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3 UNE VIE TRANSFRONTALIÈRE EN POINTILLÉ : LES MIGRANTS INVOLONTAIRES MAURITANIENS DE LA VALLÉE DU FLEUVE SÉNÉGAL Marie TRÉMOLIÈRES et Donata GNISCI ÉTUDE RÉALISÉE PAR LE CLUB DU SAHEL ET DE L'AFRIQUE DE L'OUEST VERSION AMENDÉE AOÛT 2004 COLLECTION INITIÉE PAR ENDA/DIAPOL, LE SECRÉTARIAT DU CLUB DU SAHEL ET DE L'AFRIQUE DE L'OUEST/OCDE ET TOUS CEUX QUI VOUDRONT LES REJOINDRE.

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UNE VIE TRANSFRONTALIÈRE EN POINTILLÉ : LES MIGRANTS INVOLONTAIRES MAURITANIENS

DE LA VALLÉE DU FLEUVE SÉNÉGAL

Marie TRÉMOLIÈRES et Donata GNISCI

ÉTUDE RÉALISÉE PAR LE CLUB DU SAHEL ET DE L'AFRIQUE DE L'OUEST

VERSION AMENDÉE AOÛT 2004 COLLECTION INITIÉE PAR ENDA/DIAPOL, LE SECRÉTARIAT DU CLUB DU SAHEL ET DE L'AFRIQUE DE L'OUEST/OCDE ET TOUS CEUX QUI VOUDRONT LES REJOINDRE.

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Sommaire

AVANT-PROPOS ......................................................................................................................................................... 7 REMERCIEMENTS..................................................................................................................................................... 7 LISTE DES ABREVIATIONS..................................................................................................................................... 8 INTRODUCTION......................................................................................................................................................... 9 I. CONTEXTE ..................................................................................................................................................... 12

1.1. UN CADRE PHYSIQUE ET HUMAIN ............................................................................................................... 12 1.2. UNE TRADITION ET UNE ORGANISATION TRANSFRONTALIÈRES .................................................................. 14

Le fleuve, escale commerciale ou barrière de repli, au gré des conquêtes.................................14 Gestion foncière : droit coutumier, « indirass », législations coloniales et actuelles.................15 Une politique d’aménagement concertée : l’OMVS....................................................................17

1.3 AUX ORIGINES DU CONFLIT SÉNÉGALO-MAURITANIEN ............................................................................... 18 Une réforme foncière mauritanienne en faveur de la propriété privée.......................................18 Un contexte frontalier menacé par son potentiel économique ....................................................19 Une pression démographique croissante ....................................................................................21 Des relations bilatérales, entre coopérations et tensions............................................................21

II. « RÉFUGIÉS MAURITANIENS » : CHRONOLOGIE D’UNE HISTOIRE INACHEVÉE ................... 22 2.1. LES MIGRATIONS INVOLONTAIRES SUITE AUX ÉVÉNEMENTS DE 1989......................................................... 22

Rappel des faits entre 1989 et 1991 ............................................................................................22 Assistance, organisation sociale et influence politique dans les camps......................................24

2.2. ÉTAT DES LIEUX ......................................................................................................................................... 26 L’alternative du rapatriement en Mauritanie ou de l’attente......................................................26 La difficile question de l’identité partagée..................................................................................31

III. PERSPECTIVES.............................................................................................................................................. 32 BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................................................................................... 37 ANNEXE : LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES ...................................................................................... 39

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AVANT-PROPOS

La présente étude traite des migrations involontaires et des dynamiques transfrontalières sur la rive gauche du fleuve Sénégal suite au conflit sénégalo-mauritanien de 1989. Il croise les résultats d’une mission de terrain du Secrétariat du CSAO en décembre 2003, avec la littérature disponible pour dresser un état des lieux de la situation passée et présente, élargir ces problématiques à l’échelle régionale, et stimuler un débat informé entre acteurs régionaux oeuvrant pour la paix et le développement en Afrique de l'Ouest. Il s’agit ici d’une version amendée du rapport paru en juillet 2004. Ce rapport complète les réflexions engagées depuis fin 2002 par le Secrétariat sur les flux socio-économiques et migratoires dans les espaces frontaliers notamment en relation à des situations de conflit et d’instabilité. Il est une activité conjointe de ses Unités « Développement Local et Processus d’Intégration Régionale » (DLPIR) et « Gouvernance, Dynamiques de Conflits, Paix et Sécurité » (GDCPS) et constitue un des produits du plan de travail du CSAO pour 2004.

REMERCIEMENTS

Nous tenons à remercier les populations déplacées des sites de Dagana I et II, Nguendar, Taredji, Ndioum, Dodel, Dar Salam, et Boki Diawé I et III pour le merveilleux accueil réservé. Malgré le sentiment d'abandon qui prédomine chez beaucoup, temps a toujours été pris pour répondre à nos sollicitations, autorisant de nombreux et riches dialogues. Cette mission n’aurait pu être aussi fructueuse sans l’accompagnement et l’interprétariat de Mamadou Diop. Ses conseils et encouragements nous ont guidées à la rédaction de ce rapport. Nos remerciements vont ensuite à Mohamadou Abdoul et l’ensemble des organisations et associations rencontrées qui collaborent chacun à leur échelle à faire connaître la situation des populations mauritaniennes au Sénégal et au Mali ; aux antennes de la SAED de Podor et Matam pour leur hébergement.

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LISTE DES ABREVIATIONS

ACP Afrique, Caraïbes, Pacifique

AMRS Association Mauritanienne des Réfugiés au Sénégal

APE Accord de Partenariat Economique

ARMS Association des Réfugiés Mauritaniens au Sénégal

CEDEAO Communauté Économique des Etats de l’Afrique de l'Ouest

CEE Communautés Économiques Européennes

CSAO Club du Sahel et de l’Afrique de l'Ouest

DLPIR Développement Local et Processus d’Intégration Régionale (SCSAO)

ENEA École Nationale d’Économie Appliquée

FAFD Fédération des Associations du Fouta pour le Développement

FCFA Franc de la Communauté Financière d’Afrique

FLAM Forces de Libération Africaines de Mauritanie

FRUIDEM Front pour la Résistance, l’Unité, l’Indépendance et la Démocratie en Mauritanie

GDCPS Gouvernance, Dynamiques de Conflits, Paix et Sécurité (SCSAO)

HCR Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés

IRREV Initiative Rurale pour la Renaissance du Vétiver

MRMDDH Mouvement des Réfugiés Mauritaniens pour la Défense des Droits de l’Homme

NEPAD Nouveau Partenariat pour le Développement en Afrique

OFADEC Office Africain pour le Développement et la Coopération

OIM Organisation Internationale pour les Migrations

OMVS Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal

PAM Programme Alimentaire Mondial

PDI Personnes Déplacées à l’Intérieur

USE/PIP Union pour la Solidarité et l’Entraide / Programme Intégré Podor

PIVREM Périmètres Irrigués Villageois pour les Réfugiés de Matam

PMA Pays Moins Avancés

RADDHO Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme

RIM République Islamique de Mauritanie

SAED Société d'Aménagement et d'Exploitation des Terres du Delta et la Falémé

SCSAO Secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l'Ouest

TCNs Third Country Nationals

UE Union Européenne

UEMOA Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine

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INTRODUCTION

Les événements d’avril 1989 et les déplacements forcés de populations qu’ils génèrent sont la manifestation la plus violente des tensions entre la Mauritanie et le Sénégal. Un des soubassements en est la compétition pour l’accès aux ressources foncières dans la zone frontalière que constitue le bassin du fleuve Sénégal. Aujourd’hui, une partie de ces personnes est rentrée en Mauritanie ou s’est rendue dans d’autres pays (Etats-Unis, Canada…). Les statistiques mentionnent toutefois la présence de 20 000 à 30 000 d’entre elles, installées sur 276 sites le long de la rive gauche du fleuve Sénégal. Les instances internationales ayant désormais interrompu leur appui, de nombreuses questions restent en suspens. Elles concernent la situation et le statut des personnes déplacées ; leur intégration auprès des autochtones ; les conséquences à long terme de leur présence, aux niveaux local et régional ; et enfin les dynamiques transfrontalières humaines. Ces interrogations s’appuient sur une mission du Secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (SCSAO) dans la vallée du fleuve Sénégal, en décembre 2003. Elles s’articulent autour de deux logiques : - Documenter les réalités transfrontalières et les projeter dans une perspective régionale.

- Poursuivre les réflexions dégagées lors de la scoping study sur les interactions entre conflits et migrations involontaires en Afrique de l'Ouest (exemples des pays du fleuve Mano et de la Côte d'Ivoire)1, dans un contexte où les violences ont cessé depuis près de 13 ans, l’intérêt des médias et des acteurs régionaux se sont amoindris. Ce recul permet notamment un autre regard sur l’insécurité liée aux conflits, aux mouvements forcés de populations, et à leurs traitements.

Spécifiquement, les objectifs de cette étude sont de : - Développer des arguments en remontant l’information du local pour mettre le doigt sur des tensions

latentes qui persistent malgré le rétablissement des relations et des activités transfrontalières.

- Illustrer l’interaction des trois niveaux local, national, régional pour relancer le dialogue sur la situation des « réfugiés » mauritaniens encore présents sur la rive sénégalaise.

Ainsi, trois parties structurent ce document : le contexte de la zone, rappelant ses dynamiques transfrontalières et leurs enjeux politiques et économiques, les causes du conflit qui éclate entre les deux pays en 1989 ; les migrations involontaires, leur situation passée et présente ; enfin l’élargissement de ces problématiques à une échelle plus régionale, dans une optique d’en dresser les perspectives. Sa lecture nécessite de prendre en considération que : - L’étude s’appuie sur les informations recueillies auprès d’organisations locales et internationales et

surtout des populations déplacées résidentes dans la portion de la vallée comprise entre les villes de Dagana et Matam (voir carte 1). Une analyse plus approfondie mériterait d’intégrer des interviews d’élus et de la population locale.

- La mission n’a pas visité les campements localisés sur la rive du fleuve. Les informations relatives aux conditions de passage de la frontière à différents points du fleuve, ont été obtenues par les populations habitant le long de la route nationale.

- Les dynamiques transfrontalières et les effets des déplacements forcés de 1989 sur la réorganisation du système socio-économique de la rive droite du Sénégal ne sont pas ici appréciés.

1 Voir Gnisci D., Trémolières M. et Hussein K., (2003), Interactions entre conflits et migrations involontaires : pour une

approche régionale intégrée et concertée. Cette étude met en avant la concordance entre zones de conflits et zones de déplacements forcés dans un contexte régional instable. Elle souligne l’importance de modes des migrations involontaires, tels que la transmigrance et les déplacements internes. Elle illustre la nécessité d’une approche régionale dans le traitement des migrations involontaires et des conflits.

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- Au printemps 89, quelque 20 000 personnes ont fui vers le Mali. Dans cette étude, toute référence à la situation de ces dernières est le fruit des discussions avec les interlocuteurs rencontrés au Sénégal.

- Sont présentées sous forme d’encadrés, certaines expériences recueillies auprès des populations déplacées. Le choix d’histoires porteuses d’espoir est privilégié. Les auteures sont néanmoins conscientes qu’il existe de nombreux contre-exemples illustrant les difficultés et les défis auxquels ces populations sont quotidiennement confrontées, notamment par manque de concertation des instances concernées.

Enfin, concernant le déroulement de la mission de terrain, elle s’est articulée en quatre étapes :

1) Entretiens à Dakar et Saint-Louis avec les institutions politiques et les organismes internationaux et locaux afin de : recueillir des informations sur les opérations menées en 1989 ; répertorier les acteurs concernés ; sélectionner les documentations, articles de presse et statistiques ; valider les sites à visiter et en identifier d’autres ; élargir la liste des personnes à rencontrer sur le terrain.

2) Rencontre et séance de travail avec M. Mamadou Diop, ancien fonctionnaire mauritanien, qui accompagne la mission sur le terrain. Ses connaissances de la région et des acteurs et ses propres expériences permettent de compléter les informations et les investigations historiques accomplies avant le départ. Les choix des sites, des acteurs ainsi que la méthodologie des entretiens sont définis.

3) Visite de neuf camps situés de part et d’autre de la route nationale, du côté sénégalais. Des entretiens individuels ciblés aident à approfondir certains aspects ou expériences soulevés dans les discussions générales.

4) Quelques marchés font l’objet d’une visite particulière (Rosso, Taredji, etc.). Des informations sont recueillies sur les flux commerciaux informels et formels entre le Sénégal et la Mauritanie, les prix des produits échangés, les tarifs de passage de douane et les formalités administratives.

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Carte

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I. CONTEXTE

Ce chapitre dresse le portrait historique et géographique de la vallée du fleuve Sénégal et décrit les systèmes de régulation et de gestion des ressources qui se sont succédés, voire superposés. Puis, il introduit les facteurs de tension cumulés entre populations riveraines jusqu’aux événements d’avril 89. Cette partie introductive ne rend pas justice à la complexité de l’histoire et de la géographie humaine et physique de la zone. Elle vise avant tout à fournir certains repères pour mieux comprendre les enjeux des migrations involontaires et les dynamiques socio-économiques frontalières à l’heure d’aujourd’hui2.

1.1. Un cadre physique et humain

Le fleuve Sénégal naît de la rencontre entre le « fleuve noir » (le Bafing, qui descend du Fouta Djalon à 800 mètres d’altitude) avec le « fleuve blanc » (le Bakoye qui prend sa source sur le plateau manding). Il s’écoule sur 1 790 km dans le sens est-ouest, traversant quatre pays : la Guinée (où il prend sa source), le Mali, la Mauritanie et le Sénégal. Le bassin du fleuve s’étend sur 337 500 km², son affluent principal étant le Falémé (Est du Sénégal).

