une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 ... · une histoire de mathématiques...

15
Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 La chaise de la mariée Des démonstrations du théorème de Pythagore, il en existe plusieurs centaines. Certains collectionneurs s’en sont fait une spécialité, et il en est paru des livres entiers. Alors : quelle est la meilleure ? La- quelle faut-il enseigner ? 1 152 e leçon : carré de l’hypothénuse Question pédagogie, j’ai tendance à faire confiance à Alcide Lemoine. Il a écrit un manuel à l’usage des candidats au certificat d’études que je vous cite par- fois. Voici la cent cinquante deuxième leçon, sur le carré de l’hypothénuse. Remarquez qu’il ne parle pas de Pythagore. Sa démonstration tient dans les deux figures que vous voyez. C’est une démonstration façon puzzle. Un découpage si vous voulez. Il place quatre équerres identiques dans deux carrés. Ce qui reste est, dans un cas, deux carrés qui ont pour côtés les deux cô- tés de l’angle droit de l’équerre, dans l’autre cas, un seul carré, celui de l’hypothénuse justement. À ma connaissance, on n’a jamais fait, ni plus simple, ni plus visuel. Écoutez ce qu’en dit Charles-Ange Lai- sant, qui n’a pas l’habitude de mâcher ses mots.

Upload: others

Post on 02-Oct-2020

6 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 ... · Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 Lachaisedelamariée DesdémonstrationsduthéorèmedePythagore,ilen

Une histoire de mathématiques à écouter sur

hist-math.fr

0 La chaise de la mariée

Des démonstrations du théorème de Pythagore, il enexiste plusieurs centaines. Certains collectionneurss’en sont fait une spécialité, et il en est paru deslivres entiers. Alors : quelle est la meilleure ? La-quelle faut-il enseigner ?

1 152e leçon : carré de l’hypothénuseQuestion pédagogie, j’ai tendance à faire confianceà Alcide Lemoine. Il a écrit un manuel à l’usage descandidats au certificat d’études que je vous cite par-fois. Voici la cent cinquante deuxième leçon, sur lecarré de l’hypothénuse. Remarquez qu’il ne parle pasde Pythagore.

Sa démonstration tient dans les deux figures quevous voyez. C’est une démonstration façon puzzle.Un découpage si vous voulez. Il place quatre équerresidentiques dans deux carrés. Ce qui reste est, dansun cas, deux carrés qui ont pour côtés les deux cô-tés de l’angle droit de l’équerre, dans l’autre cas, unseul carré, celui de l’hypothénuse justement. À maconnaissance, on n’a jamais fait, ni plus simple, niplus visuel. Écoutez ce qu’en dit Charles-Ange Lai-sant, qui n’a pas l’habitude de mâcher ses mots.

Page 2: Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 ... · Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 Lachaisedelamariée DesdémonstrationsduthéorèmedePythagore,ilen

2 Le pont aux ânes« C’est un jeu de patience des plus simples. L’enfantqui l’aura pratiqué une fois ou deux ne l’oublierade sa vie, et ne sera jamais ni effrayé ni embarrasséà l’approche du pont aux ânes. La plus grande desâneries, c’est de compliquer les choses simples, et derendre difficile ce qui est aisé. »

Ça, c’est dit ! Ah mais si cette démonstration est laseule qui mérite d’être enseignée, c’est sans douteaussi la plus ancienne et la plus fréquemment répé-tée ? Eh bien non, pas du tout. La plus anciennetrace que j’ai réussi à en trouver se trouve dansle livre d’algèbre de Saunderson, au dix-huitièmesiècle.

3 The elements of algebra (1740)

Nicholas Saunderson est ce mathématicien anglaisde Cambridge, rendu aveugle par la variole à l’âgede un an. Il est d’autant plus remarquable qu’il aitréussi à imaginer la démonstration la plus visuelle.

En réalité, la figure que vous voyez ici illustre à la foisdeux démonstrations : celle préconisée par Lemoineet Laisant, et une autre, beaucoup plus ancienne etun peu moins visuelle, ou bien plus algébrique.

4 Zhoubi Suanjing (1er siècle)

Le Zhoubi Suanjing dans lequel figure cette illustra-tion est une compilation de textes sur l’astronomiedont certains datent peut-être de bien avant notreère. De sorte qu’il est impossible de savoir si les Chi-nois connaissaient le théorème de Pythagore avantles Grecs.

