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Une sémiotique du son ? Remarques sur la constitution d’un plan d’immanence

Jacques FONTANILLE

CeReS, Université de Limoge sInstitut Universitaire de France

publié en ligne le 30 mars 2010

Sémiotique spécifique ou syncrétique ?La substance ou la forme ?Formants, figures et support formelLe support formel : la bulle sonoreLes formants et les figures : la chair sonorePour ne pas finir…Références bibliographiques

 Articles d u même auteur : Jacques FONTANILLEMots-clés : expression, figure, formant, manifestation, plan d’immanence, son, support formel

 Auteurs cités : CHARLESBALLY, Jacques COSNIER, Algirda s Julie n GREIMAS, jean-Ma rieFLOCH, Jacques FONTANILLE, Erwin PANOFSKY, Luigi RUSSOLO, Ferdinand deSAUSSURE, Pierre SCHAEFFER, Jocelyne VAYSSE

 Plan

Index

Sémiotique spécifique ou syncrétique ?

Ouvrir un nouveau champ de recherches sémiotiques consiste, comme le signale Jean-François Bordron ici-même, à identifier un nouveau niveau de pertinence et à le constituer enplan d’immanence pour l’analyse. La définition de ce plan d’immanence, pour être« pertinente », justement, doit comprendre les conditions particulières qui autorisent lamanifestation de la signification ; nous sommes donc à la recherche d’une forme d’expressiondont les propriétés fonctionneront comme de telles co nditions.

S’agissant du « son », nous avons affaire à une substance d’expression parmi biend’autres, et la question se pose alors, pour caractériser cet hypothétique nouveau pland’immanence, de trouver une forme d’expression qui lui soit indiscutablement spécifique ; laquestion est d’autant plus délicate qu’en tant que substance d’expression, elle n’est isolable

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que sous des conditions techniques particulières (l’enregistrement sélectif d’une scènequelconque sous la forme de la seule piste sonore), voire sous des conditions de genreencore plus restrictives, dans le cas de la musique enregistrée.

En outre, rechercher le bon niveau de pertinence, c’est choisir le point de vue sous lequell’analyse de la sémiotique-objet en construction sera la plus productive, ou la plus propre àmettre en évidence des articulations signifiantes qui n’apparaîtraient pas sous un autre pointde vue. Concrètement, pour ce qui concerne le son, la première question qui se pose est desavoir s’il est plus « pertinent » (au sens précisé ci-dessus) de traiter le son à l’intérieur d’unesémiotique syncrétique, ou à l’intérieur d’une sémiotique spé cifique.

Mais dans l’autre cas, si l’on choisit l’option d’une approche spécifique et par extractiondirecte et exclusive de la substance d’expression, les difficultés commencent, car il ne suffitpas de décréter la spécificité des expressions sonores ni pour qu’elle soit sémiotiquementpertinente, ni pour que la forme d’expression qui en émane soit elle-même spécifique de lasubstance en question.

La sémiotique issue de la tradition hjelmslevienne et greimassienne a périodiquementaffronté cette question, en dissonance récurrente avec d’autres approches qui semblaient àcet égard moins exigeantes. Dans les années soixante-dix, notamment, la sémiotique del’image devenant peu à peu une sémiotique « visuelle », elle était soumise à un telquestionnement. D’un côté, la sémiologie dominée par la linguistique ne reconnaissait du

visuel que ce qui en était nommable (c’était en particulier la position de Roland Barthes) ; del’autre, la même sémiologie, sous l’influence de la théorie des fonctions de la communication,considérait les canaux sensoriels et la nature des supports matériels comme desdéterminations pertinentes pour la compréhension des « codes », notamment des « codesvisuels ». Une telle perspective conduisait inéluctablement d’une part à ne prendre enconsidération que la dimension figurative-iconique, sans pouvoir saisir ni la dimensionplastique ni la dimension figurale schématique, et d’autre part, à réduire la sémiologie visuelleà une version modernisée de l’iconologie d’Erwin Panofsky, augmentée de possiblesinterprétations symboliques et idéologiques grâce à l’accueillante méthode des connotationsde Roland Barthes et quelques autres.