Trois zones se distinguent : le Haut Bassin en amont de Bakel ; la Moyenne Vallée (de Bakel à Richard-Toll), et le Delta (en aval de Richard-Toll jusqu’à l’embouchure). Administrativement, le bassin versant inclut les départements de Dagana, Podor, Matam et Bakel en rive gauche et les régions de Trarza, Brakna, Gorgol et Guidimaka en rive droite.

De sa source à l’embouchure, se côtoient les sous-régimes climatiques suivants : - Le régime tropical humide de transition où les pluies annuelles s’élèvent à plus de 1 250 mm. Il

concerne les hauts bassins des trois branches mères en Guinée et au Mali ;

- Le régime tropical humide pur où les pluies annuelles sont comprises entre 1 250 et 750 mm dans la zone des cours inférieurs et du Baulé (s’écoulant au Mali) ;

- Le régime sahélien qui caractérise la région où les pluies annuelles n’atteignent pas 750 mm, s’étalant sur la totalité des bassins de Kolombiné et de Karakoro (au Mali et en Mauritanie).

La vie de la vallée est réglée par l’alternance des crues et décrues3 au gré des périodes de : hautes eaux (de juillet à octobre), décrues progressives (de novembre à février), étiage (de mars à juin) lorsque le fleuve atteint le niveau moyen le plus bas. Pour ces raisons, il importe de mettre en avant la capacité de mise en valeur des terres de la vallée dans un contexte agro-climatique contraignant, où le système de production combine activités agricoles, halieutiques et pastorales en fonction des grandes zones écologiques que sont le walo (zone de la plaine fluviale) et le diéri (zone sahélienne), présentées dans la carte ci-après.

2 Pour une présentation plus exhaustive de la vallée, nous renvoyons aux ouvrages historiques suivants (voir

bibliographie) : Barry B., (1985), Le Royaume du Waalo, le Sénégal avant la Conquête ; Brigaud F. (1962), Connaissance du Sénégal, Histoire traditionnelle du Sénégal ; Santoir C., (1993), « D’une rive l’autre : les Peul mauritaniens réfugiés au Sénégal ».

3 Comme tout fleuve tropical, le Sénégal se caractérise par des écoulements irréguliers, avec des variations de débits moyens inter- et infra-annuels considérables. Fin juillet-début août, le niveau de l’eau atteint environ 10 m dans la zone de Bakel et le débit passe de quelques m3/s aux maxima de 4 700 m3/s (débit moyen annuel de 675m3/s). En aval de Bakel, la vallée alluviale est submergée par la crue.

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Carte 2 : Terroirs de la vallée en coupe transversale

CSA

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2004

Crue

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Fondé

Le walo est la zone couverte par la crue en saison des pluies. Il se caractérise par des sols argileux et humides (diacré, falo, fondé) que l’on distingue en fonction de leur position par rapport au fleuve, de l’immersion et du temps de retrait des eaux. Les grands périmètres irrigués favorisent la culture du riz et de la canne à sucre, ainsi que la pisciculture. La végétation dominante est constituée par les prairies de vétiver et les forêts d’acacia nilotica. Sur les berges qui dominent le lit mineur du fleuve s’étend le falo réservé, en saison sèche, aux cultures de décrue (maïs, niébé, sorgho, cultures maraîchères, etc.). La superficie moyenne et les rendements varient en fonction des sols, de l’ampleur et de la durée des crues. Le diéri est constitué par les bas plateaux qui bordent la vallée. Y prédominent des sols sableux, limoneux et très argileux. La végétation y est sèche : forêt sèche et steppe. Les activités agro-pastorales dépendent des pluies. A cause de la réduction de la pluviométrie, les rendements des cultures sous pluie (mil, niébé, melons secs, etc.) sont de plus en plus aléatoires, l’élevage (zébus, moutons, chèvres) quant à lui demeure extensif. Dans le diéri proche des sources d’eau, des spéculations telles que la tomate, la pomme de terre, la patate douce et l’oignon sont possibles grâce à l’irrigation par aspersion ou au goutte à goutte. Le walo et le diéri ne sont pas des zones cloisonnées. Elles sont complémentaires comme le montrent les va-et-vient des bergers peul et de leur bétail, au rythme des saisons sèches et des pluies. « La Vallée est un ensemble complexe de lieux discontinus […]. La répartition des hommes et des activités montre une dispersion […] qui permet l’abandon ou la sollicitation des lieux selon les cycles annuels ou pluriannuels »4. Le peuplement de la vallée est le résultat de vagues migratoires successives du nord et de l’est du continent, et de leurs multiples brassages, d’où la difficulté d’établir des distinctions nettes entre les populations. Les Peul ont joué pendant longtemps un rôle unificateur entre les peuples de la vallée de par leur langue (le pulaar), leur culture et leur religion (Islam). Les Peul-Toucouleur sont des agro-pasteurs transhumants ou nomadisants. Ils font partie des « Haalpulaar » (ceux qui parlent le pulaar). Au Sénégal, le groupe Peul-Toucouleur constitue 25 % de la population et se concentre dans la vallée du fleuve Sénégal, au Ferlo et en Haute Casamance. En Mauritanie, les Peul sont installés principalement dans les régions de Trarza et de Brakna et ce depuis plusieurs siècles. Ils sont également très nombreux dans le Gorgol et au Guidimakha. La région du delta du fleuve Sénégal est également le berceau traditionnel des Wolof, appartenant au groupe ethnique sahélo-soudanien, dont les origines remontent au XIIIème siècle. D’autres populations noires habitant les deux rives du fleuve sont les Sarakolé, Bambara, et Soninké. Enfin, les Maures sont les populations arabo-berbères de Mauritanie. Ils sont issus du mélange entre berbères venant du Nord de l’Afrique vers le 1er millénaire après J.C., et arabes qui les assujettissent dès le XVIème siècle. En 1968 et 1987, ils constituaient 38 % et 48 % respectivement de la population du Trarza et du Brakna.

4 ACCT et Institut Panos, (1996), Journalisme et conflits dans la vallée du fleuve Sénégal, p. 90.

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1.2. Une tradition et une organisation transfrontalières

La portion de la vallée entre Rosso et Matam se caractérise de tout temps : par une alternance d’initiatives de coopération entre populations et institutions sur les deux rives (pour la gestion des ressources hydriques, naturelles et les échanges commerciaux) ; par une confrontation parfois violente autour des mêmes enjeux. Très souvent, ces relations contradictoires seront marquées par l’influence d’acteurs extérieurs, comme celle du colonisateur français.

Le fleuve, escale commerciale ou barrière de repli, au gré des conquêtes

Carte 3 : Les royaumes autour du fleuve au XVIIIème siècle

L’histoire du fleuve Sénégal est profondément liée aux dynamiques de ses peuples. Au XVIIIème siècle, les deux rives sont contrôlées par trois royaumes : le Walo Wolof pour la partie formée par le delta, « royaume né du démembrement du Jolof », voisin du Cayor au Sud ; le Fouta Toro toucouleur ou haalpular dans la moyenne vallée ; et le Gadiaga soninké en amont. Les délimitations entre le Walo, dont le territoire s’étend sur les deux rives, et le Brakna sont floues, ce dernier comptant des parcelles riveraines, les espaces évoluant au gré des puissances des émirats ou royaumes.

Avant la colonisation, « il est probable que la frontière qui séparait les États sénégambiens des émirats maures (Trarza dans la basse vallée, Brakna dans la moyenne) devait former un (…) espace vide à cause de la permanence des razzias réciproques entre États situés au Nord du fleuve »5 dans les zones des cultures fluviales. La puissance des Arabo-Berbères domine par le commerce de la gomme et des esclaves. Face à ces attaques, les populations Walo se réfugient vers le Sud, les Haalpulaar s’installent sur la rive gauche. Le lit mineur gardé par des guerriers pour freiner les attaques maures, établit une sorte de frontière « militaire ». Des alliances politiques se forment entre les unités de part et d’autre du fleuve (Trarza et Walo, Fouta Toro et émirat du Brakna) autorisant des échanges commerciaux : gomme arabique maure, tissus de Saint-Louis, sorgho et bétail entre populations riveraines. Le long du fleuve s’établissent des zones de marchés et de gués où les razzias se poursuivent. Sur la rive droite, les cultures de décrue alternent avec les parcelles abandonnées.

La conquête française débute en 1858 et en 1900, la partie Sud de la Mauritanie est entièrement contrôlée. Les Français conquièrent progressivement le Walo et le Fouta Toro aggravant les razzias sur les populations riveraines. Ces actes de violence contribuent entre autre à la mise en place du protectorat de Mauritanie et du tracé de la frontière en 1904 pour sécuriser la zone. Un arrêté de 1905 définit la ligne médiane du fleuve comme la frontière entre les deux territoires. La vie transfluviale se rétablit et les villages haalpular se reconstruisent sur la rive droite, la frontière redevenant lieu de vie et d’échanges. Les populations de part et d’autre des rives peuvent cultiver sur les rives de leur choix.

5 Devisse J., Ba A., Bernard C., Bougerol B., (1990), « Pêcheurs marins artisanaux en Afrique, de l’ethnie à

l’ethnicisme : quatre exemples. Le Fleuve Sénégal : ligne de front ou voie de passage », Afrique contemporaine.

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Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest - 2004

S. Louis

Podor

GADIAGA

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Une des conséquences des nombreux décrets pris par la puissance coloniale est de modifier des cercles d’influence antérieure. Ainsi, auparavant, les terres de la rive droite dépendent d’un cercle (de Kaédi) regroupant des zones de part et d’autre du fleuve. Dorénavant, elles se placent non plus sous l’autorité de la Colonie du Sénégal mais sous celle du Protectorat des pays maures. Toutefois, cette césure ne modifie pas l’organisation de la vie transfrontalière. Le territoire formé par le Sénégal et la Mauritanie est dirigé au cours de la période coloniale par une entité unique basée à Saint-Louis. Constatant une relative contradiction entre les limites des compétences administratives qui se réfèrent exclusivement à la rive droite du fleuve et la frontière par sa ligne médiane (excluant notamment deux îlots : île de Thiong et île aux bois), le législateur colonial précise en 1933 le tracé délimitant les deux territoires, toutefois sans abroger définitivement le précédent traité de 1905. Cette frontière suit la rive droite du fleuve. « On s’en était remis pour la gestion du quotidien, des terres, des cultures, des troupeaux, des villages, de la pêche, à des traditions locales organisant entre les populations des relations multiséculaires », l’administration coloniale s’étant fixée « un cadre général de règlement des litiges » 6. Les résidents n’ont pas besoin de papiers officiels ou d’identité (requis seulement pour les études supérieures et certains emplois de la fonction publique). Le fait que la capitale administrative coloniale soit basée à Saint-Louis implique que beaucoup de fonctionnaires d’origine mauritanienne vivent et travaillent au Sénégal. Lors des indépendances en 1960, certains d’entre eux décident de s’installer en Mauritanie. Ils seront particulièrement vulnérables lors des expulsions de 1989. Sous la colonisation française, une structure traditionnelle et sociétale se développe autour du fleuve, atténuant l’effet de barrière qu’aurait pu représenter la frontière. Les familles vivent et cultivent des deux côtés du fleuve, le commerce entre les deux rives est courant, facilité par les traversées en pirogue. Les éleveurs pratiquent la transhumance. Le fleuve en tant que frontière est une manifestation purement administrative et politique qui ne s’inscrit pas dans les coutumes locales et traditionnelles. Cette mobilité historique de la population de la région du fleuve Sénégal accroît le choc des événements de 89-907. Il importe d’examiner les systèmes de gestion des ressources naturelles partagées (terres, eau) qui encouragent la circulation des populations entre les deux rives pour comprendre les effets de la migration involontaire sur la vie socio-économique de la vallée.

Gestion foncière : droit coutumier, « indirass », législations coloniales et actuelles

Les règles coloniales reconnaissent, en Mauritanie, les régimes coutumiers fonciers influencés par la loi islamique, « l’indirass ». « Les droits privés sont généralement établis au bout de dix ans d’occupation continue et d’utilisation agraire. Les propriétaires ne cultivant pas leurs propres terres sont obligés de les faire travailler par d’autres au risque de voir leur titre de propriété expirer »8. Les droits de propriété ne sont alors renouvelés que si la terre est entretenue. La terre irriguée naturellement par les eaux pouvant perdre toute trace de culture en deux ans, cela entraîne parfois l’application spontanée de « l’indirass ». Se mêlent ainsi, et de manière contradictoire, le respect de certaines règles coutumières et les décrets coloniaux. L’illustre la promulgation d’un décret en 1906 qui permet la conversion des biens fonciers détenus traditionnellement en droit de propriété privé, après immatriculation. Cet imbroglio juridique complique les arrangements fonciers dans un climat déjà tendu par la rareté des ressources. Les rives du fleuve cultivées par irrigation mécanique sont les terres les plus prisées et subissent un contrôle sévère. Les rives sableuses de l’après-saison des pluies cultivables après le retrait des eaux sont soumises à un système foncier plus subtil du fait de l’occasionnelle surface irriguée. La majorité de la plaine alluviale est arrosée occasionnellement, selon la hauteur des eaux. Les céréales poussent 6 Ibidem. 7 La rive mauritanienne devient alors une zone militaire gardée et régulée par un couvre-feu ; la population ne circule

plus. Les familles et villages sont divisés de part et d’autre. 8 IIED, (1999), Régimes fonciers et accès aux ressources en Afrique de l’Ouest : questions et opportunités pour les

25 ans à venir.

