PDsupCENTj => PDsupDECj
- PDinfCENTj => PDinfDECj
P2
- P2(a)
- P2(b)
Privatisation : SGR centralisé => SGR * SGM = SGO mixte
- PDsupCENTj => PDsupDECj renforce le contrôle du CA
- PDinfCENTj => PDinfDECj = contrôle hiérarchique plus incitatif
P3 PDsupDECj * SGO mixte => accroissement de Lat-M
P4 SGO mixte => accroissement de VAA
P5 SGO mixte - dont GAP – => VAB (++ pour la banque membre du GAP*)
P6 SGO mixte => accroissement de VAS
P7 PDsupDECj * SGO mixte => accroissement de Lat-M => accroissement de
VAD
P8 [PDinfCENTj => PDinfDECj]*SGO mixte => accroissement de VAC (++ si
dérégulation et/ou membre du GAP)
P9 PDsupDECj * SGO mixte => réduction de VAF ou >=0 si membre du GAP
* Rappel : GAP : groupe d’actionnaires partenaires ; CA : conseil d'administration ; SGO : système de gouvernance organisationnelle ; SGR : système de gouvernance orienté réseaux ; SGM : système de gouvernance orienté marché ; Lat-M : latitude managériale ; VAA : valeur appropriable par les actionnaires ; VAB : valeur appropriable par les banques ; VAS : valeur appropriable par les salariés ; VAD : valeur appropriable par le dirigeant ; VAC : valeur appropriable par les clients ; VAF : valeur appropriable par les fournisseurs.
A partir de cette procédure formalisée, nous avons regroupé dans un tableau organisé, le
résumé des passages émargés par les codes et les relations empiriques observées à partir de
leur représentation théorique simplifiée. Ce nouveau tableau nous permet d’identifier les
caractéristiques des phases du processus de privatisation. Autrement dit, cette base
retranscrit les caractéristiques des différentes dimensions de l’AO dans le contexte public
et leur évolution dans le contexte privatisé. Elles mentionne les références des sources afin
que l’observateur indépendant puisse consulter le lien empirique, de sorte que la démarche
conserve le lien de preuve. Ce tableau forme ainsi notre base de données réduites. Les
champs de sa structure et les modalités centrales sont repris ici276.
276 On remarquera que cette structure reflète de manière sous-jacente, l’analyse comparative des formes organisationnelles selon les dimensions de la TGP, en conformité avec notre approche théorique. Cette remarque donne tout son sens au caractère logique du design de recherche tel que Yin le conçoit (1994, p. 20).
242
Tableau°12 : Structure de notre tableau des codes centraux et données réduites sur le
processus de privatisation
Contexte public de l’AO Référence source Contexte privatisé de l’AO Référence
source Codes centraux Extraits de passages émargés par les codes correspondants et par les relations observées
PD PDn-CENTj
PDn-DECj PD-CENTj => PD-DECj
SGO
SGM ; SGR (CA et Contrôle hiérarchique)
SGM SGR SGR centralisé => SGR * SGM = SGO mixte
Lat-M PDsupCENTj * SGO centralisé
PDsupDECj * SGO mixte => accroissement de Lat-M
VAP -VAA -VAB -VAD -VAS -VAC -VAF
PDn-CENTj*SGO centralisé => accroissement/réduction de VAP
PDn-DECj et/ou PD-CENTj => PD-DECj * SGO mixte => accroissement/réduction de VAP
De la, pour chaque cas, un schéma processuel sur la période analysée reprend les
différents codes centraux (en gras dans notre table d’affectation) et pour chacun d’eux, les
références empiriques les plus marquantes que le lecteur peut retrouver dans la base de
données réduites. Ces schémas processuels relatifs aux cas étudiés, figurent en annexe 8
(Air France) et 9 (DSM). Ils représentent les traits principaux des processus examinés. En
conséquence, c’est à partir de cette représentation graphique que nous avons pu conduire
notre analyse et mener le contrôle de plausibilité dans le cas d’Air France et sa réplication
dans le cas de DSM.
Par ailleurs, nous avons exploité les données quantitatives qui se rapportent aux
relations établies entre les caractéristiques de la gouvernance et la valeur partenariale
appropriable. Compte tenu des variables concernées par les mesures qualitatives, nous
n’avons pas effectué de retraitement particulier, qu’il s’agisse du cours des titres, du taux
de distribution des dividendes, de la croissance de certains indicateurs de performance
économique susceptibles de toucher certains partenaires.
Pour résumer cette section sur l’exposé de notre design de recherche, la collecte
pertinente et relativement exhaustive de données provenant de différentes sources nous a
conduit à préparer méthodiquement le test de plausibilité dans le cas particulier d’Air
France, puis une réplication dans le cas de DSM. En guise de synthèse, le schéma suivant
reprend notre lecture du processus de test de plausibilité présentée dans la section 2.
243
Toutefois, nous l’adaptons à notre recherche de terrain de sorte qu’il retrace notre stratégie
d’investigation empirique. Il permet d’illustrer la partie créative de l’investigation par
étude de cas, notamment en matière d’outils analytiques que l’on cherche à adapter à la
problématique de terrain.
Schéma 9 : Stratégie d’investigation empirique au cours du processus de test de plausibilité (sa phase préparatoire)
* TDR : tableau de données réduites
Conclusion du chapitre 5
Pour conclure sur ces réflexions méthodologiques, nous relèverons deux points
essentiels soulevés par l’approche instrumentale d’une théorie. Premièrement, d’un point
de vue générale, la nature de la connaissance à laquelle une théorie est susceptible de
parvenir dépend du stade de développement de celle-ci dans le processus scientifique. Une
théorie déjà bien avancée dans le processus de production du savoir est celle pour laquelle
l’investigation empirique a permis d’apprécier, à plusieurs reprises, sa concordance avec
les faits étudiés. Ainsi, sa confrontation aux réalités qu’elle cherche à examiner conduit à
approfondir son degré de corroboration, comme le souligne Jensen dans le cadre spécifique
de la TPA (1983). En revanche, une théorie émergente est celle pour laquelle la stratégie
d’investigation empirique consiste à apprécier la cohérence de ses différentes composantes
(tautologies, définitions) à partir d’un contrôle de plausibilité des propositions qu’elle
permet d’établir. Ainsi se situe selon nous, le cadre conceptuel de la TGP à partir duquel
nous avons construit notre modèle reliant la privatisation à l’AO. En ce sens, nos
propositions sont susceptibles de faire l’objet d’un test de cohérence avec les faits. De plus
leur test de plausibilité vise à apprécier les hypothèses sous-jacentes à la TGP
codification concepts /liens
codification données brutes
propositions
terrain
données brutes Interne/externe
description des liens
empiriques
déduction logique /questions de
recherche
Résultat de
plausibilité Table affectation
Tableau de représentation théorique
Codes centraux &
TDR*
Représentation empirique Schéma
processuel
Réduction des données
Analyse sur données réduites
244
(comportement des parties prenantes au processus décisionnel, interactions entre processus
décisionnel et mécanismes de gouvernance). Pour conclure sur ce premier point, la
stratégie d’investigation empirique participe du processus scientifique. Elle doit par
conséquent, faire l’objet d’une attention égale à la problématique que l’on souhaite
développer.
Nous en venons donc au deuxième point. Dans le cadre de notre question de recherche,
la problématique organisationnelle de la privatisation relève des processus, donc
d’interactions plus ou moins explicites et majoritairement non quantifiables. De cette
manière, nous proposons un renouvellement de la problématique initiale du débat entre
privatisation, propriété et performance. En ce sens, à l’appui de l’investigation empirique,
nous espérons parvenir à une compréhension approfondie de la dynamique
organisationnelle sous-jacente au processus de privatisation. Ainsi, l’adéquation entre les
propositions théoriques et l’investigation empirique nous conduit à privilégier une
approche qualitative des faits qu’une étude de cas permet de réaliser. Afin de contrôler la
cohérence de nos propositions, notre choix s’est orienté vers la privatisation d’Air France.
Une réflexion sur le design de notre recherche nous a conduit à exposer la procédure de
notre approche instrumentale des liens entre privatisation et AO. La construction
méthodique d’un tableau de codes centraux et de données réduites relatives au processus
de privatisation de la compagnie aérienne est ainsi susceptible d’assurer au processus de
contrôle de plausibilité, une sécurité scientifique optimale277. Elle expose alors notre
démarche à la critique, à partir de la chaîne de preuves fournie par la base de données
réduites, la description de la procédure et des outils d’analyse. En outre, dans notre
parcours, une opportunité de répliquer la démarche méthodologique d’étude de cas nous a
permis de mettre de nouveau notre modèle à l’épreuve d’autres faits. Ce second test de
cohérence dans le cadre de la privatisation du géant néerlandais DSM permet de poursuivre
notre recherche en la soumettant à un premier contrôle de concordance. Sur la même base
méthodologique définie pour l’étude d’Air France, celui-ci est susceptible d’enrichir par
cette nouvelle observation, la plausibilité de notre modèle et celle de la TGP. Les résultats
de ces deux investigations sont présentés dans le chapitre suivant.
277 Au second degré, c'est à dire sous contrainte des biais empiriques auquel l’étude de cas ne peut échapper.
245
Chapitre 6
La privatisation d’Air France et de DSM,
deux illustrations de l’interdépendance entre processus décisionnel, système de
gouvernance et efficience organisationnelle en France et aux Pays-Bas
Il n’est pas vrai que l’évolution se dérIl n’est pas vrai que l’évolution se dérIl n’est pas vrai que l’évolution se dérIl n’est pas vrai que l’évolution se déroule imperturbablementoule imperturbablementoule imperturbablementoule imperturbablement selon une trajectoire définie, si rien ne vient l’interrompre.selon une trajectoire définie, si rien ne vient l’interrompre.selon une trajectoire définie, si rien ne vient l’interrompre.selon une trajectoire définie, si rien ne vient l’interrompre.
S. J Gould, Essai n°25, p. 420S. J Gould, Essai n°25, p. 420S. J Gould, Essai n°25, p. 420S. J Gould, Essai n°25, p. 420
246
Si la privatisation, notamment par offre publique de vente, conduit effectivement à une
amélioration significative ou dans d’autres cas, à des effets plus discrets sur la performance
de l’entreprise, alors quels sont les processus organisationnels sous-jacents susceptibles
d’affecter la création de valeur partenariale ? Autrement dit, dans quelle mesure une vision
processuelle de la privatisation, sur la base d’un cadre théorique émergent, celui de la TGP,
peut-elle participer à notre connaissance de ce phénomène ? Cette question part d’un
constat empirique ambigu par rapport aux réponses théoriques originelles sur le lien entre
propriété, forces de marché et performance. Elle est à l’origine de notre réflexion théorique
sur le sujet. Une manière fondamentale de la mener à son premier terme (avant d’envisager
un retour sur son potentiel explicatif), est de lui donner un écho empirique. Ce chapitre est
consacré à ce premier aboutissement de notre réflexion.
Sur la base de notre design de recherche, nous avons étudié deux cas de privatisation, le
cas français sur le secteur du transport aérien, Air France et le cas néerlandais sur le secteur
de la chimie, DSM. Dans cette perspective, nous avons pu mener une analyse des données
réduites dont la base, pour chaque cas, est fournie dans le volume 2. En référence au
processus scientifique, la formulation de nos propositions se poursuit ainsi par une
appréciation de leur cohérence avec les faits relatifs à la privatisation d’Air France. De
plus, au cours de notre recherche, l’opportunité de prolonger le processus scientifique de ce
travail nous a conduit à renouveler ce contrôle de plausibilité sur le cas DSM. Ainsi, avec
ce dernier cas, nous proposons un premier test de concordance de notre modèle
organisationnel de la privatisation, par sa réplication sur la base méthodologique identique
au premier cas. A cette étape de la démarche d’investigation nous espérons que l’étude
d’Air France (section 1) et celle de DSM (section 2) contribueront à apporter au débat sur
la privatisation et sur la réforme des entreprises publiques quelques éléments de réponses,
que nos propositions soient acceptables et/ou qu’elles nécessitent une amélioration (section
3). En ce sens, la grille de lecture qu’offre la TGP pourra être ré-examinée dans le cadre de
son propre développement. C’est dans cet esprit que nous avons posé et traité d’un point de
vue théorique et maintenant empirique, la question de la dynamique organisationnelle
propre à toute coopération partenariale.
247
Section 1 : La privatisation partielle d’Air France : un processus organisationnel
sur 6 ans
En référence à notre réflexion méthodologique du chapitre précédent, cette section est
consacrée au contrôle de plausibilité de notre modèle sur les liens entre privatisation,
processus décisionnel, système de gouvernance et valeur partenariale. Ce contrôle est
conduit à partir de l’étude approfondie des caractéristiques de la dynamique
organisationnelle induite par le processus de privatisation de la société nationale Air
France. Cette entreprise du transport aérien est cotée au premier marché de la bourse de
Paris après une ouverture partielle de son capital (24,4%), le 22 février 1999. A l’issue de
cette opération, sur la base de 14 euros l’action, 11,8% du capital est détenu par les salariés
de l’entreprise, 56,4% est détenu par l’Etat et le solde (31,8%) correspond au flottant. Cette
ouverture partielle à la propriété privée résulte de plusieurs changements organisationnels
successifs entrepris une dizaine d’années auparavant278 et menés par trois dirigeants
différents, B. Attali, C. Blanc et J.C. Spinetta. Ce processus préparatoire à l’ouverture
partielle du capital d’Air France s’est déroulé dans une période où le secteur a connu la
déréglementation européenne, où la France a changé de Président de la République et de
majorité gouvernementale. Nous présentons un bref historique de la société afin de repérer
les stades principaux de son développement (1.1). Ensuite, nous examinons en profondeur
les processus organisationnels déclenchés par les trois PDG successifs exposés à la
question cruciale de l’adaptation du groupe pour sa survie ou de sa disparition (1.2).
1.1. Bref historique d’Air France : 3 stades d’évolution
Notre modèle organisationnel de la privatisation considère celle-ci comme un processus
d’évolution de la firme. En ce sens, ce processus participe au développement global de
l’organisation. Pour identifier ce processus et en analyser les composantes nous présentons
brièvement les principales étapes du développement d’Air France depuis sa création en
1948 jusqu’à l’ouverture du capital en 1999.
1.1.1. La naissance d’une compagnie et du secteur du transport aérien (1933-1948)
La création d’Air France est assez ambiguë dans la mesure où elle a débuté dans un
contexte de crise internationale qui a fortement contribué à son futur statut d’entreprise
278 Voire même depuis la fin des années 1970, comme nous le verrons par la suite.
248
publique279. En effet, Air France est née de la fusion de cinq entreprises privées avant la
seconde guerre mondiale, pour être par la suite, réquisitionnée pendant le conflit, d’abord
par le ministère de l’air en 1939 puis sous l’occupation. La société anonyme Air France
passe ensuite sous le contrôle total du gouvernement de Vichy par une loi de 1941 relative
au statut de l’aviation marchande. A la sortie de la guerre, l’aviation civile française est
nationalisée par le gouvernement provisoire du général De Gaulle. L’ensemble du réseau
aérien du territoire national est confié à la société Air France. Après deux ans de flou
juridique durant lesquels l’entreprise est dirigée par un conseil de direction provisoire,
c’est en 1948 que la « Compagnie nationale Air France » est déclarée entreprise d’Etat
dans une logique de l’après guerre. L’entreprise d’économie mixte régie par le code de
l’aviation civile participe alors à la reconstruction économique, de l’aménagement du
territoire à l’offre de service public et plus globalement d’emplois. Dès lors, la compagnie
de transport aérien est sous tutelle de l’Etat, en même temps que le secteur entre dans une
phase de croissance rapide, mondiale et durable pour une vingtaine d’années. L’innovation
technologique permet de réduire les coûts et provoque la démocratisation du transport
aérien progressivement déréglementé.
1.1.2. La compagnie nationale Air France jusqu’à sa recapitalisation en 1993
A partir de 1950 Air France, compagnie nationale fait partie des acteurs du transport
aérien mondial dont le développement repose sur deux organisations. L’OACI
(Organisation de l’aviation civile internationale) assure la coopération
intergouvernementale dans le cadre des Nations Unies. Elle participe à la coordination des
pratiques techniques et opérationnelles dans les pays membres. L’IATA (Association
internationale du transport aérien) regroupe les transporteurs aériens. C’est au sein de cette
association professionnelle que sont négociés collectivement les fréquences, les tarifs et les
capacités, en accord avec les Etats.
Parallèlement, Air France participe au développement du transport aérien sur le
territoire national dont l’espace aérien est régi par les pouvoirs publics, notamment le
ministère des Transports auquel est rattaché la DGAC280. Ainsi, née en 1954, Air Inter
(détenue par la SNCF et Air France et la CDC)281 prend en charge le réseau de liaisons
métropolitaines. En 1963, UTA entre en concurrence avec Air France sur la desserte de
279 Nous renvoyons le lecteur à notre tableau des données réduites sur Air France (TDR), à la référence de Autier et al. (2001, p. 21 à 25) soit dans le tableau, le code PD (processus décisionnel), source A (p. 21-25). 280 Direction générale de l’aviation civile. 281 TDR, données sectorielles, site Internet de la compagnie, source www.
249
certaines lignes internationales attribuées par l’Etat à la petite compagnie282. Air France
développe sa flotte et son réseau aérien, « le plus grand réseau du monde ». Les deux chocs
pétroliers dans les années soixante dix provoquent une hausse des dépenses de carburant
alors que les acteurs du secteur mettent en service les premiers gros porteurs. La
surcapacité du secteur conduit au développement des charters, en même temps que se
produisent la dérégulation du transport aérien aux Etats-Unis (1978) et les premiers
accords bilatéraux avec certains pays d’Europe. La guerre des prix est entamée et aux
Etats-Unis le secteur entre dans une phase de concentration. Elle conduit à la fin des
années quatre vingt à d’importantes restructurations tant aux Etats-Unis qu’en Europe où la
dérégulation progressive est entreprise par la Commission européenne (1987). Les
prévisions optimistes d’évolution du trafic incitent les compagnies, en quête de nouvelles
parts de marché, à investir lourdement et à développer les premières alliances (synergie des
réseaux, programme commun de fidélisation, accord entre Lufthansa et Air France pour le
SIR Amadeus283). La question de la privatisation d’Air France est soulevée en 1987 puis
abandonnée en raison de la crise boursière. La compagnie, seule entreprise européenne à
être en concurrence sur le territoire national avec d’autres entreprises françaises prend le
contrôle d’UTA et indirectement d’Air Inter en 1990. Elle fusionnera avec la première en
1992, donnant naissance à la « Compagnie nationale Air France ». La fusion avec Air Inter
(devenue « Compagnie Air France Europe » en 1996) sera effective en septembre 1997
après plusieurs années de mises en commun des synergies puis une location gérance au
début de l’année 1997. Mais, dans le cadre des règles de la concurrence
intracommunautaire édictées par le Traité de Rome et de l’instauration du Marché unique
en 1993, les autorités nationales délèguent progressivement à l’instance européenne les
autorisations de prise de participation et de contrôle entre les compagnies. Le rachat par
Air France des deux compagnies n’est avalisé par la Commission européenne qu’à trois
conditions. Air France doit ouvrir à la concurrence certaines lignes intérieures, avant
l’entière libéralisation prévue en 1997. L’entreprise doit aussi revendre les droits de trafic
doubles et renoncer pour quatre ans à toute opération de croissance externe.
Parallèlement à ces mouvements internes au secteur, la guerre du Golfe en 1990
renverse la tendance de croissance anticipée par les transporteurs. Elle conduit à une
accumulation des déficits d’exploitation des compagnies internationales de 2,7 milliards de
282 TDR, données sectorielles, site Internet du groupe, source www (fin de tableau). 283 Système informatique de réservation.
250
dollars. « C’est la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, que le trafic aérien
international diminue. En deux ans, l’industrie du transport a perdu ce qu’elle avait gagné
en vingt ans »284. Air France devient structurellement déficitaire à partir de l’exercice 1990
(plus de 12 milliards de francs de pertes cumulées) malgré les plans de restructuration
lancés à partir de 1989 par B. Attali à son arrivée à la direction d’Air France (Plan CAP93
décliné en deux mises en œuvre, les Plans de Retour à l’équilibre 1 et 2). Suite au
resserrement des conditions financières et de travail demandé par la direction, la crise
sociale d’octobre 1993 aboutit à la démission de B. Attali.
1.1.3. De « l’électrochoc » à l’ouverture du capital : la dynamique organisationnelle
d’un des quatre premiers transporteurs aériens mondiaux
C’est au bord de la faillite de la Compagnie nationale Air France que C. Blanc accepte
en septembre 1993 la direction du groupe sur proposition du Premier ministre E. Balladur.
La recapitalisation s’impose sinon, le coût estimé de la faillite pour l’Etat s’élèverait à 30
milliards de francs285. La Commission européenne accepte le plan de restructuration
proposé par C. Blanc et donne à l’Etat français l’autorisation de recapitaliser son
entreprise, en trois apports (soit 20 milliards de francs sur trois ans286) sous conditions de
les réserver au seul désendettement de la Compagnie Air France et dans une perspective
implicite de privatisation à terme. De plus, en 1994 l’autorité européenne exige par mesure
de transparence, que soit constituée une société holding « Air France SA » à la tête de la
Compagnie Air France et d’Air Inter (future Air France Europe) afin que les fonds soient
effectivement destinés à la seule Compagnie nationale. Le plan stratégique drastique mis
en œuvre par la direction de C. Blanc, (« Reconstruire Air France - Le projet pour
l’entreprise 1994-1996 ») marque la première phase du redressement de l’entreprise qui
enregistre de nouveau un résultat d’exploitation positif à l’issue de l’exercice 1994-1995,
alors que les lignes en partance d’Orly pour Londres, Toulouse et Marseille s’ouvrent à la
concurrence étrangère. Mais l’entreprise présente un taux d’endettement de 3,9 contre un
taux moyen du secteur de 0,8. Après l’inauguration de la plate forme de correspondance de
Roissy Charles De Gaulle (le hub) en 1996 qui offre de nouveaux potentiels de
développement, la Compagnie Air France retrouve une situation bénéficiaire nette en 1997
(résultat net de 213 millions de francs contre 1,3 milliard de francs pour Lufthansa ou 6
284 TDR, données sectorielles, (Autier et al., 2000, p. 198-199). 285 TRD, données sectorielles, Le Monde du 08/06/94. 286 TDR, code PDsupCENTmo dans le contexte public, La Tribune 19/09/95. PDsupDECs.
251
milliards pour British Airways)287. Le taux d’endettement est ramené à 1,07. Durant cette
première phase, plusieurs mesures de réorganisations internes sont prises pour renforcer le
positionnement d’Air France à l’égard de la clientèle et augmenter la productivité. C.
Blanc est alors favorable à la privatisation du groupe et semble trouver une oreille attentive
auprès du Premier ministre A. Juppé. Mais la dissolution de l’Assemblée Nationale en mai
1997 provoque des élections législatives anticipées. Dans un contexte d’alternance
politique, C. Blanc doit alors composer avec la nouvelle majorité gouvernementale. A
l’occasion d’un entretien télévisé, le nouveau ministre des Transports (J.C. Gayssot)
précise qu’il « ne sera pas le ministre de la privatisation d’Air France »288. Le président de
la compagnie décide de démissionner. J.C. Spinetta reprend la direction du groupe en
septembre 1997 et prolonge la politique de son prédécesseur en renforçant la remontée des
indicateurs de performance. Il bénéficie en 1998 de l’extension du hub de Roissy, un des
rares aéroports mondiaux à ne pas être saturé. Cet avantage stratégique permet en outre
d’attirer des partenaires importants pour créer en juin 2000 une alliance mondiale, Skyteam
avec Delta-Airlines, Aeromexico et Korean Air. Entre temps, Air France est cotée au
premier marché de la Bourse de Paris en févier 1999 et présente en août une hausse de son
cours de 20% contre une progression de 6% du CAC 40 sur la même période. Mis en vente
auprès des particuliers à 14 euros, le titre Air France est évalué à 21 euros un an et demi
après, soit une hausse de 40% sur un secteur sensible à la conjoncture et au prix du baril.
1.2. Privatisation et architecture organisationnelle d’Air France : les résultats de
l’étude des processus
Lors de l’examen théorique de l’entreprise publique nous avons constaté la pluralité des
formes organisationnelles, de la tutelle forte à une autonomie relative. L’étude de la
privatisation d’une entreprise particulière nécessite par conséquent, une analyse de ses
caractéristiques avant que le processus de privatisation ne soit engagé. En ce sens, il
convient d’identifier les caractéristiques de l’entreprise publique et les origines du
processus de privatisation. Le bref historique d’Air France nous conduit à remonter une
dizaine d’années avant l’ouverture du capital, en faisant référence par ailleurs, à des
informations plus anciennes. De cette manière, en identifiant les spécificités publiques de
287 Le résultat net du groupe Air France (société mère de la Compagnie nationale Air France et d’Air France Europe) présente le 31/03/97, un résultat négatif de 147 millions de francs suite à la fusion absorption d’Air France Europe par la Compagnie nationale. 288 Bouaziz ( 1998, p. 68-69).
252
l’architecture organisationnelle (AO), tout changement en faveur des caractéristiques du
contexte organisationnel privé nous permettra de repérer les phases du processus de
privatisation tel que nous l’avons modélisé. Ainsi, après l’étude des origines du processus
de privatisation et par conséquent, du contexte organisationnel public (1.2.1), nous
présentons les caractéristiques essentielles de la dynamique organisationnelle sous-jacente
(1.2.2). Nous exposons ensuite les effets de l’évolution de la gouvernance sur la valeur
appropriable par les différents partenaires considérés dans notre modèle (1.2.3).
1.2.1. Aux origines du processus de privatisation
En introduction de ce chapitre nous rappelions la question sur laquelle repose nos études
de cas, en l’occurrence celle des processus organisationnels sous-jacents à la privatisation
qui sont susceptibles d’affecter la valeur partenariale. Parallèlement, notre modèle repose
sur une approche comparative des formes organisationnelles publiques et privées. Dans
cette perspective, une analyse processuelle consiste à observer les caractéristiques
organisationnelles « initiales » qui précèdent les premières étapes du processus de
privatisation. La première question que nous posons est celle des spécificités d’Air France
en tant qu’entreprise publique. Plus précisément, Air France est-elle une entreprise
publique marquée par un droit décisionnel public étendu ou plutôt limité (1.2.1.1) ? Une
fois ces caractéristiques d’entreprise publique identifiées, nous présentons les indices qui
montrent les premiers changements de l’AO publique (1.2.1.2) et dans quelle mesure, le
processus de privatisation d’Air France prend essentiellement effet à partir de la
recapitalisation de la compagnie (1.2.1.3).
1.2.1.1. Les caractéristiques organisationnelles publiques de la Compagnie
nationale Air France
Dès sa création, la Compagnie nationale Air France, société anonyme issue par ailleurs
de la fusion d’entreprises privées, est dotée d’une structure juridique commune à celle des
entreprises privées. Toutefois, elle présente sur plusieurs dimensions les caractéristiques
d’une forme organisationnelle publique. En outre, comme nous le relevions dans la sous-
section précédente, jusqu’au début des années quatre-vingt, le secteur du transport aérien
expérimente les deux premières phases du cycle de vie d’une activité, son démarrage et sa
croissance289. L’évolution d’Air France, comme celle de l’ensemble des transporteurs
289 Autier et al. (2001, p.119) relèvent une croissance du trafic de 14% entre 1960 et 1970).
253
aériens (qui pour la plupart deviendront des groupes privés s’ils ne le sont pas dès leur
création), est parallèle au cycle du secteur et plus largement à la conjoncture.
Plus précisément, Air France, née de la volonté politique du ministre P. Cot en 1933
représente l’instrument privilégié des pouvoirs publics au lendemain de la seconde guerre
mondiale290. La reconstruction des économies européennes passe notamment par
l’aménagement du territoire, le renforcement des intérêts de l’aviation civile, de la
construction aéronautique, en soutien de l’emploi. Parallèlement l’Etat doit maintenir la
participation de la France au développement des relations internationales et diplomatiques.
