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Livro sobre Aspectualização e Semiótica.

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Le discoursaspectualisé

 Actes du colloque

«Linguistique et Sémiotique I»

tenu à  l'Université  de Limoges du 2 au 4 février 1989

sous la direction de Jacques FONTANILLE

Préface de

 Algirdas Julien GREIMAS et Jacques FONTANILLE

PULIM  /  BENJAMINS

Limoges  /  Amsterdam  /  Philadelphia

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SOMMAIRE

A.-J. GREIMAS, J. FONTANILLE,Avant-propos 5

Bernard POTTIER.L'aspect dans l'événement 17

Gérard GONFROY,Enquête sur la préhistoire de la notion d'aspect verbal ... 25

Zlatka  GUENTCHEVA,L'opposition perfectif/imperfectifet la notion d'achèvement 49

Lene FOGSGAARD,

Aspectualité et véridiction dans le systèmecopulatif espagnol, imperfectivité et perfectivitéà propos de SER/ESTAR 67

Claude ZILBERBERG,Aspectualisation et dynamique discursives 83

Diana  LUZ PESSOA DE  BARROS,Deux questions sur l'aspectualisation des blocs 105

Francesco MARSCIANI,Problèmes d'aspectualisation dans deuxdéfinitions de la «vergogna» 115

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Jacques FONTANILLE,Aspectualisation, quantification, et mise en discours 127

C.H. van SCHOONEVELD,L'aspect et le temps verbaux en tant que composantsde la structure linguistique 145

Per Aage BRANDT,La vibration du temps. De l'aspectualité 165

Jean PETITOT,Le schématisme morphodynamique de l'aspectualité 177

Jean-Claude COQUET,Temps ou aspect? Le problème du devenir 195

HORS COLLOQUE

Michel COLIN,Logique d'intervalle et relations temporellesdans la bande-image 215

Pierre BOUDON,Un principe monadologique pour lareprésentation des connaissances 225

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Avant-propos

L'objectif affiché du colloque « Le Discours aspectualisé » étaitd'examiner à quelles conditions on peut passer d'une conceptionphrastique et linguistique de l'aspect à une théorie de l'aspectuali-sation discursive en sémiotique. La confrontation de plusieursdisciplines et de plusieurs méthodes - linguistique générale, linguis

tique historique, sciences cognitives, sémiotique, entre autres -devait permettre de cerner les effets théoriques de ce changementd'objet et de dimension, et d'en mesurer, dans la mesure du possible,les répercussions épistémologiques.

Comme il était prévisible, la mise en commun des recherches etdes réflexions des participants a conduit à reformuler la problématique, à déplacer certaines questions et à en poser de nouvelles.L'éventail des réponses à la demande initiale est largement ouvert,depuis la thèse défendue par B. Pottier, qui consiste à affirmer

qu'une telle transposition est de droit, jusqu'à celle de J.-Cl. Coquet,qui considère que l'aspectualité ressortit d'une sémiotique impropreà l'analyse du discours  stricto sensu, et que la sémiotique discursivedevrait plutôt s'occuper du temps.

Au premier abord, la rencontre entre linguistes, sémioticiens etcognitivistes se traduit par une confrontation conceptuelle etterminologique, qui rend nécessaire une brève mise au point préalable. Ensuite, de très nombreuses réflexions sur les relations entre«continu» et «discontinu», et l'apparente impossibilité où nousnous trouvons de décider lequel présuppose l'autre, amènent às'interroger sur le parcours génératif de la signification, sur sonorganisation, sur la manière dont on peut y disposer le continu et le

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discontinu, sur la place des univers de tensions et des équilibres

variables et modulables. D'un autre côté, évoquer l'aspect, c'estimmanquablement évoquer ses relations avec le temps ; les distinctions pullulent : temps interne/temps externe, temps impliqué/expliqué, temps/tempo/durée, aspect/temps/devenir, etc., et unpremier panorama de ces relations ne semble pas inutile. Toutes cesquestions débouchent enfin sur une réflexion épistémologique, car laquestion de l'aspect concerne au premier chef la théorie de laconnaissance.

1.  Aspect/aspectualité/aspectualisation

Comme le fait remarquer G. Gonfroy, la question de l'aspect eststrictement liée à la linguistique du verbe et du syntagme verbal, etil n'est pas très heureux de confondre trop de phénomènes différentssous une seule appellation. On retrouve ici la difficulté qu'il y a àpasser d'un phénomène (à la fois linguistique et discursiD à un objet(morphologique  vs  cognitif   vs  sémiotique) ; saisi sous divers angles

théoriques et méthodologiques, l'aspect se révèle recouvrir aussibien des morphèmes que des opérations, une catégorie qu'unedimension. Sans préjuger de l'homogénéité ou de l'hétérogénéité dela problématique, il paraît sage de fixer provisoirement quelquestermes :

-  l'«as pect»  pourrait être réservé à la catégorie morphosémantique utilisée dans la description du verbe et du syntagmeverbal ;

- l'«as pectuaté»  recouvrirait alors l'ensemble de la configuration sémantico-syntaxique qui sous-tend et déborde à la fois l'aspectproprement dit : l'aspectualité est à ce titre une des dimensions dudiscours ;

-  l'«as pectualisatïon»  désignerait une procédure, un ensembled'opérations qui aboutirait à l'aspectualité comme résultat ; à cetitre, elle concerne l'économie générale de la théorie, et plus particulièrement les relations du continu et du discontinu.

De fait, de nombreuses observations morphologiques (appartenant en principe au champ de 1'«aspect») révèlent l'existenced'une problématique englobante (celle de 1'«aspectualité») : parexemple, l'interprétation «aspectuelle» de certains prédéterminants du nom (J. Fontanille, Z. Guentcheva, G. Gonfroy,Cl. Zilberberg, citant eux-mêmes G. Guillaume, R. Martin ou

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F. Rastier), qui révèle les interférences entre l'aspectualité, la quan

tité et l'actantialité, entre l'extension du procès et la quantificationappliquée aux actants ; de même, toutes les remarques qui, partantde l'étude de l'aspect verbal, montrent l'inévitable intrication de cedernier avec la représentation de véritables configurations événementielles (Brandt, Guentcheva, Pottier), font apparaître àl'évidence qu'on ne peut mettre entre parenthèses, même dans uneconception linguistique de l'aspect, les agencements narratifs etdiscursifs.

2. Aspects et aspect

A trop généraliser ou étendre le champ de l'aspect, on rencontrevite l'usage courant de ce terme en langue naturelle, à savoir lamultitude des aspects d'une situation, d'un objet, d'un lieu, d'unepersonne. Cette extension du domaine n'est pourtant pas illégitime,car, comme le montre P. Boudon, elle repose sur un noyau définitionel commun : la quantification, la pluralisation des figures du

monde au moment de leur saisie perceptive. L'aspect reconnu dansles procès, l'aspectualité prise en charge par les figures du temps, del'espace et de l'acteur, ne seraient alors à ce compte qu'un casparticulier d'un phénomène beaucoup plus général et, somme toute,d'une grande banalité.

Banalité n'est pas, en l'occurrence, trivialité, car, à inclure laquestion de l'aspect et de l'aspectualité dans celle, plus générale, des«aspects» du monde naturel, de ses figures et de ses configurations,on ajoute deux difficultés majeures : la première tient au fait quel'aspectualisation n'affecterait plus seulement la composantesyntaxique, mais aussi la composante sémantique (cf les «temp-lums» de Boudon) ; la seconde tient au fait que l'aspectualisationdevient alors le titre d'un problème épistémologique, sollicitant unpan entier de la théorie de la connaissance, et en particulier la question des points de vue et de l'observateur (L. Fogsgaard, J. Fonta-nille).

3. Du continu et du discontinu

L'extension du champ de réflexion amène plusieurs auteurs àformuler quelques concepts, à convoquer quelques «méta-

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catégories» qui, tout en n'étant pas proprement aspectuels, fondent

pourtant l'analyse. Qu'elles soient formulées comme «continuité/rupture» (D. Pessoa Luz de Barros), « durativité/ponctualité »(F.  Marsciani). «perfectivité/interruption/imperfectivité»(Z. Guentcheva), «démarcation/segmentation» (Cl. Zilberberg), ou«schéma analy tique/visée» (B. Pottier), ces catégories renvoienttoutes peu ou prou, explicitement ou implicitement, à la distinction continu/discontinu  ; ce qui ne signifie pas, comme on le verra,qu'elles soient superposables, loin de là.

Le débat exploite de fait deux types de continuité et de discon

tinuité  :  tantôt externe au procès (c'est le cas de la démarcation et dela perfectivité), tantôt interne (c'est le cas de la segmentation et de ladistinction, classique en sémiotique, entre «inchoatif», «duratif»et «terminatif»). Mais la distinction entre fonctionnement« interne » et fonctionnement «externe» présuppose elle-même unediscrétisation du devenir en  procès  et en  actants,  qui est le sous-bassement de toute réflexion sur l'aspectualité.

Par ailleurs, M. Colin propose une définition simple et opératoire du  «discret»  : un intervalle est discret si la frontière qui le

sépare d'un intervalle adjacent est double ; il faut en quelque sorteune frontière propre à chaque intervalle. On pourrait alors envisagerde distinguer :

- le  continu,  susceptible seulement de variations d'équilibres etde modulations,

- le  discontinu,  comportant ruptures et fractures, mais à raisond'une seule frontière à chaque interruption - un seuil, en quelquesorte -,

- le  discret,  qui requiert deux frontières à chaque interruption,c'est-à-dire, d'une certaine manière, une véritable solution decontinuité, aussi minime soit-elle.

Mais la difficulté reste entière, car la discussion se focalise nonpas sur la définition et le nombre de ces différents modes sémioti-ques,  mais sur leur statut et leurs positions respectives. Dans lesdiverses contributions ici rassemblées, le partage se fonde sur larelation d'ordre, et de présupposition, entre continu et discontinu :pour les uns, le continu est premier, et engendre la discontinuitégrâce à l'intervention d'une visée, d'une saisie (M. Colin, J. Fonta-nille, B. Pottier, entre autres), alors que pour d'autres, le discontinuest à l'origine, comme principe organisateur du sémio-narratif, et lecontinu caractérise une autre dimension, celle du discours proprement dit, voire une autre sémiotique, dite «subjectale» (J.-Cl.Coquet).

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J. Petitot systématise et réinterprète cette alternative comme un

choix entre deux chemins épistémologiques : du topologique aulogique, on «discontinuise le continu intuitif»; du logique autopologique, on «continuise le discret formel». Le plus curieux, enl'occurrence, est de constateer que, en fonction des nécessités del'argumentation, on puisse prêter à la théorie sémiotique dite«standard» l'une ou l'autre des deux conceptions. Pour J. Petitot,par exemple, la sémiotique greimassienne obtient l'aspectualité parcatégorisation, grâce à l'intervention d'un observateur, d'uncontinuum tensif présupposé et dûment reconnu; pour J.-C1. Coquet,

l'aspect caractérise la sémiotique dite «objectale», en ce qu'ilmanipule des bornes et des intervalles, c'est-à-dire du discontinu etdu quantitatif exclusivement; mais cela n'empêche pas J. Petitot, parailleurs, de défendre l'idée qu'une sémiotique qui place le topologique en fin de parcours génératif (comme celle dite «standard»),c'est-à-dire qui va du logique au topologique, continuise le discretformel, lequel acquiert à son tour le statut de présupposé.

Loin d'être le signe d'une incertitude dans l'argumentation de telou tel, cette contradiction révèle un véritable problème : le continuest à la fois observable dans le discours, au même titre que le discontinu,  sous la forme de chevauchements, de progressions et derégressions, de variations sans hiatus, et  présupposé  par l'analysediscrète et catégorielle. De même, la temporalité et la spatialité sontliées à la surface du discours, à sa manifestation la plus concrète,directement sous la dépendance de l'énonciation, mais on est obligéd'imaginer aussi un «devenir», tensif et modulable (J.-Cl. Coquet,J. Fontanille, J. Petitot, entre autres), à partir duquel on pourraitpenser l'aspect, écrit J. Petitot, comme sa «détermination grammaticale».

Dans une théorie non hiérarchisée, il est clair que la cohabitation de toutes ces composantes est impensable et qu'on est amené,comme J.-Cl. Coquet, à les affecter à des états successifs de lathéorie, voire à réécrire l'histoire de la discipline. En revanche, sion accorde quelque pertinence à la notion de niveau,  alors on peutenvisager :1.  une strate tensive des préconditions de la signification, où ledevenir, comme changement continu, est sujet à des modulations;2.  une strate catégorielle obtenue par discrétisation, au niveausémio-narratif;3. une strate discursive qui conjugue les produits de la discrétisationet ceux de la modulation.

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Car l'aspectualité discursive est à la fois  continue et discontinue,

catégorielle et tensive. C'est, entre autres, un des paradoxes de la« vision sécante » propre à l'imparfait de l'indicatif, que d'engendrerà la fois un effet d'extension indéfinie et de durée interne du procès- de l'ordre du continu - et un effet de perspective dédoublée, depart et d'autre du point de référence projeté sur le procès. Aussil'observateur qui aspectualise est-il capable  à la fois  d'opérer des«saisies-arrêts» dans une variation continue des équilibres tensifs,et des «balayages», homogénéisant la totalité des étapes d'unprocès.

Cela revient à attribuer deux interprétations à la série «continu/discontinu/discret» : une interprétation «générative», et uneinterprétation «discursive». Selon l'interprétation «générative»,ces trois modes constitueraient les étapes nécessaires à l'advenue dela signification, à partir d'un continuum tensif faiblement articulé ouseulement modulé. Selon l'interprétation «discursive», ces troismodes seraient caractéristiques de la mise en discours, où on observerait aussi bien des segments indépendants, nettement démarqués(«discrets»), que des «versants» de procès séparés par des seuils

«discontinus» (notamment : inchoatif/duratif/inchoatif), eux-mêmes solidarisés les uns aux autres par des procédures d'homogénéisation qui établissent comme une sorte de «nappage» discursifcontinu.

La deuxième interprétation suppose qu'un univers de signification soit déjà constitué, et, de ce fait, autorise la projection ducontinu/discontinu/discret, en tant que catégorie, sur les structuresélémentaires. On s'aperçoit que le «discontinu» proprement dit,avec ses seuils, est le contradictoire du «continu», alors que le«discret», établissant segments et intervalles indépendants, est soncontraire. Apparaît alors un quatrième poste, le contradictoire du«discret», décrit par exemple chez M. Colin comme «chevauchement» entre deux segments; on pourrait, en violant quelquepeu l'étymologie, le dénommer «syncret», car la syncrétisationapparaît bien, en linguistique et en sémiotique, comme la suspensiondu caractère discret des unités; c'est ainsi que l'acteur, subsumantplusieurs rôles actantiels simultanés ou successifs, suspend au sein dela figurativité le caractère discret de la structure actantielle. Onaboutirait donc au système suivant :

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La catégorie ainsi articulée peut être dotée d'une syntaxe canonique,qui fonde dans leur principe même les procédures discursives :

[ A → B ] est la discontinuisation;[ B → C ] est la discrétisation;[ C → D ] est la syncrétisation;[ D  A' ] est la continuisation.

Or une telle configuration n'est plus pertinente si l'on adoptel'interprétation «générative» : le continu et le discontinu sontprésupposés par la signification et ses premières articulations,comme le phonème, délimité par deux solutions de continuité,présuppose les sons et les timbres. Les trois étapes (ou quatre : peuimporte ici) n'appartiennent plus au même niveau d'analyse. Ilsemblerait que ce qui relève du parcours génératif, décrivant enquelque sorte le parcours du sujet épistémologique de la théoriesémiotique, du stade de la perception à celui de l'élaboration discursive, soit convoqué et réorganisé à l'intérieur de la syntaxe discursive : de la même manière que la série «virtualisé/actualisé/réalisé», caractéristique du passage de la langue au discours, estexploitée pour décrire le parcours syntaxique du sujet narratif, aprèsavoir été réarticulée par la catégorie de la jonction, la série «continu/discontinu/discret» est ici exploitée et réarticulée commeprocédure de mise en discours.

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Une théorie hiérarchisée du langage et de la signification est

donc susceptible d'accueillir les deux interprétations (et, avec quelques aménagements, les deux «relations d'ordre»); à cet égard, lechoix entre plusieurs théories à la fois successives et concurrentes, etune théorie homogène et évolutive, prenant en compte et intégrantles résultats de la recherche, appartient tout autant, sinon plus, à lasociologie de la discipline qu'à son épistémologie.

4.  Achèvement et interruption, perfectif etaccompli

Les contributions des divers auteurs reconnaissant toutesl'existence de bornes et de repères, mais toutes les bornes et tous lesrepères n'ont pas ici le même statut. D'un côté, C. Van Schooneveltfait observer en linguiste que l'aspect n'est pas sous la dépendancede l'énonciation; J. Petitot insiste sur le fait qu'une conception del'aspect qui reposerait sur une délégation subjective à partir de

l'énonciation se condamnerait au solipsisme. Z. Guentcheva établitclairement la différence entre un procès interrompu et un procèsachevé, sans référence à un observateur. D'un autre côté, L.Fogsgaard montre le rôle discriminant de l'observateur dans le casde «ser» et «estar»; et F. Marsciani exploite les effets passionnelsde l'aspectualisation sur l'observateur.

Plutôt que de rechercher (en vain) à établir une typologie desprocès, en distinguant ceux qui comprennent intrinsèquement uneborne et ceux qui n'en comprennent pas, ceux qui imposent l'inter

vention de l'observateur et ceux qui ne l'imposent pas, il paraît plussage de partir de l'idée que tout procès est, en tant que tel, unsegment borné du devenir, un entier de droit  (cf. B. Pottier), dont ladémarcation peut être prise en charge soit par la morphologie, soitpar le lexique, soit par les objets ou les sujets, soit par la linéarisation narrative. A ce compte, les différents types d'aspectualitépourraient être interprétés, indépendamment des modes de prise encharge et de manifestation retenus, comme  différents niveaux de saisie du procès, résultat d'une variation des relations entre le procès

et l'observateur.Il est clair que les procès ont une forme et une durée propres,dite ici-même «interne», et qui ne résulte pas de l'intervention del'observateur; toutefois, c'est bien déjà l'intervention de l'observateur qui modifie cette forme et cette durée par «contraction» et

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«dilatation» (F. Marsciani). P. Fabbri (communication orale) pro

pose de traiter ces variations comme des «embrayages» et des«débrayages». La «perfectivité», par exemple, résulterait d'undébrayage, c'est-à-dire d'une indépendance entre le procès etl'observateur, le premier n'apparaissant alors que dans sa globalitéindivisible aux yeux du second; 1'«imperfectivité» (et en particulierla segmentation «inchoatif/duratif/terminatif») résulterait d'unembrayage, c'est-à-dire d'une dépendance entre le procès et sonobservateur, ce dernier étant alors «immergé» (Cl. Zilberberg) dansl'événement. La vision dite «sécante» ou «non sécante» résulterait

de cette alternative.Une telle hypothèse de travail permettrait ainsi de distinguer le

perfectif de l'accompli, dont la définition repose également surl'existence d'une borne terminale, mais avec deux positions différentes de l'observateur. La perfectivité est une propriété du procès,reconnue par un observateur débrayé; l'accompli suppose enrevanche un observateur partiellement embrayé, qui définit uneposition de référence appartenant à un autre intervalle, postérieurau procès. Ainsi, un procès peut-il être à la fois perfectif et non-

accompli, imperfectif et accompli (c'est-à-dire interrompu avant laposition de référence, par l'actualisation d'un autre intervalle où sesitue l'observateur embrayé).

La prise en compte des variations de l'embrayage et dudébrayage permet, entre autres, de passer graduellement des formesnon déictiques de l'aspectualité proprement dite aux formes déic-tiques de la temporalité :

- au débrayage maximal correspond la forme «perfective», parlaquelle le procès impose ses propres bornes à l'observateur;

- à l'embrayage minimal, correspond la catégorie accompli/nonaccompli, pour laquelle la position de l'observateur sert de référencepour situer la borne terminale du procès;

- à l'embrayage maximal correspondent les effets de perspective(vision sécante, prospection/rétrospection), par lesquels l'observateur réorganise le procès à partir de sa position de référence. Cesformes sont déjà en partie temporelles, au sens linguistique duterme.

Une telle gradation aide à comprendre en particulier pourquoi,en diachronie comme en synchronie, les mêmes tiroirs verbaux (parexemple le passé composé ou l'imparfait) peuvent fonctionner, selonles époques et selon les contextes, soit avec leur valeur aspectuelle,soit avec leur valeur temporelle. En termes d'«information», on

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pourrait dire que l'information aspectuelle a deux sources interac

tives,  et donc qu'elle reçoit deux orientations : du procès versl'observateur, et de l'observateur vers le procès. Aussi pourrait-onparler, avec Cl. Zilberberg, d'orientation introjective (le procèsinforme l'observateur) et d'orientation projective (l'observateurinforme le procès). Et plus l'observateur est proche du sujetd'énonciation, plus le sujet d'énonciation est impliqué (parembrayage) dans le dispositif aspectualisant, plus ce dernier estporteur d'effets de sens temporels. Peut-être est-ce là une solutiondialectique à l'alternative posée par J. Petitot, entre une conception

subjectivisante et une conception objectivisante de l'aspect ?

5. Temps et aspect

Il aurait été présomptueux et irréaliste d'attendre de cetterencontre une résolution des problèmes posés par la relation entrel'aspect et le temps, dès lors qu'après un siècle de rechercheslinguistiques actives en ce domaine, on n'y est toujours pas parvenu.

Il faut observer toutefois qu'en termes d'aspectualité et de temporalité, et grâce au potentiel explicatif des opérations d'embrayage/débrayage, la question se pose différemment. Les différentescommunications auront permis au moins de confronter un grandnombre de positions et de distinctions :

- temps impliqué/temps expliqué (G. Guillaume, chez G. Gon-froy);

- durée interne/temps déictique (Z. Guentcheva, C. VanSchoonevelt);

- temps interne des sujets/temps interne des objets et desphénomènes (F. Marsciani, J. Petitot, Cl. Zilberberg);

- temps de l'expérience/temps de la représentation (P. Boudon,J.-Cl. Coquet, G. Gonfroy).G. Gonfroy fait observer à plusieurs reprises, dans les grammairesmédiévales sur lesquelles il enquête, une confusion entre tempsverbal et temps des philosophes; à la lecture de l'ensemble descontributions, on constate qu'il faudrait en fait distinguer quatreacceptions du « temps » :

-  le temps physique, dont le devenir représente, selon J. Petitot,l'action dans les états de choses;

-  le temps linguistique,  fondé, comme le rappelle J.-Cl. Coquet,sur le présent (et la présence) du sujet du discours;

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-  le temps intime des sujets de l'expérience et de la perception,

appelé «tempo» par Cl. Zilberberg;- la durée interne des procès.

G. Gonfroy fait observer à ce sujet que l'homme médiéval connaîtune grande mutation : avant, le sujet de la perception ne connaîtque la durée interne des phénomènes, l'expérience qualitative dupassage et du transit, à l'image des rythmes internes du corps; après,un sujet cognitif capable de mesurer le temps parvient à connaîtreun temps externe, quantifié, rationnel et réversible.

Le temps de l'expérience et de la perception (ou l'expérience etla perception du temps) supposent un actant syncrétique, où les rôlesde sujet et d'objet ne se distinguent pas encore; la référence àMerleau-Ponty (chez J.-C1. Coquet et G. Gonfroy, notamment) est àcet égard significative. Cet actant est ensuite scindé en un sujetcognitif (qui mesure, qui projette, qui segmente...) et un objet ouphénomène (qui se présente comme un entier autonome, démarquéet catégorisé) : ainsi naissent respectivement le temps «externe»,«narratif» et la durée «interne», «perfective». Au moment de lamanifestation discursive, le sujet d'énonciation dispose des opérations d'embrayage et de débrayage pour retrouver soit 1'« implication» de la perception dans le procès, soit 1'« explication » du procèspar l'observateur; soit l'aspect intrinséque, soit le temps déictique.Quelle que soit la solution adoptée, il ne semble pas en tous casqu'on puisse se passer du sujet de la perception pour articulerl'aspect et le temps.

6. De l'epistémologie à l'axiologie

C'est pourquoi la réflexion sur l'aspect débouche si souvent surla théorie de la connaissance; ce qui, pour Cl. Zilberberg est enl'occurrence inévitable, puisque l'aspect traite, entre autres, desrelations entre la prédication et la référence. Que ce soit pouropposer la perception et la conceptualisation (J.-Cl. Coquet), lesopérations cognitives et leur codage (C. Van Schoonevelt), lacompétence cognitive et l'activité perceptive du spectateur du film(M. Colin), le solipsisme méthodologique et l'écologisme (J. Petitot),le débat sur l'aspect, le temps et le devenir retrouve les grandesquestions de l'épistémologie contemporaine... et classique  : la théoriesémiotique repose-t-elle sur une théorie de la perception ou de lacognition ? les structures sémiotiques sont-elles de pures construc-

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tions du sujet de la connaissance, ou sont-elles déjà peu ou prou

inscrites dans les choses mêmes, en tant que formes qualitatives dumonde physique ? la théorie de la signification sera-t-elle générativeou monadologique ? multiplanaire ou uniplanaire ?

Ce débat n'est ni récent ni original, mais il survient ici avec uneacuité particulière, à propos de l'aspectualisation, parce que cedomaine est adjacent à, et solidaire de la modalisation (L.Fogsgaard, Cl. Zilberberg), de l'énonciation, de l'actantialité (P.A.Brandt, L. Fogsgaard), de la quantification (P.A. Brandt, J. Fonta-nille).

La particularité de cette «épistémologie aspectuelle» tient à cequ'elle débouche sur une axiologie, et plus précisément sur uneéthique et une esthétique. Devenues  mesurables,  les formes aspec-tuelles peuvent être  évaluées  : elles sont alors «normales»,«excessives» ou «insuffisantes» (D. Pessoa Luz de Barros); si lestensions qu'elles articulent sont interprétées comme résultantd'équilibres variables entre des forces antagonistes, dispersives etcohésives, la quantification projetée sur les figures du monde nerelève plus seulement de la théorie de la connaissance, mais devienten outre l'enjeu d'un conflit esthétique, d'une esthétique qui reposesur une éthique (J. Fontanille, à propos de Baudelaire).

 Morphologique dans son acception initiale, puis discursive quands'étend la problématique, l'aspectualisation devient en fin de compte stratégique car, en jouant de l'imperfectif et du perfectif, le discourschemine d'une certaine manière entre la perfection et l'imperfection.

A.-J.GREIMASJ. FONTANILLE

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L'aspect dans l'événement

Positions de base

1.  - Une même démarche sémantique peut être appliquée à tous lesniveaux de la construction du signe. Du morphème (lexème ougrammème) au texte, en passant par la lexie ou la phrase, pour nouslimiter aux étapes universelles, les composantes de l'analyse du senssont de même nature, bien que leur complexité diffère.

2.  - Sur le plan conceptuel des représentations mentales, c'estl'événement (noté E) qui en est la base, lequel peut s'analyser en sescomposantes (recherche des entités, des propriétés, des relations, deslocalisations...) et se caractériser par ses enchaînements avecd'autres événements :

3.  - La théorie des catastrophes de René Thom fournit une suggestion de représentation visualisée des événements qui est très prochedes intuitions d'images mentales des individus et qui permet de

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figurer la plupart des éléments qui, en langue naturelle, apparaissent

dans l'énoncé. Ces schèmes analytiques (SA) sont indépendants desclasses syntaxiques (un lexème comme -  écri-  n'est ni verbe, nisubstantif, ni adjectif) et renvoient à des types d'événements. Nousles présentons dans  Théorie et analyse en linguistique (Hachette,1987).

4.  - Les linguistes ont l'habitude de choisir un verbe lorsqu'ilstraitent de l'aspect. Or les substantifs ou les adjectifs sont égalementaspectualisés : négocier ou  négociation  suggèrent un même procès

pouvant être saisi à des stades différents de développement. Dans négociable,  il y a en outre une ouverture modale («qui peut êtrenégocié») où la prospective modale rappelle l'imperfectivité aspec-tuelle. Cette affinité d'effets de sens correspond à une mêmereprésentation noémique.

5. - On ne peut dire que  lire  est «perfectif» ou «imperfectif». Ilconvient de considérer l'activité dans son entier événementiel. Lechoix du lexème  (li-, lect-, lis- ) par l'émetteur (ou son interprétation

par le récepteur) implique :

- un auteur de l'acte  : El  (Jean )- un objet, support de texte  : E2  (journal)- une relation agissante orientée (de El vers E2)- une modification du SAVOIR de El

N.B. : E désigne une entité.

Voici le schème analytique minimal que nous proposons :

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=  état du SAVOIR de Jean au départ

ß = état du SAVOIR de Jean à l'arrivée

■ début et fin d'activité de Jean.

Naturellement, ce schème analytique pourrait s'écrire analyti-quement :

ou de toute autre façon. On perd dans ce cas toutes les incitations àvoir le schème analytique sous tous ses parcours possibles. Quant auxécritures du type

lire (Jean, journal)

elles n'offrent aucun intérêt, puisqu'elles ne se différencient pas de

 découper (Jean, journal)

6. - Les nombreux «systèmes aspectuels» produits par les linguistes sont des classements par types (de 4 à 8 généralement),  in abstracto,  au niveau du sémantisme en langue d'un verbe à l'infi

nitif,  hors contexte énonciatif. On privilégie ainsi un trait sémique«souvent constaté», mais comment affirmer que lire est une activité« imperfective » ? Toute activité humaine volontaire est supposéeavoir un début et une fin. Mais l'espace entre les deux est plus unequestion de vision responsable associant une intentionalité et undésir de métaphorisation, que de réalité. La seule chose qu'on puissedire de lire est sa morphologie topologique et chronologique illustréepar le schème analytique.

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L'aspect dans l'ensemble des visées

Un schème analytique peut être saisi sous quatre angles, dontnous donnons ici les caractéristiques en conservant le mêmeexemple.

1.  -  La visée diathétïque, ou lieu d'entrée dans le schème aspectuel,aura pour conséquence le choix d'une diathèse directe (notée D) ouinverse (notée I) :

(+) et (-) indiquent les relations de puissance.

Les manifestations en pourraient être :

D  : Jean / lire / journal (El  →  E2)

I  : journal / être lu / (par) Jean (E2  El)

Une diathèse neutre (notée N) quant à la relation puissancielle,centrée sur l'événement lui-même, rejetant les entités dans la marge(décision de l'énonciateur), serait :

N  : y avoir lecture / journal / (par) Jean

2.  -  La visée as pectuelle  suppose que l'énonciateur considère leprocès (ou l'état) d'un certain point de vue (noté V) quant à sondéroulement :

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Quelques exemples :

D, v1  : Jean / ne pas avoir encore lu / journalI, v1 : journal / ne pas encore avoir été lu / (par) JeanN, v2  : lecture / journal / (par) Jean / «être en cours»D, v3  : Jean / avoir lu / journalI, v3  : journal / avoir été lu / (par) JeanN, v3  : lecture / journal / (par) Jean / « avoir eu lieu »

Tous les auxiliaires aspectuels peuvent ajouter des traits à cesformes de base :

I, v2, inch. : journal / commencer à être lu / (par) JeanN, v2, cont.  :  lecture / journal / (par) Jean / «se poursuivre»

3.  -  La visée temporelle  reflète le moment de parole (to) ou unrepère fictif  (ti) :

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D, v1, ANTE  : «Jean n'avait pas encore lu le journal

lorsqu'il entendit à la radio que...»

D, v1, POST : «Jean n'aura pas encore lu le journallorsqu'il devra prendre la décision».

D, v2, to  : «Jean est en train de lire le journal»

N, v2, cont., ANTE  : « Alors que la lecture du journal se poursuivait,on entendit un bruit».

4.  -  La visée modale  manifeste l'attitude de l'énonciateur sur sonpropos. Ce sont les grandes catégories noémiques de l'épistémique,du déontique et de l'axiologique, et ainsi que, croyons-nous, de ladétermination et de la quantification.

N,  v2, cont., to, AXIO. :

Conclusions

1.  - Tout schème analytique figurant un événement peut être saisipar l'énonciateur sous quatre classes de visées, qui se manifesterontdans la langue naturelle à travers des signes très divers.

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2.  - Ce qui est dit ici de l'événement manifesté au niveau del'énoncé (simple ou complexe) vaut également pour le texte.

On peut poser des macro-événements qui seront desenchaînements, analysables et figurables par les mêmes techniquesde représentation.

Le mot (lexie) médecin intègre un micro-événement :

L'énoncé simple traduit généralement un événement : « J'ai étéguéri grâce à un excellent médecin de campagne».

Au niveau textuel  Le médecin malgré lui inclut ce même schèmemacroévénementiel, et les quatre visées peuvent également lui êtreappliquées, à condition de les situer dans la perspective d'uneconceptualisation généralisante.

Bernard POTTIERUniversité de Paris-Sorbonne

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Enquête sur la préhistoirede la notion d'aspect verbal

N'étant pas un théoricien de la linguistique, mais un «con

sommateur» de théories linguistiques, que je mets au service de monobjet prioritaire d'études d'édition et le commentaire de traités degrammaire et de poétique médio-latins et vernaculaires), je mesurel'imprudence qui fut mienne en proposant à l'organisateur d'uncolloque aux ambitions doctrinales aussi relevées, J. Fontanille, uneenquête sur la préhistoire de la notion d'aspect verbal; l'ampleur duchamp et la complexité du problème rendent en effet la tâchemalaisée et risquent de conduire toute recherche de ce type dans uneimpasse, où le superficiel le disputerait à l'inutile. Puisse-t-on

conclure, au terme de cette présomptueuse tentative, que la missionn'était pas totalement impossible...

Qui dit enquête dit définition précise de l'objet de la quête etdélimitation du domaine d'investigation. L'extension spatiale duchamp sera vite bornée : on ne s'occupera ici que de quelques grandes langues d'origine indo-européenne. Les limites diachroniques sedéduisent du propos lui-même : on interrogera le corpus grammatical d'Occident, depuis Denys le Thrace jusqu'à la fin du XYIIIe

siècle; et déjà, le terminus a quo se dérobe, dans la mesure où il n'estnullement assuré que la Techne Grammatike soit de Denys le Thrace:le  terminus ad quem,  en revanche, ne souffre guère contestation;

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au-delà du XVIIIe siècle commence l'histoire, et non plus la préhis

toire, de la notion d'aspect grammatical : l'emploi métalinguistiquedu terme semble en effet remonter à la traduction en 1829 par Ch.Ph. Reiff de la Grammaire russe de Grec. Notre propos se situe doncantérieurement  : il s'agit, en se penchant sur la conception du verbequ'offrent les traditions grammaticales du passé, de déceler leséventuelles amorces d'une réflexion touchant, de près ou de loin, àla notion d'aspect verbal. Il n'est certes pas question d'explorerl'intégralité de la tradition grammaticale occidentale, ne serait-ceque sur ce seul point, dans le cadre restreint du présent exposé; on a

donc délibérément choisi d'éclairer, plus que d'autres, certainesdoctrines car elles constituent de précieux révélateurs de la penséelinguistique de leur temps. C'est ainsi que les grammaires vernaculaires médiévales ont été plus fortement sollicitées qu'à l'accoutuméedans la mesure où elles témoignent du piège dans lequel se trouveenfermé le grammairien, coincé entre sa vision aprioristique descatégories linguistiques, héritées des  auctores,  et la réalité des faitsdont il lui faut rendre compte. On ne s'étonnera pas, d'autre part,que le choix des auteurs et des doctrines bouscule quelque peu les

hiérarchies habituellement reçues. Ce n'est pas tant la valeurintrinsèque d'une œuvre qui intéresse l'historien de la linguistique,c'est son impact ultérieur, sa réinscription dans les développementsthéoriques qui vont suivre. Ainsi Varron est-il ignoré de la traditiongrammaticale médio-latine, à une époque, pourtant, où la  gramma tica  était la science majeure, alors que les analyses repartent tou jours de Donat et/ou de Priscien.

L'exposé sera logique et non chronologique (1), ce qui nesurprendra personne dans un colloque consacré à l'aspect.

Nous venons de délimiter le domaine de l'enquête; reste àdéfinir précisément ce que l'on cherche et comment le chercher. Enpremière analyse, je m'en tiendrai à la conception qui me paraîtavoir - et en tant que médiéviste, je ne manifeste guère, ce faisant,la preuve de beaucoup d'originalité - la vertu explicative la pluspuissante, c'est-à-dire celle de G. Guillaume. Résumons-en lesdonnées essentielles : tout procès peut être situé sur l'axe du tempspar rapport à des repères extérieurs, qu'ils relèvent de la temporalitéobjective (passé, présent, avenir), qu'ils soient constitués pard'autres procès ou qu'ils se définissent par rapport au moment

(1 ) Pour des repères chronologiques succincts, v.  infra p. 48.

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d'énonciation. Ces repères, relatifs ou absolus, s'inscrivent dans une

chronologie externe par rapport au procès : ils appartiennent au«temps expliqué».  Parallèlement, tout procès implique en soi uneidée de durée, si minime soit-elle. Ce temps inhérent, partie intégrante de la substance du verbe, lui est indissociablement lié. C'est le«temps impliqué».  Comme le dit Guillaume, «est de la nature del'as pect  toute différenciation qui a pour lieu le temps impliqué. Estde la nature du  temps  toute différenciation qui a pour lieu le tempsexpliqué» (2). C'est donc toute analyse qui ressortisse, si peu que cesoit, au temps  impliqué  ainsi défini, que nous nous emploierons à

débusquer, à l'exclusion, bien entendu, des manifestations lexicalesde l'aspect, que les anciens avaient d'ailleurs parfaitement perçues.

Quant à la méthode, elle s'efforcera de suivre le conseil quedonnait naguère S. Auroux, dans l'article de synthèse qui ouvrait lalivraison de  Langue Française  consacrée à l'histoire de la linguistique : «Actuellement, la stratégie la plus efficace paraît la concentration sur quelques questions théoriques bien localisées. Je veuxdire qu'il faut pratiquer une histoire «hypothético-confirmative»,aborder les documents avec des questions précises à résoudre» (3).

C'est cette démarche que l'on espère avoir ici adoptée.Les grammairiens occidentaux ont toujours accordé, dans la

description des parties de discours, une place essentielle, souventprépondérante, au verbe, ressenti comme le constituant phrastiquepar excellence. Mais leurs divergences quant à sa nature sontconsidérables. En simplifiant, on peut considérer que trois conceptions du verbe se sont historiquement affrontées, qui l'ont tour àtour emporté. La première, la moins susceptible a priori d'éclairernotre enquête, réduit le verbe à sa seule  morphologie;  la seconde, à

l'opposé, ne l'envisage que sous l'angle  logique  (et parfois syntaxique);  la dernière, que l'on pourrait qualifier de  morphosémantique,cherche à donner du verbe une saisie globale, l'accent se déplaçantau gré des théories sur l'un ou l'autre pôle. Bien entendu, les cloisonsentre ces trois conceptions ne sont pas aussi étanches qu'on a choiside le faire apparaître ici, pour la clarté de l'exposition, et l'on peut,

 j'en  suis parfaitement conscient, discuter la validité du classementopéré.

(2)  Langage et science du langage,  Paris, Nizet; Québec, Presses de l'Université Laval, 1964, p. 48 et note 8.

(3 ) Langue Française  48, 1980, p. 15.

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I. La conception morphologique du yerbe

A cause même des conditions historiques (que l'on songe au rôle joué par les stoïciens et par Aristote) dans lesquelles  s'est  forgée ladoctrine grecque, jamais une conception purement morphologiquedu verbe ne  s'est  manifestée dans cette tradition. En revanche, ladoctrine divulguée à partir des  Artes  de Donat s'y est fort bienprêtée. Certes, la définition liminaire du chapitre dévolu au verbedans  VArs Maior  conserve l'ensemble des éléments hérités desGrecs :

Verbum est pars orationis cum tempore et persona sine casu out agere aliquid aut pati aut neutrum significans (4).

Mais on comprend qu'il ne s'agit précisément que d'un legs,puisque les notations sémantiques de la définition ne sont jamaisexploitées par la suite, alors que les divers «accidents», c'est-à-direles catégories morphologiques pertinentes du verbe, sont détailléesdans la suite du chapitre :

Verbo accidunt septem, qualitas, coniugatio, genus, numerus, figura, tempus, persona (5).

Le mode disparaît en tant que tel des accidents du verbe et neconstitue plus qu'une sous-espèce de la qualitas, en compagnie de la forma,  qui subsume les éventuelles inscriptions lexicales de l'aspectfréquentatif ou inchoatif   (lectito,  «lire fréquemment» par opposition à lego ou  fervesco, «se mettre à bouillonner» par opposition à

 ferveo).  Quant au  genus  (littéralement, «genre»), il désigne ladiathèse.

On retrouvera, superficiellement abrégée, la même présentationdans  l'Ars Minor  (6) dont la fortune comme outil pédagogique debase fut considérable durant toute l'époque médiévale. Les Artes de

(4) Ed. Holtz, II, 12, 632, 5-6 : «Le verbe est une partie de discours avec

indication de temps et de personne, mais sans indication de cas, et exprimantactivité, passivité ou ni Tun ni l'autre (neutre)». (Sauf mention contraire, lestraductions sont de notre fait ).

(5)  Ibid.,  6-7.(6) V. éd. Holtz, Ars Min., 4,591 sqq.

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Donat instituent une vulgate grammaticale, aisément reconnaissable

à l'ordre d'exposition des parties de discours, qui se distingue à lafois de celui des Grecs, de celui de Varron et de celui retenu ultérieurement par Priscien.

La description des accidents liés aux temps  (tempora)  n'en adonc que plus d'intérêt pour nous; elle rappelle la doctrine grecquetelle qu'elle s'incarne, par exemple, dans la  Techné, mais privée del'indication (l'affinité de certains temps entre eux) la plus utile ànotre recherche, nous y reviendrons :

Tempora verbis accidunt  tria, praesens praeteritum et futurum : praesens, ut lego; praeteritum, ut legi; futurum, ut legam. Sed praeteriti temporis differentiae sunt tres, imperfecta, perfecta, plusquam per fecta : in per fecta, ut legebam; per fecta, ut legi; plusquam per fecta, ut legeram. Ergo in modis verborum quinque tempora numerabimus, praesens, praeteritum inper fectum, praeteritum perfectum, praeteritum plusquanper fectum, futurum (7).

On remarque d'emblée la confusion, ou du moins, l'absence dedistinction claire entre le temps objectif, celui des philosophes, etl'expression linguistique du temps, sous la forme de tiroirs verbaux,autrement dit entre  time et  tense. Tempus,  tout comme  chronos ou temps,  dénote en effet l'un et l'autre. Dans la définition, il estmanifeste que  tempus praeteritum  désigne d'abord le passé (tempsobjectif), puis les divers tiroirs verbaux exprimant le passé. Cettebivalence sémantique de  tempus  ne sera guère nettement perçueavant le XVIIIe siècle. Donat se livre donc ici à une opération

d'étiquetage, mais sans que jamais ne soit explicitée la  ratio  desdénominations, qu'il hérite de la tradition. L'opération est d'ailleursloin d'être satisfaisante en elle-même, puisque le futur antérieur(type  legero )  est effacé, comme il le sera chez Priscien, sans doutepar une soumission excessive au modèle grec, qui tendait à éliminerle parfait futur, à la fois parce qu'il était peu usité et ressenti comme

(7)  Ars Mai.,  II, 12, 637, 12 sqq : «Trois temps caractérisent le verbe :présent, passé et futur : présent, comme  lego;  passé, comme  legi;  futur, commelegam.  Mais le passé offre trois variétés : imparfait, parfait, plus-que-parfait :imparfait, comme  legebam; parfait, comme  legi; plus-que-parfait, comme  legeram.C'est pourquoi il y a cinq temps dans le mode du verbe : présent, prétérit imparfait , prétérit parfait, prétérit plus-que-parfait, futur ».

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atticisme. D'où, dans toute la tradition artigraphique médiévale, le

rejet du futur antérieur dans le mode subjonctif   (conjonctif   ) ,  où ilse confond inexplicablement avec le parfait  (legerim),  malgrél'évidence de leur opposition morphologique à la première personne;il faudra attendre 1531 pour que Dubois, dans sa grammaire du français, réintroduise le futur antérieur comme tiroir de l'indicatif.

On constatera enfin que la distinction aspectuelle fondamentaleinfectum - perfectum,  si lucidement mise à jour par Varron (8), estcomplètement occultée, les formes ne se distribuant plus symétriquement en fonction de cette opposition thématique de base, mais de

façon incomplète, selon l'axe du temps objectif.Dès Donat se trouve donc posé un ensemble d'éléments, qui vont

constituer la base de l'enseignement grammatical relatif au verbe etce, pour de longs siècles :

- primat du morphologique sur le sémantique ou le fonctionnel ;- polysémie mal maîtrisée du signe temps;- réduction, voire effacement, du mode;- rejet du futur antérieur hors de l'indicatif;- élimination de toute notation de type aspectuel, à l'inverse de

la réflexion linguistique grecque ou varronienne.

Ainsi l'enseignement élémentaire médiéval reprend, pourl'essentiel, la définition de Donat, comme on le voit dans les raresattestations en langue vulgaire qui nous soient parvenues :

«Qu'est verbe ? C'est une partie d'oreson qui sene fie feire ou souffrir avec meufs, temps, formes et personnes du verbe, sans case. » (9)

De même, la désignation des tiroirs verbaux reproduit les Artesdonatiens :

«Quanz temps a l'indicatif? V. Quiex? Le présent, le prétèrit non par fait, le prétérit par fait, le prétérit plus-que-par fait et le futur.»  (10)

(8) V.  infra p. 42

(9 ) Thurot,  Notices et extraits de divers manuscrits latins pour servir à l'his toire des doctrines grammaticales au Moyen Age,  Paris, 1868, p. 182. «Qu'est-cequ  'un verbe ? C'est une partie de discours qui exprime activité ou passivité, avecmodes, temps, formes et personnes verbales, mais sans cas.»

(10)  Ibid.,  p. 184. «Combien existe-t-il de temps à l'indicatif ? Cinq.Lesquels ? Le présent, le prétérit imparfait, etc.»

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Quant aux théoriciens, ils excluent de la définition du verbe

toute idée de durée; ainsi Pierre Hélie, dans sa  Summa super Pris- cianum,  dont l'influence tant directe qu'indirecte, au travers duSpeculum Doctrinale de Vincent de Beauvais, fut considérable, écritau XIIe siècle :

 Nec illud dico quod verbum consigni ficet tempus quantative,quod antiqui dicebant, sed potius quod  consigni  ficat  tempus ut

 ad predicamentum «guando» pertinet. Qui enim dicit cucurri actum quidem currendi principaliter designat, sed quando

 significat secundario (11).Ce texte est particulièrement éclairant pour nous : Pierre Hélie

conserve au verbe sa capacité à situer un procès dans le temps,admet donc que le verbe «explique» le temps, mais lui dénie radicalement la possibilité de 1' «impliquer». Cette position tranchéecesse de surprendre si l'on se rappelle que Pierre Hélie constitue Tundes jalons essentiels entre la tradition latine et la grammaire spéculative des Modistes : il lui fallait éliminer tout ce qui lui semblait

subalterne par rapport à l'essentiel, le mode de fonctionnementlogico-syntaxique du verbe.La conception purement formelle du verbe, solidement installée

dans la tradition de l'enseignement grammatical, ne pouvait qu'êtrerenforcée par ce type d'analyses. Elle triomphe dans sa puretéabsolue au XVIe siècle chez un Ramus, en qui l'on a voulu voir, nonsans quelque naïveté, un ancêtre du structuralisme. Il est vrai queRamus cherche à distinguer de façon irréfutable typologie desformes et considérations sémantiques. Il procède donc par dicho

tomies successives, dont le rôle est de fonder les classes morphologiques. Le verbe lui apparaît par conséquent comme «un mot qui aen partage le nombre de la personne et le temps. La variation duverbe faite par ses accidents s'appelle conjugaison» (12). Dans sagrammaire latine, intitulée  Scholae in tres primas liberales artes(1559), la formulation était encore plus concise :  «Verbum est vox numeri cum tempore et persona» (13).

(11 )  Ibid.,  p. 182. «Je ne dis pas, contrairement aux anciens, que le verbe

consignifie la durée, mais plutôt qu  'il consignifie le temps relativement au momentde l'action. En disant «j'ai couru», on désigne principalement l'acte même decourir, mais, secondairement, le moment de l'action. »

(12)  Gramere (éd. de 1562), p. 49; la formule sera reprise dix ans plus tarddans sa Grammaire  (éd. de  1572 ) , p. 74.

(13) P. 243.

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Le mode y est écarté des accidents du verbe avec une intéres

sante réfutation du psychologisme en linguistique :

 Modus grammaticus, ut Priscianus octavo libro ait  (14),  est diversa inclinatio animi, varios eius af fectus demonstrans. Haec de fînitio nihil   de  finit, et voluntatis humanae de finitio potius fuerit, quam ullius verbalis proprietatis (15).

Mais le classement formel qui découle de cette suppression n'ygagne pas en clarté... Le subjonctif présent est ainsi qualifié de

second présent. De plus, les formes des temps composés sont excluesdu paradigme verbal et traitées dans la syntaxe en tant que périphrases verbales. N'est pas non plus abordé le statut du pronom ausein du groupe verbal, alors que l'accent mis dans la définition sur lanotion de personne laissait espérer une étude de ce type; la fonctionlogique ou syntaxique du verbe est passée sous silence. En un mot,les processus énonciatifs que traduit le verbe sont tous éliminés.

Soulignons que la conception de Ramus n'est nullement isolée :le ramisme essaimera largement en Angleterre jusqu'à la fin du

XVIIe siècle; il exerce également une influence considérable parl'intermédiaire de l'héritier spirituel de Ramus, Sanctius, dont la Minerve  (16) conduit plus avant l'entreprise de formalisation de lalangue en lui donnant le prolongement syntaxique nécessaire.

Nous voici parvenus au terme d'un processus continu d'évi-dement du signifié verbal : partant des indications non strictementformelles que Donat et la tradition grammaticale élémentaireconservaient encore, on en arrive à une vision purement morphologique du verbe; il n'est pas surprenant que les indices d'une

réflexion de type aspectuel s'en soient trouvés progressivementécartés. De même que l'on ne sera guère surpris que la secondegrande conception du verbe, sa conception logique, n'y ait pas étéplus réceptive.

(14) Cf. éd. Keil, Gram. lat., II, 421, 17.(15)  Scholae, p. 245. «Le mode grammatical, tel que Priscien le définit dans

le livre VIII, correspond aux diverses dispositions de l'esprit, manifestant ses dif-férents mouvements. Cette définition ne définit rien et constituerait bien davantageune définition de la volonté humaine que de la propriété d'un verbe. »

(16) Sur la dette de Sanctius à l'égard des thèses ramusiennes, v. la récentetraduction de G. Clerico, ainsi que sa copieuse introduction (en particulier, pp. 62

 sqq.)  : Sanctius,  Minerve,  trad. et éd. de G.C., Presses universitaires de Lille,1982.

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II.  La conception logique du verbe

Elle s'inscrit bien évidemment dans la tradition aristotélicienneet prend sa source chez l'auteur du De inter pretatione lui-même.

Mais les définitions du verbe  (rhema)  avancées par Aristoteprésentaient leur objet tant du point de vue grammatical (« le verbeest un composé de sons significatifs, avec idée de temps, et dontaucune partie n'est significative en elle-même, comme dans lesnoms; car homme ou blanc ne signifient pas le moment, tandis que il marche  ou  il a marché  signifient en plus l'un l'époque présente,

l'autre le passé» (17)) que du point de vue logique («le verbe esttoujours le signe de ce que l'on dit d'une autre chose, à savoir dechoses appartenant à un sujet ou contenues dans un sujet» (18)), sibien que ni les grammairiens grecs, ni même les grammairiens latins,n'ont jamais oublié que le verbe était « le nom qui signifiait en plusle temps» (19).

C'est seulement la grammaire médiévale la plus exigeante sur leplan théorique, celle des Modistes, qui va aiguiller la réflexionlinguistique sur le rôle logique et fonctionnel du verbe au sein de laproposition.