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« les pieds dans l’eau », retenues par les racines et ne bénéficient d’aucune irrigation artificielle. Elles dépendent donc des flux variables chaque année et restent parfois incultivables. Dans ce cas particulier, les droits fonciers traditionnels n’observent pas la loi islamique où la terre non cultivée pendant des années entraîne la perte de propriété. En 1960, un décret promulgué avant l’indépendance de la Mauritanie reconnaît les revendications foncières traditionnelles et nationalise les terres non réclamées ou reconnues non utilisées. Officiellement « l’indirass » et la période de dix ans d’applicabilité sont retenues. Pour ce qui est de la procédure d’enregistrement, il semble que seules des parcelles urbaines aient suivi ce procédé. Aux indépendances, les deux pays reconnaissent les frontières héritées de la colonisation. Un accord du 26 juillet 1963 donne le statut de fleuve international au Sénégal et à ses affluents. Cette date coïncide avec la signature par le Mali, le Sénégal, la Guinée et la Mauritanie, d’une convention relative à l’aménagement général du bassin du fleuve Sénégal. Les évolutions plus récentes de la législation foncière mauritanienne de 1983, sont traitées dans la deuxième partie de ce chapitre. Au Sénégal, le régime foncier est régi par la loi de 1964 sur le domaine national. Depuis 1972 et les réformes subséquentes sur la décentralisation, les communautés rurales sont dotées d’attribution importante en matière foncière. Cette organisation décentralisée tente de répondre aux droits nationaux et coutumiers. De fait, environ 97% des terres sont incorporées au domaine public excluant celles précédemment enregistrées. Les communautés rurales sont dirigées par des membres élus qui, sous la tutelle du sous-préfet, ont le pouvoir d’affecter les terres en respect des pratiques coutumières, à la condition qu’elles soient exploitées de façon optimale9. La compétition pour l’accès au foncier dans la région du fleuve contribue à réduire l’espace de pâturage. La loi de 1964 ne reconnaît pas le pastoralisme comme un usage viable des terres. Un décret de 1980 tente toutefois de protéger certains pâturages naturels réservés aux éleveurs. Ce texte reste flou sur la définition de ces espaces et ne règle pas les nombreuses tensions entre éleveurs et agriculteurs, notamment pour l’accès à l’eau dans les parcelles irriguées par les barrages et où les terres sont distribuées par les communautés rurales. En 1996, le plan d’action foncier du Sénégal dresse un bilan du système foncier national. Il identifie parmi ses points forts, les principes d’équité, de gratuité de l’accès à la terre et l’approche par zone ; ses points faibles, une forme d’entrave aux investissements. Enfin, une loi d’orientation agro-sylvopastorale est votée par le Parlement sénégalais au printemps 2004. Dans ce texte, les articles relatifs à la réforme des titres fonciers et de leurs modes de gestion, présents dans le projet de loi soumis pour discussion à l’Assemblée nationale en 200310, sont retirés. De fait, la discussion sur la réforme du régime foncier est séparée de celle sur l’agriculture et le sylvo-pastoralisme, illustrant outre les enjeux fonciers, la difficulté de faire l’arbitrage entre les intérêts divergents des parties prenantes. En conclusion, dans les deux pays, les droits fonciers nationaux alternent avec les coutumiers complexifiant la résolution univoque des conflits fonciers. Il a été difficile, au cours de la mission de recueillir les données sur l’affectation des terres auprès des populations déplacées après 1989. Toutefois, ces modes de gestion particuliers à la Mauritanie et au Sénégal n’ont pas empêché la mise en place d’un projet original transfrontalier sur la base d’une coopération et d’un développement communs : la création de l’OMVS autour du fleuve Sénégal et de ses eaux.

9 Le Sénégal comporte autant de lois coutumières que d’ethnies. Pour ce qui est des principales communautés vivant le

long de la vallée : les Wolof, basés entre Dagana, Saint-Louis et Dakar transfèrent les terres par lignage, le mâle doyen possédant l’autorité d’attribuer et de gouverner les terres. Il s’agit de droit d’usufruit et non de propriété. Le transfert d’autorité ne se fait pas nécessairement par la filiation. Toutefois, le droit de cultiver la terre se fait par héritage du père. Les familles étrangères peuvent cultiver en échange d’un tribut. Les Toucouleur du Nord le long du fleuve obéissent à une structure hiérarchisée sous l’autorité des nobles ou religieux. Les droits coutumiers se transfèrent par voie filiale. Les terres peuvent être louées. Celles plus fertiles sur les rives de par leur rareté sont distribuées inégalement.

10 Texte du projet de loi mis à la disposition de la mission par le RADI – Centre d’Information Juridique de Saint-Louis.

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Une politique d’aménagement concertée : l’OMVS

Face à la sécheresse, de nombreux projets de développement se concentrent sur le potentiel des régions agricoles qui bordent le fleuve. Dans cette mouvance, est créée l’Organisation pour la Mise en Valeur du fleuve Sénégal, chargée du développement de ses ressources. L’OMVS est le résultat historique de plusieurs structures. L’organe initial est un Comité inter-états regroupant la Guinée, le Mali, la Mauritanie et le Sénégal, mis en place en juillet 1963. C’est à cette période que le fleuve et ses affluents obtiennent le statut d’eaux internationales. Un règlement commun affirme la libre navigation pour les quatre peuples. En 1968, l’Organisation des États Riverains du Sénégal supplante le Comité. Elle prévoit et favorise une politique de développement et de coopération communes du bassin. Le retrait de la Guinée en novembre 1971 est à l’origine de la naissance de la structure actuelle. L’OMVS œuvre pour une mise en valeur économique des ressources de la vallée qui sauvegarde son milieu naturel et son équilibre écologique ; pour une agriculture moins vulnérable aux aléas climatiques et autres facteurs externes ; pour une sécurisation et un accroissement des revenus des habitants du bassin. Elle dépend pour la définition de sa politique de la Conférence des chefs d’États et de gouvernement et pour leur mise en œuvre du Conseil des ministres. Les conflits jusqu’aux événements de 1989, se règlent pour ce qui concerne les ressources foncières ou les relations agriculteurs/éleveurs, soit par médiation des communautés locales ; soit par les procédures de règlement de litiges prévues par l’Organisation. Parmi les réalisations des années 1980, sont à mentionner les barrages de Diama et Manantali, situés à 23 km et 1 200 km respectivement de l’embouchure du fleuve. Ils autorisent l’irrigation d’une superficie totale de 375 000 ha sur les trois pays (64 % au Sénégal, 33 % en Mauritanie et 3 % au Mali)11. Des études sont en cours pour permettre la navigation fluviale sur une distance de 900 km (entre Saint-Louis du Sénégal et Embidébi au Mali). Le fleuve s’en trouve régularisé et la mise en valeur des terres alluviales optimisée. Le renforcement du potentiel de développement agricole de la vallée devient une valeur stratégique pour les gouvernements sénégalais et mauritanien. Les deux gouvernements créent des sociétés nationales de gestion du domaine agricole avec autorité à chacune de contribuer au mieux au développement et à la productivité des terres. Cela induit « un épaississement progressif des frontières »12. La mobilité naturelle des populations et le contrôle des déplacements s’en trouvent modifiés, s’opposant parfois à la nouvelle gestion des cultures de décrues, à l’accès à la terre de populations vivant sur la rive opposée. Pour rappel, en 197313, ces populations transfrontalières sont dénombrées à 320 674 et représentent 57 % de la population riveraine totale. Environ 37 500 personnes vivent des cultures de décrue combinées à d’autres activités non agricoles. Souvent, elles habitent une des rives et cultivent l’autre. Les Sénégalais cultivant sur la rive droite (73 %) sont alors plus nombreux que les Mauritaniens cultivant sur la rive gauche (21 %). Enfin, les textes de l’OMVS mentionnent que le fleuve traverse la partie occidentale du Mali puis constitue sur le reste de son parcours, la frontière entre le Sénégal et la République islamique de Mauritanie14. Cette structure montre d’une part les volontés et les possibilités de concertation et d’entente autour d’un bien que l’on pourrait qualifier de « bien public régional » ; d’autre part, elle pose aussi la difficulté de gérer les opportunités économiques dans une zone de plus en plus densifiée, confrontée à la rareté des zones cultivables et aux tensions entre éleveurs et agriculteurs pour ce qui est des zones de pâturages.

11 Unité de Politique agricole, (1996), Plan d’action foncier du Sénégal pour la gestion durable des ressources

naturelles. 12 ACCT et Institut Panos, p. 79. 13 Santoir C., (1993), « D'une rive l'autre : les Peul mauritaniens réfugiés au Sénégal (départements de Dagana et de

Podor) » Cahiers des Sciences Humaines. 14 www.dams.org/kbase/submissions/showsub.php?rec=ins121.

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1.3 Aux origines du conflit sénégalo-mauritanien

Des facteurs socio-économiques, démographiques et politiques peuvent expliquer les tensions montantes entre le Sénégal et la Mauritanie, et les subséquentes migrations involontaires en 1989. Ces causes servent de toile de fond aux perspectives développées à la fin de cette étude.

Une réforme foncière mauritanienne en faveur de la propriété privée

Dans un climat conflictuel où la terre cultivable se pose comme une ressource rare et une véritable opportunité économique, la législation foncière mauritanienne de 1983-1984 va dans le sens de la mise en valeur des surfaces irriguées et d’une promotion des zones agricoles. Au titre de cette loi, les Mauritaniens possèdent des droits égaux pour l’acquisition des terres ; d’autre part la loi marque la fin des droits coutumiers (art 3). Les procédures foncières islamiques restent valides lorsqu’elles n’entrent pas en conflit avec les nouveaux textes. Ainsi, les terres non nationalisées ou n’étant pas enregistrées tombent sous la loi islamique et peuvent s’établir en coopérative.

Encadré 1 : Loi foncière mauritanienne de 1983, Extraits

Art 1: La terre appartient à la nation et tout Mauritanien sans discrimination, peut posséder la terre en conformité avec la loi. Art 7: Des litiges collectifs relatifs à la propriété ne sont pas admissibles dans le cadre du système légal. De tels litiges en cours de

traitement devant les cours de justice et les tribunaux seront retirés des statuts par le biais de décisions spéciales des juridictions pertinentes. Il n'est pas possible de faire appel de ces décisions d'annulation.

Art. 9: Les “terres mortes” sont propriétés de l’État. Les terres n’ayant jamais été mises en valeur ou celles dont les actions de mise en valeur n’ont laissé aucune trace sont considérées comme “mortes”.

Traduction de l’anglais assurée par le SCSAO15

De nombreuses organisations internationales critiquent cette loi. Les remarques les plus couramment répertoriées sont les suivantes : - L’article 7 est accusé d’affaiblir les droits traditionnels, notamment parce qu’aucun recours en appel

n’est possible (ce qui va à l’encontre des droits civiques). Si la loi paraît juste dans son contenu, c’est son application sélective qui reste largement critiquée16. Selon la loi, les terres sans signe visible d’exploitation (digues pour retenir l’eau, graines, constructions…) peuvent être expropriées par l’État. A leur défense, les cultivateurs mentionnent la sécheresse et les crises économiques qui ont suivi, les empêchant de cultiver, le refus des banques de leur accorder des prêts. Enfin, les textes omettent certaines cultures traditionnelles, tributaires des flux annuels d’eau.

- La confiscation des terres par les procédures d’enregistrement : les terres sont déclarées « mortes »

selon les termes de la loi de 1983 lorsqu’elles ne sont pas cultivées, toutefois elles peuvent être redistribuées et accordées temporairement si un investissement même faible y est réalisé. La réforme foncière impose qu’un certain nombre de procédures soit cependant respecté avant la confiscation. Ainsi, le transfert est annoncé par radio. Ces annonces sont faites en arabe et parfois en français, non en pulaar, soninké ou wolof ce qui, d’après les détracteurs, favorisent leur acquisition par les Maures (accusés de bénéficier d’un prêt plus facilement du fait de leur appartenance ethnique). Enfin, en cas de litiges, les cultivateurs doivent montrer un titre officiel de propriété qu’ils ne possèdent généralement pas.

15 Art 1: Land belongs to the nation and every Mauritanian without discrimination of any kind, can own land, in

conformity with the law. Art 7: Collective lawsuits concerning property are legally inadmissible. Such lawsuits now pending before the courts and tribunals will be struck off the rolls by special decisions of the jurisdictions concerned. The decisions or judgments to strike such lawsuits off the rolls are not appealable. Art. 9: Dead lands are the property of the state. Land which has never been developed or those whose development has left no trace is considered dead.

16 Fleischman J., (1994), Mauritania’s campaign of terror, State-sponsored repression of Black Africans, Human Rights Watch.

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- La création de coopératives : cette forme d’adhésion permet à des populations ne vivant pas traditionnellement dans la région du fleuve d’accéder aux terres. De grandes parcelles de terre sont réservées pour la culture, respectant en théorie les formes artisanales d’agriculture, par les communautés traditionnelles.

Un contexte frontalier menacé par son potentiel économique

Dans les années 60, la ressource principale mauritanienne réside dans l’élevage. Les trois quarts de la population sont éleveurs nomades ; leur revenu et subsistance dépendent des troupeaux. Les exportations de bétail représentent des recettes majeures au même titre que les mines de cuivre et d’étain situés au Nord, alors que les cultivateurs du fleuve ne constituent qu’une ressource sociale et économique marginale. L’intérêt gouvernemental mauritanien pour la vallée s’accentue en 1972 avec la création de l’OMVS, la construction des deux barrages accroissant le potentiel du fleuve en terme d’irrigation, d’électricité et de navigation. Outre l’aspect économique, d’autres facteurs sont couramment cités pour expliquer cet intérêt croissant : - L’investissement coûteux dans la guerre du Sahara occidental. En effet, l’augmentation des forces

armées de 3 000 en 1976 à 17 000 en 1978 contribue à affaiblir les finances déjà fragiles du pays. Les affrontements entraînent le déplacement d’un grand nombre de communautés nomades du Nord vers le Sud. Après le conflit, beaucoup d’Haratine17 démobilisés sont attirés par les cultures de la basse vallée.

