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1 Une tranche de vie : Hedi Juin 2005

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Une tranche de vie : Hedi

Juin 2005

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HISTOIRE DE VIE Je m’appelle Hedi.

La porte de la Médina, l’ouverture à l’autre monde

Je suis né en 1956 à Tataouine, au sud de la Tunisie. C’est une agglomération qui couvre aujourd’hui le tiers de la surface du pays Je suis le deuxième d’une famille de 4 enfants. J’ai 1 sœur et 2 frères. Je suis allé à l’école jusqu'à 12 ans, puis j’ai fait plein de travaux divers, dans l’hôtellerie, le bâtiment, etc. A l’âge de 16 ans, j’ai eu une proposition pour partir travailler en Allemagne, chez un chirurgien dentiste, mais mon père a refusé de me signer l’autorisation parentale. A 20 ans j’ai fait mon service militaire. C’est au cours de cette période que mon Père est décédé. A 25 ans, j’ai rencontré une Française qui passait ses vacances en Tunisie. Nous sommes devenus amis et elle est revenue 4 à 5 fois pendant 6 mois. Nous avons décidé de nous marier, alors j’ai fait les démarches pour le mariage, avec l’intention de la suivre en France. Je n’étais encore jamais parti à l’étranger, la France m’était inconnue. Nous nous sommes mariés en Tunisie, avec toute ma famille. C’était un mariage traditionnel qui a duré 3 jours. J’ai du attendre presque 6 mois avant d’avoir mes papiers et partir la retrouver en France. Je n’avais pas l’intention de venir en France, je n’y avais jamais songé avant, c’était mon destin ! Ma femme avait un logement dans une commune proche de Rennes. Je l’ai rejointe, décembre 1980. Notre vie commune a duré 3 mois et 14 jours. J’ai découvert les problèmes de racisme et d’incompréhension. En Tunisie, je ne manquais de rien, j’étais heureux.

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Les parents de ma femme m’ont accueilli en me parlant de la guerre d’Algérie. Ils étaient toujours sur notre dos. J’étais en véritable état de choc, j’avais quitté mon pays, ma famille, je découvrais une nouvelle famille, un nouveau regard porté sur moi, j’étais regardé comme un étranger, cela m’était inconnu auparavant. Il me fallait du temps pour m’habituer. Je n’ai pas eu l’attitude qui convenait sans doute, j’étais jeune et face au problème, je m’enfermais ou je faisais la fête, je buvais plus que de raison. J’ai décroché, me sentent perdu, et ma femme ne m’a laissé aucune chance, n’a pas cherché à me comprendre, ne m’a pas protégé. J’étais seul face à tout ces changements et ces situations nouvelles et parfois dures. Je n’ai pas compris ce qui s’est passé pendant cette période, mais très vite nous avons divorcé. Un lundi matin, alors que nous étions toujours ensemble, je suis parti au travail. Les relations avec mon patron étaient bonnes. C’est un poste que j’avais depuis mon arrivée en France, et je l’avais trouvé deux semaines après mon arrivée. (Orangina à Bruz). Quand je suis rentré chez moi le soir, l’appartement était vide. Plus de meubles, même mes affaires personnelles avaient disparu. Mes livres, les quelques souvenirs de mon Pays. J’ai ressenti un profond sentiment de trahison. Ce jour là, j’ai appris à ne faire confiance à personne. Ce fût mon deuxième choc. Après le déracinement, la vie dans un nouveau pays, une nouvelle culture, je me retrouvais seul sans rien ni personne autour pour me raccrocher. Je me suis laissé allé quelques temps. J’arrivais en retard au travail. Au début, j’évoquais des problèmes de transport, de santé. Un jour le patron a contrôlé mon excuse auprès d’un cabinet médical, qui ne m’avait jamais vu ! Il m’a convoqué et j’ai reconnu que lui avais menti. J’ai considéré qu’il ne pouvait plus me faire confiance, alors j’ai démissionné. J’ai aussitôt retrouvé du travail dans une entreprise de pose de cheminée à Rennes (ATRIER). Le travail était agréable et je m’entendais bien avec mes collègues. J’y suis resté 7 mois. Puis je suis rentré dans une entreprise de construction de bâtiments industriels. J’ai passé mon permis de conduire en France 3 ans après, j’ai rencontré une nouvelle Française. Nous nous sommes mariés et nous avons enfants.

