une semaine dans un camp de nudistes - naturisme.be peeters - une semaine... · cette femme avec...
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En 2009, le reporter Marnix Peeters a passé une semaine dans un camp
naturiste dans le sud de la France, La Sablière.
Avec beaucoup d’appréhension :
- Surmonteriez-vous l’embarras ?
- Est-ce agréable d’aller nu au restaurant ?
- Et tout autour de vous cette vérité « toute nue » ?
Nous avons demandé à Marnix Peeters si nous pouvions placer son article sur notre site.
Pourquoi ? Car nous, en tant qu’organisation, trouvons que cet article est une très belle
représentation de sa première expérience naturiste et que lui-même la considérait comme, en
toute modestie, l'un des points forts de sa carrière dans le journalisme.
Son intention était, tout en écrivant un reportage, de confronter ses propres préjugés à la
réalité, avec ce chef-d’œuvre comme résultat.
Une semaine dans un camp de nudistes
Partie 1 : les blagues, les préjugés.
J’écris ceci sur un parking d’autoroute le long de l’A6, dans les environs de Lyon. Je suis en
route vers Saint-Privat de Champclos, un village au niveau de la rivière de Cèze, au Sud de la
France, à peu près là où la Provence devient l’Ardèche. Magnifique ces champs de lavande en
pleine floraison en ce moment.
Seulement, je suis aussi en route vers le Sablière, longuement dit Le domaine de la Sablière,
un des plus grands camps de naturistes en Europe. Et je ne suis pas à l’aise.
Pourtant l’idée est venue de moi-même, pendant une réunion de reportages d’été. Je voulais
trouver un sujet similaire à Lourdes, l’année passée. Tout le monde s’y connait, tout le monde
a son avis prononcé mais presque personne, ayant un avis de ce genre, n’y a été. Lourdes m’a
surpris. Certes, c’est une foire française et un commerce, et je ne crois pas à la vierge, mais
après une semaine dans les Pyrénées, j’ai vu d’autres choses : énormément de solidarité, et
l’engagement de ces personnes, mon dieu ! Et si vous arrivez à surpasser les bigoteries, cette
foi rayonne quelque chose qui vous laisse sans voix. Ces milliers de gorges nécessiteuses qui,
avec leurs bougies tremblantes, roulaient et boitaient à travers cette plaine, chantant « Avé,
avé Maria ». Ça c’était de l’énergie, de l’énergie positive, et en fait je n’avais, malgré mon ton
sarcastique, qu’une conclusion : le respect.
Maintenant je n’ai qu’une conclusion : « idiot que je suis ».
Je n’enlève même pas mon t-shirt quand il fait beau, par la force de l’habitude, mais sûrement
aussi à cause d’une certaine gêne. Je mets un bon grand maillot de bain pour aller à la piscine.
Les jours où je jouais au foot avec les gars, j’étais le premier à rentrer et à sortir de la douche,
l’essuie bien autour de la taille. C’est bien ça qu’on nous apprend en étant petit ? En tant
qu’enfant, nous passions tous par la phase où nous enlevions notre slip quand cela nous
chantait, de préférence avec le plus de tantes et d’oncles possible dans le public ou même,
monsieur le curé.
Mais les mots sortirent plus vite que prévu pendant cette réunion et tout le monde hocha la
tête, bien que ricanant, d'un air approbateur, et voilà que quelques jours plus tard ce fut écrit
sur la liste d’été : une semaine chez les nudistes. Il n’y avait, sauf maladie ou accident, pas de
chemin de retour.
C’est amusant ! Voici le top 3 des blagues qui suivirent. La3 : ‘Fais en sorte de garder ton GSM dans ta poche
pour rester joignable’ La 2 :’J’espère pour toi que tu ne devras pas trop te faufiler dans la
foule pour arriver au buffet du soir.’ Et l’incontestable numéro 1, les blagues du barbecue :
‘Fais gaffe aux étincelles’, ‘Ne te mets pas trop près’, ‘Ne renverse pas ta sauce’ et ‘Mets la
bonne saucisse sur le feu !’. Tant de soutien. Vraiment.
Pour se promener nu, il faut un permis. Je ne le savais pas, chaque fois que je voulais réserver
par internet, je tombais sur une case non remplie « prière de compléter : n° de membre ». Ce
que je n’ai pas.
Il se trouve que ce n’est pas évident d’en obtenir un. Il faut, en tant que nouveau venu, être
nommé par une personne déjà membre, et je ne connais personne dans mon environnement
que je pourrais suspecter de pratiquer un tel loisir.
Cela me donnait espoir. J’ai informé le rédacteur en chef de cette difficulté, de cette presque
impossibilité, que c’était un monde fermé et difficile à pénétrer. Sa réponse- « Fais de ton
mieux »- ce fut court mais clair.
L’examen pratique La réponse de Paul Lambrechts, président de l’association Belge des naturistes Athéna, a brisé
tout espoir… : à condition d’un entretien d’admission, où on m’expliquera les principes du
naturisme, j’aurais droit à une carte de membre temporaire sans problème. Nous avions
rendez-vous dans le domaine naturiste d’Ossendrecht, juste à la frontière des Pays-Bas.
« S’il fait beau », dit Paul, « Nous pourrions déjà entrer dans le parc. » Un examen pratique.
J’ai la boule au ventre.