- Les caractéristiques des sols sont favorables à des cultures plus industrielles ; les infrastructures vers Nouakchott sont importantes et de bonne qualité rendant le transport des produits agricoles vers la capitale peu coûteux.

- Les communautés de cultivateurs de la vallée sont moins bien organisées que dans d’autres régions mauritaniennes ; les terres semblent de ce fait plus facilement expropriables.

Les sécheresses de 73 et 84 menacent le pastoralisme nomade et de nombreuses pertes sont dénombrées. Certains s’exilent vers les centres urbains ou se tournent vers l’agriculture. Ils ne possèdent plus les moyens financiers d’entretenir les esclaves qui s’émancipent. La valeur des terres et produits agricoles augmentent et les terres de la vallée apparaissent comme une opportunité économique. Les communautés nomades du Nord descendent vers les rives pour faire paître leur bétail sur les terres traditionnellement occupées par les Peul et les cultivateurs. La route des transhumances dans des régions au Sud des rives sénégalaises suit la courbe des isohyètes. De nombreux cultivateurs immigrent vers Dakar ou la France (mi 70, 65% des immigrés sont soninké de Mauritanie, 15% sont d’origine haalpulaar). Ces expatriés contribuent pour une large part aux fonds disséminés dans la région, généralement auprès des populations soninké, leur permettant d’acheter des biens de consommations et du bétail. Dès les années 80, le contrôle sur les terres cultivables des rivières et les pâturages signifie le contrôle sur l’offre alimentaire. Sur une période de 30 ans, la mise en valeur des terres contribue, avec une intensification des parcelles cultivées, à modifier l’équilibre entre activités agricoles, halieutiques et pastorales exercées par les populations. Diversifier les activités économiques génératrices de revenus demeure une stratégie fondamentale des ménages ; toutefois l’incidence relative de chaque activité sur la composition de leur revenu semble varier dans le sens d’un majeur poids de l’agriculture. De plus, la population se densifie et se sédentarise (voir carte 4).

17 Pluriel de hartani, qui signifie « affranchis ». Ce sont des anciens esclaves libérés.

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Carte 4 : Evolution de la transhumance dans les régions de Trarza et Brakna Années 50 Années 70 Années 80 (avant 1989)

St Louis

Rosso

Kaédi

Lac de RkîzLac D’Aleg

Lac de Mâl

Lac de Guier

Bogué

300 mm

250 mm

Keur Massène Dar El Barka

Podor

Bababé

Mbagne

MoktarLahjar

ChogarMauritanie

Sénégal

Démèt

St Louis

Rosso

Kaédi

Lac de RkîzLac D’Aleg

Lac de Mâl

Lac de GuierSt Louis

Rosso

Kaédi

Lac de RkîzLac D’Aleg

Lac de Mâl

Lac de Guier

Bogué

300 mm

250 mm

Keur Massène Dar El Barka

Podor

Bababé

Mbagne

MoktarLahjar

ChogarMauritanie

Sénégal

Démèt

25Nombre de casiers rizicoles exploités par les peul mauritaniens

Sites de sédentarisation

Isohyètes Transhumances

Fleuve Sénégal

Lacs

Zones inondables

Glissement des campements d’hivernage

25Nombre de casiers rizicoles exploités par les peul mauritaniens

Sites de sédentarisation

Isohyètes Transhumances

Fleuve Sénégal

Lacs

Zones inondables

Glissement des campements d’hivernage

St Louis

Rosso

Kaédi

Lac de RkîzLac D’Aleg

Lac de Mâl

Lac de Guier

Bogué

300 mm

250 mmKeur Massène Dar El Barka

Podor

Bababé

Mbagne

Démèt

St Louis

Rosso

Kaédi

Lac de RkîzLac D’Aleg

Lac de Mâl

Lac de Guier

Bogué

300 mm

250 mmKeur Massène Dar El Barka

Podor

Bababé

Mbagne

Démèt

St Louis

Rosso

Kaédi

Lac de RkîzLac D’Aleg

Lac de Mâl

Lac de Guier

Bogué

300 mm

250 mm2376

Keur Massène

12

Dar El Barka

Podor

12

Bababé

Mbagne

Démèt

St Louis

Rosso

Kaédi

Lac de RkîzLac D’Aleg

Lac de Mâl

Lac de Guier

Bogué

300 mm

250 mm23237676

Keur Massène

1212

Dar El Barka

Podor

1212

Bababé

Mbagne

Démèt

67 % et 74 % des Peul mauritaniens de Rosso et Rkîz, respectivement pratiquent la culture de décrue, notamment dans 4 zones (marigot de Garak, le long du diéri ; cuvettes du walo entre Rosso et Ganien forêt classée, lac Rkîz et ses marigots). Les terres appartiennent pour la plupart aux Maures et aux Wolof (Dagana, Gani et Guidakhar). Sur la rive mauritanienne, entre Dar el Barka et Bogué, les Peul semblent détenir davantage de biens fonciers, notamment au bord du diéri. Les transhumances se resserrent autour du fleuve. Les activités agricoles s’intensifient.

L’aridité est croissante sur la rive droite, comme le montre le déplacement des isohyètes. Les troupeaux maures et peul trouvent refuge en saison sèche sur la rive gauche. Les campements glissent vers le Sud.

Dans la basse vallée, 75 % des Peul cultivent le walo en saison sèche, très peu le diéri. Les terres de décrues sont louées auprès des Wolof et des Maures. A Bogué, peu de terres de culture appartiennent aux Peul. Les cultures sont concentrées dans le walo et vers Démèt dans la moyenne vallée.

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Une pression démographique croissante

Le développement agricole des années 1960-70 contribue à expliquer la croissance démographique de la zone. Auparavant, le delta et la basse vallée étaient peu peuplés du fait de la fonction essentiellement commerciale du fleuve Sénégal (Ports de Richard-Toll, Dagana, Podor, Matam, Bakel, Rosso, Bogué et Kaédi et commerce de la gomme arabique, de l’or, des tissus, etc.). Les aménagements agricoles réalisés à partir du milieu des années 80 notamment du côté mauritanien polarisent la migration de nombreux éleveurs nomades qui s’installent dans la vallée et entreprennent des activités agricoles.

Ainsi, alors qu’en 1970, la population s’élève à 134 750 sur les rives du Gorgol et du Guidimakha et à 77 474 sur celles du Trarza et du Brakna ; en 1990, elle atteint respectivement dans les deux zones 229 000 et 138 049. Le pourcentage d’Arabo-Berbères augmente dans cet espace occupé historiquement par les Haalpulaar, les Wolof et les Soninké. En 1996, 20 % de la population mauritanienne est concentrée sur les 2% de la surface totale du pays que représente la rive droite du fleuve. La zone se trouve confrontée à la dégradation de la forêt (actuellement en phase de reboisement) ; l’érosion éolienne et hydrique des aménagements hydro-agricoles ; les divagations du bétail. La pression démographique s’exacerbe autour des ressources du fleuve. En 2000, la population estimée est de 559 500 habitants ; les densités démographiques étant plus élevées que la moyenne nationale des pays. Elles atteignent 65 habitants/km² pour la rive gauche, contre 50 habitants/km² dans l’ensemble du Sénégal, et 17 habitants/km² sur la rive droite contre moins de 3 habitants/km² pour la Mauritanie. Ces densités s’accentuent dans les départements à forte zone urbaine (telles Saint-Louis et Rosso) 18.

Des relations bilatérales, entre coopérations et tensions

L’imbrication des tensions frontalières et foncières et des transformations socio-économiques et agricoles participe à fragiliser le climat politique mauritanien ; d’autant que s’y greffe le putsch manqué orchestré par de jeunes officiers négro-mauritaniens contre le gouvernement (1987). Les années suivantes, les premières discriminations sont alors répertoriées au niveau de la fonction publique et des forces armées contre la population noire.

Au Sénégal, le mouvement de contestation politique suite aux élections de 1988 et le mauvais climat économique durcissent les tensions avec le voisin. Un « Comité de suivi » réunissant des notables du Fouta, basé au Sénégal est créé dénonçant l’application de la loi foncière mauritanienne et sa remise en cause du droit coutumier. Celui-ci ainsi que le droit foncier tel qu’il est appliqué sous la période coloniale reconnaît que certaines populations sénégalaises possèdent des terres du côté mauritanien et vice-versa. La superficie concernée est de l’ordre de 130 000 ha. La position radicale du Comité conteste également la souveraineté mauritanienne sur la rive droite. Le gouvernement d’Ould Taya19 est soucieux de régler le problème rapidement, tandis qu’Abdou Diouf20 est favorable à une « opération d’échange et de compensation éventuelle », toutefois reportée à cinq ans, en raison de la complexité de la situation et d’une position électorale affaiblie suite aux élections de 1988. Ce délai se heurte à l’intransigeance de deux protagonistes : d’un côté, le pouvoir mauritanien favorable à une nationalisation immédiate des terres ; de l’autre, le Comité de suivi oeuvrant pour un statu quo sur la question. Il importe de mentionner que ce litige n’oppose pas à l’origine les populations maures et négro-mauritaniens, comme veut bien le laisser dire la presse de l’époque. Après des dérives de part et d’autre qui ne tardent pas à afficher un caractère raciste, les deux gouvernements sous la pression du président ivoirien Houphouët-Boigny signent un accord le 21 février 1989 sur « tous les problèmes en suspens (libre circulation des biens et des personnes, recensement et échange des terres des transfrontaliers) ». Cet accord ne suffit pas à calmer les dérapages et la dégradation de la situation qui n’est en fait pas motivée pour des raisons économiques mais davantage

18 Données recueillies par le SCSAO. 19 Président de la RIM, depuis décembre 1984. 20 Président sénégalais en poste de 1981 à 2000.

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par une incapacité d’arbitrage politique. En effet, précédemment, de tels litiges avaient déjà opposé les deux pays sans pour autant dégénérer21 en des événements d’une ampleur telle que ceux de 1989 qui seront à l’origine d’importants flux forcés de population.

II. « RÉFUGIÉS MAURITANIENS » : CHRONOLOGIE D’UNE HISTOIRE INACHEVÉE

Cette deuxième partie est consacrée à la restitution des résultats des travaux de terrain. Les informations recueillies auprès des populations déplacées sont croisées avec la littérature disponible pour faire un état de lieux des migrations involontaires dans la vallée du fleuve. On fait la distinction entre la première phase d’urgence marquée par la présence de plusieurs acteurs humanitaires, et celle successive à la reprise du dialogue entre les gouvernements mauritanien et sénégalais et les nombreux rapatriements qu’il génère.

2.1. Les migrations involontaires suite aux événements de 1989

Rappel des faits entre 1989 et 1991

L’incident de Diawara survenant le 9 avril 1989 est l’élément déclencheur d’émeutes plus violentes dans les deux capitales. Il oppose des éleveurs peul mauritaniens et des agriculteurs soninké sénégalais à propos de la divagation des troupeaux. Deux Sénégalais trouvent la mort et des blessés sont dénombrés. Les deux pays entrent alors dans un cercle de violence matérialisé par des pillages, des massacres dans plusieurs villes et villages. Cette hostilité déchaîne les tensions racistes et provoque l’expulsion des Négro-mauritaniens, considérés comme des « Sénégalais » et la fuite de Mauritaniens vivant au Sénégal. Les médiations échouent et toutes relations diplomatiques entre les deux pays sont rompues en août 1989. Des mouvements de rapatriements s’organisent et les premières expulsions débutent. Toutes les catégories professionnelles sont affectées, y compris les cultivateurs et éleveurs de la vallée. Les expropriations sont justifiées par la volonté de rapatrier les « Sénégalais » ayant obtenu frauduleusement leur nationalité mauritanienne. Elles sont également accusées d’avoir répondu à l’objectif d’éloigner la population noire ayant reçu une éducation supérieure. En Mauritanie, les fonctionnaires négro-mauritaniens perdent leurs emplois, les Sénégalais (mécaniciens, chauffeurs, peintres, ouvriers, pêcheurs, etc.) n’exercent plus les petits métiers qu’ils occupent traditionnellement ; de même, les boutiquiers maures présents au Sénégal subissent des violences allant parfois jusqu’au meurtre et ferment leurs boutiques. Des villages entiers de la rive droite occupés pour la plupart par des Peul sont vidés de leurs habitants (371 villages répertoriés) et de nombreuses expulsions organisées vers le Sénégal. Certains de ces villages changent de nom et sont repeuplés. La citoyenneté des éleveurs habitués à traverser régulièrement la frontière pour les transhumances est très difficile à prouver et constitue un facteur accélérateur de leur expulsion hors du territoire mauritanien. Les fonctionnaires basés à Nouakchott sont dirigés en avion vers Dakar ; en sens inverse, des avions convoient des Maures résidant au Sénégal vers la Mauritanie. A Dakar, les fonctionnaires sont installés dans le campement militaire du « bataillon du train » puis dirigés vers Thiès et installés le long de la vallée. Tous les autres mouvements de fuite se matérialisent par une traversée du fleuve dans l’urgence et sont facilités par une longue tradition d’échanges transfrontaliers. La solidarité s’installe rapidement sur la rive gauche. De nombreuses pirogues effectuent des traversées pour favoriser le passage des populations en fuite. Les autorités locales et le Croissant rouge organisent l’accueil près des villages autochtones.

21 On peut par exemple citer l’incident survenu en 1977 à Moudiéri entre deux Sénégalais et des gardes frontières

mauritaniens ou encore l’opposition de Senghor et Ould Daddah à propos des limites frontalières et de l’île de Todd en 1974.