Dans le premier cas, l’exigence de pertinence conduit à minimiser l’apport d’une approchespécifique et isolée du son, et à parier sur la plus grande richesse des articulationssignifiantes d’une approche non isolée et syncrétique ; et il s’en suit alors que la substancesonore participe d’une sémiotique des ensembles « multi-modaux », dont elle reçoit sa placedans une forme signifiante qui ne lui est pas spécifique. Comparaison n’est certes pas raison,mais pour apprécier la portée de cette décision, on peut noter par exemple qu’aucunesémiotique du texte théâtral n’est apparue suffisamment pertinente en tant que sémiotiquespécifique, et que s’est en revanche largement développée une sémiotique syncrétique duspectacle théâtral ou de l’opéra ; de même, l’approche spécifique et isolée de la mimo-gestualité, esquissée en France au début des années soixante-dix, n’a guère eu depostérité, alors que s’est très largement développée, et dans le monde entier, une sémiotique

syncrétique de la conversation. 1

1 : Ce qui a par ailleursprobablement contribué à faireavorter la tentative de Greimaset Fabbri, à la même époque ,de lancer un (...)

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La substance ou la fo rme ?

Toutes proportions gardées, et pour se garder des tentations substantialistes et desdérives purement figuratives, il serait sans doute utile d’accomplir pour la sémiotique du sonle même geste de rupture formelle que celui qui a permis de passer d’un sémiotique visuelleà une sémiotique planaire. Ce geste, rappelons-le, consistait : (1) en une mise entreparenthèses radicale des propriétés substantielles induites par le canal sensoriel ; (2) en une

C’est avec le souci de résister à ces tentations et à ces dérives que Greimas, au coursdes années soixante-dix, prit le parti, aux lieux et places de la sémiotique dite « visuelle »,de définir une « sémiotique planaire » 2, développée et illustrée par Jean-Marie Flochnotamment dans Petites Mythologies de l’œil et de l’esprit  3. La sémiotique « planaire » estexactement caractérisée comme l’ensemble des conditions qui autorisent la manifestation dela signification sur une surface bidimensionnelle. Ce parti n’est guère suivi aujourd’hui, pour des raisons sur lesquelles il n’est pas opportun de s’étendre ici, et dont la principale tientprobablement à son caractère particulièrement exigeant et « ascétique » ; mais il étaitpourtant, dans le contexte épistémologique des années soixante-dix et quatre-vingts,fortement signifiant : en ne reconnaissant aucune pertinence au canal sensoriel et à lasubstance de l’expression (lumineuse et visuelle), le parti de la « sémiotique planaire »s’affirmait en effet à la fois comme le pa rti de l’objectalité pure, sans référence à un sujet et unorgane percevant, et comme celui de la forme de l’expression, sans référence aux qualitéssubstantielles de la lumière et de ses variétés sensibles. Sans aucune considération pour l’organe de réception et pour le véhicule de transmission, la sémiotique planaire focalisait sur une propriété formelle de l’expression, l’inscription sur un plan , et se donnait comme objetd’analyse l’organisation et les propriétés de cette inscription. Cette position est sans douteaujourd’hui dépassée, et doit être enrichie, complexifiée et discutée, notamment grâce à laprise en considération du modus operandi  de la production des inscriptions ; mais si elle peutêtre dépassée, c’est bien justement parce qu’elle a rendu possible la constitution d’une

sémiotique visuelle (et/ou du visible) en un plan d’immanence propre et bien identifié, et quine soit pas banalement et spécieusement défini par un canal sensoriel et un mode decommunication.

2 :

3 :

Algirdas Julien Greimas &Joseph Courtés, Sémiotique.Dictionnaire raisonné de lathéorie du langa ge, Hachette,1979, pp. 281-282 .

Jean-M arie Floch, Petitesmythologies de l’œil et del’esprit. Pour une sémiotiqueplastique, Hadès-Benjamins,1985.

