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Université R. Schuman, Strasbourg Année 2000/2001
LES ATTEINTES AU DROIT DE PROPRIETE DES CREANCIERS DANS LES PROCEDURES COLLECTIVES
MEMOIRE SOUTENU EN VUE DE L’OBTENTION
DU D.E.A. DE DROIT DES AFFAIRES Mémoire soutenu par : Sous la direction de : Sophie Bourguignon M. Jean Luc Vallens, Professeur.
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Je remercie M. Vallens pour sa disponibilité, ses conseils avisés, et ses encouragements,
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PLAN
TITRE 1 : LES OBJECTIFS DES PROCEDURES COLLECTIVES :
JUSTIFICATIF DES RESTRICTIONS APPORTEES AU DROIT DE
PROPRIETE :
CHAPITRE 1 : LES RESTRICTIONS APPORTEES A L’ABSOLUTISME DU DROIT DE
PROPRIETE :
CHAPITRE 2 : LES RESTRICTIONS APPORTEES A LA DEFENSE DU DROIT DE
PROPRIETE :
TITRE 2 : LA PRIMAUTE DU DROIT DE PROPRIETE, CAUSE DE
DEROGATIONS AUX REGLES CONTRAIGNANTES DES PROCEDURES
COLLECTIVES AU PROFIT DU PROPRIETAIRE :
CHAPITRE 1 : UNE PROTECTION S’EXERCANT AU DETRIMENT DU PRINCIPE
D’EGALITE DES CREANCIERS :
CHAPITRE 2 : LA CONCEPTION ELARGIE DU DROIT DE PROPRIETE,
DEROGATION A L’OBJECTIF DE SAUVEGARDE DE L’ENTREPRISE :
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ABREVIATIONS ET MODES DE CITATION
• Codes et lois :
- al. alinéa, - art. article, - c.civ Code Civil, - c.com Nouveau Code de Commerce, - D Décret, - L Loi, - N.C.P.C Nouveau Code de Procédure Civile.
• Jurisprudence :
- Ass.Plén Assemblée Plénière de la Cour de Cassation, - C.A Cour d’Appel, - C.C. Conseil Constitutionnel, - C.E.D.H. Cour européenne des Droits de l’Homme - Civ. Cour de Cassation, Chambre civile, Section Civile, - Com. Cour de Cassation, Chambre civile, Section Commerciale, - C.J.C.E. Cour de justice des Communautés européennes, - Req. Chambre des Requêtes.
• Publications citées :
- A.P.C. Actualité des procédures collectives, - A.J.D.A Actualité juridique de Droit administratif, - Bull. civ. Bulletin des arrêts de la Cour de Cassation (Chambres Civiles), - B.I.C.C. Bulletin Bulletin d’Information de la Cour de Cassation, - Bull.Joly
Bourse Bulletin Joly Bourse et Produits financiers, - Cah. Dr.
Ent. Cahiers de Droit de l’entreprise, - D. Recueil Dalloz, - D.Aff. Dalloz Affaires, - D.H. Dalloz, Recueil hebdomadaire de jurisprudence (pour les années
antérieures à 1941), - D., I.R. Recueil Dalloz, Informations Rapides, - D.P. Dalloz, Recueil périodique et critique mensuel (pour les années
antérieures à 1941), - D.,
Somm. Recueil Dalloz, Sommaires Commentés, - Defrénois. Répertoire du notariat Defrénois, - Dr. et
Patrimoine Droit et patrimoine, - Dr.
5
Sociétés Droit des sociétés - Gaz.Pal. Gazette du Palais, - J.C.P.,
éd. G. Juris-classeur périodique (Semaine juridique), - J.C.P.,
éd.E. Juris-classeur périodique, édition Entreprise - J.O. Journal Officiel, - Petites - Affiches Les Petites Affiches, - R.J. com. Revue de jurisprudence commerciale, - R.J.D.A. Revue de jurisprudence de Droit des Affaires, - R.T.D.
civ. Revue trimestrielle de droit civil, - R.T.D.
com Revue trimestrielle de droit commercial et de droit économique, - Rev. Dr.
bancaire. Revue de droit bancaire et de la bourse, - Rev.Proc.
Coll. Revue des procédures collectives.
• Publications de la Cour européenne des Droits de l’Homme :
- Série A Arrêts et décisions, - Rec. des arrêts et décisions depuis 1996.
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INTRODUCTION
u’est ce que la propriété ? Titre d’un célèbre ouvrage de Proudhon, la question revêt
aujourd’hui encore une grande actualité. Le domaine de la propriété n’a en effet cessé
de s’élargir : étendu aux biens immatériels, utilisé à titre de sûreté, appliqué par un
auteur au droit de créance1, le droit de propriété apparaît ainsi comme une notion aux contours
flous, au point que certains2 considèrent qu’il n’est pas possible de le définir.
2. L’art. 544 c.civ n’est à cet égard guère éclairant : loin de proposer une véritable
définition du droit de propriété, il ramène en effet celui-ci à ses seuls caractères. En précisant
néanmoins que le droit de propriété est le droit le plus absolu, il marque la supériorité du droit
de propriété sur tout autre droit réel et signifie que le propriétaire peut en principe tout faire.
3. Cette vision du droit de propriété paraît cependant elle aussi largement remise en cause
aujourd’hui. L’art. 544 c.civ, in fine, n’apporte-t-il pas lui-même une première restriction à
l’absolutisme du droit de propriété ? Or les lois et les règlements dont cet article dispose
qu’ils peuvent affecter l’exercice du droit de propriété n’ont cessé de croître sous l’effet des
mutations économiques et sociales, « au point que l’on ait pu avoir l’impression que du statut
d’exception ils étaient passés à l’état de principe »3.
La jurisprudence elle-même est en outre venue restreindre le caractère absolu du droit de
propriété en condamnant l’abus qui pouvait en être fait par son titulaire4.
4. C’est dans ce mouvement de restriction du droit de propriété que vient s’insérer le droit
des procédures collectives. Les dérogations apportées au droit commun dans ce cadre existent
ainsi d’un double point de vue.
Le droit de propriété du débiteur sujet d’une procédure collective va en premier lieu se
trouver atteint, les restrictions subies par ce dernier pouvant aller jusqu’à son dessaisissement
selon la teneur des pouvoirs confiés à l’administrateur. De telles restrictions sont-elles
cependant injustifiées ? Les objectifs des procédures collectives, tels que visés à l’art. L.621-1
c.com, la situation financière du débiteur motivant l’ouverture de ce type de procédures, et le
fait que ce dernier bénéficiera lui-même, dans une large mesure, des atteintes temporaires
apportées à son droit de propriété... sont en effet autant d’explications des différentes règles
1 S. Ginossar, Pour une meilleure définition du droit réel et du droit personnel, R.T.D. civ. 1962, p. 573 et s. Cet auteur reprend la thèse de l’obligation passive universelle développée par Planiol, présentant le titulaire d’un droit réel comme investi d’un droit de créance à l’égard de tous, pour affirmer que tous les droits personnels sont des droits de propriété, et que les créances sont objet de propriété. 2 Not. Ch. Atias, Droit civil, Les biens, éd. Litec, 2000, p. 77, n° 59. 3 F. Zénati, Pour une rénovation de la théorie du droit de propriété, R.T.D. civ. 1993, p.305 et s. 4 Req. 3/08/1915, D.P. 1917, I, 79.
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contraignantes existant à son encontre. Il convient de plus de remarquer à cet égard que toute
l’évolution du droit des procédures collectives est caractérisée par une plus grande indulgence
à l’égard de ce dernier : la loi n° 85-98 du 25/01/1985 relative au redressement et à la
liquidation judiciaire des entreprises a ainsi rompu avec l’automaticité du dessaisissement du
débiteur en instituant un dessaisissement « à la carte », la nomination d’un administrateur
n’étant que facultative quand la procédure est soumise au régime simplifié.
Les créanciers ont au contraire vu leur situation s’aggraver avec l’adoption de la loi du
25/01/1985, en passant au troisième rang des objectifs des procédures collectives. La question
des atteintes au droit de propriété ne se pose pas pour ceux qui ne détiennent qu’un simple
droit personnel à l’encontre du débiteur5, mais elle concerne par contre tous ceux qui se seront
servis du droit de propriété pour garantir le paiement de leur créance (vendeur sous réserve de
propriété, crédit-bailleur...). Elle touche aussi les propriétaires qui, sans être créanciers du
débiteur, auront mis un de leurs biens à la disposition de ce dernier avant l’ouverture de la
procédure collective (dans le cadre d’un commodat par exemple).
5. Quelle est alors la place accordée à ces propriétaires dans les procédures collectives ?
Leur droit de propriété est essentiellement envisagé sous l’angle de la revendication par les
arts. L. 621-115 à L. 621-124 c.com (arts. L. 115 à L.122 anciens), dans une sous-section
relative aux droits du vendeur de meubles et aux revendications, sous-section elle-même
située dans une section concernant le « patrimoine de l’entreprise »6. Une telle organisation
textuelle rappelle ainsi que les biens visés font partie de l’actif apparent de l’entreprise, mais
surtout que la première étape sur le chemin du redressement impose une connaissance des
éléments constitutifs du patrimoine du débiteur. C’est au demeurant à cette dernière idée que
renvoie la situation des textes consacrés à la revendication dans le décret n° 85-1388 du
27/12/1985, lesquels sont placés dans un chapitre relatif à l’ « établissement du passif », et
aux « revendications et restitutions ».
6. Quel est en outre le domaine d’application de ces textes ? Si l’art. L.621-115 c.com (art.
L.115 ancien) concerne en principe toutes les revendications, alors que les arts. L. 621-121 et
L.621-122 (arts. L.120 et L.121 anciens) n’apparaissent que comme des cas d’application de
ce premier texte, il convient néanmoins de souligner que l’énumération restrictive des contrats
cités à l’art. L.621-122 c. com7 n’a pas empêché la jurisprudence de juger que la liste donnée
5 Quoique la question de l’application à ces derniers des règles relatives à la revendication ait pu se poser, v. infra, 6 Le nouveau Code de Commerce reprend là le découpage issu de la loi du 25/01/1985. 7 Contrats de vente avec clause de réserve de propriété, de consignation, de dépôt, et de mandat.
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par cette disposition n’était pas exhaustive, et que celle-ci pouvait s’appliquer à d’autres
hypothèses.
De même, en dépit de l’expression de « marchandises » contenue à l’art. L.621-122
c.com, la jurisprudence à très rapidement retenu une conception extensive des biens pouvant
être revendiqués. Il est vrai au demeurant que l’art. L.621-115 c.com vise pour sa part les
« meubles », terme plus générique que celui de marchandises. La Cour de Cassation a ainsi
admis la revendication de meubles incorporels, tels un fonds de commerce8, ou un brevet
d’invention9.
Les textes relatifs à la revendication, enfin, quoique expressément prévus pour le
redressement judiciaire, s’appliquent aussi à la liquidation judiciaire , en vertu de l’art.L.622-
14 c.com (art. L.153-4 ancien).
7. Les propriétaires concernés par l’application de la loi de 1985 sont donc nombreux,
même si les dispositions législatives sont loin d’être exhaustives, ces dernières n’envisageant
pas notamment la situation du propriétaire immobilier. Il convient en outre de remarquer que
la situation du « stoppage in transitu » (art. L.621-119 c.com, art. L.118 ancien), ainsi que la
rétention de marchandises non encore livrées par le vendeur (art. L. 621-120 c. com, art.
L.119 ancien), ne sont pas véritablement des cas de revendication, bien que la loi emploie ce
terme à l’art. L.621-119 c.com10. La jurisprudence a de même précisé que le créancier gagiste
qui demandait l’attribution judiciaire du bien gagé en application de l’art. L.159 al. 3 ancien
(art. L.622-21 c.com) n’exerçait pas non plus l’action en revendication11.
Le statut offert par la loi à ces propriétaires est de surcroît loin d’être uniforme : la
réforme du 10/06/1994 a en effet tiré les conséquences de l’échec de la procédure de
redressement judiciaire instituée en 1985 pour accorder de nombreuses facilités à certaines
catégories de propriétaires, comme les crédit-bailleurs, ou les vendeurs sous réserve de
propriété. Cette réforme, ainsi que son décret d’application du 21/10/1994, ont créé une
dichotomie entre propriétaires exerçant une action en revendication et propriétaires agissant
en restitution, les modalités d’action étant beaucoup moins contraignantes pour ces derniers.
8. Est-il alors véritablement possible de parler d’atteintes au droit de propriété dans le
cadre des procédures collectives ?
Les propriétaires paraissent en effet de prime abord bien mieux traités que les simples
créanciers : ils ne sont notamment pas soumis à l’arrêt des poursuites individuelles, puisque 8 Com. 21/11/1995 D.1996., p.211, note Regnaut-Moutier. 9 Com. 22/10/1996 J.C.P. 1996, éd. E, pan. 1308 ; I, 623, n°6, obs. Cabrillac. 10 J. Vallansan, J.-Cl. Commercial, fasc. 2550, spéc. n° 9, p.3. 11 Com. 28/01/1997 J.C.P. 1997, éd. E., pan. 282.
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l’action en revendication leur est expressément ouverte, leur permettant de récupérer leur
bien. Il n’en reste pas moins que les règles étant applicables à cette action diffèrent très
nettement de celles du Code Civil, et, surtout, sont sanctionnées.
De telles sanctions sont-elles alors compatibles avec la protection du droit de propriété ?
Les textes à valeur supra-législative garantissant le respect du droit de propriété prohibent en
effet l’expropriation réalisée dans un but autre que d’utilité publique. Au delà, l’art. 1 du 1er
Protocole Additionnel à la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et
des Libertés Fondamentales (C.E.S.D.H.), et surtout la jurisprudence qui découle de
l’application de cette disposition, encadrent la réglementation de l’usage des biens.
De telles garanties posent ainsi le problème de savoir si les restrictions apportées par les
arts. L. 621-115 à L.621-124 c.com au droit de propriété, et notamment les sanctions attachées
à ces prescriptions, répondent véritablement à un but d’intérêt général. Peut-on ainsi
considérer que les objectifs des procédures collectives figurant à l’art. L.621-1 c.com (art. L.1
ancien) justifient de telles restrictions ? (Titre 1).
La question est d’autant plus complexe que ces objectifs se sont vus progressivement mis
de côté pour accorder de multiples faveurs à certaines catégories de propriétaires. Une telle
évolution est-elle véritablement une manifestation de la primauté du droit de propriété ?
N’aboutit-elle pas le plus souvent à vider les procédures collectives de leur sens ? (Titre 2).
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TITRE 1 : LES OBJECTIFS DES PROCEDURES COLLECTIVES :
JUSTIFICATIF DES RESTRICTIONS APPORTEES AU DROIT DE
PROPRIETE :
9. Les restrictions existent en effet d’un double point de vue : l’ouverture d’une procédure
collective va tout d’abord paralyser la possibilité pour le propriétaire d’exercer l’ensemble de
ses prérogatives, dérogeant à l’absolutisme du droit de propriété tel qu’exprimé à l’art. 544
c.civ (chap. 1).
La possibilité de défendre son droit de propriété, et d’éviter que le bien qui en fait l’objet
soit véritablement appréhendé par la procédure et traité comme un élément de l’actif du
débiteur, est elle aussi beaucoup plus réglementée qu’en droit civil (chap. 2). Que penser alors
de telles limitations ? Peut-on véritablement parler à leur égard d’atteinte au droit de
propriété ?
CHAPITRE 1 : LES RESTRICTIONS APPORTEES A L’ABSOLUTISME DU DROIT DE
PROPRIETE :
10. Comme le fait remarquer M Atias12, il est possible de distinguer deux situations pour
décrire la propriété : celle du « propriétaire-utilisateur », qui demeure en relation directe avec
son bien, et celle du propriétaire qui traite son bien comme une valeur négociable. Or les
attributs du droit de propriété tels qu’envisagés par l’art. 544 c.civ , c’est à dire l’usus, le
fructus et l’abusus, renvoient plus à la première situation qu’à la seconde. C’est bien pourtant
dans ce dernier cas de figure que se trouve placé le propriétaire dont le bien est appréhendé
par la procédure collective. Dans quelle mesure l’ouverture d’une telle procédure va-t-elle
alors affecter les attributs du droit du propriétaire, attributs qui sont en principe déjà restreints
par la dépossession volontaire de ce dernier au profit du débiteur placé en redressement ou en
liquidation judiciaire ?
11. Ainsi concernant le droit d’usage : le propriétaire s’étant lui-même placé dans une
situation ne lui permettant pas d’utiliser son bien, on ne saurait considérer que l’ouverture
d’une procédure collective va en elle-même porter atteinte à ce droit. Mais la question de
l’usage du bien prend tout son sens si l’on se place sur le terrain de l’utilisation dudit bien par
le débiteur : un tel usage aura-t-il des conséquences sur le droit du propriétaire dans le cadre 12 Ch. Atias,op. cit., p. 79, n° 60.
11
des procédures collectives ? Les règles de l’accession, par exemple, se verront-elles
modifiées, en cas d’incorporation du bien ?
12. Les mêmes questions se posent concernant le fructus : la perception des fruits est en
effet déjà modifiée du fait de la détention précaire par le débiteur. Sera-t-elle plus encore
altérée par l’ouverture d’une procédure collective ? Une telle question rejoint cependant celle
de l’usage du bien. Dans le cadre des procédures collectives, en effet, la question du sort des
fruits va essentiellement se limiter aux fruits civils, et plus particulièrement aux loyers, dont
les modalités de perception seront envisagés dans les différents développements relatifs au
propriétaire-contractant.
13. L’abusus, enfin, c’est à dire la possibilité de pouvoir disposer du bien, et notamment
d’en disposer juridiquement, est lui aussi limité par les rapports juridiques entre le propriétaire
du bien et le débiteur en situation de détenteur précaire. Il n’en reste pas moins que
l’administrateur de la chose d’autrui n’a pas en principe le pouvoir d’empiéter sur ce qui
apparaît comme la prérogative essentielle du propriétaire : l’accomplissement d’ « actes de
propriété »13, ou actes de disposition. La libre disposition de son bien constitue en outre une
prérogative très intéressante pour le propriétaire qui, s’il pouvait exercer une telle faculté, se
verrait prémuni de la meilleure façon qui soit contre les risques que les procédures collectives
font peser sur son droit.
C’est pourquoi il conviendra d’étudier dans un premier temps les restrictions apportées au
droit d’user le bien (section 1), avant d’envisager les restrictions par lesquelles ce même droit
entrave le droit de disposer du propriétaire (section 2).
Section 1 : Les restrictions au droit d’usage :
14. Le propriétaire qui a placé son bien entre les mains du débiteur va en effet voir ses
prérogatives diminuées suite à l’ouverture de la procédure collective. Le débiteur va de fait
être conduit, dans le cadre de son exploitation, à utiliser la chose nécessaire à la poursuite de
l’activité. Un tel pouvoir est néanmoins susceptible de se voir sanctionné par l’application des
règles de l’art. 314-1 du Code Pénal, relatives à l’abus de confiance, lorsque l’usage ainsi fait
du bien est contraire à celui qui avait pu être initialement convenu entre les parties14. Mais en
dehors de cette situation spécifique, que restera-t-il du droit de propriété en cas d’utilisation
13 F Zénati et Th. Revet, Les biens, P.U.F., 1997, n° 104 et 105, p.127. 14 F. Pérochon, La réforme de 1994 de la réserve de propriété, in Faut-il retarder le transfert de propriété ?, colloque de Montpellier du 28/04/1995, Cah. Dr. Ent. 1995, n° 5, p. 25, spéc. note 8.
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du bien par le débiteur ? Si l’art. L .622-121 al. 4 c.com (art. L.121 al 4 ancien) apporte un
semblant de réponse à cette question, en permettant à l’administrateur de bloquer dans un tel
cas la revendication par le paiement immédiat du prix, une telle disposition ne résout pas
cependant toutes les interrogations afférentes à l’utilisation du bien par le débiteur.
Pouvoir utiliser la chose, c’est en effet avoir la liberté discrétionnaire de choisir l’usage
auquel elle sera appliqué. Le droit d’usage comporte donc aussi le choix de l’affectation du
bien15.
Or ce choix se voit restreint par la remise du bien au débiteur. L’usus conféré à ce dernier
va tout d’abord lui permettre de transformer le bien, pour pouvoir par exemple le revendre à
ses clients (§1). L’usus pourra aussi lui permettre d’incorporer le bien à un immeuble ou de le
mélanger à un meuble (§ 2). Si l’art. L.621-122 al. 4 c.com favorise une telle utilisation du
bien suite à l’ouverture de la procédure collective, en permettant de désintéresser le
propriétaire, cette disposition ne règle pas pour autant le problème de l’usage antérieur à
l’ouverture de la procédure. Et si la loi a apporté certaines solutions à cette question, celles-ci
sont loin d’appréhender tous les cas de figure. Quelles seront alors les règles applicables ?
§1 : La transformation du bien :
15. Une telle transformation est susceptible de faire perdre au propriétaire son droit d’agir
en revendication, car, comme l’affirme l’art. L.621-122 c.com, cette action est subordonnée à
l’existence en nature du bien au jour du jugement d’ouverture de la procédure collective. Un
amendement, lors du vote de la loi de 1985, avait bien été présenté au Sénat pour supprimer
cette condition16. Cet amendement, qui avait pour but de permettre la revendication en cas de
transformation du bien, fut néanmoins rejeté, au motif qu’il compromettait les chances de
survie de l’entreprise.
Existe-t-il alors des parades contractuelles à la perte de l’action en revendication suite à la
transformation du bien (A)? Quels seront les droits du revendiquant si une telle transformation
se produit antérieurement au jugement d’ouverture (B) ? C’est ce qu’il convient de voir dès à
présent.
A- L’absence de parade à la transformation du bien :
15 Ch. Atias, op. cit., n° 61, p. 80. 16 Amendement n° 347, Sénat, séance 7/06/1984, JO. 1407.
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16. Il semble en effet que le revendiquant ne puisse en aucune manière se prémunir contre
les effets résultant de la transformation de son bien. Il n’existe pas en droit français de
possibilité de déroger à l’obligation d’identification du bien par une clause à l’image de la
« Verarbeitungsklausel » de droit allemand, attribuant au revendiquant la propriété du bien
issu de la transformation17. La chambre Commerciale de la Cour de Cassation a ainsi précisé,
dans un arrêt du 9/01/199018 que la condition d’identification des biens était d’ordre public et
qu’était nulle toute clause présumant que les marchandises en possession du débiteur étaient
celles revendiquées.
17. Il existe cependant une dérogation à cette règle, concernant les biens revendus avant
l’ouverture de la procédure collective, la jurisprudence exigeant alors que l’existence en
nature du bien soit établie au jour de la vente seulement19.
Une telle solution permet par conséquent de protéger le propriétaire contre l’utilisation du
bien par le sous-acquéreur, utilisation qu’il ne pouvait prévoir en entrant en relations
d’affaires avec le débiteur. Mais si le bien a par contre été transformé par le débiteur lui-
même, et en l’absence de toute possibilité de se prémunir contre les effets néfastes d’un tel
usage dans le contrat, quels seront alors les droits du propriétaire ?
B- Le sort du droit de propriété en cas de transformation du bien :
18. La possibilité de revendication du bien va alors, selon la jurisprudence, dépendre de
l’importance de la transformation ainsi opérée. Toute transformation ne constituera donc pas
un obstacle à l’exercice de la revendication. Il n’en sera ainsi que dans le cas où le bien aura
fait l’objet d’un travail d’amélioration modifiant sa substance, la jurisprudence n’admettant au
demeurant que difficilement l’existence d’une telle modification.20.
Si la revendication est ainsi ouverte au propriétaire en dépit de la transformation survenue,
ce dernier se devra cependant d’indemniser le débiteur pour la plus-value ainsi apportée à son
bien21.
19. De telles solutions n’apparaissent pas en conséquence très éloignées de celles retenues
par les arts. 570 à 572 c.civ en matière de spécification, c’est à dire en cas de formation d’une
17 P. Crocq, J.-Cl. Commercial, Fasc. 2545, n° 50, p.14. 18 Com. 9/01/1990, Bull. civ. IV, n° 8 ; D. 1991. 190, note Virassamy ; Somm. 41, obs. Pérochon. 19 Com. 8/03/1988, R.T.D. com. 1989, p. 113, obs. Bouloc ; Com. 20/06/1989, D. 1989, p. 431, note Pérochon, ; J.C.P. 1990, éd. E, II, 15668, n° 14, obs. Cabrillac ; Com. 14/01/1997, D. 1997, I.R., p. 52. 20La Cour de Cassation a par exemple considéré que l’étuvage et le tronçonnage de plots de bois vendus sous réserve de propriété n’en avait pas altéré la substance ( Com. 17/05/1988, Bull. civ. IV, n° 166). 21 Com. 6/03/1990, Bull. civ. IV, n° 73.
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chose nouvelle par le travail d’une personne sur la matière mobilière appartenant à autrui22,
sauf à interdire, pour des raisons pratiques évidentes, de considérer la chose comme commune
au débiteur et au propriétaire dans le cas prévu par l’art. 572 c.civ, c’est à dire « lorsqu’une
personne a employé en partie la matière qui lui appartenait et en partie la matière qui ne lui
appartenait pas à former une chose d’une espèce nouvelle, sans que ni l’une ni l’autre
matière soit entièrement détruite, mais de manière qu’elles ne puissent pas se séparer sans
inconvénient ».
Un tel rapprochement entre les règles posées par le Code Civil et les solutions retenues
dans le cadre des procédures collectives est-il cependant encore possible en cas
d’incorporation du bien revendiqué?
§ 2 : L’incorporation du bien :
20. La réforme du 10 juin 1994 a à cet égard comblé le vide législatif antérieur, en
précisant, à l’art. L.621-122 al. 3 c.com, qu’une telle revendication était encore possible , en
cas d’incorporation de meuble à meuble, lorsque la récupération des biens pouvait être opérée
« sans dommage pour les biens eux-mêmes et le bien dans lequel ils sont incorporés ».
La loi n’envisage pas toutefois l’incorporation du bien meuble à un immeuble. Quelles
seront alors les solutions retenues en la matière (A)? Que penser en outre des dispositions
législatives au regard des règles de l’accession mobilière contenues dans le Code Civil (B)?
A- L’incorporation à un immeuble :
21. La question d’une telle incorporation est ici résolue par la jurisprudence, qui ne se
réfère pas alors aux principes civilistes, mais privilégie plutôt le critère suivant lequel le
démontage du meuble est ou non possible, par analogie avec la solution posée par l’art.
L.621-122 al. 3 c.com relativement à l’accession mobilière.
22. En droit civil, deux types d’immobilisations sont concevables : s’il y a incorporation à
l’immeuble lui-même, le meuble devient alors immeuble par nature et la revendication ne
peut plus en principe être admise, le critère de l’immobilisation par nature tenant au fait que
les biens ou matériaux incorporés ont perdu leur individualité, de par leur attache au sol ou à
22 Ph. Simler et F. Terré, Droit civil, Les biens, Dalloz, 1998, n° 234, p. 177.
15
l’immeuble auquel ils ont été unis23. Il n’en va pas de même du deuxième cas
d’immobilisation, l’immobilisation par destination, dans le cadre de laquelle les biens
incorporés demeurent physiquement des meubles, et ne sont considérés comme des
immeubles que par le jeu d’une fiction légale. Ce dernier cas d’immobilisation n’est toutefois
susceptible de jouer que si le meuble et l’immeuble appartiennent au même propriétaire24.
