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Le nombre d’entreprises répertoriées à Numbo par la CCI, toutes activités confondues. La grande majorité exerce dans le domaine maritime. 23 sont localisées en bordure de baie.

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Page 1: UNE ZONE MARITIME A REINVENTER · 2015. Pierre construisait des voiliers alu à Rochefort, dans les pas de son père. Le couple a trouvé en Calédonie l’opportunité qu’il cherchait

Le nombre d’entreprises répertoriées à Numbo par la CCI, toutes activités confondues.La grande majorité exerce dans le domaine maritime.23 sont localisées en bordure de baie.

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Ré i n v e n t e r N u m b o . Pour qu iconque s ’es t aventuré sur cette zone d u b o u t d u b o u t d e Nouméa, l’idée semblera

au premier abord aussi impérative qu’irréalisable. Numbo : une mosaïque d’entreprises et de dépotoirs, une baie bordée d’infrastructures navales ou industrielles désordonnées, parsemées de mouillages forains improvisés, où un creek déverse un arc-en-ciel de produits suspects… Si le site est loin d’offrir l’image qui sied à une véritable

zone économique, il est bel et bien peuplé d’entrepreneurs qui forment une part non négligeable de l’activité maritime du pays. Il ne sera donc pas question ici de Bluescope Steel, leader de la transformation de l’acier en Nouvelle-Calédonie qui trône à l’entrée de Numbo. Plutôt de ses voisines, de petites entreprises qui ont pour point commun d’œuvrer dans le domaine maritime : mécanique, construction ou réparation navales, carénage, travaux sous-marins, etc. Elles sont installées sur des terrains appartenant en grande

UNE ZONE MARITIME A REINVENTER

Faire de Numbo une vitrine de la construction-réparation navale. C’est l’objectif de Synergie Numbo, un groupe créé au sein du cluster maritime qui entend valoriser les savoir-faire nichés dans cette baie. Et leur donner les moyens de s’organiser en un véritable pôle de compétitivité.

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De g. à d., Eric Potut, gérant de Scaphca Marine Services à Numbo, Lluís Bernabé, président du cluster maritime, et Alain Giraud, responsable hygiène, sécurité et environnement maritime chez Cotransmine (groupe SMSP) et pilote de Synergie Numbo.

Texte Sophie Pecquet | Photos Aude-Emilie Dorion

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partie à la province Sud, selon une marquèterie de lots où s’imbriquent aussi ville de Nouméa et privés, l’espace maritime relevant du Port autonome. Baux précaires, absence parfois de réseau électrique, gestion aléatoire voire inexistante des déchets… le tableau n’est pas très flatteur. « Une zone industrielle sinistrée, loin de tout et qui sert de dépotoir pour tout », résume Eric Potut, gérant de Scaphca Marine Services. Comment justifier par exemple que, sur cette zone maritime – sur un emplacement en bordure de baie qui jouxte l ’ancienne léproserie et fait plus d’un envieux parmi les entrepreneurs en attente d’un accès à la mer – soient stockés et traités les déchets médicaux ?

« Mettre en avant un savoir-faire »« Numbo est à l’image de l’attention que la Nouvelle-Calédonie a portée

au secteur maritime jusqu’à aujourd’hui », illustre Lluís Bernabé, président du cluster maritime, qui milite avec les 72 membres de cette entité créée en août 2014 pour rendre visible un secteur d’activité encore peu considéré à l’échelle du territoire (lire l’encadré p.22).Loin de se satisfaire des habitudes ou d’une vision fataliste, un noyau d’acteurs économiques de Numbo a créé, au sein du cluster maritime, un groupe de travail : « Synergie Numbo ». Piloté par Alain Giraud, responsable hygiène, sécurité et env i ronnement mar i t ime chez Cotransmine (groupe SMSP), son but n’est pas de dénoncer une situation qui n’a pourtant que trop duré. Plutôt de « mettre en avant un savoir-faire sur cette rade, dans le domaine de la construction-réparation navale », présente l’ancien plongeur professionnel. Les en jeux sont nombreux et pas irréalistes. Le tout premier,

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Magat, de père en filsJean-Louis Magat est charpentier de marine. Il a commencé à 14 ans au côté de son père, sur ce même terrain qu’il a fallu déblayer « après les Américains ». « Il y a plus de cinquante ans, personne ne voulait venir ici. Il n’y avait pas d’eau, pas de courant, on a commencé avec un groupe électrogène », se souvient-il. Il est aujourd’hui « un des derniers » à construire des bateaux en bois, même s’il travaille aussi la fibre de verre depuis plus de trente ans. Médéric, 22 ans, apprend lui aussi le métier avec son père, « sur le tas ». Leurs clients sont des pêcheurs ou des plaisanciers amateurs de belle ouvrage. Sous le dock et autour, de petits bateaux à réparer. « C’est calme en ce moment », dit Jean-Louis. Et difficile de faire des plans sur l’avenir : après un premier bail de 19 ans, la province n’a plus accordé qu’un « bail précaire et révocable, reconduit d’année en année ».