 Aujourd’hui, la sémiotique s’intéresse intensément à la dimension phénoménale de sesobjets, et surtout à l’expérience qu’ils procurent ou dont ils émanent. Mais même dans uneperspective phénoménale, la question reste la même : sous quelles conditions cesexpériences et ces phénomènes donnent-ils lieu à des formes qui soient spécifiques d’unplan d’immanence particulier ? On peut légitimement, comme choisit de le faire ici-mêmeHerman Parret, explorer sous tous ses aspects la substance sonore et ses variétés ; on peutaussi, comme l’a déjà fait Schaeffer  4 , et tel que l’évoque ici-même Jean-François

Bordron, décliner les différents types de l’écoute, et en conséquence explorer les différentstypes d’expériences sonores. Mais cela ne résout pas pour autant la question sémiotique par excellence, qui est celle de la constitution d’une sémiotique-objet appuyée sur un pland’immanence bie n identifié.

4 : Pierre Schae ffer, Traité desobjets musicaux, Paris, Seuil,1966, 1977.

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identification du mode d’existence des formants de l’expression (des traces, des inscriptions) ;et (3) en une désignation du support formel de ces formants (le plan), lui-même  pré-formé d’un point de vue syntagmatique par une organisation « topologique ».

La conjonction d’un mode d’existence des formants et des figures, d’une part, et d’un typede support formel, d’autre part, est caractéristique d’une des approches possibles d’un pland’immanence au niveau des textes-é noncés : c’est ainsi, par exemple, que l’on peutcaractériser l’écriture, l’architecture ou le langage des signes comme des sémiotiques-objetsspécifiques, tout comme c’était aussi le cas pour l’image, convertie en « sémiotiqueplanaire », ou encore pour le discours oral chez Saussure, traité comme une ligne et un

parcours irréversible sur cette ligne. La conjonction de ces deux déterminants élémentaires, lemode d’existence sémiotique des formants et figures et les propriétés du support formel,permet en effet de projeter une à la fois une dimension paradigmatique (pour la typologie desformants et figures), et une dimension syntagmatique (pour le déploiement des formats etfigures sur ou dans le support formel).

Formants, figures et support f ormel

La difficulté qu’il y a à fonder une « sémiotique du son » n’est toujours pas résolue, maiselle est en partie et provisoirement circonscrite à trois questions élémentaires : (1) quel est lemode d’existence sémiotique des formants et figures sonores ? (2) quelles sont les propriétésdu support formel de l’univers sonore ? et (3) quelles sont les propriétés syntagmatiques quipermettent d’associer les premiers au second ?

 Au cours de recherches antérieures consa crées à la sémio tique du corps et dusensible 5, il nous est apparu possible de caractériser de manière formelle quelques unsdes « champs de présence » susceptibles d’accueillir la forme sémiotique des différentesexpériences perceptives. Ces caractérisations sont de nature syntagmatique, et portentprécisément sur l’articulation entre les modes d’existences des formants et figures, d’une part,et le support formel qui les accueille, d’autre part : il en est ainsi notamment du champ transitif et réflexif  qui procure une forme sémiotique à l’expérience du contact tactile, ou du champréciproque et à enveloppes plurielles qui accueille l’expérience olfactive. Nous proposions alorsde caractériser le champ de présence formel correspondant à l’expérience sonore comme un« champ réversible et simultané », ou « sphère sonore ». La « sphère », en l’occurrence, n’étaitqu’une métaphore pour synthétiser les propriétés syntagmatiques de la réversibilité et de la

simultanéité.

5 : Jacques Fontanille, Sémaet soma. Les figuressémiotiques du corps, Paris,Maisonneu ve et Larose, 2005.

 Aujourd’hui, cette hypothèse mérite au moins d’être discutée e t révisée dans la p erspectiveouverte ici-même, celle de l’éventuelle constitution de l’univers sonore en tant que pland’immanence et sémiotique-objet à part entière. On peut pour commencer renoncer àl’image de la « sphère », en raison de ses propriétés trop explicitement spatiales etgéométriques ; le support formel de la sémiotique du son doit pouvoir comprendre en effetdes propriétés temporelles très particulières, et notamment la fameuse « ligne » dudéroulement syntagmatique des suites sonores. L’expérience rapportée par Marcel Proust àpropos de la petite phrase de Vinteuil 6 est à cet égard particulièrement éclairante : une

6 : Marcel Proust, Un amour deSwan, A la reche rche du tempsperdu, Gallimard, La Pléiade,1954.