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Quel que soit le camp visité lors de la mission, les personnes interviewées rapportent toutes l’extrême violence et la soudaineté de leur départ. Rassemblées à la hâte au centre du village, elles sont contraintes de monter dans des camions, sans avoir la possibilité de prendre quelques biens ou leurs papiers. Et quand bien même elles y parviennent, elles en sont dépouillées. Certains hommes partis avec le bétail ou des enfants ne se trouvant pas à ce moment-là dans les villages ne peuvent fuir et se trouvent séparés des leurs. Des disparitions et violences contre les femmes sont à mentionner. Comme dans le cas d’autres flux de populations forcés générés par un conflit, les statistiques sont peu fiables. On parle de 75 000 travailleurs sénégalais installés en Mauritanie et rapatriés au Sénégal ; de 65 000 Mauritaniens reconnus en tant que personnes déplacées (le terme de réfugiés n’étant pas retenu de prime abord par la Mauritanie) 22, pour les années 89 et 90. 276 sites, de 4 à 10 000 personnes sont répertoriés le long du fleuve Sénégal (de Rosso à Kidira). Une forte concentration est basée à Rosso, Ndioum et Bakel. Une étude réalisée par l’Orstom répertorie que 67 % des campements peul de la rive droite sont désertés dès août 90 (21 500 personnes), ce qui correspond à 57 % de la population peul des départements de Kaedi, Mbout et Maghana. « Les trois quarts des expulsés sont des Haal Pulaar, les autres étant des Wolof. (..) Certains départements dans le Trarza et le Brakna sont vidés de leurs populations peul, dépouillées de leurs biens (Keur-massènes : 95 % ; Mederohs : 97 % ; Bababès : 85,70 %)23. Près de 57 % des Peul de la région du Gorgol sont touchés. Le Guidimakha est vidé de sa population peul. Toutefois, dans ces deux dernières régions, la majorité des éleveurs garde une partie ou la totalité du bétail24. Leur intégration auprès de la population locale change le profil démographique et économique de la région : 70 % des personnes déplacées sont des femmes. La majorité des troupeaux appartient aux réfugiés. Ainsi, on compte 1,4 bovin par "Peul réfugié" contre 0,9 par Peul mauritanien (département de Matam)» 25 . Le HCR estime que 90 % des migrants involontaires ont traversé le fleuve dont le niveau d’eau était faible en cette période de l’année (avril 1989). « Le camp où les réfugiés étaient inscrits dépendait de l’endroit où ils avaient traversé le fleuve »26. Le pourcentage restant concerne les populations urbaines de Nouakchott amenées en avion jusqu’à Dakar. Des actions armées sont menées, notamment pour récupérer le bétail (voir encadré 2). Elles sont orchestrées à partir du Mali et s’attaquent à des cibles militaires ou à des villages maures dont certains avaient participé à des exactions. Des voleurs de bétail s’infiltrent dans ces mouvements de razzia qui ne sont pas nécessairement le fait des migrants involontaires. Ces opérations participent à de nombreuses confrontations entre Peul et Soninké sur le territoire malien ou entre Peul. Des actes militaires mauritaniens sont également menés en représailles auprès de villages maliens de l’autre côté de la frontière. A partir de 1991, les négociations reprennent entre Sénégal et Mauritanie et se concrétisent par la reprise des liaisons téléphoniques et des relations diplomatiques. La France et les Etats-Unis soutiennent ce tournant politique. Cette époque marque aussi les premières limites fixées par le HCR pour ce qui est de l’assistance.

22 La mission n’a pas rencontré d’autorités mauritaniennes permettant d’infirmer ou d’affirmer ce propos. 23 Santoir C., (1993), « D'une rive l'autre : les Peul mauritaniens réfugiés au Sénégal (départements de Dagana et de

Podor) » op.cit. 24 ACCT et Institut Panos, op.cit. 25 Ibidem. 26 Santoir C., (1990), « Les Peul « refusés », les Peul mauritaniens réfugiés au Sénégal », op.cit.

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Encadré 2 : Banditisme et insécurité : l’importance d’un niveau local d’intervention27

Une histoire revient régulièrement dans les récits : celles des bandits de grand chemin (ex : groupes de Thiam ou de Balla), voleurs de bétail dans la zone de Bakel, au niveau des frontières entre le Sénégal, le Mali et la Mauritanie. Le vol de bétail n’est pas fait exceptionnel dans la vie des populations riveraines. Mais au début des années 90, les bandits opèrent dans un contexte instable et chaotique du fait des flux de populations et de la militarisation de la frontière entre Sénégal et Mauritanie. Dotés d’armes automatiques, ils coupent les routes et volent le bétail semant l’insécurité parmi les populations locales et limitant le trafic le long de la route après le coucher du soleil.

La rumeur se répand que les « réfugiés » mauritaniens sont impliqués. Les journaux sénégalais relatent que les vols de bétail servent à financer l’achat d’armes pour combattre l’armée mauritanienne. En réponse à des « opérations-commandos » (ainsi les qualifie la presse sénégalaise), des agents mauritaniens sont accusés d’infiltrer les camps des réfugiés au Mali et au Sénégal pour interrompre toute tentative d’organisation politique et militaire. Les associations des réfugiés mauritaniens dénoncent l’armée mauritanienne qui profite de la situation pour s’en prendre aux déplacés ainsi que les forces de police et de gendarmerie sénégalaises et maliennes, qui n’arrivent pas assurer la protection des populations locales. Les incursions mauritaniennes sur les territoires de ses deux pays voisins ne contribuent pas à rétablir des relations normales entre les gouvernements. La militarisation de la frontière et le déploiement des forces de polices du côté sénégalais et malien s’accentuent. Les liens traditionnels de solidarité entre populations locales et populations déplacées sont affectés par cette situation d’insécurité montante.

La majorité des personnes interviewées reconnaît le rôle clé joué par les autorités locales (représentants de la société civile et des collectivités locales) pour éviter que la situation ne dégénère entraînant des violences et un rejet des déplacés de la part des populations autochtones. Durant cet épisode, elles seules sont capables de contenir l’escalade des tensions entre populations locales et déplacées en facilitant le dialogue entre toutes les parties. Elles veillent à maintenir des conditions de sécurité physique et matérielle acceptables dans les villages et les environs. Elles permettent une cohabitation possible à moyen terme sur la rive gauche du fleuve Sénégal, malgré de nombreux facteurs d’instabilité et des contraintes économiques fortes.

Les incursions des soldats mauritaniens sur le territoire sénégalais se terminent officiellement avec la reprise des relations diplomatiques entre les deux pays début 1991, les razzias avec l’arrestation de certains groupes de bandits.

Assistance, organisation sociale et influence politique dans les camps

Le gouvernement sénégalais est à l’origine de la demande d’une aide d’urgence et assistance auprès du HCR, effective de juin 1989 à décembre 1995. Le responsable du Haut Commissariat rencontré à Dakar souligne que le cas de la Mauritanie est particulier en ce qu’il a été explicitement demandé à une certaine partie de la population de partir. La mobilisation a donc été extrêmement rapide et le choc de cette fuite amorti par les liens avec les populations de l’autre côté de la rive. La première prise en charge vient d’ailleurs des populations locales, comme le soulignent tous les acteurs rencontrés. La création du Commissariat sénégalais aux rapatriés et aux personnes déplacées est conséquente des flux de population de 1989. Il vient en appui des organisations internationales présentes sur place (Croix rouge internationale, HCR, OFADEC et FAFD28. Sa mission s’articule autour de cinq points : 1) Assistance des rapatriés et personnes déplacées « dans tous les domaines de leur existence » ;

2) Réinstallation en liaison avec le HCR en trouvant un pays d’accueil tiers ;

3) Éducation et formation en favorisant l’intégration dans les écoles locales et en attribuant des bourses29 ;

4) Mission médicale en liaison avec l’OFADEC ;

5) Promotion économique par le biais d’un programme d’assistance aux rapatriés, géré par la direction d’insertion et de réinsertion (Ministère de l’emploi).

27 Propos recueillis sur le terrain et complétés par les informations apparues sur la presse sénégalaise à partir de l’été

1989 (Voir bibliographie). 28 Fédération des Associations du Fouta pour le développement. 29 Financées par la coopération allemande et le HCR.

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Ce Commissariat toujours actif devrait être désormais remplacé par une Commission nationale chargée des réfugiés, rapatriés et personnes déplacées créée en mai 2003 et sur laquelle il est très difficile d’obtenir des informations précises. Les populations rencontrées ne sont pas informées de cette nouvelle structure (mis à part une personne au sein du camp de Ndioum récemment informée). En septembre 1989, le Commissariat lance un processus d’immatriculation des déplacés de Mauritanie, avec l’appui du HCR. Ce processus devrait permettre à chaque personne de se doter d’un document d’identification attestant son statut (cartes de rapatriés et de réfugiés). Deux catégories de déplacés sont reconnues : 1) Les rapatriés (personnes de nationalité sénégalaise) : cette catégorie comprend deux sous-catégories :

a) les expulsés, à savoir les Sénégalais résidant en Mauritanie pour y exercer une activité professionnelle ; b) les déguerpis, c’est-à-dire les Sénégalais habitant depuis des générations la rive droite du fleuve. Ce terme porte à confusion lorsque l’on sait que, selon la loi, la nationalité mauritanienne s’acquiert après vingt années passées sur le territoire.

2) Les réfugiés (personnes de nationalité mauritanienne). En ce qui concerne l’assistance matérielle, les organisations internationales (HCR, PAM, etc.) distribuent des tentes et des vivres aux populations déplacées installées le long du fleuve. Ceux-ci construisent eux-mêmes les camps avec des matériaux locaux semblables à ceux des structures villageoises. Le plus souvent le camp est proche du village (200 m de distance maximum), plus rarement directement intégré aux infrastructures autochtones. Au cours de cette phase, le HCR et les partenaires locaux interviennent en tant que facilitateurs des relations entre communautés autochtones et déplacées, en collaboration avec les autorités locales. Ils financent la construction d’infrastructures sociales (salles de classe, dispensaires, etc.) et organisent les services de base (éducation, santé, distribution d’outils agricoles et formation) au sein des sites. Le financement de ces services s’achève en 199530. Pour favoriser l’intégration avec les communautés d’accueil, les services dans les camps leur sont également ouverts. L’accès à l’eau pour les populations déplacées est le plus souvent réglementé, sous la supervision des agences humanitaires. Il peut être facilité par des « échanges réciproques » avec les villages sénégalais, notamment contre la fumure des champs. Depuis 1995, l’usage du robinet est payant (parfois à des entreprises privées) et limité. En ce qui concerne l’accès à la terre, les parcelles sont attribuées aux migrants involontaires par les communautés rurales ou les autorités locales. Parfois, elles sont louées contre versement d’une part des bénéfices aux propriétaires. Les traditions de culture sont respectées ainsi que les technologies utilisées. Certains « réfugiés » s’organisent en coopérative. L’augmentation brutale de la population dans la zone riveraine du fleuve dans les années 90, renforce la pression autour des terres de décrue et des périmètres irrigués, non accessibles alors aux populations déplacées. La forte présence de troupeaux dans des zones réservées en priorité à l’agriculture rend parfois difficile la cohabitation avec les agriculteurs.

Les camps sont organisés comme un village traditionnel avec à leur tête des chefs. Ils peuvent être structurés autour de projets concernant les femmes et les jeunes principalement (activités génératrices de revenus additionnels telles que la création de jardins pour le maraîchage, les ateliers de teinture et de couture, les ateliers de menuiserie, de mécanique, etc.). Au sein même de certains villages de « réfugiés »,

30 En vue de préparer la transition, le HCR entame une réflexion sur le devenir de l’assistance après la phase d’urgence

et initialise de nouveaux projets sous la forme de micro-crédits (entre 1993 et 1995). De 1994 à 1999, il confie la réalisation de la partie agricole du programme PIVREM à l’OFADEC. Les distributions de vivres sont interrompues en 1996, les projets agricoles en 1998. Le programme PIVREM, « Périmètres irrigués villageois pour les réfugiés de Matam », concerne les districts de Ouro Sogui, Ogo, Kanel, Semme. Il vise à mettre en place des périmètres irrigués villageois destinés à assurer l'autosuffisance alimentaire des populations locales pour la plupart déplacées de Mauritanie. Les actions menées consistent en l’aménagement de la moitié des superficies des périmètres (l'autre moitié est réalisée par les groupements de production) et en la formation et l’accompagnement des membres de ces groupements. L’aménagement intéresse 192 hectares pour la culture de riz et de légumes et touche 3 000 personnes (production annuelle de 2 000 tonnes de riz). Voir http://membres.lycos.fr/ofadec/ref.htm.

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il existe des partitions : ainsi cohabitent les foyers naturalisés sénégalais bénéficiant d’une parcelle lotissée à Dagana I ; les fonctionnaires ou intellectuels qui revendiquent la nationalité mauritanienne à Dagana II. A Ndioum, la division respecte la tradition peul avec le village principal et les campements de bétail à plusieurs kilomètres. D’autres camps sont divisés en fonction de l’appartenance aux associations de réfugiés (ARMS et AMRS)31 liées aux différents courants politiques. En 1989, plusieurs courants politiques se côtoient dans les camps : le Flam (Forces de libération africaines de Mauritanie) et le Furam (Front uni pour la résistance armée en Mauritanie) qui apparaissent comme des courants nationalistes radicaux ; le Fruidem (Front pour la Résistance, l’Unité, l’Indépendance et la Démocratie en Mauritanie), plus modéré. Jusqu’en 1991, une lutte s’opère au niveau des camps entre le Flam et le Fruidem provoquant de nombreuses scissions. L’ARMS est créée regroupant ces trois courants jusqu’au Congrès exécutif de 1991 où les voix du Fruidem l’emportent par 367 sur 580 pour la constitution des bureaux. En résistance, le Flam et le Furam constituent l’AMRS. Les programmes de ces deux associations (ARMS et AMRS) sont basés sur les mêmes requêtes : réintégration des populations déplacées sous l’égide du HCR, leur rétablissement en respect des droits civils et matériels et de leur fonction. L’approche politique diffère, l’AMRS adoptant une position beaucoup plus radicale. De nos jours, les camps sont moins politisés ou du moins la radicalisation telle qu’elle existait au début des événements n’est plus visible, même si ces mouvements subsistent.