La grammaire spéculative, mieux connue depuis les travaux dePinborg, de Bursill-Hall ou d'I. Rosier (20), excite la curiosité dulinguiste moderne, malgré la difficulté des textes, car elle se présentecomme un corpus doctrinal étonnamment solide et ambitieux : lesModistes revendiquent en effet l'autonomie de leur science parrapport à la logique; ils affirment la vocation universelle de leur

(17 )  Poétique, ch. 20, 1457, a.(18)  De Inter pretatione, ch. III.(19)  Ibid.,  ch. II, 16 b. La formule d'Aristote  (to  prossemainon khronon ) a

été correctement interprétée par la tradition grammaticale latine puis médio-latine,qui traduit  prossemainei soit par  ad significare,  soit par  consignificace,  soit par connotare.

(20) La difficulté intrinsèque des textes et l'accès malaisé à l'ensemble ducorpus (seuls quelques Modistes ont fait l'objet d'une édition récente) rendentd'autant plus précieuses les synthèses parues depuis une trentaine d'années . V . J .Pinborg,  Die  Entwicklung  der  Sprachtheorie  im Mittelalter. Beiträge zur  Geschichte

 der Philosophie und Theologie des Mittelalters,  Band 42, Heft 2, Münster-Copenhagen, 1967; G.-L. Bursill-Hall,  Speculative Grammars  of the Middle Ages,The  Doctrine  of  partes orationis  of  the Modistae, La Hague-Paris, Mouton, 1971; I.Rosier, La grammaire spéculative  des Modistes, Lille, PUL, 1983.

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grammaire, les différences entre langues n'étant qu'accidentelles; ils

distinguent clairement morphologie, syntaxe et sémantique : seulesles deux premières relèvent du champ grammatical, la troisièmeétant renvoyée à la logique; la syntaxe, enfin, se définit commel'application de règles sur des éléments constructibles préalablementdéfinis.

Ces idées s'incarnent notamment dans leur conception du verbe,qui se démarque clairement des positions antérieures. Nous avons vuque Pierre Hélie dénie l'expression de la durée au verbe; simulta

nément, sous l'influence d'Aristote qu'il lit dans Boèce, il affirmeque le verbe, avant même d'exprimer l'action ou la passion, sert àdésigner ce qui est dit d'autre chose (21). La fonction prédicative duverbe, sa capacité à affirmer, passent donc au premier plan. Lorsquela doctrine sera stabilisée, au siècle suivant, on retrouvera cesmêmes principes.

Au cœur du système, la dichotomie entre modus entis (mode dela permanence dans le temps, qui permet d'identifier les choses) et le modus esse,  dénommé aussi modus fieri  ou modus fluxus,  (mode duchangement et de la succession par lequel les choses peuvent subirdes transformations liées au temps) (22).

D'où la définition du verbe, telle qu'on la rencontre par exemplechez Thomas d'Erfurt, le pseudo Dun Scott : Verbum  est pars ora- tionis significans per modum esse distantis a substantia  (23). («Leverbe est une partie de discours qui signifie selon le mode du procèstemporel, détaché de la substance»).

La substance désigne évidemment le sujet grammatical  (suppo- situm);  mais, pour pouvoir être prédiqué d'un sujet, le verbe doit,par nature, en être distant, comme l'exprime Boèce de Dacie  : Ommeenim t quod de alio enuntiatur, enuntiatur de eo ut distans (24) (« Toutce qui est énoncé de l'autre en est énoncé comme en étant distant»).

(21 ) Thurot,  op. cit.,  p. 178; Reperta sunt itaque yerba ad   designandum  quid de altero dicitur et primo propter actionem et passionem.

(22 ) On mesurera la complexité et la subtilité de la conception du verbe chezles Modistes en se reportant au chapitre consacré par I. Rosier à cette partie dediscours. V. op. cit. supra n. 21, pp. 117-123.

(23 ) Grammatica Speculativa, éd. Bursill-Hall, ch. XXV, 48, p. 214.(24 ) Cité et traduit par I. Rosier, op. cit.,  p. 119.

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Ce mode de signifier qui est celui de la distance par rapport à la

substance permet d'opposer le verbe au participe, qui, lui, n'est pasdistant de la substance. En plus de sa caractérisation par sa distanceà l'égard de la substance du sujet, le verbe se caractérise égalementpar sa distance à l'endroit de la substance objet. Tout le reste relèvedes modes de signifier accidentels et non plus essentiels. Deuxd'entre eux définissent la constructibilité du verbe, respectivementavec son sujet (la  compositio)  et avec son objet ou oblique  (la significatio  ) .  La  compositio,  qui permet au verbe d'entrer en«composition» avec la substance et donc d'exercer sa fonction

prédicative, est un accident sans traduction formelle, ce que peutindiquer le verbe universel est; car, comme l'écrit Thomas d'Erfurt :

 ...hoc verbum est in omni verbo includitur, tanquam radix omnium; ideo compositio omni  verbo inhaeret, per quam verbum distans a sup posito ad  suppositum principaliter inclinatur (25).

La  significatio,  symétrique de la compositio en ce qu'elle décrit larelation du verbe à l'oblique, offre le mérite de briser la relation

binaire des logiciens, sujet-prédicat, pour instaurer une relationsymétrisée à trois membres.

Le mode du verbe, qui exprime, conformément à la vulgatemédio-latine, divers sentiments de l'âme, n'apparaît plus comme unaccident autonome du verbe, inscrit dans la morphologie; il se borneà être la qualité  (qualitas ) de la compositio, c'est-à-dire la qualité dela relation du verbe au suppositum (26).

Quant au temps, il n'apparaît plus au centre de la définition duverbe, ce qui consacre une nette rupture avec la tradition aristoté

licienne. Certes la signification du verbe opère sur le mode dumouvement  (modus esse),  et donc de la temporalité, mais lemoment et la durée de l'action sont perçus comme de purs accidents.C'est si vrai que, de même qu'il existe des verbes impersonnels, ilpourrait exister des verbes intemporels. Le temps doit donc être

(25 ) Ch. XXVII, 52, p. 220.  « Ce verbe  est se trouve inclus dans tout verbe,en tant que racine, pour ainsi dire, de tous les verbes ; c 'est pourquoi la composi

tion est inhérente à tous les verbes, et  c 'est à cause d'elle que le verbe, distant dusujet, entre en combinaison avec lui ».(26 ) V. Thomas d 'Erfurt,  ed. cit., ch. XXVIII, 55, p. 224  :  sed  modus, ut est

 accidens verbi, est qualitas compositionis, qua verbum inclinatur ad suppositum.

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rejeté hors de la définition du verbe, contrairement à l'opinion des

anciens (27).

Il est clair que la conception fonctionnelle du verbe, telle que ladéfinissent les modistes, si prometteuse qu'elle puisse être sur le plansyntaxique, se trouve fort éloignée des préoccupations aspectuelles.C'est pourtant leur disciple le plus original, J.C. Scaliger, qui réhabilitera le signifié temporel et sera même à deux doigts de (re)découvrir les valeurs aspectuelles.

A la fois héritier de la grammaire spéculative et précurseur bien

connu de la grammaire générale, Scaliger repense les théoriesmédiévales en retournant aux sources, et, ici, directement à Aris-tote. Son sens linguistique aigu - sa grammaire latine est considéréecomme la plus perspicace de la Renaissance - lui permet de redonnerau verbe un signifié temporel plein. Le verbe, écrit-il,  est nota rei sub tempore  (28), «il est ce qui dénote la chose sous le rapport dutemps», précisant que ce trait suffit à distinguer le verbe de toutesles autres classes de mots. Il interprète, en la commentantlonguement, la thèse aristotélicienne selon laquelle, si des substan

tifs peuvent signifier le temps ( mois, année, temps, etc.), ils ne sauraient le consignifier, propriété qui appartient en propre au verbe : rem fluentem significant, at non rei fluxum  (29) («ils signifient lachose s'écoulant, mais non le flux (les phases successives del'écoulement) de la chose»). Dans une analyse parfaitement cohérente, il rejette l'action ou la passion hors de l'essence du verbe pouren faire de simples accidents, dont il précise la portée : puisque leverbe exprime un procès soumis au temps, son objet ne saurait êtrele résultat de l'action qui la montre une fois achevée, mais l'action

elle-même. Si l'on dit scribo librum,  le lieu de l'action - nous parlerions plutôt de l'objet - ne peut être le  librum qui désigne l'œuvreparvenue à son terme, mais la scriptio, l'acte même d'écrire (30).

(27 ) Sur ce point, v. l'analyse  d 'I. Rosier, op. cit.,  p. 120.(28 )  De  Causis Linguae Latinae  (édition Princeps ), Lyon, Sébastien Gryphe,

1540, p. 220.(29)  Ibid.,  p. 124. Sur sa perception tout à fait pertinente du couple signifi

 cado I consignificatio,  v. l'étude de J. Stéfanini, «Aristotélisme et grammaire : le De causis Latinae Linguae  (1540) de J.C. Scaliger», in  Histoire épistemologie

langage IV, fasc. 2, 1982, pp. 41-53.(30) La perspicacité linguistique de Scaliger, en particulier dans le domaine

du verbe, a été mise en évidence par J. Stéfanini dans l'introduction de sa thèse(La voix pronominale  en ancien et en moyen français,  Aix-en-Provence, Ophrys,1962), pp. 48-53.

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Ces réflexions, qui l'engagent à redéfinir en la simplifiant la

conception traditionnelle de la diathèse, ouvrent la voie au typed'analyses que la  Grammaire  générale  diffusera. C'est à cette occasion qu'il remarque que les verbes «présentent les choses tantôtdans leur être complet et parfait, tantôt en train de se faire» (31). Onpourrait croire un instant à une redécouverte des considérationsaspectuelles; en fait, il n'exploite cette intuition que pour montrerque l'opposition entre verbes substantifs, qui dénotent l'essence, etverbes adjectifs, qui dénotent le procès, peut être réduite.

Mais l'intérêt qu'on le voit manifester pour le signifié temporel

du verbe ne doit pas nous conduire à oublier que son analyse reste,pour l'essentiel, logico-fonctionnelle. C'est pourquoi, malgré qu'enaient ces Messieurs de Port-Royal, la  Grammaire générale et rai- sonnée  doit beaucoup à Scaliger, dont les positions sont souventcitées et parfois déformées.

Arnauld et Nicole optent pour une conception essentiellementlogique du verbe, renvoyant le balancier où les Modistes, qu'ils neconnaissent qu'indirectement, l'avait laissé. Mais le dispositif de laGrammaire générale et raisonnée est à la fois épuré et plus cohérent.L'universalisme de la grammaire se fonde sur la raison; la relationcomplexe entre les modi essendi  de l'univers référentiel et les modiintelligendi qui permettaient à l'esprit de les comprendre est évacuée;l'opposition nom/verbe, fondée sur l'opposition permanence/instantanéité, héritée des Modistes au travers de la réinterprétation deScaliger, est réfutée, la fonction première du verbe tenant à sacapacité d'affirmer. Le verbe «est un mot dont le principal usage estde signifier l'affirmation» (32); il sert «à marquer la liaison que

nous faisons dans notre esprit des deux termes d'une proposition»(33).  Cette précellence du logique sur le linguistique est si fortequ'Arnauld et Nicole se contentent de reprendre intégralement dansleur Logique ou l'art de penser  le chapitre du verbe, tel qu'il apparaissait dans le Grammaire générale et raisonnée.

(31) Cité et traduit par J. Stéfanini, op. cit., p. 49.

(32) Arnauld, A. et Lancelot, C ,  Grammaire générale et raisonnée, (1660),ch.  XII, p. 332. (Nous citons d'après l'éd. de 1803, précédée d'un  Essai surl'origine et les progrès de la Langue françoise par M. Petitot et suivie du  Commen taire de M. Duclos. )

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Mais la Grammaire générale et raisonné e précise en outre qu'à la

signification première du verbe, l'affirmation, ont été associéesd'autres significations secondaires :

1.  Un attribut; dans Petrus vivit, «vivit enferme seul l'affirmation etde plus l'attribut d'être vivant»; ainsi «c'est la même chose de dire Pierre vit,  que de dire  Pierre est vivant»  (34). La suite illustre àmerveille la conception de Port-Royal :

 De-là est venue la grande diversité des verbes dans chaque

langue; au Heu que, si on s'étoit contenté de donner au verbe la signification générale de l'affirmation, sans y joindre aucun attribut particulier, on n'auroit eu besoin dans chaque langueque d'un seul  verbe, qui est celui qu'on appelle substantif   (35).

2.  Un sujet, qui peut être explicite ou implicite;

3.  Une mise en relation de  l'affirmation  avec le temps divisible enépoques; il existe ainsi

Un rapport au temps au regard duquel on affirme : de sortequ'un seul mot comme  coenasti, signifie que j'affirme  de celui à qui je parle, l'action de souper; non pour le temps présent, mais pour le passé. Et de-là est venue la diversité des temps, quiest encore, pour l'ordinaire, commune à tous les verbes (36).

La signification fondamentale du verbe n'en demeure pas moinsl'affirmation. Là réside «ce qui est essentiel» au verbe, commel'atteste «sa seule vraie définition : vox  significans affirmationem(37).  Les accidents du verbe apparaissent donc comme secondaires,d'où le procès adressé à Aristote, accusé d'avoir pris un simpleaccident du verbe (le temps) pour sa signification essentielle  (l'af-firmation). Or, comme l'analyse avec beaucoup de précision A. Joly,la thèse d'Aristote «est que le verbe, en tant que prédicat, exprime àla fois l'affirmation  et  l'existence, qu'il affirme l'existence de

(33 )  Ibid.(34)  Ibid., p. 333.(35 )  Ibid.(36)  Ibid.(37) Ibid.. p. 337.

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l'attribut. On comprend que, du même coup, la temporalité, étroi

tement liée à l'existence, soit elle aussi reléguée à l'arrière-plan»(38).

La conception de Port-Royal, qui domine son siècle et au-delà,bloque absolument toute velléité de réflexion sur la temporalité et,plus encore, sur l'aspectualité. Pourtant, dans un mouvement dialectique qui n'est pas sans rappeler celui de Scaliger à l'endroit desModistes, c'est à partir de ce lieu théorique qu'Harris (39) enAngleterre et Beauzée (40) en France rouvriront ce chantier, enfrayant cette fois de fructueuses pistes.

Comme il y avait tout lieu de le supposer, cette seconde pisted'enquête, l'exploration des conceptions logico-fonctionnelles duverbe, n'a guère été féconde; en dehors de quelques fulgurances,comme celles de Scaliger, l'aspectualité n'y affleure jamais. Avant declore le dossier, il nous reste encore à examiner ce que j'ai appelé :

III.  La conception morphosémantique du verbe.

Là encore, ce sont les définitions grammaticales d'Aristote quenous trouvons à la base de toute la réflexion linguistique ultérieure.Mais le terrain, du moins pour l'antiquité classique, est mieux connu;de plus, nous avons la chance que cette question ait fait l'objetrécemment, pour les grammairiens grecs, d'un réexamen approfondipar J. Lallot (41) et une équipe de chercheurs. Leurs résultats invitent à réinterpréter avec plus de prudence des données que l'oncroyait acquises. Je me bornerai donc à souligner ce qui me sembleessentiel pour notre enquête.

(38 ) V. A. Joly,  « Temps et verbe dans les grammaires anglaises de l'époqueclassique» in Histoire Epistémologie Langage VII, fasc. 2, 1985, p. 110.

(39 ) Sur ce point, v.  infra p. 000.(40) Plusieurs études récentes viennent de mettre en lumière le caractère

profondément novateur des thèses de Beauzée, notamment dans le domaine verbal.V., en particulier, l'étude de M. Wilmet, «La modernité de Beauzée» in R.Martin et H. Hasquin, eds.,  Etudes sur le XVIIIe siècle,  Bruxelles, Ed. del'Université, 1981, pp. 109-123, ainsi que les travaux de P. Swiggers, «Temps et

verbe dans la théorie grammaticale des Encyclopédistes» in  Lingua PosnaniensisXXX, 1987 (1989), pp. 97-107 et «La description des modes verbaux chezBeauzée » in Zeitschrift fur franzosische Sprache und  Literatur 93, 1983, pp. 70-75.

(41) V. J. Lallot et  alii,  «Etudes sur les grammairiens grecs» in Histoire Epistemologie  Langage VII, fasc.I, 1985, 150 p.

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La conception stoïcienne du verbe ne nous est en fait connue

que par la scholie de Stéphanos (42). Il s'agit donc d'un témoignageisolé et tardif; partant, la reconstruction du système est éminemmentdiscutable. A l'en croire, les stoïciens classaient quatre des tiroirsverbaux de l'indicatif d'un double point de vue, à la fois aspectuel(traits pertinents extensif   vs. accompli) et temporel (traits pertinentsprésents vs. passé) :

le tiroir présent est un présent extensif;le tiroir imparfait est un passé extensif;le tiroir parfait est un présent accompli;

le tiroir plus-que-parfait est un passé accompli (43).L'aoriste et le futur ne s'inscrivent pas dans ce modèle à double

caractérisation; ils en sont écartés comme  indéfinis,  la parentémorphologique du radical dans de nombreuses formes de futur etd'aoriste ayant sans doute renforcé ce choix. Le cas de  l'aoriste  esttout à fait significatif : ce sont les corrélations adverbiales qui lereversent tantôt dans la catégorie de  l'extensif,  tantôt dans lacatégorie de l'accompli.

Voilà ce que la scholie de Stéphanos nous laisse entrevoir de la

doctrine stoïcienne. A partir de là, l'histoire de la grammaire grecque semble bien marquer une évacuation progressive des notationsaspectuelles au profit des notations strictement temporelles.

La Techné de Denys le Thrace (44) nous laisse dans l'incertitude;on se rappelle qu'il indique, dans sa définition des temps du verbe :

 Il y a trois temps (présent,  passé,  futur); parmi ceux-là le passé présente quatre variétés (imparfait, parfait, plus-

que-par fait, aoriste (45);

(42) Le texte de la scholie se lit in Grammat ici Graeci,  I, 3, p. 250 sqq.; poursa traduction, v. J. Lallot, op. cit., pp. 13-14.

(43) On trouvera dans l'article de J. Lallot, «La description des temps duverbe chez trois grammairiens grecs (Apollonius, Stephanos, Planude)», outre labibliographie fondamentale, une analyse fouillée des principaux concepts. V'.  op. cit. supra n. 41 , pp. 47-81.

(44 ) V.  Grammatici graeci,  I, 1. On lira une traduction commentée de laTechne  Grammatike,  due à J. Lallot, in Archives  et  Documents de la Société d'His toire et d'Epistemologie des Sciences du Langage, n° 6, 1985, pp. 1-105.

(45 ) La traduction est celle de J. Lallot, à l'exception de la désignation destemps verbaux, pour lesquels nous adoptons la terminologie usuelle.

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C'est la formule adoptée par l'ensemble de la tradition antique et

médiévale. Mais il ajoute :

entre eux ( i.e. les tiroirs verbaux), il y a trois parentés : du présent avec l'imparfait; du parfait avec le plus-que-par fait; de l'aoriste avec  le futur.

Cette seconde distribution des six tiroirs de l'indicatif est biendifférente de la première. Elle ne se fonde pas, à l'évidence, sur latemporalité, puisqu'elle réunit, dans deux cas sur trois, des tiroirs

verbaux appartenant à des époques différentes. Le principe premierde ce nouveau classement est à rechercher dans la forme des signifiants verbaux : la parenté morphologique unissant chacun de cescouples saute aux yeux, du moins pour les verbes réguliers (46). Maison ne peut s'empêcher de se demander si ces binômes morphologiques ne traduisaient pas, sur le plan des signifiés, des relations d'uneautre nature, relevant des mécanismes aspectuels.

Malheureusement, la Techné, qui se borne à constater le fait sans

le commenter, ne nous est d'aucun secours sur ce point. La syntaxed'Apollonius Dyscole (47) apporte, en revanche, un éclairage précieux sur la place occupée par les mécanismes aspectuels dans l'étudedes temps verbaux chez les grammairiens grecs au début de notreère. Ainsi que le montre K. Schopsdau (48), les valeurs aspectuellesconservent bien une vertu explicative, mais aux modes autres quel'indicatif, ce qui revient à dire qu'elles se substituent aux valeurstemporelles, quand celles-ci cessent d'être pleinement opératoires,comme c'est le cas au subjonctif, à l'optatif et à l'impératif où

l'opposition des thèmes de présent et de parfait ne peut plus sefonder sur des critères temporels. En d'autres termes, l'aspectapparaît chez Apollonius Dyscole «comme une catégorie adventice,imparfaitement dégagée de celle du temps» (49). C'est pourquoi J.Lallot ne pouvait que conclure ainsi son étude d'ensemble :

(46) Par exemple  : présent  tupto et imparfait  etupton; parfait tetupha et plus-que-parfait  etetuphein; aoriste etupsa et futur tupso.

(47 ) V. Grammatici Graeci,  II, 2.(48 ) V.  « Zur Tempuslehre des Apollonios Dyskolos » in Glotta 56, 1978, pp.273-394. L'article de J. Lallot cité  supra  complète et nuance le point vue exprimédans cette contribution (v. , en particulier, pp. 51-69 ).

(49 ) Lallot, art. cit., p. 52.

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On voit (...) comment, à partir de l'observation fondamentale

que le yerbe indique le temps, les grammairiens grecs ont contribué à mettre au jour la catégorie que les modernes nomment  aspect. Mais on voit surtout combien  cette catégorie, conquise sur celle du temps, avec laquelle elle entretient en grec des rapports complexes, a eu de la peine à s'imposer comme pertinente à  Vindicatif,  mode par excellence de l'expression temporelle (50).

Curieusement, l'histoire de la grammaire latine reproduit lemême schéma : Varron dessine un système à opposition aspectuelle,que Priscien verra sans l'exploiter vraiment et que Donat élimineracomplètement.

J. Collart a montré avec une grande précision comment Varronne se satisfait pas de la distinction philosophique des trois époques(51).  La différence fondamentale qu'il convient d'établir, selonl'auteur de De lingua  latina, dans le système verbal latin, réside dansl'opposition  infectum I perfectum,  ce que les contemporains necomprennent pas, ou du moins la plupart d'entre eux  (fere  omnes )(52). Les tiroirs de  l'infectum  (imparfait, présent et futur) marquentl'action inachevée, la présentent dans son développement; les tiroirsdu  perfectum,  symétriques des premiers (plus-que-parfait, parfait,futur antérieur) la présentent comme accomplie. Bien entendu, etcomme pour Denys le Thrace, la forte inscription morphologique,due à l'opposition des deux thèmes  (tundo / tutudi),  facilitait lerepérage du phénomène, mais Varron insiste bien sur sa nature; ilsemble incontestable que pour lui la catégorie de la «durée» ait euplus d'importance que celle du temps (53). En revanche, il neparvient pas à s'affranchir des modèles grecs au point de ne pas voirque le parfait latin cumule en système les valeurs de l'aoriste et duparfait grecs.

Priscien, quant à lui, définit le verbe à la fois par son signifié :«le propre du verbe est de signifier une action, sous la forme active

(50)  Ibid.,  p. 77.(51 ) V .J . Collart, Varron, grammairien  latin, Paris, Les Belles Lettres, 1954,

pp.  186-188.(52 ) De lingua latina, X, 47.(53 ) V.  ibid., X, 48 et le commentaire de J. Collart, p. 186.

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ou passive» (54) et par ses accidents; nous retrouvons la formulation

de Donat, le mode en plus  : «le verbe est une partie de discours quiprésente temps et mode, mais non le cas, et qui dénote action oupassion» (55).

En décrivant la morphologie du verbe latin, Priscien emploie lemodèle de Denys le Thrace et établit correctement l'équivalence desvaleurs de l'aoriste et du parfait grecs avec le parfait latin. Mais,bien qu'il reconnaisse la différence morphologique entre les deuxthèmes de  l'infectum  et du  perfectum,  il n'en tire aucune conséquence aspectuelle, marquant là un net retrait par rapport à Varron.

Il n'identifie pas non plus le futur antérieur, qu'il confond avec lesubjonctif parfait; sa soumission aux catégories grecques le conduitencore à distinguer un mode subjonctif et un mode optatif, alors querien - et il le constate lucidement - dans la morphologie du latin nelégitimait cette opération.

La doctrine de Priscien fige la conception morphosémantique duverbe pour de longs siècles, pratiquement jusqu'au XVIIIe siècle;son influence a donc été considérable : il n'est pas jusqu'aux définitions de Grevisse qui ne lui aient emprunté!

Nous prendrons, pour terminer, comme exemple du modèlemorphosémantique dérivé des  Institutiones  le cas de la grammairevernaculaire médiévale la plus complexe et la plus riche, les  Leys d'Amors (56). Le principal rédacteur des Leys, Guilhem Molinier, setrouve placé devant un redoutable dilemme; d'une part, il dispose ducadre théorique et descriptif latin, qu'il maîtrise parfaitement, toutcomme il connaît les spéculations grammaticales les plus récentes;d'un autre côté, il a à rendre compte du fonctionnement ensynchronie d'une langue romane, l'ancien occitan, qui, si elle est

(54)  Proprium est verbi actionem sive passionem significare.  (Ed. Keil,Grammat ici Latini, 2 , 4 ,  18 ) .

(55)  Verbum  est pars orationis  cum temporibus  et modis, sine casu, agendi vel patiendi significativum. (Gram, lat.,8,  1,  1 ) .

(56) L'immense compilation toulousaine (1332-1356) nous est parvenue soustrois rédactions différentes ; nous nous contenterons de citer ici la rédaction longueen prose. Malheureusement, l'édition Gatien-Arnoult (Toulouse-Paris, s.d. [ 1840-1843 ] , 3 t . , 365, 431 et 409 p.) ne répond plus aux exigences scientifiques modernes et nous contraint à recourir au texte de notre propre édition, envoie d'achèvement. La concordance avec l'éd. Gatien-Arnoult sera indiquée,chaque fois qu 'elle est possible.

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parmi les plus conservatrices, n'en offre pas moins un système  dif-

férent, des structures analytiques ayant largement remplacé lesstructures synthétiques du latin. La prégnance des modèles latins, enl'occurrence Priscien, est considérable. On en jugera par la définition (57), ainsi que par les accidents du verbe, directement hérités dePriscien (58). L'étude des temps, outre qu'elle témoigne plaisammentde la confusion des signifiés de  temps  (59), n'est pas exempte denotations aspectuelles, du moins pour les tiroirs du passé. Mais, unenouvelle fois, la transposition mécanique du système latin conduit àune absurdité  : donnant la même étiquette, preterit perfag,  au passé

simple yeu amey et au passé composé yeu hay amat (60), il neutraliseleur oppositon aspectuelle pour ne retenir que la valeur  d'extensif,au sens guillaumien du terme,  (cauza passada non ha gayre  ) .  Maisconfronté à la réalité discursive, lorsqu'il examine la combinatoiredes temps, il perçoit que le passé simple et le passé composé, quioffrent, en système, pour la langue occitane, une opposition aspectuelle claire  (tensif   vs extensif ) ne peuvent commuter. C'est encorePriscien qui lui fournit la solution; de même que le parfait latin peutse charger de la valeur d'aoriste ou de parfait, de même le preterit

 per fag  peut offrir deux  significatz  (61); il ne voit pas que dans un

(57 )  Verbs es una partz d'oratio, significans actio o passio, am mos  («modes»)et am temps.  (= G.-A., II, p. 230).

(58 )  Devetz saber qu'en lo verb son segon romans. VII. acciden, sos assaber gendres, temps, mos, especia, figura, persona e nombres.  (= G.-A., II, p. 232). «Ilfaut savoir que le verbe, en occitan, connaît sept accidents, qui sont le genre, letemps, le mode, l'espèce, la figure, la personne et le nombre ».

(59)  Segon cors de natura no son mas tres temps, le pre zens, le preterit e.l futurs. Enpero en lo verb son  .v. temps : le pre zens, le preteritz imperfagz, le prete ritz perfagz, le prete ritz plusqueperfagz e.l futurs. Et enayssi le prete ritz temps es partitzen tres membres : en preterit imper fag, perfag e plusquepergfag.  (= G.-A., II, p.238).

«Le prétérit parfait exprime un événement passé il y a peu, mais accompli,comme  j'aimai  et  j'ai aimé  [  amiey  est une simple variante morphologique de amey  ]  , tu as aimé, il aima et //  aimé.»

(60)  Le prete ritz perfagz significa cauza passada non ha gayre e complida, coma yeu amey et hay amat o amiey et kay ornat, tu amiesi et has amat, cel amet et ha amat.  (= G.-A., II, p. 238).

«Le prétérit parfait exprime un événement passé il y a peu, mais accompli,comme  j'aimai  et  j'ai aimé  [  amiey  est une simple variante morphologique de amey ] , tu aimas et tu as aimé, il aima et il a aimé  . »

(61 )  DE LA CONBINATIU  DEL PRETERIT IMPERE AG DEL INDICATIÜ AM LOS AUTRES TEMPS.

 Le preteritz imperfagz del indicatiu s'ajusta am si meteysh en totas aquetas

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cas il y a deux signifiés pour un signifiant et que, dans l'autre,

chaque signifié verbal correspond à un signifiant différent. Iln'analyse pas non plus l'opposition en termes aspectuels, il se borneà en constater l'existence.

On retrouverait, fondées sur les mêmes bases épistémologiques,des analyses comparables dans certaines grammaires françaises duXVIe siècle. L'exploration de cette troisième piste, celle de laconception morphosémantique du verbe, s'est donc révélée la moinsinfructueuse pour notre enquête. Cela étant, ses résultats restent

décevants dans la mesure où, qu'il s'agisse de l'antiquité ou dumoyen âge, à peine mis à jour, les phénomènes aspectuels sontrefoulés, la temporalité reprenant bien vite le terrain perdu surl'aspectualité.

C'est seulement au XVIIIe siècle que, à partir pourtant desconceptions de la grammaire générale, l'appréhension des phénomènes temporels se fera dans toute sa complexité. Ainsi Harris,l'auteur d' Hermes, nous l'avons vu (62), renouvelle profondémentla réflexion en ce domaine : il repense, en particulier, les relations

du présent linguistique avec le présent de l'expérience, intégrant à saréflexion l'apport des mathématiques, du calcul infinitésimal,notamment (63). Sa conception du présent, dont le rôle consiste àscinder l'infinitude du temps en deux, ne peut qu'évoquer celle qu'en

manieras quel prezens del indicatiu s'ajusta am si meteysh. Le preteritz imperfagz del indicatiu s'ajusta am lo preterit perfag d'aquel

meteysh endicatiu am  can, entre,  sitot, sibe, am lo primier significat del dig preterit perfag e non ges am lo segon, coma  cant yeu anava a Tkoloza o mentre anava aTholoza, yeu vi Bernai o encontrey vi Bernat o encontre y Bernad. Quar ges be noseria dig en lo segon significat, coma  mentre anava a la gleyza, hay encontrat Bernad  ; per  qu'om  dey dir  encontriey.  ( = G .-A., II, p. 282 ) .

«DE L'EMPLOI DU PRETERIT IMPARFAIT DE L'INDICATIF AVEC LESAUTRES TEMPS.

Le prétérit imparfait de l'indicatif s'emploie avec lui-même, exactement dansles mêmes conditions que le présent de l'indicatif le fait avec lui-même.

Le prétérit imparfait de l'indicatif s'emploie avec le prétérit parfait de cemême indicatif après can, mentre, sitot, sibe,  [ «quand, tandis que, quoique, bienque »  ] , mais avec le premier signifié dudit prétérit et nullement avec le second,comme  quand   j'allais  à Toulouse ou  pendant que  j'allais  à Toulouse, je vis ou  je

 rencontrai Bernard.  Car ce serait fort mal dit avec le second, signifié, comme pendant que  j'allais  à l'église, j'ai rencontré Bernard   c'est pourquoi l'on doit direencontriey [ je rencontrai ]  . »

(62) V.  supra p. 39.(63 ) Sur tous ces points, v. l'étude d'A. Joly citée  supra n. 38.

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donnera Jespersen deux siècles plus tard. A partir du présent,

véritable pivot du système, il distribue les tiroirs verbaux selon descritères temporels, mais aussi aspectuels. Certes son analyse pèche ànos yeux par une distinction insuffisante de l'aspect verbal et del'aspect lexical; certes, alors qu'il rêve de décrire un système universel, il est, en fait, comme les rédacteurs des Leys,  prisonnier descontradictions que présentent sa langue maternelle (l'anglais), surlaquelle porte, en réalité, l'intégralité de l'étude et la langue deréférence (le latin). Il n'empêche, son analyse, comme celle deBeauzée, marque un saut qualitatif considérable.

J'ai bien conscience du sentiment de frustration qui doit habiterle lecteur au terme de cette longue exploration du passé : il n'auraété que trop peu question de l'aspect  stricto sensu  dans notreenquête, mais je crois cette frustration révélatrice en elle-même. Sila notion d'aspect verbal se dégage si malaisément et, j'espère l'avoirmontré, s'il n'y a aucune progression historique, mais plutôt desavancées suivies de régression, cela tient, me semble-t-il, à deuxtypes de facteurs : d'abord à la difficulté de l'objet en lui-même :comme le disait Vendryés, «Il n'y a guère en linguistique de question plus difficile que celle de l'aspect, parce qu'il n'y en a pas deplus controversée et sur laquelle les opinions divergent davantage.On n'est d'accord ni sur la définition même de l'aspect, ni sur lesrapports de l'aspect et du temps, ni sur la façon dont l'aspects'exprime, ni sur la place qu'il convient de reconnaître à l'aspectdans le système verbal des différentes langues» (64).

L'extraordinaire divergence dans les conceptions du verbe dontnous avons eu à rendre compte témoigne bien de la complexité duproblème. Il nous semble d'autre part que la pensée linguistique a euet a toujours beaucoup de mal à discriminer ce qui est proprementverbal dans les phénomènes aspectuels. Les corrélations verbo-adverbiales, la simple complémentation (que l'on songe à la différence aspectuelle soulignée par J. David et R. Martin entre je cueilleune fleur / je  cueille des fleurs  (65)), tout un ensemble de dispositifs

(64)  Bull,  Soc. Ling. de Paris  42, p. 84. Cité par R. Martin in Temps et aspect, p. 48, n. 106.

(65) V. l'introduction des actes du colloque de Metz,  La notion d'aspect(18-20 mai 1978 ), publiés par J. David et R. Martin, p. 8.

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énonciatifs produisent des effets aspectuels, qui ne tiennent pas, du

moins pas exclusivement, au signifié verbal. Et la confusion quirègne en ce domaine, agrémentée d'une prolifération terminologiqueexponentielle, est, encore aujourd'hui, grande : il suffit de lire lesinstructions officielles de 1975 concernant l'enseignement du  fran çais en classes de troisième et de quatrième pour en avoir un aperçucaricatural.

Il était donc naturel que ce soit les systèmes linguistiques àinscription forte de l'aspect dans leur morphologie qui aient favorisél'émergence de la notion; mais, le cas du latin l'a bien montré, c'est

une condition nécessaire sans être suffisante. De même, si l'on estguillaumien, l'on considérera que la traduction morphologique del'aspect était en  français  trop aveuglante pour qu'on puisse la voir;sinon, on estimera que l'aspect, sémasiologiquement différencié,intervient en trop de lieux du système pour que l'on en ait une saisieclaire.

Secondairement la difficulté, pour l'historien des sciences dulangage, tient aux interrelations, aussi nécessaires que complexes àétablir, entre modes généraux de pensée et réflexion linguistique.Inutile d'insister, dans le cas d'un Beauzée ou d'un Condillac sur cetindispensable examen; mais permettez au médiéviste de conclure parun exemple de ce genre d'investigations, dont il ne s'agit pas de nierles dangers. Nous avons vu que, brusquement, aux XIIe - XIIe siècles, le signifié verbal fut considéré comme inapte à l'expression dela durée. Or l'homme médiéval connaît simultanément une fantastique mutation dans son rapport au temps. Le temps devient objet demesure, témoigne de l'essor du quantitatif sur le qualitatif. Le tempsrationnel, abstrait, réversible mentalement, en quelque sorte extérieur à l'homme, ce temps invariant et répétitif, objet de connaissance, se substitue progressivement au temps vécu, concret, lié auxrythmes internes du corps, et qui nous apprend, selon la formule deMerleau-Ponty, ce qu'est «le passage ou le transit» (66), l'irréversibilité. Autrement dit, le moment où le temps «impliqué» cède lepas au temps «expliqué».

(66) V.M. Merleau-Ponty, Phénoménologie  de la perception, Paris, Nlle éd.,1976, p. 474 sqq.

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Principaux repères chronologiques

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1775

AristoteDenys le Thrace

Varron, De lingua latina

Apollonius DyscoleTechne attribuée à Denys le Thrace?Donat, Ars minor, Ars maior

Priscien, Institutiones...

Pierre Hélie, Summa...

Les ModistesThomas d'Erfurt

 Les Leys d'Amors

Dubois, In Unguam gallicam Isagoge

Scaliger, De causis Latinae Linguae

Ramus, Grammaire

Sanctius, La Minerve

Arnaud et Nicole, Grammaire générale et raisonnée

Arnaud et Nicole, La logique ou l'art de penser

Harris, Hermes

Beauzêe, Grammaire générale

Condillac, Grammaire

Gérard GONFROYUniversité de Limoges

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L'opposition perfectif/imperfectifet la notion d'achèvement

L'histoire de la catégorie grammaticale de l'aspect est longue etcomplexe et nous ne l'évoquerons pas ici. Malgré une très abondantelittérature et un intérêt périodiquement renouvelé pour la notion

d'aspect, aucune définition généralement admise ne  s'est  encoredégagée (1). Les phénomènes linguistiques considérés comme aspec-

(1) Rappelons ici quelques définitions. Pour J. Holt (1942 : 6) , l'aspectconcerne «les différentes manières de concevoir l'écoulement du procès». De soncôté, B. Comrie (1976 : 5) qui s'appuie sur cette définition, affirme que l'aspectet le temps 'are concerned with time in very different  ways '. ( ...) Tense locatessituations in time ( . . .) . 'Aspect is not concerned with relating the time of thesituation to any other time-point, but rather with the internal temporal constituency of the one situation'. Citons C. Hockett (1958 : 237) : 'aspects have to do,not with the location of an event in time, but with its temporal distribution orcontour*. Ju. S. Maslov (1959 : 309) et A. Bondarko (1971 : 17), chefs de file del'école aspectologique de Léningrad, se fondent sur le point de vue que le sujetparlant choisit pour présenter l'action : soit comme un tout indivisible, soit sansréférence à la totalité de l'action. J. Forsyth (1970 : 8) affine la définition deMaslov et propose la suivante : «a perfective verb expresses the action as a totalevent summed up with reference to a single specific juncture». J. Veyrenc (1980 :40) définit l'aspect «comme la relation que l'énonciateur institue entre sa représentation du temps et le contenu du procès qu'il énonce». Par conséquent, troisparamètres sont mis en jeu : l'attitude d'énonciation qui implique la personne et lemode, le temps et le contenu sémantique du procès qui implique la voix.

Lorsqu'il s'agit des langues slaves, l'aspect est défini le plus souvent à partir del'opposition perfectif/imperfectif et en termes d'opposition privative. Suivant lesauteurs les traits sémantiques retenus diffèrent : notion de durée pour A. Meillet ;notion de terme pour J. Holt ; notion de totalité pour Ju. S. Maslov et A.V.Bondarko.

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tuels varient d'un auteur à un autre (2) et l'aspect tel qu'il est envi

sagé actuellement dans les études englobe toute une variété dedistinctions qui «ne devraient peut-être pas du tout être appeléesaspectuelles » (Leinonen - 1984 :239).

S'il existe des fluctuations aussi profondes entre les linguistes, ilest indispensable de s'interroger non seulement sur les raisons quiles provoquent, mais aussi sur la méthodologie à adopter pourarriver à circonscrire la notion d'aspect. Et la première question quise pose est de savoir si l'aspect est une catégorie notionnelle qui,dans certaines langues seulement, a une expression grammaticalisée.

Il est bien connu que les faits slaves ont été d'une très grandeimportance dans le domaine aspectuel puisque dans de nombreusesétudes linguistiques la notion même d'aspect est identifiée à l'opposition entre le perfectif et l'imperfectif des langues slaves. Aussi,dans les pages qui suivent, nous évoquerons de façon succinte lesraisons qui ont conduit à ces fluctuations en examinant les termes deperfectif et d'imperfectif utilisés dans les études sur l'aspect. Ensuite,à partir d'éléments qui paraissent mériter d'être retenus, nous présenterons la notion d'achèvement et nous nous interrogerons sur sa

pertinence pour la construction de la notion d'aspect.

1.  L'opposition perfectif/imperfectif

Pourquoi aucun consensus ne s'est-il dégagé dans l'emploi destermes de perfectif et d'imperfectif   ? Nous y voyons principalementles raisons suivantes :

1) L'aspect a été d'abord conçu dans le domaine des langues slavescomme une opposition entre deux séries de verbes - perfectifs et

(2) Il ne sera pas inutile de citer à ce propos l'appréciation formulée avecautant de justesse par J. Vendryès (1942-1945 : 84), il y a presque cinquante ans,et qui reste toujours en vigueur : «Il n'y a guère en linguistique de question plusactuelle que celle de l'aspect. Chaque linguiste s'en préoccupe du point de vue deses études propres et l'introduit dans ses recherches sur les langues les plus variées.Mais il n'y a guère aussi de plus difficile parce qu'il n'y en a pas de plus controversée et sur laquelle les opinions divergent davantage. On n  'est d'accord ni sur ladéfinition même de l'aspect, ni sur les rapports de l'aspect et du temps, ni sur lafaçon dont l'aspect s'exprime, ni sur la place qu'il convient de reconnaître àl'aspect dans le système verbal des différentes langues ».

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imperfectifs - puisque tout lexème verbal slave est morphologi

quement aspectué. Les aspects slaves se manifestent par un jeucomplexe de préfixation et de suffixation d'où les distinctions entreimperfectifs simples (type  čitât'  «lire»), perfectifs simples  (dat'

«donner»), perfectifs dérivés  (pročitat  «l ire») et imperfectifssecondaires  (pročityvat'  «lire»). Mais la définition des aspects nepeut pas être faite en termes purement morphologiques (Holt - 1942 :59 sq) même si les formes linguistiques et les relations formellesentre ces formes sont une condition nécessaire pour circonscrire unecatégorie grammaticale. Rappelons à ce propos la controverse des

slavistes concernant les paires aspectuelles et donc le statut des préverbes vides  (c'est-à-dire les préfixes qui ont une significationpurement grammaticale et non pas lexicale) (3) : la distinction entrel'imperfectif simple du type  pisa  «écrire» et le perfectif préfixé dutype  napisa  «écrire» est-elle une opposition aspectuelle ou unedifférence lexicale ? Si cette distinction est d'ordre lexical, la véritable opposition aspectuelle ne se situe-t-elle pas alors entre leperfectif préfixé  napiša « écrire » et l'imperfectif secondaire  napis-vam « écrire » ? la distinction entre  lešti (pf) « se coucher » et ležati

(impf) «être couché» doit-elle être considérée comme une opposition aspectuelle ? Dans ces discussions apparaît nettement le problème de la distinction entre la catégorie de l'Aktionsart (modesd'action) et la catégorie de l'aspect (4) bien que la frontière entre lesdeux ne soit pas toujours très franche. D'un autre côté, sans entrerdans le débat sur les paires aspectuelles, la question est importantedans la mesure où elle touche à la préfixation en tant que moyenpermettant de perfectiver une forme verbale slave. Or, comme lapréfixation verbale est propre à toutes les langues indo-européennes

et que les verbes préfixés manifestent certaines similitudes sémantiques en commun, des assimilations ont été faites, par exemple,entre les perfectifs slaves et les verbes préfixés allemands  (jagen :

(3) Cette controverse a conduit, comme le remarque Koschmider (1934), àun certain déplacement dans l'étude de l'aspect - un déplacement du domainesémantico-syntaxique dans celui de la lexicologie.

(4) Maslov définit la distinction entre l'aspect et les modes d'action de lamanière suivante : «Mais par opposition avec les aspects, les modes d'action neconstituent pas des catégories grammaticales, ils ne forment pas d'oppositionsparadigmatiques nettes d'une grande ampleur, ils restent dans le cadre des distinctions lexicales entre les verbes ».

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erjagen ).E.  Koschmider (1934) rejette avec raison un tel transfert et

montre que la préfixation verbale en allemand ne joue pas un rôlegrammatical, comme c'est le cas dans les langues slaves, et neconduit donc pas à la notion d'aspect.

Il apparaît donc que les termes slaves de perfectif et d'imperfec-tif marquent d'abord des distinctions de type morphologique.

2) A l'opposition morphologique perfectif/imperfectif se superposela distinction de perfectif et d'imperfectif définie en termes sémantiques. Différentes notions sémantiques telles que durée, procès en

développement, répétition ont souvent été retenues comme essentielles pour définir l'imperfectif. Selon A. Meillet (1902-1905 : 100),par exemple, l'imperfectif indique le procès dans sa durée et leperfectif en dehors de toute durée. J. Holt (1942 : 66), rejette lanotion de durée comme fondamentale pour définir le perfectif etl'imperfectif parce que certains verbes imperfectifs comme  dajati« donner » ne contient rien de plus duratif que le verbe perfectif  dati«donner». A partir de l'analyse des formes verbales, il met enévidence la notion de terme : les verbes perfectifs désignent leprocès avec son terme, tandis que les verbes non perfectifs ne possèdent pas une telle indication  ; un procès peut être interrompu sanspour autant être achevé. Cette façon de définir l'opposition perfectif/imperfectif rejoint d'une certaine façon la conception de F.Miklosich et de A. Leskin pour qui les verbes perfectifs indiquent leprocès achevé ou le procès avec son terme.

Les divergences entre les linguistes portent essentiellement surl'invariant à assigner à la forme imperfective, car les différentesvaleurs et nuances qui lui seraient associées dépendent entièrementdu contexte. Le perfectif, en revanche, présente des emplois plushomogènes, ce qui permet de lui assigner une valeur sémantiqueintrinsèque, d'où deux notions qui se font concurrence  : la notion de'limite' (ou de terme) et celle de 'tout indivisible'. A. Bondarko(1967 : 31) fait remarquer que ces deux notions viennent de ladouble définition donnée par L. Razmusen (1891). En effet, Ju.Maslov (1959 : 309) suivi par J. Forsyth (1970), B. Comrie (1976)...,définit, dans son étude sur le bulgare, l'opposition entre perfectif etimperfectif de la manière suivante : « la catégorie du perfectif et del'imperfectif (...) reflète le choix objectivement conditionné du sujetparlant (ou du sujet qui écrit) entre deux façons de voir l'actiondénotée par le verbe  : le point de vue qui la présente comme un toutindivisible (le perfectif) ou celui sans référence à la totalité de

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l'action (l'imperfectif)».

La notion de 'tout indivisible' n'a pas été véritablement définie.Implique-t-elle l'achèvement de l'action ? Est-elle équivalente à lanotion de 'totalité' puisque l'imperfectif est défini comme nerenvoyant pas à la notion de totalité (Maslov - 1959 ; Bondarko -1971 : 11  sq  ). Pour Forsyth (1970 : 11) «l'expression d'une actioncomme un 'tout indivisible' implique certainement dans un certainsens 'achèvement' (completeness), mais pas nécessairement son'achèvement actuel'.

Même s'il paraît relativement plus facile de définir un invariant

pour la forme perfective, l'association de façon biunivoque d'unevaleur sémantique unique à chaque terme de l'opposition s'avère, enrègle générale, chose difficile car chaque forme morphologiquementaspectuée présente des emplois variés et complexes.

Devant l'ambiguïté des termes perfectif/imperfectif, on voitapparaître ceux de perfectivité et d'imperfectivité dans les travauxdes slavistes. Citons B. Comrie :

«...  la perfectivité  indique le point de nue d'une situation comme

un tout (single  whole ) sans distinction des différentes phasesqui composent cette situation alors que l'imperfectif attirel'attention essentiellement sur la structure interne de la

 situation» (Comrie : 1976 :16)

et plus loin :

«il s'en suit que la perfectivité implique plutôt une absence de référence explicite sur la composition interne de la situation quel'indication explicite de l'absence d'une telle composition

 temporelle interne» (Comrie - 1976  : 21).

Ces formulations, qui prennent directement appui sur celles deMaslov, ne sont pas pleinement satisfaisantes. Elles ne permettentpas de rendre compte, par exemple, de certains imperfectifs secondaires qui en bulgare ou en russe, par exemple, présentent un «fonctionnement syntaxique restreint» puisqu'ils ne peuvent exprimer«le processus en développement».

3) L'opposition slave perfectif/imperfectif et la corrélation tripartitedes thèmes du présent, de l'aoriste et du parfait en grec ancien sontregardées comme des modèles classiques de l'expression de l'aspect(Holt - 1942 ; Maslov - 1962 : 7-8 ; 1978). D'autres oppositions

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grammaticales dans des langues aussi bien indo-européennes que

non indo-européennes sont également considérées comme aspec-tuelles comme, par exemple, l'opposition accompli/inaccompli dansles langues sémitiques, l'opposition du thème infectum/perfectum enlatin, l'opposition «Continuous - Non Continuous» en anglais,l'opposition imparfait/passé simple en français, etc (5). Et lorsqueces oppositions marquent une certaine ressemblance avec les aspectsslaves, on a recours aux termes de perfectif et d'imperfectif deslangues slaves. Prenons à titre d'exemple l'article de D. Armstrong(1981) sur le grec ancien où le thème de l'aoriste et le thème du

présent sont identifiés respectivement par perfectif et par imper-fectif.  Un tel procédé pose problème parce que l'on ne tient pascompte du fait que même actuellement il n'existe aucun consensussur la définition des distinctions sémantiques dites perfectif etimperfectif. Peut-on vraiment assimiler le perfectif slave à l'aoristegrec ou à l'accompli sémitique et l'imperfectif slave au thème duprésent grec ou à l'inaccompli sémitique ? Analyser des oppositionsgrammaticales dégagées dans d'autres langues comme une oppositionde type perfectif/imperfectif ne permet de comprendre ni la nature,

ni la fonction de telles oppositions.

4) L'opposition perfectif/imperfectif des langues slaves est attachéeau système verbal, mais en réalité l'utilisation d'une forme verbaleobligatoirement aspectuée dépend d'autres facteurs tels que lasémantique du lexème, la présence d'une expression adverbiale(Maslov - 1959 ; Bondarko - 1971  ;...), les propriétés sémantiques dugroupe nominal assumant la fonction syntaxique d'objet direct(Guentchéva - 1978 ; Kabakciev - 1984) et plus rarement celle dusujet (Dancev & Aleksieva - 1973).

Il apparaît nettement alors un problème méthodologique : doit-on partir des formes linguistiques ou d'un ensemble de notions pourdécrire l'aspect dans les langues ? Dans les deux cas, il y a desdangers et des pièges. Au sujet des structures syntaxiques, B. Pottier(1987 : 98  sq )  a bien mis en évidence le fait que travailler sur lesseuls critères formels pourrait conduire à mettre de simples étiquettes sur un type de marque formelle. Mais lorsqu'il s'agit de

(5 ) Maslov remarque que l'aspect slave perfectif/imperfectif s'avère être un« cas » particulier de l'aspect verbal dans les langues.

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l'aspect, il nous semble également dangereux de partir d'un ensemble

de notions parce que l'on risque de prendre pour aspectuelles desnotions qui n'ont rien à voir avec la notion d'aspect. Un va et viententre un système de formes linguistiques et un système de notionsconstitue à nos yeux la seule garantie d'un travail systématique.

5) Il se pose enfin la question de la nature de la relation entre tempset aspect : sont-ils deux catégories distinctes ou deux faces d'uneseule et même catégorie ?

Le problème est controversé (6) même si la majorité des linguis

tes proclament l'indépendance du temps et de l'aspect. Ainsi, A.Bondarko (1971 : 235  sq),  par exemple, qui affirme que temps etaspect (en russe) sont deux catégories grammaticales distinctes,s'empresse de souligner leur interrelation et interdépendance. Tempset aspect sont deux catégories indépendantes parce qu'ils «ont dessystèmes de formes distincts, un contenu sémantique différent et desmoyens d'expressions différents». Mais temps et aspect sont eninterrelation principalement parce que le paradigme temporeldépend de l'aspect, que le fonctionnement des aspects dépend du

 plan temporel, que certains traits sémantiques sont propres aussi bien au système aspectuel qu'au système temporel...