Pour Bhaskara en tout cas, la démonstration est évi-dente. Voici ce qu’il en dit dans la Lilavati.

Page 3: Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 ... · Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 Lachaisedelamariée DesdémonstrationsduthéorèmedePythagore,ilen

5 Le produit des côtés de l’angle droit

Le produit des deux côtés de l’angle droit, multipliépar deux, augmenté du carré de leur différence de-vrait être égal à la somme de leurs carrés. Donc, pourfaire court, la racine carrée de la somme des carrésdes deux côtés de l’angle droit est l’hypothénuse :ainsi c’est démontré. Et sinon, quand on a placé lesparties de la figure, il suffit de le voir.

La figure dont il place les parties est la même quecelle des Chinois.

6 le théorème de Pythagore

Il y a dans le grand carré de surface c2, quatre tri-angles de surface totale 2ab, et un petit carré obliquede côté b − a. Faites vos comptes, ça donne bienc2 = a2 + b2.

Non, ce n’est pas tout à fait la démonstration préco-nisée par Laisant. Celle-là, vous la trouverez associéeau nom de Bretschneider.

7 Die Geometrie und die Geometer vor EuklidesÀ cause de ce livre : la géométrie et les géomètresavant Euclide, une recherche historique. Bretschnei-der se demande quelle démonstration Pythagore lui-même pouvait bien avoir de son théorème. Il faitl’hypothèse que ce devait être la plus simple, et endéduit donc que la démonstration de Pythagore de-vait être le puzzle de Saunderson.

Peut-être, mais on n’a pas le moindre début de justi-fication. Aucun écrit ne provient directement de Py-thagore. Les témoignages nous viennent de plusieurssiècles après lui. On ne sait même pas si Pythagorevoyait le résultat géométrique comme une propriétédes triangles rectangles quelconques, ou bien unique-ment comme une propriété arithmétique de certainstriplets d’entiers.

Page 4: Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 ... · Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 Lachaisedelamariée DesdémonstrationsduthéorèmedePythagore,ilen

8 La méthode géométrique de PythagoreIl est possible que pour Pythagore, la géométrie sesoit limitée à des tableaux discrets. Par exemple unnombre carré est une collection de jetons que l’onpeut disposer en carré. Pythagore devait savoir quele passage d’un nombre carré au suivant se fait parune équerre, ou gnomon, comme vous le voyez surla figure. Quand ce gnomon est lui-même un nombrecarré, comme neuf ici, on obtient un triplet pythago-ricien particulier. Rien ne permet d’affirmer que Py-thagore voyait ces nombres carrés comme construitsà partir des côtés d’un triangle rectangle.

Cela ne prouve pas que l’hypothèse de Bretschneidersoit fausse, ni invraisemblable d’ailleurs. Les visuali-sations par découpages et réarrangement de surfacesfaçon puzzle, ont accompagné la géométrie depuisses débuts, plus d’un millénaire avant Pythagore.

9 Découpages à BabyloneLes spécialistes ont pu démontrer que le tout débutde l’algèbre dans l’ancienne Mésopotamie, vers 1800avant Jésus-Christ, consistait en des découpages defigures géométriques. Pour vous faire une idée, lafigure que vous voyez illustre l’identité remarquable(a+ b)2 = a2 + 2ab+ b2.

Évidemment, les Mésopotamiens ne l’écrivaient pasavec des lettres. Ils voyaient simplement qu’en bor-dant deux carrés, le bleu et le rouge, de deux rec-tangles verts identiques judicieusement placés, onobtenait un nouveau carré. Pour arriver à la démons-tration de Lemoine, il ne manquait que de tracer desdiagonales aux deux rectangles : c’était tout à fait àleur portée. Mais rien ne prouve qu’ils l’aient fait.

Page 5: Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 ... · Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 Lachaisedelamariée DesdémonstrationsduthéorèmedePythagore,ilen

10 Carrés et losangesSeules des représentations de carrés formés surles diagonales d’autres carrés nous sont parvenues,comme sur cette tablette. Elle date probablementdu temps d’Hammurabi. On sait d’autre part queles Mésopotamiens disposaient d’une excellente ap-proximation de racine de deux. Il est donc raison-nable de penser qu’ils voyaient, que quand deux car-rés sont emboîtés comme sur cette tablette, le plusgrand est le double du plus petit.