Il faisait douze degré et il pluvinait, ce jour de mars, donc nous ne sommes pas sortis de la
cantine du domaine. Ce fut très instructif : le naturisme ne tourne pas forcement autour de la
nudité, mais plutôt autour du respect, respect pour la nature et son prochain, devenir un avec
son environnement, la tolérance, la dignité et la liberté. Ça ressemblait à quelque chose sorti
de la Révolution française. Cette femme avec son drapeau, cette Marianne, n’avait-elle pas
déjà les seins nus ?
C’est bien beau tout ça, mais la nervosité n’en disparut pas : quand j’approche la sortie 19 sur
l’autoroute vers Marseille, le dernier arrêt avant La Vérité, j’en ai l’estomac noué. J’arrive à
peine à profiter du paysage : ses magnifiques champs de lavande qui étaient en effet en pleine
floraison, les crêtes des montagnes ondulantes pleines de vignes, les immenses collines de
tournesols, ses dizaines de milliers de têtes jaunes qui regardent tous du même côté,
adorateurs du même Dieu. Dans les tournants les criquets chantent, il est bientôt 6 heures et la
chaleur pèse lourdement sur le pays, Charles Aznavour rêve une chanson sur 98FM, Provence
Local.
Aux nouvelles, ils parlent de tempête. Je me surprends à essayer tout pour reporter la
mission : s’il pleut, ou s’il y a de l’orage, on peut difficilement se promener nu, non ? J’aurais
encore le temps pour décider.
Idiots
Les routes deviennent de plus en plus étroites, jusqu'à ce que j’atteigne St-Privat par un
chemin de terre : une église, quelques maisons paraissent contre une crête, une croix en pierre
dans un champ, un corbeau guilleret qui marche au bord de la route.
Et un panneau indicateur vers le « domaine de La Sablière ». Trois étoiles. Rien, pas
d’indication, comme ‘uniquement pour les personnes nues’ ou ‘interdit aux personnes
habillées’. Peut-être que c’est un camp mixte- nu et non-nu- ce serait bien. Sur le dernier
panneau c’est indiqué : ‘exclusivement naturiste’.
A gauche du chemin commence le domaine : tous les cent mètres, un panneau ‘strictement
prohibé au public et aux non-membres’. C’est à ça que sert l’adhésion, selon les explications
de Paul Lambrechts : sinon il y a toujours quelques idiots qui viennent guetter, et qui ne se
soucient pas du naturisme mais qui veulent satisfaire leur curiosité. Ou dans le pire des cas,
les pervers.
Ne regarde pas Le chemin se termine devant une barrière. Je mets la voiture de côté, suit les flèches à pied, et
je rentre un peu plus tard à la réception. Je dois attendre quelques instants. Une femme qui a
un problème avec la chaudière dans sa maison de vacances me précède. Elle s’éteint toujours
après une minute et l’eau de la douche devient glaciale, dit-elle. C’est embêtent.
J’observe les posters sur le mur, des activités que le domaine propose : du tennis de table à la
parapente. J’étudie les tarifs de séjour : 700 euro pour une semaine, 600 en basse saison.
Ustensiles de tennis de table peuvent être obtenus au restaurant. Je caresse le vieux chien
fragile qui est couché dans le coin, il geint doucement et secoue ses épaules. Je feuillette dans
un dépliant à propos du Pont St-esprit, proche d’ici. J’essaie de toutes mes forces de ne pas
regarder la femme qui se plaint de sa chaudière. Elle est, mis à part son énorme chapeau en
paille, toute nue.
Partie 2 : le baptême Le réceptionniste est habillé- quel soulagement, c’est plus facile pour communiquer. « Votre
carte de membre ? » demande-t-il. Je la donne de manière étourdie- je ne voudrais pas paraître
trop nouveau, mais la carte est évidemment très nouvelle, le plastic brille encore.
Je paie 20 euro de caution pour une carte magnétique pour ouvrir la barrière, je reçois la clé
de ma cabine et une carte du domaine.- « la piscine se trouve ici et là, le supermarché »,
m’indique le sympathique jeune homme avec un marqueur. « Vous allez devoir vous
dépêcher si vous voulez encore faire quelques courses, car il ferme à sept heures. » « Et vous
devez encore vous changer. » rajoute-t-il avec un clin d’œil. « Ah oui », dis-je, et il remarque
mon embarras. « Première fois ici ? », demande-t-il. « Ici oui », dis-je. Dingue comme l’être
humain ne veut pas paraître comme un amateur, même pas dans un camp de nudistes.
Se changer Je me perds pendant un bon bout de temps dans les petits chemins du domaine de 62 hectares,
bordé de petits chalets et bungalows en bois, à moitié caché dans la verdure. C’est
remarquablement calme, je ne croise personne, parfois j’entends quelques voix et rires dans
les buissons. Quand j’atteins enfin « Châtaignier numéro 3 », il est sept heures moins le quart.
Trop tard pour faire des courses. Heureusement, car je n’osais pas lui demander si dans le
supermarché, c’est avec ou sans vêtement. Je suppose avec. Quand il a dit ‘se changer’, il
voulait sûrement dire, mettre quelque chose de propre après un long trajet dans cette chaleur.
J’ai encore un bout de pain tartiné de Caprice des Dieux, et j’ai pris une cuvée de rosé ; après
8 heures de trajet, le vin est chaud, mais avec un glaçon, le tour est joué. Je m’installe sur la
terrasse de ma petite maison. Je vais approfondir le fascicule d’informations.