D'une façon ou d'une autre, des notions temporelles interviennent toujours dans les études sur l'aspect même lorsqu'onexamine l'opposition perfectif/imperfectif. D'ailleurs l'expression'formes aspecto-temporelles' en est la preuve. Le point, de façonsuccinte, fait par A. Timberlake (1985) dans un article sur l'aspect, lemontre clairement : pour certains, les différences d'aspect relèventde la qualité de la structure du temps lui-même (Galton - 1976) ;

 pour d'autres, l'aspect est défini par la différence qui apparaît entreles situations (événements) de base, construites elles-mêmes dans letemps (Kucera - 1983) ; pour d'autres enfin, de façon implicite ouexplicite, l'aspect est défini comme une relation entre les prédicats etle temps (Timberlake - 1985).

 Nous avons adopté depuis longtemps l'attitude de considérertemps et aspect comme deux faces d'une même catégorie.

(6) Holt (1942) a bien mis en évidence les deux tendances tranchées de sonépoque : d'un côté, les linguistes - de loin majoritaires - pour qui l'aspect étantune qualité du procès, se constitue en catégorie grammaticale distincte de celle dutemps (Delbruck) ; d'un autre côté, les linguistes pour qui temps et aspect sontdeux faces d'une même notion (Koschmider, Guillaume ).

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2.  La notion d'achèvement

La littérature sur les problèmes aspectuels abonde en termescomme limité, borné, terminatif, telic, achevé, accompli, etc. qui nesont jamais bien définis (7). La signification qui leur est attribuée,n'est pas très précise, ce qui les rend à la fois proches et concurrents.Le dernier concept en date, à notre connaissance, est celui de clôture. Il est introduit par S. Chung et A. Timberlake (1985). Dansle cadre théorique fixé par les auteurs, le concept de 'clôture' estposé comme abstrait et fonctionne à deux niveaux - niveau propo-

sitionnel et niveau prédicatif. Bien que des distinctions aspectuellestrès fines soient dégagées, les problèmes ne sont pas complètementrésolus. D'abord l'opposition «niveau propositionnel/niveau prédicatif» (8) n'est pas toujours très claire car les réflexions sur lesoppositions au niveau prédicatif semblent se confondre avec cellesau niveau propositionnel. D'un autre côté, le concept de 'clôture' quiopère aussi bien au niveau propositionnel qu'au niveau prédicatif(Chung et Timberlake - 1985  : 217), ne nous paraît pas suffisammentbien défini. En effet, il est établi au niveau propositionnel une

opposition entre d'un côté

(1) John painted  until the sun went down

et d'un autre côté (2) et (3) :

(2) John painted from morning until night

(3) John painted  seventeen houses within three days

A notre avis, une telle opposition n'est pas pertinente car la distinction se fait non pas entre (1) d'un côté et (2) et (3) d'un autre, maisentre (1) et (2) d'une part, et (3) de l'autre. En effet, dans (1) et (2) onmarque qu'il y a eu processus et que ce processus a été interrompu(l'interruption étant marquée par une subordonnée temporelle dans(1) et par une expression adverbiale dans (2)  ; dans (3) on ne marquepas une simple interruption du processus, mais une interruption due

(7) Voir les commentaires de Dahl (1981 ) sur le désordre terminologique enaspectologie.

(8 ) Voir les commentaires de Leinonen (1984) sur l'ensemble des paramètressémantiques proposés par Timberlake (1982).

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au fait que le processus a atteint son terme («70 maisons ont été

peintes entièrement dans un intervalle de trois jours») et qu'au-delàde ce terme, il ne peut pas être continué. Les langues slaves ontgrammaticalisé ces deux types d'interruption du processus au niveaude la forme verbale.

Nous nous plaçons dans un cadre théorique où la notion dechangement est considérée comme fondamentale pour la descriptiondes phénomènes aspecto-temporels dans les langues. Si l'on acceptecette notion, tout énoncé dénote alors soit une situation statitive,soit une situation dynamique : une situation renvoie à un état,  une

situation dynamique renvoie soit à un processus, soit à un événement(9).  Par conséquent, état, processus et événement doivent êtreconsidérés comme des concepts de base. Mais pour bien comprendrele concept d'événement, il est nécessaire d'introduire deux autresconcepts, à savoir  le concept d'achèvement et le concept d'ac complissement.

Un processus est une situation dynamique. Il est conçu commeune certaine transformation qui s'opère à partir d'un état initial etqui est orienté vers un état final. Construit comme une successiond'états instantanés non identiques entre eux et donc temporellementorientés, le processus est lié intimement à la notion de changement.Pris au cours de son développement, le processus se présente comme

 non accompli. Ainsi, l'énoncé bulgare :

(4) Ivan jade « Jean mange »

marque un processus en cours de développement qui se trouve enconcomitance avec l'acte d'énonciation ; le processus est donc non

accompli.En revanche, lorsque le processus est interrompu au cours de

son développement, il peut renvoyer :- soit à un processus accompli ;- soit à un processus accompli et achevé.Le processus est dit accompli lorsque la transformation qu'il

opère n'est pas complète, c'est-à-dire que le processus est interrompuavant «d'atteindre son terme». Le processus est dit achevé lorsque

(9) Sur les notions d'état, processus, événement, voir l'article de J.-P.Desclés (1989), ainsi que (Desclés et Guentchéva - 1987 ; 1989 ; Guentchéva etDesclés- 1982).

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la transformation qu'il opère est complète et qu'il n'est pas possible

de la poursuivre plus loin ; le processus a donc atteint tout naturellement son état final. Prenons pour illustrer les exemples suivantsen bulgare où les notions d'accompli et d'achevé sont grammatica-lisées :

(5) Az pix (A.  impf.)  kafe  «J'ai bu du café/J'ai pris

Je ai-bu café du café»

(6) Az pix  (A. impf.)  edno kafe  «J'ai bu un café/J'ai pris

Je ai-bu un café un café»

(7) Az izpix(A.  pf.)  edno kafe  «J'ai bu un café»Je ai-bu un café

Dans (5) et (6), l'aoriste (A.) permet de marquer que le processus'boire-café' a eu lieu ; la forme imperfective (impf.) permet designifier que ce processus a été simplement effectué et interrompu

sans atteindre son terme. Il s'agit donc d'un processus simplementaccompli. La différence entre les deux exemples consiste dansl'apparition du marqueur edno « un » dans (6) où sa présence permetde considérer l'entité nominale  kafe  qui apparaît, comme un objet.En revanche, son absence dans (5) permet de considérer kafe  commepleinement intégré au prédicat. Cette différence apparemmentinfime détermine certains contextes où seul (6) peut être utilisé. Parexemple, à une question comme «Pourrais-je vous offrir un café ?»,on utilisera plus spontanément (5) pour refuser :

(5) a.  Ne, blagodarja. Az vece pix  (A. impf.)  kafe.

«Non, merci. J'ai déjà pris du café».

et (6) pour accepter :

(6) a.  Az pix edno kafe predi da trăgna, no  šie pija ošteedno s udovolstvie.«J'ai pris un café avant de partir, mais j'en

prendrai avec plaisir un deuxième».Dans (7), si l'aoriste marque comme précédemment que le processus 'boire-café' a eu lieu et qu'il a été interrompu, la formeperfective signifie que ce processus n'a pas été simplement effectué,

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mais qu'il a été effectué en atteignant son propre terme. Il s'agit

donc d'un processus accompli et achevé.La différence entre (6) et (7) consiste dans le fait que toute

occurrence d'un autre café se présentera dans (6) comme une suite duprocessus précédent, alors que dans (7) comme faisant partie d'unnouveau processus.

Il apparaît nettement que le concept d'achèvement trouve sonexpression grammaticalisée dans la forme perfective. Mais la notiond'achèvement trouve un support dans d'autres parties du discourscomme, par exemple, le groupe nominal en fonction d'objet synta

xique. En effet, une tendance très nette se dégage en bulgare : laforme perfective exige un minimum de détermination sur le groupenominal en fonction d'objet syntaxique et l'absence de détermination sur lui conduit à des suites non acceptables. Illustrons-le parl'exemple (8) :

(8)  * Az izpix  (A. pf.)  kafe je ai-bu café

Il y a cependant quelques contre-exemples comme :

(9) Vidi  (Pr. pf.)  li  kuče, bjaga  (Pr. impf.)voit Part. Inter. chien, court

 prez glavaà-travers tête«Lorsqu'il voit un chien, il court à tue-tête»

(10)  Toj obarna  (A. pf.)  grabil tourna dos«Il tourna le dos»

qui nécessitent une explication. Pour notre part, nous pensons que leproblème réside essentiellement dans la notion de transitivité. Eneffet, comme l'a signalé B. Pottier lors de ce colloque, cette notionn'est pas claire. La notion de transitivité sémantique devrait êtredéfinie comme une transformation affectant un objet et effectuée parun agent. Or dans les deux contre-exemples cités il n'y a aucunetransformation de l'objet puisque la transformation affecte en réalitéle sujet lui-même.

En ce qui concerne des langues comme le français ou le finnoisoù la notion d'achèvement n'est pas grammaticalisée comme dans les

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langues slaves au niveau du système verbal, il est pertinent de se

demander si cette notion trouve son expression et si, oui, commentelle se manifeste. Un simple coup d'œil sur le français montre que,pour signifier l'achèvement, on a recours soit à l'article définicomme dans

(11)  J'ai bu le café

qui s'oppose nettement à

(12)  J'ai bu du café

et selon les contextes à

(13) J'ai bu un café

et, d'un autre côté, à des expressions adverbiales du type  en une heure, en un jour, etc. comme dans

(14)  Il a lu le livre en un jour

qui s'oppose à

(15) Il a lu le livre pendant une heure

En finnois, les valeurs aspectuelles se manifestent assez nettement à travers l'opposition casuelle accusatif/partitif de l'objetdirect d'un verbe transitif et l'opposition partitif/nominatif du sujetdans un énoncé existentiel. A ce propos, M. Leinonen (1984 : 245)remarque :

«If the object is accusative, signalling the total amount, the action is automatically interpreted as completed, while with partitive, the action might continue».

Illustrons la première opposition par un exemple où la signifi

cation d'achèvement est marquée par l'accusatif et celle de nonachèvement par le partitif :

(16) a. Nielin vedenswallow-Past-I water-Acc«I swallowed the water»

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b.  Nielin vetta

swallow-Past-I water-Part.«I swallowed the water»

Même si le lexème verbal est modifié au moyen d'affixes,l'opposition aspectuelle est respectée grâce au cas attribué au groupenominal :

(17)a. Nielaisin veden /vettaswallow-Mom-Past-I water-Acc /water-Part.«I swallowed the water/some water»

b.  Nielaisin vetta /vedenswallow-Freq-Past-I water-Part./water-Acc.«I swallowed/kept swallowing water/I swallowedthe water (short for several times until the waterwas gone)».

Mais dans les langues slaves, l'opposition morphologique perfec-tif/imperfectif ne se réduit pas à une simple opposition entre signification d'achèvement et non signification d'achèvement. En effet,la productivité du processus de préfixation et de suffixation permetd'obtenir des formes imperfectives à partir de formes perfectivesdéjà dérivées (c'est-à-dire que la forme perfective est déjà le résultatd'une préfixation d'une forme imperfective) (10). En bulgare, parexemple, certains imperfectifs secondaires gardent «le sémantismerésiduel du préfixe» et, de ce fait, ont un «fonctionnementrestreint». Ainsi, des imperfectifs secondaires comme  napisvam«écrire»,  prochain  «lire»,  izpivam  «boire»... qui sont souventcaractérisés comme décodant l'itérativité, peuvent renvoyer, dans

(10) Holt (1942 : 63) a remarqué à juste titre que le point capital pourl'opposition slave perfectif/imperfectif est l'existence de verbes imperfectifssecondaires. En ce qui concerne les imperfectifs bulgares, S.   Ivančev (1971 : 24ss. ) montre en introduisant le trait sémantique de 'complexivité ' qu 'à  l'oppositionmorphologique perfectif/imperfectif correspondent deux oppositions sémantiques :dans un cas, le couple perfectif/imperfectif s'oppose par le trait complexivité/noncomplexivité, dans le deuxième cas chaque membre du couple est porteur du traitde complexivité ; la première opposition est caractérisée comme lexico-

grammaticale ; la deuxième comme purement grammaticale. En ce qui concerne lerusse, de son côté J. Forsyth (1970 : 43-46 ; 163-165) montre clairement la faiblesse de certains arguments avancés en faveur d'une paire aspectuelle perfectifdérivé-imperfectif secondaire dans certains triplets du type  chat'  - procitat' - pro- cityvat' « lire ».

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des contextes appropriés, à des processus dont le terme est expli

citement visé (Guentchéva - 1982). Il apparaît alors justifié d'affinerl'opposition proposée en  non signification d'achèvement // signifi

 cation d'achèvement  atteint // signification d'achèvement visé.

3.  Conclusion

En guise de conclusion, nous mentionnerons quelques pointsessentiels de différence entre les notions  d'achèvement  et d'accomplissement que nous proposons et les termes d'achèvement etd'accomplissement introduits par Z. Vendler (1967) :

Vendler propose quatre termes, à savoir 'activities', 'accomplishments', 'achievements', 'states' qui lui servent à distinguer quatretypes de classes de verbes. Or, un verbe peut fonctionner non seulement avec la valeur d'état, mais aussi avec celle de processus et ilsuffit d'apporter pour cela une légère modification dans le contexte(Mourelatos - 1981 : 196  ; Timberlake - 1985). Il suffit de prendre lesverbes  understand   et  know  qui sont classés par Vendler comme

verbes d'état, mais qui dans les deux exemples suivants marquent ausens de Vendler le premier 'l'activité' et le second 'l'achèvement' :

(18)  I'm understanding more about quantum mechanics aseach day goes by

(19)  And then suddenly I knew !

Ensuite, Vendler fait un rapprochement entre état et achèvement. Ils forment, selon lui, un même «genus» parce que les verbes

relevant de ces deux classes ne permettent pas le présent continu(present continuous). Or, comme le mentionne Mourelatos (1981 :193) tous les verbes donnés dans la liste «achèvement» peuventapparaître dans la forme progressive :

(20)  He is winning the race.

Enfin, la distinction entre accomplissement et achèvement deVendler repose explicitement sur la notion de durée (Vendler -

1967 : 107) : les verbes figurant dans la classe «accomplishment»sont intrinsèquement duratifs («Accomplishments, (...) imply thenotion of unique and definite time periods»), alors que ceux classéscomme «achievement» ne le sont pas parce qu'ils marquent un

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instant précis qui peut être soit le début, soit l'instant

(«(...)achievements involve unique and define time instants»).

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Zlatka GUENTCHEVACNRS - Université de Paris VII

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Aspectualité et véridictiondans le système copulatif espagnol

Imperfectivité et perfectivitéà propos de SER/ESTAR

Les observations qui suivent se répartissent en trois parties :

Après un commentaire de caractère général (1), je passerai à une

caractérisation de ce que j'appelle la thèse aspectualiste dans lechamp copulatif ou attributif de l'espagnol (2), pour terminer enproposant une figure chorématique comme lieu de synthèse possibledes facteurs en jeu dans le système copulatif et comme point dedépart pour l'analyse de l'empirie linguistique (3).

Ma contribution d'aujourd'hui n'est qu'une petite partie de mesrecherches sur les deux verbes copulatifs espagnols SER et ESTAR.ce travail  s'est  effectué au moyen d'une approche théorique et ana

lytique que je caractériserais globalement comme discursive, dansune acception plutôt  pragmatique  du terme, à seule fin de pouvoirrendre compte des effets discursifs de la distribution deSER/ESTAR, les emplois de monopole et les alternances.

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Le résultat de ma recherche est l'attribution d'une structure

modale de base spécifique pour chacun des deux verbes en question,de sorte que les constructions copulatives peuvent être considéréescomme munies d'une position discursive particulière quant à ladeixis, la quantification, les diverses modalisations et l'aspectuali-sation.

Je pose pour les énoncés avec SER un jugement qui a une valeurvéridictoire d' «évidence». L'effet de valorisation discursive est la«neutralité» comme pour un discours dépersonnalisé. Quant à

l'aspectualité et à la temporalité, l'énoncé procède à la suspension deleur présence discursive. Les effets de quantification sont de totali sation.

Pour les énoncés avec ESTAR, un jugement fournit une garantieépistémique,  personnalisée, due aux conditions déictiques aspecto-temporelles et actorielles d'ancrage énonciatif). La valorisation deESTAR est d'emphase, l'aspectualisation est de phase.

Le dispositif des effets discursifs des deux verbes participe à la

production d'une vision narrative, d'un point de vue, qu'on peutapproximativement référer à la contraposition «récit/discours»(SER/ESTAR).

Or, évidemment, une liste d'effets éventuels ne fait pas structure.Pour relier les domaines et former une structure discursive ouverte àl'intervention du discours dans lequel les énoncés copulatifs sontcensés fonctionner, j'envisage la possibilité d'installer une figurechorématique de type modal, qui s'inspire des travaux de Per AageBrandt. (Il me faut avouer, tout de suite, que cette modélisation nepossède pas le même degré de raffinement et d'élaborationdynamico-topologique que la sienne.)

Les grammaires de l'espagnol ont l'habitude d'isoler troisconstructions syntaxiques différentes où entrent nos deux verbes, etde les traiter séparément :

a - comme verbe intransitif dans une construction locativeabsolue ;

b - comme verbe copulatif avec complément d'attribut;c - comme auxiliaire.

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La chorématique rend possible le rassemblement des fonctions, à

mon avis, même s'il faut, bien sûr, nuancer et spécifier sa lecturequand on l'applique aux énoncés empiriques. J'anticipe sur le faitque, même si les fonctions sémantico-syntaxiques primaires des deuxverbes diffèrent, il ne sera peut-être pas impensable de leur attribuerune même topologie, plus ou moins complexe.

Je ne fais ici qu'esquisser une voie possible et ne traiterai que del'attribution nominale.

Le traitement traditionnel du champ copulatif espagnol a été,dans une large mesure, aspectuel. Mais la dimension cognitive de

l'attribution, qui nous met devant le problème de la véridiction liéeau jugement attributif, ne se laisse pas réduire à l'aspectualité. Ilfaudra relier ces deux domaines  : le modal et l'aspectuel.

En ce qui concerne l'attribution nominale, on rencontre lanotion  d'état.  Le fait qu'il y a un  couple  attributif espagnol nousconfronte au problème d'un partage à l'intérieur de la notion  d'état,et réintroduit par là forcément le modal. Les deux verbes désignentune situation stative, mais pas de la même façon. On doit supposerdeux structures internes.

L'enjeu théorique et épistémologique de mon travail seral'intégration de l'aspectualité et de la modalité. Comment les diverses espèces d'aspectualités et de modalités, aux paliers chorématique,phrastique, énonciatif, peuvent-elles être mises en relation ?

La thèse aspectualiste sur ser/estar

En réalisant mon travail sur SER/ESTAR j'ai rencontré fréquemment une conception disant que la différence entre SER etESTAR se baserait sur une distinction aspectuelle. Citons, entreautres, les travaux des hispanistes M. Roldan, M. Lujàn, K. Bookmann, et R. Navas Ruiz.

Les défenseurs de la thèse d'un primat d'aspectualité acceptentsans plus une catégorie aspecto-temporelle - souvent assez floue etlaxiste, d'ailleurs - comme principe d'explication satisfaisant desconstructions copulatives. Les catégories aspectuelles subsument lesautres distinctions en cours, p.e. le couple modal :

'essentiel/accidentel'

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qui est éventuellement relayé par les termes temporels :

'permanent/transitoire*.

La différence se formule à l'aide de l'opposition :

'imperfectif/perfectif,

couple qui est à distinguer par la notion  : « +/- limite».

On assiste ainsi à une traduction entre termes modaux et termesaspectuels, qui promeut une conception aspecto-temporellerestreinte, au détriment du modal, en quelque sorte reléguée dans lemarécage pragmatique. L'aspectuel est censé incorporer et expliquerles distinctions modales.

La thèse aspectualiste est la suivante pour SER et ESTAR :

Une construction attributive qui se réfère à un  état perfectifsélectionne ESTAR.

(A valide x à l'intérieur d'une période temporelle particulière etlimitée  : A(x) en Tj.)

Une construction attributive qui se réfère à un état imperfec tif   sélectionne SER.

(A valide x pour une période temporelle sans limites; périodedont la durée consiste en une succession de périodes temporelles :

A(x) en Tj...Tj+k).

Cette vision s'avère trop simpliste, selon moi. Il est vrai quel'aspect est une des conditions, un des présupposés de la véridiction.C'est-à-dire qu'un énoncé aspectualisé sous-tend l'énoncé modalisévéridictoirement. Ainsi conçue, la conceptualisation aspectuelle peutrendre service et appartient en effet à une analyse copulative. Maisceci ne signifie pas que le modal est un simple supplément de caractère pragmatique.

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De fait, les aspectualistes se sont contentés de plaquer uneopposition linguistique supposée bien connue, et confortée parl'existence de deux morphèmes flexionnels, celui d'imparfait et celuide passé simple  (perfecto pasado absoluto/definido )  sur l'opposition à expliquer : SER/ESTAR, dans un acte analogisant, comme siles deux distinctions étaient équivalentes, et comme s'il n'y avait pasla complication d'une aspectualité double pour SER et ESTAR : 1) laconstruction copulative même et 2) une réduplication possible del'aspect par la flexion. (Curieusement, les exemples sont presquetoujours au présent chez les aspectualistes).

Il n'y a pas de temps pour entrer de façon détaillée dans la sériede problèmes que pose l'application d'une opposition aspectuelledans le champ copulatif. Je me bornerai à citer un exemple :

 Etat imperfectif   -  état perfectif   ? Qu'est-ce que ça veut diredans un exemple comme :

(la)  Toda aquella noche Juan FUE muy cortés conmigo ?

(Ib)  Toda aquella noche Juan ESTUVO muy cortés conmigo ?

Il faudrait nuancer un peu. Dans (a) le dit  état  n'est pas imper fectif   dans le sens d'une situation verbale sans limites marquées,puisque nous avons un adverbial circonstanciel temporel de limitation : Toda quella noche,  et que nous avons aussi un passé défini :FUE. Le système d'aspect est croisé par un autre système, le systèmecopulatif, qui dit  :  SER cortés.

A l'intérieur de l'aspect perfectif, la relation entre Juan et sacourtoisie est indiquée comme «trait de nature». C'est-à-dire, Juanest conforme à l'image qu'on se fait de lui et de la courtoisie ou à labonne norme. C'est cela qu'on appelle l'imperfectif, je suppose. Rienn'empêche qu'un énoncé de SER indique un état limité et qu'unchangement est envisagé comme possible. A l'intérieur de cet état,SER signale que la relation entre actant et lieu est totalisée. Elle a uncaractère de définition et représente un être stable.

(b) L'interprétation d'une forme ESTUVO dépend du contextediscursif et peut aller d'une indication de courtoisie manifestée,visible (par actes, par un  faire)  à travers la variante d'une subjec-tivisation énonciative épistémique de l'énoncé : «Je te le garantis,

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parce que j'ai été présent» - jusqu'à une insinuation de contradic

tion par rapport à la norme. Le manque de courtoisie en est la toilede fond; le phénomène est passager, et il ne s'agit pas d'un changement substantiel de personnalité.

Le chorème

Pour essayer de répondre aux questions soulevées au paragrapheprécédent, je proposerai une figuration chorématique du champ

copulatif. Je pense que l'approche chorématique sera intéressantepour la problématique générale de l'aspectualité.

Cependant, je me limiterai au thème plus restreint de l'attribution, là où le chorème offre un appareil précieux.

Il paraît clair que SER/ESTAR comme lexèmes inscrits dans lecode de la langue manifestent deux  états ontiques différents pourleur actant. Ceci se trouve déjà indiqué dans la terminologie classique :

SER ESTAR

essentiel accidentelabsolu contingentqualité état

En principe, toute attribution pourrait être vue sous l'angle d'unétat-phase ou d'un  état-propriété.

Comme forme syntaxique correspondante nous voyons qu'uncomplément attributif de substantif exige SER, tandis qu'il y aalternance SER/ESTAR avec un complément attributif d'adjectif ou

de complément prépositionnel.

Le chorème (1) est une figure topologique élémentaire grâce àlaquelle un seuil établit deux espaces, un dehors et un dedans,divisés par le cercle du chorème. Ce seuil, plus ou moins franchissable de l'intérieur et de l'extérieur, nous donne l'occasion de situerun moment de transformation, une coupure ou un passage éventuels,entre les deux espaces mentionnés.

(1) En ce qui concerne la formulation topologique du chorème dans lathéorie catastrophiste, voir la note (élargie) 140 dans «La charpente modale dusens » de Per Aage Brandt.

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Un actant se déplace parrapport à  un  chorème. Il estlocalisé dans un cadre spatiotemporel. Il est là ou bien iln 'est pas là. Il sort et il entre.

L'attraction est forte entre

actant et chorème. Il s'agitd'une modalité qui touche à 1 'être  de la personne. Le lienest stable. Il peut-être détaché. Alors l'actant rompt lanorme et quitte son chorèmetotalement ou partiellement,pour venir s'installer dans uneautre norme.

L'actant (sujet de phrase) assume un rôle actanciel dans unscénario-prédicat, un lieu chorématique, selon le jugement attributif.Ce rôle est déterminé par le mouvement et la dynamique de l'actantet par l'attraction exercée par le chorème sur l'actant. Il dépend deson «chemin modal», comme le dit Per Aage Brandt. Le parcoursde l'actant sur le chemin modal permet de prévoir deux états onti-ques et deux modalisations aléthiques pour l'actant, représentés enespagnol par les deux verbes SER/ESTAR.

SER :

L'actant normatif  est conforme à une norme; il ressemble assez àl'image prototype du scénario pour qu'on puisse l'identifier commelégitimement joint à tel attribut. La relation entre actant et lieu est«comme-il-faut». Dans ce cas, les considérations aspectuellesclassiques semblent littéralement hors de propos, bien que le dispositif chorématique ne soit pas incompatible avec une formulation

aspectuelle. Les questions de type : pour quelle raison ? Comment ?Où ? Quand ?, etc.,  bref,  les circonstances, n'interviennent pas. L'histoire du chemin modal, de l'avènement de l'actant au choreme,est mise entre parenthèses. Le seuil ne compte pas.

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Pour illustrer la chorématique, j'ai choisi un champ conceptuelhomogène  : les couleurs.

(2) El  verano anterior el  bañador de Elvira ERA azul.Il s'agit d'une classification, qui identifie l'objet en le distin

guant des autres exemplaires de sa classe. Ce n'est pas le mêmemaillot qui traverse des phases relatives au point de repère : «l'étépassé», (ce qui aurait pu donner ESTAR).

(3) Las cimas, según las horas del dia, ERAN blancas, grises y azuladas de acero.

Dans cet exemple il s'agit bien d'un changement temporel dephases pour les sommets «segun las horas del dia». Mais ceci n'estpas  décisif.  Il y a autre chose, et même quelque chose qui sembleplus fort que la perspective d'une mise en phase d'un procès. Dansl'exemple, l'instance vérifïcatoire d'un regard, qui a la fonction demettre en phase, est suspendue au profit d'un registre narratifdépersonnalisé «olympique», de «récit», qui nous raconte quechaque heure donne  sa  couleur au sommet, qu'il y a une relationfixe, codée.

(4) A mediodía la cal de la pared ERA blanca.De nouveau, la véridiction retrouve la priorité par rapport à

l'aspect comme scansion en phases d'un procès. L'emploi de SERsignale dans ce contexte que la couleur du mur est revenue à sonstatut originaire, authentique, qui a été jusqu'alors cachée dans savérité par un état superficiel.

(5)  A los años, toda la mar ES  azul.  Hasta que no la veas negra, jurarás que ES azul.

Le jugement est un  croire,  attribué à un homme jeune, sansexpérience, qui imagine (poétiquement) une couleur omniprésente,démentie par celui qui parle.

L'actant est normatif dans la mesure où il se conforme suffisamment à une norme pour qu'il y ait un lien évident et un acte

d'identification. Quand on rencontre l'actant, il se trouve déjàinstallé dans le chorème comme actant qui possède son statut dedroit. Il n'acquiert pas ce statut, mais il est simplement là, parce quec'est là son lieu prévu, auquel il appartient. Il peut être classifiécomme... Par exemple, il réalise sa nature, réalise un idéal, ou se

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conforme à une norme. Un complément attributif substantif illustre

ce phénomène exemplairement. L'incidence du discours culturel,idéologique, du contexte chorématique est - comme on pouvait s'yattendre - très forte et influe sur l'interdépendance entre actant etlieu.  C'est en ce sens que la distribution de SER et ESTAR estsensible au contexte discursif pragmatique.

ESTAR :

L'actant est conçu comme une entité relativement stable, quipeut entrer et sortir du chorème et par là diviser le trajet en phasesséquentielles de présence et absence, les dits états. Il n'est pas lié defaçon fixe au chorème qui lui offre une succession ou des alternatives de position. Cette mobilité a des répercussions sur les contoursde l'actant (et des effets discursifs significatifs, faut-il ajouter).L'actant est thématisé comme localisé matériellement dans unephase déterminée d'un procès. Il n'est pas défini, identifié, par cetteposition. Ainsi, la position n'influence pas radicalement son statut

d'actant.L'actant de phase représente quantitativement une déviation par

rapport à l'actant normatif : un peu trop/ pas assez, pas encore/ neplus.  Et véridictoirement, il fonctionne à la manière d'un commeemphatique, qui souligne le caractère simulé de la manifestation(PE : paraître - ne pas être). Ceci explique que les énoncés deESTAR peuvent avoir une valeur discursive de négation d'un énoncécorrespondant qui utiliserait SER. ESTAR est la copule de  l'ironie.Le changement peut rendre le caractère d'une déviation par rapportà une norme et indiquer un état exceptionnel, ou d'une altération dela nature de l'actant ou du lieu, et en particulier de leur rapport.

Ce que ESTAR peut difficilement faire, c'est attribuer à l'actantune propriété considérée comme caractérisant le sujet, comme luidonnant un statut disons symbolique.

Je donne une petite illustration de la différence chorématique :

(6) Ayer Juana ESTABA muy pálida. Hoy ESTA morena.Dans cet exemple, il y a changement conjoncturel et superficiel,

pour ainsi dire, de l'actant, changement souvent visible et manifesteet d'aspect résultatif.

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Les énoncés de ESTAR présentent le jeu aspectuel dans tout son

déploiement, et non pas exclusivement la résultativité. Avec ESTARil est possible de mettre l'accent sur les points du seuil (les ruptureset les passages) ou bien sur la phase qui précède ou qui suit un seuil.

ESTAR implique des entités discrètes comme participants; desactants de FAIRE, et présuppose un moment transformationnel, unchangement (réalisé ou prévu).

(7) Antes Juan ERA muy religioso. Desde su accidente ES ateo.Pourquoi choisir SER, si l'actant a subi un changement d'état ?

Comment distinguer état et qualité ?

Mon propos sera à cet égard provisoire et ne présente qu'uneébauche d'explication.

Avec SER nous postulons un changement de chorème : l'actantse détache de son chorème et vient s'installer dans un autre. Il reçoitune nouvelle dénomination. Entre les deux chorèmes, il n'y a pas decontinuité, mais une rupture. Entre les deux, il y a eu justement«l'accident». L'actant a changé de discours, de position discursive,

d' être, si l'on veut. Cela suppose normalement un rituel, un réglageassez complexe et codifié pour s'effectuer. Selon une formulationmodale : le changement s'effectue avec effort, avec difficulté, avecun programme d'action hétérogène. Le cercle chorématique est unebarrière épaisse dans cette situation, par où l'on ne peut pas passercomme par une porte qui s'ouvre, mais qu'il faut sauter. Ainsi,«qualité»  n'équivaut pas simplement à  «état imperfectif».

Avec ESTAR, c'est l'actant qui change de position par rapport à

un même chorème et éventuellement à un autre actant. Le changement établit des phases successives ou une alternance. Ici le cercleest un seuil, un point de passage

(8a) La entrada ES libre

(8b) La entrada ESTA libre.Dans (8b) il s'agit d'obstacles physiques, concrets; dans (8a) de

statut et de modalité déontique (la permission).

(9a)  Este cepillo ES para limpiar las paredes (y no para barrer el suelo).

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(9b)  Este cepillo ESTA para limpiar las paredes (o para lo que tú

quieras  ) .Dans (9a) la modalité est déontique  : il y a prescription.Dans (9b) il y a alternative possible, simple localisation.

Je propose d'appeler simplement l'état ontique de SER 'quali té/statut'  - et celui de ESTAR,  'état/phase'.

Tout le monde paraît disposé à constater une affinité entreaspect et mode. Il est admis que l'aspect imperfectif comporte tou

 jours une note d'incertitude quant à la réalisation complète du procèsdu point de vue référentiel; c'est l'inverse dans le cas du 'perfectifcomme aspect de l'expérience réalisée.

La plupart des grammairiens, cependant, ne se compromettentpas au point de franchir le pas suivant, qui serait l'intégration de ladimension véridictoire. Quand on attribue univoquement à ESTARle trait de  'perfectif',  malgré les difficultés que cela représente, sepourrait-il qu'on se réfère en réalité à la véridiction impliquée parune chorématique ?

Nous voilà arrivés à Vactant observateur, par rapport auquel lechorème opère.

La scansion en phases d'un procès dépend d'un regard, dit actant observateur, pour enregistrer l'effet de phase. ESTAR est le verbe quiindique la présence d'un actant observateur.

A l'encontre de ESTAR, un énoncé de SER, n'implique pas un telobservateur, et il s'ancre dans une instance narrative implicite etdépersonnalisée, transparente, souvent collective ou générique.Cette fonction de SER se trouve réalisée fréquemment à la fin d'unenarration, (dans les mêmes circonstances, d'ailleurs, qu'un imparfaitde rupture) :

(10) En la noche, corriente arriba, el perro ha dejado de ladrar... El agua del  Manzanares ya ES negra.

Essayons de mettre en fonction la lecture chorématique surquelques exemples réfractaires au traitement aspectuel traditionnel :

(lla) Juana ES soltera.(llb) Juana ESTA soltera.

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L'analyse aspectuellc standard (celle de Roldan par exemple)

ressemble plus ou moins à ce qui suit : en (a) aucune possibilité demodification potentielle n'est envisagée (= état dit imperfectif); en (b)une modification potentielle est indiquée (= état dit perfectif).

Mais il est aisé de créer des contextes qui problématisentl'analyse standard :

(a)... pero se casará pronto. (.mais elle va se marier bientôt).(b)... y se va a quedar así para siempre. (.et elle restera célibataire).

Que peut-on conclure de l'exemple de «la soltera» ?Première observation  :  le contexte des deux exemples diffère; ils

ne se prononcent pas sur le même ton.Avec SER, l'énoncé s'intègre dans un discours impersonnel,

«officiel» et classificatoire, où l'on requiert l'état civil de l'actant.On donne un trait d'identification, qui n'implique pas, bien sûr,d'invariabilité temporelle.

Avec ESTAR, la variation discursive est prononcée, et l'inci

dence du discours est forte. L'interprétation dépend des valorisations culturelles quant au mariage. Entrent en jeu préjugés, idéesfixes, tant en général que chez celui qui profère l'énoncé. Mais derrière cette variation discursive on trouve quand même le schémafondamental entre les deux états chorématiques :

«SER soltera» thématise une appartenance tellement stable dusujet au chorème que l'actant est défini et identifié par ce lieu. Lecontexte de la relation, ses circonstances ne sont pas pris enconsidération. Pour le registre tous les états civils s'égalent en prin

cipe. Ce sont des rubriques, et l'individu appartient forcément àl'une d'elles.«ESTAR soltera» indique une situation de l'actant, considérée

comme séquence dans un parcours, avec le mariage comme toile defond ou point de repère.

Si l'on passe de la construction attributive à la constructionlocative, on pourra garder la même chorématique et par là mettre enrelief la conformité des deux constructions. Ce point a l'avantage de

nous offrir une analyse acceptable des énoncés locatifs-existentielsavec SER, qui ne sont pas du tout démodés en espagnol moderne.

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(12) No te sientes en la cabecera. Tu papá ES ahí.

Le père est physiquement absent, mais il garde sa place à lui. Illa remplit de son autorité, et cette place porte son nom.

Dans la construction absolue, locative, une dimension déictiquepeut intervenir : ESTAR comporte alors l'idée de  proximité  (d'horizon visible ou situation déjà connue des interlocuteurs) et/ou de dynamique  (celui qui parle constitue un point d'orientation quisemble faire une trajectoire vers le lieu).

Remarques finales

Si j'ai pris le détour du système copulatif et du jugement attributif dans la discussion sur l'aspectualité, c'est à cause de l'étroiterelation qui existe entre  véridiction et  aspectualité.  C'est la relationqui m'a paru intéressante à relever, et qui peut être mise en évidence, si l'on accepte la description géométrique. Celle-ci peuts'avérer une bonne méthode pour penser la continuité entre aspect

et véridiction.Pour ESTAR une conceptualisation aspectuelle fonctionne assez

bien et peut servir de plate-forme pour une élaboration des différents effets de sens et constructions syntaxiques avec ESTAR.

Quant à SER, cela est plus difficile et le rendement de l'analyseaspectuelle, en tout cas d'allure traditionnelle, ne semble pas trèsélevé. Plusieurs grammairiens parlent carrément de  l'atemporalité  deSER, ce qui est un symptôme du fait que le jeu entre SER et ESTARne se laisse capter que partiellement comme différence aspectuelle.

J'espère avoir réussi à éclairer un peu les deux états ontiques deSER et ESTAR. Ma conclusion est que les deux verbes peuvent êtreinscrits dans la même topologie, avec  un chorème pour ESTAR, etune chorématique plus complexe pour SER. L'actant observateur,impliqué dans ESTAR, embrasse un chorème par son regard,  tandisqu'avec SER et sa pluralité de chorèmes, il ne peut être question deles contrôler et saisir tous en même temps; on ne peut que les pensersimultanément.

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Exemples d'illustration :

(la)  Toda aquella noche Juan FUE muy cortés conmigo.(Ib)  Toda aquella noche Juan ESTUYO muy cortés conmigo.

Pendant toute la nuit Juan m'a fait des politesses.

(2)  El  verano anterior el  bañador de Elvira ERA azul.L'été passé le maillot d'Elvira était bleu.

(3)  Las cimas, según las horas del día, ERAN blancas, grises y

 azuladas de acero.Selon les heures de la journée, les sommets étaient blancs, griset bleus d'acier.

(4)  A mediodía la cal de la pared ERA blanca.A midi la chaux du mur était blanche.

(5)  A los veinte años, toda la mar ES  azul. Hasta que no la veas negra, jurarás que ES azul.

Quand tu as vingt ans, la mer entière est bleue. Tant qu'on nela voie pas toute noire, on est prêt à jurer qu'elle est bleue.

(6)  Ayer Juana ESTABA muy pálida. Hoy ESTA morena.Hier Juana était très pâle. Aujourd'hui elle a le teint coloré.

(7)  Antes Juan ERA muy religo so. Desde su accidente ES ateo.Avant Juan était très religieux. Depuis son accident, il est

devenu athée.

(8a)  La entrada ES libre. (L'entrée est gratuite).(8b)  La entrada ESTA libre. (L'entrée est sans obstacles matériels).

(9a)  Este cepillo ES para limpiar las paredes (y no para barrer el suelo).

Cette brosse sert pour nettoyer les murs (et non pas pour leplancher).(9b)  Este cepillo ESTA para limpiar las paredes (o para lo que tú

quieras  ) .Cette brosse est là pour nettoyer les murs (ou pour n'importe

quoi).

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(10 )  La noche, corriente arriba, el perro ha dejado de ladrar...

 El  agua del  Manzanares ya ES negra.Dans la nuit, plus en amont, le chien n'aboie plus... L'eau du

Manzanarès est devenue noire.

(11a)  Juana ES soltera. (Juana est célibataire).(11b)  Juana ESTA soltera. (Juana n'est pas mariée).

(12)  No te sientes en la cabecera. Tu papá ES ahi.Ne te mets pas au bout de la table. C'est la place de ton père.

Bibliographie

Per Aage BRANDT  : «Le faire comme état». Poetica et analytica, 4,déc. 1987, Arhus, pp. 89-94. La charpente modale du sens. Poetica etanalytica, avril 1988, Arhus. «Normes et méta-normes dansl'énonciation». Urbino, juillet 1988.BOOKMAN, Karen : «Spanish SER and ESTAR as imperfective

copulas». Journal of the Linguistic Association of the Southwest, 4(4), 1982, pp. 413-421.DESCLES, J.-P./Guentchéva, Zlatka : «Fonctions discursives.Passé simple et imparfait».  Le texte comme objet philosophique.Institut catholique de Paris 1987, pp. 111-137.GILI GAYA, Samuel : Curso superior de sintaxis española. Barcelona 1961 (8. édit.).JOHNSON, Marion R. : « A  unified Temporal Theory of Tense andAspect». Syntax and Semantics, vol. 14, Tense and Aspect, pp. 145-

177. (Edit. Tedeschi/Zaenen, Academic Press, 1981).LEMOS, C.T.G. de : SER et ESTAR in brazilian Portuguese.  Tübingen, 1987.LUJÁN, M. : «The Spanish Copulas as aspectual indicators». Lingua 54 (1981), pp. 165-210.MOURELATOS, Alexander P.D. : «Events, processes and States».Syntax and  Semantics, vol. 14, Tense and Aspect, pp. 191-213. (Edit.Tedeschi/Zaenen, Academic Press, 1981).

Lene FOGSGAARDUniversité d'Aarhus (Danemark)

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Aspectualisation et dynamiquediscursives

 Les mots isolés, tels que nous les trouvons dans les dictionnaireset dans les traités de philologie, sont des abstractions qui, sous cette forme, n'ont que peu de rapport avec la véritable vie dulangage.

O. Jespersen

L'aspect ne pose que des questions intéressantes, qu'il s'agisse del'inventaire de ce qu'il faut bien appeler des traits aspectuels,comme, par exemple, le trait  extrémité  reconnu par A.-J. Greimasdans Sémantique  structurale, qu'il s'agisse de la situation de l'aspec-tualisation dans le parcours génératif  (1), qu'il s'agisse du lien, sinonélucidé du moins unanimement et intensément vécu, entre aspectualisation et éthique. La problématique de l'aspect compte au

(1) Pour ce concept, voir A.-J. Greimas et J. Courtès,  Sémiotique 1, dictionnaire raisonné de la théorie du langage,  Paris, Hachette, 1979, pp. 157-160;et Sémiotique  2, Paris, Hachette, 1985, pp. 97-100.

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nombre de celles, peu nombreuses semble-t-il, à propos desquelles

on pourrait parler - non sans quelque naïveté sans doute - d'« enrichissement», de «progrès» : loin de se contester et de s'entredé-truire les unes les autres, les hypothèses semblent s'ajouter les unesaux autres... Dans la mesure où aucune description ne peut se prévaloir de l'innocence, il convient de poser quelques préalables.

Une des contributions de Hjelmslev les plus difficiles à entendreconcerne la distinction entre «forme scientifique» et «formesémiotique » qui est présentée dans l'étude intitulée La Stratification du langage  : «Pour désigner la manifestante sans impliquer qu'elle

soit sémiotiquement formée, c'est-à-dire sans distinguer manifestante sémiotiquement formée et manifestante sémiotiquement non-formée, ce qui est une notion entièrement différente, nous proposonsle terme de  matière.  (...) Ajoutons d'ailleurs que, sous peined'échapper à la connaissance, cette matière doit être scientifiquement formée,  (...)»  (2). Le difficile est de penser à la fois la concertation et l'autonomie de la  forme sémiotique à l'égard de la  forme scientifique, mais si l'intrication de ces deux formes est à déchiffrer,ce déchiffrement ne peut intervenir qu'après leur description

séparée.

I. La «forme scientifique» de l'aspect

I. 1. Situation de la description

La pratique descriptive dépend de l'objet qu'elle se donne et descritères qui sont retenus. Pour ce qui regarde l'objet, ce qui est à

décrire est une relation si l'on adopte un profil bas, une fonction sil'on se défie de l'imprécision attachée au concept de relation. Maisc'est aussitôt avouer que la description d'une fonction dans le champsémiotique est en proie à l'incertitude. En ce qui regarde les critères,Hjelmslev a regroupé sous la dénomination de «principe d'empirisme» les demandes courantes :  exhaustivité, non-contradiction, simplicité  - non sans hésiter sur la pondération relative de ces trois

(2) L. Hjelmslev,  Essais linguistiques,  Paris, Les Editions de Minuit, 1971,p.  58. C'est, nous semble-t-il, le passage qui fournit l'explication la plus accessible. Cf. également le treizième chapitre des  Prolégomènes à une théorie dulangage, Paris, Les Editions de Minuit, 1971.

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demandes (3).

Sous ces conditions, nous envisageons la description comme undispositif hiérarchique, ou stratifié, en mesure, par là-même,d'assigner à telle caractéristique (ou telle classe de caractéristiques)une place, un rang, ou bien encore une valeur. Il nous paraît que ladescription d'une fonction devrait, pour se connaître en somme elle-même, viser l'une des trois possibilités suivantes : la consistance,l'universalité ou la généralité. Les dénominations étant forcémentexpédientes, seules importent les relations associant entre elles cestrois approches :

i) une description consistante est celle qui établit une classed'unités en fixant sa base paradigmatique à partir de sa basesyntagmatique, en un mot sa catégorie selon l'acception glosséma-tique du terme : «(...) la catégorie se définit comme un paradigmemuni d'une fonction définie.» Les critères à retenir sont ceux detoute démarche heuristique; la distinction couramment utilisée àpropos de l'aspect est bien entendu :

perfectif  vs imperfectif

ii) la description sera considérée comme universelle quand elleréussit à dégager la fonction de son ancrage linguistique singulier telqu'il s'est inscrit en telle langue, ou famille de langues, et par voie deconséquence dans la ou les descriptions qui en ont été proposées (4).Le cas de l'aspect est peut-être ici exemplaire : l'aspect a été pratiquement réservé au verbe (5), parfois avec mauvaise conscience.

(3) Ces demandes du côté du  sujet  rendent possible une intersubjectivité etcouramment un consensus; du côté de  l'objet,  un certain nombre de tensions àrésoudre : tensions internes à l'exhaustivité, la non-contradiction et la simplicité;tensions entre exhaustivité et non-contradiction, entre non-contradiction etsimplicité notamment.

(4) Il est clair qu'au fil du temps la description retient pour objet lesdescriptions qui l'ont précédée.

(5 )  C 'est  le cas de Hjelmslev dans l'étude intitulée  « Essai d'une théorie desmorphèmes», in  Essais linguistiques, op. cit.,  p. 168; de même pour K. Togebydans sa  Structure immanente de la langue française, Copenhague, Nordisk-Sprog-ogKulturforlag, 1951, pp. 173-179. Dans leur  Grammaire  du français classique et moderne,  de Wagner et Pinchon proposent une définition éminemment restrictive :« On désigne sous le nom  d'aspect les valeurs qui concernent l'accomplissement duprocès et les formes du verbe qui les traduisent.», Paris, Hachette, 1962, p. 288.

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Ainsi J. Holt écrit : «On a étudié l'aspect presque exclusivement

dans le domaine des verbes. Or, il faut se rendre compte qu'il pourrait exister des aspects dans d'autres parties du discours. Nousavons nous-même étudié les différences qui séparent les uns desautres les suffixes de nom d'action en grec ancien, et ces études,nous semble-t-il, ont montré qu'il faut définir comme valeursd'aspect les oppositions qui existent entre les types différents denoms d'action. Donc, il faut admettre que la catégorie d'aspect seretrouve dans les morphèmes nominaux. Mais dans une langue qui

 possède des morphèmes verbaux pour exprimer les différences

d'aspect, c'est la catégorie verbale dans son ensemble qui est sujetteà cette distinction. Cependant la notion de l'aspect n'a pas pénétrédans toute la catégorie nominale» (6). Si nous envisageons unexemple à portée de la main, l'opposition entre «purification» et«pureté» confronte la durativité   du premier à la  terminativité,  l'étatrésultatiƒ du second, sans prétendre épuiser la question. On pourraitégalement citer l'exemple classique de courir  et de parcourir  (7).

Une description universelle de l'aspect est donc celle qui opère

comme une «déverbalisation» si l'aspect a été réservé au verbe. Ladistinction à retenir est moins évidente, il semble qu'il faille retenir :

limites vs degrés

en appariant normalement :

- l'imperfectivité à la définition d'un degré;

- la perfectivité à la définition d'une limite.

iii)  la description sera considérée comme  générale  si les catégories qu'elle utilise sont identiques dans le plan du contenu et danscelui de l'expression.

(6 ) J. Holt, Etudes d'aspect, Copenhague, E. Munksgaard, 1943 , p. 1.

(7) Sur la «déverbalisation» de l'aspect, cf. Fr. Rastier, «Microsémantiqueet syntaxe», in L'Information grammaticale, n° 37, mars 1988, pp. 11-12; l'auteurpropose même de  « réduire »  l'article partitif à l'imperfectivité et les articles nonpartitifs, à savoir le défini et l'indéfini, à la perfectivité.

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A lire les bons auteurs, la distinction qui émerge est celle qui

confronte :

démarcation vs segmentation

et attribue respectivement :

- l'émergence de limites à la démarcation;- l'émergence de degrés à la segmentation.

Le modèle est pour nous la distinction hjelmslevienne extense/in-tense qui dans le plan du contenu intéresse les éléments verbaux etles éléments nominaux et, dans le plan de l'expression, la distinctionentre modulations et accents. Il suffit de la mentionner pours'apercevoir aussitôt que la triade  inchoativité /durativité Iterminati-vité  renvoie à la segmentation tandis que la paire  perfectivité/im- perfectivité  renvoie à la démarcation et que, jusqu'à un certainpoint, les définitions fonctionnelles de ces traits aspectuels sonthétérogènes.

Sur cette base, les distinctions proposées peuvent être graduéesselon leur  indice d'abstraction  (ou ce qui revient au même : depertinence) :

N1  consistance  → perfectif   vs  imperfectifN2  universalité  → limites  vs  degrésN3  généralité démarcation  vs  segmentation

Les relations entre niveaux peuvent être ainsi précisées : unniveau n est présupposant par un niveau n 1 et, à ce titre, ceniveau n 1 accède au rang de prédiquant et le niveau n doit «secontenter» du rang de prédiqué (8). Sur la base des conventions

(8 ) Selon Greimas :  « Nous dirons donc  qu '  a priori,  dans le cadre del'univers sémantique pris dans son ensemble, le prédicat présuppose l'actant, maisqu '  a posteriori,  à l'intérieur d'un micro-univers, un inventaire exhaustif de pré

dicats constitue l'actant.», in Sémantique  structurale,  Paris, P.U.F., p. 122. Il estclair qu'en présence de l'alternative traditionnelle : logique compréhensive, plutôtobjectivante puisque l'actant semble contenir le (s ) prédicat (s ) ou logique  extensiveplutôt subjectivante, puisque le prédicat semble précéder l'actant, la sémiotiquefait plutôt choix du second terme de l'alternative.

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indiquées, N2 est présupposé par N1 et, à ce titre, N2 prédique, ou

définit, N1; de même N3 est présupposé par N2 et a qualité pour le«dire». Ainsi J. Holt, déjà cité, fait appel à des traits, des fonctifs,relevant de N2 pour «parler de» N1  : «(...) la notion de l'aspect estl'indication du terme et du non-terme d'un procès» (9).

L'analyse de l'aspect et la place qu'on lui attribue intéressentdirectement l'économie de la théorie linguistique.