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RACISME

Les Français en vacances sont toujours souriants, gentils. On les accueille et on donne à manger aux étrangers sans arrière pensée. C’est une tradition, une coutume en Tunisie. Mais en France, les Français sont différents. Si j’avais su comment ils sont réellement, je ne serais sans doute pas parti avec une Française. Pourquoi aller vivre chez des gens qui ne t’aiment pas ? Pourquoi aller vivre dans un pays pour être humilier ? La vie avec ma première femme m’a fait découvrir le racisme Heureusement, je ne suis pas sensible au regard des gens, je suis peu susceptible. C’est ensuite au travers de mes enfants que j’ai senti le racisme à nouveau. On ne le trouve pas que chez les gens peu cultivés, mais aussi chez des gens importants, qui travaillent dans les administrations avec des responsabilités. Ainsi, on a refusé d’adapter les menus de l’école à ma fille qui ne mange pas de porc. Les jours où du porc est servi à la cantine, aucun autre menu ne lui est proposé. Elle se contente des légumes uniquement, dans le meilleur des cas. J’ai demandé, non sans difficulté car on refusait de me répondre, et on m’a enfin répondu la chose suivante : « C’est comme ça en Bretagne, on mange du porc tous les jours, si vous n’êtes pas content, allez voir ailleurs ! » J’ai engagé une procédure devant les tribunaux. Mais c’est très long, et cela coûte cher. Comme je n’avait pas la nationalité française, on m’a conseillé de commencer par là et que beaucoup de problèmes disparaîtraient d’eux même. Je l’ai fais, aujourd’hui je suis Français et cela n’a rien changé ! Ce qui me fait mal, c’est que mes enfants qui sont Français, nés en France, de mère d’origine française, souffrent de discrimination. Le Pen lui-même dit « la France aux Français ». Mais qui sont les Français ? Pourquoi demander à ma fille d’aller manger ailleurs ? Heureusement, dans cette histoire, les enseignants nous ont soutenu.

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Mon épouse entend souvent des propos racistes dans son travail. Les gens ne savent pas qu’elle est mariée à un étranger d’origine. En fait, ils ne savent pas qui nous sommes Est-ce que la France va gagner l’amour de mes enfants ? J’aime la France, mais pas la mentalité des gens. En Tunisie, on n’a pas le chômage et les allocations, mais on a la solidarité. La France n’a pas su aimer ses étrangers. Nous devons tout faire nous même. Heureusement que je connaissais le français en arrivant. Je l’ai apprit à l’école, parler, lire et écrire. Après la mort de mon père, quand je suis rentré au pays, j’ai appris que pendant le conflit de l’indépendance avec les Français, mon père a été torturé. Il faisait partie de la résistance et avait caché, avec d’autres, des armes dans son jardin. Craignant que l’un d’entre eux ne se fasse prendre et parle, il a tout seul déplacé les armes et les a enterré plus loin. Les Français ont fouillé le jardin, trouvé la terre fraîchement retournée, mais n’ont pas trouvé les armes. Ils l’ont emmené et l’on torturé pendant 3 mois. Il avait les pieds dans l’eau et recevait des coups de fouets. Mon Père ne m’a jamais raconté cela. Ce sont les voisins et amis qui me l’ont dit. Je me rappelle qu’il souffrait toujours des jambes, surtout l’hiver. Mais il ne faut pas juger tous les français de la même manière : ce n’est pas parce que Philippe m’a fait du mal que je dois en vouloir à tous les Philippe.

LA CULTURE D’ORIGINE Les 7 premières années, je ne suis pas rentré au pays. J’étais chez moi en France. C’était devenu mon pays. Je n’ai pas eu de contact pendant 4 ans, et ma mère était très inquiète. Mais avant c’était trop tôt pour revenir. J’ai quitté mon pays avec un statut, une place dans la société, et des espoirs de réussite. Je devais me battre, prouver que je pouvais et qu’il fallait réussir. Je souffrais. Il m’était impossible de rentrer au pays, je ne savais pas quoi dire sur ce que j’avais fait, ni sur ceux qui m’avaient accueilli. Je devais comprendre, connaître les gens, me connaître pour pouvoir juger la situation. J’ai eu raison. J’ai ainsi pu rentrer après toutes ces années et une place m’attendait. Je pouvais raconter ce que je faisais, la vie que je menais. J’existais à nouveau, autant en France qu’en Tunisie.