Dans cette perspective de relance économique, Air France, dont le président est nommé par
son actionnaire public depuis 1939 fait l’objet d’un niveau certain de centralisation
décisionnelle par l’intervention publique sur les décisions et leur contrôle291. Par exemple,
par l’intermédiaire des administrateurs représentants les pouvoirs publics au sein du
conseil d'administration, Air France est soumise à un premier contrôle sur la base d’un
rapport écrit des administrateurs aux ministres de tutelle, dont le ministre de l’Air qui
bénéficie d’un droit d’information générale. De plus, certaines opérations (financement et
exploitation) sont soumises à l’autorisation préalable du ministre et/ou du Parlement. En
particulier, en raison de la nature des investissements lourds propres à ce secteur d’activité,
les subventions publiques représentent 75% des ressources des compagnies aériennes.
Ainsi, lors de l’élaboration de la loi de Finances, l’indemnité forfaitaire destinée à Air
France est votée (en 1933 par exemple, elle s’élève à 200 millions de francs). Enfin, les
décisions d’investissement, notamment d’avions (Airbus) sont vivement encadrées par
certains ministres comme J.P. Fourcade en 1975 ou B. Pons durant le mandat de C. Blanc.
Certaines négociations, comme la fusion d’UTA font l’objet d’un suivi informel par les
ministres.
Enfin, Air France en tant qu’entreprise publique peut faire l’objet d’enquêtes réalisées
notamment par une commission sénatoriale. L’enquête par le sénateur Cartigny en janvier
1991 en constitue un exemple (voir aussi dans le tableau de données réduites, les extraits
du Monde du 25/05/94 et de la Tribune du 15/05/95, code PDsupCENTs). Le contrôle sur
290 Nous ne revenons pas sur la période du conflit international bien que cette période intermédiaire pour Air France présente les caractéristiques les plus prononcées de la forme organisationnelle publique, comme en témoigne la description par Autier et al .(2001, p. 25), de la convention signée en 1942 entre Air France et l’Etat : « l’Etat en temps de guerre a donc un pouvoir absolu sur la compagnie ».(cf. TDR, code PDsupCENTi référence précitée). 291 TDR, code PDsupCENTr et PDsupCENTs référence Autier et al. (2001, p. 23-25 ;105, 187) ; Bouaziz (1997, p.95 ; 98) ; Attali (1994, p. 44-51, 112-113).
254
Air France peut aussi se faire par les instances européennes, notamment dans le cadre de sa
recapitalisation en 1994292.
Toutefois, « la convergence de certaines missions de service public avec l’intérêt privé
de la compagnie »293 a pu, à certains moments de l’histoire d’Air France, laisser une
latitude à son président ou soutenir son action. A ce niveau, la DGAC (rattachée au
ministère des Transports) exerce un pouvoir étendu dans la mesure où elle définit la
politique de l’espace aérien français, en particulier l’attribution des droits de trafic qui
conditionnent le volume d’activité du transporteur. La présence (non délibérative) de cette
autorité de régulation au conseil d'administration de la compagnie est susceptible de
soutenir de manière privilégiée le volume d’activité d’Air France. Comme le souligne
Bouaziz (1998) si la DGAC « n’agit pas directement en faveur d’Air France, elle utilise un
établissement public placé sous sa tutelle ADP [Aéroport de Paris] ». Au-delà de ces
coalitions internes, peu critiquées jusqu’à l’ouverture et à l’intensification de la
concurrence sur l’espace aérien français à partir de 1987, l’initiative de la direction d’Air
France dans le processus de décision se manifeste depuis sa création. En accord avec les
pouvoirs publics et les salariés, elle confère au dirigeant un rôle actif dans les décisions de
la compagnie. C’est dans ce contexte de convergence d’intérêts que M. Hymans bénéficie
de moyens réels pour mener une politique dynamique d’investissement et commerciale à
partir de 1948294, comme serait d’ailleurs, supposé agir le dirigeant d’une entreprise privée.
Mais en situation conflictuelle, cette initiative managériale n’exerce qu’exceptionnellement
une influence sur les décisions finales et cela jusqu’à des années très récentes de l’histoire
organisationnelle d’Air France. C’est ainsi que la grève par le personnel de la compagnie,
et notamment le personnel navigant technique (PNT) est le mécanisme de gouvernance
privilégié d’un partenaire essentiel d’Air France, les syndicats (le SNPL en particulier). Par
la grève, ceux-ci infléchissent la décision finale qui dans ces situations extrêmes295 est du
ressort des pouvoirs politiques, incarnés la plupart du temps par le Premier Ministre.
Dans ce contexte organisationnel, à ce processus décisionnel fréquemment centralisé au
niveau des instances actionnariales politiques correspond une structure de gouvernance
très marquée par ce centralisme, à l’exception de certaines phases du développement d’Air
292 Voir TDR, données sectorielles et SGI. 293 TDR, code PDsupCENTr référence Autier et al. (2001, p. 26). 294 TDR, codes PDsupCENTr et PDsupDECi (Autier et al., 2001, p. 24-38-66-110) et aussi code Lat-M contexte privatisé (Autier et al., 2001, p. 89). 295 grève de 26 jours en 1971 qui aboutit au texte de référence de la rémunération des pilotes, document qui sera à l’origine d’autres mouvements de grèves, comme celui de juin 1998 à la veille de la coupe du Monde de football dont Air France est le partenaire officiel.
255
France. Ainsi, à l’origine, la société d’économie mixte subventionnée reflète un certain
équilibre de pouvoirs au sein du conseil d'administration, notamment avec une succession
de présidents fortement impliqués dans l’activité aérienne alors naissante (ancien pilote, ou
mandat de direction dans les organismes internationaux professionnels) alors qu’Air
France doit se relever de la guerre. La motivation des personnels, des dirigeants et de
l’actionnaire public converge vers un même objectif, la reconstruction du pays et d’Air
France qui doit incarner le pavillon français. C’est dans cet esprit que l’association des
personnels navigants de l’aviation et la section CGT des mécaniciens et personnels au sol
interviennent dans les décisions notamment pour consultation technique296, rôle joué aussi
par le comité central d’entreprise. Cette intervention syndicale au processus décisionnel
s’accompagne progressivement d’un système de « promotion sociale qui comprend la
reconnaissance des responsabilités syndicales comme qualification d’encadrement ». En
outre, le conseil d'administration joue un « rôle de tribune »297 où sont discutés les aspects
techniques, politiques et stratégiques des décisions prises en dehors de cet organe (tarifs,
ouverture de lignes, investissements et financement). Le schéma suivant propose une
représentation des organes participatifs au processus décisionnel dans l’entreprise
publique.
296 TDR, code SGO, référence Autier et al. (2001, p. 44). 297 TDR, code SGO, référence Autier et al. (2001, p. 46 et 149).
256
Schéma 10 : Les organes participatifs à la prise de décision au sein d’Air France avant le
processus de privatisation298
Toutefois, ce « trait-d’union » entre les trois partenaires au processus décisionnel d’Air
France s’estompe au fur et à mesure que les forces de marché exercent de plus en plus de
pression sur la gestion du groupe. Au cours des années 1960-1970 ce contexte
environnemental concurrentiel s’accompagne d’une remise en cause de la mission de
service public et du fonctionnement général des entreprises d’Etat. La rédaction du rapport
Nora (1967) puis du rapport La Genière (1977) constituent d’une certaine manière un
témoignage des caractéristiques essentielles de l’entreprise publique en France à cette
époque. Par là même, ces rapports sont aussi à l’origine des contrats de plan qui incarnent
298 La représentation collective au sein de la Compagnie relève du droit commun sauf pour la représentation des salariés.
Comité de direction Président, DG, DG adjoints, Directeur
financier, Inspecteur général du personnel navigant
(Réunion hebdomadaire)
Comité central d’entreprise dialogue entre direction et syndicat,
gestion de services sociaux et sanitaires internes, représente les partenaires sociaux
Conseil d'administration (rôle décisionnaire limité, lieu privilégié de débat et de proposition
-5 représentants de l’Etat : - tutelle technique : commissaire du gouvernement : directeur général de la DGCA, chargé des relations
de la tutelle avec la direction d’Air France, les syndicats, et autres compagnies, - tutelle économique : contrôleur d’Etat, sans droit de vote, interface entre la tutelle et l’entreprise (transmet l’information au ministère et communique sa position aux directeurs d’Air France), relayé par un directeur du Trésor, et un directeur du Budget (centre décisionnaire des subventions et des dotations en capital)
- 6 personnes qualifiées, dont le dirigeant, représentent les chambres du commerce et les usagers d’Air France - 6 (+1) représentants des salariés : élus par catégorie (personnel au sol, PNT, PNC, actionnaire)
Etat Président de la République
Premier ministre Ministères de Tutelle
économique technique Economie-Finances Transport –DGAC
PDsupCENTr
PDsupCENTi PDsupCENTi
PDsupCENTs
PDsupCENTmo
257
une première tentative de décentralisation du processus décisionnel au sein des entreprises
publiques et en particulier d’Air France.
1.2.1.2. Les premières tentatives de décentralisation du processus décisionnel
Jusque au début des années 1980, Air France évolue dans un environnement favorable à
l’innovation technologique et à l’augmentation exponentielle de la demande. A la fin des
années soixante, comme beaucoup d’entreprises publiques, Air France est fortement
endettée, conséquence logique d’une période d’intense reconstruction. Ainsi, Air France a
dû financer les investissements souvent orientés par les pouvoirs publics sans
compensation des charges financières que font supporter ces décisions politiques sur la
Compagnie. C’est d’ailleurs à partir de ce constat que le rapport Nora relève un des défauts
de la politique de service public. Selon le rapport, « les pouvoirs publics utilisent de
manière abusive le caractère de service public d’une activité pour justifier son contrôle au
nom de préoccupations macroéconomiques » (Autier et al., 2001, p. 109). Dans cette
perspective, Air France développe la filialisation de certaines de ses activités (chaîne le
Méridien) alors que le tourisme est en pleine essor. En écho au rapport Nora, le rapport La
Génière (1977) suggère, dans le sens du président d’Air France de l’époque (P. Giraudet)
de mettre en place une négociation entre l’Etat et les entreprises publiques pour définir les
objectifs assignés à chacune d’elles. Sous le gouvernement Barre en 1977, Air France
expérimente son premier contrat de plan sur quatre ans, dans lequel sont fixés des objectifs
d’activité299, la compensation par l’Etat des obligations de service public et la planification
conjointe des investissements et de leur financement sur la base d’objectifs de croissance.
Dans cette perspective de contractualisation, des primes aux salariés sont mises en place
pour privilégier les efforts de productivité300. Parallèlement à ce mouvement
d’émancipation managériale à l’égard des pouvoirs publics, la libéralisation du transport
aérien aux Etats-unis amorcée en 1978 par le Airline Deregulation Act engendre une
multiplication des accords bilatéraux en Europe, avec les Etats-Unis et surtout entre pays
membres301. Ces accords constituent les premiers pas vers l’ouverture complète du ciel
européen.
299 TDR, code PDsupDECi, référence Autier et al. (2001, p. 110). Rappelons qu’en première partie de ce travail, nous présentions en annexe 4 l’histoire d’EDF et de la SNCF qui dans la même période mettent en place leur propre contrat de plan. 300TDR, code Lat-M, référence Autier et al. (2001, p. 156). 301 TDR, données sectorielles.
258
Entre 1978 et 1988, l’accroissement de la latitude des quatre dirigeants successifs en
matière d’investissement et de tarification se renforce. Notamment, dans le troisième
contrat de plan en 1984 les avances en capital remplacent les subventions votées
annuellement dans le cadre de la loi de Finances302. A partir de cette contractualisation des
relations avec son actionnaire public, le dirigeant bénéficie d’une certaine liberté dans le
choix de ses fournisseurs et de l’emploi des bénéfices qui est une contrepartie à
l’obligation croissante de s’autofinancer. Grâce à une politique d’austérité financière
(rationalisation des réseaux, des postes) tout en développant des innovations commerciales,
Air France atteint dans les années 1980 le niveau de productivité des majors européennes
et génère une capacité d’autofinancement de plus en plus grande (moins de 1 milliard en
1978 à plus du double à partir de 1983). Son taux d’endettement, (120% en 1985, l’un des
plus élevés) décroît jusqu’en 1988, année prévue pour le renouvellement de la flotte.
Prévue en 1987, la cession partielle du capital d’Air France est reportée en raison de la
crise boursière la même année qui serait défavorable à Air France. Cependant, la
croissance économique reste de mise (la croissance du PIB prévue par les experts à 1,3%
est en réalité de 4,5%)303.
En octobre 1988, alors que F. Mitterrand est réélu à la présidence de la République,
avec pour conseiller J. Attali, son frère, B. Attali succède à J. Friedmann ami de
J. Chirac304. A son entrée à Air France, le nouveau président constate (Attali, 1994, p. 27) : « D’un côté, Air France me paraissait d’une fragilité évidente à l’aube du processus de
libéralisation en Europe. De l’autre, toute l’entreprise respirait une immense confiance en elle,
une grande autosatisfaction. Tous les événements […] que j’ai pu vivre depuis lors, je les ai
appréciés au travers de cette contradiction, j’allais dire de cette schizophrénie ».
Après la résorption d’une grève de 100 jours (octobre à janvier 1989) de
mécontentement des conditions de travail suite aux politiques successives de productivité,
le nouveau président renforce la politique d’investissement entreprise par son prédécesseur
pour faire face à la croissance et être en mesure de répondre à la concurrence en premier
lieu franco-française. En effet, le partage des liaisons entre Air France, Air Inter et UTA
fragilise Air France par rapport à ses concurrents européens. Le président lance la
302 TDR, code Lat-M, référence Autier et al. (2001, p. 156) 303 Attali (1994, p. 14). 304 TDR, code SGR référence Autier et al. (2001, p. 183).
259
construction du groupe Air France avec le soutien et l’accord des pouvoirs publics305. Le
processus de rachat des deux compagnies est accéléré (début 1990) avant que la procédure
d’autorisation ne soit du ressort de la Commission européenne (fin 1990)306. L’Etat ne
participant pas au financement de l’opération, celle-ci se réalise par endettement. Le
retournement de conjoncture et la crise du Golfe conduisent le président Attali à faire
approuver au conseil d'administration un plan d’adaptation à la conjoncture. La situation de
plus en plus déficitaire d’Air France malgré les synergies qui commencent à être exploitées
avec UTA et Air Inter conduit la direction à concevoir le plan CAP93. « il constitue une
architecture générale » en quatre orientations stratégiques (Attali, 1994, p. 267) :
- « améliorer la productivité » : économie de 1,5 milliards de francs reconductible sur
trois ans (aménagement des horaires, suppression de 1000 emplois au sol par an, recours
à la sous-traitance) ; « il y va de la survie de l’entreprise. » ;
- « renforcer l’efficacité de l’organisation » qui date du début des années 1970 :
� par un renforcement de la cohésion stratégique du groupe (« mise en place d’un
Comité de direction stratégique, réunissant les plus hautes responsables d’Air
France, Air Inter et des autres partenaires aérien du groupe, […] pour créer un lieu
d’arbitrage au sommet. Un centre de commandement stratégique au niveau du
groupe […] investi de la réflexion à moyen terme, […] une délégation aux
systèmes d’information […] pour suivre la cohérence de l’architecture informatique
d’ensemble. Bref le début d’une holding sans l’avouer. »307) ;
� par une réorganisation de la fonction commerciale pour « une meilleure
décentralisation du processus de décision commerciale » ;
� par une simplification des structures et des processus de décisions.
- « aller au devant du client » : qualité du service sur toute la chaîne, changement de
logotype avec consultation du personnel ;
- « adapter le réseau et la flotte au projet de développement » (réorganisation du
réseau au niveau d’Orly et de Roissy, politique de correspondances offrant un service
intégré du départ à l’arrivée du client – enregistrement informatisé, accueil personnalisé,
confort, coopération avec le TGV, etc.- rajeunissement de la flotte).
305 Nous invitons le lecteur à la description du processus de décision de rachat des compagnies, au sein des pouvoirs publics telle qu’elle est relatée par B. Attali, TDR, code PDsupDECi référence Attali (1994, p. 42-51). 306 TDR, code PDsupDECi référence Attali (1994, p. 29-34) ; code PDsupCENTr référence Autier et al. (2001, p. 187) ; code PDsupDECr Attali (1994, p. 188-191). 307 TDR, code PDsupDECmo référence Attali (1994, p. 110-111).
260
Ce plan prévoit deux phases de retour à l’équilibre (PRE 1 et 2) par une rationalisation
toujours plus grande du réseau et des facteurs de production en même temps que s’impose
une politique orientée vers la clientèle. Ainsi, la décentralisation des processus
commerciaux conduit à un renforcement des prérogatives commerciales des délégations
régionales. Cette politique exige une réorganisation interne qui vise une réduction
significative des niveaux hiérarchiques et un décloisonnement, comme le suggère l’étude
du cabinet Andersen appelé par Attali308. La mise en place de contrats d’objectifs-moyens
doit accroître la marge d’action des niveaux opérationnels dont les contrôles sont dès lors a
posteriori. Des relations de type client-fournisseur sont définies. Elles responsabilisent les
fonctions commerciales en charge du suivi de la rentabilité et les unités de production, en
charge de la qualité et des prix de revient. CAP93 et ses deux plans de retour à l’équilibre
engagent donc de nouveaux modes de fonctionnement. Les deux extraits suivants
(introductif et conclusif du document CAP93 à la disposition du personnel) témoignent du
contexte environnemental et organisationnel dans lequel Air France doit entamer un
processus de restructuration profonde : « Pour survivre dans la bataille qui s’annonce, il ne suffira pas d’être plus grand que son
concurrent. Il faudra aussi être plus efficace. C'est-à-dire offrir un meilleur service au client à
un prix compétitif, et donc, agir à la fois sur la qualité et le contrôle des coûts ».
en conclusion… « l’évolution du transport aérien expose Air France à une remise en cause sans
précédent de ses positions commerciales, de sa culture, de ses modes d’organisation et de
fonctionnement. Elle met son devenir en question. »
Malgré ces efforts toujours plus grands de la part de tous les personnels du groupe, et la
rencontre de B. Attali avec le Premier ministre309, l’Etat en 1992, décide de réinjecter 2
milliards de francs pour soutenir le plan d’investissement initié par B. Attali en 1988310.
Celui-ci engage par ailleurs la fusion avec UTA dans la perspective d’améliorer la
productivité311. Exactement cinq ans après son entrée en fonction, B. Attali doit de
nouveau faire face à une grève étendue à l’ensemble du personnel. Une protestation
généralisée est encadrée par les 14 syndicats du groupe qui demandent au Premier ministre
« d’user de son autorité pour le retrait du plan ». Malgré le soutien initial de B. Bosson
alors ministre des Transports, la crise se solde par le retrait de deux mesures financières qui
308 TDR, code PDsupDECr références Attali (1994, p. 104-107 ; 212-228 ; 254-285), Autier et al. (2001, p. 216-223). 309 TDR, code PDsupDECi référence Attali (1994, p. 175). 310 TDR, code PDsupDECr référence Attali (1994, p. 101-102). 311 TDR, PDsupDECr, référence Attali (1994, p. 94-95).
261
ne suffira pas face au soutien de syndicats extérieurs à ceux d’Air France312. Finalement, le
retrait total du plan par le ministre des Transports est suivi de la démission de B. Attali.
Cette tentative menée par B. Attali, avait pour objectif de décentraliser le
fonctionnement de l’entreprise qui devait s’orienter nécessairement vers la clientèle et la
rationalisation des coûts de fonctionnement. Cette tentative frappée d’échec illustre
simultanément les deux facettes de l’entreprise publique. D’une part, CAP93 symbolise la
latitude plus grande du PDG qui en est le principal initiateur tout en se soumettant
naturellement au contrôle de son actionnaire public : « servir et rendre compte me paraît évidemment normal. C’est ce que j’ai fait pendant cinq ans.
Le directeur de l’Aviation civile, celui du Trésor, celui du Budget siégeaient personnellement à
notre conseil. Un chef de mission de contrôle, représentant les Finances et doté de tous les
pouvoirs avait son bureau à vingt mètres du mien » (Attali, 1994, p. 113).
Une autre caractéristique de l’entreprise publique sous-jacente au processus décisionnel
marqué par le pouvoir politique centralisé réside dans la nomination par les pouvoirs
publics du président de la compagnie publique et dans la structure en réseau du marché
« politique » des dirigeants. Air France en illustre la particularité :
- Depuis 1948, Air France a connu 12 présidents à sa tête depuis 1933 et 30 ministres
(dont 3 seulement ont renouvelé une fois leur mandat pour une année313).
- Quatre présidents sont spécialisés ou ont eu une expérience dans le domaine de
l’aviation, un président, Officier de carrière, pendant la seconde guerre mondiale
(L. Pujo, 1939-1944), un président ingénieur et avocat ayant eu une expérience par ses
postes de président de l’OACI en 1948 et de secrétaire général de l’aviation civile et
commerciale après la guerre (M. Hymans, 1948-1961), un président, ancien Ingénieur
général de l’Air, Directeur du Transport aérien du ministère des Travaux Publics, ainsi
que le Président actuel, J.C. Spinetta pour avoir été Président d’Air Inter jusqu’à sa
démission en 1993.
- Les 9 autres présidents ont soit une formation dans les grands corps (ENA, Sciences
Politiques, Ponts et Chaussées) soit une expérience politique (du haut fonctionnaire
colonial, gouverneur général d’Indochine, E. Roume (1933-1935) à l’énarque,
Inspecteur général de l’Education nationale et Préfet, J.C Spinetta (1997), en passant par
les Conseillers d’Etat, Directeur de cabinet, Inspecteur des Finances, Conseiller
312 TDR, SGR référence Autier et al. (2001, p. 225) et Attali (1994, p. 182-183). 313 et 22 sous la Vème République au cours de laquelle, jusqu’à aujourd’hui, 5 présidents de la République se sont succédés.
262
économique de parti politique et autre Préfet, ayant par ailleurs eu, pour certains, un
mandat dans une autre entreprise publique (RATP, ADP, GAN…).
Une rapide analyse de la relation entre changement de président et majorité
gouvernementale fait apparaître que les quatre derniers présidents de la compagnie
reflètent à travers leur nomination, le changement de majorité gouvernementale. Ainsi, la
nomination de J. Friedman (1987-1988, ami personnel de J. Chirac) suit le changement de
gouvernement en 1986 dont le premier ministre est J. Chirac. La nomination de B. Attali
(1988-1993, frère du conseiller de F. Mitterrand) suit la réélection de F. Mitterrand à la
Présidence de la France. Enfin, la nomination, de C. Blanc fait figure d’exception
quoiqu’elle illustre différemment le lien politique du processus de décision au sein d’Air
France. En effet, en 1993, la démission de B. Attali, suite au conflit insoluble avec le
personnel, est suivie de la nomination de C. Blanc (Rocardien avéré) par le gouvernement
Balladur lui même exposé à la crise sociale d’Air France. Selon Autier et al. (Op. cit., p.
232) le choix d’un président de gauche sous gouvernement de droite trouve deux raisons
logiques. La première est relative à la difficulté de trouver un président motivé par la
direction d’une entreprise en quasi faillite et en passe d’implosion sociale. Le choix pour
C. Blanc qui accepte le mandat, est motivé par son passage à la RATP314 ainsi que par son
rôle dans les accords de Matignon en 1988 concernant la Nouvelle Calédonie.
L’expérience passée de ce candidat à la présidence d’Air France reflète son profil de
« gestionnaire exceptionnel des conflits sociaux ». C Blanc est donc susceptible de
résoudre la crise profonde dans laquelle Air France se trouve. La seconde logique qui a pu
prévaloir au choix surprenant315 d’un homme de l’opposition est justement le fait qu’un tel
Président permette « de désamorcer les critiques de l’opposition sur la gestion de ce
dossier. ». Enfin, C. Blanc, convaincu de la nécessaire privatisation d’Air France pour
pouvoir « lutter à armes égales avec ses concurrents » (Autier et al., 2001, p. 277) tente,
avec les 25 directeurs de la compagnie de convaincre le ministre communiste des
Transports, J.C. Gayssot, le ministre de l’Economie et des Finances et le Premier ministre
L. Jospin d’une telle nécessité. Cette tentative aboutit à la démission de C. Blanc,
remplacée par J.C. Spinetta alors conseiller du ministre de l’Education nationale du
gouvernement Jospin.
314 Même s’il démissionne de la Régie parce que non suivi par le Premier ministre de l’époque et le ministre des Transports alors qu’il propose une réforme en profondeur et un service minimum dans le métro. 315 Notamment en raison des parcours plus linéaires des précédents présidents de la compagnie.
263
En définitive, à partir de 1948 notamment, le processus décisionnel d’Air France se
caractérise par le lien politique fort du centre décisionnaire supérieur de l’entreprise et de
l’actionnaire public. Les présidents d’Air France sont étroitement liés politiquement et par
conséquent, la structure du processus décisionnel au sein de l’entreprise publique ne peut
qu’être marquée par cette spécificité. Toutefois, la nature de ce lien est complexe. La
succession de B. Attali à J. Friedman par exemple, permet de préciser que ce processus
décisionnel se concrétise également par une autonomie relative pour certaines décisions
stratégiques puisque le nouveau président « décide donc très rapidement de renforcer la
politique de renouvellement de la flotte engagée par Jacques Friedman » (Attali, 1994, p.
197). Cette illustration permet de montrer qu’indépendamment de la tendance politique de
son actionnaire, certaines décisions demeurent indépendantes, émanant de l’initiative du
dirigeant, et parfois insidieusement soutenues par les pouvoirs publics. En ce sens, le
processus décisionnel public est un processus centralisé où se mêlent décisions stratégiques
et décisions politiques en soutien de l’entreprise (protectionnisme politique lié à
l’organisation du secteur mais aussi accompagnement diplomatique pour le développement
international de sa part de marché) mais aussi en soutien de la politique publique (maintien
des emplois, contractions budgétaires). Toutefois, celles-ci semblent aussi liées au contexte
économique et sectoriel, en l’occurrence de croissance. Cette première analyse du
processus décisionnel public (et des premiers indices de séparation fonctionnelle timide
aux niveaux supérieurs et inférieurs) présente plusieurs illustrations susceptibles de
corroborer notre proposition 1 selon laquelle, la privatisation en tant que processus de
réallocation des droits de propriété devrait conduire à une séparation fonctionnelle
(contrôle et décision) plus nette par une décentralisation de tout ou partie des étapes du
processus décisionnel au profit des états-majors et de ses différents niveaux, en fonction du
degré de spécificité des décisions à prendre, a fortiori en cas de dérégulation. En ce sens,
l’instauration des contrats de plans et la mise en œuvre du plan CAP93 traduisent les
premières tentatives, certes timides, de décentralisation décisionnelle. Par ailleurs, l’absence d’incitation et de marge d’action réelle aux niveaux opérationnels
témoigne d’un contrôle hiérarchique cloisonné et formalisé en même temps que le conseil
d'administration reste encore à l’écart des processus de ratification incarnant davantage le
rôle de chambre d’enregistrement. Le rôle des syndicats en amont de cet organe, au niveau
des instances politiques traduit avec les spécificités du contrôle hiérarchique, une
gouvernance nettement marquée par une centralisation globale des mécanismes qui
264
encadrent le processus décisionnel. Ainsi, Air France jusqu’en 1993 présente les
caractéristiques d’une gouvernance publique qui selon notre proposition 2 devrait évoluer
vers un rôle renforcé du conseil d'administration et vers un contrôle hiérarchique plus
incitatif parallèlement à la décentralisation du processus décisionnel. Cette analyse du
contexte organisationnel public présente par conséquent plusieurs indices qui convergent
vers nos propositions 1 et 2 ainsi que vers leur déclinaisons (1a et b, 2a et b), relatives
respectivement, au processus de décentralisation du processus décisionnel aux niveaux
supérieurs et inférieurs et aux caractéristiques de la gouvernance publique plutôt
centralisée tant au niveau du contrôle hiérarchique qu’au niveau du conseil
d'administration.