Cela peut être pris comme une démonstration duthéorème de Pythagore pour le cas particulier d’untriangle rectangle isocèle. Mais rien n’indique que lesBabyloniens l’aient perçu ainsi, ni même qu’ils aienteu une notion de démonstration similaire à la nôtre.

11 Cérémonie VédiqueOn peut en dire autant des Indiens.

Les Shulba Sutras sont un ensemble de textes vi-sant à codifier la fabrication des autels sacrificielspour des cérémonies religieuses. On y trouve nombred’indications géométriques. Dès les premiers versetsde chaque texte apparaissent deux affirmations. Lapremière dit que la diagonale d’un carré engendrele double de son aire. C’est le cas particulier du tri-angle isocèle. L’autre dit que l’aire engendrée par lalongueur et la largeur d’un rectangle ensemble égalel’aire engendrée par la diagonale. C’est l’énoncé ducas général.

Mais comme pour les Mésopotamiens, rien n’indiqueque les religieux hindous aient eu l’idée de démontrerce qui apparaissait comme une vérité religieuse.

Pourtant leur manière de fabriquer les autels encomptant les briques indique clairement qu’ils sa-vaient découper une figure géométrique pour en fa-briquer une autre de même aire.

Page 6: Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 ... · Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 Lachaisedelamariée DesdémonstrationsduthéorèmedePythagore,ilen

12 MénonLe plus ancien raisonnement qui ait été conservé surle cas particulier du triangle rectangle isocèle, estdû à Platon, qui l’attribue à Socrate. Il se trouvedans le Ménon, un dialogue où Socrate et Ménondébattent de l’acquisition des vertus. Pour vérifier sila connaissance est un attribut acquis ou une rémi-niscence, Socrate fait venir un esclave à qui il pro-pose de découvrir un carré dont la surface est doubled’un carré donné. Il commence par un carré de deuxunités de côté. C’est celui qui apparaît en gras. Ila pour surface quatre. Il l’agrandit alors. Le carrécherché ne peut pas avoir pour côté trois. car sa sur-face serait neuf, ni quatre dont la surface serait 16,quatre fois la surface initiale. Par contre quand So-crate trace les diagonales, l’esclave doit se rendre àl’évidence : le carré oblique a bien pour surface huit,soit deux fois la surface du carré initial.

Et comme l’esclave a toujours acquiescé à ce qu’onvoulait lui faire dire, Socrate en conclut que, je cite,« celui qui ignore, a en lui-même sur ce qu’il ignoredes opinions vraies : la science qu’a l’esclave, il fautqu’il l’ait acquise autrefois, ou qu’il l’ait toujourseue. »

Contrairement à l’esclave de Ménon, vous n’êtes pasobligé de suivre les conclusions de Socrate.

13 La chaise de la mariée (1883)

Vous ne serez pas surpris d’apprendre que ÉdouardLucas propose pour l’enseignement la même dé-monstration que son ami Laisant.

« Parmi la multitude des démonstrations que l’on adonnées du carré de l’hypothénuse, nous croyons de-voir reproduire la suivante, qui appartient au genrecasse-tête. »

Soit, mais d’où lui vient ce nom de chaise de lamariée qu’il donne en titre ? L’a-t-il toujours connudans une vie antérieure, comme l’esclave de Ménon ?

Certes, il y a bien une raison pour associer le théo-rème de Pythagore ou plutôt le triplet pythagoricien3,4,5, au nombre nuptial de Platon. Ça, je vous l’aidéjà raconté. Cela expliquerait la mariée. Mais d’oùviendrait la chaise ?

Page 7: Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 ... · Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 Lachaisedelamariée DesdémonstrationsduthéorèmedePythagore,ilen

14 La chaise de la mariée (ca. 1920)

Certains invoquent cette illustration du début duvingtième siècle, dont je n’ai pas réussi à retrouverl’origine. On y voit un poilu de la guerre de 14, por-tant sur son dos, en plus de son barda, une jeunefemme assise. Sur la figure, des lignes sont tracées :un triangle rectangle, les trois carrés formés sur lestrois côtés, la hauteur du triangle issue de l’angledroit, prolongée sur le carré du bas. C’est la fameusefigure du moulin à vent, qui accompagne la démons-tration d’Euclide.