23. Or si la jurisprudence relative à l’incorporation dans les procédures collectives ne
consacre pas expressément une telle distinction, ne peut-on pas cependant affirmer que le
résultat soit en pratique le même que celui auquel aurait conduit l’application des règles du
Code Civil ?
En effet, comme le relève M Crocq25, si le démontage est impossible, c’est bien parce
qu’il s’est produit une immobilisation en nature, alors que si tel n’est pas le cas, c’est que le
bien n’est pas véritablement incorporé à l’immeuble, l’immobilisation par destination n’étant
pas susceptible de jouer en raison de la présence de deux propriétaires distincts.
Les solutions jurisprudentielles semblent au demeurant confirmer une telle interprétation :
on peut en prendre pour exemple un arrêt rendu par la chambre Commerciale de la Cour de
Cassation le 2/03/199926, dans lequel la Haute Juridiction considère que la revendication doit
être rejetée lorsque les biens litigieux, transmis au débiteur dans le cadre d’un contrat
d’entreprise par un entrepreneur de génie climatique, avaient été « incorporés à l’immeuble de
sorte qu’ils n’existaient plus en nature au sens de l’[art. L. 121] ».
En dépit donc de l’absence de référence expresse aux règles posées par le droit civil en la
matière, la Cour de Cassation adopte des solutions très proches de celles consacrées par le
Code Civil, ces principes civilistes n’ayant de surcroît aucun caractère impératif. Qu’en sera-
t-il cependant en matière d’accession mobilière, pour laquelle existe un texte spécifique ?
B- L’accession mobilière :
23 J.-L. Bergel, M Bruschi, et S. Ciamonti, sous la direction de J Ghestin, Traité de droit civil, L.G.D.J., 2000, n° 188, p. 197. 24 Civ. 3. 5/03/1980, Bull. civ. III, n° 51. 25 P. Crocq, J.-Cl. préc.note 17, spéc. n° 62, p.17. 26 Com. 2/03/1999, D. Aff. 1999, p. 597, obs. A.L. ; D. 2000, Somm. 72, obs. Pérochon et Mainguy.
16
24. Certains auteurs ont relevé, en droit civil, le faible intérêt que représentait cette
matière27, notamment en raison du jeu de l’art. 2279 c.civ qui va aboutir à ce que le conflit
ainsi apparu soit le plus souvent tranché par l’effet de la possession. L’art. 565 c.civ ajoute, de
surcroît, que le droit d’accession en ce domaine « est entièrement subordonné aux principes
de l’équité naturelle ». Il n’en demeure pas moins que, pour aider le juge en cas de litige, les
rédacteurs du Code Civil ont posé des solutions assez détaillées. Ces règles se voient
cependant mises à l’écart par le droit des procédures collectives. Elles l’étaient déjà par la
jurisprudence antérieure à la réforme de 1994, jurisprudence à laquelle l’art. L.621-122 al. 3
c.com est venu donner une assise légale.
25. La notion de « récupération sans dommage » instaurée par cet article n’est cependant
pas très éloignée des conceptions du Code Civil, et peut même s’avérer plus favorable que
l’application de celles-ci. Tel sera le cas notamment en matière d’adjonction, l’art. 566 cciv
disposant alors que « le tout appartient au maître de la chose qui forme la partie principale »,
alors pourtant que les deux choses adjointes sont « néanmoins séparables ». Or dans une telle
situation, la jurisprudence des procédures collectives permet au propriétaire, au regard de la
possible séparation, de récupérer son bien.
Les solutions adoptées en matière d’accession ne sont pas ainsi véritablement dérogatoires
aux règles posées par le Code Civil, et ne sont donc pas de nature à léser le propriétaire qui ne
se verra pas plus mal loti que si le détenteur précaire de son bien était in bonis. En sera-t-il de
même concernant le droit de disposer du bien ?
Section 2 : Les obstacles au droit de disposer :
26. L’art. 537 c.civ dispose que « les particuliers ont la libre disposition des biens qui
leur appartiennent, sous toutes modifications établies par la loi ». Ces « modifications » sont
ainsi nombreuses : le pouvoir de disposer librement de son bien se voit par conséquent altéré,
surtout en matière immobilière, par diverses dispositions, tant au nom de l’intérêt général
(nécessités d’autorisations administratives, droit de préemption atteignant la liberté de choix
de l’acquéreur), qu’au nom d’intérêts privés (clauses d’inaliénabilité).
27 Ph. Simler et F. Terré, op. cit., n° 233, p. 176.
17
Au delà de la règle nationale, le droit de disposer de son bien est en outre garanti par la
jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme, qui a ainsi affirmé qu’il
s’agissait là d’un « élément traditionnel du droit de propriété »28.
27. La loi du 25/01/1985, comme certains auteurs l’ont relevé relativement à la clause de
réserve de propriété29, n’interdit pas expressément au créancier propriétaire de vendre le bien
détenu par le débiteur. Une telle faculté, si elle était permise, serait cependant un bon moyen
d’échapper aux dispositions impératives de la loi du 25/01/1985 concernant la revendication,
et, partant, constituerait une fraude à ladite loi, et aux objectifs fixés en son premier article.
Permettre au propriétaire de disposer librement de son bien ne serait pas de surcroît de nature
à protéger ce dernier : sans une vérification de la réalité du droit de propriété avancé, cette
solution serait la porte ouverte à divers abus.
28. Mais l’indisponibilité du bien, si elle existe à l’égard du propriétaire, est-elle aussi
applicable au débiteur ou à l’administrateur ? Si l’art. L. 621-124 c.com (art. L.122 ancien)
pose en effet une règle favorable au propriétaire en cas de vente du bien antérieurement à
l’ouverture de la procédure, en sera-t-il de même pendant la durée de la période d’observation
(§1) ? Le propriétaire se verra-t-il en outre privé de tout droit de regard quant à la
transmission du bien à l’issue de la procédure, tout particulièrement en cas de cession de
l’entreprise (§2) ? Ce sont les questions auxquelles il convient de répondre dès à présent.
§1 : La vente du bien par le débiteur au cours de la période d’observation :
29. Une telle vente peut en effet s’avérer utile à la poursuite de l’activité, et, partant, au
redressement de l’entreprise, mais est-elle véritablement permise (A) ? Quelle serait en outre
l’incidence de cette vente sur le droit de propriété du revendiquant (B)?
A- Une vente permise ? :
30. L’art. 1599 c.civ prohibe la vente de la chose d’autrui. L’art. L.621-124 c.com semble
cependant admettre implicitement une telle vente, en organisant la revendication du prix,
lorsque le bien a été réalisé antérieurement à l’ouverture de la procédure collective. Mais le
législateur n’envisage pas de manière aussi nette la possibilité de vendre le bien pendant la
28 C.E.D.H., Arrêt Marckx, 13/06/1979, Série A, n° 31 , § 63. 29 D. Schmidt, J. Hemmele, et L. Chopard, La vente de son bien par le créancier propriétaire (contributions à l’étude des effets de la clause de réserve de propriété), JCP éd. E, 1988, II, 15309, p.695 et s.
18
période d’observation. Seul l’art. D.85-4 prévoit ainsi une procédure particulière, très
protectrice du propriétaire, de vente du bien objet d’un contrat publié. Mais en dehors de cette
habilitation réglementaire, une telle vente rentre-t-elle dans le cadre des attributions de
l’administrateur ou du débiteur (1)? Si elle était permise, ces derniers devraient-ils en outre
impérativement attendre l’expiration du délai de revendication pour se dessaisir du bien (2)?
1- L’administrateur et le débiteur ont-ils le pouvoir de vendre le bien ? :
31. La loi délimite les pouvoirs de l’administrateur, quand il en est nommé un, ainsi que
ceux du débiteur en redressement judiciaire, afin que ce dernier, en particulier, ne dépouille
pas son entreprise des biens nécessaires à la poursuite de l’activité.
Si la mission de l’administrateur est en outre fixée par le tribunal, elle ne pourra cependant
jamais excéder les actes de gestion courante visés par les arts. L.621-22 à L .621-24 c.com
(arts. L.31 à L.33 anciens). Les actes de disposition étrangers à la gestion courante
nécessiteront ainsi l’autorisation du juge-commissaire, permettant par conséquent l’exercice
d’un contrôle sur l’origine du bien.
32. Il faut cependant relever en premier lieu que la notion d’acte de gestion courante est
susceptible de varier selon l’objet et l’activité habituelle de l’entreprise. La vente d’un
immeuble par une S.C.I. se verra ainsi certainement qualifiée d’acte de gestion courante,
tandis que pour une entreprise de négoce, un tel acte requérra l’autorisation du juge-
commissaire.
En outre, si l’art. L.621-25 c.com (art. L.34 ancien) énonce qu’une procédure particulière
et protectrice des intérêts des créanciers concernés doit être suivie lorsque l’acte de
disposition porte sur un bien grevé d’un privilège spécial, d’un nantissement ou d’une
hypothèque, aucune disposition analogue n’envisage la sauvegarde des intérêts du
propriétaire, cette lacune aboutissant ainsi, comme le relève M. Vallens30, à une fragilisation
des droits du revendiquant par rapport au créancier nanti ou hypothécaire, alors même que ce
dernier n’est pas propriétaire du bien vendu.
33. Aucune disposition, hormis l’art. D.85-4, n’interdit donc ni n’organise la vente d’un
bien dont le débiteur n’est que le détenteur précaire, et il se peut fort qu’en l’ignorance du
titulaire du droit de propriété, le bien se trouve réalisé sans que rien ne soit fait pour assurer
l’effectivité des droits du propriétaire. Est-ce à dire alors que l’administrateur ou le débiteur
30 J.-L. Vallens, La clause de réserve de propriété et le redressement judiciaire, JCP1986, éd. E, 14651, p.85.
19
devront nécessairement attendre la fin du délai d’action en revendication pour pouvoir enfin
vendre le bien ?
2- La possibilité d’une vente avant l’expiration du délai pour agir en
revendication ?:
34. C’est bien la solution qui semble ressortir d’un arrêt rendu par la chambre
Commerciale de la Cour de Cassation en date du 5/12/199531, en vertu duquel « tant que le
délai de revendication n’est pas expiré, le liquidateur ne peut procéder à des réalisations
d’actifs portant sur des biens objets d’une clause de réserve de propriété dont il a
connaissance ». Cette décision, dont le principe doit assurément être étendu à la période
d’observation, présuppose cependant que le mandataire de justice qui procède à la réalisation
du bien ait connaissance de ce que ce bien n’est pas la propriété du débiteur, ce qui signifie, a
contrario, que la vente n’est pas interdite lorsque le mandataire ignore une telle situation.
La chambre Commerciale de la Cour de Cassation a en outre précisé que, même en
connaissance du véritable titulaire du droit de propriété, le mandataire pouvait procéder à la
vente si les mesures nécessaires à la protection des droits du propriétaire étaient prises
consécutivement à l’acte32, la Cour de Cassation expliquant à cet égard que « la revendication
ne rend pas les marchandises (...) indisponibles, tandis que l’activité de l’entreprise est
poursuivie »33.
Ces solutions se révèlent globalement respectueuses du droit réel du propriétaire. Elles
soulèvent néanmoins deux questions : que sera le sort de son droit de propriété si le
mandataire a revendu le bien en croyant que celui-ci appartenait au débiteur ? Qu’adviendra-t-
il de ce même droit si le mandataire a, en connaissance de cause, vendu le bien sans prendre
les mesures nécessaires au désintéressement du propriétaire ?
B- L’incidence de la vente du bien sur le droit de propriété du revendiquant :
35. Le tiers acquéreur du bien va en effet pouvoir se prévaloir, s’il est de bonne foi, des
dispositions de l’art. 2279 c.civ à l’égard du propriétaire. Ce dernier n’aura plus alors qu’un
droit de créance relatif à la valeur du bien (1), et pourra aussi mettre en oeuvre la 31 Com. 5/12/1995, Bull. civ.IV, n° 280 ; D.1996, Somm. 224, obs. Pérochon. 32 Com. 11/07/1995, D. 1996, Somm. 223, obs. Pérochon ; Rev. Proc. Coll. 1995, p. 475, n° 12, obs. Soinne ; Com. 4/01/2000, A.P.C. 2000-3, n° 34, note Crocq ; D. 2000, p. 56, obs. Lienhard. 33 Com. 11/03/1997, Bull. civ. IV, n° 70 ; D.Aff. 1997, p. 510.
20
responsabilité du mandataire de justice si ce dernier avait connaissance de son droit de
propriété (2).
1- Le droit de propriété transformé en droit de créance :
36. Si la chambre Commerciale de la Cour de Cassation avait en effet admis, dans un arrêt
du 11/07/199534, une application extensive de l’art. L.122 ancien (L.621-124 nouveau) à ce
cas de figure, il semble cependant qu’une telle solution ne soit plus possible suite à la réforme
de 199435. C’est ainsi qu’un arrêt émanant de la même formation, en date du 11/03/199736, est
venu préciser, dans une espèce où des moteurs vendus sous réserve de propriété avaient été
utilisés dans le cadre de la poursuite de l’activité puis revendus, que la créance, née
régulièrement après le jugement d’ouverture, entrait dans les prévisions de l’art. L.621-32
c.com (art. L.40 ancien). Une telle décision est donc de nature à faire perdre au propriétaire
toute priorité résultant de la nature même de son droit. Est-elle pour autant attentatoire au
droit de propriété ? Il semble que ce ne soit pas le cas, dans la mesure où l’art. 1599 c.civ
aurait conduit à ce que le propriétaire puisse seulement demander des dommages-intérêts au
débiteur lorsque le sous-acquéreur est de bonne foi.
Il convient en outre de souligner que le propriétaire se verra aussi ouvrir la possibilité
d’une action en responsabilité contre le mandataire de justice qui aurait procédé à la
réalisation du bien de manière fautive.
2- La responsabilité du mandataire de justice :
37. Une telle responsabilité sera fonction, comme le précise l’arrêt précité du 5/12/1995,
de la connaissance ou non que le mandataire de justice aurait pu avoir du droit de propriété du
revendiquant. Une telle connaissance ne sera pas difficile à démontrer dans le cas où le
contrat portant sur le bien a été publié, mais il y a fort à parier que, dans un tel cas, le
mandataire respecte alors les prescriptions de l’art. D.85-4.
38. Il n’en sera pas de même cependant pour le cas où le contrat n’aurait fait l’objet
d’aucune publicité, et il paraît alors difficile d’engager la responsabilité de l’administrateur.
L’arrêt précité du 5/12/1995 fait néanmoins preuve d’une très grande rigueur à cet égard en ce
34 Com. 11/07/1995, préc., note 32. 35 P. Crocq, J.-Cl. préc. note 17, spéc. n° 91, p. 22. 36 Com. 11/03/1997, préc., note 33.
21
qu’il affirme que la Cour d’Appel devait rechercher si le mandataire de justice n’était pas
informé, par le biais de l’inventaire, de la clause de réserve de propriété qui avait été
convenue entre le propriétaire et le débiteur. La responsabilité du mandataire se verra a
fortiori engagée lorsque ce dernier n’aura pas fait procéder à l’inventaire qui aurait pu lui
révéler l’existence du droit de propriété du revendiquant37.
Si les solutions retenues en cas de vente du bien au cours de la période d’observation
paraissent par conséquent rigoureuses pour le propriétaire, elles sont néanmoins justifiées par
la nécessité d’éviter de paralyser toute chance de survie de l’entreprise en interdisant aux
organes de procéder à la réalisation du bien. Ces solutions seront-elles cependant les mêmes à
l’issue de la période d’observation, en cas d’inclusion du bien dans un plan de cession, ou de
réalisation du bien suite au prononcé de la liquidation judiciaire ?
§2 : La transmission du bien à l’issue de la période d’observation :
39. La question du devenir du droit de propriété du revendiquant ne se pose pas
véritablement dans le cadre d’un plan de continuation, le débiteur redevenant, à cette
occasion, in bonis. Tel ne sera pas par contre le cas dans le cadre d’un plan de cession, ou
suite au prononcé de la liquidation judiciaire, situations dans lesquelles le bien pourra se voir
transféré au repreneur ou réalisé au profit d’un tiers acquéreur. Si la situation du propriétaire
non-revendiquant dans ces deux cas de figure sera quant à elle étudiée ultérieurement, il
convient néanmoins de s’interroger sur le devenir des droits du propriétaire qui s’est
régulièrement manifesté auprès des organes de la procédure. Si les objectifs du plan de
cession justifient certainement les restrictions apportées à son droit de propriété (A), en sera-t-
il de même dans le cadre de la liquidation judiciaire, où par définition toute possibilité de
sauvegarde de l’entreprise est exclue (B) ?
A- En cas d’adoption d’un plan de cession :
40. La loi du 25/01/1985 a en effet eu le mérite d’organiser de manière précise le
déroulement de la cession, conçue comme un véritable mode de redressement de l’entreprise
défaillante. Il n’en demeure pas moins que, si le législateur a organisé les offres de cession et
régi les obligations du cessionnaire, il n’a pas envisagé de manière directe les droits des
37 Com. 6/07/1999, A.P.C. 1999-14, n° 190.
22
propriétaires face à l’adoption d’un plan de cession. Si le cas du propriétaire-contractant se
voit ainsi résolu par les dispositions de l’art. L.621-88 c.com (art. L.86 ancien) (1), qu’en
sera-t-il pour les autres propriétaires (2) ?
1- Les droits des propriétaires-cocontractants :
41. L’art. L. 621-88 c.com prévoit que « le tribunal détermine les contrats de crédit-bail,
de location ou de fourniture de services nécessaires au maintien de l’activité » (al 1), et que
« le jugement qui arrête le plan emporte cession de ces contrats » (al 2). Comme le relèvent
M.M. Germain et Delebecque38, une telle disposition confère au tribunal des pouvoirs
exorbitants qui constituent des atteintes graves au droit des contrats, dans la mesure où les
contractants concernés seront simplement appelés à formuler des observations, et non à
donner leur consentement à une telle transmission.
Mais il n’est pas que le droit des contrats qui se trouve ainsi atteint par une telle
disposition : le propriétaire doit en principe être libre d’utiliser son bien comme il l’entend, et,
notamment, de choisir librement celui auquel il entend par exemple le donner en location. La
restriction ainsi opérée dans le cadre d’un plan de cession est donc importante, d’autant plus
que le domaine d’application de la cession judiciaire des contrats est large : les baux ruraux,
normalement incessibles, peuvent ainsi se voir transmis en application de la loi du
30/12/198839. Il en sera de même du bail d’immeuble, alors même que les travaux
préparatoires invitaient à la solution opposée40.
42. Le cessionnaire ne sera en outre tenu que du passif postérieur au jugement adoptant le
plan de cession, mais il devra en principe exécuter le contrat aux conditions en vigueur au jour
de l’ouverture de la procédure. L’art. L. 621-88 prévoit néanmoins que le tribunal peut, le
contractant entendu ou dûment appelé, imposer à ce dernier des délais de paiement pour
assurer la poursuite de l’activité.
43. La jurisprudence se fonde enfin sur le caractère judiciaire et donc contraignant du
jugement arrêtant le plan de cession pour éviter sa remise en cause. Elle refuse ainsi de
38 G. Ripert et R. Roblot, Traité de droit commercial, T.2, par P. Delebecque et M. Germain, L.G.D.J. 2000, n° 3197, p.1113. 39 Art. 29 VIII de la loi n° 88-1202 du 31/12/1988, devenu l’art. 82 al 3 de la loi du 25/01/1985, actuellement art. L. 621-84 du nouveau Code de Commerce. 40 Com. 6/12/1994, R.J.D.A. 4/95, n° 501.
23
donner efficacité aux clauses d’incessibilité totale ou partielle, d’agrément ou de préemption
que pourrait renfermer le contrat41.
La seule voie offerte au contractant qui voudrait contester une telle cession sera ainsi celle
de l’appel, alors que les propriétaires autres que ceux visés à l’art. L.621-88 c.com se verront
privés d’une telle faculté, en dépit des répercussions que le plan de cession pourrait
éventuellement avoir sur le devenir de leur bien.
2- La situation des autres propriétaires :
44. Que restera-t-il en effet du droit de propriété du revendiquant dont le bien se serait vu
inclu dans un plan de cession ?
La Cour de Cassation a tout d’abord admis que le cessionnaire puisse s’engager à payer
certains créanciers antérieurs du cédant. Une telle solution a notamment été affirmée dans le
cas particulier où l’engagement de payer concernait la créance d’un vendeur avec réserve de
propriété42. Cette décision, fort avantageuse pour le propriétaire, a été approuvée par la
doctrine au motif, d’une part, que le report de la faculté de revendication sur le prix ne pouvait
pas jouer dans un tel cas, l’art. L.621-24 c.com (art. L.122 ancien) ne visant que les ventes
antérieures à l’ouverture de la procédure collective43, et, d’autre part, qu’une telle manière de
procéder étant en outre de nature à faire obstacle à la revendication en nature, le preneur ne
pouvant s’y opposer en sa qualité de possesseur de bonne foi44.
Cette dernière assertion soulève néanmoins une interrogation : peut-on vraiment
considérer que la revendication serait ouverte à l’encontre du cessionnaire au profit du
propriétaire dont le bien a été inclu dans un plan de cession ? Une telle faculté méconnaîtrait
certainement les dispositions de l’art. L.621-65 al 1 c.com (art. L.64 ancien), en vertu duquel
« le jugement qui arrête le plan en rend les dispositions opposables à tous ». La Cour de
Cassation ne semble pas s’être, au demeurant, orientée vers une telle solution, puisqu’elle a
admis, dans un arrêt du 9/06/199245, que le revendiquant devait en ce cas bénéficier d’un
41 Tel cet arrêt de la C.A. d’Aix en Provence, en date du 29/10/1990 (Juris-data, n° 048954), refusant d’appliquer un droit conventionnel de préemption dans un contrat de bail d’immeuble cédé au repreneur, au motif que ce droit n’était ouvert qu’en cas de vente amiable à titre onéreux et était donc incompatible avec le plan de cession. 42 Com. 17/05/1994, J.C.P. 1994 éd. G, I, 3799, n° 5 obs. Cabrillac. 43 Même si certaines juridictions ont néanmoins admis l’application d’un tel article dans le cadre d’un plan de cession : not. Aix en Provence, 30/03/1990, D. 1991. Somm. 42, arrêt partiellement cassé par Com. 9/06/1992, Bull. civ. IV, n° 230. 44 Obs. M. Cabrillac au J.C.P. 1994 préc, note 42. 45 Com. 9/06/1992,réf. au Bull. civ. citée note 43, et R.T.D. com. 1994, p. 126, obs. Zénati ; D. 1993. Somm. 296, obs. Pérochon.
24
paiement préférentiel, sur le fondement de l’art. L.621-32 c.com (art. L. 40 ancien). Le sort du
propriétaire dans le cadre d’un plan de cession est donc de nouveau, comme le constate M.
Vallens, beaucoup moins bien assuré que celui du créancier nanti ou hypothécaire, qui se voit
quant à lui attribuer une quote-part du prix par l’art. L.621-96 c.com (art. L.93 ancien)46.
45. Peut-on cependant affirmer dans un tel cas qu’il y a atteinte au droit de propriété ? Il
ne semble pas qu’une telle atteinte existe en l’occurrence, dans la mesure où l’art. 1 du
Premier Protocole Additionnel à la C.E.S.D.H., seul texte que pourrait véritablement faire
valoir le propriétaire en la matière, comme nous le verrons plus loin, permet aux Etats de
« mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens
conformément à l’intérêt général ». Or les objectifs de la cession, tels que visés par
l’art.L.621-83 al. 2 c.com47 (L.81 al 2 ancien) constituent assurément un tel intérêt général.
En ira-t-il de même toutefois dans le cadre de la liquidation judiciaire ?
B- En cas de liquidation judiciaire :
46. Les objectifs visés à l’art. L.620-1 c.com (art. L.1 ancien) ne trouvent plus à
s’appliquer dans un tel cas de figure. Quelles seront alors les possibilités offertes au
propriétaire revendiquant dont le bien se verrait réalisé à l’occasion d’une telle issue ? Ce
propriétaire pourra-t-il alors engager la responsabilité du liquidateur (1)? Pourra-t-il
revendiquer le bien (2) ?
1- La responsabilité du liquidateur :
47. Les solutions en la matière seront les mêmes que celles envisagées pour la vente du
bien au cours de la période d’observation, l’arrêt du 5/12/1995 précité ayant au demeurant été
rendu dans une espèce où c’était le liquidateur qui avait procédé à la vente du bien d’autrui.
La responsabilité du liquidateur ne se verra par conséquent engagée que si ce dernier avait
connaissance du droit de propriété du revendiquant, et n’a pas permis d’assurer le
désintéressement de ce dernier.
Il faudra là encore tenir compte de l’inventaire pour déterminer la connaissance que le
liquidateur pouvait avoir des droits du propriétaire.
46 J.-L. Vallens, La clause de réserve de propriété et le redressement judiciaire, JCP éd. E 1986, 14651, p.85. 47 D’après ce texte, le plan de cession doit avoir pour objet « le maintien d’activités susceptibles d’exploitation autonome, de tout ou de partie des emplois qui y sont attachés, et d’apurer le passif ».
25
Mais si les solutions retenues en matière de responsabilité sont similaires à celles
envisagées pour le cas de la vente du bien au cours de la période d’observation, en sera-t-il de
même s’agissant des possibilités de revendication du propriétaire ?
2- Le sort du droit de propriété :
48. La vente du bien dans le cadre de la liquidation judiciaire n’ouvrira, pas plus que sa
transmission dans le cadre d’un plan de cession ou que sa réalisation au cours de la période
d’observation, la possibilité de revendication du prix offerte par l’art. L.621-124 c.com (art.
L.122 ancien). Il n’apparaît pas de surcroît possible que le propriétaire puisse dans un tel cas
exercer son action en revendication contre le tiers acquéreur qui se verra protégé par les
dispositions de l’art. 2279 c.civ. Le propriétaire n’aura donc, une fois de plus, qu’un droit de
créance sur le fondement de l’art. L.621-32 c.com (art. L.40 ancien).
Il faut en outre souligner que certains contrats conclus avec des propriétaires pourront se
voir continués dans le cadre du maintien de l’activité, aux termes de l’art. L.622-10 c.com
(art. L.153 ancien) , un tel maintien ne pouvant cependant excéder deux mois48. Les créances,
notamment de loyers, nées au cours de l’exécution des contrats ainsi continués, bénéficieront
alors du privilège de l’art. L. 621-32 c.com.
49. Le droit de propriété est par conséquent paralysé par l’ouverture de la procédure
collective, conduisant à un véritable dessaisissement du propriétaire. Mais les restrictions ici
envisagées ne constituent pas néanmoins de véritables atteintes au droit de propriété, étant
justifiées par les objectifs inhérents aux procédures collectives. Ces dernières ne font pas de
plus obstacle à ce que le propriétaire exerce une action en revendication afin de récupérer son
bien. Cette possibilité de défense du droit de propriété se verra toutefois soumise à un régime
bien différent de celui qui est le sien dans le Code Civil, comme nous allons le voir
maintenant.
48 Pouvant être prolongés « une fois pour une période de même durée, à la demande du Ministère Public » (art. D.119-1, suite au décret du 21/10/1994).