I. 2. Aspect et hiérarchie conceptuelle

En conformité avec l'épistémologie hjelmslevienne, cette miseen perspective de l'aspectualisation consiste à résoudre un réalisé, iciaspectuel, en discernant le réalisable qui le sous-tend et la conditionde réalisation singulière qui se trouve appelée (10). Si bien que de N1vers  N3 il y a retrait, soustraction mentale de conditions de réalisation, dégagement d'une forme littéralement inconditionnée, mais de N3 vers N1 il y a introduction, «enrichissement» si l'on veut, parinscription dans telle ou telle «matière» laquelle devient, en raison

(9 ) J. Holt, op. cit., p. 29. Il est loin d'être certain, ainsi que l'indique Holt,que l'aspect soit indépendant du sujet parlant. P. Fabbri a suggéré que le perfectifet l'imperfectif pourraient renvoyer à des régimes de débrayages incomparables : pour le  perfectif,  le sujet observateur se placerait «à distance» du procès,l'embrasserait , tandis que pour l'imperfectif il serait comme immergé «dans» le procès, et de ce fait n'en distinguerait ni le début ni la fin. Cette interprétationrecoupe l'opposition des catégories utilisées par Hjelmslev pour rendre compte del'aspect à savoir l'opposition :

 ponctuel  (perfectif)  vs massif   (imperfectif)Qu 'est-ce qui empêche de faire du  ponctuel la  limite  du perfectif et corrélativementdu  massif   la  limite  de l'imperfectif ? Mais l'essentiel n 'est peut-être pas là : quel'on catalyse un sujet observateur, comme le demande P. Fabbri, ou non, le

 perfectif et l'imperfectif (niveau  N1 )  sont approchés par rapport aux notions delimites  (N2 ),  lesquelles demandent leur transfert, leur projection sur   N3,  niveauoù la  démarcation, génératrice des limites, et la  segmentation, génératrice des seuilset des degrés, tantôt composent (régime participatif), tantôt s'opposent (régimeantagoniste). Indiquons que seules les définitions schématiques doivent être envisagées : au-delà les distinctions aspectuelles tombent bientôt dans le byzantinisme :la fin du commencement coïncide-t-elle avec le début de la durativité ? La fin de

la durativité coïncide-t-elle avec le commencement de la fin ?... Mais ces jeux,vains en eux-mêmes, sont, peut-être, l'image en creux de la poïétique de lalangue. (Nous examinerons plus loin, en 2. 5 ., jusqu 'à tel point il est possible derefuser de voir dans les paires  imperfectif/perfectif   ou  massif/ponctuel  des primitives ).

(10) L. Hjelmslev, Essais linguistiques, op. cit., p.  140.

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des prémisses déclarées, une «substance» aspectuelle. Si nous

retenons le premier parcours, de N1 vers N3 :

- de N1 «vers» N2, il convient d'opérer comme une «dé-verbalisation» de l'aspect;

- de N2 «vers» N3, il convient d'opérer comme une «dé-sémiotisation » qui se réalisera tantôt comme une «désémanti-sation» (plan du contenu), tantôt comme une « désexpressivisation »(plan de l'expression).

Il importe de rappeler que ce protocole descriptif porte sur la forme scientifique  de l'aspect et que, par conséquent, il opère unedésémiotisation de l'aspect, mais dans un instant, quand il seraquestion de la forme  sémiotique de l'aspect, c'est, jusqu'à un certainpoint, l'inverse qui adviendra.

En effet :

i)  de  N1  vers  N3, l'analyse est, de manière quasiment tauto-logique, un dégagement de la forme, une formalisation, selonl'acception triviale du terme;

ii)  de N3  vers N1, la réalisation se confond avec une sémio-tisation de plus en plus dense;

iii) de  tel niveau  vers un autre, progressivement, un niveau nest «plus» sémiotique et «moins» formel que le niveau n 1 qu'ilprésuppose - ou, régressivement, l'inverse (11).

(11 ) Une démarche comparable à celle qui est tentée ici a été conduite pourla dimension cognitive par J. Fontanille et M. Hammad. La typologie des sujetsobservateurs proposée par J. Fontanille distingue, ou plus exactement gradue

l'assistant, le spectateur et le focalisateur  : dans l'ordre indiqué, c'est par abstraction que le  spectateur  se dégage de  l'assistant,  que le  focalisateur  se dégage du spectateur;  selon l'ordre inverse, le  focalisateur, simple épure actantielle, reçoit desinvestissements actoriels de plus en plus denses quand il est manifesté comme spectateur puis comme assistant.  (In Sémiotique 2, op. cit.,  pp. 155-156).

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I. 3. Aspect et méta-langage

La question du méta-langage ne peut pas ne pas se poser, avecl'embarras prévisible. Si le méta-langage recueille les «mots quiparlent des mots», ces «mots» appelleront à leur tour une analyseou une description laquelle, à son tour... aussi longtemps qu'un arrêtne décrètera des «indéfinissables» et annulera le fait que ces«indéfinissables» valaient précisément, dans le moment précédent,comme «définissants». L'aspect permet d'envisager une autreapproche : si nous supposons la description de l'aspect valide et que

l'aspect soit bien une des composantes du méta-langage, alors lateneur du méta-langage d'une part, son principe d'autre part, setrouvent sensiblement déplacés.

Dans le  CLG,  Saussure insiste à plusieurs reprises surl'importance de la démarcation et de la segmentation :

- pour la démarcation : «Ce sont des entités délimitées ouunités  qui s'opposent dans le mécanisme de la langue. (...) la seule

définition qu'on puisse en donner est la suivante : une tranche desonorité qui est, à l'exclusion de ce qui précède et de ce qui suit dansla chaîne parlée, le signifiant d'un certain concept.» (12);

- pour la segmentation, il suffira d'indiquer que la délimitation-démarcation est le préalable de la division-segmentation :«Dans la langue, tout revient à des différences, mais tout revientaussi à des groupements.» (13) L'homologation stipulant que les«groupements» seraient aux «différences» ce que la démarcationest à la segmentation nous semble recevable : la démarcation noue,assemble, instruit, d'abord  de facto,  des cohésions que la segmentation détaille, divise, dispose.

De son côté, M. Hammad s'est plutôt intéressé à la constitution de l'objet et amontré que la compréhension dépendait de la «mise en place de trois niveaux derelation »  : « Pour les mathématiciens, cette mise en place se ramène à celle de troissystèmes de repères ( =  trois référentiels). Pour le sémioticien, cela s'inscrit dansun cadre plus large, celui des opérations de débrayage susceptibles de porter surl'espace (les référentiels cités) , les acteurs (éléments de l'expérience, expérimentateur) et le temps.» In  Le bonhomme d'Ampère, Actes sémiotiques, VIII, 33, mars1985, pp. 44-45.

(12) F. de Saussure, Cours de linguistique générale, op. cit.,  p. 146.(13)  Ibid., p. 177.

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Pour Saussure, la postulation de la linéarité appelle les opéra

tions démarcatives, puis la postulation de la complexité de l'entitéainsi délimitée appelle les opérations segmentatives. La procédureest scandée par cette alternance de la totalisation - la démarcation -et de la division - la segmentation.

L'aspectualité générale est donc partie prenante du méta-langage, mais le méta-langage n'est pas épuisé, bien évidemment,par l'aspectualisation. Si nous rappelons la définition de la structuredonnée par Hjelmslev  : « entité autonome de dépendances internes »(14), et que l'affinité entre dépendance et modalisation soit tolérée,

alors c'est la modalisation qui entre maintenant comme composanteà part entière du méta-langage, et la définition de ce dernier changede contenu : le méta-langage comporte moins des termes réputésindéfinissables que des fonctions générales, et à partir de l'examensuccinct, nous serions fondé à poser :

méta-langage = modalisation  aspectualisation ...

sous réserve de discerner la relation, c'est-à-dire l'orientation entre

modalisation et aspectualisation; mais supposer aussitôt l'existenced'une présupposition réciproque entre modalisation et aspectualisation du fait qu'elles interviennent comme composantes, ne sauraitsuffire :

- la modalisation ne demande-t-elle pas la finitude, la démarcation, et dans les limites ainsi générées ne confronte-t-elle pasnécessairement un terme régissant à un terme régi ? Dans ce cas, lamodalisation appellerait l'aspectualisation, c'est-à-dire la différen

ciation du procès lui-même;

- ou bien faut-il envisager l'hypothèse inverse : le fait premierserait-il l'extension différentielle des éléments ? Et la modalisationn'enregistrerait-elle que le «rapport des forces» constaté dansl'énoncé ? Ainsi pour Hjelmslev, la distinction entre élémentsextenses capables de caractériser un énoncé entier et élémentsintenses n'ayant pas cette capacité.

(14 )  Essais linguistiques, op. cit., p. 28.

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Le méta-langage serait dans ces conditions voué à la banalité

puisqu'il aurait à résoudre le commerce général, indépendant dessubstances, entre la force, la rection en linguistique, la modalisationen sémiotique d'une part, et l'étendue, l'aspectualisation en linguistique, la discurvisation en sémiotique d'autre part. La question estdélicate, mais la réponse peut être différée puisque elle ressortitprécisément à l'épistémologie générale, et dans la mesure oùl'épistémologie de la linguistique est rien moins que singulière, lessémioticiens ne sauraient être blâmés d'être logés à la mêmeenseigne que les autres disciplines.

II.  La «forme sémiotique» de l'aspect

II.  1. Information et orientation

Il faut insister sur le fait que ces opérations sont autant linguistiques que méta-linguistiques et que le premier cas est probablementle répondant du second. Le passage, de N1 vers N3 est couramment

effectué par le glissement, banal, du sens dit «propre», situé pournous en N1, au sens «figuré» situé en N3. La manifestation du sensfiguré est une analyse immanente, vive, une résolution diligente dusémantisme du sémème. Envisageons le lexème «tiède» que le Petit Robert  définit en ces termes : «légèrement chaud, ni chaud nifroid» et de donner comme exemple de sens figuré : «un communiste tiède». Comment penser ce passage ? Les deux éléments défi-nitionnels retenus sont loin, ainsi qu'on va le voir, d'être homogènes : la séquence « ni chaud ni froid » ressortit au terme neutre deBr0ndal, qui est un cas particulier de division d'un continuum«analysable mais non analysé» (Hjelmslev) qui est tel si le «diviseur» est... trois; si ce «diviseur» monte à quatre, on obtientl'étalonnage :

 froid   <> frais  <> tiède <> chaud.

Etant entendu qu'il s'agit du continuum de la perception thermique,le paradigme segmente, dans un cas comme dans l'autre, une région«moyenne» obtenue par virtualisation du «plus que froid», le glacé,  comme du «plus que chaud», le  brûlant. A l'intérieur de lazone ainsi délimitée, l'homogénéité est atteinte puisque le tiède et le

 frais  sont respectivement définis comme «légèrement chaud» et

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«légèrement froid». Mais le sens figuré demeure encore hors de

portée.Force est d'admettre que la division d'un continuum est une

condition nécessaire mais non suffisante. Le continuum, si nouscontinuons de faire référence à Hjelmslev, est  orientable mais non orienté  et l'une des cases doit être choisie comme pivot, repèreinterne (15) ou encore différence dans la différence. Dans le cas quinous occupe, c'est la case du «chaud» qui est sélectionnée commebase du système et donc les autres cases sont dirigées par ce choix, cequi signifie que le « chaud » entre légitimement dans leur définition et

les prédique, sous ce rapport, comme insuffisantes, et - dans lamesure où la gradualité est du ressort du sujet - comme plus oumoins insuffisantes (16). Ce faisant, nous accédons à la secondeséquence définitionnelle : «communiste tiède» est, pour l'énon-ciateur, un communiste dont la conviction n'est plus ce qu'elle étaitou ce qu'elle devrait être.

Les deux éléments entrant dans l'équation définitionnelle de«tiède» sont donc, en dépit des apparences, incomparables puisque :

- la séquence «ni chaud ni froid» intéresse l'information ducontinuum;

- la séquence «légèrement chaud» intéresse, elle, l'orientationdu continuum. Et, en effet, la case dégagée peut être choisie commepositive ou négative  : c'est ainsi que le « léger » relève de deux directions synonymiques parfaitement divergentes : tantôt rapproché de«agile, leste, vif», termes reçus comme positifs parce que signifiant

la suffisance, tantôt rapproché de «creux», de «faible» et de«petit», terme reçus comme négatifs parce que signifiant  l'insuf-fisance.

(15) «L'une des cases de la zone sémantique est choisie comme pivot dusystème. Un seul sert à désigner exclusivement le pôle choisi comme pivot; lesautres cas se groupent autour de lui tout en offrant une figuration extensionalecomplexe ou neutre par rapport à ce premier terme.

Le pôle choisi comme base du système peut être n'importe laquelle des troiscases dans l'échelle significative. Le système peut présenter l'orientation positive,négative ou neutre.» (In L. Hjelmslev,  La catégorie des cas,  Munich, E. FinkVerlag, 1972, p. 112). Voir également la note précédente.

(16) C'est assurément la théorie de la marque qui est en cause, à un détailprès  :  la théorie de la marque sera expliquante si elle est d'abord expliquée.

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La visée heuristique est dès lors sensiblement différente :

- l'information produit seulement des intervalles et les possibles, les réalisables attachés à l'émergence d'intervalles : consécution ou non-consécution de cases; dans la division ternaire miseen avant par Hjelmslev :

Les cases a et b sont désignées comme contraires et la case c commeneutre, mais ce qui nous retiendra ici, ce sont les contiguïtés a-c etb-c et la solution de continuité entre a et b. La visée est descriptiveet produit des «états de choses».

- l'orientation, à partir de la case retenue comme positive,produit des évaluations selon l'insuffisance, la suffisance ou la

 justesse, et l'excès; c'est dans ces conditions que le «t iède» a étémarqué comme «insuffisant». La visée est maintenant valuative etproduit, si l'on ose dire, des tensions à résoudre : des manques àcombler et, corrélativement, des excès à résorber. Mais c'est làmarquer le lien entre cette aspectualité figurale, c'est-à-direconstitutive des figures (hjelmsleviennes) et la problématiquepérenne de la prédication.

II.  2. Aspectualité, prédication et tension predicative

La mise en évidence des deux strates fonctionnelles queconstituent l'information, génératrice de valeurs descriptives, etl'orientation, génératrices de valeurs modales, peut contribuer àmieux formuler les interrogations qui font le siège de la prédication.Si la simplicité a bien les mérites qu'on lui prête, nous aimerionsapparier les deux fonctions de la manière suivante  :  si l'information

procure des prédicats, il nous semble que l'orientation manifestedans l'énoncé les prédicats de ces prédicats. Et nous en proposeronspour preuve la lecture par Cl. Lévi-Strauss de la «structure dumythe» - que nous supposerons connue dans ses grandes lignes.

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On sait que le déchiffrement du mythe d'CEdipe aboutit à la mise

en évidence de quatre séries paradigmatiques corrélées deux à deux,que le grand ethnologue présente en ces termes : «Toutes les relations groupées dans la même colonne présentent, par hypothèse, untrait commun qu'il s'agit de dégager. Ainsi, tous les incidents réunisdans la première colonne à gauche concernent des parents par lesang, dont les rapports de parenté sont, pourrait-on dire, exagérés :ces parents font l'objet d'un traitement plus intime que les règlessociales ne l'autorisent. Admettons donc que le trait commun à lapremière colonne consiste dans des rapports de parenté surestimés. Il

apparaît aussitôt que la deuxième colonne traduit la même relationmais affectée du signe inverse : rapports de parenté sous-estimés ou

 dévalués.  » (17) Les colonnes trois et quatre sont relatives à1'«autochtonie de l'homme», ce qui conduit l'analyste au bilansuivant : «(...) une corrélation se dégage : la surévaluation de laparenté de sang est, à la sous-évaluation de celle-ci, comme l'effortpour échapper à l'autochtonie est à l'impossibilité d'y réussir.» (18)Si nous faisons intervenir l'exigence de réduction, il n'est guèredifficile de reconnaître :

- dans la mise en rapport de la  parenté humaine et de  l'au- tochtonie  la problématique de l'information discriminant des degrésde filiation;

- puis dans l'éclatement de ces termes respectivement l'excès etle manque afférents à l'orientation...

Nous aboutissons à un réseau, ou encore à un jeu de rimes, danslequel  parenté humaine et  autochtonie marqueraient le pôle de la

dissemblance tandis que l'excès et le défaut définiraient celui de laressemblance, puisque deux de ces configurations sont produiteschacune deux fois :

(17 ) Cl. Lévi-Strauss, Anthropologie structurale  I, Paris, Plon, 1960, p. 237.(18)  Ibid., p. 239.

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La série  parenté humaine/autochtonie  ressortit à une aspectualité

distinctive, génératrice d'écarts, tandis que la série  excès/manquerelève d'une  aspectualité critique,  génératrice de valeurs selonl'acception existentielle du vocable, mais il importe de souligner queles secondes prédiquent les premières, et c'est sous cette conditionque nous pensons être fondé à les envisager comme des prédicats de prédicats et à faire dépendre l'énoncé minimal d'abord d'une tension prédicative entre une information plutôt objectivante et une orientation plutôt subjectivante.

Si nous tentons maintenant d'établir le lien avec les niveaux dedescription que nous avons posés d'entrée, les deux approches sontlargement comparables :

i) la consistance saisissait des relations investies dans desdimensions, ici elle retrouverait le mode de filiation que les humainsse donnent et tâchent de reconnaître des degrés et des limites; à cetégard, il convient de remarquer que le mythe traite également desrelations entre êtres humains et êtres divins avec l'enlèvement

d'Europe par Zeus, mais l'information ne privilégie aucune division,elle postule simplement l'efficience d'un «principe de formation»(19); nous serions en présence du premier «différentiel» indiqué parM. Hammad;

ii) l'universalité intervient par le marquage en choisissant un desdegrés qu'il promeut en seuil critique et en isolant une des zonesdélimitées qui devient, de ce fait, un pivot interne auquel les autressont rapportées - ce serait le second «différentiel»;

iii) la généralité - le troisième «différentiel» - relève, on l'aindiqué, des excès et des défauts de proximité de la part des actantsdiscursifs et ferait donc valoir   de facto  la segmentation et ladémarcation (20);

(19) Selon Hjelmslev : «il n'existe pas de formation universelle, mais seulement un principe universel de formation.», in  Prolégomènes, op. cit., p. 98.

(20 ) Eu égard à la typologie, elle-même triadique, des sujets cognitifs avancée par J. Fontanille, l'homologation est partiellement possible, mais délicate. Elleest possible si Ton prend comme repère le sujet de l'hyper-savoir et en le définissant comme celui qui voit bien l'application de l'orientation sur l'information,comme celui qui perçoit ce «deux en un» et qui comprend que l'information est

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- l'excès consisterait à traiter une limite comme un degré, donc

«à ne pas s'arrêter» et à ignorer la démarcation;- tandis que le manque pratiquerait l'inverse; il traiterait le

degré comme une limite et serait coupable, cette fois, «de ne pascontinuer», «de ne pas persévérer»; la segmentation ne serait plussatisfaite (21).

Un univers discursif qui ne connaîtrait que la démarcationserait en proie à l'affrontement des contraires, à l'antonymie dansl'exacte mesure où un univers discursif n'admettant que la segmentation serait voué à la synonymie, à l'indifférence, au vertige de la

neutralité.

II.  3. Forme scientifique, forme sémiotique et paradoxeaspectuel

Nous retrouvons, une fois encore, la problématique des troisniveaux de saisie déjà évoquée. Nous aimerions souligner les incidences épistémologiques de notre cheminement. En premier lieu, ilsemble que, dans la profusion des concepts légués par Hjelmslev,l'on puisse homologuer sans trop de peine :

- l'information et la « forme scientifique» d'une part,- l'orientation et la « forme sémiotique» d'autre part;

l'information inscrit des différences, lesquelles livrées à elles-mêmesseraient sous le signe de la réversibilité, l'orientation introduit, parla sélection d'une case, d'un repère, l'irréversibilité et la possibilitéd'une prédication homogène et continue. Les langues diffèrent lesunes des autres par l'information, mais dans des limites étroites, parcontre l'orientation les rend «opaques» les unes aux autres.

L'aspect permet de rendre à chacune de ces instances la part quiest la sienne dans la sémiosis. La  forme scientifique  concerne lechiffre de la partition (bipartite, tripartite, quadripartite) en vertuduquel le procès est analysé et aboutit généralement à des cases, à

une demande et l'orientation une réponse. Elle reste délicate dans la mesure où lessujets cognitifs débrayés le sont, dans notre perspective, d'abord sur la base de leurcontribution.

(21) Cf. sur ce point Cl. Zilberberg, «Pour introduire le faire missif», in Raison  et poétique du sens, op. cit., pp. 97-113.

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des plages qui dans le cas de l'aspect ont reçu les noms  d'inchoativité,

durativité et terminativité . Dans le cas de l'aspect, la  forme sémiotigue procède tout autrement :  la perfectivité   n'est plus une case parmid'autres, mais le terme  intensif,  celui dont la signification est stable,ou stabilisée, parce qu'elle respecte les limites de la case qui est lasienne du fait de l'orientation, en face du terme extensif dont lasignification s'étend sur les autres cases. Le paradoxe de l'aspectressortit, pour le cas examiné, au fait que le terme étendu du pointde vue de la  forme scientifique,  la  perfectivité   pour autant qu'elledénote le procès achevé, se trouve être le terme étroit du point de

vue de la  forme sémiotique. Forme scientifique  et  forme sémiotiquesont ici dans un rapport de chiasme.

II. 4. Aspectualité et connaissance

Rapportées aux deux grands préalables saussuriens, l'arbitraireet la linéarité, ces deux caractéristiques intéressent respectivement :

- pour l'information, la linéarité : le continuum réclame des

arrêts, des intervalles, des espacements, bref une segmentation;- pour l'orientation, l'arbitranté : le recours même à la diffé

rence comme clef prédicative demande que l'une de ces différencessoit reconnue comme... différente des autres,  intensive  dans laterminologie de Hjemlslev ;

- quant au rapport entre information et orientation, il est clairque la seconde procure au sujet un «regard» sur la première : si«voir», c'est toujours «voir à travers», l'information procure un«quelque chose à voir», l'orientation fournit le dispositif au moyen

duquel ce «quelque chose» est «vu» par un sujet lui-mêmefonctionnellement distinct de ce dispositif.

La prédication consiste dans la relation entre information etorientation et plus exactement dans la rection de l'information parl'orientation : les écarts, les intervalles - simples différences - sontévaluées par les valeurs positives émanées de l'orientation (22).

(22) Il nous semble que les discussions qui ont lieu autrefois à propos ducarré sémiotique auraient gagné à être formulées en termes de hiérarchiefonctionnelle et que, pour le dire succinctement, on demandait à l'information deproduire des valeurs qui ressortent à l'orientation.

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Tellement que la théorie linguistique et la théorie de la connaissance

entrent en réciprocité.

Nous ne craignons pas d'affirmer que la contribution de Saussure à la théorie de la connaissance demeure encore largementincomprise, car la puissance d'un concept n'est pas relative à sapénétration, à sa subtilité, lesquelles sont bien entendu loin d'êtrenégligeables, mais à la mesure de son extension. Les émules deSaussure se sont cru quittes en considérant que la linéarité etl'arbitrarité n'intéressaient que le signe, s'arrêtaient au signe,

qu'elles étaient moins des principes directeurs que le double constatdu fait que, eu égard à l'arbitrarité, le signifié «fromage» - supposéidentique... - avait pour signifiant en français «fromage» et« cheese » en anglais et que la linéarité renvoyait aux positions dansla chaîne. Alors que Saussure assure le contraire  : ces deux principestraversent et inspirent la sémiosis tout entière. On objectera sansdoute : mais en quoi la théorie de la connaissance est-elle au justeconcernée ? Elle l'est, nous semble-t-il, à un double titre : en premier lieu, la linéarité et l'arbitrarité sont reconnues comme des

fonctions, c'est-à-dire comme des efficiences; en second lieu, qu'ils'agisse de l'aspect, du sens figuré, du mythe et dans un instant duméta-langage, le problème soulevé n'est jamais que celui de la prédication, c'est-à-dire des contraintes, des réquisits auxquels cetteprédication satisfait.

La prédication tient son importance des présupposés fonctionnels qu'elle subsume : à moins, cette importance serait incompréhensible. Dans Les principes de phonologie,  Saussure assure que «lasyllabation est pour ainsi dire le seul fait qu'elle (la phonologie)mette en jeu du commencement à la fin.» (23) Mais la prédication neprésente-t-elle pas, dans le plan du contenu, la même universalité?Et de même que la syllabe saussurienne est fondée par la descriptionqui en rend compte, de même la prédication dit peut-être quelquechose du référent, pourquoi pas ? Mais elle est d'abord relative auxfonctions qui l'étayent incessamment, à savoir l'information etl'orientation et d'autres encore à reconnaître (24)... Il convient

(23 ) F. de Saussure, Cours de linguistique  générale, Paris, Payot, 1962, p. 79.(24 ) Les actes fondateurs, par lesquels Saussure et Hjelmslev ont posé l'objet

de la linguistique, nous semblent largement comparables :

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d'ailleurs de remarquer que la prédication a pour limites strictes

d'une part 1'oxymoron pour le «communiste tiède» de notreexemple de référence, d'autre part le pléonasme pour le «communiste ardent». Comme si chaque figure énoncée était hantée par ledéni, le négatif que représente pour elle l'autre.

En second lieu, nous ne chercherons pas à dissimuler que laquestion sous-jacente à cette recherche, et ce de façon relativementimprévue, est celle «toujours recommencée» de la relation entrethéorie linguistique et théorie de la connaissance : Hjelmslev a

recherché leur identification par le «haut», d'abord dans le resserrement de la trilogie traditionnelle - alignant axiomes, postulatset définitions - autour du dernier terme, à savoir les définitions;ensuite par un déploiement interne, de l'interdéfinition; ensuite,dans l'identification entre définition et fonction, identificationplutôt murmurée que proclamée d'ailleurs (25). Mais ce à quoi nousassistons, ce que nous recueillons, c'est une identification par le«bas», nous aimerions dire, «à fleur de parole» : si le jeu de la

Saussure Hjelmslev

information  linéarité forme scientifiqueorientation |  arbitraire forme sémiotique

Dans ce cadre duel, ce théâtre, les relations, l'ambiance sont toutefois assez  différentes. La position de Hjelmslev est la plus simple à appréhender : la  formescientifique  témoigne de la puissance de la  forme sémiotique dans le cadre d'unesémiosis donnée. Par contre, la position de Saussure se laisse malaisément cerner etdépend des textes que l'on retient d'abord : le  CLG  ne nous apprenant pas grand-

chose à ce sujet - peut-être précisément parce qu'il n'est pas de la main de Saussure...  mais ceci est une autre histoire - il nous faut nous tourner vers les autrestextes et , à cet égard, nous nous en tiendrons au constat suivant :

- le  Mémoire,  dont certainement Hjelmslev est le seul continuateur du pointde vue théorique, ne veut connaître que la  forme sémiotique,  la définitionfonctionnelle qui transcende les affinités substantielles inventoriées par la description phonétique et détache, par exemple, / i / et / u / de / a / pour les rapprocherfonctionnellement parlant - de /r / , /m / et /n / ;

- les Principes de phonologie et les manuscrits vont, eux, dans une directionopposée : les espèces émanées de la  forme scientifique  et classées selon leur degréd'aperture sont prises en charge par les catégories syllabiques issues du jeu del'implosion et de l'explosion. Et c 'est ici que la formulation s'avère ambiguë : ces

catégories syllabiques ne sont pas tributaires des  espèces,  mais envisagées en elles-mêmes, pour elles-mêmes, elles sont ce qu'elles peuvent être, c'est-à-dire nécessaires.

(25 ) L. Hjelmslev, Nouveaux  essais, Paris, P .U .F.,  1985, pp. 69-80.

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 parole ressortit bien à la description  étagée,  différenciée, stratifiée,

que nous proposons, alors la parole est de droit connaissance. Elle neTest pas nécessairement de fait,  elle  manque souvent, presque tou jours peut-être, à elle-même, mais elle y tend comme vers sa raison.

II 5. Stratification et résolution des apories

L'intérêt, l'avantage d'un dispositif stratifié réside dans la possibilité de résoudre à un niveau  n  ♦ 1 une aporie décelée à un

niveau n. Nous avons déjà souligné le fait que pour J. Holt le tempset l'aspect étaient indépendants l'un de l'autre alors que Hjelmslev proposait un traitement unique. Il nous semble que les deux affirmations ne se contredisent qu'en apparence dès lors qu'on lesappréhende comme les moments d'une fonction (26).

Les fonctions ne peuvent être approchées que par les  tensionsqu'elles règlent. Si la fonction propre à l'aspect règle - au niveau  n -la tension entre perfectivité et imperfectivité, qu'en est-il à propos

du temps ? La fonction élémentaire propre au temps se saisit dutemps chronique de  l'avant   et de  l'après  comme d'une «matière»(27) et cette saisie consiste en ceci que le temps  énonciatif,  le«maintenant» de la triade énonciative («je-ici-maintenant»),modalise tel segment tantôt en le «rapprochant», tantôt en1'«éloignant», bien sûr subjectalement parlant. La tension propre autemps confronterait le temps «apathique», projectif selon l'acception freudienne du vocable, abjectal, des énoncés totalementdébrayés, le temps de l'aoriste, du passé simple français et le temps

empathique,  introjectif,  adjectal, des énoncés «à peine» débrayés, bref l'imparfait français - tel qu'il rivalise avec le passé simple -;Cependant il importe de souligner que la relation de dépendanceentre temps et aspect n'est pas simple : l'aspect ne dépend pas dutemps, mais du  tempo qui chiffre le temps et les distinctions aspec-tuelles, quelques désignations qu'elles reçoivent : perfectif/imper-fectif,  ponctuel/massif, démarquent les régimes du tempo :

(26 ) A identifier ultérieurement.(27) Nous reprenons le terme proposé par Hjelmslev, mais il est clair que

cette «matière» est culturelle, aussi bien dans sa forme, son rythme que par sesinvestissements.

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- le perfectif est une manifestante aspectuelle qui a pour mani

festée un  tempo  rapide, et à son tour ce tempo rapide signifie queTénonciateur fait savoir à l'énonciataire qu'il n'a pas de temps àdonner, c'est-à-dire à «perdre», qu'il ne «s'étendra» pas, nes'attardera pas sur... - et inversement :

- l'imperfectif signifie par le choix de la lenteur cette fois que lesujet s'ouvre à la durée, que Ténonciateur comme l'énonciataire vont« prendre leur temps », « tout leur temps ».

Et par un passage à la limite, qui donne peut-être leur sensdéfinitif aux fonctions, la perfectivité, parce qu'elle interne la célérité,  a pour limite le point et son indivisibilité, tandis que la lenteurdirige la divisibilité, qui est la condition de possibilité de l'imperfec-tivité puisque cette dernière n'exprime que la partition du procès.Bien entendu, expliquer se ramène à transférer le mode interrogatifd'une catégorie à une autre : de l'aspect au temps d'abord, du tempsau  tempo,  ce qui revient à dire que le  tempo,  précisément en raisonde cette (relative) vertu heuristique dont il vient d'être crédité,

devient à son tour l'énigme, mais ce constat est si ordinaire qu'il nemérite pas qu'on s'y arrête. A partir de cette mise en place, la relation entre temps et aspect, entre temporalisation et aspectualisation,insaisissable, aussi longtemps qu'elle est recherchée à hauteur destraits, devient discernable. Le temps projectif,  thématisé par le passésimple français, est solidaire :

- de la perfectivité à hauteur de N1 ;- de la démarcation à hauteur de N2 ;

- de l'indivisibilité à hauteur de N3.

Dans la sélection de cette forme, seule est pertinente la démarcationet si le contexte ne l'introduit pas, la segmentation s'en trouveexclue. Les retombées aspectuelles de cette mise à distance mettentl'accent sur l'indivisibilité, sur la «ponctualité» pour Hjelmslev. Le

 passé simple n'exprime pas moins la durée que l'imparfait, ainsi quel'atteste l'exemple canonique : il régna cinquante ans (28), mais cette

(28 ) La durée, et même la durativité, se laisse aisément catalyser : // régna durant  cinquante ans.  Que la démarcation soit seule en cause ressort d'une autrecatalyse : //  régna de... à...;  enfin l'indivisibilité afférente à N3 est «prouvée»

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durée exprimée est posée comme indivisible, parce qu'elle est dirigée

 par la célérité.

Inversement, le temps empathique, introjectif de l'imparfait,véritable «loupe» temporelle, manifeste :

- l'imperfectivité à hauteur de N1 ;- la segmentation à hauteur de N2 ;- la divisibilité à hauteur de N3 - laquelle devient ainsi le

répondant de l'imperfectivité comme de celui de l'itérativité.

Cette réciprocité du temps et de l'aspect peut être figurée de lamanière suivante :

Les conditions de la sémiotisation sont remplies à un double titre :

- la relation entre temps et aspect ne relève ni du contraste nide l'opposition («pragoises») mais se présente comme une détermination («danoise»), à savoir une relation de dépendance qui saisitle temps comme constante et l'aspect comme variable; et cette mise

 par l'impossibilité bien connue de combiner le passé simple à un adverbe du typede  déjà.

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en structure donne raison à la fois à Holt et à Hjelmslev dont la

différence d'appréciation devient affaire de « point de vue » : le partide Hjelmslev est celui du syncrétisme, ou ce qui revient de l'implication de la constante en la variable; celui de Holt envisage larésolution de ce syncrétisme ;

- les relations entre fonctifs temporels et aspectuels sont réglés par une commutation «en chaîne» puisque la substitution d'unmorphème d'imparfait à un morphème de passé simple n'intéresse pas seulement l'aspect, mais également le temps et surtout peut-être,

mais comment le dire ? l'assiette même du sujet. Selon le contrat, lequantum d'attention que le sujet se dit, se croit prêt à «dépenser» :le sujet a, se donne pour objet interne tel  tempo, mais qui touche autempo  touche au temps et qui touche au temps agit sur l'aspect.Passer d'un régime temporel au régime temporel alternant est uneopération transitive en vertu de la dépendance indiquée à l'égard dutempo.  Le temps, à travers les catégories (ou les régimes) qui sontdans sa dépendance, à savoir le temps projectif et le temps introjec-tif évoqués, dirige l'aspect. La dépendance globale de l'aspect à

l'égard du temps est résultative : elle est avérée d'une part par ladépendance de la perfectivité à l'égard du temps  projectif,  d'autre part par la dépendance de l'imperfectivité à l'égard du tempsintrojectif.  En dehors de cette formulation, de cette régulationinscrivant une alternance  (ou... ou)  entre deux coexistences  (et...

et),  la formule n'a, à peu près, aucun intérêt, puisque ce qui «faitsens», ce ne sont pas tant la perfectivité et l'imperfectivité en elles-mêmes que leur congruence respective avec le temps projectif et letemps  introjectif.

Claude ZILBERBERGParis

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Deux questions surl'aspectualisation des blocs

I. Le matériel

 Nous reprenons le matériel et quelques données qui résultent del'analyse narrative et discursive des compositions que les jeunesBrésiliens rédigent au titre de l'une des épreuves de l'examend'entrée à l'Université (1), ceci pour essayer de répondre à deuxquestions concernant l'aspectualisation discursive des textes :

1. Comment les rapports entre l'aspectualisation temporelle,spatiale et actorielle des discours s'établissent-ils ? Y  a-t-il  undénominateur commun ?

2.  Quels sont les rapports que l'on peut établir entre l'aspectualisation discursive et le contexte socio-culturel ?

Pour répondre à ces questions, il faut d'abord présenter, enquelques mots, les procédures d'analyse employées et quelques-unsde leurs résultats.

(1) Il  s'agit  d'une recherche déjà accomplie et présentée comme thèse de« Livre-Docencia »  à l'Université de Sao Paulo :  A festa do discurso. Teovia dediscurso e analise de redaçoès de vestibulandos. Sao Paulo, 1985, 595 p.

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Le sujet de la composition était le suivant : « Supposez que vous

avez été invité à une fête chez des gens que vous ne connaissiez pastrès bien. Racontez dans un texte en prose ce qui  s'est  passé, imaginez les circonstances particulières de la situation et n'oubliez pasde transmettre vos réflexions et vos sentiments sur l'événement.»

 Nous avons examiné 2 500 compositions (10 %  du nombre totaldes compositions) de l'examen de 1982.

A partir de l'analyse narrative des textes, on a établi onze typesde récits; on ne parlera ici que de deux d'entre eux, qui, à eux seuls,représentent 65 % des récits dont nous disposions. Le type I, celuides récits d'échec, développe l'histoire d'un sujet las, qui s'ennuie àla maison parce qu'il n'a rien à faire, qui veut certaines valeurs etcroit pouvoir les obtenir à la fête. Il ne s'agit  pas de valeurs objectives,  telles que manger ou boire. Le sujet cherche, plutôt, à maintenir et surtout à établir des relations intersubjectives, c'est-à-dire, àse faire des amis, à rencontrer des camarades, à avoir la compagniede l'autre sexe, etc. Ce sujet construit ainsi un simulacre positif de lafête,  mais dès son arrivée, il s'aperçoit que cette image n'est pasconforme à la réalité : lui même est pauvre dans une fête de riches, iln'est pas habillé comme il faudrait, etc. Il ne parvient pas alors à sefaire accorder les valeurs désirées, à cause de son manque decompétence - il ne sait pas se conduire dans le monde et fait toutessortes de gaffes : il tombe par terre, sur le tapis, fait tomber des boissons ou des gateaux sur les invités, déchire ses vêtements, etc. -mais aussi à cause des autres, c'est-à-dire de l'ami qui l'avait invité,du maître de maison et des autres invités qui ne s'occupent pas suffisamment de lui. Malheureux, il quitte la fête et rentre à la maison,auprès de sa famille, où il retrouve la confiance et l'assurance perdues, où il est heureux.

Le type narratif II, celui des récits de succès, est presque identique au type I : les mêmes valeurs, les mêmes quêtes, la mêmeinadéquation à la fête, les mêmes bien-être et aisance à la maison.Les deux types se distinguent surtout par un élément : dans le typeII ,  pendant la fête, après les moments d'embarras et d'échec, tout àfait semblables à ceux des compositions du premier groupe, le sujet parvient à acquérir les valeurs désirées. Il trouve un mari ou unefemme et il reproduit, à la fin, les rapports sûrs de la famille et de lamaison.

Quant aux structures discursives, les compositions ne présentent pas des mécanismes variés de projection du discours. On utilisetoujours le débrayage énonciatif : je, ici, maintenant. Si l'emploi de la

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 première personne peut se révéler comme un moyen de fabricationd'effets de sens de proximité et de subjectivité de l'énonciation, dansles compositions il ne fait que répondre à la formule proposée par lelibellé du sujet d'examen : «Supposez que  vous  ...»; tous ontrépondu  : Je...

Le Je du discours assure, dans ces conditions, trois rôles dans lescompositions : le rôle du narrateur (sujet discursif à qui le sujet del'énonciation a délégué la voix), le rôle d'actant narratif (qui a plusieurs fonctions narratives) et le rôle de l'observateur (sujet cognitifdiscursif qui détermine le ou les points de vue sur le récit). C'estl'observateur qui aspectualise le discours, c'est-à-dire qui «qualifie», selon la perspective choisie, l'organisation temporelle, spatiale et actorielle du discours. Il mesure et organise les récits discur-sivisés selon une échelle humaine.

A une organisation narrative très répétitive et à une syntaxediscursive très pauvre, il faut encore ajouter le très faible degré devariation des parcours thématiques et figuratifs, au niveau sémantique du discours.

Les parcours thématiques se rapportent surtout au contenufondamental de l'opposition entre  le savoir  et le non-savoir, entre  le

connu et  l'inconnu, qui découle du thème proposé : une fête chez desgens que l'on ne connaît pas bien. Le savoir  ou la connaissance sontaxiologisés selon l'euphorie et l'aisance, et le  non-savoir   ou laméconnaissance,  par la dysphoric et la tension. Ce que l'on sait estfamilier, ami, routinier, prescrit, normal, pauvre, jeune, national,identique à soi-même, simple et informel. Ce que l'on ne connaît passe définit par les termes contraires. On confronte le monde familier,ordonné et sûr du sujet avec le désordre et l'incertitude d'unenouveauté qu'il craint et à laquelle il essaye d'échapper pour secacher, une fois encore, dans une routine sans surprises.

Deux thèmes principaux ont été repérés dans les compositions :le thème de la familiarité et celui de l'ascension sociale.

Le premier peut être lu comme celui du passage mal réussi à l'âgeadulte, à savoir le passage de la dépendance familiale enfantine et juvénile à l'indépendance de l'adulte. L'adolescent sort de «lachaleur de son foyer», par la main d'un ami et à la recherched'autres amitiés qui, petit à petit, le délivrent du cercle familial tropétroit. Cependant, il est souvent déçu et il revient alors à la protection de la famille qui n'exige rien de lui.

L'autre thème est celui de la quête de l'ascension sociale. Lesujet veut bien être reçu et accepté dans les fêtes des riches et il croit

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à la possibilité d'ascension. Les différences sociales et économiques

 peuvent, il le croit, être toujours vaincues. L'échec et la déception, pendant la fête, le conduisent à critiquer, par des formules stéréotypées, les riches bourgeois qui lui ont interdit le changement declasse auquel il continue à croire.

A partir de ces données, très résumées, on peut dresser le cadrede l'aspectualisation dans les textes analysés et répondre, partiellement aux questions posées.

II.  Procédures d'aspectualisation

Le  Je  -observateur détermine, on l'a déjà signalé, un point devue sur l'organisation temporelle, spatiale et actorielle des compositions.

L'organisation temporelle et spatiale permet de diviser chaquecomposition en trois grandes séquences qui caractérisent une sortede composition canonique :

SEQ.

INITIALESEQ.  DE

TRANSFORMATIONSEQ.

FINALE

TEMPS avant la fête temps de la fête après la fête

ESPACEà la

maisondéplacement

sur les lieuxde la fête

déplacement

à lamaison

Ce schéma résume la localisation et la programmation spatiotemporelle du récit dans le discours. Ces temps et ces espaces sontaspectualisés par le point de vue de l'observateur.

Quant au temps, l'aspect duratif marque la séquence initiale«avant la fête», grâce surtout à l'itérativité de la routine. La durée

est interrompue par le caractère ponctuel de la fête et reprise, aprèsla fête, par une nouvelle répétition du temps qui dure. La premièredurée n'a pas de début, la dernière n'a pas de fin, ce qui produitl'effet de sens de durée et de répétition de toujours et pour toujours.

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La fête rompt la continuité mais elle n'empêche pas sa reprise illi

mitée (2).L'aspectualisation de l'espace, à son tour, signale les possibilités

de déplacement spatial et en rapport avec l'observateur visuel. Lestermes de «diversion» ou de, «divertissement» qui, en général,correspondent au but d'amusement des fêtes, dans ces compositionsdésignent bien l'aspectualisation spatiale du discours : diversion etdivertissement en tant que détournement, et changement de direction. Il y a la bonne direction à suivre, sûre et continue, à la maisonet le détour à prendre sur ou vers les lieux de la fête. Les traits qui

figurativisent les espaces soulignent bien leurs «qualifications»aspectuelles. L'espace de la maison s'oppose alors à l'espace de lafête :

espace de la maison espace de la fête- bon goût (doux) - goût amer ou insipide- bonnes odeurs (des - mauvaises odeurs

odeurs fines et suaves)- silencieux - bruyant- bonne dimension, - gigantesque ou minuscule

fermé, délimité- bonne chaleur - trop chaud ou froid- clair - peu ou trop de lumière

etc.  etc.

Il  s'agit,  on peut le dire, de l'opposition entre l'espace  proche

(connu du  je)  et l'espace  lointain  (inconnu). Dans ces espacess'instaurent des rapports visuels différents (3) : ils sont conflictuelsdans l'espace de la fête (le sujet ne veut pas être vu et on le regarde

quand même, ou bien il veut être vu et on ne fait pas attention à lui)et harmonieux ou contractuels à la maison, où l'intimité du sujetaussi bien que son désir de se montrer sont respectés.

(2) Il faut remarquer que la fête, en même temps qu'elle rompt la durée dela routine à la maison, installe une nouvelle durée :

Aspectduratif

de la routine

à la maison

Aspect ponctuel

- terminatif

de la routine- inchoatifde la fête

Aspectduratif

 pendant

la fête

Aspect ponctuel

- terminatif

de la fête- inchoatif

de la routine

Aspectduratif

de la routine

à la maison

Aspectduratif

de la routine

à la maison

Aspect ponctuel

- terminatif

de la routine- inchoatifde la fête

Aspectduratif

 pendant

la fête

Aspect ponctuel

- terminatif

de la fête- inchoatif

de la routine

Aspectduratif

de la routine

à la maison

Aspectduratif

de la routine

à la maison

Aspect ponctuel

- terminatif

de la routine- inchoatifde la fête

Aspectduratif

 pendant

la fête

Aspect ponctuel

- terminatif

de la fête- inchoatif

de la routine

Aspectduratif

de la routine

à la maison

Aspectduratif

de la routine

à la maison

Aspect ponctuel

- terminatif

de la routine- inchoatifde la fête

Aspectduratif

 pendant

la fête

Aspect ponctuel

- terminatif

de la fête- inchoatif

de la routine

Aspectduratif

de la routine

à la maison

(3) Cf. Eric Landowski, «Jeux optiques. Une dimension figurative de lacommunication», in Actes sémiotiques. Documents,  Paris, 1981, III (22) .

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La mobilité du sujet dépend alors de la «qualification» aspec-

tuelle de l'espace. Dans la fête, il est en général passif et il se cachedans un coin. Sa mobilité, rare, est toujours maladroite. La figurespatiale du  coin  (du salon, du balcon, du jardin, du canapé, etc) esttrès utilisée et elle sert à délimiter l'espace trop grand et public de lafête.

Si l'on compare l'aspectualisation de l'espace et celle du temps,on peut facilement conclure que la même catégorie aspectuelle decontinuité   (proximité et harmonie) vs  rupture  (ou éloignement) qualifie aussi bien les termes que les espaces des textes des compositions.Il y a, en définitive, une organisation aspectuelle commune du tempset de l'espace.

Il faut examiner maintenant l'aspectualisation de l'acteur,c'est-à-dire la manière dont les performances sont accomplies, leurqualification selon la perspective de l'observateur. On a déjà signaléquelques éléments de l'aspectualisation de l'acteur : des performances qui se répètent, avant la fête, à la maison, le manque decompétence, surtout du savoir-faire, pour réaliser de nouvelles performances, pendant la fête et sur ses lieux. Les performances dusujet sont alors qualifiées par les catégories suivantes :

normalité, banalité vs. fantaisie, mystère, absurde prescription vs. interdiction

ordre, routine, tranquillité vs. chaos.

Les traits de la première colonne déterminent les performanceseffectuées à la maison - regarder la télévision, manger à la cuisine,se lever, mettre ses chaussures, prendre un bain -, des actions detous les jours, figurativisées par les tonalités et les goûts neutres dela maison. La deuxième colonne définit les performances du sujet àla fête : boire trop, manger des choses rares et inconnues, parler tropfort, etc. L'opposition entre la règle et la fête est figurativiséesurtout par l'autorité du père et par la critique des drogues, del'argot et de l'homosexualité qui marquent les performances des participants à la fête. Les rôles sociaux établis doivent, dans lescompositions, être bien préservés.

La conversation et la répétition des mêmes performances et desmêmes valeurs, par opposition à leur rupture, au moment de la fête,témoignent du fait que les acteurs subissent une organisation aspectuelle identique à celle de l'espace et du temps. Une même qualification aspectuelle détermine les trois composantes du discours, le

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temps, l'espace et les acteurs. Trois conclusions en découlent :

1.  au niveau des structures fondamentales du texte, il faut alorsreconnaître des éléments tensifs (4) qui répondent, à ce niveau, aux

 perspectives discursives choisies par l'observateur, délégué du sujetde l'énonciation;

2.  au moment de la discursivisation des récits, des catégoriesaspectuelles communes qualifient, en même temps et de la mêmefaçon, les espaces, les temps et les acteurs du discours;

3.  on doit aussi reconnaître que la tension des structures pro

fondes, sous-jacente à l'aspectualisation discursive, s'étale dans lediscours sous la forme des mouvements continus de la passion.

La première conclusion amène à l'identification, au niveau desstructures fondamentales, des catégories tensives qui, avec lescatégories thymiques de la phorie, déterminent les catégoriessémantiques descriptives qui engendrent le discours. Ces «méta-catégories» assurent, à d'autres niveaux de description, la modali-sation et l'aspectualisation discursive.

Deuxièmement, on a pu conclure que le sujet observateur voit letemps, l'espace et les acteurs selon un même prisme, parce qu'il subitles mêmes «tensions» et qu'il organise, à partir de ce choix optique,les syntagmes aspectuels. Au moins, les choses se passent-elles ainsidans les compositions examinées. Il faudrait poursuivre les investigations sur ce sujet et étudier des textes poétiques, surtout, où, parexemple, plusieurs observateurs choisissent chacun sa perspective. Ilen résultera alors des points de vue différents sur les temps, lesespaces et les acteurs du discours.

Dans les compositions, il y a donc un dénominateur aspectuelcommun aux temps, aux espaces et aux acteurs, qui peut être articulégénériquement par la catégorie

continuité   vs.  rupture

Qu'elle soit temporelle, spatiale ou actorielle, la continuité estdéterminée selon les termes  euphoriques  et  relâché,  des catégoriesfondamentales, tandis que la rupture est dite dysphorique et  tendue.

(4) Cf. Claude Zilberberg,  Essai sur les modalités tensives,  Amsterdam,Benjamins, 1982.

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Si Ton reprend les analyses de l'aspectualisation des composi

tions, on doit encore considérer que l'on a affaire à la catégorie del'excès et de l'insuffisance (5). La fete, par l'aspectualisation dutemps, de l'espace et des acteurs, se définit soit par l'excès, soit parl'insuffisance : elle offre trop de lumière ou trop peu, elle occupe deslieux gigantesques ou minuscules, il y a trop de monde ou presque personne, on y parle trop ou pas du tout, on y mange et on y boit defaçon démesurée, il y a un bruit effrayant ou un silence de mort, le personnel est exagérément nombreux, les vêtements sont incongrus,etc.  Il  s'agit, enfin, de l'excès ou de l'insuffisance de la rupture, par

opposition à la juste mesure de la continuité spatiale, temporelle etactorielle à la maison. La maison représente alors la juste mesure, la

 bonne moyenne, la correcte médiocrité, ni excès ni insuffisance, ou,en même temps, et l'excès et l'insuffisance, c'est-à-dire les termesneutre ou complexe, par rapport à l'opposition catégorielle. Dans cesens,  il faut remarquer que, dans les compositions, la juste mesure,la médiocrité, est euphorique, tandis que l'excès ou l'insuffisancesont dysphoriques.

La troisième et dernière conclusion à laquelle on peut aboutir,

c'est celle qui établit des rapports entre les passions - des effets desens d'organisations modales - et l'aspectualisation. Le flot des passions dans les discours obéissent à leur organisation aspectuelle,si l'on accepte que l'aspect dépend des déterminations tensivesfondamentales, tel qu'il a été proposé. On peut donc suivre lavariation tensive, passionnelle et aspectuelle :

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Le parcours passionnel se laisse voir, aussi bien que la visée

aspectuelle, temporelle, spatiale ou actorielle. Est-ce que Ton doit parler des passions du temps, de l'espace et de l'acteur ?

III.  Aspectualisation etcontexte psycho-socio-culturel

Pour déterminer les rapports entre l'organisation aspectuelle desconditions et le contexte psycho-socio-culturel nous nous appuyonssur deux études sémiotiques de la culture brésilienne effectuée parJ.L. Fiorin (6). Fiorin définit la culture brésilienne, c'est-à-direl'image que les Brésiliens ont d'eux-mêmes et de leur culture, par laconciliation de termes contraires ou par la neutralité qui nie lesdeux. La culture brésilienne, selon l'auteur, est, en général, dite uneculture «baroque», justement parce qu'elle se caractérise parl'englobement des termes contraires : supérativité vs. infériorité,identité vs. altérité, unité vs. pluralité, individualité vs. sociabilité,intériorité vs. extériorité, etc. Le thème de l'éclectisme est alorsreconnu comme un des traits du «caractère national». Il permet derapprocher et même d'englober dans un élément commun, des personnes, des événements, des groupes différents et encore destraditions sociales et politiques divergentes.

Fiorin examine l'image que les Brésiliens construisent de leurculture comme un terme complexe qui, au niveau fondamental du parcours génératif de la signification, subsume les élémentscontraires. La relation est euphorique, et non les termes polaires. Onvalorise positivement la complexité du rire et de la gravité, dutravail et du loisir, de la liberté et de la réglementation, de l'excès etde l'insuffisance, du logique et de l'absurde, de la cordialité et de laviolence.