15 Éléments, Livre I, Proposition 47Parce que c’est bien Euclide qui a donné dans lesÉlements, la première démonstration rigoureuse duthéorème de Pythagore.

Son énoncé est le suivant. « Dans les triangles rec-tangles, le carré du côté opposé à l’angle droit estégal aux quarrés des côtés qui comprennent l’angledroit. »

La démonstration est basée sur la figure du mou-lin à vent. Elle vise à prouver que la hauteur issuede l’angle droit partage le carré de l’hypothénuse endeux rectangles, dont chacun est égal à un des deuxcarrés formés sur les côtés de l’angle droit. Le raison-nement n’est pas du tout intuitif : il passe par unechaîne de triangles intermédiaires de surfaces égales.

Je vous laisse le plaisir de le lire, et surtout de suivrela démonstration dans le texte d’Euclide.

Page 8: Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 ... · Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 Lachaisedelamariée DesdémonstrationsduthéorèmedePythagore,ilen

16 Arthur Schopenhauer (1788–1860)

Vous ne serez pas le premier à la trouver indigeste, età lui préférer la démonstration des Chinois ou cellede Lemoine. Avant vous, Arthur Schopenhauer, undes philosophes marquants du dix-neuvième siècle,s’en était pris à Euclide en général, et à cette dé-monstration en particulier.

Il parle du sentiment de malaise qu’on éprouve aprèsavoir assisté, dit-il, à des tours d’escamotage, aux-quels, en effet, la plupart des démonstrations d’Eu-clide ressemblent étonnamment. Et concernant ladémonstration du théorème de Pythagore :

17 Une brillante absurdité[. . . ] on tire des lignes, on ne sait pour quelle raison :on s’aperçoit, plus tard, que c’étaient des nœuds cou-lants qui se serrent à l’improviste, pour surprendre leconsentement du curieux qui cherchait à s’instruire ;

[. . . ] À nos yeux, la méthode d’Euclide n’est qu’unebrillante absurdité.

[. . . ] La démonstration boîteuse et même captieused’Euclide nous abandonne au pourquoi, tandis quela simple figure, déjà connue, que nous reprodui-sons, nous fait entrer, du premier coup, et bien plusprofondément que la démonstration, au cœur mêmede la question : elle nous amène à une plus intimeconviction de la nécessité de cette propriété, et desa liaison avec l’essence même de triangle rectangle.

La figure dont Schopenhauer parle est celle du Mé-non pour le triangle isocèle. Dans ce cas comme dansd’autres, il se prononce sans ambiguïté, comme Lai-sant, Lemoine et Lucas, pour une démonstration vi-suelle.

Pourtant c’est bien la démonstration d’Euclide quia été répétée aux apprentis mathématiciens pendantdes siècles.

Page 9: Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 ... · Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 Lachaisedelamariée DesdémonstrationsduthéorèmedePythagore,ilen

18 Cours Mathématique (1634)

La voici dans le Cours Mathématique de Pierre Hé-rigone. C’est la première tentative de formalisationd’un raisonnement symbolique. Une grande innova-tion sur la forme, mais le fond de la démonstration,vous le voyez sur la figure, reste le même.

19 The first six books of the Elements of Euclid (1847)

Autre innovation pédagogique : les Éléments d’Eu-clide en couleurs. Byrne remplace les lettres par despetits dessins, mais il reste strictement fidèle autexte d’Euclide.

Est-ce à dire que personne depuis Euclide n’a cher-ché d’autre démonstration ? Non bien sûr. L’explo-sion des démonstrations différentes date de la se-conde moitié du dix-neuvième, quand l’enseigne-ment par les Éléments d’Euclide a commencé à êtresérieusement contesté.

Mais avant cela, nombre de traducteurs et commen-tateurs d’Euclide s’étaient posé la question des al-ternatives à sa démonstration.

20 Kitab tah. rır us.ul li-Uqlıdus (1248)

Voici quelques unes des figures que propose al-Tusidans sa version écrite en 1248. L’édition que vousvoyez date de 1594.

Page 10: Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 ... · Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 Lachaisedelamariée DesdémonstrationsduthéorèmedePythagore,ilen

21 Démonstration de Léonard de Vinci ?

Cette démonstration-ci, vous la trouverez attribuéeun peu partout à Léonard de Vinci. En fait il n’y en aaucune trace dans les cahiers de Léonard. Par contre,on y trouve de nombreuses figures géométriques, quiprouvent qu’il avait soigneusement étudié Euclide.Il était sans doute inspiré par son ami Lucas Pa-cioli, qui avait lui-même publié une traduction desÉléments d’Euclide en 1509.