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Dès lors, si le support formel d’une expérience sonore peut être d’abord caractérisécomme un champ volumétrique, il doit recevoir un certain nombre de caractérisations quirendent difficile le maintien de l’image de la « sphère » :

Les limites du volume sont fluctuantes et en incessante déformation et déplacement :nous avons donc à rendre compte de l’élasticité de l’horizon sonore.

Le volume est animé par des masses en mouvement, des forces et des tensions entremasses, les moments critiques de ces mouvements et tensions donnant lieu à desévénements : masses, forces de déplacement et événements critiques constitueraientalors les modes d’existence possibles des formants et figures sonores.

Parmi ces événements et déplacements, certains ont lieu simultanément, d’autressuccessivement, suscitant ainsi plusieurs types d’agencements syntagmatiques ; onrapporte ces agencements, en général et par commodité, à une substancetemporelle : on considère alors qu’ils manifestent une composante temporelleobjectale, un mode de déploiement de l’objet sonore qui s’impose à l’interprète ; maison pourrait tout aussi bien considérer que le processus d’écoute et d’interprétation d’ununivers sonore a la forme d’une pénétration progressive des états du champ

volumétrique, au cours de laquelle se produisent des superpositions et comparaisons(tout comme chez Proust), aux termes desquelles l’interprète peut se donner, entreautres, la représentation d’une « ligne » temporelle accueillant la succession desévénements sonores.

Ces quelques remarques conduisent notamment à affiner la notion intuitive de « masses etforces en déplacement ». Au sein du « volume » sonore, il y a deux types de« déplacements » : des événements superposés et co-présents (procurant l’expérience de lasimultanéité), qui donnent au volume une profondeur sonore, et des déplacements nonsuperposés (procurant l’expérience de la succession), qui invitent à un parcours depénétration des états successifs du volume interne de la bulle sonore.

En bref, et avant de poursuivre, nous avons affaire à un volume habité par des masses

mouvantes, des tensions et des événements superposables et non superposables, et dotéd’une frontière élastique. L’image de la « bulle » sonore serait donc plus appropriée que cellede la « sphère », car les formes et mouvements de la frontière élastique d’une bulle sontdirectement déterminés par l’équilibre des forces et des matières mouvantes qu’elle sépareprovisoirement. En cela e lle synthétise les trois types de propriétés du champ formel que nousrecherchons : (1) les modes d’existence des formants et figures, (2) les propriétés du supportformel, (3) les agencements syntagmatiques que la conjonction des deux premiers autorise.

Le support formel : la bulle sonore

Faire l’hypothèse que le champ sonore est une bulle revient à considérer qu’il généralise

« ligne » mélodique se forme peu à peu, par superposition de plusieurs états et moments del’expérience sonore, et se dégage d’une « masse » mobile animée de tensions et de forcesen conflit.

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le principe de l’enveloppe sensorielle extéroceptive, mais qu’en même temps, il la dissociedu corps propre, en ce sens qu’il ne s’agit plus d’une enveloppe corporelle plus ou moinsdistante, en référence directe à l’enveloppe du corps propre, mais d’une limite indépendantede ce corps percevant, et dont la distance perçue est définie par un réglage entre la visée (àpartir du sujet sensible) et la saisie (à partir de la source sonore). Cette bulle a en outrequelques parentés avec l’enveloppe olfactive : elle est suscitée par un corps autre, et elleenglobe le corps propre ; elle est donc potentiellement dédoublée, et pose la question de lasuperposition des deux bulles originelles.