Au niveau des structures narratives, l'auteur souligne que lesrapports entre les sujets sont plutôt contractuels que polémiques. Lesrelations intersubjectives sont conçues, dans la culture brésiliennedominante, comme des contrats ou des échanges. Les thèmes (et lestermes) les plus fréquents du vocabulaire politique du Brésil sont la

conciliation, l'accord, le pacte.

(6) José Luiz Fiorin, «Sémiotica da culturalidade», in Santaella L. (é d.),Semiotica da cultura e da arquitetura, Sao Paulo, editora da PUC, 1988.

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Ainsi caractérisée, la culture brésilienne peut être aussi pensée

comme une culture de la neutralité, puisqu'elle choisit, toujoursselon Fiorin, la juste mesure comme l'aspect euphorique ducomportement social. La négociation de l'excès et de l'insuffisancedomine l'aspectualisation des comportments sociaux au Brésil. Nousne nous arrêterons pas maintenant sur les différences qui découlentde ces deux perspectives, celle de la complexité et celle de la neutralité de la culture. Nous ne considérerons que ce qu'elles ont encommun, à savoir l'opposition entre les termes polaires.

On rejoint ainsi les résultats de l'analyse aspectuelle des temps,

des espaces et des acteurs dans les compositions examinées. Les jeunes gens qui passent leurs examens d'entrée à l'Universitéassument pleinement les valeurs de la culture brésilienne et fontl'éloge, au moyen des procédures d'aspectualisation, de la modération, de la prudence, de la discrétion.

L'aspectualisation, engendrée par la tension fondamentale et parles choix de l'observateur, a donc des rapports étroits avec lecontexte psycho-socio-culturel.

L'étude des procédures d'aspectualisation est nécessaire pourcomprendre la discursivisation et les discours, et aussi, à travers lestextes, les comportements et l'organisation des sociétés.

Diana LUZ PESSOA DE BARROSUniversité de Säo Paulo (Brésil)

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Problèmes d'aspectualisationdans deux définitions de la

«vergogna»

Deux définitions de la «vergogna»

Au cours d'une étude sur la configuration passionnelle de la«vergogna» (honte), nous avons rencontré deux définitions dansdeux dictionnaires de langue italiens qui produisent deux effets desens divergents et qui s'opposent sur plusieurs points. Le cas n'a pasmanqué d'attirer notre attention. Comment traiter ces oppositions ?Quelle est la nature qu'on doit reconnaître, du point de vue sémio-tique, à cette bifurcation sémantique ? Y  a-t-il  un fond communsous-jacent aux différences manifestées à la surface des textes

descriptifs et définitoires ? Nous avons développé par ailleurs unehypothèse de complémentarité, en optant pour une interprétation detype configurationnel, à savoir la possibilité qu'une même configuration sémantique a de remplir différentes fonctions en se réalisantdans des textes donnés (1). Dans cette perspective, les deux définitions de la «vergogna» recouvrent et soulignent des aspects  différents, mais co-possibles, d'une même configuration complexe, enlivrant aux textes la tâche et l'opportunité de leur exploitation.

(1) Nous nous permettons de renvoyer le lecteur à notre article «Unosguardo semiotico sulla vergogna », en Quaderni del Circolo Semiologico  Siciliano, n°30,  Palermo 1989.

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L'analyse d'un roman, The Scarlet Letter   de N. Hawthorne, nous a

 permis de montrer la façon dont un texte se rend capable d'utiliser àla fois, en gérant l'opposition, les deux orientations divergentes queles deux définitions de dictionnaire rendent explicites. Nous yreviendrons brièvement par la suite.

Voilà les deux définitions :

1) Devoto-Oli  :

« Il profondo e amaro turbamento interiore che ci assale quando ci

rendiamo conto di aver agito o parlato in maniera riprovevole».(Le profond et amer trouble intérieur qui nous assaille lorsque nousnous rendons compte d'avoir agi ou parlé de façon répréhensible).

2) Zingarelli :

«Turbamento e timore che si provano per azioni, pensieri o paroleche sono o si ritengono sconvenienti, indecenti, indecorose e sim. eche sono o possono essere causa di disonore o rimprovero».(Trouble et crainte que l'on éprouve pour des actions, des pensées ou

des mots qui sont ou que l'on considère comme inconvenants,indécents, indignes etc. et qui sont ou peuvent être cause dedéshonneur ou reproche).

Plusieurs oppositions sémiotiques apparaissent à l'analyse, dansces deux définitions de la «vergogna». Si ce n'était le rôle homogénéisant du léxème commun, on aurait l'impression d'avoir affaireà deux entités sémantiques différentes. Et pourtant, en deça de lamanière spécifique dont chaque définition traite la passion qui nousintéresse, on ne peut pas ne pas reconnaître un même schémagénéral, une même structure profonde : il  s'agit  d'un sentiment pénible provoqué par un savoir portant sur des performances àvaleur axiologique et éthique négative. En quoi consistent lesoppositions et les différences dont nous avons parlé ? Nous allons endonner un bref aperçu.

1) Au niveau actantiel, on  peut  très facilement noter une différentedistribution de la transitivité fondamentale liant entre eux le sujet etl'objet. Le sujet de la première définition est un sujet passif qui subitl'action de la passion ; il est un sujet d'état qui subit une transformation dans son existence et dans sa compétence par une performance qui lui est étrangère et qui fait qu'une subjectivité-autre

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apparaît. Le sujet de la deuxième définition est au contraire un sujet

actualisé dans sa compétence à «éprouver» un sentiment et à«considérer» les résultats d'un comportement ; il est le sujet d'unvéritable /faire/  cognitif.

2) Au niveau  narratif,  l'on reconnaît dans la première définitionl'instance transcendante d'un Destinateur qui impose les valeursauxquelles le sujet doit se conformer et qui sanctionne par le troubleles performances ratées. Dans la deuxième définition le Destinateurest immanent au jeu des valorisations intersubjectives des compor

tements ; la sanction prend place dans ce qu'on appelle la production de simulacres et de stratégies dans l'interaction. Cette opposition s'accompagne d'une différence de modalisation dans les deuxénoncés : d'un côté, en effet, on est sous le domaine du /devoir-être/ en liaison avec un /savoir/ attribué au sujet, de l'autre ladomination est celle du /pouvoir-faire/ associé à une modalisationcognitive du sujet de l'ordre du /croire/.

3) Au niveau actoriel, l'opposition apparaît entre la construction

d'un acteur humain individuel et l'absence de toute opérationd'individuation. Grâce au pronom «nous» de la première définition, le sujet de la passion est assimilé aux actants de l'énonciation

 par un procédé d'embrayage participatif qui identifie l'acteur passionné à l'auteur et au lecteur du dictionnaire. Le débrayage, aucontraire, est total dans la deuxième définition, s'articulant surl'impersonnel de cet «on» répété. La passion elle-même est un toutidentifiable et circonscrit dans le premier cas - un trouble avec plusieurs attributs -, tandis qu'elle se complexifie et se problématise

dans l'autre cas - elle est trouble  et   crainte - Les performances présentées comme causes de la passion, enfin, sont des comportements réalisés dans la première définition, des comportements réalisables et seulement éventuels dans la deuxième.

4) Au niveau des isotopies sémantiques, la première définitioninsiste sur le sentiment, privé, intime et sensible, (le trouble est profond, amer, intérieur), tandis que la deuxième exploite toute unesérie de lexémes, pour ainsi dire, «socialisants» (le thème est celui,

général, de l'honneur et de ses multiples déguisements).Voilà quelques oppositions qui permettent d'amorcer une

description des dispositifs qui produisent les deux effets de sens.

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Nous faisons maintenant l'hypothèse qu'une réflexion sur l'aspec-

tualisation des deux énoncés nous permettra de raffiner l'analyse. Ils'agit pour nous de mettre en place un certain nombre de catégoriesqui nous aident à rendre compte, de la manière la plus homogènepossible, des opérations de mise en discours présupposées par lesdeux définitions de la «vergogna». Nous espérons pouvoir saisirquelques composantes des configurations passionnelles, susceptiblesde remplir différentes fonctions lors de leur insertion dans ladynamique textuelle.

Notes sur l'aspectualisation

Avant de passer au traitement de l'aspectualisation dans nosénoncés, il ne sera pas inutile de s'arrêter un instant sur le problèmegénéral de l'aspectualité en sémiotique. On le sait très bien, larecherche est encore loin d'une conceptualisation satisfaisante encette matière. On ne peut qu'utiliser les nombreuses suggestions quinous viennent de la linguistique de la phrase, d'un côté, les remar

ques pas tout à fait enthousiastes de la linguistique textuelle (v.Weinrich, par exemple), de l'autre, et cette ébauche d'idée quicontinue à guider les sémioticiens et qui consiste à dire que «lepoint de vue d'un actant observateur sur l'action» doit être déterminant par rapport à la construction du discours. Il est tentant pourla sémiotique de s'emparer de la foison de concepts et de sous-catégories élaborés par la linguistique autour de l'aspect verbal, maisun problème de pertinence de niveaux se pose, qui fait que l'optiquedu sémioticien doit se placer à un niveau plus abstrait et profond en

gardant avant tout la pertinence théorique même de la question del'aspect. Faisons donc un pas en arrière et imaginons l'action surlaquelle doit porter l'observation d'un actant délégué dans l'énoncé.Un problème d'identification de l'unité minimale survient qu'on nepeut pas résoudre de manière directement logique. Pour utiliser unereprésentation spatio-figurale naïve, nous traçons le dessin suivant :

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Il s'agit tout simplement d'un segment. Ce segment représente uneunité d'action, en tant qu'abstraction que j'opère sur la «vision» del'actant observateur. C'est cette contrainte de l'observation qui nousempêche d'analyser et de formaliser logiquement l'unité d'action ;c'est qu'il nous faut rester dans le discours pour nous approcher desopérations d'un actant du discours. Cette représentation spatialeabstraite est pourtant construite et, plus précisément, elle estcomposée par une durée et deux points qui la limitent. Si nousopposons ces deux composantes (la durée et les points) dans unecatégorie sémantique, de la façon suivante :

 Nous pensons à la dilatation et à la contraction comme aux deuxcontraires qui s'articulent sur les déixis, là où le rôle des négationsrespectives est déterminant ; à  l'infinitisation  comme à une opération de négation des deux termes posés, sans que l'orientation du processus soit pertinente ; en ce qui concerne le terme complexe,nous exploitons la possibilité d'en reconnaître deux, l'un positif (quenous appelons  segmentation  pour en souligner la positivité, le faitqu'il  s'agit  de la constitution même du segment) et l'autre négatif(que nous appelons  itération  en entendant par là, à la fois la fragmentation et la multiplication de l'unité-segment, sa prolifération par adjonction de points-limites).

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 Nous disposons maintenant de quelques concepts générés par

des opérations très simples, accomplies sur, et à partir d'une opposition sémantique reconnue entre les traits figuraux d'une représentation, naïve et arbitraire mais possible, de l'action ou de l'événement. Une fois mis en place ce micro-système conceptuel, il nousfaut revenir sur nos textes pour tenter une première description del'aspectualité énoncée.

La première définition de la «vergogna» prend place et s'articule autour du verbe «assaillir». La signification de ce verbe produit une contraction de l'événement («assaillir» = attaquer avec

véhémence, avec violence), contraction qui est le produit, à sontour, de l'investissement d'une marque plus profonde de tensivité àson degré «haut» de réalisation. L'assaut est un événement qui alieu dans un instant. Il  s'agit  de l'interruption ponctuelle d'unecontinuité qui caractérise la compétence du sujet.

Deux réflexions nous imposent de nous arrêter un instant.D'abord, on pourrait nous objecter que la ponctualité n'est pas unemarque inhérente à une signification, qui serait en quelque sorteessentielle, du verbe «assaillir». Cela est tout à fait vrai, mais nous

en repérons également la présence en vertu de la comparaisonvirtuelle avec plusieurs lexémes qui pourraient occuper la même place dans la chaîne de signification constituée par notre texte(songeons à des verbes tels que «envahir», «pénétrer», «prendre», «occuper», etc.).

Deuxièmement, il nous faut dire quelques mots à propos de lacompétence que nous avons qualifiée de «continue», pour remarquer que cet aspect d'interruption abrupte d'un écoulement régulieret tranquille est manifesté très clairement par l'utilisation du terme«trouble». La définition de «troubler» dans le  Petit Robert,  définition qui ne diffère pas de celle qu'en donnent les dictionnairesitaliens («turbare»), est, entre autres : «Empêcher (un état calme, paisible) de se continuer. Interrompre ou gêner le cours normal dequelque chose. Au sens moral : Priver de lucidité ; susciter chezquelqu'un un état  émotif,  une activité psychique anormale ou pénible qui compromet le contrôle de soi».

Une telle interruption est due à l'apparition d'un /savoir/ («serendre compte», s'apercevoir) qui porte sur une performanceaccomplie. Cette performance est donc prise en charge par le /savoir/ en tant que séquence dont on focalise l'achèvement. Pour lesujet du pâtir énoncé, le mauvais comportement,  son  mauvaiscomportement, doit avoir eu lieu effectivement et de manière

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achevée. Le /savoir/ doit reconnaître son objet dans sa «perfec

tion»,  son début, son déroulement, sa fin, et en cela il doit fairecoïncider son propre regard avec le regard transcendant du Desti-nateur. C'est bien cette transcendance assumée qui entraîne la bonne objectivation du comportement.

Dès qu'on se risque à évoquer le couple «perfectif/imperfectif»,Ton se trouve face à la problématique délicate du croisement, aumoment de la discursivisation, du temps et de l'aspect. En linguistique, on dirait que notre énoncé est composé de deux présents etd'un passé, du point de vue strictement temporel, mais que du pointde vue aspectuel on n'a affaire qu'à des présents. Le passé composéde «avoir agi ou parlé» n'est, aspectuellement, qu'un présent maismanifestant un  perfectif.  Evidemment, il  s'agit  ici de la relationétroite, et souvent de la confusion, entre aspectualité et temporalité ;la notion de perfection marque un point critique entre ces deuxdomaines. Nous ne voulons - et nous ne pourrions - pas trop nousaventurer dans cette question, mais il nous semble intéressant deremarquer l'importance que l'aspectualisation peut avoir dans le processus de temporalisation d'un énoncé. Il y a bien un passé - c'estle passé composé - qui fait que, du point de vue temporel, la secondesubordonnée est au passé, mais cela est l'effet d'une contraintediscursive qui provient de la perfectivité aspectuelle. Bien quedistinct de droit du temps, il semble que l'aspect nous oblige àorganiser le temps à partir de ses propres articulations, fondées surle point de vue de l'observateur. Ainsi, en généralisant la réflexion,l'on comprend l'exigence proprement sémiotique qui consiste àreconnaître à l'aspectualisation une fonction plus profonde parmi les procédures dites de discursivisation.

Pour comprendre la globalité de l'effet de sens, il nous faut prêter attention à la façon dont son aspectualité agit sur l'ensemble.Quelque chose se révèle en effet au croisement entre perfectivité(achèvement du comportement du sujet), temps passé de la réalisation à sanctionner, reconnaissance de cette réalisation par un /savoir/, fonction objectivante de ce même /savoir/ par rapport auxdonnées de la performance, système de valeurs établi et figé qui permet la validation et, finalement, forte causalité qui fait que la passion surgit nécessairement et immédiatement, comme mécaniquement.

Concernant cette causation, on peut faire observer que sonimmédiateté est l'effet de l'aspectualisation qui fait coïncider dans lemême instant, grâce à l'adverbe «lorsque», les deux moments, celui

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de l'assaut et celui de l'acquisition du / savoir/. Le décalagetemporel entre performance réalisée et /savoir/ du sujet est celui quirend possible, en articulant la perfectivité, l'objectivation del'événement.

Dans la deuxième définition, au contraire, nous n'avons pas devéritable événement. Il  s'agit  de la définition d'une passion conçuecomme un état,  duratif,  dont on ne focalise pas les limites (il s'agitdonc d'une «dilatation»). La causation, le pourquoi de la passion,est, du point de vue aspectuel, indéterminée : l'état est «mis enrelation» avec un comportement dont l'emplacement temporel restesuspendu. Il vaut peut-être la peine de remarquer que cette « mise enrelation» est obtenue par une préposition qui, en italien, est sansdoute la plus générale, la moins spécifiante : «per» («per» corres pond à : pour, par, à travers, à cause de, pendant, etc., avec 22compléments).

On s'aperçoit tout de suite que cette indétermination aspectuellede l'enchaînement de la cause et de l'effet correspond à unetemporalisation articulée sur des présents verbaux. De la mêmemanière, si dans la première définition, à une perfectivité de la performance correspond la ponctualité de l'assaut de la passion, ici àl'imperfectivité des événements correspond la durativité de ce qu'onéprouve.

La «vergogna» de la deuxième définition est une passionouverte, en quelque sorte, à des développements narratifs ultérieurs.Du point de vue aspectuel, on peut dire que la passion n'est pas lerésultat du processus, mais plutôt l'un de ses moments. Eprouver dela honte semble être un état traversé par la compétence du sujet qui,

 bien que plongé dans une situation pénible, n'est pas moins capablede produire des inférences, de croire, de mesurer des possibilités.Son état est toujours «entre» des états, des états en amont et desétats en aval. Pour revenir à notre carré, nous serions tentés de direqu'au lieu de l'articulation entre la contraction de la passion et lasegmentation objectivante de sa cause, on est ici au cœur d'unedialectique entre une passion dilatée et l'itération de ses conditions.En effet, la honte de la deuxième définition contient, à la fois etvirtuellement, l'inchoatif et le terminatif ; elle constitue l'un des

cadres de leurs jeux réciproques, l'un de leurs régimes. Nous voudrions aborder maintenant la question des rapportsentre l'aspectualité et les procédures d'actorialisation. Nous l'avonsdéjà évoquée dans notre liste des oppositions, tout au début : lesdeux définitions de la «vergogna» produisent des acteurs différents.

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L'articulation aspectuelle des deux énoncés semble avoir sa part

dans la constitution de ces actorialités discursives.En réfléchissant d'abord sur l'acteur objet (objet de la passion),

nous avons déjà remarqué une différence essentielle : c'est la  différence entre comportement réalisé et comportement éventuel. D'uncôté,  il y a un /savoir/ qui prend en charge un comportementachevé, une durée finie, et par là reconnaissable pour ce qu'elle est,selon un système de traits et de valeurs qui en font un véritableobjet. De l'autre côté, on trouve des procédures de valorisation quifont jouer les valeurs sur des traits comportementaux à qualifier. Le

comportement n'est pas tout à fait donné, il est éventuel, il faitl'objet d'une négociation entre le simulacre des partenaires d'uncontrat. Les locutions : «qui sont ou que l'on considère» et «quisont ou peuvent être», en montrant l'imperfectivité de la détermination objectale, ouvrent une négociation portant à la fois sur lestraits actoriels nécessaires à la reconnaissance et sur les valeursaxiologiques et éthiques qui y sont impliquées.

Du côté du sujet, les procédures d'actorialisation se font plusintéressantes encore. Il  s'agit  de l'évidence des processus de

construction de la topologie des acteurs. Qu'entendons-nous par là ? Nous pensons à la topologie des acteurs du discours comme à unereprésentation spatiale abstraite, et analogique, dont on peut seservir pour se représenter l'articulation des diverses subjectivités quien composent l'identité. Pour développer une théorie des subjectivités internes à l'acteur (acteur-sujet, bien entendu) il nous faudraitsans doute un raffinement de la théorie sémiotique des modesd'existence. N'empêche que le phénomène est patent : les deuxdéfinitions de la « vergogna » actorialisent le sujet de la passion de

manière tout à fait différente.La première définition apprête un espace interne de l'acteur. La

 passion est conçue comme l'effet, sur le «dedans», d'un assaut qui provient du «dehors». Il y a un monde articulé autour du /savoir/,fait d'objets et de compétences cognitives transcendantes, qui agiten modifiant un état interne. L'acteur sujet est un être humainindividuel délimité par les bornes, les limites de sa psyché. Il  s'agiten effet d'un sujet psychique, assumant par une sorte de sur-moi lasanction du Destinateur-judicateur. Cet espace interne est un espace

duratif bombardé par des événements externes très localisés, ponctuels en un certain sens. Ce sont en effet les points critiques du/savoir/ , ses seuils, qui provoquent des changements, des mutations,dans une sensibilité dont la nature est permanente.

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Ce qui n'est pas du tout le cas dans la deuxième définition. Au

lieu d'offrir une infinitisation de la transcendance, une ponctualitéde la reconnaissance et une durativité de l'espace interne, on a iciune dilatation du cadre servant de référence à la valorisation ducomportement. Le sujet de la passion est cueilli dans sa surface, dansle paraître de son simulacre face aux autres et, inversement, dessimulacres des autres face à son /croire/. La permanence est celle dela configuration polémico-contractuelle de l'échange dont l'enjeu est bien plus l'honneur et la dignité que le bien être affectif.  La subjectivité est limitée à telle ou telle inscription d'un actant stratégique, à

tel ou tel moment du déroulement de l'interaction. L'espace produit par cette dilatation, espace de l'échange, est un espace ponctué parles positions des sujets qui y prennent place. L'énoncé de la deuxième définition dévalorise l'espace interne du sujet pour enmarquer au contraire le fonctionnement, l'emplacement, et la position dans l'interaction.

Plutôt qu'individu psychique, ce second sujet n'est qu'unefonction socio-sémiotique. Son être est l'être des signes de la honte,signes partagés par une communauté et dispersés dans l'univers

sémiotique couvert par celle-ci :

Ponctualité Durativitédes réalisations VS de lasémiotiques compétence

Il serait intéressant de montrer dans le détail comment un texte particulier peut utiliser dans une même économie discursive les deuxeffets de sens opposés que nous venons de considérer. Faute de

 place, nous ne faisons qu'en indiquer l'exploitation faite parHawthorne dans son roman  The Scarlet Letter. Le roman tout entierest organisé autour de la honte : elle en est le thème topique et cesont précisément ses aspects opposés et complémentaires qui setrouvent distribués sur les deux personnages principaux. S'il est vraique la femme, Hester, et le curé, le révérend Dimmesdale, partagentune même culpabilité, un même objet d'ancrage de la passion, lafaçon dont l'auteur fait jouer, tous ensemble et sur des parcoursdifférents, les parcours actoriels des deux sujets, est d'autant plus

remarquable.Dans le cas de Hester, la honte se transforme du début à la fin

en signe de la honte, elle est affichée en forme de A majuscule écar-late sur sa poitrine pour le regard judicateur et méprisant des

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membres de la communauté du village. Ce signe, cette rougeur

 permanente, est du coup une passion externalisée. Elle marque unespace externe de fonctionnement des relations intersubjectives oùla honte représente un type très particulier d'échange, un échangequi n'inclut le sujet coupable qu'en vue de son exclusion du circuitde la communication. L'acteur de la honte est appelé à jouer un rôlecommunicatif, de par le signe qu'il supporte, très précis, celui delimite infranchissable de l'échange. Mais en même temps, c'est précisément le fait qu'on ne puisse pas franchir les bornes de son

 paraître, de sa surface signifiante, ce qui rend possible, dans

l'économie actorielle, le déploiement d'un espace interne vidé alorsde compétence. Cet espace interne devient tout de suite le lieu d'unetransformation profonde de l'existence sémiotique de Hester, transformation qui va l'amener à une conclusion, glorifiante sous plusieurs aspects, de sujet conscient de sa propre position dans lacommunauté, et capable d'en gérer les conséquences conformémentà un système de valeurs différent et  alternatif.

Au contraire, le parcours discursif de Dimmesdale est sous lerégime du secret. Sa position centrale parmi les membres de la

communauté fait qu'il ne puisse manifester sa culpabilité au dehorsqu'avec le symptôme ambigu de la maladie et du dépérissement physique, symptôme interprété par les autres comme le signe de sagrande dévotion religieuse. Ce phénomène entraîne une topologiesubjective très particulière : le « dedans » de Dimmesdale en ressortécrasé entre le regard envahissant de l'attribution de compétence par les autres et sa propre conscience qui agit sous forme deremords. Ces deux instances contraires travaillent la compétence du jeune curé en lui ôtant toute possibilité de transformation narrative.

La honte de Dimmesdale ne peut se réaliser que dans un processusaspectuel d'augmentation de la tension dont l'image analogique, surle plan figurai, est bien celle d'un conflit bloqué dans un contenantqui se rétrécit de plus en plus. Et bien sûr, l'explosion surviendra pour égaliser les deux hontes au moment culminant du roman, maisavec inversion complète des rôles et ouverture sur la transformation possible des systèmes des valeurs qui régissent l'échange communicatif.

Ce bref aperçu sur un texte concret n'était que pour montrer la possibilité, fort intéressante à notre avis, qu'ont les textes d'utiliserde manière dynamique des aspects complémentaires d'une mêmeconfiguration passionnelle en produisant des parcours divergentsmais entrelacés dans le but de la mise en œuvre d'effets de sens

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déterminés. Pour ce faire, le discours articule en première instance

des procédures de type aspectuel qui lui permettent de construire desentités appropriées telles que des acteurs-sujet avec des topologies précises. L'aspectualisation du discours vient nous aider lorsquenous voulons rendre intelligible la façon dont des oppositionsthématisées dans des définitions de dictionnaire peuvent se réaliserdans des morphologies actorielles, temporelles ou spatiales d'untexte donné.

Francesco MARSCIANIUniversité de Bologne

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Aspectualisation, quantification,et mise en discours

Je voudrais faire ici quelques hypothèses sur l'aspectualisation, à partir des observations que suscitent l'analyse concrète des discourset certaines rencontres théoriques. Pour commencer, il paraît peu pertinent, aussi bien en principe qu'à l'usage, d'aborder la questionde l'aspectualisation par l'étude des formes temporelles, spatiales ouactorielles : bien qu'elle se manifeste essentiellement sous ces troisformes, précisément, elle n'y apparaît que comme  effet de sens,  etl'analyse ne saisit par conséquent que les effets de l'aspectualisationsur les composantes figuratives du discours, laissant échapper ainsison principe et son fonctionnement propre.

On peut ensuite s'interroger sur la manière dont on passe, dansle parcours génératif de la signification, de la  transformation nar

rative au  procès discursif.  Cette question n'a de sens, bien entendu,que dans le cadre d'une théorie qui se donne de son propre faireépistémologique une représentation sous forme de niveaux hiérarchisés et de parcours; mais il semble que, formulée explicitement oumise en oeuvre implicitement, une telle représentation soit assez

largement répandue et que, par exemple, la notion même d'«

  entierdu procès», utilisée au cours de ce colloque, fasse référence à unautre mode d'existence, plus abstrait et non segmentable, que celled'« aspect». Le passage de la transformation au procès peut diffi-

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cilement être pensé sans une dimension quantitative doublée d'une

dimension dynamique; en effet, il semblerait qu'on soit obligé de poser à la fois la pluralisation de la transformation (en étapes, enséquence, en phases, en identités transitoires...) et l'homogéisationdu résultat de la pluralisation. De telles opérations se présententsuperficiellement comme quantitatives, mais on constate très vitequ'elles reposent sur des tensions, en particulier de réunification, quirelèvent d'une autre logique que quantitative.

En relisant G. Guillaume, par exemple, on ne peut s'empêcher de penser qu'au-delà de la description de l'aspect c'est la théorie toute

entière qui est aspectuelle; toute mise en discours suppose chez cetauteur, en effet, et quel qu'en soit le contenu, des  saisies  sur descinétismes  qui appartiennent quant à eux à la «langue», ou dumoins à sa substance psychique. C'est ainsi que bien des analysesguillaumiennes se ramènent aux «deux grandes opérations del'esprit humain», la particularisation, qui est de tendance restrictive, et la généralisation, qui est de tendance expansive. Un examen plus attentif du traitement de l'article permettra d'éclairer le statutsémiotique de telles opérations.

D'un autre côté, on rencontre chez Talmy et d'autres linguistesune  représentation polémique  de l'aspect, décrit dans ce cas explicitement comme résultant de tensions, et d' équilibres instables entredes tendances contraires. Deux questions différentes se posent à cetégard; si l'aspectualisation comporte une dimension polémique, cene peut être celle qui oppose dans l'énoncé,  le sujet et l'anti-sujet : ilne  s'agit  plus d'une polémique narrative, mais bien de  conflits

 propres à la mise en discours elle-même;  en outre, l'aspectualisationdu discours se présente intuitivement à la fois comme segmentation

du procès en aspects et comme modulation continue de ce même procès, et cette synthèse du continu et du discontinu est sans douteun de ses traits spécifiques : la question est de savoir comment lesconflits propres à la mise en discours, ayant pour enjeu des opérations quantitatives, peuvent engendrer une telle synthèse.

Une incursion brève mais sélective dans  Les Fleurs du Mal

(Baudelaire) montrera comment un Ego en quête de totalité etd'harmonie se heurte au faire «chaotique» d'un Démon du pluriel.

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Observations sur et à partir de

la psycho-mécanique guillaumienne

On a déjà fait remarquer que non seulement la théorie del'aspect et du temps, mais aussi celle des prépositions, du nombre etde l'article sont intrinsèquement aspectuelles chez Guillaume. C'estainsi que tout phénomène linguistique est susceptible d'être représenté comme un  processus,  présupposé par les réalisations endiscours, dans lequel on opère des  saisies-arrêts  pour obtenir leseffets de discours souhaités. On peut s'arrêter quelques instants surla question de l'article, et en particulier sur l'opposition entre LE etUN. Rappelons que pour Guillaume l'article détermine la compréhension du nom grâce à une opération qui connaît deux orientationsconflictuelles, dont peut représenter les cinétismes ainsi :

Ces deux cinétismes sont présupposés par les réalisationsconcrètes en discours, obtenues grâce aux saisies plus ou moins précoces ou tardives qui y sont opérées. Chacun des deux articles peut recevoir ainsi deux grands types de réalisations discursives,qu'illustrent les exemples suivants :

(1)  UN soldat résiste à la fatigue.

(2)  UN soldat entra et tira.

(3)  LE soldat entra et tira.(4)  LE soldat résiste à la fatigue.

Ces emplois de discours réalisent les quatre saisies suivantes sur lescinétismes de langue :

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Une telle description engage à proposer quelques reformulations

en termes de sémiotique discursive, ce qui ne serait pas en soi d'unegrande utilité, si la reformulation ne débouchait pas immédiatementsur un ensemble d'hypothèses, et sur une représentation globale dudispositif de l'aspectualisation.

Les formes aspectuelles sont celles de la représentation du passage des structures sémio-narratives - l'équivalent de la «langue» -aux structures discursives, et ce avant même d'être les signifiés demorphèmes spécifiques. Cette constatation implique que l'aspectualisation appartienne sous une forme à définir à la dimension épis-

témologique de la mise en discours, comme une de ses préconditions,c'est-à-dire un de ses présupposés explicatifs.

Les saisies-arrêts réalisantes portent sur des opérations trèsgénérales et constantes, dénommées chez Guillaume « partitularisation» et «généralisation», mais qui peuvent être réinterprétéescomme les opérations fondamentales de la mise en discours, ledébrayage et l'embrayage.

Ainsi, dans l'énoncé (1), le débrayage actoriel est engagé, maissuspendu avant l'attribution d'une identité à l'acteur manifesté; la

 perspective ainsi obtenue est celle d'une orientation argumentativequi aboutirait ultérieurement à l'application d'un tel énoncé à unindividu identifiable. Dans l'énoncé (2), le débrayage est complet,l'acteur étant alors identifié, individué et localisé. Dans l'énoncé (3),le débrayage est achevé et même dépassé, puisqu'un ré-embrayageest engagé; ce ré-embrayage intègre partiellement les universcognitifs et figuratifs de l'énoncé à ceux de l'énonciation : en effet, puisque l'acteur est supposé connu, la «généralisation» saisie précocément recouvre en fait ici la mise en relation d'une grandeur del'énoncé avec le savoir du sujet d'énonciation. Toutefois, l'em brayage est incomplet, puisqu'il ne s'accompagne pas de la suspension des ruptures d'isotopies actorielles et spatio-temporelles. Enfin,dans l'énoncé (4), l'embrayage est achevé, l'acteur est délocalisé,totalement intégré au savoir du sujet d'énonciation, et perd sonindividuation.

Il y aurait en somme une condition à la convocation des réalisables dans le discours réalisé, et cette condition serait dynamique :cinétlsme  chez Guillaume,  brayage  dans la théorie sémiotique. Defait, cette condition ne peut pas appartenir aux structures discursiveselles-mêmes, car elle ne peut pas être à la fois condition présupposéeet conditionnée présupposante, mais elle n'appartient pas non plusaux structures sémio-narratives, car elle ne peut pas être à la fois

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l'une d'entre elles et la condition de leur réalisation.

Une telle condition pourrait être interprétée comme un avatar pré-discursif de la tensivité sous-jacente à toute élaboration de lasignification. Il a été suggéré ailleurs, en particulier, que l'espacetensif des préconditions de la signification pouvait être le théâtre dela scission d'un proto-actant en actants différenciés (1); si la condition dynamique de la mise en discours, puis de l'aspectualisation,résulte d'une convocation des propriétés de l'espace tensif sous- jacent, il n'est pas étonnant de constater que les opérations de lamise en discours procèdent pour commencer d'une véritable  schizie

de l'instance d'énonciation qui, comme la scission du proto-actanttensif,  se développe en deux orientations opposées, qu'on peutintuitivement gloser comme «séparation vs réunion» et qui prennent en sémiotique le nom de «débrayage vs embrayage». Sur cesdeux orientations, seraient effectuées des convocations discursives,grâce à des «saisies-arrêts» qui feraient alors figure d'embrayages etde débrayages réalisants.

L'ensemble : embrayage/débrayage en conflit, saisies-arrêtsréalisantes, constitue le dispositif aspectualisant, situé ainsi au cœurmême des procédures de mise en discours, et non ajouté après coup,comme c'est souvent le cas dans les descriptions les plus courantesen matière d'aspectualisation.

Si on analyse les composantes sémantiques et syntaxiques de cedispositif, on y rencontre :

- une composante de  quantification,  articulant l'unité et latotalité, comme c'est le cas aussi bien pour ce qui concerne l'aspectualisation du procès (l'entier et ses aspects) que pour ce quiconcerne l'aspectualisation de l'acteur, y compris sous la forme de la«compréhension du nom» chez Guillaume;

- une composante  polémique,  reposant sur la coexistence etl'interaction de deux orientations discursives : d'un côté, des forcesdispersives,  aboutissant au débrayage, et de l'autre des forces  cohé~sives,  aboutissant à l'embrayage; appliquées à la quantification, lesforces dispersives pluralisent, voire infinitisent, et les forces cohé-sives homogénéisent, voire totalisent;

- une opération discursive, le  brayage,  qui consiste, dans cettesituation polémique, à conquérir la totalité ou à réinstaller la pluralité.

(1 ) Cf. Greimas et Fontanille, Des états d'âme aux états de choses, Essais desémiotique des passions, à paraître 1991, Le Seuil.

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Les formes connues de l'aspectualisation  (inchoatif,  duratif,

terminatif,  par exemple) résulteraient par conséquent de la projection du dispositif précédent, y compris les saisies-arrêts réalisantes,sur les catégories figuratives. Si on suppose que la  saisie,  établissantdes seuils, des segments, des arrêts, a pour opérateur un observateur

abstrait (mais qui, comme on le verra, peut recevoir une identitédans le discours), il conviendra de toujours envisager la doubleorientation du faire  discursif,  de sorte qu'il y ait en fait toujoursdeux  observateurs,  un  aspectualisateur   et un  focalisateur   dont lesopérations s'opposent et s'équilibrent. Chaque forme aspectuelle

résultera dans cette perspective d'un certain équilibre entre les deuxfaires discursifs, et apparaîtra par conséquent à l'analyse commerelevant à la fois du discontinu et du continu sous l'effet conjoint dela quantification et de la polémique discursive.

Aspectualisation et quantification dansLes Fleurs du Mal

Dans le recueil de Baudelaire, la problématique envisagée reçoitdeux déterminations complémentaires; tout d'abord, le nombredéfinit à lui seul un actant négatif : il est la manifestation figurativede l'antactant par excellence, du moins au niveau  discursif; ensuite,et l'un ne va pas sans l'autre, la poétique baudelairienne vise à lareconstitution d'une totalité perdue, qui devrait réapparaître commetotalité homogène, reconquise grâce à un parcours esthétique : onsait quelle place occupent les «correspondances», la recherche des

diverses formes du terme complexe, et d'une manière générale des procédés stylistiques qui relèvent d'une aspectualisation unifiante.

Le nombre et l'être

Dans  L'Art romantique,  à propos de Victor Hugo, Baudelaire sedemande :

« Comment le père UN a-t-il pu engendrer la dualité et s'est-il

enfin métamorphosé en une population innombrable denombres ? Mystère ! La totalité infinie des nombres doit-elle ou peut-elle se concentrer de nouveau dans l'unité originelle ? Mystère».

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Visiblement, il  s'agit  plus dans ce texte de métaphysique que de

 poétique; mais d'une métaphysique qui fonderait une poétique. Eneffet, ce qui se présente ici comme une instabilité des tensions del'être, évoquant immanquablement les inquiétudes des philosophes pré-socratiques, deviendra l'enjeu d'une stratégie discursive : lesfigures du monde naturel résultant d'une dégénérescence de l'unitéoriginelle en multitude, le poète s'impose d'en retrouver l'effet detotalité.

On ne manquera pas de relever ici l'ébauche d'une syntaxe spécifique à la composante quantitative, dont les transformations sont

 prévisibles et ordonnées :

UNITE → DUALITE → MULTIPLICITE → TOTALITE

Si  1'«unité»  et la «multiplicité» peuvent apparaître comme descontraires, les termes  ab quo et  ad quem  des processus de dégénérescence et de regénérescence, et si la «total ité» est l'effet produit par le recouvrement de l'unité perdue à la fin du parcours, alors laforme syntaxique du carré sémiotique peut aider (momentanément) à

affiner un tel parcours :

La «dualité» serait donc le contradictoire de 1'«unité», la premièrenégation-disjonction qui inaugure la perte, la scission, précédantl'assertion de l'infini. Il reste à trouver quelle forme intermédiaire permet de passer, chez Baudelaire, de la multiplicité à la totalité; àtitre d'hypothèse, et sachant que les correspondances et les synes-thésies, de même que les figures du mixte, sont les intermédiaires les plus fréquemment utilisés dans Les Fleurs du Mal  pour restituer aumonde sa cohérence globale, la place manquante serait celle d'uneautre dualité, celle de l'écho et du renvoi sémiotique. De fait, l'effetde totalité présuppose chez Baudelaire la découverte que telle figurevaut   pour telle autre, et  signifie  en tant que symbole, que tellesensation renvoie à telle autre et en tient lieu.

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Il y aurait donc deux formes de dualité, l'une, la «scission» de

l'unité, menant sur la voie de la multiplicité, et l'autre, la «sé-miosis», permettant de rebrousser chemin vers la totalité. Le parcours ébauché ci-dessus peut donc se réécrire :

UNITE → SCISSION → MULTIPLICITE → SEMIOSIS → TOTALITE

Le nombre, de l'expression au contenu

Le nombre apparaît dans Les Fleurs du Mal à la fois comme unefigure de l'expression et comme une figure du contenu. Il est toutd'abord une figure de l'expression sous la forme de l'énumérationrythmée : l'alexandrin propose une matrice métrique et accentuelledans laquelle se glisse comme « naturellement » la litanie des mauxet des ennuis. Le poème Au Lecteur, par exemple, commence ainsi :

« La sottise, l'erreur, le pêché, la lésineOccupent   nos esprits...»

Première énumération rythmée qui déclenche la description del'anti-sujet :

« Mais parmi les chacals, les panthères, les lices, Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents, Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants Dans la ménagerie infâme de nos vices.»

Qu'elle soit composée de groupes de trois ou de deux syllabes,l'énumération apparaît bien comme l'expression canonique ducortège des maux; sans chercher à faire passer une liste d'exemples

 pour une démonstration, citons encore, parce qu'elle rassemble cettefois des adjectifs, cette énumération rencontrée dans Le Flacon  :

« Désolé, décrépit, poudreux, sale, abject,Visqueux, fêlé...»

L'effet négatif découle trop visiblement du contenu des lexémes, etnon de l'énumération elle-même, pourrait-on objecter. La réponseest aisée semble-t-il, et comporte deux arguments différents. Toutd'abord, sur l'ensemble du recueil, l'énumération rythmée semble

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quasi exclusivement réservée au «cortège des maux», et une lecture

attentive ne révèle que deux contre-exemples, ce qui ne semble passuffisant pour infirmer l'existence d'un usage idiolectal, d'une spécialisation de cette forme de l'expression; ensuite, on rencontre plusieurs énumérations dont les termes ne sont pas intrinsèquementnégatifs, mais qui se révèlent en tant qu'énumération  la manifestationmême de l'antactant; il en est ainsi dans  Bénédiction :

« Et je me soulerai de nard, d'encens, de myrrhe, De génuflexions, de viandes et de vins...

Pour savoir si je puis dans un coeur  qui m'admireUsurper en riant les hommagesdivins. »

Et l'on comprend pourquoi, chaque fois que l'énumération estreprise par un terme générique («cohue», «peuple», «ménagerie»),  le lexéme choisi est  péjoratif,  voire démoniaque : dansl'expression elle-même, c'est-à-dire dans la forme superficielle de lamise en discours, le Démon, c'est la force de dispersion contrelaquelle le poète doit lutter pour restituer au monde sa totalité

cohérente.

Le conflit discursif

On connaît en général très bien les poèmes de l'homogénéitéreconquise : Correspondances, Harmonie du soir,  entre autres, où le

 parcours du sujet discursif seul est manifesté, occultant celui del'anti-sujet; on connaît aussi les procédés mis à la disposition de ce

 parcours : correspondances, synesthésies et symbolisation; Cl.Zilberberg a montré en outre, dans Une lecture des « Fleurs du Mal»,

le rôle essentiel du  terme complexe  et de ses divers équilibres dansl'écriture de Baudelaire. Mais on  s'est  moins intéressé aux poèmesqui manifestent à la fois le parcours et les procédés de l'anti-sujet etdu sujet, c'est-à-dire le conflit  discursif; Tout entière en offre pourtant une belle illustration :

Le Démon, dans ma chambre haute, Quel est le plus doux.» - O mon âme!Ce matin est venu me voir, Tu répondis à l'Abhorré :Et , tachant à me prendre en faute, «Puisqu'en Elle tout est dictame,Me dit : «Je voudrais bien savoir, Rien ne peut être préféré.

Parmi toutes les belles choses Lorsque tout me ravit, j'ignoreDont est fait son enchantement, Si quelque chose me séduit.Parmi les objets noirs ou roses Elle éblouit comme l'AuroreQui composent son corps charmant, Et console comme la Nuit ;

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Et l'harmonie est trop exquise, O métamorphose mystique

Qui gouverne tout son beau corps, De tous mes sens fondus en un!Pour que l'impuissante analyse Son haleine fait la musique,En note les nombreux accords. Comme sa voix fait le parfum!»

Le texte s'ouvre sur le faire persuasif de l'anti-sujet : le Démon propose au sujet d'énonciation de sélectionner   Parmi toutes les belles

choses  qui composent le corps féminin, la partie la plus douce; lasélection doit fonder une focalisation;  elle présuppose pour cela unefragmentation, une pluralisation du corps. Il propose en somme defaire apparaître une  multitude  à partir d'une  unité.  Si le corpsféminin peut se concevoir comme une figure actorielle, et la dialectique de ses parties et de son unité comme relevant de son aspec-tualisation, alors le programme du Démon discursif repose sur undébrayage  pluralisant, hétérogénéisant, et opère grâce à une  saisiequi définit l'objet de la focalisation. Le texte du poème manifestedirectement la pluralité  (les belles choses, les objets noirs ou roses  ) ,

l'opération pluralisante  (...qui composent   son corps charmant), ainsique la saisie focalisante  (le plus  doux), qui procède ici par évaluation comparative, et vise donc - le superlatif relatif en témoigne - àextraire une unité intégrale parmi les unités partitives obtenues lorsdu débrayage.

Le conflit des quantifications va se développer ensuite dans laréponse du sujet discursif :

tout   est díctame /  rien  ne peut être préférétout 

  me ravit /  quelque chose

  me séduittout   son beau corps /  les nombreux  accordstous  mes sens / fondus en  un

Face au parcours discursif du Démon, celui de Ego s'affirmedonc comme celui de la défense de la totalité; on remarquera à cetégard qu'il ne  s'agit  plus de défendre l'UN, mais de reconstruire leTOUT; bien qu'on s'en défende, le Démon a néanmoins fait sonœuvre, et il n'est plus possible de revenir à l'unité perdue; dialec-tiquement, il faut maintenant nier la pluralité et affirmer la totalité.Superficiellement, le texte défend pourtant l'idée d'une résistance au programme démoniaque : 1' harmonie est présentée comme donnée,1' analyse  est d'emblée dite  impuissante  : tout se passe apparemmentcomme si le Démon n'avait rien fait, comme si le sujet discursif ne

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faisait que défendre le  statu quo. Mais dans les termes mêmes de sa

défense, le sujet discursif admet la pluralisation, et l'existence des parties (les  quelque chose),  éventuellement mises en relation (lesnombreux accords )  entre elles. L'état euphorique d'  harmonie présuppose lui-même l'existence de parties différentes, et un processusd'homogénéisation qui les aurait réunies en un  accord  global : unesyntaxe est en cours, et ce n'est pas simple résistance au fairedémoniaque, mais transformation du résultat de ce faire.

Les procédés communément affectés à l'homogénéisation chezBaudelaire sont tous ici présentés. On repère tout d'abord, sur

l'isotopie musicale, 1' accord  et 1' harmonie, qui introduisent, dans le processus même de la réunification du corps, des règles d'aspectua-lisation. La cohabitation des contraires dans un terme complexe seremarque dans :

 Elle éblouit comme l'Aurore Et console comme la Nuit

Enfin, et surtout, la synesthésie établit un véritable codage semi-

symbolique :

Son haleine fait la musiqueComme sa voix fait le parfum

qui pourrait se formuler ainsi :

 /haleine : voix : : musique :  parfum/

et qui consisterait à permuter les termes d'une comparaison plusordinaire :

 /haleine : voix : : parfum  : musique/

Il convient toutefois de noter que l'harmonie n'est pas obtenueimmédiatement, et qu'entre les parties dispersées en pluralité d'une part, et la totalité reconquise d'autre part, s'insèrent les accords quiétablissent des relations duelles entre ces parties. En relisant plusattentivement la cinquième strophe, on s'aperçoit alors que le pro

cessus d'homogénéisation commence par une négation de la pluralité, puis par un dépassement dialectique de cette négation : on ne

 peut en rester aux accords, car ils sont trop nombreux pour êtreconnus, on doit alors affirmer leur harmonie globale. Ce phénomène

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est particulièrement significatif, car il introduit, au sein même de la

composante quantitative, un principe de résolution indépendant detoute intervention extérieure : l'effet de multitude est littéralementretourné   au profit de la totalité, au nom d'une sorte de règle dediscours, qui ne serait autre qu'une règle d'aspectualisation. En effet,tout se passe comme si, au-delà d'un certain seuil, le nombre devenait indicible, et devait faire place au postulat de l'harmonie pourmaintenir les figures dans l'ordre du dicible; cette règle pourrait êtrecomprise comme fixant une limite au débrayage initial : nécessaire àla mise en discours des figures du monde naturel, il lui devient

néfaste au-delà d'un seuil critique, et doit être contre-balancé parl'embrayage.

L'  accord   serait donc le principe de ce retournement, puisqued'une part il fait apparaître des traits partitifs dans la pluralitédébrayée, et, d'autre part, en multipliant à l'infini les relations possibles entre les parties, il rend nécessaire le ré-embrayagehomogénéisant. Cette observation confirme le rôle des relationsduelles dans la dialectique de l'UN et du TOUT.

Il n'en reste pas moins que le «retournement» de l'effet de

multitude s'accompagne d'un changement de registre discursif et degenre. Le Démon propose d'arrêter le processus pluralisant pourfocaliser, et réaliser ainsi un blason du corps féminin; la démarcheserait cognitive, fondée sur l'analyse, la connaissance du corps etl'évaluation comparative des parties qui le composent. Le sujetdiscursif résiste à la tentation au nom de 1'  esthésie,  c'est-à-dired'une perception où le sujet et l'objet se fondent et retrouvent l'unité perdue; la chose est claire dans l'énoncé «tous mes sens fondus enun» : mais elle est aussi à l'œuvre dans la distinction «sé

duit/ravit», le premier conservant une part cognitive et analytique,le second concernant le sujet tout entier, réuni à son objet par l'effetexclusif du  sentir.  Enfin, dire que l'harmonie est  exquise,  c'est direqu'elle n'est pas connaissable, qu'elle procède d'une adhésion perceptive et pathématique à la fois.

L'enjeu est donc triple : reconstruire la totalité de l'objet, parune aspectualisation appropriée, retrouver l'unité perceptive et pathémique de Ego lui-même, et fondre le sujet et l'objet dansl'esthésie. Le refus du blason, sur la dimension esthétique, acquiertde ce fait une véritable dimension épistémologique, puisqu'au-delàdu choix d'un genre littéraire, il procède d'une prise de positionconcernant la possibilité et les limites de la connaissance.

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Un rapide examen d'autres poèmes, comme  Lesbos  ou Femmes

 Damnées,  confirme la présente analyse. On remarque en particulierque ces femmes qui devraient être damnées se sauvent en partie, etéchappent au jugement moral grâce à un processus qui ressemble beaucoup à celui relevé dans  Tout entière.  Les «attirancesmutuelles», l'«écho des baisers» introduisent les relations duellesidentitaires - ces relations que les mathématiciens spécialistes dessystèmes appellent des relations triviales  - et la multiplication de cesrelations duelles va précipiter l'homogénéisation : les baisers sont encascade,  les attirances mutuelles frôlent l'infini, et le déluge des

larmes engendre une  mer.  Le résultat est ici la naissance d'unevéritable communauté, actant collectif homogène et doté d'uneidentité, qui peut donc s'abstraire des lois morales les plus communes, et échappe ainsi, y compris en suivant les voies douloureusesde l'«éternel martyre», aux jugements ordinaires. La meilleure preuve en est que l'intervention du mâle, qui séduit Sapho, détruitl'harmonie, provoque la dispersion en introduisant l'altérité au seinde l'harmonie, jusqu'à la mort.

Le modèle sous-jacent

A partir de l'aspectualisation de l'acteur examinée jusqu'ici, etqui présente l'avantage, paradoxalement, d'être moins bien connueque l'aspectualisation temporelle, et donc de n'être pas encore dotéede catégories spécifiques qui feraient écran à la connaissance de la procédure sous-jacente, on peut envisager de généraliser les résultatsobtenus. L'aspectualisation reposerait donc à la fois sur unecomposante quantitative et sur une composante polémique; lacomposante quantitative est dotée d'une syntaxe discontinue etdialectique; la composante polémique est dotée d'une syntaxecontinue, tensive, résultant des variations d'équilibre entre lesforces dispersives et cohésives. On obtient, grâce à la composition deces deux dimensions, un modèle qui conjugue le continu et lediscontinu. Mieux qu'un long discours, une représentation gra phique, sans aucune prétention mathématique, permettra d'y voir plus clair :

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L'embrayage et le débrayage sont les processus résultant de cettecomposition : ils participent en effet à la fois de la quantification(pluralisation/homogénéisation) et du conflit des forces dispersiveset cohésives. L'évolution continue des équilibres dans la tension quiles associe peut être représentée par la courbe suivante :

Au point A, les forces cohésives l'emportent, mais dans l'en-deça dudiscours, puisque l'indicible est le prix de l'unité, de la pérennité del'UN; au point C de la courbe, les forces dispersives l'emportent àleur tour, ayant produit la pluralité; au point E, les forces cohésivesl'emportent à nouveau, ayant permis de reconquérir une totalitéhomogène. La zone AC est celle du débrayage, la zone CE, celle del'embrayage. L'axe AE, ainsi que celui qui passe en C, représententdonc en quelque sorte les deux saisies discursives extrêmes sur lacourbe des opérations discursives, l'une au moment de la domination

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des forces cohésives, l'autre au moment de la domination des forces

dispersives. Entre ces deux saisies extrêmes et idéales, se situenttoutes les saisies intermédiaires, qui réalisent concrètement desdébrayages et des embrayages dans le discours. D'un côté, celui dudébrayage, les saisies intermédiaires feront apparaître des  focalisa

tions, qui pourraient être, dans la poétique baudelairienne, des «di-esthésies»; d'un autre côté, celui de l'embrayage, les saisies intermédiaires feront apparaître des aspectualisations,  qui procéderaientchez Baudelaire de la «synesthésie». Les saisies intermédiaires

 peuvent elles aussi prendre place sur le schéma général :

Chez Baudelaire, le modèle se réalise de la manière suivante :

- Avant le point A, c'est le règne du «père Un», le domaine del'indicible, qui ne peut être évoqué que sous la forme d'un simulacre,et sur le mode de la nostalgie des origines.