22 Éléments, Livre I, proposition 47

Voici la figure du moulin à vent, de la propre mainde Léonard. Sur le feuillet précédent, il a rédigé ladémonstration d’Euclide.

23 James Abram Garfield (1831–1881)

Il y aurait même eu un président américain pour pro-poser une démonstration : James Garfield. C’étaiten 1876, cinq ans avant qu’il ne devienne président,et qu’il soit assassiné quelques mois plus tard. Voicil’article.

Page 11: Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 ... · Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 Lachaisedelamariée DesdémonstrationsduthéorèmedePythagore,ilen

24 New-England Journal of Education, April 1, 1876Au cours une entrevue personnelle avec James Gar-field, membre du congrès de l’Ohio, il nous a fournila démonstration suivante du pont-aux ânes. Il étaittombé dessus durant des amusements et discussionsmathématiques avec d’autres membres du congrès.Nous n’avons pas souvenir de l’avoir déjà vue aupa-ravant, et elle nous apparaît comme propre à unirles membres des deux chambres, sans distinction departi.

Personnellement, je me joins de bon cœur au concertde louanges. Je me permettrai tout de même d’obser-ver deux détails tout à fait mineurs. Le premier estque la figure montrée est celle de Laisant, Lucas, etSaunderson, simplement coupée en deux. Le secondest que l’article est paru dans le numéro quatorze del’année 1876, rhmm. . . daté du premier avril.

Je suis sûr qu’en cherchant un peu, on devrait trou-ver une démonstration dont la figure est en forme depoisson.

Bon, redevenons un peu sérieux. La question est :pourquoi Euclide donne-t-il une démonstration aussicompliquée de ce résultat ? Écoutons le commentairede Proclus (daté de sept bons siècles après Euclide).

25 L’irrésistible puissanceLorsqu’on entend parler de ce théorème, il n’est pasrare de rencontrer des gens qui, voulant montrer leurscience en antiquité, le font remonter à Pythagore,et vous parlent du sacrifice que ce philosophe offritpour sa découverte. Quant à moi, après avoir renduaux premiers sages qui en ont reconnu la vérité, toutl’honneur qu’ils méritent, je n’hésite pas à dire queje professe une admiration beaucoup plus grande en-vers l’auteur de ces Éléments, non-seulement pour yavoir attaché une démonstration de la dernière évi-dence, mais encore pour en avoir fait ressortir, enle soumettant à l’irrésistible puissance de sa savanteanalyse, un autre théorème beaucoup plus général.

Allons bon : un théorème de Pythagore pourrait-ilen cacher un autre ? Eh bien oui : Proclus parle dela proposition 31 du livre 6. La voici.

Page 12: Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 ... · Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 Lachaisedelamariée DesdémonstrationsduthéorèmedePythagore,ilen

26 Livre VI, proposition 31

Dans les triangles rectangles, la figure construite surle côté qui sous-tend l’angle droit, est égale aux fi-gures semblables et semblablement décrites sur lescôtés qui comprennent l’angle droit.

Que veut-il dire par là ?

27 Livre VI, proposition 31

Tout simplement ceci. Prenez une figure quelconque.Fabriquez-en deux autres, semblables à la première,dans des rapports d’homothétie égaux aux rapportsentre les deux côtés de l’angle droit et l’hypothénuse.

Alors l’aire de la première figure est la somme desaires des deux plus petites qui lui sont semblables.Vous pouvez dire comme Euclide que les trois figuressont construites sur les trois côtés de l’angle droit,mais en réalité ce n’est qu’une question de rapportsde similitude.

Page 13: Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 ... · Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 Lachaisedelamariée DesdémonstrationsduthéorèmedePythagore,ilen

28 Livre VI, proposition 31La démonstration que donne Euclide est lumineuse.Exactement le contraire de ce que lui reproche Scho-penhauer. La voici sous forme moderne.

Prenez un triangle rectangle d’hypothénuse c. Lahauteur issue de l’angle droit le partage en deux tri-angles rectangles, le rouge et le bleu, d’hypothénusesa et b. L’aire du triangle rouge plus l’aire du trianglebleu est l’aire du grand triangle, bien sûr.