En infraction Ça commence avec quelque chose du Mouvement sans Nom ( ??). Je cite : « Cher visiteur, la
vie naturiste c’est éprouver sa propre liberté. Si vous vous sentez à l’aise dans votre peau,
vous vous sentirez plus libre envers autrui. Personne ne vous juge, d’ailleurs, personne ne
vous regarde. Cette sensation de liberté est indescriptible, il faut la ressentir. Le plaisir de se
promener nu, se sentir libre, sans gêne, sentir le soleil sur son corps, ou les caresses du vent et
de l’eau, profiter du calme, l’environnement, la vie en elle-même, dans une ambiance de
naturalité, d’amitié et de chaleur. »
C’est très poétique tout ça, et les caresses du vent et de l’eau sont très attrayantes, mais une
phrase dans ce poème me dérange : « sans gêne ». Je porte encore tous me vêtements, et je
cours en rond comme un voleur en fuite.
A la prochaine page se trouve le règlement intérieur du domaine. ‘1. Accessibilité’,
‘2.Sécurité’, ‘3. Le bruit et le silence’ – après 22h le silence total est demandé, etc. ‘7.
Animaux’ – les chiens doivent être en laisse dans les environs de la piscine. Toutes des choses
acceptables. Et le point qui suit ‘8. La nudité’. « Quand la météo le permet, la nudité est
obligatoire sur le domaine de la Sablière. »
La tempête dont ils parlaient plus tôt aux nouvelles semble avoir pris un autre chemin, il est
sept heures et demi, le soleil provençal tape encore dans ma nuque, selon le thermomètre il
fait 27 degrés : je suis, selon moi, en flagrant délit. Et encore plus important : je croyais que
c’était un droit mais apparemment, c’est une obligation. Je reste encore longtemps dans ce
silence majestueux, je regarde autour de moi et je réfléchis. Apparemment, ma cabine est
éloignée et je décide que c’en est assez pour un jour ; le baptême sera pour demain.
Pas de pitié Il est huit heures quart du matin, le temps permet de suivre le règlement, notamment le point
8. Je suis devant le miroir. Je fais souvent du vélo. J’ai une tête, des bras et des jambes
bronzés. Sans les chaussettes, le pantalon et le maillot : ce sont des taches bien définies,
blanches comme la neige et archi laides. Je n’y ai jamais pensé ; normalement je porte un t-
shirt, même quand il fait chaud. Mais maintenant ? Ça va attirer l’attention. Ils vont me
démasquer comme ultime débutant, ils vont croire que je suis un voyeur, un amateur, un faux-
nu.
Pendant mon entretien d’admission, il y a quelques mois, avec Paul Lambrechts, le président
d’Athéna, je lui avais demandé quelques conseils pour commencer. Un plan. Sa réponse était
courte et consistait d’un pas : « Lances-toi. »
« Ne commence pas à hésiter », disait-il. « Il y en a qui commencent par mettre un petit short
le premier jour, puis un petit maillot de bain, puis ils mettent un petit essuie autour de la taille.
Ça ne marche pas. Choisis le chemin le plus rapide. Ça te causera le moins de problèmes. Car
les naturistes n’apprécient vraiment pas quand tu te promènes habillé, même si tu es un
amateur. Que ce soit clair : se promener en maillot dans un camp de naturistes est tout aussi
choquant que de se promener nu, une journée bondée, sur la plage à Ostende. »
Seulement pour les ados il y a une exception, pendant ses années où ils luttent avec leur corps
et leur identité. Et les femmes menstruées peuvent porter une culotte pour l’occasion. Pour les
journalistes effrayés : pas de pitié.
Rêve Et là, à neuf heures moins le quart, après beaucoup d’hésitations, je descends le petit chemin.
Un petit kilomètre jusqu’au supermarché. Je ne porte que des sandales, des lunettes de soleil
et un chapeau. Dans mon sac à courses j’ai un t-shirt et un short, pour des urgences en route,
et pour dans le magasin tantôt.
Après deux ou trois cent mètres, passé le virage, de loin, je vois un couple s’approcher.
J’essaie d’avoir l’air d’avoir plein d’expérience, l’allure nonchalante, je siffle légèrement
entre les dents. Mais je sens ces taches blanches brûler sur mon corps.
Encore trente mètres. Ils vont se moquer de moi. Ils vont me saluer gentiment, et quand je les
aurai passés, je vais les entendre ricaner- ‘Tu l’as vu ?’ Je me sens parfaitement idiot, avec
mon sac à courses ridicule, mon stupide chapeau et mes bêtes sandales Quechua.
On se croise, ils font un signe de la tête, je le leur rends, je dis nerveusement ‘Bonjour’ et
‘Guten tag’- on sait jamais qu’ils soient Hollandais. J’écoute attentivement mais je n’entends
pas de ricanements.
A force de m’approcher du centre, il y a de plus en plus de monde ; plusieurs voitures passent
avec des gens nus à l’intérieur, je les salue, pas trop abondamment, ils me saluent de retour.
Un jeune couple à pied, bien bronzé, je dis ‘Hallo’- plus international- et ils répondent
‘Bonjour’. Encore quelques passants. En fait, ça va.