Toutefois, l’échec du projet de B. Attali et sa démission en octobre 1993 interrompt le
processus de privatisation tel que les propositions 1 et 2 l’envisagent. A ce moment,
comme le relève la Tribune du 08/09/97, Air France présente une dette de 37 milliards de
francs et 3,3 milliards de frais financiers annuels alors que le déficit net s’élève encore à
2,8 milliards de francs en 1993 et 2,9 l’année suivante. Les agents commerciaux ignorent
le prix de revient des sièges qu'ils vendent (un billet vendu 100 francs occasionne un coût
de 117 francs sur l'Atlantique Nord et 110 francs sur l'Europe : soit une perte de 500
millions de francs mensuelle alors que les appareils sont bien remplis). Les vols d’Air
France et d’Air Inter se font sans souci d'harmonie tarifaire ou horaire, sans rapprochement
des systèmes informatiques ni des réservations. Dans une ambiance conflictuelle
croissante, en 1993 Air France semble illustrer à la fois l’inefficience interne (de 3ème
degré, par rapport aux partenaires) et l’inefficience externe (de 2ème degré, par rapport au
marché) telles que Charreaux (1999) les distingue dans le cadre de la TPA et de la TGP (cf.
chapitre 3, sous-section 1.1).
1.2.1.3. La recapitalisation : un nouveau départ pour l’émancipation d’Air France
vis-à-vis de l’Etat
L’arrivée de C. Blanc marque une étape cruciale dans le développement d’Air France
puisque le nouveau PDG accepte la mission qui lui est proposée à deux conditions.
D’abord, l’actionnaire doit accepter de réinjecter 20 milliards de francs, nécessaires à la
remise en condition d’Air France face à la concurrence (désendettement). Ensuite, le
président doit pouvoir bénéficier d’une entière liberté dans le cadre du plan de
restructuration qu’il propose pour rétablir l’équilibre financier « en évitant le désastre
265
social »316. Après l’aval de la Commission européenne, le projet « Reconstruire Air
France » élaboré par la direction de C. Blanc et approuvé par le conseil d'administration,
constitue dans le prolongement et le renforcement du programme de B. Attali, les premiers
pas d’Air France vers une réelle privatisation de son architecture organisationnelle317.
« Reconstruire Air France » avec 20 milliards de francs apporté par l’actionnaire public
consiste aussi à augmenter la productivité par une réduction de 30% de la valeur
appropriable par chaque catégorie de salariés dont le coût global représente entre 40% et
75% des coûts totaux dans le secteur entre 1990 et 1995318. Le processus de mise en œuvre
du plan implique une participation directe des salariés au processus décisionnel après une
signature du projet par seulement 6 syndicats sur 14. C’est par un référendum auprès des
salariés que C. Blanc est plébiscité (80% des salariés avalisent le projet avec un taux de
réponse de plus de 83%)319. La direction met en place 14 groupes de projets pour mettre en
œuvre la réorganisation qui s’impose pour la reconstruction d’Air France.
Comme nous le décrit notre interlocuteur du management d’Air France, « la mise à zéro
des compteurs » par la recapitalisation constitue pour Air France « un véritable
électrochoc » en interne, face à un secteur de moins en moins artisanal qui peut se
prévaloir depuis le milieu des années 1980 d’un statut d’industrie320.
1.2.2. La dynamique de l’architecture organisationnelle dans le processus de
privatisation d’Air France
Cet « électrochoc » se traduit par une modification de l’architecture du processus
décisionnel tant au niveau supérieur qu’au niveau inférieur pour lesquels l’initiative et la
ratification semblent de plus en plus décentralisées (1221). Parallèlement, cette
décentralisation croissante s’accompagne d’une adaptation des mécanismes de
gouvernance (1222) dont les effets paraissent bénéficier au dirigeant dans sa liberté
d’action. Les points essentiels de ces modifications de l’AO d’Air France sont reprises
dans le schéma processuel en annexe 8.
316 TRD, code PDsupDECr référence Autier et al. (2001, p. 234-235). 317 TDR, code PDsupDECi référence Autier et al. (2001, p. 234-248). 318 TDR, code VAS, référence Autier et al. (2001, p.246-248). 319 TDR, code PDsupDECr référence Autier et al. (2001, p. 241-242). 320 TDR, code PDsupDECi référence Entretien 2.
266
1.2.2.1. Vers une décentralisation toujours plus grande
En référence à notre modèle, les propositions 1a et 1b stipulent que le processus de
privatisation consiste en une décentralisation d’une ou plusieurs étapes du processus
décisionnel au niveau supérieur et inférieur, selon le type de connaissance stratégique ou
plus opérationnelle. Concernant le niveau supérieur de l’organisation, la condition de libre
exercice de la gestion exigée par le PDG, sans immixtion d’aucun membre de l’actionnaire
public témoigne d’une première étape de l’abandon du pouvoir décisionnel public. B.
Bosson, alors ministre des Transports évoque ses relations avec C. Blanc : « Entre nous le
pacte était clair, il n’y a plus de ministre tuteur. On se voit une fois par mois, lors d’un
dîner, pour que le patron s’il le souhaite, puisse s’épancher »321. Cette décentralisation
manifeste des décisions de gestion et de leur ratification effective au niveau du conseil
d'administration (et non plus au niveau informel des pouvoirs publics) provient par ailleurs
de l’aval de la Commission européenne qui seule est en droit d’accepter ou de refuser
(donc de ratifier) le projet de C. Blanc. En quelque sorte, l’actionnaire public s’efface
devant une autorité supranationale en charge de surveiller le processus de recapitalisation
et de retour à l’équilibre du transporteur aérien. Cette décentralisation effective des droits
de gestion se traduit par la rédaction d’un projet d’entreprise par l’équipe de C. Blanc
soumis aux syndicats et à l’ensemble du personnel. La décentralisation au niveau supérieur, par rapport à l’Etat, se matérialise aussi avec la
gestion par Air France de la nouvelle aérogare de Roissy322 au lieu d’une gestion habituelle
par ADP. Dans le passé, cette autre entreprise publique a conduit Air France à effectuer
son déménagement à Roissy alors qu’elle venait d’investir lourdement en aménagement à
Orly. La décision a été prise à l’époque par le ministre des Transports suite aux besoins
d’ADP de rentabiliser rapidement le lourd investissement induit par la construction de
l’aéroport, commandé d’ailleurs par l’Etat. Ce transfert, mal venu pour Air France à
l’époque, deviendra à partir des années 1990, son atout essentiel dans sa conquête des parts
de marché et dans le développement des alliances internationales. Pour ces dernières,
l’alliance Skyteam créée avec Delta Airlines repose sur la multiplication conjointe des
lignes de desserte en France et aux Etats-Unis. Le hub de Roissy représente alors une
monnaie d’échange non négligeable, puisqu’il fait partie des trois aéroports au monde à ne
pas être encore saturés. Cet avantage concurrentiel essentiel pour Air France s’inscrit en
321 TDR, code PDsupDECr référence Autier et al. (2001, p. 234), et aussi La Tribune du 15/06/95. 322 Sous C. Blanc cette gestion est assurée par un centre de résultat « Escales de Paris ».
267
effet, dans un contexte sectoriel dans lequel la création d’alliances avec des majors
mondiales du transport aérien devient une nécessité. C’est ainsi qu’Aeromexico et Korean
Air ont rejoint l’alliance Skyteam et plus tard Alitalia, pourtant sollicitée par l’alliance
concurrente « Star Alliance » au centre de laquelle se trouve le géant américain United
Airlines parmi 6 autres partenaires dont Lufthansa et Air Canada323.
Toutefois, cette décentralisation du processus décisionnel au profit de l’état-major d’Air
France trouve sa limite lorsque les décisions de la direction se heurte aux préférences
d’investissement lourds de l’Etat. Sur la base de la commission d’enquête sur le choix
d’investissement entre Boeing et Airbus, commandée par C. Blanc, la décision finale sera
prise par le Premier ministre en faveur du PDG. Dans le cadre de son projet de fusion d’Air
Inter et Air France et par ailleurs soutenu par son actionnaire suite au plébiscite par les
salariés, C. Blanc peut alors dénoncer le document de référence de la rémunération des
PNT (personnels navigants techniques), véritable « Totem et Tabou ». Cette première
décentralisation réelle des pouvoirs de gestion au dirigeant s’interrompt toutefois lorsque
celui-ci entame une démarche de discussion sur une privatisation à venir d’Air France avec
le nouveau gouvernement en juin 1997 après la dissolution de l’assemblé nationale. Alors
que le gouvernement d’A. Juppé envisage la procédure, C. Blanc dont le nouveau ministre
des Transports du gouvernement de L. Jospin est C. Gayssot décide, après plusieurs
tentatives de discussion de démissionner324 : « Le management doit toujours appliquer les
décisions prises par l’actionnaire. Je pense que, n’ayant pas réussi à le convaincre du bien
fondé de cette politique, il fallait que j’en tire les conséquences ».
Mais pendant son mandat, C. Blanc a mis en œuvre un processus de décentralisation
interne, à tous les niveaux hiérarchiques. On peut considérer son mandat comme celui d’un
président qui a pu, grâce à un abandon partiel des pouvoirs décisionnels de l’actionnaire
public, déclencher le processus de privatisation d’Air France. Dans la manière de le
conduire d’ailleurs, le PDG semble implicitement choisir de mettre en place un processus
décisionnel consensuel, décentralisé où la concertation permet d’impliquer tous les
partenaires sociaux et directement les salariés (notamment à l’appui de plusieurs supports,
comme le journal du Débat qui deviendra le journal du Projet, l’envoi de questionnaires, et
323 Au départ de Paris, 11300 trajets sont possibles pour Air France, alors que Lufthansa et British Airways comptent respectivement 7545 trajets possibles au départ de Francfort et 3968 au départ de Londres-Heathrow, (Autier et al., 2001, p. 285). 324 TDR, code PDsupDECr référence Bouaziz (1998, p. 65-68).
268
du document de cadrage). Afin de réaliser la restructuration nécessaire de l’entreprise
publique, conformément aux accords avec la Commission européenne, C. Blanc met en
œuvre plusieurs procédures d’analyse du fonctionnement interne d’Air France. Ces
procédures impliquent tous les salariés (1700 réunions décentralisées au sein du groupe sur
trois mois). Il fait aussi appel au sociologue F. Dupuy du cabinet SMG pour un audit social
et envisager avec les salariés les réorganisations à tous les niveaux hiérarchiques de
l’entreprise dans une perspective centrale, le sauvetage d’Air France325.
Au niveau inférieur, à partir de 1948, la structure est de type fonctionnel avec une
administration centrale, ses directions techniques (directions du fret, du transport, des
opérations aériennes, du personnel, du matériel, direction financière) et sa direction
commerciale. Ces directions forment des « forteresses ou des « baronnies » qui bataillent
entre elles pour l’allocation des moyens »326. Les budgets sont attribués entre elles à partir
de la comptabilité analytique. Ce système d’allocation de ressources déresponsabilise les
échelons inférieurs pour lesquels il n’existe aucune mesure de performance individuelle.
Les relations entre les directions fonctionnelles et les niveaux intermédiaires et inférieurs
semblent marquées par une importante asymétrie informationnelle, les premières
pratiquant une forte rétention d’information à l’égard des secondes327. Par ailleurs, d’après
Autier et al. (2001, p. 43), la procédure de recrutement reste « la chasse gardée du
ministère du Transport » dont le droit décisionnel porte sur la titularisation des stagiaires et
la gestion des retraites. Les premières tentatives de décentralisation aux niveaux
intermédiaires et inférieurs, interrompues avec la démission de B. Attali prennent
réellement effet sous la direction de C. Blanc. Déjà soulevée par le plan CAP93, la
structure cloisonnée et fortement centralisée éclate avec la mise en œuvre des
recommandations du rapport de mission effectuée par le sociologue F. Dupuy du cabinet
SGM. Air France se réorganise en 11 centres de résultat. Ces 11 « quasi-PME »328 sont
responsables de leur ressources et de leurs dépenses, davantage en phase avec un univers
concurrentiel où la recette unitaire et la part de marché sont les indicateurs de l’avantage
concurrentiel du transporteur aérien :
- 6 centres sont chargés d’une zone géographique et d’un type d’activités aériennes,
- 5 centres de résultats (CDR) sont chargés des activités logistiques, transversales.
325 TDR, code PDsupDECmo référence, Autier et al. (2001, p. 240). 326 TDR, code PDinfCENTi référence Autier et al. (2001, p. 42-43 ; 141). 327 Ibid. 328 TDR, code PDinfDECs référence Autier et al. (2001, p. 249-255).
269
Après une décentralisation maximale, certaines fonctions comme la gestion de la flotte
et des horaires, le yield management (optimisation de la recette unitaire lors de la
tarification) ont été re-centralisées pour être prises en compte dans la définition des
orientations stratégiques (fixation des prix et politique commerciale). Ce feed back
organisationnel peut être interprété comme la recherche graduelle d’une co-localisation
optimale des informations locales spécifiques à une prise de décision plus appropriée.
Ainsi, par nature, l’activité (coûts fixes élevés, multiplication des liaisons, système de
réservation libre329) repose sur des informations qui concernent l’ensemble de
l’organisation et non un seul centre de résultat ou une seule agence. En ce sens, la co-
localisation décision/information est influencée par les caractéristiques sectorielles. Le rôle
du système informatique est essentiel pour gérer de manière optimale la répartition des
tarifs au sein d’un même avion et de tous les avions. Ainsi, cette centralisation des clés de
répartition informatique se matérialise par une « salle des marchés » au siège où une
trentaine d’ordinateurs opèrent les calculs. Ainsi, l’organisation matricielle d’Air France
mise en œuvre par C. Blanc traduit selon nous, un effort de co-localisation des décisions
commerciales relatives à la qualité au niveau local (accueil au niveau des comptoirs
d’enregistrement avec la création des vestes rouges et vertes) qui se traduit par plusieurs
mécanismes de coordination et d’évaluation décentralisés. Mais dans la mesure où la
qualité du service est globale, la gestion centralisée des horaires et les mécanismes de
coordination et d’évaluation des retards et des plaintes sont co-localisés au niveau
supérieur afin d’adapter les orientations stratégiques et de définir les mesures correctives.
Ainsi, comme le relève un directeur (Le Monde 28/07/94) : « Il faut rendre une volonté
commerciale à cette entreprise. Les centres de résultat aideront à transformer cette grosse
machine administrative qu'était Air France et ils seront gérés par une structure allégée
proche du terrain et des besoins des clients. »
La forme matricielle adoptée finalement permet à l’entreprise à travers les centres
logistiques fonctionnels, d’assurer la coordination des centres de résultats divisionnels,
spécialisés quant à eux, par activités. Ainsi, entre 1992 et 1996, le processus de co-
localisation des droits de décision/connaissance spécifique répond finalement aux niveaux
supérieur et inférieur, à la nécessité de mettre en adéquation les connaissances spécifiques
de chacun d’eux et l’initiative et la ratification dont ils doivent bénéficier pour que la prise
329 possibilité de réserver sans avances et de ne pas se présenter, contrairement par exemple au système de réservation TGV qui impose un forfait définitif de réservation, non remboursable.
270
de décision soit optimale du point de vue de la qualité globale qu’exige ce secteur
d’activité (sécurité, ponctualité, accueil au sol et à bord, réservation, dessertes, fréquence,
etc.). La décentralisation du processus décisionnel achevée avec C. Blanc paraît donner à
Air France la capacité de s’adapter d’un point de vue opérationnel et stratégique. Cette
capacité d’adaptation est cruciale dans un secteur comme le transport aérien, sensible à la
conjoncture économique et politique. Ces réorganisations semblent donc refléter la
recherche d’une efficience de second degré par rapport aux formes organisationnelles
possibles dans un tel contexte d’activité.
1.2.2.2. Evolution du système de gouvernance au cours du processus de
privatisation
Selon notre modèle, le processus de privatisation est susceptible de modifier le système
de gouvernance c'est-à-dire la combinaison des mécanismes qui encadrent le processus
décisionnel. En ce sens, la gouvernance plutôt centralisée dans l’entreprise publique
devrait changer au profit d’un système de gouvernance mixte. Tout en conservant certaines
caractéristiques du processus décisionnel associé au modèle orienté réseau, le processus de
privatisation devrait donc combiner des mécanismes plus incitatifs orientés marché,
notamment en rapport avec le contrôle hiérarchique (mécanismes incitatifs construits sur
des critères de marché(s)). Dans le cas d’Air France, notre analyse de données (relatives
aux mécanismes plutôt orientés marché et aux mécanismes plutôt orientés réseau) fait
apparaître plusieurs changements. Notamment, le processus de décentralisation progressif
du processus décisionnel semble lié aux mécanismes de marchés (secteur du transport
aérien et marché financier) qui se traduisent de manière complémentaire par une évolution
des mécanismes plus spécifiques à la firme (CA, contrôle hiérarchique et autres organes de
surveillance). Ainsi, nous observons une première relation entre processus décisionnel et
système de gouvernance, le premier étant influencé par les forces de marché, une des
composantes du second. Cependant, si la décentralisation est effectivement induite par une
recherche d’efficience de second degré supérieure pour survivre, elle s’accompagne aussi
d’une évolution de l’AO. L’analyse du processus de privatisation d’Air France nous a
permis d’observer une seconde relation, relative à l’évolution de la gouvernance de
l’entreprise, conjointement à celle du processus décisionnel, comme l’envisage notre
modèle.
271
Longtemps au sein d’Air France, les réunions informelles au niveau des instances
politiques (cabinet ministériel avec les syndicats et/ou la direction) se sont substituées au
rôle dévolu traditionnellement au conseil d'administration. Parallèlement, le rôle d’arbitre
joué par le cabinet du Premier ministre s’explique par la dualité entre la direction et le
« lieu incontournable » du bureau des syndicats, notamment celui de R. Génovès, ancien
secrétaire général de la section Force Ouvrière d’Air France330. Ce rôle d’arbitre s’explique
aussi semble-t-il, par la dualité potentielle entre les deux tutelles de l’entreprise, le ministre
de l’Economie et des Finances et celui des Transports331. Avec la recapitalisation d’Air
France, la gouvernance va progressivement évoluer, en même temps que le processus
décisionnel traduit l’abandon des pouvoirs publics de la fonction de gestion au profit d’une
direction en quête de cohérence organisationnelle. En référence à notre schéma processuel
relatif à l’AO d’Air France, nous pouvons remarquer une relation complexe entre
l’évolution graduelle du processus décisionnel (aux niveaux supérieurs et inférieurs) et le
rôle essentiel des mécanismes de marché (notamment le secteur d’activité), dans la
dynamique de la gouvernance d’Air France.
Tout d’abord, au cours des premières tentatives de décentralisation au niveau supérieur,
la mise en place des contrats de plan dans les années 1970-80 intervient en même temps
que la concurrence s’intensifie aux Etats-Unis et par extension en Europe. La pression
concurrentielle croissante depuis les années 1980 contraint les transporteurs aériens à des
efforts continus de productivité, d’autant plus que l’activité fait appel au financement par
endettement et par conséquent, impose de lourdes charges financières. Comme notre TDR
le montre à plusieurs reprises (voir code SGO-SGM), durant la phase I du processus de
privatisation, depuis le plan CAP93 élaboré par B. Attali jusqu’au projet de J.C. Spinetta
qui vise à « restaurer la compétitivité d’Air France », la politique est à la réduction de
coûts. La séparation fonctionnelle entre l’Etat et le dirigeant de la compagnie, timidement
amorcée avec les contrats de plan se renforce sous la direction de C. Blanc et du PDG
actuel, comme nous l’avons relevé dans la sous-section précédente. Ainsi, Air France doit
faire face à une concurrence croissante, notamment sur le marché national avec la perte
progressive de l’autorité des pouvoirs publics sur les droits de trafic intérieurs (au profit de
la Commission européenne et de la libéralisation totale depuis 1997). C’est dans ce
330 TDR, code PDsupCENTr référence Bouaziz (1998, p. 193-210). 331 TDR, code PDsupCENTr référence Bouaziz (1998, p. 96-97). Remarquons à ce propos, que la convergence d’objectifs entre la direction et le ministre de l’Economie est susceptible d’être plus forte qu’avec le ministre des Transports.
272
contexte que B. Attali initie le projet de fusion d’Air France avec UTA puis Air Inter. Suivi
par le gouvernement jusqu’à sa mise en oeuvre, ce projet est finalisé par C. Blanc sous
réserve d’une décentralisation totale de la gestion afin de permettre à Air France de
répondre aux menaces des concurrents sur les lignes intérieures en particulier. Dans ce
contexte de comparaison continue entre acteurs du secteur, c’est d’ailleurs sous C. Blanc
que la période d’exercice fiscal d’Air France (initialement calée sur l’année civile) est
modifiée pour s’adapter aux normes sectorielles. Ainsi, l’exercice 1994 court du
1er/01/1994 au 31/03/95 en parallèle à l’activité touristique. De même, C. Blanc a placé son
projet « Reconstruire Air France » sur le benchmark de Lufthansa, afin de donner au
personnel un repère de compétitivité, en même temps qu’Air France prend une structure de
holding. La décentralisation par rapport aux pouvoirs publics se concrétise davantage avec
l’abandon de trois procédures :
- le contrôle des investissements par le Fonds de développement économique et
social ;
- le contrôle a priori par un comité spécialisé ministériel d’investissement ;
- l’autorisation préalable à celle du conseil d'administration en cas de création, de
gestion ou de prise de participation d’Air France dans des activités annexes332.
En outre, les obligations éventuelles de service public par Air France doivent faire
l’objet de contrats assortis d’un cahier des charges entre la société et l’Etat ou autres
collectivités publiques333. Ainsi, pendant la première phase du processus de privatisation
d’Air France, (avant l’ouverture du capital), ces recentrages du rôle de la tutelle de l’Etat,
contribuent à redonner au conseil d'administration un pouvoir effectif de ratification, en
particulier concernant les opérations de croissance externe.
Ensuite, avec l’ouverture du capital en 1999, la deuxième phase du processus de
décentralisation s’est traduite par l’introduction d’actionnaires privés à hauteur de 32%
(11% salariés, 32% flottant et 57% Etat qui détenait 94,5% en 1998). Ce nouvel équilibre
de l’actionnariat334 a conduit à modifier la représentativité au conseil d'administration dont
le nombre légal de membres passera de 18 à 21335 en 2001. Le dépassement du seuil de 4%
de capital détenu par les salariés PNT (7% en mars 2000) a imposé la désignation d’un
332 TDR, code PDsupCENTr référence Bouaziz (1998, p. 96-97) et code SGI national référence Rapport 264 du Sénat. 333 TDR, code SGI national référence Rapport 264 du Sénat. 334 soit 1,3 millions d’actionnaires en avril 1999 (rapport 1999/2000). 335 TDR, code SGI national, référence Rapport 264 du Sénat.
273
troisième censeur au conseil d'administration en plus du représentant des salariés
actionnaires (depuis 1998336). En outre, la représentation des salariés par 6 personnes élues
est maintenue du fait de la détention majoritaire du capital par l’Etat. De même, sont
maintenus les 5 représentants de l’Etat et les six personnes qualifiées toujours nommées
par décret. Cette modification de la composition du conseil d'administration et de ses
prérogatives s’est accompagnée en 1999, de la création de deux comités spéciaux pour
lesquels l’Accord Global Pluriannuel signé avec les pilotes en 1998 prévoyait un
représentant censeur au conseil d'administration. Sur l’exercice 99/00 ces comités se sont
réunis deux fois et se composent de la manière suivante 337 :
- comité stratégique (6 personnes) :
� le PDG,
� deux représentants de l’Etat (le directeur du Trésor, le Chef de l’Inspection
générale de l’aviation civile et de la Météorologie)
� une personne qualifiée (le PDG d’Usinor),
� le censeur Commandant de bord, représentant les PNT actionnaires,
� un représentant des salariés PNT.
- comité d’audit (4 personnes) :
� un représentant de l’Etat Conseiller Maître à la Cour des Comptes,
� Deux personnes qualifiées (le PDG de Sanofi-Synthélabo et le PDG de Dexia),
� Le censeur Commandant de Bord, représentant les PNT actionnaires
La mise en place de ces organes fait partie d’un ensemble de changements
fondamentaux des rapports d’Air France avec son actionnaire initial. Selon notre
interlocuteur, Air France doit répondre à « un regard nouveau d’évaluation porté par la
communauté financière sur sa stratégie. Cette prise de conscience s’est traduite par un
changement en matière de communication à la fois interne et externe (en conformité avec
la réglementation de la COB). » Ainsi, les comités spécialisés constituent des vecteurs
d’information et de contrôle sans immixtion dans la gestion. La personne interrogée les
336 En 1994, 12000 salariés ont accepté un échange d’actions contre une baisse volontaire de leur salaire pendant 3 ans. A cette participation de 1% s’ajoute la participation de 1,2% des salariés ayants-droit, lors de la transformation de la Compagnie en SA avec la dissolution de la Société coopérative de main d’œuvre qui détenait les droits de vote attribués aux salariés dans la société anonyme à participation ouvrière. (Rapport, 1997/1998, p. 44-45). De ce fait, l’exercice de BSA assorti à ces deux formules d’actionnariat salarié, complété par l’actionnariat salarié d’Air France Europe, l’échange d’action contre une réduction de salaire des pilotes en octobre 1998 et par un plan d’options d’achat d’action mis en oeuvre en mai 2000 par Air France, a conduit à un actionnariat de plus de 4% du capital émis, donnant droit à l’élection d’un représentant des salariés depuis 1998 et à la nomination d’un troisième censeur au CA depuis septembre 2000. 337 TDR, code SGR, référence rapport AG 99/00.
274
qualifie de « courroies de transmission » qui permettent aux actionnaires privés un accès
privilégié aux informations financières et, à l’Etat, de déléguer une partie de la fonction de
contrôle à deux organes susceptibles de porter un regard professionnel sur la gestion. Dans
le cadre de cette phase II du processus de privatisation, l’ouverture du capital
s’accompagne donc d’un nouveau regard, celui de la communauté financière sur la gestion
d’Air France. Le marché financier apparaît donc comme un nouveau mode de gouvernance
qui commence à contrebalancer le système de gouvernance fortement marqué par les
réseaux syndicaux, politiques et participatif à la décision en amont. Ainsi, selon notre
interlocuteur, ces deux mécanismes complémentaires au conseil d'administration qui
exerce un rôle plus ponctuel, représentent une garantie importante pour le marché
financier, en particulier pour les investisseurs institutionnels338. En outre, parmi ces
changements cruciaux pour Air France à l’égard de ses nouveaux actionnaires individuels,
la création d’un comité consultatif en juin 2000 répond au souci de l’entreprise « de
connaître [les attentes des actionnaires] et d’y répondre le mieux possible » (discours de
J.C. Spinetta à l’AG de septembre 2000). Objectif qui semble déjà atteint en partie puisque
le service actionnaires d’Air France a été récompensé par le 2ème prix des Fils d’Or
2000339.
Enfin, parallèlement à ce détachement de plus en plus net à l’égard des pouvoirs
publics, la part majoritaire de l’Etat dans le capital se traduit toutefois par un maintien de
ses contrôles (économique et technique) en plus de ses cinq représentants au conseil
d'administration. Ainsi, parmi les neuf autres personnes qui assistent également au conseil
d'administration avec voie consultative (TDR, code SGO, référence rapport AG 99/00)
quatre sont rattachées aux pouvoirs politiques (un chef de mission de contrôle, un
contrôleur d’Etat, deux commissaires du gouvernement rattachés à la DGAC).