Les trois triangles, le vert, le rouge et le bleu, sontsemblables, parce que leurs angles sont égaux deuxà deux. Le rapport de similitude du rouge au vertest a/c, du bleu au vert est b/c. Or quand des figuressont semblables, les rapports des aires sont les carrésdes rapports de similitude. Donc a2/c2 + b2/c2 = 1.

Et voilà : le vrai théorème ne porte pas sur des fi-gures carrées, mais sur des rapports de similitudeélevés au carré. Pour en arriver là, Euclide avait be-soin d’expliquer ce que sont des rapports de lon-gueur, de définir ce que sont des triangles sem-blables, de démontrer que des aires de deux trianglessemblables ont un rapport égal au carré du rapportde similitude, enfin de définir ce que sont deux fi-gures semblables, afin d’étendre le rapport des airesà deux figures semblables. Il lui faut cinq livres etde nombreuses propositions avant de pouvoir passerdu carré de l’hypothénuse aux figures quelconques.Dommage que les siècles suivants n’aient pas eu lapatience de dépasser le premier livre.

Non, c’est un peu injuste de le présenter ainsi. Il ya eu au cours des siècles, des mathématiciens quiont compris l’intérêt de la généralisation, et qui ontmême su aller plus loin.

Page 14: Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 ... · Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 Lachaisedelamariée DesdémonstrationsduthéorèmedePythagore,ilen

29 Sur l’argument attribué à Socrate. . .Prenez Thabit ibn Qurra par exemple ; Un desgrands de la maison de la sagesse à Bagdad, au neu-vième siècle. C’est un fin connaisseur d’Euclide, qu’ila lui même traduit. Quand il écrit une « épître surl’argument attribué à Socrate au sujet du carré et desa diagonale », il fait référence au dialogue de Ménondont nous avons parlé plus haut. Il critique le faitque l’argument se limite au cas particulier d’un tri-angle, puis expose la démonstration d’Euclide avecles rapports de similitude. Il observe alors que rienn’empêche, dans un triangle quelconque, de tracerdeux segments issus d’un des sommets, de manièreà ce que les deux triangles ainsi formés, le rouge etle bleu, soient encore semblables au triangle initial.Le même argument sur les rapports de similitudeconduit à une autre expression de la somme a2 + b2.Ibn Qurra considère cela comme une évidence et nese donne même pas la peine de détailler la démons-tration.

Comme d’habitude, le résultat a été oublié pendantun assez grand nombre de siècles, pour être retrouvéensuite par les Européens. En l’occurrence, le pre-mier à donner un résultat qu’on peut considérercomme équivalent à celui d’Ibn Qurra est John Wal-lis. Mais ce n’est pas de lui dont je voudrais vousparler pour terminer.

Page 15: Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 ... · Une histoire de mathématiques à écouter sur hist-math.fr 0 Lachaisedelamariée DesdémonstrationsduthéorèmedePythagore,ilen

30 Proposition élémentaire de géométrie (1729)Le résultat d’Ibn Qurra se trouve aussi dans un ar-ticle paru dans le Journal des Savants en mai 1730. Ilavait été lu l’année précédente à la Société des Arts.Regardez la présentation.

« La pièce suivante est d’un des fils du célèbre Mon-sieur Clairaut. Ce fils âgé seulement de treize ans,est le cadet d’un frère qui n’en a que seize, auquel àcause de sa science dans les mêmes mathématiques,le roi vient d’accorder une dispense d’âge pour êtrereçu dans l’Académie royale des sciences à la pre-mière place vacante. »

Ce frère nanti d’une dispense royale pour entrer àl’Académie des sciences, c’est Alexis Clairaut ; jevous en parle assez souvent. Il avait donc un frèrecadet, dont l’histoire n’a pas retenu le prénom, quiavait tout autant profité que lui des leçons du père.Malheureusement, Clairaut le cadet n’a pas eu letemps de se faire un prénom. Il a été emporté parla variole en deux jours, en décembre 1732. Il avaittout juste seize ans.

31 références

Mmhh : une démonstration peut en cacher uneautre, un théorème peut en cacher un autre, un frèreClairaut peut en cacher un autre, finalement cettehistoire était pleine de faux-semblants. Que reste-t-il d’autre à quoi se raccrocher, sinon « la brillanteabsurdité d’Euclide » ?