Première conclusion : de quoi a-t-on peur à première vue, quand on se promène nu dans la
rue, c’est que les gens se moquent. J’y ai pensé pendant les premiers 300 mètres que j’ai fait :
c’est comme ce rêve où on arrive au boulot sans pantalon, ce qui assure la consternation. « Je
vais être le seul au village », pensais-je. « De gros éclats de rire et avec leur main sur leur
bouche, ils me pointeront du doigt, m’examinerons, et continuerons leur chemin en secouant
la tête. »
Rien de cela. Ce qu’ils disent dans la brochure – ‘Personne ne vous juge, d’ailleurs, personne
ne vous regarde.’, c’est tout à fait vrai. Personne ne matte monstrueusement les parties
intimes, personne ne mesure ou compare secrètement dans sa tête, personne ne hausse les
sourcils, se moquant ou même admirant. Quand j’atteins la superette, dix petites minutes plus
tard, je me sens déjà plus à l’aise.
Une question me trotte dans l’esprit : quand et où doit-on se changer pour faire ses courses ?
J’essaie de jeter un coup d’œil à l’intérieur mais avec ce soleil éclatant je ne vois presque rien.
Le type à la caisse porte un long pantalon et une chemise. Ma main va dans mon sac pour
attraper mon t-shirt au moment où un client quitte le magasin avec un poireau dans un sac à
pommes de terre nouvelles. Nu.
Partie 3 : Faire les courses Dans le magasin il y avait des femmes qui pesaient des tomates, qui comparaient les produits
de lessive, qui discutaient avec leur mari (qui était tout aussi nu) de ce qu’ils allaient manger
ce soir, et qui grondaient leurs enfants car il y avait assez de bonbons à la maison. Le seul
endroit où ce n’était vraiment pas agréable, c’était aux frigos. Même vêtu, ce n’est pas
agréable, alors nu, c’est carrément insupportable. Les chiffres de vol à l'étalage ne doivent pas
être très haut ici, me dis-je en marchant- ce n’est qu’une idée.
La crainte de moqueries, est déjà passée. Il semble que personne n’y prête attention. Et s’ils y
prêtent attention, ils font comme si de rien n’était. De retour du supermarché, il semble que le
bungalow à côté du mien ne soit plus vide, un couple avec deux petits blondinets se sont
installés. L’homme est venu bavarder- ce fut un long trajet, du haut de Leeuwarden jusqu’ici,
et ils ont eu du trafic à Anvers et du mauvais temps à Dijon, et sa femme ne sait pas conduire,
donc il a roulé tout le trajet. Si vous observeriez la scène objectivement - deux voisins tout
nus à bavarder avec leurs poings sur la hanche - vous éclateriez de rire.
Grande réflexion : y aurait-il encore dans le plus profond de notre cerveau, datant de très
longtemps, d’avant les peaux d’ours et les peaux d’animaux, quelque chose qui fait que nous
acceptions ceci comme naturel ? Sûrement.
Calculé Une grande insécurité reste quand même - c’était une des inquiétudes la plus souvent
exprimée et une des questions blagueuses les plus posées : ‘Et si tu rencontres quelqu’un que
tu connais ?’ Un voisin inconnu n’est pas si terrible, mais imaginons que je croise l’agent de
quartier, ou un collègue de la comptabilité avec un passe-temps secret, ou la voisine dont
j’emprunte un œuf de temps à autre.
Selon la FBN, la Fédération Belge des Naturistes, il y a dans notre pays environ 30.000
naturistes : donc un Belge sur 333. Cela semble beaucoup, mais un simple calcul me rassure :
des 333 personnes qui me sont proches ou non, il y en a une qui se promène nue comme loisir
et elle doit exceptionnellement se trouver ici, maintenant, en vacances et je devrais la croiser
dans ce grand domaine, dans le rayon des fruits et légumes, entre les poireaux et les patates :
je décide que cette chance est bien trop petite pour m’en soucier.
Le maçon a sa truelle, le policier a sa matraque, le naturiste a son essuie : il est attendu de
vous de toujours avoir votre essuie sur vous. N’importe où vous vous asseyiez, sur un tabouret
au bar, ou sur une chaise en plastique au bord de la piscine : mettez votre essuie. J’ai été en
acheter un petit chez Hema : des petits blancs, le format d’un derrière, sans trop de nervures.
J’avais mentionné pendant mon examen préparatif avec Paul Lambrechts qu’il pourrait aussi
être pratique pour masquer une situation gênante. Ma déclaration le surprit vu son regard.
« Vous remarquerez très vite », dit-il, « que cela ne se produira pas. Le naturisme n’a rien
avoir avec le sexe ou l’excitation. C’est ce que les gens croient : ils associent la nudité à
l’envie. Mais je n’ai vu que trois ‘situations gênantes’, dans ma carrière de 30 ans de naturiste.
Et il est effectivement facile d’y remédier avec un petit essuie. »
Malheureusement les camps de naturistes attirent aussi des gens frivoles, dit Lambrechts. « Et
alors il y a des excès dont parlent les médias, et que le grand public prend comme réalité et
généralise : Cap d’Agde est un village où ils sont devenus plus laxistes, qui a complètement
perdu la route, qui a grandi en un énorme parc du sexe. A Bredene, dans la partie nue, il
commence à avoir le même problème : des amateurs de sensations fortes, qui gâchent tout
pour tout le monde. »
Il est midi de ma première journée à La Sablière, le soleil est haut et brûle dans l’air
Provençal, et maintenant que cette promenade d’essai s’est bien passée, je continue ma
découverte. Je prépare un parcours sur ma carte près de la piscine et du bord de la rivière.