26
CHAPITRE 2 : LES RESTRICTIONS APPORTEES A LA DEFENSE DU DROIT DE
PROPRIETE :
50. L’action en revendication peut se définir comme celle exercée par le propriétaire
contre le tiers qui détient indûment son bien, et refuse de le restituer en contestant son droit49.
Si la revendication, telle qu’envisagée par le Code Civil, s’applique aux meubles comme
aux immeubles, son importance est cependant beaucoup plus grande concernant ces derniers.
La revendication mobilière n’a en effet vocation à être engagée que de manière
exceptionnelle, en raison de la protection du possesseur de bonne foi instituée par l’art. 2279
c.civ.
51. Or c’est exactement l’inverse qui se produit en matière de procédures collectives, la
loi n’envisageant que l’action en revendication ouverte au propriétaire de biens meubles. Un
tel constat pourrait être a priori positif, en ce qu’il semble étendre le champ d’application de
l’action en revendication au delà des limites du droit commun. Il n’est pas certain pour autant
que le propriétaire soit favorisé par l’organisation donnée à la revendication dans les
procédures collectives. En effet, le Code Civil lui aurait ouvert la même possibilité de
revendiquer, le débiteur ne pouvant être considéré comme un possesseur de bonne foi, et une
telle action aurait été exercée dans des conditions peut-être plus avantageuses pour lui, les
textes de droit civil n’envisageant aucune sanction liée à l’inaction.
En quoi l’encadrement de l’action en revendication est-il donc ici dérogatoire au droit
commun (section 1) ? Un tel encadrement peut-il être de surcroît considéré comme
attentatoire à la protection du droit de propriété par la Constitution ou certains textes de droit
international (section 2)? Telles sont les interrogations auxquelles il convient d’apporter une
réponse ici.
Section 1 : L’encadrement strict de l’action en revendication :
52. L’absolutisme de la propriété en droit commun permet au propriétaire de pouvoir se
désintéresser de son bien, sans pour autant perdre son droit. Le droit de propriété n’est pas en
principe éteint par le non-usage, et le seul risque encouru par le propriétaire se situe ainsi dans
l’appropriation du bien par un autre, et au jeu de la prescription acquisitive en faveur de ce
dernier.
49 F. Terré et Ph. Simler, op.cit., n° 506, p.355.
27
Il en va différemment dans les procédures collectives : la nécessité de connaître
rapidement le patrimoine du débiteur, et l’urgence à trouver une réponse aux difficultés subies
par ce dernier vont créer, à l’encontre des propriétaires de biens appréhendés par la procédure,
l’obligation de se manifester rapidement, au moyen d’une action strictement encadrée (§ 1).
L’inertie du propriétaire se verra par conséquent très sévèrement sanctionnée par
l’inopposabilité de son droit de propriété à la procédure collective (§ 2).
§ 1 : La nécessité d’agir :
53. Les dispositions de l’art. L.621-115 c.com (ancien art. L.115) à cet égard sont très
claires : « la revendication des meubles ne peut être exercée que dans le délai de trois mois
suivant la publication du jugement ouvrant la procédure de redressement judiciaire ou de
liquidation judiciaire immédiate ».
L’impératif de rapidité, inhérent à la nécessité de déterminer la consistance du patrimoine
du débiteur, va ainsi justifier une double dérogation au droit commun de la revendication : les
modalités d’action, tout d’abord, vont être facilitées (A). Elles n’ont eu, à cet égard, de cesse
de s’alléger au fil des différentes réformes. Mais on ne saurait en déduire pour autant que
l’action en revendication est aisée à mettre en oeuvre, dans la mesure où l’allègement formel
est contrebalancé par des délais d’action brefs et complexes (B).
A- Une action facilitée :
54. L’action en revendication dans les procédures collectives se voit en effet favorisée
d’un double point de vue : en premier lieu concernant le formalisme de la demande, qui
apparaît de prime abord assez réduit (1), et en second lieu pour ce qui est de la preuve de la
propriété, rendue plus aisée par l’obligation de procéder à un inventaire (2).
1- Un formalisme allégé :
55. L’action en revendication telle qu’envisagée par le Code Civil obéit au droit commun
de la procédure devant le T.G.I.. Tel n’est pas le cas de l’action en revendication dans le cadre
d’une procédure collective, celle-ci n’étant pas en effet considérée comme une demande en
justice (a), et débutant obligatoirement par une phase amiable pouvant déboucher sur la
restitution du bien à son propriétaire (b).
28
a- L’action en revendication n’est pas une demande en justice :
56. La procédure de revendication s’est vue facilitée par la loi du 10/06/1994 afin de
permettre une reconnaissance plus aisée du droit de propriété du revendiquant. Auparavant, la
jurisprudence exigeait en effet que l’action en revendication soit intentée par le biais d’un
« acte saisissant la juridiction concernée »50, une simple lettre recommandée adressée au
syndic et présentant une demande amiable n’étant pas suffisante51. En pratique, cet acte
introductif prenait souvent la forme d’une assignation, ou, plus fréquemment, d’une requête
déposée entre les mains du juge-commissaire dans les délais.
La revendication a donc été rendue plus aisée par la réforme de 1994, l’art. D.85-1
prévoyant que la demande est adressée par simple lettre recommandée avec accusé de
réception au mandataire de justice et précisant, en son dernier alinéa, que cette « demande en
revendication emporte de plein droit demande en restitution ».
57. Un récent arrêt de la Cour de Cassation est en outre venu s’insérer dans le droit fil de
ce mouvement simplificateur en affirmant que la demande en revendication ne constituait pas
une demande en justice52. Une telle décision facilite encore plus la tâche des revendiquants
qui se voient ainsi véritablement privilégiés par rapport aux simples créanciers. La Cour de
Cassation a en effet précisé, sous l’empire de la loi du 13/07/1967, que la déclaration de
créance équivalait à une demande en justice, solution reconduite sous l’empire de la loi de
198553. Or une telle assimilation peut s’avérer très rigoureuse pour le créancier, comme l’a
montré le récent contentieux en matière de pools bancaires54.
Le préposé qui exercera l’action en revendication pour le compte du propriétaire n’aura
pas par conséquent à justifier d’une délégation de pouvoirs en ce sens, et la revendication
exercée par un tiers au profit du propriétaire ne nécessitera pas quant à elle la production d’un
« pouvoir spécial » au sens de l’art. 853 N.C.P.C., mais un simple mandat, pouvant être
verbal.
L’absence de formalisme relatif à la demande en revendication constitue ainsi une
véritable faveur accordée au propriétaire, faveur renforcée par l’existence d’une procédure
50 Com. 1/10/1985, Bull. civ. IV, n° 221. 51 Com. 18/04/1985, R.J. com. 1986, p. 274, note Gallet. 52 Com. 6/03/2001, D.2001. A.J., p. 1099, obs. Lienhard. 53 Civ. 1, 13/06/1995, R.J.D.A. 1996, n° 126 ; Com. 15/10/1991, Bull. civ. IV, n° 197. 54 Ass. Plén. 26/01/2001, B.I.C.C. 1/03/2001, p.17, concl. Feuillard, et note Bouret ; J.C.P. 2001, éd. E, p. 617, note Béhar-Touchais.
29
amiable préalable, au terme de laquelle le revendiquant pourra purement et simplement
récupérer son bien.
b- Une phase préalable amiable, mais obligatoire :
58. La demande en revendication va en effet être adressée au mandataire de justice, lequel
va pouvoir, avec l’accord du débiteur, acquiescer à celle-ci. Cette possibilité, très avantageuse
pour le revendiquant, en ce qu’elle lui permet de se voir restituer son bien aisément, est aussi
très utile : en bien des cas en effet, comme le relève Mme Pérochon55, le droit du revendiquant
est incontestable, et il n’y a aucune raison d’exiger une véritable procédure devant le juge-
commissaire. Ceci permet de gagner du temps et d’éviter la dépréciation du bien ainsi que des
frais de stockage inutiles.
L’acquiescement emporte ainsi, selon l’art. 408 N.C.P.C. « reconnaissance du bien-fondé
des prétentions de l’adversaire et renonciation à l’action ». L’art. 410 du même code dispose
de surcroît que l’acquiescement peut être « exprès ou implicite ». L’emploi par la loi du
terme acquiescement permet par conséquent l’application de ces règles générales. Il faut donc
que le mandataire acquiesce par écrit ou par une attitude impliquant sans aucune équivoque la
reconnaissance du droit de propriété du revendiquant, ce qui sera certainement le cas pour la
remise du bien en toute connaissance de cause56.
59. Il n’en reste pas moins que, pour aussi aisée qu’elle soit, cette procédure amiable
présente un caractère obligatoire.
Une partie de la doctrine avait toutefois considéré, au lendemain de l’adoption de la
réforme du 10/06/1994, que la demande amiable faite à l’administrateur était facultative, et
que les termes de la loi permettaient d’adresser directement la demande au juge-
commissaire57. Les arguments avancés par ces auteurs étaient ceux de la simplicité, de la
rapidité, ainsi que l’objectif de sécurité poursuivi par le créancier revendiquant, ces impératifs
ayant été mis en exergue lors de l’adoption de la réforme de 1994.
55 F Pérochon, La revendication favorisée ( loi n° 94-475 du 10/06/1994), D. 1994, chr , p. 251 et s, spéc. n° 8, p. 252. 56 B. Soinne, Le démantèlement du droit de la revendication, Rev. Proc. Coll. 1994, p. 471, spéc. n° 20 ; A Martin-Serf, Revendications et restitutions dans les procédures collectives, Petites Affiches 28/10/1998, p.23 et s., spéc. p.25-26. 57 B. Soinne, Le démantèlement du droit de la revendication, Rev. Proc. Coll. 1994, p. 471, spéc. n° 20 ; F. Pérochon, Revendications et restitutions selon le décret du 21/10/1994, Petites Affiches 14/06/1995, n° 71, p. 32 et s., spéc. p. 33-34.
30
Cependant, comme le souligne Mme Martin-Serf58, les modifications procédurales
apportées à l’action en revendication en 1994 ont surtout été motivées par un souci de bonne
administration de la justice, ainsi qu’en vue de soulager les juges-commissaires, pour éviter
une décision de justice systématique quand n’existait aucune contestation du droit du
revendiquant.
Si la Cour de Cassation n’a pas encore, à notre connaissance, tranché cette question du
caractère obligatoire de la demande amiable, plusieurs Cours d’Appel ont toutefois considéré
que ce préalable n’était « pas à la discrétion du créancier puisqu’[il] a pour objet de limiter
les causes de contentieux des revendications »59.
60. La Cour d’Appel de Paris a cependant quelque peu tempéré cette affirmation, en
estimant, dans un arrêt du 22/01/199960, que si, lorsqu’il était saisi par le créancier alors que
le délai donné au mandataire n’était pas expiré, le juge-commissaire ne pouvait accueillir la
requête en revendication, il pouvait, par application de l’art. 126 N.C.P.C., statuer sur la
requête dès lors que la cause d’irrecevabilité avait disparu.
Le doute soulevé par la nature impérative de la demande amiable devant le mandataire
constitue donc un premier bémol démontrant que la sécurité du propriétaire dans le cadre des
procédures collectives n’est pas forcément assurée par l’organisation législative de l’action en
revendication. Il n’en demeure pas moins que si le revendiquant se conforme aux
prescriptions légales, il aura toutes les chances de primer les autres créanciers et de récupérer
son bien, une telle possibilité étant de plus renforcée par les facilités probatoires découlant de
la loi de 1985.
2- Une preuve aisée :
61. Le droit des procédures collectives intime au demandeur de prouver qu’il est resté
propriétaire du ou des biens revendiqués, ou qu’il a retrouvé cette qualité par l’effet de la
résolution du contrat avant le jugement d’ouverture.
L’art. L.621-122 c.com (art. L.121 ancien) ajoute à cela que les biens doivent encore
exister en nature au jour du jugement d’ouverture. Si une telle preuve se verra facilitée en cas
58 A. Martin-Serf, Revendications et restitutions dans les procédures collectives, Petites Affiches 28/10/1998, n° 129, p. 23 et s., spéc. p. 28. 59 Paris, 27/02/1998, inédit, cité par A. Martin-Serf, Revendications et restitutions dans les procédures collectives, Petites Affiches 28/10/1998, n° 129, p. 23 et s., spéc. p. 28 ; Dijon, 1ère ch. Civ., 18/01/2000, D. 2000., A.J., p. 312. 60 Paris, 22/01/1999 D. 1999. IR. 55 ; D.Aff. 1999, p.340, obs. A.L. ; R.T.D. com. 2000, p.179, obs. Martin-Serf.
31
d’inventaire, redevenu obligatoire depuis la réforme de 1994 (a), la revendication ne sera pas
pour autant paralysée par l’absence d’un tel inventaire (b).
a- Le caractère obligatoire de l’inventaire :
62. Ce caractère obligatoire, qui avait disparu sous l’empire de la loi de 1985 dans sa
rédaction initiale, a en effet été rétabli par la réforme de 1994. Cette modification législative
est assurément très favorable pour le revendiquant, qui verra ainsi la preuve de son droit de
propriété facilitée, ce d’autant plus que l’art. D.51, tel que modifié par le décret du
21/10/1994, impose un inventaire précis mentionnant les statuts particuliers de tous les biens
potentiellement objets de revendication, et notamment de ceux vendus sous réserve de
propriété, qui sont expressément visés par ce texte.
63. Que se passera-t-il cependant si l’inventaire ne fait pas mention des biens sur lesquels
porte l’action en revendication ? Les apparences jouent alors contre le propriétaire, mais rien
ne lui interdit en principe d’exercer son action, à charge pour lui de démontrer que les
marchandises revendiquées existaient bien en nature au jour du jugement d’ouverture61, cette
preuve pouvant être établie par tous moyens62.
Les solutions seront-elles les mêmes lorsqu’aucun inventaire n’a été établi ?
b- L’absence d’inventaire ne fait pas obstacle à la revendication :
64. L’absence d’inventaire n’est pas sanctionnée par la loi. Le législateur a même précisé,
à l’art. L.621-18 al. 2 c.com (art. L.27 al 2 ancien), que « l’absence d’inventaire ne fait pas
obstacle à l’exercice des actions en revendication ou en restitution ».
65. Certains auteurs se sont demandés si, suite à la réforme de 1994 rétablissant le
caractère obligatoire de l’inventaire, l’absence d’une telle mesure ne devait pas, comme
c’était le cas sous l’empire de la loi du 13/07/1967, aboutir à un renversement de la charge de
la preuve63. C’était alors au débiteur de prouver, dans un tel cas, que les biens revendiqués ne
se retrouvaient pas en nature dans son patrimoine au jour du jugement d’ouverture64. La
61 J. Vallansan, J.-Cl. préc. note 10, spéc. n° 35, p.6. 62 Civ. 1 11/01/2000, D. 2000, p. 890, note Donnier. 63 B. Soinne, Traité des procédures collectives, Litec, 1995, spéc. n° 1935 ; P. Crocq, J.-Cl. Commercial, fasc. Préc. note 17,, spéc. n° 52, p. 15. 64 Com. 7/11/1989, Bull. civ. IV, n° 277 ; D.1991., Somm. 46, obs. Derrida.
32
reconduction d’une telle solution aurait alors placé le revendiquant dans une situation
beaucoup plus favorable que celle résultant de l’application des règles du droit civil.
Il ne semble pas cependant que la jurisprudence, qui avait imposé au revendiquant
d’établir la preuve de l’existence en nature du bien à défaut d’inventaire sous l’empire de la
loi de 1985 dans sa rédaction initiale65, soit décidée à opérer un revirement en la matière.
C’est en tout cas ce qui semble résulter d’un arrêt rendu par la chambre Commerciale de la
Cour de Cassation, en date du 13/04/199966.
La preuve pourra alors, une fois de plus, être rapportée par tout moyen, ne rendant pas
ainsi la situation du propriétaire plus défavorable que celle dans laquelle il se serait trouvé
placé par application des règles du Code Civil.
La similitude avec les règles de droit commun disparaît cependant lorsque l’on examine
les délais d’action prévus par la loi de 1985 en matière de revendication.
B- La contrepartie de la facilité d’action : la complexité du délai de revendication :
66. L’action en revendication de droit commun est imprescriptible, qu’elle porte sur des
immeubles67, ou sur des biens meubles68. Il n’en va pas de même dans le cadre des procédures
collectives, où elle va se voir soumise à un bref délai, constituant la contrepartie des facilités
d’action accordées au propriétaire, ainsi que le moyen indispensable à la connaissance rapide
de l’actif du débiteur. Si ce délai n’a eu de cesse de diminuer au fil des réformes, la loi du
10/06/1994 fait cependant figure d’exception à cet égard, en prévoyant qu’il commence à
courir, non à compter du jugement d’ouverture lui-même, comme c’était le cas sous l’empire
da la loi de 1985 dans sa rédaction initiale, mais à compter de la publication dudit jugement
au B.O.D.A.C.C., ce qui, selon les praticiens, conduit à allonger le délai d’environ deux à
trois mois.
Il n’en reste pas moins que le législateur n’a pas fait preuve, en ce domaine, de la même
simplicité que pour le formalisme de la demande en revendication. Il ressort notamment des
dispositions légales et réglementaires qu’il n’y a pas un, mais plusieurs délais, susceptibles de
varier selon la nature du contrat et le déroulement de la revendication (1). A cette complexité
65 Com. 9/04/1991, Bull. civ. IV, n° 130. 66 Com. 13/04/1999, D. 2000., Somm.72, obs. Pérochon et Mainguy, A.P.C. 1999-10, obs. Monsérié-Bon. Cet arrêt n’apporte pas cependant de réponse claire à la question, en affirmant, de manière sybilline, que le créancier revendiquant, face à la carence de l’administrateur, « faisait la preuve qui lui incombait en produisant les bons de commande et de livraison ». 67 Req. 12/07/1905, D. 1907, I, 141, Rapp. Poitier. 68 Civ. 1 2/06/1993, Bull. civ. I, n° 197.
33
vient au demeurant s’ajouter la sévérité jurisprudentielle, la Cour de Cassation ayant affirmé
que le caractère préfix de ces délais (2).
1- Des délais variables:
67. La sécurité du propriétaire, favorisée par le formalisme allégé de la demande, se voit
en effet mise à mal par la très grande variabilité des délais d’action, dont le point de départ
évolue selon la nature du contrat (a), et dont la longueur va aussi dépendre de la réponse
donnée par le mandataire à la demande en revendication (b).
a- Un point de départ évolutif selon la nature du contrat :
68. Le point de départ du délai va varier selon que le contrat qui fonde le droit de propriété
du revendiquant est ou non un contrat continué.
Si le délai d’action de trois mois court normalement à compter de la publication du
jugement d’ouverture, tel ne sera pas le cas pour les contrats en cours69, à propos desquels
l’art. L.621-115 al. 2 (art. L.115 al 2 ancien), prévoit que le point de départ du délai est
constitué par « la résiliation ou [le] terme du contrat ».
La solution ainsi retenue par le législateur fait passer la restitution du bien par une action
décalée. Mme Martin-Serf fait remarquer à cet égard que la situation créée par le législateur
laisse sans réponse70 la question posée par le contrat qui arrive à son terme ou est résilié dans
les jours qui suivent le jugement d’ouverture, et avant la publication de ce dernier au
B.O.D.A.C.C. Quel point de départ retenir ? Attendre la publication au B.O.D.A.C.C serait
plus favorable au cocontractant, mais cette solution ne saurait, selon l’auteur, être retenue,
dans la mesure où une disposition écrite spécifique aux contrats en cours fait impérativement
courir ce délai à partir de la résiliation ou du terme. Le point de départ du délai de l’art.
L.621-115 al.2 c.com est donc tantôt favorable, tantôt défavorable au cocontractant.
69. En dépit de cette incertitude, la situation du propriétaire-cocontractant n’en reste pas
moins confortable, au point que les vendeurs bénéficiaires d’une clause de réserve de
propriété ont essayé d’obtenir l’application de l’art. L.621-115 al. 2 c.com à leur cas. Mme
69 Cette expression visant les contrats envisagés par l’art. L.621-27 c.com (art. L.37 ancien). 70 A. Martin-Serf, Revendications et restitutions dans les procédures collectives, Petites Affiches 28/10/1998, n° 129, p. 23 et s., spéc. p. 27.
34
Pérochon71 avait néanmoins relevé, au lendemain de l’adoption de la loi du 10/06/1994, que
de telles ventes ne pouvaient être considérées comme des contrats en cours, car il était, selon
cet auteur, impossible de leur appliquer les notions de « terme » ou de « résiliation » . La
jurisprudence a d’ailleurs récemment confirmé ce point de vue72.
La variabilité du point de départ du délai n’est pas cependant la seule source de
précarisation de la situation du propriétaire, puisque le délai va en effet se dédoubler en cas de
défaut d’acquiescement de l’administrateur.
b- Le double délai de forclusion en cas de refus de la revendication ou
de silence du mandataire :
70. L’art. D.85-1 prévoit en son al. 2 qu’en cas de « défaut d’acquiescement » de
l’administrateur dans le « délai d’un mois à compter de la réception de la demande, le
demandeur doit, sous peine de forclusion, saisir le juge-commissaire dans un délai identique
à compter de l’expiration du délai de réponse du mandataire ».
Si la question de la légalité de ce double délai de forclusion a récemment été tranchée par
la Cour de Cassation73, il n’en reste pas moins que celui-ci fait peser une incertitude sur la
situation du propriétaire, notamment en cas de silence du mandataire. Certains auteurs ont
néanmoins relevé que ce double délai de forclusion, s’il pouvait aboutir à abréger le délai de
l’art. L.621-115 c.com lorsque la demande amiable était présentée rapidement , pouvait à
l’inverse allonger ce délai de revendication lorsque ladite demande était faite quelques jours
avant l’expiration du délai de trois mois74.
71. On peut de surcroît s’interroger sur l’utilité de ce double délai. Si le premier délai de
trois mois a en effet vocation à ce que le propriétaire se manifeste rapidement afin que les
organes de la procédure puissent connaître la consistance du patrimoine du débiteur, pourquoi
exiger une nouvelle manifestation de volonté alors que lesdits organes sont informés de
l’exacte provenance du bien ? N’aurait-il pas été alors plus logique de calquer la situation sur
71 F Pérochon, La revendication favorisée ( loi n° 94-475 du 10/06/1994), D. 1994, chr , p. 251 et s. 72 Com. 3/03/2001, D.2001., A.J., p. 1621, note Avena-Robardet. 73 Civ.1 16/05/2000, D.2000. A.J., p. 291, obs. Lienhard. 74 Not. A Martin-Serf, Revendications et restitutions dans les procédures collectives, Petites Affiches, 28/10/1998, n° 129, p. 23 et s., spéc. p. 29.
35
celle existant lorsque le contrat est publié, en permettant notamment à l’administrateur de
procéder lui-même à la saisine du juge-commissaire ?
L’existence d’un double délai de forclusion amoindrit par conséquent la sécurité du
propriétaire, d’autant plus que la jurisprudence a affirmé que les délais posés par les textes
étaient préfix.
2- Des délais préfix :
72. Le caractère préfix des délais institués par les textes en matière de revendication ne
résulte d’aucune disposition légale ou réglementaire, mais a été dégagé par la jurisprudence
(a). Cette solution est d’autant plus rigoureuse qu’il n’existe pas pour le revendiquant de
possibilité d’obtenir un relevé de forclusion (b).
a- L’affirmation jurisprudentielle du caractère préfix des délais :
73. La Cour de Cassation a ainsi affirmé que les délais pour agir en revendication
n’étaient en effet susceptibles d’aucune suspension ni interruption75. Lorsque l’action est
exercée par voie postale, il suffit que la lettre ait été expédiée au plus tard le dernier jour du
délai, la jurisprudence se référant, pour consacrer cette solution, à l’art. 668 N.C.P.C., selon
lequel la date de la notification par voie postale est, à l’égard de celui qui y procède, celle de
l’expédition, et non celle de la réception76.
74. Les délais sont en outre susceptibles d’allongement dans certains cas. La question de
l’application de l’art. 643 N.C.P.C., prévoyant une augmentation des délais à raison de la
distance a ainsi été discutée en doctrine, certains auteurs estimant que le délai de l’art.
L.621-115 c.com ne correspondait à aucune des catégories visées par le texte du N.C.P.C.77.
La Cour de Cassation a cependant considéré, dans un arrêt rendu le 26/02/199778, que
l’augmentation de délai prévue par l’art. 643 N.C.P.C. pouvait jouer, car aucune disposition
de la loi ou du décret de 1985 n’excluait l’application des règles générales de cet article.
Mais cette solution jurisprudentielle, quoique favorable au revendiquant, ne comble pas
cependant l’impossibilité dans laquelle se trouve ce dernier d’obtenir un relevé de forclusion.
75 Com. 28/06/1988, Bull. civ. IV, n° 220. 76 Com. 1/10/1991, J.C.P. 1992, éd G., I, 3595, n° 15, obs. Cabrillac. 77 L’art. 643 N.C.P.C. vise en effet exclusivement les délais « de comparution, d’appel, d’opposition, de recours en révision et de pourvoi en cassation ». 78 Com. 26/02/1997, Dr. Sociétés avr. 1997, p. 17, obs. Chaput.
36
b- L’absence de relevé de forclusion :
75. Cette absence de relevé de forclusion est une solution plus rigoureuse que celle prévue
par l’art. L.621-46 c.com (art. L.53 ancien) relativement aux créanciers n’ayant pas déclaré
leurs créances.
La jurisprudence a quelque peu corrigé cette sévérité, en admettant, sous l’empire de la loi
de 1967, que le revendiquant puisse se prévaloir de la règle contra non valentem... si l’action
en revendication n’avait pu être exercée en temps utile en raison d’une impossibilité absolue
d’agir79. Cette décision s’est vue reconduite après la réforme de 1994, par un arrêt du
2/03/199980.
Une telle solution est donc de nature à rapprocher la situation du non-revendiquant de
celle du créancier non-déclarant, d’autant plus que les tribunaux font preuve d’une très grande
sévérité dans l’octroi du relevé de forclusion en matière de déclaration de créance, le créancier
devant prouver que son absence de production provient d’un fait qui lui est totalement
étranger (fait d’un tiers ou cas de force majeure).
La situation du revendiquant est donc loin d’être aussi favorable que pourrait le laisser
penser la simple lecture des dispositions législatives. Cet inconfort, en partie dû à la
complexité des délais d’action, est surtout lié à la sanction du défaut de revendication, non
moins complexe.
§2 : L’inaction sévèrement sanctionnée :
76. Si le législateur a détaillé très précisément les modalités d’exercice de l’action en
revendication, il n’en a pas moins omis de préciser quelles étaient les sanctions attachées à
leur inobservation.
Les lacunes de la loi de 1985 sur ce point n’ont pas été comblées par la réforme de 1994.
L’art. L.621-116 c.com (art. L.115-1 ancien) précise toutefois qu’en cas de publicité du
contrat portant sur le droit de propriété, le propriétaire est « dispensé de faire reconnaître son
droit (...)». L’art. D.85-1, en son alinéa 2, parle quant à lui de « forclusion » à l’encontre du
79 Com. 28/06/1994, Bull. civ. IV, n° 246, statuant à propos du délai d’un an de l’art. 59 de la loi du 13/07/1967, dans sa rédaction antérieure à la loi du 12/05/1980. 80 Com. 2/03/1999, RJDA 1999, n° 578 ; RD bancaire 2000, n° 20, obs. Lucas.