- De A à C, on observe la montée du fourmillement tératolo-gique, le point ultime C étant mortifère : c'est le chaos absolu; B, le point des saisies concrètes intermédiaires, représente la tentation du

 blason, analytique et focalisante. Corrélativement, les saisiesintermédiaires entraînent ici la «vaporisation» du moi, puisqu'Ego

 perd dans cette affaire l'unité de ses sens.

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- De C à E, la totalité est reconstruite, grâce aux correspon

dances et à la quête de l'harmonie; D, le point des saisies concrètesintermédiaires, représente des embrayages spécifiques, des arrêtsdans le processus général qui produisent des effets de perspectiveaspectualisante ;  on peut considérer par exemple que dans  Elévation,

la perspective adoptée, «au-dessus», «par-delà», «loin de»...résulte d'une telle saisie.

- Après E, un autre indicible commence, celui de l'embrayagetotal qui n'est, dans les discours concrets, évidemment jamais

atteint.Le point C marque le changement d'équilibre entre les deux types deforces, dans la zone même de la pluralisation : il faut donc y voir lareprésentation des relations duelles, des «accords» baudelairiens,qui, tout en redonnant l'initiative aux forces de cohésion, précipitent l'infinitisation et préparent le réembrayage. Au-delà du point C,et au-dessus de la saisie discursive qui lui correspond, apparaîtraitun troisième indicible, celui même de la multitude infinie, du plurielexcessif que corrige et compense le nouveau processus d'homogé

néisation qui commence ici.

Pour finir

Comme bien des fonctionnements discursifs l'aspectualisationrésulte de la composition de plusieurs variables : ici, celle du quantitatif et du conflictuel dans les opérations de débrayage etd'embrayage, appliquées à la conversion des transformations

discursives en procès, et des actants en acteurs. Il est à remarquer, àcet égard, que l'aspectualisation, bien qu'elle procède de l'em

 brayage, ne se confond pas avec lui : d'une part la question del'aspectualisation n'épuise pas celle de l'embrayage, et d'autre part,l'aspectualisation fait appel à un principe continu et tensif quin'appartient pas en propre au niveau  discursif,  mais qui doit être

 postulé dans la théorie sémiotique dès les pré-conditions de lasignification, et antérieurement à la catégorisation elle-même.

Quoi qu'il en soit, l'aspectualisation apparaît ici prise dans les

contraintes de l'énonciation : pour être énoncés, un procès ou unefigure doivent obligatoirement être ou bien focalisés, ou bienaspectualisés;  s'ils  sont aspectualisés, c'est qu'on a fait le choix demanifester telle ou telle composante dans la perspective (et dans

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l'attraction) du tout. Chacun de ces choix est en quelque sortecontraint par la menace de l'indicible : indicible en-deçà de l'UN,indicible de l'infini pluriel, indicible au-delà du TOUT. Le sujetdiscursif qui aspectualise navigue entre plusieurs indicibles, dans ununivers discursif modalisé (selon le pouvoir dire) qui interagit avecsa propre compétence modale.

Jacques FONTANILLEUniversité de Limoges

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L'aspect et le temps verbauxen tant que composants

de la structure linguistique

I. Introduction

Les caractéristiques des catégories purement linguistiques del'aspect et du temps que j'entends présenter ici sont fondées sur uneanalyse sémantique du russe contemporain dont le début date de plusieurs dizaines d'années. Au fil des années, ces recherches m'ontde plus en plus convaincu que les relations entre des unités

morphologiques, qu'elles soient grammaticales ou lexicales, sontfondées sur des oppositions binaires privatives. L'une des unités, àsavoir l'unité marquée, comporte un trait sémantique qui manque àl'autre unité; cette autre unité, l'unité non-marquée, est neutre à cetégard et ne précise pas l'information annoncée par le trait sémantique qui caractérise l'unité marquée.

I I .  Conclusions préalables

De plus, des analyses approfondies ont abouti aux quatreconclusions suivantes, tout à fait essentielles.

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II.  1. Six traits sémantiques

On peut analyser tous les invariants sémantiques de la langue russe par le moyen de six traits sémantiques (1), qui sont plus ou moinscomparables aux sèmes et noèmes de la linguistique françaisemoderne (2). On en trouve une liste dans la figure 1 page suivante.

Le système fondamental des prépositions russes (voir figure 2, page 4) se compose de cinq traits sémantiques dont trois, à savoir lavérification  (les fonds des quatre cubes), l'annulation  (les deux cubessupérieurs) et  l'objectivité   (les deux cubes à droite) sont identiques

aux trois traits sémantiques qui, selon Jakobson, constituent lesystème des cas russes. Ces trois traits conceptuels semblent différents d'une catégorie à l'autre parce qu'ils sont enchâssés dans deuxcatégories différentes : la catégorie des prépositions et la catégoriedes cas, et chacune de ces deux catégories apporte sa propre coloration à chacun de ces traits conceptuels. On peut comparer ce quiarrive à un même trait sémantique en fonction de son enchâssementdans ces deux catégories différentes, à savoir cas et prépositions,avec la fonte de deux cloches. Lorsque le même métal est versé dans

deux moules de dimensions différentes, le son des deux cloches seradifférent (3).

II. 2. Instructions d'identification

Ces traits sémantiques comportent des instructions à l'intentiondu destinataire du message (de la parole) pour identifier un référentdans la réalité extérieure, et ces instructions (et en effet les traits

sémantiques) sont conceptualisés en des termes qui relèvent de l'actemême d'identification. Tout se passe comme si une description de la

(1) C.H. van Schooneveld, «Contribution to the Systematic Comparison ofMorphological and Lexical Semantic Structures in the Slavic Languages», in American Contributions  to the Ninth International Congress of Slavists, Kiev,  september1983, Columbus, Ohio, 1983, vol. I, pp. 321-347.

(2 ) B. Pottier,  Theorie et analyse en linguistique, Paris, 1987, pp. 61-63 ; A J .Greimas,  Sémantique structurale : recherche de méthode,  Paris, 1986, pp. 27, 35,

44-45.(3) C.H. van Schooneveld,  Semantic Transmutations : prolegomena to a

calculus of meaning,  vol. I : The Cardinal Semantic Structure of  Prepositions,  Cases,and Paratactic Conjunctions in Contemporary  Standard Russian  (Physsardt Series inPrague Linguistics, I ), Bloomington, Indiana, 1978.

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: signifie : correspond àles lignes horizontales indiquent l'énoncé pour la Pluralité et la Démarcativité les pointillés indiquent un ensemble non-infini pour l'Annulation et l'Objectivité les pointillés indiquent l'annulationles hachures indiquent que le référent est identifié d'avance(Préidentité [ ou Préidentité impliquée dans les traits suivants ] )

Figure 1  :  les traits conceptuels.

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ville de Limoges consistait en une liste des plans de vol qui guiderait

les avions vers elle. Les traits sémantiques ne donnent guère unedescription d'un segment quelconque de la réalité extérieure, maisils décrivent la procédure même aboutissant à l'identificatiion d'untel segment de la réalité extérieure. Les traits sémantiques n'ont rienà voir avec la réalité extérieure, sauf le trait commun à tous, qu'ilsaboutissent à un acte d'identification de n'importe quel élément de ladite réalité. Ceci relève du fait que la perception aboutit à un acted'identification. Par conséquent, les traits sémantiques ont encommun la référence à l'acte même d'identification de n'importe

quel élément de la réalité exogène. La référence à l'acte d'identification est l'ultime invariant de la signification puisque cet actemême est le seul invariant que toutes les significations de la languehumaine ont en commun (4).

II.  3. Hiérarchie

Chacun de ces six traits sémantiques indique une procédure

différente par laquelle on peut identifier un certain ensemble desegments de la réalité extralinguistique. Cependant, ces traitsconstituent un ordre hiérarchique dans la mesure où le trait suivantimplique le trait précédant. Par exemple, l'annulation implique lavérification; cf. fig. 1. Or, cette hiérarchie est fondée sur une recodification de l'acte d'identification. L'acte d'identification amène larecodification (figure 3 page suivante).

Par exemple, dès que le trait conceptuel de la pluralité estinstancié, nous avons affaire à une pluralité distincte, donc à une

 pluralité limitée. Ce sous-ensemble possédera une nouvelle propriétéqui est le résultat de l'acte même d'identification. Cette nouvelle propriété, qui signifie une pluralité limitée, est recodifiée et élevéeau rang de trait sémantique. Ainsi l'acte d'identification mettant enoeuvre le trait de la pluralité est recodifié de sorte qu'il aboutisse àun nouveau trait sémantique, à savoir le trait de la démarcativité (5).

(4) C.H. van Schooneveld, «By Way of Introduction : Roman Jakobson's

tenets and their potential», in  Roman Jakobson, Echoes of his Scholarship, Lisse,1977, p. 5.

(5) Ce trait correspond dans une mesure à la dimensionalité de A J.Greimas; cf. op. cit., p. 34.

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La nature du trait sémantique ne sort donc jamais du domaine de la

 procédure même d'identification. Par conséquent, la hiérarchie destraits sémantiques est fondée sur une alternance entre l'acte,c'est-à-dire l'application d'un trait sémantique appartenant au code,et la recodification de cette application en un nouveau trait sémantique (fig. 3). La hiérarchie des traits sémantiques s'assimile à un jeude chaises musicales qui s'effectuerait avec deux chaises, à savoir lachaise de l'acte d'identification et la chaise de la codification de cetacte.  Dans le domaine de la physiologie du système nerveux,Maturana et Varela, par le biais de leur théorie de l'autopoiésis,

 proposent la même conception (6).

II.  4. Relations d'inclusion

Chaque trait sémantique suivant étant un sous-ensemble du trait précédent, la hiérarchie des traits sémantiques constitue notammentune hiérarchie d'inclusions entre ensembles (fig. 3).

II.  5. Caractéristiques sémantiques des traits conceptuels

Les trois premiers traits sémantiques sont fondamentaux puisqu'ils représentent des conceptions qui sont, pour l'essentiel,mathématiques. Le premier trait, la  pluralité,  correspond à unensemble non singleton qui peut être formé ou bien en fonctiond'une propriété commune (en compréhension) ou bien par   énum

ration (en extension). Pour ce qui concerne ce trait conceptuel, il n'ya pas de différence quant aux deux méthodes possibles de formationde l'ensemble. Le deuxième trait, la  démarcativité,  correspond à unensemble formé en compréhension, et le troisième trait,  la préiden

tité,  correspond à un ensemble formé en extension. Les trois autres

(6) H.R. Maturana, F.J. Varela,  Autopoiesis and Cognition  (Boston Studiesin the Philosophy of Science, 42), Dordrecht, 1980; C.H. van Schooneveld,

« Praguean Structure and Autopoiesis : Deixis as Individuation », in  Proceedings ofthe First International Roman Jakobson Conference : «New Vistas in Grammar : Invariance and Variation», October   10-13,  1985 (à paraître); Y. Tobin, «ThreeSign-Oriented Theories : A Contrastive Approach », in  Descriptio Liinguistica,Tuebingen, 1987, p. 60.

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traits sémantiques sont secondaires (7), ce qui m'amène à la

conclusion que la signification linguistique est, au fond, de naturemathématique (8). Elle peut être réduite à des conceptualisationsd'ordre mathématique, et notamment à une théorie des groupes (9).On peut formuler brièvement les significations des trois autres traitsconceptuels, (4) la vérification comme réidentification d'un référentdéjà identifié, (5) l'annulation comme l'élimination d'un référentdéjà identifié qui est remplacé en conséquence par sa négation (soncomplémentaire); et (6) l'objectivité comme l'existence d'un référentoù que ce soit dans une situation (énoncé) déjà identifiée. J'en

reviendrai à la démarcativité et à l'annulation plus tard, ici même.

III.  Quatre groupements d'identificateurs(quatre niveaux de traits conceptuels)

Il existe au moins quatre catégories de traits conceptuels, et parconséquent quatre groupes de six traits.

La distinction relève des identificateurs qui peuvent êtreconcernés (10) :(a) les interlocuteurs, c'est-à-dire les participants à l'énonciation (la parole); ce sont des identificateurs dits transmissionnels; (b) ceux quiobservent l'énoncé. Ce sont des identificateurs dits identification-nels.  Ce groupe est composé d'interlocuteurs ou de tout autre personne étant en mesure d'identifier la situation narrative (l'énoncé),  ou les deux. Ce groupe identificationnel est donc l'ensembledont le premier groupe, dit transmissionnel, celui des interlocuteurs,

est le sous-ensemble.Il n'est pas nécessaire que les identificateurs transmissionnels etidentificationnels visent un même référent en même temps. Lescritères amenant à l'identification, conceptualisés par les traitssémantiques, restent identiques. Outre ces identifications, qui nesont pas obligatoirement synchronisées, il y a d'autres identifica-

(7) C.H. van Schooneveld, «Praguean Structure. ..»; E. Andrews, «Jakob-

sonian Markedness Theory as Mathematical Principle»,  Language, Poetry and

Poetics, Berlin, 1987, p. 196.(8) C.H. van Schooneveld, «Linguistic Structure and Autopoiesis»,

 Language, Poetry and Poetics, Berlin, 1987, p. 137.(9 ) E. Andrews, op. cit.,  p. 192.(10) Pour cette formulation, je me suis inspiré de Y. Tobin, op. cit., p. 59.

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tions qui se produisent toutes simultanément, dites singulatives.

C'est le type d'identification qui caractérise les pronoms (11).Les niveaux transmissionnel et transmissionnel singulatif cor

respondent grosso modo à ce qu'on appelle traditionnellement deséléments déictiques.

En conséquence la hiérarchie des traits sémantiques est multi pliée par quatre (12). Il y a donc quatre hiérarchies, ou groupes detraits conceptuels :

un groupe identificationnel

un groupe transmissionnelun groupe identificationnel singulatifun groupe transmissionnel singulatif.

IV. Enonciation et énoncé

L'énonciation (parole) et l'énoncé de Benveniste (terme que j'utilise  dans le sens de situation narrative et matière énoncée) (13)

sont tous les deux des événements qui peuvent être identifiés.La situation narrative d'énoncé) peut être identifiée directement

 par les interlocuteurs et ce fait peut être incorporé dans la signification lexicale d'un mot et par conséquent donner naissance à dessémantèmes (morphèmes lexicaux) qui comportent cette information. Nous n'avons plus qu'à citer des exemples comme en français  venir,

en allemand   kommen et en russe  idti  ('aller dans une direction sous-entendue') (14). En contrepartie, une identification faite par

(11) C.H. van Schooneveld, «The Semantics and Syntax of Russian Pronominal Structure »,  Proceedings of the XIith International Conference on Computational Linguistics (COLING XII), Budapest, August 1988,  Budapest, 1988, pp.705-707;  idem,  «The Semantics of Russian Pronominal Structure»,  AmericanContributions  to the Tenth International Congress  of Slavists,  Sofia, September 1988;Linguistics, (Columbus, Ohio, 1988), pp . 401-414.

(12) C.H. van Schooneveld, «Praguean structure...»;  idem,  «Baudouin deCourtenay 's Methodological Premisses for the Investigation of Language and theirRelation to Present-day Linguistics»,  Jan Niecislaw Baudouin de Courtenay alingwistyka swiatowa, Wroclaw, 1989, pp. 11-16.

(13) E. Benveniste,  Problèmes de linguistique générale,  t. 2, Paris, 1966, pp.80-85 ;  J. Simonin-Grumbach,  « Pour une typologie des discours »,  Langue DiscoursSociété, pour Emile Benveniste, Paris, 1975, pp.  85-121.

(14) C.H. van Schooneveld, «Programmatic Sketch of a Theory of LexicalMeaning», Quaderni di Semantica, vol. IV, n°1, Bologna, 1983, pp. 129-130;

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n'importe qui peut s'inscrire dans un cadre grammatical; c'est-à-dire

une fois que l'identité d'un certain événement sera établie par le biais d'une situation énonciative, un trait identificationnel pourrasignaler une caractéristique repérable par n'importe qui. Prenons, par exemple, la catégorie grammaticale du passif. Elle reprend, dansla situation énonciative, un patient qui est, naturellement, déjàintroduit dans la situation narrative telle qu'elle est indiquéed'habitude par le sémantème (morphème lexical) et le morphèmegrammatical dans la voix active. La voix active est préalable auchangement de visée qu'effectue le passif sur le plan de l'énonciation

(grammatical, c'est-à-dire déictique, c'est-à-dire transmissionnelsingulatif). Le passif signale qu'un patient déjà identifié continue àêtre identifiable. Il réaffirme. Il y a toujours un multiple d'identificateurs. Or, une fois que l'identité du patient est donnée commeétablie, il est évident que l'identité de ces identificateurs importe peu. Cette pluralité d'identificateurs elle-même appartient au plan(sémantique) identificationnel de la langue mais elle est incorporéesur le plan grammatical (15). Par conséquent, on peut dire que lavoix passive est un hybride qui tient à des traits conceptuels dont

l'un est non-déictique et l'autre déictique; la catégorie verbale passive est déictique dans la mesure où elle renvoie à une relation entreun patient donné et un agent donné qui ont déjà été identifiés par lesinterlocuteurs et non-déictique dans le sens que n'importe qui peutcontrôler l'identifiabilité généralisée du patient identifié préala blement. En revanche, le verbe venir  cité ci-dessus est un exemple del'inverse : le sémantème (morphème lexique) signale un mouvementdans la situation narrative (énoncé) qui est globalement identifiable par qui que ce soit, mais l'identification de la destination demeure

réservée aux interlocuteurs. On trouve donc dans un verbe commevenir  une intervention déictique (transmissionnelle) dans l'énoncé (lasituation lexicale, narrative) tandis que le passif crée une situationnarrative à l'intérieur d'une relation établie par le biais de l'énonciation.

P.  Auer, «On Deixis and Displacement»,  Folia Linguistica : Acta Societatis Linguisticae Europaeae, tomus XXII/3-4, Berlin, 1988, p . 267.

(15) C.H. van Schooneveld, «A Semantic Proteus : the transitivity feature in

Russian»,  Studia Linguistica in Honorem Vladimiri I.  Georgiev,  Sofia, 1980, p. 382sqq.;  idem, Signs of Friendship : To Honour A.G.F. van Holk, Slavist, Linguist,Semiotician,  Amsterdam, 1984, pp.  249-251;  idem,  «The Place of the OppositionActive-Passive in Linguistic Structure»,  Zbornik Matice Srpske za Filologiju i Lingvistiku, XXIX/1, Novi Sad, 1986, pp. 17-18.

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   0   "   "

   (   l  e  x   )

     p       l     u     r   "   "

   (   f  o  r  m

  a   t   i  o  n

   d  e  s  m

  o   t  s   )

   d   é  m   "   "

   (  p  a  r   t   i  e  s   d  u

   d   i  s  c  o  u  r  s   )

  p  r   é   i   d   "   " 

   (  s   i  g  n   i   f   i  c  a   t   i  o  n

  g  r  a  m  m  a   t   i  c  a   l  e   )

  v   é  r   i   f   "

   (  a  c  c  o  r   d   )

  a  n  n  u   l   "   "

   (  a  c  c  o  r   d   )

  o   b   j   "   "

   (  a  c  c  o  r   d   )

   h  a   b

   i   l   i

   t  a   t

  e  m 

   (  c  a  s   )

   (  n  o  m   b  r  e   )

   (  p  a  r   t   i  e  s   d  u

   d   i  s  c  o  u  r  s   )

   (  g  e  n  r  e   )

   (  p  r  o  n  o  m 

  p  e  r  s  o  n  n  e   l   )

  p   l  u  r   '

   d   é  m   '

  p  r   é   i   d   '

  v   é  r   i   f

  a  n  n  u   l   '

  o   b   j   '

  p   l  u  r   '

   d   é  m   '

  p  r   é   i   d   '

  v   é  r   i   f

  a  n  n  u   l   '

  o   b   j   '

  p   l  u  r   '

   d   é  m   '

  p  r   é   i   d   '

  v   é  r   i   f

  a  n  n  u   l   '

  o   b   j   '

  p   l  u  r   '

   d   é  m   '

  p  r   é   i   d   '

  v   é  r   i   f

  a  n  n  u   l   '

  o   b   j   '

  p   l  u  r   '

   d   é  m   '

  p  r   é   i   d   '

  v   é  r   i   f

  a  n  n  u   l   '

  o   b   j   '

  p   l  u  r   '

   d   é  m   '

  p  r   é   i   d   '

  v   é  r   i   f

  a  n  n  u   l   '

  o   b   j   '

  p   l  u  r   '

   d   é  m   '

  p  r   é   i   d   '

  v   é  r   i   f

  a  n  n  u   l   '

  o   b   j   '

  p   l  u  r   "

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  p  r   é   i   d   "

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  v   é  r   i   f   '   '

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  p  r   é   i   d   "   '

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  p  r   é   i   d   "

  v   é  r   i   f   '   '

  a  n  n  u   l   "   '

  o   b   j   "   '

   P  r   i  m  e  s  s   i  m  p   l  e  s  :   i   d  e  n   t   i   f   i  c  a   t   i  o  n  n  a   l   i   t   é

   D  o  u   b   l  e  s  p  r   i  m  e  s  :   t  r  a  n  s  m   i  s  s   i  o  n  n  a   l   i   t   é

   T  r   i  p   l  e  s  p  r   i  m  e  s  :   i   d  e  n   t   i   f   i  c  a   t   i  o  n  n  a   l   i   t   é  s   i  n  g  u   l  a   t   i  v  e

   Q  u  a   d  r  u  p   l  e  s  p  r   i  m  e  s  :   t  r  a  n  s  m   i  s  s   i  o  n  n

  a   l   i   t   é  s   i  n  g  u   l  a   t   i  v  e

   F   i  g  u  r  e   4 

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En résumé on peut dire que l'existence de l'énoncé et de

l'énonciation est respectivement codifiée par les niveaux des traitsidentificationnels et des traits transmissionnels. De surcroît, pendant l'énonciation effective (la parole), l'énoncé peut être identifié par des identificateurs identificationnels ou bien par des identificateurs transmissionnels; de même en ce qui concerne l'énonciation. Il faut donc distinguer rigoureusement l'énonciation effective de l'énoncé qui en découle. L'énonciation apparaît, entreautres, dans le passif, le perfectif et le prétérit.

VI. Deux théories principales de l'aspect

Il y a deux théories principales de l'aspect, toutes les deuxvoulant que l'aspect perfectif comporte plus d'information (estmarqué) que l'aspect imperfectif, non-marqué : 'ligne-point' et'durée-achèvement'. Cette position fut reflétée récemment,notamment dans les pays de l'Europe de l'Est, par la conception du perfectif exprimant l'intégralité de l'action (linguistique soviétique,

et R. Ruzicka, A. Dostal) (18).L'action perfective est distincte sur l'axe temporel de tous ses

égaux, l'acte de la parole y compris. La signification de l'aspect perfectif correspond donc à la définition que j'ai donnée, au débutde cette contribution, de la démarcativité. De plus, l'aspect, et à plusforte raison l'aspect perfectif, fait le bilan de la scène mise en oeuvre par le morphème lexical (sémantème), comme le font toutes lescatégories grammaticales. Aussi, doit-il être placé, avec les autrescatégories grammaticales, dans la quatrième colonne (préidentité"")de la figure 4.

Cet emplacement de l'aspect perfectif (préid""/dém') peut illustrer le mécanisme sémantique de l'aspect et également celui du temps prétérit.

(18) V.V. Vinogradov,  Russkij jazyk,  Moskva-Leningrad, 1947, pp . 477-497;  A.V. Isacenko, Grammaticeskij stro) russkogo jazyka  v sopostavlenii s slovac-kim,  Morfologija,  II, Bratislava, 1960, pp. 131-137; J. Fontaine,  Grammaire dutexte et aspect du verbe en russe contemporain  (Bibliothèque russe de l'Institutd'études slaves, LXVI ), Paris, 1983, pp. 17-35.

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VII.  La singulativité transmissionnelle

La singulativité transmissionnelle sert à faire référence à la parole telle quelle est prononcée. Dans la parole, nous avons affaireà un événement tout à fait unique, un «res acta» (sc. semel, CHvS),«l'acte de l'individu réalisant sa faculté» (de langue, CHvS) (19). Ilest possible de faire référence à une parole (événement singulatiftransmissionnel) de plusieurs manières. Ces différentes méthodessont conceptualisées par les traits sémantiques.

VII.  1. Préid""  : les catégories grammaticales

Les traits singulatifs transmissionnels sont des codificationsd'une activation de la parole renvoyant à cette activation même.Faisant le point de l'identifîabilité d'un complexe (cumulation)lexique quelconque, le trait singulatif transmissionnel qui codifie,c'est-à-dire annonce préalablement l'identification d'un signifié(référent) spécifique, est la préidentité (préid""). Elle correspond à

un ensemble extensionnel. La préidentité (préid"") signale la codification de l'identification du référent du signifié. Elle remplit lafonction de la signification grammaticale, qui est d'effectuer le lienentre l'énoncé et l'énonciation. En d'autres mots, la préid"" identifiel'énoncé (et l'énonciation) du point de vue de l'énonciation donnée.Ce trait annonce que l'existence d'un référent spécifié est un faitavéré pour le locuteur. Les subcatégorisations dans la colonne de préid"", par le biais de traits sémantiques autres que singulatifstransmissionnels spécifient les relations entre l'existence du référent

et l'existence des locuteurs; tels, par exemple, dans la catégorie dusubstantif les diverses relations de cas, et dans la catégorie du verbeles catégories de l'aspect et du temps verbal.

La préidentité singulative transmissionnelle, c'est-à-dire lescatégories grammaticales, effectue le traitement conclusif dessignifiés des morphèmes lexicaux (lexémes) et dérivationnels précédents dans le même mot en signalant l'identification définitive duréférent.

(19) T. de Mauro, dans F. de Saussure, Cours de linguistique générale, Paris,1985, note 63, pp. 419-420; cf. E. Benveniste, op. cit.,  , p . 80 : «l'énonciation est(la ) mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d'utilisation ».

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VIII. L'aspect perfectif

L'aspect  perfectif,  sous-catégorie de la préidentité singulativetransmissionnelle (préid""/dém'), oppose son référent à tous lesautres procès qui sont identifiables comme des unités distinctes pendant l'énonciation, c'est-à-dire des actions perfectives dansl'énoncé actuel ou l'acte même de l'énonciation. Pourquoi cetétrange amalgame d'éléments qui sont caractérisés par le fait queleur identifiabilité ne peut pas être synchronisée avec le référent del'aspect perfectif ? Cela relève de la nature de la démarcativité, qui

correspond à un ensemble formé par intension. Comme dans lathéorie des ensembles, la propriété délimitant l'ensemble variesuivant le cas. Cela veut dire qu'à chaque parole la propriétédistinguante est improvisée; elle s'avère une propriété qui dans laréalité où se trouve le réfèrent, est facilement répérable. Cette pro priété distingue le réfèrent de son environnement (son complémentaire).  Cet environnement peut être un continu ou bien être articuléen d'autres unités. D'un point de vue  cognitif,  il est évident que la propriété qui distingue les autres unités entre elles est la même

 propriété qui distingue le référent de son complémentaire. Ainsi, leréférent de la démarcativité est délimité de ses égaux. Audemeurant, le repère de la démarcativité n'est pas seulement une propriété uniforme et improvisée de cas en cas, mais de surcroît soncomplémentaire est non-limité. En ce sens encore, le complémentaire lui-même est lui aussi improvisé. Dans une aspectualisationeffective, le complémentaire de la démarcativité comporte donc unenuance de potentialité. Les membres du complémentaire sont identifiés en même temps que le référent. Puisque le réfèrent (indiqué par

le matériau lexical et dérivationnel) n'est identifié que lors del'énonciation, celle-ci, étant identifiable en même temps que et avecle référent, figure à titre égal parmi les membres du complémentaire.

On peut représenter la sémantique de l'aspect perfectif commedans la figure 5 (page suivante).

IX. Le temps grammatical

Quand on rapproche la catégorie de l'aspect de la catégorie dutemps, on constate qu'en russe moderne, il n'y a qu'un temps en plusdu présent, à savoir le prétérit. Le prétérit signale que son référentne peut pas avoir lieu au même instant que l'énonciation, c'est-

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160

   0   "   "

  p   i  u  r   "   "

   (   l  e  x   )

   (   f  o  r  m  a   t   i  o  n

   d  e  s  m  o   t  s   )

   d   é  m   "   "

   (  p  a  r   t   i  e  s   d  u

   d   i  s  c  o  u  r  s   )

  p  r   é   i   d   "   "

   (  s   i  g  n   i   f   i  c  a   t   i  o  n

  g  r  a  m  m  a   t   i  c  a   l  e   )

  v   é  r   i   f   "   "

   (  a  c  c  o  r   d   )

  a  n  n  u   l   "   "

   (  a  c  c  o  r   d   )

  o   b   j   "   "

   (  a  c  c  o  r   d   )

   (  c  a  s   )

   (  p  a  r   t   i  e  s   d  u

   d   i  s  c  o  u  r  s   )

   (  p  r  o  n  o  m 

  p  e  r  s  o  n  n  e   l   )

   l   '  a  s  p  e  c   t  p  e  r

   f  e  c   t   i   f

   d   é  m   '

   C   f .   f   i  g  u  r  e   6 .   P  o  u  r   d  e  s  r  a   i  s  o  n  s   d  e  c   l  a  r   t   é ,   t  o  u  s   l  e  s  a  u   t  r  e  s   t  r  a   i   t  s

  s   é  m  a  n   t   i  q  u  e  s  p  o  s  s   i   b   l  e  s  o  n   t   é   t   é  s  u  p  p  r   i  m   é  s .

   P  r   i  m  e  s  s   i  m  p   l  e  s  :   i   d  e  n   t   i   f   i  c  a   t   i  o  n  n  a   l   i   t   é

   D  o  u   b   l  e  s  p  r   i  m  e  s  :   t  r  a  n  s  m   i  s  s   i  o  n  n  a   l   i   t   é

   T  r   i  p   l  e  s  p  r   i  m  e  s  :   i   d  e  n   t   i   f   i  c  a   t   i  o  n  n  a   i   i   t   é

  s   i  n  g  u   l  a   t   i  v  e

   Q  u  a   d  r  u  p   l  e  s  p  r   i  m  e  s  :   t  r  a  n  s  m   i  s  s   i  o  n  n  a   i   i   t   é  s   i  n  g  u   l  a   t   i  v  e

   F   i  g  u  r  e

   5

  :   l   '  a  s  p  e  c

   t

  p  e  r

   f  e  c

   t   i   f .

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à-dire l'identification du référent du prétérit ne peut pas se dérouler

simultanément avec l'identification de l'énonciation. Il existe doncune rupture entre l'énoncé prétérital et l'énonciation.

Cela dit, quelle est la différence entre le prétérit et l'aspect

 perfectif ? En ce qui concerne le  perfectif,  il faut tenir compte

d'autres actions perfectives, qu'elles soient virtuelles ou effectives.

Par contre, en identifiant le référent du prétérit, d'autres processus

 prétéritaux ne jouent aucun rôle. La signification du prétérit relève

uniquement de l'exclusion du présent comme référent. Tout à fait

comme dans le perfectif,  l'énonciation elle-même commence à jouer

un rôle comme énoncé. Cependant on ne peut pas dire qu'il failledéfinir la signification du prétérit comme une négation de la signi

fication du présent. La relation entre la signification du présent et

du prétérit est plus compliquée que la relation entre l'imperfectif et

le  perfectif.  L'identification du référent du présent peut être

synchronisée ou non-synchronisée avec l'identification de l'énon

ciation donnée. Le présent est une catégorie non-marquée dans la

mesure justement où l'identification de son référent peut être ou ne

 pas être synchronisée avec l'identification de l'énonciation. Le

 prétérit est marqué dans le sens que l'identification de son référentne peut pas être synchronisée avec l'identification de l'énonciation.

Or, cela veut dire que pour l'identification du référent du présent il

n'y a pas besoin d'identifier l'énonciation. Il est par contre pour

l'identification du référent du prétérit obligatoire d'identifier

l'énonciation. Au prétérit donc, l'énonciation figure en tant

qu'énoncé à la fois imaginé et constaté. Pour l'identification du

référent du présent l'énonciation est un élément identifiable, mais

l'identification effective de l'énonciation n'est pas une condition

 préalable pour l'identification de ce référent. L'identification duréfèrent du prétérit pose, par contre, comme condition préalable,

l'identification de l'énonciation à titre d'énoncé. Le mécanisme

sémantique du prétérit codifie donc l'acte de l'énonciation en le

transformant en événement identifié au préalable. La codification

des actes en éléments de la structure sémiologique de la langue est

 précisément la fonction de l'autopoiésis.

Il faut noter donc qu'il y a une distinction entre l'énonciation et

le signifié du présent. Dans le cas du prétérit, l'énonciation est trans

formée, à titre d'énoncé, en composant de l'engrenage sémantique de

ce temps grammatical. Dans le mécanisme du prétérit, l'énonciation

figure en élément codifié de l'énoncé.

Le signifié du prétérit est le complémentaire de l'énonciation,

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162

tandis que dans l'aspect perfectif c'est l'énonciation qui s'insère dans

le complémentaire du signifié. Pour aboutir à la signification du perfectif,  il suffit de compter l'énonciation parmi les actions imaginaires qui forment la toile de fond du référent; pour aboutir à lasignification du prétérit (dont notamment dans l'usage hypothétique,le référent peut être imaginaire) il faut d'abord avoir identifiél'énonciation effective comme un élément avéré de la situationénonciative et la prendre en considération comme composant latentconstaté de l'énoncé, et ensuite il faut la rejeter comme telle enl'excluant de l'énoncé; l'identifiabilité de l'énonciation comme

référent (énoncé) est niée. L'énonciation devient donc imaginaire.Sur le plan grammatical, nous avons exactement affaire au mêmetrait sémantique, à savoir l'annulation, qui distingue la prépositionhors de la préposition en. Hors  est marqué par l'annulation;  en est àcet égard la préposition non-marquée. L'annulation considère la position  en  comme une position avérée, la rejette par la suite et laremplace par son complémentaire.

Dans les deux catégories, celle du prétérit et celle de l'aspect perfectif,  on peut nettement distinguer entre les deux stratifications

sémantiques : la préidentité singulative transmissionnelle (préid""),qui donne l'encadrement, et les traits identificationnels (dém' etannul', respectivement) qui s'insèrent dans ce cadre et qui indiquentle traitement du matériau lexical dans le cadre de la préid"", cadrequi réunit l'énoncé (le matériau lexical) et l'énonciation effective. Ladémarcativité (préid""/dém; l'aspect perfectif) délimite le référentde son complémentaire. D'autre part, l'annulation (préid""/annul';le prétérit) exclut le présent, comme énoncé imaginaire (codai) identifié pendant l'énonciation, de l'énoncé. La figure 6 sert à illustrer le

mécanisme sémantique du prétérit.C'est encore la préidentité singulative transmissionnelle

(avec la préidentité identificationnelle, marque de la conjugaison(préid""/préid') qui identifie le présent, c'est-à-dire l'énonciationcomme faisant partie potentielle de l'énoncé, pendant l'énonciation.Il faut donc distinguer l'énonciation comme acte des locuteurs ou plutôt l'identification de l'énonciation, de l'énonciation identifiée,qui peut être un composant de l'énoncé. Ce sont donc les traitsidentificationnels sous le cadre de préid"" qui créent une énoncia-

tion énoncée.Je crois donc que la distinction entre temps verbal et aspect est

tout à fait nette.

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163

   0   "   "

   (   l  e  x

   )

  p   l  u  r

   "   "

   (   f  o  r  m  a

   t   i  o  n

   d  e  s  m  o

   t  s   )

   d   é  m   "   "

   (  p  a  r

   t   i  e  s

   d  u

   d   i  s  c  o  u  r  s   )

  p  r

   é   i   d   "   "

   (  s   i  g  n

   i   f   i  c  a

   t   i  o  n

  g  r  a  m  m  a

   t   i  c  a

   l  e   )

  v   é  r   i   f   "   " 

   (  a  c  c  o  r

   d   )

  a  n  n  u

   l   "   "

   (  a  c  c  o  r

   d   )

  o   b   j   "   "

   (  a  c  c  o  r

   d   )

   (  c  a  s   )

   (  n  o  m   b  r  e   )

   (  p  a  r

   t   i  e  s

   d  u

   )

   d   i  s  c  o  u  r  s   )

   (  g  e  n  r  e

   )

   (  p  r  o  n  o  m

 

  p  e  r  s  o  n  n  e

   l   )

   C   f .   f   i  g  u  r  e   5 .   P  o  u  r   d  e  s  r  a   i  s  o  n  s   d  e  c   l  a  r   t   é .   t  o  u  s   l  e  s  a  u   t  r  e  s   t  r  a   i   t  s  s

   é  m  a  n   t   i  q  u  e  s  p  o  s  s   i   b   l  e  s  o  n   t   é   t   é  s  u  p  p  r   i  m   é  s .

   P  r   i  m  e  s  s   i  m  p   l  e  s  :   i   d  e  n   t   i   f   i  c  a   t   i  o  n  n  a   l   i   t   é

   D  o  u   b   l  e  s  p  r   i  m  e  s  :   t  r  a  n  s  m   i  s  s   i  o  n  n  a   l   i   t   é

   T  r   i  p   l  e  s  p  r   i  m  e  s  :   i   d  e  n   t   i   f   i  c  a   t   i  o  n  n  a   l   i   t   é

  s   i  n  g  u

   l  a   t   i  v  e

   Q  u  a   d  r  u  p   l  e  s  p  r   i  m  e  s  :   t  r  a  n  s  m   i  s  s   i  o  n  n  a   l   i   t   é  s   i  n  g  u   l  a   t   i  v  e

   F   i  g  u  r  e

   6

  :   l  e

  p  r

   é   t  e  r

   i   t .

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La vibration du temps.De l'aspectualité

«Avoir cessé de vivre n'a rien d'imparfait».Lyn Hejinian (Zuk, 17)

1. Pour une dynamique générale

En préface à cette brève étude de l'aspectualité, nous voudrionsinscrire une idée de portée plus ample : il existe une  dynamique

générale  dans l'organisation schématique constitutive du sens,dynamique qui est responsable de l'ensemble des effets que nousregroupons sous les termes de modalité, d'aspectualité, de temporalité et de quantification. On peut dériver l'aspectualité de latemporalité, et celle-ci de la modalité, alors que la quantificationsemble être un phénomène ayant affinité aux trois catégories enquestion. Au lieu de dériver ainsi, on peut théoriquement revenir àcette dynamique générale dont les facteurs essentiels sont les  forces,

les  actants  qui les incarnent ou les subissent, et le  temps  pendantlequel elles travaillent. La catégorie de modalité   apparaît alors dansla dimension qui relie les forces et les actants; celle d'aspectualité,dans la dimension reliant les actants et le temps; et la temporalité,dans la dimension qui relie les forces au temps (physique) de leurtravail. La quantification renvoit aux trois facteurs essentiels.

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Déployer cette dynamique générale serait une tâche globale de larecherche sémiotique à venir; c'est le but théorique que nous nousdonnons au moins en présentant l'analyse aspectuelle qui suit,

analyse qui développe un modeste fragment de ce triangle, mais quile présuppose constamment comme son principe régulateur.

2. Noème et morphologie

B.  Pottier se réfère, dans son article Linguistique et intelligence

artificielle  (1), au langage gestuel étudié par Yau (2), qui avait faitremarquer que la valeur/fini/ se mime par «mains étendues, paumes

inférieures s'écartant toujours»; B. Pottier prolonge l'observation enajoutant que le phénomène s'explique par un  noème,  une représentation mentale prenant la forme générale d'un parcours abstrait :

tension tenue détente

LG «joindre «maintenir «disjoindreles mains» les mains les mains»

LN  commencer faire finir

arriver être partir

et ou mais

(conjoindre) (coexister) (disjoindre)

(1) In (réd. Fr Rastier) , «Sémantique et intelligence artificielle», Langagesn°87,  1987.

(2 ) Shun-chin Yau,  La genèse de la syntaxe et du lexique d'un langage créé par une Amérindienne sourde isolée,  Recherches sémiotiques (Toronto), vol. 2, n°3,  1982.  La genèse d'un signifiant. Etude cratylienne du langage gestuel,   Langagesn°82,  1986.

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Voilà un bel exemple de l'attitude comparative et des effets

féconds qu'elle peut produire : on juxtapose des séries d'expressions(de signifiants) venant de langages ou de langues différents, et l'onessaie d'expliciter la morphologie du contenu (du signifié) qui motivela juxtaposition des morphologies expressives (signifiantes); ontrouve, notamment dans le non-verbal, des expressions morphologiquement continues, des variations à l'intérieur d'une même géométrie, correspondant iconiquement aux variations sémantiquesconstituant la morphologie du contenu. Et ainsi, on se donne lemoyen d'étayer par une morphologie forte  (à variation continue aux

deux plans) ce qui par ailleurs se manifeste à travers des morphologies faibles, de simples sémiologies, du sens - à savoir, du senssuffisamment prégnant pour motiver l'opération comparative. Lesens  aspectuel  appartient à cette dernière catégorie, comme nous lemontre, notamment, la série commencer  - faire  -  finir.

On peut même penser la théorisation explicitant les géométriesnoémiques sous-jacentes, à titre de représentations mentales, commeune activité particulière relevant du domaine des langages gestuels(LG); ainsi, l'écriture, qu'elle se fasse dans l'espace ou sur le papier,

 peut viser une représentation à variation continue pour rendrecompte d'un noème à variation continue, c'est-à-dire pour la rendreintelligible au-delà de la simple intuition.

L'exemple montre que faire  fait partie de la série aspectuelle quis'y «superpose» syntaxiquement; là où la syntaxe superpose, lasémantique appose, met sur le même plan. (En ce qui concernearriver  - être - partir,  on superpose même avec hésitation : « arriverà être ..», mais non : «partir d'être...», et si la détermination localeest forte, on ne superpose plus du tout : «arriver» tout court; - c'est

 probablement que  partir   -  voyager - arriver   constituent une sériecomplémentaire).

3 • Formes et catastrophes

Ainsi, là où la syntaxe superpose, la sémantique juxtapose;sinon, il n'y a pas de noème. Il est évident que par rapport au  faire,

commencer  le précède et finir  le suit. Cet ordre est temporel :

(1 ) Je commençais à m'inquiéter, quand tu as téléphoné.(2 ) Je finissais de dîner, quand tu m'as téléphoné.

Dans la situtation (1), je n'ai  pas le temps  de m'inquiéter

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vraiment, puisque tu me rassure déjà; dans la situation (2), j'ai   le

temps  de finir pratiquement le dîner, puisque tu m'appelles  inextremis.  Dans ces situations, j'ai le temps, ou je n'ai pas le temps,c'est bien du temps qu'il s'agit, et pourtant nous parlons d'aspect : les phrases superposent l'aspect au temps, mais les situations ne super posent aucunement une situation aspectuelle à une situationtemporelle; il n'y a qu'une seule situation, et le temps (que j'ai ouque je n'ai pas) est bien celui de quelque chose que je commence ouque je finis de faire.

Il serait donc anti-noémique de superposer dans l'analyse une

opération aspectuelle à un énoncé descriptif selon la structure des phrases :

(1') «Je m'inquiète» (est un état qui) commence.(2') « Je dîne» (est un état qui) commence.

Ce serait là négliger le fait que  s'inquiéter   est déjà une formetemporelle, dotée dans sa structure d'un début, mais non pas d'unefin; alors que dîner   est une forme temporelle dotée structurellement

d'un début et d'une fin. Ce qui explique l'effet bizarre de :

(3) «Je finissais de m'inquiéter, quand tu m'as téléphoné.

Il faut donc abolir l'idée d'un état simple et uniforme auquel on puisse superposer d'abord un temps, ensuite un aspect. Autrementdit, il n'y a pas de temporalisation, ni d'aspectualisation, sauf dans lastructure de l'état lui-même; mais si c'est le cas, il n'y a rien àtemporaliser, ni à aspectualiser.

Disons que s'inquiéter   est un état qui est un faire (non transitif),non pas un  faire que  quelque chose ait lieu, mais un  faire comme

quelqu'un, à savoir comme fait un être inquiet (puisque le verbedéveloppe un adjectif); c'est un faire qui possède une  forme norma

tive et un déploiement standard dans le temps, où il traverse un seulseuil, il est donc mono-catastrophique.

Dans le même sens, dîner  est un faire, et à la fois un  faire que (...le corps soit nourri) et un  faire comme  (... les gens bien élevés quimangent à des heures préétablies, et selon certaines règles); c'est un

faire qui possède une structure normative, et qui possède en plus une forme transitive;  c'est sans doute ce dernier trait qui explique queson déploiement standard dans le temps demande une traversée dedeux seuils; il est en fait bi-catastrophique.

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4. La signification symbolique

Mais il faut ici considérer un troisième facteur (à côté de laforme normative et la forme transitive, qui commandent respectivement le caractère mono-catastrophique ou bi-catastrophique), àsavoir leur   signification symbolique.  Les états actifs qui peuvents'interpréter comme des opérations par lesquelles «on fait quelquechose à quelqu'un» se globalisent de la même manière que les actesde parole : le performatif   promettre  n'admet pas de «commencement» ni de «fin», sauf en position descriptive (et encore); on

 promet, ou on ne promet pas, le sens de ce faire est unitaire ettemporellement ponctuel, sans être pour autant monocatastrophique (sinon, ce serait un état, comparable à  s'inquiéter,

chanter, sauter   ); les deux bornes se rapprochent plutôt jusqu'àformer un temps identique à celui de l'énonciation matérialisée. Lesfaire à signification symbolique intègrent leurs gestes en un seulmouvement significatif qui prend la même valeur qu'un actelangagier. On peut dire qu'il  s'agit  du temps de l'intention. Lasignification symbolique est intentionnelle, elle relie son destinateur

et son destinataire le temps d'un éclair, qui est celui du passage d'un«message» pragmatique. Si un faire possède à la fois une formetransitive et une signification symbolique, ses deux limites se rap

 prochent ou s'écartent selon que le contexte sélectionne la lecturesymbolique ou la lecture transitive (la transitivité désigne la transformation d'un autre état non intersubjectif).

 Donner   est un exemple de cette instabilité : même «donnerraison à quelqu'un» est transitif (accepter quelque chose), alors que«donner un cadeau à quelqu'un» est clairement symbolique. Par

conséquent, on n'a pas :

(4 ) Je commence à te donner un cadeau. (Non, je donne ou jene donne pas ! )

Alors qu'on a, parfaitement :

(5 ) Je commence à te donner raison.

La morphologie aspectuelle contraint les imparfaits de verbes«symboliques» à prendre le sens  itératif : il promettait, il menaçait,il donnait  (des cadeaux)...

Les verbes cognitifs -  comprendre, sentir, voir   - se comportent

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selon les trois dimensions et semblent extrêmement complexes,

manifestant à la fois des formes normatives, transitives et symboliques dans leur temporalité.

(6 ) Je commence à comprendre comment  il fait. Hélas !(7 ) Je te comprends.(8 ) J'essayais désespérément de comprendre cette théorie.

(6) semble normatif,  il ne s'agit  pas d'un travail de compréhension,mais d'un état cognitif qui s'installe et qui change l'attitude affective

du sujet. (7) est symbolique, - ou bien on se comprend, au sens d'unereconnaissance, ou bien on ne se comprend pas. (8) est  transitif,  cecomprendre travaille clairement entre un début et une fin. Mais lestrois sens s'imbriquent et ne se séparent pas facilement.

5. Les trois étages de la manifestation

Une remarque méthodologique : syntaxiquement, on distingue

l'Aktionsart du verbe, la morphologie aspectuelle qui s'y superpose,et la périphrastique aspectuelle qui déplace cette superposition eninfinitisant le verbe de base et en installant la morphologie aspectuelle à l'endroit de 1'«auxiliaire» aspectuel (3). Pour interprétercette architecture sémantiquement, nous analysons ici les faits de

 base,  parce que ces faits semblent déjà suffisamment structurés pournous promettre un accès à la sémantique des superpositions.

6. Noème et géométrieEn nous résumant, nous pouvons inscrire ce qui précède dans la

noématique discrètement proposée par B. Pottier. Le «tunnel»gestuel et géométrique contient entièrement le contenu de l'état dontla forme temporelle est normative et monocatastrophique ; c'est doncson entrée, tensive, qui constitue la limite, et sa sortie est égale àl'entrée : tensive ou détensive, c'est une frontière simple entre ce quiappartient à l'état et ce qui ne lui appartient pas. Or, pour les états

(3 ) Voir l'entrée  Aspectualisation,  (B ) , in A .J. Greimas, J. Courtés,Sémiotique, dictionnaire raisonné  de la théorie du langage, II, Paris 1986.

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actifs dont la forme temporelle est transitive et bi-catastrophique, il

faut remarquer que ce qui suit l'état (plus ou moins laborieux) est unrésultat, la  réalisation  d'un nouvel état de choses, dont l'établissement décide de la fin de l'état  actif. Le « tunnel » noémique prendici un tout autre sens, puisque cette fois il existe une «bonne» sortiequi n'est nullement identique à l'entrée; le contenu de l'état actif nese trouve donc plus dans la séquence tendue, mais après elle. Pro

mettre  établit une promesse;  construire  laisse une construction, etc.Les deux frontières sont donc du même côté du réalisé.

En d'autres termes :

A gauche, nous avons noté les deux géométries mono-catastrophique et bi-catastrophique, avec la flèche du temps réali-satoire, flèche qui apparaît également à droite, où elle traverse le«tunnel» noémique muni des signes ÷ et + pour désigner, commesur les topologies catastrophistes, le non-être ( ÷ ) ou l'être (+) de ce

que réalise  l'état.  Dans le cas des normatifs, les états se réalisenteux-mêmes, simplement, alors que les transitifs réalisent un autreétat : le temps réalisatoire n'a donc pas le même contenu dans lesdeux cas. Le temps est soit celui de la réalisation d'un seul et mêmeétat, soit celui de la réalisation d'un état recoupant la réalisation

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d'un autre (son résultat). Ce qui pourrait expliquer l'existence des

deux frontières dans ce cas. En effet, la structure cusp que nous proposons pour analyser la forme des états actifs nous donne dansson espace interne un tel parcours :

Entre l'état déclencheur («producteur») et l'état résultat, nous

avons inscrit un événement actantiel  décisif,  l'idée d'un saut de l'unà l'autre, à savoir 1'« étincelle » qui passe et qui «féconde» le deuxième état, qui - pour notre esprit - n'existe que potentiellement,  inovo, avant ce «contact» créateur, la réception de ce catalyseur (C).

 Essayer  de faire quelque chose, c'est développer E 1 sans encoreêtre sûr d'obtenir le saut de C, et par là, comme aboutissement, E 2 .

L'acte mental appelé  inférence  consiste ainsi à deviner, derrièreun E 2 , une conjoncture E 1 →  C responsable de E 2 .

Alors que pour les états normatifs, E 2 suffit à la réalisation

(topologiquement, il ne  s'agit  pas d'un cusp, mais d'un simple pli),  E 1 et E 2 comportent chacun sa temporalité pour les étatsactifs, et alors que C est la finalité de E 1 , son but «technique», iln'est que le «point de départ» de E 2 , ce qui le verse du statut devirtualité au statut d'actualité.

E 1 est  virtuel  avant de franchir la frontière catastrophique,actuel après ce passage et avant le moment de C; après C, il peut êtreconsidéré comme  réalisé   (heureux, fructueux, réussi). E 2 , enrevanche, est  virtuel  avant C,  actuel  après C et avant la frontière

catastrophique qui le fait émerger comme  réalisé. Les actes symboliques visent et ritualisent C immédiatement. Mais leur principe derelayage est le même.