La relation entre les actants positionnels de la bulle sonore sera réciproque : le son a une

source (un corps autre), autour duquel se forme une première bulle sonore ; il a aussi unecible, la chair du corps percevant, placé au centre d’une deuxième bulle sonore. Mais lecorps percevant peut devenir, dans ce cas, la source d’une saisie, dont le corps sonore estla cible : le premier évalue la distance et la position du second. La réciprocité est donc icicomplétée par la réversibilité.

On peut rappeler comparativement que, dans le cas de l’odeur, la réciprocité se limite aupartage d’une même enveloppe olfactive, mais l’orientation imposée par le syntagme[émanation /diffusion /pénétration] n’est pas réversible : d’où, notamment, l’impossibilitéd’apprécier une profondeur olfactive. La réversibilité du champ sonore, en revanche, autorisela double prédication (la visée et la saisie), et en simultanéité, et rend possible l’expériencede la profondeur.

La simultanéité, en l’occurrence, est un effet formel de la co-présence « en masses » desformants et figures de l’univers sonore (cf. supra) : si l’ouïe peut, et doit parfois être sélective,c’est bien parce que le son s’offre d’abord globalement, en masse simultanée. Le son seprésente dès lors comme une totalité dynamique et instable plus ou moins homogène ; quandil semble se dérouler dans le temps, quand les événements de la bulle sonore semblent sesuccéder, l’auditeur est à l’œuvre – œuvre de pénétration des couches sonores – qui peutdéboucher sur la formation d’une séquence, voire d’une « ligne mélodique » ; mais ce n’estpas alors nécessairement une séquence d’analyse temporelle du son : l’interprète, tel lesculpteur, dégage progressivement une forme, à la limite une ligne, en éliminant de la matière(de la masse) ; il élabore en somme une perspective à l’intérieur de la bulle sonore, enaffectant à certaines couches le rôle de fond et d’arrière-plan de masse, et à d’autrescouches, le rôle de figure saillante et de forme émergente.

La simultanéité se comprend donc ici comme co-présence, co-existence sans mélanged’une pluralité d’événements divers ; les odeurs se mélangent, en forment de nouvelles, etacceptent une sorte de totalisation immédiate et instantanée ; en revanche, les sons nepeuvent que co-exister, et cette co-existence est obligatoirement ou bien conflictuelle ou bienharmonieuse, tendue ou détendue : le principe de l’alliance harmonique ou dysharmoniquedes sons tient dans cette propriété de la co-présence.

Les formants et les figures : la chair sonore

Le champ de présence formel sous-jacent à un hypothétique plan d’immanence spécifiqueau son serait donc une bulle dont le centre serait le corps sensible . Nous pouvons alors

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préciser cette hypothèse : l’expérience sonore affecte un corps sensible dont l’enveloppesensorielle n’est plus une frontière, et n’est donc plus pertinente, un corps sensible qui n’estqu’une chair déictique (un centre visé et saisi) soumise aux tensions et événements quiadviennent dans une bulle sonore qui s’est substituée à sa propre enveloppe.

Dans la perspective d’une sémiotique du corps sensible, on doit en effet constater que leson méconnaît les limites du corps propre. Il ne s’agit plus de savoir s’il franchit ou nonl’enveloppe corporelle, mais en quoi, comment et jusqu’où il modifie les tensions de la chair ;et, à la différence de la sensori-motricité, qui sollicite elle aussi la chair, mais une chair qui estmobile de son propre chef, dans le cas de la bulle sonore, la chair est mue, émue, animéeou blessée, de l’extérieur : elle est clairement, en termes d’actants positionnels, la cible duson.

Mais cette propriété doit être immédiatement discutée. En effet, si on imagine un contacttactile violent, qui, au-delà de l’enveloppe du corps propre, affecte la chair elle-même, et yprovoque une réaction (une contraction, une palpitation), on ne peut plus réserver au son lacapacité d’émouvoir la chair-cible. De même, pour un contact qui se prolonge, voire unsimple effleurement, qui provoquent l’un et l’autre une modification adaptative du tonusmusculaire. Mieux encore : où situer la source d’un tressaillement d’orgueil, d’un soubresautde peur, ou d’une contraction d’angoisse? La distinction entre la chair-source et la chair-cible,qui constituerait une des propriétés requises pour caractériser le mode d’existence desformants et figures sonores, et qui fonde par ailleurs une propriété du support formel, à savoir 

la différence entre un champ réfléchi et un champ transitif (centrifuge ou centripète), ne peutdonc pas être affectée exclusivement à l’expérience sonore : c’est une forme sémiotiquefortement sollicitée par le son, mais disponible pour d’autres modes sensoriels.