Mais d’abord, je dois m’enduire de crème solaire, surtout pour les zones qui n’ont jamais ou
presque jamais vu le soleil ; j’ai pris un facteur 30. On ne voudrait pas se brûler là, j’imagine,
et je ne veux surtout pas m’asseoir sur des cloques toute une semaine.
Je constate que dans ma valise, j’ai pris 5 t-shirts, des caleçons et des chaussettes. Une
habitude ? Ou était-ce une protestation contre ce qui allait se passer ?
Un petit check-list : essuie, chapeau, lunettes de soleil. J’ai l’impression d’oublier quelque
chose. De l’argent. Pour acheter une bouteille en route, en ces temps de canicule. Mais je mets
tout ça où ?
Je suis, habillé, quelqu’un très friand de poches. Je porte des trunks, des pantalons avec 5 ou 6
poches, j’ai toujours tout ce qu’il me faut avec moi. Bien organisé. Les clés à gauche, le
portefeuille à droite, boîte à lunettes au genou gauche, abonnement et permis au genou droit,
le GSM dans la poche arrière. C’est là que tu te trouves sans espoir, tout nu, sans moyen de
stockage. Je mets 20 euros et un peu de monnaie dans le sac en plastique où se trouvent les
petits essuies du Hema : je peux y mettre mon appareil photo, un essuie de plage et la clé du
bungalow.
Activités
Pendant ma balade vers le bas du domaine, je passe un tableau d’affichage avec les activités
de la semaine.
Lundi : jogging avec Georges. Suivi d’aquagym. Mardi à 10h : tir à l’arc pour adultes. Après-
midi : jeu de boules. Mercredi : balade à vélo. Dernier jeudi du mois : bal masqué. Thème :
Brésil.
Bal masqué ? Dans un camp de nudistes ? En passant par la réception, je demande des
explications à Jean-Michel. « On en organise environ 3 par été. » rigole-t-il. « Le but est de
porter des accessoires, une plume brésilienne dans les cheveux ou des chaussettes jaunes et
vertes ou des bracelets, mais ça reste un bal de nudistes. J’admets : ça sonne dingue. » Même
toutes les autres activités se passent nues - la pétanque, ça va, mais même le vélo.
Le long du sentier, il y a trois tables de tennis de table. Un peu plus loin, il y a un terrain de
volley. A cette heure de la journée, il fait trop chaud pour jouer, mais je reviendrai plus tard
ou demain : ça reste une drôle d’idée, sauter et smasher sans pantalon. La plage est juste
magnifique. Paradisiaque.
Un beau bout de plage au bord d’une rivière calme, en partie peu profonde, avec de l’eau
claire et des poissons. De l’autre côté, il y a un grand rocher imposant, quelques arbres ici et
là, des baigneurs qui profitent du soleil de l’après-midi. Il n’y a aucun bruit.
Je m’installe. Je regarde autour de moi. Dans la partie profonde, un vieil homme aux cheveux
gris sort de l’eau et s’approche du rivage. Il devient visible peu à peu, comme Hally Berry
dans le film : tête… épaules… poitrine…ventre. Je me saisis.
De temps en temps, il le palpait - il semblait fraichement placé - mais pour le reste, il se
baladait assez insouciant avec et malgré quelques regards surpris (le mien inclus), personne ne
semblait y prêter attention. Cela ne se voit pas à la digue d’Ostende.
« Je ne me sens qu’à mon aise avec ça. » dit l’homme. « je dois apprendre à vivre avec, j’ai eu
le cancer, ce n’est pas chouette mais on s’y habitue. Etre malade était déjà assez fatiguant, je
ne veux pas que cela m’empêche de vivre non plus, que je doive abandonner ma passion -
nager et prendre des bains de soleil. C’est comme tu dis : à Cadzand tout le monde s’enfuit ou
il te fixe du regard, avec un truc comme ceci. Ici, non. Tu es le premier à m’interpeller à ce
sujet. La vie ne doit vraiment pas s’arrêter parce qu’on a un petit sac accroché au ventre. »
Un jour plus tard j’ai vu une femme, plus âgée, avec un seul sein. A la place de l’autre il y
avait une énorme cicatrice. Elle jouait avec ses petits enfants dans la Cèze, personne n’y
prêtait attention. C’est merveilleux en fait.
Partie 4 : Au restaurant
« C’est autour de ce principe que ça tourne ici », dit Gert, un flamand de l’Ouest qui, avec sa
femme et ses deux enfants, s’est installé sur la plage. « Les gens qui ne connaissent pas se
disent que c’est une sorte de peep-show, mais c’est en fait exactement l’inverse : si tu es pâle
ou foncé, beau ou moche, tu as de la cellulite ou un corps d’athlète, personne ne regarde. Il
n’y a aucun endroit où on te fout plus la paix qu’ici, à condition que tu t’en tiennes aux lois
souvent non-écrites.
La première loi non-écrite est : la paix. Les villages de vacances - même ce genre de grand
villages de 62hectares et 500 logements - c’est habituellement la stéréo à fond, des cris et des
rires, des hollandais bourrés après un fût d’Amstel à 3h du matin qui, au son de Frans Bauer,
font une polonaise pour saluer la lune.