Cette évolution conjointe au niveau supérieur du processus décisionnel et de la
gouvernance s’est accompagnée au niveau intermédiaire et inférieur, de modifications du
contrôle hiérarchique. En particulier, le cadre interrogé considère que la structure
actionnariale a affecté le fonctionnement interne. En particulier, en combinant l’association
du personnel au capital de l’entreprise (notamment la minorité de blocage que représente
les pilotes) au rôle du marché financier, la culture de la rentabilité paraît s’installer. Notre
interlocuteur observe que les messages financiers de critères de rentabilité, de benchmark,
338 TDR, code SGO référence entretien 2. 339 TDR, code SGM.
275
notamment Lufthansa sont mieux entendus340. Par ailleurs, la création de la « lettre aux
actionnaires », l’organisation de la « journée de bourse » ou le « guide de la formation pour
devenir actionnaire » sont autant de supports par lesquels le personnel apprend les
mécanismes de bourse et intègre le rôle d’évaluation par ce marché de la performance
d’Air France.
Dans le même sens, en raison de la contrainte exercée par la croissance du secteur,
notamment la crise mondiale dans les années 1990341, Air France a dû mettre en place trois
plans d’entreprise successifs (un par président) visant à réduire les coûts de personnel et
leur harmonisation. Plusieurs mécanismes internes de rémunération incitative à la
performance ont été mis en place progressivement depuis les premières tentatives de
décentralisation interne sous la direction de B. Attali, mais surtout à partir de la
décentralisation effective sous C. Blanc puis son successeur :
- mise en place de critères de rémunération basés sur la performance au niveau des
vendeurs sous la direction Attali342 ;
- opérations successives d’échange salaires-actions, dans le cadre du projet de
reconstruction de C. Blanc343 ;
- contrats de performance interne avec l’obligation de respecter les balises de qualité
sous J.C. Spinetta344.
Les avantages statutaires (rémunération des pilotes notamment) générateurs de conflits
(grèves de 1971, 1988, 1993) ont dû être renégociés. Le processus décisionnel consensuel
mis en place par C. Blanc a permis de contractualiser les rapports sociaux de sorte que la
réduction de coûts soit négociée sans générer de conflits préjudiciables. Ainsi, différents
accords (accords de janvier-février et juillet 1997 par exemple)345 ont permis entre autres, à
chaque salarié, de percevoir une prime exceptionnelle de 2500 francs, après un gel des
salaires de quatre ans et d’harmoniser le système de rémunération des pilotes d’Air France
Europe et des autres pilotes sur la base forfaitaire et non plus à l’heure de vol. Suite au
conflit de juin 1998, un protocole d’accord visant la stabilité sociale durable est mis en
place. Il prévoit plusieurs principes à partir desquels les signataires devront trouver un
340 TDR, code SGM référence entretien 2. 341 TDR, code SGO et données sectorielles. 342 TDR, code SGM référence Attali (1994, p. 14-16). 343 TDR, code SGM entretien 2. 344 TDR, code SGM, Autier et al. (2001, p. 289-296). 345 Rapport 1997-1998, p. 42.
276
accord. Ces principes font référence à la nécessaire maîtrise de l’évolution des coûts du
personnel, un actionnariat salarié significatif à terme, une révision de la rémunération
(suppression de la double échelle des salaires, mise en place d’une rémunération spécifique
« pilotes cadets » par exemple). En 1998, trois accords sont passés entre les trois catégories
de personnels et Air France :
- Accord Global Pluriannuel avec le PNT (personnel navigant technique), issu de
l’accord de sortie de conflit de juin 1998 ;
- Accord pour le Développement Partagé du PS (personnel au sol) qui constitue un
cadre pour les négociations décentralisées dans l’entreprise ;
- Accord Collectif Pluriannuel pour le PNC (personnel navigant commercial).
Ainsi, la négociation des accords avec le personnel est internalisée sur la base d’un
processus décisionnel progressivement décentralisé en réponse à l’impératif de
productivité économique. En outre, elle se traduit par un contrôle hiérarchique construit sur
des critères de performance commerciale et boursière (via la rémunération en actions).
Enfin, plusieurs modifications institutionnelles et propres à Air France semblent
modifier le rôle du marché du travail pour le personnel d’Air France. Le recours aux
suppressions négociées d’emploi depuis les années 1990346, période de crise du secteur et
la modification des conditions de rémunération (salaire plus bas pour les jeunes
embauchés, Accord Global Pluriannuel) ainsi que la récente harmonisation européenne des
licences de pilotes et le recours croissant à la sous-traitance de ces mêmes personnels par
les transporteurs favorisent la mobilité du personnel.
Pour conclure sur la dynamique organisationnelle d’Air France au cours de son
processus décisionnel, nous proposons dans le schéma 11 (ci-après) une représentation des
organes participatifs au processus décisionnel et la structure organisationnelle
correspondante à l’issue du processus de privatisation jusqu’en 2001.
La gouvernance de l’entreprise à l’issue de ces 6 années de processus de privatisation
semble progressivement s’ouvrir sur des mécanismes de marché, tant au niveau du conseil
d'administration et des comités spécialisés périphériques qu’au niveau du contrôle
346 Dont Attali est le premier président pour Air France, à présenter un plan de redressement fondé sur la suppression d’effectifs (code Lat-M, référence Attali, 1994, p. 113).
277
hiérarchique qui a progressivement privilégié la performance interne, individuelle et
actionnariale, notamment pour les pilotes, indispensables au fonctionnement de
l’entreprise. Cette analyse de la dynamique organisationnelle d’Air France au niveau du
processus décisionnel et de sa gouvernance converge vers notre proposition 2. Ainsi, le
cas Air France permet d’accepter notre modélisation des effets de la privatisation sur la
gouvernance en combinant un contrôle fort au sein du conseil d'administration
(proposition 2a), notamment par les salariés qui en définitive représentent un actionnaire
stable tout comme l’Etat. A ce renforcement du contrôle par le conseil d'administration
s’ajoutent d’autres mécanismes orientés marché, notamment au niveau interne, comme la
structure de rémunération ou le système d’information, mais aussi les comités spéciaux
(proposition 2b). Toutefois, le rôle ambigu de la DGAC en tant qu’autorité de régulation
et membre du conseil d'administration (deux personnes avec voix consultative et une
personne de l’aviation civile) donne à la dimension réseau de la gouvernance d’Air France
toute sa signification347 de même que le rôle joué par le syndicat majoritaire d’Air France
FO, dont le secrétaire général de section « est qualifié par ses admirateurs de « syndicaliste
à l'allemande » (La Tribune 06/03/97). En ce sens, le processus de privatisation n’étant pas
achevé, la gouvernance d’Air France paraît encore très marquée par un contrôle fort, axé
sur les décisions stratégiques. De plus, le conseil d’administration se caractérise par la
présence d’industriels, personnes qualifiées mais aussi d’un actionnariat salarié renforcé.
347 TDR, code SGR référence
278
Schéma 11 : Les organes participatifs à la prise de décision au sein d’Air France à l’issue de la phase II du processus de privatisation
Comité exécutif Développement, RH, Relations publiques,
International et Europe, système informatique, Affaires financières, Marketing
Comité d’entreprise
Conseil d'administration 5 représentants de l’Etat (décret) : tutelle technique, tutelle économique 6 personnes qualifiées (décret) : dont le président 6 administrateurs salariés : élus par catégorie (4 PS dont 1 cadre, 1 PNT, 1 PNC) - 1 représentant des actionnaires salariés désigné parmi ceux-ci 3 censeurs dont un PNT
Etat : 56% Président de la République, Premier ministre,
Ministères de Tutelle (technique, économique)
PDsupCENTr
PDsupDECi-mo-r-s
PDsupCENTs
CDR activités aériennes
CDR activités logistiques
* re-centralisés progressivement pour les orientations stratégiques
Air France informatique*
Escales de Paris*
Commercial France*
Air France Industries
Air France Maintenance
Amériques
Afrique/Moyen-Orient
Asie/Pacifique
Fret
Europe
Antilles/Guyane/Réunion
Actionnaires salariés 11%
Flottant 33%
Comité d’audit - Conseiller Maître à la Cour des Comptes - 2 Personnes qualifiées nommées par décret- censeur représentant des salariés
Comité stratégique PDG Directeur du Trésor Personne qualifiée Censeur salarié Salarié administrateur Inspecteur Aviation civile
Marché financier
279
1.2.2.3. Vers une latitude managériale croissante
D’après notre modèle, la décentralisation du processus décisionnel au profit de l’équipe
managériale combinée à un système de gouvernance mixte est susceptible d’accroître la
marge d’action du dirigeant dans l’exercice plein et entier de sa fonction de gestion à
l’issue de la privatisation. Le développement précédent souligne l’importance des
initiatives menées à terme par C. Blanc et son successeur, contrairement à B. Attali348
encore fortement contraint en amont, par un pouvoir décisionnel à trois. Si, notre recueil
des données permet de constater la convergence des allocutions des différents ministres des
Transports, du rapport Nora (PDsupDECi-r) et des discours tenus par les syndicats (code
SGO) à l’égard de l’autonomie de gestion plus grande nécessaire au dirigeant d’Air France,
ce n’est que depuis C. Blanc et la recapitalisation qu’elle est réellement effective (code
Lat-M). De plus, la contractualisation des relations avec le personnel depuis 1998
essentiellement, permet une négociation directe sans intervention des pouvoirs publics au
niveau supérieur et sur plusieurs années entre la direction et son personnel. Ainsi, la
décentralisation du processus décisionnel au profit de l’équipe managériale conformément
à notre proposition 1 (a et b) paraît plus favorable au dirigeant, (proposition 3) comme C.
Blanc l’avait d’ailleurs souhaité à son entrée en fonction. Comme le souligne le journal Les
Echos du 23/10/97, «alors qu’il avait claqué la porte d’Air Inter en 1993 parce que sa
tutelle lui refusait des fermetures de lignes déficitaires, J.C. Spinetta semble avoir plus de
latitude aujourd’hui : il renforcera la qualité de son réseau domestique « dans le cadre de
choix économique qu’il (lui) appartiendra d’apprécier ». Enfin, comme le souligne J.C.
Spinetta lui-même,349 : « C’était la même chose qu’avec mon prédécesseur, le président d’Air France a une autonomie
de gestion pleine et entière… Naturellement l’Etat a des pouvoirs de contrôle. Mais il a appris
depuis quelques années que la seule relation possible avec les entreprises dans lesquelles il est
actionnaire majoritaire, c’est de faire confiance à la direction des entreprises, sans interférer
dans les décision de gestion ».
Pour conclure sur le lien entre privatisation et latitude managériale, faute de pouvoir la
quantifier, précisons toutefois que si cette autonomie paraît croissante elle n’en demeure
pas moins bornée dans la mesure où elle s’accompagne aussi d’un conseil d'administration
348 sauf, exception notoire de la négociation de la fusion avec UTA entre les deux PDG, processus qui annonce la séparation fonctionnelle plus franche dans les années qui suivent (TDR code Lat-M référence : Attali, 1994, p. 44-51 et aussi 59-63 ; et référence Bouaziz, 1998, p. 140 et 160). 349 TDR code PDsupDECr référence Les Echos 11/03/98.
280
davantage « opérationnel » (dorénavant, les décisions sont prises principalement au sein de
cet organe et non plus au niveau des pouvoirs publics) et d’un regard (contrôle) nouveau
porté par la communauté financière. De plus, la présence majoritaire des pouvoirs publics
au sein du conseil d'administration reste potentiellement un mécanisme de gouvernance
fortement contraignant. En revanche, la contractualisation avec le personnel semble
atténuer l’intervention directe des syndicats dans le processus décisionnel d’autant plus que
les pilotes en particulier, constituent un actionnaire de référence, comme c'est d’ailleurs le
cas pour United Airlines (50%) par exemple.
1.2.3. Dynamique de la gouvernance et valeur appropriable par les partenaires
Le troisième niveau d’analyse de notre modèle organisationnel de la privatisation
correspond aux effets de cette dynamique de la gouvernance sur la capacité des acteurs
impliqués dans le processus décisionnel, à s’approprier une partie de la valeur partenariale.
Autrement dit, la question adressée ici est la suivante : en modifiant les mécanismes par
lesquels les partenaires peuvent influencer la création et répartition de la valeur, la
privatisation engendre-t-elle un niveau plus ou moins élevé de valeur appropriable par
chaque partenaire considéré ? Notre modèle ayant pris en compte les actionnaires, les
salariés dont le dirigeant, les clients et les fournisseurs, nous présentons les résultats de ce
dernier niveau d’analyse pour les actionnaires (1231), dont les salariés et le dirigeant d’un
coté et les partenaires commerciaux ensuite (1232).
1.2.3.1. La dynamique organisationnelle au niveau des différentes catégories
d’actionnaires
Globalement, la conclusion du président actuel d’Air France sur la stratégie du groupe
depuis son entrée en fonction (phase I et II), nous paraît symbolique des effets de
l’orientation progressive de la gouvernance vers un modèle mixte sur la valeur
appropriable par l’ensemble des actionnaires : « En termes de taille, de rentabilité, de parts de marché, d’efficacité des alliances, je pense que
nous sommes incontestablement entrés dans le camp des entreprises majeures au niveau
mondial dans notre secteur. Ainsi, le marché semble faire confiance à notre stratégie et à notre
vision de l’avenir, puisqu’il considère que la progression de 45 % du titre d’Air France recèle
encore un potentiel important de croissance. Il nous appartient de lui donner raison et
d’exploiter l’ensemble de nos atouts. J’annonce à l’ensemble des actionnaires de l’Entreprise
que ce pari me semble bien engagé » (discours de J.C. Spinetta à l’AG de septembre 2000).
281
En convergence avec notre proposition 4, selon laquelle la gouvernance mixte accroît
le niveau de valeur actionnariale appropriable, il semble en effet que l’ouverture de
l’entreprise à des mécanismes de marché favorise un encadrement du processus
décisionnel orienté vers le résultat distribuable et la plus-value potentielle sur le cours
malgré la spécificité du secteur350. En outre, l’actionnariat salarié et les mesures internes de
coordination orientées sur les performances boursières et commerciales de l’entreprise
tendent également à inciter les comportements vers une création de valeur actionnariale
susceptible d’être appropriée par les salariés détenteurs d’actions. Singulièrement, depuis
mai 2000, les pilotes dont la spécificité du capital humain semble renforcer leur
participation au processus décisionnel, bénéficient (pour 2787 d’entre eux) d’un plan
d’options sur action dont le prix d’exercice est fixé à 15,75 euros. En outre, la nomination
de C. Paris (gérant des fonds de placements des pilotes) en tant que censeur au conseil
d’administration et membre des deux comités spéciaux, en plus des représentants des
actionnaires pilotes et des salariés PNT, octroie à cette catégorie de salariés de nouveaux
modes d’action sur le processus décisionnel. Ces mécanismes d’encadrement du processus
décisionnel sont détachés en partie des syndicats et des pouvoirs politiques, sans toutefois,
que cette dernière option de recours ne soit exclue, l’Etat et notamment le ministre des
Transports étant encore majoritaires. La proposition 6 relative à la valeur appropriable par
les salariés au capital humain spécifique trouve ici plusieurs illustrations convergentes. En
effet, notre modèle stipule que la privatisation via le système de gouvernance mixte
(rémunération indexée sur la performance comptable et/ou boursière) permet aux salariés
actionnaires d’accroître le niveau de la valeur qu’ils peuvent s’approprier, a fortiori pour
les salariés-actionnaires au capital humain fortement spécifique à la firme.
Concernant plus spécifiquement la valeur appropriable par les dirigeants d’Air France,
leur rémunération au sein d’Air France ne semble pas significativement influencée par le
processus de privatisation à l’heure actuelle, comparativement aux PNT. En effet, ils ne
bénéficient pas avec l’ouverture du capital de plan d’option sur actions351. Mais ils peuvent
souscrire au capital d’Air France en tant qu’actionnaire individuel, comme J.C. Spinetta le
précise d’ailleurs à l’assemblée générale des actionnaires de septembre 2000 (environ 900
actions). De plus, la séparation fonctionnelle qui résulte de ce processus de privatisation
350 Annexe 8a : cours d’Air France depuis sa cotation en février 1999. et TDR, code VAA (valeur appropriable par les actionnaires), référence Autier et al. (2001, p. 302-304). 351 Document de référence 1999/2000, p. 88.
282
partielle est susceptible de renforcer le capital managérial dans la mesure où le dirigeant est
plus libre dans ses choix comparativement au contexte décisionnel public. En ce sens, la
valeur appropriable par le dirigeant peut aussi résider dans la notoriété (politique et/ou
économique) qu’il peut acquérir via sa participation centrale au processus de privatisation
de l’entreprise publique. Le marché des dirigeants français semble en effet favoriser le
parcours au sein d’une entreprise publique comme nous le relevions lors de l’historique du
parcours des dirigeants successifs d’Air France. C. Blanc a ainsi reçu en 1998, la légion
d’honneur par le président de la République352. En, outre, sur un marché mondial comme le
transport aérien, la latitude relativement réduite (mais croissante) des dirigeants français
publics semble aussi être valorisée puisque le même président qui a su, à plusieurs reprises,
tenir tête à ses actionnaires, s’est vu décerner en 1997, par l’Aviation Week (magasine
américain) les lauriers du transports aériens pour son action à la tête d’Air France. Enfin, concernant la politique de financement, notre proposition 5 considère que les
choix plus larges avec l’ouverture au marché financier, devraient être davantage orientés
vers l’endettement en présence d’une banque parmi les actionnaires dominants. Dans le cas
d’Air France, l’histoire du groupe, sa structure actionnariale et l’évolution de son ratio
d’endettement353 ne permettent pas de mesurer ce lien théorique. Toutefois, au 31/03/1998,
la Caisse des Dépôts et Consignation (CDC) détient 0,57% dans le capital d’Air France. En
1991-1992, avec la BNP (encore publique) la CDC a permis à Air France d’émettre des
emprunts obligataires alors que l’entreprise présente des ratios supérieurs à 1 juste avant la
recapitalisation. Le rôle des deux banques alors qu’Air France est au bord de la faillite
illustre le rôle de soutien qu’une banque actionnaire est susceptible de jouer. Cet exemple
extrême, notamment aussi en raison de la spécificité du secteur, pour lequel l’endettement
est le mode principal de financement donne quelques indices favorables à cette
proposition. On pourrait d’ailleurs être surpris de l’absence d’une banque au sein de
l’actionnariat de référence.
1.2.3.2. La dynamique organisationnelle an niveau des clients et des fournisseurs
D’un point de vue général, la valeur appropriable par les clients est fortement
conditionnée par le niveau concurrentiel du marché. Dans le cas particulier du transport
aérien, les clients semblent avoir bénéficié des effets organisationnels de la pression
croissante de la libéralisation américaine et européenne sur Air France malgré les grèves à
352 TDR, code VAD contexte public référence Bouaziz (1998, p. 84). 353 Cf. Annexe 8b courbe de l’endettement d’Air France depuis la recapitalisation.
283
répétition que cette libéralisation a pu engendrer. Relativement au service, la multiplicité
des exemples et des indicateurs relevés dans notre tableau des données réduites354 (taux de
remplissage 78%, en hausse de +2%, part de marché en hausse par rapport au secteur) vont
dans le sens de la proposition 8 selon laquelle, la décentralisation du processus
décisionnel, notamment au niveau inférieur combinée à un système de gouvernance mixte
accroît la valeur appropriable par les clients a fortiori en cas de dérégulation355. Ainsi, la
politique de gamme, l’amélioration des systèmes de réservation et de fidélisation à l’appui
d’une co-localisation aux niveaux inférieur et supérieur des prises de décision commerciale
(organisation en CDR) et stratégique (structure holding, comité exécutif autonome, outil de
Revenue management) et des systèmes de contrôle (acquisition du data warehousing,
prime à la performance interne, suivi de carrière) ont pris le pas sur la préoccupation
exclusivement technique. Celle-ci, marquée par l’orientation politique et le contexte
historique des débuts a fait d’Air France une des compagnies les plus performantes sur le
plan technique pendant longtemps, avec le plus long réseau du monde. Mais, si la qualité à
bord comme au sol s’est améliorée grâce à la décentralisation organisationnelle aux
niveaux supérieur et inférieur c’est aussi par la possibilité de développer une alliance
mondiale. Or, Skyteam et Skyteam Cargo (alliance pour l’activité fret) sont nées en 2000 à
la suite d’un processus de privatisation. Celui-ci a conduit à un abandon significatif de la
participation de l’Etat dans la gestion de l’entreprise, avec des garanties au niveau de la
gouvernance et de la stabilisation des relations sociales via les différents mécanismes
d’encadrement du processus décisionnel précités. Toutefois, la régulation du trafic au
niveau européen et les retards accumulés sur certains aéroports sont susceptibles de devoir
faire l’objet d’une gouvernance institutionnelle qui dépasse Air France. Quoiqu’il en soit,
notre proposition 8 trouve dans l’exemple d’Air France certains indices convergents.
Enfin, le processus de privatisation d’Air France souligne les effets renforcés de la
libéralisation sur la baisse de la valeur appropriable par les fournisseurs au moment où Air
France est elle-même affaiblie par un processus décisionnel et un système de gouvernance
centralisés. L’annulation de commandes d’avions, la réduction des coûts
d’approvisionnement de 24 milliards de francs sous la direction de C. Blanc (sur la
vaisselle par exemple)356 durant le processus de privatisation ont cependant un effet positif
354 TDR code VAC. 355 ou a fortiori lorsque le client devient membre du groupe d’actionnaires partenaires, ce qui à notre connaissance n’est pas le cas pour Air France. 356 TDR code VAF référence Bouaziz (1998, p. 136).
284
depuis le rétablissement de la compagnie qui lance un programme d’investissement de 40
milliards de francs sur 5 ans357.
Remarquons enfin qu’Air France développe des partenariats intermodaux sur les lignes
en partance et à l’arrivée de Roissy avec la SNCF (réservation d’un billet pour les deux
transports), membre (entreprise publique) du conseil d'administration (1,54% du capital au
31/03/98). Ainsi l’AO qui résulte de la privatisation (système de gouvernance mixte
combinée à un processus décisionnel plus cohérent avec les conditions de marché) ne
conduit pas nécessairement à la réduction de valeur pour certains partenaires fournisseurs,
d’autant plus qu’Air France recourt davantage à la sous-traitance que par le passé et peut
librement choisir ses fournisseurs. Ainsi, notre proposition 9 doit être tempérée.
Ainsi, l’efficience interne d’Air France paraît supérieure à l’issue de ces deux phases de
la privatisation. Elle illustre un changement d’équilibre qui paraît progressif au profit d’une
efficience de second degré également plus grande (pour les partenaires de la coopération).
On trouve avec l’étude du cas d’Air France plusieurs explications de nature
organisationnelle et institutionnelle des conséquences de la privatisation sur la performance
organisationnelle. Cette perspective permet de comprendre comment la dynamique
organisationnelle est touchée par la privatisation et comment chaque catégorie de
partenaire peut être différemment concernée. Sans pouvoir généraliser notre modélisation
de la privatisation, nous obtenons ici des résultats complémentaires à ceux apportés dans la
littérature. En particulier, la privatisation constitue un processus dont l’offre publique sur le
marché ne constitue qu’une phase, la dernière ou l’avant dernière si la privatisation est
partielle. La section suivante est consacrée à une seconde mise à l’épreuve de notre modèle
organisationnel dans un contexte très différent.
Section 2 : La privatisation graduelle de DSM : analyse du lien entre processus
décisionnel et GE : mise en évidence de la dynamique
organisationnelle
Dans le cadre de notre stratégie de recherche, nous consacrons cette section à un second
test de notre modèle organisationnel de la privatisation dans le cas néerlandais de
l’entreprise chimique DSM. Cette réplication de notre démarche empirique consiste à
reconduire le contrôle de plausibilité des liens entre privatisation/AO/valeur appropriable.
357 TDR code VAF, référence La Tribune 30/05/01.
285
Dans cette perspective, nous présentons d’abord un bref historique de l’entreprise, cotée en
bourse depuis 1989, afin de repérer les principaux événements qui ont marqué son
développement (2.1). A partir de cette approche historique, nous examinons ensuite les
phases de la privatisation de DSM à partir de notre cadre théorique. L’exposé des
principaux résultats porte ainsi sur l’évolution du processus décisionnel, la dynamique
sous-jacente de la gouvernance et les effets de ce développement organisationnel sur le
niveau de la valeur partenariale appropriable dans (2.2).
2.1. Bref historique de Dutch State Mines : 2 stades d’évolution
Dans le cadre de la même approche méthodologique que nous avons appliquée pour
l’étude d’Air France, nous résumons ici l’évolution de DSM. Depuis sa création au début
du vingtième siècle, l’entreprise a connu deux phases essentielles de développement liées
étroitement aux conditions sectorielles d’origine. L’entreprise d’Etat a progressivement
abandonné sa vocation publique (2.1.1) au profit d’un développement international qui la
place parmi les géants mondiaux du secteur de la chimie aujourd’hui (2.1.2).
2.1.1. La vocation publique de DSM (1902-1967)
L’entreprise State Mines est créée en 1902 par les pouvoirs publics dans le cadre du
développement du secteur minier. Pendant les trente premières années, State Mines est
chargée de l’extraction minière. La découverte d’une source de gaz dans le sud des Pays-
Bas dans les années trente conduit l’entreprise a en prendre en charge la distribution,
contribuant alors au développement industriel et social du sud du pays. En plus de cette
nouvelle activité, State Mines participe en effet à la mise en place de services sociaux dans
le Limburg, tels que les hôpitaux par exemple. C’est ainsi que l’entreprise publique, jusque
dans les années 1940-1950, participe aux comités d’études au sein desquels se réunissent
des employés et des cadres de l’entreprise, les syndicats et les autorités locales pour mettre
en place un programme de développement socio-économique de la région sud. Toutefois,
l’arrivée à maturité du secteur minier conduit progressivement l’entreprise à s’orienter vers
l’activité de gaz et la diversification vers le secteur de la chimie alors en démarrage à
l’échelle mondiale. A partir des années 1960, le changement d’activité de State Mines
conduit à sa métamorphose en entreprise chimique. Elle se libère progressivement de son
rôle dans la politique de développement socio-économique régional au profit d’une
ouverture sur l’étranger.
286
2.1.2. Mutation sectorielle, croissance du secteur de la chimie et changement
d’orientation stratégique de DSM
L’activité de DSM, à l’origine centrée sur l’extraction minière s’oriente vers la
distribution de gaz à hauteur de 40% des parts de marché, notamment dans le sud des Pays-
Bas. Ces deux activités occupent 2/3 du portefeuille de DSM au début des années 1940.
Simultanément, la diversification entamée au profit de l’activité chimique conduit
l’entreprise à engager avec son actionnaire unique une réorientation progressive de
l’activité et de son organisation. La fin des années 1960 marque un changement de cap de
l’entreprise industrielle. En 1967, State Mines devient Dutch State Mines à partir d’un
changement de structure au profit d’une société anonyme. DSM concentre dès lors son
développement sur l’activité chimie tout en maintenant l’activité de gaz et assurant encore
pour quelques années la transition avec son rôle social. Vingt ans après cette réorientation
stratégique, l’Etat néerlandais cède 69% des actions de la société sur le marché boursier
d’Amsterdam, en deux vagues successives, en février au prix d’émission de 108 florins et
en septembre de 125 florins. Dès lors, le groupe participe aux mouvements de globalisation
du marché. En 1996, la cession finale des actions de l’Etat rachetées puis annulées par
DSM finalise le processus de privatisation. Au 31 décembre 1998, le titre est coté à 178,5
florins, soit en 9 ans une hausse confirmée de plus de 40%.