La bulle sonore comporte un horizon d’apparitions et de disparitions : en-deçà, laprésence (le son); au-delà, l’absence (le silence). Mais en son centre même, la chair sensible, elle connaît une autre limite : en deçà, la présence tolérable (le son) ; au-delà laprésence intolérable et invasive (la douleur). Par conséquent, la distinction entre présence etabsence y trouve une double pertinence, en même temps qu’un principe d’opposition discrètedédoublée (son/silence et son/douleur). En outre, dès lors que l’horizon est devenu unefrontière, la profondeur qui le sépare du centre est évaluable, à partir du centre même ; c’estalors une profondeur cognitive, en ce sens que, connaissant la source et appréciant

l’intensité du son qu’elle émet, le sujet de la perception est en mesure d’évaluer la distance àlaquelle se trouve cette source. Mais cet horizon, rappelons-le, est instable, déformable,élastique. Une part importante des manipulations techniques proposées par les dispositifs dereproduction sonore de type « grand public » sont de fait destinée à des modifications de labulle sonore, grâce à l’aide qu’elles procurent à l’auditeur pour étendre ou confiner cettedernière, en largeur ou en profondeur, voire en hauteur, pour la vider de tout obstacle ou pour l’encombrer d’effets de matières absorbantes, etc.

Par ailleurs, les tensions et les événements qui adviennent dans la bulle sonore sont toussoumis à une sorte de « grille de lecture » imposée par la chair sensible qui est en son

-

7 : Luigi Russolo, L’art desbruits. Pa ris, L’âge d’ho mme(Avant-gardes), [1916], 1975-

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L’interprétation sonore de ces interactions et événements charnels repose alors sur un

système de correspondances approximatives (par ajustement) entre, d’une part, lesinteractions entre les corps qui sont à la source du son, et, d’autre part, les modificationsconcordantes de la chair sensible qui fait l’expérience de ces formants à travers les figuressonores. Les formants sont corporels , et les figures sont sonores , et à chaque figure sonorecorrespondent deux paquets de formants, un pour l’interaction-source, et un autre pour lasaisie sensible par le corps-cible ; par exemple, le grincement implique d’un côté desformants de surface en contact et en déplacement l’une par rapport à l’autre, et de l’autre,des formants de contraction/dilatation dans les zones superficielles de la chair sensible ; ouencore, le ronflement, qui d’un côté implique une vibration interne amplifiée par une massed’air sous contention, e t de l’autre une vib ration interne de la chair sous l’effet d’un flux d ’air.

Et comme la bulle sonore elle-même est un effet des forces et mouvements corporelsqu’elle contient – un horizon critique de leurs équilibres – elle est elle-même susceptible, par 

exemple, d’éclater, sous l’effet d’un hurlement, de se déchirer sous l’effet d’un violentclaquement, ou de sons graves puissants : la déchirure de l’horizon et le franchissement dela limite ont alors pour corrélat la douleur de la chair cible, sous la contrainte descorrespondances semi-symboliques entre les deux types de formants ; dans ce cas qui adéjà été identifié comme une situation critique du champ formel, la chair-cible étant menacéedans son intégrité, l’iconisation du son trouve également sa limite, au-delà de laquelle il n’estplus reconnaissable comme figure.