37
propriétaire qui aurait omis de saisir le juge commissaire dans les délais, suite au défaut
d’acquiescement de l’administrateur à sa demande en revendication.
Face à l’imprécision de la loi, c’est donc à la jurisprudence qu’est revenue la tâche de
préciser quelles étaient les conséquences du défaut de revendication, et ce n’est que
récemment, dans un arrêt du 4/01/200081, que la Cour de Cassation a affirmé de manière très
claire que le propriétaire n’ayant pas revendiqué dans les délais voyait son droit rendu
inopposable à la procédure collective (A).
Mais si les termes employés par la Haute Juridiction ne laissent aucun doute sur la nature
de la sanction, la question des effets de celle-ci reste par contre entièrement posée, ces effets
étant susceptibles, comme l’ont relevé de nombreux auteurs, de varier dans le temps (B).
A- L’inopposabilité du droit de propriété, sanction du défaut de revendication :
77. Si la sanction du défaut de revendication n’a été posée de manière très nette que
récemment, elle se trouvait déjà en germe dans certaines décisions antérieures de la Cour de
Cassation. Cette dernière avait en effet déjà affirmé, dans deux arrêts des 20/10/199282 et
9/05/199583, que l’action en revendication tendait à faire reconnaître le droit de propriété du
revendiquant, ce qui sous-entendait que l’existence même de ce droit n’était pas affectée par
l’inertie du propriétaire. Dans une décision du 5/12/199584, la chambre Commerciale de la
Cour de Cassation reprenait cette idée, tout en changeant de terminologie, en énonçant que
l’action en revendication tendait à « faire valoir » le droit de propriété du revendiquant.
La Cour de Cassation n’a donc fait que préciser la solution implicitement exprimée, en
expliquant, dans l’arrêt du 4/01/2000, que « si l’absence de revendication rend le droit de
propriété inopposable à la procédure collective, elle n’entraîne pas cependant l’extinction de
ce droit de propriété, ni le transfert de la propriété au débiteur, la forclusion ne constituant
pas un mode d’acquisition de ce droit ». Cette affirmation pose néanmoins deux questions :
quelle est tout d’abord la justification du choix de l’inopposabilité comme sanction du défaut
de revendication dans les délais (1) ? A qui profitera en outre une telle sanction (2)?
1- Une sanction justifiée : 81 Com. 4/01/2000, D. 2000, p. 533, note Le Corre-Broly ; R.J.Com. 2000, n° 1561, p. 266, note Dusmenil-Rossi et Santana. 82 Com. 20/10/1992, D. 1993, p. 19, note Derrida ; D. 1993, Somm. 285, obs. F. Pérochon. 83 Com. 9/05/1995, Bull. civ. IV, n° 135 ; R.T.D. civ. 1996, p. 208, obs. Crocq ; Rev. Proc. Coll. 1995, p. 478, n° 17, obs. Soinne ; D. 1996, Somm. 115, obs. Pérochon. 84 Com. 5/12/1995, Bull. civ. IV, n° 278 ; D. 1996, Somm. 215, obs. Pérochon.
38
78. Deux types de sanctions avaient en effet été avancées en doctrine, face au défaut de
revendication du propriétaire : la perte du droit de propriété, et son inopposabilité. Si la perte
du droit de propriété est apparue impossible, car contredisant les principes protecteurs de ce
droit (a), l’inopposabilité ne constitue toutefois qu’une solution de compromis (b).
a- L’impossible perte du droit de propriété :
79. Une partie de la doctrine s’était prononcée, dans le silence de la loi et avant toute
affirmation claire de la sanction par la jurisprudence, en faveur du transfert de la propriété du
bien non-revendiqué au débiteur, avec plus ou moins de nuances cependant.
M. Crocq avait ainsi expliqué, dans ses observations sous l’arrêt du 9/05/1995 précité85,
que ce qui fait l’essence du droit de propriété consiste en la plénitude, ou, à tout le moins, la
potentialité d’une plénitude de pouvoirs du propriétaire sur son bien. L’absence de
revendication dans les délais privant le propriétaire de tout moyen de récupérer ledit bien, ce
dernier se voyait ainsi placé dans l’impossibilité de retrouver la plénitude de pouvoirs
nécessaire à l’existence de son droit. La logique voulait donc, selon cet auteur, que le
propriétaire perde son droit de propriété sur le bien qui entrait, de ce fait, « dans le patrimoine
du [débiteur ] » et se trouvait « soumis au droit de gage des créanciers de ce dernier »86.
M. Soinne, pour sa part, aboutissait aux mêmes conclusions, tout en reconnaissant que
l’action en revendication n’avait pour objet ni l’extinction, ni le transfert du droit de propriété.
Cet auteur relevait en effet que l’absence de revendication transformait le bien litigieux en un
« élément de l’actif apparent de l’entreprise »87, pouvant être ainsi conservé par le débiteur
dans le cadre de l’exploitation ou suite à un plan de continuation, et étant en outre susceptible
se voir réalisé en cas de liquidation ou de cession de l’entreprise88.
Ces deux auteurs désapprouvaient surtout la solution selon laquelle les loyers postérieurs
au jugement d’ouverture pouvaient être versés sur le fondement de l’art. L.40 ancien (L.621-
32 nouveau) au propriétaire bailleur89.
85 Com. 9/05/1995, préc. note 83, spéc. p. 211-212. 86 Ibid., p. 211. 87 B. Soinne, op. cit., n° 1961, p. 1602. 88 Ibid., n° 1961, p. 1602. 89 Com. 9/05/1995, préc. note 83.
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80. La chambre Commerciale de la Cour de Cassation est cependant venue démentir une
telle interprétation dans son arrêt du 4/01/200090, en affirmant que l’absence de revendication
n’était pas une cause d’extinction du droit de propriété, pas plus qu’elle n’opérait transfert de
la propriété du bien au débiteur, « la forclusion ne constituant pas un mode d’acquisition de
ce droit ».
Une partie de la doctrine avait en effet relevé que la « forclusion » prévue par l’art. L.621-
115 c.com ne correspondait à aucun des modes d’acquisition de la propriété dont les arts. 711
et 712 du c.civ91 font état, pas plus qu’elle ne permettait le jeu de l’art. 2279 c.civ, le débiteur
ne pouvant être considéré comme un possesseur de bonne foi. L’art. 2236 al. 1 du même code,
énonçant que « ceux qui possèdent pour autrui ne prescrivent jamais par quelque laps de
temps que ce soit », corroborait au demeurant l’impossibilité pour le débiteur d’acquérir le
bien en profitant de la négligence du propriétaire.
81. Il est cependant possible d’objecter à ces arguments que le caractère impératif des
dispositions de la loi du 25/01/1985 semble bien faire échec à l’application des principes du
droit commun. En outre, l’égalité des créanciers ne doit-elle pas conduire à traiter le
propriétaire non-revendiquant de la même manière que le créancier non-déclarant, et à
considérer son droit de propriété comme éteint ? Le terme de « forclusion », employé par
l’art. D. 85-1, rappelant la forclusion de l’art. L.621-46 c.com (art. L.53 ancien), aurait pu
confirmer cette dernière interprétation.
Il semble par conséquent que ce soit plus la nature même du droit du propriétaire, et
surtout la protection de ce droit à la fois par la Constitution et par certains traités et
conventions internationales, qui a motivé la Cour de Cassation dans le choix de
l’inopposabilité. La privation pure et simple du droit de propriété aurait en effet constitué une
sanction irréversible, risquant de se voir qualifiée d’expropriation dans un intérêt privé, et,
partant, prohibée.
Mais il n’aurait pas été plus logique de ne pas faire subir au propriétaire les conséquences
de son inertie face à l’ouverture de la procédure collective. A cet égard, l’inopposabilité
apparaît bien comme une solution de compromis.
90 Com. 4/01/2000, préc. note 81. 91 Auque Warrembourg et Lemistre, JCP éd E 1992, II, 924.
40
b- L’inopposabilité, solution de compromis :
82. L’inopposabilité du droit de propriété n’est pas une sanction créée ab initio par la
jurisprudence. Il s’agit d’une mesure voisine de celle posée par l’art. 8 du décret n° 72-665 du
4/07/1972, relativement au crédit-bailleur n’ayant pas fait publier le contrat le liant au crédit-
preneur92.
En l’absence de publicité du contrat de crédit-bail, le crédit bailleur conservera son droit
de propriété, mais verra ce dernier paralysé vis à vis des tiers de bonne foi, pour lesquels tout
se passera comme si le bien faisait partie du patrimoine du crédit-preneur, ledit bien devenant
par conséquent leur gage commun93.
83. La différence entre inopposabilité et perte du droit de propriété peut s’avérer
importante en cas d’adoption d’un plan de continuation par la suite résolu, cette résolution
aboutissant à l’ouverture d’une liquidation judiciaire. Si la sanction du défaut de revendication
dans la première procédure avait consisté en la perte du droit de propriété, cette perte n’aurait
pu être couverte par l’exercice d’une nouvelle action en revendication dans le cadre de la
seconde procédure. Or c’est justement parce que le droit de propriété n’est pas éteint, mais
seulement inopposable, que la Cour de Cassation a pu affirmer, à plusieurs reprises94, que
l’ouverture d’une seconde procédure suite à l’inexécution du plan de continuation faisait à
nouveau courir le délai de trois mois pendant lequel des revendications pouvaient être
exercées par les propriétaires concernés, sans qu’il y ait lieu à rechercher si ces derniers
avaient déjà revendiqué dans la procédure initiale.
84. Une telle solution a toutefois fait l’objet de critiques doctrinales, faisant remarquer
que les organes de la procédure avaient tout intérêt de procéder à la vente du bien avant le
jugement d’arrêté de plan95. Il convient enfin de souligner que la revendication exercée lors de
la première procédure ne dispensera pas en outre le propriétaire d’avoir à revendiquer dans la
seconde96.
En voulant ainsi ne pas porter atteinte de manière directe et irréversible au droit de
propriété, les solutions dégagées par la jurisprudence ont-elles abouti à assurer véritablement
92 Art. 8 du décr. du 4/07/1972 : « si les formalités de publicité n’ont pas été accomplies dans les conditions fixées aux arts. 2 à 5, l’entreprise de crédit-bail ne peut, en application de l’art. 1er-3 de la loi du 2/07/1966, opposer aux créanciers ou ayant-cause à titre onéreux de son client ses droits sur les biens dont elle a conservé la propriété » 93 Com. 12/04/1988, Bull. civ. IV, n° 127. 94 Com. 20/04/1995, Rev. Proc. Coll. 1995, p. 482, n° 21, obs. crit. Soinne ; Com. 25/05/1997, D. Aff. 1997, p. 860. 95 Obs. de B. Soinne à la Rev. Proc. Coll. 1995, p.482, n°21. 96 Com. 14/03/1995, Dr. Sociétés 1995, n° 121, obs. Chaput ; Rev. Proc. Coll. 1995, p.219, n° 28, obs. Soinne.
41
la sécurité du propriétaire ? Il semble bien que tel ne soit pas le cas, notamment en raison des
doutes que soulève la notion de « procédure collective », bénéficiaire de l’inopposabilité du
droit de propriété.
2- Les bénéficiaires de l’inopposabilité : la personnification de la procédure
collective :
85. La Cour de Cassation, dans son arrêt du 4/01/2000, affirme que le droit de propriété du
non revendiquant est inopposable à la « procédure collective », sans préciser ce qu’elle entend
exactement par ces termes.
La notion de procédure collective n’est pas en effet définie par la loi du 25/01/1985, et se
voit pourtant employée par la Haute Juridiction dans plusieurs de ses décisions, semblant
permettre à cette dernière de pallier la disparition de la masse des créanciers suite à la réforme
de 198597.
86. Une telle substitution connaît cependant des limites, la première étant relative au
contenu même de la notion de procédure collective. Ces termes regroupent-ils seulement
l’ensemble des créanciers et leur représentant ? Englobent-ils au contraire également le
débiteur, et, s’il en a été nommé un, le mandataire administrateur ? Il semble que la chambre
Commerciale de la Cour de Cassation réponde toutefois implicitement à cette question en
énonçant, dans son arrêt du 4/01/2000, que « dans les rapports entre le débiteur et le bailleur,
l’absence de revendication est sans incidence », démontrant par là même que le débiteur (et,
partant, l’administrateur), n’était pas inclus dans la notion de procédure collective.
87. Pour autant, d’autres interrogations demeurent : tout d’abord, que faire du bien sur
lequel porte le droit de propriété déclaré inopposable à la procédure collective ? Sous le
régime antérieur à la loi de 1985, les biens objets d’actes inopposables à la masse tombaient
en effet dans le patrimoine de celle-ci, la masse des créanciers s’étant à cet égard vu
reconnaître la personnalité morale98. Une telle solution ne saurait cependant être admise
aujourd’hui, au profit de la procédure collective, tout d’abord parce que cette dernière ne
constitue pas un groupement doté de la personnalité morale, mais aussi car le droit de
propriété n’est pas transféré, mais simplement paralysé, et peut fort bien être recouvré par le
propriétaire, notamment en cas de résolution d’un plan de continuation.
97 V. note Derrida sous Com. 16/03/1993, D. 1993, p. 583, spéc. note 9 ; et note Le Corre-Broly, sous Com. 4/01/2000, préc., note 81, spéc. p. 534-535. 98 Com. 17/01/1956, D. 1956, p.265, note Houin.
42
88. La dernière question posée par la notion de procédure collective consiste quant à elle à
savoir si cette notion englobe aussi les créanciers ayant eu connaissance de ce que le bien
n’était pas la propriété du débiteur. Le régime de l’inopposabilité paraissant calqué sur celui
prévu par le décret du 4/07/1972, et ledit décret excluant du bénéfice de l’inopposabilité les
tiers de mauvaise foi99, une telle exclusion est-elle aussi applicable dans le cadre de
l’inopposabilité du droit de propriété à la procédure collective ? Ou faut-il au contraire
considérer que la notion de procédure collective n’étant qu’une résurgence de la masse, les
solutions applicables antérieurement à la loi de 1985 demeurent en vigueur ? Sous le régime
ancien, en effet, la Cour de Cassation avait considéré, relativement au contrat de bail non
publié, que le syndic avait qualité pour invoquer l’inopposabilité, alors même que, à titre
individuel, certains créanciers inclus dans la masse n’auraient pu en bénéficier en raison de
leur connaissance personnelle du contrat non publié100.
Sous l’empire de la loi du 25/01/1985, telle que modifiée par la loi du 10/06/1994, la
question se pose cependant avec une moins grande acuité, dans la mesure où le législateur
dispense de revendication les propriétaires ayant fait publier leur contrat101.
Pour les propriétaires n’ayant procédé à une telle publicité, peut-être est-il par contre
possible d’appliquer les solutions dégagées par la chambre Commerciale de la Cour de
Cassation dans un arrêt du 16/03/1993102, relativement au contrat de crédit-bail non publié,
considérant que « l’opposabilité à la procédure collective du contrat de crédit-bail (...)
supposait que [la] société de crédit-bail établisse que chacun des créanciers avait eu
connaissance de l’existence de ses droits ». Cette solution revenait à faire application des
principes antérieurs à la loi du 25/01/1985, et se montre très rigoureuse pour le propriétaire.
Ce dernier aura d’autant moins de chances d’espérer récupérer son bien que l’évolution de la
procédure collective peut conduire à ce que l’inopposabilité du droit se transforme en une
véritable perte de celui-ci.
B- Une sanction aux effets variables dans le temps :
89. Si l’inopposabilité paraît à n’en pas douter moins sévère pour le propriétaire que la
perte pure et simple de son droit de propriété, il n’en demeure pas moins qu’elle place ce
dernier dans une situation précaire. Le sort de son droit sera en effet largement conditionné 99 Art . 8 du décret du 4/07/1972, in fine. 100 Com. 23/02/1982, D. 1982, p.623, note Derrida ; R.J. com. 1982, p.325, note Sortais. 101 Art. L.621-116 c.com (art.L.115-1 ancien). 102 Com. 16/03/1993, préc., note 97.
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par l’évolution de la procédure. Car si la sanction que constitue l’inopposabilité n’apparaît
que relative et limitée durant la période d’observation et en cas d’adoption d’un plan de
continuation (1), elle pourra au contraire aboutir à une véritable privation du droit de propriété
en cas d’adoption d’un plan de cession, ou de prononcé de la liquidation judiciaire de
l’entreprise (2).
1- Une inopposabilité relative durant la période d’observation et en cas de
continuation :
90. Le débiteur étant extérieur à la procédure collective, le droit de propriété lui
demeurera opposable en dépit de l’absence de revendication du propriétaire, à la fois durant la
période d’observation, ainsi que dans le cadre d’un éventuel plan de continuation. C’est dans
ce dernier cas d’ailleurs que la situation du propriétaire sera la plus confortable, dans la
mesure où, le débiteur étant redevenu in bonis, il retrouvera pleinement l’exercice de son
droit.
Les problèmes pouvant se poser suite à l’inopposabilité du droit de propriété
interviendront ainsi essentiellement au cours de la période d’observation, deux questions
méritant d’être à cet égard étudiées plus en détails : celle de la situation du propriétaire-
bailleur (a), mais aussi celle de la vente du bien au cours de la période d’observation (b).
a- Le sort du propriétaire-bailleur :
91. Si le droit de propriété résulte d’un contrat poursuivi sur le fondement de l’art. L.621-
28 c.com (art. L.37 ancien) par la suite arrivé à son terme ou résilié, l’inopposabilité
n’empêchera pas le propriétaire-bailleur de réclamer le versement des loyers antérieurs et
postérieurs au jugement d’ouverture, ainsi qu’une éventuelle indemnité de résiliation.
Aurait-il été cependant possible de soutenir que, le droit de propriété étant inopposable à
la procédure collective, la qualité de bailleur l’était également, faisant obstacle au paiement de
ce dernier ?
Une telle solution paraît en réalité inenvisageable, pour deux raisons : concernant les
loyers postérieurs au jugement d’ouverture, tout d’abord, l’absence de revendication
n’affectera que le droit de propriété et non la relation contractuelle. Comme l’a en effet
rappelé la Cour de Cassation a plusieurs reprises, le bailleur ayant lui-même été tenu de
44
remplir ses engagements, il doit être payé et bénéficie, pour ce faire, du privilège de l’art.
L.621-32 c.com (art. L.40 ancien)103.
92. S’agissant ensuite de l’indemnité de résiliation du contrat et des loyers antérieurs au
jugement d’ouverture, la solution doit être justifiée, cette fois ci, par le fait qu’il s’agit là de
créances ayant trouvé leur cause antérieurement au jugement d’ouverture, à une époque à
laquelle le droit de propriété du bailleur n’avait pas encore été déclaré inopposable104.
Le propriétaire-bailleur ne voit donc pas sa situation directement affectée par la sanction
de l’inopposabilité. La scission opérée par la jurisprudence entre le droit de propriété et les
droits contractuels lui permet au contraire de conserver en substance son droit aux fruits civils
que lui procure le bien. Une telle situation est cependant susceptible de se détériorer en cas de
vente du bien par le débiteur au cours de la période d’observation.
b- La vente du bien non revendiqué au cours de la période d’observation :
93. Le droit de propriété étant encore opposable au débiteur et à l’administrateur, il ne fait
nul doute que la réalisation du bien non-revendiqué au cours de la période d’observation,
constitutive d’une vente de la chose d’autrui, ouvre au propriétaire une action en
responsabilité pouvant aboutir à l’octroi de dommages-intérêts. Le propriétaire ne saurait par
contre se prévaloir en un tel cas des dispositions de l’art. L.621-124 c.com (art. L.122 ancien),
lequel suppose, pour son application, que la vente du bien ait eu lieu antérieurement au
jugement d’ouverture, et surtout qu’une action en revendication ait été introduite.
94. Il se peut cependant que la vente du bien soit nécessaire à la réalisation de l’objectif de
sauvegarde de l’entreprise. En ce cas, comme il a été vu précédemment, l’administrateur
dispose en principe, sur le fondement de l’art. L.621-122 al 4 c.com (art. L.121 al.4 ancien),
d’une possibilité de bloquer l’action en revendication en payant intégralement le prix. Il n’en
demeure pas moins qu’une telle faculté ne lui est ouverte que pour autant qu’une action en
revendication ait été exercée. Que se passera-t-il alors si le propriétaire n’a pas revendiqué
dans les délais ? En l’absence de toute possibilité de paiement du propriétaire, qui
méconnaîtrait assurément l’intérêt collectif des créanciers, et en prenant le risque de voir sa
responsabilité suite à la vente du bien, l’administrateur se trouvera peu enclin à disposer du
103 Com. 9/05/1995, préc. note 83 ; Com. 3/02/1998, D. Aff, 1998, p. 382, obs. A.L. 104 P.-M. Le Corre, Droit réel, droit personnel, et procédures collectives, Petites Affiches 19/05/1999, n° 99, p. 4 et s., spéc. p. 6.
45
bien. Ce dernier se trouvera donc inutilement immobilisé dans les stocks de l’entreprise, en
totale contradiction avec les objectifs législatifs.
Il n’en sera pas de même par contre en cas de prononcé d’une liquidation judiciaire ou
d’adoption d’un plan de cession, cas dans lesquels le propriétaire se verra démuni de tout
recours face à la vente de son bien.
2- Une inopposabilité aboutissant à la perte du bien en cas de cession ou de
liquidation judiciaire :
95. En cas de liquidation judiciaire, tout d’abord, le bien appartenant au propriétaire
pourra être réalisé, et le produit de sa vente se verra affecté au règlement des créanciers. Dans
un arrêt du 1/02/1997105, la chambre Commerciale de la Cour de Cassation a ainsi précisé que
« le bien litigieux étant devenu le gage des créanciers (...) le juge commissaire [est] fondé à
autoriser le liquidateur judiciaire à vendre ces matériels ». Certains auteurs se sont étonnés
de l’emploi du terme de « gage » par la Haute Juridiction, relevant que pour entrer dans
l’assiette du gage général des créanciers, le bien non-revendiqué devait nécessairement
appartenir au débiteur, ce qui n’était pas le cas en matière d’inopposabilité106. Seule la
sanction consistant à transférer la propriété du bien non-revendiqué au débiteur aurait en effet
permis de fonder juridiquement une telle solution.
Le propriétaire n’aura pas plus, dans ce cas de figure, la possibilité d’exercer un recours
contre le liquidateur suite à la réalisation du bien107. Cette solution est justifiée par le fait que
le liquidateur assume, entre autres, la fonction de représentant des créanciers ( arts L.622-4 et
L.622-5 c.com, arts. L.148-3 et L.148-4 anciens), lesquels sont fondés à soutenir que le droit
de propriété leur est inopposable.
96. Les solutions seront les mêmes en cas d’inclusion du bien dans un plan de cession,
comme le confirment les termes de l’art. L.621-65 al. 1 c.com (art. L.64 al .1 ancien)108, ainsi
que la jurisprudence de la Cour de Cassation, selon laquelle le cessionnaire n’est pas l’ayant-
cause à titre universel du cédant109. Il demeurera néanmoins loisible au cessionnaire, comme
l’a admis la Cour de Cassation à plusieurs reprises, de reprendre certaines dettes antérieures
105 Com. 1/02/1997, cité par C. Dusmenil-Rossi et L. Santana, note sous Com. 4/01/2000, préc., spéc. p. 272. 106 Ibid., spéc. p. 272. 107 B. Soinne, op.cit., n°1949. 108 Art. L.621-65 al. 1 c. com (art. L.64 al. 1 ancien) : « le jugement qui arrête le plan de cession en rend les dispositions opposables à tous ». 109 Com. 30/11/1993, R.J.D.A. 5/93, n° 585, p. 458 ; Com. 17/05/1994, Bull. civ. IV, n° 180.
46
du débiteur, par une clause spéciale dans l’acte de cession110. S’agissant d’un engagement
personnel de la part du cessionnaire, la Cour de Cassation a ainsi considéré qu’il n’y avait pas
à vérifier si les créances correspondantes avaient été déclarées. Cette solution a notamment
été admise, comme nous l’avons déjà envisagé, à propos d’une vente avec réserve de
propriété, permettant au vendeur d’agir directement à l’encontre du cessionnaire afin d’être
désintéressé111. Mais une telle faveur dépend uniquement du bon-vouloir du cessionnaire, et
ne permettra pas de récupérer le bien objet du droit de propriété.
Ces différentes solutions montrent bien toute la complexité de la situation dans laquelle se
trouve plongé le propriétaire qui n’a pas revendiqué son bien dans les délais. Son inertie peut
en effet aboutir à lui faire perdre son droit. C’est ce constat qui a motivé certains propriétaires
à avancer, en vain, l’idée qu’un tel statut était incompatible avec la protection supra-
législative du droit de propriété, comme nous allons le voir à présent.
Section 2 : Un encadrement non-attentatoire au droit de propriété :
97. La sanction de l’action en revendication pouvant s’avérer redoutable pour les
propriétaires non-revendiquants, ces derniers ont essayé de soulever l’irrégularité de celle-ci
face aux textes protecteurs du droit de propriété.
Comme le fait cependant remarquer M Soinne112, une telle question ne s’est posée que
récemment en jurisprudence, le premier arrêt rendu sur ce point par la Cour de Cassation
datant du 8/03/1994, alors même que la revendication dans les procédures collectives existe
depuis bien avant le Code de Commerce de 1807. Cet auteur constate ainsi qu’ « il a fallu que
la revendication s’oppose aux intérêts des établissements de crédit pour que l’on assiste à une
telle critique »113, et s’étonne des recours exercés contre les règles posées en la matière alors
même que d’autres dispositions, comme l’art. 2279 c.civ, pourraient elles aussi être
considérées comme attentatoires au droit de propriété.
98. Mais de telles considérations ne sauraient à elles seules justifier la privation du droit
de propriété que peut encourir le non-revendiquant lors d’une procédure collective, c’est à
dire au moment même où son droit réel pourrait lui être le plus utile pour échapper à la loi du
concours ainsi qu’à la discipline collective imposée aux créanciers. Et si la jurisprudence a
110 Com. 30/11/1993, et 17/05/1994, préc. note 109 ; et Com. 3/01/1995, R.J. com. 1995, p. 198, rapp. Hémery ; Bull. Joly Bourse mars-avr. 1995, p. 131, § 25, note de Vauplane. 111 Com. 17/05/1994, préc. note 109. 112 B. Soinne, obs. à la Rev. Proc. Coll. 1994, p. 412, n° 14. 113 Ibid.
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affirmé à plusieurs reprises la conformité de la revendication telle qu’organisée dans les
procédures collectives à la protection supra-législative du droit de propriété (§ 1), elle ne l’a
fait cependant que de manière lapidaire, laissant posée la question du bien-fondé d’une telle
solution (§ 2).
§1 : Des règles jugées conformes à la protection supra législative du droit de propriété :
99. Il existe tout un dispositif de protection du droit de propriété dans lequel les non-
revendiquants ont cru trouver un terrain favorable à la remise en cause des règles régissant la
revendication dans les procédures collectives (A). Leurs demandes ont parfois abouti devant
les juges du fond114, mais jamais devant la Cour de Cassation (B).
A- Le dispositif de protection :
100. Si la propriété a perdu au fil du temps son caractère inviolable et sacré résultant de la
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (D.D.H.C.) de 1789, elle n’en demeure pas
moins très protégée par le droit, qu’il s’agisse du droit constitutionnel français (1) ou du droit
international (2).