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7. La vibration du temps

 Notre idée est alors la suivante :  Vaspectualité exprime notre

sensibilité catastrophique. Si nous «pensons» ou sentons le cours deschoses en «termes» de flèches traversant des frontières, ces flèches peuvent apparaître plus ou moins «droites», plus ou moins «vi brantes» dans leur rapport dramatique à la frontière qu'elles traversent. La valeur aspectuelle marquée serait celle qui signalel'existence d'une vibration de ce type; alors que la valeur non-marquée suggère un comportement  straight, llano, simple et linéaire,

sans détours.Un état normatif «arrive» par un futur (où il est encore

impossible), un présent (où il est déjà possible), pour s'« installer »dans un présent-passé rétrospectif où l'on « est depuis un moment »(«Je m'inquiète depuis quelque temps...»). Ces segments temporelscorrespondent aux séries modales ou, dans la terminologie de M.Greimas, aux modes d'existence, que nous venons de préciser pour E 2 (virtuel : futur; actuel : présent; réalisé : présent-passérétrospectiD, mais nous pouvons simplifier la représentation en

marquant la zone d'actualisation qui sépare la virtualité de l'étatréalisé comme une frontière pour ainsi dire épaissie :

P 1 est un parcours simple, aspectuellement neutre, alors que P 2est un parcours «vibrant», aspectuellement marqué. Le morphèmeverbal du français signalant directement la conjoncture P 2 seraitcelui de  l'imparfait   (il se manifeste au passé, parce que cette stylistique est rétrospective). Il y a évidemment des vibrations de«sortie», au même titre que ces vibrations d'«entrée»; les adver biaux de la phrase semblent diriger cette orientation («Je dînaisencore, quand...»). Il y a finalement des vibrations statiques,

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exprimant le non-passage, dans un sens ou dans l'autre. C'est ainsi

que l'aspectualité caractérise une transition de  phase  (entrer, sortirde l'état) ou une intensité (statique) de l'état ou du non-état.

Les adverbiaux décident de ces orientations de la vibrationaspectuelle; mais la périphrastique le fait d'autant plus nettementqu'elle dispose d'un petit nombre de verbes explicitement aspectuels(commencer, finir, continuer,  etc.) et de l'ensemble plus vaste desverbes de mouvement  (aller, venir,  etc.) et des tournures spatialesréfléchies  (se mettre à, etc.). Dans ces constructions, la morphologietemporelle et aspectuelle est prise en charge par les semi-auxiliaires,

les verbes périphrastiques; leur rôle est notamment, dans le cas des procès bi-catastrophiques, de préciser le  lieu d'attaque  (premièrefrontière, seconde frontière, strate intermédiaire) de l'aspectualitémorphologique binaire (vibration-fluctuation ou non).

(9 ) Il se mit à crier.(10) Il s'arrêta de crier.

(9) et (10) focalisent sur l'une et l'autre frontière, respectivement,

et le morphème aspectuel non-marqué ajoute l'information /non-vibration/ (produisant l'effet  aoriste, dirions-nous).

8 . A s p e c t u a l i t é et o r g a n i s a t i o n i n t e r -propositionnelle  : l'attente

Le régime aspectuel semble souvent inter-propositionnel, et

apparemment plutôt syntaxique que sémantique; à notre avis, ils'agit  toujours d'une synchronisation bien sémantique des temps dedeux événements, dont la rencontre est contingente :

(11 ) Je travaillais, quand tu as téléphoné.

Je retiens l'état de travail par une vibration de sa flèche, pourque le coup de téléphone passe au bon endroit dans mon noèmeréécrit :

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La vibration est sentie comme syntaxiquement commandée,

 parce qu'elle n'est pas emphatique; en effet, la conjonction temporelle  quand   comporte l'instruction sémantique qui fait «attendre» àl'un des procès, par une vibration statique (d'intensité), pour quel'autre le rejoigne. Ainsi se construisent nos images plus complexesdu temps.

Le dernier exemple, (11), reprend le premier, (1), sauf en ce quiconcerne la périphrase, qui produit, de par son morphème marqué,une vibration emphatique, vibration que l'événement contingentintroduit par   quand   renverse et rend dégressive. Curieusement,

l'exemple (1) peut impliquer une attente de la part du sujet de l'état,comparable à celle de la proposition elle-même, dans (11). L'attentesubjective et emphatique semble directement appeler l'événementqui déréalise l'état « attendant » :

Ce phénomène, serait-il généralisable ? Serait-il possible de direque la  vibration du temps  que nous appelons aspectualité s'inscritdans un dynamisme par lequel les états, les faire, les événements,quels qu'ils soient,  bref,  les «porteurs de temps», (pour lesquelsnous n'avons pas encore de terme suffisamment large et précis), seconvoquent, s'attirent, par une sorte de passion du contingent  - belledéfinition dynamique de l'attente comme telle - qui fait contrepointavec la tendance centripétale des enchaînements par nécessité, parcausalité et par temporalité  recta  ? L'aspectualité, serait-elle unetemporalité  obliqua par distraction ou même ennui, temporisation etouverture vers le quelque chose, l'indéterminé, pour qu'il viennedéterminer, ou simplement pour que quelque chose vienne ouadvienne ? Une sorte de frange qui permet à notre intentionalitéd'être attention, de flotter comme une attention, au lieu de vivre letemps comme une tuyauterie faite de nécessités infinies.

Per Aage BRANDTUniversité d'Aarhus (Danemark)

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Le schématisme morphodynamiquede l'aspectualité

I. Définition sémiotique de l'aspectualité

Dans la théorie sémiotique standard (1), le rôle de l'aspectualitéest, par définition, de convertir  les fonctions des énoncés narratifs en procès. Autrement dit, la mise en place des catégories aspectuelles yappartient au niveau  discursif   du parcours génératif et, plus précisément, à celui de la syntaxe discursive. On considère qu'elles sontliées à la présence, implicite ou explicite, d'un actant  observateur,

actant débrayé et délégué par l'énonciateur, actant  cogniti ƒ pour quiles actions réalisées par les sujets narratifs de faire apparaissent -sont  saisies  - comme des procès, c'est-à-dire comme des déroule

ments temporels. Cette opposition entre le caractère continu du  fluxdiscursif   tensif,  et celui  discret   des catégorisations  produites par lesujet cognitif observateur est fondamentale.

Ainsi définie, l'aspectualité se manifeste bien comme unesurdétermination de la temporalité. Lors du passage, dans le parcours  génératif,  des niveaux sémio-narratifs profonds auxniveaux discursifs et figuratifs de surface, trois composantesconstitutives des mécanismes de débrayage interviennent, on le sait,en syntaxe discursive : celle de la spatialisation, celle de la tempo-

(1) Cf. Greimas-Courtès (1979).

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ralisation, celle de l'actorialisation. Rappelons (2) que la spatialisa-

tion met en corrélation les programmes narratifs des sujets avec lesespaces segmentés et catégorisés qu'ils exploitent. Elle concernel'enchaînement syntagmatique de ces espaces partiels (passages,traversées de frontières, mouvements, etc.). La temporalisationconvertit quant à elle l'axe des présuppositions (l'ordre logique del'enchaînement des programmes narratifs) en celui des successionstemporelles. Sur la temporalité vient se greffer l'aspectualité quiarticule la temporalité des procès par des catégories comme celles del'inchoatif,  du  terminatif,  du duratif (séme aspectuel de remplis-

sement d'un intervalle temporel), du perfectif (de l'accompli conçucomme terminatif doublé d'une actualisation du duratif), del'imperfectif, etc.

Ainsi s'effectue, grâce aux investissements de ces catégoriesaspectuelles, la conversion des énoncés narratifs en énoncés pro-cessuels spatio-temporalisés lexicalisables et référentiables à desétats de choses. Dans une telle conversion, les énoncés subissent unemutation de statut.  En effet, dans la théorie standard, les énoncésnarratifs sont originairement de nature  logique  (ils sont issus de la

syntaxe fondamentale des opérations) alors que les énoncés pro-cessuels sont de nature  spatio-temporelle - disons  topologique - dansune carte locale de l'espace-temps R   4  .

Les caractères principaux de l'aspectualisation sont par conséquent :(a) spatio-temporalisation des énoncés produits par la syntaxenarrative;(b) catégorisation aspectuelle de cette spatio-temporalisation ;

(c) mutation du statut des énoncés : logique topologique;

(d) rôle constitutif de la perception à travers l'actant observateur.En ce qui concerne ce dernier caractère, remarquons que le rôle

constitutif de la perception est attribué au sujet de l'énonciation.Cette thèse épistémologique fait partie du solipsisme méthodologique

qui domine depuis longtemps les sciences du langage et de lacognition. On admet bien une saisie perceptive des états de choses.Mais dans la mesure où l'on ne peut rien en dire linguistiquement ousémiotiquement on la ramène à l'action démiurgique d'un sujet del'énonciation dont, de façon au fond très kantienne, la temporalité

serait la forme interne. Un des buts de ces remarques est de soutenirune approche plus réaliste de la saisie perceptive.

(2)  Ibid.

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II.  Aspectualité et sémiotique du monde naturel

L'aspectualité constitue donc l'un des dispositifs permettant de passer d'une syntaxe narrative d'actants supports de valeurs inté-roceptives (les valeurs étant des sèmes, thymiquement investis, produits par une sémantique fondamentale) à des structures  extroceptives (figuratives) de la discursivité et en particulier   à une

syntaxe actantielle actorialisée et casuelle à contenu linguistique. On peut par conséquent chercher à la redéfinir comme une composantede la sémiotique du monde naturel.  Rappelons la façon dont la

sémiotique du monde naturel est définie dans le  Dictionnaire : «le paraître selon lequel l'univers se présente à l'homme comme unensemble de qualités sensibles doté d'une certaine organisation qui lefait parfois désigner comme le monde du sens commun» (3). «Parrapport à la structure "profonde" de l'univers, qui est d'ordre physique, chimique, biologique, etc., le monde naturel correspond, pour ainsi dire, à une structure "de surface"». «Interprétationsémiotique du référent extra-linguistique», le monde naturel est perceptivement et linguistiquement catégorisé et structuré. Mais cela

ne signifie pas pour autant qu'il soit un pur «monde parlé».  Nilinguistique, ni objectif,  c'est «un  langage  figuratif,  dont les figures(...) sont faites des "qualités sensibles" du monde et agissent directement -  sans médiation linguistique  - sur l'homme» (4). C'est  à la

 fois  un monde organisé et qualitativement structuré  émergeant   dumonde objectif   et  le monde phénoménologique et gestaltique dont il ya perception et dont il y a langage.

Comme nous l'avons longuement expliqué ailleurs (5), lasémiotique du monde naturel se fonde sur une ontologie qualitative

de la manifestation sensible. Mais les contenus substantiels, accidentels et relationnels de cette ontologie (formes sensibles, choses,états de choses, événements, processus, etc.) sont contraints par des

 formes  (non substantielles) de la manifestation. Ces formes (intuitions pures) font l'objet d'une  esthétique transcendantale  au sens deKant. Elles comprennent évidemment l'espace et le temps, maiségalement les bords d'objets, les gradients de qualités et les discontinuités qualitatives.

(3)  Ibid.(4)  Ibid.(5)  Cf. Petitot. (1985 a ) , (1985 b ) , (1986 c ) , (1987), (1989 b ) , (1989 d ) ,

(1989 c ) , (1989 f ) , (1989 g) .

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On peut alors, de façon générale et théorique, définir l'aspec-

tualité  comme une instance médiatrice corrélant une syntaxe actan-tielle avec une esthétique transcendantale du monde naturel.  Ainsidéfinie, l'aspectualité apparaît comme fondamentale. Elle neconcerne pas seulement le temps mais également l'espace et les principes morphodynamiques des formes. Objective, elle se distinguenettement des dispositifs indexicaux de repérage d'une scène perçue par rapport au repère énonciatif (les déictiques, le temps au senslinguistique, etc.). Ces dispositifs la présupposent.

I I I .  Le statut de l'aspectualité

Médiatrice entre le pôle logique d'une syntaxe actantielle et le pôle topologique d'une esthétique transcendantale, l'aspectualitéconstitue une instance pivot. Son statut est bimodal, régi par unesorte de principe de complémentarité logique - topologique. Pour desraisons relevant de l'histoire des idées, il est devenu habituel de privilégier le logique au détriment du topologique. Le logico-

symbolique est projeté en profondeur et l'on «monte» par palierssuccessifs vers une superficialité topologique (discursive). Cettedémarche n'est pas propre à la sémiotique. C'est de façon trèsgénérale que, dans les théories cognitives, linguistiques et discursives, on suppose qu'il existe au niveau profond des structures primitives  formelles,  relationnelles et abstraites, et que, à travers unesuite de niveaux successifs de représentation et d'opérations deconstruction (prédication, modalisation, aspectualisation, focalisation, thématisation, catégorisations, quantifications, qualifications,

etc.), on en arrive aux niveaux superficiels de la manifestation. Dansde telles approches, les opérations aspectuelles apparaissent commeune insertion des relations formelles dans l'espace et dans le temps,ce qui permet de situer spatio-temporellement la représentation prédicative construite par l'énoncé et, par là-même, de référer des«états de pensée» internes à des «états de choses» externes (6). Letopologique et le dynamique y opérent donc de façon superficielle.En profondeur règne la perspective essentiellement discontinue etdiscrète de l'être et du faire, être et faire relativement auxquels le

devenir naturel n'est qu'un simple supplément (7).

(6) Cf. par exemple Vignaux (1988) et Desclés (1986).(7) B. Pottier a beaucoup insisté sur ce point. Cf. Pottier (1985).

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 Nous considérons pour notre part le topologico-dynamique

comme  aussi profond   que le logico-symbolique, c'est-à-dire commeaussi  constitutif   pour les structures actantielles : une esthétiquetranscendantale doit être mise sur le même plan qu'une logiqueformelle. Une telle thèse confère à l'aspectualité un statut fort particulier, intimement lié au schématisme topologico-dynamique de

Vactantialité   que nous avons développé ailleurs (8). Si l'on pensel'aspectualité du logique vers le topologique (i.e. du sujet vers lemonde, de l'intéroceptif vers l'extéroceptif), alors elle permet audiscret logico-symbolique de devenir affine au continu. Si on la

 pense en revanche du topologique vers le logique, elle permet aucontraire au continu topologico-dynamique de devenir affine audiscret. Dans un sens elle «continuise» le discret formel. Dansl'autre sens elle «discontinuise» le continu  intuitif.

 Nous dirons en définitive que l'aspectualité concerne  la déter

mination grammaticale du devenir   (du mouvement, des procès, desfranchissements d'obstacles, etc.) c'est-à-dire de  Vaction du tempsdans les substances, les qualités et les états de choses de l'ontologiequalitative. Comme action spatialisée du temps, elle a bien trait à

l'esthétique transcendantale. Mais, dans la mesure où l'articulationsubstantielle de l'ontologie qualitative est l'objet des structuressémio-linguistiques, elle appartient également à la syntaxe actan-tielle.

IV. Cadre épistémologique pour l'aspectualité

Pour développer une telle approche de l'aspectualité, il estnécessaire d'arriver à articuler les structures sémio-linguistiques surl'organisation  morphologique  - morphodynamique même - des scènes perceptives, celle-là conférant à celles-ci une figurativité intrinsèque

et une iconicité  schématique.

Pour ce faire, il est évidemment impératif de disposer dedescriptions non sémio-linguistiques  - mais au contraire topologiqueset morphodynamiques - des accidents morphologiques génériquesdont sont susceptibles les processus d'évolution temporelle. Ce n'esten effet qu'à cette condition que l'on peut sortir du cercle vicieux projectiviste (remontant au moins au  Tractatus  de Wittgenstein)

(8) Cf.Petitot (1984), (1985 a ) , (1986 a ) , (1987), (1989 d ) , 1990 ( b).

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consistant à affirmer que les structures sémio-linguistiques

«miment» la structure des états de choses qu'elles dénotent alorsque cette structure n'est elle-même que leur projection sur ces étatsde choses.

Dans un certain nombre de travaux (9), nous avons montré quede telles descriptions existent effectivement. Nous nous borneronsici à quelques rappels épistémologiques.

IV. 1. Le concept de phéno-physique

L'approche morphodynamique concerne l'ensemble des dimensions de la structuration qualitative du monde sensible en formes,choses, états de choses, événements, processus, etc., perceptivementappréhendables et linguistiquement descriptibles. Elle concernedonc,  nous l'avons vu, ce que l'on peut appeler une ontologie quali

tative.  Cette ontologie n'y est pas conçue seulement comme une projection  cognitive. Elle y est conçue comme partiellement  émer

gente.  Autrement dit, c'est une  phéno-physique,  exprimant phéno-ménologiquement une physique fondamentale, qui y fonde et yconstitue le niveau de réalité objectiƒ morphologique et structural.

On se référera aux ouvrages de René Thom pour ce qui concernele concept phénophysique de morphologie dans un substrat matériel(10).  Rappelons seulement que la structuration qualitative d'uneforme spatio-temporelle repose essentiellement sur l'ensemble K desdiscontinuités qualitatives  que présentent les qualités sensibles qi(w)remplissant l'extension spatio-temporelle du substrat  W  de la forme.Dans les modèles morphodynamiques des morphologies (W,K) onsuppose que la physique interne locale Pw du substrat en w détermine les corrélats physiques des qualités qi(w). Ces corrélats sont les« états internes » - les « régimes locaux » - définis par la famille de processus P w . Lorsque w varie dans W  ils subissent des bifurcationset ce sont celles-ci qui engendrent les discontinuités phénoménologiques K. On peut ainsi rendre compte : (i) des discontinuitésqualitatives intérieures aux W; (ii) des bords des formes, c'est-à-diredes contours apparents des objets; (iii) des classifications de formesen catégories sémantiques (problèmes du schéme des concepts

(9) Cf.Petitot (1989 b ) , (1989 e ) , (1989 f ) , 1990 (a ) , 1990 (b).(10) Cf. par exemple Thom (1972), (1980), (1988).

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empiriques et du rapport entre catégories et typicalité); (iv) des

relations spatio-temporelles syntaxiquement spécifiables entre objets(hypothèse localiste, etc.); (v) des structurations qualitatives des processus et des événements. Bref la phéno-physique permet bien defonder   une ontologie qualitative objective du monde phénoménologique.

Son programme de recherche rejoint celui, beaucoup plus récent etissu de problèmes d'intelligence artificielle, de la  physique quali

tative.

Ce point est d'une importance épistémologique considérable surle plan de l'histoire des idées. En effet nous avons vécu sur

«l'évidence» (héritée de la réduction du physique à une mécaniquedes forces) qu'il était  nomologiquement impossible  de prolongerl'objectivité physique de la matière en une ontologie qualitative dumonde phénoménal à travers une dynamique des formes. Comme sil'objectivité physique ne possédait pas en elle-même les ressourcesde sa phénoménalisation. La conséquence en a été que tout ce quiconcernait ce processus naturel de phénoménalisation, c'est-à-dire la

question phénoménologique de l'apparaître du monde,  a été ramenéd'une façon ou d'une autre à des instances subjectives ou intersub

 jectives : les processus perceptifs et cognitifs en psychologie, lesactes noétiques en phénoménologie, l'objectivité logique du langageen sémantique formelle, etc. C'est ce corps d'évidences apparemment bien établies qui se trouve ici remis en cause.

IV. 2. Gestaltthéorie, sémiotique du monde naturel etécologisme

Les structures qualitatives du monde phénoménal sont  intrinséquement   significatives. On peut donc fonder (ce qui ne veut pasdire réduire) certaines structures du sens dans l'objectivitémorphologique et structurale fournie par la phéno-physique. C'est le projet thomien d'une  sémiophysique  - que nous qualifions quant ànous de  Physique du Sens.  Il propose une approche mathématiquement morphodynamique et métaphysiquement réaliste d'ap proches déjà existantes. Citons en deux, outre la sémiotique dumonde naturel déjà évoquée.

(i) La Gestaltthéorie et la Phénoménologie (de Husserl à Merleau-Ponty) qui, jusqu'aux recherches actuelles, ont évidemmentconstitué le lieu privilégié d'élaboration d'une ontologie qualitativeet d'une compréhension de ce que Husserl appelait le «flux héra-clitéen» des essences morphologiques vagues.

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(ii) L'écologisme à la Gibson-Marr en perception visuelle (11). La

thèse de Gibson est qu'il existe des structures qualitatives,morphologiques, organisationnelles, constituant une informationvéhiculée par le signal lumineux et explicitée par le système perceptif. David Marr a donné une version de cette explicitation en termesde théorie computationnelle. Pour Gibson cette information est«écologique», à la fois  objective  et   non physique (au sens physica-liste strict). Véhiculée essentiellement par des flux et des discontinuités, elle concerne les propriétés de forme, de texture ou deréflectance des surfaces visibles ainsi que les structures topologiques

de l'environnement comme les bords et les frontières, le fait d'êtreouvert ou fermé ou troué, etc. C'est dire qu'elle est typiquement phéno-physique. Dans un important article, Jerry Fodor et ZenonPylyshyn (12) ont critiqué les thèses gibsoniennes. Selon eux,l'écologisme ne saurait se substituer à une théorie représentationa-liste et inférentielle des actes mentaux. Le concept d'information (lalumière contient de l'information sur l'environnement) est unconcept  relationnel  (corrélation lumière-environnement). Parconséquent les processus de traitement de cette information doivent

nécessairement être  inférentiels  (inférer la structure de l'environnement à partir du signal lumineux sur la base de la connaissancedes corrélations lumière-environnement). Gibson aurait hypostasiéce concept relationnel («contenir de l'information sur») en unconcept substantiel («information contenue dans»). Pour Fodor etPylyshyn (comme d'ailleurs pour la plupart des cognitivistes et des philosophes du langage) le morphologique s'abstrait en définitive  en

sémantique  (formelle). Tout ce qui est significatif dans l'environnement ne peut l'être que relativement à un interprétant-sujet et la

signification est donc nécessairement produite par une intentionalité(la façon dont des représentations mentales dénotent). Les structures«écologiques» gibsoniennes ne sont et ne peuvent être que desmodes particuliers de représentation des objets physiques : il estimpossible qu'il existe dans la nature des structures (morphologiques)  intrinsèquement   significatives. Ce que ces critiques méconnaissent, c'est que toute information ne fonctionne pas nécessai-

(11) Cf. Gibson (1979) et Marr (1982). Pour des précisions, cf. Petitot1990a.

(12) Fodor-Pylyshyn (1981). Cf. également Petitot 1990a pour une discussion.

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rement sémiotiquement comme un signe (avec renvoi symbolique).

La saillance perceptive des discontinuités qualitatives (qui serventde base à l'ontologie qualitative) fonctionne sémiotiquement plutôtde façon  ¡conique. Ce qui change tout.

IV. 3. L'ontologie qualitative et la sémiotique peirciennedes entéléchies

Il y a derrière ces débats un point métaphysique fondamental.

Une ontologie qualitative est d'une façon ou d'une autre une ontologie de substances, d'accidents substantiels et d'accidents relationnels entre substances. Elle doit donc d'une façon ou d'une autreconférer un statut scientifique aux concepts aristotéliciens permettant de penser la solidarité entre substance et forme, en particulieraux concepts de forme substantielle et d'entéléchie  (encore essentielschez Leibniz).

La rupture de l'objectivité scientifique avec l'aristotélisme au17e siècle a débouché sur des réinterprétations gestaltistes, phé

noménologiques, sémantiques - c'est-à-dire (inter) subjectives - del'ontologie qualitative. Ce faisant, le rapport entre substance etforme a perdu tout lien avec le concept de  nature  et a été entièrement repensé en termes  sémiotiques  (il suffit de penser au structuralisme hjelmslevien) (13). Il faut toutefois excepter Peirce. Commetant d'autres philosophes et savants (Leibniz, Kant, Goethe,Maxwell, Brentano, Driesch,  Stumpf,  Husserl, d'Arcy Thompson,Valéry, etc.), Peirce a été fasciné par la diversification et lacomplexification morphologique des formes naturelles. Ses réfle

xions l'ont conduit à la conclusion qu'elles n'étaient pas explicables physiquement, ni mécaniquement ni thermodynamiquement, et qu'ilfallait donc, pour les expliquer, reprendre les concepts aristotéliciens (ce que Kant appelait la « finalité interne objective » des êtresorganisés). Pour Peirce l'entéléchie est la tercéité associée au rapportsubstantiel entre matière et forme. C'est par elle que la matièredevient déterminée pour une forme. Elle s'actualise de façon programmée - en tant que finalité interne objective - dans une matière à

(13) Nous avons longuement analysé ces problèmes dans un certain nombrede travaux. Cf. en particulier Petitot (1985 a), (1985 b), (1989 b), (1989 e),(1989 f).

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travers une forme. Or les entéléchies sont des signes - mais ce sont

des signes qui ne s'adressent à aucun sujet, des signes dont l'inter prétant n'est pas un sujet  mais la nature elle-même (14). C'est cettedimension sémiotique  sans sujet,  immanente à la nature, que la phéno-physique déploie en sémiophysique. Ce faisant, elle confirme partiellement l'hypothèse écologique d'un fondement naturel objectif du sens.

IV. 4. La sortie du solipsisme méthodologique et le

problème de l'intentionalitéContrairement aux thèses logicistes et cognitivistes classiques,

ce n'est donc pas l'objectivisme logique de la sémantique formellequi détient la clef de la structuration qualitative du monde mais unnaturalisme élargi de la physique à une morphodynamique générale.Il ne faut voir dans cette thèse de la naturalité du sens aucun réduc-tionnisme. Il est bien évident que le monde phénoménologique estégalement constitué à travers des actes subjectifs et des structures

intersubjectives pragmatiques, communicationnelles, etc. Mais iln'est pas constitué qu'à travers eux. Physique du sens et cogniti-visme sont  complémentaires. Le cognitivisme part du sujet. Il adopteun point de vue computationnel. Son substrat matériel est le systèmenerveux. Et il étudie comment des structures symboliques etformelles en émergent qui, en traitant les informations physiques,transforment le monde physique en monde de l'expérience phénoménologique. La physique du sens part, quant à elle, du monde.Elle adopte un point de vue morphodynamique. Son substrat maté

riel est la nature extérieure. Et elle étudie comment des structuresmorphologiques et qualitatives en émergent qui, explicitées et transformées par des représentations mentales, permettent au sujetd'expérimenter le monde phénoménologique. Les deux se rejoignentsur l'interface de l'ontologie qualitative.

Cette complémentarité permet (pour la première fois) aux sciences cognitives et aux sciences sémio-linguistiques de sortir de leursolipsisme méthodologique. Précisons maintenant ce point. L'unedes thèses du cognitivisme standard est qu'il existe (au moins)  deux

(14) Je remercie Robert Marty et Antonio Machuco pour ces précisions surl'aristotélisme de Peirce.

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types très différents de systèmes cognitifs (15). Les premiers sont les

systèmes périphériques modulaires. Ils ont pour fonction de transformer les informations neuronales périphériques fournies par lestransducteurs (la rétine par exemple) en représentations possédantun format propositionnel adéquat pour les calculs symboliquesmentaux. Ce sont des transducteurs compilés, fonctionnant automatiquement et de façon strictement ascendante (« bottom-up » : du périphérique vers le central) comme des réflexes computationnels.Ils sont spécifiques et informationnellement cloisonnés (c'est-à-direinsensibles aux croyances, aux connaissances, aux attentes, etc., du

sujet).  Ils formulent des hypothèses et effectuent des inférences nondémonstratives permettant aux stimuli sensoriels proximaux d'êtretransformés en représentations sur des objets distaux. Mais il existeégalement des systèmes cognitifs centraux, qui sont non modulaires,non spécifiques, non cloisonnés, descendants, interprétatifs (et doncsensibles aux croyances, connaissances, attentes, etc.). Dans lamesure où il n'existe aucun contrôle nomologique de leurfonctionnement, ils ne sont pas, selon Fodor, traitables scientifiquement : c'est le problème du  holïsme sémantique.  Ils sont «iso

tropes» (toute croyance, toute connaissance, toute attente sont partiellement pertinentes pour l'interprétation et le traitement desortie des modules) et «quiniens» (l'ensemble des croyances, etc.influe sur chaque traitement, etc.) (16).

Un des aspects du problème du holisme sémantique est que cequi est significatif dans l'environnement pour le sujet cognitif (autrement dit  l'interaction  sujet/environnement) n'est pas nomologi-quement légalisable (ne peut pas être dérivé des lois de la nature) etque,  par conséquent, une psychologie scientifique (donc nomolo

gique) ne peut pas inclure une référence constitutive aux structuresdu monde extérieur. La seule réalité objective est la réalité physiqueau sens  physicaliste  du terme. Elle agit causalement sur les automatismes computationnels des transducteurs et des modules. Ensuite,au niveau des systèmes centraux, seule la forme  syntaxique  desreprésentations agit causalement. La signification n'est pas objet descience, sauf  en ce qui concerne une sémantique formelle dénotative.

(15) Cf. Fodor (1980) et (1983).(16) D'où d'ailleurs, chez Fodor, une critique de l'intelligence artificielle et

des systèmes experts qui traitent les systèmes centraux  comme s'   ils étaient modulaires ,  spécifiques, non isotropes et non quiniens.

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Dans une telle perspective, le problème fondamental de  l'inten-

tionalité   devient - comme de nombreux auteurs (Searle, Dreyfus,Putnam) l'ont souligné - insoluble.

Il y a, de fait, deux problèmes de l'intentionalité.(i) Celui des systèmes cognitifs dont le comportement se manifestecomme intentionnel, c'est-à-dire comme régi par des croyances, desconnaissances, des fins. L'action de tels systèmes paraît être déterminée par des représentations internes agissant comme des causesefficientes et finales.(ii) Celui de l'orientation, en particulier perceptive, d'un système

cognitif vers l'extériorité, celui de la directionalité des représentations mentales vers le monde, vers des objets, des états de choses,des événements, des processus, etc. Comme le disait Husserl, c'estlui qui constitue «le problème des problèmes».

Si le solipsisme méthodologique, le rejet de l'écologisme et laréduction du contenu objectif de la sémantique à une sémantiquedénotative rendent le problème de la directionalité intentionnelleinsoluble, c'est que, comme l'a souligné Joëlle Proust, il n'existe plusdès lors de façon  non circulaire  de traiter les notions sémantiques

(17).Comme l'a montré Pierre Ouellet, ce cercle vicieux se trouve

déjà, et de façon exemplaire, dans le  Tractatus de Wittgenstein (18).Considérons une proposition décrivant un état de choses. Elle

 possède une forme logique («logische Form»), à savoir son articulation syntaxique, ainsi qu'une forme du sens («Form der Sinn»).Ainsi structurée, elle est une image logique de l'état de choses auquelelle réfère : c'est la forme de la reproduction (« Form der Abildun-g»).  Dans sa forme, elle se présente elle-même comme représenta

tion : c'est la forme de la (re)présentation («Form der Darstellung»).En s'exposant, en se montrant, elle expose la façon dont l'état dechoses s'expose et se présente. Sa forme logique se convertit ainsi enforme de la réalité («Form der Wirklichkeit»), mais en se répétantelle-même. D'où le cercle vicieux. On fait l'hypothèse d'une relation

 projective, mimétique, de représentation entre la proposition etl'état de choses, mais cette relation n'est en fait qu'une auto-affirmation de la forme logique. Du coup, la sémantique se trouveréduite à sa dimension dénotative (vériconditionnelle).

(17) Cf. Proust (1987).(18) Cf. Ouellet (1982).

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Or, tant que le problème de la directionalité intentionnelle n'est

 pas résolu, celui des attitudes propositionnelles ne peut pas l'êtrenon plus. Considérons par exemple le point de vue de Daniel Dennett (19) selon lequel la conceptualité intentionnelle relève d'unestratégie prédicative, c'est-à-dire d'une heuristique permettant dedécrire et de prédire le comportement de certains systèmes. Une desthèses de Dennett est (i) que les systèmes cognitifs comme le cerveausont des machines sémantiques intentionnelles au niveau de lacompétence (de la théorie descriptive abstraite et formelle de leurfonctionnement) mais (ii) que physiologiquement (au niveau

dynamique de la performance) ce sont en fait des machines syntaxiques. Autrement dit, de tels systèmes  miment   le comportementd'une machine sémantique s'appuyant sur des correspondancesentre, d'un côté, des régularités de son organisation interne corréléeà son environnement externe et, d'un autre côté, des types sémantiques. Selon nous, une telle thèse n'est défendable qu'en ce quiconcerne les attitudes propositionnelles (l'intentionalité au sens

 banal) . Et elle ne l'est que si le problème préjudiciel de l'intentionalité perceptive se trouve déjà réglé. Dans tout ce débat il est

essentiel de comprendre qu' entre  la dénotation logique et le holismesémantique il existe un niveau morphologique objectif permettant dedécrire « écologiquement» (i.e. morphodynamiquement, de façon  ni

 perceptive,  ni  logico-sémantique,  ni  linguistique,  ni  sémiotique) lesformes et les états de choses. Cela brise le cercle solipsiste de lareprésentation et permet d'accéder (enfin) à une théorie de la directionalité intentionnelle.

Y. Inf rast ructures morphologiques de l'aspec-tualité

Une fois que l'on dispose de la théorie morphodynamique desaccidents morphologiques génériques engendrés par l'action dutemps (du devenir) dans les substances et les états de choses, on peutfaire l'hypothèse que l'aspectualité, qui les spécifie grammaticalement, en est en grande partie  déductible.

Effectivement, il est facile de retrouver ainsi les principalesdimensions de l'aspect comme organisation temporelle des procès :

(19) Cf. Dennett (1987).

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(i) les états stables occupant réversiblement un intervalle temporel,

(ii) les processus occupant irréversiblement un intervalle temporel,(iii) les bords d'intervalles que sont les débuts et les fins de processus (inchoatif,  terminatif).(iv) les événements correspondant à des discontinuités qualitatives,etc.

Mais l'organisation topologique du temps en intervalles ne suffit pas.  Il faut également tenir compte des substances, qualités et étatsde choses sur lesquelles opère le temps. Pour cela on doit introduire,conformément à la doctrine générale des modèles morphodynami

ques,  des espaces internes  sur lesquels le temps (et l'espace) agitcomme contrôle.

Considérons par exemple un substrat W dont l'état interne semanifeste à travers une qualité (une grandeur intensive) q  w  pouvantvarier dans un espace de qualités E. Lorsque t varie, trois situationsqualitatives sont possibles :

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Si Ton en revient à la (brève) présentation des éléments de phéno-

 physique esquissée plus haut et si l'on considère les possibilitésgénériques d'action du temps sur les bords, les contours apparents etles discontinuités qualitatives, il est facile d'en  déduire des schémes pour les structures aspectuelles expérimentalement trouvées par leslinguistes.

Toutefois, en ce qui concerne l'aspectualité des structures actan-

tielles  en tant que telles, le problème est beaucoup plus difficile. Ilfaut en effet arriver à enraciner ces structures dans la perception defaçon à en dévoiler les infrastructures morphodynamiques. Comme

nous l'avons montré ailleurs, cela est possible en reprenant unehypothèse fondamentale de la tradition linguistique, à savoirl'hypothèse localis te  (20). L'idée est de traiter, en accord avec les plus confirmées des théories de la vision, les actants d'un processusspatio-temporel comme des domaines connexes, compacts etsimplement connexes de R   3  , bien délimités et démarqués, c'est-à-dire en fait comme des boules topologiques. Ces actants identifiésà des lieux entretiennent entre eux des relations topologiques que l'on peut facilement décrire morphodynamiquement.

Le temps apparaît alors comme un  contrôle déformant celles-ci.On obtient ainsi, par bifurcation,  des événements d'interaction actan-

tielle  (théories des graphes actantiels). Dans la mesure où ces évolutions temporelles sont décrites par des chemins dans des espacesexternes de catastrophes élémentaires, leur aspectualisation est  co-

donnée  avec leur représentation topologico-dynamique. Elle estintrinsèque et immanente. Mais lorsque les graphes actantiels sontdiscrétisés et encodés dans des représentations  symboliques(«frames» à la Schank ou à la Fillmore, archétypes cognitifs à laDesclés, etc.) elles-mêmes insérées dans des dispositifs  prédicatifs,elle devient alors  extrinsèque.

Jean PETITOTE.H.E.S.S. Paris

(20) Cf.Petitot (1985), (1989a), (1989c), (1989d).

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Temps ou aspect ?Le problème du devenir

A la question : temps ou aspect ? les grammairiens des langues

classiques ont répondu, souvenons-nous, en disant que la temporalité se manifeste sous deux modes distincts, ordonnés diachroni-quement, au moins dans les langues indo-européennes : en premierlieu, sous le mode de l'aspect, ensuite, sous le mode du temps.

Il revient à la catégorie de l'aspect, disent-ils, de prendre ou nonen charge la «durée» du procès. En grec ancien, la morphologie duverbe repose sur cette articulation. Le «thème du présent» convientsi le point de vue est celui de la durée; le «thème de l'aoriste», si ladurée ne constitue pas un trait pertinent. Je peux donc coordonner

deux actes appartenant à la même temporalité de présent en françaiset représenter cette consécution en grec par deux verbes dont unseul est au présent et le suivant à l'aoriste : «Zeus met en fuite(présent ) un homme même vaillant et lui ravit la victoire

(aoriste )». Passons de cette citation homérique à unexemple pris dans une grammaire scolaire. C'est encore l'aoriste que j'utiliserai  si je veux traduire ce présent français : « Le temps efface

 bien des choses», pour peu que la durée logiquementnécessaire à l'effectuation du procès ne soit pas pertinente à mes

yeux. (1)

(1) A. Meillet et J. Vendryès,  Traité de grammaire comparée des languesclassiques, Champion, 1948, p. 175.

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Un fait pourrait cependant troubler l'analyste. L'aspect englobe

en effet la morphologie du verbe et la sémantique du mot; autrementdit, le procès est susceptible d'être caractérisé deux fois, et mêmed'une manière contradictoire. Le thème d'aoriste fait abstraction dela durée, mais lorsque notre choix se porte sur un verbe dit «non-conclusif » par O. Jespersen, nous réintroduisons ce que nous avionsexclu. «Mettre en fuite» ou «effacer» sont morphologiquement enopposition : l'un est au thème de présent, l'autre au thème d'aoriste;ils sont identiques sémantiquement : « effacer » et « mettre en fuite »sont des «non-conclusifs», le procès peut durer. A l'inverse, les

deux aoristes sont identiques morphologiquement; sémantiquement,ils sont contraires : «effacer» est «non-conclusif», mais «ravir»est «conclusif»  : le procès ne peut être continué.

Plutôt que la pertinence de la notion de durée, la catégorie del'aspect en grec ancien nous permet de mettre en lumière la notiontopologique de borne. Les deux plans sont distincts. Considérer le procès comme borné implique l'utilisation du thème de présent(«mettre en fuite»). Transposons dans le domaine temporel : pourl'observateur implicite des procès, la durée est limitée par la circonstance : le combat. A l'inverse, considérer le procès comme non borné implique l'utilisation du thème d'aoriste («ravir», «effacer»);  la durée effective du procès, son temps de réalisation ne sont pas pris en compte. Au borné, correspond une durée limitée; aunon-borné, une durée quelconque; ou encore, là, présence de lamesure; ici, son absence (2).

D'autre part, nous dit-on, lorsque la temporalité se manifestesous le mode du temps, c'est que la langue a établi un système deconjugaison (construction que Meillet décrit comme un «fait decivilisation»); opération formelle, logiquement nécessaire pour queles procès puissent être disposés sur un axe de symétrie, en avant ouen arrière d'un point de référence. Ce type de temps, dit «chronique» par E. Benveniste, est borné et donc mesurable. C'est letemps quantitatif des calendriers : « le comput des intervalles [ y ]est fixe et immuable» (3).

(2) Aoriste signifie non-borné. Les grammairiens ont choisi le termeadéquat.

(3 ) E. Benveniste, Problèmes de linguistique générale, II, Gallimard, 1974, p.72.

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En introduisant les notions de borne, de métrique, d'axe,

d'intervalle, nous courons cependant le risque de spatialiser letemps, et donc de l'immobiliser (4). On peut s'en étonner, puisque latopologie, à laquelle ces notions sont très librement empruntées, doitdécrire des phénomènes  dynamiques  pendant lesquels le temps«physique» (Benveniste), ne s'arrête pas : une déformationcontinue, par exemple. La compréhension des langues naturelles et,en particulier, du phénomène de l'énonciation, de ses instances,suppose résolus des problèmes de cet ordre.

Prenons le cas du verbe devenir. Son traitement est révélateur dela position adoptée. Soit cet énoncé, apparemment élémentaire, proposé par J.P. Desclés et Z. Guentcheva : «Socrate devientgrand» (5). Pour les auteurs, il s'agit  d'un «processus simple» où le passage, s'effectuant à partir d'une situation stative initiale (domainedu «pas encore...»), est orienté vers une situation stative finale(domaine du «ne... plus...»). Une analyse topologique de ce typeest-elle sans reste ? De quel  devenir   est-il question lorsque ce prédicat est disjoint de l'une de ses propriétés, semble-t-il, spécifique,l'évolution  ? Or la topologie nous invite aussi à réfléchir sur lecontinu  supposé, par exemple, lors du passage d'une couleur à l'autreou de la transformation d'un cube en sphère ou sur la différence quel'on doit établir entre disjonction, notant le discontinu, et séparation, notant le continu, ou encore sur l'approche et l'éloignement,la limite et l'empiétement, la fusion, etc.

Un texte de M. Merleau-Ponty me servira d'illustration. Enfaisant valoir deux modes temporels opposés liés l'un à la pratiquedu photographe, l'autre à celle du peintre, il nous rappelle que nousavons le choix entre continu et discontinu : «La photographiemaintient ouverts les instants que la poussée du temps referme aussitôt, elle détruit le dépassement, l'empiétement, la 'métamorphose'du temps, que la peinture rend visible au contraire, parce que leschevaux [ du Derby d'Epsom,  de Géricault ] ont en eux le 'quitterici,  aller là' [ H . Michaux ] , parce qu'ils ont un pied dans chaqueinstant». Ils peuvent ainsi courir sur la toile «dans une posture pourtant qu'aucun cheval au galop n'a jamais prise» (6).

(4) Le danger a souvent été signalé; il y a peu encore par H. Parret :«L'oubli naturel des linguistiques du temps», in  La Linguistique fantastique,Denoël, 1985.

(5) J.P. Desclés et Z. Guentcheva, «Fonctions discursives», in  Le Textecomme objet philosophique, Beauchêne, 1987, p. 119.

(6) M. Merleau-Ponty, «L'Œil et l'esprit»,  Les Temps modernes,  n° 184-185, 1961, p. 222.

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Telle est, finalement, me semble-t-il, la perspective la plus juste.

Il faut donc se doter, en plus d'une sémiotique du discontinu, d'unesémiotique du continu. Le temps du discontinu, temps chronique,quantitatif, est aisément analysable en intervalles; celui du continu,temps du  devenir,  qualitatif,  est, analytiquement, inséparable del'instance de discours et renvoie de ce fait au mode temporeldénommé «temps linguistique» par Benveniste.

La sémiotique de première génération est une sémiotique del'énoncé. Elle n'a donc retenu que le temps du discontinu. Les

 procédures de «normalisation» mises en place et préconisées au

moment de sa fondation dans les années 60 imposaient ce choix.Pour objectiver le texte - d'où la dénomination d'«objectale» que j'ai  proposé d'associer à cette sémiotique - il était nécessaired'«éliminer» tout ce qui paraissait en rapport avec un «tempssubjectif». Je lis dans Sémantique structurale d'A.J. Greimas (1966) :« L'élimination concerne toutes les indications temporelles relativesau  nunc  du message. Le texte conservera toutefois le système denon-concomitance temporelle, construit sur un  alors  sans rapportdirect avec le message». En fonction de cet «alors» se distribuent

logiquement des programmes narratifs qui lui sont antérieurs ou postérieurs. Intervient ensuite «la mesure du temps en durées». Etnous revoici aux intervalles et à l'aspect. En effet, les procèsconstitutifs des programmes ne sont connaissables, rappelle le

 Dictionnaire  (1979), que  s'ils  sont articulés en «aspects» (7). D'oùcette déclaration pour le moins paradoxale : «En situant le procèsdans le temps, on dira que l'aspectualisation est une surdétermination de la temporalité et que le procès, tout en étant temporel, n'estconnaissable que grâce à ses articulations aspectuelles», principa

lement  l'inchoatif,  le duratif et le terminatif.  Le temps ainsi normalisé est le seul qui permette de « localiser les différents programmesnarratifs du discours». Autrement dit, nous avons affaire à un temps«aspectualisé» ou «énoncif» ou encore «objectif», d'où estnécessairement exclu le paramètre du continu. Le «duratif», de ce

 point de vue, ne doit pas faire illusion. Il n'est que «l'intervalletemporel» compris entre les deux bornes initiale et finale. C'est danscette période que s'effectuent les «transformations subies entre unétat initial et un état final», «le passage d'un équilibre à un autre».

(7 ) A J . Greimas et J. Courtés, Sémiotique. Dictionnaire raisonné  de la théoriedu langage, Paris, Hachette, 1979.

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Comme d'autre part il n'y a qu'un seul repère temporel, le «alors»

de la narration, l'analyste élimine toute référence au sujet dudiscours, assimilé à l'énonciateur et disqualifié pour sa «mobilité».

La sémiotique objectale se consacre donc à la description des«états» et de leurs transformations. Sa syntaxe, qui ne connaît quedeux types d'«énoncé élémentaire», énoncé de jonction, construitavec le verbe  être,  et énoncé de transformation, construit avec leverbe  faire,  ne met en place aucun énoncé construit avec le verbedevenir. Comme le note justement B. Pottier : «L '  être  et le  fairesemblent suffire pour la description des événements du monde, dans

une perspective essentiellement discontinue» (8). Quelle analyse proposer alors, si l'on reste sur le plan de la syntaxe phrastique, desverbes de «modification» (R.L. Wagner) ou d'«évolution» (B.Pottier) tels que «s'évanouir», «pâlir», «s'endormir», «sedéplacer», etc. ? Il n'y a d'autre solution que l'assimilation duchangement au  faire,  à la transitivité. Ainsi, dans le cas d'un énoncécomme : «Le déplacement de Pierre», le  Dictionnaire,  dans sonarticle «transitivité», propose l'équivalence : «Pierre déplace lui-même». Or, si l'on admet que «le déplacement de Pierre» est la

nominalisation de «Pierre se déplace», on doit écarter toute possi bilité de substitution sémantique entre un évolutif (« se déplacer  »)  :«Pierre se déplace», et un transitif («déplacer») : «Pierre déplacelui-même». C'est ce que relève B. Pottier dans l'article déjà cité :«un simple évolutif ne peut être glosé par une construction active».Donnons un second exemple : la «Nostalgie», étudiée au titre de lasémantique lexicale par AJ. Greimas, renvoie selon les dictionnairesd'usage, à un «état de dépérissement» (9). Mais quelle analyse proposer de cet «état» ? Quelle permanence pouvons-nous lui

reconnaître alors que le « dépérissement » est étrangement glosé parles dictionnaires comme : «état de ce qui dépérit» et «dépérir» àson tour par : « s'affaiblir par consomption graduelle » ? Le faire  estdonc de nouveau convoqué par AJ. Greimas ou plutôt une succession de sèmes aspectuels après conversion du  faire  en procès. C'est

(8) B. Pottier, «Un mal-aimé de la sémiotique : le devenir», in  Recueild'hommages pour A. J. Greimas,  J. Benjamins P .C., Amsterdam, Philadelphia,

1985, pp.  500-501.(9) A. J. Greimas, «De la nostalgie. Etude de sémantique lexicale»,  Actes

sémiotiques, Bulletin 39,  1986; repris in  Hommage à B. Pottier,  I, Klincksieck,1988,  pp. 343-349. Cet article constitue une sorte de réponse à la critique précitéede B. Pottier.

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le stade ultime de la transposition dans la sémiotique objectale.

Aussi bien, l'état de dépérissement sera-t-il, en définitive, noté pardeux aspects concaténés :

durativité  >  détensivité (10).

La question revient : comment peut-on rendre compte d'un procèsévolutif   (une «consomption graduelle») et donc continu, par uneséquence aspectuelle, autrement dit, par une  juxtaposition  d'  inter

valles ?

Il est probable d'ailleurs que l'aporie dans laquelle s'est  enferméela sémiotique objectale est due en particulier au fait qu'elle a rabattul'articulation continu-discontinu sur l'opposition  être-faire.  Selon le Dictionnaire en effet - qui suit en cela la leçon des lexicographes -«le terme d'état peut être homologué avec celui de continu». LePetit Robert,  référence habituelle d'A.J. Greimas, définit de mêmel'état comme la «manière d'être (d'une personne ou d'une chose)considérée dans ce qu'elle a de durable» et l'oppose à devenir. Quantau discontinu, poursuit le Dictionnaire,  il introduit la rupture dans le

continu, il est «le lieu de la transformation», le lieu de la modification des états, le lieu du  faire  assurant le passage d'un état à unautre. Telle est bien encore la définition du Petit Robert   :  le devenir,c'est « le passage d'un état à un autre».

Le point de vue de la sémiotique de deuxième génération estinverse : la catégorie du discontinu subsume les états de choses etcelle du continu leur   devenir.  J'ai développé la thèse dans  Le

 Discours et son sujet  (1984) que, si nous rapportions l'identité actan-tielle à un procès de formation, nous ne pouvions faire l'économiedu  devenir. Tel est le propre de la visée syntagmatique : cerner les processus d'identification de telle sorte que l'on suive au plus près,c'est-à-dire jusqu'à l'abolition de la limite, l'histoire transforma-tionnelle de l'actant. On peut rappeler ici la préoccupation de G.Bachelard décrivant justement  La Formation de l'esprit scientifique

et déclarant : «L'  avoir  et 1' être ne sont rien devant le devenir  » ou

(10) Notons d'ailleurs que, selon le Dictionnaire,  les deux aspects ne sont pasau même niveau puisque la  « détensivité » surdétermine la relation entre l'inchoatifet le duratif (la «tensivité» surdéterminant la relation entre le duratif et leterminatif). La postposition de la détensivité fait donc doublement problème :absence de hiérarchie apparente entre les aspects et abolition de la relation entreinchoatif et duratif.

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celle de linguistes comme B. Pottier qui, s'adressant à A. J. Greimas,

appelle de ses vœux le moment où le «  devenir   serait (...) la basenécessaire de tout programme narratif» et où, en conséquence, l'étatserait présenté comme «une réduction artificielle du sémioticien,consciente et provisoire (11).

Or, chacun sait que dans les années 70 un tournant épistémo-logique  s'est  produit facilitant la réintégration du devenir. Pour faire bref,  les problèmes de l'énonciation ont pris le pas sur ceux del'énoncé. Des articles de Benveniste, qui représentait le mieux àcette époque la linguistique structurale en France (12), «La nature

des pronoms» (1956), «De la subjectivité dans le langage» (1958), préparaient ce changement de focalisation mais il ne devait êtreeffectif qu'à partir de deux autres articles appelés à un grand retentissement : l'un de 1965, «Le langage et l'expérience humaine»,l'autre de 1970, «L'appareil formel de l'énonciation». Les notionsde base devenaient celles de  discours, d'  instance et de  temps.  PourBenveniste, en effet, le temps forme avec la personne les «deuxcatégories fondamentales du discours». Elles sont «conjointesnécessairement» (1965, p. 67). Sous ce patronage s'est ainsi élaborée,

avec des ajustements, bien entendu, une sémiotique discursive etsubjectale. Concernant la catégorie de la personne, par exemple, lasémiotique discursive ne peut adopter tout à fait la perspective dulinguiste. Ce ne sont pas les déictiques de la langue naturelle, lesembrayeurs manifestés, qu'elle doit viser, même pour discerner,comme le fait Benveniste, l'instance linguistique, formelle, les pronoms «je» et « tu» , de l'instance du discours, mais bien davantage,  à partir des marques formelles, des  centres de discursivité, lesinstances énonçantes, situés au niveau plus abstrait des actants. Le

discours est conçu de ce fait comme une organisation transphras-tique rapportée à une ou plusieurs instances énonçantes. Le pro blème crucial ne consiste plus à opposer énoncé et énonciation, nimême à dégager l'énonciation de ses liens avec l'oralité, mais àrepérer et à caractériser ces centres de référence que sont lesinstances énonçantes (13). En revanche, une fois ce remaniement

(11)  Loc. cit.