Mis à part les enfants qui parlent, les mamans qui grondent, parfois une voiture, un peu de
rires et de conversations autour du barbecue, un bébé faisant un cauchemar, il n’y a aucun
bruit à la Sablière. Les crickets sont ceux qui font encore le plus de bruit.
La deuxième loi non-écrite : la propreté. Aucun papier, emballage, déchet, mégot. Le peu de
gens qu’on voit fumer sur la plage ont même leur propre cendrier.
La troisième loi non-écrite : la sobriété . On boit bien un petit vin au dîner et il y a des gens
qui profitent d’une petit bière sur leur terrasse, mais à la plage par exemple il n’y a pas de bar.
« On ne l’envisage même pas. » dit Stefan, le hollandais à la réception. « On en perd
beaucoup de profit, mais voilà : je ne crois pas que nous avons dû, dans les 35 ans que nous
existons déjà, interrompre une bagarre ou une discussion entre gens ivres. Nous avons, en
pleine période d’été, deux gardes pour un terrain de 1500 personnes. Ils n’ont pas plus à faire
que de se balader discrètement. »
Discrètement, mon ventre fait du bruit : on est déjà l’après -midi, et je vais essayer le
restaurant de la Sablière. Bien que le soir, avant le dîner, les gens habillés y sont tolérés; la
journée, la nudité y est obligatoire. Je commande une pizza Ardèche, avec du lard du fromage
de chèvre et de la crème fraîche. Je remarque que je me mets plus près de la table que
d’habitude. Imaginons que je renverse quelque chose.
Le chef et le personnel est habillé- « c’est obligatoire selon les lois françaises du travail. Et
puis mettez-vous dans une cuisine, devant un four bouillant… Et même en étant dans un
village de nudistes, les gens apprécient le fait que le personnel soit habillé. »- Fair enough,
même si ça met mal à l’aise : se mettre nu à table et recevoir l’addition de quelqu’un en
chemise et pantalon, ça rend vulnérable, c’est disproportionné. Etait-ce un sourire en coin de
ses lèvres ?
Je retourne vers la plage- il y a beaucoup de circulation routière sur les petits chemins (tous
les passagers sont nus), un homme sur un vélo de course rame sur la colline (nu, à part son
casque et le tissu de selle -visiblement fait spécialement pour cette selle). Et si maintenant il y
a un accident, me disais-je.
Stefan, à la réception a eu le cas dernièrement, raconte-t-il. Un homme qui a fait un malaise,
l’ambulance est venue- « ces gens sont habitués à pire et nous lui avions vite mit un short,
avant qu’ils l’emmènent », sinon, c’est aussi gênant d’arriver comme ça à l’hôpital ».
En outre, La Sablière a un propre service technique, composé de naturistes aussi, qui savent
résoudre la plus part des problèmes ; « c’est un vrai village, hein » dit Stefan. « Si tantôt la
plomberie dans un bungalow lâche, nous la réparons nous-mêmes. Ça serait toute une affaire
si on devait faire venir des ouvriers extérieurs à chaque fois. Ça n’est pas possible, par
rapports aux résidents : un électricien qui vient vous dévorer des yeux.
Le lendemain matin, avec une tasse de café sur ma terrasse, ça m’étonne à quelle vitesse je
m’y suis habitué : sortir du lit, prendre une douche, une petite balade jusqu’au magasin pour
une baguette et le journal, s’assoir sur la terrasse, aller à la piscine, tout ça en un mouvement
sans s’habiller, se déshabiller ou se changer.
Quand à midi je décide de faire une excursion au pont Saint-Esprit à proximité, un petit
village près du Rhône que je suis passée lors de mon arrivée, j’enfile à contre cœur mes
vêtements : bien trop chaud, tout de suite collant de transpiration, ça colle, ça frotte. Trois
heures plus tard- je ne suis pas arrivé plus loin que le sublime village médiéval d’Aigeuze - je
m’affale dans mon transat sur ma terrasse d’un grand soupir - sans ces chiffons collants à mon
corps.
La messe du dimanche
Je m’étais encore vite arrêté chez Stefan à la réception : quand je traversais la minuscule ville
de Saint-Privat de Champclos, la ville où se trouve la Sablière, je me demandais comment une
si petite population avait réagi à l’arrivé d’un colossale village de nudistes. « Au début, très
soupçonneux », dit Stefan. « ça arrivait que quand quelqu’un demandait le chemin vers nous
les villageois haussaient les épaules : ‘Sablière ? Tiens. Connais pas.’ Mais après tant
d’années ils s’y sont habitués : il y a quelques commerces qui se sont ouverts, un petit resto,
des petits stands où ils vendent de la lavande le long du chemin. »
Cela me fait penser à ce que Paul Lambrechts - le patron belge des naturistes - m’a dit à
propos d’Ossendrecht, le domaine juste après la frontière Hollandaise : quand il ouvrit ses
portes en 1958, il y a eu une vague de protestations dans le petit village. « Païen, diabolique »,
disaient-ils. « Nous avions résolu très facilement le problème à cette époque », rigole Paul
« Nous avions convaincu le prêtre de faire une messe - habillé bien sûr - tous les dimanches.