2.2. État des lieux

Cet état des lieux dressé sur la base des interviews et des visites de camps effectuées par la mission, se fonde également sur une réflexion tirée d’une étude réalisée en 1990 dans la zone32 : « L’adaptation des Peul réfugiés dépend en grande partie de leur richesse. Il existe trois types de réfugiés : ceux qui ont été expulsés, entièrement spoliés ; ceux avertis à temps qui ont pu s’organiser pour sauver leurs troupeaux ; enfin ceux qui étaient déjà partis avant les événements avec bétail et bagages. Selon l’importance du bétail sauvé, les réfugiés jouent sur les cultures, les petits métiers, la société lignagère, l’aide internationale ». Ce sentiment se ressent encore quinze ans après. Les villages visités possèdent chacun leurs particularités en fonction de leurs richesses (s’exprimant notamment par la taille du troupeau), des activités et de l’accès aux terres de cultures.

L’alternative du rapatriement en Mauritanie ou de l’attente

Dès 1991, avec la reprise des négociations bilatérales entre les deux pays, le HCR pose les limites de son aide au 31 décembre 1995. Cette date marque un tournant car elle s’illustre par deux stratégies : le retour d’un grand nombre de personnes déplacées en Mauritanie et le prolongement d’une situation où les populations concernées se posent encore en tant que « réfugiées », sans désormais posséder l’appui dont elles bénéficiaient jusque-là.

Sur les 70 000 migrants involontaires identifiés en 1989 une grande partie rentre (environ les deux tiers), notamment suite à la déclaration de 1993 du gouvernement de Nouakchott en faveur du retour des citoyens mauritaniens : « Les frontières sont ouvertes et les Mauritaniens peuvent rentrer dans leur pays s’ils le désirent ». Cette déclaration ne s’accompagne cependant d’aucun accord tripartite entre le pays d’origine, les pays d’accueil et le HCR. Le rapatriement est donc spontané, le HCR ne participant pas à son organisation. Une clause de cessation des droits s’applique aux Mauritaniens rentrant dans leur pays ce qui rend difficile un nouveau départ vers le Sénégal. En 1996, l’ARMS organise en liaison avec le gouvernement mauritanien des discussions33 sur l’auto-rapatriement sans toutefois parvenir à un accord sur les conditions de celui-ci.

31 Notamment l’Association des réfugiés mauritaniens au Sénégal (ARMS) et l’Association des Mauritaniens réfugiés

au Sénégal (AMRS) créées en 1991. 32 Santoir C., (1990), op.cit. 33 Cette rencontre fait suite à un appel lancé auprès de la population réfugiée auquel 5 112 personnes s’inscrivent.

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Encadré 3 : Principales caractéristiques communes à chaque site visité

Localisation près d’un village : les déplacés sont installés à proximité des communautés locales soit au-delà de la route, soit à l’écart à la sortie du village. La séparation physique entre les deux agglomérations persiste après 15 ans de cohabitation. La différence entre villages locaux et villages de « réfugiés » est toutefois difficile à apprécier pour tout œil étranger. Sur le terrain, ces derniers sont rarement définis en tant que « camps » ; on préfère parler de « sites de réfugiés ».

A proximité d’une route nationale : les sites sont ainsi créés pour faciliter la distribution de vivres et de matériel par les organisations internationales ou locales. La proximité aux axes de transports majeurs demeure stratégique pour l’accès de ces populations aux marchés hebdomadaires, aux services administratifs.

Constructions en matériaux locaux (banco, quelques parcelles loties…) à l’image des villages environnants. De Dagana à Matam, les constructions en dur augmentent en fonction de l’argent envoyé par les expatriés.

Prédominance des populations peul de l’est à l’ouest. Mis à part le site de Dagana, où la langue utilisée est le wolof, tous les échanges avec la mission ont lieu en pulaar.

Activités économiques : les populations sont poussées par l’assistance humanitaire à entreprendre des activités agricoles (l’assistance à l’élevage est presque inexistante). Ceci entraîne une sédentarisation et un graduel changement des équilibres vers les activités agricoles et l’élevage de petits ruminants. Pour ce qui est des pasteurs avec des troupeaux importants, l’impossibilité de franchir la frontière avec la Mauritanie en période de transhumances, les poussent vers le centre-est du Sénégal (zone du Ferlo) encore peu habité et exploité économiquement.

L’accès à l’eau est un enjeu persistant : Les habitudes et règles de nomadisme différaient : en Mauritanie, le bétail s’abreuvait le plus souvent directement aux puits ou aux céanes et il existait peu d’équipement hydraulique pastoral même si l’accès était parfois payant ; au Sénégal, les forages étaient majoritaires et réglementés. Enfin, « c’est la propriété du point d’eau qui détermine la propriété des pâturages environnants »34 mauritaniens. Il est aussi le symbole d’une certaine indépendance et d’attachement à un lieu.

Facteurs socio-démographiques : proportion importante de femmes et d’enfants, migrations économiques des hommes en Afrique de l'Ouest et Centrale. Les enfants sont dorénavant intégrés aux écoles sénégalaises, parfois au sein même des structures construites dans les camps. Les infrastructures de santé sont communes à celles des autochtones. Toutefois, certaines sont désormais financées par les « réfugiés » (Dagana). Au sein de nombreux villages entre Tillé Boubakar et Matam, les femmes relatent les nombreuses difficultés qu’elles ont à se rendre dans les dispensaires et à payer le prix des soins, y compris pour les accouchements.

Sites temporaires rattachés à la plupart des camps principaux (périmètres irrigués au bord du fleuve, campements de bétail à plusieurs kilomètres des villages).

Volonté affichée de conserver la nationalité mauritanienne et de rentrer si les conditions le permettent35 : l’organisation du retour dans le pays, la récupération de tous les biens ou à défaut l’indemnisation, le recouvrement intégral des droits, le bénéfice d’une indemnité pour préjudice subi, et enfin, la garantie de la sécurité et la non-poursuite pour toute attitude adoptée pendant la déportation.

Photos réalisées par la mission

34 Santoir C., (1990), op.cit. 35 Exprimées par l’ARMS dans un courrier adressé en 1992 au Président de la CEE, lors de la reprise du dialogue entre

le Sénégal et la Mauritanie.

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Il est difficile d’obtenir des informations sur la politique de réintégration, variable en fonction des régions et des situations individuelles. Au retour sur la rive droite du fleuve, il faut désormais s’adresser à une autorité locale tel le gouverneur (Waly) ou le préfet (Hakem) pour récupérer ses terres et sa maison et se rendre au tribunal pour les papiers d’identité. Aucune donnée n’a pu être trouvée sur les pourcentages des terres restituées et des identités récupérées. Des ONGs observent toutefois de meilleurs résultats dans les régions de Brakna (qu’à l’Est vers Gorgol et Guidimaka), où la majorité des migrants involontaires auraient récupéré leur habitat, et une partie de leurs terres36. Selon les personnes rencontrées, la réattribution des papiers d’identité est plus longue et de nombreux individus revenus en 1995 sont toujours en attente. Les populations, dans ce cas, ne peuvent pas se déplacer librement dans toutes les régions mauritaniennes. Elles rencontrent également des problèmes pour traverser la frontière vers le Sénégal37.

Environ 20 000 individus seraient restés au Sénégal. Cette statistique reste incertaine étant donné qu’aucun recensement n’a été effectué et que l’on ne sait pas si ces données intègrent les enfants nés de parents « réfugiés » après 1989. La mission constate que les conditions de vie de ces populations n’ont pas évolué depuis leur installation sur la rive gauche du fleuve (le maintien des services sociaux aux déplacés n’est pas assuré de manière permanente ; les opportunités économiques ou d’emploi restent aléatoires…). Malgré cela, certains changements (sédentarisation, nouveaux trajets de transhumance, migrations intra-africaines et intercontinentales, etc.) surviennent en réponse à une situation d’urgence qui s’éternise.

Suite à la cessation de l’assistance du HCR, les infrastructures de base des villages sénégalais sont partagées entre populations déplacées et locales, pour ce qui est de la santé et de l’école. Les enfants nés avant 1989 rencontrent des problèmes pour suivre des études supérieures du fait d’un manque de papiers. Les taux de scolarisation des enfants des sites nés au Sénégal n’ont pas pu être estimés aussi bien pour ceux officiellement enregistrés par leurs parents auprès des collectivités locales que pour les autres38. Il s’agit d’un enjeu majeur, contribuant à leur intégration future dans la société sénégalaise à plus long terme.

Les observations de terrain montrent que le niveau d’intégration est lié au type d’activité majoritaire des sites : ainsi les villages semblent mieux intégrés en aval du fleuve là où prédominent les agriculteurs et les programmes de développement (majoritairement agricoles). Davantage de problèmes fonciers sont à mentionner à partir de Boki Diawé où la population déplacée est à grande majorité composée d’éleveurs. Les migrants involontaires dans l’ensemble ne mentionnent pas de conflit relatif à l’attribution des terres, le MRMDDH39 signale toutefois une situation relativement tendue pour ce qui est des problématiques foncières. Les encadrés suivants restituent deux expériences personnelles recueillies sur le terrain. Ces récits illustrent de manière concrète les obstacles auxquels les déplacés forcés sont confrontés et les stratégies de contournement qu’ils mettent en œuvre, pour accéder aux services de base et jouir des droits liés à leur statut. Ils éclairent, en outre, les attitudes possibles vis-à-vis des questions délicates du retour et du maintien de la nationalité mauritanienne.

36 Source : www.state.gov/g/drl/rls/hrrpt/2002/18215.htm. 37 La mission n’a pu elle-même vérifié ces informations, tout comme la possibilité offerte aux « rapatriés » de participer

aux élections présidentielles en novembre 2003. 38 Les enfants nés au Sénégal en possèdent la nationalité lorsqu’ils sont enregistrés. 39 Mouvement de Réfugiés Mauritaniens pour la Défense des Droits de l’Homme, basé à Dakar.

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Encadré 4 : Portraits de deux réfugiés mauritaniens de la vallée du fleuve Sénégal

Histoire de Fatimata, jeune chercheuse auprès de la SAED de Podor

Fatimata, dont la famille est originaire de Bogué, fréquente la première année de collège lorsque les événements d’avril 89 éclatent. Elle traverse le fleuve avec ses proches pour s’installer dans le camp de Dagana I. Elle y passe trois ans et fréquente « l’école des réfugiés ». En 1992, l’accès à l’école publique lui est refusé. Pour intégrer une école privée, elle vend sur les marchés les provisions (ex : boîtes de sardines) distribuées par les agences humanitaires. Un concours pour une bourse HCR lui permet d’intégrer le lycée de Saint-Louis, où elle obtient le

BAC. Avec son diplôme, Fatimata rejoint Dakar pour s’inscrire à l’université. L’État sénégalais n’octroyant pas de bourses, elle se tourne vers le HCR pour demander un appui. La formation universitaire ne fait pas partie des programmes éducatifs soutenus par l’organisation (trop de diplômés se retrouvent ensuite chômeurs). Fatimata est donc orientée vers une formation professionnelle qu’elle suit à l’École Nationale d’Économie Appliquée (ENEA). Pendant les années 2000-2002, elle se spécialise en aménagement du territoire, environnement et gestion urbaine. Pendant son séjour à Dakar, elle obtient enfin une carte de réfugié valable 10 ans. Elle ne possédait jusqu’alors que le récépissé. Malgré les opportunités qui lui sont offertes, Fatimata ne souhaite pas prendre la nationalité sénégalaise pour « rester fidèle à la nationalité mauritanienne ». Elle rédige son mémoire de fin d’études sur les systèmes de régénération des sols de la vallée du fleuve Sénégal auprès de la SAED40 de Podor et bénéficie d’une expérience financée par la coopération internationale (notamment par l’USAID) et mise en œuvre par une entreprise sénégalaise. Elle concerne la mise en valeur du « système vétiver » 41. Cette plante pousse spontanément dans la vallée. Ses propriétés d’assainissement et de conservation des sols sont connues et exploitées sur la rive droite. Elles semblent moins connues auprès des populations de la rive gauche. Fatimata prend contact avec la SAED intéressée par l’opérationnalité de cette technique. Une fois son mémoire achevé, elle est chargée de la création d’un site d’expérimentation du vétiver et de la vulgarisation de cette technique auprès des collectivités locales dans les zones de Dagana et Podor. Depuis mars 2003, Fatimata travaille sur le site de Podor, financée par l’USAID et l’entreprise. En 2003, Fatimata obtient une prolongation de son affectation auprès de la SAED pour une année en même temps qu’elle suit un cours de spécialisation post-universitaire en Aménagement, Décentralisation et Développement Territoriale auprès de l’ENEA. Parmi ses projets, la consolidation d’une organisation paysanne dont elle a appuyé la création, Initiative Rurale pour la Renaissance du Vétiver (IRREV), qui va s’occuper entre autres de développer des activités associées à la culture du vétiver génératrices de revenus additionnels pour les femmes (production de parfum, essence, etc.). Fatimata songe à prospecter le marché européen pour convaincre les grands groupes industriels de cosmétiques de s’approvisionner dans la vallée. La réintégration du vétiver dans le paysage de la vallée est un projet cher à la jeune chercheuse pour deux raisons : tout en promouvant une conservation des sols porteuse de développement durable et d’opportunités économiques, notamment pour les femmes, elle pourrait permettre de rétablir une pratique transfrontalière oubliée et renforcer ainsi les liens de solidarité et de collaboration entre les peuples du fleuve, autour d’une richesse commune.