Les éléments constitutifs de l’axe paradigmatique de l’univers sonore, et qui sont agencéssur l’axe syntagmatique, sont donc disposés en une sorte de répertoire à trois entrées etdeux types d’opérations :

Les trois types d’éléments : les formants-source (interactions corporelles), les formants-cible (événements charnels) et les figures sonores ;

Les deux types d’opérations : les formants-source et les formants-cibles sont mis encorrespondances semi-symboliques, et ces correspondances fondent l’iconisation desformants couplés, sous forme de figures sonores ; c’est ainsi que la reconnaissanced’une figure sonore peut réactiver la correspondance entre deux paquets de formants,et procurer ainsi l’expérience sensible d’un son.

Cette proposition n’est ni exclusivement sémiotique, ni spécifique au son, puisqu’ellerepose sur un principe plus général.

. ,

bruits 7, faisant l’inventaire des sons et bruits de l’ orchestre futuriste, retenait notamment leshurlements, mugissements, ronflements, sifflements, chuintements, halètements,gémissements, murmures, chuchotements, grincements, craquements et frottements.L’inventaire est bien entendu purement indicatif, mais il est surtout significatif de la manièredont sont constitués les formants et figures de l’univers sonore : tous et toutes impliquent desinteractions entre matières en mouvement, entre des corps sonores dont les chairs et lesenveloppes sont soumises à des forces, des contacts et des déplacements.

2001.

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Il faut noter qu’instinctivement nos o rganes vocaux exécutent mutatis mutandis lesmêmes mouvements symboliques que nos bras, nos mains, etc. Nous les ouvrons pour marquer la grandeur, nous les rapprochons pour signifier la pe titesse ; la longueur nousles fait projeter en avant, et ainsi de suite...

De l’autre côté, cette proposition repose sur le principe général de la corrélation entre lemodus operandi  de la production-persuasion sémiotique, d’une part, et celui de la réception-interprétation, d’autre part. La reconnaissance des figures d’une sémiotique-objet planaire,par exemple, qu’elles soient plastiques ou iconiques, peut être analysée par la mise encorrespondance de la gestualité picturale ou graphique avec les modifications de tensions etde postures de la chair même du spectateur ; la reconnaissance de la seule correspondanceproduit une figure plastique, alors que la reconnaissance d’un troisième terme (par exempleun autre horizon de référence, une tierce représentation, ou une expérience antérieure, etc.)produit une figure ico nique.

Il en est ainsi des formants et figures de la bulle sonore : deux modes opératifs corporelssont associés, voire iconisés, mais sous le principe plus spécifique de l’analyseur corporel(l’analyse par la chair même), propriété d’ajustement émotionnel qui est plus particulièrement

attachée aux variations du tonus musculaire, c’est-à-dire à la chair mouvante.Pour ne pas f inir…

Ce que nous recherchions au début de cette brève étude semble un peu mieux circonscrit ;les conditions de manifestation d’une signification associée à une substance sonore sontréunies

si le support formel qui l’accueille a les propriétés d’une « bulle » sémiotique, dont lecentre est une chair sensible,

si les formants et figures que contient cette bulle sont construits à partir des

D’un côté, on en trouve écho dans le principe psycho-linguistique de l’analyseur corporel .L’iconisation par la correspondance entre les « formants corporels » et les corpscommunicants concerne directement l’articulation et la réception du langage verbal. Pour Charles Bally 8, par exemple,

8 : Charles Bally, LinguistiqueGénérale et linguistiquefrançaise, Berne, Francke,1965, pp . 130-131.

Ch. Bally explique ainsi que nous puissions reconnaître à l’oreille l’ouïe saisissant le sensdes mouvements vocaux à travers les so ns qu’ils produisent les émotions et les intentionsqui sont ainsi traduites par l’intermédiaire du corps parlant. Dans le même sens, lesspécialistes de la communication orale ont proposé 9 le concept d’analyseur corporel , pour expliquer pourquoi la compréhension des messages oraux était facilitée par une sorte desub-vocalisation, voire par une simple modification synchrone des muscles vocaux del’auditeur ; l’analyse plus précise de ces variations du tonus musculaire de l’appareil vocal del’auditeur montre qu’elle saisit au moins les variations de l’intonation, porteuses notammentdes affects. Au moment de la réception, cette synchronisation motrice permet donc auminimum de partager un climat émotionnel.