1- En droit interne :
101. Les principes protecteurs du droit de propriété en droit français sont ceux énoncés par
les arts. 2 et 17115 de la D.D.H.C., à laquelle le Préambule de la Constitution du 4/10/1958
rappelle son attachement., et qui s’est vu reconnaître valeur constitutionnelle par une décision
du Conseil Constitutionnel (C.C.) du 16/07/1971116.
Si certains auteurs avaient cependant pu douter de la réalité de la protection du droit de
propriété par la Constitution117, le C.C. devait rappeler la valeur constitutionnelle de ce droit
dans une décision du 16/01/1982118, tout en précisant que « les finalités et les conditions
114 Comme le montre par exemple un arrêt de la C.A. de Chambéry en date du 19/01/1995 (Rev. Proc. Coll. 1995, p. 478, n° 16, obs. Soinne), dans lequel cette juridction affirme que « l’art. L.115 est inapplicable au crédit-bail. Son application ferait échec à l’art. 1er du Protocole Additionnel à la C.E.S.D.H.. l’art. L.115 précité aurait pour conséquence de transférer le bien au profit des créanciers sans motif d’intérêt général(...) ». 115 V. Annexes. 116 C.C. 16/07/1971 A.J.D.A. 1971, p. 633, note Rivero. 117 Not. F. Luchaire, Les fondements constitutionnels du droit civil, R.T.D.civ. 1982, p. 240. 118 C.C. 16/01/1982, D. 1983, p. 169, note Hamon ; J.C.P. 1982, éd. G., II, 19788, note NGuyen Vinh et Franck.
48
d’exercice du droit de propriété ont subi postérieurement à 1789 et jusqu’à nos jours une
évolution caractérisée par des limites d’intérêt général ».
102. L’affirmation de la constitutionnalité du droit de propriété s’accompagne ainsi d’une
prise en compte par le C.C. de l’évolution de la société et du caractère non-absolutiste de ce
droit, qui doit être combiné avec d’autres impératifs de la vie sociale contemporaine,
notamment les « principes fondamentaux particulièrement nécessaires à notre temps »
rappelés par le Préambule de la Constitution de 1946, et plus particulièrement les nouveaux
droits à caractère économique et social proclamés au lendemain de la Seconde Guerre
Mondiale.
Ce rappel démontre par conséquent que le dispositif protecteur du droit de propriété n’est
pas étanche à certaines considérations, au rang desquelles pourraient fort bien se hisser les
objectifs affichés par l’art. 1er de la loi du 25/01/1985. Il existe de même des restrictions dans
le dispositif international de protection du droit de propriété, laissant entrevoir la faiblesse de
l’argumentation développée par les propriétaires non-revendiquants devant la Cour de
Cassation.
2- En droit international :
103. Les textes protégeant le droit de propriété sont ici divers et n’ont pas tous la même
force, ce qui a pu faire dire à certains auteurs que le sort du droit de propriété dans le corpus
international des Droits de l’Homme était incertain119.
Le droit de propriété est en effet reconnu par l’art. 17 de la Déclaration Universelle des
Droits de l’Homme120 de 1948, celle-ci ne constituant cependant qu’une « recommandation »,
insusceptible en tant que telle d’être considérée comme une véritable source de droit.
104. Le droit de propriété, en outre, ne figure pas dans les deux Pactes des Nations-Unies
relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966.
Il n’est pas plus mentionné dans la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de
l’Homme et des Libertés Fondamentales (C.E.S.D.H.), à laquelle il ne s’est vu ajouté que
tardivement par l’art. 1er du Protocole additionnel à la Convention du 20/03/1952, et encore,
non comme droit de propriété clairement affirmé, mais comme « droit au respect des biens ».
119 F. Sudre, La protection du droit de propriété par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, D. 1988, chron., p. 71 et s. 120 V. Annexe.
49
105. Plus récemment, la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne,
proclamée lors du Conseil européen de Nice du 7/12/2000, est elle aussi venu garantir le droit
de propriété en son art. 17121. La C.J.C.E. avait néanmoins déjà affirmé, dans un arrêt Nold du
14/05/1974122, la « signification particulière » qu’elle attachait à ce droit, cette
reconnaissance étant toutefois dégagée à partir des droits fondamentaux affirmés par la
C.E.S.D.H. C’est d’ailleurs à cette dernière Convention que se réfère le Préambule de la
Charte Européenne.
106. La multiplicité de textes garantissant le respect du droit de propriété ne doit donc pas
faire illusion. Seul l’art. 1 du 1er Protocole Additionnel à la C.E.S.D.H. paraît ainsi susceptible
de constituer une garantie véritablement invocable devant les juges du fond, qui ne sauraient
exercer un contrôle de constitutionnalité des lois. C’est d’ailleurs à ce seul texte que la Cour
de Cassation a confronté les dispositions relatives à la revendication dans les procédures
collectives.
B- L’affirmation jurisprudentielle du respect du dispositif :
107. La Cour de Cassation a eu l’occasion d’affirmer le respect des dispositions de l’art. 1
du 1er Protocole Additionnel dans le cadre des procédures collectives dans trois arrêts123, qui
concernaient tous des sociétés de crédit-bail, alors assujetties à l’obligation de revendiquer
dans les délais124. Ces dernières firent essentiellement valoir que l’art. L.115 ancien (L.621-
115 nouveau) opérait une « expropriation de fait sans indemnité ou une ingérence dans
l’usage des biens », ou encore que l’application de cette disposition aboutissait à une
« privation de propriété qui n’était pas imposée par l’utilité publique ».
Face à cette argumentation, la Cour de Cassation se contente d’affirmer de manière très
claire, mais néanmoins laconique, que les dispositions de l’art. L.621-115 c.com n’étaient pas
contraires à celles de l’art. 1 du 1er Protocole Additionnel à la C.E.S.D.H., sans jamais
expliquer en quoi la conformité au texte protecteur se trouvait établie.
108. Si les commentateurs de ces différentes décisions ont trouvé tout à fait logique la
solution retenue par la Cour de Cassation, il n’en reste pas moins que le caractère lapidaire de
l’affirmation surprend quelque peu. La Haute Juridiction aurait en effet très bien pu justifier
121 V. Annexe. 122 C.J.C.E. 14/05/1975, Nold c/ Comm. Aff. 4/73, Rec., p.491. 123 Com. 8/03/1994, Bull. civ. IV, n° 101 ; Rev. Proc. Coll. 1994, p.412, n° 14, obs. Soinne ; D.1996. Somm. 215, obs. Pérochon ; Com. 9/05/1995 préc. note 83 ; Com. 5/12/1995, préc. note 84. 124 Com. 15/10/1991, J.C.P. 1992, éd.E, II, 250, note Bey.
50
sa position au regard notamment de la jurisprudence abondante de la Cour européenne des
Droits de l’Homme en la matière, à l’instar de ce qu’elle fit par exemple en droit boursier,
lorsque des actionnaires minoritaires soulevèrent la non-conformité de la procédure de retrait
obligatoire à l’art. 1 du 1er Protocole Additionnel125.
Cette absence de justification conduit ainsi à s’interroger sur le bien-fondé des solutions
jurisprudentielles, et à examiner quels principes d’interprétation ont pu guider la Cour de
Cassation dans le choix desdites solutions.
§2 : Une conformité discutable ?:
109. La jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme sur la protection du
droit de propriété est en effet abondante, et tout à fait originale, en ce que cette juridiction n’a
pas hésité à rompre avec la prudence des rédacteurs du 1er Protocole Additionnel pour
reformuler le droit protégé. Elle a notamment précisé, dans un arrêt Sporrong et Lönnroth du
23/09/1982126, que l’art 1 du 1er Protocole Additionnel à la C.E.S.D.H. formulait trois normes
distinctes, sanctionnant trois types d’atteintes au droit de propriété : l’atteinte à la substance
de la propriété, basée sur la première phrase de l’art. 1 al. 1 ; la privation de la propriété, et la
réglementation de l’usage des biens.
C’est sur ces bases que la Cour a ainsi mis au point un dispositif très protecteur du droit de
propriété, tendant à se rapprocher des traditions constitutionnelles des Etats parties à la
Convention. C’est par conséquent à ce dispositif qu’il conviendra de confronter les règles
relatives à la revendication dans les procédures collectives, et tout particulièrement la sanction
de l’inopposabilité, sous ses deux formes.
A- La conformité de l’inopposabilité relative à la protection du respect des biens instaurée
par la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme :
110. L’inopposabilité « relative », durant la période d’observation ainsi qu’en cas
d’adoption d’un plan de continuation, si elle ne prive pas le propriétaire de son bien, paralyse
néanmoins le droit de propriété, et interdit au non-revendiquant de disposer de la chose à sa
convenance. Or l’art. 1 du 1er Protocole Additionnel du 20/03/1952, affirme en son al. 2 que si
les Etats ont le droit de réglementer l’usage des biens, une telle réglementation doit être
125 Com. 29/04/1997, Sogénal, Dr. et patrimoine juin 1997, p. 69, note Poullain. 126 C.E.D.H., arrêt Sporrong et Lönnroth, 23/09/1982, Série A, n° 52.
51
adoptée « conformément à l’intérêt général ». C’est sur cette disposition que se sont ainsi
vues sanctionnées l’atteinte à l’exclusivité du droit de propriété (1), ainsi que l’atteinte à la
substance du droit de propriété (2). L’inopposabilité « relative » est-elle toutefois susceptible
de rentrer dans l’une ou l’autre de ces deux catégories ?
1- L’inopposabilité : atteinte à l’exclusivité du droit de propriété ?:
111. Si la réglementation de l’usage des biens peut aller jusqu’à permettre aux Etats
d’obliger les propriétaires à avoir un certain usage des biens qui leur appartiennent, est-ce à
dire pour autant qu’un propriétaire puisse, par le biais d’une telle réglementation, voir
disparaître l’exclusivité inhérente à son droit ?
La Commission européenne des Droits de l’Homme semble ne pas l’admettre,
reconnaissant que la destruction de l’exclusivité du droit de propriété porte atteinte au bien127.
Il n’en reste pas moins que pour être véritablement attentatoire au droit de propriété, une telle
restriction doit n’être pas motivée par un but d’intérêt général. Or la notion d’intérêt général
est assez largement entendue par la Cour européenne des Droits de l’Homme, qui laisse aux
Etats une grande marge d’appréciation en ce domaine. Celle-ci a notamment admis, dans un
arrêt James du 21/02/1986128, que l’utilité publique, notion dont le contenu est identique à
celui de l’intérêt général, pouvait servir l’intérêt d’une personne privée, allant jusqu’à affirmer
qu’ « un transfert de propriété opéré dans le cadre d’une politique légitime d’ordre social,
économique ou autre, peut répondre à l’utilité publique même si la collectivité dans son
ensemble ne se sert ou ne profite du bien dont il s’agit » (§ 45).
Les objectifs visés par l’art. 1er de la loi de 1985 (art. L.621-1 nouveau) paraissent en
conséquence pouvoir être considérés, eu égard à une telle définition, comme servant un intérêt
général, justifiant du même coup la restriction que l’inopposabilité apporte à l’exclusivité du
droit de propriété. Ne serait-il alors pas possible d’affirmer tout de même que l’inopposabilité
« relative » constitue une atteinte à la substance du droit de propriété ?
2- L’inopposabilité : atteinte à la substance du droit de propriété ?:
112. L’atteinte à la substance de la propriété apparaît comme une catégorie prétorienne,
issue de l’arrêt Sporrong et Lönnroth. Elle se trouve réalisée, sans que le propriétaire soit
127 Aff. Banèr c/Suède, Déc. 9/03/1989, Déc. et Rapp. 60, p.128. 128C.E.D.H., arrêt James, 21/02/1986, Série A, n°98.
52
privé de son bien, dès lors que les attributs d’usage et de libre disposition inhérents à son droit
sont restreints. Une telle définition semble donc, de prime abord, bien correspondre à la
situation du propriétaire se voyant frappé d’inopposabilité.
113. Cette catégorie d’atteinte a cependant fait l’objet de nombreuses critiques en
doctrine, ayant relevé que la construction jurisprudentielle ainsi réalisée manquait de
cohérence, et ne jouait que de manière résiduelle129. Le contenu de cette notion s’est aussi vu
reprocher son imprécision, et sa trop grande proximité avec la notion de réglementation de
l’usage des biens130.
Du reste, une telle atteinte ne sera retenue que lorsque le propriétaire aura été plongé dans
un état d’incertitude prolongé quant au sort de sa propriété, les affaires traitées par la Cour
européenne des Droits de l’Homme portant sur des atteintes ayant duré plusieurs dizaines
d’années131. Ce ne sera évidemment pas le cas dans le cadre d’une procédure collective dont
la durée est strictement limitée.
Il semble enfin que l’atteinte à la substance soit écartée lorsque les requérants eux-mêmes
retirent avantage de la restriction ainsi opérée132, or ne peut-on pas soutenir de ce point de vue
que la procédure de revendication organisée par la loi vise aussi à prémunir les propriétaires
contre l’appropriation de leur bien par les créanciers, et peut de cette manière tout autant leur
profiter que leur nuire ?
C’est pour l’ensemble de ces raisons qu’il paraît impossible d’assurer que l’inopposabilité
durant la période d’observation ou dans le cadre d’un plan de continuation constitue une
atteinte au droit de propriété tel que garanti par le 1er Protocole Additionnel à la C.E.S.D.H.
Est-il néanmoins possible d’être aussi affirmatif quand, dans le cadre d’un plan de cession ou
du prononcé de la liquidation judiciaire, la sanction appliquée au non-revendiquant risque de
lui faire perdre son droit de propriété ?
129 F. Sudre, La protection du droit de propriété par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, D. 1988, chron., p. 71 et s, spéc. p.73. 130 L. Sermet, La Convention européenne des Droits de l’Homme et le droit de propriété, éds. du Conseil de l’Europe, 1998, spéc. p. 29 à 31. 131 Environ 20 ans pour les requérants dans l’affaire Sporrong et Lönnroth précitée, note 126. 132 C.E.D.H., Aff. Prötsch c/ Autriche, 15/11/1986, Rec des arrêts et décisions 1996, V, n° 22.
53
B- La conformité de l’inopposabilité – privation du droit de propriété à la protection du
respect des biens instaurée par la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de
l’Homme :
114. La Cour européenne des Droits de l’Homme interprète en effet de manière extensive
la notion de privation de propriété contenue à l’art. 1 al. 1 2ème phrase du 1er Protocole
Additionnel. Une telle précision est importante, car, formellement, la sanction de l’absence de
revendication dans les procédures collectives ne consiste qu’en une simple inopposabilité, qui,
en tant que telle, ne paraît pas pouvoir être qualifiée d’expropriation. Or la Cour ne s’arrête
pas l’intitulé formel de la sanction et recherche, si, eu égard à la situation concrète dans
laquelle se trouve placé le propriétaire, il n’y a pas « expropriation de fait »133.
En dépit d’une telle interprétation, l’expropriation, pour être sanctionnée, ne doit pas
moins contrevenir à certaines conditions en matière de légalité et de légitimité (1). De telles
conditions sont-elles donc satisfaites dans les procédures collectives ?
En outre, l’art. 1 du 1er Protocole Additionnel n’envisage pas la question de
l’indemnisation du propriétaire. La Cour européenne a cependant pallié une telle carence, se
référant notamment à la notion de proportionnalité. Que penser alors de l’absence
d’indemnisation du propriétaire frappé d’inopposabilité lors d’une procédure collective (2)?
1- Les conditions requises de la privation de propriété :
115. Pour être régulière, la privation de propriété doit être légale (a), mais aussi légitime
(b).
a- Une privation légale ?:
116. Cette notion de légalité renvoie aux « conditions prévues par la loi », ainsi qu’aux
principes généraux du droit international134. Le renvoi à la loi interne n’est pas, comme le
relève M. Sermet135, purement formel, et présuppose l’existence de normes suffisamment
accessibles et précises. La question de la légalité de l’atteinte au droit de propriété dans le
cadre des procédures collectives peut donc être tout à fait posée, dans la mesure où aucune
133 C.E.D.H., arrêt Sporrong et Lönnroth, 23/09/1982, préc, note 126. 134 Art. 1 al. 1 2ème phrase du 1er Protocole Additionnel à la C.E.S.D.H (voir annexes). 135 L. Sermet, op.cit., spéc. p. 32 et 33.
54
disposition législative ne prévoit la sanction attachée au défaut de revendication. Est-ce à dire
pour autant que la privation de propriété pouvant découler de l’inopposabilité est illégale ? Il
ne semble pas que l’on puisse aller jusqu’à soutenir une telle assertion. : la loi pose en effet
des modalités précises, tout à fait accessibles, permettant au propriétaire de faire valoir son
droit à l’occasion de l’ouverture de la procédure, la « privation » de propriété ne résultant
jamais que de la passivité de ce dernier.
Du reste, la condition de légalité est surtout, comme le relève M Sermet136, destinée à
protéger le propriétaire contre une mesure arbitraire, l’expression de loi employée par le
Protocole faisant ainsi allusion au droit interne, qui peut être écrit, jurisprudentiel ou
coutumier. Il n’y a donc aucun problème à ce que ce soit la jurisprudence, et non la loi, qui
précise la sanction attachée au défaut de revendication.
A défaut d’être illégale, l’inopposabilité pourrait-elle alors être considérée comme
illégitime ?
b- Une privation légitime ?:
117. La privation de propriété, pour être régulière, doit en effet intervenir pour « une
cause d’utilité publique »137. Or certains propriétaires non-revendiquants avaient fait valoir
auprès de la Cour de Cassation l’absence d’une telle utilité publique motivant
l’ « expropriation » consécutive à leur inaction. Le bien non-revendiqué sera de fait
susceptible de devenir le gage des créanciers, et pourra être réalisé à leur profit ; or peut-on
véritablement parler d’utilité publique quand seul un petit groupe d’individus bénéficie de la
mesure attentatoire au droit de propriété ? C’est ce qu’admet la Cour européenne, laquelle,
comme nous l’avons remarqué précédemment, a une conception large de la notion d’utilité
publique, et laisse une grande marge d’appréciation aux Etats en cette matière138.
Le seul problème qui puisse ainsi véritablement se poser relativement à l’inopposabilité
réside donc dans l’absence d’indemnisation du propriétaire, question corrélée à celle de la
proportionnalité de l’atteinte.
136 L. Sermet, op.cit., spéc. p. 32. 137 Art. 1 al. 1 2ème phrase du 1er Protocole Additionnel à la C.E.S.D.H (voir annexes). 138 V. arrêt James préc, note 128.
55
2- Le contrôle de proportionnalité et la question de l’indemnisation :
118. Le contrôle de proportionnalité de la privation du droit de propriété n’est pas
mentionné à l’art. 1 du 1er Protocole Additionnel à la C.E.S.D.H., mais a été créé par la Cour
européenne dans l’arrêt Sporrong et Lönnroth, la Cour y affirmant qu’elle se doit de
« rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général de la
communauté et les impératifs de sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu » (§ 69).
Ce contrôle de proportionnalité dépend cependant essentiellement de la gravité de l’atteinte
portée au droit de propriété, et, partant, apparaît comme une notion au contenu variable.
L’atteinte au droit de propriété sera ainsi considérée comme régulière si une indemnité est
accordée au propriétaire dépossédé, la Cour européenne ayant à cet égard précisé qu’une telle
indemnité devait consister en une « somme raisonnablement en rapport avec la valeur du
bien »139, sans nécessairement aller jusqu’à l’indemnisation intégrale du propriétaire.
Or si le propriétaire ayant agi en temps utile aura la possibilité, s’il ne récupère pas son
bien, d’obtenir néanmoins un paiement en rapport avec la valeur de celui-ci, tel ne sera pas le
cas du propriétaire dont le droit aura été déclaré inopposable, lequel pourra voir son bien
réalisé au profit des créanciers, sans contrepartie.
Mais si l’indemnité n’existe pas en tant que tel dans cette situation, ne peut-on pas
cependant arguer de ce que l’organisation même de la revendication dans les procédures
collectives, permet, si elle est respectée, d’assurer au propriétaire un désintéressement
prioritaire par rapport aux autres créanciers ?
119. Les règles relatives à la revendication n’ont pas en effet pour objet de priver le
propriétaire de son droit, bien au contraire. La réforme de 1994 a ainsi largement favorisé le
revendiquant, en instituant notamment de nombreuses dérogations aux règles contraignantes
des procédures à son profit, et ce, au détriment même des objectifs du législateur qui
justifiaient pourtant certaines restrictions au droit de propriété.
139 C.E.D.H., arrêt Lithgow et autres, 8/07/1986, Série A, n° 108, § 121.
56
TITRE 2 : LA PRIMAUTE DU DROIT DE PROPRIETE, CAUSE DE
DEROGATIONS AUX REGLES CONTRAIGNANTES DES PROCEDURES
COLLECTIVES AU PROFIT DU PROPRIETAIRE :
120. La primauté du droit de propriété semble bien en effet avoir été consacrée, à certains
égards, par le législateur. Les principales dispositions à ce sujet sont issues de la réforme du
10/06/1994. Elles vont ainsi permettre au propriétaire, dans certains cas, de primer les autres
créanciers, alors même que son droit de propriété ne serait utilisé qu’à titre de « sûreté », ce
qui porte manifestement atteinte à la règle de l’égalité des créanciers (chap. 1).
L’ensemble des dispositions favorables au propriétaire constitue en outre, et de manière
peut-être beaucoup plus contestable, une véritable dérogation à l’objectif premier de la loi,
résidant dans la sauvegarde de l’entreprise (chap. 2).
CHAPITRE 1 : UNE PROTECTION S’EXERCANT AU DETRIMENT DU PRINCIPE
D’EGALITE DES CREANCIERS :
121. M Soinne relève, dans un article paru en 1997140, que le principe d’égalité entre les
créanciers a toujours existé. Cet auteur le fait remonter à la tradition romaine et affirme en
retrouver la trace dans les « Coutumes de Beauvaisis » de Beaumanoir.
La règle de l’égalité des créanciers n’est cependant nulle part exprimée dans les textes
relatifs aux procédures collectives, qu’il s’agisse de la loi du 25/01/1985 ou de celle du
10/06/1994. L’égalité est néanmoins visée par certains arrêts de la Cour de Cassation141. Il est
en outre admis que la règle trouve son fondement dans l’art. 2093 c.civ. Au delà de ce
fondement civiliste, le principe d’égalité apparaît comme le corollaire indispensable des
procédures collectives. Nombre d’auteurs affirment ainsi qu’il est inhérent à celles-ci, dans la
mesure où la fonction même des procédures collectives est de placer les créanciers dans la
même situation et de faire obstacle au paiement au prix de la course.
122. La loi du 25/01/1985 a cependant considérablement affaibli le principe d’égalité des
créanciers, en faisant du redressement de l’entreprise en difficulté son principal objectif. A 140 B. Soinne, Le bateau ivre (à propos de l’évolution récente du droit des procédures collectives), Rev. Proc. Coll. 1997, p. 105 et s. 141 Com. 17/11/1992, J.C.P.1992, éd. E, 22140 ; Com. 17/06/1997, D.Aff.1997, p.902.
57
côté de ces dispositions législatives, le comportement même des créanciers, désireux d’être
payés le plus rapidement possible, est aussi apparu de nature à compromettre la règle de
l’égalité. Parmi toute la gamme de sûretés s’offrant au créancier, la propriété est apparue
comme la plus à même d’assurer un désintéressement prioritaire à ce dernier. Le droit de
propriété se voit ainsi utilisé plus par intérêt pour la valeur représentée par le bien que pour le
bien en lui-même. A ce titre, le créancier-propriétaire va se voir octroyer plusieurs possibilités
d’être payé de manière prioritaire (section 1). L’efficacité du droit de propriété se voit en
outre renforcée pour certaines catégories de propriétaires, tels le vendeur sous réserve de
propriété, ou le crédit-bailleur (section 2).
Section 1 : Le droit de propriété, une sûreté efficace :
123. Si l’usage du droit de propriété à titre de sûreté a pu être contesté par certains auteurs,
qui y ont vu un « déclassement » de la propriété au rang d’un simple droit réel accessoire, et
ont objecté à un tel usage l’impossibilité extra-légale de constituer une nouvelle sûreté, ou
celle de considérer la propriété comme un droit accessoire142, la propriété-sûreté a toutefois
connu un réel essor dans le cadre des procédures collectives, suite à la loi du 10/06/1994 tout
particulièrement. Il est vrai que le droit de propriété va constituer un moyen efficace pour le
créancier de se prémunir contre certaines restrictions liées à l’ouverture de la procédure
collective : tout d’abord parce que la propriété, bien qu’utilisée à titre de sûreté, ne sera pas
soumise à déclaration (§1), mais aussi en raison des effets très étendus reconnus à l’action en
revendication (§2).
§1 : Une sûreté non soumise à déclaration :
124. L’utilisation de la propriété comme sûreté aurait logiquement dû aboutir à
l’obligation pour le propriétaire-créancier de déclarer son droit en même temps que sa
créance. Or la Cour de Cassation a exclu une telle solution de manière très claire relativement
à la vente avec réserve de propriété, une telle décision pouvant être étendue au delà de cette
seule vente. Quelle est la teneur de cette solution et quels en sont les fondements (A) ?
Quelles en seront les conséquences sur la situation du propriétaire (B)?
142 Ch. Mouly, Procédures collectives : assainir le régime des sûretés, Mélanges Roblot, L.G.D.J. 1984, p.529 et s., spéc. , n° 2 et 3.
58
A- Une solution fondée sur la primauté du droit de propriété:
125. La Cour de Cassation a en effet affirmé de manière très nette, dans un arrêt du
9/01/1996143, relatif à une clause de réserve de propriété contenue dans une vente
immobilière, que si l’absence de déclaration de créance libérait l’acquéreur de l’obligation de
payer la partie du prix restant due, l’extinction de la créance ne constituait pas « le terme
contractuellement fixé pour le transfert de propriété ».
Une telle solution, affirmée relativement à une clause de réserve de propriété, doit-elle
cependant être étendue aux autres propriétaires-créanciers ? La réponse est assurément
positive, et s’explique par les fondements de la solution qui sont à rechercher, non dans les
règles relatives à la déclaration de créance, mais plutôt dans la primauté et la protection toute
particulière du droit de propriété.
126. Aurait-il en effet été possible de considérer que le propriétaire devait déclarer son
droit réel en même temps que sa créance? Une telle solution aurait pu être justifiée par le fait
que la revendication est généralement engagée par le propriétaire à des fins de paiement144.
Mais obliger le propriétaire à déclarer son droit réel en même temps que la créance qu’il peut
éventuellement avoir sur le débiteur aurait abouti à lui faire perdre, en cas de non-déclaration,
la sûreté ainsi constituée, et, partant, à éteindre son droit de propriété. Une telle solution,
beaucoup trop radicale, puisque la jurisprudence n’ose même pas aller jusque à une telle
extrémité pour sanctionner le défaut de revendication, méconnaîtrait en outre la distinction
opérée par le droit des procédures collectives entre la procédure de revendication et la
déclaration de créance.
Mais si la position ainsi adoptée par la Cour de Cassation est justifiée dans ses
fondements, elle emporte des conséquences qui sont quant à elles beaucoup plus discutables.