2.2. Privatisation et architecture organisationnelle de DSM : les résultats de l’étude
des processus
A partir des données que nous avons collectées et traitées, il apparaît que DSM présente
au cours de sa première phase de développement, les caractéristiques de l’entreprise
publique. Ainsi, nous présentons dans la première sous-section les indices qui reflètent le
statut public de l’AO de DSM et l’origine de son processus de privatisation (2.2.1). Nous
consacrons la deuxième sous-section aux phases du processus lui-même, jusqu’à la
seconde cession du capital par l’Etat (2.2.2). Enfin, les effets de cette dynamique
organisationnelle sur la valeur appropriable par les partenaires sont examinés dans la
troisième sous-section (2.2.3).
287
2.2.1. Aux origines du processus de privatisation
Dès sa création, DSM est considérée comme une concession de l’activité d’extraction
minière par l’Etat358. En ce sens, l’entreprise a la responsabilité de la gestion technique de
l’activité. La commercialisation du charbon est, quant à elle, gérée par un bureau d’étude à
La Hague. Comme nous le précise M. Van der Grinten, l’approbation des décisions
d’investissement relèvent du gouvernement. Plus précisément, c’est à la seconde chambre
à La Hague que les choix commerciaux et techniques sont faits. Ainsi, dans ce contexte
décisionnel, « il était nécessaire [pour les dirigeants] de monter à La Hague pour
négocier ». En corollaire, le financement était examiné par le département des Affaires
économiques et des Finances à La Hague. En outre, le secteur minier arrivant en phase de déclin dans les années trente, la
direction suggère de réorienter l’activité de DSM. Parallèlement, la découverte d’une
source importante de gaz naturel sur le territoire conduit le gouvernement à confier à son
entreprise la distribution de gaz dans le sud du pays. En 1957-1958, en accord avec le
gouvernement, la direction décide de réduire petit à petit l’activité principale au profit du
segment de la chimie et d’autres activités. L’entreprise lance ainsi un vaste programme de
restructuration, en contrepartie duquel DSM doit assurer le replacement de ses salariés
concernés par le plan. C’est ainsi que l’entreprise participe au développement du sud des
Pays-Bas sur décision des pouvoirs publics, en commun avec le comité central
d’entreprise. Pour accompagner cette décentralisation du replacement des employés, le
gouvernement ouvre à Heerlen où siège l’entreprise, un bureau de statistiques en charge du
suivi de la politique sociale de DSM. Parallèlement, l’entreprise met en place un bureau
d’industrialisation qui gère les activités de services dans la région. A l’issue de ces
réorientations stratégiques, DSM abandonne totalement l’activité d’origine et peut replacer
avec l’implication forte de ses cadres, la moitié du personnel concerné soit 25000
personnes359. Aucun licenciement sec n’a été effectué grâce au versement d’une prime de
préretraite aux personnes non réaffectées. Jusqu’en 1967, DSM ancien monopole d’Etat,
est dirigé par un management en coopération étroite avec son actionnaire, le
gouvernement360. La direction est ainsi en contact avec trois interlocuteurs privilégiés à La
Haye, à quelques 100 kilomètres du siège et de l’activité. Un schéma permet de représenter
358 TDR code PDsupCENTr référence entretien 1. 359 TDR, code VAS référence entretien 1. 360 TDR code PDsupCENTr entretien 3.
288
les organes participatifs à la prise de décision durant cette phase cruciale pour DSM en
pleine remise en question de son objet jusqu’en 1967. Schéma 12 : Les organes participatifs à la prise de décision au sein de DSM avant le
processus de privatisation
Ainsi, jusqu’à son changement de structure juridique, l’AO de DSM présente une
séparation fonctionnelle limitée entre les pouvoirs publics et la direction de l’entreprise.
Son objet est davantage fondé sur des préoccupations de développement d’une région sous-
équipée. Cette évolution de State Mines durant la première moitié du siècle caractérise
l’influence significative du gouvernement à La Haye dans les choix d’investissements
stratégiques. Si l’origine de nombreuses décisions émane de la direction, leur approbation
et leur suivi restent ainsi du domaine des pouvoirs politiques. Mais, l’évolution du secteur
de la chimie sur lequel DSM s’oriente de plus en plus incite la direction à solliciter
l’actionnaire pour changer de mode de fonctionnement décisionnel. 1967 est l’année de la
renaissance de DSM.
2.2.2. La dynamique de l’architecture organisationnelle dans le processus de
privatisation de DSM
En référence au schéma processuel joint en annexe 9, le changement de structure en
1967 constitue pour DSM la remise en cause profonde de son fonctionnement originel, tant
au niveau du processus décisionnel que de sa gouvernance.
La HayeDépartement des Affaires économiques et des Finances
2nde chambre du gouvernement
Direction de DSM PDsupDECmo
PDsupCENTr - PDsupCENTs Financement Investissement
Bureau d’étude de marché
Comité central
Bureau d’industrialisation Bureau de statistiques
289
2.2.2.1. Une décentralisation du processus décisionnel sur 30 ans
A l’issue des réorganisations internes, la volonté de la direction de poursuivre l’activité
chimie en plein essor et dans des conditions de concurrence croissante, sollicite l’accord de
son actionnaire pour transformer State Mines. Ainsi M. Van der Grinten nous relate le
contexte dans lequel s’est effectué le changement crucial pour DSM : « [La branche chimie de DSM] s’est développée dans un milieu concurrentiel mondial
nécessitant des choix d’investissements risqués ce qui bien sûr ne pouvait être réalisé par le
gouvernement. C’est pour cette raison majeure que la décision de convertir DSM en société
anonyme, indépendante du gouvernement a été prise. Finalement, DSM est née en 1966 et non
en 1902, date à laquelle a été créée Dutch State Mines ».
L’entreprise d’Etat devient ainsi Dutch State Mines N.V., société anonyme à capitaux
publics, dotée d’une structure duale directoire et conseil de surveillance, tous deux
détachés du gouvernement. Dès lors, l’entreprise entame un processus de décentralisation
progressive de la structure décisionnelle. Ainsi, deux membres sur douze représentent le
département des Affaires économiques et des Finances, seul actionnaire de DSM. La
législation sur les entreprises privées permet alors une prise de décisions sur approbation
du conseil de surveillance et non plus à la seconde chambre du gouvernement, lors du
débat annuel sur les budgets. M. Van der Grinten insiste bien sur le fait qu’à partir de 1967,
le conseil de surveillance prend effectivement les décisions dans l’intérêt de l’entreprise et
non plus dans l’intérêt du gouvernement. Les membres de l’organe décentralisé de contrôle
approuvent la stratégie, les choix d’investissements et les comptes annuels, nomment et
remplacent les directeurs de DSM. Ceux-ci ont alors le droit d’agir en tant que représentant
de la société à responsabilité limitée avec l’obligation de rétribuer son actionnaire
unique361. Le contrôle par ce dernier s’effectue essentiellement en assemblée générale, très
fermée.
La privatisation de DSM est donc entamée en 1967, à l’issue de son changement
juridique. Celui-ci traduit la perte réelle des droits décisionnels des agents publics d’une
part, au profit de l’équipe de direction en charge de la fonction de gestion des décisions
d’autre part, au profit d’un conseil de surveillance séparé de la Haye. Cette séparation
fonctionnelle nette au niveau supérieur est à l’origine d’un processus de réorganisation
361 TDR code PDsupDECr entretien 1.
290
interne, jusque dans les années 1990362. A cet égard, la description que nous en fait notre
interlocuteur dans les dix premières années de la nouvelle entreprise est intéressante : « Toutefois, DSM présentait une structure centralisée, avec au sommet de la hiérarchie, le
gouvernement, puis le conseil de direction et enfin les niveaux intermédiaires et inférieurs.
Lorsque j’ai été promu au département des processus de contrôle et de planification, je devais
mettre en place un système de planification stratégique. Sans une réorganisation interne
préalable je ne pouvais pas faire ce travail car la structure hiérarchique était centralisée. Un
système de planification stratégique commence toujours par le bas. Les connaissances locales
des marchés, des possibilités et des besoins techniques doivent être envisagées avec les
personnes informées pour ensuite définir les besoins d’investissements et les options de
développement stratégiques. Or ces personnes n’existaient pas dans DSM. Une
décentralisation du pouvoir de décision s’imposait au profit de personnes affectées aux
relations commerciales, pour ensuite comparer les demandes, évaluer les plus profitables et
enfin décider à mon niveau, les plans stratégiques à mettre en œuvre. »
« A partir de 1966, la structure décisionnelle a été progressivement décentralisée et a
parfaitement fonctionné à partir de 1976 environ. De là, nous avons pu mettre en place un
système de planification stratégique. Les restructurations internes de gestion et la flexibilité du
système de planification stratégique n’auraient pas eu d’existence si nous n’avions pas été
privatisés. »
Dans le prolongement de cette décentralisation interne du processus décisionnel en
cohérence avec les connaissances du marché, la volonté de la direction de poursuivre son
développement sur le secteur de la chimie se traduit en 1985 par un programme de
diversification de l’activité (hydrocarbures et polymères, ingénierie plastique, produits
chimiques basiques et élaborés en plus des activités devenues périphériques de pétrole et
de gaz en mer du Nord) toujours en vigueur aujourd’hui. Les relations internes évoluent au
profit d’une participation du personnel, qui dès lors est régulièrement consulté. Ainsi, les
négociations syndicales sur les conditions de travail se font de manière décentralisée au
niveau de chaque unité (accords collectifs à DSM Limburg, Curver Group)363.
Parallèlement à cette recherche d’optimisation des centres décisionnaires à tous les
niveaux des processus de décisions (co-localisation des informations spécifiques et des
sources décisionnelles) a lieu l’ouverture du capital en 1989 à hauteur de plus de 66%. La
recherche de performance de ses divisions et de réduction des coûts de fonctionnement se
362 TDR, codes PDsupDECr et PDinfDECr entretiens et rapports annuels. 363 TDR code PDinfDECr rapport 1988, p. 18 et entretien 3.
291
concrétise de nouveau, très récemment par le projet Concern 2000 mis en place en 1991364.
Durant la crise économique de la période 1991 et 1993 le nouveau challenge de l’entreprise
est de maintenir l’équilibre entre les résultats de court-terme et les objectifs de long-
terme365, à l’appui de ce projet.
Consacré à l’autonomie de gestion, ce projet développe une décentralisation
organisationnelle toujours plus grande au niveau du management pour accroître sa
flexibilité et répondre plus rapidement au marché. Le recours à la sous-traitance pour
certaines activités est complété par la mise en place de mécanismes de coordination et
d’évaluation de la performance aux niveaux des centres de profits. Ceux-ci que nous
abordons dans la section suivante, répondent à cette décentralisation toujours plus
cohérente avec les besoins du marché. Elle se traduit à l’issue de l’année 1994 par de
nouvelles structures. Ainsi, les 9 divisions sont éclatées en 25 centres de profits en relation
directe avec le directoire. La décentralisation des responsabilités se traduit en effet, par une
réduction des niveaux hiérarchiques afin de « privilégier une approche plus orientée sur les
résultats et les clients » et développer l’esprit d’initiative366. Un an plus tard, le nombre de
centres de profit est ramené à 13 afin d’améliorer la coordination interne367. A la suite de la
cession complémentaire hors marché par l’Etat, le programme de réorganisation interne se
poursuit. Le rapport annuel de 1997 rappelle ainsi ses concepts clés : « capable, sûr,
responsable et réactif » à partir desquels des formations spéciales et des programmes de
communication sont mis en place pour coordonner les équipes dans un « nouvel esprit
orienté sur les performances des centres de profit ». Les directeurs de ces centres
deviennent responsables de leur équipe et sont invités à leur donner plus de liberté
d’action. Ils sont encadrés par des réunions directes avec le directoire sur la base d’une
« analyse de la valeur de chaque centre » mise en place en 1991368.
En définitive, depuis la séparation fonctionnelle entamée en 1967 et le changement
juridique, DSM poursuit l’allocation des droits décisionnels en interne en cohérence avec
une stratégie de diversification sur un secteur à forte innovation. Cette analyse du
processus de privatisation de DSM depuis son origine sur plus de trente ans converge vers
nos proposition 1a et 1b selon lesquelles, la privatisation est un processus de
364 TDR code PDsupDECr rapport annuel (1991, p. 8-16). 365 TDR, code PDsupDECr référence rapport annuel de 1991 (mot du président). 366 TDR code PDinfDECr rapports annuels 1994, p. 2 et 1995, p. 12. 367 Ramenés à 17 unitésopérationnelles après la fusion avec Gist-Brocades (groupe de biotechnologie) en 1998. 368 TDR, code PDinfDECr rapport annuel 1992, p. 12.
292
décentralisation du processus décisionnel au niveau supérieur (P1a) et inférieur (P1b).
Dans ce contexte de décentralisation interne toujours plus approfondie par rapport à une
stratégie de diversification, l’ensemble des mécanismes de gouvernance du processus
décisionnel évolue.
2.2.2.2. Evolution du système de gouvernance au cours du processus de
privatisation
Les premiers changements du système de gouvernance de DSM sont observables dès
1966. La substitution du conseil de surveillance au département directement lié au
gouvernement de La Haye exprime le rôle attribué à ce nouvel organe dans les fonctions
exclusives de contrôle et de ratification des décisions. Celles-ci concernent essentiellement
les résultats financiers, les choix de développement des centres de résultats, le plan
d’investissement et de financement du groupe ainsi que le plan stratégique pluriannuel369.
En contrepartie de cet organe interne de contrôle et de l’évaluation de la politique menée
par la direction, cette dernière obtient une autonomie plus grande en matière de gestion
stratégique. En effet, la nature du rôle qui lui est attribué se différencie de celle relative au
département en liaison directe avec les pouvoirs publics. Le rôle centralisateur des
décisions par le premier organe a été remplacé par un rôle d’approbation des décisions,
accompagnant la séparation fonctionnelle. De même, l’intervention de l’actionnaire public
est limitée à sa participation à l’assemblée générale et à sa présence au sein du conseil de
surveillance via deux sièges. Ce recentrage du rôle des représentants gouvernementaux
illustre le rôle exclusif de contrôle de cet organe interne de gouvernance et non plus de
participation à la fonction de gestion des décisions, via l’ancien département.
Une analyse de la composition du conseil de surveillance montre une variation faible du
nombre de membres (entre 8 et 12 entre 1987 et 1998). Depuis la dernière cession du
capital par l’Etat, le nombre de membres est stable, limité à 10. Trois membres sur dix en
1998 ont un siège depuis plus de dix ans, dont le président et le vice-président370 (4 autres
membres sont en fonction depuis 1995). Les changements sont apparus dès 1990 avec la
369 La mission de cet organe est rappelée dans le rapport annuel 1997 à partir duquel DSM améliore son information relativement aux recommandations du comité Peters sur la gouvernance des entreprises, l’équivalent des rapports Viénot (juillet 1995 et juillet 1999) en France. 370 Le président du conseil de surveillance a par ailleurs un mandat de présidence du comité de direction de Rabobank et depuis 1999, de la présidence du Conseil socio-économique des Pays-Bas. En outre, il fut président de l’Association des banques des Pays-Bas, membre du conseil de surveillance et du comité de direction de certaines entreprises néerlandaises. Le vice-président, Professeur en politique économique a été président de l’Institut de la politique financière et économique ainsi que du Comité central de statistique.
293
nomination de l’ancien président371 (en retraite) du syndicat central de DSM qui quitte son
siège en 1998. La même année, l’ancien secrétaire du ministère néerlandais des Affaires
générales est remplacé par son successeur. En 1998, trois autres membres entrent au
conseil. Ils exercent par ailleurs des fonction de direction et/ou de surveillance dans
d’autres sociétés, instituts ou universités. Par ailleurs, deux membres d’origine allemande
sont au conseil de surveillance : l’ancien membre de la direction d’Unilever N.V. et Plc. et
l’ancien vice-président de la direction de Hoescht A.G. On remarque enfin la présence en
1998, de deux membres ayant eu par ailleurs des mandats au conseil de surveillance de
deux entreprises qui détiennent individuellement plus de 5% du capital de DSM depuis de
1996. Il s’agit de l’ancien président du conseil de surveillance de Aegon N.V. et de
l’ancien président du conseil de surveillance d’ABN-Amro et d’Unilever (d’où provient
également un des membres actuels du conseil).
Ainsi, la deuxième cession du capital par l’Etat, en 1996 a conduit au placement de 20%
des 31% du capital restant public372 auprès d’investisseurs institutionnels. La structure
actionnariale de DSM se précise avec la constitution d’un groupe d’actionnaires
institutionnels détenant individuellement plus de 5% du capital, comme l’illustrent les deux
graphiques suivants. Le premier porte sur l’évolution de la répartition globale du capital,
entre 1989 et 1997. Le second illustre l’évolution du groupe d’actionnaires partenaires
connus depuis 1996. Cette structure actionnariale qui représente un groupe d’actionnaires
est donc susceptible de renforcer le rôle de contrôle du conseil de surveillance.
Graphique 1 :
0%
50%
100%
1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997
Evolution de la structure du capital de DSM N.V. depuis la première cotation en 1989
Investisseursétrangers
Investisseursnéerlandais
Etat
371 Il fut également à la tête de la gestion de trésorerie de DSM, ancien vice-président du conseil de surveillance d’une société rattachée à DSM pour la gestion des retraites, membre du conseil de surveillance du Centre régional de formation de la province du Limburg, auquel participe DSM en contrat avec l’Etat. 372 En mars 1996, l’Etat s’est totalement désengagé par rachat des actions restantes par DSM pour être annulées (Rapport annuel, 1996).
294
Graphique 2 :
0%20%40%60%80%
100%
1996 1997
Evolution du groupe d'actionnaires de référence en 1996-97 Pensionfunds ABP
Cooperative CentraleRaiffeisen-BoerenleenbankBACommercial UnionAssurance Plc/Delta Loyd
ABN AMRO Holdong N.V.
Aegon N.V.
De plus, l’ouverture du capital en 1989 pour les deux tiers sur le marché d’Amsterdam a
conduit à la création de deux commissions spéciales :
- la DSM Priority Shares Foundation : (5 membres) trois membres sont nommés par
le ministère des Affaires économiques dont le président. Les deux autres membres sont
les présidents des deux organes centraux de DSM, le directoire et le conseil de
surveillance.
� Cette commission approuve les décisions d’émission d’actions et
d’affectation en réserves du résultat, les propositions de modification des statuts
et de dissolution de la société.
� Elle détermine la rémunération des membres du conseil de surveillance.
- la DSM Preference Shares Foundation : (3 membres indépendants) en vertu des
statuts de DSM, elle peut émettre et placer 62,5 millions d’actions préférentielles en vue
de protéger la société contre une prise de contrôle hostile. Une modification des statuts
de cette structure a été effectuée en 1994 pour être en conformité avec le règlement des
émissions et cotations de la bourse d’Amsterdam. Seules les personnes n’ayant aucun
lien avec DSM sont autorisées à siéger dans ce comité373.
La phase finale de la privatisation de DSM entamée en 1989 a donc conduit à la mise en
place de deux organes de surveillance parallèles. L’un confère aux pouvoirs publics un
droit de contrôle complémentaire sur la structure des fonds propres, la répartition des droits
de vote et la rémunération des membres du conseil de surveillance. L’autre comité permet
373 Rapport annuel 1994, p. 55.
295
de neutraliser les prises de contrôle comme peut le faire également tout groupe
d’actionnaires partenaires, notamment en France.
Par ailleurs, le rôle de ces organes spécifiques de gouvernance de DSM est complété par
le marché financier ainsi que par des mécanismes qui lui sont associés. Comme nous le
précise l’un de nos interlocuteurs, ce mécanisme nouveau influe sur le processus
décisionnel et sur le comportement du dirigeant : « La demande plus élevée de la communauté financière après l’ouverture du capital a modifié
l’horizon d’investissement. Le programme de développement de DSM est toujours orienté sur
le long terme mais le marché financier, spécialement les investisseurs institutionnels exigent
un retour sur investissement plus rapide, comparativement à l’actionnaire public. La principale
raison de ce changement provient du fait que la valorisation boursière ne dépend pas seulement
du résultat mais aussi de la perception des investisseurs sur la rentabilité attendue des choix
d’investissement ».
Ainsi, depuis 1989 DSM a mis en place un département de relations investisseurs, que
notre interlocuteur qualifie de « nouvelle activité pour DSM, en relation avec de nouveaux
types d’actionnaires. Le rôle nouveau du marché des capitaux implique un changement de
philosophie. Le marché boursier est plus sévère que les hommes politiques »374. Enfin,
depuis 1998, DSM accentue ses efforts en matière de communication financière en
adaptant ses supports aux catégories d’investisseurs :
- le bulletin « valeur entreprise » destiné aux actionnaires privés néerlandais, journée
porte ouverte pour les actionnaires (700 visiteurs) ;
- présentations et visites de la compagnies ;
- rapports trimestriels plus développés (chiffre d’affaires par segment d’activités,
bilan consolidé) ;
- informations plus détaillées du contrôle exercé par le conseil de surveillance dans le
rapport annuel, (mention d’une rubrique corporate governance à partir de 1996, exposé
des 40 recommandations du comité Peters sur la gouvernance aux Pays-Bas, et le
positionnement de DSM dans le rapport 1997375) ;
- réunions avec les analystes et présentations proposées aux investisseurs
institutionnels étrangers, club d’investissements.
374 TDR, code SGM référence entretien 3. 375 En annexe 10 nous reprenons le document de DSM joint au rapport annuel de 1997.
296
De plus, le système de rémunération des dirigeants a évolué avec la mise en place de
plan d’options sur actions après l’ouverture du capital en 1989. Elargi à l’ensemble des
employés, ce mécanisme incitatif associé à la performance boursière de DSM semble
toutefois n’avoir eu un réel succès qu’auprès des principaux dirigeants comme le précise
M. Van der Grinten. En outre, DSM continue de privilégier un système de promotion
interne au poste de direction. Le dernier président du groupe est parti en retraite après 32
ans d’exercice au sein de l’entreprise, tout comme l’un de nos interlocuteurs.
Enfin, depuis 1997, le conseil de surveillance a mis en place un comité spécial chargé
de préparer les réunions entre le conseil de surveillance et le directoire. Il est également
chargé de la rémunération des membres de ce dernier. De plus, le conseil syndical de DSM
participe en tant qu’organe consultatif à plusieurs réunions (entre 6 et 8 réunions annuelles)
avec une délégation du conseil de surveillance. Au cours de ces rencontres, sont discutées
les opérations de financement, d’acquisition, de développement stratégique ainsi que le
suivi des plans de réorganisation interne, notamment Concern 2000376. DSM, depuis sa
création a toujours privilégié le dialogue coopératif avec les représentants des employés. A
partir de 1967, les négociations ont été progressivement décentralisées comme nous
l’avons abordé dans la sous-section précédente. En 1998, le rapport du conseil de
surveillance mentionne l’assemblée plénière annuelle du conseil avec le comité central du
groupe et des auditeurs externes (Moret Ernst & Young). Cette assemblée qui peut être
rapprochée de l’assemblée générale des actionnaires mais consacrée aux seuls employés
est un mécanisme de consultation à l’appui duquel les représentants des salariés participent
au suivi du processus décisionnel par les propositions qu’ils peuvent émettre. Nous
reprenons dans le schéma suivant les organes participatifs de DSM à l’issue du processus
de privatisation entamé en 1967.
376 Rapport annuel 1995, p. 35.
297
Schéma 13 : Les organes participatifs à la prise de décision au sein de DSM à l’issue du processus de privatisation (mars 1999)
9 départements centraux logistiques
Personnel et organisation
Relations publiques
Sécurité, technologie
environnement
Finance Dévelop., planification
Affaires juridiques
DSM Research
Gist Limburg
Directoire
Conseil de surveillance 10 membres : qui exercent (ou ont) par ailleurs des mandats de présidence dans les organes d’autres entreprises, institut et universités, comité central de DSM, secrétaire général du ministère des Affaires économiques et président du Conseil national de l’énergie
PDsupCENTr
PDsupDECi-mo-r-s
PDsupCENTs
4 branches d’activités (16 Unités opérationnelles)
Produits de biotechnologie
Activité plastique
Chimie industrielle et polymères
Autres activités (participations, brevets…)
Investisseurs institutionnels (+ 5%)
Flottant 27% investisseurs privés 73% investisseurs institutionnels (dont 24% néerlandais, et 27% américains)
Commissions spéciales
DSM Priority Shares Foundation : Comité central du groupe
Marché financier
DSM Preference Shares Foundation
Comité délégué au conseil de surveillance
298
En définitive, les rapports mieux définis de la direction de DSM avec son actionnariat
unique public puis élargi, reposent sur des modes de gouvernance modifiés notamment en
1967, puis à l’occasion de l’ouverture à la communauté financière en 1989 et renforcés en
1996. Ces modifications convergent vers la proposition 2a de notre modèle, selon laquelle
la séparation fonctionnelle liée au processus de privatisation renforce le rôle attribué au
conseil d'administration ou au conseil de surveillance. Mais l’étude de cas permet aussi de
compléter l’analyse théorique par l’identification d’organes complémentaires comme les
comités spéciaux précités par exemple.
Au niveau inférieur, l’évolution du processus décisionnel au profit des échelons
intermédiaires s’est traduit tout d’abord par la mise en place dans les années 1980 d’une
partie variable de la rémunération qui « a eu probablement des vertus incitatives plus
grandes que la souscription de stock options (en 1989) par l’ensemble des salariés »377. Les
accords collectifs permettent de renforcer l’incitation à la performance via des schémas de
bonus, les entretiens de plan de carrière, l’octroi de prix internes à l’innovation378. Avec les
centres de résultats, des critères de performance de type valeur ajoutée, positionnement et
niveau de coûts par centre, forment les nouvelles bases du système de contrôle
hiérarchique de plus en plus orienté sur les performances commerciale et économique. La
mise en place d’un reporting financier renforcé depuis 1995 (réduction du nombre de
centres de profits) permet le suivi des décisions d’investissements, des standards
d’environnement et de sécurité sur la base d’indicateurs stratégiques, financiers et
opérationnels. Les orientations globales, tous les trois ans, font l’objet d’une surveillance
directe et d’une adaptation annuelle. Ce système de coordination confère aux dirigeants des
centres de profit un rôle important d’interface entre le directoire et les unités
opérationnelles. Cette évolution du contrôle hiérarchique en parallèle à celle du processus
décisionnel au niveau interne converge vers notre proposition 2b. Selon cette proposition,
la décentralisation des décisions opérationnelles modifie la nature du contrôle hiérarchique
qui devient plus incitatif parce que basé sur les performances comptables voire sur la
performance boursière.
Pour conclure sur la relation entre privatisation et gouvernance, le processus de
privatisation de DSM (sur 30 années) a eu plusieurs effets sur la gouvernance de
377 TDR code SGM référence entretien 3. 378 TDR code SGO référence rapport 1988.
299
l’entreprise. Les indices empiriques recueillis concernent le conseil de surveillance, son
rôle et la pression exercée par le marché financier ainsi que celle du secteur d’activité qui
est à l’origine du processus de privatisation. Ces résultats procurent à notre modélisation
des liens entre privatisation/processus décisionnel/gouvernance, plusieurs illustrations qui
vont dans le sens de notre proposition 2 (et ses déclinaisons au niveau du conseil de
surveillance et du contrôle hiérarchique) relative au système de gouvernance mixte induit
par la privatisation.