(12) Je me réfère à un jugement de C. Lévi-Strauss in  De près et de loin,Paris, Editions Odile Jacob,1988, p. 96.

(13) Voir sur ces problèmes soulevés par la sémiotique de deuxième génération J.C. Coquet, «L'être et le passage ou d'une sémiotique à l'autre»,  TLE,  6,Presses universitaires de Vincennes, 1988, pp. 101-102.

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accompli, la sémiotique discursive conserve tel quel le second point

d'ancrage : le temps, plus précisément le présent. Car, écrit Benve-niste : «Le présent est proprement la source du temps. Il est cette présence au monde que l'acte d'énonciation [ je dirai l'acte de prédication (14) ] rend seul possible» (1970, p. 83). Présent, présence. Cette mise en relation dit assez ce que le linguiste doit à la phénoménologie. Le «réel» nous est présent dès la prédication et par elle, de même qu'il nous est présent au moment de la perceptionet par elle. Nous sommes de ce fait partie intégrante de ce monde quinous entoure. Par la perception mais aussi par la prédication, nous

nous conjoignons au monde. Dans la langue, professait Benvenisteau Collège de France en 1967 : «Tout est prédication; tout estaffirmation d'existence». En couplant présent et présence, lelinguiste réintroduit la «réalité» comme paramètre nécessaire del'exercice du langage alors qu'elle était soigneusement exclue dans latradition saussurienne sinon par Saussure (15). Formant une entitéavec l'instance qui le manifeste, ce présent reste implicite. Il est un«présent continu coextensif à notre présence propre» (1970, p. 83).Ainsi, la catégorie du continu est essentielle à l'analyse du discours.

Elle subsume l'instance, centre de discursivité, et le couple présent- présence qui lui est associé. La réunion de ces facteurs rend possiblel'expérience du temps. On peut dès lors échapper à la confusionentre expérience du temps et concept de temps.

Avec le concept de temps, nous entrons de nouveau dans ledomaine du discontinu. L'articulation se fait donc une nouvelle foisselon le partage continu/discontinu ou entre temps linguistique ettemps chronique, d'après la terminologie de Benveniste. Lorsquenous rappelions les propos de Meillet : la conjugaison est un fait decivilisation, cela voulait bien dire que la construction d'un paradigme verbal (et la conceptualisation présupposée) constituait unremarquable progrès de société. A l'intérieur du système, touteforme est délimitée par une autre forme : le passé par le présent, le

 présent par le futur. La structure est cohérente, mais le présent situé

(14) Analytiquement, l'acte de prédication est constitutif de l'instanceénonçante, mais il doit être accompagné de l'acte d'assertion pour que nous pas

sions du non-sujet au sujet (ou au tiers ac tant ); voir notre article cité , pp . 102-105.

(15) Sur les «fonctions actives» du langage et l'entrée en action de la languecomme discours selon Saussure, voir notre article  « Linguistique et sémiologie », in Actes Sémiotiques, Documents, n° 88, INALF-CNRS, 1987, p. 9.

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 par objectivation sur le même plan que les autres temps qui l'enca

drent symétriquement, a perdu dans l'opération toute sa spécificité.Ou bien, autre vision symétrique qui n'accorde pas davantage decaractère propre au présent, des formes d'antériorité ou de postériorité se subordonnent à des formes de même niveau temporel, parexemple un antérieur de présent à un présent : « quand il a écrit sontexte, il sort». La succession n'a pas de caractère temporel en soi,mais la référence à la structure déjà connue passé-présent-futur

 permet l'intégration dans le paradigme temporel. Ainsi quelle quesoit l'hypothèse, le «temps» est considéré comme homogène,

c'est-à-dire composé de segments de même nature, disposés sur uneligne, et symétrique; comme fléché, orienté généralement du passévers le présent et du présent vers le futur. Son statut est donc biencelui d'une unité de raison. C'est un temps « objectivé » (16).

Une organisation aussi achevée ne laisse pas d'inquiéter. Elle atout l'air de l'artefact d'une culture dont l'instance, le centre organisateur, est le «schématisme logique» dénoncé par Nietzsche, laRaison. Or, bien entendu, cette figure du  tiers actant   n'est pas laseule imaginable (17). Il suffit de se tourner vers d'autres langues

 pour observer des combinaisons toutes différentes. Dans son articlede 1965 (p. 75), Benveniste, s'appuyant sur Sapir, cite le cas d'undialecte de la langue chinook (nord-ouest de l'Amérique du Nord) oùun fort déséquilibre est institué entre le passé (trois formes) et lefutur (une forme). On est tenté de penser qu'un tel système verbal porte les traces d'un jugement de valeur sur le temps. «Impossiblede connaître le temps sans le juger», avançait Bachelard. La prévalence du passé a ceci de particulier en effet dans cette sociétéindienne que trois temps sont reconnus : un pour le passé immédiat,

un autre pour le passé lointain. Mais c'est peut-être le dernier qui estl'attracteur le plus puissant dans la mesure où il manifeste unetension vers l'origine. La langue a en effet créé une forme pournoter le passé mythique, autrement dit pour situer l'événement dansle «temps où les hommes et les animaux n'étaient pas encoredistincts» (18).

(16) Voir les propositions parallèles de J.F. Bordron sur une représentationtridimensionnelle du temps (le présent, l'axe de symétrie passé/futur, Taxe de

succession), in «Transitivité et symétrie du temps. Préliminaires à une sémiotiquedu temps», Travaux du Cercle Linguistique de Copenhague, vol. XXII, 1989.

(17) Le tiers actant est, par définition, doté d'un  pouvoir   transcendant; voirnotre article cité, p. 97 ; ici-même, la note 14 et plus bas, note 24.

(18 ) C. Lévi-Strauss, Didier Eribon, op. cit.,  p. 193.

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les deux cas, il s'agit d'un modèle de société politique. On en connaît

l'origine, le développement et aussi quelquefois l'aboutissement.Situation favorable, et même, sans doute, excessivement favorable.Il faut donc s'attendre à ce qu'elle se révèle rapidement trompeuse.Quand, au milieu du XIXe siècle, A. Thierry écrit : 1' Histoire de la

 formation et des progrès du Tiers Etat, il a d'autant moins de peine à présenter l'origine qu'il en a vécu, pense-t-il, l'achèvement ou peus'en faut. Il a eu la chance d' «avoir sous [ les ] yeux la fin  provi

dentielle  [ je souligne ] du travail des siècles écoulés depuis le XIIesiècle». La Révolution de 1789 avait joué imparfaitement son rôle;

elle aurait pu réussir si elle n'avait été dévoyée. En tout cas, elle«éclaire les révolutions médiévales». Mais il revenait à la Révolution de 1830 et à la Monarchie constitutionnelle qu'elle avait instituée d'apparaître comme l'aboutissement «logique» des révoltescommunales du XIIe siècle. Thierry croyait ainsi en avoir terminéavec l'histoire politique de la France. Mais quand juin 1848 arriva,succédant au «Matin de Juillet», l'historien, écrit F. Hartog, fut« frappé 'comme citoyen' et 'comme historien' par cette catastrophequi balaie le postulat d'une vie et d'une œuvre». Son modèle

d'intelligibilité n'intégrait pas ce type de République (21).C'est la même instance qui est en jeu dans le second exemple. Le

mythe fondateur est cette fois à situer à la fin du XIXe siècle, en1871. Selon Lénine, la Révolution d'octobre 1917 trouve son originedans la Commune. Il crédite le Paris ouvrier d'avoir anticipé le pouvoir des Soviets. J. Rougerie rappelle que «le révolutionnairerusse avait dansé dans la neige lorsque la durée du pouvoir desSoviets eut dépassé de 24 heures seulement celle de la Commune deParis, et qu'il dort, dans son mausolée, enveloppé du drapeau de l'undes bataillons de la Garde nationale insurgée en 1871». Quant auterme, s'il n'est pas encore atteint, il est dès maintenant prévisible.Staline, qui donne une vue d'ensemble du processus dans Les Ques

tions du léninisme, date sans peine les deux premiers stades : 1871 et1917. Il laisse le troisième en pointillé  : « La Commune de Paris a étél'embryon [ la forme politique recherchée et enfin trouvée ] ».C'est dans le cadre de la République des Soviets que « doit être réalisée l'émancipation du prolétariat, la victoire complète du socialisme» (22).

(21) F. Hartog, «L'œil de l'historien et la voix de l'histoi re», Communications 43, 1986, p. 59. La Révolution de 1830 «a fait faire un pas au développementlogique de notre histoire », écrit Thierry.

(22) J. Rougerie,  Procès des Communards,  Paris, Gallimard, collectionArchives, 1978, pp.  12-13.

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Qu'il s'agisse de l'analyse linguistique ou du discours idéolo

gique, le recours au tiers actant ne peut faire illusion très longtemps.Si un effet d'objectivation a bien été obtenu, il n'en reste pas moinsque toute instance est une fonction du discours. D'autre part, lamanipulation est trop manifeste pour que nous oubliions que letemps chronique, dont le correspondant formel est la conjugaison,est subordonné au temps linguistique. Loin d'être exclusifs l'un del'autre, l'un détermine l'autre. C'est l'expérience du temps qui«informe les systèmes concrets et notamment l'organisationformelle des différents systèmes verbaux» (1970, p. 75), j'ajouterai,

les différents types de discours. Le passé et l'avenir ne sont donc quedes «vues sur le temps, projetées en arrière et en avant à partir du point présent »  (ibid.).

En substituant le  prime actant,  c'est-à-dire le couple sujet-nonsujet, au tiers actant, nous changeons les conditions de l'expériencetemporelle (23). Dans le discours idéologique, c'était le tiers actantqui déterminait la place et la trajectoire du prime actant. En prenant pour centre le prime actant et le présent qui lui est associé, nonseulement nous changeons de perspective mais nous instituons une

relation d'autonomie (24). Un commentaire de la Bible par saintAugustin me paraît assez éclairant sur ce point en ce qu'il se réfère,dans le même énoncé, aux deux pôles temporels du temps linguistique et du temps chronique. Dans la formulé bien connue : «Sumqui sum» (Je suis celui qui suis), le temps ne peut être que continu; iln'est pas possible de poser ici ou là une borne ni de marquer uneorientation. Le temps est alors, comme le diraient Benveniste ouMerleau-Ponty, coextensif à l'être; sémiotiquement, coextensif àl'instance énonçante. Faut-il en conclure que le temps chronique est

aboli ? Non, répond Dieu : «Pour ne pas désespérer la faiblessehumaine, j'ajoute : 'Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, leDieu de Jacob'». La hiérarchie entre les temps est bien mise enévidence. Ce n'est que pour des raisons contingentes qu'il est faitappel au temps chronique. Faiblesse humaine, dit Dieu; facilités

(23) Dans  Le Discours et son sujet, op. cit.,  qui est en partie fondé sur cette

ambivalence, le sujet est doté de «jugement»; le non-sujet en est dépourvu. Voirl'acte d'assertion,  note 14.

(24 ) Le prime actant n 'est pas nécessairement tributaire du tiers actant dansla sémiotique discursive et subjectale ;  voir le mythe de Prométhée, in Le Discourset son sujet,  I, p. 51.

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offertes au calcul, dira de son côté le mathématicien (25). Quant au

« Je suis celui qui suis » (on laissera de côté l'enjeu métaphysique decette déclaration d'identité), il a cet avantage de nous rappeler que lediscours comporte le prime actant comme instance énonçante; quece type d'instance est inséré dans le présent et que le tiers actantn'est qu'une projection du prime actant (26).

Faire de cet actant un centre organisateur du discours nousconduit en quelque sorte à réduire notre visée ou à adopter lasienne. Pour reprendre une expression familière à Merleau-Ponty, jedirai que notre problème est maintenant d'observer le «champ de

 présence» du prime actant et son étendue. Je présenterai troisexemples qui, à l'analyse, devraient mettre en lumière le rétrécissement relatif de ce champ et, simultanément, le passage de l'actantsujet à l'actant non-sujet. Suivons d'abord une remarque de G.Bachelard concernant le «dynamisme de pensée». Un prédicatcomme /comprendre/, qui condense un ensemble de procèscognitifs, dispose d'une double orientation avec déséquilibre àdroite, vers le futur. D'un côté, /comprendre/ «résume un passé dusavoir»; de l'autre, /comprendre/ est «l'acte même du devenir de

l'esprit». Comme l'explorateur, le sujet épistémique a sa ligned'emprise. Adossé à un savoir acquis et confiant dans sa «pensée progressive» ou «discursive» (une valeur de rapidité est attachée àla réflexion), il se porte là où il se saisira d'un nouveau savoir.«L'élan inductif est le vecteur même de la découverte», dit-ilencore. Le devenir, lorsqu'il est associé au futur, au lieu de l'être au présent, au passage, alimente aisément la foi. Bachelard sur ce pointest hégélien tout comme Nietzsche. Je ne reviendrai pas là-dessusmais j'insisterai plutôt sur le bornage du champ de présence et la

relation du sujet au monde qui lui est propre. Réintroduire la notionde bornage n'implique pas d'ailleurs une mesure de l'espace (et unretour par cette voie au temps spatialisé); il s'agit  en fait de marquerla double limite du déploiement temporel imposée au sujet épistémique, et, ce faisant, de se prémunir contre les vues réductricesd'une intentionnalité conçue comme unidirectionnelle.

(25 )  « Saint Augustin », Les Dossiers H, Paris, éd. L'Age d'Homme, 1988.(26) Benveniste le souligne : «insérer» ne veut pas dire «situer» : «Autre

chose est de situer un événement dans le temps chronique, autre chose de l'insérerdans le temps de la langue », 1965, p. 73.

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En postulant le primat de la perception et donc en se situant à

un autre niveau de l'analyse phénoménologique que Bachelard,Merleau-Ponty lui fait écho tout en précisant les conditions del'expérience : c'est le corps, «mon corps», qui sert maintenant deréférentiel. Il tient les choses en cercle autour de lui : «dans chaquemouvement de fixation, mon corps noue ensemble un présent, un passé et un avenir, il secrète du temps, ou plutôt il devient ce lieu dela nature où, pour la première fois, les événements, au lieu de se pousser l'un l'autre dans l'être, projettent autour du présent undouble horizon de passé et d'avenir et reçoivent une orientation

historique» (27). L'acte de comprendre engage un horizon de passéet un horizon d'avenir, et il revient au corps d'exercer une fonctionde connaissance.

 Nous voilà déjà à pied d'oeuvre pour examiner le deuxièmeexemple, extrait comme le suivant de l'œuvre de Marcel Proust, àlaquelle il n'est guère surprenant que Merleau-Ponty recoure volontiers. Lorsque le corps se déplace - mais il suffit que le regard bouge- les formes se modifient, les volumes se transforment. Les objets perdent leurs contours et leurs priorités. Ils entrent dans le monde

des qualités sensibles, instables et souvent impalpables. Ils échap pent à la saisie immobilisatrice, fût-elle seulement perceptive. Telleest l'expérience décrite par le narrateur lorsque, le dimanche, suivant ses parents «qui portaient leur paroissien», il allait de l'entréede l'église à la chaise qui lui était réservée. L'ancien sire de Guer-mantes, tel qu'un vitrail le représentait, - «ma croyance en Gilbertle Mauvais m'avait fait aimer Madame de Guermantes» -, semétamorphosait au gré d'un rayon de soleil et de son avancée dansla nef, pareille à « une vallée visitée des fées » : « il passait du vert

chou au bleu prune, selon que j'étais encore à prendre de l'eau béniteou que j'arrivais à nos chaises». La variation des formes, imposée par l'action sensible du temps (vu de l'extérieur, Gilbert n'était quelaque noire) fait perdre au monde des Guermantes sa stabilitésubstantielle et confère à leur «personne ducale» plongée dans le passé mérovingien, une manière d'immatérialité. Le balayage del'œil, sans mouvement du corps, produit même des effets de«transmutation». C'est ainsi que, par exemple, grâce à la robe deFortuny portée par Albertine (Fortuny était un «artiste» vénitien),

(27) M. Merleau-Ponty,  Phénoménologie  de la perception,  Paris, Gallimard,1945, p. 277.

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Marcel réalisait son voyage à Venise. Sous ses yeux en effet, l'étoffe

miroitait et, «au fur et à mesure que [ s ] on regard s'y avançait»,le bleu profond «se changeait en or malléable, par ces mêmestransmutations qui, devant la gondole qui s'avance, changent enmétal flamboyant l'azur du Grand Canal» (28). Pour le sujet qui toutà la fois enregistre et provoque la déformation continue des objets,l'homologie est claire : l'univers de Venise est comparable à celui deGuermantes, comme la robe de Fortuny l'est au vitrail de Gilbert(29).  Par ailleurs, c'est dans le  devenir-présent   que se produit l'altération progressive de l'objet (et, implicitement au moins, la modi

fication correspondante du sujet). Ce temps n'est autre que celui dela «pure durée», décrit par Bergson, composé de «changementsqualitatifs qui se fondent, qui se pénétrent, sans contours précis,sans aucune tendance à s'extérioriser les uns par rapport aux autres,sans aucune parenté avec le nombre». A l'inverse du temps chronique qui est homogène et donc mesurable, celui-ci est «hétérogénéité pure» (30).

Il y a une autre manière d'accéder à la « pure durée » que par la perception des couleurs. Si nous prenons comme référentiel le temps

chronique, nous dirons que l'expérience est quasi instantanée. Leschangements de forme sont évidemment éphémères. Mais le pro blème n'est pas là. Ces moments, aussi brefs soient-ils, échappent, parce qu'ils sont qualitatifs, à toute mesure. C'est encore ce que nousenseigne le leitmotiv de l'histoire de la «madeleine». Le  voir  quiétait en action dans l'expérience du vitrail ou de la robe cède la place au  toucher.  Les deux modes perceptifs bénéficient d'un régimetemporel différent, comme si l'expérience corporelle était plus profondément engagée dans le toucher que dans la vision. Marcel le

note en une phrase : la vue de la petite madeleine ne lui avait rienrappelé avant que la gorgée mêlée des miettes du gateau n'eût touchéson palais. Le corps, il est vrai, enferme «dans mille vases clos» les

(28) M. Proust,  A la  recherche  du temps perdu,  Gallimard, Pléiade, 1954, I,171-172, 899; III, 394.

(29) J.P. Richard, après avoir noté le «charme qualitatif» de cette robe à« l'incertitude colorée», analyse ainsi les transmutations de l'objet : «l'eau-azurde Venise devient   substantiellement un flamboiement de métal, tout comme le bleu profond de la robe devient  or malléable, et, à la limite, tout comme la robe devientelle-même l'azur du Grand Canal», in Proust et le monde sensible, Paris, Le Seuil,1974, p. 126.

(30) H. Bergson,  Essai sur les données immédiates de la conscience, Paris,P.U.F., 1946, p. 77.

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 propriétés substantielles des choses, ainsi, leur saveur. Et cette

sensation-là reste, «à [ son ] rang», «dans l'attente» de l'occasionqui la rendra de nouveau «réelle». Le moment peut ne jamais se présenter, mais s'il advient, une expérience concrète s'enclenche.Concrète, «matérielle parce que l'impression est entrée par nossens», précise le narrateur. Alors, comment s'effectue le raccordement entre ce qui, dans le temps chronique, correspondait à deuxinstants distincts ? Les conditions de succès sont claires. Il fautd'abord que «la minute présente» et le souvenir soient totalementdisjoints, aucun chaînon ne doit exister entre eux. Le souvenir est

donc «resté à sa place, à sa date (...) il a gardé ses distances». Pourqu'il monte à la surface et, au moment où commence le déplacement,il n'est pas encore identifié, il faut qu'il soit soumis à une forced'attraction. Le narrateur-témoin est explicite : «Je sens tressailliren moi quelque chose qui se déplace, voudrait s'élever, quelquechose qu'on aurait désancré, à une grande profondeur; je ne sais ceque c'est, mais cela monte lentement; j'éprouve la résistance et

 j'entends  la rumeur des distances traversées». Le signe que le corpsa réussi la jonction, c'est «la puissante joie» qui l'anime tout à coup

sans que soit donnée en même temps «la notion de sa cause». Aussitôt se placent autour de lui la chambre de sa tante Léonie (qui, la première, lui avait offert la madeleine trempée dans son infusion) et«à sa suite tout Combray, et ses deux côtés». Marcel, pour ainsidire,  accrédite par avance la définition de Merleau-Ponty : «Percevoir, c'est se rendre présent quelque chose à l'aide du corps» (31).

 Nous revoilà au couple présent/présence. Ces moments exceptionnels, ce sont des «fragments d'existence soustraits au temps».L'opération même, opération d'attraction que le corps, le corps

 propre, a menée à bien, n'est pas à mettre au compte d'un actantsujet. En fait, tout se passe en dehors de lui. Il est incapable de«résoudre l'énigme du bonheur» qui lui est proposé. Seul un non-sujet, soustrait à une structure de jugement, peut couvrir ici unesituation ou «un être extra-temporel [ jouit ] de l'essence des

(31) M. Merleau-Ponty,  Le Primat de la perception et ses conséquences philosophiques,  Cynara, 1989, p. 104.

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choses». Ce type d'actant subsume le «vrai moi». Lui seul est

capable de ressentir «la joie du réel retrouvé», d'éprouver lasensation «à la fois dans le moment actuel et dans un momentéloigné jusqu'à faire empiéter le passé sur le présent». Au vrai,ajoute Marcel, «l'être qui alors goûtait en moi cette impression lagoûtait en ce qu'elle avait de commun dans un jour ancien et maintenant, dans ce qu'elle avait d'extra-temporel, un être qui n'apparaissait que quand, par une de ces identités entre le présent et le

 passé, il pouvait se trouver dans le seul milieu où il pût vivre, jouirde l'essence des choses, c'est-à-dire en dehors du temps». C'est au

non-sujet, à cette instance anté-assertive, qu'il revient «d'obtenir,d'isoler, d'immobiliser - la durée d'un éclair - ce que [ le sujet ]n'appréhende jamais  : un peu de temps à l'état pur».

Comme il arrive chaque fois que l'attention se porte sur des phénomènes de langage, il n'y a pas de solution unitaire. Il va de soique mes propositions n'invalident en rien les descriptions antérieures. Question de point de vue et aussi différence de champ épis-témologique. La prévalence de l'aspect contre le temps a eu sa raison

d'être. Les travaux de la sémiotique objectale et narrative ont bienmontré à l'époque structuraliste l'intérêt de ce choix. On en voitmieux aujourd'hui les limites. Comment contester, par ailleurs, la justesse de la démarche du linguiste subsumant la temporalité sous lacatégorie dite « aspecto-temporelle » ? A l'examen des languesnaturelles, les notions de temps et d'aspect paraissent en effet inextricablement liées. Pourtant, la temporalité linguistique ne se réduit pas aux propriétés du temps chronique et de l'aspect; telle est laleçon qu'il faut maintenant rappeler. On peut risquer ici une ana

logie. De même que l'espace est homogène ou hétérogène selon qu'ilest euclidien ou non euclidien, de même le temps est homogène sil'on se réfère aux propriétés du temps chronique et de l'aspect, ethétérogène si l'on se réfère aux propriétés du temps linguistique. Unespace hétérogène est déterminé par les corps qui s'y trouvent; untemps hétérogène, par les instances qui gouvernent le discours. Noussommes confrontés, par exemple, à un temps asymétrique si l'instance discursive valorise le passé ou le futur (cas du tiers actant); àun temps non fléché ou à double orientation , à « double horizon de

 passé et d'avenir», selon la formulation de Merleau-Ponty, ouencore qualificatif, de «pure durée», si l'instance discursive estcentrée sur le présent (cas du prime actant, sujet ou non-sujet).

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C'est sans doute en allant du non-borné (impliqué par l'analyse

de l'aoriste en grec ancien) au devenir-présent, cette forme ducontinu, qu'on avait une chance, en définitive, de résoudre le problème posé dans la  Phénoménologie  de la perception  : «Le tempsconstitué, la série des relations possibles selon l'avant et l'après, cen'est pas le temps même, c'en est l'enregistrement final (...). Il doit yavoir un autre temps, le vrai, où j'apprenne ce que c'est que lepassage ou le transit lui-même» (32).

Jean-Claude COQUETUniversité de Paris VII

(32) M. Merleau-Ponty,  Phénoménologie  de la perception,  Gallimard, 1945,pp. 474-475.

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HORS COLLOQUE

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Michel Colin s'était engagé à participer au colloque «Le Discours

aspectualisé». Sa mort accidentelle a à la fois empêché ce projet

de se réaliser et interrompu le texte qu'il avait commencé à cette

occasion.

Logique d'intervalle

et relations temporelles

dans la bande-image

I. Introduction

On a souvent remarqué, Metz notamment, que les relations

temporelles au cinéma étaient principalement construites, contrai

rement à la langue, sur la base de relations parataxiques, que la

bande-image était relativement pauvre en ce qui concerne les opé

rateurs formels marquant des relations de dominance comme lesrelations de cause à effet ou les relations de succession ou de simul

tanéité temporelles. Cela ne veut bien entendu pas dire que le « lan

gage » cinématographique est plus « pauvre » que le langage verbal

par rapport à l'expression de ces relations, mais plutôt que le spec

tateur a une compétence « cognitive » lui permettant d'associer à ces

relations parataxiques de plans des constructions sémantiques

beaucoup plus riches.

Dans la mesure où un film dure un certain temps et où il est

constitué d'un certain nombre de plans, dont la première propriété

est qu'ils sont un intervalle continu d'une certaine durée, la première

définition qui vient à l'esprit est celle qui consiste à dire que le film est

une succession d'intervalles temporels. Comme à la fin d'un plan il y a

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le début d'un autre, on peut ajouter que le film est un ensemble de

plans qui se touchent : la relation primitive d'un film est la relation de jonction (JOINT). Autrement dit entre un plan n et un plan n+1 il

n'existe pas d'intervalle temporel tel qu'il soit un  plan.  Par ailleurs,

comme le montre d'ailleurs la question des raccords dans le  mou

vement dont il sera question tout à l'heure, le point dénotant l'instant

correspond à la fin du plan n est différent de celui correspondant au

début du plan n+1; autrement dit, les plans sont des intervalles

fermés.

L'interprétation sémantique d'un film présuppose bien entendud'autres relations temporelles. Les intervalles (diégétiques) dénotés

par les plans peuvent se chevaucher ou être disjoints. Le problème

est alors de savoir comment expliquer la relation entre ces construc

tions sémantiques et la structure du  film.  Ainsi, pour prendre un

premier exemple tout à fait simple, si un personnage sort du champ 1

et dans le plan suivant entre dans un champ 2 dont rien ne permet de

dire qu'il est inclus ou adjacent au premier, on peut penser que le

spectateur considérera que les intervalles temporels dénotés par ces

deux plans qui se touchent sont disjoints. On reconnaît ici un cas dece que traditionnellement on appelle une ellipse. Cependant les

choses sont un peu plus complexes. Ainsi, j'ai déjà montré par   ail

leurs (Colin, 1987) que dans  North by Northwest  le fait que Thornhill

soit représenté dans le plan 1 déjà en train de se raser et Eve déjà

en train de téléphoner dans le plan 2, qui touche le premier plan dont

la fin intervient tandis que Thornhill se rase toujours, signifie que les

événements «A se rase» et «B téléphone» se chevauchent.

On ne peut pas manquer de remarquer qu'en définissant le filmcomme succession de plans qui se touchent on ne rend pas compte

de phénomènes comme le fondu enchaîné ou le fondu au noir. En ce

qui concerne le fondu enchaîné, on peut considérer que la relation

entre les deux plans est de chevauchement. Pour le fondu au noir, les

choses peuvent paraître un peu plus problématiques, puisque se

pose, bien entendu, le problème du statut du passage au noir : doit-on

le considérer comme plan ou non ? Cependant, dans la mesure où le

problème ici est d'expliciter les relations entre les événements dié

gétiques dénotés par les plans et les relations temporelles entre lesplans qui les dénotent, il suffira de considérer qu'alors les plans en

questions sont disjoints.

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II. Les relations entre intervalles

Soient les intervalles X et Y, on représentera les relations pos

sibles entre eux par le tableau suivant (Tsang, 1987 :64 ) :

relation symboles leur inverse relation temporelle

avant

 joint

chevauche

co-start

égal

inclus

co-finish

<

m

0

s

d

f

>

mi

oi

si

di

fi

YYYYYY

XXXX

XXXXXXXX

XXXXXXXXXXX

XXX

XXXXXX

XXX

XXXX

Il n'est  pas difficile de trouver des exemples filmiques permettant

au moins d'illustrer quelques-unes de ces relations. Ce que Metz

appelle la séquence correspond à < et ce qu'il appelle la scène à m.

Dans le syntagme alterné si X et Y ont des débuts et des fins diffé

rentes il y a alors chevauchement, s'ils ont même début (s), même fin

(f) et les deux (=). Pour ce qui est de l'inclusion, on pensera, bien

entendu, à l'insert ou aux séquences «subjectives», par exemple.

En ce qui concerne les relations entre les plans représentant les

événements, elles ne peuvent être que < (fondu au noir), m (coupe

franche) et o (fondu enchaîné). Le problème maintenant est, bien

entendu,  celui de la correspondance entre une structure sémantique

(diégétique) et une structure symbolique (filmique). Or, ce  n'est  pas,

par exemple, parce que le plan 2 chevauche le plan 1 qu'il y aura

chevauchement temporel entre l'événement dénoté par 1 et celui

dénoté par 2; ainsi, dans une séquence au fondu enchaîné pourra

correspondre une relation temporelle de disjonction. Par contre, si on

a fondu enchaîné avec passage au rêve, on aura chevauchement.

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Je n'aurai pas la prétention ici d'expliciter l'ensemble des cor

respondances entre structures symboliques et structures sémantiques, j'essaierai d'abord d'en rendre compte en ce qui concerne une

structure < P1, <> et une structure E correspondant au raccord par

le mouvement, c'est-à-dire au trajet d'un personnage.

III. Un exemple  : le raccord dans le mouvement

Etant donné un personnage se déplaçant par exemple de gauche

à droite et réapparaissant toujours en mouvement dans le plan  suivant, les raccords possibles peuvent être considérés comme

dépendant d'un premier paramètre : le personnage est-il dans le

champ à la fin du plan ? Est-il déjà dans le champ au début du plan

suivant ?

Le raccord dans le mouvement n'implique donc pas seulement

une relation entre intervalles, mais une relation entre points. Ainsi, la

façon même dont les techniciens explicitent le raccord dans le

mouvement en est un exemple : le point correspondant à  l'état  du

mouvement à la fin du plan 1 doit être différent de celui correspondant à  l'état  du mouvement au début du plan 2. On remarquera

d'ailleurs que cette règle est une excellente illustration du postulat de

Dedekind concernant la différence entre le continu et le discret

(dense) : diviser un mouvement continu en deux intervailles (deux

plans) implique que ces deux plans aient deux frontières distinctes. A

partir de là, on peut d'ailleurs préciser que dans ce que Metz appelle

la scène, les plans sont des intervalles temporels adjacents ayant

des frontières distinctes, ce qui veut dire qu'il n'y a pas temps « con

tinu », mais temps « dense ».On peut résumer les différents raccords dans le mouvement de la

façon suivante :

(sortie de champ < fin de 1) et (entrée de champ > début 2)

(sortie de champ < fin de 1) et (In champ d 2)

(In champ d 1) et (entrée de champ > début 2)

(In champ d 1) et (In champ d 2).

Par rapport aux notions de point et d'intervalle, dans la première

ligne,  les relations sont entre points, dans la seconde, entre points

pour la première partie et entre point et intervalle pour la seconde,

pour la troisième, entre point et intervalle pour la première partie et

entre point pour la seconde, et enfin entre point et intervalle pour les

deux membres de la dernière ligne.

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Il reste, bien entendu, à savoir à quels types de relations

temporelles correspond  «et».  Avant d'examiner cette question, jerappellerai les contraintes sur R (x,y), où x et y sont des points ou

des intervalles, proposées par Tsang (1987) :

X Y relations possibles

intervalle

intervalle

pointpoint

intervalle

point

intervallepoint

( <  m o fi di s = si d f oi mi > )

(< fi di mi >)

(< = >)

(< m d f >)

On peut maintenant essayer de déterminer quelles sont les

relations temporelles entre les plans raccordés dans le mouvement.

Pour ce faire on commencera par rappeler qu'un plan est un inter

valle qui se termine en un point, la relation entre cet intervalle et ce

point étant alors fi. On dira bien sûr qu'il commence aussi en un

certain point; mais, si l'on suit Tsang, dans ce cas le point touchel'intervalle (m).

Dans la première configuration, le point qui correspond au début

du second plan précède celui correspondant à l'entrée dans le

champ; le problème est bien entendu de savoir si le point qui finit 1

peut être égal à celui qui commence 2. On appellera ces points f 1 et

d2, quant à ceux correspondant à l'entrée et sortie de champ, on les

appellera s et e; le mouvement peut être représenté par un vecteur.

On aura alors :

X XX X  >

s f1d2 e

et rien ne permet d'interdire que f 1=d2, mais s < e; autrement dit il y a

disjonction entre la fin du mouvement représenté danns 1 et le début

de celui représenté dans 2.

Dans la deuxième configuration, on aura alors s < f1 , mais e < d2:

X X X X  >

s f1 e d2

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On peut remarquer que rien n'interdit de placer e avant f1 , la

seule contrainte étant que f 1 < ou = d2 et que s < ou = e. On pourraitalors avoir :

XX XX >

se f1d2

La troisième configuration correspond à :

X X X X >

f1 s d2 e

où là encore f 1 < ou = d2 et s < ou = e, ce qui permet :

XX XX  >

f1d2 sePour la quatrième configuration, on aura :

X XX X  >

f1 se d2

où là encore s < ou = e.

On peut résumer tout cela de la façon suivante :

1) (s < f1) < (d2 < e)

2) (s < f1) m (d2 < e)

3) (s < f1) < (d2 > e)

4) (s < f1) m (d2 > e)

5) (s > f1) < (d2 < e)

6) (s > f1) m (d2 < e)

7) (s > f1) < (d2 > e)

8) (s > f1) m (d2 > e)

Si l'on se souvient que f1 et d2 sont respectivement la fin et le

début d'un intervalle temporel et que s et e sont respectivement

inclus ou non dans les intervalles 1 et 2, on peut alors avancer que,

quand s est inclus dans 1 et e dans 2, les intervalles sont fermés et

que sinon ils sont ouverts. En représentant un intervalle fermé par

<> et un intervalle ouvert par > < , on aura alors :

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1) — x > < x  >

s f1 d2 e

2) x >< x >

s f1d2 e

3) x > x > >

s f1 e d2

4) x x >> >

s e f1d2

5) < x < x  >

f1 s d2 e

6) << x X------->

f1d2 s e

7) < — x — x — > >

f1 s e d2

8) < >  >

f1d2

Il peut paraître y avoir un problème avec 8); cependant comme s

et e sont des points, on peut penser qu'alors s = e et que, dans ce

cas, il n'y a pas d'intervalle entre les deux plans (il n'y a qu'un instant,

sans durée). De même, en ce qui concerne 2), on peut dire de f 1 et d2

sont des points distincts, mais qu'il n'y a pas de durée entre les deux.

 Au sens strict, cependant, m ne tient que pour 4) et 6).

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L'utilisation des notions d'ouvert et de fermé peut paraître ici,

problématique, notamment en ce qui concerne 2) et 8). De fait, O.Bachler (1985), dans sa thèse, considérerait 2) comme succession

d'intervalles ouverts et 8) d'intervalles fermés. Le critère qu'elle  uti

lise  n'est  pas le même qu'ici; pour elle, 2) serait ouvert dans la

mesure où le mouvement ne s'arrête pas dans l'intervalle temporel du

plan et 8) serait fermé dans la mesure où le plan s'arrête avant la fin

du mouvement.

J'essaierai de montrer tout à l'heure que l'utilisation faite ici des

notions d'ouvert et de fermé permet notamment d'expliciter la rela

tion de chevauchement entre intervalles. Par ailleurs, le problème

soulevé par la formulation d'O. Bachler me semble être surtout lié au

fait que les relations temporelles construites dans les raccords dans

le mouvement impliquent l'interprétation de relations spatiales. Ainsi,

dans 2), si 1 m 2, l'espace dénoté par 1 doit être disjoint de celui

dénoté par 2. Autrement dit, si 1 et 2 sont interprétés comme joint,

c'est que quand finit 1 le personnage est interprété comme étant à un

point dans l'espace (hors-champ) correspondant à celui où il est au

début de 2 :

1 2

) x (

s  f1 =d2  e

Dans le cas de 8), le point dans l'espace correspondant à l'endroit où

est x à la fin de 1 (f1) est inclus dans le champ de 1 et appartient à

l'espace dénoté par 2 et le point dans l'espace où est x au début de 2

(d2) appartient à celui dénoté par 1. Du point de vue spatial, il y a

chevauchement entre 1 et 2 et le personnage  n'est  jamais hors-

champ. Si f 1 est interprété comme égal à d2, ou si tout du moins il n'y

a pas d'intervalle temporel entre les deux, il n'y a alors pas de points

s et e (de point correspondant à l'entrée et à la sortie de champ), on

aura alors :

2 1

( x )

d2 f1

Pour ce qui concerne 4) et 6), si les intervalles temporels sont joints,

e=s a un correspondant spatial qui est un point appartenant respec

tivement au champ de 2 et de 1.

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223

IV. Alternance et chevauchement temporel

Je n'ai pour l'instant parlé que d'intervalles et de points tempo

rels. Or, dans un film, à ces intervalles temporels, correspondent des

événements.

Pour commencer, je reprendrai l'exemple de North by northwest

évoqué plus haut, qui peut être résumé comme impliquant deux

événements : 1) Thornhill (T) se rase dans les lavabos de la gare; 2)

Eve Kendall (K) téléphone à Léonard (L) dans le hall de la gare. Le fait

que T soit déjà en train de se raser dans le premier plan de 1) et que

K soit déjà en train de téléphoner quand commence 2) signifie que

ces deux événements sont ouverts au début (n'ont pas de point de

départ explicité). Si l'on prend en considération que le premier plan

de 1 (pl1/1) précède le premier plan de 2 (pl2/1), on peut déjà

avancer que ce qui est représenté dans pl2/1 > le contenu de pl 1/1.

Mais, dans la mesure où, intuitivement, on dirait que T continue à se

raser pendant l'intervalle  pl2/1,  qui, de plus, étant ouvert dénote un

événement ayant déjà commencé, on aura alors chevauchement 1 o

2.  Autrement dit, à la configuration pl 1/1 m pl2 /1 est associéel'interprétation sémantique e1 o e 2 :

I l l

pl1/1 pl2/1

e1

e2

La relation entre ces deux représentations est maintenant relati

vement simple; pl 1/1 et  pl2/1,  en tant que plans ayant une certaine

durée filmique sont des intervalles fermés, interprétés comme

représentant des intervalles ouverts.

Michel COLIN

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Un principe monadologique

pour la

représentation des connaissances

1.  Je partirai de la considération que le monde du sens est compa

rable à un univers kaléïdoscopique toujours en mouvement, multipli

cité d'«éclats» : fragments, facettes, que l'on peut rattacher à divers

«être à définir»; j'emprunte cette conception diffractante du sens

aux univers mythologiques étudiés par Lévi-Strauss (1964-1971),

peuplés de tels êtres qualifiables par leurs aspects, leurs compor

tements, les statuts sociaux qu'on leur prête métaphoriquement (cf.

« le jaguar, maître du feu»).

1.1. Ces éclats (au sens où eidos  signifie en grec  aspect  et  forme)

constituent ce que j'appelle une « aspectualité», soit autant de

singularités liées caractérisant un objet ou phénomène.

Exemple : le « feu ».

Nous pouvons saturer le sens de ce phénomène au moyen des

singularités suivantes :

«flamme» «cendre» «étincelle, brandon, éclair» «ca lcina

tion » « substance inflammable » (bois, étoupe,...).

Tous ces aspects constituent ensemble une conjonction-

disjonction comme processus temporel, une présence virtuelle ou une

virtualité actualisable sous tel et tel de ses aspects.

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2.  Au phénomène signifié globalement correspond ainsi un groupe

ment de singularités signifiantes (cf. saillances perceptives) définiesdifférentiellement les unes par rapport aux autres. C'est  la formation

d'une  variation sérielle  à nombre limité d'états repérables, définis

sant une autonomie de fonctionnement : quelle que soit l'ampleur du

phénomène, son contexte (brasier, foyer, four), le phénomène passe

par un certain nombre d'étapes singularisables.

Cette classification par aspectualités, je l'appelle un  templum

comme lorsque les Anciens définissaient un principe de repérage

augurai en gauche et droite, haut et bas - principe d'un découpage

céleste, d'une fiction révélatrice d'un sens comme montage abstrait.

2.1 .  Voici comment je représente géométriquement ce  templum  :

cette variation sérielle est définie par la donnée de trois singularités

majeures.

Par exemple : « substance

«flamme - cendres»

inflammable ».

Ces trois singularités forment une opposition triadique (irréduc

tible à une binarité), semblable à celle que nous avons chez Ch. S.Peirce entre «index - icône - symbole», caractérisant variablement

le Signe.

On peut placer ces trois singularités aux extrémités d'un tríscèle

qui,  par dualité, donnent les trois sommets d'un triangle complémen

taire.

Par exemple : «étincelle, brandon - fumée - calcination».

Ces trois autres aspects sont médiateurs par rapport aux pré

cédents, le tout donnant la forme d'un hexagramme dans lequel le

sens des liaisons, comme consécution et/ou adjacence, est pertinent

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Ce schéma constitue un  spatium mental  basé sur des liaisons

associatives, ou implications faibles, du type  «si...  alors», non pasunique mais plurielle; non pas, si A alors B, mais, si A alors -B-C-D-,

tous ces aspects étant associables virtuellement.

Ce tout est défini par la donnée de deux termes complémentaires

(disons, et non ), comme lorsque le blanc subsume optiquement

toute espèce de couleur; ces deux méta-termes (puisqu'ils sont

supérieurs aux précédents) constituent  l'axe  catégoriel d'une varia

tion,  en étant son «caput variat ionis»; par exemple, «présence

ou absence de feu ».

2.2.  Ce schéma est aussi un principe d'atomicité de la signification

car je peux concevoir une pluralité de phénomènes cooccurrents : le

«feu» est associable à la «lumière» (terrestre et céleste; diurne et

nocturne), à la «chaleur»; il peut être circonscrit (foyer, four) ou non

(brasier, embrasement); il peut être objet d'une possession ou d'une

privation; il peut devenir un opérateur de médiation entre la Nature et

la Culture comme dans la cuisine, la métallurgie; inversement, le

«feu» peut être opposé à l'«eau», comme par ailleurs, il peut être

neutralisé dans l'enceinte du four du potier, fait d'argile, et renvoyantau complexe chtonien liquide et solide. Etc.

Nous obtenons dès lors un réseau associatif basé sur un jeu

d'inférences entre les divers aspects cooccurrents, non seulement au

sein d'un tern plum, mais entre plusieurs.

Un  templum  n'est  ainsi qu'une «entrée» dans une probléma

tique.

2.3. Ordonnons notre mode d'analyse :

Nous avons, à la base, une somme de templums comme autant de

variations sérielles locales, à caractère empirique par exemple;

comme topologie indépendante d'une quelconque forme d'association

entre eux.

Le réseau comme série associative par inférences de  templum à

templum,  comme  distributeur d'anaphoricité  (rappels, renvois par

présupposition, sous-entendus); cette notion sérielle de l'association

deviendra plus tard le «parcours thématique» caractérisant des

séries mythiques en tenants et aboutissants.

Prenons l'exemple du «jaguar, maître du  feu»;  ce personnage

associe un templum  «feu» avec un templum  «maîtrise» renvoyant

à la distinction entre «labeur» et «oisiveté» (posséder le feu

nécessite ou pas un travail), «domptage» et «ludisme» (maîtrise de

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TABLEAU 1

Règnes :

minéral - végétal - animal

Spécifiquement :

morphologie végétale

Différenciation végétale(arbres, fougères, mousses,...)

Couvert végétal Types de nuage

Latitude et altitude,

variation saisonnière

Pluie, évaporation

Terrestre/ céleste Reliefs :mont, vallée

bassin fluvial,

réseau hydrographique

rivière :

lit, morphologie de flux

2.3.2. Considérons toujours le thème du paysage décrit par le

tableau I; c'est  une description  (plus exactement : un ensemble de

«schémas descriptifs») qui présuppose la  définition  de ce qu'est

une classification, quelle que soit son domaine (ainsi de la distinction

première en «minéral, végétal, animal») :

- qualification des écarts différentiels (ce qu'opèrent les divers

tern plums);

- normalisation, ou calibration, ou régularisation, des individus

(objet ou phénomène);

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niale;  on peut tirer la métonymie comme relation de partie à tout,

d'exemplaire à classe. Des mécanismes de conformation et dedéformation d'entités (normalité, monstruosité), de totalisation et de

détotalisation corporelle (anatomique) et territoriale, la classification

spécifiant des espaces-temps.

Enfin,  en tant qu'échange entre Nature et Culture, Vie et Mort,

etc., elle exprime un rapport symbolique.

3. Nous venons d'établir une équivalence entre classification et

cognition : savoir c'est classer.

Ceci reste insuffisant tant que nous n'introduisons pas une

échelle d'instances (sous entendue auparavant) définissant un rap

port plus large, «modes d'action sur le monde», sous la forme des

registres :

description -fabrication

action - judication

instances narration

affabulation

La description est ce dont nous avons parlé auparavant comme

présentation phénoménologique du monde.

La fabrication relève par contre de l'élaboration d'artefacts :

«édification», «ameublement», «vêtement», «récipient», «outils»

(soit autant de  templums  comme «entrées» dans cette probléma

tique de transformation du monde).

L'action-judication (cf. la notion dénonciation au sens large)

constitue le pivot de cette hiérarchie d'instances; c'est par elle que

nous pouvons introduire le rapport attributif entre sujet et objet,

programme de quête et d'accomplissement que nous avons dans les

diverses analyses sémio-narratives; programme qui implique des

décisions, des évaluations alternatives, des révisions. Bref, d'un côté,

l'action-judication concerne un «socius» avec ses rôles, ses statuts,

ses institutions maintenant une pérennité; de l'autre, nous avons la

narration comme simulacre d'action (cf. un jeu théâtral) qui est

support d'une affabulation comme production de mondes imaginaires.

L'expression «affabulation» fait songer à l'illusoire, au peu

crédible; bref, aux yeux du sens commun, synonyme de fausseté.

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Ce n'est pas dans ce sens que nous l'évoquons : le mythe forme

la parole de cette affabulation comme « mise en scène » de la sociétéet du monde, «représentation» que les hommes se donnent à eux-

mêmes; on peut parler à ce propos d'une  mimesis  comme effet de

reverbération entre le monde naturel et la société humaine délivrant

dans un jeu de congruences entre leurs éléments respectifs les

assertions de croyance.

Prenons l'exemple fameux de la phrase «les Bororos sont des

aras» qui fit couler tant d'encre sur l'absence d'un quelconque  prin

cipe logique; phrase que nous traiterons non pas comme une propo

sition logique mais comme un micro-univers de sens.En fait, ce qui met ces noms en équivalence, c'est d'un côté le

plumage, de l'autre la parure (faite des plumes du volatile) et seuls les

hommes en sont les détenteurs (mais non les femmes). L'oiseau

représentant également une incarnation au-delà de la mort, on peut

donc dire que l'homme Bororo, à rencontre de la femme, a une âme

comme principe de cette réincarnation; il est du côté de la Culture

(parure, société des âmes) alors qu'elle est du côté de la Nature.

On pourrait toujours ajouter que s'opère finalement une mysti

fication idéologique comme identification de l'homme et de l'animal (cf.Bororo = ara) redonnant à la phrase son sens confusionnel comme

dans la transubstanciation chrétienne (cf. pain et vin = Jésus-Christ).

Revenons au sens de notre analyse : tous ces rapports peuvent

prendre place dans autant de  templums  qu'il est nécessaire : «pa

rure vs nudité vs suaire», «bipède vs quadrupède vs poissons»,

« incarnation vs augure vs deuil », etc., je dispose ainsi actuellement

de plus d'une centaine de  templums  permettant de reconstruire une

certaine représentation du monde.

Indépendamment de cette forme équative imaginaire, l'affabula

tion est aussi indissociable d'une spéculation théorique portée sur la

nature des éléments, leur statut causal. C'est le sens expérimental du

mythe comme questions soulevées et réponses apportées faisant

dire à Lévi-Strauss que cette parole mythique comporte une ratio

nalité semblable à la nôtre mais traduite dans des termes distincts. Le

mythe est un  experimentum  intellectuel spéculant sur les qualités,

les formes, les rapports antithétiques. Nous retrouvons là le thème de

la classification en lui ajoutant le sens d'une origine et d'une fin, d'une

familiarité et d'une étrangeté (cf. mondes de Tailleurs) qui font de ce

mythe un jeu symbolique comme situation de l'homme dans le monde.

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4.  Conclusions

J'aimerai terminer cette présentation sur la nature du  templum,pierre d'angle de cet édifice.

Il est semblable à la monade leibnizienne comme atome (au

tomate, cellule) défini de manière autonome tout en présupposant un

ensemble sous-jacent dans lequel il prend place pour être interpré

table; nous l'avons constaté à propos de la notion de «paysage».

Les écarts différentiels sur lesquels il fonctionne - qu'ils relèvent

d'une aspectualité ou d'une axiologie - ne sont pas semblables au

fonctionnement des traits distinctifs figés dans des matrices taxino-

miques se rapportant à la définition d'un lexique. Si nous avons bienun dictionnaire de  templums,  ce n'est pas tant l'aspect énumératif et

arbitraire des entrées lexicales qui importe que leurs renvois mutuels

des uns aux autres. Cette circularité sous-jacente, ce «jeu du

dictionnaire» présenté comme définitionnel mais qui est en fait

interprétatif par rapprochement, correspond bien à un principe

monadologique que nous opposerons ici à un principe génératif (1) :

alors que dans ce dernier on opère à partir d'axiomes premiers

développés par règles de dérivation, puis des règles de conversion

de niveau à niveau, cheminant ainsi du simple au complexe (ou duprofond au superficiel), dans le premier, nous avons une totalité

donnée d'emblée (dont nous ne nous soucierons pas du mode

d'émergence) et c'est à partir de cette multiplicité active et passive

qu'un réseau d'inférences peut être établi selon les niveaux d'instan-

tiation exposés auparavant.

Notons à leur sujet qu'il ne s'agit pas d'une hiérarchie mais d'une

hétérarchie puisque «description» et «affabulation» peuvent se

boucler l'un sur l'autre.Si dans le principe génératif le problème central est celui de la

conversion de niveau à niveau (avec l'enrichissement que cela pré

suppose à chaque passage : d'où vient-il, puisque le contexte ne peut

intervenir?), dans celui d'une monadologie, nous rencontrons le pro

blème d'une  divergence  au sens où la totalité étant donnée, du

nouveau apparaît à son insu. Sinon, il n'y a pas d'événement; rien ne

bouge, au sens où le temps n'est qu'une reproduction intégrale. C'est

(1) Je dois à la grande perspicacité de J.F. Bordron de m'avoir ouvert les

yeux sur cette différence fondamentale entre principes monadologique et génératif

(Bordron, 1982). Qu'il en soit ici vivement remercié.

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sans cesse dans la recherche d'une harmonie, d'un accord/ désac

cord nécessaire que se maintient l'ensemble du réseau sous tension.De ce point de vue, la contradiction n'est pas un défaut mais le pivot

mobilisateur d'une dialectique - aspect caractéristique des mythes

qui ont à résoudre des contradictions sociales - ou bien de la classi

fication, dont l'envers est une monstruosité.

En conclusion, la notion de  templum  mobilise les fonctions  sui

vantes :

-  fonction heuristique  comme recherche et stigmatisation d'undomaine restreint de connaissance que l'on associera à d'autres par

pavage; le  templum  comme jeu de contraintes oblige à apparier des

termes dont la position (non permutative) les définit différentiellement;

-  fonction herméneutique,  comme mise en rapport, rap

prochement congruent ou incongru dans la notion de «parcours

thématique» (série de  templums  transformant un ou des rapports

isotopes);

-  fonction symbolique  comme confrontation entre la structure

sociale et la structure mythique où l'on retrouve les principes d'une« vision du monde » comme savoir et légitimation d'un état de chose.

Pierre BOUDON

Université de Montréal (Canada)

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