nauticalu, la relève voit grandSandrine et Pierre Thomas ont racheté l’entreprise Nauticalu en décembre 2015. Pierre construisait des voiliers alu à Rochefort, dans les pas de son père. Le couple a trouvé en Calédonie l’opportunité qu’il cherchait. Nauticalu est spécialisée dans le sur-mesure alu, bateaux, pontons, mâts… et recrute en ce moment des chaudronniers. Le hic : pas d’accès à la mer et un dock qui ne permet pas de construire des bateaux de 12 m comme ils le projettent. La gérante espère donc que la liste d’attente sur laquelle ils figurent, avec « une commission d’attribution des terrains tous les six mois seulement », ne les freinera pas trop.

Un des nombreux chaudronniers-soudeurs à œuvrer à Numbo.

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ambitieux, concerne le carénage de nos gros navires. « Sept bateaux ne peuvent être carénés en Nouvelle-Calédonie : Betico, Vendémiaire, D’Entrecasteaux, etc. Or, ce serait par exemple 20 à 30 millions d’économies si le Betico était caréné ici », avance Lluís Bernabé, sans compter le temps d’immobilisation gagné pour les passagers s’il n’était pas envoyé en Australie. Et toutes les compétences sont là, assure-t-il.

Hub dans le pacifique sudD’où l’idée d’un dock flottant mutualisé, dans la baie, qui permettrait de sortir de gros navires et « d’être en capacité de répondre à des appels d’offres », mais aussi de « faire monter les compétences des jeunes et de créer

une concurrence très intéressante dans la région ». Un propos auquel a fait écho le Fidjien Shiu Raj, directeur de la gouvernance économique du Forum des îles du Pacifique, invité le 3 novembre au Pacific Business Forum à Nouméa, en soulignant combien « les entreprises [calédoniennes] de construction navale constituent une opportunité pour les îles qui ne disposent pas de ce savoir-faire ». La « croissance bleue » n’est pas un mirage.Visés aussi, les « tourdumondistes », ces voyageurs au long cours, souvent blogueurs, autorisés à rester trois mois dans les eaux calédoniennes et qui, « si une incitation fiscale était mise en place », propose Alain Giraud, feraient volontiers leurs réparations là

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LE CLUSTER MARITIME

Le cluster maritime (CMNC) a été créé le 5 août 2014 pour rendre visible et audible tout un pan de l’économie calédonienne jusqu’alors passé sous silence. « La Calédonie, c’était le nickel. Sauf que 99,7 % du territoire, c’est un “maritoire” », introduit avec humour Lluís Bernabé, qui a impulsé la création du cluster et le préside. « Un cluster, ce sont des gens qui font partie d’une même chaîne de valeurs et qui se mettent ensemble pour combler les trous dans cette chaîne, c’est un outil de développement é c o n o m i q u e , p o u r f a i r e grandir nos entreprises », présente-t-il. Vingt-six sous-secteurs maritimes ont été identifiés, de la Marine nationale à l’aquaculture, en passant par le tourisme maritime, l’ingénierie navale ou la recherche. Le CMNC a organisé les 5 et 6 juillet 2016 les États généraux de la mer, avec l’ambition de dresser des perspectives et, à partir des « pièces d’un puzzle », de dessiner une image du secteur qui soit « claire pour tout le monde ». De 32 membres lors de sa création, l’association en rassemble aujourd’hui 72. Le 21 octobre, des membres du bureau étaient invités au Congrès en commission plénière pour présenter les travaux et les projets du CMNC, un premier pas vers la « reconnaissance du fait maritime », interprète Lluís Bernabé, qui espère la création d’une commission Mer au Congrès.

(Re)lire aussi notre dossier d’avril 2016 « L’heure de la croissance bleue ». Feuilletage numérique sur www.lnc.nc, onglet Mes Nouvelles/Magazines

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où toutes les compétences seraient réunies.Synergie Numbo, avec le cluster maritime, est un point de départ. « Il est important de se mettre tous d’accord et de bâtir un projet commun », appuient les chevilles ouvrières du groupe de travail. C’est ainsi qu’est organisée une rencontre par mois pour « avancer ensemble, a p p r e n d r e à s e c o n n a î t r e , dépasser la méfiance réciproque, créer de la confiance ».

places liMitées et précairesMais pour pouvoir regarder vers l ’avenir, encore faut-i l que les condit ions soient remplies. La première es t l a quest ion des

terrains. « Il y a beaucoup de demandes et peu d’offres, illustre Eric Potut. Soit on attend sur une liste, mais combien de temps ?, soi t on rachète un fonds de commerce pour le dissoudre et recréer une société, mais c’est mettre beaucoup d’argent sur la table sans même avoir de bail adéquat. » Car c’est là que le bât blesse, beaucoup d’entreprises sont confrontées à une grande précarité. Difficile donc de faire des projets. « Mais il existe aujourd’hui, de la part de la province, une vraie volonté de faire avancer le processus », reconnaît le gérant de Scaphca Marine Services. La province Sud n’a pas souhaité répondre à nos questions sur ce