B- Une solution toutefois injustifiée dans ses conséquences :
127. Ces conséquences sont doubles : tout d’abord, en n’obligeant pas le propriétaire à
déclarer la créance qu’il aurait éventuellement sur le débiteur, ou à tout le moins à déclarer le
droit de propriété garantissant cette créance, la jurisprudence fait de la propriété une « sûreté »
143 Com. 9/01/1996, Defrénois 1196, § 36276, p.385, note Derrida ; solution préfigurée par deux arrêts rendus par la même formation, les 29/01/1991 et 20/10/1992, non publiés au Bulletin, D.1993, Somm. 288, obs. Pérochon. 144 Ch. Larroumet, Le vendeur bénéficiaire d’une clause de réserve de propriété peut-il revendiquer sans avoir déclaré sa créance à la procédure collective ?, D. Aff. 1996, p.603 et s, spéc. n°6, p.604..
59
occulte. Le fait de dissocier la déclaration de créance de l’action en revendication peut en
effet s’avérer dangereux au regard des objectifs posés par la loi, mais aussi pour le
propriétaire lui-même.
128. Au regard des objectifs posés par la loi, tout d’abord, une telle solution fait de la
propriété utilisée comme sûreté une garantie occulte. Certes, les dispositions légales
favorables aux propriétaires ayant publié leur contrat , issues de la réforme de 1994, sont
censé motiver les propriétaires à opérer une telle publicité, qui permettra une connaissance
plus rapide de la consistance de l’actif du débiteur. Mais combien de propriétaires penseront à
procéder ainsi en traitant avec un débiteur encore in bonis ?
129. Il n’est pas sûr en outre que la solution retenue par la Cour de Cassation soit
favorable au propriétaire lui-même, qui aura tout intérêt à déclarer, le cas échéant, la créance
qu’il a sur le débiteur pour être totalement désintéressé. L’absence de lien entre la déclaration
de créance et l’action en revendication l’oblige ainsi à respecter plusieurs délais, ainsi qu’à
observer des formalités quelque peu différentes, la déclaration de créance étant en effet, au
contraire de la demande en revendication, assimilée à une demande en justice.
Mais il n’est pas que sur le caractère occulte donné à la propriété-sûreté qu’ont porté les
critiques relatives à la solution retenue en jurisprudence. M. Crocq relève en effet cette
conséquence assez curieuse relativement à la clause de réserve de propriété145 : la solution
exprimée par la Cour de cassation va de fait aboutir à ce que le vendeur sous réserve de
propriété demeure propriétaire jusqu’au complet paiement d’une créance qui est pourtant
éteinte !
Le fait que la sûreté que constitue le droit de propriété survive à la créance ne sera pas en
outre anodin pour le propriétaire, car si la dissociation entre action en revendication et
déclaration de créance rend sa situation un peu plus complexe, une telle distinction lui
permettra, à défaut de déclaration de créance, de primer tous les autres créanciers au moyen
de son action en revendication.
§2 : Une sûreté permettant de primer les autres créanciers :
130. Le propriétaire va se voir désintéressé de manière beaucoup plus rapide que nul autre
créancier, et ce de deux façons : tout d’abord par l’effet de la revendication, lorsque celle-ci
145 P. Crocq, J.-Cl. Préc., note 17, spéc. n° 33 p.12
60
aboutit (A), mais aussi par certaines possibilités lui étant offertes par le législateur ou la
jurisprudence en cas de disparition du bien du patrimoine du débiteur (B).
A- Par les résultats possibles de l’action en revendication :
131. La revendication, si elle réussit, va déboucher sur la restitution du bien au
propriétaire (1). Elle peut aussi, si le bien est utile à la poursuite de l’activité, être bloquée,
une telle possibilité de blocage étant loin de nuire aux intérêts du propriétaire (2).
1- La revendication réussie aboutit à la restitution du bien :
132. Si l’action en revendication aboutit, le bien sera nécessairement restitué à son
véritable propriétaire. Une telle restitution aura pour conséquence d’éteindre sa créance à
concurrence de la valeur des marchandises reprises146. Si cette valeur est inférieure au
montant de la créance, le reliquat devra alors être déclaré au passif du débiteur. Dans le cas
contraire, le propriétaire devrait par contre restituer l’excédent147.
Le propriétaire qui aurait subi un préjudice en raison de la dégradation du matériel restitué
pourra de plus déclarer sa créance de dommages-intérêts au passif du débiteur148. Les frais
engendrés par la restitution du bien seront quant à eux supportés par l’entreprise, et
constitueront une créance privilégiée au sens de l’art. L.621-32 c.com (art. L.40 ancien)149.
133. La restitution du bien constitue donc un véritable « paiement en nature », qui
permettra au propriétaire d’être désintéressé de manière prioritaire, alors même que son droit
réel n’existe le plus souvent que pour garantir une créance antérieure qui normalement devrait
être déclarée au passif et n’aboutir qu’à un éventuel règlement en fin de procédure.
La loi dote toutefois l’administrateur d’une faculté d’empêcher la restitution du bien en
bloquant la procédure de revendication. Une telle possibilité est cependant loin d’être
défavorable au propriétaire.
146 Com. 5/03/1996, J.C.P. 1996, éd. E, II, 584, n°11, obs. Cabrillac ; D.1996. Somm. 222, obs. Pérochon. 147 Com. 5/03/1996, préc, note 146. 148 Com. 22/07/1986, D.1988. Somm.67, obs. Derrida. 149 J. Vallansan, J.-Cl. préc. note 10, spéc. n° 105, p . 14.
61
2- Le blocage de la revendication, une mesure favorable au propriétaire :
134. L’art. L.621-122 al. 4 c.com permet à l’administrateur de bloquer l’action en
revendication en payant de manière immédiate le propriétaire. Le juge-commissaire peut
cependant accorder un délai de paiement, mais alors que, sous l’empire de la loi de 1985, un
tel délai pouvait être imposé au propriétaire, il ne peut plus être octroyé aujourd’hui qu’avec
l’accord de ce dernier, la créance née de ce fait étant alors assimilée à une créance née
régulièrement après le jugement d’ouverture.
Il y a toutefois fort peu à parier, dans ces conditions, que le propriétaire accepte
d’accorder un tel délai, ayant la possibilité d’obtenir un règlement immédiat.
135. Cette disposition créé en outre un paradoxe : c’est la paralysie de la procédure de
revendication par le mandataire de justice, par le paiement du revendiquant, qui va ainsi
remplir ce dernier de ses droits, de la façon la plus satisfaisante150.
Les solutions protectrices du propriétaire n’existent pas au demeurant que dans les deux
cas précités. La disparition du bien n’est pas en effet de nature à faire perdre
systématiquement tous ses droits au revendiquant, comme nous allons le voir dès à présent.
B- Les solutions protectrices du propriétaire en cas de disparition du bien :
136. Les solutions ici envisagées sont de deux ordres : elles ont trait en premier lieu à la
jurisprudence relative au sort de l’indemnité d’assurance en cas de destruction ou de vol du
bien (1), et en second lieu aux dispositions législatives prévoyant la revendication du prix en
cas de revente du bien antérieurement à l’ouverture de la procédure (2).
1- Les solutions favorables au propriétaire en cas de destruction ou de vol du
bien :
137. La réussite de la revendication passe en effet par la démonstration de l’existence du
bien en nature au jour du jugement d’ouverture. La disparition du bien antérieurement à
l’ouverture de la procédure ne permettra pas en conséquence d’admettre l’action en
revendication151. Il n’en reste pas moins que la jurisprudence a décidé que si le bien avait été
150 A. Martin-Serf, Revendications et restitutions dans les procédures collectives, Petites Affiches 28/10/1998, n° 129, p. 23 et s., spéc. p. 34. 151 Com. 7/07/1975, Bull. civ. IV, n°194.
62
volé ou détruit, et assuré par le débiteur, l’indemnité d’assurance n’était jamais entrée dans le
patrimoine de ce dernier, et se trouvait ainsi subrogée aux biens détruits ou volés dont le
revendiquant n’avait jamais cessé d’être propriétaire152.
138. Un arrêt de la Cour d’Appel de Rennes a même admis, de manière très protectrice du
propriétaire, qu’à défaut d’assurance, et en cas de perte ou de destruction des marchandises, la
revendication restait possible, si le propriétaire prouvait que l’évènement qui avait causé la
perte du bien était survenu dans des conditions donnant lieu à une action en responsabilité
dont il pouvait bénéficier en vertu d’une subrogation réelle153.
De telles solutions sont donc de nature à assurer la sauvegarde de la primauté du droit de
propriété, primauté qui se voit en outre maintenue en cas de revente du bien antérieurement au
jugement d’ouverture de la procédure.
2- La revendication du prix de revente :
139. Cette solution est expressément prévue par les arts. L.621-124 c.com et D.85-3, qui
reprennent là une solution ancienne154. La vente du bien, antérieurement à l’ouverture de la
procédure collective, devrait en principe aboutir à ce que, le bien n’existant plus en nature à
cette date, le propriétaire soit privé de son action en revendication.
C’est justement à cette situation de blocage que va pallier la loi en permettant au
propriétaire de revendiquer le prix de vente, à la condition toutefois que ce prix n’ait pas
encore été payé, réglé en valeur, ou compensé en compte courant entre le débiteur et le sous-
acquéreur à la date du jugement d’ouverture, le sous-acquéreur ne pouvant en effet être
condamné à payer deux fois.
140. Cette disposition a en outre fait l’objet d’une interprétation extensive par la
jurisprudence, puisque cette dernière, en dépit du terme de « sous-acquéreur » employée par
l’art. D.85-3, sous-entendant que la possibilité n’est offerte qu’en cas de revente du bien, a
néanmoins admis qu’une telle revendication pouvait être exercée contre le maître de l’ouvrage
qui avait reçu le bien du débiteur dans le cadre d’un contrat d’entreprise155. Il s’agit là d’une
véritable dérogation au principe posé par l’art. 2279 c.civ, démontrant la force du droit de
propriété dans le cadre des procédures collectives. Ce droit apparaît en effet comme la plus
efficace des sûretés, efficacité renforcée en outre pour certaines catégories de propriétaires. 152 Com. 1/10/1985, Bull. civ. IV, n° 122. 153 Rennes, 2ème ch., 8/01/1992, Juris-data n° 042328. 154 Art. 575 § 2 de l’ancien Code de Commerce ; art. 66 de la loi du 13/07/1967. 155 Com. 17/03/1998, Bull. civ. IV, n° 108 ; D. 2000. Somm. 75, obs. Pérochon et Mainguy.
63
Section 2 : Une efficacité renforcée concernant certaines catégories de créanciers :
141. La loi n’a tout d’abord organisé que le régime de la revendication mobilière,
conduisant à toute une série d’interrogations sur le sort des propriétaires d’immeubles
appréhendés par la procédure collective. Le silence de la loi sur leur situation sera-t-il
constitutif d’une véritable faveur accordée à ces derniers (§ 1)?
S’il existe une carence législative sur le cas des propriétaires immobiliers, la loi détaille au
contraire de manière très précise, et très favorable, les règles applicables à certains
propriétaires mobiliers qui se verront véritablement protégés à l’occasion de l’ouverture d’une
procédure collective : il s’agit des vendeurs de meubles bénéficiaires d’une clause de réserve
de propriété, ainsi que des propriétaires visés par l’art. L.621-116 c.com (art. L.115-1 ancien)
(§2).
§1 : Le silence de la loi sur le sort du propriétaire immobilier, véritable faveur accordée à ce
dernier ?:
142. Deux questions se posent en effet relativement à la situation du propriétaire
immobilier : tout d’abord, la voie de la revendication lui est-elle ouverte (A)? Si tel était le
cas, quel serait alors le régime d’une telle action (B) ?
A- Une revendication permise ?:
143. Il semble qu’en dépit du silence de la loi sur ce point, la revendication immobilière
soit admise en doctrine (1), la jurisprudence n’ayant jamais véritablement été saisie de cette
question (2).
1- Une revendication admise, voire préconisée par la doctrine :
144. Nombre d’auteurs ont constaté que les dispositions de la loi de 1985 ne visant que
les propriétaires mobiliers, les propriétaires immobiliers échappaient par conséquent aux
règles contraignantes des procédures collectives en matière de revendication156. Le principe
156 F. Pérochon et R . Bonhomme, op. cit., spéc. n° 282, p.285 ; G. Ripert et R. Roblot, op. cit., spéc. n°3142, p.1048 ; P. Crocq, J.-Cl. Préc. note 17, spéc. n° 11.
64
est en effet celui du respect de la propriété par les procédures collectives, les règles relatives à
la revendication n’existant que pour permettre un meilleure connaissance de l’actif du
débiteur. Or une telle connaissance est beaucoup plus facile concernant les biens immobiliers ,
les actes portant sur ceux-ci donnant lieu à publicité foncière.
145. M. Derrida est même allé au delà de ce premier constat concernant l’exclusion des
immeubles du droit des procédures collectives pour préconiser la vente d’imeuble avec
réserve de propriété157. Une telle proposition a cependant fait l’objet de critiques doctrinales
soulignant qu’il n’était pas certain que l’art. L.621-115 c.com ne soit pas alors applicable à la
revendication du vendeur, et mettant en exergue la probable qualification de locataire du
débiteur, qualification qui obligerait alors le vendeur d’immeuble à respecter certains textes
contraignants, comme le décret de 1953 concernant les baux commerciaux, ou la loi de 1989
sur les locaux à usage d’habitation158.
Quelle a alors été la position de la jurisprudence sur ce problème ?
2- L’admission de la revendication immobilière par la jurisprudence ?:
146. Le seul arrêt rendu en la matière est, à notre connaissance, celui du 9/01/1996159. Or
il n’apparaît pas qu’à cette occasion, la Cour de Cassation ait véritablement été saisie du
problème de la revendication immobilière, le pourvoi portant alors sur les effets de l’absence
de déclaration de créance quant au sort du droit de propriété
La Cour de cassation, dans cette espèce, statue cependant au visa de l’art. 1134 c.civ, et ne
fait pas mention de l’éventuelle application des dispositions des arts L.621-115 et s. c.com à
la revendication immobilière.
En l’absence de jurisprudence déterminée sur la question, et au regard de la doctrine
paraissant considérer qu’en un tel cas, les règles posées par le Code Civil ont vocation à
s’appliquer, quel pourrait alors être le régime de la revendication d’un immeuble.
157 F. Derrida, A propos de la clause de réserve de propriété dans les ventes immobilières à crédit, Defrénois 1989, § 34599, p. 1089 et s. 158 P. Delebecque, La propriété en tant que sûreté dans les procédures collectives, R.J.com. 1994, p.386, spéc. n°21, p.393. 159Com. 9/01/1996, préc., note 143.
65
B- Le régime de la revendication immobilière dans les procédures collectives :
147. Deux problèmes paraissent devoir être envisagés ici : le premier est relatif au
déroulement même de l’action en revendication, et notamment aux modalités de celle-ci (1),
le second concerne les conséquences d’une telle action , si la revendication venait à être
admise (2).
1- Les modalités de l’action en revendication :
148. Celle-ci étant soumise aux règles énoncées dans le Code Civil, et la jurisprudence
s’étant appuyée sur ces dernières pour décider que l’action en revendication était
imprescriptible, il faudra considérer que les délais prévus par la loi relativement à la
revendication mobilière ne seront pas applicables au propriétaire immobilier. Ce dernier
n’encourra donc pas la sanction de l’inopposabilité, et, en vertu de la décision du 9/01/1996,
l’absence de déclaration de l’éventuelle créance qu’il pourrait avoir à l’encontre du débiteur
n’opérera pas transfert de propriété au profit de ce dernier.
149. Mais si ce point paraît acquis, d’autres questions demeurent en suspens. Tout
d’abord, seul le T.G.I. étant en principe compétent en matière de revendication immobilière,
sera-t-il possible de permettre à une telle action de s’exercer devant les organes de la
procédure collective ? Il en va de même concernant les modalités de la revendication : la
procédure amiable de demande en revendication devant l’administrateur pourra-t-elle jouer au
profit du propriétaire immobilier ? Cette application extensive serait alors tout à fait favorable
à ce dernier, et rapprocherait sa situation de celle des propriétaires ayant publié leurs contrats,
ce qui est au demeurant le cas du propriétaire immobilier.
L’absence en outre d’exigence de l’existence en nature du bien au jour du jugement
d’ouverture conduit en outre à s’interroger sur le jeu des règles de l’accession dans le cadre
d’une telle revendication. Cette dernière question nous amène ainsi au problème des
conséquences de la revendication immobilière.
2- Les résultats de la revendication immobilière:
150. Comment pourrait en effet se voir résolue la question de l’effet de l’action en
revendication portant sur un bien immobilier, si ce bien s’avérait utile à la poursuite de
l’activité de l’entreprise ? L’art. L.621-122 al. 4 c.com (art. L.121 al.4 ancien) n’aurait alors
66
en ce cas certainement pas vocation à jouer, et, même si son application était admise,
l’administrateur pourrait-il payer immédiatement le prix de l’immeuble au vu des difficultés
financières du débiteur ?
151. La question du choix des règles à appliquer en matière d’accession immobilière, si
jamais il y avait eu incorporation d’un bien meuble appartenant au débiteur à l’immeuble
revendiqué, semblerait quant à elle moins problématique, dans la mesure où, comme cela a pu
être vu précédemment, le critère du démontage possible appliqué par la jurisprudence aboutit
au même résultat pratique que l’application des règles contenues dans le Code Civil. Il n’en
reste pas moins qu’en cas de construction, plantation, ou édification d’un ouvrage par le
débiteur sur le terrain appartenant à autrui, la double présomption de dépense et de propriété
posée par l’art. 553 c.civ au profit du propriétaire du sol aurait vocation à jouer, obligeant le
débiteur à prouver que les plantations, constructions, et ouvrages, ont été réalisés par ses
soins. L’art. 555 al.1 c.civ précise en outre qu’en ce cas, le propriétaire a le droit, si les
plantations, constructions et ouvrages ont été réalisés par un tiers de mauvaise foi (ce qui sera
très certainement le cas du débiteur en redressement ou liquidation judiciaire), d’obliger ce
dernier à les enlever, à ses frais.
152. L’application des règles de droit civil au propriétaire immobilier est donc loin de
constituer une entrave aux droits de ce dernier, même si la question du régime de la
revendication immobilière reste entièrement posée. Il faut néanmoins souligner la rareté de ce
cas de figure, le propriétaire immobilier étant le plus souvent lié au débiteur par un contrat,
comme le contrat de bail, qui sera susceptible de se voir continuer et sera alors régi par des
dispositions législatives spécifiques.
Il n’en va pas de même pour certains propriétaires mobiliers qui se voient quant à eux très
nettement favorisés par la loi, cette dernière leur donnant toutes les chances de récupérer de
manière aisée et rapide leur bien par priorité aux autres créanciers.
§ 2 : Les facilités accordées à certains propriétaires mobiliers :
153. Les textes font en effet la part belle à certains propriétaires mobiliers, en facilitant
grandement leurs possibilités de récupérer leur bien : il s’agit en premier lieu du vendeur
bénéficiaire d’une clause de réserve de propriété, qui n’a cessé de voir son sort amélioré au fil
des différentes réformes du droit des procédures collectives (A), mais aussi des propriétaires
ayant fait publier le contrat portant sur le bien, qui ne se verront pas soumis aux règles
contraignantes relatives aux délais de revendication (B).
67
A- Le sort enviable du vendeur bénéficiaire d’une clause de réserve de propriété :
154. La clause de réserve de propriété, qui se définit comme le celle par laquelle
l’acheteur et le vendeur conviennent que le transfert de propriété n’aura pas lieu de manière
immédiate, par dérogation à l’art. 1583 c.civ, s’est vu donner effet par la loi française au
moment où d’autres législations l’avaient abandonnée160. C’est la loi du 12/05/1980 qui lui a
permis d’être invoquée dans les procédures collectives, en modifiant l’art. 65 de la loi du
13/07/1967, portant ainsi un coup d’arrêt à la jurisprudence qui avait réduit son efficacité à
néant161. Le régime applicable à cette clause n’a eu depuis lors de cesse de s’assouplir, au
point de faire du vendeur sous réserve de propriété l’un des créanciers les plus avantagés à
l’occasion d’une procédure collective, et ce pour deux raisons : tout d’abord, grâce aux
modalités de stipulation de la clause qui se sont vues facilitées (1), mais aussi grâce au fait
que la clause de réserve de propriété, quoique accessoire du droit de créance du vendeur, ne
verra pas son sort lié à celui de cette créance (2).
1- Une clause à la stipulation facilitée :
155. Il résultait en effet d’un arrêt rendu par la chambre Commerciale de la Cour de
Cassation le 25/01/1986162 que le revendiquant devait démontrer l’existence de la clause et
son acceptation, quelles qu’aient été les clauses de réserve de propriété stipulées dans les
ventes antérieures. Un écrit était ainsi nécessaire pour chaque opération, même quand
existaient entre les parties des relations d’affaires suivies, et que le contrat-cadre sur lequel se
fondaient ces relations contenait la clause de réserve de propriété.
Cette exigence a été supprimée par le législateur en 1994, et l’art. L.621-122 al 2 c.com
dispose désormais que « cette clause (...) peut figurer dans un écrit régissant un ensemble
d’opérations commerciales convenues entre les parties ».
156. En dépit de cet assouplissement, l’exigence d’un accord de volontés entre les parties
n’avait pas pour autant disparu, et la Cour de Cassation ne permettait pas à la clause de
160 F. Derrida, P. Godé, et J.-P. Sortais, Redressement et liquidation judiciaires des entreprises, éd. Dalloz, 1991, cité par B. Soinne Le démantèlement du droit de la revendication, Rev. Proc. Coll. 1994, p. 471 et s. 161 Cass. Civ. 28/03/1934 et 22/10/1934, D.P. 1934, 1, p. 137, note Esmein. Dans ces arrêts, la Cour de Cassation avait en effet affirmé qu’en cas d’ouverture d’une procédure collective, la clause était inopposable à la masse des créanciers, car le bien ayant été livré à l’acheteur était de ce fait devenu un élément de la solvabilité apparente de ce dernier. 162 Com. 25/01/1986, Rev. Proc. Coll. 1987, p.73, obs. Soinne.
68
produire effet dans le cas de « clauses croisées » notamment, c’est à dire lorsque les
conditions générales de vente du vendeur comprenaient une clause de réserve de propriété, et
que les conditions générales d’achat du débiteur contenaient quant à elles une clause rejetant
expressément cette réserve de propriété163. C’est cette jurisprudence qui semble, selon M
Crocq164, avoir été remise en cause par l’art. 19 de la loi n° 96-588 du 1/07/1996 relative à
l’équilibre et à la loyauté des relations commerciales. Dans le but de protéger les petits
fournisseurs face aux exigences des centrales d’achat qui refusaient systématiquement les
réserves de propriété, cette loi a en effet ajouté une phrase à l’alinéa 2 de l’art. L.621-122
c.com, affirmant que « nonobstant toute clause contraire, la clause de réserve de propriété est
opposable à l’acheteur et aux autres créanciers, à moins que les parties n’aient convenu par
écrit de l’écarter ou de la modifier ». C’est cette phrase qui, selon M Crocq, laisse ainsi place
à la stipulation unilatérale de la réserve de propriété, créant alors une situation « ubuesque »,
dans la mesure où, quand l’acquéreur sera in bonis, le consensualisme inhérent au droit des
contrats obligera le vendeur à démontrer que l’acheteur a bel et bien accepté la mise à l’écart
des dispositions supplétives de l’art. 1583 c.civ, tandis que l’ouverture de la procédure
collective permettra au vendeur de récupérer le droit de propriété qu’il aurait peut-être perdu
par application du droit commun, en n’ayant pu démontrer l’acceptation de la clause par
l’acheteur165. Une telle vision n’est pas cependant partagée par d’autres auteurs, tels Mmes
Pérochon et Bonhomme166, pour lesquelles la clause envisagée par la nouvelle disposition,
n’est autre que celle visée par la deuxième phrase du même texte, et, partant, une clause
banalement convenue : le texte exigerait alors seulement, nonobstant toute clause contraire,
un écrit pour écarter la clause de réserve de propriété convenue antérieurement.
157. Il n’en demeure pas moins que la jurisprudence semble admettre de manière assez
large l’acceptation de la clause de réserve de propriété par le débiteur, comme le démontre un
arrêt de la chambre Commerciale de la Cour de Cassation en date du 13/10/1998167, affirmant
que la mention de la clause de réserve de propriété au verso des bons de livraison seulement
n’impliquait pas que cette clause ait été ignorée de l’acquéreur et qu’il ne l’ait pas acceptée
par l’exécution du contrat en connaissance de cause, et précisant que l’opposabilité d’une
clause de réserve de propriété n’était pas subordonnée à son acceptation écrite par l’acheteur.
163 Com. 3/12/1996, Bull. civ IV, n° 299. 164 P. Crocq, J.-Cl. préc.note 17, spéc. n° 21, p. 5. 165 P. Crocq, J.-Cl. préc. note 17, spéc. n° 21, p. 9 et 10. 166 F. Pérochon et R ; Bonhomme, op. cit., spéc. n° 288, p. 291. 167 Com. 13/10/1998, D. 2000, Somm. 65, obs. Pérochon et Mainguy.
69
Mais il n’est pas que la stipulation de la clause de réserve de propriété qui se soit vue
facilitée : les solutions jurisprudentielles relatives au lien existant entre la créance du vendeur
et l’accessoire de cette créance que constitue la clause sont elles aussi de nature à favoriser les
chances du vendeur de récupérer son bien.
2- La réserve de propriété, un accessoire qui ne suit pas le sort du principal :
158. La Cour de Cassation a en effet, dans un arrêt du 15/03/1988168, admis que la clause
de réserve de propriété constituait un accessoire « assortissant la créance du prix de vente et
[affecté] à son service exclusif pour en garantir le paiement ». Cette clause ne sera cependant,
comme le relève M. Crocq169, qu’un accessoire imparfait, car elle ne pourra pas garantir autre
chose que la créance du prix de vente, contrairement au droit allemand qui admet la
possibilité d’une réserve de propriété dite « élargie » (erweiteter Eigentumsvorbehalt),
pouvant garantir le paiement d’autres dettes de l’acheteur à l’égard du vendeur. La
qualification d’accessoire va cependant permettre à la clause d’être transmise avec la créance
dont elle garantit le paiement170.
Cette qualification d’accessoire va s’avérer d’autant plus intéressante pour le vendeur
réserviste que, comme cela a pu être envisagé précédemment, l’absence de déclaration de
créance du vendeur n’entraînera pas disparition de l’accessoire que constitue la réserve de
propriété171, par dérogation au principe selon lequel l’accessoire suit le principal.
159. Cette solution conduit, comme nous l’avons vu antérieurement, à faire de la clause de
réserve de propriété une garantie complètement occulte. A cet égard, il avait été proposé à
l’Assemblée Nationale, à l’occasion de la réforme des procédures collectives de 1994,
d’instituer une publicité obligatoire des clauses de réserve de propriété, du moins au delà
d’une valeur importante qui aurait été fixée par décret172. Le Sénat s’étant montré hostile à
cette idée, cette disposition ne fut pas adoptée. Il n’en reste pas moins que le vendeur
réserviste a tout de même fort intérêt à faire publier le contrat, une telle publicité lui
permettant en effet d’échapper aux règles contraignantes en matière de revendication.