Depuis nous n’avions plus entendu le maire, et les protestations fondirent comme de la neige
au soleil. »
Bizarrement après 50 ans et pleins d’émancipations plus tard, le naturisme est à nouveau en
péril. « Aux Pays-Bas, deux centres nudistes ont déjà dû fermer les portes, après des plaintes
de musulmans. » dit Paul Lambrechts. « C’est très dommage parce que nous n’avons pas que
ça comme problèmes actuellement. Dans les années 70 et 80, la politique nous soutenait
beaucoup - surtout Rika de Backer, qui nous voyait comme un exemple de la pratique du sport
et qui nous donnait beaucoup de ressources. Aujourd’hui, cela a beaucoup diminué. Et nous
perdons en plus beaucoup de jeunes, qui ont commencé à préférer des destinations plus
spectaculaires – qui portent moins d’importance à nos idéaux de sérénité et de respect.
Partie 5 : Le volley Cela m’intrigue vraiment : peut-on vraiment faire du vélo agréablement avec juste un petit
essuie. Je me fais un peu de soucis quand je constate qu’au départ, les trois quarts des
participants portent une short.
« C’est typique à la Sablière », dit Christian, le leader du groupe. « Nous sommes un assez
grand domaine et pour quelques occasions, un bout de textile est toléré. » Apparemment, il
existe des fondamentalistes dans cette communauté, des hardliners qui n’acceptent aucun
recouvrement.
« Ce n’est qu’un petit groupe. » dit Christian, « même les naturistes habitués comme moi-
même en deviennent mal-à-l’aise : dans leurs villages on n’a pas le droit de manger de la
viande, on ne peut pas fumer, quand on boit un verre de vin avec ses légumes, on se fait
regarder de travers. De vrais naturistes aux chaussettes en laine de brebis. ».
Respect Les vélos ont des selles larges, et en pliant mon essuie en deux, j’y arrive à la couvrir.
Seulement se mettre debout sur les pédales n’est pas une bonne idée : votre essuie glisse. En
route, je laisse Christian m’expliquer comment ça se passe pour les différentes graduations de
nudité. Pourquoi tout le monde parle toujours de « nudisme » par exemple, et pourquoi cela
agace les naturistes. « Nudisme c’est le naturisme au sens étroit », dit mon compagnon à
vélo. « C’est ce trimbaler nu pour ce trimbaler nu - il n’y a aucune philosophie derrière. Un
naturiste par contre veut prendre du recul par rapport à notre société artificielle dirigée par la
technologie. Il y a un but : avoir plus de respect pour la nature et pour l’être humain, retourner
vers la simplicité et la plénitude. »
Pour le respect, ça a l’air d’être vrai, même si c’est sous la pression des circonstances : on ne
méprend pas quelqu’un, quand toutes nos imperfections sont exposées. Prendre ses distances
par rapport à la technologie est une drôle d’expérience. A la plage ou à la piscine il n’y a
personne à son GSM ou en train d’envoyer des messages, personne ne joue avec des
consoles, ou est accroché à son Ipod. Il n’est pas évident non plus d’en prendre un avec soi.
Mais dans les bungalows il n’y a pas de télé non plus, et que en haute saison, il y a la
projection d’un film une fois par semaine dans le centre de rencontre, parfois il y a une soirée
disco pour les jeunes - habillés de préférence.
Sirène Après le vélo, un petit plongeon : sans se changer, et ça c’est sans fautes la plus chouette
expérience de ces vacances. Les seules choses auxquelles il faut penser le matin en sortant ce
sont les sandales, les lunettes de soleil et l’essuie.
Contre la grille à côté de la piscine, une jambe prosthétique a été déposée. Je ne l’avais pas vu
d’abord : j’ai dû être fort surpris et la propriétaire, une dame dans la cinquantaine, l’a
surement vu. Elle est allongée sur son dos dans l’eau et quand un peu plus tard je nage près
d’elle, elle me fait un clin d’œil. Ça c’est juste génial : ici l’apparence a tellement peu
d’importance que les gens osent se montrer en publique sans aucune gêne.
L’homme avec son stomate à la rivière, la femme avec un sein, maintenant cette sirène
unijambiste : pas une personne qui se sente offensée. C’est probablement un des seuls endroits
où ils peuvent aller en vacances en paix tout comme les autres.
Deux magnifiques filles de 17-18 ans plongent dans l’eau, un vieux couple mignon traîne
dans la partie à faible profondeur, main dans la main, un homme poilu comme un ours
arrive ; les regards qui s’échangent sont brefs et neutres. Pas chargés de désir, même pas
intéressé, pas méprisants, ni critiques.
Etrange ballancement A 15h le volley commence, il n’y a que sept participants (que des hommes), donc on fait
quelques passes, parfois des smash. Par contre, il y a ce drôle de ballottement qui, à distance,
peut paraître étrange. Mais, à force, je m’y suis tellement habitué que je ne le remarque plus,
ça ne dérange même pas.
Le soir, il y a un concert à la piscine : un groupe qui fait des reprises, Mega Hertz, et qui
viennent complètement habillés (pour un public semi-habillé, semi-nu), chanter quelques
chansons pendant deux heures. Le nom du groupe faisait déjà peur, le chanteur est
abominable. Quand, vers minuit, je m’installe sur ma terrasse avec une Duvel froide, encore
en train de reprendre mon souffle après une journée pleins d’efforts, il résonne encore depuis
la colline. La soirée a commencé calmement avec Dire Straits ou Genesis et pour le grand
final, ils ont sorti Nirvana et AC/DC, pour mettre un coup. « Highwééé to hééé-éél », hurle-t-
il en Français. « Tais-toi, ferme-la, Tory », chuchotai-je en Italien.