9 : Jacques Cosnier etJocelyne Vaysse, “Sémiotiquedes gestes communicatifs”, inGeste, cognition etcommunication, Barrier Guy,dir., (...)

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correspondances entre des interactions entre corps matériels d’un côté, et desmodifications des motions intimes de la chair  de l’autre,

et si, enfin, l’agencement syntagmatique des formants et figures dans le support formelobéit à la proforme syntagmatique de ce dernier, et donc, notamment, aux principes detri-dimensionalité, de réciprocité, de réversibilité, et de plasticité de la frontière.

Il est bien évident que, pas plus que la sémiotique planaire ne procède de lacompréhension intuitive et immédiate du caractère visuel des images, cette forme sémiotiquene satisfait pas non plus une appréhension intuitive et immédiate de ce qu’on croit être « le

son » ; dans cette approche, en effet, les figures sonores ne sont que des produits ultimes dela manifestation, au moment où les correspondances peuvent reconnues par l’interprète, etpar conséquent, iconisées.

Charles B ALLY, Linguistique Générale et linguistique française , Berne, Francke, 1965.

Jacques COSNIER et Jocelyne V AYSS E, “Sémiotique des gestes communicatifs”, in Geste,cognition et communication, B ARRIER Guy, d ir., Nouveaux Actes Sémiotiques, n 52-53-54,Limoges, Pulim, 1997.

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Jacques FONTANILLE, Séma et soma. Les figures sémiotiques du corps , Paris, Maisonneuve etLarose, 2005.

 Algirdas Julien G REIMAS, Pratiques et langages gestuels , Langages, 3e année, n°10, 1968.

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Marcel PROUST, Un amour de Swan, A la recherche du temps perdu , Gallimard, La Pléiade,1954.

Luigi RUSSOLO , L’art des bruits . Paris, L’âge d’homme (Avant-gardes), [1916], 1975-2001.

Pierre SCHAEFFER, Traité des objets musicaux , Paris, Seuil, 1966, 1977.

1 Ce qui a par ailleurs probablement contribué à faire avorter la tentative de Greimas etFabbri, à la même époque, de lancer un programme de recherche sur la gestualité engénéral : les faibles résultats des sémiologies spécifiques de la mimo-gestualité et sa rapideintégration au domaine de la conversation ont probablement dissuadé les quelqueschercheurs qui auraient pu se laisser tenter par ce programme proposé dans la revueLangages [GREIMAS , 1968].

2 Algirdas Julien Greimas & Joseph Courtés, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du

Références bibliographiques

Notes

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langage, Hachette, 1979, pp. 281-282.

3 Jean-Marie Floch, Petites mythologies de l’œil et de l’esprit. Pour une sémiotique plastique ,Hadès-Benjamins, 1985.

4 Pierre SCHAEFFER, Traité des objets musicaux , Paris, Seuil, 1966, 1977.

5 Jacques FONTANILLE, Séma et soma. Les figures sémiotiques du corps , Paris, Maisonneuve etLarose, 2005.

6 Marcel PROUST, Un amour de Swan, A la recherche du temps perdu , Gallimard, La Pléiade,

1954.7 Luigi RUSSOLO, L’art des bruits . Paris, L’âge d’homme (Avant-gardes), [1916], 1975-2001.

8 Charles B ALLY , Linguistique Générale et linguistique française, Berne, Francke, 1965, pp.130-131.

9 Jacques COSNIER et Jocelyne V AYSS E, “Sémiotique des gestes communicatifs”, in Geste,cognition et communication, B ARRI ER Guy, dir., Nouveaux Actes Sémiotiques, n° 52-53-54,Limoges, Pulim, 1997, p. 19.

Jacques FONTANILLE. «Une sémiotique du son ? Remarques sur la constitution d’un plan

d’immanence», ACTES SÉMIOTIQUES [En ligne]. 2010, n° . Disponible sur :<http://epublications.unilim.fr/revues/as/2823> (consulté le 22/10/2013)

Pour citer ce document

Actes Sémiot iques : ISSN - e n cours

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