Interview réalisée par la mission

40 Société d'Aménagement et d'Exploitation des Terres du Delta et la Falémé. 41 Voir www.vetiver.org.

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Histoire de Doudou, infirmier des camps de « réfugiés » de Dagana

Avant de devenir infirmier dans le camp, Doudou a été fonctionnaire en Mauritanie pendant trente ans, dont seize passés dans les provinces du Nord. Marié à une femme maure, il se retrouve veuf, suite au décès de son épouse pour des complications de grossesse. Les violences d’avril 89 le pousse à passer le fleuve pour se réfugier à Dagana II, où beaucoup d’anciens fonctionnaires s’installent. Comme la majorité d’entre eux, il entame les démarches pour l’obtention d’une carte de réfugié avec succès.

Au Sénégal, il se remarie avec une femme réfugiée et décide de s’investir dans la vie du camp et de participer au maintien des services de santé pour les populations déplacées. Avec l’appui de Médecins du Monde, une case de santé (budget de 25 000 FCFA par mois) est construite dans le camp où il devient infirmier. Les médicaments sont achetés à la pharmacie centrale du village de Dagana. Les populations des deux sites le consultent pour le paludisme, la bilharzia, les infections pulmonaires et la diarrhée ; celles-ci étant les maladies les plus communes. Pratiquant une politique de prévention, il informe sur les pratiques d’hygiène et de protection de base. A la moitié des années 90, la plupart des acteurs humanitaires nationaux et internationaux se retirent de la vallée. Le financement de la case et du personnel de garde est interrompu, mis à part quelques financements sporadiques du gouvernement sénégalais, du HCR et de l’OFADEC pour l’achat de médicaments. Doudou réorganise le service en fonction de la nouvelle situation. Les médicaments ne sont plus distribués gratuitement mais revendus aux populations pour garantir le services et payer les salaires du personnel. Ces coûts ne sont pas les seuls que les « réfugiés » doivent supporter, suite à l’arrêt de l’assistance humanitaire. En effet, l’école aménagée dans le camp n’est plus opérationnelle. Les enfants se rendent à l’école publique primaire et secondaire du village de Dagana. L’inscription, les fournitures scolaires et tout autre frais sont à la charge de leurs familles. Il existe peu de bourses pour la poursuite de l’école dont les frais d’inscription s’élèvent à 150 000 FCFA. Confrontés à cette situation, les gens quittent la rive gauche du fleuve. Depuis 95, la population des deux camps est passée de quelque 3 000 à environ 640 personnes. Les femmes et les enfants sont majoritaires. Le dernier recensement organisé par Doudou en mars 2002, dénombre 181 hommes, 185 femmes, 138, 100 et 39 enfants respectivement pour les classes d’age de 0-5, 6-11 et 12-14 ans. Pour ces enfants souvent non enregistrés à la naissance, la question se pose de leur intégration à la vie du pays qui les accueille. Toutefois, dans le court terme, les « réfugiés » s’organisent en groupements féminins, en associations sportives et culturelles, etc. souvent en coopération avec les populations sénégalaises ; depuis trois ans, les « réfugiés » peuvent construire leurs maisons sur des aires loties (d’une surface de 15x20 m) ; les relations avec les populations locales sont de façon générale, très bonnes ; et les perspectives d’insertion dans l’agriculture, notamment pour les habitants de Dagana I en majorité wolof, sont concrètes, pourvu que l’accès à la terre continue d’être garanti. A Dagana II, en revanche, les perspectives d’avenir pour la majorité de la population (toucouleurs et anciens fonctionnaires) s’avèrent incertaines. La volonté de rentrer en Mauritanie reste intacte. Doudou, quant à lui, ne se voit pas retourner dans son pays à la veille de sa retraite. Bien que souhaitant conserver la nationalité mauritanienne, il se demande quelle serait sa place au-delà du fleuve, alors qu’ici sa présence est utile et nécessaire.

Interview réalisée par la mission

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La difficile question de l’identité partagée

Les interlocuteurs rencontrés signalent tous la position ambiguë de l’État mauritanien, lors des événements de 1989, qui ne reconnaît pas de prime abord le terme de réfugiés même s’il admettra par la suite leur situation au travers des discours en faveur du retour des populations déplacées au Sénégal ou au Mali. L’ancien gouvernement sénégalais, quant à lui, adopte une position également équivoque comme l’illustre la création, la même année, du Commissariat aux déplacés et aux rapatriés (dont l’intitulé écarte le terme de réfugiés). La nouvelle présidence semble laisser la question en suspens même si administrativement les instances institutionnelles continuent d’accueillir les « réfugiés ». Un des leaders du MRMDDH mentionne que des interdictions de manifestation ont été prononcées lors de la journée internationale des réfugiés (20 juin) en 2002 et 2003 dans les sites de « Madina Mouna » et Nabatji, respectivement, ce qui laisse supposer que le sujet est encore sensible. L’usage du terme de rapatriés semble donc avoir été longtemps abusé si l’on considère les résultats d’une étude menée en 1990 dans les camps, où 90 % des « réfugiés » se déclarent nés en Mauritanie. Ces abus de langage sont le fait notamment des autorités mauritaniennes (la nationalité serait acquise après 20 ans passés sur le territoire) qui parleront de rapatriement des populations sénégalaises ; des « réfugiés » eux-mêmes qui par crainte de refoulement se diront sénégalais lors de leur enregistrement dans les camps. Dans la vallée, les brassages de population sont historiques et les habitants possèdent souvent des ancêtres issus des deux « pays ». Cette question identitaire reste en suspens pour les déplacés toujours présents sur la rive gauche du fleuve pour lesquels il est difficile de véritablement connaître la situation administrative. La procédure d’immatriculation non achevée vient compliquer cette situation. Les entretiens permettent de dégager les cas suivants : 1. Carte de ration ou récépissé de dépôt distribué à l’arrivée des déplacés forcés, à renouveler tous les

trois mois. Pour la majorité des migrants involontaires de la vallée, ces documents sont les seuls jamais délivrés ; ils sont de surcroît périmés depuis plusieurs années. S’ils sont officieusement acceptés au niveau local, ils ne garantissent à leurs détenteurs ni la liberté de circulation sur l’ensemble du territoire sénégalais, ni l’accès à des droits civiques.

2. Carte internationale de réfugié délivrant le statut officiel. L’attestation est délivrée au cas par cas

(notamment depuis l’arrêt du recensement de la population des camps opéré en 2000). La demande est formulée auprès d’une commission nationale d’éligibilité dirigée par le président de la Cour suprême. Le HCR y assiste. La demande est ensuite adressée au Président de la république qui formule ou non son acceptation. Du fait de cette procédure, l’obtention de la carte est particulièrement difficile pour les gens de la vallée, malgré le plaidoyer et l’assistance fournis par les associations des droits de l’homme, basées à Dakar. Ces populations ne peuvent pas se déplacer facilement vers la capitale, ils ont des difficultés à remplir les formulaires et à suivre régulièrement le traitement de leurs dossiers. Seulement une minorité d’entre elles (anciens fonctionnaires, résidant dans les principales villes du Sénégal, etc.) en bénéficient. Ce document est le seul qui permette d’entamer une procédure de réintégration dans un pays tiers.

3. Titre de voyage permettant de se déplacer à l’extérieur du Sénégal, délivré par le ministère de

l’intérieur. Les mêmes contraintes que pour l’obtention de la carte de réfugié s’y appliquent pour les populations le long du fleuve. Une seule personne, ancien instituteur, montre une copie de ce document à la mission.

Ces diverses situations demandent une réponse adaptée. Elles questionnent en outre l’équité des droits garantis pour ces populations déplacées. Les éléments suivants contribuent à complexifier leur situation : - Un recensement auprès des migrants involontaires mauritaniens est initié en 1999-2000 à la demande

du gouvernement sénégalais (réalisé par le HCR). Il débute par les grandes villes et capitales régionales de Dakar, Saint-Louis, Thiès jusqu’à Dagana et s’interrompt officiellement la même année pour des raisons d’élections. Depuis, il n’a jamais repris. Le recensement permettait notamment

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la délivrance de la carte de réfugiés (renouvelable tous les dix ans) en remplacement de la carte temporaire. Il signifiait également une reconnaissance de la question des « réfugiés » mauritaniens. Ces populations ont été touchées par le dernier recensement général du Sénégal en 2001, dont les résultats ne sont pas encore officiels. Il serait intéressant de voir comment elles sont comptabilisées (au cas où elles le sont) dans la présentation des données relatives aux régions de Saint-Louis et Matam.

- Le gouvernement mauritanien change en 1996 le format des papiers d’identité. Même si au premier abord le lien ne semble pas évident, cette formalité administrative entraîne une démarche de renouvellement des papiers pour tous ceux encore en possession de leurs anciens papiers et qui ne seraient pas rentrés.

Si certains migrants involontaires effectuent actuellement des démarches pour demander la nationalité sénégalaise, il apparaît que la plupart attend de revenir en Mauritanie (les femmes interviewées semblent avoir une position plus mitigée à ce propos). Leur retour est suspendu à des conditions identiques à celles revendiquées en 1995 : réintégration professionnelle, récupération des terres ou compensations pour les pertes de bétail et de biens et retour à la citoyenneté. Les populations déplacées ne semblent pas faire confiance aux politiques de réintégration et au respect de leur demande. Ils citent de nombreux exemples de fonctionnaires n’ayant pu retrouver de travail ou des familles toujours sans terre à cultiver. Un certain nombre ont obtenu des visas pour les Etats-Unis, le Canada, l’Australie dans le cadre d’accords négociés (visiblement ces visas concernent essentiellement les anciens partisans du FLAM).

III. PERSPECTIVES

Dans la région du fleuve Mano et en Côte d’Ivoire, les interactions entre conflits et migrations involontaires sont un des facteurs de diffusion des violences et de déstabilisation régionale. Dans le cas Sénégal-Mauritanie, le conflit est à l’origine, dès 1989, de flux de migrations involontaires conséquents. Il est difficile de conclure à l’interaction inverse à savoir que la mobilité traditionnelle, d’ordre économique ou familial, expression d’une longue tradition de circulation transfrontalière ait joué un rôle déclencheur de la détérioration des relations entre les deux pays. Après le pic de violence de 1989, de nouveaux déplacements de populations sont observés aux tournants de la crise (notamment en 1991 et en 1995). A l’image de ce qui caractérise, bien qu’à une toute autre échelle, les pays du fleuve Mano, les pulsations politiques ou militaires déterminent donc le volume et l’orientation des flux forcés de population. Les relations sénégalo-mauritaniennes sont aujourd'hui apaisées et le nombre de migrants involontaires réduit du fait des rapatriements ou de la relocalisation dans des pays tiers. Les problématiques des « réfugiés » de la rive gauche du Sénégal ne sont donc plus inscrites dans l’agenda des crises en Afrique de l'Ouest, le conflit étant éteint et les relations entre les deux États normalisées. La mission du SCSAO souligne qu’un certain nombre de problèmes ne sont pas pour autant réglés. Elle évalue également les défis auxquels sont aujourd’hui confrontés ces populations, puis les impacts et tendances à long terme sur la zone. La persistance de problèmes potentiellement générateurs de conflits ne serait-elle pas susceptible de créer des « poches » d’instabilité, de provoquer de nouveaux flux de population et de déboucher sur de nouvelles tensions entre les deux pays ? Ces constats et questions appellent une démarche d’anticipation des tensions potentielles, prenant en compte les dimensions humaines, foncières, et frontalières; ils suggèrent également la nécessité de combiner trois niveaux d’intervention : local, national et régional. La dimension humaine s’articule principalement autour de motifs intégrateurs et identitaires :

- Les interviews réalisées par la mission montrent que les populations victimes des migrations

involontaires ne sont pas affectées de manière identique par les conflits et leurs conséquences. Les conditions et perspectives d’avenir des personnes déplacées varient en fonction des activités économiques, des facilités d’accès aux infrastructures, du genre, des générations, des possibilités de bénéficier ou non d’une aide/assistance, de fonds expatriés. Ainsi, les « réfugiés » qui se consacrent aux activités agricoles bénéficient davantage des programmes de développement et s’intègrent mieux

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auprès des autochtones. L’accès à certains services tels la santé ou l’éducation s’en trouve favorisé. Cet accès est également plus aisé lorsque les camps sont situés à proximité des routes. Enfin, les fonctionnaires davantage habitués aux démarches administratives et aux plaidoyers ont plus de facilités à discuter de leur situation, négocier leur statut sans avoir recours à une aide tierce. La mobilité ou non vers la capitale porteuse d’opportunités, et où se règle désormais les formalités est un facteur essentiel de l’amélioration de la situation de ces populations. Comparativement à d’autres contextes, les « réfugiés » mauritaniens sont organisés (associations, réseaux d’expatriés, initiatives locales de fourniture de services…) pour tenter de mobiliser et canaliser les aides. Néanmoins continue de se poser le problème d’une réponse adaptée à leurs différents vécus, d’une analyse plus poussée tenant compte des facteurs sociaux et économiques pour une meilleure intégration au sein des communautés d’accueil. Dans quelle mesure le recensement au Sénégal ou la récente Commission nationale chargée des réfugiés, rapatriés et personnes déplacées pourraient-ils fournir les éléments d’un diagnostic affiné et permettre de mieux préparer l’avenir ?