Partie 6 : La fin.
Ce qu’on voit dans les films flamands est vrai : il y a 100 ans les gens enlevaient leurs
vêtements quand il faisait chaud, et sautaient dans le lac. Puis est venu la bourgeoisie avec sa
mode des bains, et la pruderie s’installa. Bientôt, tout le monde se trimbala comme des clowns
au bord de la plage.
Aujourd’hui, la nudité est partout, on ne sait pas allumer la télé sans voir des fesses nues, ou
un magazine sans voir des seins, MAIS, dit Jozef, un vrai campinois belge qui vient à la
Sablière depuis 20 ans, « C’est la mauvaise nudité. Elle n’existe pas. Elle n’est pas naturelle,
trop parfaite. C’est pour ça que les gens ont peur de leur propre corps. Ils pensent qu’ils ne
sont pas normaux quand ils découvrent leur petit ventre à 40 ans et quand - regarde ma Régine
- leurs seins ne sont plus aussi fermes qu’avant. » « Ceci, c’est normal, n’est-ce pas ? » dit
Régine en pointant ses mains vers sa poitrine qui n’est plus la même.
Evident Ce qui est frappant (1) : une personne un peu plus forte tape plus à l’œil avec un maillot que
sans. Sûrement parce qu’il n’y a pas de point de référence, il n’y a rien qui dépasse ou pas de
bourrelets. Puisque tout le monde est nu, tu n’y prêtes pas attention. A force, ça devient un
décor évident.
Conclusion (2) : c’est un classique mais c’est une vérité : la nudité intégrale est nettement
moins stimulante que le corps à peine dissimulé par des habits. Il y a ici des jolies jeunes
femmes avec des seins dont Régine ne peut que rêver et des fesses aussi lisses que du marbre.
Ce n’est pas qu’on ne les voit pas, c’est juste que ce n’est, rien de plus. Ça ne nous fait pas de
clin d’œil, comme une petite culotte pourrait le faire.
Et (3) : ici, vous ne verrez pas de corps refait et transformés. Il est fort probable que
quelqu’un avec un passé « Jeff Hoeyberghs » se sente mal à l’aise ici, parmi toute cette
simplicité naturelle qui coule de source, cet adorable sans-gêne, cette acceptation générale de
l’imperfection humaine. Cette personne ferait sans doute des têtes, non pas d’admiration, ni
de désapprobation, mais d’étonnement et d’interrogation.
Echoué J’ai oublié une petite histoire de la Sablière, les mots de Stefan de la réception. Il y a des
années, une famille hollandaise y avait échoué, désespérément perdus en voiture, passé
minuit, deux enfants épuisés et chiants à l’arrière. Ils avaient vus un panneau vers un village
de vacances à Saint-Privat et avaient décidé d’y passer la nuit. A cause des enfants épuisés, le
réceptionniste leur dit que papa ferait mieux de revenir seul demain matin pour finaliser les
formalités. Ils n’avaient aucune idée d’où ils étaient, jusqu’au lendemain matin quand ils ont
vu leurs voisins complètement nus sur leur terrasse. –« Bien le bonjour ! » Finalement ils sont
restés et sont même revenus l’année suivante.
Cette semaine j’ai eu deux-trois messages par jour, souvent méprisants ou pour m’embêter.
« Comment ça marche tout nu ? » « Il est déjà cramé ? » « T’as déjà fait du volley ? » « Je ne
veux même pas imaginer où tu mets ton GSM. » Et encore quelques fois le classique ou une
variante « Fais-gaffe de mettre la bonne saucisse sur le feu. »
Mais tout ce dont j’avais peur il y 5 jours, se sentir observé ou que quelqu’un se moque de
moi, ma gêne, l’habitude de plus de 40 ans, fut très vite balayé. La boule au ventre que j’avais
dimanche passé quand je suis rentré à la réception avait disparue, ainsi que ma hantise du
regard la femme nue avec ses problèmes de boiler.
Je n’ai jamais été aussi peu regardé même qu’ en principe, il y avait plus à voir que lors
d’autres vacances. Embêté ? Même pas un instant. C’est comme si on foutait la paix à tout le
monde pour ce qu’il est, c’est presqu’absurde, que ton espace personnel - justement parce
qu’il est si vulnérable - est traité avec le plus grand respect.
Enfin, encore deux considérations. Bien que futiles.
Parfois j’avais quand même peur des insectes. Me faire piquer à des endroits où je ne
me suis pas encore fait piquer. Ça n’est pas arrivé et en plus, une guêpe ne sait pas
remonter dans ton pantalon.
Normalement au retour des vacances, on revient avec des tonnes de vêtements à laver.
Cette fois-là, la récolte fut : un t-shirt et un caleçon, de l’allée. Et évidemment, les
petits essuies pratiques de chez Hema, format derrière, sans trop de rayures, qui
finiront dans un placard, après lavage, jusqu'à l’année prochaine.
Publié en 2009
Publié avec l’accord de Marnix Peeters
https://twitter.com/peetersmarnix
Journaliste & Auteur
Traduction par Christian S-V