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Maintenant, je rentre tous les ans. J’ai acheté une maison à Djerba et je vois ma famille très régulièrement. Je souhaite transmettre ma culture à mes enfants. Je leur donne des livres, des DVD, et nous voyageons. Je leur apprends des poèmes arabes, je leur chante des petites chansons. Je leur ai appris le début de l’hymne national. Je garde de bonnes et fortes relations avec ma famille là bas. Ils ont peu d’argent, mais beaucoup d’amour. Je parle j’écris et je lis l’arabe tunisien et le littéraire. Je réponds aux questions de mes enfants sur les religions, et plus sur l’islam que je connais mieux et qui est ma religion. Ma femme s’est convertie à l’islam. Dans le coran, les musulmans sont tolérants. On respecte les autres. Je veux que mes enfants connaissent toutes les religions. Cela ne pose aucune difficulté avec ma femme, d’origine française. J’ai donné un prénom arabe à chacun de mes enfants. Si j’avais été sur qu’un prénom français aurait diminué les discriminations, je l’aurais fait. Mais c’est surtout la couleur de la peau qui engendre la discrimination. Alors je préfère leur transmettre ma culture d’origine. Ma fille s’appelle CHAÏMA, c’est la sœur du Prophète. C’est un ancien prénom qui revient à la mode. Mon fils s’appelle OUSSAMA. Ce sont tous les deux des prénoms courants en Tunisie. Nous vivons en France, nous sommes Français et nous ne retournerons jamais vivre au pays. Mais on reste du pays d’origine pour toujours. Il faut transmettre le savoir à tous les enfants pour qu’ils comprennent et se connaissent en découvrant la culture des autres. Aujourd’hui, je suis membre de l’ACTR, l’Association Culturelle des Tunisiens de Rennes depuis un peu plus de 15 ans. Je souhaite montrer à mes enfants la culture de mon pays d’origine. La différence est une richesse. Il s’agit pour moi de : ? Ne pas perdre ses repères pour apprendre les repères aux autres. ? Ne pas laisser sa culture pour mieux accepter celle des autres. ? Apprendre à connaître d’autres cultures comme celles des pays d’Asie.

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LA VIE EN FRANCE

Ce qui m’a choqué en Bretagne, c’est de trouver du porc dans tous les plats ! S’intéresser à la cuisine des autres c’est faire preuve d’intelligence. A force de vivre en France, on fini par perdre la connaissance de nos plats naturels. Ce qui m’a également choqué en France c’est l’individualisme des gens. Ici, on peut mourir sans que personne ne le sache. Il y a une forme de solidarité matérialiste, pas seulement à l’égard des étrangers, mais aussi à l’égard d’eux-mêmes. Parfois je me sens gêné, complexé, quand on me regarde « de travers ». Nous nous sentons agressés. La France n’a su préparer les vagues d’immigration qu’elle a vécu. Le communautarisme est un concept créé par la France. Je remercie les autorités Tunisiennes de ne pas avoir attisé la haine envers les Français. Le passé n’est pas oublié, pais on n’en parle plus, on a passé l’éponge. Il n’y pas ou peu d’esprit « anciens combattants ». La Tunisie ne veut pas vivre avec le passé, malgré que la France n’ait pas su choisir une bonne politique envers nous. Maintenant, je suis un immigré quand je rentre au pays. Je suis perçu comme un touriste qui vient passer un mois. Là bas, on nous appelle les « Chez nous ». Quand on parle avec nos compatriotes, souvent nous disons « chez nous, en France… » Alors le surnom nous est resté ! Ai-je fait le bon choix ? J’ai passé la moitié de ma vie en France. Je suis coupé en deux. Je me sens plus à l’aise ici que là bas ! Je ne regrette rien.