168 Com. 15/03/1988, R.T.D. civ. 1988, p. 791, obs. Bandrac ; R.D. bancaire et bourse 1988, n° 8, p. 129, obs. Crédot et Gérard ; D. 1988, p. 330, note Pérochon. 169 P. Crocq, J.-Cl. Préc. note 17, spéc. n° 28, p.11. 170 Com. 11/07/1988, Bull. civ. IV, n° 237, pour la transmission d’une telle clause par endossement d’une lettre de change tirée sur l’acheteur ; Com. 15/03/1988, Bull. civ. IV, n° 106, pour la transmission de la clause en cas de paiement subrogatoire fait par le vendeur à un tiers. 171 Com. 29/01/1991, Com. 20/10/1992, et Com. 9/01/1996, précs, note 143. 172 Rapp. Houillon, n° 411, p.51 et s.
70
B- Le régime de faveur accordé aux propriétaires qui ont publié leur contrat :
160. La réforme de 1994 a considérablement amélioré le sort des bailleurs ou vendeurs
bénéficiaires d’une clause de réserve de propriété ayant publié leur contrat, en dispensant ces
derniers d’avoir à agir en revendication et en leur permettant d’engager une simple action en
restitution, n’étant enfermée dans aucun délai.
L’art. D.85-5 précise à cet égard que, pour dispenser le propriétaire d’agir en
revendication, la publicité doit avoir été opérée dans les conditions prévues aux arts. 1 à 7 et 9
du décret n° 72-665 du 4/07/1972 relatif à la publicité des opérations de crédit-bail en matière
mobilière. Si un commentateur du décret du 21/10/1994173 a contesté le choix des modalités
de publicité, arguant de ce que d’autres contrats de location (contrat de bail portant sur un
navire, un fonds de commerce...), publiés selon d’autres règles spécifiques, n’étaient pas
inclus dans le champ d’application de ce texte, obligeant le propriétaire à publier de nouveau
son contrat dans les conditions prévues à l’art. D.85-5.
Il n’en reste pas moins que la publicité correctement opérée va ouvrir au propriétaire la
voie de la demande en restitution, dont la simplicité contraste avec la complexité des règles
relatives à la revendication précédemment envisagées (1). En outre, dans le cas même où le
propriétaire resterait inactif, le décret organise toute une procédure permettant d’assurer son
désintéressement (2).
1- La simple demande en restitution :
161. Si le propriétaire agissant en restitution doit se conformer à une procédure en deux
temps, analogue à celle de la revendication, il n’est en effet soumis à aucun délai. L’art. D.85-
4 prévoit certes que si le mandataire ne donne pas suite à la demande en restitution, où s’il
conteste le bien-fondé de cette demande, le juge-commissaire « peut-être saisi » par le
propriétaire dans le délai d’un mois. La restitution n’est, en effet, pas automatique, le
mandataire pouvant très bien la refuser, pour des motifs divers allant de la réalisation du bien
à la contestation de l’existence même du droit de propriété du demandeur.
Mais ce délai d’un mois n’est assorti d’aucune forclusion, le droit de propriété étant déjà
opposable à la procédure collective du fait de la publicité. Cette même publicité rendra-t-elle
aussi les tiers, auxquels les biens objets du contrat publié auraient pu être cédés avant toute
173 F. Pérochon, Revendications et restitutions selon le décret du 21/10/1994, Petites Affiches, 14/06/1995, n° 71, p. 32 et s., spéc. p. 34-35.
71
demande en restitution du propriétaire, de mauvaise foi174, ouvrant ainsi la voie à une
revendication du bien auprès du sous-acquéreur ? Un arrêt de la Cour de Cassation en date du
14/10/1997175 ne l’a pas admis et a considéré que le sous-acquéreur du bien pouvait se
prévaloir de son droit de propriété à l’encontre du crédit-bailleur, alors même que le contrat
avait été publié.
162. Le propriétaire pourra de toute façon, dans ce dernier cas , bénéficier des dispositions
des arts. L.621-124 c.com (art. L.122 ancien), et D.85-3 concernant la revendication du prix
de revente. La dispense de revendication dont il bénéficie lui permettra ainsi de se voir
attribuer les sommes versées par le sous-acquéreur à compter du jugement d’ouverture de la
procédure collective176.
Si le bien vient en outre a être vendu au cours de la procédure collective, le propriétaire
ayant fait publié son contrat, et étant resté passif, ne se verra pas non plus démuni, l’art. D.85-
4 prévoyant à cet égard une procédure très protectrice de ses intérêts.
2- Dispositions protectrices du propriétaire en l’absence de demande en restitution:
163. En l’absence de demande en restitution, l’art. D.85-4 prévoit en premier lieu que le
mandataire peut saisir le juge-commissaire, afin qu’il soit statué sur les droits du propriétaire.
Ce même article prévoit en outre, dans son alinéa 3, que le bien non-revendiqué peut-être
vendu un mois après l’expiration d’une mise en demeure adressée au propriétaire. Le prix de
vente ne sera pas cependant, contrairement à ce qui se produit en cas de non-revendication,
réparti entre les autres créanciers, mais consigné à la Caisse des Dépôts et des Consignations,
pour y être tenu à la disposition du propriétaire. On mesure donc tout l’intérêt de la publicité
donnée au contrat, qui va permettre au propriétaire de rester inactif sans que sa situation soit
affectée. Certes, il perd, en l’absence de demande de restitution, la faculté de disposer
librement de son bien, mais se voit reconnaître un droit exclusif sur le prix de vente, qu’il n’a
même pas à revendiquer. Au demeurant, si le bien avait été vendu à un prix inférieur à sa
valeur véritable, il se verrait reconnaître un droit de créance pour le solde, bénéficiant du
privilège de l’art. L.621-32 c.com .
174 Art. 8 du décret du 4/07/1972. 175 Com. 14/10/1997, Bull. civ IV, n° 257, Dr. et patrimoine 1998, n° 1904, obs. Chauvel, D. 2000. Somm. 47, obs. Pérochon et Mainguy. 176 Et non, comme l’affirme l’art. D.85-3, à compter de l’introduction del’action en revendication, comme le souligne F. Pérochon in Revendications et restitutions selon le décret du 21/10/1994, Petites Affiches 14/06/1995, n° 71, p.32 et s., spéc. p. 36.
72
164. L’ensemble des règles étudiées montre à quel point le propriétaire est loin d’être mal
traité par le droit des procédures collectives. Il se voit au contraire très largement favorisé par
rapport aux autres créanciers. Or les propriétaires qui se voient les plus avantagés sont
souvent des créanciers ayant garanti le paiement de leur créance par l’adjonction à celle-ci
d’une propriété-sûreté. Mais au delà de l’atteinte à l’égalité des créanciers révélée par ce
constat, un autre problème est posé par le statut privilégié du propriétaire : celui de la
dérogation que constitue ledit statut à l’objectif de sauvegarde de l’entreprise.
CHAPITRE 2 : LA CONCEPTION ELARGIE DU DROIT DE PROPRIETE,
DEROGATION A L’OBJECTIF DE SAUVEGARDE DE L’ENTREPRISE :
165. L’originalité de la loi du 25/01/1985 a été de fixer, en son article 1er, les objectifs de
la procédure de redressement judiciaire, en hiérarchisant ces derniers. Si certains ont pu
critiquer une telle disposition, affirmant que le rôle du législateur était de fixer les règles et
non de donner ses intentions177, une telle méthode avait cependant, pour les commentateurs de
la loi, l’avantage de donner un fil conducteur à l’interprète toutes les fois qu’une difficulté
apparaissait, et notamment si un conflit surgissait entre les trois finalités178.
Or l’étude menée jusqu’à présent sur les règles relatives à la propriété dans les procédures
collectives montre bien à quel point les objectifs du législateur font plus figure de voeu pieux
que de véritable principe d’interprétation des textes. Le simple fait d’organiser une procédure
au terme de laquelle le propriétaire pourra récupérer son bien est en effet de nature à obérer
toutes les chances de redressement de l’entreprise, surtout si le bien en question est nécessaire
à la poursuite de l’activité. Mais si la primauté du droit de propriété, et notamment la
protection supra-législative de ce droit, nécessitait qu’un équilibre soit trouvé entre les droits
du propriétaire et ceux du débiteur en redressement judiciaire, justifiait-elle pour autant
l’extension des règles relatives à la revendication à certains types de biens pour lesquels il
n’est même pas certain qu’une telle action soit permise en droit commun ? C’est ce que
démontre l’exemple de la revendication des choses fongibles (Section 1). La primauté du droit
de propriété justifiait-elle surtout l’entrave que vont constituer les règles relatives à la
177 V. J.-Cl. May, La triple finalité de la loi sur le règlement et la liquidation judiciaires, Petites Affiches, 25/11/1987, n° 141, p. 18 et s., spéc. note 8, p. 18. 178 Ibid., n° 31, p. 23.
73
revendication aux chances de redressement de l’entreprise (Section 2)? C’est ce qu’il
convient d’envisager dès à présent.
Section 1 : L’exemple de la primauté injustifiée du droit de propriété dans les
procédures collectives : la revendication des choses fongibles :
166. La réforme de 1994 n’a pas fait qu’améliorer le sort des propriétaires dans le cadre
des procédures collectives, elle a aussi étendu le droit à la revendication au delà des limites
que lui reconnaissait le droit des biens. L’art. L.621-122 al. 3 deuxième phrase c.com dispose
ainsi que « la revendication en nature peut (...) s’exercer sur des biens fongibles lorsque se
trouvent entre les mains de l’acheteur des biens de même espèce et de même qualité ». Une
telle possibilité a été qualifiée en doctrine de « néo-revendication »179. Il s’agit là en effet
d’une véritable exception à la règle d’identification en nature des marchandises, qui avait
pourtant été qualifiée de règle d’ordre public en jurisprudence180. Il est vrai néanmoins que la
revendication de choses fongibles avait déjà été admise de manière limitée par le législateur,
qui avait organisé de façon spécifique, dans la loi du 3/01/1983181, la revendication de valeurs
mobilières, lesdites valeurs étant généralement considérées comme fongibles au sein d’une
même catégorie d’émission.
La possibilité de revendication de choses fongibles n’est pas cependant sans poser certains
problèmes, relatifs tant à ses fondements juridiques qu’à son interprétation (§ 1), problèmes
n’ayant pas encore, semble-t-il, trouvé de réponse en jurisprudence (§ 2).
§ 1 : Les problèmes juridiques posés par la « néo-revendication » :
167. Ces problèmes sont de deux ordres : existe-t-il tout d’abord un fondement, en droit
commun, à la revendication de choses fongibles (A) ? L’admission d’une telle revendication
alors même que celle-ci ne serait pas permise en vertu des règles posés par le Code Civil
démontrerait en effet l’extension du champ d’application de la propriété dans les procédures
collectives. Quelle pourra être ensuite la portée de la « néo-revendication » instituée par l’art.
L.621-122 al. 3 c.com (B) ?
179 F. Pérochon, La revendication des biens fongibles par le vendeur, Petites Affiches, 14/09/1994, n°110, p.83. 180 Com. 9/01/1990, préc, note 18. 181 Art. 30 de la loi 83-I du 3/01/1983.
74
A- Une revendication connue du droit civil ?:
168. Les choses fongibles, qui se définissent comme celles pouvant indifféremment être
remplacées les unes par les autres182, sont en effet considérées par la doctrine civiliste
majoritaire comme insusceptibles de faire l’objet d’une revendication183. Une telle exclusion
se fonde sur un arrêt rendu par la chambre Civile de la Cour de Cassation, en matière de
faillite184, le 17/07/1929185, aux termes duquel « l’action [en revendication] ne peut être
exercée s’il ne s’agit pas de corps certains ».
Seul un arrêt rendu par la première chambre Civile de la Cour de Cassation le
7/02/1989186 est venu remettre en cause cette solution, en admettant la revendication de biens
fongibles qui avaient été détournés187. Il ne semblait pas cependant que cette décision isolée
modifiait le principe qui consistait à rejeter la revendication de choses fongibles, de telles
choses, comme le relève M. Carbonnier188, ne pouvant ainsi donner lieu qu’à une action
personnelle en exécution d’une créance. Ce même auteur notait néanmoins que cette solution
était justifiée plus par une impossibilité de fait, relative à la preuve de la propriété, qu’à une
impossibilité de droit.
169. Il est toutefois possible de se demander si le Code Civil ne connaît pas un cas de
« revendication » de choses fongibles, dans ses dispositions relatives au droit de prélèvement.
Ce droit se définit comme l’opération par laquelle une personne prend dans une masse
indivise certains biens avant tout partage , en contrepartie de ce qui lui est dû sur la masse.
L’art. 830 al. 2 c.civ prévoit à cet égard que « les prélèvements se font, autant que possible, en
objets de même nature, qualité et bonté que les objets non rapportés en nature », disposition
qui n’est pas sans rappeller les « biens de même espèce et de même qualité » envisagés par
l’art. L.621-122 al. 3 c.com.
182 Ph. Malaurie et L. Aynès, Droit civil, Les biens, La publicité foncière, éd. CUJAS, 1998, n° 155, p. 54. 183 Ph. Malaurie et L. Aynès, op. cit., n° 157, p.55 ; Ch. Larroumet, Droit civil, Les biens, Droits réels principaux, Economica, 1997, n°924 bis, p.565 ; J. Carbonnier, Droit civil, T.3, Les biens, P.U.F., coll. Thémis, 2000, n° 54, p.98. 184 En l’espèce, une compagnie d’assurance avait vainement prétendu revendiquer, dans la faillite de son courtier, les sommes d’argent que celui-ci avait perçu pour le compte de l’assureur. 185 Civ. 17/07/1929, D.H. 1929, 540. 186 Bull. civ. I, n° 57 ; R.T.D. civ. 1990, p.109, obs. Zénati. 187 En l’espèce, 631 tonnes de luzerne avaient été détournées chez un négociant de fourrages et 400 tonnes avaient été vendues à un tiers de mauvaise foi. 188 J. Carbonnier, op.cit., n° 54, p.98.
75
C’est d’ailleurs au droit de prélèvement que M. Carbonnier fait allusion pour donner une
explication à la revendication de choses fongibles189. Il n’en reste pas moins que les
fondements d’une telle action en droit civil sont incertains. C’est donc une véritable faveur
que le droit des procédures collectives accorde au propriétaire de choses de genre, faveur dont
l’étendue a cependant été discutée en doctrine.
B- Une revendication à la portée incertaine :
170. Au lendemain de la réforme de 1994, certains auteurs se sont interrogés sur la portée
de la revendication des biens fongibles telle qu’admise par l’art. L.621-122 al. 3 c.com. Cet
article ne posait-il qu’une présomption simple relative à la propriété des choses fongibles
retrouvées dans les stocks du débiteur, ou constituait-il au contraire un cas d’attribution légale
de propriété (1) ? Etait-il en outre possible au propriétaire de bénéficier, par la publicité
donnée à son contrat, des dispositions favorables de l’art. L.621-116 c.com (2)?
1- Une présomption de propriété ou une attribution de propriété ?:
171. Mme Pérochon a en effet exposé les deux interprétations différentes qu’il était
possible d’adopter relativement aux dispositions de l’art. L.621-122 al. 3 c.com190.
L’emploi du terme de « revendication » par le texte pourrait en effet laisser penser que la
loi ne pose qu’une présomption simple de propriété des biens en stock identiques à ceux
vendus. Le propriétaire n’aurait donc pas à faire la preuve que les biens en stock sont
précisément ceux qu’il a livrés et qui restent impayés, comme le requérait la jurisprudence
sous l’empire du texte initial191, mais il serait débouté s’il était démontré qu’il n’en était pas
le véritable propriétaire. Un tel renversement de la charge de la preuve, s’il participe d’une
interprétation stricte du texte, n’en demeure pas moins très avantageux.
Une interprétation plus large permettrait cependant de faire abstraction de la qualité de
propriétaire du revendiquant avant le jugement d’ouverture sauf, bien entendu, lorsqu’il est
confronté à un autre revendiquant ayant pu identifier les biens comme les siens propres. Le
vendeur se verrait alors attribuer par la loi la propriété des biens en stock, dès lors qu’ils sont
semblables aux siens. La revendication serait ainsi accueillie même si l’acheteur démontre 189 J. Carbonnier, op.cit., n° 58, p.104, affirmant que « le droit de prélèvement est moins qu’une revendication, mieux qu’un droit de créance, c’est un droit de créance à gage spécialisé » . 190 F. Pérochon, La revendication des biens fongibles par le vendeur, Petites Affiches, 14/09/1994, n°110, p.83. 191 Exemples: Com. 23/10/1990, Bull. civ. IV, n° 246; Com. 5/10/1993, Bull.civ.IV, n° 316.
76
que les biens qu’il détient ne sont pas ceux du revendiquant. Cette lecture, conforme à la lettre
de la loi, est plus favorable pour le vendeur, mais elle soulève de nombreux problèmes
juridiques : elle lui permet en effet d’exercer une action alors qu’il n’est plus propriétaire des
biens, mais « simple créancier de choses de genre »192.
Une telle interprétation serait-elle en outre susceptible d’être combinée aux dispositions
dispensant le propriétaire d’agir en revendication lorsqu’il a fait publier son contrat ?
2- La possibilité d’agir en restitution en cas de publicité donnée au contrat ?:
172. L’art. 1er du décret du 4/07/1972, auquel se réfère l’art. D.85-5, affirme que la
publicité doit permettre « l’identification des parties et celle des biens qui font l’objet de telles
opérations ». Cette exigence d’identification présuppose ainsi que le vendeur soit alors en
mesure de prouver que les biens détenus par le débiteur à la date du jugement d’ouverture
sont ceux ayant fait l’objet d’une publicité. Serait-t-il tout de même concevable de décider
qu’à partir du moment où le contrat est publié, et les conditions de l’art. L.621-122 al.3
c.com remplies, le propriétaire est dispensé d’agir en revendication et peut demander la
restitution des choses fongibles ? Une telle solution, quoiqu’envisageable, est cependant
condamnée par les auteurs ayant abordé ce problème193.
La doctrine rejette de même toute possibilité d’application au propriétaire de choses
fongibles des dispositions de l’art. L. 621-124 c.com, relatives à la revendication du prix de
revente, faisant valoir à cet égard que « substitution sur substitution ne vaut »194.
173. L’application de l’art. L.621-122 al. 4 c.com, permettant au mandataire de justice de
payer de manière immédiate le revendiquant si les biens fongibles s’avèrent utiles à la
poursuite de l’activité, paraît par contre tout à fait envisageable195.
Les interrogations soulevées par l’application de l’art. L.621-122 al.3 c.com ne se sont pas
du reste limitées à de simples discussions doctrinales, mais se sont retrouvées en
jurisprudence.
192 F. Pérochon, La revendication favorisée ( loi n° 94-475 du 10/06/1994), D. 1994, chr , p. 251 et s, spécialement n° 18, p.254. 193 F. Pérochon, Revendications et restitutions selon le décret du 21/10/1994, Petites Affiches, 14/06/1995, n° 71, p. 32 et s., spéc. p. 35 ; A. Martin-Serf, Revendications et restitutions dans les procédures collectives, Petites Affiches 28/10/1998, n° 129, p. 23 et s., spéc. p. 25. 194 A. Martin-Serf, Revendications et restitutions dans les procédures collectives, Petites Affiches 28/10/1998, n° 129, p. 23 et s., spéc. p. 32.. 195 F. Pérochon, La revendication des biens fongibles par le vendeur, Petites Affiches, 14/09/1994, n°110, p.83, spéc. n°20, p. 85.
77
§ 2 : Des problèmes partiellement résolus par la jurisprudence :
174. Il convient en premier lieu de relever que la Cour de Cassation laisse aux juges du
fond le soin d’apprécier le caractère fongible ou non des marchandises revendiquées196. Une
telle position fait donc planer une certaine incertitude sur le succès de la revendication du
vendeur de choses de genre, comme le démontrent les différents arrêts de Cours d’Appel
rendus en la matière (A). Les interrogations relatives à la portée de l’art. L.621-122 al.3 c.com
ont en outre abouti à l’adoption de principes pour le moins curieux quand le bien revendiqué
est une somme d’argent (B).
A- Les hésitations jurisprudentielles sur la notion de fongibilité :
175. Jusqu’à présent, les dispositions de l’art. L.621-122 al. 3 c.com ont été
essentiellement invoquées par des grossistes en médicaments à l’égard de leurs clients
pharmaciens en redressement ou en liquidation judiciaire.
La Cour d’Appel de Paris avait dans un premier temps considéré, de manière très
favorable pour ces grossistes, que les médicaments constituaient des biens fongibles197, et que
dès lors que se trouvaient entre les mains des pharmaciens des biens de même espèce et de
même qualité, l’action en revendication pouvait prospérer, aucune autre condition légale
n’étant requise198. Cette juridiction interprétait par conséquent les dispositions de l’art. L.621-
122 al. 3 c.com comme entraînant une véritable attribution de propriété au profit du
revendiquant, en rejetant notamment l’argument selon lequel la rotation rapide des stocks
excluait que les marchandises retrouvées chez le débiteur soient les mêmes que celles qui
avaient été vendues avec une clause de réserve de propriété.
176. Si une telle interprétation n’a semble-t-il pas été remise en cause par la suite, il est
toutefois possible de s’interroger sur une éventuelle limitation de la possibilité offerte par
l’art. L.621-122 al. 3 c.com par la définition même de la fongibilité.
La Cour d’Appel de Paris est en effet revenue sur la qualification de biens fongibles
appliquée aux médicaments dans un arrêt du 12/05/2000199, au motif que ces derniers étaient
196 Com. 15/02/2000 D.2000. A.J., obs. Lienhard. 197 Paris, 3ème ch. B, 26/06/1998, D. Aff. 1998, p.1401, obs. A.L. 198 Paris, 3ème ch. C, 3/04/1998, R.T.D.civ. 1998, p.709, obs. Crocq. 199 Paris, 3ème ch. C, 12/05/2000, J.C.P. 2000, éd. E, p. 221, obs. Cabrillac et Pétel ; R.T.D. com.2000, p.1014.
78
conditionnés sous un emballage portant plusieurs indications (date de fabrication, numéro de
lot...) permettant de les individualiser.
Or comme l’ont relevé certains commentateurs de l’arrêt200, une telle appréciation de la
fongibilité, à l’heure de la « traçabilité », est certainement de nature à limiter le jeu de la
revendication des choses fongibles. Un tel revirement semble d’autant plus défavorable aux
propriétaires de choses de genre que la Cour d’Appel de Lyon201, dans une espèce similaire, a
décidé au contraire que les médicaments présentaient bien un caractère de fongibilité,
indépendamment de leur conditionnement, en ce qu’ils avaient la même composition et les
mêmes propriétés thérapeutiques.
De telles divergences d’analyse font ainsi peser sur le vendeur de biens fongibles une
incertitude dommageable, ce dernier n’étant pas assuré d’être désintéressé en dépit de la
faveur législative lui étant accordée. Cette incertitude est du reste renforcée par la
jurisprudence relative à la « revendication » de sommes d’argent.
B- Le problème de la « revendication » de sommes d’argent :
177. Certains créanciers antérieurs ont tenté d’éluder l’interdiction de paiement résultant
de l’art. L.621-24 al. 1 c.com (art.L.33 al. 1 ancien) en essayant de se placer sur le terrain de
la revendication. Si de telles prétentions n’ont jamais prospéré, force est de constater que les
décisions de la Cour de Cassation en la matière ne semblaient pas leur barrer complètement la
voie de la revendication (1). La Haute Juridiction semble néanmoins être revenue sur cette
position dans un arrêt récent du 10/05/2000202 (2).
1- L’admission à demi-mots de la revendication de sommes d’argent:
178. Dans un arrêt du 25/03/1997203, la Cour de Cassation semblait en effet admettre une
telle revendication, tout en la subordonnant à l’absence de confusion du bien en cause avec
d’autres de la même espèce. Tel n’était pas le cas en l’occurrence de la fraction des sommes
versées à France Télécom et revenant au fournisseur d’un service télématique interactif. La
Haute Juridiction avait alors fait application de l’art. L.47 ancien à ce qu’elle considérait
comme une demande en paiement de somme d’argent. 200 M. Cabrillac et P. Pétel, obs. au J.C.P. 2000, éd. E, préc note 199. 201 Lyon, 3ème ch. C, 5/11/1999, mêmes réf. 202 Com. 10/05/2000 J.C.P. éd E 2001, note Courtot ; R.T.D. com. 2001, p.1012. 203 Com. 25/03/1997 Bull.civ. IV, n° 84 ; D. 1997., p. 481, note Martin.
79
Le même raisonnement avait été suivi par la Cour d’Appel de Paris dans un arrêt du
12/05/1998204 : à Air France qui revendiquait dans la liquidation judiciaire de la société Gau
Travel une somme correspondant à la vente de billets de passage, il avait été opposé que les
fonds appréhendés au moment de l’ouverture de la procédure n’étaient ni nominatifs, ni
identifiables, et étaient confondus avec les autres valeurs composant le patrimoine de la
société débitrice. Air France était ainsi réduite à la qualité de créancier chirographaire, et se
heurtait de même au principe de l’interdiction des poursuites individuelles tendant au
paiement d’une somme d’argent.
179. Même si le jeu de la revendication avait été rejeté dans ces affaires, la doctrine avait
déduit des solutions posées que le dépôt d’argent sur un compte spécialisé aurait permis une
telle action. Cette solution était néanmoins discutable dans la mesure où elle aboutissait à
méconnaître la division traditionnelle entre droit de propriété et droit de créance. Les
décisions précitées étaient en outre critiquables en ce qu’elles faisaient passer la possibilité de
la revendication d’un bien fongible (l’argent) par l’individualisation de celui-ci.
Il semble néanmoins que la Cour de cassation soit récemment revenue sur cette position,
comme nous allons le voir dès à présent.
2- Une solution abandonnée ?:
180. Les faits ayant donné lieu à l’arrêt du 10/05/2000 étaient les suivants : l’exploitation
d’un rayon boucherie charcuterie au sein d’un magasin avait été confié à une société, selon un
acte prévoyant que les recettes du rayon, encaissées par le magasin, seraient reversées chaque
semaine à celle-ci. La propriétaire du magasin ayant été mise en redressement judiciaire, alors
qu’elle avait encaissé mais pas encore reversé les recettes, la société exploitant le rayon avait
revendiqué les sommes ainsi dues en se prévalant de sa qualité de propriétaire, qui résultait,
selon elle, de l’enregistrement du produit des achats sur une touche spéciale de la caisse du
magasin, et du report chaque soir de ce produit sur un livre de recettes spécifique.
Déboutée de sa demande par les juges du fond, la société s’était alors pourvue en
cassation. Elle voit sa prétention rejetée au motif qu’elle « n’était pas propriétaire des
créances litigieuses, mais créancière de somme d’argent » à l’égard de la débitrice.
181. S’agit-il cependant d’un véritable revirement de jurisprudence ? L’un des
commentateurs de l’arrêt205 considère en effet que la Cour de Cassation ne ferme pas la porte
204 Paris, 12/05/1998, R.T.D. com. 2000, p. 180, obs. Honorat. 205 L. Courtot, note au J.C.P. éd. E., préc. note 202, spéc. p. 522.
80
à la revendication de monnaie fiduciaire, mais tire simplement les conséquences de
l’inscription des recettes sur un compte, simple rapport d’obligation entre les parties.
En dépit des interrogations soulevées par la revendication des choses fongibles, le régime
de faveur instauré par l’art. L.621-122 al.3 c.com démontre toute la complexité de la situation
du propriétaire dans les procédures collectives : si les objectifs inhérents à celles-ci depuis la
loi de 1985 justifient les restrictions apportées au droit de propriété, ces objectifs vont être mis
de côté dans certaines situations particulières, d’une manière tout à fait contestable en ce
qu’elle obère les chances de redressement de l’entreprise.