Heros, la passion aluRoland Heros construit des bateaux en aluminium depuis quarante ans. En ce matin de novembre, il livre un bateau de 7 m au dirigeant de Sous-Marine Services (travaux sous-marins). Le dernier des quelque 600 unités flottantes dessinées et fabriquées par ce spécialiste de la soudure inox. Parmi ses réalisations, « le Belema Nenema, barge de 27 m qui ravitaille les Belep depuis Poum, des voiliers alu, ce catamaran des Phares & Balises, montre-t-il en face, 120 Optimist pour des écoles de voile, le ponton au large de Sainte-Marie, des bateaux à fond de verre… » Et la liste est encore longue. Toute sa vie, Roland Heros a formé des chaudronniers : « une dizaine d’entreprises locales sont issues d’anciens formés chez moi ». Aujourd’hui, la question du terrain, où il est en situation précaire, empêche toute visibilité. Sans bail, « pas de defisc ni de prêt bancaire donc de grosses difficultés pour investir ».

ecoblast, le service pro MutualiséLuc Sorlin est à la tête d’Ecoblast, entreprise de sablage, peinture, carénage, spécialisée depuis sa création en 2010 dans le traitement de surfaces, avec onze salariés. L’ingénieur en construction navale a racheté en début d’année un pas-de-porte sur la zone. Le terrain qu’il est en train de mettre aux normes est encore assez brut mais les projets vont bon train : construction d’une cabine de peinture pour de petites unités, qu’il pourra louer à des sous-traitants, levage de bateaux pour de gros travaux. S’il dispose d’un bail commercial, il n’a pas d’accès au réseau électrique. Pour ce membre des clusters maritime et AMD (maintenance), Synergie Numbo est l’occasion de brasser l’ensemble des problèmes de la zone : routes, pollution, mouillages forains, trait de côte… et de faire bouger les choses.

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« sujet assez compliqué », mais les acteurs de Synergie Numbo assurent que la Direction du foncier et de l’aménagement « se montre aujourd’hui très concernée » . « La DFA va finaliser des baux c o m m e r c i a u x d e 1 2 a n s e n les conditionnant à de bonnes pratiques », vient d’apprendre Alain Giraud. Outre la sécurisation du foncier, la volonté va au partage d’infrastructures – comme un bassin de radoub, pour mettre à sec et réparer les navires – et à l’optimisation de la chaîne des déchets avec, pourquoi pas, une zone commune de stockage provisoire de ces déchets dangereux (huiles de vidange, batteries, peintures…) éparpillés et pas toujours collectés. Autre axe de réflexion : « la plaisance populaire », une jolie façon

de parler de cette plaisance modeste qui est le quotidien de la plupart des Calédoniens (lire ci-contre). Parmi les soutiens de Synergie Numbo, outre la DFA, la CCI répond présent. La Ville, qui n’a pas répondu à nos sollicitations, est attendue dans la boucle.« C’est la vie de chacun qui est ici, conclut Lluís Bernabé, évoquant tous ces professionnels passionnés disposant d’un savoir-faire unique. Il faut construire la baie de Numbo pour le futur. » Cette baie qui, avant de s’appeler Numbo, était celle « des Charpentiers de marine »… La relève est déterminée à la valoriser et à la faire prospérer, pour que l’économie bleue ne soit plus un concept vague, mais prenne corps à la source, et pourquoi pas à Numbo ?

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La plaisance populaire

« Il est primordial que les gens qui ont peu de moyens aient un endroit où mettre un ba t eau . Seu l Numbo o f f re ce t t e poss ib i l i t é » , plaide Alain Giraud. Et les conditions actuelles d’accueil sont loin d’être optimales… Contrairement aux autres mises à l’eau municipales, celle de Numbo n’a pas été rénovée. Elle est pourtant « très fréquentée et bien située, avec de la profondeur », estime Alain. Pour le reste : pas de parking, un sol en terre qui devient boueux dès qu’il a plu, et ce samedi matin de novembre, comme souvent, un bateau « fantôme » dont les amarres ont lâché s'est échoué devant la rampe.Et s ’ i l ex i s te des opt ions de gardiennage de bateaux (environ 200 seraient stationnés sur remorque à travers Numbo), rien de structuré. Synergie Numbo prône une remise en état de la mise à l’eau, avec un gardiennage mieux organisé, voire un système de « batotel », qui permettrait de superposer les bateaux sur trois niveaux.

Déchets médicaux et dépotoir en bordure de baie...