2.2.2.3. Une latitude managériale définitivement acquise
Notre modèle organisationnel de la privatisation suppose un lien positif entre la
structure de propriété plus ouverte à l’issue du processus de privatisation (combinée à une
gouvernance mixte) et la latitude managériale. D’après l’analyse des données recueillies
(notamment par entretiens), il apparaît clairement que l’autonomie de la direction dans la
poursuite du développement stratégique du groupe est définitivement acquise en 1967
lorsque la structure duale est adoptée. Dans notre tableau des codes centraux et des
données réduites, les modalités du processus décisionnel du contexte organisationnel
public font ressortir la faible marge d’action des dirigeants avant cette date, comme en
témoigne M. Van der Grinten : « Le comité de direction était très frustré par ce phénomène. Il avait peu de pouvoir, ne
pouvait prendre des décisions de plus d’un an hormis celles concernant des problèmes
techniques de long terme. »
« Le management de DSM s’est beaucoup battu pour pouvoir élargir son droit de décider seul,
notamment en ce qui concernait les investissements de long terme qui devaient par ailleurs,
rester secrets en raison du marché concurrentiel et international. Ce problème a été
complètement et réellement résolu en 1966.379 »
La gouvernance associée à cette marge de manœuvre correspond à l’époque à des
préoccupations de développement économique et social. Ces préoccupations nécessitaient
un processus décisionnel naturellement marqué par l’influence majeure des pouvoirs
publics sur le processus décisionnel et sur les mécanismes sur lesquels celui-ci reposait (cf.
schéma 12 de la sous-section précédente). A partir de la privatisation, le processus
décisionnel modifié par les conditions sectorielles conduit à une séparation fonctionnelle
qui bénéficie au dirigeant. Dès lors, les orientations stratégiques imposent une
réorganisation interne qui bénéficie aussi aux dirigeants intermédiaires. Le système de
379 Nos italiques correspondent aux réactions insistantes de notre interlocuteur que nous avons relevées au cours de l’entretien puis retranscrites dans notre journal de recherche, code PDsupCENTi et r.
300
gouvernance mixte que l’on vient d’analyser répond à cet impératif de liberté d’action
donnée au management pour répondre à un contexte concurrentiel dans lequel les
avantages compétitifs passent par une initiative importante des niveaux opérationnels. En
outre, l’ouverture au marché financier permet à DSM de s’internationaliser plus librement,
comme le reflète notre revue de presse, notamment entre 1995 et aujourd’hui380. Mais, en
contrepartie de cette latitude plus grande, certains choix sont fortement influencés par ce
mécanisme de marché. C’est ainsi qu’après quarante ans passés au sein de DSM, M. Van
der Grinten constate : « Je pense qu’une bonne position sur le marché boursier influence parfois notre gestion en
l’orientant plus sur des décisions de court terme. Les actionnaires étant les patrons, nous
devions nous plier à la loi du marché des capitaux. En tant que cadre dirigeant ayant une
perspective de plus long terme je trouve dommage que le marché boursier ait une vision si
courtermiste ; un choix d’acquisition est positivement sanctionné alors qu’un plan
d’investissement... ».
Pour conclure sur ce point, la latitude managériale est sensiblement plus grande depuis
1967 en convergence avec notre proposition 3. Encadrée par un système plus souple quant
à son autonomie de gestion, le dirigeant et ses collaborateurs sont davantage influencés,
plus indirectement par la communauté financière. La mise en place d’un noyau
institutionnel au sein de DSM à la suite de la dernière cession par l’Etat est susceptible de
renforcer à nouveau le système de gouvernance par un contrôle direct plus actif,
comparativement à la période 1989-1997 pendant laquelle, la liberté d’action paraît la plus
large compte tenu de la structure de capital plus diffuse.
2.2.3. Dynamique de la gouvernance et valeur appropriable par les partenaires
D’après le troisième volet de notre modèle, la modification du processus décisionnel et
de la dynamique de la gouvernance qui caractérisent le processus de privatisation devraient
modifier le niveau de valeur appropriable par les partenaires. En effet, les mécanismes qui
encadrent le processus décisionnel de création et de répartition de la valeur
organisationnelle sont considérés dans notre modèle, comme les moyens par lesquels les
partenaires peuvent protéger leurs intérêts dans la coopération. Une évolution du système
de gouvernance organisationnelle influe par conséquent sur la position des partenaires dans
la coopération. Qu’en est-il au sein de DSM ? Dans quelle mesure la gouvernance de DSM
380 TDR code PDsupDECr référence de La Tribune.
301
a-t-elle influencé les modes d’action par lesquels les actionnaires, les salariés et les
partenaires commerciaux peuvent s’approprier une part de la valeur partenariale ?
2.2.3.1. La dynamique organisationnelle au niveau des différentes catégories
d’actionnaires
Notre analyse précédente de la gouvernance actionnariale de DSM fait ressortir le rôle
nouveau joué par le marché financier, la pression qu’il exerce sur la politique de
l’entreprise et la présence d’actionnaires institutionnels de référence depuis 1996. Ces
mécanismes sont donc susceptibles d’inciter davantage l’équipe dirigeante à opérer des
choix sanctionnés favorablement par le marché, via l’évolution du cours de l’action et/ou
l’évolution du résultat distribuable (annexe 9a). Sur la période [1989-1998], l’analyse
graphique du cours du titre DSM fait apparaître une croissance de la plus value-potentielle
de plus de 40%. Entre 1994 et 1997, le cours du titre a dépassé l’indice AEX de la bourse
d’Amsterdam (rapport annuel, 1998). Cette analyse du titre témoigne de l’intérêt porté par
les investisseurs sur cette valeur et les choix managériaux. De même, l’évolution de la
structure actionnariale va dans ce sens. La part des actionnaires institutionnels, notamment
néerlandais, reflète cet intérêt actionnarial pour DSM. Enfin, le taux de distribution de
dividende limité à 20% sous l’actionnariat public oscille entre 20% et 40% depuis
l’ouverture du capital en 1989. Le résultat négatif enregistré en 1992 a conduit DSM à
ponctionner sur ses réserves pour assurer la distribution de dividende. Au regard de ces
éléments réalisés de la valeur actionnariale, et du contexte de gouvernance auquel ils
correspondent, notre proposition 4 trouve ici plusieurs éléments de corroboration. En
effet, elle suggère que le système de gouvernance mixte associé au processus de
privatisation accroît les incitations du dirigeant à augmenter la valeur appropriable par les
actionnaires, comparativement au système de gouvernance publique. Dans le contexte
public, les dirigeants ont aussi contribué à la valeur actionnariale publique (bénéfices
sociaux associés au développement du sud des Pays-Bas par exemple). Mais leurs efforts
pour s’en détacher reflètent les motivations différentes auxquelles d’ailleurs correspond la
gouvernance publique. A cet égard, selon M. Van der Grinten les tempéraments des deux
dirigeants concernés par le processus de privatisation dans les années 1970 reflètent les
incitations différentes alors que le passage de l’un à l’autre correspond aux modifications
de l’AO de DSM381. Ils sont significatifs du changement de perspective et de gouvernance
381 TDR code Lat-M référence entretien 1.
302
qui aujourd’hui semble correspondre le plus à ce contexte de création de valeur
actionnariale.
Concernant les salariés, les mécanismes de gouvernance susceptibles d’influencer la
valeur qu’ils peuvent s’approprier reposent essentiellement sur leur système de
rémunération et leur valorisation sur le marché du travail. Comme nous l’avons observé, le
contrôle hiérarchique a instauré un système de rétribution sur critère de performance. Ce
mode de coordination interne est construit sur des mesures de performance individuelle
prévue notamment en 1988 par un accord collectif prévoyant des schémas de bonus.
Complété par l’élaboration des plans de carrière et de formation, ce système de
rémunération en partie variable, incite à la mobilité interne. Ce mécanisme de coordination
et d’évaluation/rétribution renforce le système de promotion interne, comme le reflètent les
parcours des présidents successifs de DSM382. Par ailleurs le changement de structure
juridique après 1967 s’est accompagné d’une hausse généralisée des salaires telle que M.
Van der Grinten l’a décrite. Enfin, la mise en place d’un plan de stock options qui semble
avoir été plus appréciée par les cadres dirigeants et l’accroissement des compétences induit
par le contrôle hiérarchique383 vont dans le sens de nos propositions 6 et 7. Notre analyse
théorique des effets de la dynamique organisationnelle induite par la privatisation sur la
valeur appropriable par les salariés suggère en effet que le système de gouvernance mixte
est susceptible d’augmenter le niveau de valeur appropriable par les salariés actionnaires et
notamment ceux au capital humain spécifique, et en particulier le dirigeant.
Enfin, vis-à-vis des banques, notre modèle (proposition 5) considère que la politique de
financement, malgré les choix plus larges avec l’ouverture au marché financier, devrait se
traduire par des choix orientés vers l’endettement si parmi les éventuels actionnaires de
référence se trouve une banque. Un premier indice relatif à cette catégorie de partenaire est
relaté par M. Van der Grinten : « Le rôle actif du marché des capitaux se traduit par la possibilité d’émettre des actions
nouvelles ou d’utiliser le levier d’endettement par appel aux banques sur la base d’éléments
probants de bilan et non sur les garanties de l’Etat.»
« Les banques étaient très désireuses d’accompagner la privatisation de DSM et de l’avoir
comme client après. Leurs conditions étaient très compétitives, et pour la première fois des
banques étrangères pouvaient aussi offrir leurs services ».
382 TDR, codes VAS, référence entretiens 1 et 3 ; code SGR, références rapport annuel 1986, la Tribune 31/12/1998-04/01/1999 et code SGM, notamment références entretiens 1 et 3 et rapport annuel 1988. 383 TDR, codes SGM et VAS, références entretien 1 et 2.
303
Une analyse complémentaire du niveau d’endettement fait ressortir une hausse du ratio
dettes sur capitaux propres à l’issue de chaque cession du capital par l’Etat (annexe 9b).
Sans pouvoir établir un lien de causalité certain, nous pouvons toutefois considérer que la
présence de banques partenaires détentrices de plus de 5% du capital en 1997 converge
vers une telle relation théorique.
2.2.3.2. La dynamique organisationnelle au niveau des clients et des fournisseurs
Comme nous le relevions dans la première sous-section, le développement du secteur de
la chimie est à l’origine du processus de privatisation de l’entreprise dont l’activité
principale appartenait à un secteur en phase de déclin (extraction minière). La pression
exercée par ce mécanisme de marché est ainsi responsable de l’évolution de l’AO tant au
niveau de la décentralisation du processus décisionnel aux échelons locaux qu’au niveau
du système de coordination et de contrôle interne. Dans ce contexte, la gouvernance qui a
résulté du processus de privatisation contribue à la création de valeur destinée aux clients.
En effet, l’intensification de la concurrence a conduit DSM à des efforts d’organisation
interne toujours plus grands pour pouvoir répondre à sa clientèle. L’un de nos
interlocuteurs estime que « la principale variable du développement de DSM est le marché
des biens. L’objectif essentiel est d’améliorer la qualité de nos produits pour nos clients ».
Ci-après, la représentation graphique du chiffre d’affaires de DSM entre 1986 et 1998 nous
permet de contextualiser l’activité de DSM puisque la baisse du chiffre d’affaires entre
1989 et 1993 reflète la crise économique384 comme d’ailleurs nous l’avions également
prise en compte dans l’analyse d’Air France.
Graphique 3 :
Chiffre d'affaires de DSM entre 1986 et 1998 en millions de Florins)
0
2000
4000
6000
8000
10000
12000
14000
16000
1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998
CA net
384 taux de croissance des pays industrialisés de 1% en 1992, surcapacité du marché des polymères, baisse de la consommation des fertilisants en Europe dans le cadre de la politique européenne (Rapport 1992, p. 5).
304
Enfin, la stratégie choisie par DSM fondée sur une intégration avale « pour
accompagner ses clients »385 illustre notre proposition 8 selon laquelle la décentralisation
du processus décisionnel, notamment au niveau inférieur, combinée à un système de
gouvernance mixte accroît la valeur appropriable par les clients.
Concernant les fournisseurs, notre proposition 9 considère que la privatisation est
susceptible de réduire le niveau de valeur appropriable par les fournisseurs à moins que
ceux-ci ne soient actionnaires de référence. Dans le cas de DSM, la structure actionnariale
ne présente, parmi les actionnaires de référence, que des investisseurs institutionnels. En
conséquence, nous ne pouvons évaluer la plausibilité de notre proposition que dans sa
première partie. Dans cette perspective, l’effet spécifique du processus de privatisation de
DSM sur ses relations avec les fournisseurs est relaté par M. Van der Grinten et semble
converger vers notre proposition : « La privatisation a changé les relations de DSM avec ses fournisseurs. Les fournisseurs
historiques et locaux sont maintenant comparés aux autres fournisseurs, notamment
étrangers ».
Enfin, notons que l’évolution technologique des moyens d’information a modifié la
configuration du secteur puisqu’une plate-forme Internet a été mise en place par les acteurs
du secteur afin d’optimiser leur approvisionnement par regroupement des offres et des
demandes. Ainsi, d’après notre interlocuteur 50% des commandes sont passées sur ce
marché virtuel. La position concurrentielle de DSM qui résulte de sa privatisation lui
permet ainsi de faire partie des acteurs principaux du marché et de participer activement à
cette nouvelle donne.
Pour conclure, l’étude du processus de privatisation de DSM a permis de répliquer le
premier test de plausibilité de notre modèle après l’étude d’Air France. Globalement, cette
réplication renforce la plausibilité de notre modèle organisationnel de la privatisation.
Nous envisageons dans la section suivante les principaux apports et enjeux de ces deux
études.
385 TDR code VAC référence La Tribune du 21/02/95.
305
Section 3 : Portée explicative du modèle et apports des deux études de cas
Les deux sections précédentes nous ont permis d’étudier le processus de privatisation de
deux entreprises. Ces études de cas ont permis de réaliser et de répliquer un contrôle de
cohérence des liens théoriques avec les faits analysés. Ainsi, à l’appui des données que
nous avons traitées, cette investigation empirique offre plusieurs enseignements. Ils
concernent d’une part, les effets organisationnels de la privatisation sur le processus
décisionnel et sur la gouvernance de l’entreprise, d’autre part, les effets de cette dynamique
organisationnelle sur la valeur partenariale. Afin d’évaluer la portée explicative de notre
modèle et du cadre conceptuel sous-jacent, cette section est consacrée aux repérages des
faits saillants dans les deux cas et à la capacité de la TGP à expliquer les divergences
éventuelles. En réponse aux limites théoriques et empiriques observées dans la littérature,
nous avons modélisé la privatisation à partir d’une grille théorique plus intégratrice des
fondements théoriques traditionnellement exploités pour analyser le lien entre privatisation
et performance. A l’appui de la théorie de la gouvernance partenariale, nous avons proposé
un modèle organisationnel de la privatisation. Sous cet angle, le transfert de la propriété
publique à la propriété privée consiste en une modification complexe de l’AO tant au
niveau de la répartition des droits décisionnels que de la gouvernance de l’entreprise, à
tous les échelons (3.1). Cette évolution organisationnelle est alors susceptible de modifier
les rapports de coopération entre les partenaires et par conséquent l’efficience interne (3.2).
Enfin, cette adaptation organisationnelle relève théoriquement du processus de sélection
naturelle imposée par les conditions de marché. En ce sens, l’évolution de la dynamique
organisationnelle est supposée conduire dans une perspective de long terme, à une
efficience de second degré plus grande (3.3).
3.1. La privatisation : un processus organisationnel qui met en jeu les composantes
de l’architecture de l’entreprise
Notre modèle considère la privatisation comme un processus organisationnel qui
conduit à modifier le processus décisionnel et le système de gouvernance supposé
l’encadrer. Cette dynamique de l’AO est susceptible de modifier la coopération entre
partenaires et le niveau de valeur qu’ils peuvent s’approprier. Ce processus repose a priori
sur une évolution de ses caractéristiques organisationnelles publiques vers une architecture
de type privé. Les caractéristiques décisionnelles publiques reposent théoriquement sur la
centralisation et la séparation fonctionnelle supérieure limitée. Les caractéristiques de
306
gouvernance publique sont relatives à un système de coordination et de contrôle centralisé
doté d’un faible niveau d’incitations à la performance économique, et dont le rôle des
organes de contrôle est limité. A l’issue du processus de privatisation ces caractéristiques
sont supposées évoluer vers :
- un processus décisionnel décentralisé qui privilégie une co-localisation des droits
décisionnels et des informations spécifiques nécessaires à une prise de décision
optimale ;
- un système de coordination et de contrôle au niveau supérieur et aux échelons
intermédiaires et inférieurs en cohérence avec la séparation fonctionnelle, soit un
renforcement du rôle de contrôle des organes attachés à la direction (conseil
d'administration ou conseil de surveillance) et une modification du contrôle
hiérarchique plus incitatif.
Dans le cas d’Air France, comme dans le cas de DSM, nous avons observé une volonté
managériale de se dissocier des pouvoirs politiques de sorte que l’autonomie de gestion
soit assurée. Ainsi, dans le premier cas, le rôle joué par C. Blanc à la suite des premières
tentatives lancées par B. Attali, a contribué fortement à la séparation fonctionnelle au profit
de l’équipe managériale dès 1993 comme la proposition 1a de notre modèle le supposait.
Cette autonomie décisionnelle reste naturellement encadrée par les pouvoirs publics. Si les
relations plus informelles sont maintenues avec les tutelles, le conseil d'administration
devient progressivement l’organe central qui joue un rôle d’interface entre les choix
managériaux et les intérêts actionnariaux. Notamment à partir de l’introduction partielle en
bourse en 1999, le conseil renforce le rôle directement participatif des salariés et des
pilotes. Dans cette perspective notre proposition 2a considère le renforcement du rôle de
cet organe parallèlement à la séparation fonctionnelle au niveau supérieur. Le rôle du
conseil d'administration est complété par la mise en place de deux comités spéciaux d’audit
et de stratégie au sein desquels intervient un représentant des pilotes actionnaires (censeur
au conseil d’administration). Le recentrage du rôle de l’actionnaire public sur la fonction
de surveillance a permis à la direction de modifier l’AO à tous les échelons de l’entreprise,
en convergence avec notre proposition 1b. La restructuration en centres de profit résulte
d’une mise en cohérence des droits décisionnels et des centres informationnels pertinents
pour une prise de décision optimale. Cette modification d’architecture a d’abord concerné
le système de coordination, essentiellement par la mise en place d’une négociation
décentralisée et contractualisée avec les employés et leur représentants syndicaux,
307
neutralisant progressivement le rôle d’arbitre traditionnellement joué par la tutelle. Cette
reconception de la coordination s’est traduite par une adaptation du système d’évaluation
de la performance (système d’information, balises commerciales386, suivi client) et de
rémunération (introduction de critères indexés sur la performance commerciale puis
boursière, l’actionnariat salarié étant de 11%). Ainsi le contrôle hiérarchique repose sur des
indicateurs de performance plus incitatifs associés à une décentralisation fonctionnelle
interne, comme notre proposition 2b en proposait la modélisation. Le processus de
privatisation d’Air France illustre en définitive la décentralisation du processus décisionnel
(proposition 1) simultanément à la mise en place de nouveaux mécanismes d’encadrement
de cette nouvelle répartition des droits décisionnels. Ces nouveaux mécanismes de
gouvernance sont fondés sur des indicateurs de marché et sont encore marqués par un
contrôle fort au niveau supérieur partagé entre un actionnaire public majoritaire et des
salariés actionnaires très impliqués. Cette gouvernance intègre davantage le rôle des
mécanismes de marché et modifie la nature du contrôle de l’actionnaire dominant au profit
d’un actionnaire de référence salarié. Il en résulte donc un système de gouvernance mixte,
en convergence avec notre proposition 2. Selon cette proposition, le processus de
privatisation conduit à un processus décisionnel décentralisé auquel correspond une
gouvernance mixte.
Dans le cas de DSM, le processus de privatisation a également été déclenché par
l’équipe dirigeante auprès des pouvoirs de La Haye. Ceux-ci sont fortement impliqués dans
le rôle socio-économique joué par DSM dans la province du Limburg jusque dans les
années 1970, même si l’entreprise conserve par la suite, une activité annexe dans cette
zone du sud-est des Pays-Bas. 1967 est donc l’année cruciale pour DSM dans son
processus de privatisation avec notamment la création d’un conseil de surveillance au sein
duquel 2 représentants du ministère des Affaires économiques participent à la surveillance
et à l’approbation annuelle sans autre immixtion dans la gestion (propositions 2a). Dès
lors, la décentralisation interne entamée dans les années 1970 permet une dizaine d’années
après la séparation fonctionnelle au niveau supérieur (proposition 1a), de constituer un
centre de planification stratégique, véritable interface entre les centres opérationnels et la
386 115 « balises de qualité de service » mises en place depuis 1997, permettent de mesurer à tous les niveaux de l’entreprise et sur toute la chaîne de valeur, la qualité de service (réservation, agence de vente, cars, arrivée à l’aéroport, enregistrement, embarquement, salon, vol, débarquement, correspondance, fidélisation Fréquence Plus). Ces balises sont mises à jour à l’appui des suggestions recueillies par le système des « 110 clients mystères » (rapport 1998/1999, p. 32).
308
définition stratégique au sommet hiérarchique (proposition 1). Jusqu’au projet Concern
2000 finalisé à la fin des années 1990, l’architecture de DSM évolue continuellement afin
d’optimiser la co-localisation des droits décisionnels au niveau des centres informationnels
spécifiques. C’est ainsi que la création de centres de profits en relation directe avec le
directoire instaure un nouveau mode de contrôle hiérarchique (proposition 2b). Les
dirigeants intermédiaires sont responsables de leur unité opérationnelle via des contrats de
performance tri-annuels définis avec le management central. L’indexation de la
rémunération sur la performance individuelle et entre chaque centre est mise en place. La
phase finale de la privatisation entamée en 1989 puis terminée en 1996 par la cession totale
des actions de l’Etat, conduit à instaurer un rôle nouveau plus strict de la communauté
financière à l’égard de la politique managériale. Mais la constitution d’un groupe
d’investisseurs institutionnels de référence en 1996 par la cession hors marché des parts de
l’actionnaire public ré-instaure un contrôle plus stable de DSM (proposition 2). Par
ailleurs, le groupe chimique constitue en 1989 deux commissions spéciales (DSM Priority
Shares Foundation et DSM Preference Shares Foundation) afin de réduire les risques de
prise de contrôle hostile. Le rôle des représentants syndicaux, toujours parties prenantes
des décisions, se formalise avec la mise en place d’assemblées plénières annuelles avec
une délégation du conseil de surveillance pour une coopération constructive sur le
déroulement des projets mis en œuvre et la décentralisation des négociations collectives
aux niveaux opérationnels.
Pour conclure sur ce premier lien entre privatisation et AO, la privatisation de
l’entreprise apparaît comme un véritable processus de privatisation de son architecture. En
ce sens, elle dépasse la simple question des transferts de propriété d’actifs qui n’en
constituent qu’une des étapes finales. La gouvernance de l’entreprise publique semble
effectivement marquée par une centralisation forte du processus décisionnel et par
conséquent, par une centralisation correspondante des mécanismes de gouvernance
organisationnelle, tant au niveau interne qu’au niveau supérieur. La forme holding de
l’entreprise publique semble ainsi constituer une forme d’architecture en cours de
privatisation tout comme le passage d’une entreprise privée dans le giron de l’Etat en
constitue une forme en cours de nationalisation.
Nous résumons dans la représentation graphique suivante, les principaux résultats des
deux cas étudiés par rapport aux deux premiers niveaux d’analyse de notre modèle. Ainsi,
309
nous positionnons la trajectoire du processus décisionnel et de la gouvernance d’Air France
et de DSM au cours de leur processus de privatisation.
Schéma 14 : Les phases du processus de privatisation d’Air France et de DSM
Rappel : SGR : système orienté réseau ; SGM : système orienté marché ; PD-Cent : processus de décision centralisé ; PD-Dec : processus de décision décentralisé ; I et II correspondent aux phases I et II du processus de privatisation de chaque entreprise considérée.
3.2. Dynamique organisationnelle et efficience interne
D’après notre modèle la dynamique de l’AO devrait modifier la coopération entre
partenaires et le niveau de valeur qu’ils peuvent s’approprier. Dans ce contexte
organisationnel « privatisé », les mécanismes de participation des différents partenaires au
processus décisionnel ont évolué. La valeur que ceux-ci peuvent s’approprier est donc
susceptible de varier. L’analyse a ainsi porté sur la valeur actionnariale, salariale
notamment la valeur appropriable par le dirigeant, ainsi que celle appropriable par les
clients et les fournisseurs. Cette modification de l’équilibre coopératif est observable dans
les deux cas.
Ainsi, Air France illustre la capacité croissante des salariés et notamment des pilotes
(proposition 6) à influer sur la valeur actionnariale dont ils sont une des parties prenantes
via leurs représentants (représentant des salariés actionnaires, représentant des actionnaires
AF1990
DSM1970
AF1993-95 AF1999
PD-Dec PD-Cent
AF2000
SGM
SGR
DSM1967
DSM1989
DSM2000
I
II
I
II
310
pilotes par le censeur et 3 représentants des 3 catégories de salariés). En outre, l’autonomie
plus grande du dirigeant dans l’exercice de sa fonction de gestion sanctionnée positivement
par le marché semble accroître la valeur du capital managérial, en particulier sur le marché
politique français. Par exemple, C. Blanc a reçu en 1997 les lauriers du transport aérien et
la Légion d’honneur. En revanche, si les dirigeants sont actionnaires d’Air France à titre
individuels, ils ne bénéficient pas de plan d’options sur actions, contrairement aux pilotes.
Ce résultat peut paraître surprenant dans la mesure où leurs compétences en tant
qu’entrepreneurs organisationnels sont essentielles au cours du processus de privatisation.
Cette spécificité dans le cas français reflète le rôle particulier du marché des dirigeants.
Fortement marqué par les réseaux politiques, ce mécanisme d’évaluation des dirigeants
favorise plus l’appartenance au réseau dans la détermination de la valeur managériale que
les seules compétences. De plus, nommé par l’actionnaire public majoritaire, la durée du
mandat est susceptible de dépendre encore des échéances électorales. Enfin, le système de
plan d’options sur action relève davantage de l’esprit de l’actionnaire privé que de
l’actionnaire public. En ce sens, la privatisation d’Air France n’est pas encore achevée. Ce
constat permet d’apporter des illustrations à notre proposition 7 qui considère que le
système de gouvernance mixte induit par le processus de privatisation, accroît le niveau de
valeur appropriable par le dirigeant. Au cas particulier, comparativement au dirigeant de
l’entreprise publique « pure » le dirigeant peut s’approprier un surplus de valeur par les
actions qu’il peut souscrire et surtout par la valeur managériale qu’il peut retirer d’une telle
mission. Par ailleurs, ces incitations pour le dirigeant à accroître la création de valeur
actionnariale sont renforcées par l’influence jouée par le marché financier (proposition 4).
Ainsi, malgré les spécificités du secteur du transport aérien, l’action Air France est dans
son secteur, « la préférée des investisseurs » avec une croissance du cours de 40% sur les
deux années de cotation. Enfin, la présence d’une banque partenaire au sein de
l’actionnariat de référence est supposée par la proposition 5, accroître les incitations du
dirigeant à recourir davantage au financement par endettement que par appel au marché
financier. La spécificité du secteur pour lequel l’endettement est le mode de financement
principal devrait selon notre proposition 5, conduire à la présence d’une banque partenaire
au sein de l’actionnariat d’Air France. D’ailleurs, avant que la privatisation ne soit
engagée, l’Etat via la CDC et la BNP alors publique, a largement contribué au financement
d’Air France. Or, à notre connaissance, la structure actionnariale d’Air France après
l’ouverture du capital n’indique pas de partenaire bancaire particulier ou autre détenteur de
plus de 5% du capital ou des droits de vote. Le processus de privatisation n’étant pas
311
achevé, on est en mesure de penser qu’à terme un ou plusieurs partenaires bancaires
pourront intégrer le conseil d'administration. Concernant les partenaires commerciaux,
l’AO d’Air France issue du processus de privatisation a de toute évidence contribuer à
améliorer le service au client qui bénéficie pour l’instant des forces de marché pour influer
sur l’offre du transporteur (proposition 8). Les fournisseurs, quant à eux semblent avoir
essuyé les restructurations organisationnelles engagées depuis B. Attali, renforcées par C.
Blanc et poursuivies par J.C. Spinetta, conformément à notre proposition 9.