- Les populations déplacées mauritaniennes au Sénégal n’entrent plus dans les critères de « persécution » tels qu’ils sont définis par les instances juridiques internationales. Leur statut identitaire flou véhicule une forme de tension. Les rapatriés en Mauritanie, ne pouvant prouver leur nationalité, rencontrent quant à eux, des difficultés à récupérer leurs terres et leurs papiers. Une partie de cette population ne dispose ainsi ni de carte d’identité (sénégalaise ou mauritanienne) ni de carte de réfugié. Ils ne possèdent aucune identité propre, ne peuvent revendiquer leur citoyenneté, participer aux élections ou voyager, ne serait-ce qu’entre les deux pays, encore moins dans la région. Cette situation où se côtoient apatrides42, enfants nés au Sénégal de parents « réfugiés » déclarés ou non, est encore plus mal vécue par les jeunes générations. Quels sont et quels seront leurs droits civiques, politiques, sociaux et économiques ? En cas de regain de violences, similaire à celles de 89, que deviendraient ces jeunes générations assimilées aux TCNs (Third Country Nationals) fuyant les troubles en Côte d'Ivoire43 ? Confrontés à des conditions de vie souvent rudes, la plupart d’entre eux refusent d’abandonner la nationalité mauritanienne. Outre les motivations purement identitaires, y a-t-il d’autres raisons motivant un tel choix ?

Les enjeux fonciers se doivent d’être analysés en mettant en relation les perspectives démographiques et la gestion des ressources naturelles : - En partie à l’origine du conflit de 1989, les questions foncières amplifiées par le problème des

migrations involontaires sont encore aujourd'hui un enjeu majeur de la stabilité de la zone. Certains voient dans l’expulsion des Haalpulaar la traduction d’une « compétition foncière » accrue par la mise en valeur des terres, attisée par les interprétations faites de la réforme domaniale mauritanienne de juin 1983 ou encore les aménagements des deux rives. Les témoignages recueillis font également état de « tensions » foncières pas nécessairement importantes mais réelles, en particulier en amont de la vallée où les déplacés sont majoritairement éleveurs, sur le thème récurrent de tensions entre éleveurs et agriculteurs qu’est la gestion des zones de cultures et de pâturages. Le récent retrait de la loi sénégalaise d’orientation agro-sylvopastorale, des articles relatifs aux thématiques foncières, illustre la difficulté de proposer une approche globale du problème dans un contexte de compétition foncière accrue et de systèmes de gestion pluriels.

- Ces constats doivent être mis en perspective avec la croissance démographique forte qui voit la population de l’Afrique de l'Ouest et donc probablement de la zone, doubler tous les 20 à 25 ans. Si cette dynamique se traduit par une forte croissance des centres urbains, essentiellement concentrés dans les zones en amont du fleuve, elle s’accompagne également d’une augmentation sensible de la population rurale. L’augmentation de la pression sur les ressources naturelles (eau et terres) est donc une perspective qu’il conviendrait d’intégrer dans les politiques d’aménagement du territoire à long terme de la vallée qui par ailleurs, exerce un pouvoir d’attraction certain du fait de ses potentiels. Les « réfugiés » mauritaniens de la rive gauche du fleuve ne représentent en rien

42 Dans une motion rédigée par l’ARMS le 15 juin 1992, les « enfants des réfugiés mauritaniens au Sénégal » débutent

leurs revendications par « considérant la situation d’apatridie qui nous est imposée ». 43 Le conflit ivoirien a mis en avant une catégorie particulière de migrants involontaires, les TCNs. Ils comptent

notamment les Sahéliens nés en Côte d'Ivoire mais qui n’ont pas acquis la nationalité ivoirienne.

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Un des points de passage les plus actifs est celui de Rosso. D’après les témoignages recueillis, il semble que les activités économiques transfrontalières aient repris, à l’exception du commerce de bétail. Les activités de contrebande sont persistantes, favorisées par la faiblesse de la monnaie mauritanienne. Elles concernent majoritairement le sucre et les tissus. Les produits peuvent être acheminés jusqu’à Dakar et Touba. Des quantités importantes d’arachides (provenant du Sine Saloum) sont vendues sur les principaux marchés régionaux, notamment à Rosso. Les producteurs du bassin arachidier sénégalais approvisionnent ainsi Nouakchott. Les produits les plus couramment acheminés de la Mauritanie vers le Sénégal sont : les parfums, les biscuits, les tissus et l’huile. L’achat de sucre en Mauritanie est autorisé pour la consommation personnelle. Il est en effet moins cher du côté mauritanien où il n’est pas taxé (250 FCFA contre 500 FCFA au Sénégal), tout comme l’essence. Les pièces détachées proviennent du Japon, de la Corée et de l’Inde et passent par le Sénégal ; les tissus commandés à Lagos empruntent le canal transfrontalier de Rosso. Les commerçants indiquent que de 10 à 100 camions passent par jour. Désormais pour traverser, il est nécessaire d’acheter une « autorisation commune » d’un montant de 500 FCFA, valable un mois. Les droits de douanes sont identiques de part et d’autre de la frontière. La présentation des papiers d’identité (carte d’identité, passeport et carnet de vaccinations) est obligatoire ainsi que la possession de 35 000 FCFA. Ces mesures sont établies pour éviter le passage de « vagabonds ».

une menace sécuritaire dans l’immédiat. Mais que se passerait-il si les ressources hydriques ou poissonnières du fleuve, les terres du bassin devenaient pour la rive gauche un enjeu économique prioritaire ?

La dimension frontalière tire son essence de la conjugaison des variables foncières et humaines : - La compétition foncière latente peut contribuer à attiser des antagonismes plus ou moins éteints

autour de la définition de la ligne frontalière, dont le tracé précis peut être contesté par les deux parties au regard de jurisprudences contradictoires. En outre, l’accord sur l’échange des terres des transfrontaliers signé par les deux pays en février 89 n’a jamais connu d’application.

- Les populations locales vivent la frontière d’abord comme « une limite politique. Sa justification par des critères ethniques, historiques, économiques (…) reste secondaire dans la réalité. Les frontières ne séparent jamais les peuples ; au contraire, il existe partout et depuis toujours des populations dites « frontalières » qui vivent sur, et parfois par, cette limite » 44.

Encadré 5 : Flux transfrontaliers au poste de douane de Rosso

Dans la vallée, la vie transfrontalière s’est transformée suite au conflit. La transmigrance45 favorisée par les liens ethniques, religieux, familiaux, les mouvements de transhumance et le caractère géographique particulier du fleuve (faible profondeur, cultures de décrue), se poursuit et se développe (voir encadré ci-contre). Elle exclut cependant les populations déplacées. La transmigrance, ici ne peut être accusée d’être porteuse d’instabilité (comme aux frontières ivoiro-libériennes), notamment parce qu’elle ne correspond à aucune réponse d’ordre sécuritaire. Paradoxalement, c’est d’ailleurs sa non-persistance (ou non-existence), pour des populations pour lesquelles elle faisait partie intégrante du mode de vie, qui risquerait de devenir facteur de tensions. Toutefois, les échanges que la Mauritanie entretient avec l’Afrique de l’Ouest, notamment par sa frontière commune avec le Sénégal, égalent ou même surpassent ceux d’avant 89, comme le démontrent la frénésie commerciale du marché de Rosso, les nombreux faits de contrebande répertoriés qu’encouragent une traversée facile quoique surveillée et une différence de change notable. Les multiples contrôles aux frontières impliquent la détention de papiers en règle, les paiements de frais administratifs, ce qui restreint la circulation, néanmoins autorisée dans le cadre des dispositions du CILSS. Dans quelle mesure ces procédures influencent-elles le ratio formel/informel du commerce transfrontalier ? Quel est l’impact sur l’assise et l’affirmation de l’autorité de l’État au niveau de ses frontières ?

44 Santoir C., (1990), « Les Peul "refusés", les Peul mauritaniens réfugiés au Sénégal », op.cit. 45 La notion de « transmigrance » caractérise les déplacements, involontaires ou non, de part et d’autre des frontières.

Les transmigrants effectuent des mouvements pendulaires, de faible ou moyenne durée. Ils ne s’éloignent pas de la frontière et maintiennent des contacts réguliers, directs et indirects, avec leurs lieux d’origine. Pour les transmigrants, le passage de la frontière ne signifie pas nécessairement la rupture avec les réseaux familiaux, religieux, économiques, sociaux, à moyen et long terme. Ils peuvent par exemple habiter dans un pays et travailler dans l’État voisin. Gnisci D., Trémolières M., Hussein K., (2003), op.cit.

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La nécessité de combiner trois niveaux d’intervention : local, national et régional. Il apparaît que les tensions latentes perceptibles dans leurs dimensions humaine, foncière et frontalière ne peuvent être analysées et trouver de solution durable, sans une mise en synergie d’efforts consentis aux trois niveaux.

Les acteurs du niveau local ont un rôle dans le règlement des différends fonciers, de mise à disposition des infrastructures et services, ou de l’attribution des parcelles ou équipements. Ces fonctions de médiation, de pourvoyeur, de gestion en faveur d’une intégration locale des populations « réfugiées » ont été jouées et continuent de l’être par les autorités autochtones et allochtones, traditionnelles et décentralisées. Tout en étant maintenue, cette action se doit d’être élargie aux capacités nationales voire régionales. Les acteurs locaux (maires, élus, chefs de site, société civile...) parce qu’ils sont les principaux concernés devraient ainsi relayer ces préoccupations. En effet, lorsque le niveau local est dépassé (comme ce fut le cas en 1989), le ou les États doivent prendre en charge de régler les différends.

Au niveau national, le dialogue et l’arbitrage politique pourraient élargir les perspectives locales dès lors que les relations bilatérales ont repris. La question de la situation de ces populations ne peut indéfiniment être partagée par les seuls acteurs locaux alors qu’elle s’inscrit dans la problématique plus large des enjeux identitaires, fonciers, frontaliers et économiques. Il semble également urgent d’aborder par les procédures légales (Cour Internationale de Justice) le problème d’un accord définitif sur la délimitation des territoires nationaux. Une décision récente du tribunal de La Haye vient de statuer afin d’entériner les divergences frontalières entre le Mali et le Burkina dans une zone de conflits passés. Dans ce sens, une reprise du dialogue entre les deux pays sur la mise en œuvre de l’accord sur les échanges de terres (1989) et les compensations permettrait de nourrir une réflexion commune sur les enjeux et risques à venir. Si le dialogue bilatéral ne suffisait pas à faire avancer ces dossiers, qu’en est-il du rôle des instances régionales ouest-africaines alors que la Mauritanie évolue en aparté46 ?

L’implication des instances régionales pourrait se décliner suivant les thématiques de gestion des ressources naturelles, du traitement des migrations involontaires et de la mise en valeur des espaces transfrontaliers. Les cadres de concertation tels l’OMVS et le CILSS fournissent une opportunité de discuter des enjeux de la mise en valeur des ressources partagées et du foncier indéniablement liés à la question des migrations involontaires. Actuellement le CILSS débat avec ses États membres et la CEDEAO du bien-fondé d’une charte foncière régionale qui suggérerait des principes de sécurisation foncière47. Ces discussions pourraient être l’occasion de proposer des solutions pour les populations de la vallée y compris « réfugiées ». L’intervention de la CEDEAO s’inscrirait au travers de : - Sa capacité à aborder régionalement les crises et leurs conséquences, telles que la migration

involontaire. En particulier, elle pourrait se positionner comme interlocuteur fédérateur des agences humanitaires qui, pour la plupart, fonctionnent sur base nationale ou par blocs régionaux (dont la pertinence ouvre parfois à interrogation), ce qui limite le dialogue politique bilatéral et une réponse plus appropriée sur des terrains transfrontaliers48.

46 La Mauritanie s'est retirée de la CEDEAO en décembre 2000. Elle avait signifié son retrait, suite à la proposition d'une

monnaie commune par la CEDEAO, en déclarant que cette mesure portait atteinte à sa souveraineté nationale. Toutefois, les relations commerciales entre l’espace CEDEAO et la Mauritanie ne semblent pas affectées par son retrait de la Communauté, comme le montre la vie des marchés le long de la frontière. Pour ce qui est du traitement des accords ACP-UE et de la négociation des Accords de Partenariat Économique (APE), la Mauritanie est incluse dans la seconde phase des négociations au même titre que la CEDEAO (soient 13 PMA sur 16 pays). De par l’appartenance de la Mauritanie au CILSS et à l’OMVS, la libre circulation des personnes sur son territoire est toujours possible. Les citoyens de la Communauté en effet peuvent circuler sur son territoire librement sans nécessité de visas pour une période de 90 jours. Ils ont aussi le droit de s'établir dans l'un ou l'autre des pays membres.

47 http://www.cilssnet.org/conclusions_Praia9.htm. 48 A titre d’exemple, la Mauritanie relève du HCR s’occupant de la zone du Moyen-Orient tandis que le Sénégal dépend

de l’antenne de Dakar.

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- La valorisation du potentiel d’intégration à la fois humain et économique de cet espace (que la Mauritanie n’appartienne plus à la CEDEAO n’empêche pas qu’elle participe au rayonnement de la région) en encourageant la coopération transfrontalière.

La coopération transfrontalière canalise des dynamiques d’intégration entre espaces soumis à des juridictions différentes, mêlant les échelles tant régionale et nationale, locale que globale. Elle constitue une porte d’entrée privilégiée et constructive à la mise en valeur de la vallée, aux discussions dans un objectif de réduction des tensions et de meilleure intégration de ses populations.

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Journaux Le Flambeau, n° 24 août-septembre-octobre 2003.

Le Soleil : mardi 1er août 1989 ; samedi 19 et dimanche 20 août 1989 ; jeudi 26 juillet 1990 ; vendredi 26 octobre 1990 ; lundi 4 mai 1992.

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