Section 2 : La primauté injustifiée au regard des règles inhérentes aux procédures
collectives :
182. Le régime de faveur dont bénéficient, à plusieurs égards, les propriétaires dans les
procédures collectives apparaît en effet en totale contradiction avec les principes mêmes qui
justifient les atteintes à leur droit.
Le droit de la revendication peut ainsi, comme le relève M. Soinne206, totalement
déstabiliser l’objectif de la loi de 1985 qui est la sauvegarde de l’entreprise. Les prérogatives
exorbitantes accordées aux propriétaires ne feront ainsi qu’accélérer la liquidation, au
préjudice même des revendiquants, qui auraient pourtant des raisons de se réjouir du maintien
de l’activité, en ce qu’il leur évite de devoir démontrer et déplacer leur propriété.
Les règles relatives à la revendication vont en effet tenir en échec les principes de
discipline collective (§ 1) pourtant essentiels à la recomposition du patrimoine de l’entreprise,
ainsi que les possibilités de continuation de l’activité (§2).
§ 1 : Des règles de discipline collective tenues en échec :
183. La loi du 25/01/1985 a eu comme principal effet de rompre avec l’ordre classique des
procédures collectives qui propulsait alors en avant l’intérêt des créanciers, la mesure la plus
significative à cet égard résidant certainement dans la suppression de la masse. Les termes d’
« apurement du passif » employés à l’art. L.621-1 c.com (art. L.1 ancien) sont eux aussi très
démonstratifs de ce nouvel état de droit, dans la mesure où, comme l’a fait remarquer l’un des
206 B. Soinne Le démantèlement du droit de la revendication, Rev. Proc. Coll. 1994, p.471 et s, spéc. n° 1, p. 471.
81
commentateurs de cette loi, « apurer n’est pas payer »207. L’administration de l’entreprise a
elle aussi continué à être soumise à un régime strict afin d’éviter tout dépeçage de cette
dernière.
Face à de tels changements, la situation des propriétaires apparaît ainsi comme faisant
figure d’exception : le propriétaire ignore toutes les restrictions que subissent les créanciers
dans le but de déterminer le passif de l’entreprise (A), et peut être payé de manière prioritaire,
de façon tout à fait dérogatoire aux principes encadrant les pouvoirs de l’administrateur et du
débiteur (B).
A- Un statut dérogatoire aux impératifs liés à la connaissance du passif de l’entreprise :
184. La loi de 1985 a reconduit les traits généraux du droit ancien en imposant aux
créanciers antérieurs au jugement d’ouverture un gel de leur situation juridique à cette date.
Cette loi a cependant imposé une relecture des principes existants, en les faisant participer à la
dynamique du redressement.
Or la situation du propriétaire s’inscrit complètement en porte à faux avec cette
interprétation. Ce dernier ne se voit pas en effet soumis à l’arrêt des poursuites individuelles
et des voies d’exécution, et les dispositions relatives à la revendication des biens fongibles
vont même aboutir dans une certaine mesure à restaurer une forme de « paiement au prix de la
course », puisque le revendiquant n’ayant alors pas à prouver son droit de propriété sur les
marchandises réclamées, c’est le premier vendeur de choses fongibles agissant qui sera le
premier désintéressé.
185. L’obligation de déclarer sa créance, participant d’une nécessité de meilleure
connaissance du passif du débiteur, est elle aussi affectée par la jurisprudence relative à la
revendication. En décidant que l’absence de déclaration de sa créance par le propriétaire
n’avait aucun effet sur son droit réel208, la jurisprudence donne ainsi à ce dernier un moyen
précieux d’être payé en priorité, alors même que la créance adossée à son droit de propriété ne
serait qu’une créance antérieure au jugement d’ouverture, et qu’elle se verrait éteinte, en
raison de l’absence de déclaration au passif.
Mais il n’est pas que les règles de discipline collective qui se verront ainsi affectées par
l’exercice de l’action en revendication ou en restitution. Les résultats d’une telle action, et
207 J.-Cl. May, La triple finalité de la loi sur le règlement et la liquidation judiciaires, Petites Affiches, 25/11/1987, n° 141, p. 18 et s., spéc. n° 31, p.23. 208 Com. 9/01/1996, préc., note 143.
82
notamment la récupération de son bien par le propriétaire, qui équivaut le plus souvent à un
véritable « paiement en nature », ne peuvent-ils être en effet considérés comme tenant en
échec les règles interdisant notamment au débiteur d’appauvrir son entreprise ?
B- Un statut dérogatoire aux règles encadrant les pouvoirs du débiteur et de
l’administrateur :
186. Comme nous avons pu l’envisager précédemment, la loi apporte de nombreuses
restrictions aux pouvoirs du débiteur, et encadre les missions de l’administrateur afin d’éviter
autant que faire se peut que certains actes passés au cours de la période d’observation
n’avantagent un créancier ou ne contribuent à dépouiller l’entreprise de son actif.
Or c’est justement à cet appauvrissement combattu par certaines dispositions législatives
que va aboutir l’action en revendication ou en restitution, que ce soit par la remise du bien à
son propriétaire, ou encore par la possibilité accordée à ce dernier de revendiquer le prix de
revente ou d’être payé en priorité sur le fondement de l’art. L.621-122 al. 4 c.com (art. L.121
al. 4 ancien).
187. Il est vrai néanmoins que de telles possibilités de paiement prioritaire ne sont pas les
seules mesures dérogatoires à l’interdiction des paiements posée par l’art. L.621-24 al. 1
c.com (art. L. 33 al. 1 ancien). Cette dernière disposition s’est en effet vue adjoindre de
multiples exceptions de nature à en diminuer la portée, telles la possibilité d’un paiement pour
obtenir le retrait du gage ou d’une chose légitimement retenue, ou encore, depuis 1994, le
paiement par compensation de créances connexes.
Ce dernier constat démontre qu’il faut ainsi se garder d’exagérer la portée des multiples
dérogations aux règles des procédures collectives au profit des propriétaires. Il semble par
conséquent que les avantages accordés à ces derniers constituent un élément supplémentaire à
l’interrogation sur le caractère véritablement collectif de la procédure de redressement
judiciaire organisée par la loi.
Les règles de discipline collective instaurées par le législateur en vue du redressement de
l’entreprise ne sont pas du reste les seules à être atteintes par le statut favorable accordé au
propriétaire. C’est le redressement lui-même qui peut ainsi se trouver compromis, notamment
par les effets de l’action en revendication ou en restitution.
83
§ 2 : La primauté du droit de propriété, entrave au redressement de l’entreprise :
188. Les règles relatives aux droits des propriétaires dans les procédures collectives
peuvent constituer une entrave au redressement de l’entreprise d’un double point de vue :
d’une part, parce qu’elles aggravent sa situation financière, en aboutissant à son
démantèlement (A), et d’autre part, parce qu’elles vont constituer autant d’obstacles à la
poursuite de l’activité, en gênant le pouvoir d’action du mandataire de justice ou du débiteur,
mais aussi en compromettant le crédit de l’entreprise au cours de la période d’observation (B).
A- La primauté du droit de propriété, cause de démantèlement de l’entreprise :
189. Par la dépossession du bien qu’elle induit nécessairement, l’action en revendication
ou en restitution va en effet aboutir à priver l’entreprise d’éléments de son patrimoine
pourtant nécessaires à la continuation de son activité.
Cette possibilité de dépeçage de l’entreprise s’est ainsi vue renforcée par la réforme du
10/06/1994, qui va permettre de vider jusqu’aux stocks de l’entreprise en autorisant la
revendication de biens fongibles, ces stocks devant nécessairement être reconstitués pour que
l’exploitation puisse se voir continuée.
190. Le dépeçage de l’entreprise est aussi favorisée par la jurisprudence, qui, loin de tenir
les objectifs visés par le législateur à l’art. L.621-1 c.com pour de véritables principes
directeurs, a, par certaines de ses solutions, renforcé la menace de démantèlement pesant sur
l’entreprise. Il en va ainsi notamment des décisions relatives à l’accession immobilière, le
critère du démontage possible retenu par la jurisprudence, s’il n’est pas véritablement
dérogatoire aux règles du Code Civil, paraissant par contre économiquement injustifié.
Prenons-en pour exemple cet arrêt rendu par la chambre Commerciale de la Cour de
Cassation le 12/02/1991209, dans lequel la Haute juridiction admet la revendication d’une
rotative, alors que celle-ci mesurait 48 mètres de long, qu’il avait fallu construire
spécialement un atelier pour la recevoir, et qu’elle était solidement fixée à cet atelier par des
éléments de maçonnerie.
Il n’est pas cependant que le patrimoine de l’entreprise qui soit ainsi atteint. La possibilité
même d’un redressement peut en effet se trouver mise à mal par le régime de faveur accordé
aux propriétaires.
209 Com. 12/02/1991 Bull. civ. IV, n° 69.
84
B- La primauté du droit de propriété, atteinte aux chances de redressement de
l’entreprise :
191. Les règles précédemment envisagées en matière de transformation ou d’accession ne
sont pas en effet de nature à inciter le débiteur ou l’administrateur à utiliser les biens figurant
dans son actif, de tels biens étant susceptibles, en dépit des travaux dont ils auront pu faire
l’objet, d’être revendiqués ou de faire l’objet d’une demande en restitution.
La possibilité d’engager la responsabilité du mandataire de justice pour les actes de
disposition qu’il aurait également pu consentir en méconnaissance des droits du propriétaire
n’est pas en outre de nature à encourager ce dernier à réalisés les actifs immobilisés
inutilement au sein de l’entreprise.
192. Les règles relatives à la revendication ou à la restitution peuvent ainsi conduire à
paralyser toute poursuite de l’activité.
Les résultats de telles actions, en ce qu’ils vont aboutir à une diminution de l’assiette du
privilège des créanciers postérieurs, vont quant à eux paraître de nature à compromettre le
crédit de l’entreprise et la possibilité de trouver des fournisseurs acceptant de traiter avec le
débiteur durant la période d’observation.
L’assiette du privilège des salaires sera elle aussi atteinte, au demeurant, par la reprise de
son bien par le propriétaire. Elle pourra en outre l’être, du reste, dans le cadre d’un plan de
cession, quand le cessionnaire s’engagera personnellement à prendre à sa charge certaines
dettes antérieures. Un tel engagement n’est en effet pas censé avoir, en théorie, de
répercussions sur le prix de cession, mais M. Soinne210 relève cependant que tel ne sera pas le
cas, bien souvent, en pratique.
210 B. Soinne, Le bateau ivre (à propos de l’évolution récente du droit des procédures collectives) », Rev. Proc. Coll. 1997, p. 105 et s.
85
CONCLUSION
193. Il ne semble pas en conclusion qu’il soit véritablement possible d’affirmer que le
statut du droit de propriété dans les procédures collectives soit, du point de vue des créanciers,
véritablement attentatoire aux règles supra-législatives protégeant ce droit. Tout au plus les
dispositions législatives en la matière y apportent-elles des restrictions, au demeurant
justifiées par les objectifs mêmes desdites procédures. Ces restrictions sont, de surcroît, en
régression, comme le démontre l’avant-projet de réforme des procédures collectives datant
d’octobre 2000 : ce dernier propose certes de diminuer la durée du délai de revendication en
la ramenant à deux mois, mais la clause de réserve de propriété voit son efficacité encore
renforcée, la clause insérée dans les conditions générales de vente primant sur les conditions
générales de l’acheteur, sauf accord écrit intervenu au plus tard au moment de la livraison211.
194. Mais si les règles relatives au droit de propriété dans les procédures collectives ne
sauraient être qualifiées d’attentatoires au droit de propriété, elles n’en font pas moins
réfléchir sur la conception même de ce droit, et apparaissent ainsi comme un facteur
d’évolution de celui-ci, à l’instar d’autres questions telles que celle relative à la propriété de
biens incorporels.
Le droit de propriété est en effet devenu polymorphe, et il est par conséquent possible de
se demander si les textes à valeur supra-législative en garantissant la primauté ont vraiment
été conçus pour les propriétaires tels que les connaissent les procédures collectives. A ce titre,
il est surprenant de constater que les « véritables » propriétaires, c’est à dire ceux ne détenant
aucun droit de créance que viendrait garantir leur droit réel, apparaissent beaucoup moins bien
protégés, lors de l’ouverture d’une procédure collective, qu’un crédit-bailleur ou un vendeur
sous réserve de propriété, par définition beaucoup moins intéressés par le bien lui-même.
195. Les faveurs accordées à ces dernières catégories de propriétaires sont-elles donc
injustifiées ? Si elles dérogent assurément aux objectifs de l’art. L.621-1 c.com, force est de
constater que ceux-ci se voient remis en cause sur bien d’autres terrains : M. Pailluseau
relevait ainsi, en 1994212, que les mauvaises statistiques sur la « mortalité infantile » des
entreprises apparaissaient surtout comme le résultat de « créations inconsidérées », avec
insuffisamment de fonds propres, par des personnes mal informées et mal conseillées. Un
redressement est-il alors raisonnablement envisageable dans de telles conditions ?
211 G. Teboul, La réforme de la prévention et des procédures collectives, Gaz. Pal. 2000, doctr., p.2 et s., spéc. p.7. 212 J. Paillusseau, Les vicissitudes de la loi du 25/01/1985, Petites Affiches, 12/01/1994, p.7 et s..
86
Les propriétaires favorisées, notamment les organismes de crédit-bail, sont au demeurant
eux-mêmes des entreprises, et notamment des employeurs, qu’il convient de mettre à l’abri
des défaillances de leurs débiteurs.
Ce n’est donc pas tant la conception du droit de propriété dans le cadre des procédures
collectives qui est à revoir, que celle adoptée dans le Code Civil : ce dernier ne devrait-il pas
prendre à son tour en compte les nouveaux visages de ce droit ?
87
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION ( n° 1 à 8)
TITRE 1 : LES OBJECTIFS DES PROCEDURES COLLECTIVES :
JUSTIFICATIF DES RESTRICTIONS APPORTEES AU DROIT DE
PROPRIETE : (n° 9)
CHAPITRE 1 : LES RESTRICTIONS APPORTEES A L’ABSOLUTISME DU DROIT DE
PROPRIETE : (n° 10 à 13)
Section 1 : Les restrictions au droit d’usage : (n°14)
§1 : La transformation du bien : (n° 15)
A- L’absence de parade à la transformation du bien : (n°16-17)
B- Le sort du droit de propriété en cas de transformation du bien : (n°18-19)
§ 2 : L’incorporation du bien :(n°20)
A- L’incorporation à un immeuble : (n° 21 à 23)
B- L’accession mobilière : (n° 24-25)
Section 2 : Les obstacles au droit de disposer : (n°26 à 28)
§1 : La vente du bien par le débiteur au cours de la période d’observation :(n°29)
A- Une vente permise ? :(n°30)
1- L’administrateur et le débiteur ont-ils le pouvoir de vendre le bien ? :
(n° 31 à 33)
2- La possibilité d’une vente avant l’expiration du délai pour
agir en revendication ?:(n°34)
B- L’incidence de la vente du bien sur le droit de propriété du revendiquant :(n° 35)
1- Le droit de propriété transformé en droit de créance : (n° 36)
2- La responsabilité du mandataire de justice :(n° 37-38)
88
§2 : La transmission du bien à l’issue de la période d’observation :(n°39)
A- En cas de cession :(n° 40)
1- Les droits des propriétaires-cocontractants :(n°41 à 43)
2- La situation des autres propriétaires :(n° 44-45)
B- En cas de liquidation judiciaire : (n° 46)
1- La responsabilité du liquidateur :(n° 47)
2- Le sort du droit de propriété :(n° 48-49)
CHAPITRE 2 : LES RESTRICTIONS APPORTEES A LA DEFENSE DU DROIT DE
PROPRIETE : (n° 50-51)
Section 1 : L’encadrement strict de l’action en revendication :(n° 52)
§ 1 : La nécessité d’agir :(n° 53)
A- Une action facilitée :(n° 54)
1- Un formalisme allégé :(n° 55)
a- L’action en revendication n’est pas une demande en justice :(n° 56-
57)
b- Une phase préalable amiable, mais obligatoire :(n° 58 à 60)
2- Une preuve aisée :(n° 61)
a- Le caractère obligatoire de l’inventaire :(n° 62-63)
b- L’absence d’inventaire ne fait pas obstacle à la revendication :(n°64-
65)
B- La contrepartie de la facilité d’action : la complexité du délai de revendication :
(n° 66)
1- Des délais variables:(n° 67)
a- Un point de départ évolutif selon la nature du contrat :(n° 68-69)
b- Le double délai de forclusion en cas de refus de la revendication
ou de silence du mandataire : (n° 70-71)
2- Des délais préfix :(n° 72)
a- L’affirmation jurisprudentielle du caractère préfix des délais :(n° 73-
74)
89
b- L’absence de relevé de forclusion :(n° 75)
§2 : L’inaction sévèrement sanctionnée :(n° 76)
A- L’inopposabilité du droit de propriété, sanction du défaut de revendication :
(n° 77)
1- Une sanction justifiée :(n° 78)
a- L’impossible perte du droit de propriété :(n° 79 à 81)
b- L’inopposabilité, solution de compromis :(n° 82 à 84)
2- Les bénéficiaires de l’inopposabilité : la personnification de la procédure
collective :(n° 85 à 88)
B- Une sanction aux effets variables dans le temps :(n° 89)
1- Une inopposabilité relative durant la période d’observation et en
cas de continuation :(n° 90)
a- Le sort du propriétaire-bailleur :(n° 91-92)
b- La vente du bien non revendiqué au cours de
la période d’observation :(n° 93-94)
2- Une inopposabilité aboutissant à la perte du bien en cas
de cession ou de liquidation judiciaire :(n° 95-96)
Section 2 : Un encadrement non-attentatoire au droit de propriété :(n° 97-98)
§1 : Des règles jugées conformes à la protection supra législative du droit de propriété :
(n° 99)
A- Le dispositif de protection :(n° 100)
1- En droit interne :(n° 101-102)
2- En droit international :(n° 103 à 106)
B- L’affirmation jurisprudentielle du respect du dispositif :(n° 107-108)
§2 : Une conformité discutable ?:(n° 109)
A- La conformité de l’inopposabilité relative à la protection du respect des biens instaurée
par la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme :(n° 110)
1- L’inopposabilité : atteinte à l’exclusivité du droit de propriété ?:
(n° 111)
90
2- L’inopposabilité : atteinte à la substance du droit de propriété ?:
(n° 112-113)
B- La conformité de l’inopposabilité – privation du droit de propriété à la protection du
respect des biens instaurée par la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de
l’Homme :(n° 114)
1- Les conditions requises de la privation de propriété :(n° 115)
a- Une privation légale ?:(n° 116)
b- Une privation légitime ?:(n° 117)
2- Le contrôle de proportionnalité et la question de l’indemnisation :
(n° 118-119)
TITRE 2 : LA PRIMAUTE DU DROIT DE PROPRIETE, CAUSE DE
DEROGATIONS AUX REGLES CONTRAIGNANTES DES PROCEDURES
COLLECTIVES AU PROFIT DU PROPRIETAIRE :(n° 120)
CHAPITRE 1 : UNE PROTECTION S’EXERCANT AU DETRIMENT DU PRINCIPE
D’EGALITE DES CREANCIERS :(n° 121-122)
Section 1 : Le droit de propriété, une sûreté efficace :(n° 123)
§1 : Une sûreté non soumise à déclaration :(n° 124)
A- Une solution fondée sur la primauté du droit de propriété:(n° 125-126)
B- Une solution toutefois injustifiée dans ses conséquences :(n° 127 à 129)
§2 : Une sûreté permettant de primer les autres créanciers :(n° 130)
A- Par les résultats possibles de l’action en revendication :(n° 131)
1- La revendication réussie aboutit à la restitution du bien :(n° 132-133)
2- Le blocage de la revendication, une mesure favorable au propriétaire :
(n° 134-135)
B- Les solutions protectrices du propriétaire en cas de disparition du bien :(n° 136)
91
1- Les solutions favorables au propriétaire en cas de destruction ou de vol du
bien :(n° 137-138)
2- La revendication du prix de revente :(n° 139-140)
Section 2 : Une efficacité renforcée concernant certaines catégories de créanciers :
(n° 141)
§1 : Le silence de la loi sur le sort du propriétaire immobilier, véritable faveur accordée à ce
dernier ?:(n° 142)
A- Une revendication permise ?:(n° 143)
1- Une revendication admise, voire préconisée par la doctrine :(n° 144-145)
2- L’admission de la revendication immobilière par la jurisprudence ?:
(n° 146)
B- Le régime de la revendication immobilière dans les procédures collectives :
(n° 147)
1- Les modalités de l’action en revendication :(n° 148-149)
2- Les résultats de la revendication immobilière:(n° 150 à 152)
§ 2 : Les facilités accordées à certains propriétaires mobiliers :(n° 153)
A- Le sort enviable du vendeur bénéficiaire d’une clause de réserve de propriété :
(n° 154)
1- Une clause à la stipulation facilitée :(n° 155 à 157)
2- La réserve de propriété, un accessoire qui ne suit pas le sort du
principal :(n° 158-159)
B- Le régime de faveur accordé aux propriétaires qui ont publié leur contrat :
(n° 160)
1- La simple demande en restitution :(n° 161-162)
2- Dispositions protectrices du propriétaire en l’absence de demande en
restitution:(n° 163-164)
3-
CHAPITRE 2 : LA CONCEPTION ELARGIE DU DROIT DE PROPRIETE,
DEROGATION A L’OBJECTIF DE SAUVEGARDE DE L’ENTREPRISE :(n° 165)
92
Section 1 : L’exemple de la primauté injustifiée du droit de propriété dans les
procédures collectives : la revendication des choses fongibles :(n° 166)
§ 1 : Les problèmes juridiques posés par la « néo-revendication » :(n° 167)
A- Une revendication connue du droit civil ?:(n° 168-169)
B- Une revendication à la portée incertaine :(n° 170)
1- Une présomption de propriété ou une attribution de propriété ?:(n° 171)
2- La possibilité d’agir en restitution en cas de publicité donnée au contrat ?:
(n° 172-173)
§ 2 : Des problèmes partiellement résolus par la jurisprudence :(n° 174)
A- Les hésitations jurisprudentielles sur la notion de fongibilité :(n° 175-176)
B- Le problème de la « revendication » de sommes d’argent :(n° 177)
1- L’admission à demi-mots de la revendication de sommes d’argent:
(n° 178-179)
2- Une solution abandonnée ?:(n° 180-181)
Section 2 : La primauté injustifiée au regard des règles inhérentes aux procédures
collectives :(n° 182)
§ 1 : Des règles de discipline collectives tenues en échec :(n° 183)
A- Un statut dérogatoire aux impératifs liés à la connaissance du passif de l’entreprise :
(n° 184-185)
B- Un statut dérogatoire aux règles encadrant les pouvoirs du débiteur et de
l’administrateur :(n° 186-187)
§ 2 : La primauté du droit de propriété, entrave au redressement de l’entreprise :(n° 188)
A- La primauté du droit de propriété, cause de démantèlement de l’entreprise :
(n° 189-190)
B- La primauté du droit de propriété, atteinte aux chances de redressement de
l’entreprise :(n° 191-192)
CONCLUSION (n° 193 à 195)
93
BIBLIOGRAPHIE
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94
• F . Derrida, A propos de la clause de réserve de propriété dans les ventes immobilières à crédit, Defrénois 1989, § 34590, p. 1089.
• S. Ginossar, Pour une meilleure définition du droit réel et du droit personnel, R.T.D. civ. 1962, p.573.
• Ch. Larroumet, Le vendeur bénéficiaire d’une clause de réserve de propriété peut-il revendiquer sans avoir déclaré sa créance à la procédure collective ?, D. Aff. 1996, p.603.
• P.-M. Le Corre, Droit réel, droit personnel et procédures collectives, PetitesAffiches 19/05/1999, n° 99, p. 4.
• E. Le Corre-Broly, La publicité du contrat de crédit bail mobilier et sa sanction en cas de procédure collective, J.C.P. 1997, éd. E., I, p.621.
• F. Luchaire, Les fondements constitutionnels du droit civil, R.T.D. civ. 1982, p. 240.
• A. Martin-serf, Revendications et restitutions : questions procédurales, Petites Affiches, 28/10/1998, n° 129, p.23.
• J.-Cl. May, La triple finalité de la loi sur le redressement et la liquidation judiciaires, Petites Affiches, 25/11/1987, n° 141, p.18.
• Ch. Mouly, Procédures collectives : assainir le régime des sûretés, Mélanges Roblot, L.G.D.J., 1984, p.529.
• J. Paillusseau, Les vicissitudes de la loi du 25/01/1985, Petites Affiches, 12/01/1994, p.7.
• F. Pérochon, La revendication favorisée (loi n° 94-475 du 10 juin 1994), D. 1994, Chron., p.251.
• F. Pérochon, La revendication des biens fongibles par le vendeur, Petites Affiches, 14/06/1994, n° 110, p.82.
• F. Pérochon, La réforme de 1994 de la réserve de propriété, Cah. Dr. Ent. 1995, p. 25.
• F. Pérochon, Revendications et restitutions selon le décret du 21/10/1994, Petites Affiches, 14/06/1995, n°71, p.32.
• F. Pérochon, La revendication du prix de revente, D. Aff. 1996, p.1402. • D. Schmidt, J. Hemmele, et L. Chopard, La vente de son bien par le créancier
propriétaire (contribution à l’étude des effets de la clause de réserve de propriété), J.C.P. 1988, éd. E, 15309, p.695.
• B. Soinne, Le démantèlement du droit de la revendication, Rev. Proc. Coll. 1994, p.471.
• B. Soinne, Le bateau ivre (à propos de l’évolution récente du droit des procédures collectives), Rev. Proc. Coll. 1997, p.105.
• F. Sudre, La protection du droit de propriété par la Cour européenne des Droits de l’Homme, D. 1988, Chron., p. 71.
• G. Teboul, La réforme de la prévention et des procédures collectives, Gaz. Pal. 2000, doctr., p.2.
• J.-L. Vallens, La clause de réserve de propriété et la procédure de redressement judiciaire, J.C.P. 1985, éd. E., 14651, p.85.
• J.-L. Vallens, Droit de la faillite et droits de l ‘homme, R.T.D. com. 1997, p. 568.
• F. Zénati, Pour une rénovation de la théorie du droit de propriété, R.T.D. civ. 1993, p.305.
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ANNEXE LES TEXTES A VALEUR SUPRA-LEGISLATIVE
GARANTISSANT LE RESPECT DU DROIT DE PROPRIETE
• Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26/08/1789 : Art. 2 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. » Art. 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. » • Art. 1 du Premier Protocole Additionnel à la Convention européenne de
Sauvegarde des droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, signé à Paris, le 20/03/1952 :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. » • Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée et proclamée par
l’Assemblée générale des Nations-Unies le 10/12/1948 :
Art. 17 : « 1. Toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, a droit à la propriété. 2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété. » • Charte européenne des Droits fondamentaux, proclamée lors du Conseil de Nice
du 7/12/2000 : Art. 17 : « 1. Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens quelle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant, en temps utile, une juste indemnité pour sa perte. L’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général. 2. La propriété intellectuelle est protégée. »
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