Dans le cas de DSM, la gouvernance mixte de l’entreprise à l’issue des trente années de
privatisation a visiblement orienté le comportement managérial vers la création de valeur
actionnariale (surperformance du titre entre 1994 et 1997 par rapport à l’indice) d’autant
plus qu’ils bénéficient de plan d’options sur actions fortement intéressant selon l’un de nos
interlocuteurs, ancien cadre dirigeant (propositions 4-7). De plus, notre proposition 5
relative à l’incitation à recourir plutôt à l’endettement qu’au marché financier en présence
de partenaires de référence, semble être corroborée compte tenu de la hausse du ratio
d’endettement sur les périodes d’ouverture du capital, notamment en 1997 suite à la
constitution d’un groupe d’actionnaires partenaires. Concernant les autres salariés, les
plans d’options sur actions ont eu moins d’effet que la rémunération variable indexée sur
les performances comptables à partir desquelles les promotions internes sont effectuées.
Ainsi, conformément à notre proposition 6, les salariés au capital humain spécifique
bénéficient davantage de la privatisation, notamment par la capacité qu’ils ont à valoriser
leur capital humain dans l’entreprise. Enfin, les clients de DSM semblent avoir bénéficié
des réorganisations internes qui privilégient l’initiative dans ce domaine à forte innovation.
Le renforcement de la réorientation stratégique de DSM vers ses clients illustre notre
proposition 8 qui trouve ainsi plusieurs éléments de confirmation des effets positifs de la
privatisation sur la valeur appropriable par les clients. De même, la négociation renforcée
avec les fournisseurs d’origine de DSM depuis le début du processus de privatisation
converge vers notre proposition 9 selon laquelle la contrainte d’efficacité associée au
système de gouvernance mixte engendre une réduction de valeur appropriable par cette
catégorie de partenaires.
Au regard de ces résultats sur les effets de la dynamique organisationnelle sur la valeur
partenariale, le processus de privatisation modifie effectivement les termes de la
coopération des différents partenaires. L’ensemble des partenaires est concerné par une
renégociation de leur contrat avec l’entreprise. A l’exception des fournisseurs et de certains
312
salariés (une minorité) concernés par la rupture de contrats, les autres partenaires semblent
bénéficier des réorganisations de l’AO des deux entreprises. En ce sens, le processus de
privatisation reflète le déséquilibre organisationnel duquel résulte au final un nouvel
équilibre. Celui-ci paraît associé à un niveau d’efficience de troisième degré plus élevé
comparativement au niveau d’efficience d’origine, dans les nouvelles conditions
environnementales. Dans le cas d’Air France comme dans celui de DSM, l’organisation
publique peut représenter un équilibre particulier susceptible d’être affecté par un
changement des conditions environnementales, comme nous l’abordons dans la sous-
section suivante.
3.3. Evolution organisationnelle, vers l’efficience externe
L’évolution organisationnelle déclenchée par le processus de privatisation répond dans
les deux cas étudiés, à une modification des contraintes environnementales. Dans le cas
d’Air France, la libéralisation croissante qui a succédé à la période de reconstruction des
économies après la Seconde Guerre mondiale a imposé une adaptation de l’AO pour
répondre aux concurrents et à une demande de plus en plus large. L’évolution trop lente de
l’organisation d’Air France entre 1970 et 1990 a conduit à une situation de quasi-faillite en
1993 et à sa recapitalisation à hauteur de 20 milliards de francs. Air France à ce moment là
caractérise un niveau de sous-efficience de deuxième degré (externe) évident alors que
d’un point de vue de la coopération elle-même, à l’exception des dirigeants entrant et
sortant, le niveau de satisfaction paraît acceptable (efficience de troisième degré dans la
teminologie proposée par Charreaux, 1999). Selon nous, Air France illustre
symboliquement la nature « schizophrénique » de l’entreprise publique avant son
processus de privatisation. De plus, l’implication croissante des instances européennes
dans l’organisation du transport aérien européen, au détriment des Etats, a contribué au
processus de privatisation. L’aval de la Commission Européenne pour la recapitalisation a
été ainsi conditionné par une réorganisation interne dans le respect des règles de
concurrence prévues par le Traité d’Amsterdam. Ainsi, la libéralisation totale du secteur
entamée dans les années 1970 aux Etats-Unis et le rôle croissant des institutions
européennes ont provoqué le déséquilibre organisationnel d’Air France au profit d’un
nouvel équilibre. Le processus engagé par Air France a permis d’augmenter, dans le
nouveau contexte environnemental, l’efficience interne (entre les partenaires de la
313
coopération) et externe de l’entreprise (comme forme organisationnelle parmi les choix
possibles dans le contexte environnemental donné).
Du coté de DSM, la maturité du secteur de l’extraction minière dans les années 1920-
1930 a provoqué une réorientation de l’activité principale de DSM au profit du gaz puis de
la chimie. Alors que ce secteur connaît à partir des années 1950 une concurrence mondiale
croissante, la direction de DSM sollicite de son actionnaire public une réorganisation
structurelle afin d’assurer le développement de l’entreprise. Ainsi, le déséquilibre
organisationnel entamé avec la restructuration préalable dans les années 1950-1960, à
contribué à un nouvel équilibre à partir de 1967 tant du point de vue interne que du point
de vue externe compte tenu des contraintes environnementales dans lesquelles évolue
DSM.
Ainsi, la contrainte environnementale constitue une source d’ajustement de l’équilibre
organisationnel. La gouvernance de l’entreprise qui dépend de la configuration
environnementale souligne la nécessité de distinguer une dimension supérieure du système
de gouvernance. En effet, la gouvernance institutionnelle que nous avons identifiée au
cours de notre investigation empirique est une variable à part entière du processus de
privatisation. Elle figure d’ailleurs comme un des codes centraux de notre tableau des
données réduites que nous avons pu affiné. Ainsi, plus particulièrement pour Air France,
les données recueillies faisant référence à des informations institutionnelles internationales
ont été codées SGI, les informations institutionnelles européennes, SGUE et nationale, SGN.
Cette distinction au cours de la démarche empirique, nous a permis de prendre en compte
les spécificités institutionnelles d’un secteur, au-delà de ses caractéristiques de marché
(SGM). Elles s’inscrivent dans l’analyse du fonctionnement de la firme comme une
composante de son système de gouvernance organisationnelle. Ainsi, dans le secteur
aérien, la législation spécifique à l’organisation des vols, les organisations internationales
et l’Etat, par son rôle diplomatique, entrent dans cette gouvernance institutionnelle qui
influe sur le fonctionnement de la firme, notamment au niveau du processus décisionnel.
Certaines décisions prises par les pouvoirs publics sont imposées à la compagnie, à l’appui
de règlements supranationaux. La gouvernance institutionnelle permet de contextualiser
certaines caractéristiques de la gouvernance organisationnelle qui finalement demeure en
cohérence avec les spécificités du processus décisionnel et du contexte environnemental.
Ainsi comme le souligne Autier et al. (2001, p. 103) :
314
« [la définition européenne de service public aérien] remédie à l’incompréhension entre
l’actionnaire et les dirigeants de la compagnie nationale opposés sur leurs conceptions des
missions d’Air France. En effet, pour le gouvernement, la compagnie doit assurer à moindre
coût le transport de fret et de passagers, démocratiser le transport aérien, véhiculer l’image de
la France dans des escales lointaines, apporter des devises, et acheter des avions français. Or la
doctrine du service public ne justifie en principe que les deux premières missions. »
On comprend ainsi, sous couvert de réglementation liée au service public, comment
l’Etat français a pu, à certains moments de l’histoire du développement de la compagnie,
intervenir dans le processus décisionnel au-delà de ses prérogatives officielles. En
particulier, la séparation fonctionnelle limitée a pu contribuer au développement d’Air
France. Via la jurisprudence ou grâce à sa position diplomatique, L’Etat a ainsi soutenu la
stratégie d’efficience et de rentabilité conduite par le dirigeant, dans l’attribution de droits
de trafic par exemple. Mais, cette séparation fonctionnelle limitée dans une organisation
aussi complexe qu’Air France, a également contribué à des décisions inopportunes lourdes
de conséquences comme la mise en concurrence intérieure entre trois compagnies
françaises alors que l’ouverture à la concurrence étrangère s’opérait.
Plus globalement, l’évolution de la structure organisationnelle reflète la progression de
l’architecture organisationnelle vers une décentralisation toujours plus cohérente entre les
informations spécifiques locales et plus globales. Cette adaptation reflète par ailleurs
l’existence d’une organisation devenue sous-efficiente, et son développement progressif
vers une architecture plus efficiente au second et troisième degré. Cette dernière laisse
prévoir un avenir potentiellement favorable à la position d’Air France et qui est confirmée
dans le cas de DSM dont le processus de privatisation est déjà plus ancien.
Conclusion du chapitre 6
Notre modèle, construit sur trois niveaux d’analyse, considère la privatisation comme
un processus organisationnel qui conduit à modifier le processus décisionnel (I) et le
système de gouvernance supposé l’encadrer (II). Cette dynamique de l’AO est susceptible
de modifier la coopération entre partenaires et le niveau de valeur qu’ils peuvent
s’approprier (III). L’analyse a ainsi porté sur la valeur actionnariale, salariale (notamment
la valeur appropriable par le dirigeant), ainsi que celle appropriable par les clients et les
fournisseurs.
315
L’objectif de ce chapitre a consisté à tester la cohérence des propositions du modèle des
liens entre privatisation, AO et efficience organisationnelle. La plausibilité de ce modèle a
ainsi été évaluée à partir de l’étude de cas d’Air France puis par une seconde mise à
l’épreuve dans le cas de DSM. En référence à la section 3, les résultats encourageants que
nous avons pu obtenir grâce à cette réplication théorique nécessiteraient cependant une
application à d’autres cas pour pouvoir statuer sur la généralisation statistique de notre
modèle. Les enseignements tirés de ces premiers résultats empiriques concernant le cadre
de la TPA soulignent l’importance de la prise en compte des variables de gouvernance
institutionnelle pour appréhender véritablement la dynamique de l’AO et plus
particulièrement la gouvernance organisationnelle.
316
Conclusion de la troisième partie
Notre réflexion théorique dans les deux premières parties, nous a conduit à la
construction d’un modèle à partir d’une grille de lecture susceptible d’intégrer les
différents angles de vue des travaux antérieurs sur la privatisation. D’après notre modèle,
ce phénomène d’envergure mondiale est susceptible d’influer sur le gouvernement de
l’entreprise et sur le niveau de valeur appropriable par différents partenaires. La
problématique de recherche est fondée sur des variables essentiellement qualitatives
relatives aux processus organisationnels. Une réflexion méthodologique sur la stratégie de
recherche empirique dans le chapitre 5, nous a conduit à privilégier une approche qui soit
la plus cohérente possible avec la problématique de recherche. Ainsi, après une brève
revue des différentes instrumentalisations possibles de l’approche qualitative sous-jacente
à notre modèle, nous avons opté pour l’étude de cas. Cette dernière est une stratégie de
recherche potentiellement riche pour la compréhension des réactions organisationnelles
complexes dans le cadre spécifique du processus de privatisation. La question que nous
posons à travers notre modèle vise à comprendre d’une part, comment la privatisation
modifie l’architecture de l’organisation d’autre part, ses implications en termes
d’efficience organisationnelle. Ainsi, souhaitant accéder à une connaissance plausible du
phénomène organisationnel que représente la privatisation ainsi qu’à une connaissance plus
générale de la dynamique organisationnelle, nous avons construit la confrontation de notre
modèle organisationnel de la privatisation à partir de deux études de cas. En ce sens, nous
privilégions un objectif de « généralisabilité analytique » qui concerne le cadre conceptuel
plutôt qu’un objectif de « généralisabilité statistique ». Dans cet esprit, nous avons donc
construit plusieurs instruments d’investigation qualitative (table d’affectation des codes
centraux et tableau des données réduites en particulier) afin de collecter les données et
d’analyser le plus rigoureusement possible, les caractéristiques organisationnelles de la
privatisation d’Air France et de DSM.
A l’issue de notre réflexion méthodologique qui expose notre design de recherche, le
chapitre 6 présente les résultats de chaque étude de cas. DSM comme Air France présente
des caractéristiques organisationnelles relatives au processus de privatisation en
convergence avec nos différentes propositions. Enfin, dans la dernière section, nous
apprécions plus globalement la plausibilité des hypothèses fondatrices de la théorie de la
gouvernance partenariale tant dans le contexte organisationnel public que privé ainsi que sa
portée explicative en matière d’efficience à différents niveaux.
317
Conclusion générale
318
La controverse théorique et empirique sur la question de la privatisation au regard de la
performance de l’entreprise, notamment dans les travaux les plus récents, est à l’origine de
cette recherche. Partant du constat d’ambiguïté qui ressort des travaux sur le lien entre
propriété, performance et privatisation, nous nous sommes interrogés sur la signification de
la privatisation et sur le comportement de l’entreprise dans un tel contexte de changement.
Alors que théoriquement, la privatisation est à l’origine de l’accroissement de
performance, comment expliquer qu’elle conduise dans les faits, à des résultats empiriques
contradictoires ou pour le moins non significatifs ? Aborder cette question en sciences de
gestion a donc consisté à poser la question des effets de la privatisation sur le processus
décisionnel de création et de répartition de la valeur organisationnelle. Afin d’expliquer
cette dynamique induite par le processus de privatisation, dans une première partie, nous
avons identifié les caractéristiques organisationnelles publiques et privées des variables de
performance présentées dans la littérature. Dans la mesure où ces différentes lectures, à
l’origine de la controverse, ne permettent pas d’apporter une réponse définitive, nous avons
proposé dans une deuxième partie, un renouvellement de l’analyse de la privatisation. Dans
une perspective dynamique du fonctionnement de l’entreprise, nous avons construit un
modèle organisationnel de la privatisation à partir du cadre conceptuel de la théorie de la
gouvernance partenariale. Fondée sur la théorie positive de l’agence, cette grille de lecture
est en effet susceptible d’intégrer simultanément les caractéristiques de la propriété et des
relations d’agence ainsi que leur évolution au niveau du processus décisionnel. Une
confrontation de nos propositions théoriques à deux cas de privatisation nous a permis dans
la troisième partie, d’appréhender la plausibilité de notre modélisation du processus
organisationnel sous-jacent au processus de privatisation.
En conclusion générale, nous rappelons les principaux résultats de ce travail dans sa
démarche théorique, méthodologique et empirique, avant d’apprécier la portée de cette
recherche et les perspectives d’enrichissement et d’ouverture qu’elle propose.
Au-delà du transfert de propriété d’actifs, la privatisation représente a priori un
processus d’évolution organisationnelle de la coopération partenariale
Dans une approche très générale, nous avons identifié les contours multidimensionnels
de la privatisation et les arguments théoriques et empiriques du débat traditionnel sur le
lien entre propriété, privatisation et performance (chapitre 1). Qu’il s’agisse de la vertu
319
incitative des forces de marché ou des caractéristiques exogènes d’efficience supérieure de
la propriété privée par rapport à la propriété publique, les observations montrent que
l’hypothèse d’accroissement de performance induit par la privatisation reste partiellement
corroborée. En reprenant les fondements de ces approches traditionnelles, nous avons
proposé une lecture des deux formes organisationnelles d’après les différents prismes
théoriques contractuels (fondements de la théorie des droits de propriété, sa version
actuelle des contrats incomplets, certains aspects de la théorie des coûts de transaction et
l’approche principal-agent - chapitre 2). A l’appui de cette synthèse, nous avons montré
l’insuffisance des arguments théoriques pris indépendamment les uns des autres, pour
comprendre les mécanismes par lesquels la privatisation peut conduire à une amélioration
de la performance de l’entreprise. Dans cette perspective, la théorie de l’architecture
organisationnelle semble proposer un cadre conceptuel pertinent pour l’analyse de la
dynamique organisationnelle (Chapitre 3). En effet, ce référentiel théorique intègre les
différents aspects de l’organisation et surtout leurs interactions. Plus particulièrement, un
de ses champs de recherche en cours de développement, la théorie de la gouvernance
partenariale concentre l’analyse sur les contraintes susceptibles d’être exercées par les
différents partenaires sur le processus décisionnel au centre duquel se trouve le dirigeant.
Elle permet ainsi d’appréhender les variables impliquées dans le changement
organisationnel pour l’ensemble des partenaires et par conséquent, les incidences sur
l’efficience interne et externe387. Lorsqu’on examine les implications de la privatisation sur
l’efficience de l’entreprise, la question de l’évolution de l’architecture organisationnelle
doit donc être soulevée.
Dans cet esprit, une relecture de la privatisation fondée sur la théorie de la gouvernance
partenariale produit un certain nombre de liens intermédiaires entre ce phénomène et ses
effets sur la performance (chapitre 4). L’analyse des composantes du processus décisionnel
sur lequel repose cette dernière permet d’appréhender les effets de la privatisation sur la
répartition des droits décisionnels et sur le système de coordination et de contrôle. Dès lors,
387 En référence à la terminologie proposée par Charreaux (1999, p. 110), l’efficience externe (ou de deuxième degré) s’entend par rapport au critère de remédiabilité. En ce sens, les formes organisationnelles efficientes sont celles « qui sont censées s’imposer, car elles conduisent à une performance supérieure » ou autrement dit, qui présentent une « capacité à mieux réduire les coûts d’agence » parmi l’ensemble des choix possibles. L’efficience interne (ou de troisième degré) vise, quant à elle, l’équilibre organisationnel que représente la firme pour les parties prenantes à la coopération. Elle permet d’expliquer l’existence de multiples formes efficientes (au troisième degré) à un instant donné, parmi lesquelles sur le long terme, certaines disparaîtront, d’autres s’adapteront pour tendre vers l’efficience externe. « Ainsi, le nouvel équilibre qui s’établit suppose l’efficience de troisième degré ».
320
la privatisation doit être envisagée comme un processus organisationnel et non plus comme
un seul transfert de propriété d’actifs. L’examen des relations entre la répartition des droits
décisionnels et les mécanismes de gouvernance qui encadrent le processus décisionnel
permet de comprendre comment le dirigeant peut être contraint différemment, au cours du
processus de privatisation dans l’accomplissement de sa fonction de gestion. De plus, cette
exploration des processus engagés lors de la privatisation permet d’envisager les moyens
issus de la privatisation par lesquels les différents partenaires sont susceptibles d’influencer
le processus décisionnel et par conséquent la valeur qu’il peuvent s’approprier. En ce sens,
la théorie de la gouvernance partenariale permet une approche de la dynamique
organisationnelle à partir d’une démarche statique comparative en identifiant les
mécanismes par lesquels la privatisation conduit d’un état organisationnel à un autre.
Même si les liens qu’elle permet d’établir n’explicitent pas le caractère progressif de
l’évolution organisationnelle, cette théorie se concentre, à un instant donné, sur l’étude du
système de gouvernance du processus décisionnel. Sous cet angle, elle permet de comparer
le système de gouvernance publique et le système de gouvernance privée dans leur forme
la plus forte. Nous redéfinissons alors la privatisation comme une réallocation des étapes
du processus décisionnel au profit d’agents privés. Cette réallocation des droits
décisionnels au sein de l’organisation est encadrée par certaines contraintes
environnementales, notamment institutionnelles qui, pour certaines, sont à l’origine du
processus. Cette dynamique du processus décisionnel se traduit par une évolution du
système de gouvernance.
Ce travail nous permet de conclure que la privatisation dépasse la « simple »
modification de la propriété publique au profit de la propriété privée, source d’une
réduction idéalisée des coûts organisationnels. L’application des fondements de la théorie
de la gouvernance partenariale démontre que la privatisation est un enchaînement de
processus internes en interaction avec l’environnement de l’organisation. Les mécanismes
qui encadrent le processus décisionnel et qui forment l’architecture organisationnelle
évoluent lors de la privatisation de telle sorte qu’ils modifient l’architecture du processus
de création et de répartition de la valeur organisationnelle. Ainsi, la privatisation en
modifiant la configuration de la coopération influe sur le niveau de valeur appropriable par
les partenaires.
321
La stratégie de recherche empirique doit privilégier l’adéquation du terrain et de la
problématique : le choix méthodologique de l’étude de cas pour l’analyse des processus
organisationnels
Dans la poursuite du processus de notre recherche, nous nous sommes interrogés sur la
stratégie d’investigation empirique susceptible d’évaluer de manière pertinente la
vraisemblance de notre modèle (chapitre 5). Cette interrogation émane du constat sur
l’évolution méthodologique des travaux sur la privatisation. En effet, le test de l’hypothèse
d’efficience plus grande de la propriété privée a fait principalement l’objet d’études
statistiques portant sur la comparaison de performance des entreprises publiques et privées
(Boardman et Vining, 1989), puis sur la comparaison de performance avant et après la
privatisation (Megginson et al., 1994). Ce n’est que très récemment que l’observation de
quelques cas ponctuels d’entreprises privatisées a été réalisée (Parker, 1994). De plus, les
études visant une représentativité statistique ont constaté la nécessité de prendre en compte
d’autres variables que la seule performance (souvent actionnariale et portée sur le niveau
d’emploi). Ainsi en privilégiant les dimensions environnementales de l’entreprise
(variables sectorielles, cycles économiques, taille), quelques études s’orientent sur une
vision plus dynamique du changement organisationnel (Villalonga, 2000 ; Alexandre et
Charreaux, 2001).
A partir de cette synthèse empirique et de la question de recherche que nous posons au
départ, nous avons d’abord défini le type de connaissance à laquelle nous souhaitions
parvenir. Dans cet esprit, le modèle organisationnel de la privatisation que nous souhaitons
tester vise l’explication des mécanismes organisationnels sous-jacents au processus de
privatisation. Ces mécanismes devraient modifier la coopération et son efficience au
niveau des partenaires (troisième degré) et plus largement, au niveau des autres acteurs
(deuxième degré), comparativement aux concurrents. Notre modèle cherche ainsi à
répondre à la question : comment le privatisation modifie-t-elle l’équilibre organisationnel
interne et externe ? Notre stratégie de recherche doit nous permettre d’apprécier la
plausibilité de nos propositions centrées principalement sur des informations qualitatives
(répartition des droits décisionnels, caractéristiques du système de coordination et
d’évaluation, gouvernance organisationnelle et valeur appropriable).
Dans cette perspective, le positionnement de notre cadre conceptuel fondé sur la théorie
de la gouvernance partenariale a guidé notre démarche d’investigation empirique. Visant la
322
compréhension de la dynamique organisationnelle, nous avons par conséquent privilégié
une approche qualitative des faits en choisissant l’étude de cas. Comme toute approche
empirique, elle est exposée au risque d’erreur méthodologique et, en particulier, au biais
d’interprétation des données. Nous avons donc procédé à la sélection rigoureuse d’un cas.
Celui-ci doit dans la mesure du possible répondre aux critères de représentativité théorique
autrement dit, le cas doit refléter une accentuation des liens testés. Dans cette optique, nous
avons orienté notre investigation sur la privatisation partielle d’Air France, suffisamment
récente (ouverture du capital en février 1999). De plus, elle illustre le cas d’une entreprise
soumise à la question de sa survie (en 1993) avec une recapitalisation d’envergure (20
milliards de francs, la deuxième après celle du Crédit Lyonnais). En outre, notre parcours
de recherche nous a permis de poursuivre le processus scientifique propre à notre modèle,
par une réplication théorique à un second cas. Nous avons réitéré la mise à l’épreuve du
modèle à partir de l’examen des mécanismes organisationnels induits par la privatisation
de DSM, entreprise de l’Etat néerlandais jusqu’à la cession totale du capital en 1996.
Initialement destinée à l’extraction minière et à l’extraction de gaz, en raison de la maturité
sectorielle dans les années 1950, cette entreprise est devenue l’un des leaders mondiaux de
la chimie fine et de la biotechnologie.
Dans une perspective de rigueur scientifique, nous avons défini notre stratégie de
recherche empirique. Nous avons ainsi exposé le processus de construction des outils
méthodologiques nécessaires à la collecte de données qualitatives. Le tableau des codes
centraux et des données réduites (volume 2) résulte de l’exposé de notre design de
recherche. Il permet ainsi au lecteur de suivre, en toute indépendance, notre démarche
empirique, de la collecte au traitement des données. Cette chaîne de preuves nous a aussi
permis de répliquer en toute rigueur la même méthodologie au cas particulier de la
privatisation de DSM. Dans ce cadre méthodologique, cette deuxième étude doit permettre
de renouveler le test de plausibilité de notre modèle, et d’enrichir ainsi la cohérence de nos
propositions. De plus, cette réplication théorique nous permet de statuer sur la pertinence
du cadre de la théorie de la gouvernance partenariale par rapport à la question de la
dynamique organisationnelle.
323
Le processus de privatisation de l’architecture d’Air France et de DSM : la dynamique
du processus décisionnel et de la gouvernance partenariale et l’efficience
organisationnelle
L’étude des deux cas de privatisation présente une convergence de nos propositions
avec chaque processus organisationnel analysé. Elle confère à notre modèle un degré de
plausibilité acceptable et renforce ainsi les principes du cadre conceptuel de la théorie de la
gouvernance partenariale. Celle-ci voit aussi sa plausibilité renforcée (chapitre 6).
L’étude du processus de privatisation d’Air France illustre en effet la modification
complexe de l’architecture organisationnelle. Au bord de la faillite en 1993, la
recapitalisation par l’actionnaire public, sous surveillance de la Commission européenne,
constitue pour le transporteur aérien un nouveau départ et le commencement de son
processus de privatisation. L’arrivée de C. Blanc se traduit par une exigence forte de celui-
ci à agir librement pour restructurer intégralement Air France et l’élever parmi les premiers
mondiaux en trois ans. La première rupture de la centralisation forte du processus
décisionnel avec l’Etat est entamée. Le dirigeant la renforcera en neutralisant partiellement
et ponctuellement le rôle des syndicats par une négociation directe avec les salariés, via un
référendum. Son plébiscite permettra par la suite de décentraliser les négociations
syndicales à tous les niveaux de l’organisation. La contractualisation des relations d’Air
France avec son personnel constitue une illustration symbolique de la décentralisation du
processus décisionnel au niveau supérieur puisqu’elle neutralise le rôle d’arbitre joué
traditionnellement par l’Etat en cas de conflits. Elle illustre aussi le processus progressif de
décentralisation à tous les échelons puisqu’à partir de ce plébiscite, le plan « reconstruire
Air France » sera mis en œuvre. La réduction des niveaux hiérarchiques entamée par B.
Attali est accentuée par C. Blanc. La création de centres de résultats permet au groupe Air
France (issu entre temps de la fusion avec UTA en 1992, puis avec Air Inter en 1997) de
mettre en place une organisation matricielle sur cette nouvelle base plus flexible. Le
système de coordination interne repose sur un système de contrôle et d’évaluation de la
performance de plus en plus orienté sur des critères commerciaux puis financiers. Ainsi
l’ouverture partielle du capital (24%) en 1999 complète ce système d’évaluation avec des
indicateurs boursiers et financiers internes, quotidiennement affichés.
324
Au niveau supérieur, la séparation fonctionnelle clairement entamée en 1993 à l’arrivée
de C. Blanc s’accompagne d’un rôle renforcé du contrôle par le conseil d’administration,
qui progressivement est devenu l’interface avec l’actionnaire public. Son rôle s’accentue
avec une recomposition de ses membres à l’issue de l’ouverture du capital. Avec un
flottant de 33% du capital, un actionnaire public majoritaire et un actionnariat salarié de
11% (première entreprise française), le conseil d’administration intègre un nouvel
administrateur, le censeur représentant les salariés actionnaires pilotes (en plus du
représentant de l’ensemble des salariés actionnaires et des 6 représentants du personnel).
Les personnes qualifiées toujours nommées par décret peuvent toutefois être choisies au-
delà de leur seul statut de représentant des usagers, pour leur compétence économique
notamment. Un projet de loi vise par ailleurs une représentation à venir d’actionnaires
privés autres que l’Etat et les salariés. Il constitue une étape importante du processus de
privatisation d’Air France.
Issue de ces modifications organisationnelles, la coopération entre partenaires d’Air
France semble avoir profité aux salariés actionnaires, notamment les pilotes tant au niveau
de leur influence sur le processus décisionnel qu’au niveau de leur rémunération (plan
d’options sur actions qui leur est exclusivement destiné). Parallèlement, la hausse de 40%
du cours d’Air France témoigne de la hausse du niveau de valeur appropriable par les
actionnaires. En outre, les clients semblent bénéficier également de ces changements
imposés à l’origine par un marché toujours plus concurrentiel. Ainsi la qualité et la
compétitivité du service d’Air France lui assure une place de deuxième mondial sur le
transport de passagers. De plus, la contractualisation des relations sociales visant à
stabiliser les rapports avec le personnel est aussi susceptible d’assurer aux clients d’Air
France une garantie plus grande de service. Si la pression concurrentielle bénéficie à cette
catégorie de partenaires, en revanche, les fournisseurs semblent en avoir été jusqu’à
maintenant les victimes compte tenu des efforts considérables sur les coûts
d’approvisionnement. Toutefois le rétablissement de la compagnie profite maintenant à
certains d’entre eux, notamment les constructeurs. Enfin, parmi les dirigeants d’Air France
a avoir vu leur valeur managériale probablement augmenter, C. Blanc figure en bonne
place, tant sur le marché international que sur le marché français des dirigeants.
L’étude de DSM présente également une illustration originale du processus de
privatisation de l’architecture du groupe chimique. En 1967, le changement de structure
325
juridique pour une société anonyme avec conseil de surveillance et directoire, met fin à une
structure très centralisée du processus décisionnel au niveau supérieur depuis 1902. Jusque
là les décisions prises à la Seconde Chambre du gouvernement à La Haye donnaient à
DSM toutes les caractéristiques de l’entreprise publique. C’est ainsi que la privatisation de
l’entreprise entamée en 1967 se finalise une trentaine d’années après par la cession totale
de la part de l’Etat en 1996. Durant ces trente années, la décentralisation interne s’est
progressivement mise en place, d’abord avec la création d’un centre de planification
stratégique initialement localisé à La Haye. Puis, la pression concurrentielle croissante du
secteur a conduit à la mise en place de centres de profit en même temps que DSM engage
une diversification d’envergure au début des années 1980. Le système d’évaluation de la
performance donne dès lors une place centrale aux dirigeants d’unités opérationnelles en
relation directe avec le directoire. Celui-ci est contrôlé depuis 1967 par un conseil de
surveillance où les pouvoirs publics ne sont représentés que par deux membres sur douze.
Cette séparation fonctionnelle définitivement acquise verra l’apparition en 1997 d’un
groupe d’actionnaires de référence, investisseurs institutionnels dont certains seront
membres du conseil.
Cette décentralisation de l’architecture organisationnelle fondée sur une optimisation de
la prise de décision dans un secteur à forte innovation, semble avoir profité aux
actionnaires vu la croissance du cours du titre de plus de 40% depuis 1989. Les salariés
bénéficiaires d’options sur actions semblent avoir davantage profité de l’accroissement de
compétence induit par la décentralisation et un contrôle hiérarchique orienté sur la
performance individuelle et la promotion interne. Cette restructuration a également permis
au client de bénéficier de produits offerts par une entreprise devenue mondiale.
A l’issue de ces deux études, la privatisation semble effectivement représenter un
processus organisationnel d’adaptation des rapports entre différents partenaires au niveau
interne ainsi qu’au niveau externe. En effet, Air France et DSM ont acquis une position
favorable vis-à-vis de la concurrence. En ce sens la privatisation reflète le déséquilibre
organisationnel qui est à sa source et le nouvel équilibre organisationnel auquel elle
aboutit. Ainsi si pour DSM, le processus de privatisation semble effectivement achevé, il
semble qu’Air France doive poursuivre son adaptation afin de tendre vers un nouvel
équilibre organisationnel susceptible au niveau interne, de stabiliser sur le long terme les
relations sociales et de renforcer la séparation fonctionnelle avec l’Etat et, au niveau
326
externe, de renforcer sa position stratégique. En définitive, les résultats de ces deux études
du processus de privatisation et leur convergence avec les liens théoriques de notre modèle
offrent une explication des mécanismes organisationnels sous-jacents à la privatisation.
Quelles perspectives ?
La plausibilité de notre modèle organisationnel de la privatisation issue de ce travail
permet de conclure à l’intérêt de la théorie de la gouvernance partenariale pour comprendre
la dynamique organisationnelle, ses efforts d’adaptation dans un contexte environnemental
de plus en plus tourné vers la mondialisation des échanges mais aussi des règles
institutionnelles.
A partir du phénomène de privatisation, l’analyse du système de gouvernance publique
et du système de gouvernance privée permet de comprendre comment l’entreprise publique
peut constituer dans certains cas particuliers, un système organisationnel efficient pour ses
partenaires. La comparaison des deux types de gouvernance fait ainsi apparaître l’existence
d’équilibres multiples de troisième degré. Elle permet aussi de comprendre comment la
privatisation peut conduire à un système organisationnel de type privé efficient au
troisième degré et comment ce système peut tendre vers l’efficience de deuxième degré en
raison de l’évolution des règles du jeu, notamment en cas de dérégulation sectorielle.
L’évolution des mécanismes de gouvernance au niveau institutionnel national et
international conduit à un processus sélectif des formes organisationnelles ouvertes et
permet de contextualiser les vagues de privatisation depuis le début des années 1980.
Par rapport au débat controversé des effets positifs de la privatisation sur la performance
de l’entreprise, la réponse apportée par le cadre de la théorie de la gouvernance
partenariale est claire. La privatisation constitue un processus d’adaptation
organisationnelle en supposant a priori un « encastrement » institutionnel de certains
mécanismes de gouvernance. Cette conclusion répond ainsi à l’observation de l’impact
positif relatif de la privatisation sur la performance de certaines entreprises et sur certaines
zones géographiques. En effet, le processus d’adaptation organisationnel induit par un
changement de contexte environnemental dépend, au moins en partie, de l’environnement
institutionnel national. On peut considérer alors que l’ouverture aux capitaux étrangers et
la réglementation sur la propriété privée en cours d’institutionnalisation dans les pays
327
émergents, accentuent l’image de la privatisation comme un processus organisationnel
conduisant à un équilibre intermédiaire avant le passage à une efficience de deuxième
degré. La période d’analyse est donc déterminante pour pouvoir conclure sur les effets de
la privatisation sur l’efficience interne et externe. Dans une démarche inversée, la
nationalisation peut également être lue comme un processus d’équilibre organisationnel
conduisant à un équilibre intermédiaire avant le passage à une efficience de deuxième
degré dans le contexte environnemental donné.
Par ailleurs, notre modèle est fondé sur le cadre conceptuel général de la théorie positive
de l’agence. Or celle-ci repose sur l’hypothèse de rationalité limitée qu’elle a enrichie
d’une composante adaptative et créative. Notre question de recherche fondée sur le
processus organisationnel de la privatisation laisse par conséquent ouverte l’analyse des
mécanismes sous-jacents d’apprentissage des acteurs au sein de l’organisation. Dans notre
modèle, ses mécanismes sont en « tâche de fond » de l’évolution du système de
gouvernance sans pour autant être explicités. Ainsi, un enrichissement possible consisterait
en une analyse des mécanismes d’apprentissage au cours du processus de privatisation. Ces
mécanismes pourraient d’ailleurs en expliquer l’étalement dans le temps.
En définitive, comme le suggère notre modèle, les institutions dans le système de
gouvernance organisationnelle jouent un rôle important dans le déroulement du processus
de privatisation. En ce sens, les institutions nationales ou internationales sont à l’origine de
la dynamique de la gouvernance de l’entreprise. Le statut exogène de cette variable
environnementale est susceptible d’ouvrir l’analyse du système de gouvernance privatisée
envisagée dans notre modèle à l’ensemble des entreprises concernées par ces mêmes règles
institutionnelles. Une ouverture de recherche est celle d’une gouvernance européenne
susceptible de tendre vers un système de gouvernance mixte identifié dans notre grille de
lecture, notamment pour toutes les entreprises privatisées de taille comparable. Une telle
convergence vers un modèle de gouvernance mixte permettrait alors d’endogénéiser les
règles institutionnelles dans l’analyse des systèmes de gouvernance et de donner une portée
plus générale à notre modèle explicatif. Par conséquent, dans la perspective de ces
ouvertures, nous sommes confiants quant à l’explication qu’apporte, dans le cadre des
sciences de gestion, la théorie de la gouvernance partenariale, par rapport à la question si
controversée de la privatisation.
328
Notre approche de la privatisation a ainsi permis de dégager plusieurs voies de
recherche future, qu’il s’agisse aussi bien de la question de l’évolution de l’organisation
des services publics et des règles du jeu qui les gouvernent aujourd’hui, que de l’évolution
de ces dernières dans la coopération entre le domaine public et privé et dans le devenir de
l’environnement institutionnel dans lequel évolue l’ensemble des organisations. Cette
recherche souligne la direction dans laquelle se tourne et se construit selon nous, ce
probable et néanmoins nécessaire modèle européen de gouvernance dans le mouvement de
globalisation qui se renforce aujourd’hui.
329
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- Rapport Nora (1967)
- Rapport La Genière (1977)
- Rapport Peters (1997)
- Rapport Viénot (1995) et (1999)
343
Liste des tableaux, schémas et graphiques Tableau 1 : Privatisation : un concept multiforme…………………………… p. 33
Tableau 2 : Typologie des privatisations adaptée de Clarkson, 1989………….. p. 35
Tableau 3 : Les formes de privatisation et l’influence des pouvoirs publics, le
cas américain, adapté de Clarkson, 1989………………………………………... p. 36
Tableau 4 : Revue de littérature sur les études longitudinales de la
privatisation, l’évolution méthodologique……………………………………... p. 77
Tableau 5 : Caractéristiques comparées de la propriété publique et privée : une
interprétation au regard de la TCI………………………………………………. p. 100
Tableau 6 : Synopse des caractéristiques organisationnelles publiques et
privées, à partir de différents prismes théoriques contractuels………………….. p. 121
Tableau 7 : Nature de la gouvernance et typologie des mécanismes de GE,
adapté de Charreaux (1997, p. 427)……………………………………………... p. 156
Tableau 8 : Caractéristiques du processus décisionnel public et du processus
décisionnel privé comparable…………………………………………………… p. 174
Tableau 9 : Les caractéristiques générales du système de gouvernance de
l’entreprise privatisée dans la forme la plus forte de privatisation, l’OPV…… p. 180
Tableau 10 : Lexique des codes d’analyse de contenu et de réduction des
données : notre table d’affectation……………………………………………… p. 240
Tableau 11 : Mise en relations des codes d’après notre cadre conceptuel : une
représentation simplifiée de nos propositions…………………………………... p. 241
Tableau 12 : Structure de notre tableau des codes centraux et données réduites
sur le processus de privatisation………………………………………………… p. 242
Schéma 1 : Privatisation et performance : l’évolution de la problématique des
travaux sur le test de la propriété………………………………………………... p. 78
Schéma 2 : La problématique de la privatisation dans la littérature et ouverture p. 80
Schéma 3 : Degré d’extension du droit de décision résiduel public (DDRP) à
partir de la typologie des entreprises publiques proposées par Glachant (1994) p. 99
Schéma 4 : La théorie de la gouvernance, un champ spécifique de la TPA
comme théorie de l’architecture organisationnelle (AO)……………………….. p. 157
344
Schéma 5 : Privatisation et processus décisionnel, une lecture de la dynamique
organisationnelle à travers la théorie de la gouvernance partenariale…………... p. 161
Schéma 6 : Architecture de la fonction de gestion des décisions au sein de la
hiérarchie publique, adapté de Glachant (1994)………………………………… p. 173
Schéma 7 : Stade exploratoire (I) et stade confirmatoire (II) du processus
scientifique et positionnement de la TPA et TPG………………………………. p. 218
Schéma 8 : Le processus du test de plausibilité d’une théorie émergente dans le
processus scientifique…………………………………………………………… p. 224
Schéma 9 : Notre stratégie d’investigation empirique au cours du processus de
test de plausibilité (dans sa phase préparatoire)………………………………… p. 243
Schéma 10 : Les organes participatifs à la prise de décision au sein d’Air
France avant le processus de privatisation……………………………………… p. 256
Schéma 11 : Les organes participatifs à la prise de décision au sein d’Air
France à l’issue de la phase II du processus de privatisation…………………… p. 278
Schéma 12 : Les organes participatifs à la prise de décision au sein de DSM
avant le processus de privatisation……………………………………………… p. 288
Schéma 13 : Les organes participatifs à la prise de décision au sein de DSM à
l’issue de la phase II du processus de privatisation……………………………... p. 297
Schéma 14 : Les phases du processus de privatisation d’Air France et de DSM p. 309
Graphique 1 : Evolution de la structure du capital de DSM NV depuis la
première cotation en 1989………………………………………………………. p. 293
Graphique 2 : Evolution du groupe d’actionnaire de référence en 1996-1997… p. 294
Graphique 3 : Chiffre d’affaires de DSM de 1986 à 1998…………………… p. 303
345
Table des matières
Introduction ---------------------------------------------------------------------------------------------------------9 Première partie : La privatisation : théories et faits ---------------------------------------------------------------- 24
Chapitre 1 : Le débat traditionnel sur le lien entre propriété et performance --------------------------- 28 Section 1 : Le concept de privatisation : un phénomène organisationnel à plusieurs facettes -------------29
1.1. La privatisation : différentes perspectives------------------------------------------------------------------30 1.2. La privatisation de l’entreprise : quelle interprétation de la firme ? -----------------------------------33 1.3. D’un concept multiforme à une définition générique de la privatisation------------------------------37
1.3.1. Une lecture par les objectifs et le transfert de propriété --------------------------------------------38 1.3.2. Le lien entre degré de privatisation et degré de contrôle -------------------------------------------40 1.3.3. La diversité des modalités de changement de propriété : vers un continuum-------------------43
Section 2 : Un lien positif entre privatisation et performance : la propriété comme variable intermédiaire--------------------------------------------------------------------------------------------------------------46
2.1. Propriété publique et privatisation---------------------------------------------------------------------------47 2.2. Propriété publique et nature des objectifs ------------------------------------------------------------------55
Section 3 : Illustrations empiriques : des conclusions hétérogènes---------------------------------------------58 3.1. Performances comparées des organisations publiques et privées --------------------------------------59
3.1.1. Comparaison de performance dans les deux types organisationnels : diversité et non significativité des tests de la propriété-------------------------------------------------------------------------59 3.1.2. L’accréditation de la thèse de la propriété ------------------------------------------------------------62
3.2. Privatisation et performance : évolution méthodologique, un retour sur le questionnement théorique---------------------------------------------------------------------------------------------------------------66
3.2.1. Privatisation et performance : l’approche statique---------------------------------------------------67 3.2.2. L’approche dynamique du lien entre privatisation et performance -------------------------------74
Section 4 : Forces de marché et comportement managérial : une remise en cause de la propriété comme facteur discriminant -------------------------------------------------------------------------------------77
4.1. Structure du marché et mécanisme incitatif à la performance ------------------------------------------78 4.2. Privatisation, structure de marché et performance --------------------------------------------------------79
Section 5 : Synthèse et extension : une remise en question de l’interprétation théorique ------------------81 Conclusion du chapitre 1 ----------------------------------------------------------------------------------------------80
Chapitre 2 : Analyse comparative des formes organisationnelles publiques et privées : contributions des approches contractuelles ----------------------------------------------------------------------- 83
Section 1 : Contribution de la théorie des contrats incomplets--------------------------------------------------86 1.1. Hypothèses fondatrices et modèle des contrats incomplets ---------------------------------------------87 1.2. Structure de propriété et sources de coûts ------------------------------------------------------------------95
Section 2 : Contributions de l’approche principal-agent ------------------------------------------------------- 103 2.1. Les hypothèses essentielles du modèle d’agence-------------------------------------------------------- 103 2.2. Conflits d’intérêts et sources de coûts dans les deux types organisationnels ----------------------- 106
Section 3 : Contribution de la théorie des coûts de transaction ----------------------------------------------- 110 3.1. Les hypothèses essentielles du modèle ------------------------------------------------------------------- 111 3.2. Attributs des transactions et mode de gouvernance efficace : la neutralité de la propriété ------ 113
Section 4 : Synthèse et extension des apports des différents prismes théoriques des approches contractuelles------------------------------------------------------------------------------------------- 119
4.1. Comparaison des formes organisationnelles : la nécessité d’un cadre théorique intégrateur ---- 120 4.2. Le problème informationnel au centre de l’efficience organisationnelle : vers une théorie de l’architecture organisationnelle---------------------------------------------------------------------------------- 123
Conclusion du chapitre 2 -------------------------------------------------------------------------------------------- 124 Conclusion de la première partie ---------------------------------------------------------------------------------125
Deuxième partie : Privatisation et processus décisionnel : l’analyse dynamique du gouvernement d'entreprise----------------------------------------------------------------------------------------127
Chapitre 3 : Privatisation et gouvernement d'entreprise : le champ de l’architecture organisationnelle-------------------------------------------------------------------------------------130
Section 1 : Des origines au statut actuel de la théorie positive de l'agence---------------------------------- 131 1.1. Les fondements contractuels-------------------------------------------------------------------------------- 132
346
1.2. Extensions et développement d’une théorie du fonctionnement organisationnel------------------ 134 1.2.1. Enrichissement de l’hypothèse comportementale : vers une analyse dynamique ------------ 135 1.2.2. Connaissance et processus décisionnel : l’interface entre les approches contractuelle------ 136 1.2.3. Une théorie de l’agence élargie à l’ensemble des partenaires ----------------------------------- 141
1.3. L’intérêt théorique d’une approche partenariale de l’organisation----------------------------------- 145 Section 2 : Architecture organisationnelle et gouvernement d'entreprise : vers une théorie de la
gouvernance partenariale----------------------------------------------------------------------------- 149 2.1. Le gouvernement d'entreprise dans l’approche partenariale de l’organisation--------------------- 150 2.2. Processus décisionnel : l’interface entre architecture organisationnelle et gouvernement d'entreprise ---------------------------------------------------------------------------------------------------------- 153
Section 3 : Privatisation et gouvernance partenariale : l’intégration de la dynamique organisationnelle dans la problématique de l’efficience -------------------------------------------------------------- 159
3.1. Privatisation : déséquilibre institutionnel et processus adaptatif de l’organisation---------------- 159 3.2. Dynamique du GE et privatisation : l’analyse du processus de création et de répartition de la valeur partenariale ------------------------------------------------------------------------------------------------- 160
Conclusion du chapitre 3 -------------------------------------------------------------------------------------------- 161 Chapitre 4 : Analyse de la privatisation à partir de la théorie de la gouvernance partenariale : une
relecture du lien entre propriété et performance----------------------------------------------163 Section 1 : Une ré-interprétation de la privatisation au regard de la TPA----------------------------------- 165 Section 2 : Privatisation, un changement d’architecture organisationnelle : première série de
propositions -------------------------------------------------------------------------------------------- 168 2.1. Privatisation et système de propriété : la dynamique du processus décisionnel ------------------- 169 2.2. Adaptation du système de coordination et de contrôle ------------------------------------------------- 177 2.3. Privatisation et dirigeant : les contraintes incitatives sur la création de valeur--------------------- 185
Section 3 : Dynamique du système de gouvernance et efficience organisationnelle ---------------------- 192 3.1. Privatisation, GE et politique financière : le point de vue des actionnaires apporteurs de fonds 193 3.2. Privatisation, GE et politique financière : le point de vue des salariés ------------------------------ 196 3.3. Privatisation et valeur partenariale : le point de vue des clients et des fournisseurs -------------- 199
Conclusion du chapitre 4 -------------------------------------------------------------------------------------------- 201 Conclusion de la deuxième partie --------------------------------------------------------------------------------203
Troisième partie : Privatisation et processus décisionnel : une intégration de la dynamique de la gouvernance à travers deux études de cas----------------------------------------------------206
Chapitre 5 : Privatisation, processus décisionnel et gouvernement d’entreprise : Réflexion méthodologique --------------------------------------------------------------------------------------209
Section 1 : Problématique fondée sur les processus organisationnels et choix du positionnement méthodologique---------------------------------------------------------------------------------------- 211
1.1. Approche instrumentale qualitative et étude de cas : le choix d’une stratégie de recherche----- 211 1.2. Processus scientifique et nature de la connaissance ---------------------------------------------------- 215
Section 2 : Investigation empirique et sécurité scientifique : les particularités de l’étude de cas ------- 219 2.1. Nature des données et objet du problème étudié -------------------------------------------------------- 220 2.2. Logique argumentaire du design de recherche : la validité empirique et la plausibilité théorique------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ 222
Section 3 : Conduite de la recherche qualitative sur la privatisation d’Air France et de DSM ---------- 226 3.1. Air France et DSM, un potentiel illustratif intéressant pour l’examen empirique de notre modèle------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ 227
3.2. La base de données brutes ---------------------------------------------------------------------------------- 234 3.3. L’exploitation du matériel empirique : méthode de traitement de la base de données réduites - 239
Conclusion du chapitre 5 -------------------------------------------------------------------------------------------- 243 Chapitre 6 : La privatisation d’Air France et de DSM, deux illustrations de l’interdépendance entre
processus décisionnel, système de gouvernance et efficience organisationnelle en France et aux Pays-Bas --------------------------------------------------------------------------------------245
Section 1 : La privatisation partielle d’Air France : un processus organisationnel sur 6 ans------------- 247 1.1. Bref historique d’Air France : 3 stades d’évolution ---------------------------------------------------- 247
1.1.1. La naissance d’une compagnie et du secteur du transport aérien (1933-1948) --------------- 247 1.1.2. La compagnie nationale Air France jusqu’à sa recapitalisation en 1993 ---------------------- 248 1.1.3. De « l’électrochoc » à l’ouverture du capital : la dynamique organisationnelle d’un des quatre premiers transporteurs aériens mondiaux ---------------------------------------------------------- 250
347
1.2. Privatisation et architecture organisationnelle d’Air France : les résultats de l’étude des processus------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ 251
1.2.1. Aux origines du processus de privatisation --------------------------------------------------------- 252 1.2.1.1. Les caractéristiques organisationnelles publiques de la Compagnie nationale Air France------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ 252 1.2.1.2. Les premières tentatives de décentralisation du processus décisionnel------------------- 257 1.2.1.3. La recapitalisation : un nouveau départ pour l’émancipation d’Air France vis-à-vis de l’Etat ----------------------------------------------------------------------------------------------------------- 264
1.2.2. La dynamique de l’architecture organisationnelle dans le processus de privatisation d’Air France------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 265
1.2.2.1. Vers une décentralisation toujours plus grande----------------------------------------------- 266 1.2.2.2. Evolution du système de gouvernance au cours du processus de privatisation --------- 270 1.2.2.3. Vers une latitude managériale croissante ------------------------------------------------------ 279
1.2.3. Dynamique de la gouvernance et valeur appropriable par les partenaires--------------------- 280 1.2.3.1. La dynamique organisationnelle au niveau des différentes catégories d’actionnaires - 280 1.2.3.2. La dynamique organisationnelle an niveau des clients et des fournisseurs -------------- 282
Section 2 : La privatisation graduelle de DSM : analyse du lien entre processus décisionnel et GE : mise en évidence de la dynamique organisationnelle -------------------------------------------------- 284
2.1. Bref historique de Dutch State Mines : 2 stades d’évolution------------------------------------------ 285 2.1.1. La vocation publique de DSM (1902-1967) -------------------------------------------------------- 285 2.1.2. Mutation sectorielle, croissance du secteur de la chimie et changement d’orientation stratégique de DSM--------------------------------------------------------------------------------------------- 286
2.2. Privatisation et architecture organisationnelle de DSM : les résultats de l’étude des processus 286 2.2.1. Aux origines du processus de privatisation --------------------------------------------------------- 287 2.2.2. La dynamique de l’architecture organisationnelle dans le processus de privatisation de DSM--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 288
2.2.2.1. Une décentralisation du processus décisionnel sur 30 ans ---------------------------------- 289 2.2.2.2. Evolution du système de gouvernance au cours du processus de privatisation --------- 292 2.2.2.3. Une latitude managériale définitivement acquise -------------------------------------------- 299
2.2.3. Dynamique de la gouvernance et valeur appropriable par les partenaires--------------------- 300 2.2.3.1. La dynamique organisationnelle au niveau des différentes catégories d’actionnaires - 301 2.2.3.2. La dynamique organisationnelle au niveau des clients et des fournisseurs -------------- 303
Section 3 : Portée explicative du modèle et apports des deux études de cas -------------------------------- 305 3.1. La privatisation : un processus organisationnel qui met en jeu les composantes de l’architecture de l’entreprise------------------------------------------------------------------------------------------------------- 305 3.2. Dynamique organisationnelle et efficience interne ----------------------------------------------------- 309 3.3. Evolution organisationnelle, vers l’efficience externe ------------------------------------------------- 312
Conclusion du chapitre 6 -------------------------------------------------------------------------------------------- 314 Conclusion de la troisième partie---------------------------------------------------------------------------------316
Conclusion générale ----------------------------------------------------------------------------------------------------317 Bibliographie ------------------------------------------------------------------------------------------------------329 Liste des tableaux, schémas et graphiques --------------------------------------------------------------------------343 Annexes ------------------------------------------------------------------------------------------------------348 Liste des annexes ------------------------------------------------------------------------------------------------------349 Volume 2 : Tableau des codes centraux et des données réduites
348
Annexes
349
Liste des annexes
Annexe 1 : Schémas de Glachant (1994)……………………………………….. p. 351
Schéma n°1 : Axe de la nature des biens et axe des niveaux de la contrainte
marchande, Glachant (1994, p. 75)
Schéma n°2 : Axe de l’entité entreprise et axe des configurations
institutionnelles, Glachant (1994, p. 109)
Schéma n°3 : Typologie du secteur public en quatre niveaux, Glachant (1994,
p. 147)
Schéma n°4 : Les quatre grands types d’unités du secteur public, Glachant
(1994, p. 149)
Annexe 2 : Résumé et caractéristiques des trois groupes de sociétés
(Charreaux G. et Pitol-Belin J.P., 1985a, in Charreaux éd. 1997, Annexe 6.6,
p. 192)…………………………………………………………………………… p.355
Annexe 3 : Huit leçons tirées des expériences de privatisation, Le rôle des
forces de marché………………………………………………………………… p. 356
Annexe 4 : Une illustration des relations entre l’Etat français et deux
entreprises publiques (EDF et la SNCF) : évolution de l’étendue du DDRP et
contrats de plan………………………………………………………………….. p. 357
Annexe 5 : Les caractéristiques des deux principaux systèmes de
gouvernement (Tableau 15.3, Charreaux 1997b, p. 465)……………………….. p. 363
Annexe 6 : Typologie des mécanismes de gouvernement des entreprises
(Tableau 15.1, Charreaux 1997b, p.427)……………………………………… p. 364
Annexe 7 : Structure globale de notre protocole d’investigation empirique…… p. 365
Annexe 8 : Schéma du processus de privatisation de l’AO d’Air France (1948-
2001)…………………………………………………………………………….. p. 366
Annexe 8a : Evolution du cours d’Air France………………………………….. p. 367
Annexe 8b : L’évolution du taux d’endettement d’Air France depuis la
recapitalisation en 1994…………………………………………………………. p. 368
Annexe 9 : Schéma processuel de la privatisation de DSM……………………. p. 369
Annexe 9a : Evolution du cours de DSM NV entre 1989-1998 et du taux de
distribution de dividende………………………………………………………... p. 370
350
Annexe 9b : L’évolution de l’endettement de long terme et du taux
d’endettement de DSM de 1986 à 1998………………………………………… p. 371
Annexe 10 : 40 recommandations du rapport Peters sur la gouvernance et
positionnement de DSM………………………………………………………… p. 372
Annexe 11 : Questionnaire……………………………………………………… p. 376
351